Les Français en Amérique pendant la guerre de l'indépendance des États-Unis 1777-1783
XX
La nuit suivante (du 4 au 5 octobre), le baron de Vioménil, officier général de jour, ordonna aux patrouilles de s'avancer jusque sous les retranchements des ennemis, ce qu'elles exécutèrent avec succès. Toutes eurent l'occasion de tirer leurs coups de fusil, et l'ennemi, très-inquiété, ne cessa de tirer le canon sans produire toutefois aucun mal.
Le 6 octobre, l'artillerie de siège était presque toute arrivée, les fascines, les gabions, les claies, préparés, l'emplacement de la tranchée parfaitement reconnu. Le comte de Rochambeau donna l'ordre de l'ouvrir le soir même 206.
Furent commandés pour ce service:
Maréchal de camp: M. le baron de Vioménil.
Brigadier: le comte de Custine.
Bourbonnais: deux bataillons.
Soissonnais: id.
Travailleurs de nuit: mille hommes.
Ces mille hommes étaient composés avec deux cent cinquante pris dans chacun des quatre régiments qui n'étaient pas de tranchée, non compris celui de Touraine, chargé d'un travail spécial que j'indique plus loin.
M. de Vioménil disposa dès cinq heures du soir les régiments dans la place qu'ils devaient couvrir. Les officiers du génie (de Querenet pour les Français et du Portail pour les Américains) installèrent à la nuit close, environ vers huit heures, les travailleurs, qui se mirent de suite à l'oeuvre dans le plus grand silence. Ils ne furent pas inquiétés par les Anglais, qui portaient toute leur attention et dirigèrent tout leur feu sur le régiment de Touraine. Celui-ci était chargé, à l'extrême gauche de la ligne française, de construire une batterie de huit pièces de canon et dix obusiers pour servir de fausse attaque. Pendant cette nuit et de ce côté seulement, un grenadier fut tué, six autres blessés et un capitaine d'artillerie, M. de La Loge, eut une cuisse emportée par un boulet. Il mourut quelques heures après.
La gauche de l'attaque commençait à la rivière d'York, à environ deux cents toises de la place, et la parallèle s'étendait vers la droite en s'éloignant de cinquante à soixante toises jusque près de la nouvelle redoute construite par les Américains. En cet endroit elle se reliait à la tranchée ouverte, en même temps par ces derniers.
Le 7 octobre, le service fut ainsi organisé:
Maréchal de camp: M. de Chastellux.
Agenais: deux bataillons.
Saintonge: id.
Travailleurs de nuit: neuf cents hommes.
Au point du jour, les travaux de la grande attaque se trouvèrent en état de recevoir les troupes. On s'occupa d'établir des batteries ainsi que des communications entre ces batteries et les tranchées ouvertes. Il y eut trois hommes de blessés.
Le 8, maréchal de camp: le marquis de Saint-Simon.
Brigadier: de Custine.
Gâtinais: deux bataillons.
Royal Deux-Ponts: deux bataillons.
Auxiliaires: les grenadiers de Soissonnais et de Saintonge.
Travailleurs de nuit: huit cents hommes.
La batterie du régiment de Touraine fut terminée ainsi qu'une autre construite par les Américains; mais on avait donné l'ordre de ne pas tirer encore. Les ennemis, au contraire, ne cessaient de canonner. Ils ne tuèrent cette nuit qu'un homme et en blessèrent un autre.
Le 9, maréchal de camp: le comte de Vioménil.
Bourbonnais: deux bataillons.
Soissonnais: id.
Auxiliaires: chasseurs d'Agenais et de Gâtinais.
Travailleurs de nuit: sept cents hommes.
Une frégate ennemie, la Guadeloupe, de vingt-six canons, ayant tenté de remonter la rivière, la batterie de Touraine tira sur elle à boulets rouges. La frégate se mit à couvert sous le feu de la ville; mais le Charon, vaisseau ennemi de cinquante, fut atteint et brûla 207. Le soir, la batterie américaine commença aussi un feu soutenu. Les déserteurs apprirent que lord Cornwallis avait été surpris de cette attaque de l'artillerie. Ses troupes en étaient décontenancées, car leur général leur avait assuré que les assiégeants n'étaient pas à craindre malgré leur nombre, puisqu'ils n'avaient pas de canons. Il y eut ce jour deux blessés.
Note 207: (retour) Jamais spectacle plus horrible et plus beau n'a pu s'offrir à l'oeil. Dans une nuit obscure, tous ses sabords ouverts jetant des gerbes de feu, les coups de canon qui en partaient, l'aspect de toute la rade, les vaisseaux sous leurs huniers fuyant les vaisseaux enflammés, tout cela faisait un spectacle terrible et grandiose. (Mercure de France, novembre 1781; rapport d'un officier général français.)
Le 10, au matin, huit bateaux plats des ennemis chargés de troupes remontèrent la rivière à environ un mille et tentèrent de débarquer du côté de M. de Choisy. Celui-ci, instruit de leur projet, les reçut à coups de canon et les força à s'en retourner. Le même jour, les Français démasquèrent une forte batterie sur le milieu de leur front. Son tir parut faire beaucoup de dégâts au milieu des batteries ennemies, qui ralentirent leur feu.
Maréchal de camp: le baron de Vioménil.
Brigadier: M. de Custine.
Agenais et Saintonge: deux bataillons chacun.
Travailleurs de nuit: trois cents hommes.
Il y eut un soldat tué et trois blessés.
Le 11, M. de Chastellux étant maréchal de camp, huit cents travailleurs, sous la protection de deux bataillons de Gâtinais et de deux bataillons de Deux-Ponts, commencèrent la construction de la seconde parallèle à environ cent quarante toises en avant de la première et à petite portée de fusil de la place. On s'attendait à une vigoureuse sortie et l'on avait renforcé les quatre bataillons de service ordinaire de quelques compagnies auxiliaires de grenadiers de Saintonge et de chasseurs de Bourbonnais. Mais on n'eut qu'à échanger quelques coups de fusil avec de faibles patrouilles anglaises qui ne s'attendaient pas sans doute à trouver les assiégeants si près. Il y eut quatre hommes blessés: à la grande attaque et trois à l'attaque de Touraine. Les Américains maintenaient leurs travaux à la hauteur de ceux des Français.
Le 12, maréchal de camp: M. de Saint-Simon;
Brigadier: M. de Custine;
Bourbonnais: deux bataillons.
Soissonnais: id.
Auxiliaires: grenadiers d'Agenais et de Gâtinais.
On occupa six cents travailleurs à achever la seconde parallèle et à construire des batteries. L'ennemi dirigea sur ce point un feu assez nourri, qui tua six hommes et en blessa onze. Deux officiers de Soissonnais, MM. de Miollîs et Durnes furent blessés.
Le 13 se passa en travaux exécutés sur les mêmes points par six cents hommes, protégés par quatre bataillons d'Agenais et de Saintonge, sous les ordres de M. le vicomte de Vioménil, maréchal de camp. On échangea beaucoup de bombes et de boulets de canon. Aussi y eut-il un homme tué et vingt-huit blessés.
Pour que cette seconde parallèle pût comme la première s'allonger vers la droite jusqu'à la rivière d'York, il fallait nécessairement s'emparer de deux redoutes ennemies qui se trouvaient sur son trajet. L'une de ces redoutes était à l'extrême droite sur le bord du fleuve en avant des troupes américaines; l'autre, qui n'en était pas éloignée de plus de cent toises, était à la jonction de la parallèle des Américains avec celle des Français, à la droite de ceux-ci. La prise de ces redoutes était devenue indispensable.
Le 12, les généraux accompagnés de quelques d'aciers de leur état-major, au nombre desquels était Dunks, s'étaient rendus, à l'attaque des Français, dans une batterie fort bien placée deçà d'un ravin qui la séparait de la redoute la plus éloignée du fleuve. Le baron de Vioménil témoignait une grande impatience. Il soutenait que les canons de la batterie dans laquelle on se trouvait avaient suffisamment endommagé la redoute qu'on retardait inutilement l'attaque, puisque le feu de l'ennemi paraissait éteint. «Vous vous trompez, lui dit M. de Rochambeau; mais en reconnaissant l'ouvrage de plus près on pourra s'en assurer.» Il ordonna de cesser le feu, défendit à ses aides de camp de le suivre et n'y autorisa que son fils, le vicomte de Rochambeau. Il sortit de la tranchée, descendit lentement dans le ravin en faisant un détour, et, remontant ensuite l'escarpement opposé, il s'approcha de la redoute jusqu'aux abatis qui l'entouraient. Après l'avoir bien observée, il revint à la batterie sans que l'ennemi l'eût dérangé par le moindre coup de feu. «Eh bien, dit-il, les abatis et les palissades sont encore en bon état. Il faut redoubler notre feu pour les briser et écrêter le parapet; nous verrons demain si la poire est mûre.» Cet acte de sang-froid et de courage modéra l'ardeur du baron de Vioménil. 208
Note 208: (retour) 12 octobre 1181, il y avait à l'hôpital de Williamsbourg quatre cents malades ou blessés et treize officiers, avec défaut complet de moyens. Il fallait, non-seulement des secours pour l'ambulance, mais aussi pour M. de Choisy du côté de Glocester. M. Blanchard déploya dans son service la plus grande activité et le zèle le plus louable; mais il avoua que si le nombre des blessés avait été plus grand, il aurait été dans l'impossibilité de leur faire donner les soins nécessaires.
L'attaque des redoutes fut décidée pour le 14 au soir. Le baron de Vioménil était maréchal de camp de service et M. de Custine brigadier. Il y avait à la tranchée deux bataillons de Gâtinais, deux autres de Deux-Ponts, et, en outre, des auxiliaires tirés des grenadiers de Saintonge, des chasseurs de Bourbonnais, d'Agenais et de Soissonnais.
Dès le matin, M. de Vioménil sépara les grenadiers et les chasseurs des deux régiments de tranchée et en forma un bataillon dont il donna le commandement à Guillaume de Deux-Ponts en lui disant qu'il croyait par là lui donner une preuve de sa confiance. Ces paroles remplirent de joie M. de Deux-Ponts, qui se douta bien de ce qu'on attendait de lui. Dans l'après-midi, M. de Vioménil vint prendre cet officier et l'emmena avec le baron de l'Estrade, lieutenant-colonel de Gâtinais, qu'il lui donna pour second, et deux sergents des grenadiers et chasseurs du même régiment, Le Cornet et Foret. Ceux-ci, aussi braves qu'intelligents au rapport de Guill. de Deux-Ponts, étaient spécialement chargés de reconnaître avec la dernière exactitude le chemin que l'on devrait suivre pendant la nuit. Ils devaient marcher à la tête des porte-haches. M. de Deux-Ponts revint ensuite former son bataillon et le conduisit à l'endroit de la tranchée le plus voisin de celui d'où on devait déboucher.
A ce moment M. de Rochambeau vint dans la tranchée et, s'adressant aux soldats du régiment de Gâtinais, il leur dit: «Mes enfants, si j'ai besoin de vous cette nuit, j'espère que vous n'avez pas oublié que nous avons servi ensemble dans ce brave régiment d'Auvergne sans tache, surnom honorable qu'il a mérité depuis sa création.» Ils lui répondirent que, si on leur promettait de leur rendre leur nom, ils allaient se faire tuer jusqu'au dernier. M. de Rochambeau le leur promit, et ils tinrent parole comme on le verra. Le roi, sur le rapport que lui fit M. de Rochambeau de cette affaire, écrivit de sa main: bon pour Royal-Auvergne.
M. le baron de Vioménil dirigeait l'attaque; mais le commandement immédiat en était donné à Guillaume de Deux-Ponts. Les chasseurs de Gâtinais, commandés par le baron de l'Estrade, avaient la tête de la colonne. Ils étaient par pelotons. Au premier rang se trouvaient les deux sergents Foret et Le Cornet, avec huit charpentiers précédant cent hommes portant les uns des fascines et les autres des échelles ou des haches. M. Charles de Lameth, qui venait de remettre le service de tranchée à Dumas, s'était joint à cette première troupe ainsi que M. de Damas. Venaient ensuite les grenadiers de Gâtinais rangés par files, sous le commandement de M. de l'Estrade, puis les grenadiers et chasseurs de Deux-Ponts en colonne par sections. Les chasseurs des régiments de Bourbonnais et d'Agenais suivaient à cent pas en arrière de ce bataillon, commandé par Guill. de Deux-Ponts 209. Le second bataillon du régiment de Gâtinais, commandé par le comte de Rostaing, terminait la réserve. M. de Vauban, qui avait été chargé par M. de Rochambeau de lui rendre compte de ce qui se serait passé, se tenait auprès de M. de Deux-Ponts. Celui-ci donna l'ordre de ne tirer que lorsqu'on serait arrivé sur le parapet, et défendit que personne sautât dans les retranchements avant d'en avoir reçu l'ordre. Après ces dernières instructions, on attendit le signal convenu pour se mettre en marche.
L'attaque des troupes françaises sur la redoute de gauche était combinée avec celle des troupes américaines aux ordres de La Fayette et Steuben sur la redoute de droite. Elles devaient se faire toutes les deux au même signal. Le régiment de Touraine devait simultanément les soutenir par une fausse attaque, et M. de Choisy, par une démonstration du côté de Glocester.
Les six bombes qui devaient donner le signal furent tirées vers onze heures, et les quatre cents hommes que commandait Guillaume de Deux-Ponts se mirent en marche dans le plus profond silence. À cent vingt pas environ de la redoute, ils furent aperçus par une sentinelle hessoise qui, du haut du parapet, cria en allemand Wer da? (Qui vive?). On ne répondit rien, mais on doubla le pas. Immédiatement l'ennemi fit feu. On ne lui répondit pas davantage, et les charpentiers qui marchaient en tête attaquèrent les abatis à coups de hache. Ils étaient encore bien forts et bien conservés, malgré le feu continu des jours précédents. Ils arrêtèrent quelques instants la colonne d'attaque, qui, se trouvant encore à vingt-cinq pas de la redoute, aurait été fort exposée si l'obscurité n'avait enlevé au tir de l'ennemi toute précision. Une fois les abatis et les palissades franchis avec résolution, les fascines furent jetées dans le fossé, et tous luttèrent d'ardeur et d'activité pour se faire jour au travers des fraises ou monter à l'assaut.
Charles de Lameth parvint le premier sur le parapet et il reçut à bout portant la première décharge de l'infanterie hessoise. Une balle lui fracassa le genou droit, une autre lui traversa la cuisse gauche. M. de l'Estrade, malgré son âge, escaladait le parapet après lui. Mais telle était l'ardeur des soldats que l'un d'eux ne reconnaissant pas son chef, se suspendit à son habit pour s'aider à monter et le précipita dans le fossé où plus de deux cents hommes passèrent nécessairement sur son corps. Bien qu'il fût tout meurtri, M. de l'Estrade se releva et remonta à l'assaut. M. de Deux-Ponts retomba aussi dans le fossé après une première tentative. M. de Sillègue, jeune officier des chasseurs de Gâtinais, qui était un peu plus en avant, vit son embarras et lui offrit son bras pour l'aider à monter. Au même instant il reçut un coup de fusil dans la cuisse. Un petit nombre d'hommes étant enfin parvenus sur le parapet, M. de Deux-Ponts ordonna de tirer. L'ennemi faisait un feu très-vif et chargeait à coups de baïonnette, mais sans faire reculer personne. Les charpentiers avaient fini par faire dans les palissades une large brèche qui permit au gros de la troupe d'arriver sur le parapet. Il se garnissait rapidement et le feu des assaillants devenait très-vif à son tour, tandis que l'ennemi s'était placé derrière une sorte de retranchement de tonneaux qui ne le protégeait guère.
Le moment était venu du reste de sauter dans la redoute et M. de Deux-Ponts se disposait à faire avancer à la baïonnette, quand les Anglais mirent bas les armes. Un cri général de Vive le roi fut poussé par les Français qui venaient d'emporter la place. Ce cri eut un écho parmi les troupes de la tranchée. Mais les Anglais y répondirent des autres postes par une salve d'artillerie et de mousqueterie. «Jamais je ne vis un spectacle plus majestueux. Je ne m'y arrêtai pas longtemps; j'avais mes soins à donner aux blessés, l'ordre à faire observer parmi les prisonniers, et des dispositions à prendre pour garder le poste que je venais de conquérir 210.»
L'ennemi se contenta d'envoyer quelques boulets sur la redoute, mais ne fit pas de tentative sérieuse pour la reprendre. Comme une sentinelle vint avertir M. de Deux-Ponts que l'ennemi paraissait, il avança la tête hors du parapet pour regarder: au même instant un boulet vint frapper le parapet tout près de sa tête et ricocha en lui criblant la figure de sable et de gravier. Cette blessure était peu grave, mais elle ne le força pas moins à quitter son poste pour aller à l'ambulance.
Dans les sept minutes qui suffirent pour emporter cette redoute, les Français perdirent quarante-six hommes tués et soixante-deux blessés, parmi lesquels six officiers: MM. Charles de Lameth, Guillaume de Deux-Ponts, de Sireuil, capitaine de Gâtinais, de Sillègue et de Lutzon. M. de Berthelot, capitaine en second de Gâtinais, fut tué.
Dès que Dumas fut informé de la blessure de son ami Charles de Lameth, il accourut auprès de lui à l'ambulance. Les chirurgiens déclarèrent d'abord qu'il ne pourrait être sauvé que par l'amputation des deux cuisses, mais le chirurgien en chef, M. Robillard, plutôt que de réduire à l'état de cul-de-jatte un jeune officier de cette espérance, ne voulut pas faire les amputations et s'en remit à la nature pour la guérison de blessures aussi graves. Le succès couronna sa confiance. Charles de Lameth se remit promptement et revint en France deux mois après.
M. de Sireuil mourut de sa blessure quarante jours après.
Les ennemis perdirent aussi beaucoup de monde. On compta de leur côté dix-huit morts restés dans la redoute. On fit aussi quarante soldats prisonniers et trois officiers. Les cent soixante-dix hommes restants s'échappèrent, emportant leurs blessés.
La redoute du côté des Américains fut enlevée avec une rapidité plus grande encore, et l'on peut dire à ce propos que les troupes alliées rivalisèrent d'ardeur. Cette rivalité de la part des chefs causa même un commencement de jalousie. M. le baron de Vioménil ne se gêna pas la veille de l'attaque pour manifester à M. de La Fayette le peu de confiance qu'il avait dans les troupes américaines pour le coup de main projeté, et fit trop paraître son dédain pour ces milices peu aguerries. La Fayette, un peu piqué, lui dit: «Nous sommes de jeunes soldats, il est vrai; mais notre tactique, en pareil cas, est de décharger nos fusils et d'entrer tout droit à la baïonnette.» Il le fit comme il le dit. Il donna le commandement des troupes américaines au colonel Hamilton, prit sous ses ordres les colonels Laurens et de Gimat. L'ardeur des troupes fut telle qu'elles ne laissèrent pas aux sapeurs le temps de frayer la voie en coupant les abatis. Le bataillon du colonel Barber, qui était le premier dans la colonne destinée à soutenir l'attaque, ayant été détaché au secours de l'avant-garde, arriva au moment où l'on commençait à s'emparer des ouvrages. Au rapport de La Fayette lui-même, pas un coup de fusil ne fut tiré par les Américains, qui n'employèrent que la baïonnette. M. de Gimat fut blessé à ses côtés. Le reste de la colonne, sous les généraux Muhlenberg et Hazen, s'avançait avec une discipline et une fermeté admirables. Le bataillon du colonel Vose se déployait à la gauche. Le reste de la division et l'arrière-garde prenaient successivement leurs positions, sous le feu de l'ennemi, sans lui répondre, dans un ordre et un silence parfaits 211.
La redoute fut emportée immédiatement. Elle n'était défendue que par quarante hommes, tandis qu'il y en avait cent cinquante à l'autre redoute. Comme le feu des Français durait encore, La Fayette, trouvant le moment favorable pour donner une leçon de modestie au baron de Vioménil, envoya auprès de lui le colonel Barber, son aide de camp, pour lui demander s'il avait besoin d'un secours américain. Cette démarche était en réalité inutile, car les Français ne furent de leur côté que sept minutes à se rendre maîtres de la position qu'ils avaient attaquée. Ils avaient aussi rencontré de plus sérieux obstacles et une résistance plus énergique. Mais le colonel Barber fit preuve en cette circonstance d'un sang-froid qui étonna les officiers français. Il fut blessé dans le trajet par le vent d'un boulet ennemi qui lui fit une contusion au côté. Il ne voulut pourtant pas se laisser panser avant de s'être acquitté de sa commission, qui resta d'ailleurs sans réponse.
Dans le courant de la nuit et du jour suivant, on s'occupa de continuer la seconde parallèle à travers la redoute prise par les Français jusqu'à celle des Américains; puis on installa dans cette parallèle une batterie de canons qui commença aussitôt son feu.
Pendant que Français et Américains rivalisaient de courage, deux fausses attaques tenaient en échec une partie des forces dont pouvait disposer lord Cornwallis. C'étaient d'abord, à la gauche des lignes françaises, sur le bord de la rivière d'York, les batteries dressées par le régiment de Touraine qui ouvrirent un feu très-vif sur les ouvrages ennemis. Les Français ne perdirent aucun homme sur ce point 212.
Du côté de Glocester, M. de Choisy reçut l'ordre de faire aussi une fausse attaque. Emporté par sa bravoure, il résolut de la faire aussi sérieuse que possible et d'emporter, l'épée à la main, les retranchements ennemis. Dans ce but, il fit distribuer des haches à la milice américaine pour couper les palissades. Mais au premier coup de feu, beaucoup de miliciens jetèrent les haches et les fusils et prirent la fuite. Ainsi abandonné avec quelques compagnies seulement d'infanterie française, M. de Choisy dut se replier sur la cavalerie de Lauzun après avoir perdu une douzaine d'hommes. Furieux de son échec, il se disposait deux jours plus tard à renouveler sa tentative, lorsqu'il en fut empêché par les préliminaires de la capitulation.
XXII
Cependant le succès remporté par les troupes alliées dans la nuit du 14 au 13 octobre avait inspiré trop de confiance aux soldats d'Agenais et de Soissonnais qui étaient de tranchée la nuit suivante avec M. de Chastellux pour maréchal de camp. Ils n'exercèrent point une surveillance suffisante, placèrent peu de sentinelles et s'endormirent pour la plupart en ne laissant personne à la garde des batteries. Les Anglais envoyèrent, à cinq heures du matin, un corps de six cents hommes d'élite contre les postes avancés des Français et des Américains. Ils surprirent ces postes, enclouèrent du côté des Français une batterie de sept canons, tuèrent un homme et en blessèrent trente-sept autres, ainsi que plusieurs officiers: MM. Marin, capitaine de Soissonnais; de Bargues, lieutenant de Bourbonnais; d'Houdetot, lieutenant d'Agenais; de Léaumont, sous-lieutenant d'Agenais, et de Pusignan, lieutenant d'artillerie. M. de Beurguissant, capitaine d'Agenais, qui avait été chargé de la garde et de la défense de la redoute prise dans la nuit précédente, fut lui-même blessé et fait prisonnier. Les Anglais ne se retirèrent que devant M. de Chastellux, qui arrivait bien tardivement avec sa réserve. Ce général mit tous ses soins à réparer le mal causé par l'ennemi dans son heureuse sortie. Il poussa vivement la construction de nouvelles batteries, et, grâce au zèle du commandant de l'artillerie, M. d'Aboville, les pièces, mal enclouées, purent recommencer leur feu six heures après ce petit échec.
Dès le matin du 16, d'autres batteries étaient prêtes et commencèrent à prendre à ricochet le couronnement des défenses de l'ennemi. En plusieurs endroits les fraises furent détruites et des brèches pratiquées. L'ennemi ne laissa pas que de répondre encore à cette attaque, et les Français eurent deux hommes tués et dix blessés. Le marquis de Saint-Simon, qui était de service comme maréchal de camp avec M. de Custine comme brigadier, fut légèrement blessé. Mais il ne voulut quitter la tranchée qu'après ses vingt-quatre heures de service écoulées, lorsque le comte de Vioménil vint le remplacer avec deux bataillons de Bourbonnais et deux autres de Royal-Deux-Ponts. Un officier d'artillerie, M. de Bellenger, fut aussi tué dans cette journée.
Cependant la position de lord Cornwallis n'était plus tenable. Il avait résisté jusqu'à la dernière extrémité et le quart de son armée était dans les hôpitaux. Il avait en vain attendu des secours de New-York et il se trouvait privé de vivres et de munitions. Déjà, dès le 17, à dix heures du matin, il avait envoyé un parlementaire au camp des alliés pour demander une suspension d'armes de vingt-quatre heures. Mais le général Washington n'ayant pas trouvé sa demande assez explicite avait ordonné de continuer le feu. On continua en effet à tirer jusqu'à quatre heures: à ce moment vint un nouveau parlementaire qui soumit au généralissime de nouvelles conditions. L'attaque fut suspendue et la journée du 18 se passa tout entière en négociations. Le vicomte de Noailles au nom de l'armée française, le colonel Laurens pour l'armée américaine et M. de Grandchain pour la flotte, avaient été nommés par leurs généraux respectifs pour dresser les articles de la capitulation, conjointement avec des officiers de l'armée de lord Cornwallis. Celui-ci demanda à sortir tambours battants et enseignes déployées, suivant la coutume adoptée quand on obtient les honneurs de la guerre. Le comte de Rochambeau et les officiers français, qui n'avaient aucun grief particulier contre le général anglais, étaient d'avis de les lui accorder. Les généraux américains n'étaient même pas contraires à cette opinion. Mais La Fayette, se rappelant que les mêmes ennemis avaient forcé, lors de la capitulation de Charleston, le général Lincoln à tenir ployés les drapeaux américains et à ne pas jouer une marche nationale, insista pour qu'on usât de représailles à leur égard et obtint que la capitulation se fît dans ces deux mêmes conditions, ce qui fut adopté.
La capitulation fut signée le 19, à midi. À une heure, les alliés prirent possession des ouvrages anglais, et, à deux heures, la garnison défila entre les deux haies formées par les Américains et les Français, et déposa ses armes, sur les ordres du général Lincoln, dans une plaine à la gauche des lignes françaises. La garnison de Glocester défila de son côté devant M. de Choisy; puis l'armée prisonnière rentra dans York et y resta jusqu'au 21. On la divisa en plusieurs corps qui furent conduits dans différentes parties de la Virginie, du Maryland ou de la Pensylvanie.
Lord Cornwallis prétexta une indisposition pour ne pas sortir à la tête de ses troupes. Elles furent commandées par le général O'Hara. L'adjudant général Dumas fut chargé d'aller au devant de ces troupes et de diriger la colonne. Il se plaça à la gauche du général O'Hara, et comme celui-ci lui demanda où se tenait le général Rochambeau: «À notre gauche, répondit Dumas; à la tête de la ligne française;» et aussitôt le général O'Hara pressa le pas de son cheval pour présenter son épée au général français. Dumas devinant son intention partit au galop pour se placer entre le général anglais et M. de Rochambeau. Celui-ci lui indiquait en même temps d'un geste le général Washington placé en face de lui à la tête de l'armée américaine. «Vous vous trompez, lui dit alors Dumas, le général en chef de notre armée est à la droite; puis il le conduisit. Au moment où le général O'Hara levait son épée pour la remettre, le général Washington l'arrêta en lui disant: Never from such good a hand (jamais d'une aussi bonne main).
Les généraux et les officiers anglais semblaient du reste très-affectés de leur défaite et faisaient paraître surtout leur mécontentement d'avoir dû céder devant des révoltés pour lesquels ils avaient professé publiquement jusque-là le plus grand dédain et même un mépris qui était souvent allé jusqu'à l'oubli des lois les plus ordinaires de l'humanité 213.
Note 213: (retour) Les troupes anglaises commirent pendant la guerre de l'Indépendance, et sur tous les points du globe où elles eurent à combattre, les actes de barbarie les plus révoltants et les plus contraires non-seulement aux lois de l'humanité, mais même à celles que l'usage a consacrées dans les guerres entre peuples civilisés. Les généraux, plus encore que leurs soldats, sont responsables devant la postérité des violences de toute espèce qu'ils ordonnaient de sang-froid et à l'exécution desquelles ils présidaient avec impassibilité.
Dès 1775, tandis qu'on parlait de paix dans le Parlement, l'on donnait des ordres pour mettre tout à feu et à sang dans les provinces américaines. Ces ordres barbares trouvaient des exécuteurs ardents à remplir les vues du ministère. Le général Gage, enfermé dans Boston, se vengeait de son inaction forcée en maltraitant les prisonniers américains, ce qui lui attirait de la part de Washington de justes reproches et des menaces de représailles qui ne furent jamais mises à exécution. En Virginie, lord Punmore exerçait des ravages qui lui valurent le surnom de tyran de cette province et dont les déprédations du traître Arnold furent seules capables de faire oublier le souvenir. En même temps Guy Carleton régnait en despote sanguinaire sur les malheureux habitants du Canada.
Tous les moyens de nuire leur paraissaient légitimes. En 1776, ils contrefirent une telle quantité de papier monnaie qu'ils discréditèrent ces valeurs fictives, dont le Congrès dut ordonner le cours forcé. Tandis que les révoltés se bornaient à employer les sauvages contre les tribus ennemies et les opposaient ainsi à eux-mêmes, les Anglais promettaient aux Indiens une récompense pour chaque chevelure d Américain qu'ils rapporteraient.
Après la victoire de Saratoga, le général Gates trouva la ville d'Oesopus sur l'Hudson ainsi que les villages des environs réduits en cendres par les ordres des généraux Vaughan et Wallace. Les habitants s'étaient réfugiés dans les forêts et préféraient s'exposer au tourment de la faim que de subir les outrages qu'un vainqueur féroce exerçait contre les malades, les femmes, les vieillards et les enfants.
Au commencement de mai 1778, pendant une expédition aux environs de Philadelphie, le colonel Mawhood ne craignit pas de publier l'avis suivant: «Le colonel réduira les rebelles, leurs femmes et leurs enfants à la mendicité et à la détresse, et il a annexé ici les noms de ceux qui seront les premiers objets de sa vengeance.» (Ramsay, I, p. 335.)
Le 17 juin 1779, les habitants de Fairfleld, près de New-York, subirent encore les derniers excès de cette férocité tant de fois reprochée aux troupes britanniques. Leurs excursions dans la baie de Chesapeak furent marquées par ces mêmes atrocités que la plume se refuse à décrire.
Il serait trop long aussi de rappeler les honteux exploits de Butler, d'Arnold, de Rodney. Mais il est un fait moins connu que je ne puis passer sous silence.
Pour arrêter la marche des troupes alliées devant York, lord Cornwallis, au lieu de les attaquer en soldat, recourut à des ruses que les Indiens seuls auraient été capables d'employer. Il fit jeter dans tous les puits des têtes de boeufs, des chevaux morts, et même des cadavres de nègres. L'armée française souffrit à la vérité de la disette d'eau, mais elle pouvait être inquiétée d'une manière plus brave et plus digne. C'est du reste avec les mêmes armes qu'il avait cherché auparavant à détruire la petite armée de La Fayette. Il faisait inoculer tous les nègres qui désertaient leurs plantations ou qu'il pouvait enlever, et les forçait ensuite à rétrograder et à aller porter la contagion dans le camp américain. La vigilance de La Fayette mit en défaut cette ruse barbare. (Mercure de France, décembre 1781, p. 109.)
Il ne faudrait pas croire pourtant que ces actes de barbarie fussent spécialement réservés à l'Amérique et exercés seulement contre les colons révoltés. Il semble qu'à cette époque ils étaient tout à fait dans les moeurs anglaises et que le gouvernement de la Grande-Bretagne ne reconnaissait pas plus les lois de l'humanité que celles du droit des gens. J'emprunte au Mercure de France, mai 1781, p. 174, le récit suivant.
«Le chevalier Hector Monro a fait, devant la Chambre des communes, en 1761, la déposition suivante. En arrivant à Calcutta, je trouvai l'armée, tant des Européens que des Cipayes, mutinée, désertant chez l'ennemi et désobéissant à tout ordre. Je pris la ferme résolution de dompter en elle cette mutinerie avant d'entreprendre de dompter l'ennemi. En conséquence, je me fis accompagner d'un détachement des troupes du Roi et des Européens de la Compagnie, je pris quatre pièces d'artillerie et j'allai de Patna à Chippera. Le jour même que j'y arrivai un détachement de cipayes me quitta pour passer à l'ennemi. Je détachai aussitôt une centaine d'Européens et un bataillon de cipayes pour me les ramener. Ce détachement les rejoignit dans la nuit, les trouva endormis, les fit prisonniers et les ramena à Chippera, où j'étais prêt à les recevoir. A l'instant j'ordonnai aux officiers de me choisir cinquante hommes des plus mutins et de ceux qu'ils croyaient avoir engagé le bataillon à déserter. Quand ils me les eurent présentés, je leur ordonnai de me choisir vingt-quatre hommes des plus mauvais sujets sur ces cinquante, et, sur-le-champ, je fis tenir un conseil de guerre par leurs officiers noirs et leur enjoignis de m'apporter sur l'heure même leur sentence. Ce conseil de guerre les reconnut coupables de mutinerie et de désertion, les condamna à mort et me laissa le maître de décider du genre de supplice.
«J'ordonnai aussitôt que quatre des vingt-quatre hommes fussent attachés à des canons, et aux officiers d'artillerie de se préparer à les faire sauter en l'air. Il se passa alors quelque chose de remarquable: quatre grenadiers représentèrent que comme ils avaient toujours eu les postes d'honneur, ils croyaient avoir le droit de mourir les premiers. Quatre hommes du bataillon furent donc détachés des canons et on y attacha les quatre grenadiers qui furent emportés avec les boulets. Sur quoi les officiers européens qui étaient alors sur le lieu vinrent me dire que les cipayes ne voulaient pas souffrir qu'on fît mourir de cette manière aucun des autres coupables.
«A l'instant j'ordonnai que seize autres hommes des vingt-quatre fussent attachés par force aux canons et sautassent en l'air comme les premiers, ce qui fut fait. Je voulus ensuite que les quatre restants fussent conduits à un quartier où quelque temps auparavant il y avait eu une désertion de cipayes, avec des ordres positifs à l'officier commandant de ce quartier de les faire exécuter de la même manière. Ce qui eut lieu et mit fin à la mutinerie et à la désertion.»
On sait que ce mode d'exécution, dû à l'esprit inventif du chevalier Munro, est encore en honneur dans l'armée anglaise de l'Inde, et qu'il fut pratiqué contre les cipayes prisonniers dans la révolte de 1854. Voir aussi le Message du Président Madison, nov. 4, 1812, au Congrès des États-Unis.
Dumas, en signalant ce dépit des officiers anglais, qu'il était bien à même de remarquer, puisqu'il dirigeait la colonne prisonnière, raconte que le colonel Abercromby, des gardes anglaises, au moment où sa troupe mettait bas les armes, s'éloigna rapidement, se couvrant le visage et mordant son épée.
On se traita de part et d'autre avec la plus grande courtoisie, on se rendit des visites. Mais au milieu de ces démonstrations de politesse perçait, du côté des vaincus, un sentiment d'amertume qui se traduisait en paroles satiriques ou dédaigneuses pour les Américains, auxquels les Anglais ne voulaient pas reconnaître qu'ils avaient été obligés de se rendre. Ainsi les généraux Washington, Rochambeau et La Fayette, envoyèrent chacun un aide de camp complimenter lord Cornwallis, qui retint celui de La Fayette, le major Washington, parent du général. Il lui dit qu'il mettait du prix à ce que le général contre lequel il avait fait cette campagne fût persuadé qu'il ne s'était rendu que par l'impossibilité de se défendre plus longtemps 214.
Note 214: (retour) Lord Cornwallis donna à dîner le 21 au duc de Lauzun, qui, revenant de Glocester, passait au parc; ce général était assez gai et on le trouva fort aimable. Le lendemain, le vicomte de Damas alla l'inviter à dîner de la part de M. de Rochambeau. Ce jour-là il parut plus triste que de coutume. Il n'avait rien à se reprocher, mais se plaignait de Clinton.
Le même général O'Hara: qui voulait rendre son épée à M. de Rochambeau plutôt qu'au général Washington, se trouvant un jour à la table des généraux français, fit semblant de ne pas vouloir être entendu de M. de La Fayette et dit qu'il s'estimait heureux de n'avoir pas été pris par les Américains seuls: «C'est apparemment, lui répliqua aussitôt La Fayette, que le général O'Hara n'aime pas les répétitions.» Il lui rappelait ainsi que les Américains seuls l'avaient déjà fait prisonnier une première fois avec Burgoyne. Les Français seuls le firent prisonnier quelques années après, pour la troisième fois, à Toulon.
La garnison prisonnière se montait à 6,198 hommes, plus 1,800 matelots et 68 hommes pris pendant le siège. Mais il y en avait 4,873 dans les hôpitaux d'York. Ces troupes étaient composées du 1er bataillon des gardes du roi d'Angleterre, des 17e, 23e 33e et 48e régiments d'infanterie, des 71e, 76e et 80e régiments des montagnards écossais, des régiments hessois du prince héréditaire et de Boos, et des régiments allemands d'Anspach et de Bayreuth, de la light infantry de la British légion et des queen's rangers 215.
Note 215: (retour) Les troupes d'Anspach, deux jours après la capitulation, offrirent, officiers et soldats, au duc de Lauzun de servir dans sa légion. M. de Lauzun leur répondit qu'ils appartenaient aux Américains et qu'il ne pouvait les prendre au service du roi de France sans l'agrément du roi et du Congrès.
On trouva en outre 214 bouches à feu de tous calibres, 7,320 petites armes, 22 drapeaux, 457 chevaux. Les Anglais perdirent aussi 64 bâtiments dont ils coulèrent une vingtaine. Mais les 40 qui restaient étaient en bon état, 5 étaient armés, et la frégate la Guadeloupe de 24 canons qui avait été coulée put être relevée.
Les Français avaient eu pendant le siège 253 hommes tués ou blessés, parmi lesquels 18 officiers. Un seul de ceux-ci avait été tué le dernier jour du siège, c'était M. de Bellanger, lieutenant d'artillerie.
Quoique les troupes françaises fussent traitées sous tous les rapports comme des auxiliaires et que, comme nous l'avons vu, les généraux français eussent toujours reconnu la suprématie des généraux américains, ceux-ci s'empressèrent de leur accorder la préférence pour la nourriture et pour tous les soins qui dépendaient d'eux. C'est ainsi que quand les troupes du marquis de Saint-Simon joignirent celles de La Fayette, le jeune général prit sur lui d'ordonner que l'on ne délivrât de farines aux troupes américaines que lorsque les Français auraient reçu des provisions pour trois jours. Aussi les Américains n'avaient-ils presque jamais que de la farine de maïs. Il fit prendre les chevaux des gentlemen du pays pour monter les hussards français, et les officiers supérieurs eux-mêmes cédèrent leurs propres chevaux dans le même but. Cependant il ne s'éleva pas la moindre plainte au su et de ces préférences que les soldats américains reconnaissaient devoir être accordées à des étrangers qui venaient de loin combattre pour leur cause.
Le général Nelson, gouverneur de la Virginie, fît preuve pendant cette campagne d'un dévouement, d'un courage, d'une abnégation et d'un respect pour les lois qui sont restés célèbres et que je ne puis passer sous silence. Il déploya une bravoure et un zèle peu communs, à la tête de ses milices. Il les paya de ses deniers en hypothéquant ses propriétés. En outre, après avoir fait camper l'armée alliée au milieu de ses récoltes et après avoir dirigé le tir de l'artillerie sur les maisons d'York dont les plus belles, derrière les ouvrages de l'ennemi, appartenaient à lui et à sa famille, il ne prétendit à aucun dédommagement pour les pertes qu'il avait éprouvées. Bien plus, comme il avait besoin de quelques moyens de transport pour faire arriver plus promptement les vivres et l'artillerie de siège, il mit en réquisition quelques voitures et quelques chevaux du pays, mais ce furent ceux de ses fermiers et ses plus beaux attelages personnels qu'il prit tout d'abord. On lui fit pourtant un crime de cet acte, que l'on qualifiait d'arbitraire, et il fut cité devant l'Assemblée législative. Il n'hésita pas à se démettre de ses fonctions de gouverneur pour venir se disculper devant ses concitoyens, et tout en rendant compte de sa conduite, il put justement défier qui que ce fût d'avoir plus contribué que lui, de ses biens et de sa fortune, au succès de cette importante campagne. Il fut acquitté avec éloges; mais il ne voulut pas reprendre son gouvernement, qu'il laissa à M. Harrison. L'amitié de Washington et les témoignages d'estime que de Rochambeau vint lui donner dans sa retraite durent le consoler un peu de l'ingratitude de ses concitoyens.
XXIII
Aussitôt que la capitulation fut signée, M. de Rochambeau fit venir auprès de lui M. de Lauzun et lui dit qu'il le destinait à porter cette grande nouvelle en France. Lauzun s'en défendit et lui conseilla d'envoyer de préférence M. de Charlus, qui y trouverait l'occasion de rentrer dans les bonnes grâces du duc de Castries, son père. Mais M. de Rochambeau lui répliqua que, puisqu'il avait commandé la première affaire, c'était à lui à porter le premier la nouvelle du succès, et que le comte Guillaume de Deux-Ponts ayant engagé la seconde action partirait sur une autre frégate pour porter les détails. M. de Lauzun dit dans ses mémoires que de Charlus ne pardonna jamais à M. de Rochambeau ni à lui-même de n'avoir pas été chargé de cette commission. Pourtant ce dernier partit aussi peu de jours après avec Guillaume de Deux-Ponts.
MAISON DU GOUVERNEUR NELSON A YORKTOWN
Lauzun s'embarqua le 24, sur la frégate la Surveillante, et parvint à Brest après vingt-deux jours de traversée. En même temps, le général Washington dépêchait son aide de camp, Tightman, au Congrès. La nouvelle de la prise d'York, qui se répandit aussitôt dans Philadelphie, y causa une joie inexprimable 216. Le Congrès se rassembla le 29 et prit une résolution pour faire ériger une colonne de marbre à York, ornée d'emblèmes rappelant l'alliance entre les États-Unis et la France avec un récit succinct de la reddition de l'armée et de lord Cornwallis aux généraux Washington, Rochambeau et de Grasse 217. Il décida également qu'il offrirait deux drapeaux au général Washington et quatre pièces de canon anglaises au comte de Rochambeau et au comte de Grasse, avec une inscription qui leur marquât la reconnaissance du Congrès des États-Unis pour la part glorieuse qu'ils avaient prise à cette brillante expédition 218.
Note 216: (retour) «Plusieurs particuliers témoignèrent leur satisfaction par des illuminations (Cr. du Bourg), et cet événement a fourni matière aux gazetiers de se distinguer, chose que les Américains ne négligent pas plus que les Anglais. Trop heureux quand leurs papiers publics ne sont pas remplis de faussetés.» Nous pouvons conclure de ce passage que les canards ne sont pas d'invention récente.
Le 26, le comte Guillaume de Deux-Ponts, chargé des détails du siège et de la capitulation que lui avait donnés par écrit M. de Rochambeau ainsi que du rapport qu'il avait été chercher auprès du comte de Grasse à bord de la Ville *de Paris, s'embarqua sur l'Andromaque, capitaine M, de Ravenel, avec MM. de Damas, de Laval et de Charlus, qui avaient obtenu l'autorisation de revenir en France. Les vents furent contraires jusqu'au 27 après midi. Vers deux heures on appareilla. L'Andromaque avait passé les bancs de Middle-Ground, elle se trouvait à la hauteur du cap Henry, lorsque des signaux faits par la Concorde, en répétition de ceux de l'Hermione qui croisait entre les caps Charles et Henry, annoncèrent la présence d'une flotte anglaise. Elle était forte de vingt-sept vaisseaux et avait à bord le prince William-Henry, avec un corps de troupes de six mille hommes, venu de New-York, aux ordres du général Clinton.
L'Andromaque fut obligée de rentrer dans le James-River et d'attendre jusqu'au 1er novembre, sous la protection de l'escadre française, que la flotte anglaise eût tout à fait disparu. Elle put enfin sortir ce même jour, vers onze heures, sous la protection de l'Hermione, qui l'escorta jusqu'à la nuit. Le 20 novembre, l'Andromaque abordait à Brest sans avoir couru aucun danger sérieux, et, le 24, le comte de Deux-Ponts s'acquittait à la cour de la commission dont il était chargé.
Le roi accueillit avec la plus grande satisfaction MM. de Lauzun et de Deux-Ponts, et leur fit les plus belles promesses pour l'armée expéditionnaire et pour eux-mêmes; mais son premier ministre M. de Maurepas mourut sur ces entrefaites, et MM. de Castries et de Ségur en profitèrent pour ne pas tenir les promesses royales à l'égard de Lauzun et pour n'accorder de grâces ni à lui-même, ni aux officiers de son corps qui s'étaient le plus brillamment conduits. M. de Castries enleva même à ce colonel les quatre cents hommes de sa légion qui étaient restés à Brest pour les envoyer au Sénégal tenir garnison jusqu'à la fin de la guerre dans un pays célèbre par son insalubrité.
Tandis que la nouvelle de la capitulation d'York était à Versailles l'occasion de nouvelles fêtes, à Londres elle déterminait la chute du ministère North. On sentit, comme dans toute l'Europe, que cet échec avait décidé du sort de la querelle entre l'Angleterre et les États-Unis, et il ne fut plus question dès lors que de reconnaître l'indépendance de ces derniers à des conditions avantageuses pour la Grande-Bretagne. Le général Washington et La Fayette auraient voulu profiter de la supériorité des forces du comte de Grasse pour attaquer Charleston et ce qui restait d'Anglais dans les États du Sud. La Fayette devait prendre son infanterie légère, les grenadiers et les chasseurs français, ainsi que le corps de Saint-Simon, et aller débarquer du côté de Charleston, pour coopérer avec le général Green, qui tenait dans la Caroline. On dit même que lord Cornwallis, instruit de ce projet et voyant La Fayette monter sur un canot pour se rendre à la flotte du comte de Grasse, dit à quelques officiers anglais: «I1 va décider de la perte de Charleston.» Il manifesta la même crainte quand il vit revenir La Fayette à York. Mais le comte de Grasse se refusa obstinément à toute opération nouvelle sur les côtes de l'Amérique septentrionale. Il voulait retourner, comme ses instructions le lui recommandaient du reste, à la défense des Antilles.
Lorsque le général Clinton eut appris la prise d'York, il se retira avec la flotte, se contenta de jeter trois régiments dans Charleston et rentra à New-York. Mais sa présence donna lieu de soupçonner à M. de Rochambeau que les Anglais pourraient tenter de débarquer en dehors de la baie, entre le cap Henry et le grand marais appelé Dismal-Swamp, pour se jeter dans Portsmouth, sur la rivière d'Elisabeth. Ce poste, où s'était d'abord réfugié Arnold, avait été bien retranché, et lord Cornwallis, qui l'avait occupé avant de lui préférer Yorktown, en avait étendu et perfectionné les fortifications. L'adjudant général Dumas fut chargé de détruire ces ouvrages le plus rapidement possible; on mit sous ses ordres, dans ce but, un bataillon de milices américaines. Dumas trouva ces retranchements dans un très bon état. Il profita d'un vent d'ouest très violent pour incendier les fascinages, les palissades et les abatis; mais il fut obligé d'employer ensuite plus de huit jours, avec l'aide de tous les miliciens et de tous les ouvriers qu'il put rassembler, pour en achever la destruction complète Le comte de Grasse, aussitôt après la capitulation, avait fait ses préparatifs de départ. Pendant les journées des 1 et 3 novembre, il fit embarquer sur ses vaisseaux les soldats de Saint-Simon, prit des approvisionnements et le 4 il fit voile pour les Antilles, ne laissant dans la baie de Chesapeak qu'une petite escadre composée du Romulus, aux ordres de M. de La Villebrune, et de trois frégates; Le même jour, les bâtiments promis aux Anglais pour les transporter à New-York ou en Angleterre furent mis à leur disposition. Lord Cornwallis s'embarqua pour New-York. Les premiers succès de ce général avaient fait espérer aux Anglais qu'il allait devenir le conquérant des colonies révoltées et leur punisseur 219. Lui-même avait longtemps compté sur le succès.
Note 219: (retour) Vieux mot dont Corneille, qui en sentait la valeur, s'est servi pour la dernière fois et qui mérite d'être réhabilité.
Pendant toute la campagne de 1781, il ne cessait d'écrire à son gouvernement qu'il avait définitivement conquis les Carolines; et comme cette conquête était toujours à refaire, on assimila plaisamment en Angleterre le succès de ce général à la capture qu'avait faite un soldat écossais d'un milicien américain. Il écrit à son capitaine: J'ai fait un prisonnier.—Eh bien! il faut l'amener.—Mais il ne veut pas.—Reviens toi-même alors.—Mais c'est qu'il ne veut pas me laisser aller.
Pourtant Cornwallis ne garda pas trop longtemps ses illusions. Six mois avant la chute d'York, comme on lui avait offert le titre de marquis, voici ce qu'il écrivit au lord Germaine: «Je vous supplie de faire mes plus humbles remerciements à Sa Majesté pour ses bonnes intentions et de lui représenter en même temps tous les dangers de ma position. Avec le peu de troupes que j'ai, trois victoires de plus achèveront de me ruiner si le renfort que je demande n'arrive pas. Jusqu'à ce que j'en aie reçu un qui me donne quelque espoir de terminer heureusement mon expédition, je vous prie de ne me parler ni d'honneurs ni de récompenses.»
XXIV
Les troupes se dispersèrent pour aller prendre leurs quartiers d'hiver. Le 6 novembre, la milice de Virginie quitta son camp pour se porter dans le Sud, sous les ordres du général Green. Le 6, en même temps que Dumas détruisait les fortifications de Portsmouth, les ingénieurs faisaient détruire les parallèles tracées par les alliés devant York, et rétablissaient les défenses extérieures de la place en les rapprochant de son enceinte continue.
Le général Washington, qui avait fait partir dans le Sud les milices de la Virginie, détacha encore de son armée le général La Fayette avec les troupes de Maryland et de Pensylvanie pour aller aussi renforcer l'armée du général Green. Il s'embarqua lui-même à York et ramena tout le reste des troupes américaines à Head-of-Elk, pour se diriger de là vers la rivière Hudson.
Le baron de Vioménil obtint de retourner en France, où des affaires personnelles exigeaient sa présence. Son frère, le vicomte de Vioménil, le remplaça dans son commandement.
Du 15 au 18, les Français entrèrent dans leurs quartiers d'hiver et prirent les positions suivantes:
La légion de Lauzun, commandée par M. de Choisy, à Hampton.
Le régiment de Soissonnais à York, avec les grenadiers et chasseurs de Saintonge; le régiment de Saintonge entre York et Hampton, à Half-Way-House; une compagnie d'artillerie et un détachement de cinquante hommes à Glocester; le tout commandé par le vicomte de Vioménil.
Le quartier général de M. de Rochambeau, où se trouvait aussi M. de Chastellux, était à Williamsbourg. Le régiment complet de Bourbonnais et celui de Deux-Ponts y avaient aussi leurs cantonnements.
Trois compagnies de Deux-Ponts furent détachées à James Town sous les ordres d'un capitaine, et l'artillerie de siège fut placée à West-Point, en Virginie, sous le commandement d'un officier de cette arme.
De cette position intermédiaire entre l'armée du Nord et celle du Sud, M. de Rochambeau était en mesure de porter du secours aux provinces qui seraient le plus menacées par l'ennemi. Mais le coup décisif était frappé, puisqu'il ne restait plus aux Anglais que la ville de New-York et les places de Savannah et de Charleston.
Pendant que La Fayette accourait à marches forcées pour se joindre à l'armée de Green, celui-ci, craignant que le renfort arrivé à Charleston et celui de quatre mille hommes qu'on y attendait d'Irlande ne missent les Anglais en état de reprendre l'offensive, sollicita vivement de M. de Rochambeau de lui envoyer un fort détachement de troupes françaises. Mais le général français, estimant que le général Green se laissait influencer par les faux bruits que l'ennemi faisait répandre, ne changea rien à ses dispositions. Il laissa son infanterie dans ses quartiers d'hiver et se borna à étendre ceux de la légion de Lauzun, commandée par M. de Choisy, jusqu'aux frontières de la Caroline du Nord. Il chargea cependant l'adjudant général Dumas de pousser des reconnaissances bien au delà et de préparer des ouvertures de marche dans le cas où des circonstances qu'il ne prévoyait pas exigeraient qu'il fît avancer une partie de son armée. Dumas resta occupé de ces fonctions pendant tout l'hiver, ne revenant à Williamsbourg que rarement, pour rendre compte au général de ses opérations et pour soigner son ami Charles de Lameth, toujours très-souffrant de ses blessures, et qui retourna en France aussitôt qu'il fut en état de supporter la mer.
La Fayette partit aussi de Boston pour la France, sur l'Alliance, le 23 décembre 1781. Il arriva en vingt-trois jours dans sa patrie, où il se consacra encore au service de la cause des Américains, en y employant la faveur dont il jouissait à la cour et les sympathies que sa conduite lui avait acquises dans l'opinion publique.
XXV
Il y eut ainsi comme un armistice sur le continent pendant cet hiver. On apprenait pourtant par des frégates venues de France 220 que l'on y préparait un grand convoi et des renforts pour les Antilles, afin de mettre le comte de Grasse en état de soutenir la lutte contre la flotte anglaise, sous les ordres de l'amiral Rodney. Déjà dans la seconde moitié de janvier on avait appris la prise de Saint-Eustache et de Saint-Christophe par M. de Bouillé, et celle de l'île Minorque par M. de Crillon. Mais les faveurs de la fortune allaient avoir un terme fatal pour M. de Grasse. Le grand convoi parti de France sous l'escorte de M. de Guichen fut dispersé par la tempête. Les Anglais réunirent toutes leurs forces navales aux îles du Vent, et le comte de Grasse, malgré l'infériorité de sa flotte, se hasarda de mettre à la voile pour convoyer les troupes de M. de Bouillé qui devaient se réunir, à Saint-Domingue, à celles que commandait le général espagnol don Galvez. L'amiral Rodney, manoeuvrant pour couper la flotte française de son convoi, ne put atteindre que le vaisseau le Zélé, le plus mauvais marcheur de l'arrière garde. Le comte de Grasse voulut le sauver et engagea son avant-garde sous le commandement de M. de Vaudreuil. Les Français eurent l'avantage dans ce premier combat, livré le 9 avril 1782. L'amiral Rodney les suivit, et, ayant gagné le vent, engagea le 12 une action générale dont le résultat fut désastreux pour la flotte française. Le vaisseau amiral la Ville de Paris et six autres furent désemparés et pris après la plus glorieuse résistance. M. de Grasse n'obtint sa liberté qu'à la paix. Le pont de son vaisseau avait été complètement rasé par les boulets ennemis, et l'amiral avec deux officiers restaient seuls debout et sans blessure quand il se rendit 221.
L'amiral Rodney ne put garder aucun des quatre vaisseaux dont il s'était emparé, parce qu'ils étaient trop endommagés.
En outre, le César prit feu et périt avec environ quatre cents Anglais qui en avaient pris possession.
Quand cette nouvelle parvint aux États-Unis, le Congrès venait précisément de recevoir du général Carleton, qui avait remplacé Clinton dans le commandement de l'armée anglaise, la proposition du gouvernement anglais de reconnaître sans restriction l'indépendance des Etats-Unis, sous la condition de renoncer à l'alliance avec la France. Le Congrès ne se laissa pas influencer par la nouvelle du désastre éprouvé par les Français dans les eaux des Antilles. Il ne montra que de l'indignation et refusa d'admettre le négociateur qui en était chargé. Les États déclarèrent unanimement qu'ils considéreraient comme haute trahison toute proposition tendant à faire une paix séparée. Ces ouvertures, ainsi que l'armistice qui fut à la même époque demandé par le commandant de Charleston et refusé par le général Green, prouvaient assez que, malgré leur dernier succès dans les Antilles, les Anglais renonçaient enfin à soumettre leurs anciennes colonies. Les Américains désiraient certainement la paix, mais ils montrèrent la plus grande fermeté et ils prouvèrent leur reconnaissance envers la France en se disposant à de nouveaux sacrifices afin d'obtenir cette paix à des conditions aussi honorables pour les alliés que pour eux-mêmes. De son côté le gouvernement français ne discontinuait d'envoyer des secours autant que le lui permettait le mauvais état de ses finances. Deux frégates, la Gloire et l'Aigle, sous le commandement de M. de La Touche-Tréville, furent expédiées de Brest, le 19 mai 1782. Je reviendrai bientôt sur la traversée de ces deux frégates qui portaient en Amérique, outre des secours en argent, la fleur de la noblesse française. 222
Je reviens aux mouvements que dut exécuter l'armée française après les récents événements des Antilles.
Après le combat du 12 avril, où le comte de Grasse fut fait prisonnier, le marquis de Vaudreuil, qui avait pris le commandement de la flotte, reçut l'ordre de venir à Boston pour y réparer son escadre. Sur l'avis qu'il en donna au ministre français, M. de la Luzerne, M. de Rochambeau sentit la nécessité de se rapprocher avec son armée des provinces du Nord. Les chaleurs excessives du climat de la Virginie avaient causé beaucoup de maladies.
D'ailleurs les préparatifs que faisaient les Anglais pour évacuer Charleston rendaient superflu un plus long séjour des troupes françaises dans les États du Sud. M. de Rochambeau apprenait en même temps qu'il se préparait à New-York un embarquement de troupes destinées à aller attaquer quelques-unes des colonies françaises. Il se détermina donc à mettre ses troupes en mouvement pour les rapprocher de New York et à demander au général Washington une entrevue à Philadelphie. Cette conférence eut lieu, et il y fut décidé que les deux armées reprendraient leurs anciennes positions sur la rivière d'Hudson et s'approcheraient le plus possible de New-York pour menacer cette place et l'empêcher d'envoyer aucun détachement au dehors.
XXVI
Aussitôt commença le mouvement rétrograde de l'armée française. Il s'opéra lentement, le soldat marchant la nuit et se reposant le jour. Rochambeau avait pris les devants pour conférer avec Washington, et il avait laissé au chevalier de Chastellux et au comte de Vioménil le soin de conduire les troupes d'après les sages instructions qu'il leur avait données. On accorda aux troupes un mois de repos à Baltimore, d'où elles partirent par bataillons pour éviter l'encombrement au passage de la Susquehanna, que Dumas fut encore chargé de surveiller 223.
Note 223: (retour) L'armée mit près d'un mois à se rendre de Williamsbourg à Baltimore, bien que la distance de ces deux villes ne soit que de 226 milles. L'avant-garde partit le 1er juillet et arriva le 24, tandis que l'arrière-garde, comprenant les équipages et l'ambulance, ne parvint à Baltimore que le 27. Celle-ci s'était mise en mouvement dès le 28 juin. D'ailleurs on reprit la route que l'on avait suivie l'année précédente. Les principales stations furent encore: Drinkingspring, Birdstavern, Newcastle, Port-Roval, Hanovertown, Brunk'sbridge, Bowlingreen, Fredericksburg, Stratford, Dumfries, Colchester, Alexandrie, Georgetown, Bladensburg, Brimburg, Elkridge. (Voir la carte jointe à cet ouvrage et le Journal de Blanchard.)
Les généraux réunis à Philadelphie apprirent à cette époque que Savannah avait été évacuée, et que la garnison avait été en partie laissée à Charleston et en partie transportée à New-York. Le général Carleton, qui avait toujours le projet d'évacuer New-York pour se porter sur quelque point des Antilles, fit répandre la nouvelle de la reconnaissance de l'indépendance américaine par les deux chambres du Parlement et tenta de nouveau par cette manoeuvre de diviser les alliés et de négocier avec le Congrès seul. Il n'eut pas plus de succès que précédemment, et M. de Rochambeau accéléra la marche de ses troupes. Elles traversèrent Philadelphie, puis la Delaware et les Jerseys. La cavalerie de la légion de Lauzun, commandée par le comte Robert Dillon, éclairait le flanc droit sur le revers des hauteurs que l'armée côtoyait. Elle traversa ensuite l'Hudson à Kingsferry, comme à l'ouverture de la campagne précédente; et la jonction des deux armées s'opéra sur ce point. Les Français défilèrent entre deux haies de l'armée américaine, qui était en grande tenue pour la première fois depuis son organisation. Ses armes venaient en partie de France et les uniformes des magasins d'York. Cette journée fut une vraie fête de famille.
L'armée américaine resta campée à Kingsferry ayant une arrière-garde à l'embouchure du Croton dans la rivière d'Hudson. L'armée française prit, en avant de Crampond, une forte position dans la montagne. Le corps de Lauzun était en avant-garde sur la hauteur qui borde le Croton, et dans cette position les deux armées pouvaient, en une seule journée de marche, se porter sur New-York et sur Staten-Island.
XXVII
J'ai dit que le gouvernement français projetait d'envoyer de nouveaux secours en Amérique. Dès les premiers jours d'avril 1782, il avait en effet réuni dans le port de Brest plusieurs frégates et un convoi nombreux de vaisseaux marchands et de bâtiments de transport, ainsi que deux bataillons de recrues destinées à renforcer l'armée de Rochambeau. M. le comte de Ségur, fils du ministre de la guerre, qui avait obtenu la place de colonel en second de Soissonnais à la place de M. de Noailles, reçut l'ordre d'en prendre le commandement, de les inspecter et de les instruire jusqu'au moment du départ. Mais une escadre anglaise, informée de ces préparatifs et favorisée par les vents, qui étaient contraires aux Français, vint croiser devant la rade, de sorte que le départ dut être différé de six semaines et qu'au bout de ce temps la frégate la Gloire reçut l'ordre de partir seule, emportant une somme de deux millions destinée à l'armée de Rochambeau, et un grand nombre d'officiers au nombre desquels se trouvaient: le duc de Lauzun, le comte de Ségur, le prince de Broglie, fils du maréchal; M. de Montesquieu, le petit-fils de l'auteur de l'Esprit des lois; de Vioménil fils, de Laval, le comte de Loménie, de Sheldon, officier d'origine anglaise; un gentilhomme polonais, Polleresky; un aide de camp du roi de Suède, M. de Ligliorn; le chevalier Alexandre de Lameth, qui allait prendre la place de son frère Charles; le vicomte de Vaudreuil, fils du capitaine de vaisseau de ce nom; en outre, MM. de Brentano, de Ricci, de Montmort, de Tisseul et d'autres.
Cette frégate de trente-deux canons de douze était commandée par M. de Valongne, vieux marin qui malgré son mérite n'était encore que lieutenant de vaisseau. Elle mit à la voile le 19 mai 1782, par une brise assez fraîche pour que l'on pût espérer d'échapper à la vigilance de la flotte anglaise; mais à peine était-elle à trois lieues en mer qu'une tempête violente la jeta vers la côte. L'arrivée des vingt-deux croiseurs anglais l'obligea à suivre longtemps encore ces parages dangereux. Lorsque le calme revint, un mât de la Gloire était cassé; elle dut rentrer dans la Loire et relâcher à Paimboeuf pour se réparer. Jusqu'au 15 juillet, elle resta ainsi sur les côtes de France, recevant tantôt l'ordre de mettre à la voile, tantôt l'injonction d'attendre, et se promenant de Brest à Nantes, de Nantes à Lorient, puis de Lorient à Rochefort. Dans ce dernier port, elle rencontra l'Aigle, autre frégate plus forte, de quarante canons de vingt-quatre, qui devait se rendre en Amérique de conserve avec la Gloire. Elle était commandée par M. de La Touche, homme brave et instruit qui avait le défaut d'être trop récemment entré dans la marine et de devoir son rapide avancement à l'appui de nombreux amis et en particulier du duc d'Orléans. Comme il était capitaine de vaisseau, il eut aussitôt le pas sur M. de Valongne, qui ne se soumit pas sans murmurer de se voir ainsi contraint de servir sous un officier moins ancien que lui. Les passagers de l'Aigle n'étaient pas de moindre condition que ceux de la Gloire: c'était M. le baron de Vioménil, qui allait reprendre son commandement avec le titre de maréchal de camp; MM. de Vauban, de Melfort, Bozon de Talleyrand, de Champcenetz, de Fleury, de Laval, de Chabannes, et d'autres.
M. de La Touche était sans doute trop peu habitué à la sévérité des règlements de la marine pour les accepter dans toute leur rigueur. Une femme dont il était violemment épris l'avait suivi de Paris à la Rochelle, et comme il ne devait pas l'embarquer sur sa frégate, il eut la singulière idée de la mettre sur un bâtiment marchand et de faire remorquer celui-ci par l'Aigle. La marche des frégates en fut nécessairement beaucoup retardée. Leur sûreté même fut compromise; mais heureusement cette manière de concilier l'amour et le devoir ne fut fatale qu'à ceux qui l'avaient imaginée.
On mit trois semaines à arriver aux Açores, et comme il y avait des malades à bord et qu'on manquait d'eau, M. de La Touche prit la résolution de relâcher dans quelque port de ce petit archipel. Le vent s'opposa à ce que les frégates entrassent dans le port de Fayal. Comme celui de Terceyre n'était pas sûr, on dut se résigner à les faire croiser devant l'île pendant qu'on allait chercher sur des embarcations les approvisionnements nécessaires. Les jeunes et brillants passagers des deux frégates descendirent à terre et visitèrent pendant les quelques jours qu'ils y restèrent tout ce que ces îles fortunées pouvaient contenir de personnages ou de choses curieuses. Je ne redirai pas les réceptions qui leur furent faites par le consul de France et par le gouverneur portugais. Je ne parlerai pas davantage de ce singulier agent, à la fois consul de deux nations ennemies, l'Angleterre et l'Espagne, familier de l'inquisition et danseur de fandango; et je ne citerai que pour qu'on en retrouve les détails dans les mémoires déjà cités 224, les entrevues galantes que son hôte ménagea aux officiers français dans un couvent de jeunes Portugaises, sous les yeux de leur abbesse Complaisante.
La troupe joyeuse serait encore restée bien longtemps dans ce séjour qui semblait enchanteur, si le devoir ne l'avait appelée ailleurs. M. de La Touche remit à la voile le 5 août et se dirigea d'abord vers le nord-ouest pour prendre connaissance des dépêches qu'il ne devait ouvrir qu'à cette hauteur, avant de continuer sa route. Or ces dépêches lui enjoignaient de faire la plus grande diligence, d'éviter tout combat, et de remettre avec la plus grande célérité possible au comte de Rochambeau et au marquis de Vaudreuil le plan d'une nouvelle campagne. Il se repentit, mais trop tard, du temps qu'il avait perdu, laissa aller le vaisseau marchand par la voie ordinaire, et voulut prendre au plus court en dirigeant les frégates directement vers l'ouest. Il se trompait dans ses prévisions, car des calmes fréquents lui firent perdre plus de quinze jours, en sorte que le vaisseau marchand qu'il avait laissé aller seul, et qui était poussé par les vents alises, arriva en même temps que lui à l'entrée de la Delaware.
Les deux frégates se trouvaient du 4 au 5 septembre à la hauteur des Bermudes, lorsqu'on signala un homme à la mer. C'était un matelot de l'Aigle, que l'on parvint à sauver en allumant des fanaux et en lançant un canot à la mer. On éteignit aussitôt les feux, comme on le faisait toujours dans a nuit. Mais cet instant avait suffi pour appeler sur les frégates l'attention d'un vaisseau anglais, qui commença immédiatement l'attaque. C'était l'Hector, de soixante-quatorze canons, récemment pris sur le comte de Grasse, et qui emmenait un convoi de prisonniers français. La Gloire supporta seule pendant trois quarts d'heure le feu de l'ennemi et lui résista héroïquement,* puis l'Aigle vint à son tour soutenir la lutte jusqu'au jour. Malgré la supériorité de son armement, le vaisseau anglais aurait été pris si l'on n'avait aperçu au loin une flotte nombreuse dont on redoutait les atteintes. On apprit plus tard que l'Hector avait été tellement maltraité qu'il avait coulé à trois cents lieues de la côte. Un bâtiment américain qui se trouva dans ces parages sauva le capitaine et une partie de l'équipage.
Cette brillante affaire valut les plus grands éloges à M. de La Touche, et à M. de Valongne le grade de capitaine de vaisseau.
La perte des deux frégates était d'environ trente ou quarante tués et cent blessés. La Gloire était aussi fort endommagée et faisait eau de toutes parts. On parvint pourtant à réparer assez bien ses avaries. La terre n'était pas éloignée. On l'aperçut le 11 septembre. Le 12, on reconnut l'entrée de la Delaware, et l'on se préparait à mouiller contre le cap May lorsque le vent contraire s'y opposa. Au même moment, une corvette anglaise vint se placer étourdiment entre les deux frégates françaises, qu'elle croyait de sa nation. Elle fut prise après un échange de quelques coups de canon. Son amarinage, par la grosse mer qu'il faisait, prit un temps très-long. M. de La Touche fut forcé de mouiller le long de la côte pendant qu'il envoyait un canot chercher des pilotes pour entrer dans la Delaware. Le vent brisa ce canot contre la côte; l'officier 225 et deux matelots seulement purent se sauver à la nage. Je laisse pour le reste de ce récit la parole au prince de Broglie.
XXVIII
«Le lendemain, à la pointe du jour, une flottille anglaise, composée d'un vaisseau de soixante-quatre, d'un de cinquante, de deux frégates et de deux autres bâtiments légers, parut à deux portées de canon et au vent; elle était commandée par le capitaine Elphinston et portait sur un de ses vaisseaux le prince William-Henry. L'apparition d'une aussi nombreuse compagnie força M. de La Touche à appareiller au plus vite avec la Gloire et à pénétrer sans délai dans la Delaware, bien qu'il n'eût pas de pilote. La navigation est fort dangereuse dans ce fleuve, à cause des bancs de sable mouvant qui encombrent son lit; nous prîmes en outre le mauvais chenal; l'Aigle toucha deux fois, et la route que nous suivions parut si dangereuse à l'ennemi même qu'il prit le parti de mouiller à deux grandes portées de canon de nous. M. de La Touche en fit autant, et il nous arriva enfin des pilotes.
«Il se tint un conseil de guerre à bord de l'Aigle, dans lequel, vu l'extrême danger de la position, M. le baron de Vioménil prit le parti d'ordonner à tous les officiers passagers sur les deux frégates de s'embarquer sur-le-champ dans des canots et de le suivre à terre. Il ordonna en même temps que les chaloupes fussent employées à porter à terre les 2,500,000 livres dont les frégates étaient chargées. Le premier de ces ordres fut exécuté sans délai, et nous arrivâmes sur la côte d'Amérique le 13, environ à six heures du soir, sans valets, sans chemises, et avec l'équipage du monde le plus leste. Nous nous arrêtâmes d'abord chez un gentleman nommé Mandlau 226, qui nous donna à manger: après quoi M. de Vioménil, qui se décida à passer la nuit dans ce lieu, envoya tous les jeunes gens dans le pays, les uns pour faire rassembler quelque milice, les autres pour trouver des chariots et des boeufs ou des bateaux, afin de transporter le lendemain l'argent que les chaloupes devaient apporter pendant la nuit. Nous partîmes, le comte de Ségur, Lameth et moi, pour remplir cet objet, sous la conduite d'un nègre, et nous fîmes pendant la nuit environ douze milles à pied, pour arriver à une espèce d'auberge assez mal pourvue nommée Onthstavern, appartenant à un Américain nommé Pedikies. Je trouvai le moyen d'y rassembler trois chariots attelés de quatre boeufs, et le lendemain, à quatre heures du matin, je grimpai sur un cheval que l'on me donna à l'essai, pour amener mon convoi d'équipage au général.
«Je n'étais plus qu'à une lieue du bord de la mer, lorsque je rencontrai M. de Lauzun qui me dit que l'argent était arrivé à trois heures du matin et qu'on en avait déjà déposé sur la plage environ la moitié, lorsque deux chaloupes armées, qu'on soupçonnait pleines de réfugiés, avaient paru; qu'elles s'étaient avancées avec résolution vers le lieu où nos bâtiments chargés de nos richesses étaient mouillés: que M. de Vioménil, n'ayant avec lui que trois ou quatre fusiliers, ne s'était pas avec raison cru en état de défense; qu'il avait fait jeter à la mer environ douze cent mille livres qu'on n'avait pas encore eu le temps de débarquer, et que ce général, muni du reste du trésor, l'avait d'abord placé sur quelques chevaux, ensuite sur un chariot, et se sauvait avec vers Douvres; où lui, Lauzun, allait le devancer.
«Cette information m'engagea à changer de route; je résolus d'aller avertir mes compagnons de ce qui se passait; je payai les conducteurs de chariots, et je commençais à galoper de leur côté, lorsque j'entendis des cris dans le bois à côté de moi. J'arrêtai et je vis des matelots et deux ou trois valets qui, se croyant poursuivis par l'ennemi, fuyaient à pied de leur mieux. Ils s'étaient crus coupés en m'entendant galoper devant eux; je les rassurai et j'appris d'eux que M. le marquis de Laval, M. de Langeron, Bozon et quelques autres menaient aussi dans le bois une vie errante et inquiète. Je quittai ces effarouchés en croyant apercevoir un chariot que je pouvais imaginer être celui du baron de Vioménil... Je rejoignis enfin mes compagnons, auxquels j'appris la suite de mes aventures, et ils se décidèrent aussitôt à gagner Douvres, qui paraissait le rendez-vous.
«Nous partîmes de suite pour nous rendre à cette ville, qui est éloignée de dix-sept milles. J'avais pour tout équipage un portefeuille assez gros qui m'incommodait beaucoup à porter, lorsque je rencontrai un matelot de la Gloire qui, effrayé ainsi que les autres, s'était enfui et mourait de faim. Comme le besoin rend tendre, il se jeta à mes genoux ou plutôt à ceux de mon cheval pour me demander d'avoir soin de lui; je l'accueillis en bon prince; je lui donnai d'abord à manger, puis, considérant que j'étais absolument dénué de serviteur, je jugeai convenable de faire de ce malotru complètement goudronné le compagnon intime de mes infortunes. En conséquence, je louai un cheval pour mon écuyer; il s'amarra dessus de son mieux; je lui confiai mon portefeuille, et je commençai à me prévaloir, vis-à-vis de mes camarades, de l'avantage que mon nouveau confident me donnait sur eux.
«Nous étions à moitié chemin de Douvres, lorsque nous rencontrâmes un aide de camp de M. de Vioménil qui nous dit que ce général venait de recevoir avis que les ennemis et la marée s'étant retirés en même temps, il était possible d'essayer de repêcher les barriques d'argent qu'on avait jetées à la mer, et que le général retournait au lieu du débarquement pour présider à ce travail. L'aide de camp ajouta que M. de Vioménil nous chargeait de conduire à Douvres le premier convoi d'argent, qu'il abandonnait à nos soins. Ce convoi nous joignit quelques moments après. Il était d'environ quinze cent mille livres nous le fîmes répartir sur trois chariots expédiés par M. de Lauzun, et nous arrivâmes ainsi fort doucement mais très-sûrement à Douvres, où le général ne nous joignit qu'à onze heures du soir; il était parvenu à sauver le reste de ses millions.
«Nous séjournâmes ce jour-là à Douvres, petite ville assez jolie, qui compte environ quinze cents habitants. J'y fis mon entrée dans la société anglo-américaine sous les auspices de M. de Lauzun. Je ne savais encore dire que quelques mots anglais, mais je savais fort bien prendre du thé excellent avec de la meilleure crème; je savais dire à une demoiselle qu'elle était pretty et à un gentleman qu'il était sensible, ce qui signifie à la fois bon, honnête, aimable: au moyen de quoi j'avais les éléments nécessaires pour réussir.
«Nous ne savions pas encore ce qui était advenu de nos frégates; leur sort nous inquiétait, et je résolus d'aller en reconnaissance sur le bord de la mer avec ma lunette. En arrivant sur une espèce de morne, j'eus la douleur de voir l'Aigle rasée comme un ponton, échouée sur un banc et encore entourée d'embarcations anglaises, qui étaient venues pour l'amariner et la piller. La Gloire, plus heureuse et plus légère, avait touché mais s'était échappée. Je la revis trois jours après à Philadelphie 227, où M. de Vioménil me dépêcha pour porter des lettres à M. de Lauzun et avertir sur la route les commandants des milices provinciales de fournir des détachements pour l'escorte et pour la sûreté du convoi d'argent.
«Je marchai assez vivement pendant deux jours pour me rendre à Philadelphie. Il faisait fort chaud; mais la beauté des chemins, l'agrément du pays que je parcourais, la majesté imposante des forêts que je traversais, l'air d'abondance répandue de toutes parts, la blancheur et la gentillesse des femmes, tout contribuait à me dédommager par des sensations délicieuses des fatigues que j'éprouvais en trottant continûment sur un mauvais cheval. Enfin, le 13 août, j'arrivai à Philadelphie, cette capitale déjà célèbre d'un pays tout nouveau. M. de La Luzerne me mena prendre le thé chez Mme Morris, femme du contrôleur général des États-Unis. Sa maison est simple, mais régulière et propre; les portes et les tables, d'un bois d'acajou superbe et bien entretenu; les serrures et les chenets de cuivre, d'une propreté charmante; les tasses rangées avec symétrie; la maîtresse de la maison d'assez bonne mine et très-blanchement atournée; tout me parut charmant. Je pris du thé excellent, et j'en prendrais, je crois, encore, si l'ambassadeur 228 ne m'avait pas averti charitablement, à la douzième tasse, qu'il fallait mettre ma cuillère en travers sur ma tasse quand je voudrais que cette espèce de question d'eau chaude prît fin; «attendu, me dit-il, qu'il est presque aussi malhonnête de refuser une tasse de thé quand on vous la propose, qu'il serait indiscret au maître de la maison de vous en proposer de nouveau quand la cérémonie de la cuillère a marqué quelles sont vos intentions sur ce point.»
«M. Morris est un gros homme qui passe pour avoir beaucoup d'honnêteté et d'intelligence. Il est au moins certain qu'il a beaucoup de crédit et qu'il a eu l'adresse, en paraissant se mettre souvent en avance de ses propres fonds pour le service de la république, de faire une grande fortune et de gagner plusieurs millions depuis la révolution. M. Morris paraît avoir beaucoup de sens; il parle bien, autant que j'ai pu en juger, et sa grosse tête semble, comme celle de M. Guillaume 229, tout aussi bien faite qu'une autre pour gouverner un empire.
M. Lincoln, ministre de la guerre, est aussi fort bien nourri; il a fait preuve de courage, d'activité et de zèle en plusieurs circonstances de la guerre, et surtout devant York-Town. Son travail n'est pas immense, car tous les points importants sont décidés par le Congrès. Cependant M. Lincoln passe pour peu expéditif en fait d'écritures, et il m'a paru qu'on avait déjà songé à lui donner un successeur.
M. Livingston, ministre des affaires étrangères, est aussi maigre que les deux personnages ci-dessus sont étoffés. Il a trente-cinq ans; sa figure est fine et on lui accorde beaucoup d'esprit. Son département sera plus étendu et plus intéressant au moment de la paix, lorsque les États-Unis prendront un rang dans le monde; mais comme toutes les décisions importantes émaneront toujours du Congrès, le ministre des affaires étrangères demeurera, ainsi que ses collègues, un agent secondaire, une espèce de premier commis.
Le président du Congrès de cette année paraît un homme sage, mais peu lumineux; de l'avis unanime des gens qui méritent quelque confiance, le Congrès est aussi composé de personnes fort ordinaires; cela tient à plusieurs causes: 1° à ce que si dans le début de la révolution, les têtes les plus vives et les caractères les plus vigoureux eussent fait partie de l'assemblée générale, ils y eussent primé les autres et fait valoir leurs seuls avis; 2° que les gens de mérite ont trouvé le secret de se faire confier les places, les gouvernements et les postes les plus importants, et qu'ils ont ainsi déserté le Congrès—Les assemblées particulières semblent éviter d'envoyer au Congrès les gens les plus distingués par leurs talents. Elles préfèrent le bon sens et la sagesse, qui en effet valent, je crois, mieux au bout de l'année.
Un des hommes qui m'ont paru avoir beaucoup d'esprit et de nerf parmi ceux que j'ai rencontrés à Philadelphie est un M. Morris, surnommé governor. Il est instruit et parle assez bien le français; je crois cependant que sa supériorité, qu'il n'a pas cachée avec assez de soin, l'empêchera d'occuper jamais de place importante 230.
Les dames de Philadelphie, quoique assez magnifiques dans leurs habillements, ne sont pas généralement mises avec beaucoup de goût; elles ont dans leur coiffure et dans leurs têtes moins de légèreté et d'agréments que nos Françaises. Quoiqu'elles soient bien faites, elles manquent de grâce et font assez mal la révérence; elles n'excellent pas non plus dans la danse. Mais elles savent bien faire le thé; elles élèvent leurs enfants avec soin; elles se piquent d'une fidélité scrupuleuse pour leurs maris, et plusieurs ont beaucoup d'esprit naturel.»
XXIX
MM. de Lauzun, de Broglie, de Ségur, vinrent rejoindre l'armée française à Grampond, à quelques jours de distance, ainsi que tous leurs compagnons de voyage. Leur grande préoccupation, dès ce moment fut de savoir si l'on ne terminerait pas la campagne par une entreprise quelconque contre l'ennemi. Mais les ordres de la cour, remis par M. de Ségur, étaient formels. Si les Anglais évacuaient New-York et Charleston, ou seulement l'une de ces places, le comte de Rochambeau devait embarquer l'armée sur la flotte française, pour la conduire à Saint-Domingue, sous les ordres du général espagnol don Galvez. Or on annonçait alors l'évacuation de Charleston. Le comte de Rochambeau avertit donc M. de Vaudreuil qu'il eût à se mettre à sa disposition pour embarquer l'armée à Boston. Elle partit en effet le 12 octobre de ses cantonnements de Grampond. Sept jours après elle était à Hartford, où l'on séjourna quatre ou cinq jours. Là, M. de Rochambeau rendit publique sa résolution de retourner en France avec M. de Chastellux et la plus grande partie de son état-major.
Mais M. de Vaudreuil n'était pas prêt. Il déclara même qu'il ne le serait qu'à la fin de novembre, et qu'il ne pourrait embarquer que quatre mille hommes, y compris leurs officiers et leur suite. Le comte de Rochambeau proposa alors au baron de Vioménil et à son frère de se mettre à la tête des deux brigades d'infanterie et d'une partie de l'artillerie pour les conduire aux Antilles. Il laissa le corps de Lauzun avec l'artillerie de siège, qui était restée détachée à Baltimore, au fond de la baie de Chesapeak, sous les ordres de M. de La Valette, et il chargea le duc de Lauzun du commandement des troupes de terre qui resteraient en Amérique aux ordres du général Washington.
Le 4 novembre l'armée se porta de Hartford à Providence, où elle prit ses quartiers d'hiver, et le 1er décembre le baron de Vioménil, resté seul chef de l'armée, fit lever le camp de Providence pour se rendre à Boston. Le 24 décembre, il mit à la voile, et la flotte, après avoir couru bien des dangers, vint aborder le 10 février 1783 à Porto-Cabello, sur la côte de Caracas, où elle devait se joindre au comte d'Estaing et à l'amiral don Solano 231.
Note 231: (retour) «Lorsque l'armée partit, à la fin de 1782, dit Blanchard, après deux ans et demi de séjour en Amérique, nous n'avions pas dix malades sur cinq mille hommes. Ce nombre, inférieur à celui des soldats qui sont ordinairement à l'hôpital en France, indique combien le climat des États-Unis est sain.»
De son côté, le comte de Rochambeau, après avoir dit adieu à ses troupes, retourna à New-Windsor voir une dernière fois le général Washington, et alla s'embarquer sur une frégate qui l'attendait dans la baie de Chesapeak. Les Anglais, qui étaient prévenus de son embarquement, envoyèrent quelques vaisseaux de New-York pour arrêter la frégate qui le portait; mais le capitaine, M. de Quénai, sut déjouer ces tentatives, et Rochambeau arriva à Nantes sans difficulté.
Aussitôt après son arrivée en France, le général de Rochambeau se rendit à Versailles, où le roi le reçut avec beaucoup de distinction. Il lui dit que c'était à lui et à la prise de l'armée de Cornwallis qu'il devait la paix qui venait d'être signée. Le général lui demanda la permission de partager cet éloge avec un homme dont les malheurs récents ne lui avaient été appris que par les papiers publics, mais qu'il n'oublierait jamais et priait Sa Majesté de ne point oublier que M. de Grasse était arrivé, sur sa simple réquisition, avec tous les secours qu'il lui avait demandés, et que, sans son concours, les alliés n'auraient pas pris l'armée de Cornwallis. Le roi lui répliqua sur-le-champ qu'il se souvenait très-bien de toutes ses dépêches; qu'il n'oublierait jamais les services que M. de Grasse y avait rendus concurremment avec lui; que ce qui lui était arrivé depuis était une affaire qui restait à juger. Il donna le lendemain au comte de Rochambeau les entrées de sa chambre; peu de temps après, le cordon bleu de ses ordres au lieu du cordon rouge, et le commandement de Picardie qui devint vacant un an après.
Les officiers généraux, les officiers subalternes et les soldats du corps expéditionnaire reçurent aussi des titres, des pensions, de l'avancement ou des honneurs 232. Par une inexplicable exception, dont M. de Lauzun se plaint amèrement dans ses Mémoires, sa légion seule n'obtint aucune faveur. La disgrâce dont fut frappé ce brave colonel après la mort de son protecteur, M. de Maurepas, n'était que la conséquence forcée d'un de ces revirements si communs à la cour à cette époque. M. de Lauzun n'en parut du reste pas trop surpris. Mais en étendant indistinctement à tous les officiers et soldats de la légion l'injustice commise envers son chef, le gouvernement français donna une preuve nouvelle de l'influence que pouvaient avoir sur ses décisions la jalousie et l'intrigue. Peut-être pourrait-on faire remonter au mécontentement de Lauzun en cette circonstance, mécontentement qui trouvait un aliment dans les idées libérales qu'il venait de puiser en Amérique, la cause du peu de soutien qu'un prêta à l'autorité royale lorsque, dix ans plus tard, elle était battue en brèche. On sait que Lauzun, devenu duc de Gontaut-Biron, fut général en chef d'une armée républicaine destinée à combattre les Vendéens. On sait aussi que la sincère ardeur avec laquelle il accepta les réformes nouvelles ne la sauva pas de l'échafaud.
Parmi les principaux officiers récompensés, le baron de Vioménil fut fait lieutenant général. MM. de La Fayette, de Choisy, de Béville, le comte de Custine, de Rostaing, d'Autichamp, furent faits maréchaux de camp. MM. d'Aboville, Desandroins, de La Valette, de l'Estrade, du Portail, du Muy de Saint-Mesme et le marquis de Deux-Ponts furent faits brigadiers. Tous les colonels en second eurent des régiments; le vicomte de Rochambeau en particulier fut fait chevalier de Saint-Louis et obtint d'abord le régiment de Saintonge, puis celui de Royal-Auvergne, dont son père avait aussi été colonel.
La prise d'York-Town fut décisive pour la cause de l'indépendance américaine. Les Anglais, qui occupaient encore New-York, Savannah et Charleston, se tinrent sur la défensive.
Sur d'autres points, le duc de Crillon prenait Minorque. Le bailli de Suffren, envoyé aux Indes orientales pour sauver les colonies hollandaises, gagnait sur les Anglais quatre batailles navales, de février à septembre 1782.
Dans les Antilles, les Anglais ne conservaient d'autre île importante que la Jamaïque. De Grasse voulut la leur enlever, comme je l'ai dit. Mais attaqué près des Saintes par des forces supérieures commandées par Rodney, il fut battu et fait prisonnier le 12 avril 1782.
La défense de Gibraltar fut un dernier succès pour les Anglais. Un frère de Louis XVI, le comte d'Artois, s'y était porté avec 20,000 hommes et 40 vaisseaux. 200 canons du côté de la terre et 10 batteries flottantes ouvrirent le 13 septembre un feu terrible contre la citadelle, admirablement défendue par sa redoutable position et par le courage du gouverneur Elliot. La place allait être obligée de céder lorsqu'un boulet rouge fit sauter l'une des batteries flottantes. L'incendie gagna les batteries voisines et les Espagnols détruisirent les autres pour ne pas les laisser aux ennemis. Gibraltar resta aux Anglais.
Cependant la dette de l'Angleterre était considérablement accrue. Lord North dut quitter la direction des affaires pour céder la place à un ministère whig qui demanda la paix au cabinet de Versailles. La France, qui n'était pas moins épuisée, accepta ces propositions. Les préliminaires furent arrêtés à Paris, le 30 novembre 1782, entre les plénipotentiaires des puissances belligérantes, au nombre desquels étaient pour les États-Unis Franklin, John Adams, John Jay, et Henry Laurens. Le traité définitif fut signé le 3 février 1783.
Cette nouvelle fut rapidement portée en Amérique. Le 11 mars 1783, de Lauzun partit de Wilmington pour ramener dans leur patrie les derniers soldats français. Ainsi l'indépendance des États-Unis était fondée, et le monde comptait une grande nation de plus.
XXX
La France, en aidant l'Amérique à secouer le joug de l'Angleterre, avait fait un acte de haute politique. Mais ce qu'il y eut de plus remarquable à l'époque où elle intervint dans la guerre, c'est que, à la cour comme à la ville, chez les grands comme chez les bourgeois, parmi les militaires comme parmi les financiers, tout le monde fixait une sympathique attention sur la cause des Américains insurgés. C'était une singulière époque que celle qui présentait de pareils contrastes dans les opinions, dans les goûts et dans les moeurs. On voyait alors des abbés écrire des contes licencieux, des prélats briguer des ministères, des officiers s'occuper de philosophie et de littérature. On parlait de morale dans les boudoirs, de démocratie chez les nobles, d'indépendance dans les camps. La cour applaudissait les maximes républicaines du Brutus de Voltaire, et le monarque absolu qui y régnait embrassait enfin la cause d'un peuple révolté contre son roi. Ce désordre dans les idées et dans les moeurs, cette désorganisation sociale, étaient les signes précurseurs d'une transformation à laquelle les Américains devaient donner une impulsion vigoureuse.
J'ai dit comment quelques Français, entraînés par le goût des aventures ou par leur enthousiasme, devancèrent la déclaration de guerre, trop lente à venir à leur gré; comment partit le corps expéditionnaire aux ordres de M. de Rochambeau; comment enfin la bravoure des troupes alliées, ainsi que la bonne entente et l'habileté des chefs, amenèrent pour l'Angleterre des revers irréparables. La moindre conséquence du succès des armes françaises aux États-Unis fut l'affaiblissement de son ennemie séculaire. Un grand nombre des officiers qui, par l'ordre d'un gouvernement absolu ou entraînés par leur engouement des idées nouvelles, avaient été défendre en Amérique les droits méconnus des citoyens, revinrent avec une vive passion pour la liberté et pour l'indépendance.
Le fils d'un ministre, M. de Ségur, écrivait le 10 mai 1782:
«Quoique jeune, j'ai déjà passé par beaucoup d'épreuves et je suis revenu de beaucoup d'erreurs. Le pouvoir arbitraire me pèse. La liberté pour laquelle je vais combattre m'inspire un vif enthousiasme, et je voudrais que mon pays pût jouir de celle qui est compatible avec notre monarchie, notre position et nos moeurs.»
Ces derniers mots indiquent toutes les difficultés que devait rencontrer la réalisation du rêve qui tourmentait l'esprit, non-seulement de M. de Ségur, mais de toute la jeune génération française. Comment concevoir une liberté compatible avec une monarchie absolue dans son essence, avec une position politique toujours menacée par des voisins jaloux et ombrageux, et avec des moeurs imbues de l'esprit de féodalité?
Parmi les officiers qui combattirent à côté des Américains, un très-grand nombre, à la vérité, furent plus tard hostiles à toute idée de réforme en France et ne craignirent même pas de porter les armes contre leur patrie pour combattre la Révolution. C'est qu'ils n'avaient pas prévu tout d'abord les conséquences de leurs actes, et cette contradiction dans leur conduite est une nouvelle preuve de la puissance des idées répandues en France et sous l'impulsion desquelles ils avaient pris les armes, quinze ans avant, en faveur de la liberté.
Dès les débuts de l'insurrection des colonies, Voltaire et Franklin s'étaient rencontrés à Paris. Le vieux philosophe français avait béni le fils du sage et docte Américain. Tous deux personnifiaient bien l'esprit qui animait leurs pays et qui devait y causer une révolution. Tous deux formaient des voeux également sincères pour leur patrie. Mais le voisinage du vaste Océan, l'immense étendue du continent, et surtout l'absence des classes privilégiées et des prolétaires, protégèrent en Amérique les semences de la liberté. En France, dans ce pays devenu libéral avec une forme monarchique et des moeurs féodales, sur ce sol couvert d'une population très-nombreuse mais très-hétérogène quant aux droits et aux devoirs; au milieu de ces voisins avides de venger leurs défaites ou de s'enrichir de dépouilles ennemies, la liberté ne put planter de faibles racines que dans un terrain inondé de sang et tourmenté par tous les éléments de la haine et de la discorde.
Bien des esprits clairvoyants annonçaient les événements qui se préparaient en France 233. Pourtant la majorité ne pensait pas qu'une transformation accomplie sous l'influence de la liberté et de la justice, pût être autrement que paisible et exemple de violence. Mieux en avait jugé le docteur Cooper, qui comprenait bien l'état de la vieille société française 234.
Note 233: (retour) Il n'est pas besoin de recourir aux oeuvres des profonds penseurs de cette époque, à celles de Jean-Jacques Rousseau entre autres, pour trouver des prophéties sur le mouvement qui était sur le point d'éclater en France. Les publications les plus ordinaires et les plus ignorées de nos jours sont remplies de prévisions dans ce sens. Je citerai entre autres: le Procès des trois Rois, pamphlet anonyme publié à Londres en 1783. Discours sur la grandeur et l'importance de la révolution d'Amérique; couronné aux jeux floraux; Toulouse, 1784. Très-remarquable pour le temps et le lieu où ce discours fut écrit.
Les souverains d'Europe surtout ne voyaient dans le concours qu'ils prêtaient aux Américains qu'une manière de rétablir l'équilibre européen troublé par la suprématie maritime de l'Angleterre. Aucun d'eux ne songeait que ce vent de liberté qui remuait les masses populaires de l'autre côté de l'Océan soufflerait bientôt sur leur continent, y renverserait des trônes et ébranlerait l'ordre social jusque dans ses fondements.
Ce que les hommes politiques depuis Choiseul et Vergennes prévirent encore moins, c'est le développement rapide et sans précédent que devaient prendre les États-Unis, placés dans des conditions physiques, morales et intellectuelles exceptionnellement favorables 235, sous la protection de la liberté politique et religieuse, non-seulement inscrite dans les codes, mais profondément enracinée dans les moeurs. Les colonies anglaises, pensait-on, devaient faire contre-poids aux possessions que l'Angleterre avait enlevées à la France. Leur influence ne se borne plus depuis longtemps déjà au continent américain. Ce n'est plus seulement la mère patrie dont elles contre-balancent la puissance. L'Europe entière doit compter désormais avec elles dans les destinées du monde.
FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE.
APPENDICE
On a vu que, pour soutenir la lutte contre l'Angleterre, les colonies révoltées se virent dans l'obligation d'émettre du papier-monnaie; cette création eut le sort de tous les papiers d'État émis en trop grand nombre, ces assignats ne tardèrent pas à se discréditer.
Ce fut en 1775 que les colonies confédérées firent leur première émission, qu'elles devaient garantir en raison de leur importance et de leur population. Cinq millions de dollars furent lancés cette même année. Afin d'assurer la régularité de ces émissions, vingt-huit citoyens, y compris Franklin, signèrent les billets; malgré cela, une certaine hésitation se manifestant, le Congrès pressa les divers États de prendre les mesures nécessaires pour leur circulation et les engagea au besoin de décréter le cours forcé.
Voici le libellé et la figure de ces divers assignats. Émises soit comme billets nationaux, soit comme billets des États particuliers, chacune de ces valeurs, dont l'importance variait de 1 fr. 75 (un tiers de dollar) à 400 fr. (80 dollars), portait un timbre et une devise.
A cause de sa concision, la langue latine, se prêtant à rendre avec plus de force les sentiments que l'on voulait exprimer, fut employée pour ces devises.
En se rappelant que toutes ces devises se rapportaient à la lutte que les colonies soutenaient contre l'Angleterre, l'interprétation en devient plus facile. La dernière est très-curieuse quand on se rappelle que c'est précisément la Caroline du Sud qui a été la première à soulever l'étendard de la révolte en 1860, et quia commencé la guerre civile (avril 1861) aux États-Unis.
Nous ne terminerons pas cet énoncé sans remercier M. le directeur du Magasin pittoresque de l'obligeance qu'il a eu de mettre ces dessins à notre disposition pour cette édition Française.
TABLE DES MATIÈRES
Introduction
Avis de l'Éditeur
I
Préliminaires.—Caractère de la guerre.—Droits du peuple et du citoyen.—De l'influence de la Révolution américaine sur l'Europe.—Part que la France prend à la guerre de l'indépendance.—But que se propose l'auteur en publiant ce livre.
II
Sources et documents.—Archives de la Guerre.—Archives de la Marine.—Journal de Claude Blanchard,—Journal du comte de Ménonville.—Mémoires de Dupetit-Thouars. —Journal de Cromot du Bourg.—Relation du prince de Broglie.—Journal d'un soldat.—Mémoire adressé par Choiseul à Louis XV.—Mémoires du comte de M*** (Pontgibaud).—Mes campagnes en Amérique, par Guillaume de Deux-Ponts.—Mémoires de Lauzun.— Loyalist letters.—Papers relating to the Maryland Une. —Carte des opérations.
III
Fondation des colonies dans l'Amérique du Nord.—Tentatives de colonisation faites par des Français: Coligny, Gourgues, etc., en 1567.—Progression rapide de la population.—L'énormité des taxes imposées par l'Angleterre à ses colonies les poussent à la résistance.
IV
Causes réelles de la guerre.—Les causes réelles sont toutes d'ordre moral. Déclaration des droits du citoyen. —Principes de gouvernement établis par l'empire romain et adoptés par l'Église romaine.—Saint Augustin enseigne la doctrine de la conscience nationale.—Influence de la religion sur les formes de gouvernement.—Calvinisme. —Presbytérianisme.—Tendances démocratiques et agressives.—États Généraux des Provinces Unies.— Buchanan.—Zwingle.—Chrétiens et citoyens, analogie de ces deux situations.—De la Réforme en Angleterre.—Cromwell, Déclaration des droits en Angleterre. —Presbytérianisme en Amérique.—Réunion à Octorara, en Pennsylvanie.—Colons français.—La Persécution religieuse en France, cause de l'émigration en Amérique. —En résumé, les colonies de l'Amérique se peuplèrent primitivement de tous ceux qui voulurent échapper aux persécutions politiques et religieuses de l'Europe.
V
Du rôle de la France dans cette guerre.—Rivalités de la France, de l'Espagne et de l'Angleterre lors de la découverte de l'Amérique.—Le Canada.—Exploration de Marquet, de Joliet, de La Salle et du P. Hennequin.— Fondation de la Louisiane.—Céleron.—Les Anglais envahissent le Canada, 1754.—Washington parait pour la première fois et contre les Français.—Louis XV déclare la guerre à l'Angleterre.—Diversion faite sur le continent par la guerre de Sept Ans.—Montcalm.—Perle du Canada.—Politique de Choiseul.—De Kalb.—Lettres de Montcalm à de Berryer, attribuées à de Choiseul.—Intrigues contre Choiseul.
VI
Débuts de la guerre.—Débuts heureux des Américains.— Washington.—Caractère de Washington.—Relation du prince de Broglie.—Ouvrages dramatiques sur Washington. —Congrès à Philadelphie, 1776.—Sympathie française pour cette guerre.—Franklin à Paris.
VII
Lafayette et Washington.—Départ de Lafayette pour l'Amérique.—Présentation à Washington.—Vive affection de celui-ci pour Lafayette.—Différence de la Révolution américaine et de la Révolution française.— Liste des guillotinés.—Influence des idées que la noblesse rapporte d'Amérique.—Influence de la guerre américaine sur le caractère et la carrière de Lafayette.
VIII
Des Français qui devancèrent le traité conclu plus lard entre la France et l'Amérique.—Incompatibilité des premiers arrivants français avec le caractère américain.—Officiers qui avaient précédé Lafayette.—Offres pour les fournitures de guerre.—Barbue-Dubourg.—Silas Deane.— Beaumarchais.—Noms des officiers français ou étrangers qui précédèrent ou suivirent Lafayette—Lettre de Beaumarchais. —Howe débarque à Maryland, 1777.—Les Américains perdent la bataille de Brandywine.—Le Congrès évacue Philadelphie.—Les Anglais sont battus le 19 septembre et le 7 octobre à Saratoga.—Burgoyne est obligé de capituler.—Washington reprend l'offensive.— Défense du fort Redbank par Duplessis-Mauduit.—Traité d'alliance conclu par Louis XVI avec les Américains le 6 février 1778.—Ce traité est dû à l'influence de Lafayette. —Les Anglais déclarent la guerre à la France.
IX
Continuation et résumé des opérations.—Opérations navales entre la France et l'Angleterre.—En Amérique, Clinton abandonne Philadelphie devant les forces de Washington et du comte d'Estaing.—Diversion dans le Sud.—Exactions des Anglais dans la Caroline et la Géorgie.—Les Américains reprennent ces deux États, 1778.—Opérations de Clinton, de Washington et de Bouille.—Lafayette quitte l'Amérique en 1779.—Il y retourne en 1780, précédant des secours de toute nature.—Succès de d'Estaing. —Échec des troupes alliées devant Savannah.— Anecdote sur Rodney, amiral anglais.—La diversion de Clinton dans la Géorgie réussit par suite de l'échec de Savannah.—Au milieu de ces événements, Lafayette revient d'Europe.—Trahison d'Arnold.—Rochambeau. —Coalition contre l'Angleterre.—Déclaration de guerre à la Hollande.—Opérations simultanées de Washington et de Rochambeau.—Lafayette dans la Virginie.
X
Influence de Lafayette, composition des forces françaises.— La position des Américains devient très-précaire.—L'arrivée de Lafayette en France active les secours.—Hésitations pour le choix du commandement.—On s'arrête à Rochambeau.—Composition de la flotte.
XI
Reprise du récit des opérations.—Départ de la flotte sous le commandement de Ternay.—Heureux débuts.—Conduite prudente de Ternay.—Reproches que cette conduite lui attire.—Insubordination et indiscipline des officiers de la marine française.—-Arrivée sur les côtes de Virginie.—Débarquement des troupes françaises,— Plan de Washington contre New-York.—Rochambeau et de Ternay hésitent à exécuter ce plan.—Lettre de Rochambeau à Lafayette, et son appréciation du caractère des soldats français.—Lettre de Lafayette à Washington au sujet de l'armée française.—Préparatifs de Rochambeau à Rhode-Island.—Diversion tentée par Washington.—Recommandations pressantes à Rochambeau d'entrer en Campagne.—Lettre de Washington et de Lafayette à ce sujet.—Départ de Rochambeau.— Incident.—Entrevue à Hartford.—Trahison d'Arnold, exécution du major André. Inaction des Anglais devant Rhode-Island.—Visite des Indiens à Rochambeau.
XII
Continuation du récit.—Départ du vicomte de Rochambeau sur l'Amazone pour la France.—Lauzun demande à servir sous Lafayette.—Lauzun prend son quartier d'hiver à Lebanon.—Insubordination des troupes américaines.—Rochambeau et Washington manquent d'argent et de vivres—Rochambeau envoie Lauzun auprès de Washington.—Vive amitié de Washington pour Lafayette.—L'état des armées alliées oblige le Congrès à envoyer un des aides de camp de Washington en France. —Le capitaine Destouches est envoyé en Virginie pour combattre Arnold.—Lafayette et Rochambeau sont détachés pour le môme objet.—-Composition de cette expédition.—Critique.—Mécontentement chez les officiers.—Destouches échoue dans sa tentative de débarquement. —Lafayette est obligé de rétrograder.— Washington lui confie la défense de la Virginie.—Washington était-il maréchal de France?
XIII
Envoi de renforts, opérations militaires.—Arrivée de l'Amazone avec le vicomte de Rochambeau à Brest.— Changement qu'il trouve dans la situation.—Le Roi fait repartir M de la Pérouse avec 1,500,000 livres.—Le vicomte de Rochambeau reste à Versailles.—Par suite des circonstances on restreint l'envoi des renforts.—Force des secours envoyés.—Le vicomte de Rochambeau repart sur la Concorde.—Le gouvernement français met 6,000,000 de livres à la disposition de Washington.—Reprise du Récit du Journal inédit (de Cromot du Bourg).—Description de Boston et des pays environnants.—Le comte de Rochambeau apprend que l'escadre anglaise est sortie de New-York.—Il apprend de son fils que de Grasse viendra dégager Barras.—Entrevue à ce sujet entre Washington et Rochambeau.—Plan de campagne. —Lettres interceptées.—Cela sont les intérêts des alliés. —Retour de Rochambeau à New-Port.—Dispositions qu'il prend avec Barras.—Réunion d'un conseil de guerre.— L'opinion de Barras de rester devant Rhode-Island prévaut. —Lettre de Rochambeau à de Grasse pour lui préciser les positions respectives de La Fayette et de Washington.— Il lui demande des secours en hommes et en argent.— Détails (de Cromot du Bourg) sur le parcours de l'armée. —Vioménil arrive à Providence.—Mouvement des troupes alliées.—Projet de Rochambeau de rester à New-Town.—Washington le prie d'aller plus loin.— Arrivée et prise de position à Bedford.
XIV
Opérations contre Clinton et Cornwallis.—Washington ouvre la campagne le 26 juin.—Jonction avec Rochambeau. —Situation des troupes anglaises devant New-York. —Washington résout de les attaquer.—Relation de Lauzun sur cette attaque.—Mouvements et attaques diverses du 5 au 21 juillet.—Reconnaissance faite par toute l'armée.—Relations de Rochambeau et de Cromot du Bourg à ce sujet.—Les alliés obtiennent comme résultat de retenir Clinton devant New-York, et de faire rétrograder Cornwallis.
XV
Campagne de Virginie.—Rochambeau reçoit, le 14 août, des nouvelles de la Concorde.—De Grasse lui fait savoir qu'il se rend dans la baie de Chesapeak avec 26 vaisseaux, 3,500 hommes et 1,200,000 livres.—Le général Clinton, par les renforts qu'il reçoit d'Angleterre, se trouve à la tête de 15,000 hommes.—Les alliés n'en ont que 9,000 à lui opposer.—Marche de Cornwallis.—Habileté de La Fayette.—Ce dernier croit un moment que les Anglais quittent la Virginie pour renforcer New-York.— Lettres de La Fayette et de Washington; celle de ce dernier est interceptée.—Heureux effet qu'il en résulte.— Washington renonce à attaquer New-York.—Les alliés dirigent leurs efforts sur la Virginie.—La Fayette s'attache à empêcher Cornwallis de gagner la Caroline.— Leur plan de campagne définitivement arrêté, les généraux alliés se mettent en marche.
XVI
Arrivée de de Grasse dans la baie de Chesapeak.—Les alliés passent l'Hudson—Force de l'année.—Noms des divers commandants.—L'Hudson étant traversé, Washington organise la marche de ses troupes.—Il se tient à une journée de marche en avant.—Lauzun vient ensuite.—La brigade du Soissonnais ferme la marche. —Washington laisse au général Heath le soin de défendre l'État de New-York et la rivière du Nord.—Récit des mouvements du 23** août au 3 septembre.—L'armée défile le 4 septembre à Philadelphie, devant le Congrès. —Description, par Cromot du Bourg, de la ville de Philadelphie, de Benezet et autres personnes remarquables. —Les généraux alliés apprennent que les amiraux anglais Hood et Graves ont fait leur jonction.—Inquiétude que leur donne cette nouvelle.—Néanmoins les alliés continuent leur marche.—En arrivant à Chester, Rochambeau apprend de Washington que de Grasse est arrivé dans la baie de Chesapeak avec 28 vaisseaux et 3,000 hommes.— Joie que cette nouvelle répand partout.
XVII
Sage réserve de La Fayette.—La Fayette marche sur Williamsburg, où il se fait joindre par Saint-Simon.— Cornwallis se trouve serré de toutes parts.—Il fait une reconnaissance devant Williamsburg, mais se trouve dans l'impossibilité de l'attaquer.—Mesures que La Fayette prend pour lui couper la retraite.—De Grasse presse La Fayette d'attaquer.—Malgré de pressantes sollicitations La Fayette préfère attendre.—Washington et Rochambeau hâtent leur marche.—Mouvements du 6 au 13 septembre. —De Grasse attaque et rejette l'escadre anglaise.
XVIII
Les alliés devant Williamsburg.—Les succès de de Grasse permettent à Lauzun de rembarquer ses troupes.— Mouvement du corps de M. de Vioménil.—Ce corps s'embarque à Annapolis sur l'escadre de M. de la Villebrune, et arrive le 26 septembre à Williamsburg.—Lauzun se rend auprès de Washington.—Celui-ci l'informe que Cornwallis a envoyé sa cavalerie à Gloucester.—Le général américain Weedon est posté pour le surveiller. —Manque d'initiative de ce général.—Lauzun lui est dépêché.—Lauzun informe Rochambeau du peu de cas qu'il fait de la milice.—Rochambeau lui fait passer de l'artillerie et 800 hommes.—De Grasse et Barras bloquent la baie de Chesapeak.—Choisy prend des mesures énergiques du côté de Gloucester.—L'armée alliée devant Williamsburg.
XIX
Investissement de Yorktown.—Le 28 septembre l'armée se met en mouvement pour investir Yorktown.—Saint-Simon.—Les Anglais évacuent leurs avancées.—Brillant engagement de de Choisy.
XX
Suite des opérations devant Yorktown.—Du 4 au 12 octobre, M. de Vioménil commande les travaux du siège d'Yorktown.—Composition quotidienne des forces d'investissement. —Les redoutes anglaises gênent l'attaque.
XXI
Siège et prise des redoutes de Yorktown.—M. de Vioménil veut donner l'assaut.—Rochambeau l'en dissuade.— Sang-froid de ce dernier dans une reconnaissance qu'il fit. —L'attaque est décidée.—Régiment de Gâtinais.—Détails sur les forces prenant part à l'assaut.—Les troupes françaises et les milices américaines rivalisent d'ardeur.— Lafayette et de Vioménil.—Le colonel Barber,—Les redoutes sont enlevées.
XXII
Prise de Yorktown. Capitulation de Cornwallis.—La position de Cornwallis devient insoutenable.—Il envoie le 17 un parlementaire à Washington.—Capitulation signée le 19.—.Chagrin des officiers anglais.—Ordres barbares du ministère anglais.—Cruautés révoltantes des officiers anglais.—Pertes des deux côtés.—Conduite noble du gouverneur Nelson.
XXIII
Suite de la capitulation de Yorktown.—Lauzun est chargé de porter en France la nouvelle de la capitulation.— Enthousiasme que la prise d'Yorktown répand à Philadelphie. —Le Congrès se rassemble.—Décisions prises comme marques de reconnaissance envers Washington, Rochambeau et de Grasse.—G. de Deux-Ponts part en France porter des détails sur la capitulation.—Satisfaction et promesses du Roi.—La mort de Maurepas en empêche la réalisation.—Chute à Londres du ministère North.—La capitulation d'Yorktown décide de l'indépendance américaine.—Clinton se contente de mettre une faible garnison à Charleston.—Il rentre à New-York.—Dumas est chargé de détruire les retranchements de Portsmouth.—Départ de de Grasse pour les Antilles.
XXIV
Suspension des hostilités.—Les troupes alliées se disposent à prendre leurs quartiers d'hiver.—Le baron de Vioménil rentre en France.—Rochambeau est placé de manière à pouvoir secourir les provinces les plus menacées par l'ennemi.—La Fayette part pour la France.
XXV
Défaite de l'amiral de Grasse. Proposition de paix.—Armistice tacite sur le continent.—Premiers succès de l'amiral de Grasse sur les Anglais aux Antilles.—L'amiral anglais Rodney le rejoint le 12 août 1782.—De Grasse est battu et fait prisonnier.—L'Angleterre propose à l'Amérique de reconnaître son indépendance.—Le Congrès refuse la paix.—Il veut qu'elle s'applique également à la France.—Par suite des événements des Antilles, Rochambeau remonte vers le Nord.—Entrevue de Rochambeau et de Washington.—Ils tentent d'empêcher qu'aucun renfort ne sorte de New-York.
XXVI
L'armée française devant New-York.—Mouvement rétrograde de l'armée française.—Le général Carleton offre de nouveau une paix séparée à l'Amérique.—Position de l'armée française devant New-York.
XXVII
Renforts envoyés en 1782.—Le gouvernement français se dispose à envoyer de nouveaux renforts en 1782.—Les croisières anglaises empêchent ce convoi de partir.—La Gloire seule part avec 2 millions de livres et des officiers. —Ce vaisseau échoue sur les côtes de France.—Il cherche un refuge dans la Loire.—Il revient à Rochefort. —Départ de ce port avec l'Aigle.—Arrêt aux Açores. —Combat avec un vaisseau anglais.—Les deux navires français arrivent à l'entrée de la Delaware.
XXVIII
Récit du prince de Broglie.—Récit du détail sur son voyage jusqu'à son arrivée à Philadelphie.—Aperçus sur le Congrès et la société américaine.
XXIX
Fin de la guerre. Traité de paix.—Les officiers français rejoignent l'armée à Crampond.—Ordres de la cour. —Les Anglais évacuent Charleston.—L'armée française s'embarque le 12 décembre 1782 à Boston.—Rochambeau revient en France.—Réception que lui fait le roi. —Honneurs qui lui sont accordés.—Récompenses accordées à l'armée.—Lauzun et ses troupes sont entièrement oubliés.—Préliminaires de paix à Paris le 30 novembre 1782.—Traité-définitif le 3 février 1783.
XXX
Conclusion.—Influence de la participation de la France sur la Révolution de 1789.—Changements que la reconnaissance de l'indépendance américaine amène sur le continent européen.
Appendice
Assignats américains.—Dessins des assignats.—Explication des devises.—Valeur des diverses émissions.
FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES.