Le roman de la rose - Tome II
LI
Beauté tant Chasteté guerroie,
Laideur aussi tant la rudoie,
Qu'ils lui font leur dame servir,
Qui chastes femmes fait honnir.
Et lui court sus parmi la place,
Saillante au col sa grosse masse
Si lourde qu'il semble vraiment
Que ce lui soit moult grand tourment
Que sa maîtresse encor demeure
Vivante l'espace d'une heure.
Ainsi trop faible est Chasteté;
En lutte de chaque côté
Et de nulle part défendue,
Elle s'enfuit toute éperdue.
Car seule au combat se voyant,
L'eût-elle juré par serment,
N'oseroit-ele contrester, 9325
Si qu'el n'i puet riens conquester.
Laidor ait ores mal dehé,
Quant si guerroie Chastéé,
Que deffendre et tenser déust;
Néis se mucier la péust
Entre sa char et sa chemise,
Si l'i déust-ele avoir mise.
Moult refait certes à blasmer
Biauté qui la déust amer,
Et procurer, s'ele péust,
Que bonne pès entre eus éust;
Son pooir au mains en féist,
Ou qu'en sa merci se méist;
Que bien li déust faire hommage,
S'ele fust preus, cortoise et sage,
Non pas faire honte et vergoigne;
Car la letre néis tesmoigne
Où sisiesme livre Virgile,
Par l'auctorité de Sebile,
Que nus qui vive chastement,
Ne puet venir à dampnement.
Dont ge jur Diex, le roi celestre,
Que fame qui bele vuet estre,
Ou qui du ressembler se paine,
Et se remire et se demaine
Por soi parer et cointoier,
Qu'el vuet Chastéé guerroier,
Car moult a certes d'anemies.
Par cloistres et par abbaies,
Sunt toutes contre li jurées;
Jà si ne seront enmurées
Elle ne sait assez de lutte, 9375
Quand tel lutteur contre elle lutte,
Pour oser même résister,
Sans espoir de rien conquêter.
Que Laideur tombe en male voie
Quand si fort Chasteté guerroie
Que protéger elle devrait!
Si même cacher la pouvait
Entre sa chair et sa chemise,
Elle devrait l'y avoir mise.
Beauté certe est bien à blâmer
Aussi, qui la devrait aimer,
Et, s'il se peut, faire qu'entre elles
Bonne paix finît leurs querelles,
En faire au moins tout son pouvoir
Et ses lois mêmes recevoir.
Si courtoise elle était et sage,
Elle devrait lui faire faire hommage
Et non pas honte ni dépit.
Car le témoigne ainsi l'écrit,
Au sixte livre de Virgile,
Par la bouche de la sibylle:
«Que nul qui vive chastement
Ne peut venir à damnement,»
D'où je jure par Dieu le Père:
«Femme qui veut belle se faire
Et qui, pour le sembler au moins,
A se parer met tous ses soins
Et s'admirer, c'est que la guerre
Elle veut à Chasteté faire.»
Aussi que d'ennemis ardents!
Par les cloîtres et les couvents,
Toutes contre elle conjurées,
Femmes ne sont assez murées
Que Chastéé si fort ne héent, 9357
Que toutes à honir ne béent.
Toutes font à Venus hommage,
Sans regarder preu ne dommage,
Et se cointoient et se fardent
Por ceus bouler qui les regardent;
Et vont traçant parmi ces ruës,
Por véoir, por estre véuës[110];
Por faire as compaignons desir
De voloir avec eus gesir.
Por ce portent-eus les cointises
As karoles et as eglises:
Car jà nule ce ne féist,
S'el ne cuidast qu'en la véist,
Et que par ce plus tost pléust
A ceus que decevoir péust.
Mès certes qui le voir en conte,
Moult font fames à Diex grant honte,
Comme foles et desvoiées,
Quant ne se tiennent apoiées
De la biauté que Diex lor donne.
Chascune a sor son chief coronne
De floretes d'or ou de soie,
Et s'en orguillist et cointoie
Quant se va monstrant par la vile;
Par quoi trop malement s'avile
La maléurée, la lasse,
Quant chose plus vile et plus basse
De soi vuet sor son chief atraire,
Por sa biauté croistre ou parfaire;
Et vet ainsinc Diex despisant,
Qu'el le tient por non soffisant,
Pour Chasteté ne point haïr 9409
Ni s'efforcer de la honnir.
Toutes font à Vénus hommage
Sans voir ni profit ni dommage,
Se parent, se couvrent de fards
Afin d'abuser les regards,
Et s'en vont traçant par les rues,
Pour voir, surtout pour être vues[110b]
Et donner aux hommes désir
De les vouloir au lit saillir.
Aussi toutes leurs marchandises,
Aux karoles comme aux églises,
Portent-elles également,
Et nulle, bien certainement,
Ne sortirait ainsi vêtue,
Si ne désirait être vue,
Adonc, en séduisant les yeux,
Tromper les gens plus vite et mieux.
Mais pour celui qui juste compte,
Moult à Dieu font femmes grand' honte,
Quand, dans leur fol égarement,
Ne se contentent simplement
De la beauté que Dieu leur donne.
Chacune sa tête couronne
De fleurettes de soie ou d'or,
Et vaine s'enorgueillit fort
Quand se va montrant par la ville.
Ainsi plus méprisable et vile
La malheureuse alors se fait,
Quand d'un plus bas et vil objet
Qu'elle-même, à s'orner s'ingère,
Pour sa beauté croître ou parfaire.
Elle s'en va Dieu méprisant
Et le proclame insuffisant,
Et se pense en son fol corage 9389
Que moult li fist Diex grant outrage,
Qui, quant biauté li compassa,
Trop négligemment s'en passa.
Si quiert biauté de créatures
Que Diex fist de plusors figures,
Ou de métaus, ou de floretes,
Ou d'autres estranges chosetes.
Sans faille, ainsinc est-il des hommes,
Se nous, por plus biaus estre, fomes
Les chapelés et les cointises
Sor les biautés que Diex a mises
En nous: vers li trop mesprenons,
Quant apaiés ne nous tenons
Des biautés qu'il nous a données
Sor toutes créatures nées.
Mès ge n'ai de tex trufes cure,
Ge voil soffisant vestéure
Qui de froit et de chaut me gart:
Autresinc bien, si Diex me gart,
Me garantist et cors et teste
Par vent, par pluie et par tempeste,
Forré d'agniaus cist miens buriaus,
Comme pers forré d'escuriaus.
Mes deniers, ce me semble, pers
Quant ge, por vos robes de pers,
De camelot ou de brunete,
De vert ou d'escarlate achete,
Et de vair et de gris la forre;
Ce vous fait en folie encorre,
Et faire les tors et les moës
Par les poudres et par les boës:
Ne Diex, ne moi riens ne prisiés.
Néis la nuit, quant vous gisiés
Puisqu'en son fol coeur envisage 9443
Que Dieu lui fit moult grand outrage,
Qui, quand la beauté lui donna,
Négligemment s'en acquitta;
Puisqu'emprunte des créatures,
Que Dieu fit sous mille figures,
Leurs beautés, soit fleurs, animaux,
Substances maintes ou métaux.
Sans mentir, tous tant que nous sommes,
Il en est de même des hommes;
Car pour paraître aussi plus beaux,
De chapelets et de joyaux
Couvrons les beautés naturelles
Qu'en nous pourtant Dieu fit plus belles.
Envers lui nous nous méprenons,
Quand satisfaits ne nous tenons
Des beautés qu'il nous a données
Sur toutes créatures nées.
Pour moi, ces moyens méprisant,
Je veux vêtement suffisant
Qui, si Dieu me tient en sa garde,
Et du chaud et du froid me garde,
De simple drap fourré d'agneau
Autant que poil d'écureuil chaud,
Et corps me garantisse et tête
Par vent, par pluie et par tempête;
Car je perds mon argent, par Dieu,
Quand pour vous robes de drap bleu,
De camelot et de brunete,
D'écarlate ou de vert j'achète
Et fourre de vert et de gris;
Ce vous affole, à mon avis,
Et vos tours excite et vos moues
Par la poussière et par les boues,
En mon lit lez moi toute nuë, 9423
Ne poés-vous estre tenuë:
Car quant ge vous voil embracier
Por besier et por solacier,
Et sui plus forment eschaufés,
Vous rechigniés comme maufés,
Ne vers moi, por riens que ge face,
Ne volés torner vostre face;
Mès si malade vous faigniés,
Tant souspirés, tant vous plaigniés,
Et faites si le dangereus,
Que g'en deviens si paoreus
Que ge ne vous ose assaillir,
Tant ai grant paor de faillir.
Quant après dormir me réveille,
Si me vient à trop grant merveille
Comment ces ribaus i aviennent
Qui par jor vestuë vous tiennent,
Se vous ainsinc vous détortés
Quant avec eus vous déportés,
Et se tant lor faites d'anuis
Cum à moi de jor et de nuis.
Mès n'en avés, ce cuit, talent,
Ains alés chantant et balent
Par ces jardins, par ces praiaus,
Avec ces ribaus desloiaus
Qui traïsnent ceste espousée
Par l'erbe vert à la rousée,
Qui me vont ilec despisant,
Et par despit entr'eus disant:
Ni Dieu, ni moi rien ne prisez. 9477
Voire la nuit, quand vous gisez
Au lit près de moi toute nue,
Point n'avez-vous de retenue.
Car si je veux vous embrasser,
Vous baiser et vous caresser,
Et mes soulas avec vous prendre,
Plus me voyez pressant et tendre,
Plus mes ardeurs vous éteignez
Et comme un diable rechignez,
Ni vers moi, pour rien que je fasse,
Ne voulez tourner votre face,
Mais tant malade vous feignez,
Tant soupirez, tant vous plaignez
Et tant faites la langoureuse,
Que l'âme en ai toute anxieuse
Et que n'ose vous assaillir,
Tellement j'ai peur de faillir.
Et quand après dormir m'éveille,
Lors me vient à trop grand' merveille,
Si de même vous débattez
Quand avec eux vous ébattez,
Comment ces ribauds y parviennent
Qui vêtue en plein jour vous tiennent,
Et si tant leur faites d'ennuis
Comme à moi les jours et les nuits.
Mais avec eux, comme je pense,
N'avez si fière contenance;
Vous allez chantant et dansant,
Par les jardins et prés glissant
Sur l'herbe verte et la rosée,
Vous ma légitime épousée,
Avec ces ribauds doucereux
Qui vous entraînent avec eux.
C'est maugré l'ort vilain Jalous; 9453
Sa char soit or livrée as lous,
Et les os as chiens enragiés!
Par qui sui si ahontagiés?
C'est par vous, dame pautoniere,
Et par vostre fole maniere;
Ribaude orde, vil pute, lisse,
Jà, vostre cors de cest an n'isse,
Quant à tex mastins le livrés,
Par vous sui à honte livrés;
Par vous, par vostre lecherie,
Sui-ge mis en la confrarie
Saint Ernol, le seignor des cous[111],
Dont nus ne puet estre rescous,
Qui fame ait, au mien escient,
Tant l'aut gardant ne espiant,
S'éust néis d'iex ung millier.
Toutes se font hurtebillier[112]:
Qu'il n'est garde qui riens i vaille;
Et s'il avient que le fait faille,
Jà la volenté n'i faudra,
Par quoi, s'el puet, au fait saudra,
Car le voloir tous jors en porte.
Mès forment nous en réconforte
Juvenaus, qui dist, du mestier
Que l'en appelle rafetier[113],
Que c'est li meindres des péchiés
Dont cuer de fame est entechiés;
Car lor nature lor commande
Que chascune au pis faire entende.
Ne voit-l'en comment les marrastres
Cuisent venins à lor fillastres,
Tous tant qu'ils sont ils vous méprisent 9511
Et par dépit entre eux se disent:
«C'est bien fait pour l'affreux Jaloux
Que sa chair soit livrée aux loups,
Ses os qu'enragé chien dévore!»
Qui donc ainsi me déshonore?
C'est vous-même, dame cataud,
Par votre coeur fol et ribaud,
Chienne en feu, ribaude, putasse,
Que votre corps un an ne passe,
Quand à tel matin le livrez,
Car de honte vous me couvrez.
Par vous, par votre lécherie,
Je suis mis en la confrérie
De saint Arnould, saint des cocus[111b],
Dont nuls ne furent secourus
Qui femme ont, à ma connaissance,
Combien qu'on la garde et relance,
Eût-on même d'yeux un millier;
Toutes se font hurtebillier[112b].
Il n'en est pas une qui tienne,
Et s'il advient qu'au fait ne vienne,
La volonté n'y manquera,
Et s'il se peut elle y viendra,
Car le vouloir toujours l'emporte.
Mais Juvénal nous réconforte
Là-dessus merveilleusement;
Car il nous dit moult sagement
Que ce besoin de la femelle,
Et que forniquer on appelle[113b],
Est encor le moindre péché
Dont soit coeur de femme entaché.
Car leur nature leur commande
Que chacune au pis faire entende.
Et font charmes et sorceries, 9485
Et tant d'autres grans déablies,
Que nus nes porroit recenser,
Tant i séust forment penser?
Toutes estes, serés, ou futes,
De fait ou de volenté putes[114];
Et qui bien vous encercheroit,
Toutes putes vous trouveroit:
Car qui que puist le fait estraindre,
Volenté ne puet nus contraindre.
Tel avantage ont toutes fames
Qu'el sunt de lor volenté dames;
L'en ne lor puet le cuer changier,
Por batre, ne por ledengier;
Mès qui changier les lor péust,
Des cors la seignorie éust.
Or lessons ce qui ne puet estre;
Mès, biaus dous Diex, biaus Rois celestre!
Des ribaus que porrai-ge faire
Qui tant me font honte et contraire?
S'il avient que ge les menace,
Riens ne priseront ma menace;
Se ge me vois à eus combatre,
Tost me porront tuer ou batre.
Il sunt felon et outrageus,
De tous maus faire corageus,
Jennes, jolif, felons, testu:
Ne me priseront ung festu;
Car jonesce si les enflame,
Qui de feu les emple et de flame,
Et tout lor fait par estovoir
Les cuers à folie esmovoir,
Ainsi marâtres de leurs mains 9545
Pour leurs brus font cuire venins,
Charmes font et sorcelleries,
Et tant d'autres grand' diableries,
Qu'on ne pourrait les recenser,
Si longtemps qu'on y pût penser.
Toutes êtes, serez ou fûtes
De fait ou de volonté putes[114b]!
Et qui bien vous étudierait
Toutes putes vous trouverait.
Car tel avantage ont les femmes
Qu'elles sont de leur vouloir dames,
Et qui pût le fait empêcher
Ne saurait leur vouloir forcer.
L'injure ni la violence
Ne changent point la conscience,
Car qui le coeur changer pourrait
Du corps ainsi maître serait.
Or, laissons ce qui ne peut être;
Mais, doux Dieu, roi du ciel et maître,
Que puis-je contre ces ribauds
Qui de tant de honte et de maux
M'accablent? Si je les menace,
Ils se riront de ma menace;
Si je vais contre eux me ruer,
Tôt me pourront battre ou tuer.
Outrageux, félons, l'àme fière
Et courageux de tous maux faire,
Jeunes, hardis, félons, têtus,
Me priseront-ils deux fétus?
Car jeunesse tant les enflamme
Qui les emplit de feu, de flamme
Et leur fait nécessairement
Émouvoir le coeur follement,
Et si legiers et si volans, 9517
Que chascuns cuide estre ung Rolans,
Voire Hercules, voire Sanson.
Si rorent cil dui, ce pense-on,
Si cum en escrit le recors,
Resemblables forces de cors;
Car Hercules avoit, selonc
L'auctor Solin, sept piés de lonc,
N'onc ne pot à quantité graindre
Nus noms, si cum il dit, ataindre.
Moult ot cis Hercules d'encontres,
Il vainqui douze orribles monstres,
Et quant ot vaincu le douziesme,
Onc ne pot chevir du treiziesme[115].
Ce fu de Deyanira
S'amie, qui li descira
Sa char de venin toute esprise
Par la venimeuse chemise.
Ainsinc fu par fame dontés
Hercules qui tant ot bontés.
Si ravoit-il par Yolé[116]
Son cuer jà d'amors afolé.
Voir image
Ainsinc Sanson, qui pas dix hommes
Ne redotoit ne que dix pommes,
S'il éust ses cheveus éus,
Fu par Dalila décéus.
Si fai-ge que fox de ce dire,
Car ge sai bien que tire à tire
Mes paroles toutes dirés,
Quant vous de moi départirés;
As ribaus vous irés clamer,
Et me porrés faire entamer
Le rend si léger, si crédule, 9579
Que chacun se croit un Hercule,
Un Samson, au moins un Roland.
Or les deux premiers, ci-devant,
Avaient, si bien me le rappelle,
Semblable force corporelle.
Car avait Hercule, selon
L'auteur Solin, sept pieds de long,
Et jamais homme, il nous l'assure,
N'atteignit si haute stature.
Moult grands travaux il entreprit,
Douze horribles monstres vainquit,
Mais quand eût vaincu le douzième
Ne put surmonter le treizième[115b].
Ce fut cette Déjanira,
Son amante, qui déchira
Sa chair de venin toute éprise
Par la venimeuse chemise.
Ainsi, ce héros valeureux
Et si fort et si courageux,
Hercule, fut par une femme
Dompté; du reste, de sa flamme
Amour déjà, pour Iolé[116b],
Avait ce grand coeur affolé.
Ainsi Samson qui pas dix hommes
N'eût redouté plus que dix pommes,
Ses longs cheveux s'il avait eu,
Fut par sa Dalila déçu.
Mais je suis fol de ce vous dire;
Car je sais bien que tire à tire
Mes paroles répéterez,
Quand de moi vous départirez.
Tous ces ribauds vous feront fête;
Vous me ferez briser la tête,
La teste, ou les cuisses brisier, 9549
Ou les espaules encisier,
Se jà poés à eus aler;
Mès se g'en puis oïr parler
Ains que ce me soit avenu,
Et li bras ne me sunt tenu,
Ou le pestel ne m'est ostés[117],
Je vous briserai les costés.
Ami, ne voisin, ne parent,
Ne vous en seront jà garent,
Ne vostre leschéor méismes.
Las! por quoi nous entrevéismes?
Las! de quel hore fu-ge nés
Quant en tel vilté me tenés?
Que cil ribaut mastin puant,
Qui vous vont flatant et chuant,
Sunt si de vous seignor et mestre,
Dont seus déusse sires estre,
Par qui vous estes soustenuë,
Vestue, chaude et péuë,
Et vous me faites parçonniers[118],
Ces ors ribaus, ces pautonniers,
Qui ne vous font se honte non,
Tolu vous ont vostre renom,
De quoi garde ne vous prenés
Quant entre vos bras les tenés;
Par devant dient qu'il vous aiment,
Et par derriers putain vous claiment,
Et dient ce que pis lor semble,
Quant il resunt entr'eus ensemble,
Comment que chascuns d'eus vous serve,
Car bien congnois toute lor verve.
Sans faille bien est vérités,
Quant à lor bandon vous metés,
A grands coups les cuisses casser, 9613
Ou les épaules dépécer,
Si je vous laisse vers eux rendre.
Mais si je puis avant l'apprendre
Que cela ne soit advenu,
Et si mon bras n'est retenu,
Et si ce bâton l'on ne m'ôte[117b],
Je vous veux briser mainte côte.
Ami, ni voisin, ni parent,
Ni même votre beau galant
Ne sauraient mater ma colère.
Maudite soit l'heure naguère
Où pour mon malheur je vous vis
Qui me tenez en tel mépris!
Or ces ribauds, chiens détestables,
Parce qu'ils sont flatteurs, aimables,
Sont de vous maîtres et seigneurs.
A moi, vous devez vos faveurs,
Par qui vous êtes soutenue,
Nourrie et chaussée et vêtue;
Sans pudeur vous m'associez
Tous ces ribauds, vils putassiers,
Qui vous ont de honte abîmée
Et ravi votre renommée,
Mais garde guère n'y prenez,
Quand dans vos bras vous les tenez.
Comment que chacun d'eux vous serve,
Je connais bien toute leur verve;
Devant ils vous aiment tout plein,
Derrière ils vous nomment putain,
Et disent ce que pis leur semble
Une fois qu'ils sont seuls ensemble.
Et vraiment trop le méritez
Quand à leur merci vous mettez;
Il vous sevent bien metre à point, 9583
Car de dangier en vous n'a point.
Quant entrée estes en la foule,
Où chascun vous hurte et defoule,
Il me prent par foi grant envie
De lor solas et de lor vie[119].
Mès sachiés, et bien le recors,
Que ce n'est pas por vostre cors,
Ne por vostre donoiement,
Ains est por ce tant solement
Qu'il ont le desduit des joiaus,
Des fremaus d'or et des aniaus,
Et des robes et des pelices
Que ge vous lais cum fox et nices:
Car quant vous alés as karoles,
Ou à vos assemblées foles,
Et ge remains cum fox et yvres,
Vous i portés qui vaut cens livres
D'or et d'argent sor vostre teste,
Et commandés que l'en vous veste
De camelot, de vair, de gris,
Si que trestous en amegris,
De maltalent et de souci,
Tant m'en esmai, tant m'en souci.
Que me revalent ces gallendes,
Ces coiffes à dorées bendes,
Et ces diorez trecéors,
Et ces yvorins miréors,
Ces cercles d'or bien entailliés,
Précieusement esmailliés,
Et ces corones de fin or
Dont enragier ne me fine or,
Tout leur vouloir ils vous font faire, 9647
Car vous ne vous défendez guère.
Quand dans la foule entrez ainsi
Où chacun vous foule à l'envi,
Il me prend parfois grande envie
De leur soulas et de leur vie[119b].
Mais je ne vous le cache pas,
Ils ne sont point pour vos appas
Séduits ni par votre jactance,
Mais purement par l'éloquence
De vos parures et joyaux,
Des chaînes d'or et des anneaux,
Des manteaux et robes de soie
Que, comme un sot, je vous octroie.
Car lorsque vous vous en allez
A vos karoles et balez
Parmi mainte folle assemblée,
Je reste seul en recelée
Comme un ivrogne ou comme un fol,
Et vous, pour cent livres au col
D'or ou d'argent et sur la tête
Portez et voulez qu'on vous vête
De vair, de camelot, de gris,
Tant que tretout j'en amaigris
De colère et de jalousie,
Tant m'en émeus et m'en soucie!
Que me servent ces oripeaux,
Ces coiffes d'or et ces bandeaux,
Et tous ces tressoirs dorés, voire
Encor ce beau miroir d'ivoire,
Ces cercles d'or si bien taillés,
Précieusement émaillés,
Ces fermails d'or à pierres fines,
A votre col, à vos poitrines,
Tant sunt beles et bien polies, 9615
Où tant a beles perreries,
Saphirs, rubis et esmeraudes,
Qui si vous font les chieres baudes?
Ces fremaus d'or à pierres fines
A vos cols et à vos poitrines,
Et ces tissus et ces ceintures
Dont tant coustent les ferréures
Que l'or, que les pelles menuës
Que me valent tex fanfeluës?
Et tant estroit vous rechauciés,
Que la robe sovent hauciés
Por montrer vos piés as ribaus.
Ainsinc me confort saint Tibaus!
Que tout dedans tiers jors vendrai,
Et vile et sous piés vous tendrai:
N'aurés de moi, par le cors Dé,
Fors cote et sorcot de cordé,
Et une gonele de chanvre,
Mès el ne sera mie tanvre,
Ains sera grosse et mal tissuë,
Et descirée et desrompuë,
Qui qu'en face ne duel ne pleinte:
Et par mon chief, vous serés ceinte,
Mès, dirés-vous, de quel ceinture?
D'un cuir tout blanc sans ferréure;
Et de mes housiaus anciens
Aurés grans solers à liens[120],
Larges à metre grans panufles.
Toutes vous osterai ces trufles,
Qu'el vous donnent occasion
De faire fornicacion:
Si ne vous irés plus monstrer
Por vous faire as ribaus voustrer.
Ces belles couronnes d'or fin 9681
Qui me font enrager enfin,
Tant sont belles et bien polies,
Où sont tant belles pierreries,
Saphirs, émeraudes, rubis,
Qui vous font des airs si ravis?
Et ces tissus et ces ceintures
Dont me coûtent les garnitures
Autant que les perles et l'or,
A quoi me servent-ils encor?
A quoi cette étroite chaussure
Qui tant vous fait outre mesure
Montrer la jambe à ces ribauds?
Ainsi, me garde saint Thibaus!
Avant que le tiers jour s'écoule,
Il faut aux pieds que je vous foule!
Par le corps Dieu! de moi n'aurez
Ni robes, ni bandeaux dorés,
Mais cote et robe mal tissée
Toute en lambeaux et dépecée,
Et de simple chanvre un manteau,
Je vous jure, élégant ni beau,
Combien qu'en fassiez deuil et plainte,
Et par mon chef, vous serez ceinte,
Et de quelle ceinture encor?
D'un cuir tout blanc sans fermail d'or,
Et pour vous de mes vieilles guêtres
Je ferai souliers à lacs, maîtres[120b]
Souliers à mettre grands chaussons.
Vite ces oripeaux laissons
Qui vous poussent à l'adultère
Et à fornication faire.
Adonc plus n'irez vous montrer,
Ni sous ces ribauds vous vautrer.
Mès or me dites sans contrueve,9649
Cele autre riche robe nueve
Dont l'autre jor si vous parastes,
Quant as karoles en alastes,
(Car bien congnois, et raison ai,
Qu'onques cele ne vous donnai),
Par amors, où l'avés-vous prise?
Vous m'avés juré saint Denise
Et saint Philebert et saint Pere,
Qu'el vous vint de par vostre mere
Qui le drap vous en envoia;
Car si grant amor à moi a,
Si cum vous me faites entendre,
Que bien vuet ses deniers despendre[121]
Por moi faire les miens garder.
Vive la face-l'en larder,
L'orde vielle putain prestresse,
Maquerele et charroieresse,
Et vous avec par vos merites,
S'il n'est ainsinc comme vous dites!
Certes ge li demanderai:
Mès en vain me travaillerai,
Tout ne me vaudrait une bille,
Tel la mere, tele la fille.
Bien sai, parlé avés ensemble,
Andui avés, si cum moi semble,
Les cuers d'une verge touchiés;
Bien voi de quel pié vous clochiés.
L'orde vielle putain fardée
S'est à vostre acord acordée:
Autrefois à ceste hart torse
De mains mastins a esté morse,
Tant a divers chemins traciés;
Mès tant est ses vis effaciés,
Or dites-moi sans tricherie, 9715
Cette robe neuve et jolie
Dont l'autre jour vous vous pariez
Quant aux karoles vous alliez,
Par amour, où l'avez-vous prise?
Car celui qui vous l'a remise
N'est pas moi, j'en suis assuré.
Par saint Denis m'avez juré,
Saint Philibert et le Saint-Père,
Qu'elle vous vint de votre mère
Qui le drap vous en envoya;
Car pour moi si grand amour a
Qu'elle aime mieux, à vous entendre,
Pour mon bien garder et défendre,
Donner le sien sans calculer.
Puisse-t-on vive la brûler,
L'orde vieille putain prêtresse,
La maquerelle, la diablesse,
Et vous avec, pour vos hauts faits,
Si vos serments ne sont pas vrais!
Vous deux ne valez une bille,
Car telle mère, telle fille.
Au fait je lui demanderai;
Mais en vain me travaillerai,
Car parlé vous avez ensemble,
Et vos deux coeurs sont, il me semble,
D'une même verge touchés.
Bien vois de quel pied vous clochez,
Et la vieille putain fardée
S'est avec vous bien accordée.
Car autrefois, je le sais bien,
Elle usa du même moyen;
A la même corde pendue,
Elle fut de maint chien mordue
Que ne puet riens faire de soi, 9683
Si vous vent ores, bien le soi.
El vient céans, et vous emmaine
Trois fois ou quatre la semaine,
Et faint noviaus pelerinages
Selonc les anciens usages,
Car g'en sai toute la covine,
Et de vous promener ne fine,
Si cum l'en fait destrier à vendre,
Et prent et vous enseigne à prendre.
Cuidiés que bien ne vous congnoisse?
Qui me tient que ge ne vous froisse
Les os cum à poucin en paste,
A ce pestel ou à cest haste?
LII
Comment le Jaloux se débat
A sa femme et si fort la bat,
Que robe et cheveulx luy descire,
Par sa jalousie et par ire.
Lors la prent espoir de venuë
Cil qui de maltalent tressuë,
Par les tresses et sache et tire,
Les cheveus li ront et descire
Li jalous, et sor li s'aorse
Por noient fust lyon sor orse;
Et par tout l'ostel la traïne
Par corrous et par ataïne,
Et la ledenge malement;
Ne ne vuet por nul serement
Dans les chemins qu'elle a tracés. 9749
Mais ses traits sont tout effacés,
Et ne pouvant plus rien prétendre,
Elle va maintenant vous vendre.
Elle vient céans, et par mois
Vous emmène onze ou douze fois,
Et feint nouveaux pèlerinages,
Suivant les anciens usages
(Car je connais tout son latin),
Vous promène soir et matin
Comme on fait un cheval à vendre,
Et prend et vous enseigne à prendre.
Croit-on à ce point m'abuser?
Qui me retient de vous briser
Les os, comme à poussin en pâte,
De ce bois, de ce fer, ingrate!
LII
Comment le Jaloux se débat
Avec sa femme et tant la bat
Que robe et cheveux lui déchire
Par jalousie et par grande ire.
Lors de colère tout suant,
Il la saisit incontinent
Par les tresses, secoue et tire,
Les cheveux lui rompt et déchire,
Et s'acharne, tirant toujours,
Comme un lion dessus un ours,
Par toute la maison la traîne,
Par courroux et vengeance et haine,
Et la gourmande malement,
Et ne veut, pour aucun serment,
Recevoir excusacion, 9711
Tant est de male entencion;
Ains fiert et frape et roille et maille
Voir image
Cele qui brait et crie et braille,
Et fait sa voiz voler as vens
Par fenestres et par auvens;
Et tout quanque set li reprouche
Si cum il li vient à la bouche,
Devant les voisins qui là viennent,
Qui por fox ambedeus les tiennent,
Et la li tolent à grant paine,
Tant qu'il est à la grosse alaine.
Et quant la dame sent et note
Cest torment et ceste riote,
Et ceste déduiante viele,
Dont cil jonglierres li viele[122],
Pensés-vous qu'el l'en aint jà miaus?
El vodroit or qu'il fust à Miaus,
Voire certes en Romanie.
Plus dirai, que ge ne croi mie
Qu'ele le voille amer jamès.
Semblant, espoir, en fera; mès
S'il pooit voler jusqu'as nuës,
Ou si haut lever ses véuës,
Qu'il péust d'ilec, sans chéoir,
Tous les faits des hommes véoir,
Et s'apensast tout à loisir,
Si faudroit-il bien à choisir
En quel peril il est chéus,
S'il n'a tous ses baras véus
Por soi garantir et tenser
Dont fame se set porpenser.
Ouïr excuse ni défense, 9779
Tant est de male conscience,
Mais cogne et frappe comme un sourd,
Roule ses yeux tout à l'entour,
Et la pauvre femme tiraille,
Qui brait et qui crie, et qui braille,
Et fait sa voix voler aux vents
Par fenêtres et par auvents;
Tout ce qu'il sait, d'un air farouche
Lui dit, comme il vient à sa bouche,
Devant les voisins curieux
Qui les tiennent pour fous tous deux,
Et la délivrent à grand' peine,
Tant il s'acharne à perdre haleine.
Et quand la dame note et sent
Cette riote et ce tourment,
Et la joyeuse ritournelle
Qu'ainsi ce jongleur lui vielle[122b]
Fera-t-elle mieux son devoir?
Non; mais voudrait à Meaux le voir,
Voire certes en Roumanie.
Je dirai plus; je ne crois mie
Qu'elle le veuille aimer jamais.
Peut-être elle en aura l'air; mais
S'il pouvait voler jusqu'aux nues,
Ou si haut élever ses vues,
Qu'il pût ici-bas et sans choir
Tous les gestes des hommes voir,
Et réfléchir tout à son aise,
Il sentirait, à grand mésaise,
En quel embarras il est chu,
Lui qui les ruses n'a pas vu
Auxquelles femme sait entendre,
Pour se garantir et défendre.
S'il dort puis en sa compaignie, 9743
Trop met en grant peril sa vie;
Voir en veillant et en dormant
Si doit-il douter moult formant
Qu'el n'el face, por soi venchier,
Empoisonner ou detrenchier,
Ou mener vie enlangorée,
Par cautele desesperée,
Ou qu'el ne pense à soi foïr,
S'el n'en puet autrement joïr.
Fame ne prise honor ne honte,
Quant riens en la teste li monte:
Qu'il est vérités sans doutance,
Fame n'a point de conscience
Vers quanqu'el het, vers quanqu'el ame;
Valérius néis la clame
Hardie et artificieuse,
Et trop à nuire estudieuse.
Amis.
Compains, cil fox vilains Jalous,
Dont la char soit livrée as lous,
Qui si de Jalousie s'emple,
Cum ci vous ai mis en exemple,
Et se fait seignor de sa fame,
Qui ne redoit mie estre dame,
Mès sa pareille et sa compaigne,
Si cum la loi les acompaigne;
Et il redoit ses compains estre,
Sans soi faire seignor ne mestre;
Quant tex tormens li apareille,
Et ne la tient cum sa pareille,
Ains la fait vivre en tel mesaise,
Cuidiés-vous qu'il ne li desplaise,
Car s'il partage son chevet, 9813
Sa vie en trop grand danger met;
S'il veille où s'il dort, en son âme
Toujours il craindra que sa femme
Ne le fasse, pour se venger,
Empoisonner ou égorger,
Ou mener langoureuse vie
Par incessante fourberie,
Ou qu'elle ne songe à s'enfuir,
Si n'en peut autrement jouir.
Femme ne prise honneur ni honte
Sitôt que sa tête se monte;
Chacun reconnaît de concert
Que toute conscience perd
Femme qui hait, femme qui aime.
Valérius l'appelle même
Être hardi, fallacieux,
Et trop à nuire courageux.
Ami.
Ami, ce vilain par folie
Qui se crève de jalousie,
Ainsi que l'ai dépeint à vous
(Dont la chair soit livrée aux loups!),
Et se fait de sa femme maître
Qui non plus ne doit maîtresse être
(La loi ne le dit autrement),
Mais sa compagne seulement,
Comme il doit son compagnon être,
Sans s'en faire seigneur ni maître,
Quand de tels tourments il l'émeut,
Pour son égale ne la veut,
Mais la fait vivre en tel mésaise,
Pensez-vous qu'il ne lui déplaise
Et que l'amor entr'eus ne faille, 9775
Que qu'ele die? Oïl sans faille.
Jà de sa fame n'iert amés
Qui sire en vuet estre clamés;
Car il convient amor morir
Quant amant vuelent seignorir.
Amors ne puet durer ne vivre,
Se n'est en cuer franc et délivre.
Por ce revoit-l'en ensement
De tous ceus qui premierement
Por amor amer s'entresuelent,
Quant puis espouser s'entrevuelent,
Envis puet entr'eus avenir
Que bonne amor s'i puist tenir:
Car cil, quant par amor amoit,
Serjant à cele se clamoit,
Qui sa mestresse soloit estre;
Or se clame seignor et mestre
Sor cele que dame ot clamée,
Quant ele iert par amor amée.
L'Amant.
Amée!
Amis.
Voire.
L'Amant.
En quel maniere?
Amis.
En tel, que se s'amie chiere
Li commandast, Amis, sailliés,
Ou ceste chose me bailliés,
Et que ne passent leurs amours, 9845
Quoi qu'il dise? Si, toujours.
De sa femme ne saurait être
Aimé, qui veut en être maître,
Car l'amour meurt en un instant
Dès que maître devient l'Amant.
Amour ne peut vivre et se plaire
Qu'en un coeur franc, libre et sincère.
Aussi voit-on pareillement,
Chez tous ceux qui premièrement
Longtemps d'amour simple s'aimèrent
Et dans la suite s'épousèrent,
Que rarement peut advenir
Que bonne amour puisse tenir;
Car lui de sa chère maîtresse,
Quand il l'aimait d'amour, sans cesse
Il se disait le serviteur;
Or maître il s'en clame et seigneur,
Maîtresse après l'avoir clamée
Quand elle était d'amour aimée.
L'Amant.
Aimée!
Ami.
Oui, certes.
L'Amant.
Et comment?
Ami.
Si bien que lorsqu'à son amant
Elle commandait, je suppose:
«Ami, sautez, ou telle chose
Tantost li baillast sans faillir, 9799
Et saillist s'el mandast saillir.
Voire néis, que qu'el déist,
Saillist-il por qu'el le véist:
Car tout avoit mis son plesir
En faire li tout son desir.
Mès quant sunt puis entr'espousé,
Si cum ci raconté vous é,
Lors est tornée la roéle,
Que cil qui soloit servir cele,
Commande que cele le serve
Ausinc cum s'ele fust sa serve,
Et la tient corte, et li commande
Que de ses faits conte li rende,
Et sa dame ainçois l'apela:
Envis muert qui apris ne l'a.
Lors se tient cele à mal-baillie,
Quant se voit ainsinc assaillie
Du meillor, du plus esprové
Qu'ele ait en ce siecle trové,
Qui si la vuet contrarier.
Ne se set mès en qui fier,
Quant sor son col son mestre esgarde,
Dont onques mès ne se prist garde.
Malement est changiés li vers;
Or li vient li gieus si divers,
Qu'el ne puet ne n'ose joer.
Comment s'en puet-ele loer?
S'el n'obéist, cil se corroce
Et la ledenge; et s'ele groce,
Estes le vous en ire mis,
Et tantost par l'ire anemis.
Por ce, compains, li ancien,
Sans servitude et sans lien,
Donnez-moi,» lui soudain sautait 9869
Et puis la chose lui donnait;
Elle voire, sans rien lui dire,
L'eût fait sauter pour un sourire,
Car il mettait tout son plaisir
A combler son moindre désir.
Mais une fois liés ensemble,
Comme l'ai dit ci-haut, me semble,
Lors la roue a si bien tourné,
Que l'esclave humble et raffiné
Change, la tient court et commande
Que de ses faits compte lui rende
Celle que maîtresse il clamait,
Et comme si sa serve était
Veut à son tour qu'elle obéisse;
Pour un coeur franc, mortel supplice!
Alors elle plaint son malheur,
Quand ainsi se voit du meilleur,
Du plus sincère amant trahie
Qu'elle ait rencontré de sa vie,
Qui tant la veut contrarier;
Ne sait plus en qui se fier,
Quand son col le maître regarde
Dont jamais il ne se prit garde.
En sa triste position,
Telle est sa désillusion,
Qu'elle ne peut jouer ni l'ose;
Comment supporter telle chose?
Il faut obéir ou soudain
Il menace, et s'elle se plaint,
Le voilà tantôt en colère,
Et tout le ménage est en guerre.
Ami, pour ce les anciens
Sans servitude et sans liens,
Pesiblement, sans vilenie, 9833
S'entreportoient compaignie,
N'il ne donnassent pas franchise
Por l'or d'Arrabe ne de Frise:
Car qui tout l'or en vodroit prendre,
Ne la porroit-il pas bien vendre.
N'estoit lors nul pelerinage,
N'issoit nus hors de son rivage
Por cerchier estrange contrée;
N'onques n'avoit la mer passée
LIII
Voir image
Comment Jason alla grant erre
Oultre mer la toison d'or querre,
Et fut chose moult merveilleuse
Aux regardans, et moult paoureuse.
Jason, qui premiers la passa,
Quant les navires compassa
Por la toison d'or aler querre.
Bien cuida estre pris de guerre
Neptunus, quant le vit nagier;
Triton redut vif erragier.
Et Doris, et toutes ses filles[123],
Por les merveilleuses semilles,
Cuiderent tuit estre traïs,
Tant furent forment esbaïs
Des nès qui par la mer aloient
Si cum li mariniers voloient.
Mais li premier dont je vous conte,
Ne savoient que nagier monte:
Tretuit trovoient en lor terre
Quanque lor sembloit bon à querre.
Paisiblement, sans vilenie,
Vivaient en douce compagnie.
Ils n'eussent pas, en vérité,
Pour rien vendu leur liberté;
Car tout l'or d'Arabie et Frise
Ne paierait telle marchandise.
Pèlerinage aucun n'était,
Nul son rivage ne quittait
Pour chercher lointaine contrée;
Oncques n'avait la mer passée
LIII
Comment Jason prit son essor
Outre-mer vers la toison d'or,
Et fut chose moult merveilleuse
Aux regardants et moult peureuse.
Jason, qui premier la passa,
Quand les navires compassa,
Allant la toison d'or conquerre.
Bien se crut entrepris de guerre
Neptune, le voyant nager,
Triton dut tout vif enrager,
Et Doris et ses filles blondes[123b],
Admirant ces nefs vagabondes;
Tretous ils se crurent trahis,
Tant furent soudain ébahis
Des marins guidant leur navire
A leur gré sur l'humide empire.
Mais, Ami, ces premiers humains
Ne connaissaient pas les marins;
Car tous ils trouvaient sur la terre
Ce qui leur semblait nécessaire,
Riche estoient tuit égaument, 9863
Et s'entramoient loiaument
Les simples gens de bonne vie:
Lors iert amors sans seignorie.
L'ung ne demandoit riens à l'autre,
Quand Barat vint lance sor fautre[124],
Et Pechiés et Male-Aventure
Qui n'ont de soffisance cure.
Orguel qui desdaingne pareil,
Vint avec à grant appareil,
Et Convoitise et Avarice,
Envie et tuit li autre vice:
Si firent saillir Povreté
D'enfer, où tant avoit esté,
Que nus de li riens ne savoit,
N'onques en terre esté n'avoit:
Mal fust-ele si tost venuë,
Car mout i ot pesme venuë[125].
Povreté qui point de sens n'a,
Larrecin son filz amena,
Qui s'en vet au gibet le cors
Por faire à sa mere secors;
Et s'i fait aucune fois pendre,
Que sa mère nel' puet deffendre:
Non puet ses peres Cuers-faillis,
Qui de duel en rest mal-baillis.
Néis damoisele Laverne[126]
Qui les larrons guie et governe.
C'est des larrecins la déesse,
Qui les péchiés de nuit espesse,
Et les baras de nuës cueuvre,
Qu'il n'aperent dehors par euvre,
Jusqu'à tant qu'il i sunt trové,
Et pris en la fin tuit prové.
Et tous riches également 9933
Ils s'entr'aimaient loyalement,
Les simples gens de bonne vie!
Amour était sans seigneurie,
L'un de l'autre rien n'exigeait;
Quand Dol survint, lance en arrêt[124b]
Et Péchés et Male-Aventure
Qui n'ont de suffisance cure.
Orgueil, dédaignant son pareil,
Accourut à grand appareil
Traînant Convoitise, Avarice,
Envie et tout un chacun vice.
Ils firent sortir Pauvreté
D'enfer, où tant avait été
Que nul ne connaissait rien d'elle;
Ci-bas c'était chose nouvelle.
Pourquoi, las! vint-elle sitôt?
Car c'est bien le pire fléau.
Pauvreté, la sotte femelle,
Larcin son fils mène avec elle
Qui, pour sa mère aider, méfait
Et qui court tout droit au gibet;
Car bien souvent il se fait pendre
Sans qu'elle puisse le défendre,
Non plus son père Coeur-Failli
Qui de deuil est tout assailli,
Non plus damoiselle Laverne[126b]
Qui les larrons guide et gouverne.
C'est la déesse des coquins,
Qui d'épaisse nuit les larcins
Et d'ombre tous leurs forfaits couvre,
De crainte qu'on ne les découvre,
Jusques à temps qu'ils soient trouvés
Et pris en la fin tout prouvés.
Pas n'a tant de miséricorde, 9897
Quant l'en li met où col la corde,
Que jà l'en voille garentir,
Tant se sache bien repentir.
Tantost cil dolereus maufé,
De forcenerie eschaufé,
De duel, de corrous et d'envie,
Quant virent gens mener tel vie,
S'escorserent par toutes terres,
Semans descors, contens et guerres,
Mesdis, rancunes, et haïnes
Par corrous, et par ataïnes;
Et por ce qu'il orent or chier,
Firent-il la terre escorchier,
Et li sachierent des entrailles
Ses anciennes repostailles,
Métaus et pierres précieuses,
Dont genz devindrent envieuses:
Car Avarice et Convoitise
Ont ès cuers des hommes assise
La grant ardor d'avoir acquerre.
Li ung l'acquiert, l'autre l'enserre,
Ne jamès la lasse chétive,
Ne despendra jor qu'ele vive,
Ains en fera mestres tutors,
Ses hers ou ses exécutors,
S'il ne l'en meschiet autrement:
Et s'el en vet à dampnement,
Ne cuit que jà nus d'aus la plaigne;
Mès s'ele a bien fait, si le preigne.
Tantost cum par ceste mesnie
Fu la gent mal-mise et fesnie,
La premiere vie lessierent:
De mal faire puis ne cessierent,
Point ne va sa miséricorde, 9967
Quand on lui met au col la corde,
Jusqu'à vouloir l'en garantir,
Tant sut-il bien se repentir.
Soudain tous ces douloureux diables,
Tous ces monstres épouvantables,
Brûlants d'envie et de courroux,
Du bonheur des hommes jaloux,
Se répandirent sur la terre
Semant la discorde et la guerre,
Haine, rancune et fausseté,
Par courroux et méchanceté.
Et parce que l'or ils aimèrent,
La terre même ils écorchèrent,
Et bientôt les trésors cachés
En son sein furent arrachés,
Métaux et pierres précieuses,
Dont gens devinrent envieuses.
Or ce qui mit dedans nos coeurs
D'acquérir les folles ardeurs,
C'est Avarice et Convoitise;
L'une acquiert, l'autre thésaurise.
Jamais l'avare son argent
Ne dépensera, lui vivant,
Pour, à sa mort, maîtres en faire
Ses hoirs ou quelque légataire,
Si Dieu n'en dispose autrement.
De ceux-là, s'il perd son argent,
Nulle pitié ne doit attendre;
Ils ne savent que son bien prendre.
Bientôt les malheureux humains,
Corrompus par tous ces malins,
Leur douce existence quittèrent
Et de mal faire ne cessèrent,
Car faus et trichéors devindrent. 9931
As propriétés lors se tindrent,
La terre méismes partirent,
Et au partir bones i mirent;
Et quant les bones i metoient,
Mainte fois s'entrecombatoient,
Et se tolurent ce qu'il porent,
Li plus fors les greignors pars orent;
Et quant en lor porchas coroient,
Li pareceux qui demoroient,
S'en entroient en lor cavernes,
Et lor embloient lor espernes.
Lors convint que l'en esgardast
Aucun qui les loges gardast,
Et qui les maufaitors préist,
Et droit as plaintifz en féist,
Ne nus ne l'osast contredire.
Lors s'assemblerent por eslire.
LIV
Voir image
Cy povez lire sans desroy,
Comment fut fait le premier roy,
Qui puis leur jura sans tarder
De loyaulment le leur garder.
Ung grant vilain entr'eus eslurent,
Le plus ossu de quanqu'il furent,
Le plus corsu et le greignor,
Si le firent prince et seignor.
Cil jura qu'à droit les tendroit,
Et que lor loges deffendroit,
Se chascuns endroit soi li livre
Des biens dont il se puisse vivre
Tous devinrent faux et trompeurs. 10001
On vit domaines et seigneurs,
Car la terre ils se partagèrent
Et des bornes d'abord plantèrent.
Mais quand des bornes ils plantaient,
Maintes fois ils se combattaient,
Et se volèrent ce qu'ils purent,
Les plus forts les belles parts eurent;
Mais s'ils allaient par les chemins,
Restaient paresseux et coquins
Qui lors entraient en leurs tanières
Ravir leurs épargnes premières.
Lors il fallut, pour les garder,
A choisir quelqu'un s'accorder,
Qui pût tous ces malfaiteurs prendre
Et la justice aux plaignants rendre,
A qui chacun dût obéir:
Ils s'assemblèrent pour choisir.
LIV
Ci pouvez voir en toute foi
Comment fut fait le premier roi
Qui de garder jura sur l'heure
Et leur avoir et leur demeure.
Un grand vilain alors entre eux
Ils choisirent, le plus nerveux,
Le plus large et gros qu'ils trouvèrent,
Et prince et seigneur l'acclamèrent.
Il jura que bien veillerait
Et que leurs loges défendrait:
Mais que chacun, dit-il, me livre
Biens suffisants pour pouvoir vivre.
Ainsinc l'ont entr'eus acordé, 9961
Cum cil l'ot dit et recordé.
Cil tint grant piece cest office;
Li robéors plains de malice
S'assemblerent quant seul le virent,
Et par maintes fois le batirent
Quant les biens venoient embler.
Lors restut le pueple assembler,
Et chascun en droit soi taillier
Por serjans au prince baillier.
Communément lors se taillierent,
Et tous et toutes li ballierent,
Et donnerent grans tenemens.
De là vint li commencemens
As rois, as princes terriens,
Selonc l'escript as anciens;
Car par l'escript que nous avons,
Les fais des anciens savons;
Si les en devons mercier,
Et loer et regracier.
Lors amasserent les tresors
De pierres et d'argent et d'ors;
D'or et d'argent, por ce qu'il ierent
Traitable et précieus, forgierent
Vessellementes et monnoies,
Fremaus, aniaus, noiaus, corroies;
De fer dur forgierent lor armes,
Coutiaus, espées et guisarmes,
Et glaives et cotes maillées
Por faire à lor voisins meslées.
Lors firent tors et roilléis
Et murs à creniaus tailléis:
Chastiaus fermerent et cités,
Et firent grans palais listés[127]
Céans entre eux ont accordé 10031
Ce qu'il leur avait demandé.
Longtemps il remplit cet office;
Mais les larrons pleins de malice
S'assemblèrent, seul le voyant,
Et le battirent bien souvent
Lorsqu'ils venaient à la curée.
Lors on tint nouvelle assemblée,
Et chacun dut se cotiser
Pour garde au prince composer.
Les tailles lors ils s'imposèrent,
Et tous et toutes lui baillèrent
Sergents et biens incontinent.
De là vint le commencement
Des principautés terriennes,
Selon les histoires anciennes;
Car par l'écrit que nous avons,
Tous les faits des anciens savons
Et leur devons en conscience
Grâce, los et reconnaissance.
Lors tous d'amasser un trésor
De pierres et d'argent et d'or.
Des plus beaux métaux qu'ils trouvèrent,
L'argent et l'or, ils se forgèrent
Monnaie, et vaisselle et joyaux,
Bourses, boutons, boucles, anneaux;
Du fer dur leurs armes forgèrent,
Haches et glaives façonnèrent,
Cottes de mailles et bassins
Pour faire guerre à leurs voisins.
Alors tous de grand' peur tremblèrent
Ceux qui les trésors amassèrent,
Et bientôt on vit tous les jours
S'élever barrières et tours,
Cil qui les tresors assemblerent, 9995
Car tuit de grant paor tremblerent
Por les richeces assemblées,
Qu'eles ne lor fussent emblées,
Ou par quelque forfait toluës.
Bien furent lor dolors créuës
As chetis de mauvais éur,
C'onc puis ne furent asséur,
Que ce qui commun ert devant,
Comme le soleil et le vent,
Par convoitise approprierent,
Quant as richeces se lierent.
Or en a bien ung plus que vingt:
Onc ce de bon cuer ne lor vint.
Sans faille des vilains gloutons,
Ne donnasse-ge deus boutons,
Combien que bon cuer lor fausist,
De tel faute ne me chausist:
Bien s'entr'amassent ou haïssent,
Ou lor amor s'entrevendissent.
Mais c'est grant duel et grans domages
Que ces dames as clers visages,
Ces jolives, ces renvoisies,
Par qui doivent estre proisies
Loiaus amors et deffenduës,
Sunt à si grant vilté venuës.
Trop est lede chose à entendre,
Que noble cors se puisse vendre;
Mès comment que la chose preingne,
Gart li valés qu'il ne se feingne
D'ars et de sciences aprendre,
Por garantir et por deffendre,
Murailles à créneaux taillées, 10065
Castels, villes fortifiées.
De palissades, de remblais,
Ils entourèrent leurs palais,
De peur que ne fussent volées
Tant de richesses rassemblées,
Et pour combattre les voleurs.
Ainsi s'accrurent les douleurs
Des humains lâches et serviles;
Ils ne vécurent plus tranquilles,
Car tout ce qui était devant,
Comme le soleil et le vent,
A tous, ils se l'approprièrent
Dès qu'aux richesses s'attachèrent.
Or j'en sais bien un plus que vingt
Et ce d'un bon coeur ne leur vint.
Tous ces gloutons, je les méprise,
Et deux boutons tous ne les prise.
Que leur coeur ait d'amour, de foi
Plus ou moins, que m'importe à moi?
Ils peuvent, comme bon leur semble,
Vivre bien, vivre mal ensemble,
Peuvent s'aimer ou se haïr,
Leur amour vendre et s'avilir.
Mais c'est grand deuil et grand dommage,
Quand ces dames au clair visage,
Si charmantes en leurs beaux jours
Et par qui loyales amours
Devraient être, hélas! défendues,
A tel degré sont descendues;
Car c'est un spectacle écoeurant
Que voir noble corps qui se vend.
Donc avant tout, quoi qu'il advienne,
Il faut qu'un bon amant apprenne
Se mestiers est, li et s'amie, 10027
Si qu'el ne le guerpisse mie[128].
Ce puet moult valet eslever,
Et si n'el-puet de riens grever.
Après li redoit sovenir
De cest mien conseil retenir:
S'il a amie ou genne ou vielle,
Et set ou pense qu'ele vuelle
Autre amis querre ou a jà quis,
Des aquerre ne des aquis
Ne la doit blasmer ne reprendre,
Mès amiablement aprendre,
Sans tencier et sans ledengier,
Encor por li mains estrangier,
S'il la troyoit néis en l'uevre,
Gart que ses iex cele part n'uevre:
Semblant doit faire d'estre avugles,
Ou plus simple que n'est uns bugles,
Si qu'ele cuide tout por voir
Qu'il n'en puist riens aparcevoir.
Et s'aucuns li envoie letre,
Il ne se doit jà entremetre
Du lire ne du reverchier,
Ne de lor secrés encerchier.
Ne jà n'ait cuer entalenté
D'aler contre sa volenté;
Mès que bien soit-ele venuë,
Quant el vendra de quelque ruë,
Et r'aille quel part qu'el vorra,
Si cum ses voloirs li torra:
Qu'el n'a cure d'estre tenuë,
Si voil que soit chose séuë
La noble science d'Amour, 10099
Pour prévenir au moins, un jour,
S'il est possible, que sa mie
Ne le délaisse et ne l'oublie.
Cet art ne peut que l'élever
Sans jamais en rien le grever.
Qu'il ait ensuite souvenance
De ce mien conseil par prudence:
Si jeune amie ou vieille il a,
Et s'il pense ou sait que déjà
Elle ait pris ou bien veuille prendre
Un autre ami, ni la reprendre
Ni la blâmer du changement
Il ne devra, mais tendrement
Lui parler sans nulle querelle,
Pour moins éloigner l'infidèle.
La prend-il sur le fait? il doit
Détourner les yeux de l'endroit,
Faire l'aveugle ou le novice
Qui n'a rien vu de la malice.
Surprend-il un galant poulet?
Qu'il n'aille pas, pour leur secret
Ainsi perfidement surprendre,
Le déplier, le lire ou prendre.
Qu'il n'ait jamais le coeur tenté
D'aller contre sa volonté;
Mais qu'elle soit la bienvenue
S'il la rencontre dans la rue;
Que partout elle aille où voudra
Toujours ainsi qu'il lui plaira.
Car nulle femme ne veut être
Mise en servage par un maître,
Ceci, ne l'oubliez jamais;
Et ce que maintenant je vais
Ce que ci après vous voil dire, 10059
En livre le devroit-l'en lire.
Que de fame vuet avoir grace,
Mete-la tous jors en espace,
Jà cum recluse ne la tiengne,
Ains voise à son voloir et viengne;
Car cil qui la vuet retenir
Qu'el ne puisse aler ne venir,
Soit sa moiller, ou soit sa druë,
Tantost en a l'amor perduë.
Ne jà riens contre li ne croie,
Por certaineté qu'il en oie;
Mès bien die à ceus ou à celes
Qui li en porteront noveles,
Que du dire folie firent,
C'onc si prode fame ne virent;
Tous jors a bien fait sans recroire,
Por ce ne la doit nus mescroire.
Jà ses vices ne li reprouche,
Ne ne la bate, ne ne touche:
Car cil qui vuet sa femme batre,
Por soi miex en s'amor embatre,
Quant la vuet après rapesier,
C'est cil qui por aprivoisier,
Bat son chat et puis le rapele
Por le lier à sa cordele;
Mès se le chat s'en puet saillir,
Bien puet cil au prendre faillir.
Mès s'ele le bat ou ledenge,
Gart cil que son cuer ne s'en change:
Si batre ou ledengier se voit,
Néis se cele le devoit
Tout vif as ungles détrenchier,
Ne se doit-il pas revenchier,
Vous apprendre devrait se lire 10133
En livres, pour amants instruire.
Qui veut faveurs de femme avoir
La laisse en liberté mouvoir,
Jamais recluse ne la tienne;
Qu'elle aille à son vouloir et vienne,
Car tel qui la veut retenir
A son gré d'aller et venir,
Qu'elle soit épouse ou maîtresse,
Perdra bien vite sa tendresse.
Contre elle rien croire ne doit
Combien que certain il en soit;
Mais il doit dire à ceux ou celles
Qui lui portèrent ces nouvelles
Qu'il est fol celui qui l'a dit,
Qu'oncques si chaste nul ne vit
Et que sa conduite est sans tache,
Que douter d'elle c'est d'un lâche.
Il doit ses vices respecter
Et jamais ne la maltraiter.
Car celui qui femme maltraite
Pour mieux s'attacher la coquette,
Quand la veut après apaiser,
Fait comme pour apprivoiser
Son chat, s'il le bat et rappelle
Pour le lier à sa cordelle;
Car si le chat peut s'échapper,
Bien fin qui pourra l'attraper.
Tout au contraire, si c'est elle
Qui le bat et qui le querelle,
Qu'il ne témoigne aucune humeur
Et que toujours égal son coeur
Supporte les coups et l'injure.
Lui voulût-elle la figure
Ains l'en doit mercier et dire 10093
Qu'il vodroit bien en tel martire
Vivre tous temps, mès qu'il séust
Que ses services li pléust:
Voire néis tout à délivre,
Plus lors morir que sans li vivre.
Et s'il avient que il la fiere,
Pour ce que trop li semble fiere,
Et qu'ele l'a trop corroucié,
Tant a forment vers li groucié,
Ou le vuet espoir menacier,
Tantost por sa pez porchacier
Gart que le gieu d'amors li face,
Ains que se parte de la place,
Méismement li povres hons;
Car li povre a poi d'achoisons.
Porroit-ele tantost lessier,
S'el n'el véoit vers li plessier.
Povres doit amer sagement[129]
Et doit soffrir moult humblement,
Sans semblant de corrous ne d'ire,
Quanque li voit ou faire ou dire,
Méismement plus que li riches
Qui ne donroit espoir deus chiches
En son orguel n'en son dangier:
Si la porroit bien ledengier;
Et s'il est tex qu'il ne vuet mie
Loiauté porter à s'amie,
Si ne la vodroit-il pas perdre,
Mès à autre se vuet aerdre.
S'il vuet à s'amie novele
Donner cuevrechief ou cotele,
Chapel, anel, fermail, çainture,
Ou joel de bele faiture,
De ses ongles vive écorcher, 10167
Il ne doit pas se revancher,
Mais l'en remercier et dire
Qu'il voudrait bien en tel martyre
Vivre toujours, pourvu qu'il sût
Que son amour toujours lui plût,
Et que mourir près de sa belle
Il préfère à vivre sans elle.
Mais s'il advient que, révolté
De sa trop grand' malignité,
Le premier il l'ait maltraitée,
Tant elle a son ire excitée
Par ses menaces, ses excès;
Alors, pour obtenir sa paix,
Que le jeu d'amour il lui fasse,
Avant d'abandonner la place,
Surtout s'il est pauvre d'argent.
Car s'il est pauvre, incontinent
Le pourra délaisser sa mie
Si vers elle il ne s'humilie.
Pauvre doit aimer sagement[129b]
Et souffrir moult plus humblement,
Sans semblant de courroux ni d'ire,
Quoi qu'elle puisse faire ou dire,
Que le riche, qui, c'est certain,
De son orgueil et son dédain
Ne donnerait voire un pois chiche;
Car l'insulte est permise au riche.
Mais mettons que, sans la laisser,
Il en veuille une autre amorcer.
S'il veut à l'amante nouvelle
Donner couvrechef ou cotelle,
Chapel, fermail, ceinture, anneau,
Ou quelque précieux joyau,
Gart que l'autre ne le congnoisse, 10127
Car trop auroit au cuer angoisse
Quant el les li verroit porter;
Riens ne l'en porroit conforter.
Et gart que venir ne la face
En icelle méisme place
Où venoit à li la premiere,
Qui de venir iert coustumiere:
Car s'ele i vient por qu'el la truisse,
N'est riens qui conseil metre i puisse:
Car nus viex sengler hericiés[130],
Quant des chiens est bien aticiés,
N'est si crueus, ne lionnesse,
Si triste ne si felonnesse,
Quant li venierres qui l'assaut,
Li renforce en ce point l'assaut,
Quant el alaite ses chaiaus;
Ne nus serpens si desloiaus
Quant l'en li marche sus la queuë,
Qui du marchier pas ne se geuë,
Cum est fame quant ele trueve
Son ami o s'amie nueve:
El giete par tout feu et flame,
Preste de perdre et cors et ame.
Et s'el n'a pas prise provée
D'eus deus ensemble la covée,
Mès bien en chiet en jalousie
Qu'el set ou cuide estre acoupie,
Comment qu'il aut, ou sache, ou croie,
Gart soit cil que jà ne recroie
De li nier tout plainement
Ce qu'ele set certainement,
Et ne soit pas lent de jurer;
Tantost li reface endurer
Que bien le cache à la première; 10201
Car tant serait sa peine amère,
Que rien, les lui voyant porter,
Ne pourrait la réconforter.
Puis que jamais il ne la fasse
Venir en cette même place,
Où la première à lui venait
Qui ses faveurs devant avait;
Car s'elle le venait surprendre,
N'est rien qui le puisse défendre.
Nul vieux sanglier hérissé[130b],
Quand des chiens est bien relancé,
N'est si cruel, nulle lionne
N'est si terrible, si félonne,
Lorsqu'allaitant ses lionceaux,
Elle voit contre eux les assauts
Du chasseur redoubler sans cesse,
Nulle vipère plus traîtresse,
Lorsque sur sa queue en passant,
Par malheur, marche l'imprudent,
Que femme qui son ami treuve
Avec une maîtresse neuve.
Feu et flamme on la voit jeter,
Corps et âme prête à quitter.
Mais s'elle n'a pas pris prouvée
D'eux deux ensemble la couvée,
Et si jalouse, en grand tourment,
Se sait cocue ou le pressent,
Quoiqu'elle sache ou qu'elle pense,
Il devra payer d'impudence
Et nier tout, absolument
Ce qu'elle sait pertinemment;
Serments sur serments qu'il entasse,
Et s'il peut lui faire sur place
En la place le geu d'amors, 10161
Lors iert quite de ses clamors.
Et se tant l'assaut et angoisse
Qu'il convient qu'il li recongnoisse.
Qu'il ne s'en set, espoir, deffendre,
A ce doit lores, s'il puet, tendre
Qu'il li face à force entendant
Qu'il le fist sor soi deffendant;
Car cele si fort le tenoit,
Et si malement le menoit,
C'onques eschaper ne li pot,
Tant qu'il orent fait ce tripot,
N'onc ne li avint fois fors ceste.
Lors li jurt, fiance et promete
Que jamès ne li avendra,
Si loiaument se contendra;
Et s'ele en ot jamès parole,
Bien vuet que le tue et afole.
Car miex vodroit que fust noiée
La desloiaus, la renoiée,
Que jamès en place venist
Où cele en tel point le tenist:
Car s'il avient qu'ele le mant,
N'ira mès à son mandement,
Ne ne sofferra qu'ele viengne,
S'il puet, en leu où el le tiengne,
Lors doit cele estroit embracier,
Baisier, blandir et solacier,
Et crier merci du meffait,
Puis que jamès ne sera fait;
Qu'il est en vraie repentance,
Près de faire tel pénitance
Cum cele enjoindre li saura,
Puis que pardoné li aura.
Endurer le doux jeu d'amour, 10235
Tout sera conjuré ce jour.
Mais si de trop dure manière
Et de si près elle le serre,
Qu'il lui faille, bon gré, mal gré,
Avouer son crime avéré,
Voyant qu'il ne s'en peut défendre;
Il doit alors lui faire entendre,
S'il se peut, en homme prudent,
Qu'il le fit son corps défendant,
Que tant le malmenait la belle
Et que si fort le tenait-elle,
Que s'échapper oncques ne put
Sans faire ce qu'elle voulut;
Mais qu'il ne fut oncques parjure
Que cette fois. Lors qu'il lui jure
Que jamais plus ne le fera,
Loyalement se conduira,
Et que s'il la trahit encore,
Qu'elle l'aissaille et le dévore.
A l'appel de l'autre il n'ira
Et jamais ne la recevra;
Mieux lui vaudrait être noyée,
La traîtresse, la dévoyée,
Que déréchef en lieu venir
Où le pût en tel point tenir.
Qu'étroitement lors il l'embrasse,
La baise et caresse et l'enlace,
Merci criant de son méfait
Qui jamais plus ne sera fait,
Montrant sincère repentance
Et prêt à faire pénitence
Comme enjoindre la lui voudra,
Lorsque pardonné lui sera,
Lors face d'Amors la besoigne, 10195
S'il vuet que cele li pardoigne.
Et gart que de li ne se vente,
Qu'ele en porroit estre dolente;
Si se sunt maint vanté de maintes,
Par paroles fauces et faintes,
Dont les cors avoir ne pooient,
Lor non à grant tort diffamoient;
Mès à tiex sunt bien cuers faillans,
Ne sunt ne cortois, ne vaillans.
Vanterie est trop vilain vice,
Qui se vante, il fait trop que nice;
Car jà soit ce que fait l'éussent,
Toutevois celer le déussent.
Amors vuet celer ses joiaus,
Se n'est à compaignons loiaus
Qui les vuelent taire et celer;
Là les puet-l'en bien révéler.
Et s'ele chiet en maladie,
Drois est, s'il puet, qu'il s'estudie
En estre à li moult serviables,
Por estre après plus agréables.
Gart que nus anuis ne lui tiengne
De sa maladie lointiengne;
Lez li le voie demorant,
Et la doit baisier en plorant,
Et se doit voer, s'il est sages,
En mains lontains pelerinages,
Mais que cele les veus entende.
Viande pas ne li deffende;
Chose amere ne li doit tendre,
Ne riens qui ne soit dous et tendre.
Si li doit feindre noviaus songes
Tous farcis de plesans mençonges:
Et cent preuves d'amour lui donne, 10269
Pour que la belle lui pardonne.
D'amie on ne se doit vanter,
Car elle peut s'en irriter.
Tels maints se sont vantés de maintes,
Par paroles fausses et feintes,
Dont les corps avoir ne pouvaient,
A grand tort leur nom diffamaient.
Mais ces gens ont l'âme avilie,
Sans vaillance ni cortoisie.
Vanterie est un vil défaut,
Qui se vante agit comme un sot;
Car tel droit quand bien même ils eussent,
Raison de plus pour qu'ils se tussent.
Amour veut cacher ses joyaux,
Si ce n'est vers amis loyaux
Qui les sauront celer et taire,
Pour eux il n'a point de mystère.
Puis quand malade il la verra,
S'il le peut, il s'étudiera
A se montrer moult serviable
Pour être après plus agréable.
Qu'il cache le mortel ennui
Qu'un long mal amène avec lui.
Près d'elle, là, qu'elle le voie,
Que toujours la baise et larmoie;
Et s'il est sage, fasse à Dieu
De maint pèlerinage voeu;
Mais que ses voeux bien elle entende.
Que nul mets il ne lui défende,
Ni tende amère potion,
Ni rien qui ne soit doux et bon.
Il lui doit feindre nouveaux songes
Tout farcis de plaisants mensonges,
Et quant vient au soir, qu'il se couche 10229
Tretous seus par dedens sa couche,
Avis li est, quant il sommeille,
Car poi i dort et moult y veille,
Qu'il l'ait entre ses bras tenuë
Toute la nuit tretoute nuë,
Par solas et par druerie,
Toute saine et toute garie,
Et par jor en leus délitables
Tex fables li conte, ou semblables.
Or vous ai jusques-ci chanté
Par maladie et par santé
Comment cil doit fame servir,
Qui vuet sa grace deservir
Et lor amor continuer,
Qui de legier se puet muer,
Qui ne vodroit par grant entente
Faire quanque lor atalente;
Car jà fame tant ne saura,
Ne jà si ferme cuer n'aura,
Ne si loial, ne si méur,
Que jà puist estre homme aséur
De li tenir par nule paine,
Ne plus que s'il tenoit en Saine
Une anguille parmi la queuë,
Qu'il n'a pooir qu'el ne s'esqueuë,
Si que tantost est eschapée,
Jà si fort ne l'aura hapée.
N'est donc bien privée tel beste
Qui de foïr es toute preste;
Tant est de diverse muance,
Que nus n'i doit avoir fiance.
Tels que, par exemple, le soir, 10303
Lorsqu'il retourne en son dortoir,
Et que seul, hélas! il se couche
Moult tristement dessus sa couche
Où toujours veille et bien peu dort,
Qu'il croit sa belle voir encor
Et l'avoir en ses bras tenue
Toute la nuit tretoute nue,
Ivre d'amour, de volupté,
Guérie et pleine de santé,
Et le jour en lieux délectables,
Tels songes lui conte et semblables.
Or vous ai jusqu'ici chanté,
Par maladie et par santé,
Comme amant doit servir sa dame
Qui veut voir couronner sa flamme
Et son amour perpétuer;
Car aisément le peut tuer
Celui qui ne s'applique à faire
Tout ce qui peut à femme plaire.
Car femme oncques tant ne saura
Ni coeur si fidèle n'aura,
Ni si loyale conscience,
Qu'un homme ait jamais l'assurance,
Par nul effort, de la tenir,
Non plus que s'il voulait saisir
Par la queue anguille de Seine,
Qui prestement, sans nulle peine,
Saurait entre ses doigts glisser,
Si serré qu'il la pût pincer.
Si peu privée est telle bête
Que de s'enfuir est toujours prête,
Et son esprit est si léger
Que nul ne s'y devrait fier.
Ce ne di-ge pas por les bonnes 10261
Qui sor vertus fondent lor bonnes,
Dont encor n'ai nules trovées,
Tant les aie bien esprovées;
Neiz Salernon n'en pot trover,
Tant les séust bien esprover[131]:
Car il méismes bien afferme
C'onques fames ne trova ferme:
Et se du querre vous penés,
Se la trovés, si la prenés;
S'aurés lors amie à eslite
Qui sera vostre toute quite.
S'el n'a pooir de tant tracier,
Qu'el se puisse aillors porchacier,
Ou s'el ne trueve requerant,
Tel fame à Chastéé se rent.
Mais encor vueil ung brief mot dire,
Ains que ge lesse la matire.
Briément de toutes les puceles,
Quiex qu'el soient, ledes ou beles,
Dont cil vuet les amors garder,
Ce mien commant doit-il garder:
De cestui tous jors li soviengne,
Et por moult précieux le tiengne;
Qu'il doint à toutes à entendre
Qu'il ne se puet vers eus deffendre,
Tant est esbahis et sorpris
De lor biautés et de lor pris.
Car il n'est fame, tant soit bonne,
Vielle ou jone, mondaine ou nonne,
Ne si religieuse dame,
Tant soit chaste de cors et d'ame,
Se l'en va sa biauté loant,
Qui ne se délite en oant:
Je ne dis pas cela pour celles10337
Qui sont à la vertu fidèles,
Et dont nulle encor ne trouvai;
En vain mille j'en éprouvai.
Salomon en est une preuve;
Souvent il les mit à l'épreuve[131b],
Et jamais, du moins l'affirma,
Femme fidèle ne trouva.
Or, si jamais en trouvez une,
Prenez-la, louez la Fortune;
Car alors une amante aurez
Que toute à vous posséderez.
Quand bien enclose et bien tenue
Elle ne peut courir la rue
Et ne trouve nul requérant,
Lors femme à Chasteté se rend.
Un mot encor je veux vous dire
Pour achever de vous instruire:
Toutes les fois que d'un tendron,
Quel qu'il soit, belle ou laideron,
Un amant veut le coeur séduire,
Qu'il se souvienne et qu'il s'inspire
Toujours de ce commandement
Et le garde pieusement:
Qu'il fasse à tretoutes entendre
Qu'il ne se peut d'elles défendre,
Tant il est confus et surpris
De tant de charmes et de prix.
Car il n'est femme, tant soit bonne,
Vieille ou jeune, mondaine ou nonne,
Si l'on va sa beauté louant,
Qui ne soit aise en écoutant,
Tant soit religieuse dame,
Tant soit chaste de corps et d'âme.
Combien qu'el soit lede clamée, 10295
Jurt qu'ele est plus bele que fée,
Et le face séurement,
Qu'el l'en croira legierement;
Car chascune cuide de soi
Que tant ait biauté, bien le soi,
Que bien est digne d'estre amée,
Combien que soit lede provée.
Ainsinc à garder lor amies,
Sans reprendre de lor folies,
Doivent tuit estre diligent
Li biaus valez, li preu, li gent.
Fames n'ont cure de chasti,
Ains ont si lor engin basti,
Qu'il lor est vis qu'el n'ont mestier
D'estre aprises de lor mestier;
Ne nus, s'il ne lor vuet desplaire,
Ne deslot riens qu'el vuelent faire.
Si cum li chas set par nature
La science de surgéure,
Ne n'en puet estre destornés[132],
Qu'il est tous à ce sens tornés,
N'onques n'en fu mis à escole;
Ainsinc fait fame, tant est fole,
Par son naturel jugement,
De quanqu'el fait outréement,
Soit bien, soit mal, soit tort, soit droit,
Ou de tout quanqu'ele vodroit;
Qu'el ne fait chose qu'ele doie,
Si het quicunques l'en chastoie.
N'el ne tient pas ce sens de mestre;
Ains l'a dès lors qu'ele puet nestre,
Si n'en puet estre destornée,
Qu'el est à tel sens tous jors née;
Flattez-la donc effrontément, 10371
Elle croira facilement,
Tant soit-elle laide prouvée,
Qu'elle est plus belle qu'une fée;
Car chacune en soi-même croit,
Combien qu'affreuse et laide soit,
Qu'elle est de mille attraits formée
Et digne en tous points d'être aimée.
Ainsi varlets beaux, preux et gents
Doivent tous être diligents
A garder leurs bonnes amies,
Sans jamais blâmer leurs folies.
Femme reproches point n'admet;
Car elle a l'esprit ainsi fait,
Que nul ne doit, s'il veut lui plaire,
Critiquer ce qu'elle veut faire;
Car pour apprendre son métier
Nul besoin n'a d'étudier.
Comme le chat sait par nature
La science d'égratignure
Et n'en peut être détourné[132b],
Toujours tout à ce sens tourné
Sans avoir onc couru l'école;
Ainsi femme fait, tant est folle,
Par son naturel jugement
Et toujours sans discernement,
Le bien, le mal, le faux, l'honnête,
Comme ils lui passent par la tête,
Rien ne fait de ce qu'elle doit,
Et les conseils fort mal reçoit.
Elle ne tient ce sens d'un maître,
Mais l'a dès lors qu'elle peut naître;
Il ne peut être détourné,
Puisqu'il est avec elle né;
Et qui chastier la vorroit, 10329
Jamès de s'amor ne jorroit.
Ainsi, compains, de vostre Rose
Qui tant est précieuse chose,
Que n'en prendriés nul avoir
Se vous la poïés avoir,
Quant vous en serés en sesine.
Si cum esperance devine,
Et vostre joie aurés pleniere,
Si la gardés en tel maniere
Cum l'en doit garder tel florete,
Lors si jorrés de l'amorete
A qui nule autre ne comper:
Vous ne troveriez son per,
Espoir, en quatorze cités.
L'Amant respond à Amis.
Cestes, fis-ge, c'est vérités,
Non, où monde, g'en suis séurs,
Tant est dous et frans ses éurs.
Ainsinc Amis m'a conforté:
En son conseil grant confort é;
Et m'est avis, au mains de fait,
Qu'il set plus que raison ne fait.
Mès ainçois qu'il éust finée
Sa raison qui forment m'agrée,
Dous-Pensers, Dous-Parlers revindrent
Qui près de moi dès lors se tindrent,
N'onc puis gaires ne me lessierent,
Mès Dous-Regars pas n'amenerent:
Nes blasmai pas quant lessié l'orent,
Car bien sai qu'amener nel' porent.
Aussi l'amant qui voudrait femme 10405
Corriger, par conseil ou blâme,
De son amour ne jouirait.
Ainsi, compagnon, il en est
De votre merveilleuse rose,
Qui tant est précieuse chose,
Que n'en prendriez nul avoir
Si la pouviez un jour avoir.
Lorsque vous l'aurez tout entière,
Compagnon, comme je l'espère,
Et que votre heur sera parfait,
Gardez-la bien et comme fait
Qui veut garder telle fleurette:
Lors jouirez de l'amourette
A qui rien n'ose comparer,
Car vous ne sauriez rencontrer
En quinze cités sa pareille.
L'Amant répond à Ami:
Oui, c'est vrai, fis-je, il n'est merveille
Au monde égale, j'en suis sûr,
A cet être si doux, si pur!
Ainsi, par cet ami si sage,
J'ai vu relever mon courage,
Et m'est avis au moins qu'il sait
Mieux parler que Raison ne fait.
Mais avant que fut terminée
Sa raison, qui si fort m'agrée,
Doux-Parler et puis Doux-Penser,
Sans jamais depuis me laisser,
Aussitôt près de moi revinrent
Et depuis lors toujours se tinrent;
Mais point ils n'amenèrent, las!
Doux-Regard, et je ne peux pas
LV
Comment l'Amant, sans nul termine,10359
Prent congié d'Amis, et chemine
Pour savoir s'il pourrait choisir
Chemin pour Bel-Acueil veir.
Voir image
Congié pren et m'en vois atant;
Ainsinc cum tous seus esbatant
M'en alai contreval la prée
D'erbe et de flors enluminée,
Escoutant ces dous oiselés
Qui chantoient sons novelés.
Tous les biens au cuers me faisoient
Lor douz chans qui tant me plesoient;
Mès d'une chose Amis me grieve,
Qu'il m'a commandé que j'eschieve
Le chastel, et que jà n'i tour,
Ne ne m'aille joer entour:
Ne sai se tenir m'en porrai,
Car tous jors aler i vorrai.
Lors après cele départie,
Eschivant la destre partie,
Vers la senestre m'achemin
Por querre le plus brief chemin.
Volentiers ce chemin querroie,
S'il iert trové, je m'i ferroie
De plain eslés sans contredit,
Se plus fort nel' me contredit,
Por Bel-Acueil de prison traire,
Le franc, le dous, le debonnaire.
Les blâmer, car si laissé l'eurent, 10437
C'est qu'amener ils ne le purent.
LV
Comment l'Amant sans plus tarder,
Prend congé d'Ami pour sonder
Les abords et choisir la voie
Par où Bel-Accueil il revoie.
D'Ami je pris incontinent
Congé, puis tout seul m'ébattant
M'en allai descendant la prée
D'herbe et de fleurs enluminée,
Écoutant des doux oiselets
Les chants joyeux et novelets.
Combien j'étais heureux d'entendre
Leur babil si doux et si tendre!
Mais une chose m'assombrit:
C'est que de fuir Ami m'a dit
Le castel et la tour maudite
Et que m'ébattre autour j'évite.
Ne sais si tenir m'en pourrai,
Car toujours aller y voudrai.
Lors marchant à ma fantaisie,
Je quittai la droite partie
Et vers la gauche fus soudain,
Pour chercher le plus bref chemin.
De grand coeur je cherche la route
Et m'y enfoncerai sans doute,
De plein élan sans contredit,
Si plus fort ne me contredit,
Pour Bel-Accueil de prison traire,
Le franc, le doux, le débonnaire.
Dès que ge verrai le chastel 10387
Plus fiéble qu'ung rosti gastel,
Et les portes seront ouvertes,
Ne nus nes me deffendra certes;
J'aurai bien le déable où ventre,
Se nel' pren et se ge n'i entre.
Lors sera Bel-Acueil délivres;
N'en prendroie cent mile livres;
Ce vous puis por voir affichier,
S'en cel chemin me puis fichier:
Toutevois du chastel m'esloing,
Mais ce ne fus pas de trop loing.
Dès que je verrai le château 10467
Plus faible qu'un rôti gâteau
Et les portes grandes ouvertes,
Nul ne me les défendra, certes,
Et le diable au ventre j'aurai
S'il ne se rend quand je voudrai.
Je vous en donne l'assurance,
Si dans le bon chemin j'avance,
Bel-Accueil sera délivré,
Cent mille livres n'en prendrai!
Du castel pourtant, par prudence,
Je me tiens à quelque distance. 10478
NOTES DU DEUXIÈME VOLUME.
Ainsi comme je treuve.
Cette phrase prouve surabondamment ce que nous annoncions en tête des notes du premier volume, que les titres des chapitres n'étaient pas de l'auteur, mais de simples notes marginales des copistes ou éditeurs de manuscrits.
Vers 4331.
Et pourtant que demande-t-elle?
Qu'au coeur qui lut reste fidèle
Tout vienne au gré de son désir.
Ce dernier vers est amphibologique. A quoi se rapporte son? à elle ou à coeur? Nous nous sommes vu plusieurs fois contraint de laisser subsister certaines tournures de phrases qu'une analyse rigoureuse condamne; mais à moins de passer son existence entière à retoucher une oeuvre aussi considérable, il est impossible que, soit lassitude, soit inadvertance,[p.388] quelques négligences n'échappent. Ainsi, au début du Roman, page 21, tome I, on lit:
Elle essaierait d'apetiser
Au moins son los et sa prouesse
Par sa fourbe et par son adresse.
En donnant le bon à tirer, nous avions changé le dernier vers par celui-ci:
En dessous les minant sans cesse,
qui rendait mieux la pensée de l'auteur et était plus correct. L'imprimeur tira sans faire la correction. Un seul des deux exemplaires sur peau de vélin put être corrigé à temps. Du reste, on n'était pas si scrupuleux au XIIIe siècle, comme on en peut juger par le Roman de la Rose, en particulier.
Vers 4508-4520. Sire, s.m., selon Guillaume Budé, vient du latin herus. Pasquier le dérive du mot χύριος.
Les anciens, en parlant de Dieu, l'appeloient Sire.
Le titre de sire ne se donnoit autrefois qu'à Dieu; mais, dans la suite, les peuples, qui regardent les rois comme ce qui approche le plus de la Divinité, leur donnèrent le nom de Sire. Les grands seigneurs s'arrogèrent aussi ce surnom; nous avons des maisons qui affectent de le prendre: le sire de Pont, le sire de Montmorency, le sire de Coucy. On disoit de ce dernier:
Je ne suis roy ne prince aussi,
Je suis le sire de Coucy.
Enfin, ce titre devint si commun, qu'on le donnoit aux marchands.
Clément Marot, dans ses épigrammes, appelle ainsi deux de ses créanciers:
Sire Michel, sire Bonaventure.
Le messire que les gens de qualité ajoutent à leurs titres est composé de mon et de sire: il faut observer que si le messire mis devant un nom de baptême n'est pas suivi du nom propre, il désigne presque toujours un roturier. Les personnes de qualité se sont imaginé que le Monsieur suivi du nom de famille produisoit à peu près le même effet; et quand ils parlent à un bourgeois titré (comme ils l'appellent très-improprement), ils ne manquent jamais de lui dire: Bonjour, Monsieur un tel. Cet abus n'est pas nouveau. Ménage, fort alerte sur les bienséances, s'en plaignoit déjà; il dit: «Qu'un seigneur qui faisoit une chère fort délicate l'invitoit souvent à sa table, mais qu'il avoit la mauvaise habitude de l'appeler toujours par son nom, comme s'il eût craint qu'il ne l'oubliât.»
Les gens de fortune, qui sont les singes des grands, en usent souvent ainsi avec des personnes à qui ils doivent du respect.
J'observerai, avant que de finir cet article, que le messire est devenu si commun, que des gens dont les pères ont passé les trois-quarts de leur vie, et quelquefois leur vie entière dans la roture, croiroient informes les actes qu'ils passent, si le messire ne précédoit pas d'autres titres aussi chimériques que leurs marquisats ou leurs comtés. (Lantin de Damerey.)
Nous ne nous permettrons d'ajouter qu'un mot [p.390] à cette note déjà bien longue: c'est que messire n'est point formé de mon et de sire, mais bien de mes et de sires, au singulier, comme on le voit ici: il est mes sires. Enfin sinre, sire, vient de senior; seniorem a formé: seigneur.
Vers 4509-4521. Homme-lige. Vassal qui tient un fief qui le lie envers son seigneur d'une obligation plus étroite que les autres.
Homo ligius, dans la basse latinité. L'Amant étoit devenu l'Homme-lige de l'Amour, et lui avoit rendu hommage de la bouche et des mains, c'est-à-dire qu'il ne lui étoit plus permis de rien dire, ni de rien faire contre le service de ce Dieu. Telle étoit la forme qui s'observoit dans les hommages du temps de saint Louis: «Le Seigneur prenoit entre ses deux paulmes les mains de son vassal jointes, lequel à genoux, nuë tête, sans manteau, ceinture, épée ne éperons, disoit: «Sire, je deviens vôtre homme de bouche et de mains, et promets foy et loyauté, et de garder vôtre foy à mon pouvoir, à vôtre semonce ou à celle de vôtre bailly à mon sens.» Cela dit, le seigneur baisoit le vassal sur la bouche.» (Fauchet, Des Fiefs, selon l'usage du Châtelet de Paris.)
On trouve dans le Roman de Lancelot que lorsqu'on prenoit possession d'un fief, et que l'on en étoit revêtu, on s'agenouilloit devant le seigneur-lige, et on lui baisoit le soulier, et le vassal qui étoit investi du fief recevoit le gand de son seigneur; et au vers 2003 de ce Roman, on lit que l'Amour refusa un pareil hommage. Il est rapporté dans une [p.391] Cronique «que Raoul, en faisant hommage de la Normandie à Charles-le-Simple, ne voulut mettre le genoüil en terre pour baiser le pied du Roi; il fallut que Charles le lui apportât à la bouche:» ce qui est une marque des anciens hommages, tels qu'on les rendoit dès le temps de Charles-Magne. (Fauchet, Antiquités françoises, livre XI.) (Lantin de Damerey.)
Vers 4539-4549. Charybde. Écueil fameux par un grand nombre de naufrages. Il est entre la Calabre et la Sicile. Les poètes ont feint que Charybdis fut en son temps la plus grande friponne du pays, et qu'ayant dérobé les boeufs d'Hercule, elle fut foudroyée par Jupiter, et précipitée dans la mer, où elle conserve toujours son ancienne inclination. (Lantin de Damerey.)
Vers 4554-4566. M. Francisque Michel traduit piteuse par misérable, ce qui est absurde.
Vers 4568-4584. Bureau, grosse étoffe faite en laine: c'est la même chose que la bure, qui, suivant la définition de Borel, est une étoffe velue de couleur rousse ou grisâtre, en latin burellus, ainsi qu'il est nommé dans le testament de saint Louis: Item, legamus DC. libras ad burellos emendos pro pauperibus [p.392] vestiendis. Le bureau est cependant un drap plus fort. Quoique les gens du commun soient plus souvent vêtus de cette étoffe que les gens de qualité (qui se vêtaient d'un drap fin de couleur foncée, brunete), ils n'en ressentent pas moins le pouvoir de l'amour; c'est ce qu'a voulu dire Jehan de Meung dans les deux vers suivants:
Comme ausinc bien sunt amoretes
Sous buriaus comme sous brunetes.
Cela signifie aussi que les gens de basse extraction ont souvent autant d'honneur et de vertu que ceux qui comptent une longue suite de nobles aïeux; c'est peut-être ce qui a donné lieu au proverbe: «Bureau vaut bien écarlate,» qui est une allusion que fit, en 1518, Michel Bureau, natif du bas Maine et évêque de Hieropolis, parlant au cardinal de Luxembourg, pour lors évêque du Mans, avec qui il étoit en procès; en quoi l'on voit l'équivoque de son nom, Bureau, pour blanchet ou drap qui n'est pas teint, avec l'habit de cardinal, estimé la plus riche teinture en draps de laine. (Bibliothèque de la Croix du Maine.)
La Fontaine a rendu à peu près la pensée de Jehan de Meung, dans l'endroit où Joconde veut persuader à Astolphe de s'attacher une femme de qualité:
Rien moins, reprit le Roi; laissons la qualité:
Sous les cotillons des grisettes
Peut loger autant de beauté
Que sous les juppes des coquettes.
(Lantin de Damerey.)
Vers 4581-4595. Pour la première fois paraît ce personnage de Génius, incompris jusqu'ici de tous les commentateurs, personnification de l'amour humain, ennemi implacable des amours honteux, cet ignoble égarement des sens, aussi bien que de l'amour mystique, ce déplorable égarement de l'imagination, en un mot, de tous les amours contre nature. Comme Génius arrive là brutalement, sans préparation, acteur inconnu jusqu'ici, et qui doit jouer un si grand rôle dans le dénoûment du Roman, il est supposable qu'une partie du passage fut rajoutée après coup.
Vers 4636-4650. Molinet ne faisant aucune mention des vers suivants, et ne les ayant pas trouvés dans les plus anciens manuscrits, je suis fondé à soupçonner qu'ils ont été rajoutés par quelque copiste du XVe siècle, et j'ai cru devoir, par cette raison, les retirer du texte de l'auteur. (Méon.)
Méismement en cest Amour
Li plus sage n'i scevent tour.
Mès or entens ge te dirai,
Une autre Amour te descrirai;
De cele voil-ge que por t'ame
Tu aimes la très douce Dame,
Si cum dit la sainte Escripture.
Amors est fors, Amors est dure,
Amors sostient, Amors endure,
Amors revient et tous jors dure,
[p.394]
Amors met en amer sa cure;
Amors leal, Amors séure
Sert, et de servise n'a cure;
Amors fait de propre commun,
Amors fait de divers cuers un,
Amors enchausce, ce me semble;
Amors départ, Amors assemble,
Amors joint divers cuers ensemble;
Amors rend cuers, Amors les emble;
Amors despiece, Amors refait;
Amors fait pez, Amors fait plait,
Amors fait bel, Amors fait lait
Toutes heures quant il li plait;
Amors atrait, Amors estrange,
Amors fait de privé estrange;
Amors seurprent, Amors emprent;
Amors reprent, Amors esprent:
Il n'est rien que Amors ne face,
Amors tost cuer, Amors tost grace;
Amors deslie, Amors enlace,
Amors occist, Amors alace;
Amors ne crient ne pic ne mace;
Amors ne crient riens c'on lui face.
Amors fist Diex nostre char prendre,
Amors le fist en la croix pendre,
Amors le fist ilec estendre,
Amors li fist le costé fendre;
Amors li fist les maus reprendre,
Amors li fist les bons aprendre;
Amors le fist à nous venir,
Amors nous fait à li tenir.
Si cum l'Escripture raconte,
Il n'est de nule vertu conte,
S'Amors ne joint et lie ensemble;
Il m'est avis, et voir me semble
Que pou vaut foi et espérance,
Justice, force, n'atrempance,
Qui n'a fine Amors avec soi.
L'Apostre dit, et ge le croi,
[p.395]
Qu'aumosne faite, ne martire,
Ne bien que nulli sache dire,
Ne vault riens s'Amors i deffaut;
Sans Amors tretout bien deffaut;
Sans Amors n'est homme parfait,
Ne par parole, ne par fait.
Ce est la fin, ce est la somme,
Amors fait tout le parfait homme.
Amors commence, Amors asomme,
Sans Amors n'est mie fait homme.
Amors les enserrés desserre,
Amors si n'a cure de guerre;
Fine Amor qui ne cesse point,
A Diex les met, à Diex les joint:
Loyal Amor fait à Diex force,
Car Amor de l'amer s'efforce.
Quant Amor parfondement pleure,
Li vient très-grant douceur en l'eure,
Et fine Amor d'amer est yvre,
Car grant douceur Amor enyvre;
Lors li convient dormir à force,
Quant en dormant d'amer s'efforce:
Car Amor ne puet estre oisive,
Tant cum el soit saine ne vive;
Lors dort en méditacion,
Puis monte en contemplacion.
Ilec s'aboume, ilec s'esveille,
Ilec voit mainte grant merveille.
Là voit tout bien, là voit tout voir,
Là trueve tout son estouvoir.
Là voit quanque l'en puet véoir,
Là scet quanque l'en puet savoir.
Là aprent quanqu'en puet aprendre,
Là prent du bien quanqu'en puet prendre;
Mès quant plus prent et plus aprent,
Et plus son desirier l'esprent,
Tous jors li croist son apetit,
Et tient son assez à petit.
En Amor n'a poirit de clamor,
Chascun puet amer par Amor,
[p.396]
Quant d'Amor ne te puès clamer,
Par Amor te convient amer.
De tout ton cueur, de toute t'ame
Veil que aimes la douce dame;
Quant Amor amer la t'esmuet,
Par Amor amer la t'estuet.
Donc aime la vierge Marie,
Par Amor à li te marie;
T'ame ne veult autre mari.
Par Amor à li te mari;
Après Jesu-Christ son espous,
A li te doing, à li t'espous,
A li te doing, à li t'otroi,
Sans desotroier t'i otroi.
Vers 4650-4665. Saillent, que nous traduisons par s'aiment. La véritable traduction serait: saillir, s'accoupler, consommer l'acte vénérien.
Nous avons reculé devant I'expression propre, combien que s'aiment affaiblisse l'idée de l'auteur. Six vers plus haut, le même cas s'est présenté pour: Quiconques à fame géust, quiconque couche avec une femme. Ce sont des expressions intraduisibles dans notre poésie moderne. Nous en rencontrerons bien d'autres, car nous voilà loin du douceâtre Guillaume. Peut-être avons-nous eu tort, car, pour reculer devant l'image, le lecteur verra par la suite que nous n'avons pas reculé devant le mot.
Vers 4682-4696.
Ou se rend dans quelque couvent.
Vers 4683-4697. Franchise veut dire ici liberté. On dit encore: les franchises, dans ce sens. A propos de ce mot, nous ferons observer que pour le vers 4616-4628, la traduction est insuffisante. La véritable traduction serait: Libres entre eux, comme dans l'original, c'est-à-dire n'ayant aucun lien entre eux, ni de parenté, ni de mariage.
L'auteur démontrera plus loin que l'amour aime la liberté et qu'il ne saurait vivre une heure en esclavage. C'est pourquoi on ne voit jamais de véritable amour résister à l'épreuve du mariage, et que les plus heureux amants font les plus mauvais époux.
Vers 4715.
Mais Viellesse les en rechasce,
Qui ce ne scet, si le resache.
Évidemment, ici s'est glissée une erreur d'inadvertance ou d'impression, commise par Méon, et que M. Francisque Michel s'est empressé de reproduire. La rime l'indique assez. A notre avis, il faut resache aux deux vers. Dans le premier cas, resache sera le subjonctif de resachier, retirer, et dans le second le subjonctif de resavoir.
Vers 4847-4861. Hostelas, du verbe hosteler, loger quelqu'un; de ce verbe sont dérivés hostel et hostelerie. Hostel signifioit maison.
Dans la ballade de Villon à sa mie, on lit l'hôtel des Carmes; et dans l'Amant rendu Cordelier à l'observance d'Amours, on lit pareillement hôtel. Ce nom ne se donne qu'aux maisons des grands seigneurs: les juges datent quelquefois de leur hôtel; mais c'est plus par honneur pour la justice que pour le juge. On donne aussi à Paris le nom d'hôtel aux auberges qui ont de l'apparence; si ce titre flatte l'ambition de ceux qui donnent tout à la vanité des noms, les provinciaux trouvent souvent de quoi la rabattre lorsqu'il faut compter de la dépense, qui est ordinairement plus grande dans un hôtel que dans une hôtellerie, qui n'en est que le diminutif. Ce que nous appelons hôte étoit autrefois le nom que l'on donnoit à celui qui venoit loger dans un hôtel: Majores nostri hostem eum dicebant, quem nunc perigrinum dicimus. On l'appeloit aussi hospes, terme qui convenoit à celui qui venoit loger dans un endroit, et à celui qui donnoit retraite ou l'hospice à cet étranger.
Non hostes ab hospite tutus.
(Ovid., Métamorph., I.)
Le droit d'hospitalité étoit en grande recommandation chez les païens. Jupiter en étoit le dieu tutélaire; il étoit nommé Xenius, seu hospitalis: lorsqu'on recevoit un hôte, on commençoit par offrir un sacrifice à ce Dieu.
On voit dans la Genese de quelle manière Abraham [p.399] reçut les trois anges qui vinrent loger chez lui. Chacun sait comment Lot se comporta pour garantir ses deux hôtes des brutalités de ses concitoyens, et comment Manué, au livre des Juges, chap. 13, reçut l'ange qui étoit venu lui annoncer la naissance de son fils Samson.
Apud Lucanos lege cavebatur, ut si quis sole occaso divertentes hospites notos ignotosque domo exigeret κακοξενίας teneretur, mulctamque eo nomine pendere cogeretur. (Alexander ab Alexandro.)
Dans les anciennes lois des Bourguignons, titulo 38: De hospilitate non negandà. Quicumque hospiti venienti tectum, aut focum negaverit, trium solidorum inlatione mulctetur.
Et par un décret du concile de Clermont en Auvergne, tenu l'an 544, il fut enjoint aux prêtres d'avertir leurs paroissiens de recevoir les passants, et de ne pas leur vendre les vivres plus cher qu'au marché.
Enfin, ce devoir de charité envers les étrangers étoit si fort recommandé, que la règle de saint Benoît, chap. 53, porte: Frangatur jejunium propter hospitem à priore, si ce n'est pas un jour de jeûne principal ou ecclésiastique. Si enim quoslibet advenientes jejunio intermisso reficio, non solvo jejunium, sed impleo charitatis officium, dit saint Prosper, lib. 2, de Vitâ contemplativâ.
Le livre des Usages de Cîteaux, chap. 20, suppose aussi que l'abbé doit rompre le jeûne en faveur de ses hôtes.
Anciennement on n'avoit pas des auberges comme à présent; il falloit aller loger chez des particuliers; chacun savoit où il trouverait un gîte; on se rendoit la pareille dans l'occasion.
[p.400] Les anciens, comme le remarque Plaute, donnoient la moitié d'une pièce de monnoie, ou d'une autre marque qu'on appeloit tessera; celui qui la portoit étoit reçu comme un ami de la maison ou comme un ancien hôte; on la conservoit précieusement, et elle passoit des pères aux enfants. Ce droit d'hospitalité avoit donné lieu à l'établissement des hôpitaux, en faveur des passants qui n'avoient point de connoissance dans les endroits où leurs affaires les appeloient: ces maisons publiques leur servoient de retraites; mais dans la suite les hôpitaux, en Europe, sont devenus la retraite des seuls pauvres, comme l'observe Borel. (Lantin de Damerey.)
Vers 5058-5073. Cers ramages. M. Francisque Michel traduit par cerf sauvage. Ramages signifie bien généralement sauvage, habitant des bois; mais quand il s'applique au cerf, il dit: Cerf qui a son bois, cerf ramé: Cervus ramagius, cervus ramosis cornibus ornatus, cui cornua enascuntur, dit Du Cange dans son Glossaire.
Vers 5172-5190. Omni tempore diligit, qui amicus est.
Pour le vers précédent: Fortune en eus rien n'a [p.401] mis, la traduction est un peu trop libre, nous le reconnaissons; mais tenant absolument à conserver au précepte: Toujours aime qui est amis, sa forme concise et énergique, nous avons préféré sacrifier le vers précédent, d'autant plus que le sens reste rigoureusement le même.
Vers 5267-5287. Pythagoras naquit à Samos vers la 47e olympiade, environ 590 ans avant J.-C. Il étoit fils de Mnesarcus, et, selon d'autres auteurs, de Marmacus ou de Mnermacus. Ce fut lui qui le premier prit le nom de philosophe. Sa secte fut nommée l'Italique. Il parcourut l'Égypte; il fut en Crète, à Lacédémone, où il se fit instruire dans les lois de Lycurgue et de Minos. De là il passa en Italie, où il ramena à une vie frugale les peuples de Crotone, qui vivoient dans le luxe; il mourut à Métapont, auprès de Tarente, où on prétend qu'il fut tué dans une émeute populaire.
Pythagore eut un grand nombre de disciples; une des règles qu'il leur faisoit observer étoit de garder le silence pendant cinq ans; après ce rude noviciat, ils étoient alors admis dans la maison de leur maître, et alors ils avoient le plaisir de jouir de sa présence et de le regarder fixement.
Pythagore, qui se regardoit comme petit monde, prétendoit avoir essuyé ces différentes révolutions, et que son âme avoit passé du corps d'Aetalides dans celui d'Euphorbes, tué au siège de Troie par Ménélas; qu'elle avoit animé les corps d'Hermosine et de Pyrrhus, surnommé le Pêcheur, et que de Pyrrhus il étoit devenu Pythagore. (Diogenes Laerce, livre VIII.)
On prétend que les vers attribués à ce philosophe, qui sont les principes de sa morale, ont été mis sous cette forme par Lysis, un de ses disciples, Pythagore n'ayant point laissé d'écrits: ces vers sont au nombre de 71; on les appelle dorés, pour marquer que dans ce genre c'est ce qu'il y a de plus excellent et de plus divin; c'est par cette raison qu'on a donné le titre de l'Ane d'or à l'histoire d'Apulée, à cause de la richesse de son style. On trouve ces prétendus vers dorés dans le Recueil des poètes grecs[p.403]. Hierocles, qui d'athlète devint philosophe, fit un commentaire sur les vers de Pythagore. (Lantin de Damerey.)
Vers 5282-5304. On voit ici que Jehan de Meung songeait déjà à faire la traduction de Boëce, son auteur favori. (P.M.)
Anicius Manlius Torquatus Severinus Boetius naquit l'an de l'ère chrétienne 455. Il fut trois fois consul, et il eut pendant ce temps-là part à la confiance de Théodoric, roi des Goths. Il la perdit par la jalousie de Basile, d'Opilio et de Gaudence, délateurs infâmes. Boëce fut conduit dans les prisons de Ticino, aujourd'hui Pavie. Ce fut là où il composa son traité, intitulé: Consolatio philosophiae, divisé en cinq livres, avec d'autres traités de théologie.
Boëce (selon Berthier, in Praefatione Boethii) fuit logicus acutissimus, theologus gravissimus, mathematicus solertissimus, mechanicus artificiosissimus, musicus suavissimus, adhuc orator et poeta optimus. En effet, il a écrit dans tous ces genres de science.
Théodoric lui fit trancher la tête, l'an 524, aussi bien qu'à Symmachus, dont Boëce avoit épousé la fille. Ce prince ne survécut guère à un acte si cruel. Peu de temps après cette exécution, on servit sur sa table la tête d'un poisson énorme. Il crut que c'étoit celle de Symmachus qui le menaçoit; un tremblement s'empara de tous ses membres; on le mit dans son lit, où il mourut agité par les remords de sa conscience, confessant qu'il avoit eu tort de faire mourir Boëce et Symmachus sans avoir apporté, [p.404] en les condamnant, l'attention qu'il donnoit ordinairement à ses sujets. (Procopius, Hist. gothica, lib. primo.) (Lantin de Damerey.)
Vers 5295-5318. On lit dans un acte de 1377, rapporté par Sauval, qu'à cette époque les boucheries de Saint-Marcel étoient déjà très-anciennes. (Lantin de Damerey.)
Vers 5296-5317. Pipe: pipeau, chalumeau, paille, fétu. (Voir le Dictionnaire de Furetière.)
Vers 5324-5346. Nous ferons remarquer ici que, pour la seconde fois, est nommée la Seine. (Voir au début de la partie de Guillaume.)
Pourquoi ces deux auteurs, natifs tous deux des pays arrosés par la Loire, n'ont-ils pas choisi ce fleuve? L'exemple eût été plus frappant encore, la Seine n'étant nommée en ces deux cas que pour sa grandeur. Nous nous croyons autorisé à conclure que nos deux auteurs vivaient à Paris, à la cour sans doute, et que le roman tout entier fut écrit dans la capitale, pour charmer les loisirs des grands seigneurs et des hautes dames de l'aristocratie.
Ainsi s'expliquerait l'absence de manuscrits Orléanais anciens, quand il en subsiste encore un si grand nombre en dialecte picard ou bourguignon.
Vers 5333-5355. Phisicien. On donnoit autrefois ce nom à ceux qui exerçoient la médecine, parce qu'on les supposoit devoir être habiles dans la science de la nature, en grec Φὑσις.
Les seuls ecclésiastiques se mêloient de médecine en France, et il n'y eut point de médecins mariés dans ce royaume avant l'an 1452. Par une ordonnance de Philippe de Valois, il ne devoit y avoir en cour qu'un physicien, à 20 sous tournois par jour. (Pasquier, liv. VIII, chap. 26.)
Ce poste, quoique fort beau, seroit moins recherché, si on agissoit à l'égard du physicien comme Gontran, roi d'Orléans, qui fit mourir les deux médecins de la reine Austregisilde, sa femme, qui le lui avoit recommandé en mourant, parce qu'elle croyoit mourir par leur faute. (Du Tillet, Recueil des rois de France.)
Il paroît, par ce que dit Jehan de Meung de l'avidité des médecins et des avocats de son temps, qu'elle approchoit fort de celle que l'on remarque aujourd'hui parmi quelques-uns de ceux qui professent ces deux arts. Ceux qui les exercent avec honneur et désintéressement ne prendront point pour eux ce distique d'un ancien:
Vulpes amat fraudem, lupus agnum, femina laudem;
Vulnus amat medicus, praesbyter interitus.
Je remarquerai en passant qu'il étoit défendu par la loi Cincia, à ceux qui avoient soutenu en justice le droit des parties, de recevoir de l'argent ni des présents; dans la suite, Néron leur permit de déroger à cette loi. (Lantin de Damerey.) [p.406]
Vers 5349-5371.
Cil qui por vaine gloire tracent:
La mort de lor ames porchacent,
M. Francisque Michel traduit:
Ceux qui pourchassent vaine gloire
La mort de leurs âmes procurent.
Vraiment, c'est s'en tirer par trop cavalièrement.
Si tracer veut dire généralement: suivre à la trace, traquer, il signifie aussi: aller, marcher, courir de çà de là, sens qu'il a conservé jusqu'à nous dans la langue populaire de l'Orléanais, et même dans la langue classique (voir Littré). Quant à pourchasser, il n'a jamais signifié: procurer.
La traduction littérale de ces deux vers est:
Ceux qui voyagent pour une vaine gloire:
La mort de leurs âmes ils pourchassent.
Vers 5351-5372. De plus, M. Francisque Michel a commis une erreur des plus graves. Il écrit:
La mort de lor ames porchacent
Decéus et tex decevierres.
Méon met:
La mort de lor ames porchacent.
Decéus est tex decevierres.
Vers 5439-5463.
Dives divitias non congregat absque labore
Non tenet absque metu, non desinit absque dolore.
Vers 5550-5574. Aides, aide, secours; par extension: aides, impôts.
Nous saisissons l'occasion de montrer une fois de plus combien, pour juger un ouvrage, il est nécessaire de l'étudier à fond, et qu'un mot mal compris peut entraîner à de graves erreurs.
Nous avons sous les yeux la Satire au moyen âge de M. Lenient. Jehan de Meung, classé comme écrivain du XIVe siècle, y est jugé en quatorze pages. Ce chapitre commence ainsi:
«Au XIIIe siècle, la satire n'a rien encore de menaçant; elle se joue autour de la société; elle secoue en riant sa marotte devant les grands seigneurs, les abbés mitrés, les moines bien nourris, [p.408]les béguines aux larges robes, mais sans colère, sans passion de détruire; elle peut dire aussi:
En moi n'a ne venin ne fiel.
«Dans l'âge suivant, elle devient plus provocante et plus audacieuse; elle ne se contente plus de railler ce monde qui l'entoure; elle lui déclare la guerre. L'oeuvre de Jehan de Meung est moins une suite qu'une contre-partie de celle de Guillaume de Lorris. Guillaume écrit pour plaire à sa dame, Jehan pour servir la politique envahissante et novatrice de Philippe-le-Bel. Héritier de Guyot et de Ruteboeuf, il joint à la vieille malice gauloise l'humeur querelleuse et hautaine d'un libre-penseur moderne. Le droit d'insurrection et la célèbre théorie du refus de l'impôt, ressuscité de nos jours par M. de Genoude, n'y est pas moins clairement enseignée.
....Quant il vodront
Lor aides au roi toldront.
....Quand ils voudront
Les impôts au roi refuseront.»
Il n'est guère possible d'accumuler plus d'erreurs en si peu d'espace.
Pour faire un travail aussi considérable que l'Histoire de la satire en France du XIe au XVIe siècle, pour étudier et connaître à fond tous les ouvrages de notre ancienne littérature, la vie d'un homme ne saurait suffire, et nous ne sommes point étonné que que M. Lénient n'ait pu en faire qu'une étude superficielle. Son ouvrage ne doit donc être consulté qu'à titre de curiosité littéraire; mais admettre comme articles de foi toutes ses conclusions serait au moins imprudent.
[p.409] En effet, M. Lénient nous montre Jehan de Meung comme l'héritier de Ruteboeuf, qui écrivit sous saint Louis et Philippe III, et vécut même, dit-on, jus-qu'en 1310, sous Philippe-le-Bel.
Ces deux auteurs seraient, selon nous, contemporains. De plus, nous ne saurions admettre que l'oeuvre de Jehan de Meung fût la contre-partie de celle de Guillaume de Lorris. A peine quelques contradictions de détail pourraient-elles être relevées.
Quant à ce fameux refus de l'impôt, c'est probablement une chimère de M. Lénient. Nous avouons que l'emploi de ce mot au pluriel doit être considéré comme un arme à deux tranchants, et que plus d'un contemporain dut être tenté de le traduire selon sa fantaisie. Mais nous ne croyons pas que Jehan de Meung, un noble, eût osé, de son temps, ériger en système une pareille maxime. Aussi nous ne voulons y voir que le mot aide, assistance, terme plus large, qui laisse plus de marge à l'interprétation, et ne pouvait passer pour séditieux.
Enfin le Roman de la Rose est antérieur de quelques années au règne de Philippe-le-Bel, puisqu'il fut écrit entre 1270 et 1280, et l'on conviendra que prêcher le refus de l'impôt eût été bien mal servir la politique de ce roi toujours à court d'argent.