Les grandes chroniques de France (5/6): selon que elles sont conservées en l'Eglise de Saint-Denis en France
CI COMENCE L'YSTOIRE AU ROY PHELIPPE, QUI FU CORONNÉ EN ROY DE FRANCE ET DE NAVARRE.
I.
De la mort Jehan fils du roy Loys de France et de Navarre qu'il ot de la royne Climence; et coment Phelippe conte de Poitiers fu couronné en roy de France après la mort du dit roy Jehan.
En l'an de grace mil trois cent seize, la royne Climence qui estoit enceinte, chéi en une quartaine qui moult greva sa porteure, et enfanta un fils qui avoit non Jehan qui mourut assez tost après. Pour quoy Phelippe, conte de Poitiers, se mist en possession des royaumes: mais le duc de Bourgoigne[305] et sa mère luy estoient contraires, et disoient que la fille son frère le roy Loys devoit hériter. Et les autres disoient que femme ne puet hériter au royaume de France; pour ce ledit Phelippe fu couronné à roy, et à la nuit de la Thiphaine après fu reccu comme roy à Paris. Et tantost il appella le dit Robert d'Artois, et luy fist tenir prison longuement tant que accort fu fait et de luy et de la contesse d'Artois que il quicta du tout; et l'en luy donna la conté de Biaumont en Normendie[306].
II.
Des mariages des filles au roy de France.
ANNÉE 1317 En l'an mil trois cent dix sept, Phelippe le nouvel roy changea le mariage qui estoit pourparlé de la fille au conte d'Evreux et du fils au conte de Nevers, et voult qu'il préist une de ses filles, et si fist-il. Et le roy requéroit vers les Flamens que les condicions de leur pais fussent confirmées: mais les Flamens se descordoient en pluseurs poins, pour quoy on ala au pape pour les acorder. Mais les messages aux Flamens disoient qu'il n'avoient pas povoir de riens acorder, mais de raporter: et pour ce le pape y envoia l'archevesque de Bourges et le maistre des Prescheurs auxquiels les Flamens respondirent que il feroient le dit au pape, mais qu'il eussent seurté que le roy les tenist. Moult de seurtés leur furent offertes, mais nulles ne leur en souffisoient. Et quant il fu raporté au pape, il leur manda que les seurtés estoient souffisantes et que il les presissent; ce qu'il ne vouldrent faire, pour quoy la terre demoura entredite[307].
Et en l'année devant, le onziesme jour de septembre, à heure de vespres, fu très grant mouvement de terre qui trembla par plus de cinq lieues d'espace.
Et en cest an, fu acort entre le roy et le duc de Bourgoigne qui prist à femme l'ainsnée fille[308] le roy qui n'avoit point de fils. La seconde fille fu fiancée au jeune enfant le dauphin de Vienne; la tierce devoit estre donnée au jeune enfant le roy d'Espagne, mais on la donna au conte de Nevers; la quarte mist la royne à Loncchamp, cordelière: et les trièves des Flamens furent proloigniées de Pasques en un an après.
Et pour certain, en cest an fu le roy Phelippe-le-Lonc moult prié des amis Enguerran de Marigni que il leur voulsist donner le corps du dit Enguerran qui avoit esté pendu, et qu'il le peussent mettre en terre benoicte. Laquielle chose le roy leur acorda: lors le firent ses amis oster du gibet, et le firent enterrer[309] au milieu du cuer des Chartreux à Paris, avec Phelippe son frère archevesque de Sens; et sont tous deux sous une pierre.
Et en ce meisme an, en Italie, environ la fin de la conté de Milan sourdirent hérites[310] de grant puissance, c'est assavoir: Mahieu le visconte de Milan[311] et ses fils; avec luy Galeace, Marc, Lucin, Jehan et Estienne; lesquiels troubloient moult saincte églyse. Contre lesquiels inquisicion fu faite; et furent trouvés hérites manifestement et comme hérites furent condampnés. Dont il avint que souvent il pristrent les messages du pape et les batirent et mistrent en prison et les despouillièrent, et despecièrent les lettres du pape, et si robèrent pluseurs églyses et en mettoient ceux à qui elles estoient hors, et si en tuèrent pluseurs; évesques et abbés boutèrent hors de leur propres lieux et les envoièrent en essil, et moult d'autres maux firent. Et par le dit Mahieu fu entredit aux personnes de l'églyse sennes, conseils[312], chapitres, visitacions, prédications; et si abusa le dit Mahieu de pluseurs pucelles, et depuis par force les mist en églyses; et viola par force pluseurs nonnains; et si nioit la résurrection, ou il en faisoit doubte. Son aieul et son aieule furent hérites, et, avec eux, la Mainfrede qui estoit du lignage au dit Mahieu de par sa mère, tenoit le Saint-Esprit avoir pris char humaine; si furent ars tout en feu.
Et en ce temps, le pape fist moult de procès contre les devant nommés hérites, et geta moult de sentences contre eux, et donna grans indulgences à tous ceux quiiroient à bataille contre eux. En environ ce temps Loys de Bavière qui avoit esté couronné en roy des Romains s'en entra en Italie, et avec les devant dis hérites s'acompaigna.
III.
De l'absolution le conte de Nevers.
ANNÉE 1318 En l'an de grace mil trois cens dix-huit, Loys conte de Nevers fu accusé de moult de choses, sus lesquielles il fu cité sollempnelment à Compiègne à venir devant le roy personnelment à la quinzaine d'aoust respondre, protestacion faite que s'il venoit ou non l'en feroit droit de ses eschoites[313]: car comme il eust fait hommage au père le roy de la conté de Nevers, de la baronnie de Donzi, et de la conté de Rethel qu'il tenoit de par sa femme, il se tourna devers les Flamens encontre son seigneur lige en rebellion pour faire contre luy quanqu'il pourroit, et en confortant les Flamens contre le roy. Pour quoy le roy avoit mis en sa main les dites terres, fors que tant que sur la conté de Rethel il avoit assigné à la femme du conte certaine provision jusques à deux milles livres par an: (et, à la persuasion des amis d'icelui conte, le roy le laissa parler à luy à Gisors et le reçut en sa grace, soubs certaines conditions que il promist à tenir; et l'en luy rendi ses terres): mais, ce nonobstant, aux gentilshommes de Picardie donnoit faveur qui s'estoient aliés; au préjudice du roy, aux Flamens; et pourchaça tant comme il pot que le duc de Bourgoigne fist à eux aliances en son pays et en Champaigne. Et commença à garnir le chastel de Maizières contre le roy, si comme pluseurs jugoient, et les autres forteresses de Rethel. Et quant le conte de Nevers et le duc de Bourgoigne furent acordés, toutes ces choses furent découvertes. Pour lesquelles désobéissances, ledit conte fu cité par devant le roy, mais il n'i vint né envoia. Et pour ce, derechief ses terres furent mises en la main du roy, car il s'estoit tourné en Flandres avec ses enfans.
En celle année et celle devant fu chierté de blé et de vin en France; si que le sextier de fourment fu vendu au prix de soixante sous parisis. Mais aussi, comme par miracle de Dieu, la chierté cessa soudainement, si que le sextier de froment revint à treize sous parisis: (et pour ce, un rimeur dit:
L'an mil trois cent quatorze et quatre,
Sans vendangier et sans blé battre,
A fait Dieux le chier temps abattre.)
En cest an, Mahaut, contesse d'Artois, voult entrer en sa terre par force de gent d'armes; mais il i avoit moult de chevaliers qui estoient aliés au conte au païs, qui signifièrent à ladicte contesse que à gens d'armes elle ne entreroit point, et que il garderoient le pas contre elle: mais sé elle i vouloit entrer simplement, il leur plairoit bien. Quant elle vit que autrement n'y povoit entrer, elle se déporta de la chose que elle avoit commenciée.
Et en ce meisme an, le pape Jehan envoya messages aux Flamens et leur segnifia que les seuretés que le roy de France leur offroit il les reputoit pour souffisans, et leur conseilloit que il les presissent, et sé il les refusoient, les reputeroient pour parjures et empescheurs du voyage d'Oultre-mer. Finablement, il pristrent journée aux octaves de la feste Nostre-Dame my-aoust, pour donner response. A laquelle journée le pape envoya et le roy aussi; mais de par les Flamens il n'i ot personne, excepté deux fils de bourgois, les quiels distrent qu'il n'avoient povoir de riens ordener, mais s'en estoient partis de Flandres pour querrir bestes qu'il avoient perdues[314], et ainsi furent les messages du roy et du pape moquiés, et s'en retournèrent à leur seigneurs.
Et en ce meisme an, fu moult grant guerre en Lorraine en la cité de Verdun, et par telle manière entre les citoiens que l'une partie bouta l'autre hors la cité. Mais le conte de Bar qui deffendoit la partie qui estoit dehors contre l'évesque de la cité et contre son frère le seigneur d'Aspremont, si leur abati deux chastiaux[315], et y envoia le roy le connestable par lequiel il furent mis à paix.
Et en ce temps, la royne Climence se parti de France et s'en ala à Avignon, et la cuida trouver son oncle le roy de Secile: et entra en Avignon, mais son oncle n'estoit pas venu, si s'en ala saluer le pape, lequiel la reçut moult benignement, et luy eslut sa demeurance, jusques à la venue de son oncle, en l'ostel des seurs de Saint-Dominique.
Et en ce temps le pape Jehan publia aucunes déclarations sur la ruile des frères Meneurs; et si fist aucunes constituions lesquielles il envoia à Paris et en autres lieux, sous bulle, et voult que elles fussent leues publiquement si comme les autres décrétales.
Et en ce temps, Loys de Bavière oï dire que le pape luy avoit refusé la bénéicon impériale, laquielle luy estoit deue de droit, si comme il disoit; car il se reputoit avoir esté esleu paisiblement; et pour ceste cause il luy appartenoit de recevoir et de distribuer les honneurs de l'empire par la manière de ses prédécesseurs. Si advint que, sans requérir le pape, le dit Loys appella au concile général, et fist son appellacion en pluseurs lieux estre publiée, et affirmoit le pape estre hérite, meismement car il sembloit que il se efforçast de subvertir la ruile des frères Meneurs, laquielle avoit esté confirmée de ses prédécesseurs.
IV.
Du cardinal qui vint faire la paix du roy Phelippe et du conte de Flandres.
ANNÉE 1319 En l'an mil trois cent dix-neuf, envoia le pape un cardinal, monseigneur Gocelin, du titre saint Mathurin et saint Pierre, en France, pour faire la paix des Flamens. Lequiel mist en terre Loys frère le roy Phelippe-le-Bel qui estoit conte d'Evreux, chez les frères Prescheurs de Paris delès sa femme, et puis s'en ala vers Tournay. Lors envoia à l'évesque du lieu que il féist assavoir aux Flamens sa venue, et pour quoy le pape l'avoit envoié; et cil n'y osa aler, mais il y envoia deux frères Meneurs qui furent mis en prison, du commandement du conte qui s'appareilloit de venir asségier Lille, et avoit avec luy la commune de Gant. Et quant il voult passer la rivière du Lys, ceux de Gant luy distrent: «Sire, nous avons juré de garder les trièves de nous et du roy, si que sus luy ne vous suivrons-nous pas.» Le conte se retourna courroucié et condampna ceux de Gant à une grande somme d'argent, laquielle il ne vouldrent paier: pour quoy il fist garder les pas de Gant, si que nul n'i osoit entrer né issir qu'il ne fust mors ou pris; et les autres se gardèrent viguereusement. Le cardinal pourchaça tant que le conte et son fils vindrent parler à luy et les messages du roy; et fu ordené que le conte vendroit à Paris à la mi karesme après, et feroit hommage au roy, et seroient confirmées les condicions de la paix. Mais le conte n'y vint pas, ains trouva raisons frivoles et cavillacions.
Et en ce meisme an, le samedi après l'Assencion, trespassa très noble homme Loys conte d'Evreux. Et le mardi ensuivant, présent le roy et moult d'autres barons et prélas, et le cardinal Gocelin qui estoit venu à Paris pour la paix des Flamens, lequiel chanta la messe, emprès sa femme aux frères Prescheurs fu mis en sépulture.
Et en cest an, Robert le roy de Secile vint requerre aide au pape: lequiel luy aida de dix galies, lesquelles il avoit fait armer et appareillier pour le passage de la Terre sainte. Si les bailla et délivra audit Robert, lequiel roy en adjousta quatorze autres des seues, et les envoia en l'aide de ceux de Gennes qui estoient asségiés. Quant les Guibelins sorent la venue des dites galies, si s'en alèrent apertement au devant et les pristrent, et tuèrent partie de ceux qui les conduisoient, et pristrent le port de Gennes, et ardirent les faubours et donnèrent moult de fors assaux à la cité de Gennes.
Et en ce meisme temps. Phelippe fils du conte de Valois prist avec soy Charles son frère et moult d'autres nobles du royaume de France, et s'en ala en l'aide des Guelphes, à la requeste du roy Robert de Secile, son oncle de par sa mère. Si entra en Lombardie et vint à la cité de Verseilles; de laquelle cité les Guibelins tenoient une partie, et les Guelphes l'autre. Si fu receu des Guelphes à très grant joie, et assailli les Guibelins bonnement au plus tost que faire le pot; mais il vit que il y faisoit pou, car il avoient entrée et issue en la cité à leur volenté. Si ot, sur ce, conseil et s'en issi de la cité, mais il mist un embusche dedens la cité, si furent les Guibelins si près pris que il ne porent plus issir, né ne leur povoit-on aporter vitaille. Quant les Guibelins virent ce, si mandèrent à Mahieu[316] capitaine de Milan que il leur voulsist aidier.
Et en ce meisme an, environ la feste de monseigneur saint Jehan-Baptiste, il avint en Espaigne que un noble homme en armes et en proesce, tuteur et garde de l'enfant, roy de Castelle, comme par sa proesce et celle d'un sien oncle qui avoit à non Jehan eussent moult de fois guerroié les Sarrasins, et tellement que on espéroit que en brief temps il eust conquis le dit royaume et mis en la main des crestiens, toutes fois la chose fu autrement menée par la volenté de Dieu et, espoir, par nos péchiés. Car comme les nos fussent cinquante mille tant à cheval comme à pié, tous armés contre cinq mille de Sarrasins, si avint que avant que il se deussent combatre, le dit Jehan fu au lit malade et mourut. Quant ces nouvelles furent sceues en l'ost, il furent tous esbahis, et par telle manière, que jasoit ce que il véissent clèrement la victoire estre à eux attribuée, oncques ne se vouldrent combatre celle journée. Et pour ceste cause fu la mort du dit Jehan plus hastée, car il avoit crié et fait crier celle journée que on se combatist; mais on n'en fist riens, dont il ot si grant doleur au cuer qu'il en mourut plus briefment. Et adonc tout l'ost des crestiens s'en commença à fuir ainsi comme tous esbahis; mais comme les Sarrasins les peussent avoir tous tués, toutes voies nul des Sarrasins n'ensuivi l'ost des crestiens; dont il avint que un Sarrasin dist au roy de Garnate[317], car ledit roy n'i estoit pas présent au fait: «Sire, ne doutez pas, car Dieu s'est courroucié aux crestiens et à nous; car comme il fussent si grant quantité qu'il peussent de nous avoir eu briefment victoire, nul de eux ne nous a osé assaillir; et nous comme il s'en fuioient les peussions avoir mis à mort, toutefois aucuns de nous ne les ont ensuivis.»
Et en ce temps, entre Loys duc de Bavière et Ferri duc d'Austrie, et ses frères Leopold, Othon et Jehan, pour l'occasion de l'eslection entre les deux ducs faite et célébrée en grant discorde, sont nés très griefs périls de mort. Car l'un ardit la terre de l'autre; si roboient l'un l'autre, moult de leur citoiens firent mourir, et ceux qui estoient riches furent mis par eux à povreté.
V.
De la paix qui fu faite entre le roy Phelippe et le conte de Flandres.
En l'an de grace mil trois cent et vingt, à l'instance d'un cardinal vint le conte de Flandres à Paris[318]; (et tant fu fait par le conseil du cardinal et des amis au conte, qu'il fist hommage au roy. Lors tous supposèrent que la paix fu confermée, car il ne sembloit pas que l'homme guerroiast son seigneur, né le sire son homme): et furent là les procureurs des communes de Flandres qui avoient povoir de confirmer la paix. Mais un malicieux advocat qui avoit non Baudoyn, et avoit tous les jours trouvé poins pour le conte tenir en sa rébellion, si fu au faire la procuracion des dites communes, et y fist mettre un point, que les dis procureurs féissent telle paix au roy comme le conte feroit. Et pour ce sembloit qu'il ne povoient confermer la paix sé le conte ne la confermoit. Or avint que fu assignée journée à confermer les poins de la paix: mais le conte dit qu'il ne feroit riens sé on ne luy rendoit Lille et Béthune et Douay; ce que Enguerran de Marigny, procureur son père, luy avoit dit et promis. Car quant l'acort fu fait entre le père le roy et le conte, il luy devoit assigner douze mille livres de rente dedens le royaume; et pour ce qu'il ne le fist pas, le roy reçut ces trois villes. Enguerran y fu envoié et conseilla au conte que il les quittast au roy pour la dite rente; et il luy donna espérance que il pourchaceroit envers le roy que il luy rendrait assez tost de grace especial. Et adonc cil le crut et furent lettres faites de la quittance en telle condicion que elles ne seroient bailliées au roy tant qu'il ne auroit faite la dite grace. Enguerran s'en retourna au roy et luy bailla les lettres sans luy faire mencion de la grace, et tint le roy ces villes comme seues propres. Pour ce, ne luy vouloit le conte accorder nulle paix devant que il les réust, et le roy Phelippe[319] fu courroucié et dist[320] qu'il n'auroit jamais les dites villes. Si le fist ainsi jurer à son oncle et à son frère. Et ce jour meisme le conte de Flandres se parti de Paris et se hasta d'aler, avant que le temps d'aler fausist. Les procureurs des villes envoièrent après, et luy fu dit que il ne se partiroient de Paris tant qu'il eussent fait ferme paix au roy, et qu'il n'avoient chose vu leur procuracion qui l'empeschast, et qu'il savoient bien l'intencion de ceux qui les avoient envoiés; et que s'il retournoient sans riens faire, il n'avoient teste où il peussent mettre leur chaperons. Quant le conte oï ce, si sot bien sé les villes ne luy aidoient que il seroit tantost déshérité; si s'en revint à Paris, et fu la paix confermée et le mariage fait de la fille au roy et du fils au conte de Nevers.
VI.
De la muette des pastouriaux.
ANNÉE 1320 En cest an, commença en France une muette sans nulle discrétion: car aucuns truffeurs publièrent que il estoit révélé que les pastouriaux devoient conquerre la Saincte Terre, si s'assemblèrent en très grant nombre; et acouroient les pastouriaux des champs, et laissoient leur bestes; et sans prendre congié à père né à mère, s'ajoustoient aux autres, sans denier et sans maille. Et quant cestui qui les gouvernoit vit qu'il estoient si fors, si commencièrent à faire maintes injures, et sé aucun de eux pour ce estoit pris, il brisoient les prisons et les en traoient à force, dont il firent grant vilenie au prévost de chastelet de Paris, car il le trébuchièrent par un degré, et n'en fu plus fait[321]. Si se partirent de Paris robant les bonnes gens, et les villes les laissoient aler, puis que Paris n'i avoit mis nul conseil; et s'en vindrent jusques en la terre de Langue d'Oc; et tous les Juis qu'il trouvoient il occioient sans merci; né les baillis ne les povoient garantir, car le peuple crestien ne se vouloit mesler contre les crestiens pour les Juis. Dont il avint qu'il s'en fuirent en une tour bien cinq cens, que hommes, que femmes, que enfans; et les pastouriaux les assaillirent et ceux se deffendirent à pierre et à fust; et quant ce leur failli, si leur gettèrent leur enfans. Adonc mistrent les pastouriaux le feu en la porte, et les Juis virent que il ne poroient eschaper, si s'occistrent eux-meismes. Les pastouriaux s'en alèrent vers Carcassonne pour faire autel, mais ceux qui gardoient le pays assemblèrent grant ost et alèrent contre eux, et il se dispersèrent et fuirent çà et là, et les pluseurs furent pris et pendus par les chemins, ci dix, ci vingt, ci trente; et ainsi failli celle folle assemblée.
Et en cest an ensement, l'en mist sus au conte de Nevers qu'il vouloit empoisonner son père; et Ferri de Piquegni envoia au père un garçon qui luy pria, tout en plourant, que il luy pardonnast le mesfait. «Sire,» dit-il, «vostre fils de Nevers me commanda que je féisse ce que frère Gautier son confesseur me diroit; et il me bailla poisons, et commanda que je les vous donasse, mais je ne l'ai pas fait.» Cil frère fu pris, et mis en prison et gehenné, et il ne recognut riens; il firent mettre aguet au conte de Nevers, et fu pris et mis en un chastel qui est en la marche d'Alemaigne, et fu gardé du seigneur de Fiennes et de Ferri de Piquegni, et du seigneur de Renty, par le commandement son père et de Robert son frère, à qui le père vouloit donner la conté de Los qui estoit en l'empire. (Mais le commun de Flandres ne s'i voult acorder, car c'estoit une noble porcion de la conté, né il ne vouloient que le dit Robert se méist si avant.) Quant le roy Phelippe sot que le conte de Nevers estoit en prison, si envoia au conte sollempnels messages, qu'il le féist délivrer; lequiel dist qu'il appelleroit ses barons, et feroit droit de ce que il luy conseilleroient. Et ainsi n'en fu plus fait, car ceux qui le tenoient ne le vouloient point délivrer sé il ne leur pardonnoit du tout sa prison, en telle manière que par luy né par autre dommage ne leur en vendroit; mais à ce promettre ne se voult le conte de Nevers acorder de trop lonc tems; à la parfin il s'i acorda, mais à l'acorder il y mistrent si griex condicions, que se il ne s'i accordast il fust déshérité: car entre les autres il y en avoit une qu'il n'entreroit en Flandres tant comme son père vivroit, et ainsi son père mort et luy absent, Robert son frère se mettroit en possession de la conté.
Et en ce meisme temps, comme Henri dit Caperel, né de Picardie et prevost de Paris, détenist un riche homme homicide et coupable de mort au chastelet de Paris, et le jour aprochast que l'en le devoit pendre pour ses démérites, le dit prévost fist prendre un povre homme qui estoit en prison en chastelet, et luy imposa le nom du riche et le fist pendre au commun gibet, et laissa aler le riche homicide sous le non du povre innocent. Duquiel fait le dit prévost fu convaincu par ceux qui à l'enqueste faire furent députés, si comme l'en dist: et avec ce crime y en ot-il pluseurs autres, pour quoi fu par les députés du roy à enquérir des fais jugié à estre pendu; non obstant que pluseurs de ses favorables déissent que on le faisoit mourir par envie.
Et en cest an, Mahieu capitaine de Milan, quant il sot la nécessité des Guibelins qui luy avoient requis aide, comme devant est dit, si leur envoia Galeace son fils. Quant Phelippe de Valois sot sa venue, si fist savoir de luy par message s'il avoit intention de combatre à luy et aux siens; adonc respondi Galeace que ce n'estoit pas son intencion de soi combatre contre aucun de la maison de France, mais tant seulement secourre sa terre et deffendre ses amis qui estoient en péril. Lors luy respondi Phelippe de Valois: «Sé vous entendez aux Guibelins porter vitaille, mon intencion est de y contrester au mieux que je pourrai.» Ceste response fu dite afin que Galeace se déportast de eux porter vivres. Si respondi Galeace: «Je porterai vivres aux Guibelins qui sont enclos; et sé aucuns me veulent combatre je me deffendrai.» Adoncques Phelippe se départi du siège, et se esloigna environ d'une lieue en une place qui luy sembla estre convenable pour combatre. Auquiel lieu vint Galeace, et avoit devisé son ost en trois parties; et estoit chacune partie de son ost greigneur la moitié que la compaignie Phelippe de Valois, si comme l'en dit. Si assemblèrent, et passèrent le dit Phelippe et les siens toute la première partie de l'ost Galeace: quant Phelippe de Valois vint à la seconde, si se doubta qu'il ne fust enclos, si pristrent trièves les uns aux autres, car il avoit pou de vivres par devers le dit Phelippe de Valois; et ainsi s'en retourna sans plus riens faire.
VII.
De la condampnacion des mesiaux[322].
ANNÉE 1321 En l'an mil trois cent vingt et un, le roy estoit en Poitou, et luy aporta l'en nouvelle que en la Langue d'Oc tous les mesiaux estoient ars, car il avoient confessé que tous les puis et les fontaines il avoient ou vouloient empoisonner, pour tous les crestiens occire et concilier de messellerie; si que le seigneur de Partenai luy envoia sous son seel la confession d'un mesel de grant renon qui luy avoit esté accusé sur ce qu'il recognut que un grant Juis et riche l'avoit à ce incliné, et donné douze livres et baillé les poisons pour ce faire; et luy avoit promis que sé il povoit les autres mesiaux amener à ce faire, que il leur administreroit deniers et poisons. Et comme l'en luy mandast la recepte de ces poisons, il dist qu'il estoit de sanc d'homme et de pissast, et de trois manières de herbes, lesquelles il ne sot nommer ou ne voult, et si y metoit-on le corps Jhésucrist; et puis, tout ce on sechoit, et en faisoit-on poudre que l'en metoit en sachiets que l'en lyoit à pierres ou à autre chose pesant, et la getoit-on en iaue; et quant le sachet rompoit si espandoit le venin.
Et tantost le roy Phelippe manda par tout le royaume que les mesiaux fussent tous pris et examinés; desquiels pluseurs recognurent que les Juis leur avoient ce fait faire par deniers et par promesses, et avoient fait quatre conciles en divers pays, si que il n'avoit meselerie au monde fors que deux en Angleterre dont aucuns n'i fust en l'un[323], et en emportoient les poisons. Et leur donnoit-on à entendre que quant les grans seigneurs seroient mors, qu'il auroient leur terres, dont il avoient jà devisé les royaumes, les contés et les éveschiés. Et disoit-on que le roy de Garnate, que les crestiens avoient pluseurs fois desconfit, parla aux Juis que il voulsissent emprendre celle malefaçon, et il leur donroit assez deniers et leur administreroit les poisons; et il distrent que il ne le pourroient faire par eux; car se les crestiens les véoient approuchier de leur puis, si les auroient tantost souppeçonneux; mais par les mesiaux qui estoient en vilté pourroit estre fait; et ainsi par dons et par promesses les Juis les enclinoient à ce: et pluseurs renioient la foy et metoient le corps de Jhésucrist en poisons, par quoy moult de mesiaux et de Juis furent ars; et fu ordené de par le roy que ceux qui seroient coupables fussent ars, et les autres mesiaux fussent enclos en maladreries sans jamais issir; et les Juis furent bannis du royaume; mais depuis y sont-il demourés pour une grant somme d'argent.
En cest an meisme avint-il un cas à Vitri qui estoit tel, que comme quarante Juis fussent emprisonnés pour la cause devant dite des mesiaux, et il sentissent que briefment les convendroit mourir, si commencièrent à traitier entre eux en telle manière que l'un d'eux tueroit tous les autres, afin que il ne fussent mis à mort par la main des incirconcis: et lors fu ordené et acordé de la volenté de tous que un qui estoit ancien et de bonne vie en leur loy les metroit tous à mort; le quiel ne s'i voult acorder s'il n'avoit avec luy un jeune homme; et adonc ces deux les tuèrent tous, et ne demoura que ces deux: et lors commença une question entre eux deux, le quiel metroit l'autre à mort? Toute fois l'ancien fist tant par devers le jeune que il le mist à mort; et ainsi demoura le jeune tout seul, et prist l'or et l'argent de ceux qui estoient mors, et commença à penser coment il pourroit eschaper de celle tour où il estoit. Si prist des draps et en fist des cordes, et se mist à paine pour descendre: mais sa corde si fu trop courte, et si pesoit moult pour l'avoir qu'il avoit entour luy, si chéi ès fossé et se rompi la jambe; le quiel quant il fu là trouvé, si fu mené à la justice, et confessa tout ce que devant est dit; et lors fu-il condampné à mourir avec ceux que il avoit tué.
Et en ce meisme an, conçut le roy et ot en pensée de ordener que par tout son royaume n'auroit que une mesure et une aune. Mais maladie le prist, si ne pot accomplir ce que il avoit conceu; et si avoit eu en propos que toutes les monnoies du royaume fussent venues à une. Et cette chose le roy avoit intencion de faire.
Et en cest an meisme, le pape condampna une erreur que aucuns avoient controuvée par envie; car pour retraire les gens de venir à confession aux religieux, il affirmoient que ceux qui à eux se confessoient, combien que il eussent privilège du pape de oïr les confessions et de eux absoudre, il estoient tenus de confesser ces meismes péchiés à leur propre curé; mais le pape avoit fait nouvellement une décrétale et avoit affermé que c'estoit erreur, et commanda que nul ne soit si hardi de ce plus dire, et fist que un maistre de théologie qui ce avoit preeschié et déterminé en pluseurs escoles, le rappellast, et avoit nom maistre Jehan de Poilli, piquart.
En cest an meisme, le roy Phelippe, combien qu'il fu franc et débonnaire, par le mauvais conseil d'aucuns qui plus amoient leur proffit qu'il ne faisoient la paix du royaume, voult lever de tous ses subjets trop grant exaction; si que le menu peuple disoit qu'il vouloit avoir le quart de chascun, combien qu'il ne semblast pas que ce fust vérité de si grant somme; et jà estoient semons les bourgois de Paris et des autres bonnes villes qui se merveilloient et disoient: «Qu'est devenue la rente du royaume et les dixiesmes et les annuels des bénéfices dont il a eu les rentes du premier an, et la subvencion des Juis et des Lombars? et si ne paye nulle debte né les aumosnes que ses ancestres ont donné aux povres religieux et aux filles Dieu, et prent encore à créance tout ce qu'il prent. Né il n'a tenu chevauchiée né fait édifice si comme son père fist. Où est tout ce fondu?» Si se pensoient que aucuns qui estoient entour luy l'avoient emboursé et conseillié de lever ceste exaction pour mieux embourser. Et encore avoit-il requis le dixiesme du pape, et le pape luy ottroia sé les prélas s'i accordoient. Pour quoy il leur requist que chascun assemblast ses suffragans pour demander leur assentement. Lesquiels luy respondirent que le passage d'Oultre-mer n'estoit pas prest, pour quoy il convenist jà donner le dixiesme; mais quant il le seroit, il luy ottroieroient volentiers ou il iroient avec luy. Si avint au commencement d'aoust, que le roy chéi en deux grièves maladies, c'est assavoir: En quarte et en flux de ventre et de sanc, et langui moult longuement; et furent faites pluseurs processions pour luy empétrer garison, mais né prières né phisiciens n'i valut riens, qu'il ne trespassast le tiers jour de janvier qui fu le dimenche des octaves saint Jehan l'évangéliste, entour mienuit. Et l'endemain de la Thiphaine, il fu enterré à Saint-Denis, et son cuer fu mis aux frères Meneurs de Paris et ses entrailles aux Preescheurs. Ne targa pas sept jours après que la royne-mère, qui fu femme au roy Phelippe qui mourut en Arragon, trespassa à Vernon, et fu aportée à Paris; et son corps fu mis aux frères Meneurs, délès le cuer le roy Phelippe son seigneur.
[324]Et en icest an chéi si grant plenté de noif[325] à Paris et au pays d'entour qu'il n'est mémoire que oncques en chéist tant; et ce fu par trois fois. Et en ot si grans monciaux par les rues de Paris que à paine y povoit-on aler, si la convenoit porter aux champs ou à Saine en hostes ou en tomberiaux, et les voies dehors et les fossés en furent si plains qu'il y ot assez de péril à aler à pié et à cheval.
Un escolier du royaume de Suesce[326] qui estoit appelé Beneoit, prestre et honneste personne, estudiant à Paris en la science de Canon, ot un varlet qui ot nom Lorent. Cestui Lorent en l'an de Nostre-Seigneur mil trois cent quatorze, le dimenche après Pasques, du royaume dessus dit aportoit argent à son maistre, lequiel entra en la mer. Et lors vint si grant tempeste que tous ceux qui estoient en la nef furent en péril de mort; et lors chascun d'eux commença à demander aide à Dieu à qui obéissent la mer et les vens. Cestui Lorent ot espécial dévocion à Saint-Denis: et si voua et promist que s'il povoit estre délivré du péril, le plus tost qu'il seroit à Paris, il iroit visiter le lieu des corps saints à Saint-Denis; et tantost il vindrent à port de salut. Et quant le dit Lorent vint à Paris, il ne luy souvint du veu qu'il avoit promis à Saint-Denis; et targa trop d'acomplir. Si avint une journée que Dieu qui par maladies et par bateures rappelle les cuers des bons, envoia une grief maladie au dit Lorent, en telle manière qu'il perdi ainsi comme tout son sens, et qu'il n'ot membre de quoy il se peust aidier. Et si sembla à son maistre et à deux autres qu'il estoit en péril de mort; et ceste maladie n'estoit pas épiletique[327], mais ce fu du jugement de Dieu et de saint Denis. Et quant Beneoit, maistre de celui Lorent, vit qu'il estoit en si grant péril, il en fu moult esbahi; et commença à penser qu'il pourroit faire pour sa santé? Et par la grace de Dieu il luy vint en mémoire d'aler en pélerinage à Saint-Denis, selon ce qu'il avoit oï dire à son varlet quant il estoit en santé, et si pensa qu'il n'avoit pas acompli son pélerinage, et pour ce il estoit encheu en la dite maladie. Si le voua à saint Denis en disant en ceste manière: «Sé saint Denis donne santé à mon varlet, je luy promet que je avec mon varlet demain à son moustier irai dévotement.» Et tantost en l'eure qu'il ot promis son veu, il sembla au dit Lorent qu'il eust mieux dormi que qui eust esté malade. Et si luy apparut un homme de moult révèrent chiere, qui estoit vestu en habit de évesque, qui avoit le chief coppé parmi le col, selonc ce que nous luy demandasmes diligeamment; et si parloit au dit Lorent la langue de Suesce, et luy dist: Stac olz up, harst; kath husmna hau mam hili gat atter hura. Qui vaut autant à dire en françois: «Liève sus tantost, et is[328] hors de la ville vers Septentrion, et tu trouveras un homme par lequiel tu seras guéri.» Et quant la vision fu départie, Lorent fu tout sain et commença à faire sa besoigne parmi l'ostel, comme il avoit acoustumé. Et quant le maistre du dit Lorent ot oï la vision et veue la santé de son varlet, il alèrent tous deux à Saint-Denis l'endemain bien matin, la douziesme kalende de juing, pour visiter les corps sains selon ce qu'il avoient promis: et rescript et raconta le dit Beneoit, eu la présence du dit Lorent son d it varlet, tout ce qui leur estoit avenu; et selon droit, nous devons croire audit Beneoit qui estoit homme honneste, et par meilleur raison à luy et à deux autres prestres qui virent ledit Lorent ainsi malade qui le nous ont tesmoignié en leur consciences, et nous le devons croire certainement. Et quant ce miracle fu ainsi approuvé en l'églyse monseigneur saint Denis, on fist sermon devant le peuple et sonna-l'en les cloches à l'onneur de Dieu et de monseigneur saint Denis, et fu chanté à haute voix en l'églyse: Te Deum laudamus.
[329]En ce temps avint en la cité d'Arras que deux femmes en estat de béguignage feignoient que il leur estoit venu en appert, par la révélation d'un ange, qu'il allassent au roy de France luy segnifier de par Dieu que toutes les religions de femmes fist annuler, et ilecques, ès lieux desdites religieuses méist frères de telle règle comme la religion estoit. Si vindrent au roy et luy disrent que dit est. Adonc, le roy les entendit moult bénignement, nonobstant qu'il fust très fort malade, et cuidoit que ce feust vray; si assembla son conseil et fu trouvé que ce n'estoit que une dérision, et furent prises et après laissées aler.
Du roy Phelippe qui fu mort en l'an mil trois cens vingt et un vint en succession le royaume, sans nul contredit, à Charles conte de la Marche; et fu couronné à Reins le dimenche de la quinquagesime, c'est vingt et uniesme jour de février; mais il ne vint à Paris devant le karesme après.
En cel an, avoit le roy d'Angleterre eu victoire de ses anemis: car le conte de Lenclastre avoit esmu pluseurs contes et pluseurs barons contre luy, combien qu'il fust son cousin germain, et s'esforçoit de luy deshériter: si que il avint que les gens le roy orent bataille contre eux, et fu occis le conte de Herefort, et le conte de Lenclastre pris et pluseurs autres contes et barons. Le conte de Lenclastre ot la teste coppée, et les autres barons furent pendus[330].
Cy fenissent les fais du roy Phelippe-le-Lonc.
CY COMENCENT LES FAIS DU ROY CHARLES-LE-BEL.
I.
Coment le roy Charles fu départi de sa femme pour cause de fillolage, et après espousa Marie fille Henri jadis empereur de Rome.
ANNÉE 1322 Après la mort du roy Phelippe-le-Lonc régna sur les François Charles-le-Bel son frère. Au commencement de son royaume[331], il escripvit au pape comme pour cause de cognacion espirituelle, laquelle estoit entre luy et Blanche sa femme fille de Mahaut contesse d'Artois; laquielle contesse mère de la devant dite Blanche avoit levé et tenu sus fons le roy Charles; et ainsi, selon les drois canons, le mariage estoit nul, meismement que dispensacion n'avoit pas esté faite né requise au Saint Père qu'il luy pleust à pourveoir de remède compétent et convenable. Laquielle chose quant le pape l'ot entendue, il commist à l'évesque de Paris, à l'évesque de Biauvais et à messire Geffroy du Plessié prothonotoire de la court de Rome, qu'il enquéissent diligeamment de la vérité, et ce qu'il auroient trouvé dénonçassent et féissent savoir à la court de Rome.
L'an de grace mil trois cent vingt deux, la veille de l'Ascencion, le pape diligeamment informé que la dite contesse d'Artois, mère de la dite Blanche, avoit levé des sains fons le roy Charles, pour quoy entre luy et sa ligniée il avoit cognacion espirituelle, donna sentence que au cas que dispensacion n'eust esté donnée du Saint Père, le mariage de Charles et de Blanche estoit nul. Si donna congié au roy qu'il peust prendre autre femme.
[332]En cel an, environ la Chandeleur, le conte de Nevers fu délivré de prison. Lequiel comme il fust venu à Paris, acoucha de une grief maladie qui fu causée, si comme aucuns dient, en la prison où il fu mis, et de celle maladie il mourut; puis fu enterré aux frères Meneurs l'endemain de la Magdelaine.[333] Et ainsi la contesse sa femme retourna à son héritage, c'est assavoir la conté de Restel, de laquielle conté le dit conte en son vivant ne vouloit que elle en joït, combien que le roy luy eust assignée pour porcion; et avec ce deust avoir la moitié de la conté de Nevers pour son douaire.
[334]En cest meisme temps, le roy Charles prist à femme la seur au roy de Boesme, jadis fille de l'empereur Henry et conte de Lucembourg, à Prouvins le jour de la feste saint Mathieu apostre, en septembre. (Et de là, il vindrent à Paris, le jour de la feste des Reliques, qui est le derrenier jour de septembre où la feste fu célébrée très solempnellement. Et vindrent ceux de Paris jusques à Saint-Denis, encontre la royne, à cheval et à pié, à moult nobles paremens.)
[335]En ce meisme jour trespassa Giraut Guete, né de Clermont en Auvergne, qui, par sa soutilleté et malice estoit venu de petit estat en si grant qu'il fu trésorier de Phelippe-le-Long. Mais commune renommée estoit que trop présumptueux estoit en oubliant son premier estat, et en faisant assés de molestes, griefs et inconvéniens au peuple et aux nobles honmmes. Dont le roy Charles, qui vit son trésor comme tout vuit;—car meismement comme son frère eust receu les diziesmes n'avoit guères, et pou avoit despendu et riens payé des grans deniers,—fist arrester ledit Giraut et fist faire enqueste sur luy. Laquelle trouvée, il fu condempné à paier treize cent mil livres sans l'amende arbitraire; et avec tout ce, pour mieux savoir la vérité dudit trésor et des griefs que fais avoit, il fu mis en gehennes diverses, si comme l'en dit, dont il chéi en fièvre continue et morut en prison au Louvre, et fut enterré en l'Ostel-Dieu de la Magdelaine, povrement, du commandement du rov qui dist que ceux qui meurent en prison royale ne doivent estre enterrés solempnellement, pourquoi il appert que à tort aient esté pris ou emprisonnés.
Assez tost après Robert le conte de Flandres mourut; et Loys fils du conte de Nevers qui avoit espousée et prise à femme la fille au roy Phelippe derrenièrement trespassé, de la volenté des communes de Flandres, lesquielles communes avoient juré que il n'auroient autre seigneur, fu fait et establi conte de Flandres; non obstant que Robert fils du conte de Flandres et frère au conte de Nevers eust occupé les chastiaux et les forteresces de Flandres, par l'aide du conte de Namur, en alant encontre son serement qu'il avoit fait et promis au roy, quant il[336] maria sa fille à l'ainsné fils son frère le conte de Nevers. Si fu le serement tel et la promesse que se le conte de Nevers mouroit avant son père le conte de Flandres, que la conté de Flandres venroit à Loys son fils, après la mort du conte de Flandres, et non pas à son frère Robert. Ceste convenance jura à tenir le dit Robert et l'approuva, et renonça à tout le droit qu'il povoit jamais avoir en l'éritage de la conté de Flandres[337]. Et, pour ce, après la mort au conte de Flandres les Flamens ne vouldrent autre accepter que Loys, fils au devant dit conte de Nevers; ainsois mandèrent au roy et segnefièrent que s'il prenoit et recevoit autre à hommage, que le dit Loys fust certain qu'il prendroient par devers eux le gouvernement de la conté de Flandres. Et, pour ce, pristrent les Flamens le conte de Namur qui le dit Robert soustenoit comme son oncle, et le mistrent en prison. Lequiel Robert quant il vit que les Flamens orent mis le conte de Namur en prison, s'en vint en France pour ce qu'il n'osoit pas bonnement demourer au pays. Puis fist[338] le dit Loys hommage au roy de la conté de Flandres; mais Mahieu frère le duc de Lorraine, qui avoit à femme la suer du conte trespassé, laquielle n'avoit pas renoncié à son droit et devoit succéder comme hoir plus prochain à son père, si comme elle disoit, s'opposa en toutes manières; pour quoy le roy ne voult accepter l'hommage du conte; ainsois luy fist inhibicion qu'il ne se portast pour conte né receust aucuns hommages jusques à tant que sentence fu donnée sur les choses dessus dites.
Au derrenier, mandèrent les communes de Flandres au dit Loys qu'il venist seulement à eux, et il seroit receu comme le seigneur; laquielle chose il fist et vint à eux. Lesquiels le reçurent comme conte à grant honneur: et combien qu'il le refusast, ce sembloit, reçut-il les hommages des barons de Flandres, et premièrement du conte de Namur; puis le[339] délivra de la prison aux Flamens qui pris l'avoient, si comme il est devant dit[340].
II.
D'une dissencion qui vint entre le roy d'Angleterre et ses barons.
En ce temps vint entre le roy d'Angleterre et pluseurs de ses barons une moult grant dissencion, desquiels barons estoit chevetaine principal le conte de Lencastre, noble homme et moult puissant en Angleterre, oncle du roy de France par sa mère, et germain du roy d'Angleterre de par son père. Car comme le roy d'Angleterre voulsist entroduire en son royaume aucunes nouvelletés indeues encontre le bien de tout son peuple et du royaume d'Angleterre;—laquielle chose il ne povoit faire sans leur consentement, si comme il disoient, et meismement qu'il le réputoient et tenoient pour idiot et non souffisant au gouvernement du royaume;—il se rebellèrent contre luy, tant que division se fist des barons d'Angleterre, dont les uns nourrissoient la partie du roy et les autres la leur. Par quoy toute Angleterre fu mise en grant tribulation et meschief. Et avint que un chevalier d'Angleterre nommé Andri de Karle[341] qui désiroit à plaire au roy, espia en la ville de Burbugne[342] le devant dit conte de Lencastre et le prist malicieusement avec pluseurs autres barons, lequiel amena avec ses prisonniers et présenta au roy d'Angleterre.
En celle prise mourut et fu occis, sus le pont de la ville devant dite, le conte de Harefort. Après ce que le conte de Lencastre et les autres barons orent esté présentés au roy, il envoia les barons en diverses prisons; et, au conte de Lencastre, après ce qu'il ot esté confessié, oï sa messe et reçeu le corps Jhésucrist au sacrement de l'autel, fist la teste couper; et en une abbaïe qui estoit près le fist porter et enterrer. Auquiel sépulcre, si comme pluseurs racontèrent, Nostre-Seigneur monstra puis moult de miracles, et fait encore.
Et puis le roy d'Angleterre, en récompensacion du service qu'il avoit receu du devant dit chevalier Andri de Karle, donna à icelui la conté de Karleel[343] où il y a pluseurs chastiaux et forteresces. Mais icelui chevalier Andri pensant en soy meisme que longuement demourer en Angleterre ne luy seroit pas seure chose, se transporta en Escoce; et s'alia et ferma aliances à Robert de Brus qui en ce temps estoit roy d'Escoce, et luy promist à rendre la conté de Karleel qui luy avoit esté donnée, et à prendre sa suer à femme par mariage.
III.
Coment le roy d'Angleterre envahi Escoce.
En ceste année meisme, le roy d'Angleterre, avec grant plenté de gent d'armes qu'il avoit assemblé, entra en Escoce, et gasta le pays tout environ jusques au chastiau de Pendebroc[344] qui vaut autant à dire en françois comme le chastel aux Pucelles, et ne pot passer en avant pour vitaille qui deffailloit en l'ost. Si convint qu'il se retournast; si renvoia son ost jusques à une montaigne que on appelle Blanque-More, emprès laquielle y a une abbaïe. En celle se loga la greigneur partie de son ost, et le roy tendi ses paveillons un pou loing de eux, si estoit la royne avec luy qui de près le suivoit. Quant le roy se fu ainsi logié, il donna congié à son ost et cuida bien estre asseur, car il estoit bien à vingt-quatre lieues loing de ses anemis. D'autre part, aussi en la dite abbaïe, estoient logiés messire Jehan de Bretaigne conte de Richemont, monseigneur de Sully avec bonne compaignie, lesquiels estoient venus en message au roy d'Angleterre de par le roy de France.
Ore avint et ne demoura guères que Andri de Karle, dessus nommé, segnefia aux Escos qu'il venissent seurement, et qu'il trouveroient le roy d'Angleterre desgarni de son ost et de sa gent. Lesquiels, quant il orent ce oï et sceu que c'estoit vérité, ainsi comme gens forsenés et entalentés de eux vengier, en une nuit et un jour chevauchièrent et errèrent tant qu'il vindrent près de l'abbaïe où estoient logiés monseigneur Jehan de Bretaigne et sa compaignie devant dite qui mengoient et estoient à table. Et comme il leur fu dit que c'estoient les Escos qui venoient tous armés sus le roy d'Angleterre, à paine le povoient-il croire né vouloient. A la parfin quant il sorent ainsi qu'il estoit voir, il pristrent leur armes et s'armèrent, puis se mistrent noblement en conroy pour eux deffendre, et vouldrent garder un pas estroit afin que les Escos ne peussent avoir passage. Et comme de première venue il se deffendirent viguereusement et méissent à mort pluseurs Escos, toute voies ne porent-il résister à la grant multitude qui estoit des Escos, mais il convint qu'il se rendissent, ou autrement eux et toute leur compaignie eussent esté occis et mis à mort.
Quant le roy d'Angleterre oï dire que les Escos venoient si asprement, si fu moult troublé en cuer; car il n'avoit avec luy que trop pou de gent. Et pour ce nécessité le contraint de luy départir tost et isnelment; si s'en parti tantost: et la royne, avec sa gent, s'adressa vers un chastel très fort assis sus une roche qui joint à la mer[345], et se mist ilec à garant. Un peu après, la royne se doubta que elle ne fust assegiée des Escos et des Flamens: si prist courage d'homme et se mist en mer où elle ot moult à souffrir, et fu en moult de périls luy et sa gent, et tant que une de ses damoiselles y mourut, et une autre enfanta avant son terme; toutes voies à l'aide de Dieu, elle arriva seurement au port d'Angleterre.
Après toutes ces choses, il vint à la cognoissance du roy que messire Andri de Karle avoit fait venir les Escos, et faite celle traïson; si le fist espier le roy de toutes pars, tant qu'il fust pris et admené devant luy. Quant il le tint, il en fist telle justice: il fu premièrement atachié à la queue de deux roncins et trainé, puis fu ouvert ainsi comme un pourcel, et prist-on sa brouaille, c'est à dire ses boiaux et ses entrailles; et les ardist-on devant luy. Puis luy coupa l'en la teste et après fu pendu par les espaules; au derrenier il fu despendu et devisié en quatre pièces: et furent les pièces l'une çà l'autre là, aux quatre maistres cités d'Angleterre portées et pendues[346], tant pour espoventer comme pour donner exemple aux autres de eux garder de faire traïson à leur seigneur, ou chose semblable.
Depuis, le roy de France escript à Robert de Brus qui se tenoit pour roy d'Escoce, qu'il luy rendist le seigneur de Sulli, lequiel il avoit envoié en Angleterre comme messagier et non mie contre les Escos; si le rendi au roy de France franchement sans nulle raençon, mais le conte de Richemont ne voult en nulle manière délivrer.
En ce temps, Loys, fils le conte de Nevers, vint de Flandres à Paris. Et pour ce qu'il ala en Flandres et reçut les hommages, contre l'inibicion que le roy luy avoit faite, il fu arresté au Louvre, mais un pou après, en donnant caution fu délivré et relaschié. La cause de la conté de Flandres pendoit en ce temps au parlement, assavoir mon qui succéderoit au conte Robert derrenièrement mort et trespassé.
Si fu dit et jugié par arrest, considérées les convenances qui avoient esté faites et confermées par serement, pour Loys fils du conte de Nevers; et fu à la partie inverse imposé silence perpétuel; et ainsi le roy le reçut en hommage, et fu mis en possession paisible de la conté de Flandres. (Quant il fu retourné en Flandres paisiblement, il fist paix à sa mère, laquielle par mauvais conseil il avoit moult courrouciée par avant. Car comme elle fust hoir de la conté de Restel et mise en possession et saisine, il occupa et prist à soy un chastel en la conté de Restel assis qui a nom Chastiau Renaut; pour lequiel ravoir sa mère y envoia gens d'armes à plenté; et à l'encontre le fils envoia contre sa mère monseigneur Jehan de Hainaut, à grant compaignie, pour luy empeschier son propos. Si s'en failli pou que les deux osts n'assemblèrent; mais la mère se départi, c'est à dire fist départir ceux qu'elle avoit envoiés, pour ce que elle ne les vouloit pas mettre en péril de mort.)
IV.
Coment Loys fils le conte de Nevers fit receu en hommage de la conté de Flandres.
ANNÉE 1323 (Ainsi retint le fils le chastel contre sa mère. Toutes voies luy rendi-il après; mais nulle restitucion ne luy fist des despens que elle avoit fais de son douaire, ainsi que elle devoit avoir par droit: et en la conte de Nevers luy assigna il le moins qu'il pot: c'est assavoir trois mille et quatre cens livres de tournois, comme, selon la coustume du pays, elle deust avoir eu la moitié de la conté. Et ainsi, comme dit est, le dit Loys, fils le conte de Nevers, fu mis en possession de la conté de Flandres.)
Le roy Charles déceu par le conseil d'aucuns qui n'aiment pas le profit commun, si comme son père mua ses monnoies en son temps, ainsi mua-il la seue de fort à foible; dont pluseurs domages s'ensuivirent au royaume et au peuple. En Alemaigne les ducs en controverse esleus pour estre empereur, s'entreguerroioient par feu et par rapines.
V.
Coment Jourdain de Lille fu trainé et pendu au gibet de Paris, pour ses meffais.
L'an mil trois cent vingt-trois, un des nobles hommes de Gascoigne, très noble de lignage mais très désordené en fais et en meurs, appellé Jourdain de Lille, à qui le pape Jehan pour raison de la hautesce de son lignage avoit donné sa nièce à mariage[347], comme commune renommée courust contre luy, fu accusé devant le roy pour ses grans mesfais, desquiels il fu convaincu et ataint, car il ne se pot purgier né excuser. Le roy à la prière du pape Jehan qui luy avoit escript qu'il le voulsist espargnier ceste fois, luy pardonna dix-huit articles qui avoient esté proposées contre luy, pour chascun desquiels il avoit esté jugié digne de mort. Lequiel Jourdain metant en oubli la grace et le bienfait que le roy luy avoit fait, en riens du monde ne s'amenda, mais ainsi comme devant et pis encore commença à maufaire: c'est assavoir roberies, homicides, efforcier femmes, vierges despuceller, estre rebelle au roy. Dont il avint que un sergent du roy qui avoit sa mace esmailliée de fleur de lis, qui sont les armes de France, et la portoit avec soy comme sergent d'armes ont de coustume, il le tua de sa mace meisme[348], et ne tint conte de faire tieux mauvaistiés né tieux fais. Il avoit, si comme on disoit, moult de mauvaise merdaille[349], robeurs, murtriers et telle manière de gens qui roboient et despoilloient les bonnes gens clers et lays, et puis luy apportoient ce qu'il avoient pillié et robé. Longuement mena telle vie, tant que plaintes et clameurs de rechief en vindrent au roy; pour quoy le roy luy manda qu'il se venist excuser devant luy et ses barons. Lequiel quant il entendi le mandement vint à grand arroy à Paris et à grant orgueil; et vindrent avec luy pluseurs contes et barons qui en tant comme il povoient le seurportoient et excusoient. D'autre part vindrent contre luy pluseurs autres nobles hommes: c'est assavoir le marquis d'Ancone[350] qui avoit esté neveu le pape Climent, et ses fils avec luy, et moult d'autres barons et grans seigneurs qui proposoient contre luy moult de mauvaistiés et de forfais, lesquiels il offrirent à prouver sé ainsi estoit qu'il les voulsist nier. Et le dit Jourdain respondi que tout ce qu'il luy metoient sus, le roy luy avoit pardonné. Mais non obstant la response, il fu prouvé que après le pardon et la rémission le roy il avoit fait pluseurs fais par quoy il estoit digne de mort: pour lesquiels il fu mis en prison au chastelet, et puis du chastelet il fu mené devant les seigneurs de parlement, accompaignié de gens d'armes, et ylec selon les mérites de ses fais fu jugié à estre digne de mort. Lors fu pris de rechief et mené en Chastelet, et le samedi, septiesme jour de may, fu trainé à queues de chevaux et pendu au gibet de Paris, au plus haut, vestu des draps du pape Jehan dont il avoit espousée la niepce.
A la Penthecoste ensuivant, la royne Marie, femme du roy Charles et suer du roy de Boesme, fu couronnée en la chapelle du roy à Paris, présens son dit frère et son oncle l'archevesque de Trèves, à grant multitude de nobles hommes d'Alemaigne.
En ceste année meisme, saint Thomas d'Aquin, de l'ordre des frères Prescheurs, noble de lignage selon le monde et excellent docteur en théologie, examinacion faite de sa vie, de ses meurs et des miracles aussi que Dieu par sa débonnaireté avoit fait ou faisoit pour luy; veu le procès et enqueste sur ce diligemment faites et approuvées par le collège de Rome; le pape, par le consentement de ses frères les cardinals, le canonisa; et ordena la solempnité de la feste à certain jour, c'est assavoir le quinziesme jour de juignet.
VI.
D'un chat tout noir qui fu mis en un escrin en terre en un quarrefour, par sorcelerie.
En ceste année aussi, avint que un abbé de Cistiaux fu robé de merveilleusement grant somme d'argent. Si fist tant, par la procuracion d'un homme qui demouroit à Chastiau-Landon et en avoit esté prévost, pour quoy on l'appelloit encore Jehan Prévost, que convenance fu faite entre luy et un mauvais sorcier que on feroit tant que on sauroit qui estoient les larons, et coment il seroient contrains à faire restitucion, en la manière qui s'en suit: premièrement, il fist faire, à l'aide du dit Jehan Prévost, un escrin et mettre dedens un chat tout noir, puis le fist enterrer en une fosse aux champs, droit en un quarrefour, et ordena sa viande: et mist dedens l'escrin pour trois jours, c'est assavoir pain destrempé et mouillié en cresme, en huille sainte et en iaue benoicte, et à celle fin que le chat ainsi enterré ne mourust, il y avoit deux pertuis en l'escrin, et deux longues fistules qui seurmontoient la terre que on avoit gettée sus l'escrin, afin que par les fistules l'air peust entrer en l'escrin par quoy le chat peus espirer et respirer. Or avint que bergiers qui menoient leur brebis aux champs, passèrent parmi ce quarrefour si comme il avoient accoustumé: leur chiens commencièrent à flairier et à sentir le chat; tantost trouvèrent le lieu où il estoit, lors se pristrent à fouir et à grater des ongles trop fort pour noyent, [351]feust une taupe, si n'estoit nul qui les peust oster d'ilec. Quant les bergiers virent leur chiens qui ne se vouloient mouvoir d'ilec, si s'approchièrent et oïrent le chat miauler, si furent moult esbahis. Ainsi comme les chiens gratoient tousjours, un bergier qui fu plus sage des autres, manda ceste chose à la justice qui tantost vint au lieu et trouva le chat et la chose, ainsi comme elle avoit esté faite. Si se commença à merveillier trop grandement, et pluseurs aussi qui estoient venus avec lui. Et comme le prévost de Chastiau-Landon fu angoisseux et pensant en soy meisme coment il pourroit l'aucteur de si horrible malefice avoir né trouver, car il savoit bien que ce fait n'avoit esté fait que pour aucun malefice faire; mais à quoy né de qui? il en estoit ignorant. Avint ainsi comme il pensoit en soy meisme et regardoit l'escrin qui estoit fait de nouvel, il appella tous les charpentiers de la ville, et leur demanda qui avoit fait cest escrin? Après la demande faite, un charpentier se mist avant, et dist qu'il avoit fait l'escrin à l'instance d'un homme que on appelloit Jehan Prévost, mais, sé Dieu luy voulsist aidier[352], il ne savoit à quel fin il l'avoit fait faire. Un pou de temps passé, icelui Jehan Prévost fu pris par souppeçon, questioné fu et mis en gehenne, et tantost confessa le fait; puis accusa un homme qui estoit le principal, et qui avoit esté trouveur de faire ce maléfice et ceste mauvaistié, appelé Jehan Persant: après il accusa un moine de Cistiaux qui estoit apostat estre espécial disciple de celuy Jehan Persant, l'abbé de Sarquenciaux de l'ordre de Cistiaux, et aucuns chanoines rieulés[353] qui tous estoient complices de ceste mauvaistié. Lesquiels furent pris, liés et menés à Paris devant l'official de l'archevesque de Sens et devant l'inquisiteur. Quant il furent devant eux, on leur demanda à quel fin et pour quoy il avoient celle chose faite, et espéciaument à ceux que on savoit par cuidier[354] qui estoient les maistres de l'art au déable. Il respondirent que sé le chat fust demouré par trois jours au quarrefour, après ces trois jours il l'eussent trait hors et puis escorchié; après de la pel il eussent fait corroies, lesquielles il eussent tirées et aloignées tant comme il peussent et nouées ensemble, si que elles féissent et peussent faire un cerne[355], en l'espace duquiel un homme peust estre dedens compris et contenu. Laquielle chose faite, celuy qui seroit au milieu du cerne metroit tout premièrement dedens son derrière de la viande de quoy le chat avoit esté nourri, autrement ces invocations n'auroient point de effet et seroient de nulle value. Et ce fait il appelleroit un déable appellé Berich, lequiel vendroit tantost et sans délai, et à toutes les demandes que on luy feroit, il respondroit et enseigneroit le larrecin, et tous ceux qui seroient principaux du larrecin, et ceux qui ce avoient fait; et plus il enseigneroit tout mal à faire et aprendroit à qui luy demanderoit. Lesquielles confessions et droites diablies oïes, Jehan Prevost et Jehan Persant comme auteurs et principaux de ceste mauvaistié et maléfices furent jugiés à estre ars et punis par feu. Mais comme la chose fu targiée à faire et retardée, l'un des deux c'est assavoir Jehan Prevost va mourir, duquiel les os et tout furent ars en poudre en detestacion de si horrible crime; et l'autre, c'est assavoir Jehan Persant, à tout le chat pendu au col, fu ars et mis en poudre l'endemain de la saint Nicholas. Après, l'abbé et le moine apostat, et les autres chanoines rieulés qui à faire ce maléfice avoient administré le cresme et les autres choses, furent premièrement dégradés, et depuis, par jugement droiturier, furent condampnés et mis en chartre perpétuellement.
[356]Et en cest an meisme, fu un moine de Morigni, une abbaïe emprès Estampes, qui, par sa curiosité et par son orgueil, voult susciter et renouveller une hérésie et sorcerie condampnée qui est nommée en latin ars notoria, et avoit pensé à luy donner autre titre et autre nom. Si est cette science telle que elle enseigne à faire figures et empreintes, et doivent estre différentes l'une de l'autre et assigniées chascune à chascune science; puis doivent estre regardées à certain temps fais en jeunes et en oroisons. Et ainsi, après le regart, estoit espandue science, laquielle en ce regart on vouloit avoir et acquérir. Mais il convenoit que on appellast aucuns noms mescogneus, lesquiels noms on créoit fermement que c'estoient noms de déables; pour quoy pluseurs celle science décevoit et estoient déceus, car nul n'avoit oncques esté usant de celle science que aucun bien ou aucun fruit en eust raporté; noient moins icelui moine reprouvoit icelle science, jasoit ce qu'il fainsist que la benoicte vierge Marie luy fust apparue moult de fois, et ainsi comme lui inspirant la science; et pour ce à l'honneur d'elle, il avoit fait pluseurs images paindre en son livre[357] avec pluseurs oroisons et caractères très piteusement, de fines couleurs, en disant que la vierge Marie luy avoit tout révélé. Lesquielles ymages appliquées à chascune science et regardées après les oroisons dites, la science que on requéroit estoit donnée: et plus, car fussent richesces, honneurs ou délices que on voulsist avoir, on l'avoit. Et pour ce que le livre prometoit telles choses, et que il esconvenoit faire invocacions et escrire deux fois son nom en ce livre, et faire escrire le livre proprement pour soy, qui estoit couteuse chose, autrement il ne luy vaudroit riens s'il n'en faisoit un escrire à son coust et à ses despens; à juste cause fu condampné le dit livre à Paris et jugié, comme faux et mauvais contre la foy crestienne, à estre ars et mis en feu.
VII.
Coment le seigneur de Partenay fu accusé de hérésie.
En cest an avint en Poitou que le sire de Partenay, noble homme et puissant fu accusé par devers le roy sus pluseurs cas de hérésie de par l'inquisiteur[358] qui estoit frère de l'ordre des Prescheurs. Lequiel seigneur quant il fu accusé, le roy, à petite délibéracion, toutes voies comme bon crestien[359] le fist prendre et arrester tous ses biens, et mettre en prison au Temple à Paris. Après, en la présence de pluseurs prélas, clers de droit, et grant multitude de gent, ledit frère qui estoit breton appellé frère Morise, proposa en la présence du dit seigneur de Partenay moult d'articles touchans hérésie, et requist qu'il respondist et jurast de la vérité. Lequiel seigneur, au contraire, proposa moult de choses contre le dit frère pour lesquielles il affirmoit luy non estre digne de l'office d'inquisiteur; né ne voult respondre né jurer, ainsois appella à court de Rome de son audience, sé aucune estoit.
Lors le roy, quant il entendi ce, et non voulant au dit seigneur clorre la voie de droit, ses biens premier restitués, il l'envoia à la court de Rome bien acompaignié de bonne garde; et comme il fu venu en la présence du saint père, et le dit inquisiteur eust proposé contre le dit seigneur les articles autrefois proposés, le pape luy assigna autres auditeurs et commanda à l'inquisiteur que sé aucune chose autre il vouloit proposer avec, il le proposast devant eux: et ainsi selon la coustume de Rome, la cause demoura à court bien et longuement.
En la fin de cest an, Loys le conte de Flandres fu receu très noblement en la ville de Bruges et donna aux bourgois pluseurs franchises et libertés, pour quoy il firent très grant joie en la réception de sa personne. Mais entre les autres choses, souverainement leur desplaisoit que, le conseil des Flamens mis arrière, il usoit du conseil à l'abbé de Verzelay, fils jadis de Pierre Flote qui fu occis à Courtrai avec le bon conte d'Artois Robert, l'an mil trois cens deux; lequiel abbé, pour la mort de son père, il reputoient estre anemi des Flamens, en telle manière que sé aucune chose estoit ordenée en la conté de Flandres, combien que elle fust justement et bien ordenée, s'il sceussent que elle fust ordenée par le dit abbé et la chose ne venist à leur désir et à leur volenté, il disoient que faussement et mauvaisement avoit esté faite et ordenée. Dont il convint que le conte comme contraint et contre sa volenté, renvoiast l'abbé en son abbaïe.
En ce meisme temps fu et ot grant dissencion en la ville de Bruges: car comme le conte eust assise une taille assez griève ès villes champestres d'entour Bruges et à Bruges aussi, et les collecteurs l'eussent levée trop plus grande que elle n'avoit esté assise, avint que les païsans et les bonnes gens forains furent merveilleusement esmeus et courrouciés: si s'assemblèrent et orent parlement à ceux de Bruges du moien estat; lesquiels avoient esté grevés meismement par les hommes riches de Bruges. Et quant il se furent conseilliés ensemble, il ordenèrent que par toutes les villes à certaine heure il sonneroient la cloche, et seroient près et appareilliés sans nul deffaut et bien armés. Ainsi furent comme il avoient ordené; et quant il furent tous près, il entrèrent soudainement en la ville de Bruges avec un chevetaine qu'il avoient fait entre eux, et occistrent et mistrent à mort des gens au conte et pluseurs des gros et des riches de la ville de Bruges.
VIII.
Coment Galeace conte de Milan desconfit la gent du pape en bataille, et coment la royne de France mourut.
Après la mort de Mahieu[360] le visconte de Milan, succéda et ot la visconté Galeace son fils, chevetaine des Guibelins. Encontre ce Galeace envoia le pape, le roy Robert, le cardinal de Poget et monseigneur Henri de Flandres, (frère du conte de Namur), lequel fu chevetaine de moult de gent d'armes: lequiel chevetaine Henri assembla et ajousta aux gens d'armes qu'il avoit, les Guelphes, lesquiels entre Plaisance et Milan assemblèrent encontre icelui Galeace en champ de bataille: forte fu et aspre la bataille, si fu occis le frère au cardinal, et le cardinal s'en fui tost et isnellement quant il vit la desconfiture: ainsi monseigneur Henri qui estoit chevetaine se retrait honteusement, et fu grant pièce que on disoit qu'il estoit mort; mais après il apparut qu'il s'estoit sauvé cautement. Si fu la victoire de celle bataille aux Guibelins, et furent mis à mort des Guelphes mil et cinq cens personnes.
Environ la mi-karesme, comme le roy retournoit des parties de Thoulouse et il fust venu à Yssoudun, une ville qui est en Berry, la royne qui le suivoit et qui estoit grosse, avant qu'il fust temps d'avoir enfant enfanta un fils, un moys avant son terme ou environ: lequiel tantost après qu'il fust baptisié, mourut; et aucuns jours aussi passés mourut la royne, et fu enterrée à Montargis en l'églyse des frères Prescheurs[361].
IX.
De la dissencion qui fu entre le duc de Bavière et Federic pour l'empire; et après, d'une grant dissencion qui mut entre les gens du roy de France et les gens du roy d'Angleterre en Gascoigne.
ANNÉE 1324 En l'an après mil trois cens et vingt-quatre, moult de roberies, pilleries, rapines et arsures furent faites entre les électeurs de l'empire de Rome pour la cause de l'eslection faite en descort et célébrée. En la fin fu assignée, d'une partie et d'autre, jour de bataille à plains champs[362], c'est assavoir le derrenier jour de septembre. Si ot le duc de Bavière de sa partie le roy de Boesme, et le duc d'Osteriche Federic avoit d'autre part grant multitude de Sarrasins et de Barbarins, lesquiels il mist au front de la bataille; et estoit ducteur de celle compagnie Henri frère du duc d'Osteriche. Encontre eux fu le roy de Boesme et ot la première bataille, quant il furent assemblés, si ot trop grant estour, et trop fort chapleis de une part et d'autre, trop merveilleusement: tant que en la fin les Barbarins et les Sarrasins furent tués et occis: le roy de Boesme emporta glorieuse victoire et une honnorable journée. Si fu pris en celle bataille Henri le frère du duc d'Osteriche et le jour ensuivant qui fu le premier jour d'octobre se combati le duc de Bavière encontre le duc d'Osteriche Federic, lequiel il prist avec pluseurs autres nobles barons; et occist avec ce grant partie de la gent le duc d'Osteriche. Henri se délivra tantost de sa raençon: il donna au roy de Boesme pour sa dite raençon onze mille mars d'argent fin esprouvé; et avec ce luy restitua une terre laquielle le père de ce Henri, c'est assavoir Aubert le roy des Romains, avoit osté par violence au roy de Boesme. En celle terre estoient seize bonnes forteresces, que cités que chastiaux bien fermés, avec pluseurs autres villes champestres qui ne sont pas mises au nombre. Ceste terre reçut le roy de Boesme avec le nombre d'argent dessus dit de Henri frère le duc d'Osteriche, et puis le délivra de sa prison franchement. Mais non obstant la prise de Federic duc d'Osteriche, Leopol son frère et ses autres frères ne cessèrent de guerroier le duc de Bavière par pluseurs guerres et batailles continuels; si n'osta mie la prise du devant dit Federic la guerre, mais agreva et acrut de jour en jour.
En icest an meisme, le roy Charles, après la mort de la royne Marie qui estoit suer du roy de Boesme, prist à femme Jehanne sa cousine germaine fille du noble prince jadis conte d'Evreux, messire Loys de France, frère au père du roy Charles, et par conséquent son oncle: si fu requise dispensacion au Saint-Père pour affinité du lignage, laquielle fu donnée et ottroiée.
En ce temps, fu en Gascoigne grant dissencion entre les gens du roy de France et les gens du roy d'Angleterre: car le sire de Monpesat édifia une bastide de nouvel en la seigneurie du roy de France, laquielle il disoit estre de la seigneurie du roy d'Angleterre; et comme question en fust mue et débat entre les gens du roy de France et les gens du roy d'Angleterre, à la parfin sentence fu donnée pour le roy de France, et fu celle bastide garnie des gens du roy de France et appliquiée à son droit et à sa seigneurie. Dont il avint que le seigneur de Monpesat, comme triste, dolent, despit et courroucié de ce fait; appella en son aide le seneschal au roy d'Angleterre, et assaillirent à grant force de gent icelle bastide, et firent tant qu'il entrèrent dedens par violence; et eux entrés, tous ceux qui estoient de la partie au roy de France mistrent à l'espée, et pendirent des greigneurs, et destruirent la bastide et acraventèrent jusques à terre; tous les biens qu'il trouvèrent pristrent et emportèrent au chastel de Montpesat. Ce fait et ces choses venues à la cognoissance du roy, jasoit ce que par soy meisme, sans requerir autre, il se peust bien estre vengié de l'injure et de la vilennie qui luy avoit esté faite, noient moins, luy voulant toutes ces choses faire par raison, segnifia au roy d'Angleterre que l'injure qui luy avoit esté faite en sa terre luy fust amendée. Adonc le roy d'Angleterre envoia en France Aymes cousin germain au roy de France de par sa mère[363], avec noble chevalerie d'Angleterre, et luy donna povoir d'accorder, de traitier et de confirmer tout entièrement, sur le fait de l'amende que le roy de France requeroit à avoir. Lors quant il furent venus, le roy de France voult et requist, pour l'amende, que le seneschal et le sire de Montpesat, avec aucuns autres qui avoient à ce fait esté et donné conseil à ce maléfice et mauvais fait faire et perpétrer, luy fussent bailliés et, avec ce, le chastel de Montpesat rendu. Les Anglois oïrent la requeste du roy: et quant il virent que le courage du roy ne se vouloit à autre amende fléchir né accorder, se consentirent faintement à la volenté du roy; et comme il s'en voulsissent retourner en Gascoigne, il envoia avec eux un de ses chevaliers appellé messire Jehan d'Erbley[364], afin que en sa présence fust faite, au nom du roy de France, l'exécution de l'amende. Mais avant qu'il venissent au terme où il devoient aler, les Anglois distrent au dit messire Jehan, qu'il s'en retournast, sé il ne vouloit perdre la teste. Lequiel s'en retourna au roy et luy conta et dist coment les Anglois l'avoient moquié, et coment il garnissoient les forteresces et les chastiaux et s'appareilloient de tout leur povoir à guerroier. Quant le roy ot oï ces nouvelles, il reputa Gascoigne estre forfaite, et à luy par droit et justice devoir estre appliquiée, tant pour ce qu'il avoit cité le roy d'Angleterre et semons à certain lieu et jour où il devoient tous deux estre, et l'avoit le roy d'Angleterre accepté, mais il ne vint né envoia; tant aussi pour ce que la composicion de l'amende dessus dite, laquielle Aymes, frère du roy, avec pluseurs nobles de sa compagnie avoient accordé, ne voult mettre à exécution. Et pour ce le roy envoia en Gascoingne son oncle messire Charles de Valois conte, avec Phelippe et Charles fils du dit conte, et messire Robert d'Artois conte de Biaumont le Rogier, à grant multitude de gens d'armes esleus, environ la feste de la Magdaleine; lequiel messire Charles, quant il fu venu à Agien, la cité se rendi tantost sans bataille et sans cop férir, (combien que le roy d'Angleterre les eust grandement encouragié à eux tenir fort contre le povoir du roy de France. Mais il ne firent riens especiaument pour deux causes: la première qu'il leva une taille d'argent en la cité qui merveilleusement les greva; la seconde qu'il en mena avec soy une fille de la ville qui estoit très gracieuse et très belle, dont les bonnes gens furent tous mal meus contre luy).
Après vint le devant dit Aymes à une grant ville et fort qui est appellée la Riole, et comme il les eust encouragiés de eux forment tenir contre le povoir de France, il s'en voult aler à Bourdiaux; mais les habitaus de la Riole luy distrent, que sé il s'en aloit il en seroient moins fors encontre l'ost de France qui venoit sur eux. Si ne s'en osa aler, ainsois demoura, à fin que par son absence la ville ne fust plus légièrement prise.
Quant le conte de Valois entendi que le frère du roy d'Angleterre avec ses Anglois estoit à la Riole, il aproucha de la ville pour la asségier; si en ot aucuns de l'ost, desquiels le seigneur de Saint-Florentin estoit chevetaine et ducteur, qui estoient desputés à garder les issues et les entrées; si se combatirent à ceux de la Riole et ceux de la Riole à eux, mais il furent chaciés et embatus arrière en la ville, et s'approchièrent plus près des portes. Ceux de la ville qui apperceurent leur anemis entalentés de eux mal faire, issirent à greigneur nombre et quantité qu'il n'avoient fait devant; et nostre gent françoise viguereusement les reçurent, si les enchacièrent comme devant: mais pour ce qu'il s'approchièrent trop près des portes, il furent surpris et vaincus. En celle bataille, fu occis le seigneur de Saint-Florentin et pluseurs autres nobles et non nobles, dont le conte de Valois, messire Charles, fu merveilleusement irié. Si fist drescier ses engins et ses perrières, et asségia la ville de toutes pars, et en telle manière que ceux de dedens ne povoient bonnement issir né entrer sans grant péril de leur corps et de leur vies: car il faisoit geter à ses engins grosses pierres dedens la ville qui quassoient les murs et abattoient et froissoient les maisons. Aussi avoit-il fait faire eschafaus qui joignoient aux murs, par quoy on se povoit combatre à ceux dedens, main à main. Et quant ceux de la ville se regardèrent et virent en si grant péril comme de perdre corps et biens, il envoièrent ambassadeurs pour traiter de pais; laquielle fu ordenée en telle manière: premièrement, la ville seroit rendue, et des habitans de la ville ceux qui vouldroient estre encore sous la seigneurie du roy d'Angleterre s'en iroient ailleurs querre habitacion, sauf leur corps et leur biens; secondément, ceux qui vouldroient demourer en la ville feroient serement de loyauté à tenir du roy de France, et d'obéir aux gardes que on y metroit. Des choses accordées le frère du roy d'Angleterre, neveu du conte de Valois messire Charles de par sa mère, fu laissié aler en Angleterre parler au roy pour savoir s'il voudroit tenir les convenances qu'il avoient promises au roy à Paris; et sé le roy d'Angleterre les tenoit, paix seroit tenue et fermée, sé non il devoit retourner à son oncle messire Charles pour le présenter[365] au roy de France, et en faire sa volenté. Et afin que on eust seurté de luy et qu'on fust seur de sa retournée, on retint en hostage quatre chevaliers d'Angleterre, en telle condicion que s'il ne retournoit, on leur coperoit les testes et seroit la guerre comme devant. Et, avec ce, furent trièves données jusques à la Pasque ensuivant. Ainsi se parti le frère du roy d'Angleterre et vint à Bordiaux; puis passa en Angleterre. Dont aucuns murmuroient contre messire Charles de Valois grandement, et disoient qu'il le deust premièrement avoir amené au roy ou atendu la volenté du roy avant qu'il luy eust donné congié de passer en Angleterre. Toutes voies par la bonne proesce et chevalerie du dit messire Charles fu prise la Riole, et le chastel de Monpesat abatu et arrasé par terre, dont le seigneur estoit n'avoit guères trespassé, selon ce que aucuns créoient, de doleur et de tristesce. Et ainsi fu ramenée toute Gascoigne en la seigneurie du roy sans moien[366], excepté Bordiaux, Baionne et Saint-Sever qui se tindrent et demourèrent sous la seigneurie du roy d'Angleterre. Depuis, à la femme et aux enfans du seigneur de Montpesat furent rendus tous leur héritages, par telle condicion qu'il les recognoistroient perpétuellement au temps à venir à tenir du roy de France. Si manda le roy que la bastide que les Anglois et le seigneur de Monpesat avoient destruite fust toute neuve refaite et repairiée.
En cest an commanda le pape en vertu d'obédience, aux prélas, évesques et à tous autres religieux qui ont office et povoir de preschier, que le procès qu'il avoit fait contre Loys de Bavière, il preschassent et publiassent en leur sermons; desquiels procès la cause fu ceste:
X.
Coment le pape geta sentence de privacion d'empire contre Loys de Bavière.
[367]Comme l'empereur Constantin eust donné à l'églyse de Rome et à Saint-Sylvestre la dignité de l'empire perpétuellement à tenir et posséder ès parties d'Occident, lequiel est establi à estre ordené par un prince séculier, qui doit estre esleu par les électeurs d'Alemaigne qui à ce faire sont ordenés et députés, desquiels l'eslection, combien que elle soit justement faite et célébrée, doit estre offerte à l'examination de la court de Rome, et la personne de l'esleu doit estre examinée en la foy crestienne, et savoir de luy sé il a intention de garder et deffendre de tout son povoir les droits de l'églyse. Et, après ces choses, reçeu du Saint-Père le serement de l'empereur, le pape le doit confermer et luy enjoindre l'office et l'administration de l'empire; lesquielles choses en l'eslection du dit Loys de Bavière furent défaillans et délaissiées; car les esliseurs le eslurent en discort et y ot contradicion; et les uns eslirent Loys duc de Bavière, les autres Federic duc d'Osteriche. Et ainsi chascun voult prendre à soy et usurper le droit de l'empire par force d'armes; dont il avint qu'il se combatirent, si fu pris le duc d'Osteriche, comme dit est dessus, et sa bataille desconfite; et tantost Loys de Bavière s'en va faire couronner et usurper les drois de l'empire, en soy appellant roy des Romains semper Augustus en ses lettres, et ordenant des choses qui appartiennent à empereur duement ordené et establi et confirmé, au grant préjudice et déshonneur de la court de Rome et de toute saincte églyse; laquielle chose pape Jehan non aiant povoir de ceste chose dissimuler, meu à juste cause et contraint en conscience, fist semondre ledit duc de Bavière qu'il venist à luy respondre sus les choses devant dites. Lequiel au terme qui luy estoit assigné ne vint né comparut; mais envoia tant seulement trois procureurs qui autre chose ne rapportèrent de la court fors que le terme de la citation ou de la semonse fu aloignié jusques à trois mois. Auquiel terme ledit Loys, né par luy né par autre, ne vint à court né ne se comparut né aussi ne donna aucune response; et pour ce le Saint Père voyant saincte églyse estre ainsi desprisiée, commanda, en vertu de saincte obédience, à tous prélas, barons, et à tous autres, que nul en ceste rebellion ne luy prestast aide, conseil né faveur encontre saincte églyse: né ne fust appellé empereur, ainsois absoloit tous les vassaux du serement de féauté, sé aucuns en avoient fait audit Loys de Bavière, ou se aucuns luy en devoient: et quiconques iroit contre le commandement du Saint Père, s'il estoit prélat fust suspendu de son estat, s'il estoit lay qu'il fust escommenié et sa terre mise en entredit. Mais avant que le pape jetast ceste sentence, il attendi encore, comme débonnaire père fait son enfant, l'espace de trois moys, pour veoir s'il retourneroit à obédience de saincte églyse: lequiel Loys de Bavière mettant tout en nonchaloir fist pis que devant, en appelant contre le pape au concile à venir, en le diffamant et en opposant article de hérésie, et luy appellant hérite; et disant que à luy nul n'estoit tenu d'obéir, pour ce qu'il avoit fait une décrétalle en laquelle il condamnoit une hérésie qui maintenoit que Jhésucrist et ses disciples n'avoient riens eu en commun, qui est appertement contre le texte de l'évangile qui dit le contraire en pluseurs lieux. Pour tiex fais désordenés geta le pape sa sentence devant dite de privacion de empire et de serement des barons, comme dit est.
En celuy temps, fist le pape preschier que quiconques iroit combatre conte Galeace et ses frères jadis fils Mahieu le visconte de Milan, lesquiels estoient condampnés comme hérites, il aroit aussi grant pardon et indulgence comme ceux qui vont Oultre-mer contre les Sarrasins et les mescréans. Item pape Jehan condempna, du consentement de tous les cardinaux, l'erreur et l'érésie de ceux qui disoient et dient que Jhésucrist, tant comme il fust en ce monde ça aval en terre devant sa passion, né les apostres aussi n'orent nulle riens terrienne qui fust leur[368]. Et de ceste erreur issoit une autre que nient avoir simplement, en général né en espécial né en propre né en commun, est plus grant perfection de avoir aucune chose en commun; et ceste erreur fu condampnée avec l'autre.
En la fin de cest an, messire Charles conte de Valois, oncle du roy, quant il fu venu en France, après ce qu'il ot donné trièves jusques à Pasques prochaines à venir, le roy tantost s'appareilla pour aler en Gascoigne, pour y faire sa Pasque, et pour commencer la guerre, Pasques passées. Mais sa suer, la royne d'Angleterre, vint à luy en France, et fist tant que les trièves furent esloignées jusques à la feste saint Jehan[369]; afin que on puisse faire aucun bon traitié, et aucun bon accort, par quoy il y eust bonne paix entre les deux roys.
XI.
Coment la royne d'Angleterre, suer le roy de France Charles, vint en France et son fils Édouart avecques elle.
L'an de grace mil trois cens vint-cinq, la royne d'Angleterre, suer au roy de France Charles, qui estoit venue en France et avoit amené avec elle Edouart son ainsné fils, fist tant[370] que ambassadeurs furent envoiés au roy d'Angleterre, lesquiels firent tant que le roy d'Angleterre promist à venir prochainement en France, et feroit hommage au roy en la cité de Biauvais de la duchiée d'Acquitaine et de la terre de Pontieu.
En ce temps, estoit la royne de France Jehanne ençainte d'enfant, pourquoy on attendoit à moins de ennui la venue du roy d'Angleterre: car on avoit espérance que les deux roys fussent ensemble au temps de la nativité de l'enfant, et esperoit-on, selon ce que aucuns astronomiens avoient pronostiqué, que ce seroit un fils; et pensoit-on que le roy d'Angleterre en sa venue en auroit grant joie. Mais Dieu qui ordonne des choses si comme il luy plaist, ordena autrement que opinion humaine n'avoit fait; car un pou après elle enfanta une fille, et fu son premier enfant. Et comme le roy d'Angleterre eust dit et mandé pluseurs fois qu'il vendroit au roy de France en certain lieu en son royaume, comme dit est dessus, et feroit tout ce qui sembleroit bon aux pers de France; il mua, ne sçay par quel esprit, son propos, et donna à son aisné fils qui estoit jà en France tout le droit qu'il avoit et povoit avoir en la duchiée d'Aquitaine, en laquielle duchiée est contenue Gascoigne: lequiel en fist tantost hommage au roy de France, à la requeste de sa mère.
Après un pou de temps le roy d'Angleterre manda à la royne sa femme qui estoit en France que elle s'en retournast à luy en Angleterre, mais elle ne s'i voult accorder; car le roy d'Angleterre avoit un conseilleur en son hostel appellé Hue le Despencier[371], au conseil duquiel le roy adjoustoit plaine foy sur toutes choses, lequel Hue n'amoit pas moult la royne: et pour ce elle se doubtoit, sé elle retournoit si tost en Angleterre, qu'il ne luy pourchaçast domage et vilenie, ainsi comme il avoit autrefois fait. Si eslut à demourer en France: et comme elle sceut bien que le roy d'Angleterre ne luy enverroit né délivreroit pas ses despens, tant pour luy comme pour sa famille, elle renvoia tous ses chevaliers en Angleterre et ses escuiers aussi, exceptés aucuns que elle retint avec aucunes demoiselles; et ainsi demeura une partie du temps en France. Mais tant que elle y fu, le roy qui vit bien que elle estoit de sa volenté arrestée et demourée en France, comme bon frère doit faire à suer, luy administra pour luy et pour sa famille, tant comme elle fu en France, toutes ses nécessités de bon cuer et de bonne volenté.
XII.
Coment le conte de Flandres pourchaça traïson contre son oncle messire Robert; et coment ledit conte fu pris et mis en prison.
ANNÉE 1325 En ce temps avint que le conte de Flandres fu en souppeçon de son oncle messire Robert de Flandres, et l'ot pour souppeçonneux qu'il ne machinast contre luy aucun mal, ou en sa mort. Pourquoy il fist escrire unes lettres ès quielles il mandoit aux habitans d'une ville qui est à trois lieues de Lille en Flandres que on appelle Warneston[372] en laquielle demouroit et faisoit résidence ledit messire Robert, que ces lettres veues, il méissent à mort ledit Robert comme anemi du conte et de tout le pays. Mais il avint que avant que ces lettres fussent scellées, le chancelier du conte segnefia audit messire Robert ce que le conte de Flandres avoit ordené à estre fait de sa personne. Lequiel Robert oï ce que le chancelier luy signifioit, au plus tost qu'il pot se parti de la ville de Warneston, et s'en esloigna tant comme il pot; et ainsi quant les lettres du conte de Flandres furent aportées en la devant dite ville, elles furent de nulle vertu et de nulle effect. Si commencièrent les grans haines et males volentés entre ledit messire Robert et le conte. Et pour ce que ses lettres n'avoient eu nul effect comme dit est, fist prendre son chancelier et luy demanda pour quoy il avoit révélé son secret et descouvert? Il respondit en vérité et dist: «Je l'ay fait afin que vostre honneur ne fust périe, et que vous ne fussiez diffamé perpétuellement.» Nonobstant ceste response le conte fist mettre le chancelier en prison moult apertement et moult estroitement, et ne voult avoir la response agréable, combien que elle fust véritable.
Assez tost après ces choses faites avint un grant meschief au jeune conte de Flandres, duquiel, par aventure, ses peschiés furent cause, et fu en la ville de Courtray. Comme il fust ordené par composition entre le roy de France et les Flamens que pour les despens de guerres qu'il avoit eues, il luy paieroient une grant somme d'argent, avint que le conte ordena que les communes des villes de Flandres, c'est assavoir de Bruges, d'Ypre, de Courtray et des autres villes champestres paieroient celle somme d'argent. Si furent commis à la queillir aucuns des nobles hommes de Flandres, et aucuns des greigneurs et des plus riches des devant dites villes; lesquiels estoient pour la partie du conte encontre toutes les communes devant dites. Toutesvoies, il sembla aux communes que on avoit levé trop greigneur somme de deniers que l'en ne devoit au roy, et si ne savoient aussi sé satisfaction en avoit esté faite par devers le roy; pour quoy les gouverneurs des dites communes requistrent au conte de Flandres que ceux qui avoient esté collecteurs de celle grant somme d'argent, rendissent conte de receptes et des mises; laquielle chose le conte fu refusant de faire, dont grant dissencion et grant descort s'esmut entre eux: car les collecteurs qui se sentoient fors et puissans commencièrent à traitier secrètement avec le conte coment il pourroient humilier, sousmettre et abaissier ceux qui vendroient de par les communes, pour oïr le compte de l'argent qui avoit esté levé; avec ce orent aussi parlement aux riches bourgois et aux greigneurs de Bruges, d'Ypre et de Courtray, et se conseillèrent ensemble: si vindrent à Courtray en la ville et supposoient que ceux des communes venissent à eux pour requérir à oïr leur comptes et leur receptes; et estoit leur entencion, quant il fussent venus, qu'il les eussent pris et puis eussent fait de eux leur volenté. Si avoient eu tel conseil qu'il bouteroient le feu dedens les forbours de la ville de Courtray, afin, quant il venissent, qu'il ne trouvassent ou eux mettre fors en la ville, et ainsi les prendroient plus légièrement. Le conseil fu accordé, si boutèrent le feu ès forbours; mais ce qu'il avoient malicieusement pensé contre leur prochains, Dieu tourna sus eux; car le feu esprist si fort et de tel façon que non mie seulement il ardi les forbours, mais ardi forbours et ville tout ensemble. Laquielle chose voyant les habitans de Courtray, et cuidans que ceste chose eust esté faite par traïson tant du conte comme de sa gent, ceux qui premièrement estoient de son aide et de sa part se vouldrent armer contre luy asprement et viguereusement; et jasoit ce que d'une part et d'autre y eust pluseurs de mors, de tués et d'occis, noient moins le fort de la bataille chéi sus le conte de Flandres et sus les siens, en tant que plusieurs se sauvèrent par fuite. Si y fu tué messire Jehan de Flandres, autrement dit de Neele; le conte de Flandres fu pris et cinq chevaliers et deux nobles damoisiaux, qui tous ensemble furent bailliés à ceux de Bruges et mis en prison. Et les greigneurs de Bruges avec les communes des villes d'entour, exceptés ceux de la ville de Gant, eslurent à souverain seigneur monseigneur Robert de Flandres, anemi mortel du conte de Flandres, si comme il est dit dessus. Lequiel quant il ot la seigneurie, mist hors le chancelier de la prison le conte de Flandres, et l'onnora en tant comme il pot; car par luy il estoit eschappé de mort comme dessus est dit.
En ce temps que les choses aloient ainsi en Flandres, les habitans de la ville de Gant qui estoient de la partie du conte Loys et non pas de celui que les bourgois de Bruges avoient esleu à seigneur, s'armèrent et furent de guerre contre ceulx de Bruges, pour ce que il avoient mis en prison le conte. Si se combatirent ensemble et tant qu'il en y ot occis de ceulx de Bruges près de cinq cens, et toutes voies ne fu pas le conte délivré né mis hors de prison. Dont il avint que, environ ce temps, le roy envoia messages sollempnels à Bruges, en eulx admonestant et priant qu'il voulsissent délivrer et mettre hors de prison le conte de Flandres. Mais nonobstant le mandement du roy, les messages s'en retournèrent sans rien faire.—Entour la feste de la Magdelene, et en tout l'esté devant et après, il fu si grant sécheresce que, par quatre lunoisons, il ne chéi né ne plut yeau du ciel que on deust attribuer à deux jours. Et combien que l'esté fust très chaut et très sec, toutes voies ne furent oïes né vues tonnoires né foudres né tempestes; si furent les vins meilleurs en celle année, mais d'autres fruis y fu pou.
En l'yver ensuivant, les frois furent si grans que Saine gela en brief temps deux fois, et si fort que les hommes et toutes manières de gens aloient par dessus; et rouloit-on les tonniaux de vins par-dessus la glace, tant estoit forte; et que la glace fust forte on le pot bien appercevoir au dégeler, car quant la glace se dessevra et fendi, elle rompi en son descendre les deux pons de fust qui sont sur Saine à Paris: avec ce que yver gela fort; si fu-il plain de noif et neigea grandement, si durèrent les noifs jusques à Pasques, avant que fussent toutes remises né fondues.
Au mois de décembre, accoucha malade griefment messire Charles, conte de Valois; si fu la maladie si griève, qu'il perdi la moitié de luy[373]; et cuidièrent pluseurs que, en celle maladie, il feist conscience de la mort Enguerran de Marigny lequel fu pendu, si comme aucunes gens dient, à son pourchas, par ce qu'on apperceust après. Quant sa maladie engregea, il fist donner une aumosne parmi la ville de Paris, et disoient ceulx qui donnoient l'aumosne aux personnes: «Priez pour messire Enguerran de Marigny, et pour messire Charles de Valois!» Et pour ce qu'il nommoient avant le nom de messire Enguerran que de messire Charles, pluseurs jugèrent que de la mort messire Enguerran il faisoit conscience. Lequel, après longue maladie, mouru au Perche[374], qui est en le dyocèse de Chartres, le dixiesme jour devant Nouel; et fu son corps enterré à Paris aux Frères Prescheurs, et son cuer aux Frères Meneurs.
En cest an, pluseurs personnes de diverses parties du monde qui avoient oï dire et entendu que messire Loys, conte de Clermont (qui puis fu appellé duc de Bourbon), devoit aler, à Pasques prochaines venant, au saint sepulcre et visiter la Sainte Terre, encouragiés et meus de dévocion, désirant d'aler Oultre-mer visiter le saint sépulcre et aorer avec luy, vendirent leur héritages et tout ce de quoy il povoient faire argent, et vindrent à Paris, tous près pour partir la sepmaine peneuse. Et messire Loys regarda qu'il n'estoit pas encore prest pour parfaire son passage, si fist preschier le jour du saint vendredi aouré en plain palais, qu'il n'entendoit pas à faire ce voyage né passer la mer en celle année; mais l'année prouchaine venissent à Lyon sus le Rosne, et ilec leur seroit dit le port où les pélerins devroient apliquier. Lesquelles parolles oïes, pluseurs furent escandalisiés et pluseurs s'en moquèrent. Et ainsi furent défraudés de leur entente ceulx qui avoient vendus leur héritages et autres biens, et s'en retournèrent en leurs contrées dolens et courrouciés.
XIII.
Coment la royne Jehanne, fille le noble prince Loys jadis conte d'Evreux, fu coronée à Paris en la chapelle du palais; et coment Ysabel, la royne d'Angleterre, prist congié à son frère, et s'en ala vers Angleterre.
ANNÉE 1326 L'an de grace mil trois cent vint-six, la royne de France Jehanne, fille de messire Loys jadis conte de Evreux, à grani appareil et moult somptueux fu coronnée à Paris en la chapelle le roy au palais.
En ce meisme an, la royne d'Angleterre Ysabel, suer du roy de France, qui se doubta, sé elle demouroit plus en France, que elle n'encourust la malivolence et l'indignacion du roy d'Angleterre, son seigneur, prist congié à son frère le roy de France et s'en ala vers Angleterre. Quant elle se fu partie de Paris, elle chemina tant que elle vint en la conté de Ponthieu, et ilec attendi nouvelles de son seigneur, et s'ordena à y demeurer une pièce.
En celle saison, vindrent nouvelles au roy de France que le roy d'Angleterre avoit fait commandement par tout son royaume, qu'on méist à mort tous les François qui estoient en Angleterre, et qu'il avoit pris à soy et confisquié tous leur biens; pour laquelle chose le roy de France moult esmeu commanda que tous les Anglois qui estoient en son royaume fussent pris et leur biens aussi; laquelle chose fu faite en un jour et en une heure, c'est à savoir l'endemain de la Nostre-Dame en mie-aoust. Si furent moult esbahis les Anglois, et ne fu pas merveille: car il se doubtoient que ainsi comme il avoient esté pris en un jour, qu'il ne fussent aussi en un jour tous mis à mort; mais Dieu qui scet les choses mal ordenées ordener en miex, ordena tout autrement: car le roy fu infourmé véritablement que tout ce qu'on luy avoit donné entendant estoit faux, c'est à savoir que les François eussent esté pris né mis à mort en Angleterre; et pour ce fist le roy de France tantost délivrer et mettre hors de prison tous les Anglois, mais de ceux qui estoient riches leur biens furent confisquiés. Duquel fait tous les preudeshommes du royaume de France furent courrouciés et troublés et escandalisés: car au roy et en ses conseilliers apparut clerement la mauvaise tache et l'ort vil péchié d'avarice et de convoitise: dont pluseurs disoient et avoient, ce sembloit, cause[375], que les Anglois avoient été plus pris pour prendre leurs eschoites que pour vengier l'injure et la vilennie du royaume.
La royne d'Angleterre, qui avoit séjourné une espace de temps dans la conté de Ponthieu, se pensoit coment elle peust bonnement passer en Angleterre sans dommage et péril que elle y eust eu, né son fils né sa gent aussi; car le roy d'Angleterre, par mauvais conseil, espéciamment par messire Hue le Despensier, estoit trop mal meu contre elle; si avoit mandé le roy par tous les pors d'Angleterre que sé elle y arrivoit, que elle fust prise comme celle qui avoit pechié au crime de lèse-magesté; et pour ce, la royne, sachant la volenté du roy, son seigneur, prist en sa compagnie messire Jehan de Haynau, noble chevalier et puissant en armes, qui avoit trois cens hommes d'armes combatans, et arriva à un port dont nulle personne du monde ne s'en donnoit de garde; mais ce fu à grant meschief et à grant paine: dont une damoiselle enfanta d'angoisse avant son terme. Quant la royne fu arrivée à ce port, les Anglois et ceulx qui le gardoient de par le roy voudrent accomplir ce qu'on leur avoit commandé, et si ordenoient et disposoient tant comme il povoient; mais la royne, comme sage et femme de grant conseil, sans férir cop de glaive né d'espée, les apaisa en ceste manière: elle leur manda par amour et par amistié qu'il venissent parler à elle; il y vinrent: eulx venus, elle prist Edouart son fils entre ses bras, et leur monstra, en disant ainsi: «Biaux seigneurs,» dist-elle, «regardez cest enfant qui est à venir et à estre encore vostre roy et seigneur, sé Dieu plaist. Si ne cuidiez mie que je soie entrée en Angleterre à gent d'armes pour grever né domagier le roy nostre seigneur né le royaume; mais y sui ainsi venue pour oster et estreper aucuns mauvais conseilleurs qui sont entour monseigneur, par lequel conseil monseigneur est aveuglé et afolé et la pais du royaume et le royaume aussi empeschié et troublé; et, au moins, sé je ne les puis oster né estreper, si est-ce bien m'entencion de la compaignie mon seigneur eulx à mon povoir estrangier et esloignier, afin que tous meffais soient corrigiés et amendés, et le royaume d'Angleterre soit tenu et gardé en bonne pais et en bonne tranquillité.» Quant les Anglois oïrent ainsi parler la royne, et il orent aussi veu leur seigneur naturel entre les bras sa mère, toute leur male volenté fu mue en douceur et en débonnaireté, et la reçurent luy et son fils à grant joie et en grant solempnité, et ceulx qui estoient aussi en sa compaingnie. La royne, ainsi receue à grant joie en Angleterre, ceulx qui l'avoient receue signefièrent au roy que sa venue estoit paisible, et pour ce, il luy supplioient que il la voulsist recevoir doucement, débonnairement et bénignement. Le roy, qui estoit obstiné en son courage, ne prist pas en gré la supplication; ainsois manda à la royne, par grant desdaing, qu'il lui desplaisoit en toutes manières de ce qu'elle avoit osé entrer en Angleterre à gent d'armes, meismement comme il la tenist et affermast estre anemie du royaume. Ces choses oïes, la royne se garda miex que devant; et tant comme elle pot, elle acquist l'amour et la faveur des barons et des bonnes villes, espéciamment de la ville de Londres. Si fu le roy si enveloppé de mauvais conseil, qu'il avoit la royne tant abhominable, combien que, comme preude femme, elle se fust aprouchiée de lui pour adebonnairier son courage, sé elle peust, que en nulle chose né en nul lieu ne la voult oïr né voir; dont les barons d'Angleterre orent indignacion contre luy, et si grant qu'il s'armèrent avec monseigneur Jehan de Haynau, et alèrent en guerre contre le roy; meisme entre les autres fu pris messire Hue le Despencier. Et le roy à pou de gent se retraist à un très fort chastel assis ès marches de Galles et d'Angleterre; et comme il alast de chastel en autre ou voulsist aler, il fu pris d'aucuns barons par force et par aguet, et fu baillié au frère au conte de Lancastre qui avoit seurnon de Tort-col, pour ce que Thomas, conte de Lancastre, avoit esté décapité au commandement du roy. Lequel Tort-col le garda sous estroite garde jusques à la fin de sa vie bien et diligeamment. Le roy, ainsi pris et mis en prison, assemblée se fist à Londres des barons et des communes, lesquiex, de commun accort et d'un consentement, jugièrent digne d'estre privé de toute dignité et auctorité royale et avec ce de nom de roy, Edouart n'a guères roy d'Angleterre; et ce fait, il coronèrent à roy son fils Edouart, combien que il refusast la couronne, tant comme il peust, vivant son père. Assez tost après, messire Hue le Despensier, par le jugement des barons, fu traîné à queues de chevaux, puis fu ouvert comme on ouvre un pourcel, et ardi on sa brouaille et ses entrailles devant luy voyant ses iex, puis ot la teste coupée, et de son corps furent faites quatre pièces qui furent pendues aux quatre principaux villes d'Angleterre. Pluseurs autres aussi qui furent de sa sorte furent en diverses manières mis à mort; entre les autres, on coupa la teste à un évesque qui estoit et avoit esté ami dudit messire Hue le Despensier et de son père.
En cest an, envoia le pape en légacion, en Lombardie, messire Bertrand de Poget, cardinal, et un pou après, luy fu adjoint à compaignon messire Jehan Gaytan, cardinal, afin qu'il deffendissent sainte églyse contre les Guibelins, et espéciamment contre ceulx de la cité de Milan; pour rayson desquiex le saint Père avoit la cité et tout le pays mis en entredit lequel il ne gardoient né vouloient garder en aucune manière; et sé aucun, espéciaument de religion, le voulsist garder, il estoit contraint à laissier le pays et à fuir-s'en, où il esconvenoit qu'il souffrist griefs tourmens, par quoy il convenoit qu'il mourust. Si afferment aucuns que pluseurs furent occis qui ne vouloient célébrer devant eulx né à eulx administrer les sacremens de sainte églyse.
Le roy d'Angleterre Edouart, qui estoit en prison, mourut en ce temps, et ne fu pas enterré en sépulture des roys[376]. Si fu son fils Edouart confermé à roy d'Angleterre, et fist pais à Robert de Brus, roy d'Escoce, pour luy et pour ses successeurs à tous jours mais. De la mort au roy d'Angleterre sé elle fu avanciée ou non, celui le scet qui de riens n'a ignorance, c'est Dieu.
XIV.
De la bataille qui fu entre le conte de Savoie et le dauphin de Vienne.
En ceste saison, entre le conte de Savoie et le dauphin de Vienne ot grant et fort bataille; si en y ot moult de tués de la partie du conte et moult qui s'enfuirent avec le conte, et pluseurs qui furent pris, en espécial le frère du duc de Bourgoigne et le conte d'Ancuerre. Et ainsi le dauphin, qui avoit esté autrefois foulé du père au conte de Savoie, ot victoire glorieuse et honorable en sa personne, jà soit ce qu'il semblast que la partie du conte fust greigneur et plus fort.
Loys de Bavière, qui tenoit le duc d'Osteriche et Federic, son cousin germain, en prison, estoit moult oppressé de bataille et de pilleries par Leupold, frère du duc d'Osteriche, et par ses autres frères. Mais Nostre-Seigneur, qui mue les cœurs des hommes si comme il veut, et en la cui puissance sont non-seulement les roys, mais les roiaumes et toutes choses, mua le cœur du devant dit Loys envers le duc son cousin, et inclina à miséricorde, si et en telle manière qu'il luy pardonna tout quanqu'il luy avoit meffait, et de la prison où il estoit luy et pluseurs nobles qui estoient prisonniers et chaitis, sans prière, sans argent et sans raençon délivra et renvoia; receu premièrement son serment fait sus le corps Jésus-Crist, dont il receu une partie et Loys de Bavière l'autre, que des ore en avant il luy porteroit foy et loyauté tant comme il vivroit: et ce fait, le duc d'Osteriche s'en retourna franc et quite avec sa compagnie en son pays; dont trop de gent se merveillèrent coment ceste chose avoit été faite, car ceulx de son propre conseil n'en savoient riens né personne vivant excepté son confesseur.
En ce temps, se départirent de Paris deulx clers moult renommés, maistre Jehan de Gondun et maistre Martin de Padoue Lombart, anemis de sainte églyse, adversaires de vérité et fils d'iniquité; et vindrent en une ville d'Alemaigne appelée Norembergh. Les quiex, comme il furent là venus, aucuns qui estoient de la famille au duc de Bavière et les avoient veus à Paris et oï dire de leur renommée, firent tant que, à leur relacion, il furent retenus en la court du duc, non pas seulement retenus, mais receus en la grâce du duc très familièrement; dont il avint qu'il leur demanda moult amiablement: «Pour Dieu, dites-moy quelle cause vous a meu à venir de la terre de pais et de gloire, en ceste terre plaine de batailles, d'angoisses et de tribulacions?» Il respondirent: «L'erreur que nous voions et regardons en sainte églyse nous fait ici venir comme essiliés; et pour ce que nous ne povons plus soustenir en conscience, nous sommes venus à vous à garant, comme à celui à qui l'empire est deu de droit, et à qui il apartient à corrigier les défaus, les erreurs, et les choses désordonnées mettre et ramener en estat deu. Si devez savoir que l'empire n'est pas sougiet à l'églyse, quar il n'est pas doubte que l'empire estoit avant que l'églyse eust puissance né seigneurie; né l'empire aussi ne se doit pas rieuser par les rieules[377] de l'églyse; comme on trouve pluseurs empereurs qui l'élection de pluseurs papes ont confermée, si ont fait assemblée par manière de senne, et ottroié deffinicion en ce qui appartenoit à la foy crestienne. Et sé par aucun temps l'églyse avoit prescrit aucune chose contre les franchises et libertés de l'empire, nous disons que c'est injustement fait et malicieusement, et que l'églyse l'a usurpé à tort et frauduleusement. Et ce que nous disons et tenons pour vérité, nous sommes tous près de deffendre contre tout homme, et sé mestier est, quelque tourment souffrir et endurer, néis la mort.» Aux paroles desquiels Loys de Bavière ne s'accorda pas du tout; ainsois trouva par les sages en droit que ceste persuasion estoit fausse et mauvaise, à laquelle sé il se consentoit, comme elle sentoit hérésie, ce fait, il priveroit soy du tout en tout du droit de l'empire, et ainsi donroit au pape voie par quoi il procéderoit contre luy. Pourquoy il luy fu conseillé qu'il les punisist, comme il appartient à empereur non pas seulement deffendre la foy et les crestiens, mais les hérites effacier et estreper. Lequel respondi ainsi si comme on dit: «Ce ne seroit pas humaine chose de mettre à mort ceulx qui nous servent, espéciamment ceulx qui ont pour nous laissié leur pays et leur fortune.» Si ne crut pas leur conseil; ainsois les tint près de soy en eulx honnorant de dons et d'autres choses, et leur commanda qu'il fussent en tout temps près de luy. Ces choses ainsi faites vindrent à la cognoissance du pape, lequel, après pluseurs procès par voie de droit fais contre eulx, geta sentence d'escommeninient sur eulx et sur ledit messire Loys; laquelle sentence il envoia à Paris et autres lieux solempniex pour publier et dénoncier.
En ce temps envoia le saint Père grant quantité de soudoiers en Lombardie contre Galeace de Milan et les Guibelins qui estoient excomeniés. Et quant il furent assemblés en guerre, tous ceux du pape furent mis à l'espée et s'en eschapa à paine celui qui estoit capitaine: si fu moult courroucié le pape, jasoit ce que pluseurs disent que à bon droit estoit ceci advenu au pape. Car l'églyse ne use pas contre ses anemis de glaive matériel, et meismement que le pape avoit ce empris à faire sans parler à ses frères les cardinals. Et quant le pape se vit ainsi apoinctié[378], si envoia par toutes les provinces du royaume de France, afin que les églyses et les personnes d'églyse luy aidassent à parfaire ses guerres. Laquielle chose le roy de France deffendit à faire, car oncques mais n'avoit esté fait en son royaume. Mais le pape luy rescript; après, le roy considérant: Donne m'en je t'en donrai, il octroia de légier, dont le pape luy donna la dixiesme des églyses à deux ans ensuivans; et ainsi saincte églyse quant l'un la tont, l'autre l'escorche.
En cest an meisme, gens nobles de Gascoigne qui estoient bastars, commencièrent forment à envaïr le royaume de France. Contre eux fu envoié messire Alfons d'Espaigne, cousin du roy, qui de chanoine et archediacre de Paris s'estoit fait chevalier. Et combien qu'il despendist moult, il fist pou ou noient, et s'en retourna en France pour une quartaine qui le prist, dont assez tost après il mourut. Les bastars, quant il sorent ceci, avec aucuns Anglois vindrent jusques à la cité de Saintes qui est en Poitou dont le chastel est très fort et est au roy d'Angleterre; auquiel il entrèrent et le défendirent longuement contre le conte d'Eu et pluseurs autres nobles qui estoient en sa compaignie. Et comme il eussent eu pluseurs assaux, il se mistrent aux champs un pou loing de la cité, et mandèrent au conte d'Eu jour et lieu assigné de bataille, qui volentiers l'acorda et vint au lieu qui leur estoit assigné au plus tost qu'il pot. Et quant les Anglois virent que le conte d'Eu s'estoit esloignié de la cité, il entrèrent dedens et la mistrent toute en feu et en flambe sans espargnier à églyse né à moustier. Lors le conte d'Eu et messire Robert mareschal de France, voyant qu'il estoient décéus, les poursuirent jusques en Gascoigne en sousmelant avant eux terres et villes au roy de France; et tant alèrent que oncques puis ne s'osèrent monstrer né apparoir leurs anemis.
En cest an la royne de France qui estoit ençainte d'enfant et reposoit au Chastiau-Neuf[379] d'encoste Orliens, enfanta une fille; et assez tost après sa première fille mourut.
En ce temps meisme le conte de Flandres qui estoit en prison à Bruges fu délivré par ceux de Bruges meismes, en prenant premièrement son serement, c'est assavoir: que les drois, les libertés, les franchises et les coustumes de Flandres il garderoit loyaument sans enfraindre; et que, pour l'occasion de la prison, il ne feroit ou feroit faire mal à eux né autre; car ce qu'il avoient fait il avoient fait pour son très grant profit. Après il jura, mais mauvaisement tint son serement, que en toutes ses grosses besoignes il useroit spécialement du conseil des Flamens.
XV.
Coment le roy de France Charles trespassa de ce siècle.
ANNÉE 1327 L'an de grace mil trois cens vint-sept, manda le roy Charles au roy d'Angleterre que il venist faire hommage de la duchiée d'Aquitaine; si se excusa le roy que bonnement n'i povoit venir pour la mort son père qui estoit mort nouvellement; si l'ot le roy de France ceste fois pour excusé.
En cest an furent à Paris pluseurs barons assamblés pour mettie acort entre le conte de Savoie et le dauphin de Vienne: et comme il ne peussent trouver matière de paix, il s'en alèrent sans riens faire.
Messire Loys de Clermont, voulant monstrer l'affection qu'il avoit à la terre sainte d'Oultre-mer, prist congié à Nostre-Dame de Paris, et jura que jamais n'entreroit à Paris jusques à tant que il auroit parfait son voiage.
En ce temps fu accordé entre les roys crestiens que tous marchéans portassent seurement leur marchandises du royaume en autre, et marchandassent les uns aux autres. Et fu ceci crié et publié en chascun royaume. Messire Alfons d'Espaigne, dont nous avons fait mencion l'an devant, mourut de la quartaine qu'il prist en Gascoigne, et fu enterré aux frères Prescheurs à Paris.
Environ la fin d'aoust, Loys de Bavière qui se faisoit empereur des Romains, combien qu'il fust escomenié du pape Jehan, et tous ceux qui pour empereur le tenroient, vint à Rome et fu receu à grant sollempnité; si le couronnèrent à empereur les Romains contre la volenté du pape.
Le jour de Noel environ mienuit acoucha au lit malade le roy Charles, et la veille de la Chandeleur mourut au bois de Vincennes. Si fu son corps enterré emprès son frère à Saint-Denis, et son cuer aux frères Prescheurs à Paris. Et ainsi toute la ligniée du roy Phelippe-le-Bel en moins de treize ans fu deffaillie et amortie, dont ce fu très grant domage.
Cy fenissent les chroniques du roy Charles de France.
CI COMENCE L'YSTOIRE DU ROY PHELIPPE DE VALOIS.
I.
Coment Phelippe, conte de Valois ot le gouvernement du royaume, et de son coronnement.
Après la mort du roy Charles-le-Bel, qui avoit laissiée la royne Jehanne sa femme grosse, furent assemblés les barons et les nobles à traitier du gouvernement du royaume. Car comme la royne fust grosse et l'en ne sceust quel enfant elle devoit avoir, si n'i avoit celui qui osast à soy appliquier le nom de roy: mais seulement estoit question auquiel tant comme plus prochain devroit estre commis le gouvernement du royaume[380]. Si fu délibéré que audit Phelippe appartenoit ledit gouvernement, lequiel estoit cousin du roy Charles et fils de monseigneur Charles de France, jadis conte de Valois, secont frère germain de père et de mère du roy Phelippe-le-Bel. Lequiel Phelippe ot le gouvernement du royaume depuis la mort dudit roy Charles jusques au vendredi aouré que ladite royne Jehanne enfanta une fille. Et pour ce que une fille ne hérite pas au royaume, luy vint ledit royaume et en fu coronné par raison; combien que le roy d'Angleterre et autres ennemis du royaume tenissent, contre raisonnable opinion, que le royaume appartenist mieux audit Anglois comme neveu du roy Charles, fils de sa suer, que audit roy Phelippe qui ne luy estoit que cousin germain.
Environ ce temps, Pierre Remy, principal trésorier du roy Charles derrenier mort, fu accusé qu'il n'avoit pas bien loalment dispensé né administré les biens du royaume, si comme pluseurs nobles et non nobles l'affermoient; et disoient que la valeur de ses biens montoit à plus de deux cens mille livres. Si fu ledit Pierre requis de rendre compte, lequiel ne sceut pas bien rendre compte de ce que l'en luy demandoit, si fu jugié à estre pendu. Lequiel Pierre, quant il fu emprès le gibet, il confessa qu'il estoit traitre en Gascoigne encontre le roy; pour laquielle cause il fu traisné, et puis pendu au gibet qu'il avoit fait faire tout le premier, le jour de la saint Marc évangéliste, l'an mil trois cens vint-huit, jasoit ce qu'il eust esté pris l'an mil trois cent vint-six.
Item, le premier jour d'avril, qui fu le vendredi aouré, la royne Jehanne d'Evreux ot une fille au bois de Vincennes appelée Blanche. Depuis Phelippe, conte de Valois, appellé régent, fu nommé roy: dont il appert clèrement que la droite ligne des roys de France fu translatée en ligne transversale, c'est assavoir de germain en germain.
II.
Coment Loys de Bavière fu coronné à empereur, et coment les Romains firent un autre pape à Rome.
ANNÉE 1328 L'an mil trois cens vint-huit, Loys de Bavière qui avoit esté coronné à Milan de coronne de fer prist son chemin à Rome[381]. Quant les Romains oïrent nouvelles de sa venue, il orent très grant joie, et alèrent à rencontre de luy, et le coronnèrent en l'églyse Saint-Père, et après ce que il fu coronné, il le menèrent au palais royal; et après ce qu'il ot demouré en la cité de Rome par un moys ou environ, aucuns s'apparurent, lesquiels estoient fils du déable et d'iniquité, et distrent ces paroles:
«Puisque Dieu nous a donné empereur, ce seroit bon que nous eussions un père espirituel, lequiel nous administrast les choses espirituelles, ainsi comme ont fait les pères précédens?» Laquielle chose plut moult au peuple; et ainsi s'assemblèrent à faire un pape, et non pas vraiement pape mais antipape, contre Dieu et contre saincte églyse; et eslirent un frère Meneur lequiel estoit appellé Pierre Ranuche[382], et le consacrèrent en la manière de la consécration du pape. Et après ce que ledit Pierre fu ainsi consacré et en la cité mené, il eslurent cardinals presque tous de l'ordre des mendians, jasoit ce que aucuns disoient que ceste ordenance ne venoit pas de la conscience dudit Loys duc de Bavière nouvellement fait empereur. Et fu nommé ledit frère Pierre de Ranuche Nicholas le quint. Si avint que ledit antipape commença à estre avecques ledit Loys en la cité de Rome, et là estoient à très grans frès et despens pris sus le peuple; lesquiels le peuple ne pot ou ne voult plus soustenir; si furent contrains à issir hors de la cité, et commencièrent à aler vagant par le royaume d'Italie et par diverses autres cités.
Après ces choses avint que le pape Jehan appella frère Michiel général de toute l'ordre des frères Meneurs; lequiel frère Michiel estoit à Avignon pour le temps: et commanda audit frère Michiel en vertu de saincte obédience que les choses qui sont à la déclaracion de la rieule et meismement de la povreté de l'évangile il gardast fermement, et aussi à tous ses sougiés la commandast estre gardée sans nul deffaut. Lequiel frère Michiel respondi au pape Jehan moult arrogamment, si comme l'en dit, et luy demanda huit jours de espace, afin que mieux en respondist; si luy fu octroié. Lesquiels huit jours durans, ledit frère Michiel, avec un autre frère appellé Bonnegrace, et un docteur en théologie appellé François, s'enfui par nuit en Marseille et entra en la mer et s'en ala jusques à Jennes, et de Jennes s'en ala vers l'antipape et Bavière, et se mist en leur compaignie. Quant le pape sceut ces choses, il procéda contre eux comme hérites et les condampna; et ledit frère Michiel de toute administration priva, et commanda aux frères Meneurs que il se pourveussent d'un autre général. Mais sus tous les procès fais par le pape contre le dit frère Michiel, l'en dit que ledit frère Michiel voult appeller du pape mal conseillié au pape bien conseillié.
Item, le roy de France Phelippe, approuvant le bon conseil des barons et des anciens sus l'ordenance du royaume de Navarre et de la conté de Champaigne, il restitua ledit royaume de Navarre à Loys conte d'Evreux pour la cause de sa femme fille de Louis Hutin: et pour la cause de la conté de Champaigne, il luy assigna autres rentes en la conté de la Marche emprès Angolesme.
Item, environ ce temps, le conte de Flandres Loys fist hommage au roy de France; et après il luy dit et exposa les rebellions et fais importables de ses sujets, c'est assavoir de Bruges, d'Ypre et meismement de Cassel, et qu'il ne povoit obvier à leur malice né extirper la matière de leur rebellion. Et lors pria au roy très humblement qu'il luy voulsist à son besoing aidier. A laquielle supplicacion le roy enclina très bénignement, mais en quel temps et quant ce seroit il le feroit par le bon conseil de ses barons. Endementiers faisoit-on à Rains très grant appareil pour le coronnement du roy et de la royne, et tant qu'il n'estoit mémoire de homme qui oncques tel eust veu. Adoncques quant les choses furent prestes, se partirent le roy et la royne pour aler à Rains, et là furent coronnés tous deux ensemble par la main de Guillaume de Trie archevesque de Rains, le jour de la Trinité; et dura ladite feste cinq jours continus[383].
III.
Coment le roy Phelippe mut pour aler sus les Flamens tantost après son coronnement.
Après le coronnement et ladite feste passée, le roy s'en retourna à Saint-Denis son patron, et là fu honnorablement receu; et après ala à Nostre-Dame de Paris, et depuis s'en retourna au palais où le diner fu appareillié très sollempnelement, et là disna le roy et avecques luy pluseurs barons de son royaume.
Après ce que il fu à Paris retourné, il ot délibération avecques ses barons sur la besoingne des Flamens; dont pluseurs distrent au roy que bonne chose seroit qu'il demourast en France jusques à un an. Laquielle parole desplut moult au roy, et meismement qu'il disoient que le temps n'estoit pas convenable pour batailler. Dont aucuns distrent que le roy dut dire à messire Gauchier de Creci son connestable: «Et vous Gauchier qu'en dites?» et jasoit ce qu'il fust un pou refusant, si respondi en tel manière: «Qui bon cuer a à batailler tousjours treuve il temps convenable.»
Quant le roy ot oïe ceste parole, il ot très grant joie, et se leva et l'acola en disant: «Qui m'aimera si me suive!» Et adonques fu crié que chascun selon son estat fust appareillié à Arras à la feste de la Magdaleine. Toutesvoies les bourgois des bonnes villes ne s'armèrent pas; mais lesdis bourgois et les bonnes villes aidèrent au roy d'argent, et demourèrent pour garder leur cités et leur bonnes villes de par le roy.
Après ce, le roy si prist aucuns de ses familliers, et s'en ala par la ville de Paris à pié, et visita une grant partie des églyses de ladite ville; et depuis il visita les maisons Dieu, et là fist-il moult de euvres de miséricorde: comme de baisier les mains des povres, de leur administrer viandes et de leur donner grans aumosnes. Toutes lesquielles choses faites moult dévotement, assez tost après il se parti de Paris et s'en ala à Saint-Denis; là fu en très grant dévocion, et fist ouvrir le lieu où les corps de monseigneur de saint Denis et de ses compagnons reposent. Et quant ledit lieu fu ouvert, ledit roy Phelippe meu de grant dévocion, osta son chaperon et sa coeffe, et ala querre les dis corps saints de monseigneur saint Denis et de ses compagnons, et les apporta l'un après l'autre sur leur autel, et semblablement fist-il du corps monseigneur saint Loys, et le mist emprès les corps saints devant. Puis fist chanter la messe devant lesdis corps saints par l'abbé de ladite églyse Guy: laquielle chantée, le roy fist beneir l'oriflambe audit abbé Guy, et la reçut ledit roy de la main dudit abbé, en la présence des barons et des prélas; laquielle oriflambe fu bailliée à messire Mile de Noyers[384] à porter, par la main dudit roy, et à garder. Après ces choses, ledit roy Phelippe prist lesdits corps saints de monseigneur saint Denis et de ses compaignons, et les rapporta en leur lieu; laquielle chose l'en ne treuve pas avoir esté communément faite par la personne du roy quant au raporter. Et après il se départi et s'en ala à Arras, et passa légièrement oultre, et prist son chemin vers Cassel, et ilecques fist fichier ses tentes, et fu le pays d'entour moult gasté.
Adoncques quant les Flamens virent l'ost du roy, si firent faire un grant coc de toile tainte, et en ce coq avoit escript:
Quant ce coq ci chanté ara
Le roy trouvé[385] ça entrera.
Et le mistrent en haut lieu. Et ainsi se moquoient du roy et de sa gent, et l'appelloient le roy trouvé, laquielle parole et moquerie leur tourna à la parfin à grant meschief et domaige.
Lors le roy manda monseigneur Robert de Flandres et le fist sermenter avecques luy, et puis luy commanda qu'il préist deux cens hommes d'armes et alast à Saint-Omer, et ilecques tenist la frontière contre les Flamens; et commanda au conte qu'il alast vers Lille et tenist la frontière entre le Lys et l'Escaut.
Quant les Flamens virent que le roy avoit fait si grant semonse, si s'assemblèrent, et virent qu'il n'avoient point de seigneur de qui il peussent faire chevetaine, car tous les gentils hommes du pays leur estoient faillis; et ne savoient de quel part le roy les devoit assaillir, né de quel part il devoit à eux venir. Et pour ce ordenèrent ceux de Bruges et d'Ypre que tous ceux du terrouer de Furnes et des communes de Bruges, de Cassel et de Poperinge se traisissent tous sus le mont de Cassel: et ceux de Bruges et du Franc[386] tendroient le pays devers Tournay; et ceux d'Ypre et de Courtrai à rencontre de Lille. Et le roy de France estoit entré à un samedy bien matin luy et son ost en la terre de Flandres entre Blaringuehem et le pont Hasquin parmi le Neuf fossé[387], et s'en alèrent le conte d'Artois et sa compaignie logier dessous une forest que on appelle Ruhout sus un vivier que on appelle Scondebrouc et est de l'abbaïe de Clermarès.
IV.
De l'ordenance des batailles du roy de France.
Et orrois coment les batailles[388] passèrent: la première bataille menèrent les deux maréchaux et le maistre des arbalestriers, et avoient en leur route six bannières, et tous les gens de pié suivirent celle bataille et tous les charrois. Quant les mareschaux vindrent au champ, il baillèrent places aux fourriers pour leur maistres. Après passa la bataille au conte d'Alençon où il avoit vint et une bannières: celle bataille prist son tour jusques emprès le mont de Cassel, et ilecques s'arresta jusques à tant que les tentes fussent dréciées.
Après passa la tierce bataille où il avoit treize banières, et la conduisoit le maistre de l'ospital d'Oultre-mer, et le sire de Biaugeu et tous ceux de la Languedoc.
La quarte bataille mena le connestable de France Gauchier de Chastillon, et avoit huit banières.
La quinte fu du roy qui contenoit trente-neuf banières, et estoit le roy armé de ses plaines armes. Et estoit en sa bataille le roy de Navarre, le duc de Lorrayne et le conte de Bar[389], et avoit une aile de six banières que messire Mile de Noyers conduisoit qui portoit l'oriflambe.
La sixiesme conduisoit le duc de Bourgoigne où il avoit dix-huit banières.
La septiesme mena le dauphin de Vienne où il ot douze banières.
La huitiesme le conte de Hainau avecques dix-sept banières, et avoit une aile de messire Jehan son frère qui menoit les gens du roy de Behaigne[390].
La neuviesme mena le duc de Bretaigne, et avoit quinze banières: tous ceux-ci s'alèrent logier ès places que les mareschaux leur avoient bailliées à deux lieues du mont de Cassel.
Quant tous furent logiés, si vint l'arrière garde qui estoit la dixiesme bataille, et la conduisoit monseigneur Robert d'Artois, et là avoit vint-deux banières: et se traist devers le mont de Cassel, et avironna tout l'ost et passa par devant la tente du roy, et ala à une abbaïe assez près que l'en appelle la Wastine[391] et s'i loga.
L'endemain vint le duc de Bourbon en l'ost et toute sa bataille à quatorze banières.
Les Flamens qui sus le mont de Cassel estoient virent le roy, à tout le povoir de son royaume, qui estoit logié à deux lieues d'eux; mais oncques pour ce ne se effroièrent, ains mistrent leur tentes hors de la ville et s'alèrent logier sur le mont, pour ce que les François les peussent veoir; et ainsi furent trois jours les uns contre les autres sans riens faire. Et au quatriesme jour se desloga le roy, et s'ala logier de une lieue près sus une petite rivière que on appelle la Pienne; adonc vint monseigneur Robert de Flandres à toute sa bataille, où il ot cinq banières.
Lors le roy de France prist conseil à ses barons coment il les pourroit avoir au bas du mont, car sur le mont il n'avoit mie jeu parti[392]; et pour ce envoia par un mardy, veille saint Barthelemi au point du jour, les deux mareschaux, et messire Robert de Flandres par devers le terrouer de Bergues et boutèrent le feu; et pour ce les cuidièrent traire jus hors du mont; mais oncques n'en firent compte, ains vindrent toute jour au pié du mont paleter aux gens du roy, et les chevaliers montèrent sus leur roncins, en leur purs auquetons[393] pour veoir les paleteis; et quant il véoient aucun blescié qui bien avoit fait la besoigne si en rioient et moquoient.
Quant les mareschaux furent venus de fourrer, si s'alèrent aaisier; car il avoient le jour grant peine soufferte, né oncques en l'ost du roy on ne fist guet, et les grans seigneurs aloient d'une tente en l'autre pour eux déduire en leur belles robes.
V.
Coment les Flamens descendirent estoutiement[394] et cuidièrent seurprendre le roy, et coment les Flamens furent desconfis et occis environ dix-neuf mille et huit cens personnes.
Or vous dirons des Flamens qui estoient sus le mont de Cassel qui s'avisèrent que les mareschiaux estoient moult lassés, et les autres chevaliers s'esbatoient à jouer aux dés et en autres déduis, et le roy estoit en sa tente avec son conseil pour ordener des besoignes de sa guerre[395].
Les Flamens firent trois grosses batailles, et vindrent avalant[396] le mont à grans pas devers l'ost du roy, et passèrent tout outre sans faire cri né noise, et fu à l'eure de vespres sonnans. Tantost que on les apperceut, si pot l'en voir toutes manières de gens fuir de l'ost du roy vers la ville de Saint-Omer. Et les Flamens ne s'atargèrent mie, ains vindrent le grant pas pour seurprendre le roy en sa tente; mais, ainsi comme Dieu voult, les mareschaux et leur gens qui n'estoient mie encore tous désarmés, tantost que il oïrent le cri montèrent sus leur chevaux et vindrent ferant des esperons vers les anemis.
Quant les Flamens les virent aprochier, un pou s'arrestèrent, mais quant il virent que si pou de gens estoient, si murent pour aler avant; et tantost vint messire Robert de Flandres au secours des mareschaux. Tantost qu'il le virent si s'arrestèrent et se mistrent en conroy; et avoient jà tant esploitié qu'il estoient jà à trois arbalestes près du roy de France; mais par l'arrest qu'il firent furent tous les haus hommes armés. Et alèrent[397] avecques toutes leur batailles vers leur anemis et leur coururent sus, et à grant paine les entamèrent; mais il navrèrent moult de haux hommes avant que l'en les peust conquerre.
Or, vous dirons du roy qui s'armoit en sa tente, et n'avoit entour luy que deux jacobins et ses chambellans: et vindrent ceux qui estoient pour son corps, et le montèrent sus un destrier, couvert de ses armes, et avoit une tunique des armes de France et un bacinet[398] couvert de blanc cuir: et à sa destre estoit messire Flastres de Ligny, messire Gui de Baussay et messire Jehan de Cepoy; et à senestre, estoit messire Froullard de Usages et messire Sanses de Baussay; et par derrière estoit Le Borgne de Sency, qui portoit son hyaume à tout une couronne et la fleur de lis dessus; et par devant estoit messire Jehan de Biaumont, qui portoit son escu et sa lance, et messire Mile de Noiers, monté sur un grant destrier couvert de haubergerie, et tenoit en sa main une lance en laquelle l'oriflambe estoit attachié, qui estoit d'un vermeil samit à guise de gonfanon à deux queues, et avoit entour houpes de soye vert. Et ainsi ala vers la bataille.
Quant les Flamens virent tant de gens venir sur eulx, il ne porent plus soustenir le fer, si se desconfirent: là pot-on veoir maint homme tresbuchier et mètre à mort, et les nobles de France crier à haute voix: Mont joie Saint-Denis! Et le conte de Hainaut qui s'estoit trait vers le Mont de Cassel, trouva une bataille de Flamens qui s'estoient trais en un clos: tantost courut à eux, mais tant estoient entrelaciés que dessevrer ne les povoit; si descendi à pié et sa chevalerie, puis prist l'escu et la lance au poing, et leur courut sus, criant à haute voix: Hainaut! Et les Flamens se deffendirent viguereusement, mais en la parfin la force ne dura guères; si se desconfirent, et furent ilecques tous tués. Puis monta le conte de Hainaut, et se trait sur le Mont de Cassel, et tous ceulx qu'il y pot trouver ou encontrer il les fist mettre à mort. En celle bataille fu tué Colin Zanequin, qui estoit capitaine des Flamens. Les gens du roy qui chaçoient les anemis vindrent en la ville du Mont de Cassel, et boutèrent le feu par tout, de quoy tout le païs fu resjoïs quant il virent le feu. Et puis retourna le roy en ses tentes, loant Dieu de sa victoire. Mais aucuns qui s'en estoient fuis quant il virent les Flamens venir, comme dessus est dit, retornèrent et firent les bons varlés et faisoient entendant qu'il avoient tout vaincu. Or vous dirai des haus hommes qui furent mors et navrés en celle bataille: il y ot mort un chevalier de Champaigne qui estoit à banière que on appeloit monseigneur Regnaut de Lor, et fu enterré à Saint-Bertin; et si y mourut un banneret de Berri, lui sisiesme de chevaliers, qui fu appellé le visconte de Bresse, et furent tous enterrés aux Cordeliers. Des navrés qui vindrent à Saint-Omer, il y fu le duc de Bretaigne, le conte de Bar et le conte de Bouloigue qui furent malades de fièvres et d'autres maladies. Messire Loys de Savoie fu navré en la main; messire Bouchart de Montmorency fut navré au pié; messire Henri de Bourgoigne ot un œil crevé; et tout plain d'autres haus hommes des quiex je ne sais les noms. Ceste bataille fu faite la veille de monseigneur saint Barthélemi, l'an de grace mil trois cent vint-huit; en laquelle y ot mors des Flamens, si comme en aucunes chroniques est contenu, dix-neuf mille et huit cens personnes de la partie des Flamens[399]. Et après que ceste bataille fu faite, le roy de France fu par quatre jours aux champs où la bataille avoit esté faite, et atendi la garison de ses gens qui estoient malades et navrés; et puis s'en parti, et passa Cassel à la main destre, et toute la basse Flandres s'en vint rendre à luy. Puis se traist vers Ypres et s'ala logier près de la ville; et tantost se rendirent à luy par condicion, et luy baillièrent des malfaiteurs, les quiex le roy fist tantost pendre. Et puis envoia en la ville le conte de Savoie et le connestable de France à tout deux mille hommes d'armes; et commandèrent que tous leur aportassent leur armeures, et il le firent; puis abatirent leur cloche qui pendoit au beffroy, et laissièrent capitaine en la ville un chevalier de Flandres que on appeloit messire Jehan de Bailleul.
Adonc vint le conte de Flandres devers le roy et amena avecques luy ceux de Bruges, et du Franc qui avoient entendu la desconfiture de Cassel, et pour ce s'estoient-il rendus au conte. Si considéra le roy que le temps commençoit à refroidir, si les reçut à merci et à sa volenté; lesquiels il condampna les uns par banissement, les autres par mort, les autres à estre trois ans oultre Somme. Et restabli le conte en sa conté, en lui disant ces paroles: «Conte, gardez-vous des ore en avant que par deffaute de justice ne nous faille plus par deçà retourner[400].» Et puis vint le roy à Lille, et départi son ost et s'en revint en France. Le pape Jehan, qui avoit donné au roy Charles, luy vivant, deus disiesmes, luy mort, ledit pape de nouvel les donna et ottroia au roy Phelippe.
Item, les Anglois et les Escos qui par lonc temps estoient à descort furent ensemble racordés, si comme l'en dit, sus cette forme, c'est à savoir: que le fils au roy d'Escoce prendroit à femme la fille du nouviau roy d'Angleterre; et que ledit roy d'Escoce seroit tenu perpétuelment au roy d'Angleterre aidier en toutes ses guerres, et contre tous, le roy de France excepté.
Item, en ce temps mourut Jehan, duc de Calabre, chevalier très puissant, fils seul du roy Robert de Secile, lequel Jehan avoit esté capitaine principal des Guelphes.
Item, en cest an meisme, au moys de décembre l'an mil trois cent vint-huit, trembla la terre moult forment, et meismement en Ytalie, environ la cité du Perruse, dont aucunes villes fondirent en abisme, et aucuns chastiaux furent trébuchiés. Et en France, la veille de la feste monseigneur saint Denis ensuivant, les vens furent si grans, qu'il abatirent entre les autres choses, le clochier de l'églyse Saint-Père-de-Chaumont en Vauquessin.
Item, cel an et de nuit, lettres furent attachiées aux portes de Nostre-Dame de Paris, aux portes des frères Prescheurs, et aux portes des frères Meneurs de Paris, de par les trois, c'est assavoir l'antipape, Loys de Bavière et frère Michiel[401] dessus nommés. Esquelles lettres entre les autres choses estoit contenu que les trois dessus nommés, avecques leur complices, tenoient le pape Jehan pour hérite et de sainte églyse parti, meismement qu'il s'efforçoit de destruire la povreté de l'évangile; et pour ceste cause il appeloient de par l'antipape au concile général en la cité de Milan.
Item, encore unes autres lettres closes furent envoiées à l'évesque de Paris et à l'université; lesquelles lettres il envoièrent au pape toutes closes, pour savoir que desdites lettres il vouldroit ordener.
En ce temps, vint le roy Phelippe à Saint-Denis en très grant dévocion visiter monseigneur saint Denis son patron, et le mercier de la glorieuse victoire que Dieu luy avoit donnée par les prières Nostre-Dame et de monseigneur saint Denis, et des autres saints de Paradis. Et luy rendi sus son autel l'oriflambe qu'il avoit prise quant il s'estoit parti à aler contre les Flamens. Et puis s'en ala à Nostre-Dame de Paris[402], et quant il fu là il se fist armer des armes qu'il avoit portées en la bataille des Flamens; et puis monta sur un destrier, et ainsi entra en l'églyse de Nostre-Dame de Paris, et très dévotement la mercia, et luy présenta ledit cheval où il estoit monté et toutes ses armeures.
Item, en l'an dessus dit, c'est assavoir le treiziesme jour d'octobre, la royne Climence femme jadis au roy Loys Hutin trespassa, et en l'églyse des frères Prescheurs de Paris fu enterrée.
Item, en ce temps, Loys le conte de Flandres, à la requeste duquel en partie le roy Phelippe avoit entrepris la guerre des Flamens derrenièrement finée, n'oblia pas les paroles que le roy Phelippe luy avoit dites, quant il parti de la Flandre, si comme dessus sont escriptes, c'est assavoir qu'il gardast justice. Et si fist-il; car dedens troys mois ou environ, il extirpa de ceulx qui avoient esté conspirateurs et détracteurs contre le roy et contre luy, et en mist et fist metre à mort jusques au nombre de dix mille ou environ, si comme l'en maintenait communément. Mais le principal capitaine des Flamens, qui estoit appellé Guillaume de Cany[403] de Bruges, quant il vit que le conte de Flandres faisoit justice, si ot paour et s'enfui[404] au duc de Breban, et luy requist aide contre le conte de Flandres lequel avoit fait mettre à mort pluseurs preudeshommes, si comme il disent, né encore ne désistoit-il point de jour en jour. Et promist ledit Guillaume de Cany audit duc de Breban, chevaux, armeures, et très grant somme d'argent; auquel ledit duc respondi que ceste chose ne feroit-il pas sans le conseil du roy de France né sans son assentement; mais que ledit Guillaume iroit par devers le roy et de sa gent avec luy, et ce que le roy ordoneroit à la requeste dudit Guillaume, ledit duc le feroit à son povoir. Lequel chut au las qu'il avoit tendu; car il fu amené à Paris au roy, et fu faite enqueste sur luy, pour laquelle il fu trouvé moult coupable, et pour ce fu moult honteusement condamné: premièrement il fu tourné au pilori, puis luy furent les deux poings coppés, puis fu mis en une haute roue et ses poings emprès luy; mais quant l'en vit qu'il s'inclinoit à mourir, l'en l'osta de ladite roue, et fu lié à la queue d'une charete et fu traîné; et puis après il fu pendu au gibet de Paris et ses poings emprès luy.
Item, au temps ensuivant et en ceste présente année, messire Jehan de Cherchemont, chancelier du roy de France, très sage ès choses séculières, et très convenable en court du pape et du roy, en vivre très délicieux, en port et en manière au jugement de pluseurs très orgueilleux, avint qu'il volt partir pour aller veoir une chapelle de chanoines, laquelle il avoit fait édifier là où il avoit esté né, c'est assavoir en la dyocèse de Poitiers; et aloit là plus pour son nom magnifier que pour le nom de Dieu honnorer, si comme pluseurs disoient et le creoient. Mais Dieu juge des cuers des hommes, et ce à luy seul apartient et non à autre. Si avint, de par la permission de Dieu, que ledit messire Jehan de Cherchemont, très ce qu'il fu entré en la dyocèse de Poitiers, à laquelle il avoit espérance d'avoir très grans honneurs, sans parler à aucune personne, mourut soudainement[405]. Le scel du roy fu porté au roy, et le corps fu enterré par la main de l'évesque de Poitiers en la chapelle que ledit messire Jehan avoit fondée.
Item, en ce meisme an, le roy de France Phelippe envoia par devers le roy d'Angleterre certains messages entre lesquiels fu maistre Pierre Rogier, abbé de Fescan, docteur en théologie, afin qu'il ajournassent le roy d'Angleterre pour faire hommage audit roy de France de la duchiée d'Aquittaine. Lesquiels messages demourèrent longuement en Angleterre et attendoient pour parler au roy; mais il ne porent oncques parler à luy, si parlèrent à sa mère, laquelle leur donna responses non convenables, en manière de femme[406]; et quant il virent que autre chose ne povoient faire, si retournèrent en France, et disrent au roy tout ce qu'il avoient fait et oï.
Item, en ceste meisme année, le pape Jehan fist publier à Paris aucuns procès fais contre Pierre Ranuche, lequel se faisoit appeller Nicolas-le-Quint; èsquiel procès il estoit contenu ledit Pierre avoir esté marié avant qu'il eust esté religieux; et depuis qu'il fu entré en religion, sa femme l'avoit fait semondre par pluseurs fois; et avoit à nom sa dite femme Jehanne Mathié. Lequel Pierre, en désobéissant au commandement de sainte églyse, ne voult oncques retourner avecques sa dite femme; et pour ceste cause ledit pape comme contumace le dénonça pour escomenié par la vertu desdis procès fais encontre luy à la requeste de ladite femme.
Item, en ce temps, ot le roy de France délibéracion avecques son conseil, assavoir mon sé pour le deffaut du roy d'Angleterre qui estoit son homme de la duchié d'Aquitaine, et lequel estoit refusant de en faire hommage audit roy de France, sé ledit roy de France la devroit appliquier à sa seigneurie? Si luy fu respondu que non; mais seulement durant le temps que l'ommage n'a pas esté fait, supposé que la citation ait esté faite duement, le seigneur puct faire endementres les fruits de la terre de son vassal siens, jusques à tant que son dit vassal retourne à l'ommage de son seigneur. Et pour ceste cause furent envoies en Gascoigne l'évesque d'Arras et le seigneur de Craon, afin qu'il méissent tous les émolumens et revenus de la duchié d'Acquitaine en la main du roy de France, jusques à tant que le roy d'Angleterre luy eust fait hommage deu. Item, derechief et d'abondant, le roy de France envoia autres messages en Angleterre audit roy d'Angleterre, afin qu'il fust cité une fois pour toutes pour ledit hommage faire; et par tele manière que s'il estoit négligent de faire le dit hommage, l'en procéderoit contre luy par la force et par la manière que droit le donroit.
Item, en celui temps, la royne de France enfanta un fils: mais il mourut assez tost après, et fu enterré en l'églyse des frères Meneurs à Paris.
VI.
Coment le roy d'Angleterre se mist en mer pour venir en la cité d'Amiens faire hommage au roy de France de la duchié d'Acquitaine et de la conté de Pontieu, comme homme du roy de France.
ANNÉE 1329 L'an de grace mil trois cens vint-neuf, le roy d'Angleterre entra en mer le dimenche après la Trinité et passa à Bouloigne. Quant le roy de France sot la venue dudit roy d'Angleterre, si vint à grant foison de ses barons, prélas et autres à Amiens, et envoia à rencontre dudit roy d'Angleterre des plus grans de son lignage, qui moult noblement et honnorablement l'amenèrent en la cité d'Amiens, en laquielle le roy de France attendoit ledit roy d'Angleterre qui luy venoit faire hommage de la duchié d'Acquitaine et de Pontieu, si comme dessus est dit.
Quant les deux roys s'entrevirent, si firent moult grant feste l'un à l'autre, et après commencièrent à parler eux et leur conseil de moult de choses, et par espécial sur la matière pourquoy il estoient assemblés; et luy fist requérir le roy de France qu'il fist son devoir par devers luy de ladite duchié d'Acquitaine et de la conté de Pontieu. Lors fu respondu de par le roy d'Angleterre et en sa présence, et fu dit que messire Charles de Valois, père dudit roy Phelippe, avoit despouillié le roy d'Angleterre, au grant préjudice de luy et de son royaume, d'une grant partie de la terre de la duchié d'Acquitaine, et l'avoit appliquée au royaume de France moins justement qu'il ne déust. Pour laquielle cause ledit roy d'Angleterre n'estoit tenu audit hommage faire, sé ce qui luy avoit esté osté, comme dit est, ne luy estoit du tout restitué. Si fu respondu pour le roy de France que Edouart, roy d'Angleterre, père dudit roy, avoit forfaite celle partie et plus, et que ledit messire Charles bien et justement l'avoit acquise au royaume de France par droit de bataille, et que en aucune restitucion il n'estoit tenu; néanmoins finablement acordé fu d'une partie et d'autre par tele manière que le roy d'Angleterre feroit hommage au roy de France de la duchié d'Acquitaine pour la portion qu'il en tenoit, et que la partie par messire Charles acquise demourroit au roy de France. Et encore de par le roy de France dit fu: Que sé le roy d'Angleterre se sentoit en aucune manière blécié, il venist au palais du roy à Paris, et sur ce, par le jugement des pers de France, tout acomplissement de justice luy seroit fait[407].
VII.
Coment le roy d'Angleterre fist hommage au roy de France à Amiens de la duchié d'Acquitaine et de la conté de Pontieu, si comme faire devait.
Adont fist le roy d'Angleterre hommage au roy de France, en la forme et manière que contenu est[408] en la chartre scellée du seel du roy d'Angleterre dont la teneur s'ensuit:
Cy après s'ensuit la teneur de la chartre scellée que le roy d'Angleterre donna, laquielle contient la manière de l'hommage que le roy d'Angleterre fist à Amiens au roy de France des terres dessus nommées.
«Edouart, par la grace de Dieu, roy d'Angleterre, seigneur d'Irlande et duc d'Acquitaine, à tous ceux qui ces présentes lettres verront ou orront, salut: Savoir faisons que comme nous féissions à Amiens hommage à excellent prince, nostre chier seigneur et cousin Phelippe, roy de France, lors fu dit et requis de par luy que nous recognoissons ledit hommage estre lige; et que nous, en faisant ledit hommage, luy promissions expressément foy et loyauté porter. Laquielle chose nous ne fismes pas lors pour ce que nous n'estions enfourmés né certains que ainsi le déussions faire; si féismes audit roy de France hommage par paroles générales en disant que nous entrions en son hommage par ainsi comme nous et nos prédécesseurs ducs de Guienne estoient jadis entrés en l'hommage des roys de France qui avoient esté pour le temps[409]. Et de puis en cela nous soions bien infourmés et acertainnés de la vérité, recognoissons par ces présentes lettres que ledit hommage que nous féismes à Amiens au roy de France, combien que nous le féismes par paroles générales, fu, est et doit estre entendu lige, et que nous luy devons foy et loyauté porter comme duc d'Acquitaine et per de France, et comme conte de Pontieu et de Monstroille; et luy promettons des ore en avant foy et loyauté porter. Et pour ce que, en temps à venir, de ce ne soit jamais descort né content à faire ledit hommage, nous promettons en bonne foy pour nous et nos successeurs ducs qui seront par le temps, que toutes fois que nous et nos successeurs ducs de Guienne entrerons et entreront en l'hommage du roy de France et de ses successeurs qui seront pour le temps, l'hommage se fera par ceste manière: le roy d'Angleterre, duc de Guienne, tendra ses mains entre les mains du roy de France, et cil qui parlera pour le roy de France adrescera ces paroles au roy d'Angleterre duc de Guienne, et dira ainsi: «Vous devenez homme lige du roy de France mon seigneur qui cy est, comme duc de Guienne et per de France, et luy promettez foy et loyauté porter? Dites voire?» Et ledit roy et duc et ses successeurs ducs de Guienne diront: «Voire.» Et lors le roy de France recevra ledit roy d'Angleterre et duc audit hommage lige à la foy et à la bouche, sauf son droit et l'autrui. De rechief quant ledit roy et duc entrera en l'hommage du roy de France et de ses successeurs roys de France pour la conté de Pontieu et de Monstroille, il mettra ses mains entre les mains du roy de France, et cil qui parlera pour le roy de France adrescera ces paroles audit roy et duc et dira ainsi: «Vous devenez homme lige du roy de France monseigneur qui cy est comme conte de Pontieu et de Monstroille, et luy promettez foy et loyauté porter, dites voire?» Et ledit roy et duc, comme conte de Pontieu et de Monstroille, dira: «Voire.» Et lors le roy de France recevra ledit roy et conte audit hommage lige à la foy et à la bouche, sauf son droit et l'autrui. Et ainsi sera fait et renouvellé toutes les fois que l'hommage se fera. Et de ce baillerons, nous et nos successeurs ducs de Guienne, fais lesdits hommages, lettres patentes scellées de nos grans sceaux, sé le roy de France le requiert. Et avecques ce, nous promettons en bonne foy tenir et garder effectivement les paix et acors fais entre les roys de France et les roys d'Angleterre, ducs de Guienne, et leur prédécesseurs roys d'Angleterre et ducs de Guienne. Et en ceste manière sera fait et seront renouvellées lesdites lettres par lesdis roys et ducs et leur successeurs ducs de Guienne, et contes de Pontieu et de Monstroille, toutes les fois que le roy d'Angleterre duc de Guienne et ses successeurs ducs de Guienne et contes de Pontieu et de Monstroille qui seront pour le temps, entreront en l'hommage du roy de France et de ses successeurs roys de France. En tesmoignance desquielles choses, à cestes nos lettres ouvertes avons fait mectre nostre grant seel. Donné à Etham le trentiesme jour de mars, l'an de grace mil trois cens et trentiesme premier, et de nostre règne quint.»
Quant le roy de France ot reçu du roy d'Angleterre ledit hommage, en la manière que dessus est contenu, lors furent les joustes commenciées moult belles et moult grans, et fu ilecques le roy d'Angleterre moult grandement honnouré. Et après ce que ces choses furent ainsi faites et acomplies, les deux roys pristrent congié l'un à l'autre, et s'en retourna le roy de France à Biauvais, et le roy d'Angleterre s'en retourna tantost en Angleterre.
En ce temps envoia le roy de Chypre solempnieux messages à messire Loys conte de Clermont en luy requérant qu'il luy pleust à luy envoier sa fille[410] pour donner en mariage à son ainsné fils: car ledit roy avoit grant désir que le royaume de Chypre fust ennobli de la semence de France.
En celuy temps, frère Pierre de la Palu de l'ordre des frères Prescheurs et docteur en théologie, lequiel estoit à Avignon, fu fait par le pape patriarche de Jhérusalem.
Item en ce meisme an le roy de France Phelippe envoia en Flandres messire Jehan de Vienne, évesque d'Avranches, avecques pluseurs personnes, et firent abatre de par le roy les portes de Bruges, d'Ypre et de Courtray, et les firent toutes destruire et mettre au bas avecques pluseurs de leur autres forteresses. Laquielle chose nous ne trouvons pas que le roy de France eust fait au temps passé; et fu ainsi faite par le bon conseil du roy, en pourvoiant de remède convenable tant pour soy comme pour ses successeurs contre l'orgueil des Flamens.
Item, le roy d'Escoce Robert, dit de Brus, depuis qu'il ot fait paix et accort aux Anglois, si mourut assez tost après. Et après luy, fu fait David son fils roy d'Escoce.
Item, le second dimenche de juing fu l'évesque de Paris revestu de aournemens pontificaux au parvis de Nostre-Dame et avecques luy d'autres évesques consistans: lesquiels évesques, de l'autorité du pape auxdis évesques commise, escommenièrent publiquement et escomeniés dénoncièrent frère Pierre Ranuche antipape, Loys de Bavière, frère Michiel jadis général des frères Meneurs. Et, avecques ce, aucunes lettres qui avoient esté clouées par avant à pluseurs portes à Paris condempnoient; et, en icelle place, furent mises en un grant feu par la main dudit évesque de Paris.
Item, environ le commencement de juillet, l'an mil trois cens vint-neuf, le patriarche de Jhérusalem et six autres évesques, avecques pluseurs messages du roy de Chypre, menèrent la fille du devant dit conte monseigneur Loys de Clermont pour estre espousée au fils du roy de Chypre, et pristrent congié au pape. Et ainsi se partirent avecques pluseurs pélerins par le port de Marseille, si alèrent à l'isle de Chypre; lesquiels pélerins, à l'aide de Dieu, tendoient à aler en Jhérusalem.
Item, en ce meisme temps, le duc de Bretaigne espousa la seur au conte de Savoie en l'églyse Nostre-Dame de Chartres, le roy de France Phelippe présent. Et fu la messe célébrée par Phelippe, évesque de ladite églyse de Nostre-Dame.
Item, le moys de septembre ensuivant, Milan et pluseurs autres cités d'Italie, lesquielles estoient entredites de par le pape, retournèrent humblement à l'obédience de saincte églyse, en promettant convenable satisfaction. Et se aucuns estoient escommeniés, le pape les absolvoit et ostoit tout l'entredit de ladite terre.
Item, environ la feste saint Clément, Mahaut, contesse d'Artois, retourna de Saint-Germain-en-Laye à Paris. Et puis quant elle ot parlé au roy de certaines besoignes touchant la conté d'Artois, procurant messire Robert d'Artois, son neveu, fils de son frère Phelippe d'Artois, et affermant ladite conté d'Artois, par la succession de son père à luy appartenir par cause de certaines lettres, lesquielles il avoit de nouvel trouvées; jasoit ce que, en la présence du roy de France Phelippe-le-Bel et en la présence dudit Robert d'Artois, en plain parlement à Paris eust esté le contraire jugié, c'est assavoir que ladite conté ne luy appartenoit pas. Adont prist une maladie à ladite Mahaut, dont elle mourut dedens huit jours, et fu enterrée en l'églyse des frères Meneurs à Paris.
Après la mort de ladite Mahaut vint la conté d'Artois à la royne Jehanne de Bourgoigne, jadis femme de Phelippe-le-Lonc, roy de France, et fille de ladite Mahaut.
VIII.
Coment messire Robert d'Artois voult posséder la conté d'Artois par fausses lettres que la damoiselle de Divion avoit fait escrire et sceller.
[411]L'an mil trois cens vint-neuf, commença messire Robert d'Artois le plait contre la devant dite Mahaut, contesse d'Artois, si comme il avoit fait l'an dix-sept, de quoy procès avoit esté fait autre fois. Mais ledit messire Robert maintenoit que les lettres de mariage entre messire Phelippe d'Artois, son père, et madame Blanche de Bretaigne, sa mère, par lesquelles ledit conté luy appartenoit, si comme il disoit, avoient esté par fraude muciées et repostées; si les avoit trouvées. Et assez tost après, assambla ledit messire Robert d'Artois, le conte d'Alençon, le duc de Bretaigne et tout plein d'autres haus hommes de son lignage; et vint au roy Phelippe et luy requist que droit luy fust fait de la conté d'Artois. Tantost le roy fist ajourner la contesse à jour nommé contre ledit messire Robert, à laquielle journée elle vint, et amena avec luy Eudon, le duc de Bourgoigne, et Loys, le conte de Flandres. Là monstra messire Robert unes lettres scellées du scel au conte Robert d'Artois, contenant que, quant le mariage fu fait de monseigneur Phelippe d'Artois père monseigneur Robert, et de madame Blanche fille le conte Pierre de Bretaigne, le conte les mist en la vesteure[412] de la conté d'Artois, si comme il estoit contenu es dites lettres. Quant la contesse vit les lettres, si requist au roy que, pour Dieu, il en voulsist estre saisi, car elle entendoit à proposer à l'encontre. Tantost, fu dit, par arrest, que les lettres demourroient devers le roy; et fu remise une autre journée à laquelle la contesse devoit respondre.
Or vous dirai comment ces lettres vindrent à messire Robert d'Artois. Il avoit une damoiselle gentil-femme qui fu fille le seigneur de Divion de la chastellerie de Béthune. Celle damoiselle s'entremettoit des choses à venir et jugeoit à regarder la phisionomie des gens, et à la fois disoit voir et à la fois mentoit. Elle avoit tant fait, par aucuns des familliers messire Robert d'Artois, que elle emprist une forte chose à faire, si comme vous orrez. Il avoit un bourgois à Arras qui avoit rente à vie sus le conte d'Artois, et en avoit lettres scellées du scel le conte d'Artois. Quant il fu trespassé, la damoiselle fist tant, par devers les hoirs dudit bourgois, que elle eust celles lettres; et puis fist escrire unes lettres de l'envesture monseigneur Robert, si comme vous avez oï; puis, prist le scel de la vieille lettre et le dessevra du parchemin à un chaut fer qui tout propre avoit esté fait, si que l'emprainte du scel demeura toute entière; puis la mist à la lettre nouvelle, et avoit une manière de ciment qui attacha le scel à la lettre, ainsi comme devant; et puis vint à Messire Robert d'Artois, et luy dit que une telle lettre avoit trouvée en sa maison, à Arras, en une vielle armoire. Quant messire Robert vit les lettres, si en fu moult joians, et luy dist que jamais ne luy faudroit, et l'envoia demourer à Paris.
IX.
Coment l'enfant de Pomponne guérissoit pluseurs maladies.
En ce meisme an, en la dyocèse de Paris, en la ville de Pomponne, avoit un enfant de l'aage de huit ans ou environ, lequiel se disoit garir les malades par sa parole simplement; dont il avint que, de diverses parties, les malades venoient à luy. Si avenoit aucunes fois que les uns estoient garis et les autres non; jasoit ce que, en ses fais et en ses dis, n'eust aucune apparence de vérité. Mais quant aucun qui avoit fièvre ou aucune autre maladie venoit à luy, il luy commandoit qu'il mangast viandes contraires à sa santé. Si avint que les sages qui virent sa manière d'aller avant, n'en tindrent conte, et leur sembla que ce n'estoit que vanité et erreur. Si avint après que l'évesque de Paris qui vit bien que ce n'estoit que erreur, manda le père et la mère dudit enfant, et leur commanda qu'il ne souffrissent plus qu'il féist telles choses; et si deffendi ledit évesque à tous ses sougiés, sus paine d'escomméniement, que nul n'allast plus à luy.
Item, en ce temps, messire Guillaume de Meleun, archevesque de Sens, homme humble et à Dieu dévot, mourut, et en une églyse que on appelle le Jars, emprès Meleun, fu enterré très honnorablement. Et fu, après luy, maistre Pierre Rogier, archevesque de Sens, qui par avant estoit évesque d'Arras.
Item, en cel an, Loys de Bavière oï dire que Federic, le duc d'Austrie, estoit mort. Si se translata ledit Loys d'Ytalie en Alemaigne, et dist l'en que, en ice temps, il empétra par devers les nobles de ladite Alemaigne moult grant aide à procurer les drois de l'empire. Mais endementres que ledit Loys de Bavière fu résident en Alemaigne, ledit antipape ne se osoit pas monstrer manifestement, mais s'en aloit en tapinage[413]; et ses cardinaux, et ledit frère Michiel qui avoit esté général des frères Meneurs, par çà et par là, en divers lieux.
En ce meisme temps fu amené à Avignon un frère Meneur qui avoit à nom Véran, de Provence né, pour ce que ledit frère Véran devoit avoir publiquement preschié, si comme l'en disoit, contre la personne du pape. Lequiel frère fu amené devant le pape; mais il ne luy fist oncques révérence; ainsois luy dist qu'il estoit vrai hérite et non pas pape; et pour ceste vérité il debvoit mourir. Lors, luy fu demandé quelle cause le mouvoit de dire telles paroles au pape? Lequiel respondit et s'adressa à la personne du pape et luy dist: «Car tu destruis la povreté de l'évangile, laquielle Jhésucrist enseigna par parole et par exemple.» Pour laquelle parole il fu mis en prison, et avecques luy quinze autres frères Meneurs.
En ce temps, appella le roy Phelippe, en la ville de Paris, tous les prélas du royaume, sur les excès de eux et de leur Officiels[414] corriger. Adonc furent produis moult de cas devant tous contre les prélas, de par le roy et des seigneurs temporeux, lesquiels sembloient moult de près touchier la jurisdiction des prélas; et en y ot grant doubte de pluseurs que le roy ne voulsist mettre son entente à oster la jurisdiction temporelle des églyses. Mais sitost que le roy sceust que l'en parloit de ceste chose et que l'en en murmuroit il leur fist respondre que les drois et les libertés que ses prédécesseurs avoient donnés aux églyses, il n'entendoit pas à en rien oster né amenuisier, ains estoit son entente de les avant acroistre; mais il avoit fait ce conseil assambler pour cause que les excès, tant des officiers du roy comme des prélas, fussent amendés et corrigés.
Item, en celle meisme année, octroia le roy la duchié de Bourbon à messire Loys, conte de Clermont, et fu depuis appellé duc qui par avant estoit nommé seulement le seigneur de Bourbon[415].
Edmont, oncle du roy d'Angleterre Edouart, duquiel nous avons avant parlé, luy affirma que Edouart-le-Viel, son frère, vivoit encore, c'est assavoir le père dudit Edouart, le jeune roy. Et pour ceste cause ne vouloit ledit Edmont obéir audit Edouart, le jeune roy; et avec ce fu ledit Edmont accusé de traïson et, pour ce, fu-il commandé, de par son neveu le jeune roy Edouart, qu'il eust la teste coupée[416].
Item, celle meisme année, le conte Guillaume de Haynaut, lequiel estoit à Clermont en Auvergne, envoia ambassadeurs devers le pape. Mais quant le pape sceut leur venue, elle ne luy plut pas. Si fu apportée, par lesdis ambassadeurs audit Guillaume la volenté du pape: si en ot moult grant despit, et s'en retourna arrières.
X.
Coment l'antipape vint à merci au premier pape, lequiel le reçut bénignement.
ANNÉE 1330 L'an mil trois cens trente, Phelippe, fils du roy de Maillorgues, enfant de très noble ligniée et meismement comme cousin germain du roy de France Phelippe-le-Bel de par sa mère, lequiel estoit moult puissant en richesses mondaines, et avec ce avoit-il très grant quantité de bénéfices en saincte églyse, et des plus nobles et des meilleurs qui fussent au royaume de France; lequel Phelippe fu par telle manière inspiré, que pour l'amour de Jhésucrist il renonça à toutes ses richesses et tous ses bénéfices, et s'en alla en diverses contrées et en divers pays, comme pauvre et en habit de béguin, et demandoit aumosne pour l'amour de Dieu, et ne vivoit d'autre chose. Et si ne vouloit recevoir chose quelle que elle fust de personne vivant, meismement né de son frère né de sa suer, se ce n'estoit en regart de pitié et par titre d'aumosne.
Item, en Lombardie, les gens du cardinal Poget, lequiel estoit légat, se combattirent contre les Guibelins; et furent les gens dudit cardinal tués en partie, et partie pris; et fu ladite bataille faite au moys de juing l'an mil trois cens trente.
Item, environ la mi-juing, la royne de France, suer au duc de Bourgoigne et femme du roy Phelippe, luy ot un enfant, lequiel ot à nom Loys. Et pour ceste cause l'en disoit que ledit roy Phelippe se parti et ala à saint Loys de Marseille, son oncle de par la mère. Mais nonobstant ledit voiage, l'enfant, au quinziesme jour de sa nativité, trespassa et fu enterré en l'églyse des frères Meneurs à Paris; mais au retour que le roy fist de Marseille il s'en retourna par Avignon, et là visita le pape moult humblement et dévotement, lequiel roy fu receu du pape honnestement; si le fist disner avecques luy, et furent moult familièrement ensemble; et puis, prist le roy congié et s'en retourna en France.
Item, le secont dimenche d'aoust l'an dessus dit, les procès fais encontre Loys de Bavière et l'antipape et leur complices, lesquiels procès avoient esté autrefois publiés à Paris, de rechief de l'auctorité du pape furent répétés.
Item, en ce meisme moys, c'est assavoir le vint-huitiesme jour, l'antipape entra en Avignon, en habit séculier, pour la paour du peuple; car il ne se osoit pas bonnement manifester né soy monstrer en son habit. Mais le jour ensuivant il monta sus un lettrin[417], afin qu'il peust estre veu de tous clèrement; et estoit vestu en habit de frère Meneur; lequiel fu pris premièrement et présenté au pape et aux cardinals, en consistoire. Lequel[418] de rechief monta sus un lettrin et prist un theume et dist: «Père, j'ai péchié au ciel et devant toy.» Et puis dit-il encore, «j'ai erré si comme une beste esgarée. Père, requiers ton sergent.» Et disoit moult de belles paroles de l'escripture, et jugoit qu'il n'estoit pas digne de pardon avoir; mais il venoit au genou de saincte églyse très humblement et requiéroit de ses péchiés pardon. Quant il ot dit tout ce qu'il vouloit, il descendi du lettrin, et lors le saint Père luy prist partie de son premier theume, c'est assavoir: «Requiers ton sergent;» et prescha le pape des erreurs et vanités où il avoit esté, et puis le pape lui dist ces paroles: «L'ouaille esgarée ne doit pas aux loups estre livrée, mais diligemment estre requise, et, elle requise et retrouvée, sus ses espaules estre mise et avecques les autres ouailles estre remise.» Quant le pape ot ces paroles finées, l'antipape s'ala jeter aux piés du pape, un lien au col. Lors le pape luy osta le lien du col, et le reçu à trois baisiers, c'est assavoir au baisier du pié, de la main et de la bouche, dont pluseurs furent moult esbahis; et après ce, le pape commença Te Deum laudamus, et rendirent graces à Dieu le pape et les cardinaux, et tout le peuple qui là estoit; et y ot grant solempnité de messes, laquielle solempnité de messes le pape commanda par toute saincte églyse estre faite. Adont, le pape commanda que l'antipape fust mis en une chambre, emprès la maison de son chambellant, jusques à tant qu'il eust eu plus amplement délibération qu'il pourroit faire de luy.
Item, environ le quinziesme jour de septembre, le roy d'Espaigne et le roy d'Arragon se combattirent contre les Sarrasins. Mais, par la grace de Dieu, les crestiens orent victoire, et y ot pluseurs Sarrasins pris, et y ot de mors six mille de cheval, et environ dix mille à pié.
Item, le premier jour de novembre, en tout le royaume, à une heure, c'est assavoir à heure de tierce, tous les frères de l'hospital de Haut-Pas et tous leur biens furent pris du mandement du Saint-Père; car il abusoient des pardons que l'en leur avoit donnés et mettoient plus à leur bulles qu'il n'estoit contenu ès bulles que l'en leur avoit données par les papes. Et pour ce, furent-il mis en diverses prisons sous les évesques ès quelles dyocèses il habitoient.
Item, en celle meisme année, environ la feste de monseigneur saint Denys, y vint une très fort gelée, laquielle engela en telle manière les vignes par tout le royaume de France que elle ne porent oncques venir à meurté; et furent celle année les vins très mauvais et si en fu pou.
Item, le moys de novembre et au commencement du moys de décembre furent ainsi comme continuellement très grans vens, et les iaues des fleuves furent très grans pour l'innondacion des iaues des pluies.
Item, la veille de monseigneur saint Andrieu, apostre, à Londres en Angleterre, monseigneur Rogier de Mortemer chevalier, duquel et pour lequel Ysabel royne d'Angleterre avoit esté moult grandement diffamée de pluseurs, et la cause fu car[419] elle monstroit audit chevalier, messire Rogier, devant tous trop grant familiarité; et avecques ce ledit chevalier fu convaincu de conspiracion par luy faite contre le royaume d'Angleterre et contre le roy, et du consentement de la royne d'Angleterre, si comme pluseurs le disoient; lequiel chevalier, pour les causes dessus dites, fu detraint à queues de chevaux, et confessa qu'il avoit procuré la mort d'Edouart, c'est assavoir du père dudit Edouart, jeune roy d'Angleterre, et pour ce fu-il pendu. Et le fils dudit chevalier, messire Rogier, demoura en prison jusques à tant que le roy et les barons d'Angleterre eussent plus plainement ordené qu'il feroient dudit fils; et la royne, du commandement de son fils, le jeune roy d'Angleterre et des barons, fu mise sous certaine garde en un chastel.
Item, le quatriesme jour de janvier, l'an dessus dit, le pape oï dire que Loys de Bavière avoit fait une grande convocacion en Alemaigne d'aucuns nobles barons; et encore avoit-il en propos de en faire une autre après la Chandeleur ensuivant. Pour ce l'amonesta le pape de non faire ladite convocation, et tous autres de non estre; et sé il faisoient le contraire, il encourroient la sentence d'escomméniement de par le pape donnée.
Item, environ ce temps, mourut l'archevesque de Rouen auquiel succéda Pierre Rogier, archevesque de Sens.
En ce temps, envoia le pape Jehan la dignité de l'éveschié de Noion adoncques vacant, à messire Guillaume de Sainte-Maure de la dyocèse de Tournay, chancelier du roy, lequel ne la voult accepter; et adoncques la donna-il au frère de messire Guillaume, Bertran, né de Normendie.
Item, en ce temps, comme les Anglois fussent assamblés au chastel de Xaintes en Poitou, et sembloit qu'il s'appareillassent à bataillier, et par semblant apparust entre le roy de France et le roy d'Angleterre matière notable de dissencion et de bataille, lors le roy de France envoia son frère Charles, conte d'Alençon, avecques très grant ost, lequel quant il vint par delà, près du chastiau très fort devant nommé[420], auquiel les Anglois avoient leur deffence et leur seurté, ledit messire Charles le destruit et le rasa tout par terre; jasoit que aucuns dient qu'il n'avoit pas commandement du roy de abatre ledit chastel. Et assez tost après, ledit roy d'Angleterre entra en France et fu paix accordée entre les deux roys et furent amis ensamble[421].
Item, depuis environ le commencement de décembre qu'il avoit fait si grant innondacion de pluies jusques au commencement de mars, avint que depuis ledit moys de mars jusques à grant pièce de temps après, il fist si grant sécheresse que l'en ne povoit labourer les terres; et en demoura grant quantité sans estre labourées.
Item, en ce meisme an, le roy de Boesme entra en Ytalie; et quant les Ytaliens Guibelins le virent, il sceurent qu'il estoit fils de Henri l'empereur dernièrement mort. Il le reçurent à très grant joie et à très grant honneur, et se commencièrent à soustraire du devant dit Loys de Bavière et de sa seigneurie; et se sousmistrent lesdis Ytaliens de tous poins, avec pluseurs de leur cités, audit roy de Boesme. Et depuis lors commença moult la fortune dudit Bavière à décroistre et ne parloit-on mais pou ou noient de luy.
Item, en ce temps, moult de nobles princes, barons et autres chevaliers s'appareilloient pour aler en Garnate[422] en l'aide des chrestiens; et toute voie, jasoit ce qu'il fussent meus de grant dévocion et de l'amour de la foy, furent-il défraudés; car le roy d'Espaigne avoit donné triève aux Sarrasins dont pluseurs disoient que ledit roy d'Espaigne avoit esté corrompu par argent, et pour ce avoit-il donné lesdites trièves aux Sarrasins.
XI.
Coment sentence fu donnée contre messire Robert d'Artois, de[423] la conté d'Artois; et coment la damoiseille de Divion fu arse; et coment ledit Robert fu appellé à droit, pour soy purger des crimes devant dis.
ANNÉE 1331 L'an mil trois cens trente et un, fu sentence donnée en parlement à Paris pour le duc de Bourgoigne, pour la conté d'Artois, contre messire Robert d'Artois, conte de Biaumont en Normendie. (Car la contesse d'Artois devant dite qui estoit moult sage, fist tant que elle ot le clerc qui avoit escrit les lettres, et le mena par devers le roy; et cognut que la damoiselle de Divion luy avoit fait escrire unes lettres, environ avoit un an. Puis luy furent monstrées et recognut qu'il les avoit escrites de sa main. Puis manda le roy messire Robert d'Artois et luy dist qu'il estoit enformé que la lettre n'estoit pas vraie et qu'il se déportast de la demande qu'il faisoit de la conté d'Artois. Et il respondi que sé aucun vouloit dire que elle ne fust bonne, il l'en vouldroit combatre et que jà ne se déporteroit de la demande. Pourquoy le roy se courrouça si à luy, que à la journée il fist porter les lettres en présence du parlement et les fist descrier, et fist prendre la damoiselle de Divion et fist mettre en prison en chastellet à Paris; et fu messire Robert d'Artois débouté de la conté d'Artois, comme devant est dit. Dont il dist si grosses paroles du roy et de la royne que le roy le fist appeller à ses dis; mais il ne daigna oncques aler né luy excuser). Lors fist le roy mettre la dite damoiselle de Divion, laquelle estoit en chastellet, en gehenne, laquelle confessa tout le fait, tel comme devant est escript, et si dist pluseurs choses. Assez tost après fu pris un autre qui estoit confesseur dudit messire Robert d'Artois; et en après envoia le roy certains messages pour quérir l'abbé de Vezelai, lequiel estoit souppeçonné de celle mauvaistié et de pluseurs autres mauvaistiés; mais quant il sot que l'en le faisoit quérir il se départi et s'en fui; et ainsi se sauva. Quant Robert d'Artois vit coment les choses aloient, si se départi moult confusément.
Item, les Bourguignons d'outre Saone, c'est assavoir de la conté de Bourgoigne[424], se rebellèrent contre le duc de Bourgoigne et ne luy vouldrent faire hommage; non obstant que ladite conté luy fust deue, à la cause de sa femme. Si avint que, d'une part et d'autre, l'en se ordena en bataille, et il y ot moult grant convocacion de nobles hommes et puissans. Si avint, quant le roy sot ceste chose, il les fist mettre à raison tant d'une part comme d'autre, et vindrent les nobles et les autres aimablement, et firent hommage audit duc, et le menèrent, luy et sa femme, par les cités et chastiaux, et leur tindrent compaignie comme à leur seigneur.
Item, assez tost après, le conte de Foix prist sa mère laquielle estoit suer de Robert d'Artois, et la fist mettre en un sien chastiau[425] prison, pour la cause qu'elle vivoit trop jolivement de son corps, à sa grant confusion et vilanie de son lignage.
Item, au moys de septembre, il fist si grant innondacions de pluies en Ytalie, en Arragon et en Provence, que par leur force il abattirent moult de villes et de chastiaux; et toutes voies en France il n'avint riens de ces innondacions, mais l'yver ensuivant fu moult pluvieux en France.
Item, environ le mi-moys de septembre de l'an mil trois cens trente et un, la damoiselle dessus dite qui avoit plaquié le scel ès lettres de messire Robert d'Artois, en faisant fausseté, fu arse en la place aux Pourciaux, à Paris; et recognut moult d'autres mauvaistiés. (Quant messire Robert d'Artois vit par quelle manière les choses aloient, si se doubta, et fu moult courroucié de ce que le roy procédoit par telle manière contre luy. Si dust dire ces paroles: «Par moy a esté roy et par moy en sera demis, sé je puis.» Et lors fist mener tous ses destriers qu'il avoit biaux et nobles, et son trésor qu'il avoit moult grant, à Bourdiaux sus Gironde, et là fist tout mettre en mer et mener en Angleterre.) Et depuis se retraist ledit messire Robert vers son cousin le duc de Breban[426], qui le reçut en son pays, et le mit une pièce de temps avec luy. Tantost que le roy ot oï ces nouvelles, il fist mettre en sa main la terre dudit messire Robert, et luy manda par certains messages qu'il comparust devant luy et devant les pers personnellement, à certain jour, pour soy deffendre des crismes qui luy estoient mis sus.
[427]Or, vous dirai coment il se parti de la compaignie au duc de Breban. Il avint que le conte de Hainaut avoit ses filles mariées l'une au roy d'Alemaigne et l'autre au roy d'Angleterre, l'autre au conte de Juillers, et la quarte, qui estoit la plus jeune, estoit créantée à l'ainsné fils du duc de Breban.
Quant le roy de France vit que le conte de Hainaut estoit si fort de tous costés qu'il avoit Alemaigne toute à sa partie, et que sé le roy d'Angleterre le vouloit mouvoir contre la couronne de France, trop seroit fort pour ses alliances: car ledit roy d'Angleterre avoit espousée la fille dudit conte de Hainaut; pour ce manda le roy de Behaigne, le conte de Guelre, le duc de Breban, l'évesque de Liège et messire Jehan de Hainaut, que tous fussent à luy à Compiègne. Ilecques s'alia avecques eux et pristrent grant foison de gens d'armes; et puis se départirent tous, fors le duc de Breban auquiel l'en monstra que trop seroit son fils bas marié à la fille le conte de Hainaut, et trop plus grant honneur seroit que il préist la fille au roy de France. Tantost le duc s'i accorda, et fu despécié le mariage de la fille au conte de Hainaut et du fils au duc de Breban. Et assez tost après fu ordenée une moult grant feste à Paris, à laquielle le duc de Breban envoia son fils et espousa la fille du roy. Et fu ilecques le duc de Normendie; fils du roy de France, fait chevalier. Pourquoy le conte de Hainau fu si courroucié, que oncques puis il ne fina de contrarier à la couronne de France. Et fist tant le roy de France au duc de Breban qu'il luy enconvencionna qu'il feroit vuidier messire Robert d'Artois hors de sa terre et de son pays. Adoncques ala messire Robert d'Artois au chastiau de Namur, et adonc prist le conte de Guelre la suer au roy d'Angleterre.
Item, le premier dimenche de l'avent, le pape dut preschier publiquement, en Avignon, que les ames de ceux qui trespassent en grace ne voient pas la divine essence né ne sont parfaitement béneurées, jusques à la résurection des corps; dont pluseurs qui oïrent ces paroles et celle opinion furent moult escandalisiés. Toutes voies l'en doit croire que le pape disoit ces paroles selon son opinion, et non mie fermement, car ce seroit hérésie; et quiconque vouldroit celle chose affermer, l'en le devroit jugier pour mescréant et pour hérite.
Item, en ce meisme temps, le confesseur de messire Robert d'Artois qui estoit prisonnier, fu appelé en la présence d'aucuns du conseil du roy, et luy fu demandé quelle chose et quoy il povoit savoir des fausses lettres dessus dites. Lequiel respondoit et disoit qu'il n'en savoit riens fors en confession, né il ne le povoit bonnement révéler sans péril de conscience. Mais à l'énortement de maistre Pierre de la Palu, patriarche de Jhérusalem, avecques autres maistres en théologie et aucuns secrétaires du roy, lesquiels se consentoient et disoient qu'il le povoit bien révéler selon ce que l'en dit,—mais c'est doubte grant,—si le révéla, et le confesseur fu arrière mis en prison. Mais ce qu'il devint à la fin le commun ne le sceut.
Item, en ce meisme an, le quinziesme jour de décembre, il fu esclipse de lune très grant un pou après mienuit, et demoura par trois heures et plus. Mais pour ce que elle fu à celle heure, pluseurs ne la virent pas.
Item, en ce meisme an, l'an mil trois cens trente et un, le roy tenant le siège de juge au Louvre, et avec luy pluseurs barons et prélas, messire Robert d'Artois devant dit, lequiel avoit esté la tierce fois appellé à certain jour à respondre aux articles que l'en avoit proposés contre luy, ne s'i comparut point si comme il devoit: mais envoia un abbé de l'ordre de Saint-Benoist et avec luy pluseurs chevaliers, lesquiels n'avoient point de procuracion, mais estoient venus pour prier au roy et aux barons du royaume que l'en luy voulsist ottroier jusques à la quarte dilacion, en promettant que à ycelle il viendroit personnellement, et, de tout ce que l'en luy avoit mis sus il se purgeroit bonnement. Et après ce qu'il orent ainsi fait le message, le roy de Behaigne et Jehan l'ainsné fils du roy de France et duc de Normendie, avec moult d'autres barons, s'agenouillèrent devant le roy et luy demandèrent qu'il luy pleust à ottroier audit messire Robert jusques à la quarte dilacion et que ses biens ne fussent pas confisqués durant ledit terme. Laquielle requeste le roy ottroia de grace espéciale jusques au moys de mai. (Et lors vint une damoiselle, laquelle dit, en la présence du roy, que la femme messire Robert d'Artois, laquielle estoit suer du roy[428] de France, estoit plus coupable que son mari.)
Item, en ce meisme an, frère Pierre de la Palu, patriarche de Jhérusalem, si retourna du soudan auquiel il avoit esté envoié, et commença à conter l'obstinacion du soudan contre les chrestiens, et esmeut par telle manière le cuer et la volenté du roy et des barons qu'il furent tous d'un acort d'aler Oultre-mer pour recouvrer la Saincte Terre. Quant le pape oï ces choses, à la requeste du roy il manda et commist au patriarche et à tous prélas que en leur lieux il preschassent la croix et féissent preschier, et qu'il amonestassent ceux qui estoient croisiés qu'il s'appareillassent le plus tost qu'il pourroient bonnement pour passer.
Item, en ce meisme an, le roy Phelippe mist la monnoie qui avoit esté moult muable en meilleur estat, et ordena que le petit flourin ne vauldroit que dix sols parisis, et les autres monnoies d'or selon leur prix; le gros tournois d'argent, neuf deniers parisis, et le petit denier, qui valoit deux deniers, ne valust que un denier, et ainsi marchandise de toutes choses qui estoit moult chière revint à raison.
XII.
Coment messire Robert d'Artois fu bani, et du mariage Jehan, ainsné fils du roy de France et duc de Normendie.
ANNÉES 1332/1333/1334 L'an de grace mil trois cens trente-deux, Robert d'Artois fu bani du royaume de France par les barons, et furent tous ses biens confisqués au roy. Mais encore et aux prières d'aucuns grans seigneurs, voult le roy que les solempnés bannissemens fussent différés jusques au moys d'après Pasques; et aussi, se il venoit dedens le terme et qu'il se méist à la volenté du roy, du tout le roy luy feroit telle grace qui luy sembleroit à estre convenable; et s'il ne venoit, le bannissement seroit exécuté tout entièrement. Quant le roy vit que le terme qu'il avoit donné gracieusement au devant dudit Robert d'Artois fu passé, et il n'ot envoié né contremandé, si comme l'en l'avoit promis au roy en la présence des barons, si commanda qu'il fu bani à trompes par tous les principaux quarrefours de Paris. Et avec ce avoit certaines personnes qui crioient en audience toutes les causes pour lesquielles ledit messire Robert estoit bani. Et fu fait ledit bannissement le trentiesme jour de may, l'an dessus dit.
Item, en ce meisme temps, le roy Phelippe fist les noces à Meleun de Jehan, son ainsné fils, nouvel duc de Normendie, et de madame Bonne, fille de Jehan, roy de Boesme, lequiel roy avoit esté fils de l'empereur Henri. Et depuis fist le roy son dit fils chevalier en la ville de Paris[429], en la feste de saint Michiel l'archange, présens le roy de Boesme, le roy de Navarre, le duc de Bourgoigne, le duc de Bretaigne, le duc de Lorraine, le duc de Breban, avecques moult d'autres barons tant, que l'on ne sauroit pas bien dire le nombre. Ce meisme jour, tous présens et en celle meisme feste fu fait le mariage de l'ainsné fils au duc de Breban à madame Marie, fille du roy de France, et l'espousa celle meisme journée.
(Item, le vendredi après ladite feste de saint Michiel, en la présence des princes devant nommés et aucuns prélas, avecques moult d'autres nobles en la chapelle du roy à Paris assemblés, le roy fist proposer en appert qu'il entendoit à passer la mer pour porter aide à la Saincte Terre conquerre. Et estoit son entente de bailler Jehan, son ainsné fils, garde du royaume, lequiel avoit environ quatorze ans. Et lors pria à tous ceux qui là estaient, et espécialement aux nobles et aux prélas, qu'il jurassent aux saintes reliques qui estoient en la chapelle du palais, là où il estoient assemblés, qu'il porteraient obédience à son dit fils, comme à leur seigneur et hoir; et s'il avenoit que ledit roy trespassast en voiage, il le coronneroient au plus tost qu'il pourraient bonnement en roy de France.)
L'an de grace mil trois cens trente-trois, après la feste de saint Michiel, fist le roy, à Paris au Pré-aux-Clercs, au peuple, par l'archevesque de Rouen, sermon pour prendre la croix, et la prist ledit roy le premier et grant quantité de nobles et d'autres avec luy. Et fu ordené que la croix fu preschiée par tout son royaume, et que tous ceux qui avoient pris la croix fussent tous près, du moys d'aoust passé en trois ans, pour passer. (Et puis envoia, par les bonnes villes du royaume, amonester de prendre la croix, mais pou se croisièrent, au regart que l'en cuidoit et moult se doubtoit-l'en de ce dont autrefois avoient esté eschaudés, c'est assavoir que les sermons qui estoient fais au nom de la croix ne fussent fais pour avoir argent. Et envoia le roy de France en Angleterre le conte Raoul d'Eu, qui estoit connestable de France, et l'évesque de Biauvès. Quant il vindrent en Angleterre, si vindrent devant le roy et luy requistrent, de par le roy de France, qu'il voulsist emprendre à faire le saint voiage avec luy, et il luy promettent de faire loyal compaignie. Quant le roy d'Angleterre oï ceste chose, si respondit que moult sambloit grant merveille de faire le saint voiage s'il ne luy tenoit les convenances qui furent acordées à Amiens en quoy il estoit défaillant par devers luy: «Si dirois à vostre Seigneur que quant il m'aura fait mes convenances, je serai plus prest d'aler au saint voiage qu'il ne sera.» Tantost pristrent congié et vindrent en France et distrent au roy leur response.)
Item, en ce meisme an, l'endemain de l'Ascension Nostre-Seigneur, il fu une grande éclipse de souleil, après midi, et dura pour l'espace de deux heures.
Item, en ce meisme temps, comme la prédicacion que le pape Jehan avoit faite à Avignon de la vision benoite, comme dessus est de visée, fu aussi comme mise au noient par semblant, et la tenoient aucuns, par la faveur du pape, estre vraie et pluseurs par paour, si avint que un frère Prescheur prescha contre l'opinion du pape, en tenant vérité. Mais quant le pape le sceut, il fist mettre ledit frère en prison. Adoncques furent envoiés de par le pape, à Paris, deux frères, l'un Meneur et l'autre Prescheur. Si vint le Meneur en pleines escoles, et commença à preschier déterminéement que les ames béneurées, devant né après le jour du jugement, ne voient pas Dieu face à face, dont très grant murmure sourdi entre les escoliers qui là estoient. Lors, tous les maistres en théologie qui estoient à Paris jugèrent ceste opinion estre fausse et plaine de hérésie. Quant le frère Prescheur ot oï que pour la cause que ledit frère Meneur avoit déterminéement preschié de la benoicte vision grant esclandre estoit meu entre les escoliers de Paris, tantost il s'ordena pour aler à Avignon parler au pape; mais avant qu'il partist, il dit en plein sermon, en excusant le pape, que il n'avoit pas dit tout pour vérité, mais selon son cuidier. Si vindrent ces nouvelles aux oreilles du roy, et le frère Meneur qui avoit preschié comme devant est dit, sceut que le roy estoit mal content de lui. Lors ledit frère ala par devers le roy, et désiroit moult de soy excuser; mais le roy voult qu'il parlast devant les clercs. Adoncques manda le roy que l'en luy féist venir dix maistres en théologie, entre lesquels il y ot quatre Meneurs, et lors leur demanda le roy, en la présence dudit frère Meneur, qu'il leur sembloit de sa doctrine, laquielle il avoit semée de nouvel à Paris? lesquiels maistres respondirent tous ensamble que elle estoit fausse et mauvaise et toute plaine de hérésie; mais pour chose que l'en dist ou monstrast audit frère Meneur, il ne voult oncques muer de son propos né de son opinion. Mais assez tost après fist le roy assembler au bois de Vincennes tous les maistres en théologie, tous les prélas et tous abbés qui porent estre à Paris trouvés; et lors fu appellé le devant dit frère Meneur, et luy fist le roy deux demandes en françois: la première demande fu assavoir mon sé les ames des saints voient présentement la face de Dieu; et l'autre demande fu assavoir mon sé celle vision qu'il voient maintenant faudra au jour du jugement. Lors fu respondu par les maistres et affirmèrent la première estre vraie, et quant à la seconde doublement, car elle demourra perpétuellement et si sera plus parfaite. Adonc le devant dit frère Meneur, ainsi comme par contraincte, s'i consenti. Après ce, le roy requist que de ces choses l'en féist lettres. Lors furent faites trois paires de lettres contenant une meisme forme et furent scellées chascunes par soy de vint-neuf scels des maistres qui adoncques estoient présens. Desquielles l'une fu envoiée de par le roy au pape et luy mandoit qu'il approuvoit plus la sentence des théologiens de la benoicte vision et à bonne cause qu'il ne faisoit celle des juris qu'il corrigast ceux qui soustenoient le contraire, et ainsi il feroit ce qu'il devoit.
Item, depuis avint que Robert de Brus, qui avoit esté roy d'Escoce, très excellent chevalier, si comme nous avons dit par avant, lequiel estoit n'avoit guères trespassé et estoit son jeune fils David son successeur au royaume d'Escoce; si avint que Edouart de Bailleul, qui voult oster ce royaume au jeune David, vint au roy d'Angleterre, comme au souverain si comme il disoit, et meismement en ce cas disant que à luy[430] appartenoit le royaume d'Escoce et non mie à David, enfant de douze ans, car il estoit fils du roy Alexandre d'Escoce[431], et David estoit de Robert de Brus, roy d'Escoce, dernier trespassé; pourquoy il requéroit au roy d'Angleterre qu'il le voulsist recevoir en son hommage: lequiel le reçut en enfraignant les aliances et convenances qu'il avoit faites avecques Robert de Brus, tant comme il vivoit. Et assez tost après, il s'arma contre les Escos, afin de mettre ledit Edouart de Bailleul en saisine du royaume d'Escoce. Adonc les Escos, qui moult convoitoient à eux deffendre contre les Anglois, issirent à bataille contre eux, mais finablement les Escos furent desconfis: les uns furent pris et les autres furent mors. Et si fu prise la cité de Bervic par traïson, si comme pluseurs le racontèrent après. Quant le roy de France Phelippe sceut que le roy d'Angleterre alloit sur les Escos, si fist tantost chargier dix nefs de gens d'armes et de vivres bien garnies pour envoier en l'ayde des Escos; mais le vent leur vint si au contraire, qu'il ne porent oncques arriver à port convenable, ains les arriva le vent au port de l'Escluse, en Flandres; ilecques furent les choses honteusement et confusément vendues et despensées, et ne vindrent ainsi comme à nul profist.
Item, en ce meisme an, fu si très grant plenté de vin, que l'en avoit un sextier de vin cler, bon, net et sain, pour cinq et six deniers.
Item, en ce meisme temps, le dauphin de Vienne qui avoit asségié un chastel, lequiel estoit au conte de Savoie, et avoit laissié son ost pour aler explorer ce chastel, lequiel dauphin fu aperçu et fu féru d'un arbalestrier par telle manière qu'il ne vesqui, puis le cop, que par l'espace de deux jours, et laissa à son frère la seigneurie de Dauphiné, car il n'avoit pas de hoir masle de son propre corps.
L'an mil trois cens trente-quatre, ceux de Bologne se rebellèrent contre un légat envoié de par le pape pour sousmettre les Guibelins, et firent tant qu'il chacièrent ledit légat, et s'en fu hors du pays; et tuèrent pluseurs de ses gens. Et avoit fait faire ledit légat un fort chastel dehors les murs, lequiel il tresbuchièrent et abattirent jusques à terre.
Item, en ce meisme temps, vint une grande matière de guerre entre le duc de Breban et le conte de Flandres pour aucunes redevances, lesquielles l'évesque de Liége se disoit avoir en la ville de Malines en Breban, lesquielles redevances le conte de Flandres avoit frauduleusement achettées dudit évesque, afin qu'il peust avoir dissencion, selon ce que pluseurs le disoient et affirmoient. Si avint que les deux parties commencèrent à faire moult grant semonces l'un contre l'autre. Le roy de Boesme, l'évesque de Liége, le conte de Hainau et Jehan de Hainau, frère audit conte, le conte de Guéries et pluseurs grans personnes d'Alemaigne, tous lesquiels estoient de la partie au conte de Flandres; et pour l'autre partie estoient le roy de Navarre, le conte d'Alençon, frère du roy de France, le conte de Bar, le conte d'Estampes, lesquiels estoient pour le duc de Breban; et le roy de France estoit médiateur d'une partie comme d'autre: lequiel, par la grace de Dieu et par la grant diligence qu'il y mist et par les conseils de preudes hommes, les mist à acort.
[432]Item, en cel an, avoit envoié le roy de France par devers le roy d'Angleterre, en message, messire Raymon Saquet, évesque de Therouene, et messire Ferri de Piquegni; mais oncques ne porent besoigner au roy d'Angleterre, ains s'en partirent sans riens faire.
Item, en cel an meisme, avoit un baron en Escoce que on appelloit Marcueil-le-Flament, qui gardoit un chastel en Escoce lequiel estoit le plus fort de toute la terre, et gardoit ilec le jeune roy David et madame sa femme. Quant il vit que la terre d'Escoce estoit destruite pour la greigneur partie par les barons qui mors estoient, si fist appareillier une belle nef et la fist garnir de tout ce que mestier fu, et puis y entrèrent le jeune roy et la royne, et avecques eux aucuns nobles hommes d'Escoce qui leur tenoient compaignie; entre lesquiels il y ot un escuier de noble affaire, lequiel avoit à nom Aufroy de Trycpatric, lequiel depuis se rendit à Saint-Denis en France avec tous ses biens, et gist en parlouer de ladite églyse, dessous le trésor, bien et honnestement. Et quant la nef fu preste, si regardèrent que le vent leur estoit propice, si continuèrent à nagier; et tant nagièrent qu'il arrivèrent en Normendie, et puis alèrent au roy de France qui moult débonnairement les reçut, et puis leur fist délivrer Chasteau-Gaillart, et ilec demourèrent, et leur fist livrer le roy tout quanques mestier leur fu, de bon cuer.
Item, en ce meisme an, le roy de France Phelippe ordena une maison de religion, laquielle est appellée le Moncel, emprès le Pont-Sainte-Maissance; et estoit escheue ladite maison au roy par forfaiture. En laquielle il ordena femmes à Dieu servir perpétuellement selon la rieule saint François.
Item, en ce temps, la femme messire Robert d'Artois, suer du roy de France, fu souppeçonnée et ses fils aussi, d'aucuns voults[433] qui avoient esté fais, si comme l'en disoit; et pour ceste cause, elle fu mise en prison au chastel de Chinon en Poitou, et ses enfans furent menés en Nemous, en Gatinois, et là furent en prison.
Item, en cel an, il fu grant habondance de vins; mais il ne furent pas si fors né si meurs comme il avoient esté en l'an devant.