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Les châteaux d'Athlin et de Dunbayne (1/2), Histoire arrivée dans les Montagnes d'Écosse.

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CHAPITRE IV.

Continuation de la captivité d'Osbert;—il découvre deux femmes prisonnières comme lui dans le château de Dunbayne.—Malcolm condamne Osbert à mort, et bientôt après se décide à différer son supplice.—Maltida et Marie croyent Osbert mort; il leur fait parvenir une lettre.—Alleyn se met en marche avec la tribu d'Athlin, dans le dessein de délivrer Osbert.—Amour de Marie pour Alleyn: ses efforts pour l'oublier.—Osbert tente de se faire remarquer par les deux prisonnières.

Le comte, prisonnier dans la tour et livré à une affreuse solitude, ignorait le sort qui lui était réservé: mais la magnanimité de son caractère bravait les efforts cruels de la haine du baron. Par une suite de l'habitude qu'il avait prise de se préparer à ce que son ennemi pourrait imaginer de pire, il était parvenu à regarder la mort d'un œil tranquille. Les violens transports dont il avait été agité à l'aspect de Malcolm s'étaient apaisés depuis qu'il n'était plus exposé à le voir; il évitait avec le plus grand soin de se rappeler le sort de son père, sur lequel il n'avait jamais pu arrêter sa pensée, sans éprouver un horrible tourment. Mais lorsqu'il songeait aux souffrances de la comtesse et de sa sœur, toute sa force l'abandonnait: souvent il souhaitait savoir comment elles supportaient le malheur de sa perte, et leur faire connaître l'état où il était: quelquefois il prenait la résolution de s'efforcer de ne point s'occuper de sa situation actuelle, et de se procurer des secours artificiels contre les tristes objets dont il était environné. Son principal amusement consistait à observer les mœurs des oiseaux de proie qui étaient venus se loger dans les créneaux de sa tour; et leur penchant au brigandage lui fournissait l'occasion d'un trop juste parallèle avec les habitudes des hommes.

Comme il était un jour, devant la grille qui donnait sur le château, occupé à regarder les courses des oiseaux, son oreille fut de nouveau frappée par le luth dont les accords l'avaient déjà sauvé de la mort. La voix mélodieuse qu'il avait entendue l'accompagnait encore, et chantait sur un air tendre les couplets qui suivent.

«Quand mon œil s'ouvrit aux premiers rayons du matin de la vie, je n'aperçus autour de moi qu'une scène enchanteresse; alors les tempêtes de la nuit ne s'offraient point à mes regards:»

«Les brillantes illusions de l'espérance séduisaient mon ame, et égaraient les pensées de ma jeunesse: l'imagination venait tout embellir de ses vives couleurs, et me découvrait dans le lointain un avenir de bonheur:»

«Le vuide de mon cœur simple et pur était rempli par la tendresse filiale: et l'amour d'un père suffisait à ses besoins, à son ardeur:»

«Mais ô cruel et rapide revers! tout ce que j'aimais n'est plus; le pâle et sombre malheur a dispersé les rayons tremblans de l'espérance, et les douces rêveries de l'imagination ont fui pour jamais».

Au milieu de sa profonde surprise, Osbert jeta ses regards dans la cour intérieure du château d'où la voix paraissait sortir: un instant après il vit une jeune personne entrer dans la partie de la cour qui tient à la tour: une autre femme plus âgée, mais conservant encore des restes de beauté, s'appuyait sur son bras. Il était facile de reconnaître à la mélancolie qui obscurcissait les traits de celle-ci que la main de la douleur avait devancé les ravages du tems. Elle était vêtue d'un habit de veuve; un voile noir, attaché sur son front, donnait une grace noble à sa figure; il était rejeté en arrière, et tombant jusqu'à terre où il se traînait en longs plis, il semblait ajouter encore à la majesté naturelle de son maintien. Cette femme s'avançait d'un pas lent, soutenue par sa compagne, dont le voile, relevé à moitié, laissait apercevoir les traits. La tristesse donnait à la beauté de la jeune personne la plus touchante expression, et la dignité de sa démarche annonçait qu'elle était née dans un rang élevé. A son bras pendait le luth dont les accords avaient si délicieusement touché le comte. L'étonnement d'Osbert à ce spectacle n'était égalé que par son admiration. Les deux femmes se retirèrent par une porte qui se trouvait située vers l'extrémité du côté opposé de la cour, et il ne fut plus possible de les voir. Osbert cherchait à les suivre des yeux, et tint pendant quelque tems la vue fixée sur la porte par laquelle elles avaient disparues. Revenu à lui-même il crut, pour la première fois, éprouver l'horreur de la solitude; il conjectura que ces femmes étaient des étrangères détenues par l'injuste puissance du baron, et ses yeux se remplirent des larmes de la pitié. Mais l'idée que tant de beauté et tant de dignité étaient victimes d'un tyran, remplit bientôt son cœur d'indignation, et lui rendit sa captivité plus insupportable que jamais. Il brûlait de devenir le défenseur de la vertu, et le libérateur de l'innocence opprimée; la haine qu'il portait à Malcolm s'accrut encore; et son ame reçut une nouvelle force de la persuasion où il était qu'il parviendrait à se venger. Son garde entra dans ce moment: Osbert voulut en obtenir quelques informations relatives aux deux étrangères; mais ce fut en vain. Le soldat était chargé de lui apporter de tristes nouvelles: il annonça au comte qu'il devait se préparer à la mort, et que son supplice était fixé au lendemain. Osbert l'entendit avec tranquillité, et sans daigner laisser échapper le moindre murmure. Il repoussa, avec précipitation le tendre souvenir de sa mère et de sa sœur, trop capable d'affaiblir son courage. Son garde lui apprit qu'Alleyn s'était échappé. Alors il ne douta point que ce généreux jeune homme n'entreprît tout pour punir le tyran qui lui donnait la mort.

Lorsque le baron avait été informé de la fuite d'Alleyn, la rage s'était emparée de son cœur; il avait fait appeler les gardes du donjon; mais après de longues et pénibles recherches, on eut la certitude qu'ils avaient accompagné leur prisonnier, et que plusieurs autres captifs s'étaient également échappés. Malcolm donna ordre qu'une sentinelle qui restait fût punie pour la trahison de ses camarades et sa propre négligence; et se rappelant le comte qu'il avait oublié dans la première chaleur de son ressentiment, il se félicita de ce qu'il lui fournissait l'occasion d'une vengeance complette. Au milieu des transports de sa joie il rétracta la condamnation du garde. A peine avait-il envoyé au comte le message funeste qui lui annonçait sa mort, qu'il prit une nouvelle résolution. Tel est l'effet des passions coupables: elles ne permettent pas d'agir avec suite: on ne peut satisfaire l'une qu'en sacrifiant l'autre, et le moment où l'on croit saisir le bonheur est celui même qui en détruit l'espoir. Le baron éprouva la vérité de cette observation; il semblait être parvenu à l'excès de la félicité lorsqu'il contemplait les approches de sa vengeance; mais tout-à-coup l'idée de Marie vint remplir son cœur d'une autre passion. Il avait apprit qu'elle avait été au pouvoir de ses émissaires et délivrée sur le champ. La peine même qu'il éprouvait de voir ses désirs traversés, augmentait leur violence, il ne pouvait se déterminer à abandonner sa poursuite; et le seul moyen d'obtenir celle qui en était l'objet lui parut être de renoncer à sa passion favorite. Il ne doutait point qu'on ne lui donnât Marie, lorsqu'il aurait déclaré ne point vouloir d'autre rançon pour la vie du comte. Ces deux passions, l'amour et la vengeance se balançaient tellement dans son cœur, qu'il eût été difficile de juger laquelle devait l'emporter. Enfin la vengeance céda à l'amour; mais il résolut de livrer le comte à tous les tourmens que doit produire la perspective d'une mort prochaine, et de lui cacher l'intention où il était de surseoir à son supplice.

Le comte attendait la mort avec la fermeté qu'il avait montrée en apprenant sa sentence; il fut conduit de la tour à la plate-forme du château sans proférer une parole, ni montrer la moindre émotion. Là il vit d'un œil fixe tous les préparatifs de son exécution, les instrumens de mort, et les soldats rangés en file; l'aspect même de l'éternité agissait peu sur son imagination. Parmi les objets qui l'environnaient, un seul put le faire sortir de la profonde indifférence dans laquelle il semblait plongé; c'était son meurtrier qui se montrait avec tout le faste qu'on déploie dans une pompe triomphale. A sa vue Osbert s'arrêta un instant, et sentit son cœur tressaillir; mais ne voulant point paraître troublé, il s'efforçait de reprendre sa dignité, quand le souvenir de sa mère se présenta à lui. Alors tout son courage fut anéanti: on vit ses yeux se mouiller de larmes, et il tomba sur la terre privé de sentiment.

Lorsqu'il fut revenu à lui-même, il se retrouva dans sa prison; il apprit que le baron lui avait accordé un répit: Malcolm, se méprenant à la douleur du comte, s'était flatté d'avoir porté ses souffrances au dernier degré, et avait ordonné qu'on le reconduisît à la tour.

Une scène aussi atroce et aussi publique que celle qui venait d'avoir lieu au château de Dunbayne fut bientôt, dans les environs, le sujet de tous les entretiens. La comtesse l'apprit avec une étrange variété de circonstances qu'on y avait ajoutées; on l'assura même que son fils avait réellement péri. A cette accablante nouvelle, elle retomba dans sa première langueur. Marie était trop faible pour lui donner des soins semblables à ceux qu'elle lui avait déjà prodigués avec tant de zèle. Le médecin déclara que la maladie de la comtesse avait son siège dans l'ame, et était au-dessus de la portée de la science humaine. Un jour elle reçut une lettre dont la suscription était de la main d'Osbert: son œil reconnut les caractères, et brisant le cachet, avec empressement, elle apprit que son fils était toujours vivant, et qu'il ne désespérait pas de se jeter encore une fois à ses pieds. Il demandait que le reste de la tribu se réunît pour tenter sa délivrance; et apprenait dans quelle partie du château était sa prison. Osbert croyait qu'à l'aide de cordes et de longues échelles placées de la manière qu'il indiquait, il pourrait parvenir à se sauver. Cette lettre fut un excellent cordial pour la comtesse et pour Marie.

Cependant Alleyn mettait un zèle infatigable à rassembler les compagnons qui devaient l'aider dans son entreprise. Dès qu'il fut informé que le comte avait démenti le bruit de sa mort, il se rendit au milieu de la tribu, et la pressa de ne point différer d'agir. Aucun des vassaux n'avait besoin d'être sollicité: c'était une cause chérie par eux, qu'il s'agissait de défendre, et la main de tous était prête. Les préparatifs furent bientôt terminés, et Alleyn, à la tête de ses amis, vint se joindre à la tribu.

La comtesse contempla, une seconde fois du haut des murailles, le départ de ses vassaux qui allaient chercher des périls aussi certains que ceux auxquels ils s'étaient exposés une première fois. Cette scène rappela à son souvenir celle dont elle avait déjà été témoin. Elle éprouva les mêmes craintes, fit les mêmes vœux; et quand l'éloignement eut dérobé la troupe à sa vue, elle rentra dans le château fondre en pleurs. Le cœur de Marie était en proie à plusieurs sortes de peines. Incapable de se cacher plus long-tems à elle-même le tendre intérêt qu'elle prenait au départ d'Alleyn, son trouble en devint plus visible. En vain la comtesse cherchait à lui rendre quelque tranquillité. Marie, pénétrée de reconnaissance, et poussée d'ailleurs par la franchise naturelle de son caractère, souhaitait quelquefois de pouvoir prendre sur elle de confier sa faiblesse à sa mère (si l'on doit appeler faiblesse un sentiment qui tirait son origine de l'admiration excitée par de nobles et généreuses qualités). Mais toujours sa délicatesse et sa timidité l'arrêtaient au milieu de ses résolutions, et retenaient sur ses lèvres l'aveu prêt à lui échapper. Les peines de son ame altérèrent peu-à-peu sa santé; son médecin reconnut que son mal était dû à un chagrin qu'elle s'efforçait de réprimer; il indiqua comme le meilleur remède un ami dans le sein duquel elle pût déposer tous les secrets de son ame. Maltida n'eut alors aucune peine à deviner la cause de la maladie de sa fille: elle se rappela ses observations; et ce qu'elle avait d'abord soupçonné lui parut certain. Elle s'occupa à gagner sa confiance par des carresses douces et prévenantes. Marie, trouvant son silence peu généreux, se décida enfin à ne plus rien dissimuler à sa mère.

Un jour que cette dernière la pressait tendrement contre son sein, elle lui déclara sa passion pour Alleyn. La comtesse n'avait rien de plus à cœur que d'assurer le bonheur de sa fille; la générosité et les autres vertus du jeune montagnard la remplissaient elle-même d'admiration. Mais la fierté de son ame lui faisait rejeter toute idée d'alliance avec un homme d'une naissance aussi peu distinguée. L'attachement de sa fille lui parut ne devoir être qu'une impression passagère, enfantée par une imagination vive et exaltée, et elle ne doutait pas que ses conseils et le tems ne parvinssent à en triompher. Marie écouta sa mère avec tranquillité: sa raison applaudissait pendant que son cœur gémissait; et elle prit le parti de combattre un sentiment qui devait causer tant de chagrin à elle et à sa famille.

Mais les généreuses qualités d'Alleyn se représentaient sans cesse à sa mémoire avec tout leur éclat. Il lui était impossible de ne pas s'apercevoir qu'il était épris d'elle; elle appréciait tous ses combats, et sentait combien était grande la délicatesse qui l'avait porté à s'éloigner, dans un respectueux silence, de l'objet de sa passion. Elle recourut encore à sa mère pour l'aider à bannir une image destructive de son bonheur; la comtesse employait toute sorte de moyens pour lui faire oublier Alleyn; chaque heure, excepté celles réservées aux exercices nécessaires à la santé de Marie était employée à cultiver son esprit, et à perfectionner ses talens. Les soins de Maltida ne furent pas sans fruit; elle remarqua que sa fille commençait à recouvrer le repos de l'ame et la santé; Marie crut elle-même, quelquefois, avoir appris à oublier celui qui lui était si cher. Les précautions de la mère et les efforts de la fille, servirent au moins à tromper l'ennui des momens qui se passaient à attendre des nouvelles d'Alleyn et de son entreprise.

Le château de Dunbayne était toujours le séjour du malheur: les vertus y gémissaient sous l'empire du crime; et le baron, déchiré par des passions opposées, était lui-même victime de leur puissance.

Le comte avait été forcé de reconnaître que ses jours dépendaient du caprice d'un tyran. Son ame était préparée aux coups les plus cruels; mais cependant il concevait quelque espérance d'échapper lorsqu'il songeait à cette lettre qu'un de ses gardes, touché de compassion, s'était chargé de remettre à la comtesse. Dans cette attente, il passait toutes les heures à la grille de sa fenêtre; livré à la plus vive inquiétude il portait sa vue sur les montagnes éloignées, pour s'assurer s'il ne découvrirait pas la marche de sa tribu. Pendant qu'il était ainsi privé de soulagemens réels, ces montagnes devenaient pour lui la source d'un plaisir idéal. Souvent, dans les belles soirées d'été, il voyait, de sa fenêtre, se promener sur la terrasse située au bas de la tour, ces femmes dont l'aspect avait excité son admiration et sa pitié. Un jour qu'il était rempli d'espérance pour lui-même et de compassion pour elles, ses souffrances lui parurent s'être adoucies. Il conçut l'idée de faire connaître aux deux prisonnières qu'elles avaient un compagnon, et d'exciter leur intérêt. Le soleil se cachait derrière la cime des montagnes, et déjà l'ombre était descendue dans les vallons. La tranquillité de la soirée lui inspirait une douce mélancolie: il composa les stances qu'on va lire, et dès le soir suivant, vint les jetter sur la terrasse.

«Salut, ô monts sacrés; vos sommets sont rafraîchis par les vents, et des sources d'eau jaillissent d'entre vos rochers. Le haut pin qui vous ombrage reçoit les premiers rayons du jour, et sa tête orgueilleuse est encore le dernier objet que frappe le soleil couchant.»

«Salut, ô monts éloignés! salut, vallons formés par eux. Souvent l'imagination me découvre vos beautés que cachent les brouillards humides. Tandis que le berger enfle son chalumeau, ou que le poëte cède au plaisir de chanter, mon cœur souffrant déplore la triste destinée qui m'accable.»

«Trois fois heureuse l'heure où le crépuscule du soir vient envelopper de son ombre ces bois chéris. De paisibles accords se font entendre alors le long de la clairière: l'imagination les recueille à travers le murmure des vents; et les amans de cette divinité puissante prêtent une oreille charmée.»

«O combien sont pénétrans ces sons! ils se prolongent dans les montagnes éloignées, et l'écho des cavernes, qui les répète, trouble le silence des déserts.»

Osbert eut le plaisir de voir que le papier fut ramassé par les deux femmes qui se retirèrent immédiatement après dans le château.

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