Les grandes chroniques de France (5/6): selon que elles sont conservées en l'Eglise de Saint-Denis en France
XVII.
De la prise Jehan de Saint-Jehan et de pluseurs autres.
En icest an ensement, Emons, le frère au roy d'Angleterre qui estoit envoyé en Gascoigne contre la gent au roy de France, mourut à Bayonne. Après la mort duquel endementiers que les villes et les chastiaux, les gens au roy d'Angleterre tenans sa partie appareilloient à garnir de vitaille, Robert conte d'Artois qui un pou devant avoit esté envoyé du roy de France, estoit là venu. Quant il entendi ce par ses espieurs, il empescha incontinent et isnellement les Gascons et gens du roy d'Angleterre. Car comme il fussent sept cents hommes à cheval et cinq mille à pié, le gentil conte avec sa gent qu'il amenoit fors batailleurs, si fort envaï l'ost des ennemis que les Gascons s'enfuirent; et les enchaça, et des greigneurs d'Angleterre à mort accraventa bien cent ou environ; et ilec fu pris Jehan de Saint-Jehan, et Guillaume le jeune de Mortemer avec autres nobles d'Angleterre; et furent envoiés ainsi comme chaitis en France. Adont le conte de Lincole et Jehan de Bretaigne furent chaciés de la bataille, et là laissièrent et perdirent toute leur garnison avec leur appareil de bataille que il menoient; et pour certain sé la nuit ne feust si tost venue et les bois n'eussent esté si près, nul de ceste multitude de gent n'en fust eschapé. Adont ne fu dès lors en avant qui envers le conte d'Artois où les François osassent en bataille aler né venir.
XVIII.
Du renoncement Robert fils au conte de Flandres à l'omage le roy de France.
En cest an ensement, Gui le conte de Flandres, par Robert son fils déceu si comme l'en dit, appareilla appertement à soi mouvoir et eslever contre son seigneur le roy de France Phelippe, et luy manda par ses patentes lettres à Paris que nulle chose il ne tenoit de luy en fié, né en autre quelconque chose ou manière il ne se réputoit à luy estre sougiet.
Et en cest an ensement, au moys de décembre, en la veille Saint-Thomas apostre, avint aussi à Paris que le fleuve de Seine s'escrut en tele manière que de nul aage né remembrance de home ne treuve l'en en escript si grant croissance né ravine d'iaue à Paris avoir ondoié: car toute la cité fu si de toutes pars raemplie, ençainte et avironnée, que de nulle part en la ville sans navie l'en ne pooit entrer, né par un pou par toutes les rues ne pooit aucun aler sans aide de batiaux. Et lors pour la pesanteur de l'yaue et la grant ravine du fleuve, les deux pons de pierre, et avec ce les moulins qui dessus estoient fondés et fais, et le Chastellet de Petit pont, de tout en tout trébuchièrent et chéirent; et lors il convint par huit jours des viandes de hors aporter ès nefs et ès batiaux, pour secourre à ceux de la cité de Paris.
XIX.
Coment Alfons d'Espaigne rendi tout pour délivrer son oncle de la prison.
ANNÉE 1297 En l'an de grace après ensuivant mil cent et quatre-vingt et dix-sept, Alfons et Ferrant frères, et neveus le saint roy Loys, viguereusement et forment envaïssans Espaigne embatirent paour à tous les ennemis de leur renom et de leur advènement; auxquiels vint lors leur oncle messire Jehan qui escrut et enforça moult et eux et leur gent: car par iceluy reçurent abandon villes et chastiaux pluseurs; lequel messire Jehan, comme follement après alast sur les anemis, il fu pris: et Alfons le sien neveu noble et gentil ne le pot autrement ravoir sé toutes les choses qu'il avoit conquises ne rendist et restablist. Et lors, par la grant libéralité et franchise de son cuer trait et demené, pour iceluy rendi tout, estimant greigneurs estre les richesses d'amis que de avoir des choses de ce monde muable copie né habondance[150]. Lequel Jehan, le vice d'ingratitude encourant, s'en vint droit à ses ennemis et le royaume de Légions qu'il avoit pris du don de son nepveu rendi aux anemis d'iceluy Alfons. Adonques Alfons, quant il ot toutes ces choses perdues, par son grant courage seurmontoit toutes choses adverses, ramenant à mémoire le très haut lignage des rois de France dont il estoit descendu. Comme il n'eust ville né chastel où il trouvast refuge, lors, contre l'opinion des siens qui conseil luy avoient donné de retourner en France ou en Arragon, aux chams devant un chastel se mist et arresta, et fist tendre ses trés et fichier ses tentes; mieux voulant, pour droit et pour justice et son droit requerant, mourir que retourner sans honneur et sans victoire. Duquel Alfons le seigneur du chastel apercevant la sagesce, luy et sa gent, par sa pitié, introduit et mena en son chastel, par l'aide duquel Alfons après ce fist moult de dommages à ses anemis. Et endementiers qu'il estrivoit à ses anemis et moult forment les guerroioit, Ferrant son frère s'en vint en France requerre aide; et d'ilec ala à la cour de Rome pour aide et secours aussi querre, mais d'une part et d'autre pou de profit en raporta.
XX.
Coment le conte de Bar entra en Champaigne à armes.
En icest an, Henri conte de Bar qui avoit la fille au roy Edouart d'Angleterre espousée, avec grant multitude de gent armée en la terre de Champaigne, qui appartenoit par droit héritage à tenir à Jehanne royne de France, comme anemi entra et occist moult d'hommes, et meismement une ville embrasa et ardi. Auquel fol efforcement réprimer et retargier fu envoié par Phelippe roy de France Gauchier de Cressi, seigneur de Chatillon, qui avoit en sa compaignie les Champenois; et par force et par feu, la terre au conte de Bar dégasta; et ainsi le fist retourner pour sa terre garder.
XXI.
Coment le roy Phelippe assist Lille en Flandres.
Et en icest an meisme, Phelippe le Bel roy de France, contre Gui le conte de Flandres qui de sa féauté estoit départi, assembla à Compiègne moult grant ost. Et ilec en la feste de Penthecoste Loys son frère conte de la cité d'Evreux, et l'autre Loys ainsné fils Robert conte de Clermont, avec six vings autres, fist nouviaux chevaliers. Et ce fait, d'ilec s'en ala en Flandres, et maugré les ennemis entra en la terre appertement et viguereusement, et assist Lille, en la vigile monseigneur saint Jehan l'apostre. Et lors fu détruite une abbaïe de nonnains que l'en appelloit Marquete[151]. Et environ Lille jusques à quatre lieues, François par fer et par feu tout dégastèrent. Et lors Gui conte de Saint-Paul, et Raoul seigneur de Neelle connestable de France, et Guy son frère mareschal, avec grant foison d'autres, esloignèrent l'ost environ quatre lieues sur le fleuve[152] de la ville de Commines, et se combatirent à leur ennemis, et de eux cinq cens en vainquirent et plus, et pluseurs en occistrent, et leur tentes retindrent, et pristrent pluseurs soudoiers du royaume d'Alemagne chevaliers et escuiers de grant renom, lesquiels avec eux amenèrent au roy de France présentement.
XXII.
Coment Robert conte d'Artois se combati à Furnes contre les Flamans.
En ce meisme temps, pape Boniface canonisa à Sienne la vieille[153] le saint roy Loys de France. Et en icest an ensement, comme le roy Phelippe-le-Biau fust devant Lille, Robert noble conte d'Artois laissa Gascoigne à nobles et loyaux hommes du royaume de France, et lors vers St-Omer, sa terre propre, se reçut et revint, et appella avec luy son fils Phelippe avec grant plenté de chevaliers et nobles hommes. Lequel conte Robert envahi Flandres de celle part. Contre lequel Guy conte de Flandres envoia tant à cheval comme à pié grant multitude de gens d'armes, et de costé la ville de Furnes se combatirent contre le conte d'Artois. Lors ilec, les batailles ordenées de une part et d'autre fu moult la bataille aspre et merveilleuse. Mais les Flamans, combien que il fussent six cents à cheval, et seize mille à pié, de la gent au conte d'Artois furent tous occis; car le gentil conte noblement se prouva, si que moult, tant chevaliers comme escuiers, avec Guillaume de Juillers, et Henri conte d'Aubemont furent pris. Lesquiels, conroiés à Paris en charetes, et ailleurs par diverses prisons envoiés, à la loenge et à la victoire de noble homme monsieur Robert conte d'Artois, chevalier esmeré[154], avoient mis devant leur visage, la banière et l'enseigne au bon conte. Et lors le conte d'Artois prist la ville de Furnes l'endemain; et après ce, occupa Cassel avec toute la vallée. Adonc endementiers ceux de Lille qui moult estoient grevés et traveilliés de divers assaus de la gent au roy de France, comme il véissent souventes fois leur murs rompre et quasser à pierres; né Robert, l'ainsné fils au conte de Flandres qui avec eux estoit au chastiau, n'osast contre les François issir à batailles, si firent lors convenances au roy de France que de leur biens né de leur vies ne fussent privés, né ne fussent sousmis né malmenés né maumis; et sousmistrent eux et leur biens au roy de France. Mais Robert, qui pou de chevaliers avoit, issi de la ville et à Bruges où son père estoit tout oiseux se reçut. Adecertes, le roy d'Angleterre Edouart qui estoit venu avec le conte de Flandres, fu déceu, si comme aucuns dient; car pour certain il luy avoit mandé qu'il tenoit pris le conte Robert d'Artois et Charles de Valois, le frère au roy de France; lesquiels il devoit tenir à Bruges en prison, si comme il disoit, ou pour ce que plus sauvement peust estre cru. Iceluy roy d'Angleterre estoit là venu pour aidier le conte de Flandres en sa guerre. Et lors quant le roy de France oï les nouvelles de l'advènement au roy d'Angleterre, si garni Lille de sa gent et s'esmut pour aler vers le chastel de Courtray, lequel dès maintenant il prist abandon: et d'ilec après se hasta pour aler Bruges asseoir. Et endementiers, Edouart roy d'Angleterre et Gui le conte de Flandres laissièrent Bruges, et avec leur gent alèrent à Gant pour la forteresse du lieu, où il furent receus; de laquelle chose ceux de Bruges furent espoventés, et au roy humbles et dévos coururent, et eux et leur ville en sa puissance sousmistrent. En laquelle ville le roy de France fist un pou son ost prendre récréation, et puis prist isnelement son erre pour aler vers Gant. Mais si comme il s'en alast ainsi à une petite vilete, luy vindrent messages de par le roy d'Angleterre requerans trièves, auquel, pour cause de yver prochain, et pour l'amour du roy de Secile, qui pour ce venoit en France, à paines, jusques à deux ans, à luy et au conte de Flandres octroia trièves: et lors, ce fait, environ la feste de Toussains, le noble roy de France Phelippe-le-Biau retourna en France.
XXIII.
Coment le pape Boniface envoia au roy de France la régale.
Et en icest an ensement, quant les prélas du royaume de France furent à Paris assemblés, si leur monstra le roy Phelippe lettres contenant coment pape Boniface à luy et à son premier hoir, successeur au royaume de France, avoit ottroié à prendre et à lever les dismes des églyses, toutes fois que leur conscience les jugeroit et créroit estre nécessaire, ou le vouldroient faire; et derechief comme iceluy pape, en l'aide de ses despens qu'il avoit fait en sa guerre, toutes les rentes lui concédoit de l'églyse que l'on appelle régale, les escheoites et les obventions d'un an des prouvendes, des prévostés, des archidyaconés, des doiennés, des bénéfices, des églyses, et de quelconques dignités ecclésiastiques par tout le royaume de France, la guerre durant et vacant, excepté les éveschiés, les moustiers et les abbaïes. Après, en icest an ensement, pape Boniface aucunes constitucions nouvelles, lesquelles avec courage diligent et avecques grand cure, pour l'estat et pour le profist de l'universelle églyse avoit fait compiler et ordener par sages gens en droit canon et en droit civil, au mois de may le tiers jour, en plein consistoire et devant tous qui présens estoient, à lire bailla: et lors quant ces constitucions furent parleues souventes fois par grant diligence, des cardinals approuvées, fist son décret iceluy pape, et ordenna que au cinquiesme livre des Décrétales (si comme au tems présent le povez encore véoir), ces constitutions fussent ajoustées.
Et en icest an meisme, les deux devant dis cardinals de la Columne, déposés par le pape Boniface se transportèrent en une cité de Tuscie[155], laquelle est appelée Nepesie, contre les quiex pape Boniface fist croiserie et envoia un grant ost de ceux de Italie, et escomenia les deux devant dis de la Columne et les réputa et les condampna comme scismatiques. Et en ice meisme an, en la vieille cité[156] sainct Loys jadis roy de France fu par le pape Boniface canonizé. En icest an meisme, Aubert duc d'Austrie en bataille tua Adolphe le roy d'Alemaigne, et fu roy d'Alemaigne après luy, et régna douze ans ou environ.
XXIV.
Coment pape Boniface voult que ceux qui se confessoient aux frères Prescheurs se reconfessassent à leur curés.
ANNÉE 1298 En l'an de grace ensuivant mil deux cens quatre vingt et dix-huit, le privilège donné aux frères Meneurs et aux frères Prescheurs de confessions oïr, de pape Boniface fu rapellé, et fist son décret iceluy pape que celui qui se confesseroit à ces frères, se confessast derechief et regehist ces meismes péchiés à son propre prestre et curé.
XXV.
Coment sainct Loys fu levé de terre.
En icest an ensement ci devant nommé, sainct Loys, jadis glorieux roy de France, qui en l'an devant prochain avoit esté escript au catologue des Saincts et canonisié avec très grant liesce et exaltacion du roy de France Phelippe-le-Biau et des princes et prélas de tout le royaume, avec grant multitude de peuple à Sainct-Denis en France assemblés, l'endemain de sainct Barthélemi l'apostre, de terre fu eslevé, passé vingt-huit ans que au royaume de Tunes dessous Cartage s'endormi en sa derrenière fin en Nostre-Seigneur. Lequel sainct roy, glorieux confesseur de Nostre-Seigneur, de come grant mérite il fu et eust esté envers Dieu, les miracles pleinement fais le démonstrèrent; et toutes voies plus espéciaument après l'exaltacion de son corps eslevé de terre, en diverses parties du monde est démonstré. Car si grant grace de curacion de malades s'escrut que n'estoit nul qui de luy requerre cust fiance et loyaument santé et aide luy requist, que, sans demeure, ne se aperceust de la requeste qu'il avoit faite.
XXVI.
De la mort Phelippe fils Robert le conte d'Artois.
En icest an ensement, moru Phelippe, le fils au noble conte Robert d'Artois qui plus de fils n'avoit; et en l'églyse des frères Prescheurs à Paris fu enterré et enseveli. Et icelui, de sa femme Blanche fille de Jehan duc de Bretaigne, laissa deux fils et deux filles: une en fu mariée après à Loys conte de la cité d'Evreux, frère le roy de France; et l'autre fille prist à mari Gasce[157] fils Raymon Bernart conte de Fois. Et aussi en icest an, Robert conte d'Artois prist la tierce femme à mariage, la fille Jehan conte de Hainaut.
Et en cest an ensement, en la fête sainct Andri apostre, avint en une cité d'Italie en laquelle le pape demeuroit pour le temps, laquelle est appelée Reate[158], si grant et si horrible mouvement de terre que l'en cuidoit que les murs de la ville et les maisons deussent chéoir; et s'en fuioient les gens de la cité aux champs.
Et en ce meisme an, Raoul le fils aisné au roy d'Alemaigne Aubert, prist à femme madame Blanche seur au roy de France Phelippe de par son père.
XXVII.
Coment le fils au roy de Secile envoia en Secile, et de la prise au prince de Tarente.
ANNÉE 1299 Après, en l'an de grace ensuivant mil deux cens quatre vingt et dix-neuf, le duc de Calabre Robert, fils Charles le roy de Secile, à galies et à gens armés et appareillés, en Secile entra; et ilec occupant plusieurs chastiaux, les gens estant en iceux maintenant introduisit et mist à sa volonté. Duquel la beneurée haultesce comme son frère, Phelippe prince de Tarente, attendist, endementiers que icelui le suivoit sans conseil, avec toute sa gent, en mer, des Seciliens fu pris.
XXVIII.
De la paix entre le roy Phelippe de France et Edouart d'Angleterre.
En icest an ensement, entre le roy Phelippe et le roy Edouart d'Angleterre par aucunes condicions fu pais faite; et lors icelui roi d'Angleterre Marguerite seur au roy de France à Cantorbie espousa: de laquelle il engendra un fils qui ot nom Thomas.
XXIX.
Coment le roy des Tartarins fu crestienné.
En icest an ensement, le roy des Tartarins Cassahan qui grant Champ[159] estoit appellé, merveilleusement et par miracle, si comme l'en dit, à la foi crestienne avec grant multitude de sa gent fu converti par la fille le roy d'Arménie qui estoit crestienne, qu'il avoit espousée. Lors avint que un innombrable ost et merveilleux assembla contre les Sarrasins, et ot son mareschal de tout son ost le roy d'Arménie crestien; et premièrement vers Halappe se combati à eux, et après à Camel, et non pas sans grant occision et abatéis de sa gent, et en rapporta victoire. Et puis quant il ot son ost rappareillié et rassemblé et ses forces reprises, il ensuivi les Sarrasins jusques à Damas où le soudan avoit cueilli et amené grant ost: et lors icelui roy des Tartarins ot ilec encontre le soudan et ses Sarrasins moult merveilleuse bataille et aspre; cent mille des Sarrasins et moult plus furent détrenchiés et occis, et le soudan chacié de la bataille, avec pou de sa gent en Babiloine se receut. Et ainsi les Sarrasins furent par la volenté de Dieu du règne de Surie gettés, et icelle Sainte Terre fu sousmise en la main des Tartarins et en leur subjection. Et à Pasques ensuivant, si comme l'en dit, en Jérusalem le service de Dieu les crestiens avec exaltacion de grant joie célébrèrent.
XXX.
Du parlement le roy de France et de Aubert roy d'Alemaigne.
En celui an, Aubert le roy des Romains et Phelippe-le-Biau roy de France, environ l'Avent Nostre-Seigneur, à Valcoulour assemblés avec les nobles de l'un et de l'autre royaume, aliances constituèrent; ilec, otroiant le roy Aubert et les barons et les prélas du royaume d'Alemaigne, fu dit avoir esté ottroié que le royaume de France qui seulement jusques au fleuve de Muese en icelles parties s'estent, des ore en avant jusques au Rin esloignast les termes de sa puissance. Et ilec ensement, à Henri conte de Bar furent ottroiées trèves du roy de France jusques à un an seulement.
XXXI.
Coment Charles conte de Valois prist Douay et Béthune, et desconfit Robert fils du conte de Flandres.
En icest an ensement, quant le terme des trèves fu passé qui estoit entre le roy de France et le conte de Flandres, Charles conte de Valois fu envoié de par son frère le roy de France Phelippe en Flandres, après la Nativité Nostre-Seigneur, à tout grant ost des François: et tost comme là endroit fust venu, il reçut Douay et Béthune abandon. Et après vers Bruges à toute sa gent, assés près de Dam un port de mer, contre Robert fils au conte de Flandres ot aspre et cruelle bataille; et comme d'une part et d'autre pluseurs fussent navrés, toutes voies les Flamens fuirent de bataille, et à Gant tantost se reçurent.
Et en ice tems, Ferri l'évesque d'Orliens fu occis d'un chevalier, duquel il avoit la fille corrompue, si comme l'en disoit, laquelle estoit par avant vierge. Auquel succéda maistre Bertaut de Sainct-Denis, docteur en théologie, renommé entre tous en son tems, lequel estoit par avant arcédiacre de Reins.
XXXII.
Coment le conte de Flandres et ses deux fils se rendirent.
Après, en l'an de grace ensuivant mil trois cens, Charles de Valois, frère le roy Phelippe de France, quant il ot pris le Dam, un port de Flandres, et comme il ordenast à asseoir Gant, Gui le conte de Flandres lors apercevant son orgueil, à celuy Charles avec ses deux fils, Robert et Guillaume, s'en vint humblement, et le remenant de sa terre rendi en la main de Charles conte de Valois, par aucunes convenances entregettées. Lesquiex, amenés à Paris au roy de France, requistrent pardon de leurs meffais et miséricorde; et il la receurent très piteusement: mais jusques au tems d'avoir miséracion et pardon furent mis par divers lieux en prison sous gardes.
XXXIII.
Du grant pardon de Rome.
Et adecertes en cest an, pape Boniface fist indulgence et pardon général, et ottroia plénière indulgence de tous les péchiés à tous vrais repentans et confés, venans, par l'espace de ce présent an et par chascun an centiesme à venir, ès églyses des benois apostres sainct Père et sainct Pol à la cité de Rome, par veu de pélerinage, humblement et dévotement.
XXXIV.
Coment le duc d'Osteriche prist Blanche, la seur au roy de France, et de l'absolucion Rogier de Lor.
En icest an ensement, Raoul duc d'Osteriche, fils Aubert roy des Romains, espousa à Paris Blanche la seur au roy de France Phelippe-le-Biau. Et aussi en icest an, Rogier de Lor qui de piéça pour les Seciliens, envers le roy de Secile et ses gens avoit guerroié, fu maintenant absout du pape, et fu fait amirant de la navie au roy de Secile; et lors vingt galies des Seciliens en mer assailli et débati, et cinq cens de eux et plus occist.
XXXV.
Coment Charles de Valois prist à femme l'empereris.
En icest an ensement, Charles de Valois, quant sa première femme fu morte, prist, après, la seconde, c'est à savoir Katherine fille Phelippe fils Baudoin, jadis empereur de Grèce, essillié et débouté; à laquelle Katerine atouchoit le droit de l'empire de Constantinoble.
XXXVI.
Coment les Sarrasins de Lucere furent occis.
ANNÉE 1300 Adecertes en icest an, les Sarrasins de Lucere[160] une cité de Puille, qui ilec du tems de l'empereur de Rome Fédéric assemblés, sous le treu des roys de Secile vivoient selon leur lois, de Charles roy de Secile furent livrés à mort ceux qui crestiens ne vouldrent devenir.
XXXVII.
Coment le soudan de Babiloine sousmit à luy toute la Saincte Terre.
Et aussi en icest an, le Soudan de Babiloine, quant il ot repris son pooir et rassemblée sa gent, les Sarrasins, les Crestiens et les Hermines[161] du royaume de Jhérusalem et de Surie enchaça par force, et la terre sousmist en sa seigneurie[162].
En icelui an meisme, le jour du vendredi aouré, les Juis de la province de Madaburges firent tant par dons et par promesses par devers une nourrice, que elle leur livra un petit enfant de l'aage de deux ans et demi ou environ, à faire leur volenté; et estoit le dit enfant fils d'un chevalier puissant homme. Quant les Juis orent le petit enfant receu de la dite nourrice pour en faire leur volenté, si le crucifièrent et le firent mourir. Quant le père sot la mort de son enfant, si fu moult courroucié et fist semondre tous ses amis, pour vengier la mort de son fils: dont il avint que le dit chevalier sot que les Juis estoient assemblés: si s'en ala par nuit où il estoient à toute sa compaignie, et fist garder que nul n'en eschapast de tous ceux qui estoient assembles, et tantost fist mettre le feu en toutes les maisons là où il estoient assemblés, et ilec furent ars trois cens Juis ou environ, et aucuns Crestiens avec eux, les quiex il tenoient prisonniers en leur maisons pour debtes. Si avint que le prince de celle région sot que l'en avoit ainsi ars les Juis et aucuns Crestiens, si en fu courroucié, et condamna le dit chevalier père du dit enfant et tous ceux qui participans avoient esté de la mort des Juis, par certain tems à estre essilliés et povres et vivre d'aumosnes.
XXXVIII.
Coment Charles de Valois ala à Rome.
ANNÉE 1301 Après, en l'an de grace ensuivant mil trois cens et un, le frère le roy de France Loys, conte de la cité de Evreux, la fille Phelippe fils au noble conte d'Artois qui Marguerite avoit non espousa. Et en icest an ensement, Charles conte de Valois avec moult de nobles, environ la Penthecoste, se parti de France et vint à Rome, ordenant[163] après de l'empire de Constantinoble guerroier, qui à sa femme appartenoit, sé le pape l'ottroioit. Lequel conte Charles du pape Boniface et des cardinaux avec très grant honneur et révérence fu reçu, vicaire et deffendeur de l'églyse fu establi; et par tout l'an les adversaires de l'églyse de Rome en Touscane guerroia.
XXXIX.
Coment le roy de France reçut les hommages de ceux de Flandres.
En icest an aussi, Phelippe-le-Biau le roy de France visita le conte de Flandres; et de ceux des chastiaux et des villes, et des nobles du pays reçut les feaultés et les hommages, et puis Jaques de Sainct-Pol, chevetaine, laissa garde de tout le païs; et ce fait, il s'en retourna en France. Et en icest an, le conte de Bar Henry, quant il cognut et sot ce que Phelippe-le-Biau, roy de France, ordenoit pour envoier grant ost en sa terre degaster, si s'en vint à luy humblement et dévotement, requérant pardon de ses forfais. (Et luy offri pour l'amende, sé il la vouloit prendre, que il iroit avec Charles de Valois en son voyage de Constantinoble, ou ailleurs en la terre d'Oultre-mer à tout deux cens hommes, à ses despens, par l'espace de deux ans, ou en terme tel comme la bénigne volenté du roy le rappelleroit.)
Et en icest an vraiment, une comète par pluseurs jours au moys de septembre au royaume de France fu veüe droit à l'anuitier, dresçant et estendant sa queue vers Orient.
Et en icest an, le roy d'Angleterre contre les Escos en Escoce pou ou noient tout le tems d'esté profita; si s'en revint sans riens faire, inglorieux et sans honneur.
XL.
Coment l'évesque de Pamiés fu mis en prison.
Et aussi en icest an, le premier évesque de Pamiés[164] qui du roy de France paroles contumelieuses et plaines de blasme et de diffame en moult de lieux avoit semé, et pluseurs, si comme l'en disoit, avoit fait esmouvoir contre sa majesté, pour ce fu appelle à la court le roy, et jusques à tant que il se fust espurgié, sous le nom de l'archevesque de Nerbonne, de sa volenté, fu en sa garde détenu[165]. Et jasoit que contre cel évesque les amis du roy de France fussent griefment esmeus, toutesvoies le roy de sa bénignité ne souffri pas icelui évesque en aucune chose estre molesté né malmis, sachant et entendant de grant courage estre injurié en la souveraine poesté et le souffrir, né en seurquetout le prince estre blescié, aucun estre blescié, glorieux[166]. Et en icest an ensement, au moys de février, l'archédiacre de Nerbonne envoié de par le pape Boniface, vint en France dénonçant de par ice pape au roy de France qu'il rendist icelui évesque sans delay; et luy monstra les lettres ès quelles le pape de Rome mandoit au roy de France que il vouloit qu'il sceut tant ès temporelles choses comme ès spirituelles estre soumis en la jurisdiction du pape de Rome, et ensement au roy dist, si comme ès lettres estoit contenu, que des églyses des ore mais en avant né des provendes vacans en son royaume, jasoit ce qu'il eust la garde de eux, les usufruits, les profis ou les rentes à luy ne préist né présumast détenir, et que tout ce gardast le roy aux successeurs des mors; et, avec tout ce, rappelloit celui souverain pape de Rome toutes les faveurs, graces et indulgences lesquelles pour l'aide du royaume de France au roy avoit ottroié, pour la raison de la guerre, en dénéant luy que aucune collacion de provendes ou de bénéfices ne entreprist à lui usurper, tenir et poursuir; laquelle chose des ore en avant sé faisoit, le pape tout ce vain et faux tenoit, et luy et ceux qui à ce seroient consentans hérites les réputoit. Et lors icelui arcédiacre devant dit, message du pape Boniface, semont tous les prélas du royaume de France, avecques aucuns abbés et maistres en théologie et de droit canon et civil, à venir à Rome ès kalendes de novembre prochain venant, personelment pour eux devant le pape comparoir. Et en icest an ensement, au moys de janvier, l'éclipse de la lune du tout en tout horriblement fu faicte. Et après ce, Phelippe roy de France rendi au message le pape l'évesque de Pamiés, et leur commenda que hastivement de son royaume départissent. Et après ce, en la mi-caresme ensuivant, icelui roy de France Phelippe-le-Biau assembla à Paris tous les barons chevaliers nobles, tous les prélas, les frères Meneurs, les maistres et le clergié de tout le royaume de France, auxquels il commanda que il déissent et demandassent vraiement et privéement aux personnes ecclésiastiques de qui il tenoient leur temporel ecclésiastique, et aux barons et chevaliers de qui leur fiés appelloient né disoient à tenir: car adecertes la magesté royale doubtoit, pour ce que le pape luy avoit mandé tant des temporels comme des espirituels à luy estre sousmis, que ne voulsist le pape de Rome dire que le royaume de France fust tenu de l'églyse de Rome. Et comme tous les prélas et ecclésiastiques déissent avoir tenu du royaume de France, lors le roy leur en rendi graces, et promist que son corps et toutes les choses qu'il avoit exposeroit et mettroit, pour la liberté et franchise du royaume en toute manière garder. Les barons et les chevaliers, par la bouche du noble conte d'Artois, après ce respondirent, disans que de toutes leur forces estoient près et appareilliés pour la couronne de France, encontre tous adversaires, estriver et deffendre. Et ainsi quant celui concile fu deslié et finé, fist lors crier la magesté royale que or né argent né quelconque marchandise du royaume de France ne fussent transportés; et cil qui contre ce feroit tout perdroit, et toutesvoies à tout le moins, en grant amende ou en grant paine de corps seroit puni. Et dès lors en avant fist le roy les issues et les pas et les contrées du royaume de France très sagement garder.
Et en icest an ensement, quant les fils de Sancion, le roy d'Espaigne pieça mors, furent légitimés par le pape Boniface, Ferrant l'aisné tint le royaume paternel. Mais Alfons et Ferrant neveus au roy Loys de France de sa fille, debatans vigueureusement leur droit, celui Ferrant laissièrent petitement régner en repos né paisiblement, mais tous jours viguereusement contre luy guerroièrent.
En cest an meime resplendissoient en France deux nobles dames veuves: c'est assavoir Blanche jadis fille monseigneur saint Loys, laquelle habitoit et demouroit en saincte conversacion à Saint-Marcel près Paris, ilec vacant au service de Dieu et en oroison: et à Tonnère en Bourgoigne estoit Marguerite, seconde femme du premier Charles roy de Secile, en l'hospital des povres, lequel elle avoit fait faire; et là faisoit service aux povres dudit hospital, et leur administrent partie de leur nécessaire, en propre personne, très dévotement et en grant humilité.
Et en ce meisme an, le mardi après Noel devant le point du jour, pluseurs maisons hautes, fortes et garnies de moult de biens furent ars et gastées par meschief, en la rue de Saint-Germain-l'Auxerrois[167] à Paris.
XLI.
De l'occision de Bruges et de la fuite Jacques de Saint-Pol.
ANNÉE 1302 En l'an après ensuivant mil trois cent et deux, Charles conte de Valois, par le commandement de pape Boniface, de Touscane s'en ala en Secile, et le chastel de Termes[168] le jour d'un mardi devant l'Ascension Nostre-Seigneur il reçut abandon, endementiers qu'il appareilloit à luy faire assaut.
Et en icest an ensement, à Courtray[169] un chastel en Flandres, par les exactions non deues qu'il appellent maletoute, les gens du pays, par le gardien de Flandres, Jacques de Saint-Pol chevalier, contre le commandement du roy et la coustume de ce pays, estoient contrains et grevés. Et comme ne peust la clameur du peuple souventes fois estre oïe envers le roy de France, pour le très haut linage du devant dit Jacques; si en advint que le menu peuple s'esmut pour celle cause envers les grans et esleva, dont il y ot grant plenté de sanc espandu; et tant de povres gens comme de riches furent occis les uns des autres. Desquiels aspretés et mouvemens fais, sé il peust estre fait apaisier, comme Phelippe-le-Biau roy de France eust destiné et envoié nobles hommes mil et plus, appareilliés de toutes armes, avec Jacques de Saint-Pol; et fussent de ceux de Bruges, à grant révérence, dedens la ville paisiblement introduis; et disoient les Flamens de Bruges eux vouloir de toutes choses au commandement du roy de France pour bonne volenté et courage obéir: hélas! en icelle nuit du jour ensuivant que nos François estoient venus, comme il se reposassent et dormissent seurement, et ceux qui leur armes avoient ostées, par un pou furent tous traitreusement occis. Car adecertes, si comme l'en dit, ceux de Bruges, en ce soir avoient entendu Jacques de Saint-Pol de Flandres soi avoir vanté que l'endemain il de voit pluseurs de eux faire pendre au gibet. Pour ceci ainsi comme tous desespérés de très grant paour, presumèrent et entreprissent à faire telle desloyale felonnie: et toutes fois s'en eschapa le dit Jacques, par qui celle rage estoit esmeue, avec pou de compaignie, céléement et occultement, fuiant hors de la ville. Et lors ainsi ceux de Bruges reprenant l'esprit du rebellement, la gent d'un port de mer prochain (que l'en appelle Dam) à eux tantost s'accordèrent, et de maintenant degastèrent et chacièrent d'avec eux les gens du roy vilainement qui députés estoient et establis à la garde du port. Et lors après ce fait, les Flamens de Bruges et aucuns autres Flamens, Guy de Namur fils Guy conte de Flandres qui en France tenoit prison appellèrent pour venir en leur aide, et icelui comme deffendeur et seigneur receurent; lequel enforcié de grant multitude de soudoiers Alemens et Tyois venans à eux, les encouragea à eux plus fort rebeller; et en toutes les manières qu'il pot les esmut et atisa et donna conseil à eux esmouvoir.
XLII.
De la bataille de Courtray.
Adoncques endementiers, comme ceux de Bruges s'appareilloient à deffendre, querans de toutes pars aides et soudoiers, Robert noble conte d'Artois fu envoié du roy de France avec moult grant chevalerie des francs hommes et grant multitude de gent à pié et vint en Flandres, et entre Bruges et Courtray tendirent paveillons et trés; (car adecertes il ne pooient passer, pour l'yaue du fleuve près d'ilec courant, sur laquelle yaue les Flamens avoient rompu un pont. Et lors endementiers comme les François entendissent à appareillier le pont) ceux de Bruges, souventes fois à bataille ordenée encontre courans, à l'euvre, si comme il pooient, destourbans tous les jours, les François appelloient à bataille; et lors, voulsissent ou non, le pont après ce rappareillié (à un mercredi, septiesme jour du mois de juillet), de l'accort de l'une partie et de l'autre, venir à bataille deussent. Ceux de Bruges, si comme l'en dit, estudians et cuidans mourir pour la justice, libéralité, et franchise du pays (premièrement confessèrent leur péchiés humblement et dévotement, le corps de Nostre-Seigneur Jhésucrist reçurent, portant avec eux ensement aucunes reliques de sains, et à glaives, à lances, espées bonnes, haches et goudendars[170], serréement et espessement ordenés vindrent au champ à pié par un pou tous. Adoncques les chevaliers françois, qui trop en leur force se fioient, voiant contre eux iceux Flamens du tout en tout venir, si les orent en despit, si comme (foulons, tisserans et) hommes ouvrans d'aucuns autres mestiers; et lors les devant dis François chevaliers contredaignans, leur gent de pié[171] qui devant eux estoient et aloient, et qui viguereusement les assailloient et moult bien se contenoient, firent retraire, et ès Flamens pompeusement et sans ordre s'embatirent. Lesquiels chevaliers gentils François, ceux de Bruges, à lances agues, forment empaignans et deboutans, gettèrent et abatirent à terre du tout en tout ceux qui à celle empointe furent à rencontre. Desquels la ruine tant soudaine voiant le noble conte d'Artois Robert qui oncques n'avoit acoustumé à fuir, avec la compaignie des nobles fors et viguereux, ainsi comme lyon rungent[172] et esragié, se plonga ès Flamens. Mais pour la multitude des lances que les Flamens espessement et serréement tenoient, ne le pot le gentil conte Robert tresforer né trespercier. Et lors adecertes ceux de Bruges, ainsi comme s'il fussent convertis et mués en tigres, nulle ame n'espargnièrent, né haut né bas ne deportèrent, mais aux lances agues bien ancorées[173] que l'en appelle bouteshaches et godendars, les chevaliers des chevaux faisoient trébuchier; et ainsi comme il chéoient comme brebis, les acraventoient sus la terre. Adonc le bon conte Robert d'Artois, vaillant et enforcié de toutes gens, jasoit ce qu'il fust navré de moult de plaies, toutes voies se combati-il forment et viguereusement[174], (mieux voullant gesir mort avec les nobles hommes qu'il voioit devant luy mourir que à ce vil et villain peuple rendre soy vif enchaitivé). Et lors, quant les autres compaignies qui estoient en l'ost des François, tant à cheval comme à pié, virent ce, à par un pou deux mille haubers avec le conte de Saint-Pol et le conte de Bouloigne, et Loys fils Robert de Clermont pristrent la fuite très laide et très honteuse, laissans le conte d'Artois avec les autres honnorables et nobles batailleurs, Dieu quel dommage et quel doleur! ès mains des villains estre détrenchiés mors et acraventiés. Des quiels la fuie non esperée voians les Flamens adversaires, lors pour ce leur courages enforciés reculèrent, et ceus qui par un pou vaincus s'en vouloient fuir, requerans et venans aux tentes des fuians, trestout ravirent et pristrent. Et adecertes ilec avoit grant copie[175] d'armes et grant appareil batailleur. Par les quiels les Flamens enrichis et des corps occis, quant il les orent tous desnués de leur armes et de leur vestemens, et la bataille du tout en tout vaincue, à grant joie à Bruges s'en revindrent. Et ainsi à grant doleur tous les corps desnués, et tant de nobles hommes demourans en la place du champ, comme il ne fust qui les baillast à sépulture, les corps de eux les bestes des champs, les chiens et les oysiaux mengièrent; laquelle chose en dérision et escharnissement et moquerie tourna au roy de France, et à tout le lignage des mors en reproche perpétuel en tous les jours.) Et adecertes y gisoient mors et acraventés moult de nobles hommes, dieux quel dommage! c'est à savoir: le gentil conte d'Artois Robert, et Godefroy de Breban son cousin avec son fils le seigneur de Virson[176], Adam le conte de Aubemarle, Jehan fils au conte de Haynaut, Raoul le seigneur de Neelle connestable de France, et Guy son frère mareschal de l'ost, Regnaut de Trie chevalier esmeré[177], le chambellanc de Tancarville, Pierre Flotte chevalier, et Jacques de Saint-Pol chevalier, monseigneur Jean de Bruillas maistre de arbalestriers, et jusques au nombre de deux cents et moult d'escuiers vaillans et preux. Toutes voies au tiers jour après ce fait, à ice lieu vint le gardien des frères Meneurs d'Arras, et recueilli le corps du très noble conte d'Artois desnué de vesteures et navré de trente plaies. Lequel gentil conte icelui gardien en une chapelle prochaine d'ilecques de femmes de religion nonains, de petit édifiement[178], si comme il pot, quant il ot le service célébré, mist le corps en sépulture. Et vraiement iceste instance et démollicion et male aventure à François à venir, icelle comete qui à la fin du moys de septembre devant passé à l'anuitier par pluseurs jours fu veue par le royaume de France, et l'éclipse au mois de janvier faite, si comme dient aucuns, le segnifièrent et demonstrèrent. Adonques Gui de Namur enhétié[179] de la victoire des siens et lors son courage embrasé de l'orgueil de occuper toute Flandres, s'efforça de tendre à greigneurs choses; car après il assist ceux de Lille: et maintenant par tricherie et fraude, maintenant eux comme ceux de Tournay, ceux d'Ypre, ceux de Gant, ceux de Douay, et les autres villes de Flandres abandon venir efforça et ensement atrait; et lors vers Arras manda à ses coureurs et fourriers à accueillir la proie. Les quiex comme il s'efforçassent à proier et rober l'abbaïe du mont Saint-Eloy, par la gent de l'évesque d'Arras furent deboutés et déchaciés, si que il convint qu'il retournassent pour garder leur termes.
XLIII.
Des prélas de France qui envoièrent à court de Rome.
En ce meisme temps les prélas du royaume de France qui en l'an devant prochain estoient appellés et semons de venir à court de Rome, si orent conseil ensemble et regardèrent qu'il n'i pooient aler, tant pour la guerre de Flandres comme pour ce que par les maistres du royaume de France estoit dévée porter or et argent; mais pour ce qu'il ne peussent estre repris de désobéissance envoièrent pour eux trois évesques qui denoncièrent pour eux au pape Boniface la cause de leur demourance. Et à ce pape ensement envoia le roy de France l'évesque d'Aucuerre Pierre, et luy pria que pour s'amour il regardast de la besoigne pour laquelle les dis évesques vouloient assembler jusques à un temps miex convenable.
XLIV.
De l'ost de France qui fu à Arras sans rien faire.
Après ce que le bon conte Robert d'Artois fu mort, Phelippe-le-Biau roy de France, qui moult en estoit dolent, après la feste de l'Assumpcion Nostre-Dame, mère de nostre Seigneur, laquelle feste on appelle la mi-aoust, à la cité d'Arras assembla, pour aler contre les Flamens, si grant et si merveilleux ost qu'il peust estre nombré jusques à cent fois mille et quarante fois mille de gens armés chascun selon son pouvoir. Et comme si très bel et si grant ost eust cuidié de maintenant et de légier toutes Flandres et les Flamens destruire, je ne say par quel conseil des quiex, d'ilec jusques à deux lieues seulement avec grant et merveilleux ost, nostre roy Phelippe fist tendre ses tentes, et fu veu tout le mois de septembre despendre et dégaster. Et comme il eust les anemis Flamens assez près de ses ieux par l'espace de tant de temps, qui leur tentes y avoient fichiées, et si estoient logiés au plus près, ne laissa oncques à faire à eux un assaut né aucune ville de ses anemis ne laissa oncques né ne souffri à assaillir. Mais de maintenant donna congié de départir à icest noble ost qui légièrement peust sousmettre tout le monde sé il fust noblement et à droit gouverné, et s'en revint sans riens faire et inglorieux en France arrière. Laquelle chose fu honte aux chevaliers et les esmut en pluseurs escharnissemens et meismement les anemis de la gent au roy de France à moquier eux. Duquel ost le département cognoissans les Flamens adversaires, de maintenant à eux les villes prochaines et les garnisons de la conté d'Artois embrasèrent et ardirent en feu; toutes voies dient aucuns que par la décevance et tricherie Edouart le roy d'Angleterre qui la partie des Flamens nourissoit, le roy de France avoit esté déceu, si s'en départi ainsi; car devant avoit faint ce gourpil[180] par tricherie Angloisienne luy avoir très grant doleur dedens son cuer, estre malade et enfirme pour ce qu'il avoit entendu, si comme il disoit, son serourge et ami, le roy de France, estoit à estre baillié et livré de sa gent meisme ès mains de ses anemis, s'il avenoit qu'il eust bataille contre eux; laquelle chose comme il le racontast ainsi comme à conseil à sa femme, comme cil qui bien savoit que tantost elle le manderoit à son frère: lors icelle qui cuidoit celle chose estre vrai, tantost le manda à son frère le roy de France. Et ainsi, pour celle chose, se départi le roy avec le merveilleux et innombrable ost qu'il avoit assemblé[181]. Mais toutes voies, ainsois que le roy s'esmeut né départist, il envesti et saisi le conte de Bourgoigne Othelin de la seigneurie de la conté d'Artois, pour raison de Maheut sa femme, fille seule du noble conte d'Artois Robert, occis des Flamens de Bruges: sauf le droit que en ice requéroient les fils et les enfans Phelippe frère de celle Maheut, qui par devant estoit mort. Et ensement, le roy de France laissa pluseurs sergens et chevaliers par divers lieux, bien ordenés et appareillés à bataille, qui les efforcemens des Flamens et leur décours en la terre d'Artois constrainsissent et débatissent. Et adecertes iceux, après ce, souventes fois à leur anemis orent assaut, et moult repristrent et restraindrent leur efforcemens: tant que en la veille de saint Nicolas d'yver, de ceux de Bruges huit cens et plus, vers Ayre, en une bataille en occistrent.
XLV.
De l'accort entre le roy de Secile et Fedric l'occupeur de Secile.
Et en ce temps ensement, Charles conte de Valois, frère de Phelippe roy de France, qui en Secile un chastel qui est appellé Termes avoit occupé sur les anemis du royaume de Secile, tout le temps d'esté par la terre de Secile à batailles ordenées çà et là aloit, mais nulle ame n'encontra qui encontre luy courust pour batailler. Et adecertes les Seciliens se tenoient ès chastiaux et ès cités, (né ne vouloit Fedric l'occupeur de Secile, ou par aventure n'estoit tant hardi envers le conte Charles, lequel estoit né de son sanc, procréé et descendu, tant faire que il se osast contre lui à bataille issir. Mais à la parfin furent trièves données, et vint icel Fedric à son parlement souplement et humblement, les choses qui sont de paix requerant.) Et lors messire Charles qui, si comme l'en dit, avoit jà oï nouvelles de ses amis occis en Flandres (et que par un pou avoit perdu tous ses chevaux par maladie, si ot compassion du royaume de France et de son frère le roy Phelippe;) adonc, par le conseil de sa gent, entre Fedric et les Seciliens fist et ordena la pais en telle manière qui s'en suit, c'est à savoir: cestui Fedric toute l'île de Secile, toute sa vie, paisiblement et à repos, sans nom royal, tendroit et poursuivroit; et tout ce qui estoit en Calabre et en la terre de Puille, que luy ou son frère le roy d'Arragon jadis avoit acquis, tout au roy de Secile laisseroit; noientmoins que les chaitis, qui de lonc temps ou de petit estoient en prison, seroient délivrés sans nulle riens donner, et délaissiées toutes rancunes et injures d'une part et d'autre. Adecertes avec ces choses, de leur consentement et accort, celui Fedric devoit prendre à femme la fille au roy de Secile qui avoit nom Alienor. Et selon leur povoir estoient tenus Charles conte d'Anjou et Robert duc de Calabre, fils le roy de Secile qui lors y estoit présent avec Charles, labourer loyaument envers le roy d'Arragon et le conte de Braine, que le droit du royaume de Sardaigne, ensement le droit au conte de Braine, ou le droit du royaume de Chypre qui à iceux, si comme l'en dit, apartenoit, donroient et délaisseraient du tout en tout à Fedric, c'est assavoir les royaumes dessus nommés ou l'équipollent: cest otroiement dessus ces choses le pape approuvant. Et sé celle chose ne povoient faire, si seroient tenus iceux Charles et Robert, selon leur povoir, un autre royaume à Fedric acquerre, à un d'iceux royaumes dessus nommés équipollent; et sé ensement ne povoient ces choses acomplir, Charles le roy de Secile seroit tenu à cent mille onces d'or donner après la mort de Fedric en amende de sa rente, pour les enfans procréés de sa fille Aliénor; et ainsi à la parfin la terre de Secile à luy paisiblement revendroit. Et lors de la pais et les autres choses loyaument garder, tant les barons de Secile comme Fedric et les maistres du Temple sur les sains évangiles jurèrent. Et, ainsi ce fait, si les fist Charles, conte de Valois, par son chapelain assoudre, à qui le pape avoit commis s'auctorité: et puis, ce fait, icelui Charles, conte de Valois, repairant de Secile vint à Rome, et au pape et aux cardinaux raconta tout ce qu'il avoit fait, et s'en retourna en France environ la purificacion de la benoicte vierge Marie que l'en dist la Chandeleur. (Mais à celle manière de pais d'entre Charles et Fedric dient aucuns le pape Boniface avoir donné petit ottroiement né assentement.)
XLVI.
Du cardinal le Moine qui vint en France en message.
Et adecertes en cest an ensement, les prélas du royaume de France, delès le mandement en l'an devant passé, aux kalendes de novembre non comparons né venans, Boniface riens n'ordena de ce qu'il avoit empensé à faire: et pour ce que à profit venir ne povoient, si comme devant avoient segnefié et mandé, lors à eux le pape, de Rome Jehan le Moine, prestre et cardinal de l'églyse de Rome, en France envoia et destina, qui à Paris au commencement du mois de quaresme vint. Quant le concile fu assemblé, il orent secret conseil avec eux, et au pape par lettres closes ce qu'il avoit oï de eux manda; et tant longuement demoura en France jusques à tant que sur ces choses le pape luy mandast sa volenté et son plaisir.
Et en cest an ensement, en Gascoigne, ceux de Bourdiaux qui jusques à maintenant sous le povoir du roy de France paisiblement et à repos s'estoient tenus, quant il oïrent son repaire de Flandres sans riens faire, tous ses gens et les François déboutèrent et chacièrent hors de Bourdiaux, la seigneurie d'icelle cité à eux, par folle présompcion, usurpans et prenans. Car adecertes il doubtoient, si comme pluseurs affermoient, que se la paix du roy de France et du roy d'Angleterre estoit du tout en tout faite, que il de maintenant au povoir du roy d'Angleterre ne fussent sousmis, et que tantost après il ne leur fist ainsi comme il avoit fait jadis à la cité de Londres. (Car l'en dit luy avoir fait pendre les bourgois à leur portes.)
XLVII.
De la bataille de Saint-Omer.
En cest an ensement, Othelin le conte de Bourgoigne et d'Artois clost son derrenier jour. Et en cest an ensement, en Flandres, le jeudi absolu, quinze mille Flamens par la gent au roy de France furent occis en bataille[182]: et quant les autres compaignies virent ce, qui, un pou devant, la terre Jehan conte de Hainaut, laquelle il tenoit du roy de France en fié, dégastoient et un sien chastel très fort que on appelle Bouchain avoient jà acraventé, si donnèrent trièves à ceux de Hainaut et s'en retournèrent pour leur termes deffendre.
XLVIII.
Des messages aux Tartarins.
ANNÉE 1303 Après, en l'an ensuivant mil trois cens et trois, en la sepmaine de Pasques, vindrent à Paris au roy de France les messages aux Tartarins, disans que sé le roy de France et les barons du peuple crestien leur gens en aide de la Sainte Terre envoioient, le seigneur de eux, le sire de Tartarie, aux Sarrasins à toutes ses forces se combatroit, et seroient fait tant luy comme son peuple de bonne volenté crestiens.
XLIX.
De la bataille de Lille et de l'accusement le pape de Rome.
En cest an ensement, à Lille un chastel en Flandres, le jour d'un jeudi après les octaves de Pasques, deux cens hommes de cheval armés et trois cens hommes de pié des Flamens, furent tant occis comme pris de ceux de Tournay et de Fourquent de Melle[183] mareschal au roy de France. Et en cest an ensement, Phelippe-le-Bel qui longuement avoit tenue et occupée la terre de Gascoigne, au roy d'Angleterre Edouart la restabli, et fu réformée amiablement la paix, de la quelle pour icelle terre s'estoient desjoins. Et en ce temps, les barons et les prélas du royaume de France, par le commandement du roy, à Paris au concile se assemblèrent, et ilec fu traitié devant tous: c'est assavoir d'aucuns agravemens du royaume et du roy et des prélas que à eux, si comme l'opinion de moult de gens estoit veu affirmer, le pape de Rome en prochain entendoit faire[184]. Et fu ensement icelui pape d'aucuns chevaliers devant les prélas et la royale majesté de moult de crimes blasmé, diffamé et accusé: c'est assavoir de hérésie, de symonie et d'omicide, et de moult d'autres vilains mesfais droitement sur luy mis et tous vrais, si comme aucuns disoient. Et pour ce que à pape et à prélas hérites[185] selon ce que l'en trouve ès sains canons, ne doit pas estre paiée obédience, fu ilec du commun conseil de tous appellé jusques à tant que le pape de ces crimes et de ces cas que l'en luy avoit mis sus s'espurgast, et qu'il en fust de tout en tout purgié. Et ainsi à la parfin, ce parlement deslié, l'abbé de Cistiaux seul à eux non assentant avec indignacion et desdaing de moult tant du roy comme des prélas, s'en revint à son propre lieu[186]. Et lors le cardinal de Rome Jehan le Moine qui un pou devant ce avoit esté envoié en France, et lors en pélerinage estoit allé à Saint-Martin-de-Tours, quant il oï nouvelles du pape, au plus tost qu'il pot issir du royaume de France s'en issi. Et en cest an ensement, Robert fils le conte de Bouloigne et d'Auvergne, Blanche la fille Robert de Clermont fils du saint roy de France Loys, espousa.
L.
Coment le message de pape Boniface fu mis en la prison le roy.
En icest an ensement, un archédiacre de Constance nommé Nicole de Bonnefaite[187], message du pape Boniface et de luy en France envoyé pour ce que le royaume supposast à entredit, si comme pluseurs l'estimoient, à Troies une cité de Champagne, au royaume de France, fu pris et mis en la prison le roy de France. En cest an ensement, Phelippe, fils le conte de Flandres Gui, qui par pluseurs ans, avec le roy de Secile Charles le secont avoit demouré, et de maintenant usant, si comme l'en disoit, de la pecune pape Boniface et de son aide, avec grant compaignie de Tyois et d'Alemans soudoiers, environ la saint Jean-Baptiste, appliqua en Flandres; duquel le peuple des Flamens accréu moult et enorgueilli, la terre du roy de France prist plus aigrement à envaïr que devant, et lors le chastel de Saint-Omer en la conté d'Artois dès maintenant voullurent asseoir. Et comme non pas sagement passoient et aloient en tour le chastel, dès leur en occistrent ceux du chastel trois mille: de la quelle chose les Flamens trop iriés et courrouciés, comme il ne peussent ilec profiter pour la forteresse du lieu, vers Terouanne, une cité du royaume de France, menèrent leur ost; laquelle au mois de juillet assistrent et consommèrent par embrasement.
LI.
De l'ost qui fu à Péronne et retourna sans riens faire.
Et adecertes en icest an, Edouart, le roy d'Angleterre, des Escos à luy contrestans ot victoire; et lors prist toute Escoce et la mist en sa seigneurie, exceptés aucunes garnisons assises en palus et sur hautesces de montaignes, environ la confinité de la mer. Et en cest an ensement, Phelippe-le-Biau roy de France, environ le commencement du mois de septembre, proposant de rechief en sa propre personne aler contre les Flamens et ses armes prendre et guerroier-les avec un grant ost et innombrable, prist son erre, et à Pérone, un chastel de Vermendois en la confinité d'icelui[188], l'expédition de son ost assembla: mais ilec, si comme l'en dit, environné de parlement et par l'amonestement du conte de Savoie[189], jusques à la Pentecoste ensuivant trièves donnant et prenant des Flamens seconde fois, sans gloire et sans honneur des Flamens se parti.
LII.
De la mort le pape Boniface.
Et en icest an ensement, quant le pape Boniface entendi les félonnies et les crimes de luy dit au concile des François, et l'appel qui fu proposé et fait des prélas, si proposa à faire un concile pour remédier à ces choses. Et pour ce qu'il ne luy fust fait injure de pluseurs qu'il avoit courrouciés et meismement des cardinals de la Colompne qu'il avoit déposés, si se douta et lors s'en ala à la cité d'Anaigne[190] dont traioit origine[191] et naissance, et sous la garde de ceux de la cité se reçut, en atraiant à lui par jour les cardinals dehors les murs, et au vespre revenant, les portes de la cité closes. Chascun jour pourchaçoit et délibéroit quelle chose seroit mieux à faire en si grant tourbe de choses: mais comme il cuidast ilec trouver seur refuge et reconfort, si fu ilec de ses adversaires maintenant assis. Et quant ceux de la cité virent ce, si mandèrent aux Romains que il receussent leur pape, aux quiels quant il furent venus, il fu tantost rendu et pris[192]: et eust été d'un des chevaliers de la Colompne deux fois parmi le corps féru d'un glaive, sé un autre chevalier de France ne l'eust contresté: mais toutes fois de ce chevalier de la Colompne en retraiant fu féru au visage, si que il en fu ensanglanté. Et comme il fu mené à Rome d'un chevalier le roy de France nommé monseigneur Guillaume de Nogaret[193], il le suivi humblement et dévotement, auquiel pape l'en dit lui avoir reprouvé et dit en telle manière: «O tu chaitif pape, voy et considère et regarde de monseigneur le roy de France la bonté, qui tant loing de son royaume te garde par moi et deffent.» Duquiel les paroles ice pape après ce ramenant à mémoire, comme il fu à Rome establi en son consistoire, la besoigne du roy de France et de son royaume commist à Mahy-le-Rous diacre-cardinal qui, selon ce qu'il seroit expédient et avenant, de la devant dite besoigne à sa pleine volenté ordeneroit. Et quant il ot ce dit, au chastel de Saint-Ange dedens Rome s'en ala et se reçut; et par le flux de ventre, si comme l'en dit, chéi en frenaisie, si qu'il mengoit ses mains, et furent oïes de toutes pars par le chastel les tonnerres et veues les foudres non acoustumées et non apparans ès contrées voisines. Celui pape Boniface sans devocion et profession de foy[194] mourut. Après laquelle chose, fu pape en l'églyse de Rome le cent quatre-vingt et dix-huitiesme[195], Benedic l'onziesme, de la nacion de Lombardie, de l'ordre des frères Prescheurs que l'en appelle Jacobins.
LIII.
Coment le roy visita la terre d'Aquitaine et le païs environ.
En cest an, quant Hue le conte de la Marche fu mort, Phelippe le roy de France par son don reçut la cité d'Angoulesme avec la conté[196]. Et en cest an ensement, Phelippe-le-Biau, roy de France, tout le temps d'iver visita la terre d'Aquitaine et les provinces de Thoulouse et d'Albigois, et avironna le païs jusques à tant qu'il venist aux contrées des Narbonnois; et les courages de moult de gens tant du menu peuple comme des nobles et des barons, qui jà estoient esmeus par le conseil des mauvais, et a par un pou vouloient le roy deffier, referma en la grace de s'amour. Et pour ce que il se monstra à tous libéral, large, favorable et benigne, fu-il de eux grandement et honorablement receu, et de moult de grans dons, se il les voulsist avoir receus, rémuneré; et attrait à luy merveilleusement les cuers de tous. Et adecertes en pou de temps en amour furent envers luy trestous attrais, si que il luy promistrent loyaument en effect luy faire aide de toute leur vertu à leur propres despens contre tous les adversaires du royaume de France et meismement contre les Flamens, les quiels le roy proposoit au temps d'esté ensuivant de rechief guerroier. Et après ce que le roy fust venu à la noble cité de Thoulouse, envers aucuns frères de l'ordre des Prescheurs qui ilec estoient envoiés pour encerchier les hérites, s'éleva et esmut une complainte détestable et diffamable: car, si comme l'en disoit moult, les devant dis frères, tant nobles comme non nobles accusoient de hérésie sans cause, et les faisoient, par les seneschaux et baillis le roy ou par leur sergens, par paines en prison detenir, dont moult de fois avenoit que ceux qui donnoient pécune aux frères s'en eschapoient tantost sans estre mal mis. Des quielles félonnies faites, jasoit ce que le roy par devant ce en eust cogneu, par un noble homme appellé le Vidame de Piquegni, chevalier sage et loyal et très gentil lequel en l'an devant passé avoit ilec envoié, la vengeance à dissimulacion proloigna, jusques à tant que de plus sage et de plus sain conseil fust après ce informé. Et pour ce que le dit chevalier aucuns de prison sans la volenté des frères délivra, comme il usast de l'auctorité et légacion royal en ces parties, ces frères, en ce point non reposans[197], dénoncièrent le dit chevalier par toute la terre publiquement, et manifestement pour escommenié. Encontre la sentence des quiels, cil chevalier feit appel, et lors, la besoigne de son appel maintenant jusques à Rome ensuivi. En la persécucion d'icelle besoigne comme moult entendist, près de Perreuse où lors la court de Rome estoit fu mort[198]. Et ceste besoigne fu puis menée devant le pape Benedic, et fu trouvé que les dis frères enquisiteurs des bougres et herites, estoient faussement encusés de la procuracion des dis bougres, et fu trouvé que le dit Vidame de Piquegni, en donnant faveur aux dis bougres contre droit et contre les ordenances de l'églyse de Rome, avoit brisié les prisons et délivré pluseurs bougres, pour quoy il fu dénoncié pour escommenié par le commandement du pape.
LIV.
De la bataille du convers et du diable.
[199]En cest an meisme, le samedi devant Noël, un convers du val de Sarnay, de l'ordre de Cistiaux, lequiel avoit nom Adam et estoit gouverneur d'une granche qui est appellée Croches assez près de Chevreuse; le quiel Adam se leva devant le jour, le devant dit samedi, nonobstant qu'ilcuidast vraiement qu'il fust jour, et commença à chevauchier et estoit avec luy un varlet à pié. Et quant il ot un pou chevauchié, il vit le diable visiblement en quatre ou cinq formes, assez loing de la dite granche. Et ainsi comme il chevauchoit en disant ses oroisons acoustumées en lieu de matines et de heures, il vit devant soy ainsi comme un grant arbre au chemin par le quiel il aloit; et luy sembloit que le dit arbre venoit bien hastivement à l'encontre de luy. Adonc commença son cheval à frémir et estre ainsi comme demi forsené, par telle manière que à paine le povoit-il mener droite voie: et d'autre part son varlet commença à frémir et à héricier, et avoit très grant horreur, en telle manière que à paine se povoit-il soustenir sur ses piés né après son maistre aler. Si commença le dit arbre à approuchier du dit convers, et, quant il fu un pou près de luy, il luy sembla qu'il estoit brun et ainsi comme couvert de gelée blanche. Comme il le regardoit, il va cheoir emprès luy en telle manière que oncques ne toucha à luy: mais très grant puantise et corrupcion du dit arbre issi. Lors aperçut le dit convers que ce estoit le diable qui luy vouloit nuire; adonc commença à appeller la benoicte vierge Marie le plus dévotement qu'il pot. Si avint, assez tost après qu'il se fust recommendé à Nostre-Dame, qu'il commença à chevauchier moult lentement comme homme espoventé; si vit de rechief le diable qui chevauchoit après luy à son destre costé, et estoit environ deux piés près du dit convers en forme de homme, et ne parla oncques à luy. Adonc ledit convers prit en soy hardiesce, et parla au diable et dist en celle manière: «Meschant, coment es-tu si hardi de moy faire assaut en ceste heure, que mes frères chantent matines et loenges[200], et prient, pour moy et pour les autres frères qui ne sont pas présens, Dieu et la benoicte vierge Marie, à la quielle ceste benoicte journée de samedi est appropriée? Dépars toi, car nulle partie n'as en moy, pour ce que à la Vierge sergent me suis voué.» Lors le diable en pou d'espace se désapparu. Tiercement luy apparu le diable en forme d'un homme de très grant estature, mais il avoit le col gresle et menu, et estoit emprès luy: et lors le convers qui moult se courrouça de ce qu'il luy faisoit tant de molestes et empeschemens, prist un petit glaive qu'il portoit, et le commença à férir forment; mais son cop fu aussi vain comme s'il eust féru un drapel pendu en l'air. De rechief et quartement apparu le diable au dit frère Adam, en habit d'un homme noir né trop grant né trop petit, ainsi comme sé ce fust un moine noir, ses ieux gros et resplandissans ainsi comme deux chauderons de cuivre nouvellement esclaircis, ou nouvellement dorés: adonques le dit convers qui jà estoit moult lassé et troublé de l'ennui que le diable luy faisoit, si se pensa qu'il le ferroit en l'un de ses ieux; adonc il esma[201] son cop pour le férir; mais le chaperon luy chéi devant ses ieux, si perdi son cop.
De rechief luy apparu le diable en forme d'une diverse beste et avoit les oreilles larges comme un asne. Adont dit le varlet du convers à son maistre: «Sire, j'ai oï dire que qui feroit un grant cercle, et mettroit au milieu et tout environ le signe de la croix, le diable n'i oseroit approchier. Ce meschant ci vous fait trop de moleste: si vous conseille que vous faciez ce que je vous dis.» Adonc le convers prist son petit glaive qu'il portoit à son costé, au quiel glaive avoit un fer taillant de deux costés et fist un cercle, et fist au milieu et en tour le dit cercle le signe de la croix; et dedens le dit cercle fist entrer son cheval et son varlet, et se mist le dit convers à pié encontre le diable, et luy commença à dire moult de laides parolles et de reproches, et en la fin il luy cracha au visage. Lors le diable mua ses grans oreilles en cornes, et sembloit que ce fust un asne cornu. Quant le convers ot ce apperceu, si luy voult coper une de ses cornes et le féri, mais son cop rebondi ainsi comme s'il eust féru contre une pierre de marbre, et ne luy fist nul mal. Lors le varlet du convers dit à son maistre: «Sire, faites en vous le signe de la croix.» Et adonc se signa ledit convers, et tantost le diable en semblance d'un gros tonniau roullant, vers une ville qui estoit appellée Mollières[202] qui assez près estoit d'ilec, s'en ala; et ne le vit plus le dit convers. Lors se prist le dit convers à cheminer, car il estoit jà jour cler, et s'en vint à son abbé au mieux qu'il pot, le quiel estoit à l'une des granches avecques autres abbés de leur ordre; et là estoit mandé le dit convers de son abbé pour disner avec luy. Et là vint le dit convers assez matin, et leur conta l'aventure qui leur estoit avenue. Si raconte cestui qui fist ceste cronique et qui fu présent quant le dit convers fist foy et serement devant les abbés de son ordre, que ce qui par avant est escript luy estoit avenu en la forme et manière que il le dénonçoit. Et si tesmoigne ceslui qui fist ceste cronique qu'il scet bien le lieu et qu'il vit le cheval qui par avant estoit paisible et débonnaire, et depuis il estoit ainsi comme tout impétueux et demi forsené. Toutes les quielles choses furent confessées et tesmoigniées par le serement du dit varlet qui estoit avec le dit convers quant ces choses luy avindrent. Et fallut que le dit commis fust despouillié de la robe qu'il avoit vestue, tant puoit, et qu'il fust revestu de l'une des robes aux autres frères[203].
Et en ce meisme an, Guillaume le fils au conte de Haynaut et Gui évesque de Trajette[204], son aïeul[205], furent desconfis des Flamens; les quiels avoient occupé une grande partie de Gerlande: et fu le dit évesque pris, et le dit Guillaume se sauva en un chastel.
LV.
Du conte de Flandres et de son fils qui furent menés en Flandres.
ANNÉE 1304 Et en cest an ensement, Gui le conte de Flandres et Guillaume son fils des lieux où il estoient en garde furent délivrés et furent envoiés en Flandres pour le peuple apaisier; mais il ne le pot estre fait. Et pour ce que tousjours en la haine des François montoit le fol orgueil des Flamens, s'en revindrent arrière aux lieux de leur garde le devant dit Gui et son fils sans riens faire. Et en cest an ensement, environ la purification de la benoicte vierge Marie, la fille Gui conte de Flandres, qui à Paris estoit tenue noblement en garde, mourut.
En cest an ensement, Regnaut Giffart abbé de Saint-Denis en France, en la veille de la saint Grégoire[206] mourut: après lequel le prieur d'icelui lieu de la nacion de Pontoise fu abbé.
LVI.
De la fausse beguine qui se faignoit estre de saincte vie.
L'an mil trois cent et quatre rassembla le duc Guillaume de Haynaut tout son povoir et se combati contre les Flamens en la terre de Gerlande et les vainqui, et si en mist à mort grant multitude. Et en ce meisme an habitoit en Flandres une femme fausse prophète, la quielle estoit en habit de beguine, et faignoit estre femme de saincte vie, et demouroit avec les béguines et faignoit aucunes révélacions fictives et plaines de mensonges par les quielles le roy, la royne et meismement les nobles de France elle trompa; et especiaument en ce temps que le roy de France avoit empensé d'aler combatre les Flamens. Et encore fist-elle tant que, à la requeste des Flamens, Charles conte de Valois, le quiel retournoit de Secile, voult faire empoisonner par un jeune homme que elle luy envoia malicieusement. Mais quant Charles oï parler de celle femme, il la fist prendre et mettre en gehenne, et lui fist faire du feu ès plentes des piés, et adonc confessa sa mauvaistié si comme l'en disoit. Et lors la fist ledit messire Charles mener en prison à Crespi en Valois, et là fu une pièce de temps; mais en la fin il la laissa aler.
Et en cest an, Jehan de Pontoise abbé de Citiaux se démist du gouvernement de ladite ordre, pour ce que l'en disoit que il ne s'estoit voulu consentir aux appiaux[207] lesquiex avoient esté fais à Paris contre le pape. Car il luy sambloit véritablement et se doubtoit moult que par le roy ou ses menistres dommage ne fust fait à ses frères en la temporalité, et pour ceste cause il se démist.
Et en ce mesme an, le dimenche devant la Nativité monseigneur sainct Jehan Baptiste, furent mises seurs de l'ordre des frères Prescheurs à Poissi, en la dyocèse de Chartres, en une églyse[208] nouvellement édifice du roy Phelippe en l'onneur du glorieux confesseur monseigneur sainct Loys jadis roy de France.
Et en cest an, mut une très grant dissencion entre l'Université et le prévost de Paris. Car le dit prévost avoit fait prendre par commandement un clerc et le fist mettre en prison, et puis tantost pendre au gibet: adonc cessa la lecture de toutes les facultés à Paris jusques à tant que par commandement du roy, le dist prévost l'amendast à l'Université et que il leur eust fait satisfaction; et fallut que le dit prévost alast à Avignon pour soy faire absoudre; et environ la feste de Toussains recommencièrent les lectures[209].
Et en ce mesme an, en la veille des apostres sainct Pierre et sainct Pol, furent assemblés en l'églyse Nostre-Dame de Paris grant quantité de prélas et de clergié tout de par le roy mandés. Et là furent leues, de par le roy, lettres papales ès quelles, entre les autres choses, estoit contenu: que le pape Bénédic, jà soit ce que sur ce de par le roy n'eust esté requis, absolvoit le roy, la royne, les enfans, les nobles, le royaume, et tous les adhérens, de toute sentence de escomeniement et d'entredit, sé aucune, en eux ou en l'un de eux, avoit esté gettée par le pape Boniface en quelque manière; et avec ce il donnoit au roy les dismes des églyses du royaume jusques à deux ans; et encore luy donna-il les annuelles jusques à trois ans au royaume de France pour ses guerres soustenir: et avec ce luy donna-il l'auctorité que le chancelier de Paris peust licencier les maistres en théologie et en décret; laquelle auctorité le pape avoit réservée par devers soy, si comme l'en disoit. Et en ce meisme an, le pape Bénédic moru à Peruse ès nones de juillet. Si avint que les cardinals n'entendirent pas à l'eslection, mais la targièrent au plus qu'il porent: mais on les fist enclorre, selon la décrétale du pape Grégoire X. Si procurèrent frauduleusement tant que l'en leur administrent vivres occultement et ainsi targa l'élection du pape jusques près d'un an. Et en ce meisme an, Gui de Namur, fils de Gui conte de Flandres, fu pris en bataille de navires par Guillaume fils du conte de Haynau et par la gent le roy de France qui députés estoient à la garde des voies de la mer et des pors d'icelle.
LVII.
De la bataille de Mons en Peure[210]: coment les Flamens furent desconfis.
En ce meisme an ensuivant, Phelippe-le-Biau, roy de France, tierce fois après le rebellement de ceux de Flandres, à Mons en Peure au moys d'aoust assembla contre eux grant ost. Adonc, comme à un jour du moys dessus dit, de convenance et d'acort fait de l'une partie à l'autre[211] déussent venir à bataille, ceux de Bruges et les autres Flamens, dès maintenant leur armes prises, toutes leur charrètes, leur charios et leur autre appareil batailleureux tout entour eux espessement et ordenéement mistrent, pour ce que nul ne les peust trespercier ne envaïr sans grant péril. Et lors de toute pars les François comme il deussent entrer en bataille, je ne sai par quel parlement, eux ainsi avironnés, sans bataille et sans aucun assaut jusques vers vespres se tindrent. Et adecertes pluseurs cuidoient, pour les messages d'une part et d'autre entrevenans, que paix fust du tout faicte et fermée; et pour ce se départirent et espandirent çà et là en aucune manière, non cuidans en ce jour plus avoir bataille[212]. Lors les Flamens ce apercevans soudainement s'esmurent, et vindrent jusques aux tentes du roy; et fu le roy si près pris que à paines pot-il estre armé à point; et ainsois que il peust estre monté sur son cheval, pot-il véoir occirre devant luy messire Hue de Bouville chevalier[213], et deux Bourgois de Paris, Pierre et Jaques Gencien, les quiels pour le bien qui estoit en eux estoient prochains du roy[214]; mais quant il fu monté, très fier et très hardi semblant monstra à ses anemis.
Adonc le roy ainsi noblement soy contenant, François ce aprenans qui jà ainsi comme d'une paour se vouloient dessambler et départir, pour le roy secourre isnelement se hastèrent, et du tout en tout à la bataille s'abandonnèrent, et crièrent ensamble: Le roy se combat! le roy se combat! et ainsi la bataille constraingnant et de toutes pars croissant, Charles conte de Valois, Loys conte d'Evreux frères Phelippe le roy de France, Gui conte de Sainct-Pol, Jehan conte de Dammartin, nobles chevaliers et autres grans maistres, pluseurs contes, ducs et barons et chevaliers, avec les autres nobles compaignies à pié et à cheval, ès Flamens lors isnelement se plungièrent et embatirent, et vers le roy se traistrent. Lors adonc iceux nobles, estant avec leur noble et forte compaignie à pié et à cheval, la bataille entre eux merveilleuse, forte et aspre fu faicte; mais les Flamens du tout en tout furent rués jus et acraventés, et de eux fu faicte grant occision et mortalité, et si grant abatéis qu'il ne porent plus arrester. Mais la fuite commencièrent très laide et très honteuse, délaissans charrètes et charios et tout leur appareil bataillereux. Et adecertes, pour voir, sé la nuit oscure venant n'eust la bataille empeschiée, pou de si grant nombre de Flamens en fust eschapé que mors du tout en tout ne fussent. Et ainsi, la bataille parfaicte et fenie, nostre roy Phelippe, noble batailleur, à torches de cire alumées, de la bataille s'en revint aux tentes avec sa noble chevalerie. Et ainsi comme il fu dit pour voir, sé cil roy de France Phelippe-le-Biau ne se fust contenu si noblement ou si vertueusement, ou sé en aucune manière il eust montré la queue de son cheval aux Flamens pour soy en retourner, tout l'ost des François eust ramené ainsi comme à néant, ou, par aventure, desconfit. Adecertes en celle bataille des Flamens fu occis un noble chevalier et le chief ot copé Guillaume de Juilliers[215], noble chevalier, et luy copa Jehan de Dammartin, et pluseurs autres grans Flamens, et de menu peuple grant multitude y furent occis, à par un pou jusques à trente six mille[216]. Et aussi en celle bataille, le conte d'Aucuerre, noble chevalier françois, par la très grant chaleur qui ilec estoit, fu estaint de soif[217]. Et ainsi Phelippe-le-Biau roy de France en l'an de son règne dix-huit, à Mons en Peure en Flandres, usant de l'aide de Dieu, de ces Flamens, sans grant péril de luy meisme, loable victoire en rapporta; et à Paris environ la Sainct-Denis, à grant joie et inestimable revint.
Et en cest an, au moys de décembre, les os de Robert, jadis conte d'Artois, lequel avoit esté tué en Flandres, furent aportés à Pontoise, et en l'églyse de Maubuisson près Pontoise furent enterrés.
Et en ce meisme an, après Noel, l'en commença à traictier en parlement à Paris de la paix des Flamens, mais il n'i ot rien consommé né parfait.
LVIII.
De la mort la royne Jehanne, femme Phelippe le roy de France.
En cest an ensement, au moys de février, le conte Gui de Flandres, en la prison le roy de France détenu, moru à Compiègne, et par le congié du roy fu son corps porté en Flandres, et en Marquete[218] avec ses ancesseurs fu enterré. Et en ce meisme an, Blanche, duchesse d'Austrie, seur du roy de par son père, laquelle avoit un fils du duc, fu empoisonnée par le dit duc, si comme l'en disoit, et moru au moys de mars. Et en cest an ensement, moru Jehanne royne de France et de Navarre, femme de Phelippe-le-Biau, et en l'églyse des frères Meneurs fu honnorablement enterrée. Et fu vraiement si chière année et si chier marchié de blé que le sextier de froment valoit cent sols parisis, de la foible monnoie decourrant lors à Paris et ailleurs; et dura la chierté près d'un an. Et en cest an ensement, Edouart le viel roy d'Angleterre moru, après lequel fu couronné en roy Edouart son fils le jeune, lequel, après un pou de tems passé, prist à femme Isabel la fille le roy Phelippe de France.
LIX.
Du couronnement le pape Climent.
ANNÉE 1305 L'an de grace après ensuivant mil trois cens et cinq, entre le roy de France et les Flamens fu faicte une composicion de paix, laquelle toutes fois dura petit: et lors Robert de Béthune et Guillaume son frère, fils le conte de Flandres en l'an précédent trespassé, de la prison le roy furent délivrés. Et après pape Bénédic, le cent quatre vingt et dix-neuviesme pape Climent le Quint, présent le roy de France Phelippe-le-Biau et ses deux frères Charles conte de Valois et Loys conte d'Evreux et moult d'autres contes, princes, dux et barons, chevaliers, abbés, évesques, arcevesques et cardinals, à la cité de Lyon sur le Rosne fu sacré et couronné de dyadème papal. Et lors pour la très grant multitude de gent qui sus un viex mur estoient assemblés pour le dit pape véoir chevauchier par la cité, le viel mur chéi, dont le bon duc de Bretaigne la mort l'acraventa, dont ce fu pitié, doleur et dommage. Et en cest an ensement, Loys, l'aisné fils le roy Phelippe-le-Biau, espousa Marguerite l'aisnée fille au duc de Bourgoigne. Et eu cest meisme an, le roy si fist cesser et apaisier une très grant dissencion qui estoit menée entre le duc de Brebant et le conte de Lucembourc, pour cause de la terre de Louvain. Et en cest an ensement, mut une très grant dissencion à Biauvais entre l'évesque Symon et le peuple de la cité, en telle manière que le dit évesque n'osoit seurement entrer en la cité. Pour laquelle cause le dit évesque fist aliances à nobles hommes, car il estoit noble homme, contre ceux de la cité, et fist tant qu'il prist aucuns bourgois par aguet. Quant le roy sot ce, si manda l'une partie et l'autre, et leur fist commandement qu'il se cessassent, et les fist le roy punir, car il avoient moult excédé l'une partie contre l'autre. En ce meisme an fu très grant sécheresce en France.
En ce meisme an, avant que le roy se partist de la court pape Clément, le dit pape luy ottroia le chief de monseigneur sainct Loys son aïeul, pour mettre en sa chapelle, et une de ses costes pour mettre en la principale églyse de Paris: et avec ce, le pape luy ottroia que Jaques et Pierre de la Colompne frères et jadis cardinals, les quiex le pape Boniface avoit dégradés de leur cardinalité, fussent en leur premiers estas restitués; et encore luy ottroia-il, en récompensacion des despens qu'il avoit fait en la guerre de Flandres, le disiesme des églyses et les annuels jusques à trois ans. Et encore ottroia le dit pape au roy et à ses frères que des bénéfices premiers vacans au royaume de France, il en péussent pourveoir leur chapelains et leur clers. Et le roy promist que la monnoie qui estoit foible, il la metroit en bon estat et convenable au miex que bonnement le pourroit faire. Et en cest an, le pape Climent fist dix cardinals nouviaux, outre le nombre qui par avant estoit; des quiex il en envoia les deux à Rome de par luy, pour garder la dignité sénatoire. Il déposa l'évesque d'Arras, et si déposa l'évesque de Poitiers, et si donna à l'évesque d'Imelin la patriarché de Jérusalem: et si fist plaine grace aux povres clers, et les pourvoia de bénéfices, selon ce que le mérite de la personne le requéroit. Et le roy de France s'en retourna de Lyon, après Noel, en France. Et cest an meisme le pape se parti de Lyon, environ la purification Nostre-Dame, et s'en ala vers Bourdiaux; et là furent faictes moult de maux et de roberies aux églyses tant layes comme de religion, par luy et par ses menistres; dont il avint, si comme l'en disoit, que frère Gile l'Augustin arcevesque de Bourges, fu mis à si grant povreté que il par nécessité fu contraint à prendre les distribuions cotidiennes si comme un des simples chanoines, et hantoit les heures de l'églyse. Et en ce meisme an, Robert duc de Bourgoigne moru à Vernon au moys de mars, duquel le corps fu porté en Bourgoigne, si comme il l'a voit ordenné en son vivant, et fu enterré à Cistiaux.
LX.
Coment le chief monseigneur sainct Loys fu aporté à la ville de Paris.
ANNÉE 1306 En l'an de grace après ensuivant mil trois cent six, le chief de sainct Loys, jadis roy de France, sans les gencives et le menton et une de ses costes, du roy de France Phelippe-le-Biau et de pluseurs évesques et arcevesques, de l'ottroy du souverain évesque pape Climent, en biaux vaissiaux d'or aornés de pierres précieuses, furent de Sainct-Denis transportés à Paris: et la coste en la mère églyse Nostre-Dame de Paris, et le chief en la chapelle du palais du roy, à grant joie et à grant feste de la gent de Paris demenée, le jour d'un mardi devant la feste de la Penthecouste, furent honnorablement et noblement mis. Et en cest an meisme, tous les Juis du commandement du roy Phelippe furent du royaume de France, environ la Magdalaine, chaciés, déboutés, et essiliés; et tout le leur pris et mis en la main le roy. Et en cest an, Phelippe le second fils du roy de France, qui puis après fu conte de Poitiers, Jehanne l'aisnée fille au duc de Bourgoigne espousa.
LXI.
Coment le commun de Paris s'esmut.
Et adecertes en cest an meisme à Paris, pour les louages des maisons des bourgois de Paris qui vouloient prendre du peuple bonne monnoie et forte qui alors estoit appellée[219] grant dissencion et descort mut et esleva. Et lors s'esmurent pluseurs du menu peuple, (si comme espoir[220] foulons et tisserans, taverniers et pluseurs autres ouvriers d'autres mestiers); et firent aliance ensemble, et alèrent et coururent sus un bourgois de Paris appellé Estienne Barbète[221] duquel conseil, si comme il estoit dit, les louages des dites maisons estoient pris à la bonne et forte monnoie, pour laquelle chose le peuple estoit esmeu et grevé. Et lors le premier jeudi devant la Tiphaine envaïrent et assaillirent un manoir du devant dit bourgois Estienne qui estoit nommé la Courtille Barbète[222], et, par feu mis, le dégastèrent et destruirent; et les arbres du jardin du tout en tout corrompirent, froissièrent et debrisièrent. Et après eux départans, à tout grant multitude d'alans à fusts et à basions, revindrent en la rue Sainct-Martin et rompirent l'ostel d u devant dit bourgois[223], et entrèrent ens efforciement, et tantost les tonniaux de vin qui au celier estoient froissièrent, et le vin espandirent par places: et aucuns d'eux d'icelui vin tant burent qu'il furent enyvrés. Et après ce, les biens meubles de la dite maison, c'est asavoir coutes, coissins, coffres, huches, et autres biens froissièrent et débrisans par la rue en la boue les espandirent, et aux coutiaux ouvrirent les coutes, et les orilliers traiant contre le vent despitement getèrent, et la maison en aucuns lieux descouvrirent, et moult d'autres dommages y firent. Et ice fait, d'ilec se partirent et retournèrent traiant vers le Temple au manoir des Templiers où le roy de France estoit lors avec aucuns de ses barons, et ilec le roy assistrent si que nul n'osoit seulement entrer né issir hors du Temple; et les viandes que l'en aportoit pour le roy getèrent en la boue, laquelle chose leur tourna au derrenier à honte et à dommage et à destruiment de corps. Après ce, par le prévost de Paris, si comme l'en dist, et par aucuns barons, par soueves paroles et blandissemens apaisiés, à leur maisons paisiblement retournèrent; des quiex par le commandement le roy pluseurs, le jour e nsuivant, furent pris et mis en diverses prisons. Et en la vigile de la Tiphaine, par le commandement du roy, espéciaument pour sa viande que il luy avoient espandue et gettée en la boe, et pour le fait du dit Estienne, vingt-huit hommes, aux quatre entrées de Paris[224], c'est assavoir: à l'Orme par devers Sainct-Denis faisant entrée, furent sept pendus; et sept devers la porte Sainct-Antoine faisant entrée, et six à l'entrée devers le Roule vers les quinze vint Aveugles faisant entrée, et huit en la partie de Nostre-Dame-des-Champs faisant entrée, furent pendus. Les quiex, un pou après ce, des ormes[225] remués et ostés, en gibés nouviaux fais, eu chascune partie et entrée, de rechief furent tous pendus et mors; laquelle chose envers le menu peuple de Paris chei en grant doleur.
Et en ce meisme an, Edouart fils Edouart roy d'Angleterre, si ala contre les Escos qui avoicnt institué sur eux Robert de Brus à estre leur roy; si fu vaincu, et y ot moult grant quantité de ses gens pris et mors. Et en ce meisme an, le roy Phelippe voult muer sa monnoie en fort, qui longuement avoit esté foible par l'espace de onze ans: et valoit le petit flourin trente six sols de la foible monnoie. Si fist crier par tout son royaume, environ la Nativité sainct Jehan-Baptiste, que toutes réceptes de revenues et tous paiemens de contras, depuis la Nativité Nostre-Dame ensuivant, se féissent à forte monnoie selon ce que elle couroit au tems de monseigneur sainct Loys; pour laquelle chose pluseurs du peuple furent moult forment troublés.
Et en ce meisme an, au tems d'iver, il ot si grant habondance d'iaues ès fleuves, et avant qu'il peussent descroistre il furent si forment gelés, que quant ce vint au desgeler tant maisons, pons, comme moulins trébuschièrent et despecièrent: et adonques au port de Grève[226] à Paris moult de nefs chargiées de diverses marchéandises périrent et tout ce que dedens estoit. Et en ce meisme an, le pape Climent au moys de mars ou environ s'en ala à Poitiers et les cardinals avec luy; et là fu la court par l'espace de seize moys ou environ. Et en ce tems fu un faux prophète qui avoit non Dulcinus, lequel faignoit mener saincte vie en habit de béguin, mais il estoit très faux prophète: car il maintenoit que si comme le père au tems de la loy de nature ou de Moyse régnoit par puissance qui à luy est approprié; et le fils, au tems de l'advènement Jhésuchrist par sapience jusques à l'advènement du Sainct-Esperit; ainsi de l'advènement du Sainct-Esperit jusques en la fin, celuy meisme Sainct-Esperit qui est amour par débonnaireté règne et régnera pardurablement: et en telle manière que la première loy fu de justice et de rigor; la seconde loy de sapience; la tierce maintenant est d'amour et de débonnaireté et de charité. Et quelconque chose est demandée au nom de charité, meismement de demander à une femme au non de charité qu'on habite à elle charnelment, elle ne me le puet refuser sans péchié, mais le me doit ottroier, et si ne fera point de péchié. Laquelle chose samble très mauvaise à tout catholique: et autrefois fu ceste hérésie semée par Amauri de Leve, emprès Monfort, au temps de Phelippe le Conquérant, l'an mil deux cent douze, duquel parle une décrétale qui se commence: Nous condamnons et, etc.
Cestui Dulcinus se mist en une montaigne vers Verseilles, et là cuida avoir trouvé moult seur refuge: mais il fu pris de l'évesque de la cité et des crestiens, et fu mis en prison, et puis fu baillié au pape pour le punir; et lors y ot trouvé de ses complices environ deux cens, les quiex furent tous mis à mort. Et en cest an, Edouart roy d'Angleterre lequel estoit jà moult d'aage, prince caut et sage, et en ses batailles moult fortuné, le trente-cinquiesme an de son règne moru; auquel succéda au royaume d'Angleterre et en la seigneurie de Ybernie son fils de la contesse de Pontieu[227], qui avoit à non Edouart: et toutes voies avoit-il trois enfans de Marguerite sa femme seur du roy de France, laquelle le seurvesqui; desquiex le premier avoit non Thomas de Cornubie[228], et il en ot la contée.
LXII.
Du couronnement le roy de Navarre.
ANNÉE 1307 L'an de grace ensuivant mil trois cent et sept, Loys l'ainsné fils du roy Phelippe-le-Bel, en roy de Navarre fu couronné à Pampelune.
LXIII.
Des Templiers qui furent pris par tout le royaume de France.
En cest an ensement, tous les Templiers du royaume de France, du commandement de celui meisme roy de France Phelippe-le-Bel, et de l'ottroi et assentement du souverain évesque pape Climent, le jour d'un vendredi après la feste saint Denis, ainsi comme sus le mouvement d'une heure[229], souppeçonnés de détestables et horribles et diffamables crimes, furent pris par tout le royaume de France, et en diverses prisons mis et emprisonnés.
Et en cest an, Charles le mainsné fils Phelippe le roy de France, qui puis fu conte de la Marche, Blanche l'autre fille du conte de Bourgoigne espousa.
L'an de grace mil trois cent et sept dessus dit ensuivant, le roy de France Phelippe se parti environ la Penthecouste pour aler à Poitiers parler au pape et aux cardinals: et là furent moult de choses ordenées par le pape et par le roy, et especiaument de la prise des Templiers. Et manda le pape aux maistres de l'Ospital et du Temple qui souverains estoient en la terre d'Oultre-mer, expressement, qu'il se comparussent personnellement à certain temps à Poitiers devant luy. Lequiel mandement le maistre du Temple accompli: mais le maistre de l'Ospital fu empeschié en l'isle de Rodes des Sarrasins, si ne pot venir au terme qui luy estoit mandé; mais il envoia certains messages pour luy excuser. Si avint assez tost après que la dite isle de Rodes fu recouvrée, et adonc le maistre de l'Ospital vint à Poitiers parler au pape.
Et en ce meisme an, maistre Bernart de Saint-Denis, docteur en théologie, lequel fu moult en son temps en France rénommé et estoit évesque d'Orliens, trespassa.
Et en ce meisme an, Loys dit Hutin, ainsné fils du roy de France et roy de Navarre, quant il vint à sa cognoissance que un chevalier que on appeloit Fortin, le quiel il avoit institué et ordené garde de son royaume, luy voulsist oster et usurper frauduleusement son dit royaume de Navarre; si assembla une belle compagnie de nobles hommes et puissans entre lesquels furent le conte de Bouloigne et messire Gauchier de Chastillon, connestable de France, et s'en ala en Navarre et y arriva au moys de juillet, et là fit tant avec sa compagnie que le dit Fortin et tous ses aliés il mit en subjection; et visita son royaume et appaisa. Depuis s'en vint à Pampelune et là se fist couronner en roy de Navarre. Et en cest an Katherine, seconde femme Charles conte de Valois et héritière de l'empire de Constantinople, trespassa le jeudi après la feste monseigneur Saint-Denis, et fu enterrée aux frères Prescheurs à Paris; auquel enterrement le roy de France et les nobles furent présens, et le maistre du Temple d'Oultre-mer, le quiel aidoit à porter le corps en terre avec les autres nobles.
Et en ce meisme an, au moys de janvier, Edouart le roy d'Angleterre prist à femme la fille au roy Phelippe, laquielle avoit non Ysabel, et estoit en l'aage de douze ans ou environ; et n'avoit plus le dit roy de France de filles. Et la convoia le roy et ses fils avec les barons jusques à Bouloigne sur la mer; et d'ilec jusques en Angleterre des nobles de France fu convoiée, et avant que il partissent, elle fu en royne d'Angleterre couronnée.
Et cest an, Marguerite royne de Secile, de très noble et très honnorable renommée, et jadis femme du premier Charles roy de Secile, frère du roy saint Loys, trespassa.
Et en ce meisme an, Jehan de Namur, fils Gui jadis conte de Flandres, prist à femme la fille Robert, conte de Clermont.
LXIV.
Coment Henri de Lucembour fu roy des Romains.
ANNÉE 1308 En l'an de grace ensuivant mil trois cent et huit, Henri conte de Lucembour fu esleu roy des Romains: et lors il envoia ses messages à court de Rome pour requerre de la main au souverain évesque pape Climent la consécracion et le couronnement de l'empire.
En ce meisme an, le roy de France s'ordena pour aler à Poitiers et principaument pour le fait des Templiers; car là tenoit le pape sa court. Et fist le roy une semonse par tout son royaume à pluseurs nobles et non nobles qu'il fussent à Pasques à Tours; et avec luy enmena-il une grant multitude[230]. Et quant le roy fu par devant le pape, si ot moult de parlement entre eux deux, et en après, au mandement du pape, fu le maistre général de toute l'ordre du Temple amené, et avec luy aucuns autres, les quiels sembloient estre les plus notables en la dite ordre du Temple. En la fin fu délibéré et assez ordené que le roy détendroit tous les profés de la dite ordre, et chascun par soy emprisonnés, dès maintenant et en après, au non de l'églyse et en la main du siège de Rome; et qu'il ne procéderoit à leur relaxacion né à leur délivrance né à leur punicion, en aucune manière, sans le mandement ou l'ordenance du siège de l'apostole: mais de leur biens, des quiels la dispensacion en bonne loyauté estoit au roy laissiée, leur administreroit leur nécessités, pour vivre competament jusques au concile général.
Et en cest an que le pape Climent estoit à Poitiers, par le conseil des cardinals, pour le subside de la Terre Saincte et pour la réformacion de toute saincte églyse, et meismement pour le fait des Templiers qui moult estoit énorme[231], le concile qui devoit estre général ès kalendes d'octobre à Poitiers[232] fu rappellé, et des dites kalendes d'octobre jusques à deux ans passés, précisément ordené et par tout le royaume de France, par ses lettres patentes à archevesques et évesques et aux inquisiteurs des hérites fit mandement que diligemment il missent leur entente, et, en tant comme il povoit toucher leur personnes, que il se hastassent selon le conseil des sages, et que ces choses il missent à fin par le dit conseil. Mais toutesvoies le général maistre de l'ordre et aucuns autres grans il réserva à temps à la correction et examinacion du siège de Rome, et de certaine science. Et adecertes, en ce meisme an, Charles de Valois prist la tierce femme, c'est assavoir la fille Gui, conte de Saint-Pol.
Et en icest an, Gui jadis premier né du conte de Blois espousa la seconde fille de Charles conte de Valois et de Katherine sa femme, et estoit la dite fille de moult petit aage, si comme l'en dit.
Et en ce meisme an, le samedi après l'Ascension Nostre-Seigneur, une tempeste moult dommageuse et moult impétueuse, tant de gresle comme de vent, avint, et meismement environ Chevreuse[233] et à heure de vespres, car les blés qui encore estoient ès champs et les vins qui estoient ès vignes furent péris et perdus, et pluseurs grans arbres tombés à terre, et le clochier de la dite églyse de Chevreuse ce meisme jour fu trébuchié du vent. Et en cest an, le pape et les cardinals se départirent de la cité de Poitiers là où il avoient longuement esté, mais l'esté fu avant passé; et s'en ala le pape là où il avoit esté né, c'est assavoir à Bourdiaux, et retint avec luy bien pou de cardinals, et donna congié aux autres de eux en aler jusques à temps; si demoura là une pièce de temps.
Et en ce meisme an, Guichart l'évesque de Troie fu moult souspeçonné qu'il n'eust procuré par aucuns maléfices ou par venin la mort de Jeanne, jadis royne de France et de Navarre: pour la quielle chose aucuns tesmoins furent oïs, jasoit ce qu'il fussent faux. Si fu raporté au pape leur déposicion, nonobstant que elle fust fausse; et manda le pape que le dit évesque fust mis en prison[234].
Et en ce meisme an, une grande dissencion mut entre deux nobles hommes de Bourgoigne, c'est assavoir Erart de Saint-Verain et Oudart de Montagu: adonc en la conté de Nevers, le jour de la feste monseigneur saint Denis, furent assemblés avec le dit Erart, le conte de Cherebourc[235], messire Dreue de Mello, messire Miles de Noyers et pluseurs autres nobles avec eux; et de la partie du dit Oudart fu le dalphin d'Auvergne, messire Beraut de Marcueil, fils du conte de Bouloigne[236], avec pluseurs autres, et les trois frères qui communément de Vienne sont appellés. Entre les quielles parties ot moult aigre bataille, mais elle fu tantost finée: et ot le dit Erart la victoire, et se rendi le dit Beraut au conte de Chierebourc pris avec aucuns autres. Et après, le roy de France fist prendre le dit Erart, et pluseurs autres avec luy, et mettre en diverses prisons.
Et en cest an, Aubert roy des Romains mourut et fu tué de un sien neveu, si comme l'en dist: et après luy fu roy Henri conte de Lucembourt.
Et en ce meisme an mourut la femme[237] Jehan de Namur, environ la purificacion Nostre-Dame, la quielle il avoit espousée l'an précédent; et l'an ensuivant il espousa la fille madame Blanche de Bretaigne.
Et en cest an, la grant indulgence que le pape avoit donnée l'an passé au temps qu'il estoit à Poitiers à tous ceux qui donroient de leur avoir à ceux qui aloient Oultre-mer pour la subside de la Terre saincte, fu publiée par le royaume de France; de laquielle recepte avoit esté establi receveur le maistre de l'Ospital d'Outre-mer. Si fu ainsi ordené: que à bien près par toutes les églyses, il y auroit un tronc, ou un certain lieu auquiel chascune personne metroit du sien, selon sa dévocion; et dura ceste chose par cinq ans ou environ autant que le pardon dura.
L'an de grace ensuivant mil trois cent et neuf, environ la Pentocouste, le fils du roy d'Arragon se combati encontre le roy de Garnate[238], le quiel estoit Sarrasin; et ot le dit fils d'Arragon glorieuse victoire, et mist à mort une très grant quantité de Sarrasins.
En ce meisme an, environ la fin de juillet fu l'eslection de Henri de Lucembourc du pape et des cardinals approuvée: et luy fu ottroié sa consécration et la couronne de l'empire, la quielle il dut prendre, à certain temps que le pape luy mist, en l'églyse Saint-Pierre en la cité, où il luy plairoit[239]. Quant le dit messire Henri ot ainsi esté esleu, et qu'il ot eu congié et auctorité du pape, si comme dit est, si vindrent à luy le conte de Flandres Robert, et le conte Jehan de Namur qui estoient ses cousins germains, et le conte Guillaume de Haynaut, son cousin germain qui nouvellement avoit pris à femme la fille messire Charles de France, et la greigneur partie des haus barons d'Alemaigne. Et avoit jà commencié ledit messire Henri sa quarantaine à Ais: et quant il ot parfait sa quarantaine, si le menèrent les barons en la chapelle d'Ais et ilec le couronnèrent à roy d'Alemaigne. Quant le vaillant roy de Lucembourc ot porté couronne à Ais en la Chapelle, le conte de Flandres et le conte de Haynaut pristrent congié à luy, en luy offrant leur services, et depuis fist le roy son appareil moult grant pour aler à Rome. Si avint, une pièce de temps après qu'il ot son arroy assemblé, que il fist assembler grant foison de chevaliers lesquiels il mena avec luy, et passèrent Alemaigne; et puis entra le dit roy en la duchié de Quarentaine[240], et là luy fu offerte toute obéissance, et puis passa les mons et entra en Lombardie. Tantost ceux de Pade se rendirent à luy, et ilec séjourna et attendi ses gens. Mais tantost que ceux de Milan le sorent, il y envoièrent leur ambassadeurs en luy présentant la ville de Milan du tout à son commandement; les quiels il reçut moult benignement à sa grace. Puis se départirent de luy, et leur donna grans dons, et leur commanda que il déissent à ceux de Milan que briefment les iroit veoir pour estre couronné. Après un peu de tems assembla son ost, et fist messire Gui de Namur son mareschal, et envoia ses messages devant pour faire son arroy à Milan. Quant ceux de Milan sorent sa venue, si issirent tous à pié et à cheval contre luy, et à grant joie le menèrent à la souveraine églyse, et le couronnèrent à roy de Lombardie, et l'appellèrent Auguste. Puis après se départi de Milan à tout son ost et ala asségier la cité de Cremoigne, et tant y fist que elle luy fu rendue. Après ala asségier la cité de Bresse qui moult estoit fort, et ilec fust une grant pièce de temps, et y fist-on maint grant assaut. Et à ce siège vindrent à luy ceux de Pise, à tout leur povoir en son aide; et en la parfin ceux de Bresse firent traitié à luy. Et à ce traitié mourut le conte Gui de Namur qui estoit son mareschal, pourquoy l'empereur fu si destorbé qu'il ne les voult onques recevoir à merci. Quant ceux de la ville virent que autrement ne povoit estre, si se rendirent tout à sa volenté, et luy apportèrent les clefs de la ville. Mais oncques l'empereur ne voult entrer par porte en la cité, né teurdre[241] son chemin pour aler à son palais; ains fist emplir le fossé qui devant son tref estoit et despecier le mur à l'encontre; et puis fist abatre toutes les maisons qui en sa voie estoient jusques à son palais, et ainsi entra en la ville de Bresse. Quant il ot ilec séjourné une pièce de temps, si prist hostages de eux et les envoia à Pise; et prist conseil avec les Guibelins d'aler conquerre la cité de Rome: et avoit tant fait au pape Climent qu'il luy avoit envoié un légat à Bouloigne-la-crasse; et d'ilec se trait vers Rome, et mena le légat avec luy; et en sa voie conquist moult de cités et de villes et de chastiaux.
Et en ce meisme an le pape Climent fist publiquement affichier en son palais à Avignon une intimacion en la quielle il estoit contenu que généralement il intimoit à tous ceux qui vouldroient procéder en fait d'appellacion contre le pape Boniface, tant pour luy comme contre luy par quelque manière, qu'il fussent pourveus dedens le dimenche que l'en chante oculi mei, et devant le pape se présentassent, ou autrement sur ce d'ore en avant il n'i seroient receus; mais dès ore en avant il leur dénioit toute audience et leur imposoit silence quant en ceste partie. Entre les quiels Guillaume de Nogaret chevalier devant dit, et Guillaume du Plessier chevalier avec lui, s'apparut à l'ajourner par le pape assigné, accompagnié de moult puissant compaignie; lequel renouvela tant l'appellation contre le pape comme les cas de crime, les quiels par avant avoient été proposés contre le dit pape Boniface, et se offri à les prouver; et requist à grant instance que les os du dit pape fussent desterrés tant comme hérite et qu'il fussent ars. Mais la partie adverse, tant d'aucuns cardinals comme d'autres deffendans la partie du pape, s'opposa appertement tant environ la sustance du fait comme contre la personne du dit Guillaume proposant moult de enormités. Adonc fu mise ceste besoigne en suspens jusques à tant que l'en eust plus plaine délibéracion. Et en ce meisme an, en la tierce kalende de novembre, il vint un vent soudain, le quiel dura par une heure et plus, et trébucha moult d'arbres et de édifices, et meismement le clochier de Saint-Maclou de Pontoise, et les grans arches de pierre qui sont environ le chevez de l'églyse monseigneur Saint-Denis, jasoit ce que il ne chéirent pas, si les vit-l'en en telle manière chanceler que l'en cuidoit qu'il déussent chéoir à terre.
Et en cest an, le derrenier jour de janvier, après midi, fu veue l'éclipse de soleil par une heure et vingt-quatre minutes, et est assavoir que le centre de la lune fu emprès le centre du soleil; et dura la dite éclipse par deux heures naturelles et plus; et estoit la couleur de l'air ainsi comme la couleur de saffran: et la cause estoit, selon les astronomiens, car[242] Jupiter, au point de l'éclipse, avoit la seigneurie entre les cinq planètes.
En ce meisme an fu vue très griève et aspre dissencion entre le roy d'Angleterre et ses barons, pour l'occasion d'un chevalier qui estoit appellé Pierre de Gavastonne, le quiel Pierre avoit pieça esté bani du royaume d'Angleterre, si comme l'en disoit: mais le roy l'avoit pris en si grant amour qu'il luy avoit donné la conté de Lincolne à droit héritage. Et à la suggestion du dit Pierre s'efforçoit le roy de faire moult de nouvelletés contre la volenté de tous et contre la coustume du pays et au préjudice du royaume. Si avint tant que pour l'occasion des choses devant dites, comme pour sa simplesce et fatuité, qu'il le pristrent en telle haine non pas seulement pour le guerroier, mais le priver de l'administracion du royaume, se ce n'eust esté pour l'amour du roy de France duquiel il avoit espousé la fille; et aussi pour l'amour de la royne la quielle estoit moult amée des barons et des nobles du pays.
Et en cest an, les Hospitaliers avec grant compaignie de crestiens passèrent en l'isle de Rodes de la quielle les crestiens avoient esté enchaciés par les Sarrasins: en la quielle isle il se portèrent à leur très grant loenge, et y firent moult de bons fais contre les Sarrasins.
LXV.
De la condampnacion des Templiers.
ANNÉE 1310 En l'an de Nostre-Seigneur mil trois cent et dix, pluseurs Templiers[243] à Paris vers le moulin Saint-Antoine[244] comme à Senlis, après les conciles provinciaux sur ces choses ilec célébrées et faites, furent ars, et les chars et les os en poudre ramenés: des quiels Templiers dessus dis cinquante-quatre, le mardi après la feste de la saint Nicolas en may, vers le dit moulin à vent, si comme il est dessus dit, furent ars. Mais iceux, tant eussent à souffrir de douleur, oncques en leur destruction ne vouldrent aucune chose recognoistre. Pour la quielle chose leur ames, si comme on disoit, en porent avoir perpétuel dampnement, car il mistrent le menu peuple en très grant erreur. Et pour voir après ce ensuivant, la veille de l'Ascencion Nostre-Seigneur Jhésucrist, les autres Templiers en ce lieu meisme furent ars, et les chars et les os ramenés en poudre; des quiels l'un estoit l'aumosnier du roy de France qui tant de honneur avoit en ce monde; mais oncques de ses forfais n'ot aucune recognoissance. Et le lundi ensuivant, fu arse, au lieu devant dit[245], une béguine clergesse qui estoit appellée Marguerite la Porete, qui avoit trespassée et transcendée l'escripture devine, et ès articles de la foy avoit erré; et du sacrement de l'autel avoit dit paroles contraires et préjudiciables; et, pour ce, des maistres expers de théologie avoit esté condampnée.
[246]Les cas et forfais pour quoy les Templiers furent pris et condampnés à morir et encontre eux aprouvés, si comme l'en dit, et d'aucuns en prison recogneus ensuivent ci-après:
Le premier article du forfait est tel: Car en Dieu ne créoient pas fermement, et quant il faisoient un nouvel Templier, si n'estoit-il de nulluy sceu coment il le sacroient, mais bien estoit veu que il luy donnoient les draps[247].
Le secont article: Car quant icelui nouvel Templier avoit vestu les draps de l'ordre, tantost estoit mené en une chambre oscure; adecertes le nouvel Templier renioit Dieu par sa male aventure, et aloit et passoit par-dessus la croix, et en sa douce figure crachoit.
Le tiers article est tel: Après ce, il aloient tantost aourer une fausse ydole. Adecertes icelle ydole estoit un viel pel d'omme embasmée et de toile polie[248], et certes ilec le Templier nouveau mettoit sa très vile foy et créance, et en luy très fermement croioit: en en icelle avoit ès fosses des ieux escharboucles reluisans ainsi comme la clarté du ciel; et pour voir, toute leur foy estoit en icelle, et estoit leur dieu souverain, et chascun en icelle s'affioit et meismement de bon cuer. Et eu celle pel avoit moitié barbe au visage et l'autre moitié au cul, dont c'estoit contraire chose; et pour certain ilec convenoit le nouvel Templier faire hommage ainsi comme à Dieu, et tout ce estoit pour despit de Nostre-Seigneur Jhésucrist, nostre sauveur.
Le quart: Car il cognurent ensement la traïson que saint Loys ot ès parties d'Oultre-mer, quant il fu pris et mis en prison: Acre une cité d'Oultre-mer traïsrent-il aussi par leur grant mesprison[249].
Le quint article est tel: Que sé le peuple crestien en ce temps fust prochainement alé ès parties d'Oultre-mer, il avoient fait telles convenances et telle ordenance au soudan de Babiloine qu'il leur avoient par leur mauvaistié appertement les crestiens vendus.
Le sixième article est tel: Qu'il cognurent eux du trésor le roy à aucun avoir donné qui au roy avoit fait contraire, laquelle chose estoit domageuse au royaume de France.
Le septième est tel: Que, si comme l'en dit, il congnurent le péchié de hérésie; et, par leur ipocrisie, habitoient l'un à l'autre charnellement; pour quoy c'estoit merveilles que Dieu souffroit tels crimes et félonnies détestables estre fais! mais Dieu, par sa pitié, souffre moult de félonnies estre faites!
Le huitième est tel: Sé nul Templier, en leur ydolatrie bien affermé, mouroit en son malice, aucune fois il le faisoient ardoir, et de la poudre de luy en donnoient à mengier aux nouviaux Templiers; et ainsi plus fermement leur créance et leur ydolatrie tenoient: et du tout en tout despisoient le vray corps Nostre-Seigneur Jhésucrist.
Le neuviesme est tel: Sé nul Templier eust entour luy çainte ou liée une corroie, laquelle estoit en leur mahommerie, après ce jamais leur loy par luy pour morir ne fust recognue; tant avoit ilec sa foy affermée et affichiée.
Le disiesme est tel: Car encore faisoient-il pis, car un enfant nouvel engendré d'un Templier en une pucelle, estoit cuit et rosti au feu, et toute la gresse ostée; et de celle estoit sacrée et ointe leur ydole.
Le onziesme est tel: Que leur ordre ne doit aucun enfant baptisier né lever des saincts-fons, tant comme il s'en puisse abstenir; né sur femme gisant d'enfant[250] seurvenir ne doivent, sé du tout en tout ne se veullent issir à reculons, laquelle chose est détestable à raconter. Et ainsi pour iceux forfais, crimes et félonnies détestables furent du souverain évesque pape Climent et de pluseurs évesques, et arcevesques et cardinaux condampnés.
LXVI.
Coment le roy de France envoia contre l'arcevesque de Lyon.
[251]En cest an ensement, Phelippe-le-Biau, roy de France, contre l'arcevesque de Lyon sur le Rosne, qui de luy paroles contumélieuses avoit semées, et injures aucunes dites à sa gent, Loys son ainsné fils, roy de Navarre, à Lyon à grant ost envoia. Lequel Loys, roy de Navarre, comme ilec avec son noble ost parvenist, tantost avec ses François assist la cité. Mais comme ilec par huit jours ou environ avec sa noble compaiguie fust ainsi pour la cité isnelment assaillir, et en brief l'eust détruite sé il peust, lors l'arcevesque de Lyon, son fol orgueil appercevant et la force du roy doubtant, souple et bien veullant au roy Loys se transporta. Lequel Loys icelui arcevesque à son père le roy de France à Paris amena. Lequel arcevesque, après ce, fu détenu en garde jusques au tems après ce convenable auquel par le conseil de ses barons de la besoigne pourtraiteroit. Lequel arcevesque, non petit de tems après ce passé, l'amende de ses forfais par son bon plaisir envers le roy pourtraitiée et faite, à son propre lieu s'en revint. En cest an, Loys, fils du conte de Clermont Robert, prist à femme la seur du conte de Hainaut; et Jehan son frère prist à femme la contesse de Soissons.
Et en ce meisme an, un juif qui, n'avoit gaires de tems, s'estoit converti à la foy, un pou de tems après renia la foy, et fu pire qu'il n'avoit esté devant. Car en despit de Nostre-Dame, il crachoit sus ses ymages, partout où il les trouvoit; lequel fu jugié à estre ars: et fu ars le jour que Marguerite la Porète devant dite fu arse. Et en ce meisme an, ceux de Lyon se rebellèrent contre le roy de France, et s'en alèrent à un chastel qui est appelle Sainct-Just, et le destruirent. Quant le roy le sot il y envoia son fils Loys Hutin et ses deux frères avec luy, et moult grant ost, et fu environ la feste monseigneur sainct Jehan-Baptiste. Quant il vindrent la où les anemis estoient, si commencièrent à grever le plus qu'il porent. Et là se porta le dit fils du roy premier né, Loys Hutin, moult noblement, et par telle manière qu'il estoit amé de tous ceux de l'ost. Quant les anemis virent que les nos se portoient si noblement et si hardiement, si se rendirent et la cité à la seigneurie du roy de France: adonc fu pris l'arcevesque de la cité lequel estoit leur principal capitaine qui avoit à non Pierre de Savoie, et fu près du conte de Savoie lequel l'amena au roy de France; mais à la requeste de pluseurs il ot en la fin sa paix et retourna en son arceveschié.
Et en ce tems les os d'un Templier qui ja pieça estoit mort, lequel avoit non Jehan de Tur, furent desterrés; car il fu trouvé par les inquisiteurs que le dit Jehan en son tems avoit esté hérite, et pour ceste cause furent ses os ars et mis en poudre: le dit Jehan estoit commandeur[252] du Temple, et en son tems fist édifier la tour du Temple.
En ce meisme an, Henri roy des Romains et le duc d'Osteriche, et l'arcevesque de Lyon et moult d'autres princes, avec très grant ost, par le conté de Savoie entrèrent en Ytalie. Et premièrement fu receu en la cité d'Astence[253]; et en après en la cité de Milan fu coronné moult honnorablement et sa femme avec luy, de l'arcevesque de ladite cité, en la présence des prélas. Quant ce fu fait, le dit roy ot un assaut de son adverse partie en ladite cité. Mais tantost et hastivement il les mist en subjeccion, et par telle manière qu'il donna exemple à ses autres adversaires de eux non rebeller.
En ce meisme an fu faicte une permutacion entre l'arcevesque de Roen et l'arcevesque de Narbonne; car l'arcevesque de Roen lequel avoit non Bernart et estoit neveu du pape Climent, ne pooit avoir bonnement paix avec les nobles de Normendie, pour la cause que il estoit trop jeune et trop joli[254] en aucuns de ses fais: si fu permué l'arcevesque de Narbonne, lequel avoit à non Gile et estoit pour le tems principal conseiller du roy, en arcevesque de Roen.
Et en ce meisme an, depuis que le pape Climent ot absous le roy de France avec les habitans de son royaume de la sentence que le pape Boniface avoit gettée sur luy et sur ses adhérens, et du consentement de ceux qui estoient de la partie le pape Boniface, le dit pape réserva certaines personnes; entre lesquelles fu Guillaume de Nogaret, chevalier, Regnaut de Suppin chevalier, et environ dix autres; et si réserva ceux de la cité d'Agnane de l'absolucion au roy donnée, comme dessus est dit, et furent tous les devant dis prenomés exceptés.
LXVII.
Des fais le pape Boniface non coupables.
ANNÉES 1311/1312 En l'an de grace ensuivant mil trois cent et onze, le roy de France Phelippe et les adhérons à luy, sus le fait de Boniface, touchant pape Climent, avoir esté et estre du tout en tout non coupables furent desclairiés[255]; et sé en aucune partie fussent coupables, du tout fussent absous à cautelle.
En cest an, Henri le roy des Romains passa par une cité d'Ytalie laquelle est appellée Crémonne: car de celle cité s'estoient partis les Guelphes et en avoient amené leur femmes et leur enfans et tous leur biens en une autre cité que l'on appelle Brixe laquelle estoit moult fort. Quant le dit roy sot que les Guelphes s'estoient ainsi pour luy départis de leur cité, si fist destruire toutes les maisons des Guelphes, et si fist abatre les murs de la cité et les forteresces, et par espécial les portes de la cité qui estoient moult nobles, et si fist emplir tous les fossés en telle manière que les murs et les fossés estoient tout à égal. Et après, se transporta le dit roy Henri en la cité de Brixe, et ilec tint son siège depuis l'ascension Nostre-Seigneur jusques à la Nativité Nostre-Dame. Si avint que ceux de la cité se combatirent contre le dit roy des Romains Henri: si fu pris en celle bataille Tybaut de Brisach tout vif, lequel estoit capitaine de la dite cité de Brixe, lequel fu admené à l'empereur Henri. Quant il vit que il ne pooit eschaper de mort, si confessa publiquement que il et des greigneurs de la cité de Milan avoient fait moult de mauvaises conspiracions contre luy et contre les siens pour luy metre à mort.
Quant l'empereur ot ce oï, si le fist traisner parmi l'ost, et puis le fist pendre par deux heures, et puis le fist oster du gibet et le fist décoler, et fist mettre sa teste sus une grant lance, et la fist porter au plus solempnel lieu de son ost, afin que chascun le peust veoir, et le corps fist despecier en quatre parties, et en quatre parties de son ost en fist porter en chascune partie un quartier: et lors ot le dit empereur victoire de la cité; et fist destruire tous les murs de la cité. Mais endementiers que l'empereur tenoit siège à la cité de Brixe, Waleran son frère s'en aloit par devant la dite cité, lequel fu feru soudainement d'une sajete et moru.
Au tems meisme du siège durant, vindrent à l'empereur de toutes les cités d'Ytalie, et luy offrirent foy et loyauté ainsi comme à leur seigneur. Et en ce tems, trois cardinals furent envoiés du pape, c'est assavoir: le cardinal d'Ostie et deux autres, pour le coronement de l'empereur; lesquiels vindrent par Ytalie jusques à Rome. Si avint depuis que la cité de Brixe ot esté sousmise à l'empereur Henri, il se départi par Cerdonne[256] et s'en ala à Gennes, et là fu reçu très honnorablement: et endementiers qu'il se reposoit en la cité de Gennes, sa femme trespassa en la dite cité.
En ce meisme tems, en Flandres, une commocion de rebellion de guerre se renouvela, laquelle n'a voit guères par avant esté accoisie[257], pour laquelle chose le conte de Flandres Robert fu grandement souppeçonné. Lequel fu de par le roy appellé à Paris pour soy espurger; lequel y vint, mais Loys fils du dit conte, lequel estoit conte de Nevers, fu trouvé coupable; lequel fu mené premièrement à Moret en prison, et depuis fu ramené à Paris, et là fu mis en prison; de laquelle prison il s'eschappa, car il se doubtoit pour laquelle chose du conseil des nobles du royaume, et fu dit par arrest en plain parlement qu'il estoit de sa conté privé[258].
Et en ce tems, le roy Phelippe fist faire nouvelle monnoie, c'est assavoir doubles de deux deniers; laquelle monnoie fu moult agréable au peuple, et aux nobles, et aux églyses[259].
Et en ce meisme an, le pape ottroia et envoia privilèges aux clers estudians à Orliens pour establir université, supposé que le roy de France s'i voulsist acorder; si ne s'i voult le roy acorder pour le tems. Adonques s'assemblèrent tous les clers estudians à Orliens, et firent foy les uns aux autres que il se partiroient, et ainsi le firent; mais avant que l'an fust finé, il furent en aucune manière apaisiés par le roy, et retournèrent à Orliens.
Et en ce meisme an, ot concile en la cité de Vienne, et là furent assamblés cent et quatorze prélas mitrés, sans les autres qui n'estoient pas mitrés, et sans ceux qui furent excusés par procuracions: et là furent deux patriarches, c'est assavoir: celuy d'Antioche et d'Alixandre; aux quiels deux patriarches l'en fist deux sièges propres au milieu de tous. Et avant que le premier siège séist, le pape enjoint à chascun prélat et aux autres de dire leur messes privées, et de trois jours jeune. Si comença le premier le samedi ès octaves de monseigneur sainct Denis, et comença le pape, si comme il est dit de coustume: Veni Creator spiritus, et prist son theume: In consilio justorum et congregatione, etc., c'est-à-dire: «au conseil et à rassemblée des justes les euvres de Nostre-Seigneur sont grans.» Et puis leur exposa le pape trois causes pour lesquelles il avoit fait assembler concile général: la première fu pour cause du fait énorme des Templiers, la seconde pour le secours de la Saincte Terre, la tierce pour la réformacion de toute universele églyse, et puis donna sa bénéiçon sus le peuple, et chascun s'en retourna en son lieu.
L'an mil trois cent douze, le lundi après Quasimodo, fu le secont siège du concile, en la grant églyse de Vienne, célébré. Et là vint le roy Phelippe avec ses frères et ses fils environ la Mi-Caresme, et avoit moult grant compaignie de barons et de nobles hommes; et se sist le roy à la destre du pape plus haut que les autres, mais il estoit plus bas que le pape; et prist le pape son theume: Non resurgunt impii in judicio, c'est-à-dire: «les mauvais ne se relèvent point en jugement.» Adonc le pape Climent, au concile général, l'ordre du Temple, non par voie de diffinitive sentence, comme il ne fu pas vaincu[260], mais par voie de provision ou de pourvoiance du siège de l'apostoile, quassa du tout en tout et anulla. Ensement en faveur et en l'aide de la Saincte Terre fut ottroiée du dit pape Climent au roy de France le diziesme des églyses jusques à six ans.
En cestui an Henri, roy des Romains, en la cité de Rome et en l'églyse Sainct-Jean de Latran, de monseigneur Nichole Dupin cardinal d'Ostie, et de deux autres cardinals du pape Climent à ce envoiés, de diadème impérial fu coronné. Et en ce tems, avant que le conseil se partist, le siège de Rome pourveust, le roy et les prélas à ce consentans, que les biens des Templiers feussent dévolus aux frères de l'Ospital afin qu'il feussent plus fors à la Saincte Terre recouvrer.
En ce meisme an, Pierre de Gavestonne, duquel l'en a parlé par devant, fu pris du conte de Lencastre en un chastel et ses complices avec luy, et luy fist-l'en coper la teste honteusement; dont le roy d'Angleterre fu moult courroucié, mais la paix en fu faicte par deux cardinals qui avoient esté envoiés du pape en Angleterre.
Et en ce tems, environ Noel, nasqui un fils au roy d'Angleterre de Ysabel sa femme fille du roy de France, lequel fu appellé Edouart.
Et en cest an, Simon qui premièrement avoit esté évesque de Noyon et de Biauvais, moru, auquel succéda Jehan de Marigni, frère Enguerran de Marigni, et chantre de Paris.
LXVIII.
Coment les enfans le roy furent fais chevaliers.
ANNÉE 1313 En l'an de grace ensuivant mil trois cent treize, Phelippe-le-Biau roy de France Loys, son ainsné fils, roy de Navarre avec ses deux autres fils, c'est assavoir Phelippe conte de Poitiers et Charles conte de la Marche[261], et pluseurs grans maistres et nobles, le jour de la Penthecouste, en la mère églyse de Nostre-Dame de Paris, fist chevaliers.
Et ice roy, ensement le jour du mercredi ensuivant, avec ses devant dis fils, enseurquetout son gendre le roy d'Angleterre Edouart qui lors estoit présent, avec les nobles chevaliers de l'un royaume et de l'autre, à passer la mer de la Saincte Terre, de la main au cardinal à ce député et establi, en l'isle Notre-Dame qui est au fleuve de Saine au preschement du dit cardinal ilec assemblés, pristrent la croix qui est le seing de la sainte enseigne Nostre-Seigneur Jhésucrist[262]. Et lors à celle feste de la Penthecouste, pour l'onneur de la dite cheval rie, fu Paris encourtiné solempnelment et noblement, et fu faicte la plus sollempnel feste et belle qui grant tems devant fu veue: car adecertes le jeudi ensuivant d'icelle sepmaine de la Penthecouste, tous les bourgois et mestiers de la ville de Paris[263] firent très belle feste, et vindrent, les uns en paremens riches et de noble euvre fais, les autres en robes neuves, à pié et à cheval, chascun mestier par soy ordené, au dessusdit isle Nostre-Dame, à trompes, tabours, buisines, timbres et nacaires, à grant joie et grant noise demenant et de très biaux jeux jouant. Et lors du dit isle, par dessus un pont fut fait sur nefs et bateaux nouvellement ordenés deux et deux[264] l'un mestier après l'autre, et les bourgois en telle guise ordenés vindrent en la court le roy par devant son palais qu'il avoit fait faire nouvellement de très belle et noble euvre par Enguerran de Marigni son coadjuteur et gouverneur du royaume de France principal. Auquel palais les troys roys, c'est assavoir: Phelippe-le-Biau roy de France, Edouart son gendre roy d'Angleterre et Loys son ainsné fils roy de Navarre, avec contes, dux, barons et princes des dessus dis royaumes, estoient assemblés pour veoir la dite feste des bourgois et mestiers qui aussi ordenéement et gentement venoient, et tout pour le roy et ses enfans honnorer. Et ensement après disner, en la manière dessus dite ordenés, revindrent à Sainct-Germain-des-Prés, au Prés-aux-Clers, là où estoit Ysabel royne d'Angleterre, fille le roy de France, montée en une tournelle avec son seigneur le roy d'Angleterre Edouart, et pluseurs dames et damoiselles, pour veoir la dite feste des dits bourgois dessus dis et des mestiers, et les vist et regarda, et moult luy plurent: laquelle feste tourna, envers le roy de France et aux siens, à très grans honneurs et louables, et aussi aux gens de Paris.
Et en cest an meisme, le prince de Tarente, environ la feste de la Magdalaine, espousa la fille de Charles conte de Valois er de Katherine sa femme, héritière de Constantinoble.
Et en ce meisme an, le mercredi après la feste de la Magdelaine, furent appellés du mandement le roy à Courtrai les barons et les prélas; et là fu paix faite entre le roy et les Flamens, par telle manière que les Flamens satisferoient au roy de la somme d'argent qui pieça avoit esté ordenée, et leur forteresces dès maintenant jusques à certain tems qui leur fu dit, et selon ce que les députés du roy ordeneroient, feroient abatre à leur propres cous et despens, et commenceroient à Bruges et puis à Gant: item il rendroient à messire Robert, fils au conte de Flandres, toute la chastellerie de Courtrai avec les appartenances; et de ces choses tenir il rendroient hostages, à greigneur seurté.
En cest an, Henry roy des Romains priva publiquement le roy Robert de Secile de sa couronne et de son royaume, pour la cause de ce qu'il avoit failli de comparoir par devant luy à certain temps. Laquielle privacion le pape Climent réputa estre pour nulle, et sé aucune estoit, du tout il l'annichiloit pour moult de causes, lesquielles sont en ses constitucions alléguées, et seroient moult longues à mettre en escript.
Et en cest an, au mois de juillet, un ost fu ordené par l'empereur contre le roy de Secile, et là ot l'empereur moult de belles victoires.
LXIX.
De la mort Henri empereur de Rome.
Et en cest an ensement, Henri empereur des Romains entra en la voie de l'université de char humaine et fu mort, et en la cité de Pise fu honnorablement enterré: le quiel preu, hardi, chevalereux, et en ses fais très noble empereur de Rome Henri fu empoisonné d'un Jacobin qui luy donna à boire[265], selon ce que aucuns veullent dire. Et bien dient dont ce fu duel et pitié; car sa bonté et sa valeur croissoient de jour en jour de mieux en mieux; et, si comme l'en dit, sé il eust guères plus vescu il eust conquis toute Italie et mise toute sous sa puissance et seigneurie. Mais de ce fait de l'empereur Henri dient aucuns qu'il fu prouvé devant le pape Climent par phisiciens que l'empereur fu mort d'apostume; et combien qu'il fust malade, il se fist mettre en sa chapelle pour luy acommunier, et assez tost après il trespassa: et bien sachent tous que c'estoit le prince du monde que Jacobins amoient plus; et pour ce semble-il bien que son confesseur ne peust[266] avoir tant de loysir qu'il mist poisons en son vin que l'en ne s'en apperceust.
Et en cest an, le roy Phelippe mua sa monnoie environ la nativité Nostre-Seigneur. Et commença à faire florins à l'aignel. Le quiel florin valut au commencement vingt-deux sols de petis bourgois: et en ce tems ot moult de mutacions de monnoie, laquielle greva moult le peuple.
Et en cest an, l'églyse de Nostre-Dame-des-Escos, que Enguerran de Marigui avoit nouvellement faite édifier, et en icelle avoit mis chanoines, fu noblement dédiée. Et en cest an, le cardinal Nicolas deffendi sus paine de escommeniement que nul n'usast de constitucions nouvelles en jugement né en escolles; car de la conscience du pape elle n'estoient pas issues, jà soit ce que sur ce il entendoit à pourveoir. Et environ la feste de monseigneur saint Denis, le dit cardinal deffendi tous les tournoiemens, et dampna tant les tournoians comme les souffrans et aidans: et meismement les princes qui en leur terres les souffroient. Si geta grant sentence contre eux, et avec ce sousmetoit leur terres à l'entredit de l'églyse. Mais après le pape, à la requeste des fils du roy et de pluseurs autres nobles, dispensa avec eux, pour ce qu'il estoient nouviaux chevaliers, que par trois jours devant karesme[267] il peussent aux dis jeux jouer tant seulement et non plus.
Et en ce meisme an, Guichart l'évesque de Troies, lequiel avoit esté souppeçonné d'avoir procuré la mort de la royne Jehanne, si comme par avant est escript, fu trouvé innocent par la confession d'un Lombart qui avoit à nom Noffle, lequiel estoit jugié à Paris à estre pendu au gibet.
Et en cestui an, mut une très grant dissencion entre le duc de Lorraine et l'évesque de Mez pour très petite achoison, la quielle eust esté tost apaisiée qui y eust voulu mettre un pou de paine. Mais en la fin les deux os s'assemblèrent emprès un chastel que on appelle Freve[268], et là ot moult aspre bataille entre eux. Toutes fois ot le duc victoire par sa cautelle et industrie: car l'évesque avoit plus de gent que le duc. Si s'en commencièrent à fuir, et en y ot bien deux cens que mors que noiés: ilec le conte de Bar neveu de l'évesque, le conte de Salins et son fils, furent pris et pluseurs autres nobles qui estoient de la partie à l'évesque; mais il furent assez briefment délivrés de prison en paiant une grant somme d'argent.
LXX.
De la mort le maistre du Temple.
ANNÉE 1314 En cest an aussi, au moys de mars au tems de karesme, le général maistre du Temple, et un autre grant maistre après luy, en l'ordre si comme l'en dist visiteur, à Paris en l'isle devant les Augustins[269], furent ars: et les os de eux furent ramenés en poudre, mais oncques de leur forfais n'orent nulle recognoissance.
L'an de grace après ensuivant mil trois cent quatorze, le pape Climent mourut au tems de Pasques, et fu le siège moult longuement vacant. Et y ot très grant dissencion entre les cardinals, c'est assavoir: entre ceux de Gascoigne d'une part, et ceux d'Italie et de France d'autre part. Car ceux d'Italie et de France mettoient paine d'avoir l'eslection par devers eux et y ot deffiailles de l'une partie contre l'autre, et meismement pour la cause du feu qui avoit esté mis en la ville de Carpentras par le marquis de Antonne[270] neveu du pape Climent derrenièrement mort; car il y estoient tous assemblés pour l'eslection faire de un pape; et disoit l'en que le feu y avoit esté mis du dit marquis en la faveur des cardinals qui estoient de la partie des Gascoins. Et en cest an fu prise une occasion, pour les guerres qui avoient esté faites en Flandres, de lever une exaction laquielle n'avoit esté oïe de mémoire d'homme. Et commença ceste exaction à Paris premièrement, et après elle fu espandue par tout le pays, et estoit la dite exaction ou extorcion telle que tout vendeur et acheteur paioit six deniers pour livre: laquielle exaction quant elle fu ainsi publiée et par tous pays, ceux de Normendie, et de Picardie, et Champaigne s'assemblèrent et jurèrent les uns aux autres[271] que chascun deffendroit ceste exaction en son pays, et en nulle manière ne la lairoit tenir[272]. Finalement quant le roy sot ce, il commanda que telle exaction cessast par tout son royaume, car on disoit tout communément que ceste chose n'estoit pas venue de la conscience du roy, mais estoit venue, par ses très mauvais conseilleurs.
En cest an, vers Pontoise, (au lieu que l'en dit Maubuisson abbaïe de femmes, nonnains de l'ordre de Cistiaux, le jour d'un mardi en la sepmaine de Pasques), Marguerite royne de Navarre, fille du duc de Bourgoigne et femme Loys roy de Navarre, fils Phelippe roy de France; et Jehanne fille le conte de Bourgoigne, femme Phelippe le conte de Poitiers, fils du roy de France, et Blanche la seconde fille du devant dit conte de Bourgoigne, femme Charles conte de la Marche fils au roy de France, pour fornicacion et avoutire sur eux mis, et meismement ès deux,[273] c'est assavoir: Marguerite royne de Navarre et Blanche femme Charles devant dit; vraiement approuvées[274] furent prises, et du commandement du roy qui lors estoit à Maubuisson, en diverses prisons mises les deux, (c'est assavoir: Marguerite et Blanche du tout en tout par essil et en chartres perpétuels mises et encloses, au chastel de Gaillart en Normendie furent détenues et emprisonnées, et ilec à morir condampnées): et l'autre dame, la contesse de Poitiers, qui fu au chastel de Dourdan emprisonnée, examinacion d'elle faite et expurgement, du tout en tout fu aprouvé que en celuy forfait ne fu pas coupable. Après ce, de prison fu délivrée, et en la compagnie le conte de Poitiers son mari fu de rechief rassemblée: et adecertes pour voir, Phelippe d'Aunoy ami bienveillant[275] de la dite royne, et Gaultier d'Aunoy son frère, ami de la dite Blanche, chevaliers, le jour d'un vendredi, en icelle sepmaine meisme de Pasques, à Pontoise, du commandement du roy, furent escorchiés et les vits et génitoires coupés[276]; et après ce incontinent, à un gibet de Pontoise pour eux nouvellement fait furent traînés, et en celuy gibet pendus et encroés[277]: et pour certain, l'uissier de la dite royne, sachant et consentant de devant dit forfait, en ce jour à Pontoise au commun gibet des larrons fu pendu; lequiel cas fortunable les barons et le roy de France et ensement ses fils courrouça moult et troubla.
LXXI.
De la taille et maletoute faite en France par Enguerran de Marigny.
[278]Et en cest an, le jour de la feste saint Pierre, le premier jour d'aoust, Phelippe-le-Biau, roy de France, assembla à Paris pluseurs barons et évesques, et en seur que tout[279] il fist venir pluseurs bourgois de chascune cité du royaume qui semons y estoient à venir. Adoncques iceux au palais de Paris venus et assemblés, le jour dessus dit, Enguerran de Marigny chevalier, coadjuteur le roy de France Phelippe et gouverneur de tout le royaume, monta de son commandement en un eschafaut, avec le roy et les prélas et les barons qui ilec estoient; sur le dit eschafaut séant en estant, monstra et manifesta, ainsi comme en preschant au peuple qui ilec estoit devant l'eschafaut, oïans tous les prélas dessus dis, la complainte le roy, et pour quoy il les avoit fait ilec venir et assembler; et fist son tiexte de nature et de norriture en descendant sur les royaux et sur la ville de Paris, où les devant dis royaux, au temps ancien, de leur nature avoient acoustumé de avoir leur nourreture: et pour ce appeloit-il Paris, chambre royal; et que le roy s'y devoit plus fier pour avoir bon conseil et pour avoir aide, que en nulle autre ville. Et si dit et monstra autres pluseurs choses dont je ne fais pas mencion, pour la prolixité qui y est et seroit à raconter. Si descendi sur Ferrant jadis conte de Flandres, coment il s'estoit forfait envers le roy de France qui lors estoit dit Auguste, qui conquist Normendie, et cornent icelui roy Phelippe en vint à chief, et coment il conquist Flandres et la mist en sa puissance: et dit lors icelui Enguerran que, combien que après Ferrant, pluseurs vassaux eussent tenu la conté de Flandres, si ne la tenoient-il que comme gardiens et en subjection de féauté et hommage du roy de France. Et après ce, il descendi sur Gui conte de Flandres, cornent il se forfist envers le roy, et coment la guerre avoit esté menée, et le coustement et despens que le roy avoit fait, qui bien montoient à si grant nombre d'argent que c'estoit merveilles du raconter, de quoy le royaume avoit esté trop malement grevé. Et, après ce, monstra coment la paix avoit esté faite du conte de Flandres Robert de Béthune et des Flamens eschevins de Flandres, par leur seaux en lettres pendans accordée et affermée; laquielle paix et convenances les devant dis contes et Flamens ne vouloient obéir né tenir, si comme il avoient plevi et juré, et par leur seaux affirmé. Pour laquielle chose ycelui Enguerran requist, pour le roy, aux bourgois des communes qui ilec estoient assemblés, qu'il vouloit savoir lesquiels luy feroient aide ou non à aler encontre les Flamens à ost en Flandres. Et lors icelui Enguerran ce dit, si fist lever son seigneur le roy de France de là où il séoit pour veoir ceux qui luy vouldroient faire aide. Adonc Estienne Barbete, bourgeois de Paris, se leva et parla pour la dite ville; et se présenta pour eux et dist qu'il estoient tous près de faire luy aide, chascun à son povoir, et selon ce qu'il leur seroit avenant, et à aler là où il les vouldra mener à leur propre coux et despens contre les dis Flamens. Et adonc le roy les en mercia. Et, après le dit Estienne, tous les bourgois qui ilecques estoient venus pour les communes respondirent en autelle manière que volentiers luy feroient aide; et le roy si les en mercia. Et lors après ycelui parlement, par le conseil du dit Enguerran, une subjection et une taille trop male et trop grevable à Paris et au royaume de France fu alevée, de quoy le menu peuple fu trop grevé: pour laquielle achoison le dit Enguerran chéi en la haine et maleiçon du menu peuple trop malement.
LXXII.
De l'ost de France qui s'en vint sans riens faire.
Adecertes, en celui an, au moys de septembre ensement, de rechief après le rebellement quatre fois du conte de Flandres Robert de Béthune, et les Flamens qui les convenances de paix avec le roy de France et de leur seaux scellées et accordées en nulle manière ne vouloient tenir, si comme nous avons dit ci devant; Phelippe-le-Biau roy de France, Loys son ainsné fils, roy de Navarre, et ses deux autres fils Phelippe conte de Poitiers, et Charles conte de la Marche, avec eux Charles conte de Valois et Loys son frère conte de Evreux, Gui conte de Saint-Pol, et Enguerran de Marigni, un ost très grant à pié et à cheval, à noble compaingnie, en Flandres destina et envoia. Et lors jusques à Lille à tout leur noble ost parvindrent, qui toute Flandres peust avoir conquis et occis, s'il fust à droit gouverné. Et comme ilec fussent proposans et ordenans Flandres et les Flamens assaillir, par le conseil de Enguerran coadjuteur et gouverneur du royaume de France et du roy Phelippe avec, et du conte de Nevers fils au conte de Flandres, par le fait du dit Enguerran, environnés et tenus sans rien faire furent déboutés à revenir sans honneur en France.
LXXIII.
De la mort Phelippe-le-Biau roy de France.
Adecertes[280] en cest an, Phelippe-le-Biau roy de France, au moys de novembre à Fontainebliau, au terroir de Gastinois, clost son derrenier jour. Lequiel son corps delès son père le roy Phelippe et sa mère la royne d'Arragon, au lieu que il vivant avoit esleu en l'églyse Saint-Denis en France honnorablement fu enterré. Et, pour voir, son cuer, en l'églyse des nonnains qu'il avoit fondées n'avoit guaires à Poissi, fu porté, et ilec honnorablement enterré.
Adecertes y celui roy de France Phelippe-le-Biau régna vingt-huit ans; et fist faire à Paris par Enguerran son coadjuteur et gouverneur de son royaume un neuf palais[281] de merveilleuse et coustable euvre, le plus très bel que nul, si comme nous creons en France, oncques véist. Et pour, voir icelui roy Phelippe engendra de sa femme Jehanne royne de France et de Navarre pluseurs enfans, c'est assavoir: Loys son ainsné fils roy de Navarre, qui après luy fu son successeur au royaume de France; Phelippe le conte de Poitiers, et Charles conte de la Marche, et un autre fils qui mouru en s'enfance; et une fille très belle dame qui ot non Ysabel, et fu femme le roy Edouart d'Angleterre laquelle, lonc tems devant ce que celui roy Phelippe mourut, il avoit espousée.
LXXIV.
Coment Enguerran de Marigni fu pris et mis en prison.
[282]Et adecertes en icest an, au temps de karesme, le mercredi devant Pasques fleuries, Enguerran de Marigni, chambellanc, coadjuteur et gouverneur du roy de France Phelippe nouvellement trespassé au temps dessus dit, par l'amonnestement et enditement Charles le conte de Valois, et si comme l'en dit, par l'esmouvement d'aucuns des barons de Picardie et de Normendie et espéciaument de messire Ferri de Pequigni chevalier et du conte de Saint-Pol, par le commandement du roy de Navarre, après ce, roy couronné de France Loys, en sa maison de Paris, en la rue que on appelle le Fossé-St-Germain[283], fu pris; et au Louvre, en la tour où Ferrant jadis conte de Flandres fu emprisonné, mis et posé. Car adecertes un pou après la mort du devant dit roy de France Phelippe, Loys roy de Navarre et ses deux frères conte de Poitiers Phelippe et Charles conte de la Marche, et espéciaument Charles conte de Valois, ensemble avoient eu parlement et disoient: Qu'il vouldroient savoir d'Enguerran qu'il avoit fait du trésor et des richesses du roy de France Phelippe qu'il avoit en garde. Et pour ce l'avoient mandé pour luy comparoir devant eux. Adoncques icelui Enguerran devant eux venu, si luy demandèrent où estoit le trésor du roy de France, car il avoient trouvé le trésor tout desnué. Adonc quant Enguerran vit qu'il luy convendroit rendre cause, ou sé ce non très grant honte en pourroit avoir, si respondit en celle manière; c'est assavoir qu'il en respondroit et feroit bon conte et loyal. Et lors adecertes le conte de Valois respondant luy dist ainsi: «Rendez-le donc tout maintenant.» Lors luy respondi Enguerran, et dist ainsi: «Sire volentiers, je vous en ay baillié la plus grant partie, et le remanant j'ay mis en paiement pour les debtes de monseigneur le roy vostre frère.»
Et quant Charles de Valois oï le conte Enguerran, et que premièrement il luy faisoit honte, lors fu moult courroucié et irié, si luy dist: «Certes de ce mentez-vous, Enguerran?» Et lors Enguerran respondant dit: «Par Dieu, sire, mais vous mentez.» Adonc Charles conte de Valois, ce entendu, si sailli d'autre part et le cuida prendre: mais pluseurs firent cestui Enguerran de ses ieux trestourner et disparoir; car s'il le peust avoir tenu en celle heure, il l'eust occis ou fait mourir de cruel mort: et lors pour ceste devant dite cause et pour autres fais, aucuns pou de jours trespassés, fu Enguerran de Marigni pris et mené en prison au Louvre si comme je vous ai dit ci-devant.
Et après ce, le conte de Valois fist assavoir et manda à tous, tant povres comme riches, auxquiels Enguerran de Marigni auroit forfait, que il venissent à la court le roy, et féissent leur complaintes, et que de luy il auroient très bon droit. Adonc Enguerran de Marigni au Louvre emprisonné, Charles conte de Valois en ce point ne reposant, vint au roy de Navarre son neveu Loys et lui dit: «Sire, que avez fait? Adecertes vous avez mis ce larron Enguerran en sa maison en la tour du Louvre emprisonné, car il est chastelain du Louvre; et pour ce m'est-il avis que c'est desconvenable chose luy estre mis ilec.» Et lors le roy respondant dist à son oncle: «Que voulez-vous que je fasse de luy né où je le mette?» et Charles conte de Valois respondi: «Je veux que au Temple, hostel de Templiers jadis, soit mis en étroite prison.» Et ice dit, adonc par le commandement du roy, le dit Enguerran, du Louvre où il estoit à cheval à belle compaignie de sergens chevauchans avec luy, au Temple fu mené, moult de peuple après luy alant pour le veoir, et de ce grant joie demenant; et ilec en estroite garde fu mis en prison.
LXXV.
Des articles qui furent proposés contre Enguerran.
Adecertes en ce cours de temps, c'est assavoir le samedi devant Pasques fleuries, fu amené Enguerran de Marigni du Temple au bois de Vincennes devant Loys roy de Navarre et moult de prélas et de barons du royaume de France, pour luy ilec assembler. Et lors par le commandement du conte de Valois proposa maistre Jehan Hanière[284] contre Enguerran de Marigni, les raisons et les articles que on luy avoit enjoint; et premièrement prist son theume de ceste auctorité: Non nobis, Domine, non nobis, sed nomini tuo da gloriam. «Non pas à nous, sire, non pas à nous, mais à ton nom donne gloire.» C'est le françois de cest latin. Et après ce, prist les sacrifices d'Abraham et de Isaac son fils; et après ce, prist les exemples des serpens, qui degastoient la terre de Poitou au temps saint Hilaire, évesque de Poitiers; appliqua et accomparagea les serpens à Enguerran et à ses créatures, c'est assavoir ses parens et ses affins. Et ice dit, si descendi sus le gouvernement du royaume du temps Enguerran; et après ce, les cas et les forfez raconta en général[285] qui s'en suivent:
Premièrement. Le roy Phelippe en son vivant dist que Enguerran l'avoit deceu et tout son royaume; et pluseurs fois l'en trouva-l'en plorant en sa chambre. Et pour ce, ne le voult-il pas faire son exécuteur.
Le secont article. Que au vivant le roy, quand il trayoit à mort, il roba le trésor du Louvre, à six hommes toute une nuit. Et le fist porter là où il voult à son commandement.
Le troisiesme. A la derrenière voye de Flandres, il parla au conte de Nevers tout seul aux champs, lequel luy donna deux barris esmailliés d'argent et pluseurs joiaux, et loua le retour et fist l'ost de France retourner sans riens faire.
Le quatriesme. Quant il fu venu[286], il conseilla prendre la subvencion, dont le menu peuple fu malement grevé.
Le cinquiesme. Quant le roy l'envoya au pape, il porta des deniers du roy une somme d'argent en laquelle il avoit en or trente mil livres, et puis n'en contesta riens, ainsois le retint.
Le sixiesme. Quant le roy envoya à monseigneur Raimont de Goth quinze mille florins par ledit Enguerran, et quant il fu là, il le trouva mort: si les retint, et puis n'en compta.
Le septiesme. Que il fist séeler par monseigneur Guillaume de Nougaret, adonc chancelier nostre seigneur le roy, huit[287] paires de lettres et ne pot savoir que il séela.
Le huitiesme. Que par luy estoient tous les officiels ès offices du roy, de quelque manière que il fussent.
Le neuviesme. Que le roy li donna à deux fois cinquante cinq mil livres, pour sa voie de Poitiers, avec tous ses costs et despens.
Le dixiesme. Quant le roy li donnoit terre, il faisait prisier à deux cens livres ce qui bien valoit huit cens.
Le onziesme. Que un marchéant faisoit contraindre pluseurs marchéans par lettres des foires de Champaigne, pour deniers que eux li devoient; lesquels donnèrent à Enguerran huit mil livres, et il furent délivrés. Et le preudomme fu mis en Chastellet cinquante jours en prison, et luy convint jurer, ainsois qu'il en issist, que jamais n'en seroit nouvelle et que rien n'en demanderoit.
Le douziesme. Dix-huit vins dras[288] furent acquis au roy par forfaiture; il furent aportés à Enguerran, né oncques puis n'en compta.
Le treiziesme. Que la terre de Gaillefontaine, qui valoit douze cens livres, ne fu prisiée que à huit cens livres, et de tant fu deceu monseigneur de Valois.
Le quatorziesme. L'abbé de Sainte-Caterine aussi fu déceu.
Le quinziesme. De l'eschange du prieur de Saint-Arnoul en tele manière fu déceu.
Le seiziesme. Que le roy envoia à la contesse d'Artois unes lettres esquelles il luy demandoit certaines besoignes; et Enguerran mist dedens une annexe, et luy mandoit le contraire, et que il la garantissoit devers le roy de tous poins.
Le dix-septiesme. Que madame d'Artois luy donna quarante mil livres que la ville de Cambray luy devoit d'une amende, et que le roy ne luy vouloit donner congié de lever l'amende dessus dite, et Enguerran la leva tout outre.
Le dix-huitiesme. Que il donna le conseil de madame de Poitiers prendre[289], ensi come il fu fait.
Le dix-neuviesme. Qu'il obligea sa terre de Foilloy, à vint-deux ans, à rendre l'argent dessus dit, et en donna lettres à la contesse, et depuis avint qu'il eust les lettres par devers lui[290].
Le vintiesme. Que pour paour de plus perdre, madame d'Artois luy donna la haulte justice de Croisilles et de Biauvais, avec le marchié de Biauvais.
Le vint-et-uniesme. Les Crespinois d'Arras luy donnèrent quarante-huit mil livres; mais il les cuidièrent avoir donnés au roy.
Le vint-et-deuxiesme. Que le roy porta à ses frères trente mil livres; mais il n'en avint nul, quar Enguerrant les ot par devers luy.
Le vint-troisiesme. Que le roy luy donna la garde d'Estouteville à treize ans, qui bien valoit quarante-six mil livres.
Le vint-quatriesme. Que le roy luy donna le tiers denier de certaines foires en Normendie, qui bien valoit soixante mil livres.
Le vint-cinquiesme. Que le roy luy donna pour faire faire son ostel et son palais de Paris, dix mil livres.
Le vint-sixiesme. Qu'il tolli aux voisins d'entour, des maisons qui bien valent cent livres de rente par an et plus.
Le vint-septiesme. Que les bourgois de Roen avoient forfet[291] une franchise qui estoit en la ville; et il luy donnèrent trente mil livres et ensi orent leur franchise.
Le vint-huitiesme. Le roy donna à messire Beraut de Marcueil douze cens livres de terre prise à Chailly, et il les vendi à messire Enguerran sept mil livres, dont il ne paia que quatre mil. Et de ces douze cens livres de terre failloit à asseoir soixante-douze livrées de terre, pour lesquieles il prist soixante-deux villes à clochiers en la chastellerie de Montlehery.
Le vint-nueviesme. A mestre Raoul de Poi[292] qui avoit une maison à Tilly que messire Enguerran voult avoir, il luy fist donner une forfeture de quatre mil livres et un chastel en Bretaigne qui bien valoit quatre mil livres.
Le trentiesme. Que du tournoi de Compiègne il fist aporter le remanant des garnisons nos seigneurs en son hostel.
Le trente-et-uniesme. Messire Jacques Laire avoit sus le trésor le roy quatre cens livres de rente; et luy en devoit-on dix-neuf cens livres d'arrérages; et il les vendi à monseigneur Enguerran trois mil livres à héritage à tousjours; et il s'en paia tantost du trésor le roy et ainsi ne luy cousta que onze cens livres.
Le trente-deuxiesme. Que, en la conté de Longueville lès-Giffart, le roy ne luy cuida asseoir que six cens livres et il en i a deux mil.
Le trente-troisiesme. Madame Blanche de Bretaigne lui donna un moult biau manoir, pour miex besoignier[293] à court.
Le trente-quatriesme. Que de la pierre de Vernon il fist mener quatre mil pierres à Escouies, et cinquante-deux images[294] chascune du prix de quarante livres.
Le trente-cinquiesme. Que des forès du roy il a osté tout le plus bel.
Le trente-sixiesme. Que le séneschal d'Auvergne luy donna set cens livres.
Le trente-septiesme. Une femme de Sens qui avoit forfait cors et avoir, luy donna huit cens livres et ainsi fu assoute.
Le trente-huitiesme. Que un bidaut[295] estoit accusé à court de pluseurs cas, il luy donna pluseurs dons et ainsi fu assous.
Le trente-nueviesme. Que il fist pluseurs estans en Normendie, esquiex il ajousta pluseurs héritages du roy.
Le quarantiesme. Que il peupla lesdis estans des poissons des estans le roy, et en i mist jusques à la value de dix mil livres.
Le quarante-et-uniesme. Que il avoit fait commandement aux trésoriers et aux maistres des comptes, que pour mandement que le roy fesist, que il n'obéissent sé il ne véoient ainsois son séel.
Adonc ices articles dis et fénis et pluseurs devant ses iex approuvés, si ne luy fu en nule manière donnée audience de soy deffendre, fors que l'évesque de Biauvais, son frère, demanda copie des articles devant dis; et, ice fait, de rechief au Temple en prison fu ramené et serré fermement en bons liens et en aniaux de fer, et gardé très diligeamment.
[296]Après, en l'an de grace ensuivant mil trois cent et quinze, comme on traitast par une voie moyenne contre le dit Enguerran, renommée courut que à l'instance de la femme Enguerran estoient faites images de cire pour envoulter le roy et messire Charles et autres barons. Et estoient iceux vouls de cire en telle manière fais et ouvrés que sé longuement eussent duré, les devant dis roy et conte, chascun jour, n'eussent fait que amenuisier, defrire et séchier, et en brief les eussent fait de male mort mourir. Lors par la volonté de Dieu et par son jugement, par aventure occulte fu sceu et aperceu d'aucuns, et tantost fu noncié à Charles de Valois; laquelle chose Charles de Valois entendue, et de ce moult esbahi, lors au roy de Navarre Loys son neveu vint isnelement, et luy raconta teles felonnies, desloiaux et détestables fais. Lequel roy Loys, chascun jour, pourtraitoit envers le dit conte la délivrance du dit Enguerran, et tant, si comme l'en dist, avoit jà fait et procuré envers ses adversaires que le devant dit Enguerran devoit passer mer et aler en Chypre, et ilecques, jusques au rapellement du devant dit conte Charles, et jusques à sa bonne volenté, devoit estre, si comme l'en dit, en essil condampné, sé cette maudite aventure et fortunable endementiers ne fust avenue. Et adonc le roy Loys quant il ot ces félonnies entendues et ces dyaboliques forfais de la femme Enguerran par son consentement, lors si fu moult esbahi, et dist à Charles son oncle: «Je oste de luy ma main, et puis des ore en avant ne m'en entremets; mais selon ce que vous verrez bien expédient et avenant luy faites.» Adonc le roy Loys ice dist, Charles conte de Valois qui autre chose ne queroit fors que le roy soy abstenist de luy deffendre, et qui jà avoit la dame de Marigni, avec sa seur la dame de Chantelou fait prendre, et dedens le Louvre à Paris fait metre en prison; et l'autre boisteuse maudite avec le dit Paviot en Chastelet, les vouls avec eux amenés et aportés, avoit fait emprisonner, et estre détenus en estroite garde; lors adecertes en ce fait non reposant, le samedi devant l'Ascension de Nostre-Seigneur Jhésucrist, si fist au bois de Vinciennes pluseurs barons et chevaliers avec aucuns pers de France assembler, et ilec furent démonstrés aucuns des forfais Enguerran de Marigni, et les autres détestables félonnies et dyablies de sa femme faictes, et, si comme l'en dist, de luy premièrement proposées. Lors par le jugement d'aucuns barons, pers, chevaliers et barons du royaume de France pour ce ilec assemblés, Enguerran fu condampné à mourir pour estre pendu. Et ce fait, le mardi ensuivant, très bien matin, du Temple au Chastellet, en une charete, tout ferré de ses ferreures, fu amené, disant le peuple après et de ce esjoissant: Au gibet, au gibet soit amené!
LXXVI.
De la mort Enguerran de Marigni.
ANNÉE 1315 Et après ce, l'endemain, c'est assavoir le jour du mercredi en la veille l'Ascension Nostre-Seigneur, le derrenier jour du moys d'avril, icelui Enguerran de Marigni chevalier, à grant multitude de gent à pié et à cheval de toutes pars venans et courans et de ce moult esjoïssans, du Chastellet de Paris en une charete, luy disant et criant au peuple: Bonnes gens, pour Dieu priez pour moi! En telle manière fu mené au gibet de Paris, et au plus haut des autres larrons en ce gibet fu pendu. Laquelle chose faicte, en la sepmaine ensuivant, la maudite boisteuse et le devant dit Paviot furent menés au gibet, et ilec ladite boisteuse, les vouls montrés au peuple qui ilec estoit venu, en un très ardant feu fu arse, et le dit Paviot sous son seigneur Enguerran de Marigni fu pendu. Et adecertes la dame de Marigni et sa seur la dame de Chantelou du Louvre où elle estoient en prison ostées et ramenées après ce au Temple l'ostel des Templiers jadis, en plus forte prison furent encloses.
LXXVII.
De la mort Marguerite femme le roy de Navarre.
En cest an vraiement, la veille de l'Ascension dessus dite derrenier jour d'avril, fu morte Marguerite jadis folle et diffamée royne de Navarre qui au chastel de Gaillart en Normendie estoit emprisonnée, et à Vernon en l'églyse des frères Meneurs fu enterrée[297].
Et en ce meisme an, Pierre de Latilly, évesque de Chaalons, lequel estoit souspeçonné de la mort Phelippe-le-Biau et de son prédécesseur[298], à l'instance de l'arcevesque de Rains, du mandement du roy, fu détenu en prison.
Et en ce meisme tems, Raoul de Praeles, lequel estoit ainsi comme principal advocat en parlement du roy, fu mis à Saincte-Geneviève tant comme coupable et souppeçonné de la mort devant dite. Mais après moult de paines et de tormens qu'il ot souffert, ne pot-on riens traire de sa bouche fors que bien, si fu franchement laissié aler, et ot moult de ses biens gastés et perdus.
Et en ce tems, Huguelin le duc de Bourgoigne et frère de Marguerite royne fu mort, auquel son frère succéda en la duchiée.
Et en ce meisme tems, environ l'Ascension, messire Loys jadis conte de Nevers et de Rethel, et Jehan de Namur vindrent en France et furent de rechief receus en la grace du roy, et furent rendus au dit conte ses deux contés desquelles il avoit esté privé par avant.
Et en cest an, l'abbé de Cistiaux et les procureurs de Robert conte de Flandres se comparurent à Paris devant le roy pour excuser le dit conte, jasoit ce qu'il eust esté semons personnelment, pour confirmer la paix qui avoit esté l'an devant pourparlée; si l'excusoient en telle manière et disoient: que bonnement il n'y pooit venir pour la foiblesse de son corps; et si luy couroient sus aucuns de ses anemis. Lesquelles excusacions furent réputées pour frivoles; et une pièce de tems après, c'est assavoir la veille de la Sainct-Pierre et Sainct-Pol apostres, furent le dit conte et les Flamens réputés pour contumaux et rebelles. Et en ice tems, le samedi devant la Sainct-Jehan, trois femmes qui portoient poisons, et par les quelles l'évesque de Chaalons, devancier de Pierre de Latilly, avoit esté empoisonné, furent arses en une petite isle qui est devant les Augustins.
Et en ce tems, Jehan le fils messire Guillaume de Flandres espousa la fille du conte de Sainct-Pol.
Et en ce tems il fu moult grant deffaute de vin en France.
Ci fenist l'ystoire le roy Phelippe-le-Biau.
CI COMENCE L'YSTOIRE DE LOYS, ROY DE FRANCE ET DE NAVARRE[299].
I.
De l'ost de France qui s'en revint de Flandres sans riens faire.
Après Phelippe-le-Biau régna en France Loys, roy de Navarre son fils, et comença à régner l'an de l'Incarnacion Nostre-Seigneur mil trois cent et quinze; et à Rains la cité, le dimenche après les octaves de l'Assompcion de la benoite vierge Marie, mère de Nostre-Seigneur Jhésucrist, avec sa femme la royne Climence de Hongrie, nièce au roy Robert de Secile, fu sacré et coronné en roy. Laquelle Climence, fille Charles Martel fils Charles le secont roy de Secile, le mardi devant son coronnement icelui roy avoit espousée[300].
Et en ce tems, les Juis que le roy Phelippe-le-Biau avoit chaciés de son royaume, icelui roy son fils rappella à Paris, et fist revenir en son royaume de France.
Et en cest an vraiement, au royaume de France fu le tems d'esté si pluvieux et si mal naturable et les blés au tems d'aoust furent de si male cueillette que en nulle manière ne porent estre mis secs ès granches qu'il ne fussent moilliés, né les raisins des vignes en aucune manière ne porent naturablement, si comme il devoient, meurer.
Et en ce meisme an, Loys roy de France et de Navarre destitua de la chancelerie Pierre évesque de Chaalons, et mist en son lieu Estienne de Mornay chambellenc de son oncle Charles conte de Valois. Et après ce, furent envoiés de par le dit roy Loys ambassadeurs à court de Rome pour promouvoir l'eslection du pape, c'est assavoir: Girart l'évesque de Soissons, le conte de Bouloigne, et Pierre de Blaive chevalier et docteur en droit canon et civil; lesquiex y féirent pou ou noient. Et en après envoia le dit roy Loys son chambellenc et secrétaire messire Hue de Bouville chevalier et avec luy certains autres messages, ès parties de Secile pour avoir Climence la fille au roy de Hongrie en mariage.
Adecertes en icest an, au moys de septembre, quinte fois après le rebellement du conte de Flandres Robert, et des Flamens non voullans tenir les convenances seellées et affermées de leur seaux qu'il avoient eues au roy Phelippe en l'an devant passé, Loys son fils, roy de France et de Navarre, passa en Flandres avec ses deux frères Phelippe conte de Poitiers et Charles conte de la Marche, et ses deux oncles Charles conte de Valois, et Loys conte d'Evreux, et le marquis d'Anconne et le duc de Bretaigne; avec eux moult de bavons, ducs, contes, chevaliers et sergens. Vers Courtray un grant ost assembla, et si noble que de grant temps devant passé ne fu d'aucun roy de France tel noble ost de François assemblé. Et adonc comme ilec parvenissent, si fichièrent leur trés et leur tentes, et ilec se logièrent. Car adecertes oultre ne povoient passer, pour l'iaue du fleuve près d'ilecques courant que l'en appelle le Lys, où il n'avoit nul pont par où il peussent passer. Et vraiement comme le roy de France et de Navarre Loys fust ilec avec son très bel ost, ordenant pour faire appareiller voie à passer le fleuve du Lys, pour soy combatre aux Flamens qu'il convoitoit par très grant ferveur de courage, les Flamens, de l'autre partie, oultre le dit fleuve du Lys estoient assemblés à grant ost; le temps trop pluvieux nostre roy et les siens destourbans à parfaire ce qu'il avoient entrepris, tellement les contrainst que en icelui ost boue si grant estoit chascun jour pour la pluie enforçant et croissant que, si comme il fu dit pour voir, les hommes et chevaux en la boue et au fiens, en aucuns lieux, a par un pou jusques aux genoux estoient. Pour la quelle chose les viandes ne povoient venir à l'ost, car à traire et à amener un toniau de vin en nostre ost, trente chevaux convenoient, et à paines le povoient-il oster et remuer de la boue. Adoncques ces dommages et males aventures nos François douloureusement contraignans, la nécessité inévitable et mescréable les amena à ce que il se départissent et remuassent de ce lieu. Et lors le roy de Navarre Loys, par le conseil de ses barons, le feu premièrement mis en leur tentes de toutes pars, inglorieux et sans riens faire, dolent et courroucié, fu contraint à soy revenir en France. Et pour ce les François mistrent en leur tentes le feu, que il ne les povoient oster né remuer de ce lieu né faire emporter avec eux, pour l'abondance de la boue; et ensement ne vouloient que de eux Flamens eussent nul proffit.
Et ainsi les François, leur tentes laissiées et embrasées, et moult de richesces en icelles estant deguerpies, dolens et courrouciés, mouilliés et crotés en ce lieu departans en France s'en revindrent. Et adecertes, Loys roy de Navarre eu fu si couroucié et dolent qu'il jura, si comme l'en dist, que s'il vivoit en l'an ensuivant, les Flamens iroit efforciement poursuivre et envaïr sans demeure; et que jamais n'auroit vers eux nul accordance se du tout ne s'abandonnoient à sa volenté faire. Et laissa le roy en ces parties pluseurs sergens et soudoiers avec appareils batailleurs qui les pas et les entrées gardoient par mer et par terre, si que les Flamens à paine de aucune partie porent avoir vitaille.
Et en ce meisme an, au moys d'octobre fu fait concile à Senlis présent l'archevesque de Rains et les évesques qui sont dessoubs luy, et pluseurs autres prélas[301]: et là furent proposés les deux cas dessus dis contre Pierre évesque de Chaalons: adoncques requist le dit évesque devant toutes choses, que en sa personne né en ses biens, desquiels il estoit despouillé, on ne attemptast, et que il lui feussent restitués; la quielle chose luy fu ottroiée.
II.
Incidence de sel.
ANNÉE 1316 En cest an à Paris fu si grant chierté de sel que nul aage ne remembre né ne tient-l'en en escript si grant chierté de sel à Paris avoir esté veue. Car le boissel en fu vendu dix sols et plus Parisis, en forte monnoie en cest an decourant.
III.
Incidence de blé.
En cest an ensement, environ le vingtiesme jour du moys de mars, au temps de karesme, commença une si grant chierté de blé au royaume de France, et espéciaument à Paris et en pluseurs autres parties, que tantost après ensuivant, une très grande famine en ensuivi.
IV.
Incidence de famine.
En l'an de grace après ensuivant mil trois cent seize, la chierté très grant de blé fu au royaume de France; et espéciaument à Paris au temps de Pasques; en telle manière que le sextier de froment valut soixante sols parisis ou environ, bonne et forte monnoie au temps de lors decourant.
Et après ce ensuivant, pour ce que la très grant famine ensuivoit si croissant et angoisseux, pluseurs hommes et femmes povres créatures, traveillans et labourans de fain, par rues et par places à Paris mouroient.
V.
De la comète.
En cest an ensement, au moys de mars par pluseurs jours à l'anuitier, la comète, un signe au ciel, fu veue au royaume de France signefiant le destruiment du royaume.
VI.
Coment les cardinals furent assemblés.
Et en cest an aussi, Phelippe conte de Poitiers, frère Loys roy de France et de Navarre, qui en l'an devant passé estoit meu de Paris et alé, du commandement son frère, à Avignon en Provence pour assembler les cardinals, sé il peust pour faire pape, lors ot parlement avec les cardinals qui ilec estoient demourans, et les fist assembler à la cité de Lyons sur le Rhosne pour élection du nouvel pape faire le jour de la feste saint Pierre et saint Pol en juing.
VII.
Du trespassement le roy Loys, roy de France et de Navarre.
En cest an vraiement, le jour du samedi après la feste de Penthecouste, le cinquiesme jour de juing, au boys de Vincennes, Loys roy de France clost son derrenier jour. Et l'endemain ensuivant, c'est assavoir le jour de la Trinité, sixiesme jour en juing, à Saint-Denis en France fu porté; et l'endemain honnorablement enterré. Et après ce, Phelippe conte de Poitiers qui à Lyon avoit longuement demeuré pour faire faire le pape, oï nouvelles de la mort son frère le roy Loys, lors pour ce à Paris se retrait et revint.
Et lors des barons de France receu paisiblement, prist tantost, par l'assentement et l'accort de eux, la garde et le gouvernement des royaumes de France et de Navarre, en ses lettres son titre en telle manière disant: «Phelippe fils du roy de France, gouvernant les royaumes de France et de Navarre, à tous justiciers», etc.
Ycelui roy de France et de Navarre Loys régna, après son coronnement, couronné du royaume de France, neuf moys et demi ou environ et laissa sa femme la royne Climence grosse.
En ce meisme an, environ la feste de la Magdalaine, Loys conte de Clermont et Jehan son frère conte de Soissons avec pluseurs autres, pristrent la croix de la main du patriarche de Jhérusalem pour aler Oultre-mer, en la présence de pluseurs prélas pour ce à Paris assemblés. Et lors fu crié par le conte de Poitiers que tous ceux qui nouvellement avoient prise la croix, et les autres qui par avant l'avoient prise, si comme il avoit fait son père vivant, si ordenassent et appareillassent qu'il fussent près à la feste de la Penthecoste après l'an pour passer au saint voiage.
Et en ce meisme an, Jehan conte de Soissons, qui avoit pris la croix n'avoit guères, mourut.
VIII.
Du coronnement le pape Jehan.
Et en cest an ensement, les cardinals, à la cité de Lyon sus le Rhosne ensemble assemblés, à un jour d'un samedi le septiesme jour d'aoust, eslurent et firent nouvel pape, c'est assavoir: l'évesque jadis d'Avignon une cité en Provence, cardinal de l'églyse de Rome, lequiel deux centiesme pape fu appellé Jehan le vingt-deuxiesme.
Et en celle cité de Lyon, le jour de la nativité de la benoicte vierge Marie, le huitiesme jour de septembre, fu coronné et consacré de dyadème papal, présent Phelippe conte de Poitiers, gouverneur des royaumes de France et de Navarre, Charles son frère conte de la Marche, et ses deux oncles Charles et Loys, et moult d'autres barons du royaume de France et d'ailleurs, et prélas, évesques, cardinals et autre clergié et peuple, pour icelui pape en la cité de Lyon et en icelui jour assemblés.
Et adecertes en cest an ensement, le premier jour de septembre, au palais de Paris, par le conseil au conte de Savoie et de Charles conte de Valois, et de Loys conte d'Evreux, et de l'évesque de Saint-Malo et de pluseurs autres évesques, archevesques, prélas, barons, princes, contes, ducs et chevaliers entre Phelippe conte de Poitiers, régent du royaume de France et de Navarre, et Robert de Béthune conte de Flandres, fu une condicion et manière de paix par lettres authentiques faite et confirmée, et des eschevins de Flandres pour tout le menu et le gros peuple commun affermée.
Et en cest an aussi, au moys de septembre, Robert d'Artois fils Phelippe d'Artois, qui fu fils du conte d'Artois Robert qui mourut à Courtray en Flandres, entra à grant ost et noble chevalerie de chevaliers ensemble aliés, en la cité d'Arras, à luy usurpant et prenant, ainsi comme par violence, la conté d'Artois, au préjudice de la contesse d'Artois fille le dessus dit conte Robert[302]. Mais tout veu, et considéré que les parties proposoient, la propriété du conté d'Artois fu déclinée à la contesse, et pour bien de paix, la conté de Biaumont avec toutes ses appartenances fu donnée audit Robert, et renonça au droit du conté d'Artois, sé point en i avoit, et le quitta et en furent faites lettres, et jura que il ne vendroit jamais encontre.
En cel an, pour l'accord traitié entre le roy et les Flamens, fu Loys, le conte de Nevers, qui tant de maus au royaume avoit fait, receu fu des Flamens en grace et luy fu rendue sa conté où li rois avoit mis sa main. Et lors, li Flamens par terre et par mer se garnirent de vitaille, si qu'en brief temps il ot meilleur marchié de pain et de vin que il n'ot en France. Et puis assés tost, li Flamens se confederèrent et adjoindrent aux Baonnois[303] et vindrent par mer contre les François et prinrent quatre de leurs grans nés et les ardirent; combien que il déissent lors le contraire.
[304]Et en cest an, environ la chandeleur, furent assemblés en la présence de Pierre d'Arrablay, jadis chancelier du roy de France mais nouvellement avoit esté fait cardinal, pluseurs barons, nobles prélas, bourgois en la cité de Paris; lesquiels tous ensemble approuvèrent la coronacion de Phelippe-le-Lonc, et luy promistrent obédience tant comme à leur seigneur, et à Loys son ainsné fils après luy, tant comme vray hoir; et de ces choses firent foy et serement; et aussi ceux de l'université de Paris aprouvèrent les choses dessus dites; mais il n'en firent pas serement. Et adonc fu-il desclairié que femme ne succède pas au royaume de France.
Et en cest an, le vendredi après les Cendres, Loys, ainsné fils du roy Phelippe-le-Lonc, mourut, et aux frères Meneurs emprès son aïeule Jehanne royne de France et de Navarre fu enterré.
Cy fenist l'ystoire du roy Loys, roy de France et de Navarre.