Les Usages du Siècle : lettres, conseils pratiques, le Savoir-vivre
Soirées.
Les soirées dansantes sont plus intimes que les bals; on peut y venir en robe demi montante; souvent il n'y a qu'un piano pour orchestre, et ce sont tour à tour des personnes de bonne volonté qui le tiennent.
Ces soirées donnent de graves soucis aux maîtresses de maison; elles sont forcées d'avoir de l'initiative, de guider les conversations, d'organiser les jeux, les petits jeux, les intermèdes; elles doivent ne négliger personne.
Les artistes qu'on peut avoir doivent être largement rétribués, mais cela n'empêche nullement de les traiter en personnes du monde; si ce sont des femmes, l'usage veut qu'on leur offre une gerbe de fleurs et qu'on les fasse reconduire en voiture.
S'il est convenu que tel artiste doit chanter deux ou trois morceaux, n'insistons pas pour en avoir un autre par-dessus le marché.
Dans un programme musical, des classiques et des modernes.
Les morceaux d'attraction doivent être exécutés au milieu de la soirée; les invités sont au complet, leur attention n'est pas encore fatiguée, les nerfs ne sont pas tendus comme au bout de deux heures de musique.
On ne doit pas entrer pendant l'exécution d'un morceau.
Les rafraîchissements se passent entre chaque «numéro».
L'accompagnateur et celui qui tourne les pages.
Si on n'a pas pris un accompagnateur de métier, tort grave, il faut s'adresser à une personne de bonne volonté très expérimentée.
Il faut qu'elle soutienne la voix dont l'émotion glace le talent de la jeune personne ou du jeune ténor dont les notes tremblent.
Le savoir-vivre ordonne à l'accompagnateur de ménager les mesures si tel est le bon plaisir du chanteur ou de la chanteuse; de laisser aller complètement la pensée d'un maître afin de permettre à un amateur d'escamoter les passages où fatalement il sombrerait, enfin de s'annihiler complètement.
Bref, être accompagnateur est une mission à éviter si on peut le faire sans mécontenter ses amis; de même tourner les pages est un petit supplice.
Il ne suffit pas d'être un bon musicien pour s'acquitter de cette tâche.
Tel artiste joue de mémoire les dernières mesures de la page, tel autre les lit jusqu'au bout, il y a des reprises qu'on exécute ou qu'on saute.
Les uns exigent de vous une précision très grande, d'autres laissent tourner tranquillement; n'allez pas trop vite en vous acquittant de votre tâche; vous pourriez faire tomber la musique; feuilletez d'avance le morceau afin que les feuillets ne soient pas collés les uns aux autres.
Il est bon de ne pas s'offrir pour cet exercice difficile et d'attendre que le maître de la maison vous le demande; pourtant, si vous voyez un exécutant luttant péniblement pour tourner ses pages lui-même, il serait de bonne charité de lui venir en aide.
On doit nécessairement éviter de chanter après une personne un morceau similaire; si on lui est inférieur on est écrasé, et si on lui est supérieur on l'écrase; c'est donc désagréable pour tout le monde, y compris les maîtres de la maison et les invités.
Lorsqu'on chante et qu'une personne vous accompagne, on se tient debout près de l'instrument, le visage tourné de trois quarts vers l'assistance, en tenant à la main le morceau de musique sur lequel on jette les yeux de temps à autre. Inutile de dire que les grands gestes, les grands cris font mauvais effet.
Le jeu.
On n'invite plus guère à une soirée de jeu; mais après le dîner les personnes qui ne dansent pas et qui ne font pas de musique aiment assez ce genre de divertissement.
Il faut établir les tables de jeux dans une pièce assez écartée afin que le bruit ne gêne pas les joueurs.
La pièce est relativement peu éclairée.
On place sur les tables des bougies coiffées de petits abat-jour verts et des petites lampes avec globe en verre dépoli également recouvertes d'abat-jour.
On doit avoir des jeux de cartes cachetés. Ce n'est que dans l'intimité qu'on peut se permettre des cartes ayant servi.
Le vieux savoir-vivre exigeait quelque chose de bien amusant: il fallait mettre de l'argent sous le chandelier afin de payer les cartes!
Les maîtres de maison doivent fixer le prix de la fiche, il n'est pas permis de le dépasser.
L'on se dégante pour jouer, mais on remet ses gants pour rentrer au salon.
L'on ne doit pas se retirer en gagnant beaucoup.
Les dettes de jeu se payent dans les vingt-quatre heures, au cercle; dans les maisons bourgeoises, on ne doit jamais jouer sur parole.
La loi ne permet pas de poursuivre une dette de jeu; c'est pour cela qu'on la nomme une dette d'honneur.
Une femme qui resterait toute une soirée à une table de jeu manquerait au savoir-vivre.
Les invités qui n'ont rien de mieux à faire, se groupent autour des joueurs et forment ce qu'on appelle «la galerie»; ils doivent s'abstenir de conseils, d'appréciations, ne pas prendre parti pour l'un ou pour l'autre dans un coup douteux, à moins qu'ils ne soient pris pour arbitres.
Les joueurs qui tenteraient de cacher leur jeu à la galerie, auraient l'air de suspecter la bonne foi des assistants.
Beaucoup de personnes perdent les plus simples notions du savoir-vivre lorsqu'elles se voient en présence des cartes et de l'argent.
Blâme aux dames qui profitent des égards qu'on leur doit pour se montrer d'une humeur massacrante, lorsqu'elles perdent.
La maîtresse de maison ne joue pas.
Le maître peut jouer, mais non s'attabler toute une soirée.
On doit faire passer des rafraîchissements aux joueurs.
Les marques, les fiches, tous les petits accessoires doivent être en parfait état.
La Carte de visite.
Le savoir-vivre, qui exigeait impérieusement jadis qu'on envoyât des cartes de visite, au premier de l'an, permet maintenant qu'on n'en envoie plus.
Pour mon compte, je regrette fort cet usage; le petit carré de bristol venait vous dire: «Petit bonhomme vit encore» et bien des amis oubliés, des relations dénouées se reprenaient par l'envoi seul de la carte de visite.
Beaucoup de personnes doivent être, comme moi, fidèles aux vieux us car, malgré le décret «chic», qui vous déclare philistin, si vous envoyez votre carte, on en confie encore chaque année à la poste un nombre très considérable.
La carte de visite pour un supérieur ou pour une personne à laquelle on veut témoigner égards, doit s'envoyer dès le 25 décembre afin qu'elle arrive le 31 décembre ou le 1er janvier, car les encombrements sont tels à cette époque qu'il faut fréquemment six jours et plus, pour l'arrivée des cartes de visite mises à la poste en «carte», c'est-à-dire, dans une enveloppe ouverte avec l'affranchissement du timbre de cinq centimes.
Tout autre est la carte sous enveloppe cachetée et affranchie à 15 centimes; elle arrive comme une lettre, du jour au lendemain.
C'est ce mode que je conseille pour les cartes qu'on a à cœur de voir arriver exactement.
Depuis 1895, les règlements de la poste permettent d'écrire quelques mots sur les cartes affranchies à 5 centimes, c'est-à-dire d'ajouter à son nom: avec ses bons souhaits pour... ou quelque formule semblable.
Ce sont les plus jeunes personnes qui envoient en premier leurs cartes aux personnes plus âgées.
Les célibataires et les veufs envoient leurs cartes en premier à leurs amis mariés; l'homme répond seul à cette politesse; seulement, si le mari et la femme ont des cartes collectives comme celle-ci on l'envoie:
Monsieur et Madame L...
Notons que jamais une femme ne met sur sa carte son adresse imprimée; elle l'écrit à la main si elle a besoin de la faire connaître; mais, dans les cartes communes, l'adresse y est toujours.
Une demoiselle de trente ans peut avoir sa carte; avant cet âge, elle écrit son nom sur celle de son père ou de sa mère.
Il y a pourtant une exception à faire pour une orpheline de vingt-cinq ans; la carte est alors libellée ainsi:
Mademoiselle F....
Le nom de baptême ne figure généralement pas; pourtant, s'il y avait plusieurs sœurs ou parentes du même nom, la carte serait ainsi conçue:
Mademoiselle Berthe F....
Une veuve n'indique pas cette qualité sur sa carte, elle mettra simplement:
Madame R....
et si sa belle-mère vit encore, ou si elle a des belles-sœurs de même nom, elle mettra le prénom de son mari sur sa carte, tout comme s'il était vivant:
Madame Edouard R....
Lorsqu'on a plusieurs enfants, ce n'est pas manquer au savoir-vivre que d'ajouter au-dessous de son nom: et ses enfants.
Une dame ne doit jamais envoyer sa carte à un homme; exception faite pour les prêtres.
Le vieux savoir-vivre voulait qu'on envoyât autant de cartes qu'il y avait de membres dans une famille!
Voyez-vous une enveloppe bourrée de sept cartes?
C'était une étrange anomalie car, la carte équivalant à une visite, vous ne faites pas sept visites, mais une seule collective.
On a tout le mois de janvier pour envoyer sa carte.
Le supérieur renvoie toujours sa carte à un inférieur et ce dans le plus bref délai.
Les cartes doivent être en très beau carton, ni trop grandes, ni trop petites, les caractères simples, bien gravés. De fantaisie sont les cartes en carton de couleur ou en aluminium, ainsi que les cartes à facettes, les cartes grises à lettres rouges.
La carte glacée est aujourd'hui peu goûtée.
Lorsqu'on est titré, la couronne est placée au-dessus du nom. On met pour la carte collective des deux époux:
Marquis et Marquise de M....
Jamais le mot «monsieur» devant le nom d'un homme. M. Thiers avait pourtant des cartes ainsi libellées:
Monsieur Thiers
On pouvait lui passer cela, mais un bourgeois qui mettrait: Monsieur Durand, serait incorrect.
Une carte encore bien démodée est celle-ci:
Madame M...., née D....
On voit encore quelques cartes où le nom de la femme est mentionné, mais seulement dans les cartes à éviter.
Gardez-vous d'énumérer vos titres sur votre carte; c'est inutile.
Il existe des cartes grotesques.
J'en ai vu, de mes yeux vu, deux si ridicules que je veux les transcrire pour faire horreur aux générations présentes et futures. Elles étaient ainsi conçues:
Joseph R...
abonné du chemin de fer du Nord!
Hippolyte B...
Neveu du général T...., membre honoraire des Sapeurs-Pompiers
et de la Société des Sauveteurs.
Sauveteur lui-même.
Les femmes qui ont «un jour» mettent ce jour sur le coin gauche de la carte.
La carte sert à de multiples emplois et évite souvent une lettre.
Elle se joint à tout présent.
Elle s'envoie immédiatement à l'annonce d'un événement heureux ou malheureux, en attendant qu'on aille faire visite.
Elle se dépose, pliée, en cas d'absence.
Elle remercie du bon accueil fait à quelqu'un; d'un objet prêté, en renvoyant ledit objet.
Elle prévient qu'on accepte une invitation; elle accrédite quelqu'un: «Madame D... vous recommande chaleureusement le porteur.»
Les enveloppes des cartes doivent être proportionnées: celles qui ballottent dans la leur, comme pois en cosses, ne sont pas admises; les toutes petites enveloppes d'où la carte déborde sont encore de mauvais genre.
Les visites.
Les visites sont une des obligations de la vie mondaine, exception faite pour celles que l'amitié exige.
Les visites dites «de cérémonie» sont celles que se doivent les officiers d'un même régiment, les magistrats d'un même tribunal, les fonctionnaires d'un même ministère, les employés à leur patron, etc., etc.
Les visites de cérémonie durent environ dix minutes.
Les visites officielles sont rendues dans les huit jours.
Ces visites se font l'après-midi, entre deux heures et demie et cinq heures et demie.
Les visites de cérémonie se font aussi entre femmes.
Si le délai de huit jours était passé pour les rendre, on pourrait taxer les retardataires d'impolitesse, à moins qu'il n'y ait une maladie, un événement imprévu.
Il existe pour les principaux fonctionnaires de l'État certaines lois de civilité hiérarchique dépendant d'un cérémonial adopté pour chacun de leurs corps.
On dit qu'il existe des formules obligatoires pour entrer en matière, lors des visites de cérémonie du 1er janvier: il n'y a aucune différence ce jour-là, les vœux ne s'offrant qu'aux parents, aux amis intimes et aux bienfaiteurs.
Les visites intimes sont des visites de sympathie, d'amitié, elles n'ont pas de règles, ni d'heure, ni de jour.
Votre cœur vous pousse à aller voir une amie à dix heures du matin, vous ne manquez aucunement au savoir-vivre.
Lorsqu'on part pour un voyage dépassant la durée de quinze jours, on doit faire une tournée de visites pour en informer ses amis et leur éviter ainsi un dérangement.
Si on ne les trouve pas, la carte pliée avec le P.P.C. traditionnel peut suffire, mais il est plus poli de se mettre en frais de lettre explicative.
Lorsqu'on revient, on fait la même tournée et l'on apprend aux personnes qu'on reprendra son jour à partir de telle époque.
Lorsqu'on arrive dans un pays, on fait des visites aux personnes avec lesquelles on désire nouer des relations.
Le magistrat, le maire, le curé, les simples particuliers font de même.
Ces fonctionnaires ont leurs prédécesseurs pour les présenter dans quelques maisons et, par ce moyen, la glace est brisée.
Les simples particuliers vont de l'avant et font une première visite, au cours de laquelle ils ont soin de parler de leurs amis pour s'assurer si, dans le nombre, il n'en est pas de connus; c'est, en somme, une référence qu'on donne sur soi-même, car il faut fournir des renseignements sur son propre compte.
Si on se tenait trop sur la réserve, les personnes les plus honorables pourraient hésiter à se lier avec vous dans le cours des visites. Si une personne est absente, vous déposez votre carte non cornée, cela ne se fait plus, mais pliée en longueur sur le côté gauche et la carte est comme reçue; si on vous renvoie une simple carte, c'est qu'on ne désire pas entrer en relations; au contraire, si on vous rend la visite dans la quinzaine, vous pouvez poursuivre vos avances.
Il arrive aussi qu'on vous rend la première visite, par curiosité, et qu'on ne vous rend pas la seconde; en ce cas, abstenez-vous d'une troisième.
Dans certaines villes, l'usage veut que l'arrivant attende les avances.
En tous cas, il doit une visite au maire, au curé, au notaire, aux fonctionnaires, et ces derniers ne sont nullement tenus de la lui rendre.
Lorsqu'il arrive un heureux événement chez des amis, on leur doit une prompte visite.
Les visites de connaissances sont celles qu'on fait une ou deux fois par an, aux personnes avec lesquelles on ne veut pas se lier, mais avec lesquelles on désire rester en relations.
Ces visites doivent être assez vivement rendues.
J'ai parlé des visites de digestion, des visites de noces, des visites de condoléances, des visites à une accouchée.
Les visites du jour de l'an se font la veille aux grands-parents et aux parents.
Les hommes vont chez leurs supérieurs le jour de l'an même.
On a tout le mois de janvier pour faire ses visites de jour de l'an.
La grande toilette est de rigueur.
On n'envoie jamais de carte dans les maisons où l'on va faire visite.
Un homme fait bien de déposer sa carte, lui-même, à domicile, lorsqu'il veut qu'elle arrive sûrement, car avec l'encombrement postal des premiers jours de l'année, il y a souvent des retards et même des pertes.
Dans les grandes maisons, les domestiques vont porter les cartes dans le quartier.
Un homme peut très bien déposer lui-même des jouets et des bonbons avec sa carte et revenir faire sa visite plus tard.
Les femmes ne font pas de visites le jour de l'an, excepté aux amies intimes.
Le jour de réception.
Il est d'usage maintenant qu'on ait un jour de réception par semaine; cette coutume est des plus pratiques, elle permet d'arranger ses affaires pour être toute à ses amis et, aussi, d'avoir l'appartement et soi-même en tenue convenable, au lieu d'être surprise dans les occupations ménagères utiles, mais peu poétiques, et de recevoir en négligé, comme il arrivait lorsqu'on n'avait pas de jour. On a de la sorte la liberté des autres jours de la semaine et les visiteurs sont certains de trouver leurs hôtes.
Certaines personnes ayant des visites à rendre tous les jours de la semaine choisissent le jour le moins chargé et ne prennent que les 1er, 2e et 3e vendredis du mois, par exemple, se réservant le dernier pour les personnes ayant le même jour qu'elle; ou encore 1er et 3e samedis, se gardant ainsi deux jours de libres.
Quelques dames reçoivent tous les jours de 5 à 7 ou deux fois par semaine; d'autres reçoivent de trois à six et même après 9 heures le même jour.
Toutes ces heures doivent être indiquées sur la carte, écrites à la main ou imprimées.
Le jour des Morts, le Jeudi et le Vendredi Saints, le Mercredi des Cendres, les jours de grandes fêtes religieuses, on ne reçoit pas.
On prend rarement le Dimanche pour jour de réception.
On ne se présente jamais avant trois heures; maintenant que le bon ton est de dîner très tard, on peut encore arriver en visite à six heures et demie; en tous cas, sept heures un quart est l'heure extrême jusqu'à laquelle on peut rester.
Il serait regrettable d'arriver à deux heures; la maîtresse de maison pourrait fort bien faire répondre qu'elle n'est pas encore visible ou laisser attendre le visiteur jusqu'à l'heure officielle.
Le matin on garnit ses vases de fleurs; à ce propos, pas de fleurs dont le parfum trop fort pourrait «entêter» nos visiteurs: les lampes préparées, les bougies éméchées, les coussins de pied en rang, les fauteuils et les chaises un peu tourmentés, afin que notre salon ait l'air «vivant»: les meubles symétriquement alignés contre le mur ont un aspect un peu glacial.
Pour deux heures, la maîtresse de maison doit être parée; la fantaisie est parfois admise dans ces toilettes d'intérieur et une pointe d'excentricité ne messied pas toujours.
Une des robes les plus en vogue est la robe brochée de teintes claires et douces; robe vieux rose avec bouquets de marguerites; robe citron, avec jonchée de violettes de Parme, la forme Watteau, les manches courtes falbalatées de dentelles. Dans les grandes maisons, le domestique, en livrée ou en habit noir et cravate blanche, se tient dans l'antichambre.
Il serait bon de convenir d'un système de sonnerie pour les ordres à donner; par exemple, un coup pour arranger le feu, deux pour apporter la lumière, trois pour ouvrir au visiteur qui s'en va, quatre pour recevoir un ordre quelconque, etc.
Dans les simples maisons, c'est la bonne en bonnet et en tablier blanc qui ouvre la porte.
Il est commode pour le jour de réception de louer un concierge du voisinage, qui a un habit et qui n'est pas fâché de gagner facilement quelque chose; cela permet à l'unique domestique de s'occuper du dîner et de ne pas être dérangée à chaque instant.
On peut encore avoir ce jour-là une raccommodeuse, qui ouvre la porte et a des allures de femme de chambre.
Il est des maisons où il n'y a pas de bonne; la maîtresse de la maison va ouvrir tout simplement elle-même, sans s'excuser et sans témoigner d'embarras; elle n'a pas de bonne, soit; en vaut-elle moins pour cela?
De même, lorsque la domestique est sortie, madame doit aller ouvrir elle-même, n'a pas d'explications à donner au visiteur et celui-ci pas d'étonnement à témoigner.
La maîtresse de maison occupe le fauteuil placé près de la cheminée, à contre-jour.
La maîtresse de maison n'est pas forcée d'attendre au salon l'arrivée de ses visiteurs, mais si un cas de force majeure la retenait quelques instants, elle devrait faire dire par la domestique qu'elle vient de suite, ou si elle a un membre de sa famille chez elle, fût-ce un enfant, l'envoyer tenir sa place.
S'il n'y a que deux fauteuils, la maîtresse de maison doit céder le sien à la seconde visiteuse, et ce sans affectation.
Du reste, les places marquées hiérarchiquement ne sont plus de mode, sauf dans les grandes réceptions; lorsqu'il y a plusieurs visiteuses, la femme qui a du tact sait discrètement changer de place.
Une personne âgée sera toujours placée près du feu et dans un fauteuil.
A un vieillard ou à un prêtre, on offre son fauteuil.
A l'entrée d'une dame dans son salon, la maîtresse de maison se lève et va au-devant de la visiteuse, la nomme aux personnes inconnues et les lui nomme.
Une dame reconduit une autre dame jusqu'à la porte donnant sur le palier si elle habite un appartement, ou jusqu'à la porte de sortie, si elle habite une maison. A la campagne, on fait quelques pas de conduite. Les hommes se lèvent simplement.
Ayons soin d'avoir pour tous accueil égal et de ne pas faire à certains de trop vives démonstrations.
Excepté dans les grandes réceptions, la maîtresse de maison n'est pas gantée.
Quand on possède une nombreuse famille, on ne fait pas une visite «en masse». La mère de quatre filles doit n'emmener avec elle que l'aînée ou les deux aînées à la rigueur.
Les enfants ne devraient jamais être emmenés en visite, si ce n'est dans les maisons où il y a d'autres enfants qu'ils peuvent rejoindre au dehors, pour jouer.
Lorsqu'il y a des invités au salon, l'enfant rentrant de la pension vient dire bonjour à sa mère, salue les visiteurs et se retire immédiatement.
Lors même qu'un très jeune homme ou qu'une très jeune fille ne prend pas part à la conversation, comme c'est son devoir, il ou elle ne doit pas lire ou s'occuper d'un travail quelconque.
C'est la maîtresse de maison qui place les coussins sous les pieds des visiteuses et qui leur offre les écrans.
Si elle a sœur, mère ou fille pour lui aider à faire les honneurs de son «home», c'est l'adjointe qui se charge de ces petits soins.
En visite, les a parte sont prohibés.
Lorsqu'on arrive dans un salon, on fait un salut circulaire, avant de serrer la main de la maîtresse de maison.
Si l'on ne reçoit que jusqu'à une certaine époque de l'année, on doit prévenir ses amis.
Lorsqu'on est malade le jour de la réception, on défend sa porte et même les plus intimes amis ne pénètrent pas dans votre chambre. Ceux qui vous aiment en sont quittes pour revenir le soir ou le lendemain.
Dans les réceptions ordinaires, on se place un peu comme on veut; le demi-cercle devant le feu n'est obligatoire que dans les grandes réceptions.
Un homme ne se place pas sur un canapé auprès d'une jeune fille.
Lorsque la maîtresse de maison est seule et qu'un homme arrive, elle peut, sans manquer au savoir-vivre, l'engager à se mettre près d'elle; jamais le visiteur n'y prendra place de son propre chef.
En principe, les visites devraient être rendues dans la quinzaine au plus tard, mais avec les jours de réception il y a une certaine latitude et six semaines ne sont pas un délai excessif.
S'il arrive une lettre pendant que l'on reçoit des visites, le domestique vous l'apporte sur le petit plateau d'argent affecté à cet usage dans les grandes maisons, à la main, tout bonnement, dans les maisons modestes; on demande la permission de l'ouvrir.
Parcourons-la rapidement, sans nous mettre à l'écart, et faisons part en quelques mots de son contenu.
A propos de visites, lorsque, entre temps, il en vient une, ayons soin d'indiquer au préalable à notre domestique les noms des personnes qu'on reçoit en tout temps et celles pour lesquelles «madame est visible le mardi», afin que ladite domestique, ne sachant si elle doit dire oui ou non, n'ait pas un air effaré.
Ajoutons que les ordres doivent être précis, la réponse faite sans hésitation et que la phrase: «Je vais voir si madame est là», ne trompe personne, car on sait fort bien si vous êtes présente ou non. Il serait vraiment incivil de faire attendre une personne pour lui faire dire, au bout d'un quart d'heure, que l'on n'est pas là.
Incivil aussi serait le visiteur qui, en ce cas, remettrait en descendant sa carte au concierge en le chargeant de faire tous ses compliments.
Une visite ne doit guère dépasser trois quarts d'heure; on profite de l'arrivée d'une nouvelle personne pour s'en aller; on n'est pas forcé de se retirer avant que les nouveaux venus prennent congé.
Dans les réceptions ordinaires, on ne cède pas sa place près de la maîtresse de la maison à un nouvel arrivant; cependant une jeune femme peut faire cette politesse à une dame âgée.
En se retirant, on serre la main de la maîtresse de maison et celle des personnes connues, puis on fait un salut circulaire; on ne se lève pas pour vous répondre. Vous ne vous retirez à l'anglaise que dans les grandes réceptions.
Une maîtresse de maison qui recevrait froidement une personne pour plaire à une autre agirait mal.
Lorsque nous nous rencontrons en visite avec une personne que nous n'aimons pas, ne faisons mine de rien; les rapports que vous avez avec elle doivent être ceux que vous avez avec un inconnu.
La personne arrivée la première doit se lever quelques minutes après et prendre congé, sans précipitation toutefois, pour ne pas avoir l'air de fuir devant l'ennemi.
Celle qui reste manquerait de savoir-vivre, si elle raillait la personne aussitôt après son départ.
Lorsqu'il n'y a plus qu'un visiteur, le mari et la femme, ou la mère ou la fille l'accompagnent ensemble jusqu'à la porte d'entrée.
Si l'on n'a point de salon, on reçoit dans la pièce où on se tient habituellement: chambre à coucher, salle à manger, bureau.
Lorsque nous apportons un présent à une maîtresse de maison, remettons-le à une domestique et n'entrons pas au salon, notre petit paquet à la main; exception faite pour les friandises, les bonbons.
A moins de se sentir gravement indisposé, ne demandons jamais rien, fût-ce un verre d'eau: mieux vaut s'éclipser discrètement.
On doit toujours recevoir au salon, lorsqu'on en a un. Les artistes peintres et sculpteurs reçoivent dans leur atelier; mais cet atelier est généralement garni de meubles rares, de curiosités et c'est une sorte de salon.
Les médecins, les magistrats, les avocats, ne reçoivent dans leur cabinet que des visites d'affaires.
Les intimes sont reçus à n'importe quelle heure; ils doivent cependant éviter celle des repas.
Lorsqu'une personne entre pendant que vous déjeunez ou que vous dînez, le savoir-vivre veut qu'on lui offre quelque chose: un fruit, un biscuit, un petit gâteau, un verre de vin ou de liqueur, une tasse de café, de thé.
Une maîtresse de maison ne doit jamais regarder la pendule.
Il serait inconvenant de parler une langue étrangère.
Un mot sur les grandes réceptions.
J'appelle ainsi le jour de la préfète, de la générale, enfin de toute dame qui a toujours beaucoup de monde par le fait de la situation de son mari, et qui voit fréquemment dans son salon cinquante à soixante personnes.
La maîtresse de maison, dans ce cas, est toujours gantée.
Pour ces réceptions, les hommes ont la redingote, les gants clairs; les femmes, la grande toilette de ville.
L'on ne reste guère qu'un quart d'heure.
Aux réceptions du soir, les hommes endossent l'habit, la plaque et la brochette; toujours des gants clairs.
Les femmes en toilette de ville très élégante, mais sans chapeau; elles mettent une mantille ou un capuchon qu'elles laissent dans l'antichambre.
On peut faire un peu de musique aux réceptions du soir.
On ne passe pas de rafraîchissements; ce n'est pas une soirée, c'est une visite nocturne.
Dans quelques maisons, on organise un petit buffet où le maître de maison conduit les dames au moment du départ.
On peut rester jusqu'à une heure dans ces réceptions.
Les sièges rangés en demi-cercle sont espacés afin que la maîtresse de maison puisse aller au-devant de la nouvelle visiteuse.
On devrait rétablir l'usage d'annoncer, car, dans ces vastes salons, où toutes les portes sont ouvertes, où il y a d'épais tapis, les pas s'étouffent et si la maîtresse de la maison n'a pas constamment l'œil au guet, il peut en résulter un moment de gêne pour le visiteur qui se trouve tout à coup près d'un cercle livré à une conversation animée; il ne peut pourtant dire: «Me voilà».
On ne dit pas adieu, on s'incline et on s'en va dans une accalmie de la conversation.
Le salut.
A existé de tous temps et chez tous les peuples, mais cette manifestation du primordial savoir-vivre est différente selon les latitudes et les pays.
Le salut a eu son apogée sous Louis XIV et sous Louis XV, alors que les gentilshommes, l'échine courbée, balayaient le sol de l'empanachement de leurs chapeaux et que les marquises poudrées élargissaient d'un geste mignard, du bout de leurs doigts roses, les tant jolis paniers qui leur faisaient taille fine et gorge divine, en exécutant la grande révérence de cour à trois pliés.
Le salut océanien consiste en un frottement de nez entre les deux parties; ce n'est pas à recommander.
Le salut chinois se fait avec une profonde inclinaison et les deux index levés en l'air, faisant cornes au-dessus de la tête du Céleste.
Le salut oriental, plein de poésie, consiste à porter la main droite à son cœur, à ses lèvres et à sa bouche, ce qui signifie dans le langage métaphorique du peuple qui envoie si volontiers les bouquets emblématiques appelés «Sélam»: «Je suis avec vous de cœur, de bouche et de pensée».
Le salut européen consiste, lui, en un mouvement sec et gênant pour les hommes et pour les femmes.
Les hommes, les bras tombant à la hauteur des genoux, plient le corps en deux: c'est le salut de grande cérémonie.
Pour le salut tout courant, ils enlèvent leurs chapeaux d'un coup de main et inclinent un peu la tête d'un coup de cou. Les femmes font un petit signe de tête et voilà.
Je sais fort bien que les mœurs, le costume moderne, ne permettent plus le salut à grands falbalas, mais un peu de moelleux dans l'attitude, de part et d'autre, ne nous irait pas mal.
Avec notre genre de salut, adieu l'ondulation charmante d'une taille souple; le salut moderne est tout bonnement affreux. Je ne veux pas reculer de plusieurs siècles en arrière, mais je voudrais voir les femmes et les hommes nuancer leurs saluts et ne pas avoir le même geste pour un camarade ou pour un vieillard, pour un inconnu comme pour un ami.
Les hommes devraient saluer les femmes en fléchissant légèrement la tête et le buste.
De même les jeunes dames devraient mettre une nuance de déférence dans les saluts adressés aux femmes âgées.
Le salut est dû par les hommes en entrant dans un restaurant, un café, un omnibus, un wagon, enfin dans tous les lieux publics.
Un récent ouvrage de savoir-vivre voudrait qu'on répondît à ce salut; je ne suis pas de cet avis et ne vois nullement une vingtaine de têtes s'inclinant devant un seul homme.
Lorsqu'une femme est croisée dans l'escalier, et saluée, elle doit répondre par une légère inclinaison de tête.
De même, en quittant un wagon, on a droit au rendu de son salut.
La salutation de la main, familière et de mauvais ton, tend à remplacer peu à peu chez nous le «bonjour, cher», qui est d'une suprême impertinence.
Encore très mal vu le salut qui consiste à porter deux doigts à son couvre-chef.
Une femme passant devant une autre dans un escalier, lui doit un salut et un «pardon, madame»; surtout, ne disons pas «excusez». La dame saluée ne doit rien répondre, elle se contente de refaire un salut.
La femme de bon ton.
Grâce, aisance, telle devrait être la devise de la femme.
Possédant l'aisance, elle n'aura ni assurance déplacée, ni timidité gênante.
Avec la grâce, elle aura une tenue irréprochable, des gestes séduisants, qui la rendront sympathique à tous.
Elle doit éviter de parler haut, de rire bruyamment.
Si elle fait de la bicyclette, des armes, du cheval, si elle va à la chasse, si elle conduit, elle ne doit ni en parler, ni s'en vanter.
En aucun cas la femme bien élevée ne doit fumer.
La femme bien élevée, riche, est dispensée chez elle de certains travaux manuels, mais elle doit s'occuper de tout, avoir l'œil à tout.
Les bas clairs ou blancs avec des souliers découverts sont un peu démodés.
Lorsqu'une femme va seule dans le monde, elle doit éviter d'être reconduite, même par le maître de la maison; qu'elle se fasse chercher par un domestique ou qu'elle se retire à l'anglaise et prenne une voiture.
Pour aller à un enterrement, il faut être, sinon tout en noir, du moins habillée de couleurs très sombres.
La femme bien élevée ne sortira jamais de chez elle nu-tête; même pour faire une visite dans sa maison, elle mettra un chapeau.
Bien tenir son ménage, ses enfants, donner au mari tout le confortable possible, être soi-même élégante et parée, doit être la règle de conduite de toute femme vraiment digne de ce nom.
Je dirai même plus, on doit veiller aux infiniment petits du ménage, mettre la main à la pâte.
Une femme qui réserve ses belles toilettes pour les sorties et qui ne se présente aux yeux de son seigneur et maître qu'avec de vieilles toilettes gâche peut-être son bonheur, pour ménager ses robes.
On doit éviter, sitôt le mari arrivé, de le mettre au courant des menues tracasseries qu'on a pu avoir dans son ménage; il a souvent de graves soucis et lui parler d'une assiette cassée, d'une serviette égarée, d'un plat manqué, c'est le contrarier presque toujours.
L'homme bien élevé.
L'homme peut se montrer bien élevé, correct, sans grands efforts.
Mais, malheureusement, dès que nos fils endossent l'uniforme de collégiens, ils jugent bon d'adopter un langage trivial et les allures sans façons qu'ils gardent en entrant dans le monde. Ils traînent les pieds en marchant, balancent les bras, se vautrent dans les fauteuils et, s'ils cessent de parler d'eux, ils n'ont dans la bouche que des récits de chasses, de jeux, de sports, etc.
C'est une erreur de ranger dans la catégorie des petits-maîtres, l'homme élégant et soigné de sa personne; un brin de coquetterie ne lui messied pas et on est mieux accueilli partout, quand on flatte l'amour-propre des gens.
L'homme bien élevé peut avoir les ongles abîmés par certains travaux, mais il les a toujours propres; il ne doit pas abuser de bijoux; rarement des épingles de cravate ornées de brillants. Sous prétexte de sans-façon, certains hommes sortent dans des négligés peu convenables. Ils ont bien tort quoique nous ne préférions pas à ces personnages le petit-maître musqué qui fait tous les jours des pauses d'une heure chez le coiffeur et qui mire sa frimousse dans toutes les glaces des devantures.
Il est de mauvais ton de se rendre à son travail habillé comme un notaire qui va faire signer un contrat ou d'aller à la campagne en costume noir de cérémonie.
Si, dans la rue, l'homme bien élevé rencontre une femme qu'il connaît et que ses relations avec elle soient assez intimes pour qu'il se croie autorisé à lui parler, il doit tenir le chapeau à la main jusqu'au moment où la dame lui dit «couvrez-vous donc», ce qu'elle ne manque jamais de faire à l'instant.
L'homme offre le bras gauche à une femme; le militaire, le bras droit, à cause de l'épée.
La mode de se donner le bras est pour ainsi dire tombée en désuétude, on se contente presque toujours de marcher l'un à côté de l'autre.
En cas de pluie, le monsieur qui est avec une dame doit l'abriter avec précaution sous son parapluie, quitte à mouiller son couvre-chef.
Il est des hommes qui, sans scrupule et sans distinction du sexe, bousculent les passants, même si ces passants ont, selon l'usage qu'on devrait observer rigoureusement, pris «leur droite». Ces hommes sont des maladroits et je range dans la même catégorie celui qui lance une bouffée de fumée au nez d'une femme, au lieu de retirer cigare et cigarette en passant près d'elle. Je ne parle pas bien entendu de la pipe, dont l'usage est exclusivement réservé à l'intérieur en petit comité.
Puisque nous voilà sur le chapitre fumer, il ne faut pas oublier que même un mendiant en haillons demandant du feu dans la rue au plus correct gentleman, doit être accueilli avec la politesse d'usage qui consiste à enlever de ses lèvres le cigare ou la cigarette après en avoir préalablement secoué la cendre, et à lui présenter ledit cigare ou ladite cigarette; un soulèvement de chapeau est le remerciement.
Ne vous avisez pas, messieurs, de donner du feu bouche à bouche, c'est une posture peu gracieuse.
Lorsqu'une femme laisse tomber un objet, soit dans un salon, soit dans la rue, le devoir de tout homme bien élevé est de lui ramasser; de même le devoir de la femme bien élevée est de ne pas se baisser, de laisser ramasser l'objet et de ne pas se confondre en remerciements pour une action si simple.
Lorsqu'un homme et une femme vont en visite ensemble, père et fille, mari et femme, fils et mère, ami et amie, qu'importe le lieu, l'homme doit monter devant la femme et descendre derrière.
Lorsqu'un fumeur va dîner en ville ou en visite, il devrait toujours avoir sur lui des pastilles de cachou qui enlèvent toute trace de tabac.
Le jeune homme.
A notre époque, malheureusement, les jeunes gens ne sont plus jeunes ou ne veulent plus l'être.
Ils affectent un dédain profond pour la danse, les amusements discrets, les salons et se tiennent comme des misanthropes, dans les coins.
Il faut que ce soient les patriarches qui fassent sauter la jeunesse, et les jeunes gens (qui, entre nous, s'amuseraient fort bien s'ils dansaient et quelquefois même en grillent d'envie) regardent avec un sourire, qu'ils veulent rendre amer et qui n'est que ridicule, les gracieux enchevêtrements d'un quadrille ou la charmante valse; ayant l'air de dire: Dieu! comme nous sommes supérieurs à tout ce monde!
Le jeune homme de nos jours est pris entièrement par les sports de tous genres; c'est malheureux, car s'il détient le record de la bicyclette, s'il nage comme un poisson et monte à cheval comme un centaure, il ne sait plus baiser la main d'une dame, rendre sa conversation agréable, se mettre à la portée des enfants et des vieillards.
Je ne veux certes pas que le jeune homme soit mignard, mièvre, mais il doit être «le jeune homme» avec la fougue, les illusions de ses vingt ans, une pointe de gaieté; cette qualité toute française ne lui messied pas et il est vraiment fâcheux de voir nos fils se montrer «des petits vieux».
Le respect de la femme est trop souvent lettre close pour eux; ils apportent au salon des conversations d'écurie, et les termes sportifs, incompréhensibles pour beaucoup, émaillent leur conversation; heureux encore s'ils ne commettent pas de calembours et ne répètent pas, se croyant infiniment spirituels, les bons mots des échotiers.
Le jeune homme doit respecter non seulement sa mère, sa sœur, mais encore la femme dans la grande et noble acception du mot.
La jeune fille.
Elle doit, sans jouer un rôle effacé, se tenir dans une certaine réserve.
Il lui faut éviter les airs cavaliers, aussi bien que les airs timides.
Une jeune fille n'adresse jamais la première la parole à un homme.
Si, étant sortie, accompagnée d'une femme de chambre, elle rencontre un homme de sa connaissance, elle ne doit pas s'arrêter à lui parler dans la rue, à moins qu'il ne soit très âgé.
La jeune fille doit être déférente pour les dames âgées et s'abstenir de ces causeries à voix basse, dans les petits coins, de ces rires étouffés qu'ont trop souvent les jeunes filles entre elles et qui ne manquent pas d'étonner les autres personnes.
Une jeune fille dirigeant la maison de son père veuf commettrait un manque de savoir-vivre en disant «monsieur» parlant de son père aux domestiques; elle doit dire «mon père».
Les domestiques ne doivent pas dire «votre père», mais bien «monsieur».
Si une jeune fille rencontre dans le monde un jeune homme dont elle voudrait bien faire son mari, elle ne doit pas montrer par son attitude, par ses regards, qu'il lui agréerait; une sage réserve lui est imposée.
Pourtant, nous ne devons pas condamner les jeunes filles, ces femmes, ces mères de demain, à une attitude trop indifférente et grave.
La jeune fille doit éviter les petits ragots, les petites susceptibilités qui rendraient son commerce un peu ennuyeux.
Les grandes démonstrations d'affection et les termes trop chaleureux ne sont pas de bon goût.
Ne jamais se retourner dans la rue.
Lorsqu'une de ses amies possède un talent quelconque, elle cherchera à le faire valoir, si l'occasion s'en présente.
Une jeune fille ne doit pas se faire prier pour chanter ou pour se mettre au piano; la chose se fait simplement et, si on n'apprécie pas son talent, on apprécie sa bonne volonté.
La jeune fille doit écouter les vieillards avec patience, même s'ils radotent un peu; elle doit paraître s'intéresser à une anecdote, même si on la lui sert pour la dixième fois, et savoir sourire aux bons endroits.
La jeune fille peut être coquette, sans excentricité; c'est de son âge d'aimer les fleurs et les rubans.
Au cotillon, où il lui est permis de choisir ses danseurs, elle doit être éclectique, ne pas manifester ses préférences si elle en a.
Accepter toujours le même danseur serait assez inconvenant. Jouer à l'ignorante est un tort; vouloir passer pour celle qui sait tout, qui comprend tout, en est un autre.
Le prêtre.
Le prêtre doit avoir la première place en tout et pour tout; même si c'est un simple vicaire, dans un dîner, c'est lui qui ouvre la marche avec la maîtresse de la maison.
Il faut éviter d'inviter un prêtre dans une réunion où les dames sont décolletées.
A propos de cela une amusante anecdote me revient à l'esprit.
Un ecclésiastique fut convié à une réunion de gala où les femmes étaient en grand costume de soirée.
Il arriva au digne prêtre de marcher sur la traîne d'une dame qui étalait, outre des dentelles superbes, ses épaules. Un accroc se produisit et la dame, furieuse de voir déchirer son point d'Angleterre, tourna vers le prêtre un visage courroucé en l'appelant «fichu maladroit»; celui-ci, sans se déconcerter, se tourna vers la grande dame et lui dit doucement: «Il me semble que «fichu» serait plus à sa place sur vos épaules que dans votre bouche, madame.»
En entrant à l'église avec un prêtre, la femme doit lui céder le pas, même si c'est un très jeune homme.
Inutile de dire que, lorsqu'on a un prêtre à sa table, toutes les discussions théologiques doivent être évitées; il serait mal de blâmer quoi que ce soit de la religion.
De son côté, le prêtre qui va dîner en ville a son caractère sacré doublé du mondain et se met à l'unisson.
Il dit les «grâces» et le «bénédicité» le plus discrètement possible.
Le médecin.
En voilà un envers lequel on manque de savoir-vivre! Pourtant, il mérite tous les égards.
Après la visite du médecin, nous devons lui offrir l'eau et lui présenter une serviette blanche.
S'il a à libeller une ordonnance, mettez de suite à sa disposition papier, encre et bonne plume.
Dans le cas où il aurait à passer la nuit ou une partie de la journée auprès d'un malade, invitons-le à dîner et à déjeuner et offrons-lui quelque chose de temps en temps; si c'est la nuit, un verre de vin chaud, du bouillon, du chocolat, etc.
Les lettres le demandant doivent toujours avoir un cachet de grand respect; on peut mettre indifféremment monsieur, monsieur le docteur ou docteur; les intimes peuvent mettre «Cher docteur».
Il est bien rare que des maladies prennent subitement, sans aucun prodrome et que vous soyez obligé de déranger le docteur à des heures indues; n'attendez donc pas le dernier moment et laissez-lui la latitude de quelques heures.
S'il n'est pas exact, ne témoignez pas votre mécontentement; pensez qu'il y a d'autres malades et que le médecin a le droit de dormir, boire, manger, se reposer comme les autres et même d'être, lui aussi, souffrant.
Si vous changez de médecin, ne lui parlez mal du premier.
Évitons de vanter un homéopathe devant un allopathe et réciproquement.
Quelques personnes trouvent de bonne prise d'extorquer une consultation à leur médecin, si elles le rencontrent en soirée ou dans un dîner en ville, voire même dans la rue; ces personnes mériteraient d'être disqualifiées.
Quelqu'un qui discuterait les honoraires d'un médecin serait impardonnable; de même celui qui fait attendre le paiement pendant de longs mois.
Le savoir du médecin est une marchandise morale de laquelle il doit vivre et, l'ayant reçue, on doit le payer, ni plus, ni moins que le sucre à l'épicier.
Le bon goût veut qu'en payant la note du médecin on lui envoie un mot de remerciements et qui montre qu'on ne se croit pas quitte envers lui parce qu'on lui paye «son dû»; certaines personnes ajoutent même un cadeau.
Si un médecin amène un confrère en consultation, le malade doit payer de suite le médecin étranger.
Lors de la naissance d'un bébé, il est du plus élémentaire savoir-vivre d'envoyer une boîte de dragées au médecin qui l'a assisté à son entrée dans le monde.
Si les clients ont des devoirs envers lui, celui-ci en a également envers ses clients: il doit toujours avoir une tenue correcte, ne pas brusquer les malades, souvent ennuyeux, et se rappeler que la devise du docteur doit être: «Patience envers ceux qui souffrent.»
Le secret professionnel est de toute rigueur, même pour un mariage; le médecin doit refuser de dire quoi que ce soit.
Il est inutile de dire que le praticien ne doit jamais blâmer ce qu'a ordonné un confrère; ne pas parler aigrement et reprocher avec malveillance les écarts de régime auxquels s'est livré le patient.
Dans cette carrière si noble, toute de dévouement et d'abnégation, celui qui a accepté la haute mission d'assister ses semblables doit être à la hauteur de sa tâche et avoir sans cesse à l'esprit que le médecin guérit quelquefois, soulage souvent et console toujours.
Les petits jeux.
Dans les salons que les jeux de poker, du baccara ou des petits chevaux ont encore épargnés, où le flirt n'a pas encore élu domicile, nous voyons la jeunesse se livrer aux jeux dits «de société» et tromper ainsi la longueur des soirées ou les ennuis d'une journée pluvieuse.
Ces jeux encore en vigueur peuvent se diviser en trois parties.
La première partie comprend les jeux que nous appellerons les jeux remuants, comme le furet, la poste, le collin-maillard-bâton, etc.
La seconde partie comprend les jeux d'esprit et les devinettes: le jeu des grands hommes, les homonymes, les petits papiers, les propos interrompus, la sellette, etc.
Enfin dans la troisième partie nous pourrons faire rentrer tous les jeux de cartes, cartons, tableaux, jetons ou pions, comme par exemple les échecs, les dames, le go-bang, le tric-trac, le loto, les jeux de l'oie, etc., etc.
Nous ne parlerons pas des jeux de cartes, cartons, tableaux, etc., car de nombreux manuels parus en librairie en ont donné la description et les règles.
Dans la première catégorie, que nous avons définie les jeux remuants, nous avons parlé de la poste.
Pour jouer à la poste, il suffit de connaître le jeu des quatre coins: en effet les personnes de la société, après s'être assises en cercle autour du salon, prennent chacune un nom de ville ou de lieu et doivent changer de places entre elles à l'appel du nom de la ville qu'elles ont adopté et d'après le récit du voyage qu'improvise le meneur du jeu, sans toutefois que leur place soit prise au vol par la personne qui veille debout au milieu du cercle.
Quand le veilleur a réussi à s'asseoir sur la chaise d'une personne au moment du changement de place, il prend alors le nom d'une ville à son tour et laisse au centre le maladroit qui s'est laissé prendre.
Nous avons aussi le jeu de la pincette: ce jeu consiste à faire sortir une personne et à son retour à lui faire trouver un objet caché ou à accomplir une action convenue en ne la guidant que par les coups répétés d'un objet quelconque entre les branches d'une pincette, coups que le meneur du jeu doit faire d'autant plus forts et plus rapides, que la personne approche davantage de la cachette ou devine l'action qu'elle doit accomplir.
On remplace souvent la pincette par un trémolo au piano.
Nous ne décrirons pas le furet, car c'est un jeu universellement connu.
Quant au jeu de collin-maillart-bâton, il est des plus simples: on bande les yeux d'une personne et on lui met une canne dans la main, puis la guidant vers les autres membres de la société, ceux-ci, à tour de rôle, l'arrêtent et doivent répéter le cri ou la phrase que le pauvre aveugle fait entendre au bout du bâton; celui-ci doit reconnaître la personne et s'il tombe juste, il est délivré et un autre prend sa place.
Si nous abordons les jeux d'esprit, nous avons les petits papiers, sous forme de bouts rimés, du jeu des définitions, et des réponses à des questions.
Pour le jeu des définitions, il peut se jouer de deux façons: la première en posant à la société le même mot à définir; à chacun d'y répondre avec son esprit et avec son cœur.
La seconde manière consiste à faire écrire à chaque personne un mot quelconque dans le haut d'une feuille de papier, à cacher ce mot par un pli, puis faisant salade de toutes ces feuilles chacun en reprend une et découvrant le mot inscrit, doit en donner la définition banale ou spirituelle, générale ou personnelle.
Enfin on joue encore quelquefois à deviner les hommes ou les choses: pour ce jeu, il faut prier une personne de la société de se retirer quelques instants dans la chambre voisine. On choisit alors un personnage mort ou vivant, historique ou figuré, ou bien encore un objet connu. Nous pouvons donner comme exemples: Cléopâtre, Bayard, Jeanne d'Arc, ou bien Sarah Bernhardt, Coppée, Carolus Duran, ou même une personne de la société présente. Comme objet, l'épée de Damoclès, le miroir de la vérité, ou encore un objet du salon où l'on se trouve. L'objet choisi, on prie la personne absente de rentrer; elle doit alors deviner l'objet ou le personnage par des questions multiples posées à chacun et auxquelles il ne peut être répondu que par oui ou par non sans le moindre commentaire.
L'habitude de ce jeu et l'intelligence des questions permettent de deviner assez rapidement les objets les plus bizarres et même les plus immatériels. Ainsi nous avons vu des personnes deviner l'ombre même d'une personne, la chaleur rayonnante d'une flamme, etc., etc.
Les homonymes ont aussi leurs adeptes. On joue aux homonymes comme dans le jeu précédent par une série de trois questions posées à chacun par la personne désignée pour deviner l'homonyme choisi en son absence. Ces trois questions sont: 1o Comment l'aimez-vous? 2o Qu'en faites-vous? 3o Où le placez-vous? en rapprochant les diverses réponses, on trouve aisément.
Exemple: Nous prenons Lot, qui nous donne le département du Lot, puis le lot d'une loterie, puis Loth, personnage de l'Histoire sainte; il est certain que si les réponses ont été dans le sens des suivantes: j'en fais un département, j'en fais le père des statues de sel, je l'aime le plus gros possible, je le place entre les mains d'un obligataire du Crédit foncier, etc., la personne qui doit deviner trouve en peu de temps le mot Lot.
Tous ces jeux demandent un certain nombre de personnes présentes.
A ces divertissements nous joindrons les jeux à gages, comme le gant jeté en même temps qu'un mot commencé et que doit finir la personne à qui on jette le gant. Exemple: je lance le gant en disant: «Tou», et la personne qui reçoit le gant ou la balle doit finir soit par «raine», ce qui fait Touraine, ou par «pie», ce qui donne toupie, etc.
Une réponse trop tardive, ou qui ne forme aucun nom propre ou commun paie un gage.
Du reste pour tous ces jeux en général, nous ne pouvons mieux faire que de renvoyer aux encyclopédies de sport et de jeux qui ont été faites depuis plusieurs années. Nous citerons entre autres: l'Encyclopédie des jeux et des divertissements de l'esprit et du corps par T. de Manlidars, qui contient un très important chapitre sur ces matières.
Lorsque l'on joue encore aux petits jeux dits innocents, on doit être fort réservé dans le choix des pénitences et celle à embrassades, telles le baiser à la religieuse, le dessous du chandelier, doivent être bannies de toute bonne société. L'une consiste à faire mettre à genoux deux personnes devant une chaise et elles s'embrassent à travers les barreaux; l'autre veut qu'on mette un chandelier sur la tête d'une personne et qu'on embrasse ladite personne.
La liste des jeux innocents est innombrable; il y a les anciens classiques, le furet, pigeon vole, monsieur le curé n'aime pas les couleurs, les portraits, etc., etc.
Dans les nouveaux, le jeu des rimes, des silhouettes, des académiciens, des demandes et des réponses et encore, etc., etc.
Le plus grand tact doit présider à ces jeux qui souvent, sous prétexte qu'ils sont innocents, donnent lieu à des licences de langage et d'attitude que toute personne bien élevée blâmera sévèrement.
Ainsi, si un homme a comme pénitence de faire une confidence à une dame, il ne doit pas lui chuchoter bas à l'oreille, mais bien parler à demi-voix, de manière à ce que les voisins puissent entendre.
Ceux qui nous servent.
Je ne vais pas m'occuper des domestiques de haut parage. Ce genre de monde est régi par un majordome ou intendant qui se charge de les gager et les renvoyer, qui veille à ce que le service se fasse mathématiquement. L'intendant reçoit les ordres et les transmet; c'est lui qui paye les gages et donne les gratifications.
Les domestiques de haut parage sont des serviteurs bien dressés, qui entrent, saluent, font leur besogne et se retirent; souvent les maîtres ne connaissent que le visage de ceux que leur service appelle immédiatement auprès d'eux.
Lorsqu'une maison est montée sur ce pied, cela suppose une fortune immense; il y a une hiérarchie établie entre les domestiques et ils s'appellent entre eux la haute et la basse domesticité.
Les dames sont, de nos jours, beaucoup plus femmes de ménage qu'il y a trente ans; il n'est plus de bon ton de tout laisser gaspiller.
N'est-ce pas un bel éloge que de s'entendre reprocher son ordre et son économie?
En effet, mieux vaut se passer une fantaisie, quelque frivole soit-elle, que de tout laisser au pillage; d'autant, qu'en somme, cela ne profite à personne.
J'engagerai toujours à dire «s'il vous plaît», «voulez-vous»; c'est le savoir-vivre des maîtres.
Les serviteurs qui répondent d'un ton aigre, acerbe, sans parler à la troisième personne, ont bien tort; non seulement ils manquent au savoir-vivre, mais si en quittant une maison ils ont pris ces habitudes, ils ne pourront pas se placer dans une autre d'un ordre plus élevé et, par conséquent, monter en grade.
Sauf les femmes de chambre qui sont nu-tête, les autres domestiques du sexe féminin doivent toujours avoir un bonnet de lingerie; le tablier bleu pour faire le ménage, le tablier blanc pour aller en courses et servir à table, le tablier blanc à dentelle ou à broderies pour les jours de réception ou pour les dîners où il y a des étrangers.
Une maîtresse de maison n'ayant qu'une bonne ne saurait l'obliger à prendre le plateau d'argent pour lui présenter les lettres et les journaux.
Mais, dès qu'on a deux domestiques, cela doit rentrer dans l'ordre des choses.
N'eût-on qu'une demi-bonne, c'est-à-dire une femme de ménage, on doit exiger que tout ce qu'elle présente, verre d'eau, tartines aux enfants, fruits, le soit sur une assiette; c'est une habitude à prendre, voilà tout.
Il ne faut pas souffrir qu'on discute un ordre, mais on ne doit pas en donner de contradictoires.
Ne jamais accorder un jour de sortie est cruel.
On donne généralement un jour entier par mois, c'est-à-dire un jour entier à partir du déjeuner; d'autres maisons accordent deux sorties, une entière et une jusqu'à l'heure du dîner.
Nous ne nous plaignons jamais de nos domestiques à des étrangers, nous nous en séparons si leurs services ne nous conviennent pas; en revanche, il est bon que nos domestiques songent qu'en décriant leurs maîtres ils se font le plus grand tort à eux-mêmes. Forcément leur réputation de mauvaise langue transpire et ils ne peuvent plus se placer par connaissances, car les autres serviteurs, à l'occasion, répètent ce qu'ils ont dit et ils se trouvent forcés de se placer par le bureau, ce qui est infiniment moins recommandable et moins avantageux.
Les gages des domestiques doivent être payés très régulièrement. Fût-on dans les plus grands embarras d'argent, il vaudrait mieux remettre tout autre paiement que celui du salaire des serviteurs.
On donne un cadeau au jour de l'an aux domestiques.
Ce cadeau peut être en nature ou en argent.
Le savoir-vivre trouve plus délicat le présent en nature, mais les domestiques préfèrent l'argent.
Les enfants ne doivent jamais donner d'ordres aux domestiques, et s'ils en transmettent de la part de leurs parents, ils doivent dire: «ma mère m'a chargé de vous prier de faire ceci ou cela.»
Des jeux, des taquineries entre les domestiques et les enfants sont du plus mauvais goût.
Lorsqu'on n'a qu'une seule domestique, elle doit partager notre nourriture; faire une cuisine à part, cela n'est possible qu'à partir de deux serviteurs.
En Angleterre, certains domestiques mettent pour condition, en entrant dans une maison, qu'on ne leur fera pas manger du saumon plus de trois fois la semaine!
N'imitons pas cet exemple et ne faisons pas manger du bœuf tous les jours à nos domestiques, sous le fallacieux prétexte qu'il faut toujours avoir du bouillon sous la main.
Il est bon de fermer ses armoires, sans retirer ses clés avec ostentation devant les domestiques.
Un domestique qui apporte quelque chose a droit à un remerciement; de même le maître qui paie les gages à un domestique doit être remercié.
Lorsqu'on a eu un domestique durant plusieurs années à son service et qu'il se marie, on lui donne un cadeau.
Lorsqu'un serviteur, dont on est content, demande à son maître de lui servir de témoin, celui-ci ne peut lui refuser sans manquer au savoir-vivre.
On doit récompenser les travaux extraordinaires.
A l'occasion d'un mariage dans la maison, on doit un cadeau à ses serviteurs.
Lorsqu'on renvoie un domestique sur le coup, on doit lui payer ses huit jours.
De même, lorsqu'un domestique s'en va subitement, il devrait payer huit jours à ses maîtres.
Ce n'est que pour des motifs graves de part et d'autre qu'on s'en va ainsi: dans les cas ordinaires, on se prévient mutuellement huit jours à l'avance et le domestique a droit à deux heures par jour, pour chercher une place.
On n'est forcé de mettre sur le certificat que la date de l'entrée et celle de la sortie; tous les éloges sont du bon vouloir des maîtres et le serviteur n'a pas le droit de les exiger.
On ne met pas de choses désobligeantes sur un certificat.
On ne peut se refuser à donner des renseignements sur un serviteur.
Pourtant, lorsqu'il y a un an qu'il a quitté votre service, on peut se récuser.
Même en parlant d'un enfant très jeune, les domestiques doivent dire «monsieur» ou «mademoiselle» et non «le petit, la petite».
Les titres civils ne s'énoncent pas; le domestique d'un député dira seulement «monsieur».
On a le droit de faire ouvrir la malle d'un domestique avant son départ, mais c'est généralement inutile.
Si un serviteur meurt chez vous, il est d'usage que nous suivions le corbillard.
On ne doit pas dire le nom tout court aux domestiques de nos amis, on ajoute «mademoiselle» ou «monsieur».
Lorsqu'un domestique apporte un présent, on lui doit un pourboire, malgré la guerre faite contre cette coutume depuis plusieurs années; mais il faut éviter de donner un pourboire excédant la valeur du présent, cela s'explique.
Ne jamais questionner un domestique sur ses maîtres, sur ce qu'on fait, sur ce qu'on dit; de même, lorsque nous envoyons un domestique quelque part, ne le questionnons pas sur ce qu'il a vu.
Ne nous mêlons jamais à des querelles entre domestiques ou entre concierges et domestiques: il arriverait un moment où, se raccommodant, ils feraient la paix à nos dépens.
Maîtres et domestiques doivent savoir reconnaître leurs torts réciproques et se supporter les uns les autres.
Si un domestique est bien payé, bien nourri, a quelques douceurs de temps à autre, telles que parties de théâtre, gratifications, sorties supplémentaires, il doit s'estimer heureux et ne pas se laisser aller au penchant de décrier la maison où il sert.
Si un maître a un domestique probe, laborieux, il doit lui passer certaines choses et savoir fermer les yeux à l'occasion.
La façon de recevoir.
Etait une vertu antique fort bien pratiquée, et dans les peuples qui sont encore primitifs on la voit érigée en devoir rigoureux, allant jusqu'à donner à l'hôte tout ce qu'on a de plus précieux.
Si nous invitons quelqu'un à faire un séjour chez nous, faisons d'avance une toilette complète.
Tout doit marcher droit pendant le séjour d'un étranger sous notre toit et les rouages intérieurs doivent être si bien graissés, qu'on ne puisse entendre le moindre grincement.
Je parle aussi bien matériellement, que pour les questions d'un ordre plus élevé.
Tout doit être au beau fixe; songeons-y et évitons jusqu'à ces infimes petites chicaneries qui sont le chatouillement désagréable des relations.
Vous êtes toujours prévenu de l'arrivée de votre invité; vous allez donc l'attendre à la gare avec ou sans voiture, selon la distance qui vous sépare de la gare, montrant ainsi l'empressement que vous avez de l'accueillir dans votre «home».
La chambre de l'hôte doit être l'objet des soins tout particuliers de la maîtresse de maison.
Les vitres étincelantes, les rideaux blancs, le parquet ciré, encaustiqué, le lit avec sommier intact, les armoires nettes de tous objets. Ne jamais recouvrir les planches de papier, c'est démodé; la table de toilette, qui est dans la chambre, doit être pourvue d'une pile de serviettes blanches, d'une boîte de savon, d'eau de toilette, d'eau dentifrice, etc.
Sur un meuble, un verre d'eau avec sucrier, flacon de fleurs d'oranger ou de rhum, suivant que l'invité est homme ou femme, flacon d'eau de mélisse, boîte de pastilles de menthe et une boîte de gâteaux secs, pour le cas des fringales nocturnes.
Une carte, clouée au mur, indique les heures des repas, les heures des trains, enfin tous les petits renseignements utiles.
Ne pas oublier encre, plumes, papier, enveloppes, enfin tout ce qu'il faut pour écrire, comme on dit dans les comédies.
Des fleurs sans odeur doivent garnir les vases.
Le premier soin à observer est de demander à quelle heure on désire le petit déjeuner et ce qu'on a l'habitude de prendre, lait, café au lait, thé, chocolat, potage.
Le second est d'attendre que l'invité soit un peu reposé avant de lui faire faire l'inévitable tour du propriétaire.
Les maîtres de maison doivent s'ingénier à rendre leur hospitalité douce et agréable, à laisser à leurs hôtes quelques heures de liberté, à leur procurer les distractions que comporte le pays: visites aux musées, églises, curiosités, sites, promenades, excursions, parties de pêche, de canot, de chasse, jeux, plaisirs d'intérieur, etc.
Si on a plusieurs hôtes à la fois, il faut s'occuper de tous également, ne pas marquer de distinctions.
Les repas doivent être servis, sinon luxueusement, du moins plantureusement.
Si celui qui offre l'hospitalité a des devoirs envers ses hôtes, ceux-ci n'en ont pas moins envers lui.
Nous devons arriver, sinon d'humeur très gaie, du moins avec un visage aimable, ayant donné campo à nos soucis, afin de ne pas montrer mine renfrognée à ceux qui nous reçoivent.
On n'est pas contraint de se répandre en exclamations admiratives, mais on doit un certain tribut de bienveillance pour tout ce qu'on vous montre.
Beaucoup de discrétion est nécessaire.
Sans appeler les serviteurs «monsieur» ou «mademoiselle», montrons-nous avec eux de la plus grande politesse.
On doit apporter tous les ustensiles de toilette qui sont nécessaires.
Il ne faut pas non plus ne paraître qu'aux heures des repas, s'isoler des heures dans sa chambre, faire de longues promenades tout seul; on doit le tribut de sa présence, de sa conversation, à ceux dont on accepte l'hospitalité.
On doit être d'une exactitude mathématique pour l'heure des repas de part et d'autre.
La toilette doit être très soignée et ce, dès le matin.
On ne doit pas rester plus longtemps que le terme fixé, mieux vaut même partir un peu avant. Ainsi, si vous êtes invité pour une quinzaine, le savoir-vivre veut que vous partiez le douzième ou treizième jour. Il est préférable de laisser des regrets; on insistera toujours afin que votre séjour soit plus long.
Il est bon de se montrer généreux envers les domestiques.
Les cadeaux d'étrennes.
On doit un présent convenable aux dames chez qui l'on va dîner plusieurs fois chaque année.
On ne fait jamais de cadeaux à des supérieurs à l'occasion du jour de l'an, mais dans le courant de l'année, on peut envoyer une bourriche de gibier, des fruits, des fleurs rares.
Les étrennes se divisent en plusieurs genres:
Les étrennes utiles;—Les étrennes superflues;—Les étrennes d'argent;—Les étrennes d'amitié.
Les étrennes utiles se donnent entre parents, entre amis intimes; elles sont toujours agréables, car elles répondent à un besoin, à un désir, soit pour votre intérieur, soit pour vous-même.
La série serait longue à énumérer; on peut offrir argenterie, service de table, robe de velours, de laine, draps, serviettes, fourrure et même la modeste demi-douzaine de mouchoirs de poche.
Le costume d'enfant, le bronze qui manque sur votre cheminée, le tapis de table, le chapeau, etc.
Lorsqu'on donne des étrennes utiles, on est sur le pied d'une telle familiarité, qu'on peut fort bien dire: «J'ai l'intention de vous offrir telle et telle chose; tirez-moi donc d'embarras, et dites ce que vous préférez.»
Les étrennes superflues mais agréables sont les bijoux, les bibelots, les jouets.
Pour les enfants déjà un peu grands, les livres sont préférables.
Dans l'ordre des étrennes superflues, il y a toute la gamme des japonaiseries, des petits livres, des meubles volants.
Le bijou offert par le mari à la femme, par l'oncle à la nièce, par la marraine à la filleule, peut être une bague de mille écus ou la montre en nickel.
Les amis hommes envoient fleurs et bonbons, c'est classique: j'engage seulement à donner les uns et les autres en plus petite quantité et à les offrir dans un bibelot durable, car une fois bonbons croqués et fleurs fanées que reste-t-il du souvenir de l'ami?
Les étrennes d'argent, les plus agréables, ne peuvent s'offrir que de mari à femme, de parents à enfants, de maîtres à serviteurs.
Les étrennes d'amitié sont les petits ouvrages faits par les jolis doigts de la donatrice, le dessin, le pastel, le tableautin peint par l'artiste de la famille; le portecrayon échangé entre camarades, enfin moins que rien; mais ces étrennes-là sont les plus touchantes: on a pris de son temps, de sa vie pour confectionner cette bagatelle.
Lorsqu'on nous apporte des étrennes, il est de mauvais goût de ne pas ouvrir le paquet de suite et de dire merci simplement, sans regarder.
Celui qui se dérange a droit aux remerciements et aux exclamations de plaisir que son présent doit provoquer.
Même si la chose n'est pas à notre gré, il faut avoir l'air ravi.
Ne raillons jamais le cadeau de l'un devant l'autre; ne l'évaluons pas.
Ne faisons pas de parallèle entre ce que nous recevons et ce que nous donnons.
Si nous avons déjà reçu un présent semblable, n'en exprimons pas le regret.
Il est du savoir-vivre de témoigner plus de reconnaissance à une personne qui nous offre un objet modeste qu'à celle qui nous fait un cadeau splendide: la première est quelquefois honteuse de la médiocrité de son présent, la seconde a conscience de la valeur du sien.
Si on nous envoie un présent par un domestique, l'usage veut qu'on lui remette une pièce d'argent, variant de cinquante centimes à cinq francs; jamais plus, car on aurait l'air de vouloir rendre la valeur de l'objet.
On doit écrire un mot de remerciements, si on ne peut faire une visite dans la huitaine.
Un cadeau qui peut fort bien se faire, entre hommes, est une caisse de cigares de bon choix.
Le petit enfant doit écrire aux parents éloignés et réciter un compliment à ceux qui sont près de lui.
On doit un présent d'argent aux facteurs, concierges, domestiques, télégraphistes, frotteurs, etc.; c'est l'impôt forcé auquel nul n'a le droit de se soustraire.
La nourrice de nos enfants a également droit à un petit souvenir, en nature ou en argent, si nous sommes encore en relations avec elle; et aussi les anciens instituteurs et institutrices et les serviteurs de nos parents.
La politesse dans la rue.
On voit des personnes, parfaitement polies dans un salon, devenir parfaitement incorrectes, sitôt qu'elles foulent l'asphalte d'un talon vainqueur.
Il faut toujours prendre sa droite, on évite ainsi les heurts et les chocs.
Dernièrement, trottant très affairée, je me croise avec un monsieur qui avait l'allure d'un parfait gentleman; il passa près de moi, non seulement en me bousculant, en me regardant d'une façon malhonnête, mais encore m'envoya la fumée de son cigare dans le visage. Un mot vif était prêt à m'échapper, je le contins heureusement; qui sait ce que ce monsieur eût pu répondre?
A quelques pas de là, une grosse voiture de camionneur était arrêtée, son conducteur accoté fumait une énorme pipe, qu'il retira d'entre ses dents lorsque je passai près de lui; puis, voyant la mèche du fouet qui ballottait et qui pouvait m'effleurer le visage, il l'arrêta d'un geste poli.
Le savoir-vivre était inné chez cet homme et le gentleman méritait l'épithète pensée.
Savoir se ranger à l'occasion, sous une porte cochère, pour laisser passer sans encombre une femme ayant un bébé sur le bras, est une marque de savoir-vivre qu'on apprécie fort sur nos trottoirs étroits.
Faire p'sst! à quelqu'un pour le faire retourner, qui l'oserait?
Si je tiens mon petit chien en laisse, je fais attention à ne pas enchevêtrer les jambes des passants dans la laisse du toutou.
S'arrêter soudain pour écouter les boniments d'un marchand ambulant est à peine permis aux petits pâtissiers, aux petits télégraphistes, et aux très jeunes «potaches»; un monsieur ou une dame de tenue correcte continue sa route.
On peut s'informer discrètement de la cause d'un attroupement, mais lorsqu'on sait ce qui en est, grossir cet attroupement est au moins inutile, quelle que soit la badauderie parisienne.
Si vous rencontrez un ami et que vous l'arrêtiez pour lui parler, rangez-vous de côté de manière à ne pas obstruer le passage.
Lorsqu'un homme jette une allumette enflammée, un bout de cigare allumé, il doit les jeter dans le ruisseau, ou du moins mettre le pied dessus; en plein trottoir, cela pourrait roussir, sinon incendier, les jupons des dames.
L'attitude et le geste sont encore à observer pour être bien élevé; on doit éviter les attitudes trop libres, les airs cavaliers.
En marchant, ne balançons pas nos bras. Une femme a toujours un maintien, soit avec son ombrelle, soit avec son manchon; privée de ces objets, elle relève gracieusement sa robe, ou en fait le simulacre, ce qui occupe suffisamment les doigts.
Une marche sautillante, traînante est disgracieuse; de même faire résonner ses talons sur le pavé produit un effet singulier.
Shake-hand.
Banale, banale, malheureusement et souvent, reconnaissons-le, maladroite.
La bonne poignée de main amicale, à l'étreinte sincère, a fait place au shake-hand, qui n'est qu'un démanchement d'épaule.
C'est toujours la main droite qu'on présente.
Rien de plus.... anglais que cette secousse sèche.
La poignée de main doit se donner entièrement; celui qui offrirait trois doigts ou un seul doigt, comme si on le tendait à un oiseau, serait peu convenable: de même lorsque la main reste molle, ne répond pas à l'étreinte; encore lorsqu'il y a à peine un effleurement.
On ne devrait pas prodiguer la poignée de main à des inconnus; mais, maintenant, les femmes même du meilleur monde la banalisent avec la plus grande désinvolture.
Un homme ne doit jamais tendre le premier la main à une femme.
De même, une jeune fille ou une jeune femme, à une personne âgée.
Il ne faut pas que les jeunes gens tendent la main les premiers, sinon à des camarades. Je regrette pour les jeunes garçons qu'on ne leur inculque pas, avec le respect de la femme, l'usage du baisemain; c'était respectueux et ceux de nos fils qui feraient revivre cette ancienne coutume auraient tout à fait bon air; malheureusement, les garçons, nous l'avons dit, ont souvent des manières d'une blâmable désinvolture.
La poignée de main ne doit pas être prolongée, ce serait inconvenant, comme celle dite «en sandwich», où votre interlocuteur place votre main entre les deux siennes.
Lorsqu'on présente un homme à un autre, l'usage veut qu'on ne lui serre la main qu'en le quittant, mais beaucoup passent là-dessus.
Si vous rencontrez un monsieur et une dame, il est de rigueur de donner d'abord la main à celle-ci.
Les jeunes filles devraient ne pas donner de poignée de main aux jeunes gens.
Au restaurant.
Lorsqu'on va dîner au restaurant, dans la salle commune, il y a mille nuances à observer. L'homme, en entrant, soulève son chapeau et le remet ensuite sur sa tête pour traverser la salle.
On n'essuie plus ostensiblement son verre, son assiette.
Il est regrettable d'interpeller les garçons à haute voix, de se plaindre si fort que les voisins entendent; de se servir du cure-dents ostensiblement; d'emporter la moindre des choses de la desserte, fût-ce un macaron.
Le pourboire doit être décent, même si l'on n'est pas satisfait du service.
Les femmes n'enlèvent jamais leur chapeau au restaurant, même en cabinet particulier.
Rire aux éclats est très déplacé; nous nous devons au décorum. En sortant, Monsieur, toujours, marche devant Madame, mais s'efface et la laisse passer après lui avoir ouvert la porte de sortie.
Au spectacle.
C'est au théâtre que nous passons le plus volontiers la soirée quand nos obligations mondaines nous le permettent.
On n'a plus, si ce n'est dans quelques théâtres, tels que l'Opéra, l'Opéra-Comique, la Comédie-Française et les scènes élégantes du boulevard, de toilettes dites «de théâtre»; on peut y aller en robe simplement élégante, pourvu qu'on ait un chapeau et des gants frais.
Les gants clairs ne sont pas de rigueur.
Les toilettes décolletées sont mal portées dans les petits théâtres.
Les dames ne vont pas faire de visites dans les loges des personnes qu'elles connaissent. Elles ne doivent quitter leur place que pour aller au foyer, avec les messieurs qui les accompagnent.
Les hommes donnent un très léger coup de chapeau aux personnes qu'ils peuvent connaître dans la salle; les femmes répondent par une petite inclination de tête; jamais de sourires ou de signes avec l'éventail.
Un homme ne doit jamais laisser seule dans sa loge la dame qui est avec lui.
Une femme lorgne la scène, mais doit à peine lorgner dans la salle, surtout jamais fixement.
Un homme bien élevé ne lorgnera pas non plus avec obstination.
On peut s'amuser franchement au théâtre, mais non rire aux éclats.
On ne doit pas non plus faire des réflexions pouvant gêner ses voisins, ni bavarder de telle manière qu'on les empêche d'entendre la pièce.
Si on a déjà vu la pièce, rien de plus fâcheux que de déflorer le plaisir de la ou des personnes qui sont avec vous, en la leur racontant.
Lorsque nous avons des places aux fauteuils ou aux stalles, arrangeons-nous pour arriver à l'heure ou dans un entr'acte, afin que notre venue ne trouble pas un rang entier de spectateurs. A ce propos, une «leçon de choses»; un croquis fantaisiste qu'on nous pardonnera à cause de son exactitude.
Dans un théâtre où les passages sont très étroits, arrive une grosse dame, rouge, essoufflée, qui se trouvant placée juste au milieu du rang, a une quinzaine de personnes à déranger; elle s'avance et commence par faire pousser un «aïe!» de douleur à une jeune femme; elle s'excuse, continue à marcher, heurte les genoux d'un vieux monsieur peu endurant et peut-être goutteux, qui se fâche: troublée, la dame s'empêtre dans un petit banc et fait un bruit épouvantable pendant que, d'une voix douce et pâmée, la jeune première disait des choses très intéressantes à un acteur en perruque bien frisée; la grosse dame arrive alors devant une autre dame qui n'a pas la précaution de lever son fauteuil pour faciliter le passage, et il se produit une collision.
Enfin elle arrive à sa place. Myope, elle se penche pour voir le numéro de son fauteuil, et elle écrase à demi un ravissant petit chapeau en fleurs porté par une jeune fille placée au rang devant elle; celle-ci l'appelle maladroite et lui fait les yeux d'une demoiselle à laquelle on abîme un chapeau neuf, jugez, mesdames! La dame s'excuse encore à haute voix: des «chut» énergiques se font entendre. Pensez donc, le traître va sortir son poignard et le père noble sort une grande tirade! La dame s'assied, prend sa jupe dans le ressort du fauteuil, se lève, lutte désespérément pour retirer l'étoffe, reste debout et masque ainsi la scène à un petit garçon qui pousse des cris de paon parce qu'il «ne voit plus les belles dames». «Assis, assis!» crie-t-on de toutes parts. Encore plus rouge, la spectatrice s'assied enfin; elle tire sa jumelle, en fait tomber l'étui, se baisse, fouille sous les fauteuils et gêne encore ses voisins; comme elle a plus chaud qu'en arrivant, elle s'évente avec son mouchoir et pousse des ouf. Pendant l'entr'acte, elle appelle le marchand de programmes et, au lieu de s'être précautionnée de monnaie, elle lui fait changer une pièce de vingt francs; celui-ci va chercher la monnaie; comme il reste un peu longtemps, qu'il s'arrête en route pour vendre d'autres programmes, la grosse dame l'interpelle à haute voix. Ce fut son dernier exploit.
Qu'on nous pardonne ce fantaisiste tableau un peu poussé à la charge. Mais pareil voisinage est un fléau, n'est-ce pas! Et, malheureusement, combien fréquent!
A moins d'être dans une loge, on ne doit prendre ses vêtements qu'en sortant; sans cela, on incommode ses voisins.
En aucun cas on ne doit manger d'oranges au théâtre.
Les pourboires à l'ouvreuse doivent être décents; généralement, on donne cinquante centimes pour deux places, un franc au minimum pour une loge.
Un homme qui accepte une place dans une loge doit apporter des bonbons; jamais de fondants qui s'écrasent et poissent les gants, plutôt des acidulés dans une petite boîte de fer-blanc qui les conserve frais; il doit donner à l'ouvreuse, et reconduire la ou les dames en voiture si elle ou elles sont seules. Si un monsieur les accompagne, il peut les quitter à la porte. Souvent il offre quelque chose de chaud dans un café-restaurant. C'est maintenant admis.
Jamais on ne doit manger de glaces ou boire dans une loge.
Il est interdit par le code théâtral d'avoir un bouquet de fleurs naturelles sur le devant de sa loge.
Si on se trouve dans une avant-scène, on doit remonter à demi les écrans pendant les entr'actes.
Si une dame invite une autre dame à venir au théâtre avec elle, cette dernière paie l'ouvreuse, mais n'apporte pas de bonbons.
Il est indifférent que ce soit l'une ou l'autre des dames qui reconduise l'autre en voiture ou à pied.
Un impôt forcé, auquel il est impossible de se soustraire, est la dîme de deux sous qu'on donne à l'ouvreur de portière qui se trouve toujours là.
Les enfants eux-mêmes ne doivent pas sucer de sucre d'orge dans les théâtres.
Il est bon de ne pas laisser de papiers importants dans les poches de son pardessus.
Ne blâmons jamais tout haut tel ou tel artiste.
N'applaudissons pas à tout rompre, ne trépignons pas, quel que soit notre enthousiasme, ne crions pas bravo, surtout jamais: brava, bravissima; cela vous donne un air faux dilettante du plus haut comique.
Les spectatrices doivent éviter de critiquer toutes les artistes, comme le font malheureusement quelques-unes d'entre elles, qui ne manquent jamais, si on dit qu'une femme est jolie, de supputer le nombre des ans, comme si le talent n'était pas toujours jeune, ou encore de débiter les petites chroniques scandaleuses en cours.
Ayez soin de ne pas oublier un accessoire quelconque dans votre loge, car il est fort peu agréable pour votre mari de retourner tout courant chercher l'objet ou de venir le lendemain faire une réclamation; ayez un sac ad hoc, un peu grand, où vous pouvez enfouir tout ce qui vous est nécessaire.
Les hommes sont toujours nu-tête au théâtre; les très vieux messieurs peuvent avoir une petite calotte de soie noire.
On ne doit pas emmener de très jeunes enfants au théâtre; outre que ce n'est pas leur place, que l'air n'est pas bon pour leur santé, ils peuvent, par leurs cris, troubler les spectateurs.
Les enfants doivent toujours être placés en devant de loge.
Si vous êtes une dame et que vous invitiez deux amies, votre place est derrière; mais vos amies vous céderont leur place à tour de rôle.
Les hommes ne devraient être admis à l'Opéra qu'en habit noir et cravate blanche, et le débraillé de la tenue devrait être laissé aux touristes anglais et américains qui s'étalent sans vergogne aux meilleures places, vêtus d'un complet à carreaux et coiffés d'un feutre mou.
Pour les théâtres de second ordre, le costume ordinaire, mais toujours une chemise de blancheur éclatante et des gants; si, par hasard, un homme hésite à emprisonner ses mains toute une soirée, il est admis qu'il place ses gants à l'ouverture du gilet.
Si vous êtes enrhumé, abstenez-vous du théâtre; rien d'ennuyeux comme d'entendre une toux opiniâtre ponctuant une tirade à effet.
Les dames ne doivent pas faire un éventaire du rebord de la loge en y installant le programme, l'éventail, la lorgnette, le mouchoir, les bonbons, la voilette, la mantille qu'elles mettront en sortant.
Les jeunes filles ne vont jamais dans les petits théâtres.
Le chapitre des chapeaux.
Ce n'est pas celui d'Aristophane, mais il a bien son utilité dans la vie mondaine.
Donc, à propos de chapeaux, ne faites jamais une visite à une dame avec laquelle vous êtes sur un pied un peu cérémonieux, coiffé d'un chapeau plat ou mou.
Vous devez déposer votre pardessus et votre parapluie dans l'antichambre et garder votre chapeau et votre canne si vous en avez une. Vous tenez le chapeau sur les genoux en évitant, bien entendu, de faire voir la coiffe; ne le placez jamais sur un meuble.
Pour les visites entre hommes, pareille étiquette n'est pas exigée.
Le vilain claque d'antan, lourd, disgracieux et qui avait l'air, lorsqu'il se détendait, d'un hérisson fâché, a fait place à un claque de faille qui est léger et élégant. On le porte doublé de teintes claires et douces, mauve, gris-perle, mais jamais rouge ou vert-pomme; les armoiries ou initiales sont placées dans un coin; il se porte indifféremment en soirée ou au théâtre.
Au bal, le danseur peut garder son claque ou le déposer sur la chaise de sa danseuse; je préfère ce dernier mode; mais il faut se hâter de le reprendre.
Un jour, un jeune homme frais sorti du collège venait de reconduire une dame à sa place; celle-ci s'assied, sans prendre garde au chapeau du malheureux éphèbe qui reste tout interdit, planté devant elle.
«Que désirez-vous, monsieur? finit-elle pas dire, impatientée de cette contemplation.
—Je voudrais, je voudrais, balbutia le pauvre, avoir mon chapeau, qui a l'honneur d'être assis sur la même chaise que vous!»
Ne tournez jamais, messieurs, votre chapeau entre les doigts; cela vous donne un air particulièrement embarrassé; jamais, non plus, ne le faites tourner au bout de votre canne et encore moins ne le portez au bout de ladite canne, si vous avez trop chaud.
Le chapeau doit être posé bien droit; incliné sur le côté, cela vous a un petit air retour de Suresnes qui est ridicule et que, malheureusement, les très jeunes gens aiment à adopter; placé en arrière, vous ressemblez à un berger ébahi; enfoncé sur les yeux, il vous a les allures du sombrero d'un traître de mélodrame. Le juste milieu, comme en toute chose.
Pour aller au bal il est absolument impossible de se produire avec un chapeau haut de forme; si vous n'avez pas de claque, laissez votre couvre-chef au vestiaire.
Ce chapitre des chapeaux est spécial aux messieurs, mais il pourrait aussi s'adresser aux dames, qui devront éviter de porter de ces immenses chapeaux si en vogue quand elles vont au théâtre, soit aux fauteuils, soit surtout dans une loge où il y aura des messieurs derrière. Avec ces empanachements à la mode, les malheureux sont forcés de se tenir sur les pointes s'ils veulent apercevoir le minois de la soubrette ou de se donner le torticolis, s'ils désirent contempler le visage de l'ingénue, à moins que, victimes passives, ils ne se résignent à rester assis mélancoliquement, en contemplant les panaches de plumes d'autruches qui se balancent devant eux.
Canne, parapluie, éventail.
Ces petits objets sont pour ainsi dire nos compagnons inséparables et ils ont chacun un petit code à leur usage.
La canne est un objet de nécessité ou de luxe.
Dans le premier cas, elle sert à s'appuyer, cela se fait donc tout naturellement.
Dans le second cas, il ne faut pas la porter sous le bras, on risque ainsi de crever l'œil à quelqu'un; ne pas la tenir non plus comme un fusil, encore moins faire des moulinets avec ou la serrer contre son cœur comme une nourrice tient son poupon, ou encore l'accrocher à la boutonnière de son vêtement; la brandir comme une trique, ou en frapper le sol, avec le martèlement sonore d'un suisse de cathédrale.
Ces observations s'appliquent également à l'ombrelle et au parapluie fermés.
Pour l'ombrelle ou le parapluie ouverts, tenir cet objet bien droit en faisant attention de ne pas l'empêtrer dans la voilette.
L'éventail, ce sceptre de la femme, doit se manier avec le nonchaloir des Espagnoles et des Italiennes qui ont toujours ce petit meuble en main; si on ne s'en sert que par hasard, on a presque toujours l'air un peu gêné; il faut donc s'en servir l'été, et l'hiver ne le sortir du tiroir que les jours de bal ou de théâtre.
Ne nous éventons pas à coups pressés, ne battons pas la mesure avec notre éventail sur notre main ou sur le rebord de la loge; ne nous en cachons pas à demi le visage.
Nos aïeules donnaient volontiers de petits coups d'éventail sur les doigts des hommes en les appelant de certains noms badins que le XVIIIe siècle autorisait.
Notre savoir-vivre a supprimé ce laisser aller.
Le mouchoir de poche, qui a joué un rôle prépondérant, est maintenant sagement remisé au fond de la poche.
Il y a une quarantaine d'années, le grand genre était, pour une élégante, de tenir précieusement à la main un mouchoir richement garni de dentelles et de broderies, pour aller en visite, au spectacle ou au bal; il est bon de dire qu'elle en avait un autre plus ordinaire en réserve pour l'usage intime, imitant en cela les Japonais, qui enfournent dans leurs immenses manches toute une série de mouchoirs de poche en fin papier de riz. Dans le pays où fleurit le chrysanthème, on ne se sert qu'une fois de son mouchoir.
Élégances.
Fantaisies pour repas champêtre.
Nappe en toile bise avec images de fleurs des champs brodées en coton de couleurs vives; service en faïence campagnarde avec coq et vives enluminures; gerbes de fleurs des champs avec du blé dans un petit charriot.
Chaque convive a un petit bouquet des champs devant lui.
Les verres doivent être sans pied en gros cristal.
Nappe en toile de Hollande, garnie de dentelle de Venise chemin de table en Venise doublé de satin rose; petites jardinières basses en vieil argent faisant le tour de la table et garnies de violettes de Parme; groupe en Sèvres ou en Saxe au milieu de la table.
Nappe grise garnie de galons rouges; au milieu une corbeille faite en tronc d'arbre et remplie de plantes vertes; ou bien une coquille remplie d'eau est placée sur de la terre glaise et il y a des poissons rouges qui frétillent: dîner fantaisie.
Nappe blanche damassée avec guipure écrue brodée de rouge, chemin de table en satin rouge; huit petites corbeilles en filigrane doré ou en jonc rustique contiennent des fruits rouges, cerises, fraises, framboises, groseilles.
Sur la table des branches de cerisiers coupées, avec fleurs, fruits et feuillages; la suspension ou les candélabres sont enlacés de branches de groseilliers.
Une guirlande de feuilles de vignes rougies, pourprées par l'automne fait très bien sur la nappe.
Dans les dîners, on peut admettre toutes les fantaisies possibles et la suspension peut s'enguirlander de lierre, de glycines, de chêne avec ses glands, de sapin, de houx.
On sème sur la table de petits bonshommes, de petits animaux en porcelaine, en bronze, de petites bonnes femmes genre Kate Greenaway, même de petits compagnons de saint Antoine faits avec une peau d'orange.
Les chemins de table se font très luxueux:
En tulle blanc brodé sur transparent bouton d'or avec plissé de tulle;
En satin feu avec des ornements brodés or et argent;
En simple andrinople avec guipure écrue;
En satin blanc avec guirlande de fleurs brodées au passé en soie floche.
La corbeille à pain est recouverte d'un petit napperon de fantaisie.
On peut servir le vin ordinaire dans des aiguières en argent ou dans des brocs en cristal.
La bière se sert dans de grands pots en terre, représentant des scènes de «beuveries» flamandes avec un couvercle d'étain.
Quelques genres de menus de fantaisie:
De petits mirlitons d'un sou, que vous recouvrez de papier doré; vous mettez une bande de papier rose ou bleu ciel tirebouchonnant selon l'usage et vous écrivez dessus le menu: c'est très original;
Petit éventail en carton blanc; chaque mets est sur un feuillet.
Si on a un talent d'aquarelliste, on peut soi-même faire de fort jolies cartes à menus; on en fait aussi avec dessin à la plume.
Pour l'été, à la campagne, on peut couper de petits morceaux de cartons en forme de croissants; on fait deux incisions sur le côté, on y passe une fleurette et on écrit le menu.
Avec du parchemin je fais quelque chose d'original.
A l'aide d'un pinceau je trace d'abord deux rayures, une rouge, une bleue, j'écris mon menu en lettres rouges et bleues, en alternant; puis je roule le parchemin.
Je l'entoure d'une faveur pourpre dont je scelle, d'un sceau de cire crème, les bouts flottants.
Des petits écrans japonais, sur lesquels on colle une page blanche, peuvent servir de menus.
Toutes les inventions sont permises sur ce terrain gracieux.
Les tapis de dahlias sans queues font fort bien sur la table; on fait aussi des jonchées, des coupes avec myosotis roses et nœuds de ruban, genre Watteau.
Un joli milieu de table est une simple bourriche; vous la remplissez de mousse, vous y piquez des muguets et vous mettez aux deux bouts des nœuds de satin et de moire, vert-nil et rose.
Ventes de charité.
Il faut beaucoup de tact pour être vendeuse.
L'usage veut qu'on envoie à ses amies, à toutes ses relations des cartes, ainsi libellées:
Vente de charité au profit de l'œuvre de... Dans les salons de... Les mardi 1er, mercredi 2 et jeudi 3 novembre 189... Madame L..... vendra de 2 heures à 3 heures. Elle serait heureuse d'avoir votre visite et sera reconnaissante de la plus légère offrande.
Le minimum de la somme à envoyer est 5 francs.
Les dames préfèrent, en général, porter leur offrande elles-mêmes, elles choisissent, guidées par la charité.
J'engagerai les vendeuses à ne pas importuner les acheteurs qui s'arrêtent à leur comptoir, à ne pas profiter de ce qu'un ami est venu dîner chez elle pour le dépouiller en lui faisant acheter un prix fou, un bibelot insignifiant, sous le prétexte que «c'est pour les pauvres».
Ne pas refuser non plus de rendre la monnaie.
Les manèges de coquetterie doivent être évités, autant toutefois qu'il est possible.
La toilette sera élégante, sans rien d'excentrique.
Les jeunes filles et les jeunes femmes en couleurs claires.
Seules les très jeunes filles gardent leur chapeau.
On vend généralement avec ses gants.
Pour tenir le buffet, pour offrir les sirops, les gâteaux, on peut porter un petit tablier à bavette, mais il faut qu'il soit très élégant; en soieries changeantes, garni de dentelle, avec nœud retenant un bouquet de fleurs au corsage.
On peut demander des lots en nature, à des amies tout à fait intimes.
Lorsque votre recette n'est pas convenable, il faut la renforcer de vos deniers.
Si nous ne sommes pas disposée à ce sacrifice, gardons-nous d'accepter d'être dame vendeuse.
Vous devez une visite aux personnes qui vous ont envoyé des objets, si elles sont de vos relations; sinon, une simple carte, avec un mot de remerciement, suffit.
Je ne parle pas pour les messieurs, bien entendu.
Il serait dangereux d'accepter deux ans de suite d'être vendeuse; cela lasserait nos amis et nous pourrions redouter une maigre recette.
Les billets de loterie.
Encore une obligation du savoir-vivre: on ne refuse jamais de prendre un billet de loterie.
Autant que possible ne soyons pas placeuse de billets de loterie. Je ne dis pas placeur, car les hommes n'acceptent pas cette obligation.
Enfin, si une fois entraînée par notre bon cœur nous avons à solliciter des amis pour une bonne œuvre, faisons-le discrètement et ne profitons pas, autant que possible, du jour où ils dînent chez nous pour leur présenter notre requête.
Le bon goût exige que, la loterie aussitôt tirée, les lots gagnés soient expédiés aux favorisés du sort.
Dans le cas où, tirant la loterie chez vous, un lot vous échoit, vous ne devez jamais en bénéficier, il faut le remettre de suite et le faire tirer de nouveau.
Si un célibataire gagne un lot, il doit l'offrir à la fille de la maison ou à son défaut, à la dame du logis.
A l'église.
Ce n'est pas à la messe qu'on arbore les toilettes nouvelles.
Si vous toussez énormément, pour ne pas déranger un prédicateur et les assistants, allez à une messe basse, de bonne heure.
Tous, nous devons respecter le saint lieu et les marques extérieures du culte, qui veut qu'on s'agenouille, qu'on se lève à tel ou tel endroit de la messe.
En entrant à l'église, un homme doit offrir l'eau bénite ou la plus jeune personne à la plus âgée; on remercie d'un sourire et d'un signe de tête.
Une dame se rencontrant à la porte avec un prêtre doit lui céder le pas; mais celui-ci, oubliant un moment son caractère sacré, redevient homme du monde en s'effaçant pour laisser passer la dame.
Si vous quêtez, ayez une mise élégante, mais modeste; si on vous donne, un merci à voix basse.
Lorsque vous rendez le pain bénit, envoyez-en de suite une part aux personnes auxquelles vous voulez faire cet honneur; attendre le lendemain et l'envoyer rassis, serait incivil.
Marcher avec bruit, remuer les pieds, dire ses prières tout haut, sont choses à éviter.
Notre correspondance.
Le papier à lettre et les enveloppes varient au gré d'une capricieuse déesse, la Mode, qui d'un coup de son éventail, sceptre léger, devant lequel chacun s'incline transforme toutes choses. La Mode a aboli le large papier et l'enveloppe carrée; par amour du contraste, le papier long et étroit et l'enveloppe semblable ont vu le jour.
Suivons le format du moment, et achetons ce qui nous plaît.
Le papier blanc, fort, est celui qui s'emploie pour les lettres d'hommes, pour les affaires sérieuses.
Les papiers de couleurs ont la vogue depuis quelques années.
On choisit actuellement les teintes douces et neutres, le gris, plus ou moins foncé, le bleu ardoise, le mauve pâle.
Les couleurs rose, rouge (on en voit), jaune, bleu d'azur ne sont pas du meilleur goût.
Le genre vieux parchemin avec les initiales timbrées en or ou argent, rechampies de couleurs, est fort joli, mais assez coûteux.
On peut avoir un papier avec ses initiales, son monogramme, ses armoiries. L'emblème, la devise, le prénom, le diminutif du prénom, ne sont plus très fréquents.
Avoir du papier trop commun ou trop luxueux sont deux écueils à éviter.
N'employons plus de pains à cacheter.
Pour les lettres sérieuses ou confidentielles, on cachette ses missives avec de la cire et un cachet à ses initiales. La cire rouge est banale, la noire n'est employée que pour les deuils, la bleue est laide, la blanche seule est jolie, selon moi.
Le cachet s'appose sur le coin et non au milieu; c'est la mode qui le veut ainsi et c'est plus original. Dans le royaume de haute fantaisie, une gracieuse innovation: on entoure la lettre d'un ruban et on la scelle de larges cachets de cire blanche; mais cela ne peut s'employer que pour les lettres portées à la main.
Le timbre se colle dans le sens du côté droit de la lettre.
Les enveloppes doivent être pareilles au papier.
Les couronnes se mettent en travers des chiffres entrelacés.
On peut placer ses initiales au milieu ou au coin gauche de la lettre.
Pour les villégiatures, il est permis d'avoir, gravés sur son papier à lettres, la vue de son château ou simplement le nom.
Pour les deuils, les papiers et enveloppes sont bordés de noir, depuis la large bande des premiers mois jusqu'au mince liséré des dernières semaines. On ne chiffre jamais le papier de deuil.
Les chiffres extravagants soit en grandeur, soit en petitesse, sont de mauvais goût; de même, les ornements bizarres et tourmentés.
Les papiers avec des scènes champêtres, des caricatures, des animaux, des fleurs, des chinoiseries sont de fantaisie.
Tout le monde ne peut avoir une belle écriture (j'en sais quelque chose), mais les lettres se chevauchant, les abréviations, les taches d'encre peuvent et doivent s'éviter.
Lorsqu'on écrit très mal naturellement, on devrait mettre en bas une formule d'excuses (je vous demande pardon d'écrire si mal).
La marge n'existe presque plus maintenant; à peine un mince liséré de blanc.
On laisse, sous le mot en vedette qui commence la lettre, un espace de trois ou quatre lignes.
Lorsque vous confiez une lettre à quelqu'un, sauf à un domestique, vous ne la cachetez jamais; votre devoir est de la remettre ouverte, montrant par là que vous avez pleine confiance en la discrétion du mandataire; mais celui-ci doit immédiatement, ostensiblement, cacheter la missive devant vous.
Une lettre de recommandation se donne toujours ouverte, même pour un serviteur.
Il ne faut jamais écrire sur une demi-feuille de papier.
Si on voulait être logique avec le bon sens et la grammaire, on n'écrirait pas chère madame, ni cher monsieur, ni chère mademoiselle, mais bien, chère dame, chère demoiselle et cher sieur.
Mais voyez l'effet!
Lorsqu'on écrit à un ministre, la phrase de Monsieur le Ministre s'écrit de manière à ce qu'il ne reste au-dessous que la place de cinq ou six lignes.
Certaines personnes croient de bon ton de laisser le verso blanc et d'écrire sur le recto de la seconde page; seules les pétitions officielles destinées à l'imprimerie se font ainsi; les décisions, les remarques s'écrivent sur le recto de la seconde page.
Il faut au moins deux lignes blanches, précédant les formules de salutations. Elles ne se coupent pas et s'étagent ainsi:
J'ai l'honneur d'être,
avec le plus profond respect,
Monsieur le Ministre,
Votre très humble et très dévoué serviteur.
Les mêmes formules respectueuses sont employées pour les hommes ou les femmes indifféremment, lorsque la lettre est adressée à un ecclésiastique de haute dignité.
Du reste, une grande dame elle-même écrivant à un humble desservant de village devra introduire le mot respect dans la rédaction de sa lettre.
Pour écrire à un prêtre on met:
«Monseigneur», «Monsieur le curé», «Monsieur l'abbé».
Lorsque vous écrivez à une personne fort occupée, faites la lettre très courte, ne dépassant pas la première page s'il est possible.
En écrivant à une personne que vous supposez pouvoir être en voyage, mettez sur l'enveloppe la mention: faire suivre en cas d'absence.
Le mot urgent est mieux que pressé.
Les post-scriptum ne se mettent pas dans les lettres cérémonieuses; ils sont réservés pour les lettres d'amitié ou d'affaires.
Lorsqu'on écrit à des étrangers ou à des personnes avec lesquelles on a de peu fréquents rapports, il faut toujours inscrire son adresse entière.
La date se met en haut de la lettre d'affaires, au bas de la lettre intime, à gauche et un peu au-dessous de la signature.
Lorsqu'on écrit à des étrangers, on leur donne leur qualité:
Madame la comtesse;—Monsieur l'Économe;—Madame la Directrice.
Pour un militaire: Monsieur le Capitaine;—Monsieur le Commandant;—ou bien encore, et cette concision est de bon ton, si vous avez des relations avec la personne: Capitaine, Commandant.
Lorsque vous avez appartenu à l'armée: Mon Capitaine;—Mon Commandant.
Exception est faite pour les Maréchaux et les Amiraux, et même un roi leur écrivant mettrait: Monsieur le Maréchal;—Monsieur l'Amiral. Aux contre-amiraux, vice-amiraux, on dit: Amiral.
Pour écrire à un Roi: Sire;—à une Reine: Madame, en mettant dans la lettre le mot Majesté.
Si vous écrivez: Madame la Reine, vous aurez tort, et pourtant on peut écrire: Madame la Princesse; mais on met généralement Princesse tout court.
Autrefois, on écrivait: mon cher monsieur, ma chère madame, ma chère mademoiselle; ces pléonasmes sont bannis maintenant. On peut écrire: cher monsieur et parent ou chère madame et parente à ses parents que l'on n'a jamais vus; on peut mettre aussi: monsieur et cher cousin, madame et chère cousine.
Pour les autres parents qu'on connaît on met: mon cher oncle, ma chère grand'mère, chère mère, cher papa.
On peut mettre en vedette les mots: Saint Père;—Très Saint Père;—Sire;—Monseigneur;—Prince;—Princesse.
On ne peut écrire en vedette les mots suivants: Votre Sainteté;—Votre Eminence;—Votre Grandeur;—Votre Majesté;—Votre Altesse;—Votre Excellence.
Ils remplacent le pronom: vous.
On peut mettre aussi Elle et Lui avec des lettres majuscules.
A une religieuse on écrit: Madame (jamais Mademoiselle);—Très chère sœur;—Révérende mère; selon le degré d'intimité.
Pour les religieuses titrées on mettra: Madame la supérieure;—Madame la prieure.
Cher monsieur, chère madame, s'écrivent couramment, même adressés aux personnes que l'on connaît depuis peu.
Chère fiancée ou Cher fiancé est d'un usage démodé; on écrit en ce cas: Chère mademoiselle ou Cher monsieur, et encore serait-il plus convenable de mettre simplement monsieur ou mademoiselle.
Pour écrire à ses domestiques on met le prénom en vedette: Pierre, Rosalie.
Mais, si l'on a besoin d'écrire au domestique d'un ami, on mettra: Monsieur Pierre, Mademoiselle Rosalie.
On n'écrira jamais Madame la présidente à Mme Félix Faure, mais on écrira: Madame la présidente à celle qui préside une œuvre quelconque.
Madame la Maréchale est le seul titre militaire qui soit féminisé et personne ne s'aviserait d'écrire: Madame la capitaine.
Certains traités de savoir-vivre recommandaient aux jeunes filles de mettre en écrivant à une femme âgée: Madame et excellente amie, ou: Madame et amie. Ces formules sont trop peu respectueuses.
Ne mettons jamais les mots monsieur, madame ou mademoiselle en abréviation, même dans le corps de la lettre.
Si vous parlez dans votre lettre d'un parent, d'un allié quelconque à votre correspondant, mettez encore le mot entier: Monsieur votre père, mademoiselle votre sœur. Pourtant, en parlant d'étrangers, on peut mettre simplement M. ou Mme.
Monsieur ton père, madame ta mère ne s'emploient pas.
Entre très intimes on peut mettre: ton père, ta mère, etc. Lorsqu'on parle d'une tierce personne dans une lettre et que le correspondant sait fort bien de qui il s'agit on doit seulement mettre l'initiale.
Ne mettez plus tournez, s'il vous plaît, ou t. s. v. p.; on sait bien qu'il faut tourner la page, puisqu'on ne voit pas la signature qui termine toujours une lettre.
A une personne titrée qui est de vos amis on supprime monsieur et madame et on écrit simplement: Cher comte, chère marquise.
Aux jeunes filles n'étant pas titrées on écrit simplement: Chère mademoiselle.
Pour écrire à un fournisseur, on peut très bien mettre son nom de famille: Monsieur D..., Chère madame D....
Lorsqu'on écrit à des personnes ayant une fonction officielle et étant titrées, on met la qualité précédant le titre:
Monsieur le sénateur, baron de...
Monsieur le préfet, comte de...
A un médecin on écrit:
Monsieur le docteur R...
Ne s'écrit plus la répétition du mot Monsieur, Monsieur, sur une adresse.
On écrit ainsi l'adresse d'une personne titrée: Marquise de S.... et non Madame la marquise de S....
Voici les terminaisons de lettres le plus généralement usitées selon les degrés d'intimité.
Pour les grands ecclésiastiques:
Je suis, avec le plus profond respect,
Monseigneur,
de Votre Grandeur (ou de Votre Eminence pour un Cardinal)
le très humble et très obéissant serviteur.
A un roi:
Je suis avec le plus profond respect,
Sire,
de Votre Majesté,
le très humble et obéissant sujet.
Pour le président de la République:
Je suis avec le plus profond respect, Monsieur le Président, votre très humble serviteur.
Une femme emploie les mêmes formules.
A un fonctionnaire du gouvernement, on écrit:
Veuillez, Monsieur le Préfet, recevoir l'expression de ma considération la plus distinguée.
Voici la rapide énumération des formules courantes et généralement employées:
«Tout à vous, Tout à vous d'amitié, A vous de cœur, Tout à vous de cœur, A vous cordialement, Amitiés, Bonnes amitiés, Cordiales amitiés, Cordiale poignée de main, Bonne poignée de main, Je vous serre la main, Je vous envoie toutes mes amitiés, Tous mes sentiments d'affection, Tous mes sentiments affectueux, Tous mes compliments, Mes meilleurs compliments, Mes compliments affectueux, Veuillez recevoir l'expression de mes sentiments les meilleurs, Veuillez recevoir l'expression de toute ma sympathie, Au revoir, Croyez à mon sincère attachement.»
Un homme met généralement le mot respect dans la terminaison de sa lettre, lorsqu'il écrit à une dame: «Mes sentiments respectueux, Mon attachement respectueux, Ma respectueuse sympathie, Mon respectueux dévouement, Veuillez agréer, madame, l'hommage de mon respect, Veuillez agréer l'expression de mes sentiments respectueux, Au revoir, chère madame.»
Une femme n'emploie jamais les mots honneur si ce n'est en s'adressant à un grand personnage.
Lorsqu'une femme écrit à un homme pour affaires, elle doit mettre: «Veuillez, monsieur, recevoir l'expression de mes sentiments distingués», ou même supprimer le mot monsieur. A une autre femme elle mettra: «l'assurance de mes sentiments respectueux.»
Aux serviteurs on mettra: «Au revoir.»
On peut assurer un vieux serviteur de ses bons sentiments. Les hommes s'envoient entre eux l'expression de leur considération distinguée; il serait malhonnête de l'adresser à une dame.
A un fournisseur: «Recevez mes salutations, ou Salutations.»
On emploie beaucoup le genre dit anglais, qui est simplement la formule latine tibi, en mettant simplement: «A vous.»
Remarque: un inférieur à un supérieur mettra: «Veuillez agréer l'expression de mon respect», et le supérieur répondra: «Recevez, je vous prie, l'assurance.» Dans toutes ces formules, chacun choisit selon les cas.
Les appellations affectueuses venues du cœur ne peuvent se citer; elles viennent au courant de la plume et sont toujours du savoir-vivre; aucune phrase n'est ridicule quand un sentiment sincère l'a dictée.
Ne signons jamais: Femme une telle, c'est absolument vieilli; mettez l'initiale de votre prénom: M. D...
N'ajoutons pas: née une telle. Excepté pour les lettres d'affaires, ne signons pas: Veuve...
Une femme titrée signe son titre et le nom de son mari: Comtesse de H..., ou en abrégé: Ctesse de H.... Elle ne mettra pas: Comtesse Marie de H....
Quelquefois, pour des raisons ou pour d'autres, on adjoint le nom de famille de la femme à son nom et on signe: Raymond-Roche; la femme de son côté mettra: J. Raymond-Roche.
Titrée, une dame peut encore signer l'initiale de son nom de jeune fille ou même le nom entier, en faisant suivre du titre et du nom de son mari: C..., baronne de S...., ou C., baronne de S.... Un homme signe prénom et nom: Louis R....
Il est hors d'usage de placer le prénom en dernier et de mettre R.... Louis.
Celui qui porte un nom historique peut le signer tout court, on sait qui c'est. Ainsi: «Broglie» est correct.
Il y a des cas où les hommes font précéder leur nom de leur titre ou de leur qualité: Le commandant Z...; Le docteur V...
Entre jeunes filles et entre amies intimes on peut signer son seul prénom. Le billet n'est qu'une courte lettre; les règles de savoir-vivre sont les mêmes, mais on peut faire de la fantaisie.
Les cartes-lettres ne doivent s'envoyer qu'entre parents ou amis intimes.
Les cartes postales se réservent pour les commandes, pour demander un renseignement insignifiant.
Lorsque vous demandez un renseignement à une personne inconnue, il faut toujours joindre un timbre pour la réponse. Ce procédé oblige la personne à vous répondre et ne la blesse aucunement.
Les journalistes prétendent être excusables lorsqu'ils ne répondent pas à une lettre contenant un timbre. Ils déclarent qu'ils n'ont pas le temps; ne disons rien des journalistes!
Lorsqu'on s'adresse à un fonctionnaire qui peut user de la voie administrative pour sa réponse, on n'envoie pas de timbre. On n'en envoie pas non plus dans une pétition, une demande de secours.
Pas plus à un marchand en lui demandant soit échantillons, soit renseignements; les timbres-poste sont compris dans les frais généraux.
Chacun de nous doit s'appliquer à écrire comme il parle: «des faits, des faits»; à ne pas abuser des qualificatifs, à être concis, à épargner les mots, et dire par exemple: Je précise, plutôt que: Je vais vous préciser. Ayons présent à l'esprit que le ton fait la chanson, en parlant on peut dire certaines choses qui sont atténuées par l'expression du visage et le son de la voix et qui pourraient blesser, si on les écrivait.