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Les Filles Publiques sous la Terreur: D'après les rapports de la police secrète, des documents nouveaux et des pièces inédites tirées des Archives Nationales

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Appendice
LES SCANDALES AU PALAIS DE JUSTICE SOUS LA TERREUR

Nous avons, dans le chapitre Ier de ce livre, parlé de l'envahissement du Palais de justice par les filles publiques, les filous et de moins recommandables citoyens. Mais les rapports des observateurs de police ne signalaient que des incidents, des faits isolés, quelques scandales dont ils avaient, personnellement, été témoins. Sur l'état général du Palais, sur sa physionomie particulière et intime, nous avons un autre document d'un intérêt bien plus considérable en cette matière. C'est la plainte adressée au ministre de la justice par les membres du Comité civil et de police de la Section Révolutionnaire. Mais, outre les scandales qu'elle signale, cette pièce demeure surtout curieuse par le règlement de police qu'elle propose et qui exclut, à la fois, du Palais, les chiens (« ou autres quadrupèdes »), les filles publiques et les bonnes d'enfants.

Nous donnons in extenso ce document inédit qui éclaire si singulièrement ce dessous de la vie publique de la Terreur et cet à-côté de la vie judiciaire.

La première page de la plainte de la Section Révolutionnaire au ministre de la justice.
(Archives Nationales.)

SECTION RÉVOLUTIONNAIRE

Les membres du Comité civil et de police au ministre de la Justice.

Citoïen,

La section révolutionnaire est plus qu'aucune autre affectée des abus et du défaut d'ordre qui règne dans l'intérieur du palais de justice. Ce temple qui mérite à tous égards beaucoup plus de respect que les temples consacrés jadis à la superstition et au fanatisme est devenu un lieu de débauche et de prostitution. Dans tous les coins, on ne rougit pas de satisfaire aux besoins pressants de la nature, et les malpropretés qui en résultent nuisent considérablement à la salubrité de l'air qu'on y respire, et ne pourraient qu'occasionner une peste si l'on n'y remédiait avant le tems de la chaleur. A chaque instant, à chaque minute, des filles perdues y trafiquent publiquement le crime des enfans de tout âge qu'elles y attirent, y font perpétuellement un tapage tel que l'on ne conçoit pas comment l'on peut s'entendre dans les tribunaux. Beaucoup de boutiques qui étaient jadis occupées restent vacantes et les salles sont remplies de marchands de comestibles qui s'introduisent même jusques dans le local des séances de nos tribunaux. On empêchait autrefois les chiens d'y pénétrer et maintenant ces animaux y sont en quantité et ne sont pas ce qui contribue le moins à le salir.

La section révolutionnaire a fait tout ce qui était en elle pour réprimer tous ces abus et n'a pu y réussir. Elle n'a même pu savoir qui était chargé du nétoyement de l'intérieur du palais, et s'il y avait des fonds destinés à cet objet. Tout ce qu'elle a pu apprendre d'un particulier qui en était chargé autrefois, c'est qu'il lui était dû une somme assez considérable qu'il avait avancée pour cet objet, et que ne voyant pas jour à se faire rembourser, il avait cessé pendant quelque temps ses fonctions, qu'il a cependant repris d'après l'invitation du Comité.

D'après la considération de tous ces abus, le Comité civil chargé par la section révolutionnaire de prendre tous les moyens possibles pour rétablir l'ordre, la décence et la propreté dans le temple de la Justice, et y maintenir le respect et le recueillement que tout Républicain doit apporter dans un lieu aussi sacré, te soumet le projet de règlement suivant, qu'il te prie de prendre en considération, et d'employer tous les moyens qui sont en ton pouvoir pour lui donner force de loi.

RÈGLEMENT DE POLICE
pour
l'intérieur du Temple de la Justice.

1o Défense de faire ni de jetter aucune ordure dans l'intérieur des salles du palais sous peine de vingt quatre heures de détention. (Inscription portant cette défense partout où besoin sera.)

2o Défense sous la même peine à qui que ce soit d'y jouer ou d'y polissonner.

3o Toute fille publique qui s'y trouvera sera sur le champ mise en arrestation et conduite au commissaire de police de la section qui sera tenu de mettre à exécution les arrêtés de la commune qui leur sont relatifs.

4o Défense à toute bonne d'enfant et aux mères de s'y promener avec leurs enfants, du moins dans les salles qui servent d'entrée aux tribunaux.

5o Défense de laisser entrer aucun chien ou autres quadrupèdes quelconques (à cet effet au lieu de huit entrées qui donnent dans les bâtiments du palais lesquelles sont continuellement ouvertes, il serait possible d'en restreindre le nombre à deux ou trois où l'on poserait des factionnaires).

6o Défense à tout marchand de comestibles et autres denrées quelconques de s'y établir à moins que ce ne soit dans les boutiques qu'ils y peuvent louer (indiquer à qui s'adresser pour ces locations).

7o Le citoyen chargé du nétoyement des salles du palais sera responsable des malpropretés qui s'y trouveront, et sera cité devant l'autorité qui doit en connaître quand un procès-verbal constatera le fait résultant de sa négligence ou du défaut de balayage. (Il faut pour ce, charger un citoïen de ce nétoyement et lui allouer des fonds convenables. Il faut que ce citoïen nétoie deux ou trois fois par jour les lieux d'aisance qui sont d'une malpropreté à faire lever le cœur. Il faut enfin rembourser les dépenses qui sont dues pour cet objet.)

8o Enfin le présent règlement sera imprimé et affiché partout où besoin sera avec invitation très formelle à tous les citoïens bien intentionnés de veiller eux-mêmes à son exécution ; et en seront spécialement chargées les autorités constituées de la section pour y tenir strictement la main.

Paris, ce onze pluviôse 2e de la République.

  Les membres du Comité civil.
Cachet
du
Comité.
Anceaux,
président.
J. Sterky,
secrétaire greffier.

Archives nationales,
série W, carton 135, pièce 60.

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