Les roses d'Ispahan: La Perse en automobile à travers la Russie et le Caucase
APPENDICE
COMMENT ALLER EN AUTOMOBILE A ISPAHAN
Plusieurs personnes m’ont demandé comment il faudrait organiser un voyage en automobile à Ispahan.
Je réunis donc ici un certain nombre de renseignements pour ceux que tenterait une excursion en automobile jusqu’au centre de la Perse.
Du choix d’une voiture.—Il faut un auto robuste d’au moins trente chevaux, ou vingt-quatre avec petite multiplication. Un moteur plus fort serait inutile, car il est impossible de faire de la vitesse.
La voiture doit avoir une capote que l’on puisse relever, car le soleil est insupportable. Le châssis court est préférable au châssis long. On ne peut être plus de trois personnes par grande voiture de cinq places, car il faut porter avec soi des lits de camp, des valises et les vivres. On sera parfois obligé de dormir dans l’auto.
On peut également emporter, en outre de la réserve des pneumatiques que l’on a sur la voiture, un colis d’enveloppes et de chambres à air qui voyagera en Perse assez rapidement par la poste.
Il faut avoir des phares excellents. Plus d’une fois on se trouvera pris sur route inconnue et difficile, ou dans le désert pendant la nuit.
A Téhéran on fera faire quatre madriers de cinq mètres de long pouvant supporter le poids de la voiture; on les attachera des deux côtés de l’auto et ils seront utiles à la sortie de Koum pour passer des canaux et après Kachan dans les sables.
Des bagages.—On fait voyager les malles par chemin de fer et par poste jusqu’à Téhéran. Dans la voiture on aura une valise avec un vêtement de rechange, du linge et les objets de toilette. Prendre un tub en caoutchouc; on trouve de l’eau partout. Les journées fin mai peuvent être très chaudes; les nuits dans les montagnes sont très froides. Il faut, par conséquent, avoir des manteaux et couvertures de voyage épais. Un casque colonial est indispensable; on en achète au Comptoir français à Téhéran.
Un lit pliant est nécessaire; on ne trouve à se coucher nulle part en Perse et dans les rares chapar khanés qui vous offriront un lit entre Resht et Téhéran, on préférera coucher sur son lit à soi. On achète des lits pliants très commodes et légers à Tiflis. Ils sont d’une extrême dureté. Si l’on a de la place dans sa voiture et que l’on aime ses aises, on peut faire un petit matelas que l’on roule avec les couvertures. Je ne recommande pas le matelas en caoutchouc que l’on gonfle.
Il faut également songer aux vivres et, lorsqu’on prépare le voyage, penser que l’on ne trouve rien, exactement rien, dans les relais de poste. Un panier pique-nique est donc indispensable et des conserves que l’on achètera avant le départ à Tiflis. Par expérience personnelle, nous déclarons que les sardines à l’huile dans le désert par quarante degrés de chaleur sont abominables. Prenez des conserves de viande et surtout de légumes, des biscuits, des confitures, des citrons, du thé, sucre, sel, etc. On a des œufs presque partout.
Je recommande aussi de choisir de très puissantes bouillottes à alcool dans lesquelles la flamme soit protégée. On allume souvent sa lampe en plein air; le moindre souffle de vent agite la flamme; l’eau ne chauffe pas et l’on s’énerve. En outre, il faut que les bouillottes soient grandes, car on fait une forte consommation d’eau chaude, pour le thé, pour réchauffer au bain-marie les légumes, etc.
Comme boisson, nous avons pris du thé très léger avec du citron. Nous nous en sommes bien trouvés. Ainsi ne boit-on que de l’eau bouillie, sage précaution, et lorsque la température est élevée, les boissons chaudes sont à la longue plus désaltérantes que les boissons glacées.
Emporter une pharmacie de poche et une abondance de poudre insecticide, grâce à laquelle on peut mener contre les insectes une lutte victorieuse.
La saison.—Ce voyage ne peut se faire qu’en deux saisons, entre le 15 avril et le 15 juin, ou entre le commencement de septembre et la fin d’octobre. L’hiver est extrêmement rigoureux sur le haut plateau de l’Iran, les pluies très violentes au printemps et la chaleur de l’été insoutenable.
On ne peut arriver en automobile que par le Caucase. Comme on l’a vu par le récit de nos expériences, il est inutile, à cause de la neige, de songer à passer les hauts cols du Caucase au mois d’avril.
Si donc l’on veut combiner un voyage en Perse et au Caucase et partir au printemps, il faut charger les autos sur le train à Batoum, traverser sans s’arrêter jusqu’à Bakou, passer le mois de mai en Perse et au retour parcourir le Caucase.
Si l’on part en été, on commencera par le Caucase que l’on verra en août pour arriver au 1er septembre en Perse.
Les Messageries maritimes et la Compagnie Paquet ont chacune un service bi-mensuel sur Batoum. Ainsi on a chaque semaine un bateau convenable qui quitte Marseille pour Batoum.
Le trajet dure quinze jours: on s’arrête à Constantinople un jour et l’on fait les escales de la mer Noire, c’est un voyage charmant.
Il va sans dire que pour le débarquement à Batoum, il faut avoir un passeport en règle. On pourra demander à l’avance par l’ambassade de France à St-Pétersbourg un laissez-passer pour l’automobile. Nous n’avons eu aucune difficulté à l’obtenir et avons entré nos autos sans payer de droits.
Dans tout le Caucase on trouve de la benzine un peu lourde à 720°. Il est donc inutile d’en apporter de France avec soi.
L’embarquement de l’auto à Marseille et le débarquement à Batoum se font sans aucune difficulté. Si l’on est au printemps et que l’on traverse directement sur Bakou, l’auto peut être expédié par train en grande vitesse et met de trois à quatre jours pour arriver à Bakou. Pendant ce temps vous pouvez vous arrêter à Tiflis qui est sur la route.
A Bakou, la compagnie postale qui fait le service sur Enzeli est la compagnie «Caucase et Mercure». Comme je l’ai dit, ses vapeurs ne passent pas la barre à Enzeli. Pour éviter le débarquement impossible en pleine mer, il faut s’adresser à Bakou à la compagnie Nadiejda qui a de petits vapeurs à fond plat lesquels arrivent à quai à Enzeli. Le service postal se fait les dimanches et jeudi: l’autre service est irrégulier; mais il part au moins un bateau par semaine.
A Tiflis, il faut s’informer du départ à l’agence de la Nadiejda sous peine d’avoir à passer plusieurs jours à Bakou, séjour sans agrément.
A Bakou, on fera sa provision de benzine. Il faut avoir quatre caisses pouvant contenir chacune soixante bidons, donnant ainsi douze cents kilos d’essence. Il faut veiller à ce que les caisses soient bien faites et solides. On les embarque avec soi pour Enzeli-Resht.
A Resht, la poste qui se charge des messageries prendra vos trois caisses (vous en laissez une à Resht) et vous les acheminera comme bagages sur Téhéran.
On fera bien de se munir à l’avance d’une autorisation du ministre des postes à Téhéran pour laisser transporter les caisses par poste. Le représentant de votre pays près du Chah fera le nécessaire. Il est indispensable, en effet, que les caisses voyagent par poste, car, par caravane, elles mettraient un temps très long à atteindre Téhéran. La poste fait le trajet Resht-Téhéran en 50 heures.
Pour l’argent nécessaire au voyage, prendre une lettre de crédit qui soit bien faite. J’en avais une du Comptoir National d’Escompte qui m’a permis de toucher l’argent dans toutes les villes importantes où nous avons passé et à Ispahan même. Mes compagnons ont eu des ennuis assez sérieux avec des lettres qui ne les accréditaient que dans deux ou trois villes, tandis que la mienne était libellée pour le monde entier.
En Perse, on a des billets de banque de 1, 2, 5, 20 et 100 tomans, émis par «The Imperial Bank of Persia». Mais il est indispensable d’avoir de la monnaie d’argent, pièces d’un et de deux krans, monnaie lourde et incommode que l’on porte dans des sacs.
Un domestique interprète est nécessaire. On peut à la rigueur s’en passer à Enzeli où les fonctionnaires de la douane sont belges et sur la route russe entre Resht et Téhéran. Mais pour aller à Ispahan, il n’en est pas de même.
Votre ministre à Téhéran fera les démarches pour vous en procurer un. Il en faut un aussi pour le Caucase: on en trouve à Tiflis.
Comme je l’ai dit, de Resht à Téhéran, il y a trois cent quarante kilomètres. Si l’on n’a pas trop d’accidents de pneumatiques, on peut les faire dans une journée. Mais il faut partir de grand matin, car la route est dure, en lacets pendant plus de cent cinquante kilomètres, coupée de caniveaux et s’élève à seize cents mètres. Jamais, même sur la ligne droite Kaswyn-Téhéran, on ne peut faire de vitesse. Une moyenne de 25 à 30 kilomètres à l’heure me paraît difficile à dépasser.
On déjeunera au chapar khané de Kaswyn qui est à cent cinquante kilomètres de Téhéran.
A Téhéran, nous avons été, Emmanuel Bibesco et moi, logés à l’hôtel anglais et très convenablement. Nos compagnons de route ont accepté la maison que le gouvernement mettait à notre disposition. Mais le matin on faisait chauffer l’eau pour le tub au samovar!
A mon avis huit jours suffisent pour voir Téhéran et ses environs.
Dès l’arrivée à Téhéran, il faut s’occuper de faire partir par poste vers Ispahan deux des caisses de pétrole. On adressera l’une, avec l’autorisation du ministre d’Angleterre, au chef du poste du télégraphe indien à Kachan. L’autre au consul de Russie ou d’Angleterre à Ispahan. La poste ne part que toutes les semaines et met à peu près quatre jours pour le trajet.
Il faut donc être assuré de trouver votre caisse d’essence à Kachan.
Les étapes principales de la route Téhéran-Ispahan sont les suivantes:
Koum est à cent cinquante kilomètres. Comme nous l’avons dit nous avons couvert cette distance en cinq heures et demie. La route est très dure, mais passable. Le bazar de Koum est étroit et tortueux. Une voiture au châssis long y trouvera quelques difficultés. A la sortie de Koum, quelques kilomètres pénibles à cause du délabrement dans lequel sont laissés les canaux d’irrigation; les uns ont débordé et il faut franchir des mares peu profondes; la voûte qui recouvre les autres est par places écroulée.
Ici les madriers dont on se sera muni à Téhéran seront nécessaires pour passer quelque canal dont les bords sont effondrés et le lendemain pour traverser le désert de sable à la sortie de Kachan.
Le trajet Koum-Kachan est de cent kilomètres à peu près constamment dans les montagnes.
Il n’y a pas, à proprement parler, de route, mais une piste dure où l’on est secoué, mais où on peut passer sans grosse difficulté.
Si l’on est en état de supporter une forte étape, je conseille de partir de grand matin de Téhéran de façon à arriver vers onze heures, midi, à Koum. On s’y reposera deux heures dans le jardin charmant du chapar khané; on regardera de loin la belle mosquée et à deux heures au plus tard, on repartira pour Kachan où, avec de la chance, on arrivera entre six et huit heures du soir.
A Kachan, coucher chez le télégraphiste du gouvernement indien avec l’autorisation du ministre d’Angleterre. On y trouvera les bidons de pétrole, envoyés huit jours auparavant par poste.
Le lendemain, partir de bonne heure. Ici les relais sont plus éloignés les uns des autres et l’on ne rencontre plus aucune ville sur la route jusqu’à Ispahan. Les vingt-cinq premiers kilomètres sont dans un désert de sable fin et la couche en est parfois très épaisse. Si l’on s’ensable dans un lit de rivière à sec, les madriers vous aideront à vous en tirer. Mais il n’est pas douteux qu’une forte machine ne passe partout.
Ce jour-là, il est très difficile de trouver un gîte. Aussi je conseille de pousser tant que l’on peut. On fait quatre relais dans la plaine pour arriver à un relais qui est près de la petite ville de Natanz.
Là commence un trajet d’une cinquantaine de kilomètres dans les montagnes où l’on ne marchera qu’avec beaucoup de prudence.
Si l’on est trop fatigué, il y a une chambre au relais au milieu des montagnes à Imanzadé-Sultan-Ibrahim... et un grenier à paille.
Si l’on a assez de force et que le temps le permette on peut pousser jusqu’à Murchekar et peut-être jusqu’à Ispahan. Ce serait une journée bien fatigante et qu’il faudrait commencer au plus tard à cinq heures du matin. Mais enfin, si vous n’avez pas de trop grands ennuis de pneumatiques, il est certainement possible de faire en douze à treize heures, malgré sables et montagnes, les deux cent vingt kilomètres qui séparent Kachan d’Ispahan. Vous aurez prévenu de Kachan par télégraphe votre hôte à Ispahan.
Car vous ne trouverez ni hôtel, ni gîte d’aucune espèce, et il vous faudra recourir à l’hospitalité du consul de Russie ou de celui d’Angleterre.
Il vous enverra chercher aux portes de la ville par les cosaques ou les lanciers du Bengale qui vous guideront dans le dédale compliqué des petites rues et des bazars enchevêtrés et, au besoin, vous protégeront contre l’étonnement et la curiosité trop grande des habitants d’Ispahan.
On ne peut aller plus loin qu’Ispahan en automobile, du moins à ce qu’on nous a dit; la route est même difficilement praticable en voiture. Ce que j’en ai vu à quelques kilomètres à l’est d’Ispahan était très mauvais.
TABLE
| Préface | VII | ||
| Chapitre | I. | Le départ. La Bessarabie | 13 |
| — | II. | La Crimée | 36 |
| — | III. | Le Caucase | 58 |
| — | IV. | L’arrivée en Perse | 117 |
| — | V. | De Resht à Téhéran, ou premières expériences sur route persane | 130 |
| — | VI. | Huit jours à Téhéran | 152 |
| — | VII. | De Téhéran à Ispahan ou la diligence persane | 190 |
| — | VIII. | Une semaine à Ispahan | 233 |
| — | IX. | Le retour | 273 |
| — | X. | De Tiflis à Tabriz et Zendjan ou aventures héroïques de Léonida et d’une Mercédès dans les montagnes de la Perse | 290 |
| — | XI. | La dernière étape | 306 |
| Appendice | 313 | ||