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Les illusions musicales et la vérité sur l'expression

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DEUXIÈME PARTIE


III
LA MUSIQUE IMITATIVE

Jusqu'à présent, je me suis occupé des erreurs provenant de la situation, de l'ignorance, des préjugés, du mauvais goût, de l'égoïsme des auditeurs. Il existe des causes d'illusion d'un effet moins bruyant, moins violent, moins funeste, mais qui peuvent influer sur le caractère et la valeur d'une œuvre, sur la tendance générale de l'art, quoique toutes les aberrations finissent toujours par être jugées et qu'elles n'empêchent jamais l'art de reprendre sa direction rationnelle et légitime. S'il ne faut pas voir dans la musique un pur instrument de plaisir, il ne faut pas non plus, passez-moi le mot, y chercher midi à quatorze heures, en prétendant lui faire dire plus qu'elle ne peut dire. Je veux parler des aberrations qu'on appelle musique imitative, musique descriptive, couleur locale, musique mystique, etc. Examiner ce que la musique ne peut pas exprimer, sera le meilleur moyen d'arriver à déterminer ce qu'elle signifie en réalité.

Je commencerai par la musique imitative, question discutée souvent, qui semble assez simple, et dont, cependant, on n'a pas encore donné une solution satisfaisante. D'une part, la musique imitative est un genre très inférieur et même peu musical, mais, d'autre part, elle touche à l'expression musicale véritable; aussi, presque tous les compositeurs en ont-ils fait usage plus ou moins. Dans les discussions esthétiques sur ce sujet, on cite ordinairement beaucoup d'exemples; on n'en finirait pas si on voulait les citer tous; seulement, d'après un dicton vulgaire, à force de voir des arbres, on ne voit pas la forêt; on cite des exemples, on discute, et l'on ne conclut pas, ou l'on conclut mal.

La musique imitative n'est pas d'invention moderne. Un des plus anciens ballets sacrés des Grecs représentait le combat d'Apollon contre le serpent Python; le ballet était divisé en cinq actes, dont le premier montrait les préparatifs de la lutte, et le dernier, les réjouissances après la victoire. Des flûtes, des cithares et des trompettes accompagnaient l'action d'une musique appropriée, si bien qu'on cherchait à imiter par la trompette les grincements de dents du monstre blessé. L'imitation ne devait pas être fort exacte, mais on n'est pas plus exigeant aujourd'hui, quoique l'on ait beaucoup perfectionné la musique imitative. On a mis en musique des batailles: Dittersdorf, contemporain de Mozart, a fait douze symphonies sur les métamorphoses d'Ovide; Buxtehude a écrit des morceaux pour harpsicorde, destinés à peindre les diverses propriétés des sept planètes; le règne animal a été largement mis à contribution; bref, on a voulu imiter tout ce qui peut être vu ou entendu, et même davantage.

Au siècle dernier, l'imitation de la nature était regardée comme le principe fondamental de tous les beaux-arts. On connaît le traité de Batteux sur ce sujet; de telles dissertations n'ont guère d'utilité, d'autant plus que l'on confondait l'imitation avec l'expression. Il suffit de lire les lignes suivantes de J. J. Rousseau: «La musique peint tout, même les objets qui ne sont que visibles, et la plus grande merveille d'un art qui n'agit que par le mouvement est d'en pouvoir former jusqu'à l'image du repos. La nuit, le sommeil, la solitude et le silence entrent dans le nombre des grands tableaux de la musique, etc.» Réverony Saint-Cyr a poussé le système à ses dernières limites; il a soutenu qu'en musique, pour toute image parfaitement rendue, le trait visuel concorde avec le trait du chant, et que la forme de l'objet doit se trouver sur le papier dans la série même des notes, pourvu qu'on l'y cherche avec art. Il a vu ainsi, dans la musique finale d'Armide de Lully, le palais de la magicienne qui s'écroule; dans le prélude d'Iphigénie en Tauride de Gluck, il a découvert les ondulations des vagues de la mer; ailleurs, la musique, selon lui, dessine les mouvements d'un serpent, le lever du soleil, une âme qui monte au ciel, etc. Réverony Saint-Cyr donne des exemples en notes avec les dessins correspondants. Il lui a fallu, en effet, beaucoup «d'art» et d'imagination [1].

L'imitation est si peu le but suprême des beaux-arts, qu'elle n'est rigoureusement possible que dans des cas très peu nombreux. Pour reproduire exactement, par exemple, une figure humaine, il manque à la sculpture deux choses essentielles: le coloris d'abord, l'expression des yeux ensuite. Au musée des antiques du Louvre, il y a un chien en marbre; on prétend qu'il est si bien imité que les chiens aboient en le voyant. Comme l'entrée du musée leur est interdite, je ne puis garantir le fait; d'ailleurs, la méprise d'un chien prouverait peu de chose.

Le trompe-l'œil en peinture a un domaine extrêmement restreint, parce que cet art ne peut pas rendre l'éclat de la lumière. Comparez le lever de soleil le mieux peint avec la nature, et vous verrez l'énorme distance qui sépare l'un de l'autre. Mais du moins le trompe-l'œil est possible en peinture; le trompe-l'oreille est-il possible en musique? J'en doute; toute imitation, si fidèle qu'elle puisse sembler, reste trop loin du modèle pour qu'on prenne le change. Un coup de grosse caisse peut représenter le son du canon lointain; mais c'est une pure exception, autrement tous les coups de grosse caisse représenteraient des coups de canon. Le son de la grosse caisse et celui du canon, même lointain, diffèrent trop, d'ailleurs, pour que l'on confonde réellement l'un avec l'autre. Beethoven a imité le chant du coucou au moyen de la clarinette; mais la voix de cet oiseau diffère sensiblement du son de la clarinette; et puis le coucou ne fait pas toujours un intervalle de tierce majeure. Quant à la caille, jamais elle ne se reconnaîtrait dans la symphonie pastorale; le hautbois peut, en bien des circonstances, répéter le aigu sur le petit dessin rythmique employé par Beethoven, sans que personne croie entendre une caille; il en est de même pour la clarinette jouant ré si bémol.

Un trille de flûte, accéléré graduellement, est une bien pauvre imitation du chant du rossignol. Les fabricants d'oiseaux mécaniques réussissent beaucoup mieux. Tout l'art de Beethoven ne saurait rivaliser avec les jolis petits automates qui, à la porte des magasins de joujoux, font la joie et l'amusement des passants. Le loriot ne se fait pas entendre dans l'amusette de la symphonie pastorale; cependant il n'a pas été oublié par Beethoven; mais personne ne s'en douterait, si Schindler ne nous avait pas avertis. Prenons donc une flûte pour une flûte et non pas pour un loriot.

Berlioz, dans la scène aux champs de la symphonie fantastique, imite le tonnerre par un roulement de timbale; il y a la même observation à faire que plus haut sur la grosse caisse. Au quatrième acte de Rigoletto, Verdi imite le sifflement du vent par le chœur vocalisant à bouche fermée dans la coulisse. C'est un effet de machinisme plutôt qu'un effet musical, et qui ne peut tromper personne, si tant est qu'on y fasse attention.

L'imitation du galop du cheval par une batterie en triolets, et de l'aboiement du chien par une note précédée d'une appogiature, sont des moyens trop enfantins et trop conventionnels. Il y a toujours lieu de répéter la remarque faite sur la grosse caisse. Meyerbeer aussi a imité le galop du cheval au deuxième acte du Prophète. Le machiniste ne pouvant faire galoper un cheval dans la coulisse pour annoncer l'arrivée d'Oberthal, le basson remplace économiquement la bête.

Une imitation plus réaliste est celle des coups de canon dans les batailles écrites pour le piano; on frappe les basses de l'instrument avec le plat des deux mains, ou encore avec tout l'avant-bras gauche.

Si l'on étudie les partitions du siècle dernier, on voit qu'en ce temps on n'était pas difficile sur les moyens d'imitation; avec une simple gamme, on disait une foule de choses. Mozart aussi se sert de la gamme ascendante dans le duel de Don Juan; la tempête, dans le prélude d'Iphigénie en Tauride de Gluck, est assez enfantine, et les gammes n'y manquent pas. Dans le Postillon de Longjumeau Biju imite le vol de Zéphyre, le roulement d'un torrent, le chant des bergers charmant les nymphes, les doux accents des habitants de l'Arcadie, en vocalisant toujours une gamme descendante. Le procédé de Biju est celui par lequel Lully, Rameau et leurs successeurs faisaient de la musique imitative.


Lorsque l'imitation concerne un effet purement visuel, il est évident que l'effet musical auditif y répond encore bien moins que dans l'imitation de bruits ou de sons quelconques. Les gammes représentant les deux adversaires qui se fendent dans le duel de Don Juan, peuvent compter comme une imitation d'un effet visuel. Rossini fait exécuter aux violons de l'orchestre une gamme ascendante de près de trois octaves, au moment où Guillaume Tell abat la pomme placée sur la tête de son fils. Rossini a-t-il voulu peindre le mouvement de la flèche? En ce cas l'imitation est fausse, car la flèche doit suivre une ligne presque horizontale. Ou bien a-t-il voulu rendre le sifflement du projectile? L'imitation est encore fausse, car le sifflement d'une flèche, comme celui d'une balle de fusil, doit baisser d'intonation à mesure que la flèche ralentit son vol, en s'éloignant de son point de départ. Pourquoi Rossini n'a-t-il pas fait siffler aussi la flèche avec laquelle Guillaume tue Gessler? Celle-là assurément devait être décochée avec une vigueur peu commune.

Voici la contre-partie de la gamme de Rossini: Dussek, qui cependant ne manquait pas de talent, a écrit un morceau pour piano intitulé: Les malheurs de Marie-Antoinette; à la fin, une glissade parcourant le clavier de haut en bas peint «la chute du couteau de la guillotine!»

Dans la Création d'Haydn, les exemples de musique imitative abondent, comme on sait. Ce n'est pas la peine de parler de l'ouverture, contenant une peinture du chaos; la meilleure représentation du chaos est celle que font les musiciens d'orchestre, quand ils accordent leurs instruments et que chacun prélude de son côté. Il y a ensuite le mugissement du vent, le vol des légers nuages, la foudre, l'éclair, la neige, la grêle, la rosée, un torrent, un ruisseau paisible, un lion qui rugit, un tigre qui bondit, un cerf léger, un cheval qui s'élance, un serpent qui rampe, etc. Dans l'ouverture des Saisons, Haydn a peint le passage de l'hiver au printemps. Mendelssohn a pris la même peinture pour sujet de l'ouverture de sa cantate: La première nuit de Walpurgis. Les Saisons sont naturellement écrites dans le même système que la Création.

Prenez n'importe quel passage imitatif d'Haydn et considérez-le, en faisant abstraction du texte; vous conviendrez que personne n'y verrait une intention imitative, s'il n'y était engagé par le titre ou les paroles chantées.

Vous direz encore que le même passage ou un passage analogue se trouve ailleurs dans les œuvres d'Haydn ou dans celles d'autres compositeurs, sans aucun effet imitatif. C'est encore et toujours le coup de grosse caisse qui représente, une fois par exception, un coup de canon. La musique de ce genre ressemble à ces vieilles peintures où les personnages par eux-mêmes n'ont pas d'expression ou bien en ont une quelconque; sur une bande qui sort de leur bouche sont écrites les paroles qu'ils sont censés dire, sans paraître en avoir l'air aucunement.


Avant d'aller plus loin, cherchons une règle pour apprécier en quelle manière l'imitation est praticable en musique. A cet effet, prenons des exemples de musique pittoresque, mais où il n'y a point de musique imitative; j'en emprunte deux à la partition écrite par Mendelssohn pour le Songe d'une nuit d'été de Shakespeare, et que tout le monde connaît. Dans l'intervalle entre le deuxième acte et le troisième, Hermia cherche Lysandre et s'égare dans la forêt. La musique rend d'une façon claire et caractéristique l'inquiétude et l'agitation d'une personne cherchant en vain; sa course haletante et vagabonde semble même rendue par le rythme et par l'expression de la mélodie, augmentée d'une heureuse orchestration. Le scherzo qui sert d'intermède entre le premier acte et le second n'a pas de titre; néanmoins on n'a pas besoin de consulter le mélodrame qui suit, pour savoir que ce scherzo représente une danse de lutins; c'est, aussi bien que l'autre intermède, dont je viens de parler, un chef-d'œuvre et un modèle de musique pittoresque. Je pourrais citer encore le menuet des follets dans la Damnation de Faust de Berlioz; seulement, rien dans la musique n'indique que c'est une danse de follets; tout au plus pourrait-on voir une trace de leurs mouvements capricieux et précipités dans le presto à deux temps; le reste est une danse d'une allure modérée, d'un caractère si bien marqué qu'on pourrait deviner quels mouvements des danseurs doivent y répondre. C'est qu'indépendamment de l'expression mélodique il existe un rapport direct entre le rythme et, jusqu'à un certain point, le dessin mélodique d'une part et la danse et la pantomime d'autre part. C'est sur ce rapport qu'est basé l'accompagnement musical de la danse et du jeu mimique, qu'il s'agisse d'une simple danse rustique ou d'un grand ballet de théâtre, ou même d'un opéra. «La musique, dit Noverre, est à la danse ce que les paroles sont à la musique; ce parallèle ne signifie autre chose, si ce n'est que la musique dansante est ou devrait être le poème écrit qui fixe et détermine les mouvements et l'action du danseur... C'est à la composition variée et harmonieuse de Rameau, c'est aux traits et aux conversations spirituelles qui règnent dans ses airs que la danse doit tous ses progrès [2]. Elle a été réveillée, elle est sortie de la léthargie où elle était plongée, dès l'instant que ce créateur d'une musique savante, mais toujours agréable et voluptueuse, a paru sur la scène. Que n'eût-il pas fait, si l'usage de se consulter mutuellement eût régné à l'Opéra, si le poète et le maître de ballets lui avaient communiqué leurs idées, si on avait eu le soin de lui esquisser l'action de la danse, les passions qu'elle doit peindre successivement dans un sujet raisonné et les tableaux qu'elle doit rendre dans telle ou telle situation! C'est pour lors que la musique aurait porté le caractère du poème, qu'elle aurait tracé les idées du poète, qu'elle aurait été parlante et expressive, et que le danseur aurait été forcé d'en saisir les traits, de se varier et de peindre à son tour.» Une des considérations d'après lesquelles R. Wagner, dans Opéra et Drame, détermine le rôle que doit jouer l'orchestre dans le drame musical, c'est la connexité entre l'expression instrumentale et l'expression mimique.

Je reviens à la musique imitative. Partout où le rapport entre la musique et la mimique est observé, la musique est plutôt expressive qu'imitative; mais il faut essentiellement que l'expression mélodique elle-même réponde à la scène à laquelle la musique se rapporte, autrement nous en reviendrions à peindre un mouvement ascendant par un trait ascendant, une grande profondeur par un grand intervalle musical descendant, bref à tous les enfantillages, à toutes les inepties de la musique imitative proprement dite. Il peut arriver au théâtre que l'orchestre réponde de son mieux à ce qui se passe sur la scène, sans vouloir pour cela en donner une peinture ou une imitation. Pour nous éclairer complètement, nous allons passer en revue un nombre choisi et suffisant d'exemples.


Je prends d'abord le Freischütz, et je m'arrête à la scène de la fonte des balles. A l'apparition des fantômes de la mère et de la fiancée de Max, la musique se conforme au caractère de l'action. La fonte de chaque balle est suivie d'apparitions qui deviennent de plus en plus effrayantes [3]. Je ne sais trop si l'on peut voir dans la musique les oiseaux sauvages qui viennent sautiller et voltiger autour du feu pendant la fonte de la seconde balle; la figure menaçante de la basse n'indique pas nécessairement, non plus, la course d'un sanglier. L'orage est rendu d'une façon plus explicite; mais la même musique pourrait mieux encore exprimer simplement une grande agitation. Il y a des triolets à l'approche de la chasse fantastique; pour rendre cette chasse elle-même, Weber s'est servi principalement d'un effet harmonique peu usité et qui, par sa persistance, prend un caractère de dureté et de sauvagerie. Dans la conclusion très mouvementée, après la fonte de la sixième balle, c'est le caractère général de la scène qui est rendu, sans aucune trace de musique imitative.

Dans la scène de jeu de Robert le Diable, Meyerbeer accompagne le roulement des dés d'une phrase instrumentale dans laquelle on peut voir une imitation de ce roulement; mais on peut mieux encore y trouver une traduction musicale de la mimique des joueurs; tel devait être aussi le véritable but de l'auteur; à mesure que le jeu devient plus passionné et que Robert perd davantage, la phrase instrumentale devient plus sombre, plus sinistre, ce qui serait un tort si elle n'exprimait que le roulement des dés. La musique de Meyerbeer est donc de la bonne musique scénique. Au contraire, quand au troisième acte du Pardon de Ploërmel, Meyerbeer rend, d'une façon agaçante pour l'oreille, le bruit de la faux aiguisée par le faucheur, il commet une absurdité. Puisque le faucheur aiguise sa faux sur la scène, il peut faire entendre au naturel le cri aigu et perçant de son outil. C'est absolument comme si, chaque fois qu'un acteur marche sur la scène, l'orchestre voulait imiter le bruit de ses pas. Où en viendrions-nous?

Schubert, dans sa mélodie: Marguerite, a-t-il voulu imiter le bruit du rouet? Je ne peux m'empêcher de le penser. Dans la Cloche des Agonisants, il a imité la cloche d'une façon persistante et puérile. Il s'est bien gardé, dans le Roi des Aulnes, d'imiter le galop du cheval; la partie de piano comprend une sorte de tremolo avec une phrase menaçante qui revient dans la basse.

Dans la Damnation de Faust de Berlioz, quand Faust est d'accord avec le diable, tous les deux partent sur un dessin de violon qui peut aussi bien peindre le vol qu'il peut peindre tout autre chose ou ne rien peindre du tout. Réverony Saint-Cyr n'aurait pas manqué d'y ajouter une représentation figurée où l'on aurait vu voltiger Méphistophélès emportant Faust. La course à l'abîme vaut mieux; si elle ne contenait que le galop des chevaux et quelques autres effets imitatifs, ce serait un enfantillage de plus; mais le dessin obstiné qui doit rendre le galop a une expression d'agitation et d'angoisse croissante; les sons plaintifs du hautbois et d'autres effets expressifs, d'autant plus remarquables qu'ils sont obtenus par des moyens très simples, donnent à ce morceau une puissante originalité et amènent admirablement bien l'explosion du pandæmonium, où les forces de l'orchestre et du chœur semblent doublées et triplées.


Il me reste à dire quelques mots des orages en musique. Tout le monde en a fait, tout le monde peut en faire, et rien n'est plus facile; il y a pour cela des moyens bien connus de tous les gens du métier et dont l'emploi ne demande que du métier. Un seul orage en musique est hors de pair, parce que seul, il contient beaucoup plus que du métier; est-il besoin de le nommer? C'est l'orage de la symphonie pastorale de Beethoven. Un roulement de timbales, un tremolo ou un dessin agité des violoncelles et des contre-basses peut passer pour une imitation du tonnerre; mais il en est encore comme d'un coup de grosse caisse qui ne représente que par exception un coup de canon. Un petit dessin des violons, soutenu par un accord donné fort et sec par les instruments à vent, peut figurer l'éclair, quoiqu'il faille y mettre beaucoup de bonne volonté; des gammes chromatiques peuvent rendre le sifflement du vent; on leur fait dire tout ce qu'on veut. Faut-il déterminer aussi le moment où la foudre tombe avec fracas? Quant aux passages où l'on croit entendre des cris de détresse, ou voir les hommes courir pleins d'agitation et de terreur, ils rentrent dans la musique expressive comme les deux entr'actes de Mendelssohn.

Ce qui impressionne l'auditeur beaucoup plus que tous les effets plus ou moins imitatifs, c'est le caractère grandiose et imposant de l'œuvre. Si Beethoven avait voulu peindre quelque immense catastrophe qui remplit les hommes de terreur, d'épouvante, de consternation, il n'aurait pas employé d'autres moyens que ceux par lesquels il a représenté un phénomène de météorologie. Sa musique est admirable, non pas parce qu'elle peint un orage, mais quoiqu'elle soit destinée à en peindre un. Je ne sais si, au commencement de la seconde partie de la symphonie pastorale, Beethoven a songé au balancement et au murmure des eaux d'une rivière; peu nous importe, l'essentiel est que l'accompagnement convient parfaitement à la mélodie et à l'expression calme, suave et ravissante du morceau.

Ce que j'ai dit de l'orage de Beethoven me dispense de parler d'autres orages en musique qui, à peu de chose près, se valent tous. Il y en a non seulement deux dans Guillaume Tell, mais il y en a un aussi dans le Barbier de Rossini et un autre dans la Cenerentola du même maître; ce sont de purs intermèdes, pour laisser reposer les chanteurs. Mendelssohn, qui avait un trop grand penchant pour la musique imitative ou descriptive, a placé un ouragan dans le premier morceau de la symphonie écossaise (en la mineur). On a même écrit bon nombre d'orages pour le piano. Tout le monde connaît celui de Steibelt; Hummel en a inséré un dans une fantaisie intitulée: le Cor enchanté d'Obéron, pour piano, avec accompagnement d'orchestre ou de quatuor; l'auteur imite de son mieux sur le piano l'effet matériel d'un orage; seulement, je le répète, tout le monde peut en faire autant, et dans la vérité, cela ne rend pas plus exactement un orage qu'une flûte petite ou grande ne peut peindre un éclair.

Si l'on veut une règle générale, elle ressort d'effet même. J'ai dit que la musique imitative est plus intelligible quand elle accompagne une action scénique. En ce cas, elle vient au secours du machiniste, ou le remplace. Mais pour avoir sa valeur vraie, il faut la juger, abstraction faite de l'intention imitative. Un exemple pour éclaircir la question.

Dans l'accompagnement du second morceau de la Symphonie pastorale de Beethoven on peut, si l'on veut, voir une imitation du balancement des flots, mais cet accompagnement contribue si admirablement au caractère de la mélodie qu'on ne songe pas à y voir autre chose; la petite imitation du chant d'oiseau est courte, est faite doucement; on a remarqué l'effet délicieux produit par la rentrée de la phrase des violons, et tout le morceau a une suavité, une fraîcheur remarquables qui en font une des plus belles productions de l'auteur.

L'ouverture de Guillaume Tell est formée de quatre morceaux, dont le premier et le troisième sont les plus beaux; le moins important est le deuxième, qui représente un orage, on ne sait pas pourquoi.

Dans la Création d'Haydn, toutes les imitations, non plus que la représentation du chaos, ne valent le final de la première partie, superbe de simplicité et de grandeur. De telles beautés font vivre le nom de l'auteur, qui serait oublié depuis longtemps s'il n'avait fait que des effets imitatifs.

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