← Retour

Les châteaux d'Athlin et de Dunbayne (1/2), Histoire arrivée dans les Montagnes d'Écosse.

16px
100%

CHAPITRE VI.

Translation d'Osbert dans une autre prison.—Message de Maltida à Malcolm.—Découverte d'un panneau mouvant par où l'on entre dans plusieurs vastes appartemens.—Osbert parvient à celui des deux prisonnières.—Leur surprise à la vue du comte.—Tendre intérêt de ce dernier pour leurs souffrances. Il demande et obtient la permission de renouveler sa visite.—Démarches d'Alleyn pour découvrir la prison du comte, et pour tâcher de l'en tirer.—Désertion de deux soldats du château de Malcolm qui viennent s'enrôler sous les bannières d'Alleyn.

Pendant ce tems-là le château de Dunbayne était devenu le théâtre du triomphe et de la détresse. Fier de son projet, Malcolm voyait déjà Marie à ses pieds, tandis qu'Osbert éprouvait des tourmens plus cruels que la mort. Le baron était surpris que son invention ne lui eût pas encore suggéré ce moyen de torture. Pour la première fois l'amour eut pour lui des attraits, parce qu'il devenait l'instrument de sa vengeance, et que d'ailleurs la violence de sa passion lui avait représenté les charmes de Marie sous les couleurs les plus flatteuses. Il prit donc la ferme résolution de ne jamais relâcher le comte qu'aux conditions qu'il avait offertes, et par ce moyen de rendre la maison d'Athlin un monument éternel de son triomphe.

Pour plus de sûreté, Osbert avait été transféré au centre du château dans un appartement vaste et sombre, et dont les fenêtres gothiques ne laissaient pénétrer de lumière qu'autant qu'il en fallait pour en apercevoir l'horreur. Ce n'était pas ce qui le tourmentait davantage; son cœur éprouvait des douleurs bien plus aiguës. Un malheur aussi terrible que celui qui le menaçait ne s'était jamais offert à son imagination. Depuis long-tems familiarisé avec l'idée de la mort, il ne la regardait que comme un mal passager; mais voir sa famille dans l'ignominie, la voir contracter une alliance avec l'assassin de son père, cette pensée lui déchirait l'ame.

Il craignait que la tendresse maternelle n'engageât Maltida à accepter les offres du baron, et il ne doutait pas que sa sœur n'eût assez de grandeur d'ame pour se sacrifier, afin de lui sauver la vie. Il aurait écrit à la comtesse pour lui défendre d'accepter ces conditions, et lui déclarer sa ferme résolution de mourir; mais il n'avait aucun moyen de lui faire parvenir sa lettre; le garde, qui avait eu la générosité de faire passer sa première, ne paraissait plus. Le courage qui l'avait soutenu jusqu'ici ne l'abandonna pas dans ce moment critique. Accoutumé depuis long-tems à éprouver des contradictions sans nombre, il avait acquis l'art de les surmonter; les plus grands revers n'étaient point capables de l'abattre; la résistance ne servait qu'à lui donner plus de force et à faire paraître sa grande ame dans un jour plus éclatant.

Alleyn venait de joindre la tribu, et faisait toute la diligence possible pour se procurer les informations nécessaires. Il apprit que le comte n'était plus dans la tour, mais il ne put découvrir dans quelle partie du château il était relégué; sur ce point on n'avait que des conjectures vagues et sans vraisemblance. Ce qui faisait croire qu'il n'avait pas été mis à mort, c'était la politique du baron dont le violent amour pour Marie n'était plus alors un mystère. Alleyn employa inutilement tous les stratagèmes que l'invention put lui suggérer pour découvrir la prison du comte. Enfin, forcé de remettre à Malcolm le message dont il était chargé, il demanda pour préliminaire qu'Osbert fût amené sur les remparts, afin de faire voir à ses vassaux qu'il était encore en vie. Il espérait que cette mesure lui fournirait quelque moyen de découvrir le lieu de sa détention, se proposant d'observer avec la plus scrupuleuse attention l'endroit où il se retirerait.

Le comte parut sain et sauf sur les remparts. A sa vue ses vassaux firent retentir les airs de leurs cris pour témoigner leur allégresse; le baron était à ses côtés, et les regarda d'un air de mépris. Alleyn s'approcha des murailles et remit le message de Maltida. Osbert frémit de son contenu; il prévit qu'une délibération annonçait une soumission, Déchiré par cette pensée, il jura tout haut qu'il ne survivrait jamais à une pareille infamie; s'adressant ensuite à Alleyn, il lui commanda de retourner sur-le-champ vers la comtesse, et de lui dire de ne point se soumettre à des conditions aussi humiliantes, à moins qu'elle ne voulût sacrifier ses deux enfans à l'assassin de leur père. Ces paroles excitèrent un sourire de triomphe sur le visage du baron, et il se tourna en gardant un silence dédaigneux. Les gardes reconduisirent Osbert dans sa prison; mais tous les efforts de son ami, pour découvrir le chemin qu'ils prenaient, furent inutiles; la hauteur des murs les fit bientôt disparaître à ses yeux.

Alleyn nous fournit un exemple de la fermeté et de la constance avec lesquelles une ame énergique poursuit un objet favori; des circonstances fâcheuses peuvent venir à la traverse, le manque de succès peut momentanément arrêter ses progrès; mais elle s'élève au-dessus de tout obstacle, et pour parvenir à ses fins, elle va même au-delà des bornes de la possibilité. Ce jeune homme ne désespérait pas encore; mais il ne savait de quelle manière il devait agir.

En passant près d'une fenêtre, Osbert fut surpris d'y apercevoir deux dames: malgré l'agitation de son esprit, il les reconnut pour les mêmes personnes qu'il avait observées des grilles de la tour avec tant d'émotion, et qui avaient à-la-fois excité sa compassion et sa curiosité. Au milieu de sa détresse, la douceur et les grâces de la plus jeune avaient souvent occupé sa pensée, et il désirait ardemment connaître le sujet de sa douleur; car la mélancolie peinte sur son visage annonçait bien qu'elle était malheureuse. Elles observèrent Osbert lorsqu'il passa, et leurs yeux exprimèrent la pitié que sa situation leur inspirait. Il les fixa tendrement, et de retour dans sa prison, il fit de nouvelles questions sur leur compte; mais on continua de garder un silence inflexible à cet égard.

Un jour qu'il était enseveli dans ses réflexions, ses yeux se fixèrent involontairement sur un panneau du lambris de sa prison: il remarqua qu'il était autrement fait que les autres et que sa projection était tant soit peu plus grande; une lueur d'espérance s'empara de son esprit, et il se leva pour l'examiner. Il vit qu'il était environné d'une fente, et en le poussant avec les mains, il s'ébranla. Certain qu'il y avait quelque chose de plus qu'un panneau, il y employa toute sa force; mais il ne produisit aucun autre effet. Après avoir inutilement tenté de l'enlever de différentes manières, il abandonna l'entreprise, et revint s'asseoir triste et désespéré. Plusieurs jours s'écoulèrent sans qu'il pensât davantage au lambris. Ne voulant cependant pas renoncer à cette dernière espérance, il fit un nouvel examen, et en s'efforçant d'ébranler le panneau, son pied donna par hasard contre un endroit qui le fit ouvrir à l'instant. Il y avait dans l'intérieur un ressort caché qui le tenait attaché, et en pressant une certaine partie du panneau, il s'ouvrait de lui-même; c'était cette partie que le pied du comte avait touchée.

Cette découverte lui causa une joie inexprimable. Il vit alors devant lui un vaste appartement semblable à celui qui formait sa prison; ses fenêtres hautes et arquées étaient ornées de verre peint; son pavé était de marbre, et cet endroit paraissait être les restes d'une église abandonnée. Osbert traversa, en hésitant, sa longue nef, et parvint à une grosse porte de chêne à deux battans qui terminait cette pièce lugubre: il l'ouvrit et aperçut une longue et spacieuse galerie; ses fenêtres, aussi gothiques que celles de l'église, étaient couvertes d'un lierre épais qui en écartait pour ainsi dire la lumière. Il s'arrêta quelques tems à l'entrée, incertain s'il devait aller plus loin; il écouta, et n'entendant aucun bruit dans sa prison, il continua. La galerie aboutissait à gauche en tournant, à un grand escalier fort ancien et, en apparence, très-négligé, qui conduisait à une salle en bas; à droite était une porte basse et peu éclairée.

Osbert craignant d'être découvert, passa l'escalier et ouvrit la porte. Alors une file de superbes appartemens magnifiquement meublés se présenta à ses yeux étonnés. Il suivit sans apercevoir qui que ce fût; mais, après avoir traversé la seconde chambre, il entendit les sanglots d'une personne qui pleurait. Il s'arrêta un moment, ne sachant s'il devait continuer; une curiosité irrésistible l'entraîna plus loin, et il entra dans un appartement où étaient assises les belles étrangères, dont la vue avait fait tant d'impression sur lui.

La plus âgée des dames fondait en larmes, et sur une table à côté d'elle étaient une cassette et quelques papiers ouverts. La plus jeune était tellement occupée à un dessin, qu'elle ne fit pas attention à l'entrée du comte. Dès que la première l'eut aperçu, elle se leva tout en désordre, et la surprise qui éclata dans ses jeux semblait demander l'explication d'une visite si extraordinaire. Osbert, étonné de ce qu'il venait de voir, fit quelques pas en arrière, dans l'intention de se retirer; mais se rappelant que cette intrusion exigeait des excuses, il revint. La grace avec laquelle il s'excusa, confirma l'impression que sa figure avait faite sur l'esprit de Laure (tel était le nom de la jeune dame) qui, en levant la tête, laissa apercevoir une physionomie où l'on découvrait un heureux mélange de dignité et de douceur. Elle avait environ vingt ans, était de moyenne taille, extrêmement délicate et très-bien faite. Le coloris de sa jeunesse avait une teinte de mélancolie douce et réfléchie qui donnait une expression très-intéressante à ses grands yeux bleus; ses traits étaient en partie cachés par ses beaux cheveux bruns qui, après avoir formé nombre de boucles autour de son visage, descendaient sur son sein: toutes les grâces d'un sexe aimable étaient réunies dans sa personne, et la majesté naturelle de son maintien démontrait la pureté et la noblesse de son ame. Lorsqu'elle aperçut le comte, une faible rougeur se répandit sur ses joues, et elle quitta involontairement le dessin auquel elle était occupée.

Si la simple vue de Laure fut capable de faire impression sur le cœur d'Osbert, il en devint bien plus fortement épris quand il put contempler sa beauté. Il s'imagina que le baron charmé par ses attraits l'avait fait tomber dans quelques-uns de ses pièges et la retenait malgré elle dans le château. La tristesse peinte sur son visage et le mystère qui semblait l'environner, le confirmèrent dans cette conjecture. Plein de cette idée, ses souffrances lui inspirèrent la plus grande compassion, et l'amour qui brûlait alors dans son cœur vint bientôt se réunir à ce sentiment. Dans ce moment il oublia le danger de sa situation; il oublia même qu'il était prisonnier, et, ne pensant qu'aux moyens d'adoucir les chagrins de cette infortunée, il ne se laissa point arrêter par une fausse délicatesse, et il résolut, s'il était possible, de connaître la cause de ses malheurs.

S'adressant donc à la baronne: «Madame, dit-il, si je pouvais en aucune manière alléger des peines que je ne saurais affecter de ne point apercevoir et qui m'ont si vivement touché, je regarderais ce moment comme le plus heureux de ma vie; d'une vie, hélas! qui n'a déjà été que trop marquée au coin du malheur. Mais le malheur ne m'a point été inutile, puisqu'il m'a fait connaître la sympathie». La baronne n'ignorait pas le caractère et les malheurs du comte. Victime elle-même de l'oppression, elle savait plaindre les souffrances des autres. Elle avait toujours senti une tendre compassion pour les malheurs d'Osbert, et elle ne put s'empêcher de lui exprimer toute sa reconnaissance pour l'intérêt qu'il voulait bien prendre à ses chagrins. Elle lui témoigna sa surprise de le voir ainsi en liberté; mais apercevant les fers qu'il avait aux mains, elle tressaillit d'effroi et devina une partie de la vérité.

Il lui raconta la découverte du panneau qui lui avait fait trouver le chemin de son appartement. L'idée de faciliter son évasion se présenta d'abord à l'esprit de la baronne; mais sa propre situation ne tarda pas à lui en faire voir l'inutilité, et elle fut contrainte d'abandonner une pensée que lui avaient inspirée la vénération qu'elle avait pour le caractère du feu comte, et l'intérêt qu'elle prenait à son fils; elle lui témoigna le plus vif chagrin de ne pouvoir le servir, et l'informa que sa fille et elle étaient aussi prisonnières; que leur liberté ne s'étendait pas au-delà des murs du château, et qu'il y avait quinze ans qu'elles étaient sous la verge de la tyrannie.

Le comte exprima l'indignation que ce récit lui inspirait, assura la baronne qu'elle pouvait compter sur sa discrétion, et la pria, si cette relation ne lui était pas trop pénible, de l'informer au moins comment elle avait eu le malheur de tomber au pouvoir de Malcolm. La baronne craignant pour la sûreté d'Osbert, lui rappela le danger d'être découvert en restant plus long-tems hors de sa prison; et, le remerciant encore une fois de l'intérêt qu'il avait bien voulu prendre à ses souffrances, l'assura de ses souhaits les plus sincères pour sa délivrance, et lui promit que, si jamais l'occasion s'en présentait, elle lui ferait connaître les tristes particularités de ses aventures. Les yeux du comte lui témoignèrent sa reconnaissance d'une manière plus expressive que sa langue n'aurait pu le faire. Il demanda, en tremblant, la permission de renouveler ses visites, ce qui lui procurerait quelques intervalles de consolation pendant la triste captivité à laquelle il était condamné. La baronne, par pitié pour ses souffrances, consentit à sa demande. Osbert partit en jetant sur Laure un regard tendre et douloureux; il était néanmoins content de ce qui s'était passé et se retira dans sa prison en éprouvant un de ces momens de calme qui ne sont pas même étrangers aux malheureux.

Il trouva tout tranquille, et après avoir soigneusement fermé le panneau, il s'assit pour réfléchir sur le passé et penser à l'avenir. Il se flatta que la découverte du panneau pourrait faciliter son évasion; les ombres du désespoir dont son esprit avait si récemment été enveloppé se dissipèrent peu-à-peu, et lui laissèrent entrevoir un horizon plus flatteur; mais, hélas! ces brillantes espérances s'évanouirent comme un songe. Il se rappela que ce château était environné de gardes dont la vigilance était assurée par la sévérité du baron; que les belles étrangères qui avaient pris un si tendre intérêt à son sort étaient comme lui prisonnières, et qu'il ne connaissait pas un soldat généreux qui voulût lui enseigner les passages secrets du château et l'accompagner dans sa fuite. Son imagination était pleine de l'image de Laure; en vain s'efforça-t-il de se cacher à lui-même la vérité, son cœur trahissait constamment les sophismes de ses argumens. Il avait, sans le savoir, bu à la coupe de l'amour, et il était forcé d'avouer son indiscrétion. Il ne put cependant se résoudre à écarter de son cœur ce poison délicieux; il ne put se résoudre à ne plus la voir. Les appréhensions pénibles pour sa sûreté qu'éprouverait la baronne, s'il ne profitait pas de la permission qu'il avait si ardemment sollicitée; le manque de respect que cette conduite manifesterait; la violente curiosité de connaître l'histoire de ses malheurs; le vif intérêt avec lequel il apprendrait quelles étaient les relations de Laure et du baron, et l'espoir extravagant et trompeur de pouvoir leur être utile, le déterminèrent à renouveler sa visite. Sous ces illusions il cachait le principal motif qui l'engageait à cette entrevue.

Cependant Alleyn était de retour au château d'Athlin où il avait communiqué la résolution d'Osbert, qui n'avait servi qu'à aggraver la détresse des infortunées qui l'habitaient. Mais pour ne point leur faire perdre toute espérance, il leur avait caché que le comte n'était plus dans la tour; il méditait en silence et presque sans espoir sur les moyens de découvrir sa prison, et il tâchait de donner à la comtesse et à Marie une consolation à laquelle il ne pouvait lui-même prendre part. Il alla, sans perdre de tems, trouver les vieillards qu'il avait assemblés lors de son départ, et les informa du changement de prison du comte: circonstance qui devait pour le présent suspendre leurs délibérations. C'est pourquoi il les quitta et se rendit sur-le-champ auprès de la tribu, afin de continuer ses recherches. Tous les efforts que l'on fit pour se procurer les renseignemens nécessaires, furent inutiles.

Le moment fixé pour la réponse de la comtesse approchait; le désespoir était peint sur tous les visages, tous les cœurs étaient déchirés des plus vives angoisses; lorsqu'un soir les sentinelles du camp furent alarmées par l'approche de quelques hommes dont la voix leur était inconnue; craignant une surprise, ils les entourèrent et les conduisirent à Alleyn. Ces prisonniers dirent que pour se soustraire à la tyrannie de Malcolm ils étaient venus se réfugier dans le camp de ses ennemis dont ils déploraient les malheurs et dont ils voulaient défendre la cause. Charmé de cette circonstance, sans cependant y croire absolument, Alleyn interrogea les soldats touchant la prison du comte. Il apprit qu'Osbert avait été transféré dans un endroit du château d'un accès très-difficile, et que tout plan d'évasion était impraticable, sans l'assistance de quelqu'un bien instruit de tous les détours et passages du bâtiment.

Alleyn eut alors une perspective de succès que ses espérances les plus exagérées n'avaient encore pu lui présenter. Les soldats promirent solemnellement de l'aider de tout leur pouvoir; ils l'informèrent aussi qu'il y avait un mécontentement général parmi les vassaux du baron qui n'attendaient qu'un moment favorable pour secouer le joug de la tyrannie et reprendre les droits de la nature; que les soupçons de Malcolm l'excitaient à punir avec la dernière rigueur la moindre apparence d'inattention, et qu'étant eux-même condamnés à un châtiment très-sévère pour une faute légère, ils avaient tâché de s'y soustraire, ainsi qu'à l'oppression future de leur chef, par la désertion.

Alleyn convoqua immédiatement un conseil devant lequel les soldats amenés répétèrent leurs premières assertions, et l'un d'eux ajouta qu'il avait un frère qui aurait déserté avec eux s'il n'avait point été, ce jour-là, de garde auprès du comte: ce qui lui avait fait craindre d'être découvert; il ajouta que son frère serait le lendemain de garde à la porte du petit pont-levis où il n'y avait que peu de sentinelles; qu'il courrait les risques de l'aller trouver, et qu'il était persuadé qu'il ne se refuserait pas à favoriser la délivrance du comte. A ces mots le cœur d'Alleyn palpita de joie. Il promit à ce brave soldat une grande récompense pour lui et pour son frère, s'ils voulaient tous deux se charger de l'entreprise. Son compagnon connaissait parfaitement les passages souterrains du rocher; il offrit aussi ses services. Les espérances d'Alleyn devenaient à chaque instant plus fondées, et il aurait bien voulu dans ce moment pouvoir communiquer à la malheureuse famille d'Osbert la joie qui dilatait son cœur.

Le lendemain fut fixé pour commencer l'entreprise, et Jacques chargé de faire tous ses efforts pour gagner son frère. Ces préliminaires réglés, ils se séparèrent pour aller prendre du repos, mais Alleyn ne put fermer l'œil de la nuit: l'anxiété de l'attente s'empara de son esprit et remplit son imagination des visions les plus agréables; il se représentait la réunion du comte avec sa famille; il anticipait les remercimens qu'il allait recevoir de la part de l'aimable Marie, et il soupirait en réfléchissant que de simples remercimens étaient tout ce qu'il avait lieu d'espérer.

A la fin le jour parut et offrit à la tribu une perspective bien différente que celle de la veille. Alleyn, impatient de connaître le résultat de la rencontre qui devait avoir lieu entre les deux frères, trouvait les heures trop longues. La nuit vint enfin seconder ses désirs. L'obscurité n'était interrompue que par la faible lueur de la lune qui perçait, de tems en tems, à travers les sombres nuages qui environnaient l'horizon. Le vent rompait par intervalles le silence des ténèbres. Alleyn épiait tous les mouvemens du château; les lumières disparurent successivement, l'horloge de la tour sonna une heure; tout paraissait tranquille au-dedans, et Jacques marcha vers le pont-levis. Ce pont était coupé par le milieu, et la partie du côté de la plaine était baissée; Jacques s'avança dessus et appela d'une voix basse, mais ferme, Edmund. Point de réponse: il commença à craindre que son frère n'eût déjà quitté le château. Il resta quelque tems en suspens avant de répéter son appel, et il entendit qu'on tirait doucement les verroux de la porte du pont-levis; alors Edmund parut.

Il fut surpris de trouver Jacques et lui commanda de fuir à l'instant pour éviter le danger qui le menaçait. Le baron, irrité de la fréquente désertion de ses soldats, avait envoyé des gens à leur poursuite et promis des récompenses considérables à ceux qui arrêteraient les déserteurs. Ce discours n'eut aucun effet sur l'esprit de Jacques; il resta, résolu d'en venir à ses fins. Heureusement les sentinelles de garde avec Edmund étaient toutes ensevelies dans un profond sommeil, par l'effet d'une boisson qu'il leur avait administrée pour faciliter son évasion: ce qui fit que les deux frères continuèrent, à voix basse, leur conversation, sans être interrompus.

Edmund ne voulait pas différer plus long-tems sa fuite, et n'avait point assez de fermeté pour courir les dangers de l'entreprise. L'appât de la récompense éveilla cependant son courage, et il se laissa persuader; il connaissait bien toutes les avenues souterraines du château; la seule difficulté qui restait à surmonter était de tromper la vigilance des autres sentinelles, et il ne croyait pas possible que le comte quittât sa prison sans être aperçu. Les soldats qui devaient, la nuit suivante, monter la garde avec lui, étaient dans d'autres parties du château qu'ils ne devaient quitter qu'au moment où on les placerait à la prison: il était donc difficile de leur administrer cette même potion qui avait engourdi les sens de ses camarades. Se fier à leur intégrité et s'efforcer de les séduire, eût été mettre sa vie à leur disposition et probablement aggraver les maux du comte. Ce projet était environné de trop de dangers pour le hasarder, et leur imagination ne leur en offrait point de plus probable.

Il fut néanmoins convenu que, la nuit suivante, Edmund saisirait un moment favorable pour faire part au comte des desseins de ses amis et pour le consulter sur les moyens de les mettre à exécution. D'après cette résolution, Jacques revint sain et sauf à la tente d'Alleyn où étaient assemblés les chefs de la tribu qui attendaient son retour avec la plus vive inquiétude. Le rapport du soldat affaiblit considérablement les espérances de ce jeune homme; la vigilance avec laquelle la prison était gardée, paraissait rendre toute évasion impraticable. Il était cependant condamné à rester dans cette cruelle incertitude pendant près de trois jours, en attendant qu'Edmund fût de nouveau au poste du pont-levis et put communiquer avec son frère. Mais Alleyn ne se doutait pas d'une circonstance qui aurait absolument anéanti toutes ses espérances, et dont les suites pouvaient ruiner tous leurs projets. Une sentinelle postée sur la partie du rempart qui dominait le pont-levis avait été alarmée par le bruit des verroux, et, s'étant approchée des murailles, avait aperçu un homme sur la moitié du pont qui était au-delà du fossé, conversant avec quelqu'un de l'intérieur. Elle s'était avancée autant que les murailles le lui avaient permis, et avait fait tous ses efforts pour entendre ce qu'ils disaient. L'obscurité de la nuit l'avait empêchée de reconnaître la personne qui était sur le pont; mais elle avait très-bien distingué la voix d'Edmund. Fort surprise de ce qui se passait, elle donna toute son attention à découvrir le sujet de leur conversation. La distance que la moitié du pont levé laissait entre les deux frères, les obligeait de parler plus haut qu'ils n'auraient fait sans cette circonstance, et la sentinelle en entendit assez pour être instruite qu'ils se concertaient pour l'évasion du comte; que cette entreprise devait avoir lieu la nuit qu'Edmund serait de garde à la prison, et que quelques amis du comte l'attendraient dans les environs du château. Cet homme garda tout cela dans sa mémoire, et, le lendemain matin, il en fit part à ses camarades.

Le lendemain, vers le soir, le comte, cédant à l'impulsion de son cœur, ouvrit de nouveau son panneau, et s'avança vers les appartemens de la baronne. Elle le reçut avec des marques de satisfaction, tandis que le plaisir de l'innocence, peint sur le visage de Laure, témoignait que son cœur, jusqu'ici en proie à la douleur, éprouvait dans ce moment une sensation délicieuse. Osbert lui rappela sa promesse, que le désir d'exciter la compassion de ceux que l'on estime et le plaisir mélancolique que l'on trouve à se retracer le tableau d'un bonheur passé, lui avaient fait donner. S'étant efforcée de composer ses esprits que le souvenir de ses souffrances passées avait ébranlé, elle lui fit la relation suivante.

Fin de la première Partie.

Chargement de la publicité...