Le panthéon de poche
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DALLOZ (PAUL)—Une figure fine et sympathique. Une nature loyale et cordiale.
Ce n'est pas déjà facile de conduire à quatre chevaux, mais à quatre journaux!...
M. Dalloz accomplit ce tour de force avec autant d'aisance que de succès.
DARIMON—Culotte courte, conviction idem.
Variété d'Ollivier portant des fruits secs, tandis que l'autre portait des fruits gâtés.
Est rentré dans la vie privée, comme un chapeau rentre dans la tête... A la suite d'un renfoncement.
DAUBIGNY—On a longtemps dit de son talent:—C'est un rude.
Qu'il prenne garde de faire dire maintenant:—C'est un dur.
A mesure qu'il vieillit, la peinture de ce vrai maître semble prendre des callosités.
DAUDET (ALPHONSE)—Une tête de Christ brun, mais de Christ qui n'a jamais porté de croix... qu'à la boutonnière.
Dès le début, en effet, le succès a souri à l'enfant gâté. Que d'applaudissements pour ses premiers vers, si mignons que quelques-uns les trouvent mignards! Que de pâmoisons du côté des dames, lorsque d'une voix légèrement tremblante, avec une pointe d'accent méridional qui faisait l'effet d'une pointe d'ail dans un fin ragoût, il débitait ses Amoureuses en clignant langoureusement les yeux!
Plus tard, il a serti de délicats bijoux en prose qui ont consolidé sa réputation.
Mais, de ce qu'on cisèle avec goût une épingle, il ne s'ensuit pas qu'on soit capable de sculpter une statue. M. Alphonse Daudet n'est pas comme l'empire à la Duvernois. Sa devise devrait être toujours: Faire petit.
Chaque fois qu'il l'oubliera, ce sera tant pis pour lui et pour nous.
Il n'a surtout rien des dons qui constituent l'auteur dramatique. La passion lui manque, et sur les planches, jamais fièvre n'a rimé avec mièvre.
Ne s'en est pas moins obstiné à marcher dans cette fausse voie. Mais, hélas! son inclination malheureuse pour la scène n'a pas produit d'enfants viables, et il peut, s'empruntant un de ses refrains de jadis, soupirer:
O théâtre, voilà comment
Nous nous aimâmes pour des prunes!
DAUDET (ERNEST)—Encore un Thomas Corneille.
D'abord rédacteur de l'Union, journal légitimiste;
Puis rédacteur d'une feuille bonapartiste;
Puis nommé directeur de l'Officiel par l'orléanisme de M. de Broglie.
Est évidemment convaincu que le plus beau vers de la langue française est le vers qui a dit:
L'homme absurde est celui qui ne change jamais!
DAUMIER—Le masque de Janus, mais avec le nez retroussé... Un Janus à la Roxelane!
Peintre au crayon, il a trouvé moyen de se faire des beautés de nos laideurs.
Avant lui les portiers du sanctuaire de l'art refusaient obstinément d'ouvrir à la caricature...
Daumier a enfoncé la porte.
DAVID (FÉLICIEN)—Une physionomie qui se peut résumer en six mots:
—Des yeux dans de la barbe.
Sa musique vous ferait presque croire que la géographie se trompe, et que l'Orient demeure rue Labruyère. Moi, la première fois que j'ai entendu le Désert, il m'a semblé que je pinçais un coup de soleil.
Et avec cela une modestie!... Parole d'honneur! je suis sûr qu'il est le seul à ne pas savoir qu'il a eu des éclairs de génie.
DAVID (JÉRÔME)—Homme politique qui a tenu un des cordons du poêle de l'enterrement de l'empire.
DEBUREAU—Un bon fils.
Il ne s'est pas contenté de regretter son père, il l'a fait regretter.
DECAZES (Le duc)—On écrit toujours:
—Il porte un grand nom.
Ne devrait-on pas écrire plutôt qu'il est porté par lui?
DECOURCELLE—Tête à la Socrate. Mais ce Socrate a trop amusé ses contemporains pour qu'ils aient jamais l'idée de lui faire boire la ciguë.
L'auteur charmant est doublé d'un philosophe profond, ainsi que l'ont prouvé les Formules du docteur Grégoire.
Causeur à la congrève, il fait feu de toute son artillerie, si vous n'êtes pas de son avis sur le dogme de l'immaculée Réaction.
Heureusement vous vous apercevez bientôt que ce ne sont pas des pièces de canon, mais des pièces d'artifice.
DEJAZET—Encore un peu et l'on pourra dire de l'immortelle Lisette:
—Un siècle sans hiver.
DELAAGE (HENRI)—Tout Paris connaît ces traits si minces, qu'ils ont l'air d'être serrés entre deux morceaux de barbe comme entre les deux pinces d'un étau.
Un des pontifes du surnaturel. Cagliostro du journalisme, je ne sais pas s'il est en rapports suivis avec les esprits mystiques d'en haut; mais ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il est l'ami de presque tous les beaux esprits d'ici-bas.
L'homme du monde et du demi-monde qui sait le mieux la provenance, le prix et le degré de maturité des pêches à 15 sous, 30 sous et au-dessus.
NOTA.—Ce qui fait sa force, c'est qu'il n'en consomme jamais.
DELANNOY—Trouve le bon comique, lorsqu'il ne cherche pas le mauvais grotesque.
DELAUNAY—La verve de Jouvence.
DELORD (TAXILE)—De ceux dont l'exemple enseigne à suivre le droit chemin, sans courbes ni courbettes.
A dix-huit ans il était déjà rédacteur en chef d'un journal à Marseille. A cinquante-cinq ans il n'a pas à désavouer une seule des lignes qu'il a écrites.
Dame! écoutez donc, il en faut bien comme cela pour désinfecter une profession le long de laquelle le premier venu se croit le droit de déposer des ordures.
DENNERY—Inventeur d'un plan de Paris où le boulevard du Crime aboutit à la rue de la Victoire.
Mais ne pas s'y fier. L'itinéraire a vieilli.
Le poulailler, toutefois, est encore fidèle à Dennery que l'orchestre a lâché.
A défaut des Totos il lui reste les titis.
DESBAROLLES—Sorcier de salon. Caractère, passé, présent, avenir, interrogez-le, il vous donnera sur tout cela des nouvelles... à la main.
Moi, qui suis un sceptique, j'aime à lui tendre la mienne tout de même.
Pas pour qu'il la regarde, mais pour qu'il la serre.
DESGOFFE—Photographe à l'huile, voué à la spécialité du trompe-l'œil.
Ceux qui s'agenouillent devant ses bibelots savent ce que coûtent les frais du culte.
Moi, ça m'est égal, je ne suis pas de la paroisse.
DESMARRE—
Mirons dans ses yeux
Nos yeux!
Prince des oculistes, a été surnommé le bourru bienfaisant. Tant de médecins ne justifient que la moitié du sobriquet!
DETAILLE—Un jeune artiste arrivé à la réputation en train express.
NOTA.—Je crains qu'il n'ait pris un billet de retour.
DÉTROYAT (LÉONCE)—Directeur de la Liberté. Brun, tête de Bédouin; belle voix de baryton.
Est entré dans la politique par la marine; sans doute l'habitude des tempêtes!
DEVIENNE—Magistrat célèbre, qui, prétend-on, travaille à un traité sur le droit d'intervention.
Je ne crois pas, pour ma part, que ce sujet lui agrée.
DEVINCK—Négociant politique, qui a pu supposer un instant que les tablettes de l'histoire étaient en chocolat.
Il est revenu de son erreur.
DIAZ DE SORIA—Sa tête est un beau bronze, sa voix un pur cristal.
Jugez, les hommes prennent tant de plaisir à l'écouter qu'ils en oublient d'être jaloux de la façon dont les femmes le regardent.
DORÉ (GUSTAVE)—Un vin généreux coulant d'un fût inépuisable. Certains regrettent seulement qu'on n'en mette pas davantage en bouteille.
DOUCET (CAMILLE)—Son nom: Doucet; son tempérament: doucet; ses succès: doucets; sa littérature: doucette.
Tout s'ensuit.
Sa poésie n'est ni de l'école classique, ni de l'école romantique, ni de l'école réaliste.
Elle est de l'école de M. Jourdain.
Elle fait de la prose sans le savoir.
DRANER—De son vrai nom Renard.
A commencé sa réputation par les charmantes charges militaires que tout le monde connaît. La continue vaillamment.
Draner est Belge; mais je vous garantis que son esprit n'est pas de la contrefaçon.
DROZ (GUSTAVE)—Créateur d'un sirop de cantharides dont raffolent les dames.
DUBOIS (PAUL)—L'auteur du Saint-Jean et du Chanteur florentin.
A trouvé l'incarnation du marbre.
DUBUFFE—Pâtissier-confiseur qui n'a pas son pareil pour la meringue à la femme.
DU CAMP (MAXIME)—Professeur de Paris comparé.
DUCLERC—Encore un de ces affreux millionnaires de partageux!
DUCROT (Général)—A prédit nos défaites sans savoir les réparer.
Avait eu tort d'entrer, à l'instar de Louis XIV, tout botté dans le parlement.
A bien fait d'en sortir.
DUFAURE—Mais, sacrebleu! lui disait-on, vous êtes hérissé comme un chardon!
—C'est pour cela, répondit-il, que les ânes me mordent.
DUGUÉ DE LA FAUCONNERIE—Un Belmontet sans la rime.
DUMAINE—Quelqu'un en le regardant disait:
—C'est l'éléphance de l'art.
J'aime ce néologisme... Et vous?
DUMAS (fils)—Le premier bistouri de lettres que possède notre époque. Fondateur-innovateur du Théâtre-Dupuytren.
Un merveilleux écrivain qui a le défaut de se guinder parfois. Quand on est grand, on n'a pas besoin de talons.
Depuis quelque temps il a contracté la regrettable habitude de placer sur sa table de travail un bénitier auprès de son encrier.
Il en résulte que, quand il se trompe et trempe la plume dans le bénitier, dame, c'est de l'eau claire!...
DUMAS (J.-B.)—Chimiste célèbre et sénateur banal.
A pu, en cette dernière qualité, lors du 4 septembre, quand ses chers collègues ont si bien tiré au large, faire des études sur la décomposition des corps... politiques et les précipités de la peur.
DU MIRAL—L'homme à la soupière!
Prévoyait-il, en arborant ce symbole, les soupes que le suffrage universel devait lui tremper plus tard?
DUPANLOUP—Un calice de vinaigre.—Comme cela se trouve qu'il soit évêque d'Orléans!
DUPRÉ (JULES)—On prétend que les Dupré auront prochainement la cote à la Bourse.
Combien ce très-remarquable peintre devait préférer le temps où il y avait autour de ses tableaux moins d'agiotage et plus d'admiration!
DUPREZ—Un volcan refroidi.
A fondé depuis lors une école lyrique à l'usage de toutes les médiocrités.
Comme s'il était possible d'apprendre aux buttes Montmartre à avoir des éruptions!
DUPUIS—Aurait droit à ce surnom: Le ténor qui rit.
Plus de tic que de talent.
Mais le public a dit: Ainsi soit-il.
Ainsi il est, quelque rôle qu'il joue.
DUPUY (DE LOME)—Un des cent mille chercheurs de la navigation aérienne.
Ce qu'il y a eu de plus ingénieux dans son système, c'est qu'il nous a fait payer les frais de ses inutiles expériences.
DURAN (CAROLUS)—Un gaillard qui vous tripote la couleur de main d'ouvrier.
Un tempérament de vrai peintre.
Espagnol par l'apparence physique, par ses admirations artistiques (tout pour Velasquez!) et aussi par le contentement de soi.
Devrait pourtant savoir que, quand on se bâtit son Panthéon soi-même, cela donne envie à tout le monde de le démolir.
Quand on est un arrivé, on devrait se méfier d'un défaut de parvenu.
NOTA.—Jusqu'à ses cheveux qui ont l'air de faire la roue!
DURIER (ÉMILE)—Une des notabilités les plus estimées du barreau.
Parole qui ne trébuche jamais; conscience idem.
DURUY (VICTOR)—Un homme de bonne volonté, qui a cru sincèrement que son libéralisme faisait l'empire prisonnier, quand il était fait prisonnier par lui.
En rêvant pour le progrès l'alliance du césarisme, il m'a produit l'effet de quelqu'un qui croirait faire un cadeau à un oiseau en lui offrant une cage.
DUSOMMERARD—Les bibelots de mon père!...
DU TEMPLE—Un de ceux dont les colères voudraient faire croire que la fleur de lis a des épines.
Quand il est venu déposer ses graines d'épinards sur la tribune, un fantaisiste s'est écrié:
—Bah! il n'était que général en garni!
DUVERNOIS (CLÉMENT)—A passé presque sans transition d'un cabinet dans une cellule...
O finance, voilà de tes coups!
La prison Tarpéienne est près du Capital.
DUVERT—Qui se douterait, à voir passer ce petit bourgeois vieux, jaune, parcheminé, que, sous ces apparences de chef de bureau en retraite, se cache un des esprits les plus merveilleux de la fantaisie contemporaine!
Comparez ses chefs-d'œuvre de vaudeville avec les cascades bêtes de l'opérette, et vous comprendrez la difficulté qu'il y a à jongler avec la langue française sans la laisser glisser dans la boue.