Les Romans de la Table Ronde (1 / 5): Mis en nouveau langage et accompagnés de recherches sur l'origine et le caractère de ces grandes compositions
ADDENDA
à la page 102, sur le mot Graal.
Il faut bien remarquer que la forme attribuée dans tous les manuscrits au vase où le sang du Sauveur avait été recueilli répondait à celle d'un calice, et que le mot graal, grael, greal ou greaux répondait dans ce sens à celui de plat ou large assiette. Aussi Helinand a-t-il soin de dire: de catino illo, vel paropside; puis: Gradalis dicitur gallice scutella lata et aliquantulum profunda in qua pretiosæ dapes cum suo jure divitibus solent apponi. Comment admettre alors que l'idée soit venue d'elle-même à nos romanciers de désigner comme un plat, ou large assiette, le vase, apparemment fermé, que portait Joseph? il faut présumer une méprise et la confusion de deux sens distincts. D'un côté, l'histoire de la relique était écrite dans le graduel, ou lectionnaire des Gallois. De l'autre, le mot vulgaire répondant au gradualis latin était aussi greal, graal, ou grael. On parla longtemps du graal ou livre liturgique des Gallois, comme renfermant de précieux et mystérieux récits, entre autres celui du calice de Joseph d'Arimathie, et l'on finit par donner à ce calice, apporté en Angleterre, le nom de graal, parce qu'on en trouvait la légende dans le gradale ou graduale gallois. Le secret que les clercs gallois faisaient de ce livre liturgique et la curiosité qu'il éveillait trouvent également leur justification dans la crainte de la désapprobation du clergé orthodoxe, et dans l'espoir d'y trouver la révélation des destinées de la race bretonne.
Le grael ou graduel est le recueil des leçons et des répons chantés devant les degrés, gradus, de l'autel. Bède, en son traité de Remedio peccatorum, énumère les livres d'Église: Psalterium, lectionarium, antiphonarium, missalem, gradalicantum, etc. Dans une charte de l'an 1335, en faveur de la chapelle de Blainville: «Je, sire de Blainville, ai garnies les dites chapelles d'un messel, et d'un grael pour les deux chapelles.»—«Gradale, GRADUALE, id est responsum vel responsorium: quia in gradibus canitur. Versus gradales.»—Et Amalaire, au onzième siècle: «Notandum est volumen, quod nos vocamus antiphonarium, tria habere nomina apud Romanos. Quod dicimus graduale, illi vocant cantatorium, et adhuc juxta morem antiquum apud illos, in aliquibus ecclesiis uno volumine continetur.» (Du Cange.) On appelait l'office du jour le grael ou graal, en opposition à l'office nocturne. Aussi voyons-nous dans Robert de Boron que Joseph donne rendez-vous à ses compagnons chaque jour à heure de tierce, et les avertit d'appeler cet office le service de graal. Le sens des vers est rendu plus clairement par l'ancienne traduction: «Et ce non de graal abeli à Joseph; et ensi venoient à tierce, et disoient qu'il alloient au service du graal. Et des lors en çà fu donnée à ceste histoire le nom de Graal.»(Manuscrit Didot.) Mais les romanciers, poëtes et prosateurs, ne sachant plus l'origine véritable du mot, ont voulu l'expliquer et nous en apprendre plus qu'ils n'en savaient. Qui maintenant ne reconnaît dans le premier sens du mot graal, l'office du jour, le diurnal? Un glossaire latin-français du douzième siècle porte: GRADALE, greel, livre à chanter la messe. Dans le Catholicon armoricum, grasal, grael, un livre à chanter: latinè gradale. En voilà bien assez pour justifier notre explication du Graal.
Le sens de plat, saucière, en latin catinus, donné à ce mot, est également ancien, et sans doute formé de cratera, cratella, comme de patera vint petella, paelle. pelle; de crassus, gras et gros, etc. Mais, je le répète, il est à peu près impossible que le calice fermé dans lequel Joseph était censé conserver le sang divin ait d'abord reçu le nom de plat, écuelle ou graal. Ceux auxquels on raconta des premiers la légende du sang conservé demandèrent d'où elle était tirée: Du Graal, leur répondit-on, que l'on conserve à Salisbury, ou à Glastonbury.—Alors le vase qu'on eût hésité à appeler calice fut nommé Graal. Et quand il fallut donner l'explication du mot on imagina qu'il avait été adopté parce que le vase agréait, et venait au gré de ceux qui participaient à ses vertus.
ERRATA.
- P. 22, lig. 11. Banchefleur, lis. Blanchefleur.
- P. 29, note. Perrie, lis. Parrie.
- P. 33, lig. 21. Shap, lis. Sharp.
- P. 33, lig. 28. sœur d'Hengist, lis. fille d'Hengist.
- P. 38. «Le Brut y Brennined est reconnu par les antiquaires bretons comme la traduction de Geoffroy de Monmouth.» Je regrette d'être obligé d'excepter de ce nombre mon ingénieux et savant ami, M. de la Villemarqué, qui persiste à soutenir toutes les assertions de W. Owen.
Notes
1: Marie de France. Lai d'Equitan.
2: Les deux lais d'Ignaurès et de Guiron ont été les modèles du beau roman du Chastelain de Coucy, écrit au commencement du quatorzième siècle.
3: Les bardes irlandais étaient renommés en Angleterre et même en France, ainsi qu'on peut le conclure de ce passage. Ajoutons que sous le règne d'Étienne on voit un prince de North-Wales, Gryfydd ap Conan, faire venir des chantres irlandais pour instruire et réformer les bardes gallois. (Walker, Mém. hist. sur les bardes irlandais, cité par M. Park, dans Warton, Dissertat. I.)
4: Quand nos ancêtres admettaient les chanteurs et les joueurs d'instruments dans toutes leurs fêtes et dans toutes leurs expéditions guerrières, ils nous donnaient un exemple que nous avons suivi. Il n'y a pas aujourd'hui un seul régiment qui n'ait son corps de musiciens. Seulement, au lieu de généreux chants de guerre, nous avons de grands effets d'instruments aussi bien appréciés des chevaux que des hommes. Dans le moyen âge, le roi des ménestrels n'était souvent que le chef d'orchestre d'un corps de musiciens, et je me souviens d'avoir vu, en 1814, des régiments, des hordes de cosaques marcher sur des chevaux non sellés, la lance au poing, et précédés de plusieurs rangs de chanteurs qui, sans instruments, produisaient les plus grands effets.
5: Cette partie de l'Introduction avait été lue à l'Académie des Inscriptions et Belles-lettres, quand mon honorable ami, sir Frédéric Madden, m'envoya l'étude qu'il venait de publier On Geoffroy of Monmouth, en échange de mon travail. Je vis avec une bien grande satisfaction que les conclusions du savant antiquaire anglais s'accordaient exactement avec les miennes, pour la double date de la publication de l'Historia Britonum. Si j'en avais eu plus tôt connaissance, je me serais contenté de traduire tout ce qu'il a si bien dit de cette double date.
6: Voyez M. T. Wright, On the litterary history of Geoffroy of Monmouth. In-4o, 1848, p. 7.
7: Le nom de famille de l'archidiacre Gautier ou Walter ne nous est pas donné par Geoffroy. Mais, en consultant les listes d'anciens dignitaires de l'église d'Oxford, on a trouvé Walter of Wallingford, contemporain présumé de Geoffroi de Monmouth.
8: In mirum contuli quod intra mentionem quam de regibus Britanniæ Gildas et Beda luculento tractatu fecerant, nihil de regibus qui ante incarnationem Christi Britanniam inhabitaverant, nihil etiam de Arturo cæterisque compluribus qui post incarnationem successerunt, reperissem: cum et gesta eorum digna æternitatis laude constarent, et a multis populis, quasi inscripta, jocunde et memoriter prædicentur[8-A]. (Epistola dedicatoria.)
8-A: Ce passage aurait dû empêcher les critiques anglais, et même les savants éditeurs des Monumenta historica Britannica, Henri Parrie et le Rév. John Sharp, 1848, in-folio, p. 63 de leur préface, de croire que Geoffroy de Monmouth, en citant Gildas, entendait parler de la Chronique de Nennius; cette chronique étant précisément consacrée aux rois bretons dont Gildas ne faisait pas même mention.
9: Hic est Arturus de quo Britonum nugæ hodièque délirant; dignus plane quod non fallaces somniarent fabulæ, sed veraces prædicarent historiæ; quippe qui labantem patriam diu sustinuerit infractasque civium mentes ad bellum acuerit. (De Gestis Angliæ Regum, lib. I.)
10: Alvredi Beverlacens. Annales, seu Historia de gestis regum Britanniæ lib. IX.
11: «The most remarquable circumstance connected with the earlier manuscripts of Nennius is that they appear to have been written abroad, and, in fact, never to have been in England... Every thing in fact seem to show that this book was new in England, when it fell into the hands of William of Malmsbury and Henry of Huntingdon; and we may fairly be allowed to presume that it was brought from France.» (On the litterary history of Geoffroy of Monmouth. London, in-4o, 1848, fo 7.) Cette opinion est d'autant plus précieuse que M. Wright ne tire aucune conséquence de l'origine continentale du Nennius et de son introduction tardive en Angleterre.
12: Tout ce qui suit ce passage dans les manuscrits de la chronique de Nennius n'en fait plus partie. Ce sont des additions que les copistes ont même eu soin de bien distinguer de ce qui précédait; comme la vie de saint Patrice, le récit de la mission d'Augustin, etc., etc. Je suis heureux de voir que mon opinion sur le véritable terme de la chronique de Nennius est partagée par MM. Parrie et J. Sharp. «There is good ground for believing that all the matter in the Historia Britonum, later than the accounts of the exploits of Arthur, is subsequent interpolation.» (Monumenta historica Britannica, t. I, préface, p. 64.)
13: Je ne prétends pas cependant nier que certaines traditions bretonnes n'aient été écrites même avant que l'on eût essayé d'écrire un livre français. Cela, pour ne pas m'être démontré, n'est pas impossible: les chefs bretons et leurs bardes peuvent avoir senti le besoin de consigner par écrit certains vers prophétiques, certaines listes généalogiques, certaines traditions locales et superstitieuses; mais, si ces feuillets existaient au temps de Geoffroy, on peut assurer qu'il ne les a pas consultés et qu'il ne laisse supposer nulle part qu'il ait connu ces triades, ces poëmes gallois du cinquième au onzième siècle, dont on a fait tant de bruit et si peu de profit.
14: Il me semble pourtant qu'on aurait dû remarquer une lacune assez apparente dans l'Histoire ecclésiastique de Bède, précisément à l'endroit où pouvait se trouver le nom d'Artus, chef des guerriers bretons, sous le règne d'Aurélius Ambroise. C'est au chapitre XVI de son premier livre, lequel finit ainsi: «Utebantur eo tempore (vers 450) duce Ambrosio Aureliano,... hoc ergo duce, vires capessunt Britones, et victores provocantes ad prœlium, victoriam ipsi, Deo favente, suscipiunt. Et ex eo tempore nunc cives, nunc hostes vincebant, usque ad annum obsessionis Badonici montis, quando non minimas eisdem hostibus strages dabant: sed hæc postmodum.» Il s'agit bien ici de la victoire de Bath ou du mont Badon, dont on s'accorde à faire honneur à Artus. Or, après ce mot, sed postmodum, qu'il faut entendre, mais nous en parlerons plus tard, on doit penser que Bède reviendra sur ces grands événements dans les chapitres suivants. Il n'en est rien cependant: il passe à l'histoire de l'hérésie Pélagienne, raconte une victoire des Bretons due aux prières et au courage de saint Germain, puis arrive à la conversion des Saxons, commencée près d'un siècle après la victoire du mont Badon.
15: Arthur pugnabat contra illos in illis diebus, videlicet Saxones contra regibus Britannorum. Sed ipse dux erat bellorum.
16: On retrouverait peut-être cette fable dans le Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure, poëte contemporain de Geoffroy de Monmouth.
17: Kaer-Merdin, ville de Merdin; aujourd'hui Caermarthen, dans le Southwall.
18: Geoffroi de Monmouth, qui n'avait assurément pas trouvé ce discours de Maugantius dans un ancien livre breton, reparlera dans le poëme de Vita Merlini de cette classe d'esprits intermédiaires:
At cacodæmonibus post lunam subtus abundat,
Qui nos decipiunt et temtant, fallere docti,
Et sibi multotiens ex aere corpore sumpto
Nobis apparent, et plurima sæpe sequuntur;
Quin etiam coitu mulieres aggrediuntur
Et faciunt gravidas, generantes more prophano.
Sic igitur cœlos habitatos ordine terno
Spirituum fecit.....
(Vita Merlini, v. 780.)
Apulée, dans le curieux livre du Démon de Socrate, parle en effet de ces esprits intermédiaires, mais il se tait des Incubes, dont saint Augustin rappelle les faits et gestes, au XVe livre de la Cité de Dieu.
19: Girald. Cambr. Walliæ Descriptio. Cap. VII. (Cité par M. Th. Wright.)
20: Cum enim sermone sit admodum impolitus atque insipidus, paucis eum vel transcribere vel habere curantibus, raro invenitur.—Il se pourrait ici que Guillaume de Newburg entendit par le livre de Gildas celui que nous attribuons à Nennius, et qui, dans plusieurs manuscrits du douzième siècle, porte cette attribution.
21: Pro expiandis his Britonum maculis.
22: Cum de Merlino divulgato rumore. Expressions curieuses, qui semblent assez bien prouver que la réputation de Merlin était alors de date récente, même chez les Gallo-Bretons. Nennius ne l'avait pas même nommé. Les pages de Guillaume de Newburg citées plus haut (page 65) confirment encore le peu d'ancienneté de la tradition merlinesque.
23: Les tours de Merlin, ses prestiges, sont souvent désignés comme autant de jeux.
24: Publiée d'après le manuscrit de Londres. Paris, Didot, 1837; in-8.
25:
Sicque ruit, mersusque fuit lignoque pependit,
Et fecit vatem per terna pericula verum.
Il faut remarquer que sir Walter Scott, d'après l'ancien chroniqueur écossais Fordun, a commis une étrange méprise en appliquant cette prophétie du triple genre de mort de la même personne à Merlin lui-même: «Merlin, according to his own prediction, perished at once by wood, earth and water. For being pursued with stones by the rustics, he fell from a rock into the river Tweed, and was transfixed by a sharp stake fixed there for the purpose of extending a fish-net.» Et là-dessus de citer quatre vers dont les deux derniers appartiennent au poëme de Geoffroy:
Inde perfossus, lapide percussus, et unda
Hanc tria Merlini feruntur inire necem;
Sicque ruit mersusque fuit, lignoque prehensus,
Et fecit vatem per terna pericula verum.
Nouvelle preuve de la facilité avec laquelle les traditions se transforment et se corrompent.
26: Il n'y avait rien à tirer de ce singulier épisode, emprunté sans doute à quelque ancien lai. On n'en retrouve aucune trace dans les romans de la Table ronde.
27: Morgen n'est pas encore dans le poëme la sœur d'Artus.
28: «Ferebantur per ora,» dit Alfred de Beverley, vers 1160, «multorum narrationes de historia Britonum; notamque rusticitatis incurrebat qui talium narrationum scientiam non habebat.» (Cité par sir Fred. Madden.)
29: Je préviens une fois pour toutes que je laisse au mot roman son ancienne signification de livre écrit en français.
30: Moines d'Occident, t. III, p. 24, 25.
32: Bède, après avoir parlé de cette supputation différente du temps pascal, ajoute pourtant: «Alia plurima unitati ecclesiasticæ contraria faciebant. Sed suas potius traditiones universis quæ per orbem concordant ecclesiis, præferebant» (lib. II, ch. II).
33: Quia acri erat ingenii, didicit citissimè Psalmos et aliquos codices, necdum quidem attonsus.
34: Aujourd'hui Holy-Island, en Écosse, à quatre lieues de Berwick.
35: Animadvertit animi sagacis minimè perfectam esse virtutis viam quæ tradebatur a Scotis.
36: Veniens Romam, ac meditatim rerum ecclesiasticarum quotidiana mancipatus instantia, pervenit ad amicitiam viri sanctissimi Bonifacii... cujus magisterio quatuor Evangeliorum libros ex ordine didicit, computum Paschæ rationabilem et alia multa quæ in patria nequiverat, eodem magistro tradente, percepit.
37: La Nef de Salomon dont l'imagination gallo-bretonne a tiré un si merveilleux parti dans le Saint-Graal et la seconde partie de Lancelot, doit peut-être son inspiration à l'un des vaisseaux fournis par le roi breton Salomon à Cadwallad.
38: Tunc demum, revelatis etiam cæterorum sanctorum reliquiis, quæ propter paganorum invasionem absconditæ fuerant, amissum regnum recuperarent, etc.
39: La suite des histoires de Petrus, d'Alain et de Moïse, se retrouve en effet dans le roman en prose du Saint-Graal.
40: Ce qui rendait l'attribution séduisante, c'est qu'un autre rimeur contemporain, Geoffroy Gaimar, nous apprend que Walter Espac ou Espec lui avait communiqué un livre d'histoires ou généalogies galloises:
Il (Gaimar) purchassa maint essemplaire,
Livres angleis et par grammaire,
Et en romans et en latin;...
Il enveiad à Helmeslac
Pur le livre Walter Espac;
Robers li bons cuens de Glocestre
Fist translater icelle geste
Solunc les livres as Waleis
Qu'il aveient des Bretons reis.
Walter Espec la demanda,
Li quens Robers li enveia...
Geffray Gaimart cest livre escrist
Et les transcendances i mist
Que li Walleis orent lessié.
Que il avoit ains purchassié,
U fust à dreit u fust à tort,
Le bon livre d'Oxenefort
Ki fu Walter l'Arcediaen;
S'en amenda son livre bien.
En ce tens que je le retreis
Ô monseigneur Gautier en peis
Qui de Monbelial esteit.
41: Voyez dans le précieux Dictionnaire des Antiquités chrétiennes de l'abbé Martigny, l'article In pace, mot que bon nombre d'épitaphes portent simplement, sans l'addition de requiescat: Urse in pace—Achillen in pace;—Victori,—Donati, in pace.
42: M. le professeur Jonckbloet, de La Haye, dans un excellent travail sur les poëmes de Chrestien de Troyes, a mis hors de doute l'antériorité des romans en prose du Lancelot et de la Quête du Graal sur les poëmes de la Charrette, du Chevalier au Lion et de Perceval.
43: Le seul manuscrit qui l'ait conservé vient de l'abbaye de Saint-Germain des Prés, et porte aujourd'hui, dans la Bibliothèque impériale, le no 1987. Il est réuni à un texte de l'Image du monde de Gautier de Metz; ce qui vient encore à l'appui de l'origine présumée lorraine de la composition.
44: J'en ai jusqu'à présent reconnu quatre manuscrits: deux dans la Bibliothèque impériale, un à l'Arsenal, un autre dans le précieux cabinet de mon honorable ami M. Ambr.-Firmin Didot.
45: Robert de Boron semble penser ici que Dieu avait interdit l'arbre de la science du bien et du mal, parce que la pomme fatale devait ouvrir leur imagination aux appétits charnels, et les priver ainsi de l'innocence dans laquelle ils avaient été créés. «Et ils virent qu'ils étaient nus,» se contente de dire la Genèse.
46: «Marie prit ensuite une livre d'huile de senteur d'un nard excellent et de grand prix, elle en lava les pieds de Jésus et les essuya avec ses cheveux; et la maison fut embaumée de cette liqueur.—Alors Judas l'Iscariote, qui devait le livrer, dit: «Que n'a-t-on vendu cette liqueur trois cents deniers et que ne les a-t-on donnés aux pauvres?» Ce qu'il dit, non qu'il s'intéressât pour les pauvres, mais parce que c'était un voleur, et qu'étant chargé de la bourse, il avait entre les mains ce qu'on y mettait.» (S. Jean, chap. XI, v. 3.)
47: Passage remarquable qui semble répondre au développement de l'axiome: Fais ce que je dis, non ce que je fais. On voit ici que Robert de Boron n'hésite pas à regarder Pierre comme le chef de l'Église. On ne retrouvera plus cela dans le Saint-Graal.
48:
Séans ot un vessel mout grant,
Où Crist faiseit son sacrement.
Il serait naturel d'entendre par ce mot sacrement l'institution de l'Eucharistie. Cependant l'auteur semble plutôt désigner ici le bassin dans lequel Jésus-Christ avait lavé ses mains en rendant grâces après le repas. Il y aurait alors une méprise du copiste, qui aurait mis sacrement au lieu de lavement. On sait que saint Jean est le seul qui ait parlé du lavement des pieds, et qu'il n'a rien dit de l'Eucharistie. C'est peut-être parce que les inventeurs de la légende du Graal connaissaient seulement l'Évangile de saint Jean, qu'ils conçurent l'idée d'un vase eucharistique qui donnait cette autre explication de la présence réelle, dans le sacrifice de la messe.
49: Le nom grec de lance est λογχη, d'où l'on a fait Longin, nom propre du soldat qui avait ouvert de sa lance le côté de Notre-Seigneur.
50: Cette circonstance se trouve dans l'Évangile de Nicodème.
51: La peinture, au douzième siècle, employait constamment l'or sur les tablettes qui recevaient le dessin et la couleur, soit pour remplir les fonds, soit pour varier les vêtements.
52: Milton, je ne sais d'après quelle autorité, a prolongé de six jours le temps que les mauvais anges mirent à descendre du haut des cieux dans le fond des enfers:
Nine times the space that measures day and night
To mortal men, he with his horrid crew
Lay vainquished, rolling in the fiery gulf...
(Book I.)
53: C'est ici qu'un feuillet du manuscrit a été enlevé. Nous le suppléons à l'aide de la rédaction en prose.
54: Ici finit la lacune dans le poëme.
55: Tout cela a été changé dans la seconde composition, le Saint Graal. Ce n'est plus le petit-fils de Bron, petit-neveu de Joseph, qui doit remplir le siége vide, c'est Galaad, à la suite des temps. Avant lui, Lancelot doit ouvrir le gouffre où fut précipité Moïse qu'il ne délivrera pas.
56:
Qui recréront ma compagnie
Et la teue, ne doute mie,
De Moyses se clameront
Et durement l'accuseront.
Le dernier vers jette un peu d'incertitude sur le sens. Le texte en prose rend ainsi le passage: Et cil qui recroiront ma compagnie clameront la sepulture cors Moys. Cet endroit semble rappeler d'un côté l'épître de saint Jude, vers 5 et 9; de l'autre l'Évangile saint Matthieu, ch. XXIII, § 1, 2 et 3:
«Jésus, parlant au peuple et à ses disciples, dit:—Les Scribes et les Pharisiens sont sur la chaire de Moïse.—Observez et faites ce qu'ils diront, mais ne faites pas comme eux; car ils disent et ne font pas.»
57:
Prisrent les selonc la viez loi,
Tous sans orgueil et sans bufoi,
En la forme de sainte Église.
(V. 295.)
58: Ces Vaus d'Avaron, vers Occident, rappellent les fontaines d'Alaron que le poëme de Merlin place en Grande-Bretagne:
Sic Bladudus eos, regni dum sceptra teneret,
Constituit nomenque suæ consortis Alaron (v. 873).
59: Il y a une sorte de contradiction entre ces vers:
Et tu, quant tout ce fait aras,
Dou siecle te départiras,
Si venras en parfaite joie
Qui as boens est et si est moie;
Ce est en pardurable vie....
(V. 3395.)
et ce qu'on lit plus loin, après le récit du départ de Bron:
Ainsi Joseph se demoura...
En la terre là ù fu nez:
Et Joseph si est demourés.
(V. 3455.)
Mais ces derniers vers sont transposés et peut-être sottement ajoutés. En tous cas, que Joseph soit retourné en Syrie ou soit mort après le départ de Bron, d'Alain et de Petrus, un voit que Robert ne le faisait pas aborder en Albion.
60:
Dont furent puis maintes paroles
Contées, qui ne sont pas folles.
(V. 3457.)
61:
Et ce tens que je la retreis,...
Unques retraite esté n'aveit.
62: Six heures du matin.—Tierce répond à neuf; Sexte, None et Vêpres à midi, trois et six heures.
63: «Car là où la vérité vient, la figure doit arrières estre mise. Les autres jours sacre-l'en en remembrance de ce que il fu sacrefiés. Mais à celui jour du saint venredi fu-il veraiement sacrefiés; car il n'i a point de senifiance, puis que li jours est venus que il fu voirement sacrefiés.»
64: Je n'ai retrouvé la trace d'aucun de ces noms de lieu. Je suis assez disposé à les croire défigurés.
65: «Une lieuve galesche.» Je crois que ces lieues sont les milles, dont les Anglais ont le bon sens de préférer le nom traditionnel à celui de double kilomètre.
66: Ancien synonyme de petit logis. Il est encore usité par les bûcherons et forestiers.
67: Ce mot reviendra si souvent qu'il faut le conserver: c'est une terre non cultivée, comme il y en avait tant alors.
68: «Requéist de sa perde» (ms. 759), «reçut» ms. 747.
69: Il y a dans ce préambule plusieurs points très-obscurs qui pourraient bien être autant d'interpolations, et se rattacher à l'intention qu'avaient les Assembleurs de faire du prêtre, auteur de la légende latine, le fils de Nascien, ou Nascien, dont on va bientôt parler. Ainsi l'allusion au combat mortel «des deux plus vaillants chevaliers du monde,» ainsi le «chemin de Pleurs,» peuvent s'appliquer au dernier épisode des romans de la Table ronde. Après la mort du roi Artus, Nascien, ou le fils de Nascien, aurait renoncé aux armes pour prendre l'habit religieux, et c'est alors qu'il aurait eu la vision qui lui ordonnait de transcrire le livre divin du Graal. Rien n'était assurément plus absurde que de faire d'un prêtre du huitième siècle le contemporain d'autres personnages appartenant les uns au premier, les autres au cinquième siècle de notre ère. Mais, au temps de Philippe-Auguste, on ne reculait pas encore devant de pareilles énormités. Les siècles passés ne semblaient former qu'une seule et grande époque, où se réunissaient toutes les célébrités de l'histoire; comme dans la toile peinte par Paul Delaroche pour l'hémicycle de l'École des Beaux-Arts.
70: Non sa sœur, comme dans le poëme. Var. Éliab.
71: Tolomeus ou Tholomée est le nom francisé Ptolémée; car les syllabes initiales pto, sta, spa, stra, répugnaient à l'ancienne langue française: on supprimait alors la première consonne, ou on la faisait précéder de la voyelle e, qui rendait la prononciation supportable.
72: «Cil qui tel ordre auront, des ores en avant le rechevront de Josephe par toutes les terres où je metrai et toi et ta semence.» Voilà le point où l'Église bretonne se séparait de l'Église catholique. Elle ne voulait pas que ses prélats reçussent leur consécration du Pape de Rome, et réclamait ce droit en faveur de l'archevêque d'York, élu lui-même par le peuple et le clergé breton. Mais cette prétention schismatique, ne menaçant pas d'être contagieuse et n'ayant pas empêché le souverain pontife, au moins à partir de la fin du dixième siècle, de présider au choix ou de sanctionner l'élection des prélats gallois et bretons, la cour de Rome, toujours sage et prudente, ne s'éleva pas contre l'exposition romanesque des origines de l'Église bretonne. Armée de l'incomparable autorité de l'Évangile: Tu es Petrus, et super hanc petram, etc., elle laissa dire les romanciers, et ne rechercha pas le livre latin sur lequel ils s'appuyaient sans en divulguer le texte original.
73: Ici le romancier ajoute que cette chaire était encore de son temps conservée dans la ville de Sarras, sous le nom de Siége spirituel. Jamais homme n'eut la témérité de s'y asseoir sans être frappé de mort ou privé de quelqu'un de ses membres. Plus tard, le roi d'Égypte Oclefaus essayera vainement de la mouvoir: quand il voudra s'y asseoir, les yeux lui voleront de la tête; il sera, le reste de ses jours, privé de l'usage de ses membres.
74: C'est la distinction du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel.
75: «D'un afaitierre de viex soliers.»
76: Le surnom de Seraste semble une corruption du mot Sebastos, souverain, qu'on lit sur les monnaies grecques des Ptolémées à la suite de leur nom. Quant à Félix, on sait qu'il fut réellement procurateur de Syrie. D'ailleurs le choix de la ville de Meaux et les éloges donnés à la France n'offrent-ils pas déjà une présomption en faveur de l'origine française de l'auteur?
77: Ce nom aurait signifié, suivant notre romancier tardif en créance. Saracinthe, pleine de foi. Le porte-étendard Clamacides, gonfalonier de N.-S.
78: Cette punition de la curiosité de Nascien, géminée avec la punition de Mordrain, est renouvelée dans un des chapitres suivants.
79: Corporal, linge bénit que le prêtre étend sur l'autel pour mettre le calice dessus et ensuite l'hostie. (Dictionnaire de l'Académie.)
80: Il importe de remarquer que cet épisode n'est pas conservé dans le second texte, qui a servi de modèle aux imprimés. Là, les compagnons de Joseph trouvent dans le bois, sans le demander, les meilleures viandes, et le Saint-Esprit ne parle à Joseph que pour lui ordonner de coucher avec sa femme Éliab. Comparez le ms. 749, fo 90. et l'éd. de Ph. Lenoir, 1523, fo 89.
81: On peut admettre que ce récit est inspiré par ce que le romancier savait de la guerre faite par Pompée aux pirates qui infestaient la Méditerranée.
82: Le nord-ouest.
83: Nous nous étions contenté d'indiquer ce songe, page 200.
84: Li establissieres del monde. On voit que notre auteur croyait à l'éternité des quatre éléments, de ce que nous appelons la Matière.
85: Ce calcul est juste; et la mention des stades (estas) semble indiquer pour cette légende une origine grecque ou byzantine.
86: La hardiesse et la témérité de ces derniers paragraphes sont réellement inconcevables. On ose ainsi placer le Saint-Graal au-dessus des Évangiles, puisque ceux-ci furent seulement écrits sous l'inspiration, et non de la propre main de Jésus-Christ. «Mais,» ajoute ici le prétendu secrétaire de Dieu, «il convient de revenir aux paroles de la véritable histoire, à laquelle ce qu'on vient de lire a été ajouté.»
87: L'enhoudeure.
88: On voit que notre auteur ne connaissait que par ouï dire la sainte Bible: autrement, Josué, devenu, de par les poëtes du moyen âge, un des Neuf preux, ne serait pas ici le contemporain de Salomon, et, bien plus, son beau-frère.
89: Variante de la lance qui blessa Joseph, fut brisée et ressoudée par un ange.
90: «Par pitiet d'umaine semblance» (fo 143 vo).
91: «Son chapel de bonnet.» Ms. 2455, fo 145. Le bonnet était, je crois, la bourre de soie; nous avons plus tard transporté à la coiffure le nom du tissu.
92: Légende géminée ou deux fois employée. Voyez plus haut l'histoire de la guérison de Gaius.
93: Cette belle légende d'Hippocrate, ou Ipocras, a été mise, à partir du XVe siècle, sur le compte de Virgile. Elle a été plusieurs fois imprimée, avec le titre: «Les faits merveilleux de Virgile.
94: L'autre texte, ms. 747, dit qu'ils approchèrent du royaume de Norgalles, et devant un château nommé Calaf. Il est en effet bien douteux que les romanciers n'aient pas entendu conduire les chrétiens dans le pays de Galles.
95: C'est une réminiscence des quarante années que Joseph avait passées dans la Tour dont Vespasien l'avait tiré.
96: Longtown est une ville située à l'extrémité septentrionale du Cumberland: ainsi le Norgalles répond à cette province.
97: «Et firent son lit environner de prosne de fer.» (Ms. 2455. fo 257.) Prosne doit venir non de prœconium, mais de proscenium, et le sens primitif doit être barre de tribune, ou échafaud avancé; de là le prône du curé. On appelle encore, bien que l'Académie ne le dise pas, la petite porte à claire-voie, que l'on ouvre et ferme quand la véritable porte est ouverte, un prône.
98: Le curieux épisode qu'on va lire a été supprimé dans le plus grand nombre des manuscrits et dans les deux éditions gothiques du XVIe siècle.
99: Voyez plus haut, page 274.
100: Ce curieux épisode de Grimaud, emprunté à quelque récit oriental, est omis dans la plupart des manuscrits du Saint-Graal. Je ne l'ai même reconnu que dans le no 2455.
101: Aujourd'hui Colchester, à l'extrémité du comté de Sussex. C'est l'ancienne Camulodunum.
102: Voyez plus haut, pp. 143-146.
103: Mais, avant de mourir, «Matagran fist mettre en escrit toutes les paroles que Josephe destinoit de l'espée; et par ce furent-eles sceues d'oir en oir, et sont encoires jusc'à jourd'ui.» (Ms. 2453, fo 313.)
104: Cette distribution d'une grande habitation, le jardin, le préau et les appartements, n'est pas sans quelque rapport avec nos maisons dont le jardin s'ouvre devant les fenêtres par un large gazon, et se continue plus ou moins loin.
105: Le combat à pied.
106: En anglais: Orkney, en français: Îles Orcades.
107: Il y aurait à dire bien des choses sur ce passage. Ce traducteur de l'histoire de Brut est sans doute notre Wace. Wace, ainsi que Bède, rapporte aux missionnaires envoyés par le pape Éleuthère, en 156 de J.-C., la conversion du roi Luce et de son peuple. Et remarquons que notre romancier, au lieu de citer Geoffroi de Monmouth, n'allègue ici que son traducteur français, d'où l'on a droit de conjecturer qu'il ne connaissait pas le livre latin. C'est une nouvelle raison de penser qu'il écrivait en France et qu'il était Français. S'il eût écrit en Angleterre, il aurait eu beau ne pas savoir de lettres, c'est-à-dire de latin, la rumeur publique lui aurait fait connaître bien plutôt l'Historia Britonum de l'Anglais Geoffroi, que le roman de Brut du Normand Wace.
108: On voit ici comment ce fameux Gauvain appartenait à la lignée de Joseph d'Arimathie, dont Pierre, son premier ancêtre, était cousin germain ou issu de germain.
109: Cet incident, répétition de l'histoire de Mordrain, sert à justifier un épisode de la Quête du Graal.
110: J'ai déjà fait remarquer que Boron citait plusieurs fois le Brut et nulle part l'Historia Britonum. De là l'induction qu'il ne connaissait pas le texte latin, et qu'il écrivait son livre en France.
112: La branche d'Artus dans quelques manuscrits, comme le no 370, ouvre le volume. Dans d'autres, comme le no 747, elle est franchement séparée du Merlin, dont les dernières lignes emploient seules le haut du verso précédent. Dans d'autres, une grande initiale en marque assez bien la séparation: mais, ailleurs encore, les deux parties ne sont pas même distinguées par un alinéa. Après les derniers mots, ils continuent: «et après la mi aout que li rois Artus fu couronnés, tint li rois cour grand et merveilleux...» La main des assembleurs est facile à reconnaître dans cette fusion arbitraire.
114: Le début du Merlin était déjà préparé dans les premières lignes du Joseph; on y voit le péché originel brouiller l'homme avec la justice divine, et nous rendre la propriété inévitable du démon, si Dieu ne consent à s'offrir lui-même pour notre rançon.
115: J'ai pensé que cette première table donnerait aux lecteurs des romans de la Table Ronde un moyen facile de recourir à l'une ou l'autre des dissertations dont l'Introduction se compose. La Table générale terminera le quatrième et dernier volume.
Notes au lecteur de ce fichier numérique:
—Seules les erreurs clairement introduites par le typographe ont été
corrigées. L'orthographe de l'auteur a été conservée.
—Les corrections présentes dans l'errata ont été appliquées dans le texte.
—Dans la note 11, "Every think in fact seem" a été remplacé par
"Every thing in fact seem".
—Note 101, Colchester se trouve en fait dans l'Essex.