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Les châteaux d'Athlin et de Dunbayne (1/2), Histoire arrivée dans les Montagnes d'Écosse.

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CHAPITRE III.

Captivité d'Osbert et d'Alleyn.—Projet de vengeance de Malcolm;—il tente de faire enlever Marie;—elle est délivrée par Alleyn qui s'était sauvé de sa prison.—Récit de la manière dont Alleyn est parvenu à s'échapper: ses premières tentatives sont infructueuses: deux soldats, chargés de le garder, fuyent avec lui: étrange rencontre qu'ils font dans un souterrain du château de Dunbayne.—Alleyn projette de délivrer son ami Osbert.

Osbert, après avoir été chargé de fers, fut conduit dans la principale prison du château et laissé seul aux plus cruelles réflexions. Mais le malheur qui ébranlait sa fermeté ne pouvait la vaincre, et l'espérance n'était pas encore entièrement perdue pour lui. C'est le propre des grandes ames de trouver contre les coups du sort une force qui s'accroît sans cesse; la résistance chez eux devient énergique en proportion de l'attaque; et l'on peut dire que cette espèce d'hommes triomphe de l'adversité avec les armes qu'elle lui fournit.


Au bout de quelque tems il vint à l'esprit d'Osbert d'examiner sa prison. C'était une chambre quarrée, qui se trouvait au sommet d'une tour tenant au côté oriental du château, d'où l'on entendait sans cesse le lugubre rugissement des vents. Les murs intérieurs étaient délabrés et menaçaient ruine. Un matelas placé dans un des coins de la chambre, une chaise de nattes brisée et une table chancelante composaient tout l'ameublement. Le jour et l'air perçaient à peine à travers deux étroites fenêtres garnies de larges barreaux de fer, dont l'une laissait apercevoir une cour intérieure, et l'autre une chaîne de montagnes stériles et sauvages.

Alleyn fut traîné, par des conduits obscurs, dans une partie éloignée du château, à l'extrémité de laquelle une petite porte de fer qui s'ouvrit lui montra un cachot d'où la lumière et l'espérance étaient également bannies. Il frissonna en y entrant, et aussitôt la porte se ferma sur lui.

L'esprit du baron était agité tout à-la-fois par les sombres passions de la haine, de la vengeance et de l'orgueil irrité; il tourmentait son imagination pour inventer des tortures égales à la violence de ses sentimens. Après de longues réflexions, il se persuada que le supplice de l'attente dans l'incertitude faisait plus souffrir que les plus grands maux eux-mêmes contre lesquels, dès qu'ils sont connus, les ames fortes se roidissent. Il arrêta donc que le comte demeurerait dans la tour, incertain du sort qui lui était réservé, et qu'on lui donnerait assez de nourriture pour le mettre en état de sentir sa déplorable situation.

Osbert était enseveli dans ses pensées, lorsqu'il entendit rouler, en gémissant sur ses gonds, la porte de son affreux séjour; et soudain Malcolm parut devant lui. Le cœur d'Osbert se gonfla d'indignation, et la défiance éclata dans ses yeux. «Je viens, dit l'insolent vainqueur, féliciter le comte d'Athlin de son arrivée dans mon château, et lui montrer comment je sais exercer l'hospitalité envers mes amis; mais je l'avoue je n'ai point encore déterminé la fête que je dois lui donner».

«Lâche tyran, répondit Osbert, avec toute la dignité de la vertu, il est d'un assassin d'insulter à un vaincu; je n'attends pas que celui qui a immolé le père épargne le fils: mais sache que le fils méprise ta colère, et que la crainte de ta cruauté ne pourra jamais l'ébranler».

«Téméraire jeune homme, répliqua le baron, tes paroles ne sont que du vent; ta force tant vantée a fléchi sous ma puissance, et c'est à moi de décider de ton sort». Après ces mots il sortit de la prison, frémissant et furieux de l'inébranlable courage du comte.

La vue de Malcolm excita dans l'ame d'Osbert les mouvemens opposés d'une violente indignation, et d'une tendre pitié que lui inspirait le souvenir de son père; pendant un moment il fut réduit à l'état le plus misérable. L'énergie terrible de ses sensations le jetta dans une sorte de délire; la fermeté qu'il venait de montrer avait entièrement disparu, et il était sur le point de renoncer à la vertu et à la vie, à l'aide d'un court poignard qu'il conservait caché sous sa veste: tout-à-coup le son mélodieux d'un luth attira son attention; cet instrument était accompagné d'une voix douce et tendre, qui fut pour le cœur d'Osbert comme un beaume salutaire; il lui sembla que le ciel s'en servait pour l'arrêter dans ses desseins et changer sa destinée. La tourmente s'apaisa, et fut bientôt dissoute en larmes de pitié et de repentir. La langueur qui régnait dans le chant, semblait annoncer qu'il était celui d'un être souffrant et sans doute aussi prisonnier. Lorsqu'il eut cessé, Osbert, encore plein d'étonnement, s'approcha des barreaux de la fenêtre pour chercher à découvrir d'où étaient partis ces sons enchanteurs; mais personne ne s'offrit à ses regards, et il ne put juger si c'était de l'intérieur ou de l'extérieur du château. Vainement essaya-t-il d'obtenir du garde, qui vint lui apporter une faible portion de nourriture, quelques informations sur ce qu'il avait entendu; le silence obstiné du satellite de Malcolm le laissa dans son ignorance.

La douleur remplissait le château d'Athlin et ses environs. La nouvelle de l'emprisonnement du comte était enfin parvenue aux oreilles de Maltida, et son ame avait perdu toute espérance. Elle envoya sur le champ offrir au baron une forte rançon, pour la liberté de son fils et des autres prisonniers; mais la férocité de l'ame de Malcolm dédaignait un triomphe incomplet. La vengeance l'emporta sur son avarice, et les offres furent rejetées avec mépris. Un autre motif agissait sur son esprit, et le confirmait dans ses desseins. On lui avait souvent parlé de la beauté de Marie de manière à exciter sa curiosité; il était parvenu à se procurer les moyens de la rencontrer; et cette vue avait allumé dans son sein une passion que la violence de son caractère empêchait de s'éteindre. Déjà il avait formé, pour l'obtenir, divers projets qui étaient tous demeurés sans exécution; la captivité du comte lui parut une occasion favorable à son amour; il résolut donc de demander la main de Marie en échange de la liberté de son frère; mais il se détermina à ne point d'abord laisser paraître ses vues, afin que les angoisses de l'anxiété et du désespoir agissant sur Maltida, elle pût se résoudre à sacrifier sa fille à son ennemi.

Les faibles restes de la tribu, résistant à l'horrible revers qu'ils venaient d'essuyer, eurent encore le courage de s'assembler: et tout dangereux que fût le projet d'arracher leur chef à la prison, ils s'y arrêtèrent. L'espérance soutint encore de nouveau Maltida; mais bientôt une nouvelle source de chagrin fut ouverte pour elle. La santé de Marie déclinait sensiblement: elle était silencieuse et pensive: sa délicate complexion ne pouvait résister aux peines de son esprit, et ces peines s'augmentaient par l'effort qu'elle faisait pour les cacher. Elle s'imposa l'amusement et un exercice agréable, comme un moyen qui devait lui rendre plus facilement la paix et la santé. Un jour que, pour chercher ces trésors, elle faisait une promenade à cheval, elle fut tentée par la beauté de la soirée de prolonger sa course au-delà de ses bornes ordinaires. Le soleil se couchait comme elle entrait dans un bois dont la sombre et triste obscurité convenait parfaitement à la mélancolie de son cœur. La paisible sérénité du tems et le majestueux aspect du lieu se réunirent pour la faire tomber insensiblement dans un doux oubli de ses peines: elle s'y abandonnait avec délices, quand soudain elle en fut tirée par le bruit des pas de chevaux s'avançant près d'elle. L'épaisseur du feuillage gênait sa vue, mais elle crut voir briller des armes à peu de distance. Elle détourna son cheval, et voulut gagner l'entrée du bois. Son cœur agité par la crainte, lui faisait hâter sa retraite. En regardant derrière elle, elle distingua parfaitement trois hommes armés et déguisés accourant à sa poursuite. Prête à perdre connaissance, en vain l'effroi lui donna des ailes; tous ses efforts furent inutiles, et bientôt les brigands l'eurent atteinte. L'un d'eux saisit la bride de son cheval, et les autres tombèrent sur les deux domestiques qui l'accompagnaient. Il y eut un vif combat: la force de ses serviteurs fut contrainte de céder aux armes de leurs adversaires. Terrassés, ils se virent traîner dans le bois et attacher à des arbres. Marie, évanouie entre les bras de celui qui s'était emparé d'elle, était portée à travers des sentiers obscurs et silencieux: il est facile de se peindre sa terreur quand rouvrant les yeux elle se trouva au milieu d'hommes inconnus. Ses cris, ses larmes, ses prières n'eurent aucun effet. Ces misérables insensibles à la pitié et à ses demandes, gardaient un farouche silence. Ils la conduisirent vers l'entrée d'une horrible caverne: alors le plus affreux désespoir s'empara d'elle, et bientôt elle ne donna plus aucun signe de vie: cet état dura long-tems; mais il est impossible d'exprimer ce qu'elle éprouva, quand revenant à elle par degrés, elle aperçut Alleyn lui-même qui, dans la plus vive inquiétude, attendait son retour à la vie, et dont les yeux se remplirent de joie et de tendresse lorsqu'elle commença à se ranimer. L'étonnement, une joie mêlée de crainte, et tous les symptômes d'une foule de sensations confuses se peignirent rapidement sur le visage de Marie. Sa surprise augmenta encore à l'aspect de ses domestiques qui étaient rangés auprès d'elle. Elle osait à peine en croire le témoignage de ses yeux, mais la voix d'Alleyn, tremblante de tendresse, dissipa, dans un moment, le prestige de son incertitude, et ne lui permit plus de douter de l'étonnante réalité des objets dont elle était environnée. A peine eut-elle repris des forces suffisantes, qu'on se hâta de quitter ce lieu d'effroi; la route fut continuée d'un pas lent, et la nuit était tombée depuis long-tems lorsque le cortège arriva au château. La douleur et la confusion y régnaient. La comtesse, remplie des craintes les plus tristes, avait envoyé sur différens chemins des domestiques au-devant de sa fille. Dans son premier transport, elle ne fit point attention en la voyant arriver, qu'elle était accompagnée par Alleyn. Bientôt néanmoins sa joie égala son étonnement quand elle reconnut le compagnon d'Osbert; et au milieu des diverses impressions qu'elle éprouvait, elle savait à peine qui des deux elle devait d'abord interroger. Lorsqu'elle eut été informée des périls que sa fille avait courus, et qu'elle eut connu celui qui l'en avait arrachée, elle se prépara avec une impatiente sollicitude à apprendre des nouvelles de son fils chéri, et comment le brave et jeune montagnard avait échappé à la vigilance du baron. Alleyn ne put rien dire du comte à Maltida, si ce n'est qu'il avait été fait prisonnier avec lui, dans l'intérieur des cours de la forteresse, comme ils combattaient à côté l'un de l'autre; et que, sans avoir reçu aucune blessure, son fils avait été conduit dans une tour située à l'angle oriental du château, où il était toujours détenu. Il ajouta que lui-même ayant été enfermé dans une partie éloignée de l'édifice, il n'avait pu se procurer aucun autre renseignement sur le compte d'Osbert; ensuite il fit un récit succinct des circonstances particulières qui les concernaient.

Il y avait quelques semaines qu'il était dans son horrible donjon, attendant la mort chaque jour; sa situation désespérée le rendit inventif, et il conçut, pour s'échapper, le plan qui suit. Il avait remarqué que le garde, chargé de lui apporter sa nourriture, avait soin, en quittant le donjon, de frapper l'aire près de la porte avec son épée; sa curiosité se trouva excitée par cette circonstance, et un rayon d'espérance vint briller au fond de sa prison. Il examina le sol en cet endroit autant que l'obscurité le pouvait permettre, et reconnut qu'il était revêtu, comme le reste de son cachot, de larges pierres par-tout également solides. Cependant il n'en demeura pas moins certain, d'après les précautions habituelles du garde, qu'il devait trouver sous cette place quelque voie par laquelle il pourrait se sauver, et se prépara à des recherches plus exactes quand il ne craindrait point d'être observé. Un jour, aussitôt après le départ du garde, Alleyn se mit à lever les pierres qui formaient le pavé. Cet ouvrage exigea beaucoup de patience et d'industrie, et fut exécuté avec un couteau qu'il avait soustrait à la vigilance des soldats. D'abord, sous le pavé, la terre lui parut ferme, et n'indiquer en aucune manière avoir été fraîchement remuée. Après avoir creusé quelques pieds, il découvrit une trape; la joie et l'inquiétude le firent trembler de tous ses membres. La nuit commençait alors à s'approcher; et comme il était accablé de fatigues, il craignit de ne pouvoir, avant le lever du jour, pénétrer jusqu'à la trape, et vaincre les autres obstacles qu'il devait encore rencontrer; il se hâta de rejetter la terre dans le trou qu'il avait fait. Déjà il était parvenu, non sans beaucoup de peine à le combler, mais il ne lui fut pas possible de replacer exactement le pavé dans son premier état. L'obscurité ne permettait pas de choisir les pierres, et il s'aperçut que quand il viendrait à réussir, ce nouveau plancher n'aurait aucune solidité. Dans l'accablement de son corps et de son esprit, il se jetta à terre, et se livra au plus profond désespoir. La nuit était fort avancée, lorsque le retour de ses forces et de sa raison le porta à de nouveaux efforts; il écarta promptement la terre et brisa la serrure de la trape: alors soulevant celle-ci, sans hésiter ni vouloir rien considérer, il se précipita par l'ouverture. La voûte était profonde, et il fut d'abord renversé par la violence de sa chute. Un écho sourd et tremblant qui semblait se propager dans le lointain, lui apprit que ce lieu devait avoir une étendue considérable. Aucune clarté ne le dirigeait; il marcha les bras étendus, en silence, et cherchant avec inquiétude à examiner le lieu qu'il parcourait. Après avoir erré long-tems dans le vuide, il arriva à un mur qu'il suivit en tâtonnant; il fit de la sorte un assez long chemin, au bout duquel il sentit que le mur tournait; il ne l'abandonna point, et bientôt sa main toucha le barreau froid d'une fenêtre: une douce ondulation d'air vint frapper son visage, et ce fut pour lui, qui sortait des vapeurs humides d'un cachot, un moment de volupté. L'air donna à Alleyn une nouvelle force; les moyens de fuir, qui semblaient s'offrir ranimèrent son courage. Il plaça son pied contre la muraille, et saisissant avec la main un des barreaux de la fenêtre, il parvint à l'ébranler et à l'arracher entièrement après des efforts réitérés. Il s'adressa bientôt à un second, mais celui-ci était plus fermement fixé; il ne put le détacher: alors il s'aperçut que ce barreau était scellé dans une large pierre, et qu'il n'avait d'autres moyens à prendre que de lever la pierre elle-même. Son couteau lui servit, de nouveau, dans cette occasion; et avec beaucoup de patience, il détacha suffisamment de mortier pour effectuer son dessein. Après quelques heures passées dans une occupation que l'obscurité rendait pénible, et souvent vaine, il avait ôté plusieurs barreaux, et fait une ouverture qui lui permettait de s'échapper, quand les premiers rayons du jour commencèrent à paraître. Ce fut avec une inexprimable angoisse qu'il découvrit que cette fenêtre donnait sur la cour intérieure du château; bientôt il remarqua des soldats qui descendaient lentement dans la cour par les degrés étroits tenant à leurs logemens. Le cœur lui manqua à cette vue: accablé, il s'appuya contre le mur, et était sur le point d'entrer dans la cour, et de tenter un effort désespéré pour se sauver, ou de mourir en l'entreprenant, quand, à l'aide du jour qui devenait plus considérable, une porte épaisse, placée dans un côté opposé du mur, attira ses regards; il s'y porta aussitôt, et tenta de l'ouvrir, mais elle était arrêtée par un loquet et plusieurs verrous extérieurs. Il frappa contre cette porte avec le pied; un bruit sourd, qui se fit alors entendre, indiqua qu'il y avait de l'autre côté une longue voûte; et il fut assuré, par sa direction, qu'elle devait s'étendre jusqu'aux murs extérieurs du château. Il comprit que, s'il pouvait pénétrer au-delà de cette voûte la nuit suivante, il lui serait facile d'escalader le mur, et de traverser le fossé. Il ne lui restait point assez de tems pour forcer le loquet avant l'arrivée du garde qui venait à la pointe du jour visiter sa prison; après quelques momens de réflexion, il se décida à se cacher dans une partie obscure de la voûte, et à attendre ainsi le garde qui, s'apercevant que les barreaux de la fenêtre avaient été dérangés, en devait conclure qu'il s'était échappé par l'ouverture. A peine, conformément à ce plan, s'était-il placé, que la porte du donjon s'ouvrit: une voix forte se fit entendre; et le nom «d'Alleyn» fut prononcé avec l'accent du désespoir et de la consternation. Ce cri ayant été répété, un homme se précipita à travers l'ouverture de la trape. Alleyn, quoique caché lui-même dans l'obscurité, découvrit, à l'aide d'une faible lumière qui tombait sur l'aire, un soldat armé d'une épée nue; celui-ci s'approcha des barreaux de la fenêtre, l'imprécation à la bouche: il alla ensuite vers la porte, et la trouvant fermée, il retourna à la fenêtre; après quoi il se mit à marcher le long des murs, sur lesquels il appuyait la pointe de son épée, et arriva de cette manière à l'endroit où se tenait Alleyn. Alleyn, sentant l'épée toucher son bras, se saisit avec rapidité de la main qui la tenait, et fit tomber l'arme à terre. Le combat s'engagea; Alleyn renversa son adversaire, et se jettant sur lui, il saisit son épée, qu'il lui présenta sur le cœur: mais bientôt le soldat demanda grace. De tout tems Alleyn avait répugné à ôter la vie à un homme: il jugeait d'ailleurs, en ce moment, que s'il venait à tuer le soldat, ses camarades ne tarderaient pas à descendre sous la voûte. Il détourna donc l'épée; «reçois la vie, dit-il; ta mort ne me servirait de rien; si tu le veux, va apprendre à Malcolm qu'un innocent a tenté d'échapper à la mort.» Le garde, frappé de cette conduite, se releva en silence; après avoir reçu son épée il suivit Alleyn à la trape par laquelle ils rentrèrent ensemble dans le donjon. Alleyn fut bientôt laissé seul: le soldat, incertain de ce qu'il devait faire, allait rejoindre ses camarades, lorsque sur sa route il rencontra Malcolm qui, toujours inquiet et vigilant, parcourait souvent le rempart dès la pointe du jour. Le baron s'informa si tout était en bon état, et le garde qui redoutait d'être découvert, et n'avait point l'habitude de dissimuler, hésita à cette question. Alors un coup d'œil terrible le contraignit à déclarer ce qui venait d'arriver. Le baron lui reprocha sa négligence avec beaucoup d'âpreté, et le suivit sur-le-champ au donjon où il chargea Alleyn d'outrages. Il examina l'intérieur de la chambre, descendit lui-même sous la voûte, et revenu au donjon, il s'y arrêta jusqu'à ce qu'il eût vu fixer dans la muraille une chaîne qu'il avait envoyé chercher dans un lieu éloigné du château. Lorsque Alleyn y fut attaché: «nous ne vous laisserons pas long-tems ici, dit Malcolm, en quittant la chambre; sous peu de jours vous serez rendu à la liberté dont vous êtes si épris: mais comme un conquérant doit avoir des spectateurs à son triomphe, il faut attendre que j'aye pu en rassembler un nombre suffisant pour être témoins de la mort d'un si grand héros». Je méprise tes insultes, reprit Alleyn; je suis également capable de supporter le malheur, et de braver un tyran.» Malcolm se retira la rage dans le cœur, en voyant l'intrépidité de son prisonnier, et fit les plus terribles menaces au garde qui cherchait en vain à se justifier. «Tu en réponds sur ta tête, lui cria-t-il, furieux. Le soldat blessé retournait sur ses pas dans un silence chagrin: la crainte que son prisonnier ne parvînt à s'échapper s'empara de son esprit, et le souvenir des expressions dont Malcolm s'était servi, le remplissait de dépit; sa reconnaissance pour Alleyn, dont il avait reçu la vie, se joignant à ces sentimens, il balança s'il obéirait au baron ou s'il délivrerait Alleyn, et fuirait avec lui. A midi il lui apporta sa nourriture accoutumée. Alleyn n'était pas si accablé qu'il n'observât les ombres de la tristesse qui enveloppaient ses traits; il prévit dans son ame ce qui le menaçait, et le soldat lui annonça sa sentence de mort. Le lendemain devait être le jour du supplice; déjà les vassaux étaient convoqués pour en être témoins. On a beau avoir cherché à se familiariser avec la mort, elle paraît toujours terrible quand elle arrive. Alleyn l'attendait depuis long-tems; il s'était exercé à l'envisager sans effroi, mais sa force l'abandonna quand elle fut présente, et tout son corps frémit. «Rassurez-vous, lui dit le soldat, d'une voix affectueuse, je suis loin d'être insensible à votre misérable sort, et si vous êtes d'avis de courir le danger des tortures, près desquelles celles qu'on vous prépare en ce moment ne sont rien, je tenterai tout pour vous rendre à la liberté, et vous suivre loin d'un tyran féroce». A ces mots Alleyn, qui était étendu à terre, se sentit transporté de surprise et de joie; et se levant précipitamment, «que parlez-vous de tortures, s'écria-t-il; toutes sont égales si la mort doit les terminer; mais il est possible que je conserve la vie. Conduisez-moi hors de ces murs, et le peu que j'ai sera à vous». Je n'ai besoin de rien, reprit le généreux soldat; mon unique but est de sauver la vie à mon semblable.» Ces mots pénétrèrent fort avant dans le cœur d'Alleyn, dont les yeux se remplirent des larmes de la reconnaissance. Edric apprit alors à Alleyn que la porte découverte par lui, conduisait à une voûte, qui s'étendant au-delà des murs du château, communiquait à un chemin souterrein, creusé jadis pour faciliter la retraite du château, et que ce chemin aboutissait à une caverne au milieu de la forêt voisine. Il ajouta que s'ils pouvaient parvenir à ouvrir cette porte, rien ne s'opposerait à leur fuite. Alors tous deux délibérèrent sur les mesures que la nécessité leur prescrivait. Le soldat remit entre les mains d'Alleyn un couteau plus fort que le sien, qui devait lui servir à faire une entaille à la porte autour de la serrure. Il fut décidé qu'Edric se chargerait de faire le guet, et qu'à minuit tous deux descendraient dans la voûte. Edric, après avoir détaché la chaîne d'Alleyn, sortit de la prison, et celui-ci s'occupa, de nouveau, à lever les pavés qui avaient été replacés par ordre du baron. L'espoir de sa prochaine délivrance avait doublé ses forces: son nouveau couteau était plus propre pour son dessein; et il travaillait avec ardeur et joie. Il parvint bientôt à la trape, et se précipita encore une fois dans la voûte. La porte était extrêmement épaisse; ce ne fut pas sans beaucoup de peine qu'il réussit à enlever la serrure: alors de ses mains tremblantes, il poussa les verrous; la porte s'ouvrit, et il vit la nouvelle voûte dont le soldat lui avait parlé. Ce ne fut qu'aux approches du soir qu'il eut fini son ouvrage. Déjà il était rentré dans le donjon, et s'était étendu à terre pour se reposer, quand il entendit des pas éloignés. Tout à-la-fois rempli de crainte et d'espérance, il prêta l'oreille à ce bruit qui semblait s'approcher: enfin la porte s'ouvrit. Alleyn respirant à peine se leva, porta ses regards de ce côté, et ne vit point Edric, mais un autre soldat; il pensa que l'ouverture qu'il avait faite allait être découverte, et se crut perdu pour jamais. Le soldat plaça à terre une cruche d'eau, et, après avoir promené sa vue avec une sombre curiosité autour la prison, il sortit sans dire un seul mot. Tout ce que la force humaine peut supporter était épuisé; Alleyn tomba dans un profond engourdissement; lorsqu'il fut revenu à lui, il se trouva livré de nouveau aux horreurs de la nuit, du silence et du désespoir: cependant au milieu de ses souffrances il rougit d'élever des soupçons sur la bonne foi d'Edric. Nous sommes portés naturellement à repousser les sentimens pénibles; et c'est un des plus grands supplices que puisse éprouver une ame honnête que de douter de la sincérité de ceux en qui elle a placé sa confiance. Alleyn conclut que sa conversation du matin avait été entendue, et que le nouveau garde avait été envoyé pour examiner sa prison, et surveiller ses mouvemens: il crut qu'Edric, par suite de sa générosité, était comme lui destiné à périr; cette idée l'accabla tellement qu'elle lui fit, pour quelques momens, perdre de vue sa propre situation.

Il était minuit, et Edric n'avait point paru; les doutes d'Alleyn prirent alors dans son esprit le caractère de la certitude; il s'abandonna à cette affreuse tranquillité d'un désespoir muet. L'horloge du château ayant sonné une heure, il prit ce son pour celui de la cloche funèbre qui annonçait sa mort. Rappelé à lui par cette sensation terrible, il se leva de terre, dans les angoisses de la plus vive douleur. Bientôt il distingua le bruit des pas de deux personnes qui s'avançaient vers sa prison: Malcolm et l'assassinat se présentèrent alors à son esprit: il ne douta point que les personnes qu'il entendait ne vinssent exécuter les ordres définitifs du baron; elles étaient prêtes d'entrer quand il se rappela tout-à-coup la porte de la voûte. Jusqu'alors occupé de son seul désespoir, l'idée de fuir ne s'était pas présentée à lui. Au milieu de la violence de sa douleur, il n'avait pas même songé à cette dernière ressource. Mais dans ce moment, elle fut comme un éclair qui brilla à ses yeux; il se précipita à travers la trape, et son pied avait à peine touché le sol de la voûte, que les verrous de sa prison furent tirés. Une voix qu'il reconnut pour être celle d'Edric, se fit bientôt entendre; la crainte était à tel point maîtresse de son esprit, qu'il balança quelque tems à se découvrir; mais un moment de réflexion lui suffit pour chasser tout soupçon de la fidélité d'Edric, et il répondit à sa voix. Edric descendit aussi-tôt, suivi par le soldat, dont l'apparition avait rempli, le matin, Alleyn de désespoir; il le lui présenta comme son meilleur ami, son camarade, et comme une victime de la tyrannie de Malcolm, résolue à les suivre. Ce fut un moment de bonheur trop vif pour pouvoir être décrit. Alleyn, ivre de joie et impatient de fuir, écoutait à peine ce que lui disait Edric; celui-ci remonta fermer la porte du cachot; précaution dont le but était d'arrêter quelque tems ceux qui seraient tentés de les poursuivre; après avoir remis entre les mains d'Alleyn une épée qu'il avait apportée avec lui, il marcha à la tête de ses deux compagnons, et s'avançait le long de la voûte. Le vaste silence du lieu n'était troublé que par le bruit de leurs pas, qui, répétés par des échos profonds, apportait la terreur dans leur esprit: souvent, en traversant ces sombres et tristes réduits, il leur arrivait de s'arrêter pour écouter, et leur crainte leur faisait entendre la marche éloignée d'hommes qui les poursuivaient. A la sortie de la voûte ils entrèrent dans un sentier tournant d'une extrême longueur, et coupé par divers passages percés dans le roc vif; il était fermé par une porte basse et étroite s'ouvrant près du chemin souterrein qui allait, par une pente assez sensible, se rendre sous le fossé du château. Edric connaissait parfaitement les lieux. Ils passèrent la porte, et après l'avoir fermée sur eux, il commençaient à descendre. Tout-à-coup la lampe qu'Edric tenait à sa main fut éteinte par un coup de vent, et les laissa dans une entière obscurité. Il est plus facile d'imaginer ce qu'ils sentirent que de le rendre; privés de voir le chemin qu'ils devaient suivre, osant à peine mettre un pied devant l'autre, et portant en avant une main inquiète, ils s'avançaient dans cet abyme profond. Lorsqu'ils eurent continué à descendre pendant quelque tems, ils se sentirent encore une fois sur la terre. Edric les avertit qu'il y avait un autre escalier avant que d'arriver au chemin souterrein, et recommanda de le chercher avec la plus grande précaution. Ils marchaient d'un pas lent et circonspect, quand le pied d'Alleyn frappa contre quelque chose qui rendit un son assez semblable à celui d'une armure fracassée; il se baissa pour reconnaître ce qu'il avait touché, et saisit la main froide d'un mort. Une soudaine horreur s'empara de lui, et il recula d'effroi. Tous les trois demeurèrent quelque tems dans le silence; ils n'osaient retourner sur leurs pas et craignaient d'avancer. Une faible lumière, qui parut venir du bas du second escalier, en jettant quelque clarté autour d'eux, leur fit voir à leurs pieds un corps pâle et défiguré, couvert d'une armure; et non loin d'eux, trois hommes dont ils distinguaient les mouvemens. La première idée dont leur esprit fut frappée, c'est que ces hommes ne pouvaient être que des assassins appartenant au baron, et occupés à la poursuite de quelque fugitif. Il n'y avait pour eux d'espoir de se cacher qu'en restant où ils étaient. Mais la lumière semblait s'avancer, et les trois hommes se diriger vers eux. Dans leur effroi ils retournèrent au premier escalier qu'ils montèrent précipitamment; arrivés à la porte, ils voulurent l'ouvrir, espérant pouvoir gagner les percées du roc: mais tous leurs efforts furent vains; la porte était fermée par le pêne de la serrure, et la clef était de l'autre côté. Forcés ainsi de ne point céder à leur crainte, ils se hazardèrent à regarder derrière eux, et se trouvèrent une seconde fois dans l'obscurité. Pendant un tems assez considérable, tous trois demeurèrent immobiles sur les marches; ils prêtaient l'oreille, et tout était dans le silence: aucun rayon de lumière ne frappait plus leurs yeux; enfin ils se décidèrent à marcher en avant encore une fois; ils avaient retrouvé l'endroit où ils croyaient avoir laissé le corps mort, et cherchaient à éviter son horrible rencontre, lorsque la lumière se montra une seconde fois à la même place où elle avait d'abord été découverte; le désespoir les pétrifia. Cependant la lumière faisait des mouvemens lents, et et se trouva cachée par les détours du sentier. Ils restèrent long-tems en suspens, et sans proférer une parole; mais n'ayant plus aucun obstacle devant eux, ils continuèrent leur route. La lumière leur avait fait connaître le lieu où ils étaient, ainsi que l'escalier qu'ils pouvaient descendre avec sécurité. Parvenus au bas sans aucune rencontre alarmante, ils écoutèrent de nouveau, et n'entendirent aucun bruit; Edric annonça que maintenant ils devaient être sous le fossé. Le chemin devant eux était uni, et ils crurent que la lumière et les hommes aperçus par eux avaient tourné d'un autre côté: car Edric savait que le chemin principal avait plusieurs issues dans le roc. La joie leur donnait des ailes: leur délivrance semblait prochaine, et Edric répétait qu'on touchait à la caverne. L'issue qu'ils cherchaient se présenta à eux; mais en même-tems leur espérance fut détruite. Tout-à-coup la clarté d'une lampe vint frapper sur eux, et montra à leurs yeux faibles et éblouis quatre hommes dans une attitude menaçante, et prêts à les recevoir l'épée à la main. Alleyn tira la sienne. «Nous mourrons, s'écria-t-il, mais en braves.» Au son de sa voix, les armes tombèrent des mains de ceux qui étaient devant lui, et il les vit s'avancer pleins de joie. Alleyn reconnut avec étonnement, trois de ces étrangers, des amis fidèles et des compagnons, et Edric, un soldat de ses camarades dans le quatrième. C'était le même dessein qui les réunissait tous dans ce lieu; ils quittèrent ensemble la caverne; et Alleyn, ravi d'avoir recouvré une liberté dont il avait été privé si long-tems, résolut de ne plus à l'avenir fermer son ame à l'espérance. Tous furent persuadés que le corps trouvé par eux était celui d'une personne que la faim ou l'épée avait fait périr dans ce labyrinthe souterrein.

Ils marchèrent de compagnie et arrivèrent à peu de milles du château d'Athlin. Là, Alleyn exposa son intention d'aller rassembler ses amis, et d'entreprendre, avec la tribu, de délivrer le comte. Edric, ainsi que le soldat son camarade, s'enrolèrent solemnellement pour cette cause, et l'on se sépara. Alleyn et Edric poursuivirent leur route vers le château, et les autres gagnèrent différens points du pays. Alleyn et Edric n'avaient encore fait que peu de chemin, lorsque les gémissemens des domestiques blessés de Maltida les attirèrent dans le bois, où la scène horrible avait eu lieu. La surprise d'Alleyn fut extrême en voyant dans cet état des hommes attachés au comte; mais ce sentiment fit place à un autre plus poignant, dès qu'il fut informé que Marie avait été enlevée par des hommes armés. Il se donna à peine le tems de délier les deux domestiques, et s'élançant sur un des chevaux qui paissaient à peu de distance, il ordonna à tout le monde de le suivre, et prit la route par laquelle on lui dit que les ravisseurs avaient passé. Alleyn et le soldat les atteignirent, comme ils étaient prêt d'arriver à l'entrée de la caverne, dont l'horrible aspect avait donné une mort momentanée à Marie. Les brigands firent de vains efforts pour fuir; un d'eux fut blessé, et parvint néanmoins à se sauver. Ses compagnons voyant accourir les domestiques du comte abandonnèrent leur proie, et s'échappèrent à travers les sombres détours de la caverne. Marie paraissait sans vie, et les yeux d'Alleyn se fixaient avec horreur sur cet objet: enfin elle rouvrit elle-même les yeux au milieu des efforts empressés, par lesquels il cherchait à lui rendre le sentiment; et la joie s'empara de l'ame d'Alleyn.

Pendant tout le récit d'Alleyn, où régnait la plus grande modestie, le cœur de Marie fut livré à diverses émotions qui toutes sympatisaient avec les vicissitudes de la situation du jeune montagnard. Elle eût souhaité se cacher à elle-même l'intérêt qu'elle prenait à ses aventures; mais ses efforts étaient dans une telle disproportion avec son émotion, que, quand Alleyn raconta la scène arrivée dans la caverne de Dunbayne, la pâleur couvrit ses joues tremblantes; et on la vit défaillir. Cette circonstance alarma d'abord la pénétrante comtesse; la connaissance qu'elle avait de la faible complexion de sa fille lui parut bientôt la seule cause de cet état, et suffit pour réprimer ses craintes. Alleyn éprouva un délicieux mélange d'espérance et d'inquiétude qu'il ne connaissait point encore. Pour la première fois il osait s'en fier à son cœur, et croire qu'il aimait, et pour la première fois ce cœur concevait l'espérance du retour.

La comtesse lui prodiguait tous les épanchemens d'une ame remplie de reconnaissance, et la rougeur de Marie lui en disait plus que sa bouche n'eût pu le faire. Tous trois cherchaient le nom et le rang de l'auteur d'un si détestable complot. Leurs soupçons s'arrêtèrent enfin sur le baron Malcolm, et cette supposition acquit un grand degré de vraisemblance, quand ils se rappelèrent que les brigands étaient à cheval; circonstance qui devait les faire considérer comme les agens de quelqu'un au-dessus d'eux. Leurs conjectures se trouvèrent véritables. Malcolm était l'auteur du plan; il avait chargé de son exécution plusieurs de ses vassaux, qui n'avaient pu trouver l'occasion d'agir avant la surprise du château; et depuis ce moment le baron trop agité avait oublié de retirer ses ordres.

Alleyn ne fut pas long-tems sans faire connaître son projet de réunir le faible reste de ses amis à la tribu, et de marcher contre le château de Dunbayne. «Bon jeune homme, s'écria la comtesse, incapable de contenir davantage son admiration, comment pourrai-je jamais payer vos généreux services? Suis-je donc destinée à recevoir de vos mains mes deux enfans? La tribu se lève encore une fois, et va attaquer les murailles qui défendent Malcolm: conduisez-la à la conquête et rendez-moi mon fils.» A ces mots les yeux languissans de Marie reprirent leur éclat: elle s'enivrait du doux espoir de presser contre son sein un frère dont elle était séparée depuis si long-tems; mais elle passa bientôt de l'espérance à la crainte; c'était Alleyn qui devait commander l'entreprise, et Alleyn pouvait périr dans le combat. Ces sentimens opposés lui dévoilèrent l'état de son cœur, et son imagination ne tarda pas à lui montrer une longue suite d'inquiétudes et de peines qui se préparait pour elle. Elle tenta de bannir de son esprit le souvenir du passé et celui de la fatale découverte qu'elle venait de faire; mais ses efforts furent vains: sans cesse l'image d'Alleyn, ornée de toute cette vertu forte et mâle qui avait dirigé sa conduite, se présentait à elle: le paysan disparaissait, et elle ne voyait plus que l'homme doué du plus noble caractère.


Alleyn passa la nuit au château: dès le lendemain matin après avoir salué la comtesse et sa fille, à laquelle son œil fit un triste et respectueux adieu. Il partit avec Edric pour se rendre à la chaumière de son père. L'ardent jeune homme était impatient de s'assurer de la santé de ce premier objet de ses affections, et d'embrasser ses amis. Le souffle de l'amour avait changé en une flamme active les éteincelles d'ambition qui s'étaient allumées, avec tant de peine, dans son cœur. Maintenant il n'était plus animé par le seul désir de venger la vertu opprimée, et d'arracher à la misère et à la mort le fils d'un chef qu'il était habitué à respecter: il brûlait encore de punir l'outrage fait à sa maîtresse, et de se signaler par quelque action d'éclat digne de son admiration et de sa reconnaissance.


Alleyn trouva son père prenant le déjeûner à côté de sa nièce: le vieillard, dont le visage était obscurci par la tristesse, n'aperçut pas d'abord Alleyn; mais bientôt il faillit succomber à l'excès de sa joie en voyant que ce fils, sa consolation et son espoir, lui était rendu: Edric fut reçu avec autant de cordialité que s'il eût été un ancien ami.

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