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Les historiettes de Tallemant des Réaux, tome cinquième: Mémoires pour servir à l'histoire du XVIIe siècle

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MADAME DE CHEZELLE ET SA MÈRE,
MADAME BOISTE,
ET SA TANTE MADEMOISELLE GERVAISE.

Madame de Chezelle s'appelle aujourd'hui madame de Bournonville; elle est fille d'une madame Boiste dont nous parlerons ensuite. Cette madame Boiste avoit une sœur qu'on appeloit mademoiselle Gervaise; c'étoit son aînée: nous commencerons par elle.

Mademoiselle Gervaise était fort jolie en sa jeunesse et n'enfouissoit point le talent, car elle se servoit admirablement bien de sa beauté. J'en sais une chose plaisante. Elle étoit allée à la campagne avec Tallemant, le père du maître des requêtes; elle étoit parente de cet homme: ils couchèrent en même lit pour ne pas tant salir de draps. Le lendemain d'assez bon matin, comme on vint dire que le mari étoit en bas, un laquais entra tout doucement dans la chambre et ôta les mules de la demoiselle; de sorte que, ne sachant pas trop ce qu'elle faisoit dans une telle surprise, elle s'en alla avec les mules du galant. Le laquais, dès qu'elle fut partie, remit celles de la demoiselle sous le lit de son maître. Le mari monte et se met à causer avec lui; en parlant il reconnoît les mules de sa femme; cela le trouble, il répondoit au carré [112]. Enfin Tallemant se voulut lever; mais on ne trouva jamais que les mules de la galande au lieu des siennes. Cela pensa faire du désordre; mais le mari étoit bonhomme, et il se laissa persuader que, toutes les mules ayant été crottées la veille, en passant dans une ornière, et qu'après qu'ils furent couchés, les laquais les ayant emportées en bas pour les nettoyer, elles s'étoient brouillées en les rapportant.

Sa sœur Boiste ne s'est pas mieux gouvernée qu'elle, mais elle a eu plus de conduite. Ce M. Le Lièvre, que madame de Créqui vouloit épouser à cause qu'il étoit fort riche, y a assez dépensé: elle fut veuve de fort bonne heure, et n'avoit qu'une fille. Son mari étoit conseiller à la Cour des Aides, et son père, conseiller au grand Conseil, nommé Vérigny. Cette fille étoit fort jolie, mais un peu diablesse. Dans un couvent où elle la mit en pension, elle faisoit semblant de voir des esprits, faisoit tenir toutes les religieuses en prière, leur faisoit peur, pissoit dans le benestier [113], et, pour comble de méchanceté, mit une fois le feu au cloître. Elles furent contraintes de la rendre à sa mère; mais sa mère n'en vint guère mieux à bout, car quand cette enragée vouloit avoir quelque chose, elle montoit sur le bord d'un puits et menaçoit de se jeter dedans. Quand elle fut grande, elle fit d'autres folies; car un beau jour la mère s'aperçut qu'elle étoit grosse (on a cru que c'étoit du fait d'un conseiller, nommé Saint-Germain-Le-Roi). Madame Boiste ne fut pas mal habile; elle trouva à qui donner la vache et le veau. Il y avoit une bonne dame nommée madame de Chezelle, femme d'un vieux cocu de conseiller de la Cour des Aides, et si abandonnée que, pour se venger d'un homme, elle prit une fois du mal tout exprès pour le lui communiquer: elle avoit un fils, un jeune innocent, qu'elle maria avec cette mademoiselle Boiste. Ce garçon étoit si jeune que sa mère ne voulut pas qu'il consommât le mariage. Le bien avoit tenté cette femme. On demanda à madame Boiste à quoi elle avoit songé de donner sa fille à un enfant. «En l'état où elle étoit, répondit-elle, je l'eusse donnée à un crocheteur.» La nouvelle mariée fit une malice terrible à ce pauvre idiot; elle fit venir un arracheur de dents, et à force d'argent l'obligea à arracher quatre ou cinq bonnes dents à cet innocent, avec une qu'il avoit de gâtée, en lui faisant accroire que les autres l'étoient aussi, et qu'elle ne le pouvoit plus souffrir, tant il sentoit mauvais.

Champlâtreux la cajola, et on dit que madame de Nucé surprit une servante qui alloit acheter des œufs pour le galant qui devoit coucher avec elle. Il ne put si bien faire qu'il ne fût aperçu en se retirant. J'ai dit coucher, car la belle-mère empêchoit, tant qu'elle pouvoit, que son fils ne joignît sa femme, depuis qu'elle avoit découvert la grossesse; de sorte que tout ce désordre obligea la Boiste, qui voyoit que le terme approchoit, à faire mener sa fille en lieu sûr. Ce fut Le Lièvre qui la conduisit. La belle-mère intenta une action au nom de son fils; mais le beau-père soutint sa belle-fille et la reçut chez lui, malgré sa femme, qui se retira ailleurs avec son fils; cela fit dire que le bonhomme était amoureux de sa bru. Tandis qu'elle fut chez lui, elle eut liberté tout entière; elle fut quelque temps familièrement chez M. d'Angoulême, à Gros-Bois. Le bonhomme prenoit le plus grand plaisir du monde à la voir gambader; elle étoit plaisante, vive et pleine d'esprit.

En ce temps-là, on arrêta les chevaux de la Boiste pour la taxe des aisés. Elle écrit aussitôt à M. d'Angoulême, en ces mots: «Monseigneur, j'ai lu dans l'Evangile que la Madelaine dit à notre Seigneur: Seigneur, si tu eusses été ici, mon frère ne seroit pas mort; j'en dis de même, seigneur. Si vous eussiez été à Paris, on ne m'eût pas pris mes chevaux, etc.» Quelqu'un lui dit: «La mère veut être de vos amies, aussi bien que la fille.—Ma foi, ce dit-il, de la mère descendre à la fille, cela est fort naturel; mais de la fille remonter à la mère, je vous jure, je n'ai pas les jambes assez bonnes pour cela.»

M. de Nemours, l'aîné de celui que M. de Beaufort tua, fit bien des folies avec elle; on les a vus dans les bois de Boulogne, mener tous deux un carrosse, et elle, faire le métier de postillon, en chantant:

Hélas! beau prince de Nemours,

Ne m'aimerez-vous pas toujours [114]?

Elle fit tant d'équipées de cette force, qu'on fit un vaudeville en son honneur:

Je suis la petite Chezelle,

Qui, profanant trop mes attraits,

Parfois, aux pages et laquais

Ne fus pas trop cruelle.

Ma mère même, sur ma foi,

Est une sainte au prix de moi.

Après qu'elle eut fait bien des infamies, il se trouva un homme de qualité, l'abbé de Persan, neveu du maréchal de L'Hôpital, qui, pour l'épouser, quitta l'abbaye de Montiramé, en Champagne, qui vaut dix-huit mille livres de rente et plus de vingt-cinq mille à manger. Il trouva un homme, nommé Renouard, sur la tête duquel on la mit, et cet homme lui en donne tant par an; c'est le plus beau de son bien que cela; il prit le nom de Bournonville. Voilà un digne neveu du maréchal de L'Hôpital, soit pour quitter de bons bénéfices, soit pour épouser des gourgandines! Bournonville en avoit eu un enfant avant qu'elle fût démariée, et elle consentit à la dissolution, sous prétexte d'impuissance, parce qu'elle étoit assurée que cet abbé l'épouseroit.

Chezelle fut battu quelque temps après: on le prit pour un autre, et il mourut, je pense, de fièvre, au bout de l'an. Regardez s'il y a rien de plus malheureux!

Cette femme n'a pas moins fait l'amour avec le second mari qu'avec le premier; mais ce n'a pas été si insolemment; elle a eu une petite fille fort éveillée; quelqu'un lui dit: «Elle vaudra bien sa mère.—N'importe, répondit-elle, pourvu qu'elle s'en tire aussi bien que moi.»

Un peu après le siége de Paris, elle emprunta toute la vaisselle d'argent de sa mère, et y fit mettre ses armes, puis dit que c'étoit sa vaisselle.

Villiers Courtin, capitaine aux gardes, est son fidèle; mais elle a du respect pour lui, et dit aux autres: «Allez-vous-en, je ne sais point plaisanter tandis qu'il sera céans.»

Un neveu du petit Grammont, de M. d'Orléans, fut mené chez madame de Bournonville. «Quoi, dit-elle, le neveu du petit Gramont, ce grand m........!—Quoi! madame, lui répondit ce garçon, seroit-il assez heureux pour vous avoir rendu quelque service?»

VANDY.

Feu Vandy étoit un homme qui rencontroit assez bien. Son oncle, le comte de Grandpré, avoit été son tuteur, et on accusoit ce tuteur d'avoir un peu pillé son pupille; il lui dit un jour: «Mon neveu, vous faites trop de dépenses; assurément, vous vous ruinerez.—Mon oncle, répondit Vandy, comment me ruinerois-je, si vous, qui avez plus d'esprit que moi, n'avez pu venir à bout de me ruiner?» Un gentilhomme de ses voisins lui demandoit une attestation pour faire déclarer son frère fou: «Mais, monsieur, lui disoit-il, donnez-la-moi bien ample.—Je vous la donnerai si ample, répondit Vandy, qu'elle pourra servir pour votre frère et pour vous.» C'étoit un homme très-froid, et il ne sembloit pas qu'il songeât à ce qu'il disoit. Un jour qu'il dînoit chez ce même comte de Grandpré, on servit devant lui un potage, où il n'y avoit que deux pauvres soupes qui couroient l'une après l'autre; Vandy voulut en prendre une; mais comme le plat était fort grand, il faillit son coup; il y retourne et ne put l'attraper; il se lève de table et appelle son valet-de-chambre: «Un tel, tire-moi mes bottes.—Que voulez-vous faire, mon cousin? lui dit M. de Joyeuse; je crois que vous êtes fou.—Souffrez qu'il me débotte, dit froidement Vandy, je veux me jeter à la nage dans ce plat pour attraper cette soupe.»

Il étoit brave, mais il n'alloit jamais à la guerre sans donzelles, et il disoit ordinairement: «Point de p......, point de Vandy.» On dit qu'étant à une foire de village, il y rencontra une mignonne qu'il avoit entretenue autrefois; il en vouloit user à la manière de Diogène, qui plantoit des hommes en plein marché; la demoiselle le rebuta, et il l'apostropha.... Il avoit épousé une nièce du maréchal de Marillac. Le cardinal de Richelieu voulut qu'il fît son testament; lui s'en défendoit, disant qu'il n'avoit pas de biens; enfin l'Eminence l'emporta. «Ecrivez-donc, dit-il, je donne mon âme à Dieu, mon corps à la terre, ma femme et mon fils à M. le cardinal (il fut son page), et ma fille au public.» Une fois qu'il venoit de la guerre avec un de ses amis, il lui dit: «Nous irons descendre chez une dame bien faite, avec laquelle vous verrez que je ne suis pas mal; mais je n'en suis point jaloux; je vous laisserai ensemble avant que vous en partiez: vous pousserez votre fortune.» C'étoit chez sa femme qu'il fut descendre; il lui présenta cet ami. On dîna: après dîner, il entra avec elle dans un cabinet, et ensuite il s'alla promener dans le jardin. Cet homme, demeuré seul avec elle, se mit à lui en conter, et après il lui voulut baiser la main. «Monsieur, pour qui me prenez-vous?—Hé, madame, M. de Vandy m'a tout dit.» Enfin, elle fut contrainte d'appeler Vandy par la fenêtre. Cet homme, voyant qu'on l'avoit fait donner dans le panneau, monta à cheval et s'enfuit.

Une autre fois qu'il couroit la poste, en passant par Lyon, on l'obligea à aller parler à feu M. d'Alincourt, père de M. de Villeroy, qui exerçoit cette petite tyrannie sur les courriers. Il y fut. M. le gouverneur, sans autrement le saluer, lui dit: «Mon ami, que disoit-on à Paris quand vous en êtes parti?—Monsieur, on disoit vêpres.—Je demande ce qu'il y avoit de nouveau?—Des pois verts, monsieur.» Alors se doutant que ce n'étoit pas ce qu'il pensoit, il lui ôte le chapeau, et lui dit: «Monsieur, comment vous appelez-vous?—Cela n'est pas réglé, reprit Vandy, tantôt mon ami, tantôt monsieur.» Et il s'en va. On dit après à M. d'Alincourt qui c'étoit. Il envoya après, mais en vain; Vandy le laissa là pour ce qu'il étoit.

FEMMES VAILLANTES.

Il y a eu deux sœurs en Auvergne toutes deux vaillantes; l'une, mariée à un M. de Château-Guy de Murat, étoit galante et belle: elle alloit d'ordinaire à cheval avec de grosses bottes, la jupe retroussée et un chapeau avec un bord, des rayons de fer et des plumes par-dessus, l'épée au côté et les pistolets à l'arçon de la selle. Du vivant de son mari, M. d'Angoulême, alors comte d'Auvergne, en fut amoureux; et quand il fut arrêté par M. d'Heure, capitaine d'une compagnie de chevau-légers entretenue, à laquelle ce prince faisoit faire montre, elle jura de se venger de ce M. d'Heure. Quand elle fut veuve, elle eut un autre galant qu'on appeloit M. de Cadières; par jalousie elle l'appela en duel. Il y fut; et comme il pensoit badiner, elle le pressa de sorte, que ce fut tout ce qu'il put faire que de passer sur elle, et, tout d'un train, il la jeta à terre et fit la paix de la maison. Elle avoit querelle avec des gentilshommes de son voisinage nommés MM. de Gane; un jour elle les rencontra à la chasse. Un gentilhomme, qui est à elle et qui lui servoit d'écuyer, lui dit: «Madame, retirons-nous; ils sont trois contre un.—N'importe, dit-elle, il ne sera point dit que je les aie trouvés sans les charger.» Elle les attaque, et eux furent si lâches que de la tuer. Elle fit toute la résistance imaginable.

Sa sœur, qui n'étoit pas belle comme elle, étoit en récompense tout autrement fanfaronne, et même elle étoit un peu folle. Elle épousa en premières noces un gentilhomme nommé La Douze: elle étoit fort jeune. Il la battoit quelquefois; enfin il devint goutteux, et elle grande et forte; elle le battit à son tour; il mourut; elle épousa Bonneval de Limosin. Elle en vouloit faire de même avec lui, et même elle l'appela en duel. Il lui en voulut faire passer son envie: les voilà tous deux dans une chambre dont il avoit bien fermé la porte. Ils se battent et il lui donne trois ou quatre bons coups d'épée pour la rendre sage. Ce second mari mourut encore. Elle étoit déjà vieille; elle se met à se farder; car elle étoit un peu concubinaire: on dit que c'étoit une chose effroyable à voir. Un gentilhomme de Touraine, nommé La Citardie, qui a le vol pour pies chez le Roi, l'alla voir, c'étoit en hiver; on lui apporta dans sa chambre une coignée pour couper de gros bois, et une serpe pour couper des fagots: voilà comme on y chauffoit les gens. Rien ne fermoit dans cette maison, et il faisoit plus sûr au milieu des bois; elle lui fit passer toute l'après-soupée à moucher une chandelle à coups d'arquebuse; et, parce qu'il avoit mieux tiré qu'elle, elle lui fit rompre son arquebuse comme il dormoit. Elle poursuivit trois lieues durant un de ses parents qui avoit eu l'audace de passer auprès de chez elle sans lui rendre ses devoirs, et après elle l'envoya, appeler en duel [115].

A Montauban, comme un jeune soldat s'alloit exposer au péril qu'il y avoit à mettre le feu à la galerie, une vieille femme lui ôta le flambeau de la main, en lui disant: «Mon enfant, tu pourras rendre de bons services à la patrie; pour moi, je lui suis inutile, j'ai assez vécu.» Et s'en alla mettre le feu à la galerie.

Une vendeuse de pommes, nommée La Sallissotte, se présenta à la brèche, y eut un bras emporté, prend ce bras, le met dans son tablier et va chez le chirurgien. Comme on la pansoit, elle disoit: «Coupez encore cela.» Elle vivoit encore en 1650. Je ne sais si elle est morte depuis. A Montauban, on la montroit aux étrangers.

Madame de Saint-Balmont est du Barrois: son mari étoit dans les troupes du duc de Lorraine, et est mort à son service. Se trouvant naturellement vaillante, elle se mit en tête de conserver ses terres; cela l'obligeoit à monter souvent à cheval; insensiblement elle s'y accoutuma, et peu à peu elle s'habilla en guerrière: elle a d'ordinaire un chapeau avec des plumes bleues; le bleu est sa couleur; elle porte ses cheveux comme les hommes, un justaucorps, une cravate, des manchettes d'homme, un haut-de-chausses, des souliers d'homme et fort bas; car, quoiqu'elle soit petite, elle ne veut point passer pour plus grande qu'elle n'est, et elle est si brusque, qu'elle ne pourroit pas sans danger se chausser comme les femmes; elle porte une jupe par-dessus son haut-de-chausses; elle a toujours l'épée au côté; mais, quand elle monte à cheval, elle quitte sa jupe et prend des bottes. Quand elle entre dans quelque ville, tout le monde court après elle; elle à la voix et la mine d'un homme, à la barbe près; mais elle paroît jeune, quoiqu'elle ne le soit pas; elle a les actions et les révérences d'un homme. On ne sauroit être plus vaillant qu'elle, elle a tué ou pris de sa main plus de quatre cents hommes. Quand Erlach passa en Champagne, elle alla seule attaquer trois cavaliers allemands qui dételoient les chevaux de sa charrue, et les arrêta jusqu'à ce que ses gens fussent arrivés. A un château, elle monta à l'escalade, et, étant abandonnée des siens, elle ne laissa pas d'entrer dedans le pistolet à la main, et, se jetant de furie dans une chambre où il y avoit dix-sept hommes, elle seule les désarma; apparemment ils crurent qu'elle étoit suivie. Elle est toujours admirablement bien montée; elle dresse elle-même ses chevaux, et il n'y en a point de mieux dressés que les siens. A propos de cela, une fois elle appela en duel un gentilhomme qui étoit en réputation de brave: il se trouva à l'assignation, mais il n'avoit qu'un bidet. «Madame, il faut mettre pied à terre; vous avez un cheval d'Espagne.» Elle descend: lui, prend si bien son temps, qu'il saute sur le cheval de l'amazone, s'en va et lui laisse son bidet. Il en fit des contes, et le monde qui savoit bien quel homme c'étoit, trouva ce tour fort plaisant.

Ses mœurs ne s'accordent pas trop bien avec son habit ni avec son humeur guerrière; car elle aime autant à prier Dieu qu'à se battre; elle est aussi dévote que vaillante. Il y a un livre imprimé de sa façon, qui contient les exercices spirituels qu'on pratique dans sa maison. Elle fait des vers et facilement, mais ils ne sont pas les meilleurs du monde: elle les estime pourtant assez pour les donner au public: il y en a d'imprimés à Reims; elle a même composé deux tragédies; mais elles n'ont pas encore été jouées, et je ne crois pas qu'on les joue: elle parle de les mettre en lumière. Elle a l'esprit vif, parle beaucoup et est fort civile; elle est gaie jusqu'à contrefaire l'allemand francisé. Elle est un peu gesticulante; mais elle est si souvent homme, qu'il ne faut pas s'en étonner.

D'OLIZY.

D'Olizy, qui se fait appeler le marquis d'Olizy, est fille du feu président Larcher [116]. Ce n'est pas par ses grandes armes qu'il est devenu marquis: son plus bel exploit, c'est d'avoir enlevé une garce qu'il appelle sa femme et qu'il veut que tout le monde reconnoisse pour telle. Cette marquise de nouvelle édition est fille d'un boulanger ou meûnier de Metz; elle a eu deux maris: le premier étoit chirurgien, le second valet-de-chambre de Barradas. La présidente Larcher, qui vit que ce garçon étoit amoureux de cette créature, la fit mettre dans un couvent; mais son fils lui fit tant de protestations que jamais il ne verroit cette femme, qu'elle la fit sortir. Aussitôt il l'emmena en Champagne, où il prit le nom de marquis d'Olizy, c'est une terre qui lui appartient, et qui est auprès de Reims. Il y a un an et demi (1650) que le conseil de ville lui donna la commission de faire rompre tous les ponts et tous les gués de la rivière de Vesle, afin d'empêcher les courses de la garnison de Rocroi. On en fit cette chanson où l'on suppose qu'il se fait présenter au lieutenant de ville [117] par Godinot son fermier; on accuse le vicomte Du Bac de l'avoir faite.

CHANSON.

(Godinot parle.)

Afin de vous tirer de peine,

Noble sénat de Bétisy [118],

Voici ce brave capitaine,

Jean Larcher, marquis d'Olizy;

C'est un homme, je vous réponds,

Pour rompre ponts,

Pour rompre ponts, gués et passage,

Adroit, vaillant, prudent et sage.

(Le lieutenant de ville répond.)

S'il soulage notre détresse,

Il sera bien récompensé;

Qu'il donne ordre au Moulin l'Abbesse,

Cuissat, Macot et Compensé,

Jonchery, Breuil et Courtaudon,

Auprès d'Ormond,

Au Roland, Courville et Villette,

Au pont d'entre Fisme et Frimmette [119].

(Le marquis parle.)

Désormais la ville du sacre

Ne craindra plus les ennemis;

J'en ferai un trop grand massacre,

Si en campagne il s'étoit mis;

Montal [120], quoique homme de grand cœur,

Mourroit de peur;

Et Caillet [121] tremblerait dans l'ame

S'il voyoit l'acier de ma lame.

(Le lieutenant de ville parle.)

Louons de Dieu la providence

Qui pourvoit à notre besoin,

Suscitant pour notre défense

Un marquis digne d'un tel soin.

Par saint Nicaise et saint Remy [122],

Mon cher ami,

Nous prions Dieu que votre garce,

Vous fasse belle et ample race.

Marquise, meunière,

On dit que votre époux

Vous trouve un peu fière

Et se lasse de vous.

Si cette ardeur étrange

Prenoit jamais fin,

Comme enfin

Tout amant change,

Vous pourriez bien retourner au moulin.

Melle ET MADAME DE MAROLLES.

Un gentilhomme de devers Chartres, nommé Marolles, qui se disoit de la maison de Lenoncourt, de Lorraine, mais que ceux de Lenoncourt désavouoient, disant que c'étoit une branche de bâtards, épousa une sœur de M. Du Fargis, de la maison d'Angennes. On lui donna cette fille, parce qu'elle n'avoit guère de bien; il en eut un garçon et une fille. Le garçon, comme nous verrons ensuite, est mort gouverneur de Thionville; la fille [123] fut fille d'honneur de la Reine-mère; c'est une personne adroite et ambitieuse, mais médiocrement jolie [124]. Sa mère ayant tiré de M. le marquis de Rambouillet vingt-huit mille écus pour un compte de tutelle dont le marquis son père étoit chargé, elle fit si bien que toute cette somme fut pour elle seule. M. Du Fargis, depuis la mort de son fils, qui fut tué à Arras, fit je ne sais quelle affaire à la cour. Elle en tira tout le profit: cela alla à quarante mille livres. Pour satisfaire son ambition, il lui falloit un tabouret: elle cabale pour épouser le vieux Bouillon La Marc, veuf pour la seconde fois. Pour y parvenir, elle lui fit accroire que M. d'Orléans, à qui M. Du Fargis, son oncle, avoit été, lui témoigneroit qu'il le souhaitoit, et qu'en récompense, il prendroit ses intérêts contre la maison de La Tour, pour lui faire ravoir Sedan. Un jour qu'elle avoit épié qu'il n'y étoit pas, elle envoya un valet-de-pied de sa connoissance, qui demanda M. de Bouillon, et dit que M. d'Orléans le venoit voir pour lui parler de ce mariage qu'il savoit. «Il n'y est pas, dit-on.—Je m'en vais donc, reprit-il, avertir qu'il n'avance pas.» Le bonhomme prit cela pour argent comptant; mais La Boulaye [125], son gendre, le désabusa et lui fit épouser une femme [126] hors d'avoir des enfants. Notre pucelle en pensa enrager, et fut si folle que de solliciter pour empêcher que cette femme n'eût le tabouret, disant que M. de Bouillon n'étoit pas reçu au parlement. Elle ne se rebute point, et, voulant à toute force avoir un tabouret, elle épouse le fils aîné du duc de Villars (le père n'étoit pas mort encore); c'est un ridicule de corps et d'esprit, car il est bossu et quasi imbécile, et gueux par-dessus cela.

Voici comme elle s'y prit. Elle se servit d'un prêtre de Saint-Paul, qui le connoissoit; et, comme il étoit en grande nécessité, il se laissa charmer à quatre-vingt mille livres qu'elle pouvoit avoir pour tout bien. Elle ne l'eut pas plus tôt épousé qu'elle fait un procès à madame d'Aiguillon, au nom du bonhomme de Villars: elle en tire quarante mille écus. Depuis la mort du père, elle a fait recevoir son mari duc et pair au parlement d'Aix, comme le bonhomme l'avoit été par le crédit de sa femme, et elle a si bien cabalé à la cour qu'elle a trouvé moyen de faire joindre la pairie au brevet, car il n'y avoit que duc simplement: le cardinal de Richelieu ne put se résoudre à faire un si jeune homme duc et pair. La voilà assise au Louvre comme les autres. Elle a trouvé moyen, depuis la mort de son frère, d'être co-tutrice de ses neveux. Pour cela elle a eu raison, car c'est une étrange créature que la veuve.

Elle disoit de mademoiselle de Rambouillet, qui l'appeloit ma cousine: «Je ne sais pourquoi mademoiselle de Rambouillet prend plaisir à m'offenser.» La feue duchesse de Villars [127] ne fut jamais assise au Louvre que deux ou trois fois. Elle y alloit rarement.

Madame de Marolles est d'une bonne maison de Luxembourg. Son mari, qui a été gouverneur de Thionville, depuis qu'elle fut prise jusqu'à sa mort, ayant assez de bien, ne regarda qu'à l'alliance et à la personne. «Je ne veux, disoit-il, qu'une bonne femme et qui m'aime bien.» Celle-ci le hait et fut fort coquette. Sa première galanterie fut avec le chevalier de La Sausse, gentilhomme normand, fort bien fait, fort brave, mais fort brutal. Le second, et qui a fait tout autrement du bruit, fut une espèce de filou de Paris, fils d'un tireur d'armes, mais bien fait de sa personne: il s'appelle Saint-Ange. Charmoye l'avoit employé pour enlever mademoiselle de Sainte-Croix des Filles-Dieu; elle se réfugia avec lui à Thionville [128]. D'abord, Saint-Ange n'avoit aucune inclination pour elle, même on dit qu'il la haïssoit; mais étant demeuré seul à Thionville, car Charmoye fut reçu à Luxembourg au bout de quelque temps, tandis que son affaire s'accommodoit; faute donc de meilleur emploi, Saint-Ange s'avisa de profiter de la bonne volonté que madame la gouvernante avoit pour lui; mais M. de Marolles, s'étant douté de quelque chose, le chassa de sa place. En effet, le galant n'y revint qu'après la mort du gouverneur, qui fut tué en reconnoissant le château de Mussy. M. Fabert, gouverneur de Sedan, prit soin des affaires et de la conduite de madame de Marolles, comme ami de son mari, et fit dire à Saint-Ange que, s'il ne se retiroit, il le feroit jeter dans les fossés. Saint-Ange n'alla pas loin: il attendit la dame, où elle fut le trouver. Là ils se gouvernèrent si bien que toute la ville en fut scandalisée; ensuite ils se rendirent à Paris: elle se logea au faubourg Saint-Germain, d'où elle fut chassée par les officiers du bailliage [129], comme une femme de mauvaise vie. Saint-Ange prend le train de la battre; elle en fut un jour si maltraitée qu'elle en rend sa plainte par-devant le lieutenant criminel et demande permission de faire informer contre lui; mais l'amant lui ayant demandé pardon, elle s'en désista, et déclara que tout ce qu'elle avoit dit étoit faux.

Il y eut bientôt quelque nouvelle rumeur; car les jeunes gens de Paris étant reçus chez la dame, Saint-Ange fut jaloux: il fit insulte un jour à quelques-uns, et jeta même le chapeau de l'un d'eux par la fenêtre, jurant qu'après avoir dépensé vingt mille écus auprès de madame de Marolles, il ne souffriroit pas que de nouveaux venus lui coupassent l'herbe sous le pied. Cette femme fut outrée de cette insolence: elle rompt avec lui et lui défend de mettre jamais le pied chez elle. Un jour, comme elle sortoit, il se jette dans son carrosse. «Je ne vous quitte point que vous ne m'ayez pardonné.» Pour s'en délivrer, il fallut lui dire qu'elle lui pardonnoit; mais il n'étoit pas à quatre pas qu'elle lui cria: «Coquin, je te ferai donner cent coups de bâton.» Il court après et se rejette dans le carrosse. Il fallut pardonner encore une fois. Comme elle en étoit fort embarrassée, car il a gagné tous ses gens, quelqu'un lui dit: «Mettez-vous dans un couvent.—Oh! répondit-elle, je m'y ennuierois.» Enfin, elle s'en plaignit aux maréchaux de France qui défendirent à Saint-Ange d'aller chez elle. Elle se ruine tout doucement.

Elle eut ensuite un jeune fou, nommé Tierseville, pour galant. L'été passé, un soir que les vingt-quatre violons étoient chez Dorat, conseiller, c'est dans l'Ile (Saint-Louis) où elle logeoit, alors elle y alla avec une madame de Guedreville [130], grande étourdie, femme d'un maître des requêtes, qui étoit sa voisine: Tierseville demeure avec elles dans le carrosse; Gareau, Beauneau, Montmeige et autre jeunesse qui avoient fait la débauche avec lui, montent; c'étoit à Gareau à prendre une femme pour danser, quand on donna l'ordre aux violons d'aller jouer à la pointe de l'Ile. Les voilà en colère de cela: ils descendent, prennent les étuis qu'ils trouvent sous la porte, tirent des coups de mousqueterie dans les fenêtres, pensèrent blesser Fercour qui en eut dans son chapeau, battirent un capitaine d'infanterie qui leur pensa dire quelque chose; et Tierseville, sorti du carrosse pour avoir sa part de la folie, crioit à madame de Marolles: «Madame, on devoit vous envoyer demander l'ordre; c'étoit à vous à faire aller les violons où vous voudriez. Mais commandez, madame, on fera main basse.» Elle, au lieu de s'en aller et d'emmener ces ivrognes, alla à la pointe de l'Ile: ils trouvent quelques violons qui revenoient: ils commandent à leurs gens d'en jeter un dans l'eau. Cet homme eut le sens, comme on le vouloit jeter, de donner un coup de pied au quai, et mit l'épée à la main: Beauneau va à lui et se coupe les doigts en la lui ôtant, mais il blesse dangereusement le pauvre ménétrier qui en a pensé mourir. Après avoir fait ce bel exploit, la raison leur revint: ils se vont tous mettre à genoux devant Dorat qui leur pardonna. Ils n'osèrent pas trop se montrer, tandis que le violon, qui étoit domestique du comte du Lude, fut en danger; après, la chose s'accommoda, mais on les hua partout.

A Tierseville succéda un nommé Cadillac: elle les eut tous deux en même été. Un jour qu'il y étoit avec un de ses amis, le chevalier de Roquelaure y amena Saint-Ange; cela surprit tout le monde. Ce coquin, à un quart-d'heure de là, se mit à la traiter de coureuse. Cadillac et son ami furent assez sages. Le lendemain, Petit-Marais [131] alloit appeler le chevalier de Roquelaure, quand il le trouva en chemin pour aller demander pardon à Cadillac. Le maréchal de L'Hôpital les accommoda; mais, pour Saint-Ange, il dit qu'il le vouloit faire châtier. Enfin cette femme se décria d'une telle façon, qu'un garçon de la cour, nommé Turé, allant derrière elle aux Tuileries l'automne dernier, disoit tout haut: «Mais ne suis-je pas bien misérable! Je n'ai demandé la courtoisie à madame de Marolles qu'à la quatrième visite, et elle m'a refusé.» Depuis elle a épousé Saint-Ange, quoiqu'il eût la v..... d'une telle sorte, qu'elle lui mangeoit le nez. Au bout de l'an il prit la peine de se faire rouer. Ce fut madame de Villars qui le fit prendre. On dit que sa femme disoit: «Va, console-toi; si on te roue, je te promets que, pour les faire enrager, j'épouserai encore un filou.» Il y avoit de quoi en faire rouer une douzaine. Il avoua qu'il s'étoit servi de charmes pour la réduire à l'épouser [132]. Ils faisoient le plus enragé de ménage qu'on ait jamais fait; ils se caressoient dix fois et se battoient autant de fois en un jour. Retiré à l'hôtel de Chaulnes à cause que son frère est écuyer de ce duc (c'est un honnête garçon), il en usoit le plus familièrement qu'on sauroit s'imaginer; il traitoit tous ses amis, il ivrognoit, il grondoit les gens, etc.; il vouloit, non-seulement que M. de Chaulnes le nourrît, mais payât le chirurgien qui le pansoit de la v.....; le nez lui tomboit; il y avoit un emplâtre. Enfin il fallut sortir, car il avoit été assez insolent pour dire que madame de Chaulnes ne devoit point passer devant sa femme, qui étoit cent fois de meilleure maison qu'elle; il est vrai qu'elle est nièce de l'électeur de Trèves, de la maison de Crombert, une des meilleures d'Allemagne. Il y alla bien des gens par curiosité pour le voir faire, car à tout bout de champ il lui prenoit des fantaisies de voir, et cela en conversation, comme il feroit sur la croix Saint-André, et il rangeoit des siéges dans la manière qu'il falloit pour cela, puis se couchoit dessus. Il ne fit pourtant pas la plus belle fin qu'on pouvoit faire. Son frère l'avoit fait recevoir à l'hôtel de Vitry. Par jalousie, il fut si sot que d'aller voir aux Minimes si on cajoloit sa femme, et il fut surpris au sortir. Il lui avoit dit auparavant: «Avec vos coquetteries, vous me ferez prendre.» Une fois, comme il étoit à l'hôtel de Chaulnes, cette femme s'amusoit à chanter avec le frère de Saint-Ange; cela le fâcha: il lui donna un soufflet et courut après son frère avec ses pistolets pour le tuer. Cela n'empêcha pas que ce garçon, quand il le vit en danger d'être condamné, n'allât à la cour pour avoir sa grâce: il vendit pour cela tout ce qu'il avoit.

De l'hôtel de Chaulnes Saint-Ange fut à l'hôtel de Vitry, comme j'ai dit, par le crédit du président de Chevry [133], à la prière d'un commis du feu président qui est parent de ce fripon. Dès la première fois qu'il vit le président, il lui dit: «Monsieur, si vous avez quelque ennemi, je vous promets de l'aller poignarder dans son lit» (M. de Vitry est brouillé avec M. de Bournonville pour le gouvernement de Paris). «Je l'assassinerai où il voudra.» Le président fut si surpris de cela qu'il ne sut que lui répondre. Madame Pilou dit que madame de Marolles a fait ouvrir Saint-Ange pour savoir de quoi il est mort: la vérité est qu'elle a voulu savoir s'il avoit le dedans gâté de la v.....: elle croyoit que cela ne lui auroit gâté que la tête. Il avoit le nez demi mangé. Elle fit embaumer son cœur, à qui elle fit comme une espèce de chapelle ardente, et un prêtre y disoit nuit et jour quelques prières, et elle couchoit en même lieu. J'ai appris que madame de Villars ne l'a entrepris qu'à cause qu'elle vouloit avoir de lui quelque chose, à quoi il ne consentoit pas, et que depuis elle l'a eu de la cour.

BASIN DE LIMEVILLE.

Basin, sieur de Limeville, étoit d'une bonne famille de Blois; il se mêloit de quelques affaires de change, mais peu des affaires du Roi: peut-être a-t-il eu part en quelques fermes. Il avoit des lettres et ne manquoit point d'esprit; il se connoissoit fort bien aux médailles et en avoit assez bon nombre; mais après qu'il en avoit acheté quelqu'une, on ne la voyoit plus, si ce n'étoit durant quelques jours qu'il la portoit dans son gousset; car une fois qu'elle entroit dans son cabinet, elle n'en sortoit jamais, et on n'avoit garde de l'y aller chercher: de sa vie corps de chrétien n'est entré dans ce cabinet. Je dirai tout ce qu'on y trouva après sa mort.

Ce n'étoit pas la seule bizarrerie de cet homme; sa grande avarice et l'aversion qu'il avoit pour les chiens lui avoient brouillé le crâne: il disoit qu'ayant vu un de ses amis mourir enragé pour avoir été mordu par un chien qui l'étoit, il avoit conçu une telle horreur pour ces animaux, qu'il ne les voyoit jamais sans trembler. Pour cela il ouvroit toujours les portes par le haut autant qu'il pouvoit, parce que les chiens ne pouvoient atteindre jusque là: il ne se mettoit jamais que sur des escabeaux, à cause que les chiens ne s'y couchoient pas; et, dans les hôtelleries, il se faisoit un lit d'un drap avec des tire-fonds qu'il attachoit au plancher. Il alla à un tel excès, car, comme il avoit naturellement de la pente à la folie, il se faisoit gentil garçon de plus en plus, qu'il ne vouloit pas qu'on le touchât, en parlant à lui; et, pour son manteau, il le mettoit toujours lui-même tout droit sur un escabeau, l'appuyant contre la muraille, de peur qu'un chien ne se couchât dessus. Un jour que, par grand miracle, il demeura à dîner chez mon père, car il dînoit toujours chez lui, par malice je fis signe à six laquais tout à la fois de lui prendre son manteau. Jamais pauvre homme ne fut si empêché; quand il en repoussoit un, un autre venoit; enfin, après en avoir bien ri, je les écartai tous et il mit tout à son aise son manteau sur un volet.

Des laquais lui firent bien pis à Charenton: comme il tenoit la boîte des pauvres à la porte, car il a été huguenot toute sa vie, ils prirent un gros chien qu'ils lui firent passer par-derrière entre les jambes: il en pensa tomber en foiblesse. Il étoit surpris de toutes choses; il vivoit dans une éternelle défiance, aussi ne se levoit-il que le plus tard qu'il pouvoit. Il disoit que c'étoit une folie que d'aller en chaise, parce que la chaise pouvoit être renversée, et une verrière se rompre et vous venir crever un œil.

Grimacier s'il y en eut jamais au monde, il ne faisoit point de cas des choses si on ne faisoit bien des façons. Il me demanda un jour à emprunter je ne sais quoi qui n'étoit point rare du tout: c'étoit un imprimé; je fis bien des cérémonies, et je lui fis promettre qu'il me le rendroit le soir, qu'il ne le montreroit à personne, et qu'il me le renverroit au même état qu'il l'auroit reçu: il prit cela si fort au pied de la lettre, que, pour faire un paquet qui fût tout pareil au mien (je le lui avois envoyé cacheté), il y fut une grande heure, et il y employa trois feuilles de papier: c'étoit beaucoup pour lui qui étoit mesquin à un tel point, que, jusqu'à l'heure de la place au Change [134], il se tenoit au logis avec un pantalon de toile sur un vieux pantalon de ratine, des pantoufles du Palais, un vieux pourpoint noir avec des gants ou plutôt des brassards qui lui venoient jusqu'au coude pour garantir ses mains de toucher ce que les chiens auroient touché. Son habit ordinaire étoit de drap, sans rubans ni aiguillettes, avec des bottes à petites genouillières et à pont-levis sur ce pantalon de toile, et un chapeau qui sembloit demander qu'on l'envoyât à la teinture; les cheveux assez courts, mais ébouriffés; sa tête ressembloit justement à ces bonnets pelus de Hollande [135].

Je lui ai vu faire un voyage à cheval de Paris à Blois en l'état que je vous le représente, avec un manteau doublé de panne, et la saison étoit assez avancée. Un jour qu'il avoit reçu en ville un sac de mille livres, il le met sur l'arçon de sa selle, le panneau étoit de cuivre; il perça le sac: voilà les quarts d'écus qui tombent; il met le sac dans son chapeau. Mais il perdit plus de cent francs pour avoir voulu épargner cinq sous à un crocheteur, car il n'osa se fier à son laquais. Le proverbe espagnol dit: La codicia rompe el saco: l'avarice rompt le sac.

Je ne sais pourquoi il ne fouilloit jamais que de la main droite dans sa pochette gauche, et de la gauche dans la droite.

Sa femme avoit une peine enragée à avoir une robe ou une jupe. Une fois qu'elle avoit grand besoin d'une verdure [136] de deux cents écus pour ses couches, dès qu'elle lui en pensa ouvrir la bouche: «Hélas! dit-il, nous sommes bien en état de faire des meubles: je ne vous l'ai pas voulu dire, de peur de vous affliger; mais on est sur le point de nous persécuter, et je vois bien qu'il faudra aller demeurer en Angleterre.» Voilà cette femme à pleurer. Le lendemain elle va, les yeux tout rouges, trouver ses sœurs qui se moquèrent fort d'elle.

Cette femme mourut la première, et lui, quelque temps après, mourut subitement à Charenton au dernier synode national [137]. On disoit que la mort avoit bien fait de le surprendre, car autrement elle n'eût jamais eu fait avec lui. Il avoit fait faire une serrure à son cabinet avec un tel artifice, que celui qui l'avoit faite étant mort, personne ne put l'ouvrir, quoique l'on en eût la clef; enfin on s'avisa qu'il y avoit une autre entrée condamnée; on y fut, et d'un coup de pied on mit la porte dedans. Là on trouva des araignées de toutes les grosseurs, six montres; et sa femme lui en ayant demandé une durant sa maladie pour se régler à faire ses remèdes, il lui dit qu'il n'en avoit point; assez bon nombre de serviettes et de ciseaux; il en voloit à sa femme, et puis grondoit de ce qu'il s'en perdoit tant; un coffre-fort, où il y avoit des rouleaux de bois de toutes les grosseurs des différentes espèces, enveloppés de papier, et pas un sou dedans; l'argent étoit sous ces serviettes à terre, et sous des chiffons de papier. On trouva cent louis d'or couverts d'un monceau de torche-culs; il en avoit provision de tout taillés pour toute sa vie, quand il eût vécu quatre-vingts ans. Il n'avoit jamais voulu faire de registre de peur qu'en s'en saisissant on ne sût son bien, et qu'on ne le mît aux aisés. Il fallut chercher ses papiers comme son argent. Ses médailles étoient dans un méchant sac.

MASSAUBE ET MARIAMÉ.

Ce Massaube, dont nous voulons parler, est fils d'un gentilhomme d'auprès de Montpellier, qui porta les armes en Lorraine, y épousa la fille du gouverneur de Nancy, et s'y établit. Il fut nourri page de l'archiduc Léopold, oncle de celui d'aujourd'hui, et, depuis, il eut une compagnie dans le régiment de Vaubécourt-Lorrain. Ce régiment étant venu au service du Roi, Massaube vint en France, où il eut quelque charge chez le Roi; mais, voulant faire passer des passe-volants [138] à une revue, le commissaire s'y opposa, et dit qu'il le diroit au Roi. Massaube lui donna des coups de fourchette [139], en lui disant qu'il portât cela au Roi; en même temps il pique, et se sauve en Allemagne; il n'avoit pas loin à aller, car la cour et l'armée étoient en Lorraine. Le Roi le fit exécuter en effigie. Massaube se rend à Cologne auprès du duc de Lorraine, qui le reçut à bras ouverts, et le fit lieutenant-colonel de son régiment d'infanterie. Cet emploi lui valoit près de cinquante mille livres tous les ans. Alors il s'amusa à faire l'amour. Le duc de Lorraine étoit souvent chez la comtesse d'Isembourg, parente de l'Empereur, et dont le mari étoit général des finances d'Espagne, et gouverneur de Luxembourg. Massaube, accompagnant son maître, fit d'abord quelques galanteries avec les demoiselles de la comtesse; il étoit libéral, il dansoit, il jouoit du luth, il savoit un peu de peinture et de musique, il avoit l'air françois, et n'avoit pour rivaux que des Allemands. La comtesse, qui en oyoit dire tant de merveilles à ses filles, eut envie de le voir; il lui plut, et elle lui donna enfin tout ce qu'on peut accorder à un galant: elle étoit admirablement belle, et n'avoit que vingt-deux ans; son mari, qui en avoit plus de cinquante et que ses emplois n'occupoient que trop, n'étoit pas ce qu'il lui falloit. Notre cavalier la posséda assez long-temps avec la plus grande douceur du monde; mais comme cette amourette commençoit à s'ébruiter et qu'il y avoit apparence que le comte en seroit enfin averti, elle pressa Massaube de l'enlever et de l'emmener en France. Cela n'étoit pas aisé: il falloit premièrement être assuré d'y être reçu, et puis traverser soixante ou quatre-vingts lieues de pays ennemi. Massaube promit à sa dame de faire tout ce qu'elle voudroit; pour cet effet il écrit au duc de Saint-Simon [140], favori du Roi, avec lequel il avoit été assez bien autrefois, et lui mande qu'il avoit tant d'affection pour le service du Roi, qu'il est prêt de tout quitter pour retourner en France, et qu'il aimeroit mieux porter un mousquet au régiment des gardes, que de commander une armée en Allemagne. Le Roi promit au duc de lui pardonner, pourvu qu'il demandât pardon au commissaire qu'il avoit battu. Cela fut fait, et Massaube revint à la cour; mais le Roi lui tourna le dos dès qu'il le vit. Massaube fit entendre au duc et au cardinal de Richelieu qu'il y avoit en Allemagne une princesse, parente de l'Empereur, qui désiroit prendre le parti du Roi, et le rendre maître d'un fort sur le Rhin. Ce fort, auquel il donnoit un nom, n'étoit qu'une chimère. On lui donna pour exécuter cette entreprise des lettres pour tous les gouverneurs des places frontières, portant commandement de lui fournir les gens et les munitions dont il pourroit avoir besoin. Avec ses lettres, il alla communiquer son dessein à un cadet qu'il avoit à Nancy, qui étoit un jeune homme de beaucoup de cœur; ce frère y joignit un de ses amis, et, tous trois ensemble, ayant délibéré entre eux, firent faire un carrosse pour quatre personnes seulement, et disposèrent des chevaux de relais en trente endroits, depuis Cologne jusqu'à Nancy. La comtesse fournissoit de l'argent pour tout cela, et les gouverneurs, suivant les ordres du Roi, mirent des escortes sur le chemin. Il fut si heureux qu'il ne manqua pas d'un jour à ce qu'il s'étoit proposé; l'enlèvement se fit un jour de foire en plein midi, sans que personne y prît garde; car la belle, avec deux de ses demoiselles, entra dans ce carrosse, et Massaube après. A la porte ils faillirent à être embarrassés, et il fallut qu'il criât qu'on fît place au carrosse de Son Altesse de Lorraine. Ils étoient déjà bien loin avant qu'on s'en aperçût; ils poussoient leurs chevaux parce qu'ils étoient assurés d'en trouver de frais: cela fit qu'on ne put les atteindre que vers les frontières de Lorraine; on les chargea; mais leur escorte étoit nombreuse: il est vrai que le cadet de Massaube y fut pris et bien blessé, pour s'être trop hasardé. Il fut emporté à Cologne, où on lui fit couper le cou, et sa tête fut exposée sur la porte de la ville. La mère de ces deux frères en eut un tel déplaisir, qu'elle ne voulut jamais voir Massaube. Notre aventurier arrive à la cour, fait voir la comtesse au Roi et au cardinal, et assure que ce fort étoit demeuré au pouvoir d'un parent de la dame qui le garderait pour le Roi; mais l'imposture fut découverte, car le comte d'Isembourg envoya un de ses cousins demander sa femme, et se plaindre de l'injure qu'on lui avoit faite. Nos amants en ayant eu avis, quittent la cour et prennent le chemin d'Auvergne. Ils crurent qu'il étoit à propos de changer de nom, et il se fait appeler Mespleck, du nom d'un de ses camarades: ils allèrent jusque dans l'Albigeois, où ils crurent qu'ils seroient en sûreté. La comtesse étoit assez bien pourvue d'or et de pierreries: ils achetèrent une métairie onze mille livres, où ils firent un logement assez raisonnable. Dans cette solitude, qui peut être à une lieue d'Alby, ils passèrent trois ou quatre ans sans que personne pût savoir qui ils étoient. Massaube s'amusoit à ajuster sa maison qu'il peignoit toute de sa propre main; leur dépense étoit assez magnifique, mais elle diminua insensiblement.

L'envoyé du comte d'Isembourg n'avoit pas eu grande satisfaction à la cour: le Roi avoit bien témoigné de la colère et donné ordre qu'on cherchât le ravisseur; mais le cardinal l'apaisa en lui faisant comprendre qu'on ne sauroit trop faire de mal à ses ennemis. Massaube, en contant cette histoire, disoit: «J'ai connu à cela que le cardinal étoit un méchant homme d'avoir laissé un si grand crime impuni.» Massaube, ennuyé de sa solitude, alloit quelquefois à Toulouse. Un jour son valet-de-chambre, mal satisfait de lui, alla dire au premier président que son maître étoit un espion de l'Empereur: cela fut cru facilement, parce qu'on avoit déjà eu plusieurs fois envie de savoir qui étoient ces gens là, sans l'avoir pu découvrir. On l'arrêta donc, et on en donna avis à la cour. Le cardinal ayant appris que Massaube et Mespleck n'étoient qu'une même chose, et que la comtesse étoit avec lui, répondit que ce n'étoit point un espion, mais un homme qui avoit enlevé une princesse d'Allemagne, qu'il souhaitoit que tous les gentilshommes françois en fissent autant. Le premier président et les principaux du parlement voyant cela, furent eux-mêmes tirer notre homme de prison, avec bien des compliments et bien des excuses. La comtesse alla à Toulouse, où elle dépensa une bonne partie de ce qui lui restoit; Massaube, ayant recherché la vie de ce valet, l'y fit pendre. L'argent vint à leur manquer, et la princesse étoit quelquefois réduite à laver les écuelles. L'évêque d'Alby, qui les visitoit quelquefois, prit son temps pour la persuader de se mettre en religion, ce qu'elle fit quelque temps après. Massaube querella et la dame et le prélat; mais il se consola facilement, et se fit capitaine d'une compagnie de chevau-légers. C'est un homme qui ne manquoit pas d'esprit; il étoit enjoué et aimoit assez la débauche. On l'appeloit d'ordinaire le Prince ou Mespleck. Pour elle, on dit qu'elle est fort bonne religieuse.

L'Infante vivoit encore quand un seigneur des Pays-Bas, nommé M. de Mariamé, homme de grande réputation, et qui avoit trois frères tous trois braves, devint amoureux d'une belle femme qui n'avoit que dix-huit ans, et qui avoit pour mari un des principaux conseillers de l'Infante, âgé de soixante-huit ans, ou environ. Mariamé en fut aimé, et assez ouvertement. Un jour que la belle étoit fort triste, il lui demanda ce qu'elle avoit. «C'est, lui dit-elle, que je ne saurois plus souffrir mon vieillard et que je mourrai bientôt si je demeure encore avec lui: il faut que vous m'emmeniez en quelque pays.» Ils tombent d'accord d'aller en Hollande, où la reine de Bohême étoit arrivée depuis peu. «Mais, ajouta-t-elle, je veux partir en plein midi.—Bien, madame.» Au jour assigné, justement à l'heure de midi, voilà cinquante des plus grands seigneurs du pays, tous à cheval, et trois carrosses à six chevaux à la porte de la belle: on porte publiquement des cassettes dans les carrosses; on attache des malles derrière: enfin le mari lui demande où elle va. «Je m'en vais en Hollande me promener, j'ai envie de voir La Haye.» Elle part. A La Haye, elle est bien reçue de tout le monde. Au bout d'un an elle devient jalouse de la reine de Bohême, et elle prie son amant de la remener à son mari. «Madame, il vous faut obéir, lui dit-il, et je vous veux remettre entre ses mains plus hautement que je ne vous en ai tirée.» Il avertit ses amis; ils viennent au-devant de lui au nombre de trois cents chevaux. Arrivé, il dit au mari: «Madame a eu dessein de faire un voyage. Elle m'a fait l'honneur de me choisir pour l'accompagner: je vous puis répondre de sa conduite. Mais, parce que la médisance n'épargne personne et que vous pourriez avoir quelque soupçon, je vous déclare que, si vous la maltraitez, je vous tuerai........ [141]

DRÉLINCOURT [142].

......................... [143], qui faisoient bien du bruit, ce que les femmes admirent. Pour achever la foiblesse de cet homme sur le chapitre de ses enfants [144], j'ajouterai qu'il dédia exprès un livre à son fils, le ministre, afin d'y mettre une grande épître, où il étale tous les dons de sa postérité; il n'y a rien de si ridicule: en un endroit il dit: «Me voici, Seigneur, avec les enfants que tu m'as donnés pour être une merveille en Israël [145];» mais il s'étend seulement sur les louanges de son fils aîné qui est ministre. Au bas de cette belle lettre on n'a pas manqué de mettre: «Seigneur, glorifie ton fils et ton fils te glorifiera.» J'ai oublié de dire qu'en parlant de lui-même, il dit: «J'ai des amis ou j'en dois avoir.»

Il fit une fois un gros livre in-4o intitulé: Consolation contre les terreurs de la mort. O Dieu, mon père! ce gros livre me fait plus de peur que la mort même. Ce livre est dédié à l'Electeur palatin; en un endroit il lui dit qu'il a convié Dieu à ses noces électorales.

Il y a quelques années qu'un bateau, plein de fidèles, périt auprès des moulins de Charenton. Le petit bonhomme, qui se trouva le premier à prêcher, prit exprès le texte de la tour de Siloé, et dit, entre autres belles choses, que ce malheur étoit plus grand que l'incendie du temple qui fut brûlé à la mort de M. Du Maine, car, en cette aventure, plusieurs temples du Seigneur avoient été détruits. Il mit ces pauvres noyés en paradis, tout chaussés et tout vêtus, et puis il s'avisa de prôner contre ceux qui n'attendoient pas la bénédiction; or, ces pauvres gens étoient tous sortis avant la bénédiction. Le petit homme, pour plaire aux parents des défunts, fit imprimer ce sermon avec une lettre au marquis de Pardaillan, dont les deux fils, parce que le carrosse s'étoit rompu, s'étoient mis dans ce bateau, et y avoient été noyés. Il commence ainsi cette lettre: «Depuis la perte de messieurs vos fils, de bienheureuse mémoire, etc.»

Au jeûne de 1658, il n'y a que quinze jours, il prêcha le dernier des trois, et, pour la bonne bouche, il nous donna la brevée avec les cochons de l'enfant prodigue; naturellement il a la langue empêtrée, ce jour-là il étoit empêtré par-dessus, aussi il sembloit qu'il avoit la bouche pleine de cette brevée. Depuis, en prêchant sur ce passage où la Madeleine prit Notre Seigneur pour un jardinier: «Quelle erreur, dit-il, d'aller prendre pour un jardinier celui qui est l'arbre de vie

Or, ce M. Drélincourt avoit chez lui, autrefois, un proposant [146] qui étoit lecteur à Charenton: c'étoit un Sédanois, nommé Fouquenberge. Un page de madame de La Moussaye, un jour, alla dire à sa maîtresse: «Madame, c'est l'apprenti de M. Drélincourt, qui demande à parler à vous.» Cet homme est présentement ministre à Dieppe. J'ai ouï dire qu'à un festin, où il y avoit cinq femmes ou filles, il s'avisa de boire à la santé des cinq nymphes; il n'y a rien de plus ridicule à entendre prononcer.

MADAME DE BROC.

Une belle personne, qui se disoit fille d'un conseiller de Sens, en Bourgogne, après avoir été entretenue long-temps par un riche orfèvre de Paris, nommé Aiman, qui y faisoit bien de la dépense, alla demeurer auprès du logis de l'évêque d'Auxerre, en cette ville. Ce prélat en devint amoureux. Il avoit un neveu, fils de son frère, homme de qualité, nommé de Broc; c'est une maison d'Anjou ou du pays du Maine. Cette femme fut adroite et lui dit: «Faites-moi épouser votre neveu, et je vous accorderai ce que vous demandez.» L'oncle y engage ce garçon qui n'étoit qu'un niais; le mariage se fait; après, elle se moque de l'évêque. Ce galant homme d'évêque est ce même M. d'Auxerre de chez le cardinal de Richelieu, qu'on accusoit d'être amoureux de Chamarande [147], porte-parasol du feu cardinal. Notre prélat, enragé de voir qu'il avoit été pris pour dupe, fait intenter action de rapt par le père du garçon. Elle, pour se défendre, montre toutes les lettres de l'évêque. Durant le procès, son mari vivoit fort bien avec elle, et elle se blessa deux fois.

Montreuil-Fourilles, qui commande dans Angers depuis qu'on en tira M. de Rohan, étant devenu amoureux d'elle, la retira, avec son mari, dans le château. Le père du mari et la mère même, qui étoit plus fâcheuse que le père, y allèrent pour prier Fourilles de ne protéger plus cette femme; ils en dirent le diable. Elle sort tout d'un coup d'une chambre, se jette aux pieds du bonhomme les larmes aux yeux, et l'attendrit. Montreuil avoit ménagé tout cela. Cette femme voyant le père touché, et qu'il alloit bientôt faire un voyage avec son fils, crut qu'elle auroit le temps de feindre qu'elle étoit grosse, et que le vieillard, se voyant un petit-fils, s'apaiseroit entièrement; mais elle ne prit pas bien ses mesures, car elle supposa un enfant de huit mois, au lieu qu'il n'en falloit qu'un de quatre; peut-être n'en put-elle pas trouver d'autre. Quand le mari arriva, il dit qu'il trouvoit cet enfant bien grand pour son âge, et la pria de lui avouer sincèrement l'affaire et de lui conter tout le reste de sa vie. Elle lui dit qu'il en crût ce qu'il voudroit, et s'en alla se mettre en religion. Elle dit qu'il lui a mangé cent mille livres durant les quatre ou cinq années qu'il étoit mal avec son père.

M. DU BELLAY,
ROI D'YVETOT.

M. Du Bellay [148], roi d'Yvetot [149], est un homme assez extraordinaire en toute chose; premièrement il est bossu devant et derrière, cela lui est arrivé par accident. Lui et son frère aîné, qui mourut enfant, étoient nourris à la terre de Mont, près de Loudun; le plancher de leur chambre s'enfonça; l'aîné en demeura boiteux, et celui-ci bossu. Il se démit apparemment l'épine du dos, et on n'y prit pas garde. Son père le maria, sans regarder au bien, à une fille de la maison de Rieux, de Bretagne, une des meilleures de ce pays-là. Elle peut avoir eu neuf ou dix mille livres de rente en tout, et lui avoit, à la mort de son père, sans ses meubles, plus de soixante-dix mille livres de rente en fonds de terre. A cette heure, cela en vaudroit plus de quatre-vingt-dix. Cet homme s'étoit amusé à faire le roi d'Yvetot chez lui, en Anjou, et ne venoit à la cour que pour y perdre son argent. Ce n'est pas qu'il manque d'esprit; mais il aimoit tenir son quant à moi à la province. Il ne donnoit la main [150] chez lui à personne. M. de Reims, en passant à une lieue de chez lui, envoya un gentilhomme pour lui faire compliment; il dit à ce gentilhomme: «Pourquoi votre maître n'y est-il pas venu lui-même?» Depuis, il se corrigea un peu; mais il évitoit de faire civilité.

La Trezellière, maréchal-de-camp [151], l'étant allé voir, il le laissa quatre heures sur une pelouse devant sa porte, et y fit même apporter la collation, de peur d'être obligé de lui donner la main. Par la même raison, il se mit au lit une autre fois, étant obligé de donner à dîner à feu Rasilly, le borgne, qui étoit aussi maréchal-de-camp. Aujourd'hui il est revenu de cette vision, et il m'a donné la main à moi, et me fit toutes les civilités que je pouvois souhaiter. Sa femme [152], à cette heure que son mari est guéri de cette chimère, commence à en être malade, et traite si mal les gens qu'on ne la va plus guère voir. Vous diriez que sa maison de Rieux est la maison de Bourbon [153].

Cet homme-là s'est bien plus incommodé à donner qu'à jouer. On dit, dans le pays, qu'il a donné jusqu'à huit cent mille livres. Il a été un peu de ces gens qui craignent d'aller al parediso de' coglioni. Le premier garçon dont il fut amoureux étoit un marmiton: il lui donna plus de quatre-vingt mille livres. Après, son maître d'hôtel succéda au marmiton, et le voloit in ogni modo. Cet homme partageoit ses fermes avec lui. Le troisième fut un de ses gentilshommes, nommé Des Fontaines. Quand un fermier lui apportoit de l'argent, il en donnoit deux poignées à Des Fontaines et n'en prenoit qu'une pour lui: le mignon en avoit les deux tiers. Sa dernière amitié a été un Bohème nommé Montmirail. Ce galant homme en a tiré plus de quarante mille livres, quoique le bon seigneur n'eût plus guère de quoi frire: on le voyoit avec ses cheveux gris et ses deux bosses danser avec des Egyptiennes [154]; sa femme étoit contrainte de capituler avec lui, tantôt que ses Bohèmes ne seroient que tant de jours dans la maison, tantôt qu'ils n'en approcheroient de deux lieues. Un secrétaire de feu M. de Reims (Bonin), qui étoit assez plaisant en débauche, dînoit en ce temps-là avec M. Du Bellay, qui lui dit: «Donne-toi à moi, je te ferai ta fortune.—Ma foi, dit l'autre, je n'ai pas les cheveux assez noirs ni les dents assez blanches.» Des Fontaines dînant il y a cinq ou six ans avec M. et madame Du Bellay, car il est grand seigneur en ce pays-là et y a acheté de belles terres, M. Du Bellay lui servit de je ne sais quoi avant que d'en servir à sa femme. Elle se lève et s'en va: les voilà pis que jamais, car il y a eu souvent noise en ménage; cela alla mieux depuis. Elle tâche à régler leurs affaires. Si cet homme vouloit croire conseil, le bien de sa femme et le sien leur rendroient encore quarante mille livres tous les ans. Enfin, elle s'est séparée d'avec lui; elle étoit devenue fort fière et faisoit un peu très-fort la reine d'Yvetot. Une madame de La Troche [155] Du Bellay, femme d'un parent de son mari, l'étant allée voir, elle fit signe à une parente qu'elle avoit avec elle, nommée mademoiselle de Rieux, de faire en sorte que la sœur de madame de La Troche ne lavât point avec elles. «Mademoiselle, dit mademoiselle de Rieux, laissez-les laver, nous laverons après.—Non, dit l'autre, j'ai envie de laver la première et de ne les pas attendre; car je meurs de faim.»

Madame Du Bellay, enfin, fut contrainte de se retirer à une autre terre. Au bout de quelques années, M. Du Bellay mourut quasi subitement. Elle en usa bien avec ce Bohème, cause de tout le désordre: elle lui pardonna et le prit en sa protection, dont il a grand besoin; car il est chargé de bien des affaires criminelles.

LE MARQUIS DE ROUILLAC.

Le marquis de Rouillac est de la maison de Got, bonne maison de Gascogne; son père avoit épousé une sœur de feu M. d'Epernon, avant que M. d'Epernon fût en faveur. Mais il prétend bien une plus illustre origine, car il veut être de Foix et d'Albret, tout ensemble. Un jour qu'il rompoit la tête au prince de Gueménée, de sa généalogie, et qu'il lui disoit bien sérieusement: «Canelle de Foix épousa......—Oui, dit M. de Gueménée, en l'interrompant, Canelle de Foix épousa Girofle d'Albret [156]

En sa jeunesse, un jour qu'il alla au dîner de madame de Guise, femme du Balafré [157], voyant qu'elle mangeoit des tortues: «Quoi! lui dit-il, madame, vous mangez des amphibies?—Oui, lui dit-elle en riant, et aussi quelquefois des crépuscules

Ce visionnaire fit donner des coups de bâton à l'abbé Ruccellaï, le plus mal à propos du monde; on eut bien de la peine à accommoder l'affaire. On dit qu'il s'est meublé d'une plaisante façon; il a pris à un marchand une tapisserie, à un tapissier un lit; et, à force de les chicaner pour le paiement, il a quasi eu la marchandise pour rien. Il n'a jamais été fait comme les autres; il a toujours été habillé extravagamment: il se rase comme un moine. Un été qu'il faisoit fort froid, madame de Rohan, la mère, fit ce quatrain en sa présence:

En dépit de la canicule,

Que l'on m'allume ce fagot.

Ce temps est aussi ridicule

Que le bouffon marquis de Got.

Quand le marquis de Casquez, de la maison même de Portugal, fut ici envoyé ambassadeur par le feu roi de Portugal, il se logea à la Place-Royale. Notre marquis le visita, et l'ambassadeur lui rendit sa visite. Madame de Rambouillet en écrivit une lettre à madame de Montausier, que je copierai ensuite, après avoir dit que cet ambassadeur étoit un des plus grands extravagants qui soient jamais venus de ce pays où les gens parecen locos y lo son [158].

C'étoit un vrai Portughez derrendo; il portoit à son chapeau un bas de soie de sa maîtresse, disoit et faisoit cent folies; au Cours il avoit, dans son carrosse, des cassettes pleines de gants, et il en envoyoit aux dames qui avoient le bonheur de lui plaire. Il lui est arrivé plus d'une fois d'y fermer les rideaux et de changer d'habit durant cette petite éclipse, pour paroître après comme un soleil au sortir d'un nuage.

Voici la lettre ou la relation de madame de Rambouillet:

«Le marquis de Rouillac, qui est soigneux d'acquérir de la réputation chez les étrangers [159], jugea qu'étant voisin du marquis de Casquez, ambassadeur de Portugal, il ne devoit pas perdre l'occasion de lui aller faire une visite. Peu de jours après, c'étoit un dimanche, l'ambassadeur lui manda qu'il désiroit lui rendre sa visite à quatre heures après midi. Le marquis ne manqua pas de se planter sur le pas de sa porte dès deux heures pour convier les dames qui passeroient de venir assister madame la marquise, sa femme, en cette cérémonie; mais, pour ne pas découvrir tout d'abord son dessein, il les abordoit en leur disant qu'elles ne dévoient pas perdre l'occasion qui se présentoit de voir avec beaucoup de facilité ce qui ne s'étoit pas vu depuis le règne du roi Charles, à savoir un ambassadeur de Portugal, et il disoit cela en les tenant par la main, afin que, si elles ne vouloient entrer chez lui de bonne volonté, il les y obligeât en quelque façon par force; trois ou quatre personnes, entre lesquelles étoit mademoiselle de Scudéry, y furent attrapées. Madame la comtesse de Châteauroux [160], qu'on avoit envoyé prier de s'y trouver, ne manqua pas de s'y rendre avec une jupe de tabis isabelle, couverte de passements d'or et d'argent; une robe de satin en broderie, la gorge fort ouverte, les cheveux à serpenteaux qui descendoient jusqu'à la ceinture, un appretador [161] émaillé sur la tête, et à côté une médaille d'agate antique, avec une enseigne de diamants au-dessus. Madame de La Jaille [162] y vint aussi avec sa fille Mourette, toutes deux portant fort austèrement le deuil de la Reine-mère [163]. Cependant quatre heures étoient sonnées, et l'ambassadeur ne venoit point; cela donna quelque appréhension à la compagnie qu'il n'eût oublié qu'on l'attendoit; mais on sut bientôt que ce retardement n'étoit point sans cause, et que Son Excellence avoit tenu conseil pour délibérer si, dans cette visite, il se feroit accompagner à cheval par ceux de sa suite, et qu'après avoir mûrement délibéré on avoit conclu que, les deux maisons n'étant séparées que d'une muraille, la suite tiendroit trop d'espace pour la longueur du chemin. L'ambassadeur vint donc dans son carrosse, accompagné d'un seul gentilhomme et de ses pages et estafiers. M. le marquis le reçut à la descente du carrosse, assisté de M. le marquis Alaric [164], son fils aîné, et de M. l'abbé de Got, son second, et lui dit que la coutume de France étoit de présenter ses enfants aux personnes de grande condition, quand ils faisoient l'honneur à quelqu'un de les venir visiter; que madame la marquise attendoit Son Excellence dans sa chambre. L'ambassadeur se voulut excuser de la voir, disant que, pour cette fois, il n'étoit venu que pour lui; mais le marquis s'opiniâtra à le mener à l'appartement de la marquise, et lui dit que les formes vouloient qu'en présence de sa femme et dans sa propre chambre, il fût mis en possession du pouvoir absolu qu'il avoit sur toute la maison. La dame marquise tint ferme sur le tapis de pied jusqu'à ce qu'elle le vit au milieu de la chambre; alors elle avança deux pas au-delà du tapis où, après qu'il l'eut saluée, elle le prit par la main, et le mena dans la ruelle, où trois chaises à bras étoient préparées; elle se mit dans celle qui étoit en la place la plus honorable, fit donner la seconde à l'ambassadeur, et la troisième à la comtesse [165]. La conversation ne fut pas longue, et M. le marquis entretint toujours M. l'ambassadeur en espagnol d'un ton fort hardi et toujours de guerre [166]. Pendant tous ces discours, on remarqua que l'ambassadeur eut toujours les yeux sur la comtesse; apparemment il n'en avoit jamais vu une de même; aussi ordonna-t-il tout haut à son truchement de demander qui elle étoit; à quoi le truchement obéit aussi tout haut. La comtesse s'en sentit si obligée qu'elle se leva et fit une très-profonde révérence à l'ambassadeur. Cela fait, Son Excellence se retira et ne fut accompagnée par la marquise que jusqu'au même endroit où elle l'avoit reçu. Le marquis, après avoir conduit l'ambassadeur, remonta en haut et donna mille louanges à madame sa femme de s'être conduite en cette cérémonie avec toute la dignité requise aux dames de sa condition, lui disant ces mêmes mots: «Vous m'avez tellement satisfait, que si j'eusse été dans votre cœur et dans votre âme, je n'eusse fait que les mêmes choses que vous avez faites.»

Or, pour apprendre au roi de Portugal à ne plus nous envoyer des fous, on lui envoya le marquis de Rouillac; il porta le cordon bleu sans être chevalier de l'ordre tout le temps de son ambassade [167]. Il emporta toute la vaisselle d'argent avec laquelle le Roi le faisoit servir, ou du moins un grand brasier qu'il avoit fait louer, parce que le Roi lui répondit qu'il étoit à son service; il escroqua les meubles de la maison où il logeoit; je ne voudrois pas pourtant assurer cela. Depuis il n'est pas devenu sage en vieillissant. Il lui prit, il y a quelque temps, une vision de manger tout seul et de ne vouloir pas qu'aucun de ses valets le serve à table, disant qu'il n'a que faire que ses gens lui voient remuer la mâchoire, et qu'il veut péter s'il en a envie. Son pot et son verre sont sur sa table comme sa viande; il a une clochette, et il sonne quand il a besoin de quelque chose. Il ne veut point de laquais. «Mon cocher, dit-il, me baisse fort bien la portière, et mes chevaux sont trop sages pour s'en aller.» Il va souvent seul à pied et craint, à ce qu'il dit, d'être chevalier de l'ordre, parce qu'il n'oseroit plus aller ainsi. J'oubliois que son page l'appelle Monseigneur. Il s'avisa à soixante-douze ans, ou environ, de devenir amoureux d'une madame de Nesle, dont on a fort médit avec M. d'Elbeuf, ci-devant le prince d'Harcourt. Sa femme en eut une jalousie étrange: elle s'en alla de dépit à Chartres; elle a une terre là auprès. Lui s'en alla de son côté en Gascogne; et madame de Nesle étant morte quelque temps après, il alla trouver sa femme, car il a fait mille fourbes à ses créanciers, et tout est sous le nom de cette illustre moitié. Là, il va au marché lui-même, et cependant se fait traiter d'Excellence. Il vouloit mettre sur sa porte: Hôtel de Got. Un de ses amis lui dit: «Tous les gens du Nord croiront que c'est l'Hôtel Dieu, l'hôpital, et demanderont à loger chez vous [168]

LIANCE [169].

Liance est la preciosa de France. Après la belle Egyptienne de Cervantes, je ne pense pas qu'on en ait vu de plus aimable. Elle étoit de Fontenay-le-Comte, en bas Poitou; c'est une grande personne, qui n'est ni trop grasse ni trop maigre, qui a le visage beau et l'esprit vif, et danse admirablement. Si elle ne se barbouilloit point, elle seroit claire brune. Au reste, quoiqu'elle mène une vie libertine, personne ne lui a jamais touché le bout du doigt. Elle fut à Saint-Maur avec sa troupe, où M. le Prince étoit avec tous ses lutins de petits maîtres; ils n'y firent rien. Benserade la rencontra une fois chez madame la Princesse la mère; il pensa la traiter en Bohémienne, et lui toucha à un genou. Elle lui donna un grand coup de poing dans l'estomac, et tira en même temps une demi-épée qu'elle avoit toujours à la ceinture. «Si vous n'étiez céans, lui dit-elle, je vous poignarderois.—Je suis donc bien aise, lui dit-il, que nous y soyons.» Madame la Princesse la jeune fit ce qu'elle put pour la retenir, et lui faisoit d'assez bonnes offres. Il n'y eut pas moyen. Elle dit pour ses raisons: «Sans ma danse, mon père, ma mère et mes frères mourroient de faim. Pour moi, je quitterois volontiers cette vie-là.» La Reine s'avisa de la faire mettre en une religion. Elle pensa faire enrager tout le monde, car elle se mettoit à danser dès qu'on parloit d'oraison. La Roque, capitaine des gardes de M. le Prince, devint furieusement amoureux d'elle; il la fit peindre par les Beaubrun. Gombauld fit ce quatrain pendant qu'on travailloit à son portrait:

Une beauté non commune

Veut un peintre non commun.

Il n'appartient qu'à Beaubrun

De peindre la belle brune.

Ils lui donnèrent à dîner. Ils disent qu'ils n'ont jamais vu personne manger si proprement, ni faire toutes choses de meilleure grâce, ni plus à propos. La veille qu'elle partit, La Roque lui donna à souper; elle étoit en bergère et lui en berger. Enfin on la maria à un des cadets de la troupe. Ce faquin s'amusa avec quelques autres à voler par les grands chemins, et fut amené prisonnier à l'Abbaye au faubourg Saint-Germain. Elle sollicita de toute sa force et de telle façon, que le Roi envoya quérir le bailli qui lui fit voir les charges. Le Roi dit à Liance et à ses compagnes: «Vos maris ont bien la mine d'être roués.» Ils le furent, et la pauvre Liance, depuis ce temps-là, a toujours porté le deuil et n'a point dansé.

LA MILLETIÈRE.

La Milletière se nomme Brachet et est d'une bonne famille d'Orléans; il est assez proche parent de MM. d'Espoisses [170]. C'est un homme d'esprit et qui sait, mais assez confusément; bon homme, mais vain, et qui a quelque chose de démonté dans la tête. En sa jeunesse il devint amoureux de la fille d'un procureur huguenot comme lui. Ce procureur se nommoit Gergeau; la fille étoit fort jolie: ses parents ne vouloient point qu'il l'épousât. Elle n'étoit ni riche ni de bon lieu; lui avoit du bien honnêtement. De déplaisir, il en fut dangereusement malade; il tomboit en foiblesse à tout bout de champ, et il n'en revenoit que quand on lui promettoit qu'il l'épouseroit. Enfin, il la lui fallut donner.

La Milletière se mêle un peu des affaires de la religion: il étoit de l'assemblée de La Rochelle. Là, sa femme fit fort parler d'elle avec le baron de La Musse, beau-frère de la maréchale de Thémines; elle n'en aimoit pas moins son mari pour cela; car, quand il fut pris et qu'il étoit en danger d'avoir le cou coupé à Toulouse, elle y alla en poste avec une femme de chambre, toutes deux en habit de femme: elle y arriva que son mari étoit condamné; elle portoit quelque ordre de la cour pour faire surseoir l'exécution. Je pense que MM. d'Espoisses avoient fait quelque chose pour leur parent. On dit que le parlement n'eût pas laissé de passer outre si un des principaux n'eût trouvé la demoiselle fort à son gré. Mais, quoi que c'en soit, il est certain que mademoiselle de La Milletière sauva la vie à son mari. C'est une chose constante qu'il n'y a pas une meilleure femme au monde, et qu'elle est si charitable, que son mari a été contraint de lui ôter le soin de son ménage, parce qu'elle donnoit tout aux pauvres.

Autrefois La Milletière, dans la ferveur du huguenotisme, fit une réponse par stances au cardinal Du Perron sur le traité de l'eucharistie; mais elle n'a jamais été imprimée. Ne voilà-t-il pas une belle matière pour faire des vers! Depuis il changea bien de langage, car il se mit dans la tête qu'on pouvoit accommoder les deux religions; il a fait plusieurs livres sur ce prétendu accommodement. Le cardinal de Richelieu, qui avoit ce dessein, lui donnoit apparemment quelque chose, car M. de Bassompierre disoit qu'il n'avoit jamais vu d'homme payé pour ne rien croire que La Milletière. Je crois qu'il est encore persuadé de tout ce qu'il a écrit: il lui en coûte vingt mille livres à faire imprimer ses livres. «C'étoit, lui disoit Ménage, de quoi convertir quarante huguenots à cinq cents livres pièce, et vous n'en avez pas converti un seul.» Enfin, au dernier synode national (en 1645), on le fit venir pour répondre de sa croyance; il y avoit long-temps qu'il étoit suspendu des sacrements, quoiqu'il ne laissât pas de se tenir dans le temple tandis qu'on faisoit la cène. Il ne satisfit pas l'assemblée. Celui qui présidoit lui dit évangéliquement: «Fais bientôt ce que refais.» La Milletière fut ravi d'avoir ce prétexte pour nous quitter; il se fit catholique. Sa fille aînée, femme de Catelan le grand maltôtier, disoit qu'elle s'étonnoit qu'on ne crût pas son père aussi bien que M. Calvin. Insensiblement toute la famille a fait le saut, et même son gendre qui, ayant acheté une charge de secrétaire du conseil avant que de s'être fait catholique, la mit sur la tête de son beau-père, qui, quoique titulaire simplement, ne laissoit pas pourtant d'y trouver son compte. On dit qu'avant cela il pressoit sans cesse son gendre de changer de religion: depuis, il mouroit de peur qu'il n'en changeât.

Ce Catelan est un grand bizarre. Il étoit jaloux de sa femme qui n'étoit ni jeune ni jolie. Quand il la voyoit propre: «Où vas-tu? Te voilà bien ajustée: est-ce pour voir tes f.......?» Aussitôt cette pauvre femme rentroit dans sa coquille: elle ne sort guère et lit beaucoup. Un jour il lui coupa toute la dentelle d'une jupe. Elle la fit remettre sur une autre, et ne troussoit jamais sa robe devant lui, de peur qu'il ne reconnût cette dentelle. Il appelle des mouches des papillottes noires, et c'étoit un crime capital que d'en mettre. Il mit ses filles en religion, et disoit à sa femme: «Au lieu de les mener à la messe, tu les mènerois peut-être au b.....» Il lui donnoit tout le moins d'argent qu'il pouvoit; cependant il avoit une mignonne au Marais. Depuis, je crois que cela va mieux, car il fait le dévot, et cette femme a ses filles avec elle. On dit que quand il écrit à son caissier de payer, il fait l'y grec du mot payez d'une certaine manière quand c'est tout de bon, sinon le commis lui vient dire devant tout le monde: «Monsieur, vous ne savez peut-être pas que j'ai fait tels et tels paiements, etc.» Et lui, en pliant les épaules, s'excuse et dit: «Vous voyez la bonne volonté.»

M. CHAMROND.

C'étoit un président des enquêtes qui, étant demeuré veuf assez âgé et sans enfants, fort avare, se remaria à une fort jolie personne; mais elle ne lui dura rien. En troisièmes noces il se remaria avec la fille d'un marquis de Dampierre, qui étoit fort gueux: cette personne est honnêtement follette; hors qu'elle a les cheveux roux, elle peut passer pour jolie. Il falloit souper tous les jours à sept heures et se coucher à huit; mais elle se relevoit à une heure de la nuit et ne revenoit se coucher qu'à cinq heures du matin. Je crois qu'elle se servoit de quelque drogue pour l'assoupir. Le bonhomme se levoit pour aller au Palais, et ordonnoit bien qu'on ne réveillât point sa femme. Il étoit sous-doyen du parlement, car, pour monter à la grand'chambre, il avoit quitté sa commission [171]. Quelquefois il lui prenoit des chagrins du grand abord qu'il y avoit chez lui; madame l'apaisoit en lui disant que sa sœur, qui logeoit avec elle, ne trouveroit jamais mari s'il ne venoit bien du monde les voir. Enfin il tomba malade l'été de 1658. Au dix-septième jour de sa maladie, il appelle sa femme. «Madame, lui dit-il, ce M. Brayer fait durer mon mal autant qu'il peut; cela me ruine; congédiez-le. La nature me guérira bien sans lui.» Et le soir il dit à une fille: «Charlotte, à quoi bon deux chandelles? Eteignez-en une.» Le lendemain il fut à l'extrémité. Sa femme, qui n'avoit pas découché, le voyant dans une convulsion, fait aussi l'évanouie de son côté; elle ne manquoit jamais à jouer la comédie. Il revint qu'elle faisoit encore la pâmée. «Revenez, ma chère, lui dit-il, revenez. J'ai fait tirer mon horoscope, je dois avoir quatre femmes; vous n'êtes encore que la troisième.» Cependant il passa le pas. Elle le sut si bien cajoler, qu'outre tous les avantages qu'il lui avoit faits, elle lui fit donner vingt-quatre mille livres à sa sœur, une laideronne qu'il haïssoit comme la peste. Pour montrer ce que c'est que cette femme, il ne faut que dire que le maréchal d'Estrées, ayant été obligé d'aller coucher chez elle en Beauce, à cause que son carrosse s'étoit rompu, la nuit, elle et sa sœur, lui allèrent donner le fouet, quoiqu'il eût quatre-vingts ans. Il ne fit qu'en rire.

VIEILLES REMARIÉES
ET MALTRAITÉES.

Un gentilhomme de qualité de Normandie, nommé Boudeville, épousa une de mesdemoiselles de Clermont d'Amboise, fille de ce M. de Clermont qui commandoit l'artillerie à la bataille de Coutras. Il ne vécut guère, et laissa un fils qui fut un grand duelliste et un grand étourdi. En une débauche, il sauta par une fenêtre et se rompit une jambe. Il fut enfin tué en duel [172]. Ce duel fut aussi sanglant qu'aucun autre de notre temps. Son second, nommé Croixmar, fils d'un président de Rouen, y fit tout ce qu'on pouvoit faire; pour récompense, madame de Boudeville, qui étoit encore jolie en ce temps-là, mais depuis elle devint effroyable, l'épousa. Quoique huguenote, elle étoit tout accoutumée à épouser des catholiques, car Boudeville l'étoit aussi. Elle n'a pas mal usé de sa beauté durant son veuvage; pour paroître encore plus blanche, elle se tenoit au lit avec des draps de lin écru.

Croixmar étoit fort avare et ne lui mangea point son bien: il vivoit assez bien avec elle. Mais, quoiqu'elle fût devenue horriblement dégoûtante, elle voulut avoir encore un jeune mari; ce fut un Gascon fort bien fait, nommé Graveline, catholique comme les autres. Ce garçon avoit été page de l'Écurie; mais, faute de bien, il avoit déjà tâté de la chair de vieille, car il concubinoit avec cette madame de La Jaille dont nous avons parlé dans l'historiette du marquis de Rouillac [173]. Entre deux il avoit été en Portugal chercher fortune; là, une dame devint si folle de lui, qu'elle en faisoit mille extravagances. Je n'en ai pu savoir le particulier ni d'une dame de Bordeaux qui, pour le venir voir ici, quitta tout, et fit tant des siennes, que son mari fut contraint de se séparer d'avec elle.

Le galant homme de Gascon n'en usa pas si à la bonne foi que le Normand: il est vrai qu'elle étoit encore supportable, quand elle épousa Croixmar. Il se mit en possession de toutes choses, et ne couchoit point avec madame. Elle en étoit réduite à aller à Charenton dans un carrosse de louage; car il en usoit si mal, qu'elle ne vouloit pas prendre ses chevaux. Enfin elle sortit de la maison qui étoit à elle, et plaida contre lui. Elle gagna son procès; mais, étant tombée malade, il la veilla quatorze nuits de suite, et fit si bien son personnage, que bien des gens y furent trompés [174]; Mais il fut le plus trompé de tous, car elle ne mourut point et ne revint point avec lui; cela dura encore près de trois ans. Enfin elle tombe encore malade; la voilà à l'extrémité: elle avoit déjà fait du pis qu'elle avoit pu contre lui, quand, par sa présence, il fit tout changer. Elle avoit un douaire de douze mille livres dont elle étoit fort bien payée, ou, pour mieux dire, dont Graveline étoit fort bien payé, et en retiroit la meilleure partie. Il fit le pleureux. On disoit: «Il pleure le douaire.» Il se vante ingratement de n'avoir jamais couché avec elle. On dit que le soir de ses noces il lui dit: «Madame, vous avez un peu de gale, vous me la donneriez; guérissez-vous auparavant;» et que depuis il a toujours trouvé quelque échappatoire. Mais on tombe d'accord qu'il y couchoit avant que de l'épouser. Dans la rue des Fossés-Montmartre, où il logeoit, il y avoit certains gueux fieffés qui s'étoient impatronisés des aumônes de toute la rue, et faisoient un bruit de diable; Graveline, ennuyé de cela, leur fit jeter une fois un seau d'eau sur la tête. Ils lui dirent, deux heures durant, que ce n'étoit qu'un gueux revêtu, et qu'il seroit comme eux s'il n'avoit attrapé cette guenuche de la Croixmar.

Un parent de M. le duc de Saint-Simon qu'on nommoit le Borgne Du Pont, avoit épousé une vieille. Il enrageoit d'être obligé de coucher avec elle: il étoit par voie et par chemin le plus qu'il pouvoit; il demeuroit toujours au gîte à deux lieues près de chez lui: le lendemain il n'arrivoit que le soir bien tard et ne manquoit jamais de passer à travers quelque bourbier pour faire accroire qu'il étoit bien fatigué, et cela afin qu'elle crût qu'il avoit fait une grande traite pour la venir voir. Il trouvoit donc moyen de coucher séparément cette nuit-là, car en arrivant il se mettoit au lit. Le lendemain il faisoit survenir une affaire et ainsi il se sauvoit du mieux qu'il pouvoit. Il avoit un valet-de-chambre fait au badinage; mais il ne put si bien faire que la vieille ne l'enterrât, et encore un autre après lui.

Un gentilhomme de Poitou fort accommodé, nommé Chorrays, vit un jour au prêche dans son village un jeune étranger qui pleuroit parfois et paroissoit fort déconforté. Le prêche fini, il accoste charitablement cet homme, et sut de lui qu'il étoit Polonois, et que l'argent lui ayant manqué, il ne savoit que devenir. Charroys lui offre sa maison, où il fut quelques années. L'étranger observa peu le droit d'hospitalité, car il fit galanterie avec la femme du gentilhomme au sortir de là. Peut-être fut-ce le mari qui l'obligea à s'éloigner; il fut écuyer de madame de La Trémouille. Le mari meurt. La veuve vient à Paris quelques années après, et le propre jour des barricades (1648), le Polonois, nommé Furstein, l'épousa. Il étoit retourné chez elle incontinent après la mort du mari; mais il ne voulut point l'épouser qu'elle ne lui eût donné vingt mille livres; le soir des noces, parce qu'il n'en avoit touché que quatorze, il s'en alla se coucher dans une autre chambre, et il fallut lui compter encore six mille livres pour lui faire baiser la mariée. Depuis il fit venir une gourgandine de Paris, et couchoit au grand lit avec elle, tandis que sa femme couchoit dans la garde-robe.

En voici encore une; mais il faut, avant que de parler de son second mariage, dire ce que j'ai appris de sa petite vie. Mademoiselle Véron a été une fort jolie personne: elle épousa un porte-manteau du Roi. Etant fille, elle étoit des camarades de Marie Gergeau [175]. La Milletière trouva un jour son frère. «Où vas-tu?—Je m'en vais chercher un mâle pour ma sœur.—En voici un tout trouvé, répondit-il.—C'est un moineau....—Ah! parlez donc.» Cette fille aimoit les moineaux, et le mâle étoit mort.

Elle tomba une fois dans une carrière; un cocher les y versa: elle étoit grosse. On la trouva là-dedans qui redressoit son collet: elle n'en eut pas plus de mal que cela. Quand les quarts d'écus ne valoient que trente-deux sous, elle disoit une fois naïvement: «Je perds deux quarts d'écus moins trente sous.»

On a fort médit de Malleville [176] l'académicien avec elle. Voyez comme la réputation sert auprès des femmes! Celle-ci ne savoit pas lire, cependant elle étoit ravie de se voir cajolée par un bel esprit. Leur amitié a duré plus de vingt-cinq ans, et Malleville l'aimoit encore quand il est mort.

Le mari fut plus de seize ans sans en avoir le moindre soupçon: il y étoit si accoutumé, qu'il l'appeloit l'homme de chez nous [177]; cela fit un jour une assez plaisante rencontre; nous étions voisins; Saint-Amant étoit couché avec mon frère aîné; ils étoient amis de débauche. Le bonhomme Véron lui vint parler, et lui demanda: «Qui est là avec vous?—C'est Saint-Amant; il dort encore.—Saint-Amant qui fait des vers?—Oui.—Dites-lui en ami qu'il n'en fera jamais bien, si cet homme de chez nous ne lui montre.» Saint-Amant ne dormoit point, et, sans s'informer qui étoit l'homme de chez nous, car il se tient au-dessus de tout le monde, il disoit tout bas à mon frère: «Qui est cet impertinent-là? Renvoyez-le, ou je le jetterai par les fenêtres.»

Enfin le second fils de Véron, un des plus sots animaux que je vis jamais, mal satisfait de sa mère, commença à en faire quelque bruit; déjà long-temps auparavant, tant il étoit innocent, il s'étoit plaint de ce que sa mère accouchoit en l'absence de son père. Le bruit qu'il fit vint aux oreilles du mari, qui, finement, le tira à part, et lui fit dire tout ce qu'il savoit. Ce n'est pas tout: Véron fait venir sa femme et lui confronte ce garçon; elle lui saute aux yeux, et le père eut bien de la peine à lui faire lâcher prise. Tout cela aboutit à une défense expresse de ne voir plus Malleville, et le bourgeois, comme officier du Roi, mit une épée à son côté, et jura de le tuer s'il le trouvoit en sa maison. Il ne laissa pas d'y venir secrètement; même le bonhomme le rencontra une fois entre chien et loup, et fit semblant de ne le pas reconnoître.

Cette femme persécuta toujours depuis son accusateur, et fit tant enfin qu'on le condamna à aller porter les armes en Hollande. On l'équipa pour cela assez plaisamment. Le père, curieux de vieilles ferrailles, lui donna une épée que Henri le Grand, son bon maître, avoit portée, et le propre chapeau qu'il avoit quand il épousa la feue Reine-mère [178]!

Ce garçon fit quelques jours le soldat sur le pavé. Je ne sais s'il y arriva quelque désastre; mais tout d'un coup, au lieu d'aller à Calais, il s'enfuit à Nantes, où son frère aîné avoit une commission aux cinq grosses fermes. Ce frère revint à Paris au bout de quelque temps, sa commission lui ayant été ôtée. Or, le cadet avoit porté les armes, et Malleville, n'osant plus revenir voir sa dame, elle alloit chez lui. Le mari mourut un an après. C'étoit un homme si raisonnable qu'un de ses neveux, lui criant comme il étoit à l'agonie: «Mon oncle, songez à Dieu,» il lui répondit en bégayant: «A qui veux-tu donc que je songe? au diable?»

Son grand deuil fini, la pauvre femme donna une grande preuve de sa constance à Malleville; car cet homme étant tombé malade à Fontainebleau, où la cour étoit, elle feignit d'y avoir affaire, et, quoique très-incommodée pour le logement, elle y demeura jusqu'à ce qu'il fût guéri. Malleville ne survécut guère au cocu. Elle en fut affligée; mais, comme c'est une personne qui ne prend guère les choses à cœur, elle s'en consola bientôt. Elle aime la frérie [179], et on l'enivre comme on veut; c'est une vraie tête de linotte. Elle fit les Rois, il y a quelques années, chez mon père; mon frère de Lussac et quelques autres, après l'avoir mise en belle humeur, tant par le vin que par leurs discours..... [180].

Cette folle s'habilloit à soixante ans comme une fillette; elle n'avoit pourtant rien de jeune que l'humeur et les cheveux; car, pour vérifier le proverbe, elle ne blanchit point encore. Elle avoit deux servantes qui, pour la piller plus à leur aise, se disoient l'une à l'autre, quand leur maîtresse s'habilloit: «Je ne lui donnerois que vingt ans.» Elle devint amoureuse d'un des coglioni di mila franchi du cardinal Mazarin [181]; c'étoit un garçon de trente ans qui avoit l'échine assez large: il logeoit chez elle comme parent de son gendre; il couchoit avec elle tout doucement, et s'en fit donner vingt mille livres par une bonne donation. Voilà bruit au logis. On dit qu'elle vouloit l'épouser; ma mère y fut et lui dit: «Ma cousine (elles étoient cousines germaines), vous moquez-vous de vouloir vous remarier à l'âge que vous avez?—Ma cousine, lui répondit-elle, voulez-vous que je laisse mourir un homme en la fleur de son âge? C'est fait de lui si je ne l'épouse; il mourra d'amour.—Vous rêvez, lui répliqua ma mère; vous croyez être la belle Hélène.—Je serai ce qu'il vous plaira; mais mon portrait et moi, c'est la même chose; regardez-le bien.» C'étoit un portrait où elle s'étoit fait flatter tant qu'elle avoit voulu. On fit venir son extrait baptistère de Londres, car son père et sa mère, fuyant la persécution, y avoient demeuré quelque temps; on le lui montra: elle avoit soixante et un ans. «Voire, dit-elle, peut-on ajouter foi à des gens qui ont fait mourir leur roi sur un échafaud?» Elle l'épousa. Elle ennuyoit tellement ceux qui alloient en même carrosse qu'elle à Charenton, en leur parlant sans cesse de son mari, que la plupart quittèrent à cause d'elle et prirent un autre carrosse. Un matin que cet homme étoit au lit, elle dit à une de ses amies: «C'est le plus bel homme du monde; mais c'est tout autre chose quand il est droit.» Il fut bientôt las de sa vieille; le soir il se couchoit le premier. «Mon fils, lui disoit-elle, ne t'endors pas; je m'en vais. Je serai bientôt déshabillée.» Mais c'étoit pour lui une potion somnifère que ce discours-là. Il ne l'avoit épousée qu'à cause de la disgrâce du cardinal. Il se donna bientôt après à M. de Vendôme. Il cherche de l'emploi et ne veut point retourner chez sa femme. En effet; il n'y couche pas seulement, et la bonne dame n'est pas à se repentir de tout ce qu'elle a fait. Toute la joie qu'elle a eue depuis long-temps, ç'a été de pouvoir dire: «Je porte le deuil de mon beau-père.» Elle s'imaginoit en être rajeunie de beaucoup.

LE MARÉCHAL DE SAINT-GERAN [182],
ET SA FILLE.

Le maréchal de Saint-Geran étoit de la maison de La Guiche. Il fut fait maréchal de France pour l'empêcher de criailler quand on fit M. de Luynes connétable; car il étoit de ces gens qui prétendent beaucoup, quoiqu'ils méritent fort peu: c'étoit un gros homme. On conte de lui qu'une dame, qu'il avoit aimée fort long-temps, lui dit qu'il étoit trop pourceau pour être aimé, et que, sus là, il étoit devenu maigre à force de boire du vinaigre et de s'échauffer le sang; qu'après, il eut de cette dame ce qu'il voulut; mais que, pour se venger d'une si grande rigueur, et se récompenser de la graisse qu'il avoit perdue, il l'avoit conté à tout le monde. Madame de Rambouillet dit qu'elle croit que c'est un conte et qu'elle ne l'a jamais vu que gros et gras. Il fut marié deux fois [183]: il eut une fille de son premier mariage, qui étoit admirablement belle; il la maria, dès douze ans, à un gentilhomme de qualité du Bourbonnois, nommé M. de Chazeron [184]. Je pense qu'on l'envoya se promener en Italie, à cause que sa femme étoit trop jeune; aussi, là, il gagna une si belle v....., qu'il en tomba par morceaux: il donna ce mal à sa femme qui n'en put jamais bien guérir [185]. Comme elle étoit veuve, son père lui donnoit le fouet comme on le donne à un enfant, et la traitoit fort tyranniquement. Nous parlerons d'elle ensuite. En secondes noces, il épousa la veuve d'un M. de Sainte-Marie [186], qui avoit été assez bien avec Henri IV. Cette femme avoit une fille que le maréchal fit épouser au comte de Saint-Geran, son fils [187]; après il mourut, et en mourant il disoit à cause du maréchal de Marillac et de M. de Montmorency: «On ne me reconnoîtra pas en l'autre monde, car il y a long-temps qu'il n'y est allé de maréchal de France avec sa tête sur ses épaules.»

La comtesse de Saint-Geran fut assez long-temps sans devenir grosse; enfin il peut y avoir dix-sept ans qu'on disoit qu'elle l'étoit [188]; plusieurs s'en moquoient: elle alla pourtant jusque bien près de son terme. Jamais femme n'a tant appréhendé d'avoir du mal en accouchant. Feu madame de Bouille [189], sœur de père et de mère du comte de Saint-Geran, et par conséquent son héritière, lui proposa de se servir d'une sage-femme qui, à la vérité, avoit la réputation de sorcière, mais qui la feroit accoucher sans douleur [190]. Cette pauvre femme la voit: le mari étoit absent. La sage-femme lui frottoit les reins de je ne sais quelle drogue, et la faisoit aller en carrosse à travers les sillons du Bourbonnois, qui sont fort relevés, pour détacher l'enfant. Elle étoit alors à La Palice, qui est à eux. La femme d'un gentilhomme de M. de Saint-Geran, nommé Saint-André, y fut un jour; elle étoit aussi grosse pour la première fois; cela lui fit descendre son enfant si bas, qu'elle se pensa blesser, et elle n'y voulut plus retourner. Enfin, un matin la comtesse envoie dire à cette demoiselle qu'elle la vînt trouver au jardin. «Ah! ma mie, lui dit-elle, que je me porte bien aujourd'hui! Je ne suis plus incommodée.—Mais ne sentez-vous rien? lui dit cette demoiselle; car vous perdez bien du sang?» Elle regarde; effectivement elle eut une perte de sang qui dura deux ou trois jours. Depuis elle eut toujours dans l'esprit qu'elle étoit accouchée. Sept ou huit ans après, un maître d'hôtel de la maison, à l'article de la mort, se plaignit fort de madame de Bouillé, et dit qu'elle l'avoit engagé à une étrange chose. M. de Saint-Maixent, autre héritier de Saint-Geran, accusé autrefois d'avoir tué sa femme pour épouser madame de Bouillé [191], quand son mari, qui étoit vieux, seroit mort, donna charge à son confesseur et à quelques autres, en mourant, de demander pardon pour lui à madame de Saint-Geran. Notez qu'il étoit aussi à La Palice durant sa grossesse. Tout cela joint ensemble, on conseille au comte de Saint-Geran de savoir la vérité de la sage-femme par personnes interposées. Elle dit que la comtesse étoit accouchée d'un enfant mort et qu'elle l'avoit enterré au pied du colombier. Saint-Geran la met en prison; la comtesse sur cela se va mettre dans l'esprit qu'un petit garçon qu'elle a élevé, et qu'elle fit page, étoit son fils, qu'à cause de cela on avoit fait en sorte que mademoiselle Du Puys, fille d'un tireur d'armes, une espèce de femme où il y a bien à redire, avoit souffert que cet enfant, qu'elle dit être à elle, fût élevé par la comtesse parce que effectivement c'étoit le fils de cette dame. L'enfant étoit joli [192], et Saint-Geran l'a fort gâté, car il s'en divertissoit, et lui apprenoit cent ordures. La feue maréchale, qui a eu des filles, tandis qu'on a cru cet enfant mort, disoit que c'étoit l'aîné de la maison; mais quand elle a vu que la comtesse prétendoit que ce fût cet enfant, elle disoit qu'il le falloit faire cordelier, à cause du scrupule. Voyez quelle dévote! Durant le procès d'entre M. et madame de Saint-Geran contre la Du Puys, qui soutient que c'est son fils, et que ce n'est que sa conscience qui l'empêche de le désavouer, car il seroit grand seigneur, et contre madame de Ventadour, fille de la feue maréchale, et le comte et la comtesse Du Lude, la sage-femme est morte en prison, et n'a rien avoué pour la comtesse [193]. Depuis, il y a eu arrêt qui a débouté le comte et la comtesse Du Lude et reçu la comtesse de Saint-Geran à preuves [194]. Madame de Ventadour et sa sœur de Saint-Geran, elles sont sœurs de mère, sont brouillées pour cet enfant qu'on veut faire reconnoître.

Vaure dit: «Les voilà bien empêchées de savoir si une femme a accouché oui ou non; il ne faut que regarder au ventre: chaque enfant y fait une grosse ride. Eh bien, mademoiselle Diodée n'a-t-elle pas épousé là un habile homme!»

NAIVETÉS, BONS MOTS, ETC.

Un cocher fut à confesse; on lui ordonna de jeûner huit jours. «Je ne saurois faire cela, dit-il au confesseur.—Eh! pourquoi?—Je ne veux point me ruiner. Je suis un pauvre homme qui ai femme et enfants. J'ai vu jeûner monsieur et madame tout ce carême: il faut du cotignac, des poires de bon chrétien, du riz, des épinards, des raisins, des figues, etc.»


Claquenelle, apothicaire célèbre, ayant présenté ses parties à Maissat, grand partisan, greffier du conseil, la femme duquel étoit morte d'une longue maladie, cet homme, qui n'étoit pas autrement affligé, lui dit en souriant: «Organa pharmaciæ, sunt organa fallaciæ.» Le pharmacopole lui répondit de même: «Organa publicatorum, sunt organa diabolorum.


Un homme écrivant à son fils, mit ainsi au bas: «Votre très-humble et très-obéissant père.»


Dans le temps qu'on plaida au grand conseil la cause de cette abbesse hermaphrodite qui avoit engrossé je ne sais combien de religieuses, et qu'elle fut condamnée à passer le reste de ses jours entre quatre murailles, une bonne religieuse des Hospitalières de Paris disoit à une de ses amies, qui étoit plus fine qu'elle: «Ma sœur, nous sommes pourtant bien obligées à Dieu; combien de fois n'avons-nous pas couché ensemble à notre maison des champs, et cependant il n'en est point mésarrivé!»


Un conseiller au Parlement, nommé Racine, qui n'étoit pas un grand personnage, avoit donné charge à un maquignon de lui chercher un cheval pour mettre en la place de celui qu'il avoit perdu. Un jour qu'il donnoit à dîner à bien des gens, un petit laquais vint tout échauffé lui crier devant tout le monde: «Monsieur, ce marchand de chevaux est là-bas qui dit comme cela qu'il a trouvé un pareil.»

SUITE DES BONS MOTS
ET NAÏVETÉS [195].

Une bourgeoise, qui avoit les yeux fort rudes et un peu louches, se vantant qu'un duc et pair lui avoit fait les yeux doux: «Avouez, mademoiselle, lui répondit-on, qu'il y a fort mal réussi.»


Un Gascon ayant pris querelle avec un passant, lui dit en colère: «Je te donnerai, maraud, un si grand coup de poing, que je t'enfoncerai la moitié du corps dans le mur, et ne te laisserai que le bras droit de libre pour me saluer.»


Un prédicateur ennuyoit tout le monde en prêchant sur les béatitudes. Une dame lui dit: «Vous en avez oublié une; heureux qui n'étoit point à votre sermon!»


Un homme, qui n'étoit que fils d'épicier, et faisoit le gros seigneur, ayant fait peindre chez lui, sous un tableau de dévotion, respice finem, on effaça l'r et l'm, et il ne resta plus qu'espice fine.


Un homme disoit qu'on ne pouvoit lui reprocher d'être fils d'un cornard, parce que son père n'avoit jamais été marié.


Un maître-d'hôtel servoit mal sur la table. Son maître, l'en réprimandant, lui dit qu'il ne savoit pas vivre. «Eh! où diable l'aurois-je appris, lui répondit-il, puisque je n'ai jamais bougé d'avec vous?»


Au sacre du coadjuteur de Rouen, une dame disoit qu'il lui sembloit être en paradis, tant elle trouvoit beau ce cercle d'évêques. «En paradis? lui dit-on, il n'y en a pas tant que cela.»


L'abbé de La Victoire [196] voyant entrer les dames quêteuses, crioit à ses gens du haut de l'escalier: «Qu'on ne laisse entrer personne à cause de cette petite-vérole.» Elles courent encore.


Pour dire: Je n'ai pas tant de mérite que vous, une dame françoise disoit à une Italienne: «Non sono tanto meretrice come vostra signoria.»


M. Delbène disant à Des Barreaux [197] qu'un bon morceau qu'il lui présentoit lui feroit mal à l'estomac: «Bon, bon, repartit Des Barreaux, êtes-vous de ces fats qui s'amusent à digérer?»


Des Barreaux entendant un grand tonnerre un vendredi pendant qu'il mangeoit une omelette au lard, se leva de table et jeta l'omelette par la fenêtre, disant: «Voilà bien du bruit là haut pour une omelette.»


M. le maréchal de.... a une aune de menton; M. de La G.... n'en a point. A une chasse du Roi, ayant seuls aperçu le cerf, ils coururent de ce côté-là. Le Roi dit: «Où vont-ils si vite?—Sire, répondit M. de Grammont, le maréchal de..... emporte le menton de La G..., et La G... court après pour le ravoir.»


Les Portugais ayant perdu une bataille, on trouva quatorze mille guitares sur la place.


Monsieur [198] avoit la barbe rousse. Etant à sa maison de campagne, il demanda à un eunuque pourquoi il n'avoit point de barbe? «Je vais, lui répondit-il, vous en dire la raison. C'est que le bon Dieu faisant la distribution des barbes, je suis venu lorsqu'il n'en restait plus que des rousses à donner, et j'ai mieux aimé m'en passer.»


Un paysan se mourant, son fils fut chercher le curé, à demi-lieue, et fut trois heures à sa porte, crainte de l'éveiller. Le curé lui dit après: «Je n'y ai donc plus que faire; il sera mort à présent.—Oh! nenni, monsieur, dit le paysan, Pierrot, mon voisin, m'a promis qu'il l'amuseroit.»


Madame Loiseau, bourgeoise, étoit à Versailles. Le Roi, voyant qu'elle s'approchoit fort près du cercle, dit à une duchesse de la questionner; celle-ci lui dit: «Madame, quel oiseau est le plus sujet à être cocu?» Elle lui répondit: «C'est un duc, madame [199]


M. L.... disoit: «J'ai reçu tous les sacrements, excepté le mariage que je n'ai jamais reçu en original; mais j'en ai tiré plusieurs copies.»


M. Le Féron étant attaqué des voleurs, dès les cinq heures du soir, leur dit: «Messieurs, vous ouvrez de bonne heure aujourd'hui.»


M. de Furetière disoit que le premier inventeur des dédicaces a été un mendiant.


Un meûnier faisant fort bien son devoir dans le congrès, sa femme lui disoit: «Jacob, pourquoi ne faisois-tu pas de même quand j'étions cheuz nous? Je n'eussions pas eu la peine de venir ici.»


Montmaur [200] étant à table en compagnie où l'on faisoit grand bruit de rire et chanter, dit tout haut d'un air chagrin: «Ah! messieurs, un peu de silence, on ne sait ce qu'on mange.»


On dit proverbialement: Il enrage comme un poète qui entend mal réciter ses vers.


La charge la plus difficile à exercer à la cour est celle de fille d'honneur.


Un ivrogne ayant roulé tout un escalier, étant en bas, dit froidement: «Aussi bien voulois-je descendre!—Dieu vous a bien aidé, lui dit-on, de ne vous être pas blessé.—Parbleu, répondit-il, voilà un beau secours! il ne m'a pas aidé d'un seul échelon.»


Un capitaine ayant volé une pièce de drap à un moine de pays ennemi qu'il rencontra; le moine lui dit en s'en allant: «Je vous remets au jour du jugement où vous me le rendrez.» Le capitaine dit: «Puisque tu me donnes un si long terme, je prendrai encore ton manteau.»


Un évêque croyant qu'un clerc, qui se présentoit à l'examen, étoit un niais, lui demanda pour se divertir: «Mater, cujus generis?» Il lui répondit: «Distinguo, si mea, est femini generis, si vero tua, est communis.»


Un seigneur demanda à un paysan où il alloit, qui lui répondit arrogamment: «Je n'en sais rien.—Oh! lui dit-il, je vais te l'apprendre.» Aussitôt il le fit prendre et lier par ses gens pour le mener en prison. Quand le drôle vit que c'étoit pour de bon, il demanda grâce. «Eh bien, dit-il en pleurant, ne vous avois-je pas dit que je n'en savois rien?» Le seigneur se mit à rire de cette juste et plaisante repartie, et il le fit délivrer.


Un père représentant toutes sortes de raisons à sa fille pour la dissuader du mariage, lui cita saint Paul, qui dit que c'est faire bien de se marier, mais qu'il est encore mieux de ne le pas faire. «Eh bien, mon père, répondit-elle, faisons bien; fera mieux qui pourra.»


Certain bourgeois, qui avoit coutume de venir voir souvent un moine goutteux, fut un mois sans y venir, et y revint en sautant et dansant tout joyeux, disant: «Mon père, c'est que je me suis marié depuis que je ne vous ai vu.—Je ne m'en étonne pas, lui dit-il, vous ressemblez à ces jeunes chevreaux qui ne font que sauter quand les cornes leur viennent.»


Un empereur montroit un beau couvent qu'un de ses ancêtres avoit fait bâtir pour accomplir un vœu qu'il avoit fait au fort d'une bataille. Le colonel françois à qui il parloit lui répondit: «Son vœu et son bâtiment me font croire qu'il avoit une belle peur dans la bataille.»


Un poète, qu'on railloit sur sa poésie, disoit d'un air content de lui: «Je ne crois pas mes vers fort bons, mais franchement je les crois fort passables.—Vous avez fort raison, lui répondit une personne de la compagnie, ils sont passables en toutes façons, car vous vous seriez bien passé de les faire, nous nous serions bien passés de les entendre, et la mémoire en passera bien vite.»


Un président fort avare et grand joueur, disoit, après avoir fait une grande perte, que du moins il avoit perdu sans dire un seul mot. «Il est vrai, monsieur, lui répondit-on, c'est que les grandes douleurs sont muettes.»


L'on dit un jour à un prélat qui ne résidoit que rarement dans son évêché: «C'est bien fait, monseigneur, cela marque la confiance que vous avez en Dieu; votre diocèse peut-il être mieux que sous la conduite de la Providence?»


Le duc d'Ossonne promit mille pistoles aux Jésuites, s'ils lui faisoient voir qu'on pût donner l'absolution par avance d'un péché non encore commis. Après avoir bien cherché, ils lui apportèrent un de leurs auteurs, et lui donnèrent l'absolution qu'il demandoit. Il leur donna une lettre de change à recevoir à quatre lieues. Ils trouvèrent en chemin douze drôles qui les battirent et leur prirent la lettre de change. Ils vinrent se plaindre au duc, qui leur dit que c'étoit là le péché qu'il avoit envie de commettre, et qu'ils l'en avoient absous.


Une paysanne demandoit à sa nièce mariée depuis trois mois, s'ils s'aimoient toujours bien: «Eh! dit-elle, là, là.—Mais, comment! es-tu fâchée d'être mariée?—Nennin, ma tante, répondit-elle, mais ardé, n'en s'entr'aime mieux quand on ne s'ha pas qu'on s'entr'aime quand on s'ha.»


Une sage-femme s'approchant d'une fenêtre pour nettoyer l'enfant qu'elle venoit de recevoir, s'écria: «Ah! qu'il ressemble à son père!—Comment, dit l'accouchée de dedans son lit, est-ce qu'il a une couronne sur la tête?»


Un commis borgne ayant exigé d'un cabaretier des droits qu'il ne lui devoit pas, le cabaretier, pour s'en venger, fit représenter le portrait du commis à son enseigne, sous la forme d'un voleur avec cette inscription: Au Borgne qui prend. Le commis, s'en trouvant offensé, vint trouver le cabaretier, et lui rendit l'argent des droits en question, à la charge qu'il feroit réformer son enseigne. Le cabaretier, pour y satisfaire, fit seulement ôter de son enseigne le p; si bien qu'il resta, Au Borgne qui rend, au lieu du Borgne qui prend.


Un chevalier menteur disoit avoir vu une église de mille pas de long: son valet voulant l'interrompre par un démenti, il dit aussitôt, pour raccommoder la chose, et deux de large. Comme il vit qu'on rioit: «C'est ce coquin qui en est cause, sans lui je l'allois faire carrée.»


Arlequin disoit que le Colosse de Rhodes s'étoit marié avec la Tour de Babylone, et qu'ils avoient engendré de leur mariage les Pyramides d'Egypte.


Un gentilhomme parlant d'une chambre où on l'avoit mis coucher, dont les murs étoient rompus et crevassés, disoit: «Voici la plus mauvaise chambre du monde, on voit le jour toute la nuit.»


Un confesseur demandoit à un soldat qui se confessoit s'il avoit jeûné. «Que trop, mon père, répondit-il; j'ai quelquefois été huit jours sans manger de pain.—Mais si vous en eussiez eu, dit le confesseur, vous en eussiez mangé?—Très-assurément, répondit le soldat.—Mais, ajouta le confesseur, Dieu ne prend pas plaisir à ces jeûnes forcés.—Ma foi, répliqua le soldat, ni moi non plus, mon père.»


Santeuil disoit à Du Périer: «Tu es réduit au lait de Muses.» Celui-ci répondit: «Les Muses sont vierges; si elles ont du lait, c'est vous qui les avez prostituées.»


Maldachin étant amant favori de donna Olimpia, et partageant ses plus douces faveurs avec le pape, elle lui dit un jour dans ses transports les plus violents: Coraggio, mi Maldachin, ti farò cardinale; mais il lui répondit: Quando sarebe per esser papa, non posso più.


Une femme reprochoit à son mari studieux qu'il avoit de l'indifférence pour elle, qu'elle voudroit être livre, parce qu'il étoit toujours en leur compagnie. «Et moi aussi, lui dit-il, pourvu que ce fût un almanach: j'en changerois tous les ans.»


Un homme, dans la crainte d'être battu par un de ses ennemis, se tint plus d'un an sur ses gardes avec beaucoup d'inquiétude; mais à la fin, recevant des coups de bâton de lui lorsqu'il y pensoit le moins, il dit: «Grâce à Dieu, me voilà dehors de cette querelle.»


En arrivant d'un voyage, M. de Vivonne disoit à sa sœur, madame de Thianges, tous deux fort gros: «Embrassons-nous, si nous pouvons.»


Madame de Thianges étant malade, et se plaignant au comte de Roucy du bruit des cloches, il lui dit: «Madame, que ne faites-vous mettre du fumier devant votre porte?»


L'abbé d'Aumont trouvant sa loge prise à la comédie par le maréchal d'Albret, dit: «Voilà un plaisant maréchal, il n'a jamais pris que ma loge.»


M. de Gondi, abbé de Sainte-Magloire [201], qui fut depuis archevêque de Paris, étant fortement sollicité de permuter cette abbaye contre un autre bénéfice qui paroissoit plus considérable, répondit: «Gloriam meam alteri non dabo.»


Un partisan se trouvant dans une compagnie où chacun déclama de son mieux contre les gens d'affaires, voulut prendre leur parti en disant qu'ils étoient le soutien de l'État. «Parbleu, répondit un de ceux qui l'écoutoient, c'est donc dans le sens que la corde est le soutien du pendu, qui ne le quitte point qu'elle ne l'ait étranglé.»


Clermont Tonnerre, évêque de Noyon, disoit dans une maladie qu'il avoit: «Hélas! Seigneur, ayez pitié de ma grandeur.»


Le même évêque disoit des docteurs de Sorbonne: «C'est bien affaire à des gueux comme cela de parler du mystère de la Trinité.»


Après le paon et le cardinal, le plus glorieux de tous les animaux est le président à mortier.


Madame Cornuel, qui avoit les dents fort laides, demandoit à M. Santeuil combien ils étoient de moines à Saint-Victor: «Autant, lui dit-il, que vous avez de cloux de girofle dans la bouche.»


M. Bautru comparoit les Capucins à de vieux jetons dont on a rogné les lettres; on ne voit qu'une tête avec la barbe, le reste est effacé.


Rabelais étant fort malade, son curé, qui ne passoit pas pour un habile homme, le vint voir pour lui administrer les sacrements, et lui montrant la sainte hostie, lui dit: «Voilà votre Sauveur et votre maître qui veut bien s'abaisser jusqu'à venir vous trouver, le reconnoissez-vous bien?—Hélas! oui, répondit Rabelais, je le reconnois à sa monture.»


Le duc d'Antin faisant voir à un ambassadeur étranger les beautés de Marly, entre autres les deux premières allées du jardin dont les arbres, courbés en arc, forment comme autant de portiques, et une longue suite de berceaux, il lui demanda ce qu'il en pensoit. «Cela me paroît admirable, répondit l'ambassadeur; en France tout plie aux volontés du Roi, jusqu'aux arbres.»


Un intendant de province, homme fort dur aux gens de la campagne, se voyant importuné par un paysan opiniâtre qui s'empressoit toujours de vouloir lui parler, lui donna un coup de pied pour le faire sortir. Le paysan fit la pirouette sans quitter sa place, et se retournant vers l'intendant: «Pargué, monseigneur, lui dit-il, si c'est ainsi que vous répondez les requêtes qu'on vous présente, vous n'avez pas besoin de secrétaire.» Chacun se mit à rire du bon mot, et l'intendant ne put plus lui refuser ce qu'il souhaitoit.

REPARTIES DE MADAME CORNUEL [202].

Madame Cornuel avoit un jour un procès, au rapport de M. de Sainte-Foi [203], maître des requêtes. Elle avoit de la peine à lui faire entendre ses raisons. Elle alla pour le solliciter, et le portier lui dit qu'il étoit allé entendre la messe. «Hélas! mon ami, lui dit-elle, il n'entend que cela.»


Mademoiselle de Piennes, qui a été chanoinesse, commençant à se passer, et néanmoins ayant grand soin de son teint, mettoit toujours un masque, ce qui fit dire à madame Cornuel que la beauté de cette demoiselle étoit comme un lit qui s'use sous la housse.


En 1691, le Roi étant allé faire le siége de Mons, plusieurs ducs, sans emploi, le suivirent. Madame Cornuel disoit que c'était l'arrière-ban des ducs.


Madame Cornuel avoit plus de quatre-vingts ans, quand madame de Villesavin, sa voisine, âgée de quatre-vingt-douze ans, mourut. «Hélas! dit-elle en apprenant cette mort, me voilà découverte.»


Elle disoit que les Jansénistes étoient d'honnêtes gens, mais qu'ils étoient trop affectueux, et que quand M. d'Andilly la rencontroit, il l'embrassoit toujours si fort, qu'elle ne savoit comment s'en débarrasser.


Quelque temps après que mademoiselle de Navailles, dont la mère a poussé jusqu'à l'excès l'application aux affaires, eut épousé le duc d'Elbeuf, ce prince fut attaqué d'apoplexie qui lui rendit la moitié du corps perclus. A peine en étoit-il guéri, qu'il alla, accompagné de sa femme, tenir les États de la province d'Artois, dont il étoit gouverneur. Madame Cornuel, ayant appris ce voyage, ne put s'empêcher de témoigner la surprise où elle étoit de ce qu'on le menoit si loin en pareil état [204]. «Vous verrez, poursuivit-elle, que c'est un ménage de la maison de Navailles, et qu'on le veut faire enterrer aux dépens des États.»


Feu M. le duc de Noailles fut un jour obligé de donner au public sa généalogie, et entre autres articles, il y en avoit un qui le faisoit descendre d'un homme appelé Gimel. Madame Cornuel dit qu'elle ne doutoit point de la vérité de cette généalogie, et qu'à la physionomie qu'il avoit, il falloit qu'il fût descendu des lamentations de Jérémie.


On lui dit une fois que Desmenu-Courtin étoit fort malade, et qu'il ne vouloit point se confesser: «Vraiment, dit-elle, c'est bien à lui de mourir sans confession!»


M. le duc de Montausier étant fort malade, son valet-de-chambre vient dire à madame Cornuel, qui venoit pour le voir, que son maître ne voyoit plus les femmes en l'état où il étoit: «Va, va, dit-elle, mon ami, il n'y a plus de sexe à mon âge de quatre-vingts ans [205]


Un jour qu'elle avoit un procès contre un partisan, elle fut obligée d'aller chez M. Pussort, conseiller d'État, et d'attendre dans son antichambre, parce que des financiers étoient avec lui dans son cabinet. Quelques laquais étoient dans le même lieu, jouant assez incivilement auprès d'elle. Le secrétaire de M. Pussort, passant par là, voulut les faire arrêter; mais madame Cornuel l'empêcha, lui disant: «Laissez-les faire, monsieur; je ne les crains point, tant qu'ils sont ainsi vêtus; mais bien quand ils sont en manteaux noirs, comme ceux de là-dedans, qui sont très-redoutables pour moi [206]


Les fermiers-généraux des aides lui saisirent une fois un panier de gibier qui lui venoit de la campagne. Sur l'avis qu'elle en eut, elle l'envoya redemander au bureau, et les intéressés, apprenant qu'il n'y avoit pas lieu à la confiscation, le restituèrent, en disant qu'il falloit éviter ses bons mots. On lui rendit compte de cette réponse. «Ces gens-là me connoissent, dit-elle; vous verrez que quelqu'un d'eux a été laquais dans quelque bonne maison de ma connoissance.»


Elle disoit des partisans qui avoient fait fortune de son temps, que ceux qui nous avoient décrotté autrefois nous crottoient à présent.


Il est public que dans la promotion des chevaliers de l'ordre du Saint-Esprit, qui se fit le premier jour de l'année 1689, il y en avoit plusieurs dont la naissance étoit beaucoup au-dessous de cet honneur. M. le comte de Choiseul reçut l'ordre à cette promotion, et comme sa qualité et son mérite le rendoient très-digne de cette distinction, madame Cornuel disputant avec lui quelque temps après: «Taisez-vous, lui dit-elle, je vous nommerois vos camarades [207]


En l'année 1680, pendant que la chambre des poisons étoit établie, madame Cornuel disoit à M. de Bezons, conseiller d'État, qui étoit de cette commission, qu'il étoit honteux pour eux qu'ils ne fissent pendre que des gueux, et qu'ils devoient, pour leur honneur, faire louer des habits à la friperie pour habiller ces malheureux, quand on les exécutoit, afin du moins d'imposer au public.


Comme on lui dit qu'on brûloit les procès des empoisonneurs avec les empoisonneurs mêmes: «Vraiment, dit-elle, c'est bien fait; mais il faudroit encore brûler les témoins et les juges.»


Les rubans étant devenu fort à la mode, on lui dit que madame de La Reynie [208] en avoit une échelle. «Hélas! dit-elle, j'ai bien peur qu'il n'y ait une potence dessous.»


En l'année 1689, elle disoit qu'elle ne savoit pas pourquoi on vouloit que le Roi n'aimât pas Paris, vu la quantité de bourgeois qu'il avoit faits chevaliers de l'ordre.


Un jour d'été, étant dans l'antichambre de M. Colbert, elle disoit qu'elle croyoit être en enfer, parce qu'il y feroit fort chaud, et que tout le monde y seroit mal content.


Elle disoit un jour que le marquis d'Alluye l'étoit venu voir, qu'il avoit l'air d'un mort, tant il étoit changé, et qu'elle avoit été sur le point de lui demander s'il avoit congé du fossoyeur, pour aller ainsi par la ville.


Elle disoit de la Comtesse de Fiesque, qu'elle s'entretenoit dans l'extravagance, comme les cerises dans l'eau-de-vie.


La même comtesse de Fiesque disoit un jour, devant elle, qu'elle ne savoit pourquoi l'on trouvoit Combourg fou, et qu'assurément il parloit comme un autre. «La comtesse a mangé de l'ail,» reprit-elle.


Un homme de fort peu d'esprit, et qui sentoit très-mauvais, vint voir madame Cornuel. S'en trouvant importunée, elle dit, quand il fut sorti: «Il faut que cet homme soit mort, car il ne dit mot et sent fort mauvais.»


En l'année 1689, le maréchal de Duras, commandant l'armée du Roi en Allemagne, faisoit peu de dépense et fort mauvaise chère. «Faut-il s'en étonner? dit-elle, il a une maîtresse et un intendant.»


Un de ses laquais fit une sottise, et en même temps tomba à quatre pieds: «Je te défends de te relever, dit-elle, tu es fait pour aller comme cela.»


Elle disoit du père Gonnelieu, jésuite, et prédicateur fort sévère, qu'il surfaisoit en chaire et donnoit à bon marché dans le confessionnal.


On parloit un jour devant elle de l'avarice de M. de Louvois et de l'archevêque de Reims. «Vraiment, dit-elle, M. le chancelier est bien heureux, car ses enfants se portent au bien de bonne heure.»


En 1690, le Roi ayant créé deux charges de président à mortier du parlement de Paris, en donna une à M. l'avocat-général Talon. Il y en avoit trois ou quatre fort jeunes des six qui devoient précéder M. Talon, suivant l'ordre de leur réception, quoiqu'il fût le plus âgé de tous; ce qui fit dire à madame Cornuel, qu'il seroit comme le prêtre des enfants rouges, qui en mène dans les rues une troupe devant lui.


L'an 1690, Gilbert, conseiller au grand conseil, dont le père a été marchand de toile, à l'enseigne des Rats, voulut se faire président des comptes à Paris. Madame Cornuel l'apprenant, dit que les papiers de la chambre des comptes étoient perdus si l'on mettoit les rats dedans.


Elle disoit de Jacques second, roi d'Angleterre, que le Saint-Esprit lui avoit mangé l'entendement, à cause de sa dévotion et de son imbécillité.


Elle disoit de M. Jeannin de Castille, qu'il étoit né mort.


Elle disoit de MM. de Courtenai et La Vauguyon, chevaliers de l'ordre, que la différence qu'il y étoit entre eux, étoit que l'un ne pouvoit avoir ce qu'il espéroit, et que l'autre avoit eu ce qu'il n'espéroit pas.


L'an 1691, le Roi ayant mis M. le duc de Beauvilliers, et rappelé M. de Pomponne dans le ministère, madame Cornuel disoit que c'étoit la vertu et la prudence dans le conseil, mais qu'on n'y voyoit point la force.


Baron, fameux comédien, et très-favorisé des dames, ayant quitté la comédie, madame Cornuel demanda si ce n'étoit pas pour aller aux Madelonnettes [209].


Elle disoit, en 1691, qu'il couroit des retraites comme des fièvres-quartes, à cause de celle du comte de Santena [210], de celle de M. Fieubet [211] et de celle de Baron.


Elle comparoit le maréchal de Duras aux almanachs, parce qu'il disoit tant de choses, qu'il falloit bien qu'il rencontrât quelquefois la vérité.


Elle disoit sur la religion qu'elle n'étoit pas mourante, mais qu'elle étoit défaillante [212].


Le roi Jacques second n'ayant pu passer en Angleterre à cause des vents excessifs qu'il faisoit, madame Cornuel dit que Dieu avoit cela sur la conscience.


Quelqu'un paroissant inquiet du lieu où l'on mettroit les étendards pris à la bataille de Steinkerque [213], par le grand nombre qui étoit déjà à Notre-Dame: «Bon, dit-elle, voilà bien de quoi s'embarrasser! Ils serviront de falbalas aux autres.»


Au commencement de 1693, quantité de femmes de la cour ayant fait, dans le faubourg Saint-Germain, des débauches qui faisoient grand bruit, et qui scandalisoient le public, madame Cornuel dit que c'étoit une mission que M. l'archevêque de Paris avoit envoyée dans le quartier pour retirer les jeunes gens d'une plus vilaine débauche.


Elle disoit que la comtesse de Fiesque étoit un moulin à paroles.


Madame de Lionne ayant été fort coquette, et étant sur le retour, elle soutenoit le débris de ses charmes par beaucoup de pierreries; madame Cornuel disoit que c'étoit du lard dans une souricière [214].


En 1693, où les armées furent long-temps sans rien faire de considérable, et coûtoient des sommes immenses, madame Cornuel disoit que nous n'avions guère de nouvelles pour notre argent.


Il étoit grand bruit la même année, que toutes les femmes, et surtout les duchesses, alloient manger chez M. le chancelier et chez M. de Pontchartrain; elle dit qu'il falloit que ces messieurs fissent de la soupe pour les duchesses, comme l'on en fait pour les pauvres dans les paroisses.


Madame Cornuel entendant dire: Nous avons une grande guerre à soutenir, et nous n'avons point d'alliés, dit: «Pardonnez-moi, il nous reste encore le roi de Siam; voilà des envoyés qui partent pour lui [215]


En 1693, madame Cornuel entendant dire que les blés ne rapportoient rien cette année, dit: «Les blés de cette année sont comme les victoires de M. de Luxembourg; elles ne rendent point.»


Les voleurs attaquèrent un soir madame Cornuel. L'un d'eux entrant dans son carrosse, commença par lui mettre la main sur la gorge; mais elle lui repoussa le bras sans s'effrayer, lui disant: «Vous n'avez que faire là, mon ami, je n'ai ni perles ni tétons.»


Après la mort de M. Pavillon, évêque d'Alet, dont l'éminente piété, l'exacte résidence et la fermeté sont connues de tout le monde, le Roi donna ce bénéfice à l'abbé de Valbelle. Madame Cornuel, en lui faisant compliment, lui dit: «Jésus! monsieur, on vous a donné là un évêché bien austère.»

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