Lettres à Françoise
MARCEL PRÉVOST
Lettres à Françoise
Illustrations d’Albert Guillaume
PARIS
ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR
23-33, passage Choiseul, 23-33
IL A ÉTÉ TIRÉ DE CE LIVRE
10 exemplaires numérotés sur papier de Chine.
LETTRE LIMINAIRE
Avril 1902
Vous trouverez ici réunies, Françoise, les lettres que je vous écrivis de quinzaine en quinzaine durant votre dernière année de pension.
Les plus récentes de ces lettres sont presque d’hier, tandis qu’en relisant les premières j’avais la sensation de remuer d’assez vieilles cendres. C’est tout juste si elles ne sont pas du siècle dernier: vous les reçûtes quand l’Exposition illustrait à Paris le début du XXe siècle. Et l’Exposition, n’est-il pas vrai, ma jolie nièce, cela nous paraît déjà très loin, très loin?...
Il m’eût été facile, au moyen d’un léger maquillage, d’effacer ces traces d’actualité, devenues en si peu de mois des marques d’âge. Les vérités que j’essayais de vous exposer, les conseils que je vous donnais alors sont, en somme, de tous les temps. Chaque fois qu’il s’est rencontré par le monde un oncle un peu sermonneur et une jeune nièce assez patiente pour l’écouter, celle-ci a pu recueillir les mêmes propos. On les eût appelés, suivant l’époque: «Lettres à Eucharis» ou: «Lettres à Blandine», ou plus près de nous, il y a quelque cent ans: «Lettres à Sylvie».
Mais, de même que votre nom charmant de Françoise, si national, évoque un certain pays et une certaine époque, de même les conseils contenus dans les pages qui suivent, utiles au besoin pour Eucharis, Blandine ou Sylvie, intéressent tout de même plus spécialement une jeune fille française achevant ses études au début du XXe siècle.
Le XXe siècle! Quel attrait dans ces trois mots, pour un esprit de votre âge!
Comme au temps où le poète de Mantoue chantait la naissance de l’Enfant, un grand ordre nouveau s’élabore. Les peuples sont travaillés par de puissants remous où la vieille idée de conquête et la jeune idée de justice dessinent plus nettement que jamais leurs efforts opposés... La science, qui a mis au XIXe siècle le globe entier à portée des yeux et des pas de chacun de nous, va nous ouvrir le domaine de l’air... Le devoir des heureux envers les déshérités sort de la charité pure pour se fixer dans le Code. Enfin, et surtout! la Femme, qui, suivant le mot profond du prince de Ligne, fait les mœurs tandis que les hommes font les lois»—la Femme affirme la volonté d’élargir sa place dans la société future. C’est elle, n’en doutons pas, qui sera le principal objet des transformations inattendues. Elle en sera aussi la plus active ouvrière, car elle apporte des réserves intactes d’espoir et d’énergie. Elle est, dans le sein des nations lasses, un grand peuple neuf.
La jeune fille moderne pressent les destinées de son sexe. Au moment d’entrer dans le monde, elle entrevoit ce qui demeure confus même pour ses éducateurs: que l’instant historique est solennel. La jeune Française surtout, éduquée d’après les méthodes qui ne se sont pas sensiblement modifiées depuis plusieurs siècles, perçoit aussitôt le désaccord entre son éducation et sa fonction dans la vie. Élevée dans une pénombre quelque peu claustrale, ses yeux, d’abord éblouis, soudain se dilatent. Le champ de son idéal s’agrandit; en même temps elle prend plus nettement conscience des nécessités pratiques. On dirait qu’une aube très pure l’inonde: l’horizon s’étend, et les plus proches objets précisent leurs contours.
Toutes les fois que je me suis entretenu avec vous, Françoise, de vos espoirs, de vos rêves, de vos incertitudes même et de vos anxiétés,—j’ai entrevu cette aube dans vos yeux... S’il s’en égare un reflet sur les pages qui suivent, ce sera leur meilleure parure. Aux premiers feux du matin, un grossier filet de pécheurs, séchant sur les galets, semble par instant un tissu d’or.
Voilà pourquoi j’ai voulu que ces pages, traitant d’humbles vérités indépendantes du temps, gardassent l’indice clair, immédiat, de l’époque où j’entrepris de les écrire: l’époque où la foule cosmopolite se pressait aux abords de la Tour Eiffel; l’époque où le patriarche Krüger commençait son pèlerinage d’Europe.
* *
Maintenant, ces humbles vérités, banales comme la plupart des vérités utiles,—notées, commentées d’abord à votre intention, était-il opportun de les coudre en un assez gros livre, de les imprimer, de les offrir à la foule?
Je ne l’aurais pas fait si, parmi ceux qui les avaient parcourues en même temps que vous, de très nombreux lecteurs n’avaient demandé avec instance qu’on leur donnât le même texte sous une forme plus commode. Naïvement, je vous confesse que de telles demandes m’ont ravi. Avoir diverti son public, c’est quelque chose; lui avoir paru nécessaire, avoir éveillé en lui le désir de garder votre pensée à portée de son oreille,—combien c’est mieux!... Je prétends sérieusement qu’un auteur a le devoir de satisfaire à de si précieuses requêtes.
J’ai donc cédé. Voici le volume. Je sais bien qu’il restera pour vous un ami, chère Françoise aujourd’hui libre de la tutelle des pensionnats, Françoise en plein bonheur d’épousailles. Mais, déjà, il n’est plus à vous seule. Que dis-je? Mon vœu serait qu’il fût aussitôt à toutes les autres jeunes filles d’un âge approchant du vôtre. Si la chose était possible, je le leur enverrais à toutes, avec une jolie dédicace et un billet leur disant:
«Jeune fille, ce livre est pour vous. Vos yeux n’y rencontreront rien qui puisse choquer votre modestie ni troubler votre cœur... Lisez-le d’abord comme un récit, comme un roman de la vie courante. Hardiment, je vous annonce qu’aucun roman ne traite un sujet plus beau. C’est l’histoire d’une jeune fille comme vous, qui, pendant sa dernière année de pension, s’éprend d’un jeune homme, se fiance et se marie. Si vous me faites observer que ce beau sujet n’est pas des plus neufs, je vous répondrai que j’en étais averti, et que cependant je l’ai préféré à tout autre.
«Quand vous aurez lu ainsi l’aventure de Françoise, en passant ce qui vous ennuiera, ce qui vous semblera encombrer le récit (c’est la meilleure façon de lire un roman),—ne jetez pas le livre au rebut, je vous en prie. Gardez-le dans votre chambre à portée de votre main. D’abord, en l’ouvrant au hasard des loisirs, vous y trouverez des sujets de réflexion, de méditation. Votre jeune finesse féminine saura mettre en œuvre ces matières arides bien mieux que je ne sus le faire. Puis, lorsque vous discuterez avec une amie sur l’éducation, sur la toilette, sur les bals, sur les sports, sur le mariage, ouvrez encore le livre amical. Il vous donnera son opinion: et une tierce opinion départage parfois les contradicteurs, ne fût-ce qu’en leur suggérant ce cri unanime: «Peut-on dire pareille sottise?» En un mot, je ne vous recommande pas les «Lettres à Françoise» comme un bréviaire,—mais tout simplement comme un inventaire des choses qui intéressent votre vie. Le plus important dans le livre n’est pas l’avis que j’expose, mais le sujet que je traite: vous.
* *
«Si, voyant ce livre entre vos mains, l’on vous dit: «Il n’y a rien de nouveau ni de curieux là-dedans», tombez-en d’accord; mais suppliez le dénigreur de vous signaler un livre, bien fait celui-là, où les mêmes questions soient agitées. Vous m’en direz le titre aussitôt, et je courrai l’acheter chez mon libraire, car je l’ai cherché minutieusement et ne l’ai point trouvé.
«Si ce livre bien fait n’existe pas, ce sera l’excuse du mien, qui a du moins la vertu d’exister. Sans nulle fausse modestie, je vous assure que je le juge très imparfait, très loin de mon rêve. Voulez-vous m’aider à le rendre meilleur? Notez vos critiques, marquez les lacunes, suggérez des corrections, et envoyez-moi le tout. Je vous répondrai un grand merci et je vous promets bien que d’édition en édition, grâce à des collaboratrices telles que vous, les «Lettres à Françoise» s’approcheront du mieux...»
* *
Telle est, chère nièce, la façon dont je voudrais que ce petit volume fût reçu et utilisé par ses lectrices naturelles. Qu’elles le prennent ainsi, et j’en serai plus fier que d’un roman à cent mille exemplaires.
M. P.
Lettres à Françoise
I
Quand je vous quittai, avant-hier soir, ma petite amie, dans le parloir de cette célèbre institution Berquin, rue du Ranelagh, où je vous remis aux mains de Mme Rochette, vous me dites ces mots que ma mémoire a conservés dans leur ordre, ou, si vous voulez, dans leur désordre gracieux:
—Merci, mon oncle! Ah! voilà Lucie Despeyroux!... Cette grande, là-bas, vous voyez? avec de gros cheveux blonds... Elle a un frère à Saint-Cyr, qui est si bien, si bien!... N’oubliez pas ce que vous m’avez promis. Écrivez-moi de temps en temps... Oh! je suis contente! je vous répondrai... Seulement, aurez-vous le temps de m’écrire?... Lucie! attends-moi!... Au revoir, mon oncle: je monte me coucher; j’ai sommeil... J’aime beaucoup quand vous venez dîner à la maison et quand vous «me rentrez»... Je n’aime pas quand c’est mon oncle Roger.
—Vrai? Pourquoi ça?
—Il ne sait causer de rien. Et puis, il a l’air trop jeune.
Ces propos, avec le ton et la mine dont vous les prononçâtes, servirent de thème à mes méditations, tandis que de la rue du Ranelagh je regagnais mon logis, sur les hauteurs du Trocadéro. Vous connaîtrez un jour, dans une vingtaine d’années, peut-être un peu plus tôt, car vous êtes femme, ces étranges malaises qui envahissent l’âme aux approches de la quarantaine, quand un incident quelconque nous rappelle brusquement que notre jeunesse est abolie. Rien au dedans de nous ne nous avertit encore: nos goûts, nos espoirs, nos appétits sont demeurés à peu près les mêmes qu’à vingt-cinq ans. La vigueur de nos muscles nous semble plutôt accrue. Habitués à voir les glaces nous renvoyer quotidiennement notre image, il ne nous paraît pas que cette image ait sensiblement changé. Nous avons besoin d’un effort de raisonnement pour nous démontrer à nous-mêmes que le temps a marqué sa trace sur nous comme sur toutes les choses environnantes,—que nous avons, en un mot, vieilli d’un jour par jour. La clairvoyance d’autrui nous y aide, heureusement, et corrige notre erreur par des rappels—utiles, s’ils sont désagréables.
C’est ainsi que lorsque je rentrai chez moi, petite amie Françoise, je ne songeais plus au succulent dîner que j’avais fait le soir même à votre table, place Possoz, assis entre votre maman et vous,—ni aux importantes confidences que ce dîner nous avait values de vous, sur la façon dont, à dix-sept ans et demi, vous comprenez la vie,—ni à l’Institution Berquin, à la respectable Mme Rochette, à Lucie qui a de gros cheveux blonds et un joli saint-cyrien de frère, ni presque à vous-même,—mais seulement à cette triste chose que je suis le plus vieux de vos deux oncles et que vous le proclamez avec une joyeuse franchise.
En de telles méditations, ma jolie nièce, je fumai une cigarette dans le jardin, car, s’il vous en souvient, la température de cette soirée de septembre s’attiédissait d’une singulière douceur. Mon jardin, vous le connaissez: plusieurs fois vous y êtes venue, avec votre mère, respirer et moissonner des fleurs. Il domine la place du Trocadéro. En temps d’Exposition, les feuillages des acacias, les géraniums, les bégonias, les asters des massifs se parent du reflet des coupoles et des tourelles illuminées: par intervalles les projections lunaires de la tour Eiffel les balayent de larges rais bleuâtres... Le gravier des allées craquait discrètement sous mes pas, tandis que je rêvais au temps où j’étais moi-même quelque chose d’analogue à ce que vous êtes aujourd’hui: l’être humain adolescent, au seuil de la vie, encore enclos pour un an dans la chrysalide de l’internat et déjà rêvant aux joies de la prochaine liberté. Vingt années ont passé depuis: ces vingt années me représentaient alors toute la vie qui valût la peine de vivre. Les voilà écoulées, et il se trouve, hélas! que ma curiosité de la vie n’a pas été épuisée par leur expérience ni par leurs déceptions. Si je me jugeais moi-même, je me jugerais à peine plus mûr qu’en ce temps-là: seulement l’opinion de mes contemporains, et la vôtre en particulier, chère Françoise, est que je ne suis plus jeune. Vous me l’avez dit en propres termes au moment de me quitter. Mais, tandis que nous faisions à pied la route de la place Possoz à la rue du Ranelagh, vous aviez déjà glosé sur l’idée.
—Voyez-vous, mon oncle, me disiez-vous, j’aime bien à causer avec vous parce que je peux vous parler de choses dont je ne parlerais pas à maman, dont je n’aurais même pas parlé à mon pauvre papa, il me semble, s’il avait vécu,—et parce que, malgré ça, je suis avec vous comme avec un frère qui serait bien, bien plus âgé que moi... Je n’aime pas qu’on me fasse la cour... Plus tard, probablement, cela m’amusera. Mais, pour le moment, cela m’assomme. Et avec vous je suis bien tranquille.
Sur ce dernier mot, votre rire éclatant résonna dans le silence de Passy: l’imagination que votre oncle, le plus vieux de vos deux oncles, pourrait faire la cour à Françoise, vous paraissait évidemment très comique.
Vous avez raison, Françoise. Auprès de moi, vous êtes en sûreté. L’idée de vous courtiser ne me viendrait même pas: je n’en ai aucune envie. Moi aussi, sans même avoir besoin d’évoquer ma parenté d’oncle ni les graves fonctions de subrogé tuteur dont je suis investi depuis que vous êtes orpheline, je vous considère comme une petite sœur très chère. J’ai rassemblé sur votre tête enfantine l’amitié que je portais à votre père et celle que j’ai pour votre mère. Je n’ai nulle envie de vous faire la cour, bien que vous ayez dix-sept ans passés et que, demain, vous deviez être une femme. Cela ne m’empêche d’ailleurs ni d’être sensible à la préférence que vous me témoignez ni de goûter à l’extrême—sous les agréments extérieurs, encore un peu indécis, de votre personne—le charme de votre nature curieuse et ardente, tempérée par un certain esprit pratique, par une honnêteté, une bonté héréditaires.
Cependant, quand j’eus regagné mon cabinet de travail, après la cigarette fumée au jardin, je me pris à regretter l’imprudente promesse que je m’étais laissé arracher par vos gentilles instances: celle de vous écrire à des intervalles réguliers, pendant votre dernière année de pension. Pour obtenir de moi cette promesse, vous aviez su improviser d’excellentes raisons, notamment dans la rue Mozart, tandis que nous descendions la chaussée vide, déjà semée de feuilles sèches.
Vous me disiez:
—Les mois de pension, n’est-ce pas? c’est peut-être indispensable, mais ça n’est pas suffisant pour vous préparer à la vie. (De quelle voix ardente et charmante vous prononcez ce mot: la vie!) On nous apprend l’arithmétique, la géographie, la couture; mais il ne faudrait pas demander à cette bonne Mme Rochette ni à aucune de nos maîtresses des renseignements sur la vie. Je vous assure qu’elles n’y entendent guère plus que moi. Or, moi, je ne suis pas destinée à être une espèce de religieuse laïque comme Mme Rochette et les dames de l’institution Berquin. J’ai l’intention d’aller le plus possible dans le monde dès que je serai sortie de pension, et de ne pas rester vieille fille. Croiriez-vous que ni maman ni ces dames de l’institution ne semblent penser jamais que mon avenir sera celui d’une Parisienne mariée? Ne serait-il pas sage de me préparer un peu à cette épreuve du monde, plus redoutable assurément que le brevet supérieur? Eh bien! si je disais à maman ce que je vous dis là:—que je veux savoir un peu à l’avance ce qui m’attend hors de la pension—je l’épouvanterais et je la ferais pleurer. Si je le disais à Mme Rochette, elle me répondrait que j’ai «mauvais esprit». Pourtant, je tiendrais beaucoup à être renseignée sur tout ce qui n’est pas matière à examens... Il me semble que je suis si ridiculement ignorante! Je n’ai lu que des livres de classe, je n’ai entendu que des conversations nulles; on ne me conduit jamais au théâtre... Quand on me mènera dans le monde, pendant six mois au moins je n’oserai rien dire, je serai comme au milieu de gens qui ne parleraient pas la même langue que moi... Sans doute, je finirai par me former, mais cela m’ennuiera de perdre du temps.
Goût merveilleux de vivre! Vous avez peur, chère enfant, de quelques «mesures pour rien» dans la musique de la vie mondaine... Plus tôt que vous ne le pensez, vous vous lasserez de cette musique-là! Cependant, j’avoue que l’éducation qu’on vous donne, pour respectable qu’elle soit, et malgré qu’elle soit celle de la majorité des petites Françaises, ne me paraît pas des plus sensées. Quand vous dites qu’on vous apprend tout à l’école, sauf l’essentiel, vous ne faites pas preuve d’un si mauvais esprit. L’école est bonne, mais il y faudrait adjoindre un professeur informé et sûr, qui vous renseignât, en se mettant à votre portée, sur les choses de la vie ambiante.
Une ville, une société, une nation, une époque, sont autour de vous, et vous en êtes séparée par une véritable cloison étanche, qu’on lèvera brusquement un jour, parce que vous aurez passé heureusement certain examen classique. Je conviens que c’est absurde.
Mais suis-je donc qualifié pour être, moi, votre «professeur de vie ambiante»?
J’ai peur que non.
—Si! si! me répondiez-vous. Nous avons de si bonnes causeries pendant les vacances, quand vous venez dîner à la maison, rien qu’avec maman et moi!
Vous êtes un auditoire d’une indulgence excessive, Françoise; faut-il vraiment que vous soyez dénuée de truchements plus érudits et plus éloquents entre le monde et vous pour me proclamer un truchement idéal! Cette préférence sur l’oncle Roger m’ôta sans doute la prudence: aux abords de la rue du Ranelagh vous m’aviez fait promettre que je continuerais par lettres les propos de nos dîners de vacances.
A la réflexion, je déplorai ma faiblesse. Que vous écrire, en somme? Et d’abord par quelle voie vous écrire? Toutes les lettres que vous recevez à la pension passent sous les yeux de vos maîtresses, et il me déplairait d’être en contradiction, même accidentelle, avec la respectable Mme Rochette sur quelque point d’éducation ou d’enseignement. D’autre part, vous ne supposez pas un instant que je m’autorisasse de ma qualité de subrogé tuteur pour correspondre avec vous à l’insu de votre mère?...
Je me mis au lit fort perplexe, laissant au sommeil le soin de débrouiller le chaos de mes idées et de mes résolutions. C’est un bon moyen. Ce qui demeure en nous de pensée durant le sommeil est à la fois inconscient et instinctif: les résolutions qu’il nous fournit ont l’infaillibilité de l’instinct. Au réveil, outre que je m’accommodai fort gaîment d’avoir dix années de plus que l’oncle Roger, je vis clairement la solution de ce problème de correspondance. Je m’habillai, et, par la tiédeur d’un joli matin, je m’acheminai vers le logis de votre mère.
Je trouvai cette femme exquise dans l’appartement de la place Possoz, si agréablement provincial de site, d’aspect et de mobilier... Il était onze heures environ. Mme Le Quellien, vêtue de noir, chaussée de bottines, ses bandeaux grisonnants soigneusement lissés de chaque côté de sa figure reposée et toujours jeune, me reçut dans sa chambre, une chambre qu’on devinait avoir été faite, cirée, parfumée de verveine dès sept heures du matin. Entre les deux fenêtres, le petit bureau d’acajou Louis-Philippe était ouvert, et votre maman, assise à ce bureau, quittait, pour me tendre la main, une forte plume d’ébonite et un gros cahier de comptes domestiques écrit tout entier par elle-même. Une Journée du chrétien, avec une petite image pieuse fichée dans les tranches en guise de signet, voisinait avec le cahier de comptes.
Et, dans son cadre de peluche verte, on apercevait aussi (photographie album coloriée, prime du Soleil) les cheveux châtains, les yeux gris-bleu, le teint éclatant de Mlle Françoise.
—Vous, si matin? J’espère qu’il n’est rien arrivé à la petite?
Je rassurai les alarmes de Mme Le Quellien. Elle sut que je vous avais remise, pleine de santé, entre les mains de Mme Rochette. J’exposai alors l’objet de ma visite: notre conversation de la rue Mozart, votre envie de recevoir de moi des «Lettres sur les choses» qui vous enseigneraient ce que les pensions de demoiselles n’enseignent pas. Je m’attendais à voir votre mère s’inquiéter, discuter le projet. Il n’en fut rien.
Elle ne fit qu’une objection:
—Évidemment, ce serait très désirable... Je me rends bien compte que je ne suis plus assez au courant de mon époque pour diriger utilement cette petite... Mais c’est folie de vous demander cela... Vous n’avez pas le temps.
J’affirmai à Mme Le Quellien que j’avais le temps et que, même, cela m’amuserait. Seulement, je ne voulais pas que mes lettres fussent lues par Mme Rochette: la nuit m’avait suggéré de les adresser directement à votre mère, qui, elle, les lirait d’abord et vous les remettrait au parloir.
—Parfait! s’écria Mme Le Quellien. D’ailleurs, je trouve bien inutile de les lire à l’avance. Cela humilierait Françoise, et j’ai pleine confiance en vous, mon ami. N’êtes-vous pas le subrogé tuteur de la petite et ne vous traite-t-elle pas, un peu, comme un père?...
Elle aussi, l’excellente femme, me rappelait innocemment à la juste appréciation de mon âge!... Entendu, je suis un oncle de tout repos,—je suis presque un père. Voilà une promotion qui met un homme à l’aise pour correspondre avec une jeune demoiselle de pensionnat!
Allons, petite Françoise, c’est décidé: l’oncle de tout repos vous écrira chaque quinzaine. Il tâchera de compléter ex partibus l’éducation que vous distribuent Mme Rochette et ses acolytes... Toutefois, aujourd’hui, daignez vous contenter de ce billet. Ce n’est pas trop de quinze jours de méditations, si oncle et si père que je sois, pour me préparer à catéchiser dignement selon le monde une jeune personne fringante et ironique comme Mlle Françoise.
II
Quand on a votre âge, amie Françoise, on ne ressent aucune mélancolie de voir finir les choses autour de son propre commencement, si gai, si vivace. Des choses qui ont l’impertinence de fleurir, de disparaître, alors que vous n’êtes pas encore sortie de pension, ne méritent que votre dédain; elles ne sont pas, à parler franc, vos contemporaines, et vous êtes très justement convaincue que la seule époque digne d’intérêt passionné s’inaugurera vers la fin de 1901,—quand vous entrerez dans le monde.
J’observai cette heureuse disposition de votre esprit certain vendredi soir qui précéda votre rentrée d’octobre à l’institution Berquin. Vous étiez venue, avec votre mère, passer un bout de la soirée dans mon jardin. C’était fête à l’Exposition: toutes les tours, tous les clochetons, toutes les pointes architecturales de l’éphémère cité s’embrasaient de lueurs féeriques. Mme Le Quellien exprima le regret de voir disparaître si tôt un tel concours de merveilles. Je renchéris: je me lançai dans une période assez bien tournée, pensais-je, sur la disproportion entre l’effort qu’avait coûté l’Exposition de 1900 et le bref loisir qui nous fut donné pour nous y complaire.
Vers le dernier contour de ma période, un regard de vous m’arrêta net; il me sembla que vous aviez envie de rire. Je vous demandai, par contenance:
—Et vous, Françoise, ne regretterez-vous pas l’Exposition?
Votre réponse fut, textuellement:
—Oh! moi... l’Exposition, je l’ai assez vue!
Toutefois, la dureté de ce trait se corrigea aussitôt par l’addition d’une phrase courtoise à l’adresse de la pauvre Exposition finissante:
—Du reste, ajoutâtes-vous, elle était très bien, celle-ci... Il y avait surtout les rétrospectives et le Petit Palais...
«Elle était très bien... Il y avait les rétrospectives...» D’une inflexion de votre voix délibérée, vous enterriez déjà dans le passé la ville merveilleuse qui flamboyait sous vos yeux!... Cette attitude imposa sans doute à votre mère comme à moi, car nous renonçâmes à nos doléances, et, ce soir-là, il ne fut plus parlé de l’Exposition de 1900.
Mais vous n’imaginez pas, Françoise, combien vos moindres propos, dans leur netteté ingénue, m’offrent de matières à méditer. Lorsque Mme Le Quellien fut partie, vous emmenant, je demeurai assez longtemps encore à contempler, de mon jardin, la foire du monde. J’y demeurai même si longtemps qu’elle éteignit peu à peu ses feux de Bengale, ses rampes de gaz, ses boules électriques, jusqu’à n’être plus enfin qu’un noir chaos, une chose vide, morte déjà et comme abolie, tandis qu’au-dessus d’elle l’illumination éternelle des étoiles, naguère invisible dans le reflet excessif de tant de clartés terrestres, resplendissait de nouveau sur un ciel purifié.
Tout le quartier du Trocadéro, si bruyant, si vivant durant la soirée, retombait à la paix provinciale des temps ordinaires. Le silence et le clair-obscur reconquis favorisaient la réflexion.
Je méditai sur le bref jugement que vous aviez porté tout à l’heure. Non que ce jugement fût en soi quelque chose de très piquant ou de très profond: il m’intéressait comme indice spontané de l’effet produit par le suprême effort du XIXe siècle sur un jeune être du XXe. Car vous êtes vingtième-siècle, Françoise: vous serez jeune fille, épouse, mère au XXe siècle. Le XIXe siècle n’aura eu de vous que votre enfance.
De vos deux sentences successives il résultait:
Premièrement, que le «Suprême effort» ne vous a pas... «épatée», oserai-je dire, employant à dessein une locution qui parfois s’égare sur vos lèvres.
Secondement, que vous y reconnaissez cependant une réussite méritoire, puisque vous lui accordez indulgemment la note très bien.
Troisièmement, que vous faites bon marché des attractions, voire de la partie industrielle et scientifique; que même la partie artistique contemporaine ne vous touche guère. Il vous fallait «les rétrospectives et le Petit Palais», c’est-à-dire la face historique de l’énorme exhibition, les objets et les œuvres d’art qui racontent d’une manière éclatante l’histoire de votre pays.
Et ceci me parut vraiment digne de remarque. Vous êtes une jeune personne résolument moderne. Si peu instruite du monde que vous vous prétendiez, votre perspicacité, toujours en éveil, profite adroitement des occasions pour se renseigner sur les modes du jour. Vous querellez cette excellente Mme Le Quellien touchant la forme de ses chapeaux et de ses manteaux; vous-même, sans aucune affectation intempestive, savez fort adroitement vous faire coiffer et vêtir. Dans l’appartement de la place Possoz, pur Louis-Philippe, votre chambre étonne par le clair papier de tenture, semé d’iris, les meubles genre anglais, laqués de blanc. Vous aimez le brillant luminaire usité aujourd’hui: vous souhaiteriez un logis pourvu de «tout le confortable moderne». (Ce fut même, un jour, entre nous, un sujet de querelle). Vous m’avez confié que, si vous étiez riche et libre, vous auriez plaisir à circuler en automobile. Vous êtes, en un mot, très «de votre siècle», qui est le XXe. Et cela ne vous a point empêchée d’élire spécialement, au milieu d’un spectacle universel, quelques-unes des plus belles choses du temps passé.
Si je vous demandais pourquoi, vous seriez probablement incapable de me répondre. Mon expérience d’oncle va tâcher de vous expliquer à vous-même.
Votre «modernité», d’abord, est un bon signe d’équilibre physique et mental. Il serait fâcheux qu’à dix-huit ans vous n’eussiez point les yeux fixés sur l’avenir. Il est juste, il est expédient que les choses contemporaines vous paraissent spécialement amicales, que vous les habitiez avec plaisir, comme il est naturel que vous viviez parmi des compagnes de votre âge! Oh! gardez ce goût de la nouveauté, cet espoir du lendemain, cette foi instinctive dans le meilleur devenir du monde! Foin des petites névrosées revenues de tout avant d’être allées nulle part! Essayez bravement les modes de votre temps, soyez curieuse de votre époque: vous avez tout le loisir d’être réactionnaire, un jour...
Seulement, chez vous, grâce à un heureux équilibre des facultés et aussi à la bonne fortune d’être née d’une vieille famille française, bourgeoise depuis plus de deux cents ans, ce goût volontaire du moderne s’accommode d’une tendresse mystérieuse pour les merveilles antérieures de votre pays. D’abord parce qu’elles sont belles, et belles d’une façon adéquate aux hérédités qui se composèrent dans votre personne, belles d’une beauté que vous comprenez tout de suite, sans éducation artistique spéciale. Puis parce qu’elles sont le passé français, qu’elles furent pensées, exécutées par des Français d’autrefois, et que des Français d’autrefois les ont fait servir à leur existence: parce qu’en un mot elles sont nationales. Entre ces délicieux meubles des siècles échus, entre ces merveilleux bibelots, ces faïences rares, ces bijoux, et vous, Françoise, il y a une parenté qui vous émeut à la première rencontre. Le berceau du roi de Rome, bien que prêté par l’empereur d’Autriche, est un peu à vous, et aussi l’armoire de Marie-Antoinette; la moindre parure campagnarde, le plus humble vêtement de droguet miraculeusement épargné par le temps et suspendu aux vitrines des «rétrospectives», témoignent devant vous de l’antiquité de votre race et par là vous intéressent autrement qu’une armure espagnole ou les reliques d’un potentat hindou.
En sorte que le colossal musée où vous avez dépensé en tout, cette année, une quinzaine de vos journées, pourra bien ne laisser pour l’ensemble qu’une impression assez confuse dans votre mémoire; vous déclarez vous-même l’avoir assez vu. Mais le Petit Palais et ses brillantes succursales historiques, disséminées dans les sections diverses, n’auront pas vainement frappé vos yeux. Ce que vous y avez vu, vous l’avez regardé du regard qui imprime l’image dans le cerveau: ces images font partie de vous, désormais, de votre esprit, de votre jeune érudition. Et de même les émotions de fierté nationale, les sympathies esthétiques qu’elles vous ont suggérées, ayant été spontanées et profondes, ne s’aboliront pas avec le temps. Elles vont, au contraire, s’enraciner et se fortifier en vous, concourir à former votre goût, votre sensibilité.
Réfléchissez quelque peu à tout cela, Françoise, notamment pendant ces classes de couture dont vous m’avez dit qu’elles seraient assommantes si l’on n’avait pas le droit d’y penser à autre chose. Voyez là l’exemple et la preuve que nulle éducation ne saurait être fructueuse si elle n’enfonce des racines dans le passé, dans la tradition, dans l’histoire de la race. Imitant en cela votre charmant génie de jeune fille, l’éducation doit être traditionnelle par instinct et volontairement curieuse de modernité. Cette vérité compte au petit nombre de celles qui me guident lorsque, si gracieuse, vous me demandez des «leçons sur les choses». Elle présidera à l’enseignement que voudraient vous apporter mes billets de quinzaine. Est-elle connue, est-elle appliquée par les dames excellentes que Mme Le Quellien à chargées de votre éducation scolaire, dans la célèbre institution Berquin? Est-ce le système de votre directrice Mme Rochette? D’après ce que vous m’avez confié, j’ai peur que non. Mme Rochette et ses acolytes ont bien de l’expérience et une indéniable bonne volonté: seulement leur doctrine est que l’éducation d’une petite Française en 1900 doit ressembler trait pour trait à l’éducation d’une petite Française de 1855, date où elles-mêmes fréquentaient l’école. C’est pousser un peu loin l’amour de la tradition. Vous trouverez d’ailleurs, par le monde, des fantaisistes qui soutiennent que le devoir de l’éducateur est de faire de la petite Française une petite Américaine ou une petite Anglaise. Ceux-ci sont très dangereux. Le système de Mme Rochette n’est pas dangereux. Il n’est qu’inutile.
Je voudrais, petite amie, mettre à mon doigt le cercle d’or qui rend invisible et vous suivre, vous et vos compagnes, dans votre journée d’écolière, depuis la prière du matin jusqu’à la prière du soir. Malgré votre confiance en moi, vous ne me raconterez jamais tout ce que vous enseignent vos maîtresses en classe, ni tout ce que vous dites entre élèves durant les récréations, ni tout ce qui circule dans votre cervelle pendant les silencieuses heures d’étude. La franc-maçonnerie féminine scellera vos lèvres sur ce qui serait le plus divertissant à connaître... Mais mon expérience d’ancien écolier me suffit. Je sais à quel point une pension française ordinaire est un petit monde bizarre et vieillot, et quelles pauvretés y sont parfois gravement apprises... Votre jeune perspicacité s’en est rendu compte, puisqu’elle a souhaité un supplément d’informations sur la vie. Gardez-vous cependant, moderne Françoise,—et c’est par là que je veux conclure,—gardez-vous de mépriser en bloc tout le système d’éducation de l’institution Berquin. Il contient toute une partie de tradition et de principes qui est vénérable, admirable, et à coup sûr absolument appropriée à l’éducation d’une jeune fille de votre pays. C’est à vous, si fine et désormais avertie, de distinguer ce qui est réellement beau et utile dans ce mélange de traditions et de routines. Les merveilles que vous admiriez, colligées et mises en ordre dans votre cher Petit Palais, vous n’ignorez pas qu’il fallut, pour la plupart, les extraire de greniers encombrés, parmi la poussière et le fatras d’objets quelconques où furent longtemps relégués les legs artistiques des siècles derniers... Eh bien! vous aussi, dans le fatras d’idées et d’habitudes léguées par les anciennes éducatrices, vous devez, à la veille d’entrer dans le monde, faire un triage judicieux. Les idées et les traditions dignes d’être conservées, vous les connaîtrez, d’abord à leur beauté, à leur noblesse intrinsèque et aussi à leur caractère vraiment, profondément national. Vous composerez ainsi peu à peu—nous composerons, car je vous y aiderai—un musée de ce qui fait la spécialité charmante, glorieuse, de la femme française. Et de même que, sans compromettre de votre précieuse modernité, vous preniez des leçons de goût au musée des Champs-Élysées, vous ne risquerez nullement de n’être plus une jeune personne bien vingtième-siècle en visitant de temps en temps cet autre Petit Palais imaginaire, meublé de traditions et de souvenirs.
III
Demain, chère Françoise, l’institution Berquin, cette douce prison, accorde un jour de liberté à ses prisonnières. Mais ce sont des vacances graves, fidèlement dispensées au culte des morts... L’aînée de vos compagnes a beau n’avoir pas vingt ans, il n’en est guère, parmi vous, qui n’ait à s’associer au grand deuil liturgique par un deuil personnel. Pour vous, par exemple, le traditionnel pèlerinage au cimetière n’est déjà plus seulement une pieuse promenade. Il y a, dans l’énorme ville sépulcrale du Père-Lachaise, un coin du sol qui est vôtre, où sont réunis les derniers disparus de votre famille, votre aïeule maternelle, son mari, et, enfin, votre père, mort il y a huit ans.
Quand vous irez, demain, fleurir de chrysanthèmes la pierre unie sous laquelle dorment vos parents, quand vous aurez laissé s’épancher cette émotion imprécise, ce vouloir obscur que les absents soient heureux dans leur séjour inconnu, ce désir passionné de les retrouver un jour, qui sont assurément la meilleure des prières, évoquez de toutes les forces de votre jeune esprit la mémoire de votre père. Faites-vous raconter sa vie par Mme Le Quellien; quand il mourut vous étiez trop jeune pour la bien connaître. Puis, le soir, dans l’appartement de la place Possoz, avant de rentrer à l’institution Berquin, demandez à votre mère de vous montrer, de commenter pour vous les modestes archives de la famille. Méditez-en les enseignements quand vous serez de nouveau prisonnière. Je vous parlais l’autre jour de l’importance qu’il y a, pour une petite Française, à bien connaître le legs historique que transmet à sa génération le passé de la France. Il lui importe non moins de connaître le passé prochain de sa propre famille, ce que lui transmettent immédiatement les êtres humains dont le sang anime ses veines.
Votre famille, chère enfant, est née du sol national, du sol de la province française. A trois où quatre générations en deçà de la vôtre, on y trouve des paysans, possesseurs de petits domaines qu’ils cultivaient eux-mêmes, les uns en Poitou, les autres en Gascogne. Je vous prie d’être très fière de cette origine et de la proclamer hautement à travers la vie, quand on vous la demandera. Toute vraie noblesse s’enracine dans la terre, dans le sillon tracé par les aïeux. Osez vous glorifier de votre sang pur de tout mélange: telles familles réputées grandes et portant d’illustres titres ont, en somme, le sang le plus mêlé, traversé de courants étrangers au hasard des riches alliances. Apprenez d’ailleurs que ces libres laboureurs, vos aïeux à la fin du dernier siècle et au commencement de celui-ci, vous ont transmis, par l’économie intellectuelle de leur vie, des facultés neuves, des puissances prêtes à servir, que nul effort antérieur n’a usées: c’est là un phénomène aujourd’hui démontré par la science. Ils ont vécu, ils sont morts sans renommée, ils dorment obscurément dans leurs cimetières de village, où demain personne n’ira peut-être fleurir leur tombe feutrée d’herbe. Mais c’est parce qu’ils furent de sobres paysans, parce que leur cerveau n’assuma pas d’excessifs labeurs, que vous arrivez, vous, petite Françoise, à l’aube du XXe siècle, l’esprit si vivace, si alerte,—en même temps que si saine et si robuste de corps.
Un seul, parmi vos humbles ancêtres, vous a laissé une marque notable de son existence, alors pareille à celle de beaucoup de ses contemporains, mais qui, par le recul du temps, non moins, hélas! que par la diminution de notre prestige guerrier, nous apparaît comme extraordinaire et héroïque. Un de vos arrière-grands-pères fut soldat du premier empire. Il fit toutes les campagnes de Napoléon de 1806 à 1814, celle-ci comprise. Il fut à Iéna et à Friedland, à Wagram, à la Bérézina, à Champaubert. De tant de gloire et de tant de périls, il rapporta tout simplement le grade de sergent-fourrier: fallait-il qu’en ce temps-là l’héroïsme fût chose commune! Il rentra alors dans la vie civile et obtint un modeste emploi aux douanes de son département. Le reste de sa vie est absolument effacé par le temps. Mais votre mère a hérité de lui ce bout de papier jauni sur lequel ses campagnes sont mentionnées et où il est affirmé que «Louis-Pierre-Edme Le Quellien a servi sa patrie avec courage et loyauté». C’est tout...
Le fils de ce héros fut négociant: humble et probe négociant comme Louis-Pierre-Edme avait été un soldat humble et fidèle. Il ne fit pas fortune; pourtant il réussit à donner à son unique enfant une éducation libérale. Par lui, Françoise, l’intellectualité a pénétré dans votre famille. Le sujet de cette première expérience se trouva, par bonheur, être exceptionnellement intelligent. Ce fut votre père, Jean Le Quellien. Je l’ai pratiqué surtout après qu’on l’eut nommé, à Paris, sous-chef au ministère des Finances. J’ai rencontré peu d’hommes d’une érudition aussi ample et si diversement compréhensifs. Qu’il vécût enfermé dans un bureau et occupé d’ingrates besognes que cent autres, moins doués, auraient pu faire aussi bien que lui, cette anomalie toujours m’irrita. Vous le rappelez-vous bien, cher enfant, cet honnête et savant homme, si modeste, si timide même que ses chefs ne se sont jamais doutés de la supériorité qu’il gardait sur eux? Moi j’évoque souvent son image, sa carrure un peu massive, son visage coloré où le dessin net des traits et la vivacité des yeux affinaient l’hérédité rurale. Il savait tout, il entendait tout. Sa conversation était un enchantement. Il avait discipliné sa maison au goût des longues lectures. Et je me souviens du spectacle si digne et si charmant que j’eus certains soirs, en venant chez vous du temps qu’il vivait. Autour de la table de la salle à manger, desservie aussitôt le repas achevé et recouverte de son tapis de drap vert-mousse, M. Le Quellien, Mme Le Quellien, et la mignonne gamine de neuf ans que vous étiez alors vous-même, lisaient chacun un bon livre, sous la lueur jaune de la grosse lampe...
Cet homme éminent et excellent avait un défaut que je ne veux pas vous cacher, car il vous est utile de le connaître et il ne diminuera pas dans votre mémoire le respect du cher disparu. Il était, dans l’action, hésitant et timide. Cela par grande modestie naturelle d’abord, par une instinctive défiance de soi; sans doute aussi par l’influence d’une hérédité de fortunes médiocres. En somme, parmi ceux de sa famille, personne n’avait «réussi» de façon éclatante. Pourquoi se fût-il reconnu des droits à un sort plus brillant? Son emploi actuel suffisait à son ambition. Un poste élevé l’eût effrayé. Il se jugeait heureux: votre mère, en même temps que le parfait bonheur intime, lui avait apporté en dot l’équivalent de son traitement. Rien ne manquait à la simple aisance du foyer. Il ne souffrit jamais de l’obscurité de ses destins, de leur disproportion avec ses facultés.
Ainsi, l’historien qui remonterait votre lignée paternelle, amie Françoise, y trouverait aisément les origines de votre esprit ouvert et de votre belle santé physique; il n’y rencontrerait pas l’explication de votre tempérament curieux, oseur, résolu à l’entreprise. Il y a bien le sergent-fourrier de Napoléon; mais je devine qu’il fut homme d’action par entraînement et par devoir, non par caractère. Si le hasard eût fait de votre père un soldat, il eût été, lui aussi, soldat excellent; il ne fût pas devenu pour cela un homme d’action dans le vrai sens du mot, c’est-à-dire ayant en soi, dans sa volonté, dans son initiative, le principe d’action... Ce n’est pas non plus la douce Mme Le Quellien qui vous a façonné cette âme vingtième-siècle, éprise de nouveau, gentiment volontaire avec un grain d’entêtement. «Pauvre maman!...» me dites-vous volontiers en parlant d’elle. Et c’est dit si drôlement, et je sais si bien que vous êtes une fille docile, en somme, et respectueuse, que j’oublie de vous rappeler à l’observance des formalités filiales. «Pauvre maman!...» Cela veut dire, dans votre pensée, qu’il y a un tas de choses par le monde qui vous passionnent et ne l’intéressent pas, que les livres qu’elle aime, la musique qu’elle goûte, vous semblent également fades. Son expérience même de la vie apparaît si innocente à vos dix-huit ans que l’idée ne vous viendrait même pas de la consulter aux cas confidentiels... Il y a du vrai dans tout cela. A la veille de sortir de pension, vous commencez déjà, Françoise, à être un peu plus âgée que votre mère. Votre génération montre une maturité hâtive qui contraste étrangement avec l’honnête inertie où se complut la génération de vos mères. Pour Mme Le Quellien, il faut en outre tenir compte de l’influence qu’eut sur elle un mari adoré, puis des circonstances singulières de sa jeunesse. Et nous touchons là au point le plus intéressant peut-être de votre histoire généalogique.
La famille de votre mère, encore que d’origine rurale, fut aisée et bourgeoise plus tôt que celle de votre père. L’aïeule qui repose au Père-Lachaise naquit presque riche. Une invention mécanique, le brevet,—comme on disait autrefois chez vous, tout court,—avait fait la soudaine fortune de votre arrière-grand-père maternel, simple contremaître. (Et déjà admirez ici l’esprit d’entreprise!) Sa fille unique se maria de bonne heure, contre le vœu—quoique avec l’autorisation de ses parents. C’était une aventure d’ordre sentimental. L’homme qu’elle avait choisi lui donna le bonheur et la ruine, dans une suite d’entreprises financières probes et folles. Leur souvenir fait encore trembler votre mère, qui prit là, par contre-coup, l’horreur de toutes les affaires, même avant d’épouser le mari le moins homme d’affaires du monde... Une dot modeste, pour elle, fut seule sauvée. Le reste du «brevet» disparut, laissant à votre aïeule de quoi subsister. Celle-ci, d’ailleurs, restée longtemps veuve, porta jusqu’au bout sa demi-misère héroïquement. Elle me disait, elle disait à qui voulait l’entendre qu’elle ne regrettait rien, que la vie avait été bonne pour elle, puisqu’elle avait aimé et qu’elle avait été aimée.
Cette gracieuse personne mourut en 1883. Je me rappelle fort bien son caractère et son visage. Elle se plaisait dans la société de la jeunesse et conversait volontiers avec moi, qui en ce temps heureux avais moins de vingt ans. Feuilletez l’album de photographies de votre mère, cet album qui porte en relief sur son plat de cuir un Faust et une Marguerite devisant amoureusement:—vous trouverez deux ou trois images de celle que j’appelais: tante Brigitte. Vous n’aurez pas de peine à y reconnaître votre propre ressemblance. Vous êtes son portrait, comme on dit, bien qu’un peu moins grande, avec de plus beaux yeux, un menton plus ferme et aussi (dût en souffrir votre coquetterie) un peu plus lourd, avec des traits moins réguliers et plus amusants, avec, en somme, un rien de plus tenace et de moins sentimental à la fois sur la physionomie. Tout de même, en ce triage mystérieux des types ancestraux auquel se livre la nature lorsqu’elle fabrique un être nouveau, elle a gardé sur le crible, pour le mêler à l’argile délicate dont est modelée Mlle Françoise Le Quellien, pas mal d’éléments de sa grand’mère Brigitte. Elle y a mêlé beaucoup de l’intelligence et quelques traits de la physionomie paternelle, un peu, vraiment peu, de la douceur candide de Mme Le Quellien: et, sur ce tout convenablement fondu et pétri ensemble, elle a soufflé l’étincelle vitale. Il en est résulté une petite personne ayant des défauts et des qualités, mais assurément armée en perfection pour la lutte d’existence, et, à tout prendre, assez agréable à voir et à écouter.
Je compte bien, chère enfant, que les souvenirs familiaux évoqués par cette lettre vous accompagneront demain dans le pèlerinage vers la tombe de vos morts... Vos morts! il en repose un bien petit nombre sous la pierre où vous vous agenouillerez. En payant à ceux-ci votre dette de souvenir, n’oubliez pas ceux qui dorment dans d’autres coins de la terre de France, et dont la vie, telle qu’elle fut, a contribué à ce que sera votre vie. C’est doubler sa force individuelle que la maintenir en contact permanent et avec le passé national et avec ce rameau de la race qui s’appelle la famille. Élargissez donc, par une évocation consciente et sereine, le sens religieux de cette fête des Morts. Au delà du brave et éminent homme, votre père, et de votre exquise et sentimentale aïeule, faites remonter la piété de votre hommage jusqu’aux plus lointains de vos ancêtres, jusqu’au soldat de Napoléon, jusqu’aux ignorés manieurs de charrue qui, il y a des cent ans et des cent ans, parlaient déjà la même langue que vous, avec quelque chose de votre accent.
IV
Dans mon courrier, je trouve ce billet, dont l’écriture nette et pointue m’avait à l’avance révélé l’origine:
«Quelle bonne après-midi j’ai passée l’autre jour à courir les magasins avec vous, mon oncle! C’est bien plus amusant qu’avec maman, parce qu’au fond, maman, ça l’ennuie. Vous, vous êtes patient et complaisant comme tout; seulement, à présent, je suis prise de remords. Ne vous ai-je pas fait perdre du temps? Rassurez-moi!—Françoise.»
Soyez rassurée, chère petite amie, je ne considère pas comme perdue cette après-midi où, Mme Le Quellien étant fatiguée, je fus promu à l’honneur de vous accompagner dans «les magasins». Les magasins, cela désigne, en votre langage de jeune fille, exclusivement ce qui contient, ce qui vend de quoi vous vêtir, vous coiffer, vous orner. A la veille d’un changement de saison, il paraît que cette enquête sur la mode ne saurait être négligée, même par une élève de l’institution Berquin. En effet, l’institution n’impose pas d’uniforme; on veut seulement que les élèves soient vêtues «de nuances foncées, sans excès d’ornement». Il s’agit de tricher avec ce règlement; il s’agit aussi d’être un peu gentiment mise les jours de sortie. Vous vous y employez de votre mieux. Vous m’avez avoué que vous aimeriez à être très élégante—mais là, très!—et que le même souci agite la plupart de vos compagnes. Un petit nombre, parmi celles-ci, sont riches, et déjà se fournissent dans les grandes maisons. Les autres, les plus nombreuses, tâchent de suppléer par l’ingéniosité à l’insuffisance du budget: telle votre amie Lucie Despeyroux (celle dont le frère est un si joli saint-cyrien)—et vous-même.
Lucie a une théorie qu’elle a bien voulu énoncer un jour en ma présence. Elle ne s’adressait pas à moi; même, dans la chaleur d’une discussion avec vous, elle avait oublié ma présence.
—Ma chère,—s’écria cette agréable personne de dix-sept ans, dont la taille souple et ronde se dessinait sous un costume de drap bleu marine,—quand on n’a pas cent mille francs par an à dépenser dans sa toilette, il faut s’en tenir aux robes «tailleur» et aux blouses. Et puis, tu sais, les hommes n’aiment que les costumes tailleur.
Assez souvent j’ai rencontré Lucie place Possoz, et vous m’en avez suffisamment parlé pour que j’aie attribué tout de suite cette façon de s’exprimer décidée, avertie, à son extrême et charmante innocence. Rien n’est plus touchant que d’entendre votre amie juger le monde, la vie, et, comme elle dit, les hommes. Les hommes, pour elle, c’est tout justement ce merveilleux saint-cyrien, son frère, Maxime Despeyroux, qui fait parfois des entrées sensationnelles au parloir de Berquin. Du propos de Lucie, j’ai conclu que le séduisant Maxime avait le goût exclusif des costumes tailleur. Vous, Françoise, après avoir réfléchi quelques secondes, vous avez fait cette réponse profonde:
—Les costumes tailleur dont j’aurais envie sont tout de même horriblement chers. Ah! comme il doit être agréable d’avoir assez d’argent pour s’arranger comme on voudrait!
—Françoise!... a interrompu, moitié sourire, moitié gronderie, la douce Mme Le Quellien.
Vous avez rougi; vous avez fait cette moue, menton tendu, lèvres pincées, qui vous rend si drôle... et l’on a abandonné le chapitre des costumes.
Mme Le Quellien s’alarme, en effet, de votre penchant à la coquetterie. Je la rassure de mon mieux; pourtant, de vous à moi, je puis vous l’avouer: je vous trouve extrêmement occupée de toilette. Cela ne vous empêche pas, je le sais, d’avoir du goût pour les choses sérieuses, pour l’étude, pour les arts, ni d’être, au fond, sensible et bonne. Mais vos goûts sérieux, votre bon cœur, s’accommodent d’un penchant à vous parer. L’après-midi que j’ai passée avec vous, en vue de vous documenter sur les modes de l’hiver prochain, me fut singulièrement instructive à cet égard.
D’abord, j’ai constaté que vous connaissez le nom et le lieu de tous les grands faiseurs parisiens. J’ai admiré votre aisance à entrer dans une maison de modes, à vous faire voir des modèles en abondance, puis à vous défiler au dernier moment sans acheter rien, emportant la forme enviable dessinée dans votre mémoire de dix-huit ans. J’ai vu le tressaillement de votre regard quand une «chose de beauté»—s’il en est vraiment parmi ces fanfreluches de la toilette—vous frappait au passage. Hélas! Françoise,—je vous dois cette dure vérité,—malgré tous vos dons précieux de nature, vous êtes évidemment susceptible de devenir un simple être de luxe si vous êtes riche un jour, ou de souffrir de votre médiocrité si vous ne l’êtes point. Voilà pourquoi notre course aux chapeaux et aux corsages m’a laissé une certaine anxiété dont il faut que je vous fasse part. Si, le faisant, je vous importune un peu, ce sera pour compenser cette agréable humeur dont j’accompagnais vos emplettes.
Avez-vous observé que le mot de coquetterie a deux sens, comme la chose a, si l’on peut dire, deux degrés? Une femme est coquette qui se pare pour elle-même, parce qu’elle s’intéresse à ses propres charmes, les cultive, les accroît et les décore. Une femme est coquette qui veut et cherche des hommages masculins, les hommages du plus grand nombre possible d’admirateurs... Vous vous récriez. Vous me dites: «Je me soucie fort peu des hommages, on m’ennuie quand on me fait la cour...» C’est vrai, je l’ai constaté, vous êtes coquette au premier degré. Les fadeurs débitées face à face vous irritent. Les admirations masculines trop prochaines vous troublent et vous froissent. Êtes-vous bien sûre, cependant, de ne jamais franchir, à l’usage du monde, le degré qui sépare la coquetterie inoffensive de la dangereuse coquetterie? Ce désir d’être parée peut bien, en ce moment, avoir pour unique objet d’admirer vous-même, vous seule, l’image que votre glace vous renvoie. Mais n’est-ce pas parce que vous considérez votre existence actuelle comme une période d’attente—les «mesures pour rien», c’est votre mot?... Il vous plaît de vous voir élégante, parce que cette vue rassure vos prévisions d’avenir. Une voix (que vous étouffez sans doute) murmure alors en vous: «Quand je voudrai!...» Votre impatience à souffrir les admirations des hommes, votre déplaisir du flirt? Ne faites pas là-dessus trop de fond. Les femmes sont volontiers disposées, quand il s’agit d’elles-mêmes, à appeler vertu ce qui n’est que timidité. «Mais je ne suis pas timide, mon oncle!» Justement, voilà pourquoi je demeure inquiet. Votre timidité devant les courtisans n’est, au fond, qu’un défaut d’habitude, le résultat d’une éducation familiale, pure à merveille. Je ne lui donne pas trois mois de vie mondaine pour s’évaporer. Et alors, le goût de parure inné en Mlle Françoise s’accroissant du même coup, comment garantir que le degré ne soit jamais franchi entre la première et la seconde coquetterie?...
Vous protestez? Mettons, s’il vous plaît, que vous vous en tiendrez à la coquetterie égoïste. Vous vous parerez pour vous, c’est entendu, pour vous voir belle et élégante dans les miroirs... Seulement, vous verrez aussi, par le monde, les autres femmes, coquettes au premier ou au second degré. N’aurez-vous pas envie de lutter avec elles pour la primauté somptuaire? A Paris, de nos jours, cette gageure des toilettes s’exaspère jusqu’à la folie, et l’on ne sait vraiment où cela s’arrêtera, car la manie du «record» s’en mêle. Quelques procès, de fournisseur à cliente, nous ont fait connaître le jupon, en mousseline de soie, de 900 francs; il ne peut être porté qu’une fois. Tout Paris sait le nom de la mondaine—d’ailleurs exquise—qui se commande au moins une robe par jour... J’ai passé cet été une quinzaine de jours sur une plage assez fréquentée. Une des joies de cette plage, pour les oisifs, était de contempler les toilettes d’une aimable personne du meilleur genre cosmopolite. Elle en faisait trois par jour, et quelles! Il fallait bien regarder chacune d’elles, car on ne la devait plus revoir, non plus que le chapeau qui la couronnait... Spectacle divertissant pour le sexe en veston et en smoking, mais spectacle atroce pour les autres élégantes de la plage. Une femme en mal d’élégance doit, en effet, être la plus élégante, ou bien son élégance lui semble inutile, manquée... Le corsage qu’elle ajustait amoureusement dans son cabinet de toilette, tout à l’heure, lui brûle les épaules dès l’instant qu’une autre femme, sous ses yeux, en porte un autre plus admirable... O Françoise, imaginez quelles douleurs se prépare celle dont la fortune n’est pas indéfinie, dont les caprices se heurtent tout de suite aux bornes d’un étroit budget, et qui veut s’engager dans la course au luxe moderne! J’en ai vu, j’en vois plusieurs autour de moi. Elles sont touchantes et désolantes. Toutes connaissent, bien entendu, une première de chez Virot qui trahit en leur faveur le secret professionnel et leur livre pour 30 francs le modèle de 200. Toutes ont déniché la «petite couturière» adroite comme une fée, qui a «refusé d’entrer chez Dœuillet», et qui cependant façonne des robes pour trois louis, sans doute par philanthropie. Toutes rognent sur le budget de la table, du service, des enfants même, pour payer ces frais de vêture, énormes malgré tout, malgré le temps passé à faire chez soi des plissés, des garnitures de paillettes, voire de la peinture sur étoffes. Et, le grand jour ou le grand soir arrivé, quand enfin cette laborieuse toilette s’exhibe à quelque fête, au milieu de cent autres, celle qui la porte a soudain le cœur pincé d’une angoisse. Elle a regardé autour d’elle; elle s’est comparée; elle s’est jugée. Le vrai chapeau de Virot, la vraie robe de Dœuillet sont là, devant elles, portés par une autre femme. Et, rien qu’à les voir, la malheureuse se rend compte que son chapeau, que sa robe à elle, proclament pour tout œil exercé (quel œil de femme ne l’est pas en cette matière?) la contrefaçon anxieuse, l’économie dans le luxe, c’est-à-dire quelque chose de plus choquant que l’indigence!... Cela n’empêchera pas la coquette pauvre de recommencer son effort, de courir à de nouvelles angoisses et à d’autres déceptions. A ce jeu, la bonté du cœur s’use ou s’aigrit vite. La catastrophe de l’honnêteté, que le romancier met d’ordinaire au bout de pareilles destinées, ne s’accomplit pas toujours. Mais la vie n’en demeure pas moins à la fois tragique et méprisable. Coquette et honnête! Quel sujet de roman pour un psychologue. Je ne me souviens pas qu’un écrivain l’ait traité. La vie réelle le traite tous les jours.
Je vous entends, je vous vois, froissant ce papier en vous écriant: «Oh! le méchant! l’injuste! il peut croire que je serai pareille à de telles femmes!...» Non, Françoise, je ne le crois point. Je sais que votre nature heureusement équilibrée répugnera toujours aux excès. Je voudrais vous épargner l’épreuve douloureuse, vous guérir tout de suite d’un léger défaut peu à peu accru... En ce moment, vous avez une coquetterie spontanée, innocente, amusante, à laquelle vous m’avez vu me prêter l’autre jour volontiers moi-même. Mais demain? Dans le monde? Au cours de la vie? Il faut pourtant savoir où l’on va, et, comme dit le philosophe, vouloir sa volonté. A quoi bon se surcharger à l’avance d’un poids qui vous rendra le chemin plus pénible, et dont cependant vous ne vous débarrasserez qu’avec effort?...
—C’est entendu, mon oncle... je ne serai plus coquette.
Gardez-vous-en bien, chère enfant. Je ne vous ai parlé aujourd’hui que de deux coquetteries: la mauvaise, qui ne sera jamais la vôtre, et l’inoffensive, qui est la vôtre—aujourd’hui inoffensive en effet, demain dangereuse. Il y en a une troisième. Oui, Françoise, il y a la bonne coquetterie, l’utile, la recommandable coquetterie... La preuve en est que le plus fâcheux service à rendre à une femme est de répandre ce bruit: «Elle n’est vraiment pas coquette...» Les hommes (comme dirait votre camarade Lucie), les hommes n’ont aucun goût pour les personnes dont on dit cela: demandez plutôt au joli saint-cyrien, amateur de costumes tailleur.
Il faut éviter cette réputation d’excessive vertu, et pour cela il faut être coquette d’une certaine façon. Peut-être la devinez-vous déjà? je vous la dirai en détail dans ma prochaine lettre... Et, comme les plus graves problèmes contemporains n’effrayent pas notre ingénuité, nous tâcherons, dans la même lettre, de pronostiquer l’avenir de la coquetterie féminine au cours du siècle qui va commencer.
V
J’aiguisais ma plume pour vous écrire, lorsqu’on m’annonça la visite de votre mère, la douce Mme Le Quellien. Il était environ dix heures du matin.
—Mon ami, me dit-elle sitôt qu’elle fut assise en face de moi dans mon cabinet de travail, je veux m’ôter un souci qui, cette nuit, a gâté mon sommeil. N’est-ce pas aujourd’hui que vous avez coutume d’écrire à la petite?
Je répondis qu’en effet, chaque mardi de quinzaine, je m’imposais cet agréable devoir.
—Eh bien! je voudrais, j’aimerais... Mon Dieu!... comment vous dire cela, cher ami, sans vous contrarier?...
Je suppliai Mme Le Quellien de ne point se gêner et de m’avouer tout uniment ce qui la tourmentait.
—Vrai? vous ne serez pas froissé?... C’est que, voyez-vous, je voudrais le moins possible intervenir dans votre correspondance avec Françoise... Seulement, avant-hier, quand j’allai la voir à la pension, je la trouvai si assombrie et si anxieuse en même temps que je dus la confesser... Votre dernière lettre, où vous gourmandiez un peu sa coquetterie, lui avait causé un gros chagrin. «S’il me juge si sévèrement, lui qui me connaît bien, s’écria-t-elle, comment doivent me juger les autres, qui ne voient de moi que les apparences?...» Elle me dit encore que vos critiques l’avaient plongée dans l’incertitude et le désarroi. «Que faire?... Je ne peux pas pourtant choisir les nuances d’étoffes que je trouve ridicules et les formes de chapeaux qui ne me vont pas?... Qu’il les choisisse lui-même avec toi, cela m’est bien égal, au fond! Je croyais que cela vous faisait plaisir à tous les deux, de me voir gentiment mise...»
Ainsi parla Mme Le Quellien. J’étais confondu, navré.
—Chère Françoise, murmurai-je. Si j’avais cru lui faire de la peine, j’aurais jeté ma lettre au feu. Dois-je tout de même lui écrire aujourd’hui?
—Sûrement! Elle attend votre lettre avec une impatience fébrile, parce que, paraît-il, vous lui avez promis d’y indiquer la bonne façon d’être coquette. Écrivez-lui donc, mais, je vous en prie, cette fois du moins, ne soyez pas trop sévère... ne la faites pas pleurer. Elle est si jeune, la pauvre chérie, et vous savez comme son cœur est sain!...
Quand votre mère m’eut quitté, rassurée, emportant la promesse que «je ne vous ferais plus pleurer», je méditai quelque temps sur moi-même et je me maltraitai fort. Ainsi, ma dernière lettre, que je croyais affectueuse, vous avait chagrinée. J’avais prétendu simplement éveiller votre sensibilité, et voilà que je l’avais meurtrie! Hélas! chère enfant, ce n’est pas la première fois que pareille infortune m’échoit, sinon avec vous, du moins avec le public. Quel écrivain n’a pas été stupéfait de l’interprétation excessive donnée à ce qu’il suppose avoir écrit du ton le plus modéré? C’est que, voyez-vous, les indifférents systématiques mis à part, chacun de nous cherche dans ce qu’il lit un aliment pour ses passions politiques, sentimentales ou autres. Et la lecture passionnée de ma récente lettre, qui vous a tant bouleversée, me flatte au fond... Tout de même, «vos beaux yeux ont pleuré»; j’en ai quelque remords. Et, puisque je fus si maladroit que de vous chagriner, je passe la parole—pour rentrer en grâce auprès de vous—au plus doux des prédicateurs: à Fénelon.
Fénelon vous dit,—parlant précisément des jeunes filles:
«Les véritables grâces ne dépendent point d’une parure vaine et affectée; mais on peut chercher la propreté, la proportion et la bienséance dans les habits nécessaires pour couvrir nos corps.»
Sans même en appeler à cette haute autorité, nous concevons aisément qu’il soit expédient à une femme d’être un joli spectacle pour les yeux. Bien plus, il est dangereux qu’elle soit tout à fait indifférente à son propre aspect physique. Ce n’est pas sans raison que le suave conseiller de la duchesse de Beauvilliers inscrit en tête des coquetteries permises le mot de «propreté». La propreté, cette demi-vertu,—ainsi l’appelaient nos aïeules,—devient trop aisément indifférente à qui repousse toute envie de plaire. Or, rien n’est moins séduisant qu’une femme dont on dit: «Elle n’est pas soignée.» Les femmes entre elles le savent bien; aussi est-ce une des accusations qu’elles lancent le plus volontiers et le plus perfidement contre des rivales... C’est faux, très souvent, surtout de nos jours, à Paris, où même la plus humble bourgeoisie française commence à se familiariser avec les habitudes hygiéniques du Nord. Avouons cependant qu’il reste encore à faire, beaucoup à faire en province. Ils sont nombreux, les chefs-lieux d’arrondissement où l’habitant répondrait—comme à un fonctionnaire de mes amis étonné de ne point trouver d’établissement de bains dans sa nouvelle résidence:
«Oh! monsieur le sous-préfet... vous savez... dans notre petite ville, on donne si rarement des bals!...»
... L’observance, sans plus, de la «demi-vertu», serait d’ailleurs une pauvre règle d’économie féminine. Dans la société contemporaine, le rôle de la femme, s’il n’est plus (par bonheur!) uniquement de plaire, est encore de plaire, parmi d’autres devoirs. Des révoltées, des femmes précurseurs peuvent abdiquer dès aujourd’hui cette mission: vous n’avez point, Françoise, un tempérament de révoltée. Soyez consciente du mouvement puissant, indéniable, qui va transformer peu à peu la coquetterie féminine dans le sens que je vous dirai tout à l’heure; mais, née en 1882, demeurez tout simplement une femme de votre époque. Fénelon vous suggère encore un excellent moyen de vivifier votre coquetterie en la réglant: il prononce le mot de proportion. Glosons sur ce mot à la façon des géomètres.
Théorème.—Toute mauvaise coquetterie est une erreur de proportions.
Erreur de proportion, l’extravagance des formes, l’accouplement hurlant des couleurs. Erreur de proportion, l’excès des ornements surajoutés au vêtement essentiel. Erreur de proportion, l’amas ostentatoire des bijoux... Poussons plus avant l’application de notre théorème. Nous dirons encore: erreur de proportion, le luxe de la toilette en désaccord manifeste avec la fortune de celle qui la porte; erreur de proportion, l’obstination d’une femme mûre à se vêtir en jeunesse.
Vous, Françoise, vous avez reçu de la nature un sens heureux de l’harmonie. Vos toilettes sont donc agréables à regarder, parce qu’elles vous encadrent, si l’on peut dire, et vous expliquent. La seule erreur de proportion qui vous pourrait menacer serait de ne point mesurer toujours votre parure à l’effet que vous en souhaitez. Ne pleurez point, cette fois; je suis prêt à proclamer que rien n’est plus charmant ni plus honnête que vous! Promettez-moi seulement, chaque fois que vous choisirez une toilette ou que vous agencerez une parure, de vous adresser cette question: «Qu’est-ce que je me propose en m’ornant ainsi?» Comme vous êtes intelligente et franche, vous vous répondrez la vérité. Si cette réponse est: «Je me propose d’étonner les gens» ou bien: «Je me propose d’être mieux que Louise, Lucie, Jeanne, etc...» ou encore: «Je désire qu’on me croie très riche...» repoussez hardiment la tentation: c’est de la mauvaise coquetterie. Ce sera de la bonne, de la recommandable coquetterie si vous pouvez loyalement vous répondre à vous-même: «Je veux profiter autant que possible de mes avantages naturels pour être un objet agréable à tous les yeux, et surtout aux yeux que j’aime; je veux en outre que mon extérieur renseigne le mieux possible ceux qui me verront sur mon âge, mes goûts, ma condition, afin que, si l’on vient à m’aimer, ce soit moi que l’on aime, et non pas un personnage travesti.» La distinction, n’est-il pas vrai? est aisée à faire. Voilà pour le présent. Regardons vers l’avenir.
Vous êtes née vers la fin du XIXe siècle, chère Françoise, et votre vie de femme fleurira principalement durant le XXe. Il est sage, par conséquent, que vous vous inquiétiez un peu, par avance, de ce que deviendront, au XXe siècle, les mœurs féminines. On peut prévoir qu’elles changeront beaucoup et que la différence sera plus sensible de 1950 à 1900, par exemple, que de 1900 à 1850. Jamais l’esprit de la femme n’a fermenté comme à cette heure. La femme reprend par devers soi le souci de son bonheur, au lieu de le confier à l’homme. Qu’on goûte ou non cette évolution, il est nigaud de la nier: vous n’avez d’ailleurs qu’à évoquer le nom de ceux qui la nient! Quant au sens de cette évolution, point n’est besoin non plus d’être grand clerc pour l’apercevoir. La femme, au cours des prochaines années, tendra de plus en plus à rapprocher sa condition de celle de l’homme. Et les habitudes, les apparences même des deux sexes inclineront de plus en plus à se confondre.
Mme de Maintenon écrivait à Mme de Fontaines: «On m’a dit qu’une des petites (de Saint-Cyr) fut scandalisée au parloir parce que son père avait parlé de sa culotte; c’est un mot en usage, quelle finesse y entendent-elles?...» Je sais de nos jours quelques grandes personnes que la chose, sinon le terme, scandalise, et qui poussent de hauts cris sur la culotte des femmes cyclistes. Soit!... Admettons que l’assimilation des vêtements féminins aux vêtements masculins n’ira jamais jusqu’à troquer la jupe contre la culotte. Ce qui me paraît dès à présent hors de doute, c’est que vous assisterez, jeune Françoise, dans la toilette des femmes, à un changement analogue à celui qu’a subi depuis une centaine d’années la toilette des hommes. Avant la Révolution, le vêtement d’un homme de qualité coûtait plus cher que celui de sa femme. De nos jours, on cite comme une exception certain brillant Parisien qui dépense 20.000 francs l’an chez son tailleur, son bottier et son chemisier. Tous les hommes s’habillent avec une telle uniformité qu’un Huron transporté à Paris ou à Londres ne distinguerait pas le maître du valet. Tel sera certainement, dans un avenir plus ou moins proche, le sort du costume féminin. Du jour où le genre «tailleur», cher à votre amie Lucie et à son frère, s’inaugura parmi les femmes, la révolution a commencé. Un célèbre artiste de la couture, que je consultais à ce propos, déplorait récemment devant moi qu’il n’y eût plus, à proprement parler, de toilette de ville. «On fait des visites comme l’on est, monsieur!» s’écriait-il désespéré. Il m’avoua d’ailleurs que ce «comme l’on est» revenait encore, pris chez lui, à cinquante louis. N’importe, c’est un progrès. Croyez que le temps n’est pas éloigné où l’on abolira du même coup la toilette de courses, la toilette de théâtre, la toilette de soir... ou plutôt, comme pour les hommes, cette toilette deviendra une manière d’uniforme. Il y aura un «complet habit» féminin qui coûtera soixante francs aux Batignolles et cinq cents rue de la Paix; et, la révolution accomplie, vainement on tentera, comme pour le frac des hommes, de retourner en arrière. La raison aura triomphé.
—Alors, mon oncle, dans ce temps-là il n’y aura plus de femme élégante?
—Quelle erreur, Françoise! Vous qui (je m’en suis aperçu) n’êtes pas indifférente à la toilette des hommes, diriez-vous que parmi eux il n’est pas d’élégance? «La propreté, la proportion, la bienséance», dont vous parle Fénelon, ne sont pas exclues par l’uniformité des costumes masculins, déplaisante seulement pour quelques agités. Il en va de la toilette comme du langage. Nous parlons tous avec les mêmes mots; disons-nous tous la même chose? Vienne le temps où, femmes, vous n’aurez comme nous à choisir qu’entre la redingote, la jaquette et le veston, je suis bien assuré de reconnaître entre mille la souple silhouette et l’adroit ajustement de Mlle Françoise Le Quellien.
Préparez-vous à cet avenir, mon enfant, en simplifiant dès maintenant votre vêture, en cherchant l’élégance dans la beauté des tons et l’harmonie des formes plutôt que dans le nombre, la singularité et le prix d’ornements inédits. Et, puisque, ne me fiant pas à ma mémoire pour le citer, j’allai chercher tout à l’heure un Fénelon dans ma bibliothèque, j’y veux prendre encore, pour conclure, cette jolie phrase prophétique où se trouve sans doute dessiné le schéma du futur costume féminin:
«Je voudrais faire voir aux jeunes filles la noble simplicité qui paroît dans les statues et dans les autres figures qui nous restent des femmes grecques et romaines; elles y verroient combien des cheveux noués négligemment par derrière, des draperies pleines et flottantes à longs plis sont agréables et majestueuses...»
VI
Dimanche dernier, chère Françoise, passant sur la place de la Madeleine vers les trois heures après midi, je m’avisai qu’on y devait prêcher, et l’envie me prit d’entendre à mon tour quelques bons propos de morale,—moi que vous accusez ironiquement de tourner, en vieillissant, à l’oncle prêcheur.
L’ample basilique, oserai-je dire, faisait ce jour-là le maximum en matinée, et le moindre siège était pourvu d’un fidèle—ou d’une fidèle. Quelques-uns, quelques-unes sommeillaient. N’en va-t-il pas ainsi dans toute assemblée où parle une seule voix humaine? Ce n’était pas, à coup sûr, la faute de ladite voix, nette et claironnante, ni du sujet, palpitant d’actualité. Imaginez que le prédicateur traitait en chaire, avec une éloquence aisée et abondante, la question du féminisme. Je n’eus pas le loisir d’écouter toute son homélie; mais, durant le quart d’heure que j’y consacrai, je pus constater qu’elle ne recommandait pas l’égalité absolue des sexes, du moins sur la terre. «Le même paradis attendait les âmes libérées du corps, au delà de la vie, que ces âmes fussent féminines ou masculines. Mais, en ce bas monde, il importait que le faible sexe eût des attributions distinctes et ne prétendît pas à des fonctions d’hommes pour lesquelles il n’avait pas d’aptitudes.» D’ailleurs, ajoutait l’ecclésiastique, «ce serait enlever à la fleur sa grâce et son parfum». J’avais déjà entendu cette théorie: j’appris avec intérêt que c’est celle de l’Église, tout au moins de l’église de la Madeleine.
La Madeleine est une paroisse élégante et riche; on y écoute silencieusement le prédicateur. S’il m’était advenu d’ouïr le même discours dans quelqu’une de ces chapelles populaires où le fidèle est admis à discuter avec le conférencier, j’aurais volontiers posé une objection—j’aurais (c’est, vous le savez, le terme consacré pour de telles conférences contradictoires) «fait le voyou»:
«Monsieur l’abbé, aurais-je dit, expliquez-nous comment la femme, incapable d’après vos doctrines, et aussi d’après nos mœurs et nos coutumes actuelles, de remplir convenablement les fonctions directrices attribuées à l’homme, pourquoi cette femme, dis-je, qui ne saurait être utilement médecin, avocat, ingénieur, qui ne peut pas participer à un conseil d’administration,—peut être REINE, avec l’approbation de l’Église, et reine excellente? Dans le catalogue des souverains passés ou présents, les femmes, moins nombreuses, font assurément aussi bonne figure que les hommes. Pour n’en citer qu’une, la reine Victoria me paraît avoir assez heureusement gouverné pendant une soixantaine d’années les destinées de son pays. Cependant, cher abbé antiféministe, vous confesserez bien que l’Angleterre est une lourde affaire à mener, plus lourde qu’une maison de commerce, qu’une assemblée politique, qu’une compagnie de chemin de fer, qu’un ministère?... Alors?...»
Entre nous, Françoise, je crois savoir ce que l’abbé aurait répondu au «voyou». Il aurait répondu qu’il est des grâces d’état, dispensées par la Providence à ceux qui en ont un besoin spécial... La science dit la même chose en d’autres termes lorsqu’elle assure que «la fonction crée l’organe». J’aime fort la doctrine des grâces d’état. L’abbé se doute-t-il qu’elle est merveilleusement féministe? Car, s’il est des grâces d’état pour souveraines, comment admettre que la Providence en refusera d’adéquates aux femmes avocats, aux femmes ingénieurs, aux femmes députés ou ministres? La juger si capricieuse serait bien téméraire... Quant à l’argument de la fleur qui perd son parfum, il est trop poétique pour être sérieux. J’ai toujours observé, au contraire, que l’intelligence et l’activité peuvent seules faire oublier la disgrâce physique chez une femme; en revanche, elles parent d’un attrait singulier une jeune femme jolie, à proportion même de sa jeunesse et de sa beauté. Un exemple charmant nous en fut montré un jour par cette délicieuse reine Wilhelmine de Hollande, de qui toute la France, toute l’Europe, sont unanimement amoureuses, n’en déplaise au blond cuirassier mecklembourgeois qu’elle a choisi comme époux.
Vous-même, Françoise, m’avez confié que «cette petite Wilhelmine vous plaît beaucoup...» Et, presque aussitôt, non sans avoir laissé un instant votre front se plisser méditativement, vous avez ajouté:
—Ça doit être agréable d’être reine à cet âge-là?
—Pourquoi, Françoise?
—Parce qu’on peut faire beaucoup de choses.
Ces «choses» que peut faire une reine de vingt ans, je ne vous ai pas demandé de me les détailler. Peut-être n’en aviez-vous vous-même qu’une entrevision confuse. Mais je vous connais assez pour comprendre que vous enviiez à la fois, à la jeune souveraine des Pays-Bas, et le divertissement d’être maîtresse absolue de ses actes, et le pouvoir d’accomplir des actes très importants, très utiles, très bienfaisants. Avouez que vous vous sentez capable de tels actes et que, même au sortir du sermon de la Madeleine, si l’on était venu vous proposer de gouverner, de votre main délicate, quelques millions d’êtres humains, vous n’auriez pas hésité bien longtemps avant de répondre: «J’y vais!...»
Or, vous avez raison, chère petite. Dussent vos aptitudes n’être qu’égales à celles de la moyenne des gouvernants—pauvre apanage!—vous apporteriez sûrement au gouvernement des hommes ce dont la plupart d’entre eux ont perdu le secret, le culte de la beauté morale, la foi dans la justice, quelque audace dans le bien... Vous apporteriez cela avec votre féminéité, avec votre sexe même. Victor Hugo a écrit là-dessus un vers célèbre, que je ne vous cite pas, parce que vous le savez. Par cela seul qu’elle est femme, une femme rénove la fonction qu’elle prend à un homme. Qu’il est donc malencontreux, le trope métaphorique du prédicateur sur la fleur qui perd son parfum! C’est le contraire qui serait vrai: la fleur apporte son parfum dans le vase inerte et l’assainit. Une reine de vingt ans est montée sur le trône des Pays-Bas: et voici que les froides tulipes de Haarlem sentent bon, soudain, comme des roses.
Réfléchissez qu’un roi du même âge, assis sur le même trône au lieu de cette aimable reine, n’eût probablement pas fait ce qu’elle a fait. Premièrement, il ne l’eût pas voulu. C’eût été, comme tous les souverains masculins du moment (sauf, peut-être, le mystérieux Russe) un utilitariste déterminé. Souverain d’un petit État, il eût niaisement pris comme type idéal Guillaume II ou Joe Chamberlain. L’État maison de commerce, la destinée d’un peuple réglée comme celle d’une entreprise financière, voilà la doctrine qui prévaut aujourd’hui dans les cours. «La garantie des droits de chacun réside dans la force qu’il possède.» Ce fut dit hier à la tribune du Reichstag. Il en résulte que, tant qu’il existe quelqu’un de plus fort que vous, vos droits n’ont pas de garantie. Beauté de la morale monarchique, patronnée par les rois contemporains!...
La reine Wilhelmine, tout simplement parce qu’elle est une jeune femme, guidée par les instincts purs et sincères d’une jeune femme, n’a pas pris pour modèle Guillaume ni Chamberlain. Quand le souverain allemand a refusé de recevoir Krüger, avec le ton d’un gros richard satisfait qui rebute un pauvre pour ne pas dégrafer sa pelisse, elle a senti son cœur se crisper. Elle a senti qu’il fallait à tout prix que Lear errant trouvât au moins asile chez Cordelia. Et, malgré la pression des puissants voisins, elle l’a reçu.
C’est son cœur féminin qui en a décidé ainsi, et j’ajoute—second point digne de remarque:—«C’est parce qu’elle est femme qu’elle a pu mener à bien son généreux propos.» Un prince, à sa place, se fût incliné devant le geste du kaiser: et peut-être, après tout, eût-il dû s’incliner, en vertu de l’axiome cité plus haut «que la garantie des droits de chacun réside dans la force qu’il possède». La Hollande est un petit peuple: ses droits sont donc faiblement garantis... Le geste de Wilhelmine tendant la main au proscrit ne met pas en péril les Pays-Bas; il n’est pas injurieux pour le kaiser, par cela seul que c’est un geste féminin. A ne pas le faire, Wilhelmine eût abdiqué sa qualité de femme. Je suis bien sûr que Lohengrin, souriant sous les crocs de sa moustache, s’est dit comme nous tous: «Elle est adorable, cette petite reine!» Et quand toutes les voix se taisent en Europe, craignant de prononcer un mot trop sympathique à l’infortune, si la voix de cette reine s’élève dans le silence, soyez assuré qu’on la laissera parler, qu’on l’écoutera, parce que c’est une voix féminine. Je ne dis pas qu’elle obtiendra l’objet de sa demande; mais tout de même, s’il n’y avait eu que des rois sur les trônes européens, aucune protestation n’eût surgi contre l’abus de la force!...
Oh! oui, Françoise, vous avez bien raison de penser qu’une reine—plus encore qu’un roi—peut «faire des choses...»!
N’en déplaise au prédicateur de la Madeleine, cette puissance d’accomplir, dans les fonctions d’hommes, ce que les hommes n’y sauraient faire, n’est pas limitée aux fonctions souveraines. Aujourd’hui, l’aptitude des femmes à être médecins, avocats, ingénieurs, n’est guère plus discutée; les hommes n’osent plus trop revendiquer les capacités exclusives. Paul Hervieu me contait un jour qu’Alphonse Daudet, soutenant qu’un romancier peut, à l’occasion, faire de bon théâtre, concluait par cet apophtegme familier: «Tout ça, voyez-vous, mon ami, roman ou théâtre, c’est toujours la même blague...» Gardons-nous, comme l’illustre auteur de l’Arlésienne et du Nabab, de nous prendre trop au sérieux. Confessons au sexe aimable que toutes nos fonctions, professions libérales, métiers industriels, carrières politiques, sont, en somme, toujours la même blague. Sans outrecuidance, les femmes peuvent espérer qu’elles nous y égaleront.
L’objection qui subsiste dans la plupart des esprits se résume dans le facile: «A quoi bon?» A quoi bon des femmes médecins, puisque déjà trop d’hommes sont médecins? Le barreau regorge d’avocats, à quoi bon le grever d’avocates? Dix mille jeunes Français postulent chaque année des places administratives, à quoi bon allonger la queue aux portes des ministères?
L’objection serait péremptoire si une femme, mise à la place d’un homme, y faisait exactement la même chose que cet homme. Mais il n’en va pas ainsi. Une femme fait, si l’on ose dire, «autrement la même chose» qu’un homme. On peut s’en convaincre dans les métiers exercés de tout temps par les deux sexes. Le couturier et la couturière, le chef et la cuisinière, le coiffeur et la coiffeuse ont des partisans adverses. La virtuosité artistique des femmes diffère de celle des hommes. Aucun peintre ne comprendra, n’exprimera jamais la poésie des fleurs comme Madeleine Lemaire; aucun acteur n’eût créé à la façon de Sarah Bernhardt le personnage du duc de Reichstadt. Cette irréductibilité du tempérament féminin et du tempérament masculin, Françoise, seuls des énergumènes la contestent; loin de la nier, les bons esprits y trouvent la raison de souhaiter que, de plus en plus, les deux sexes se partagent l’activité universelle. Beaucoup de femmes échoueront dans leur concurrence avec l’homme, soit. Celles qui n’échoueront pas feront autrement ce qu’un homme eût fait à leur place. A quoi bon Jeanne d’Arc? A mener une campagne où le plus grand capitaine eût brisé inutilement son effort. A quoi bon Wilhelmine, reine des Pays-Bas? A défendre, seule parmi les porteurs de couronne contemporains, les droits de la pitié et de l’humanité—qu’un roi, à sa place, n’aurait pas pu défendre...
Voilà ce que vous devrez répondre, chère Françoise, à celles de vos pimpantes camarades qui disputent avec vous sur ces graves questions durant les récréations à l’institut Berquin. L’autre jour, m’avez-vous dit, la discussion fut ardente sur ce point, à propos de certaine femme avocat qui vient, la première, de prêter serment d’avocate. La plupart des pupilles de la digne Mme Rochette tenaient contre elle; un faible nombre l’approuvait. Vous, Françoise, je crois vous définir assez justement en disant que vous êtes antiféministe pour vous-même et volontiers féministe pour autrui. Que cent autres soient avocates, vous n’y contredirez pas; mais, pour Dieu! comme dit Panurge, vous ne voudriez l’être. Cependant, mignonne amie, réfléchissez que tout le joli sexe ne peut pas s’asseoir sur un trône ni se coiffer d’une couronne. Tout le monde ne peut pas être Wilhelmine. Alors?... Ce désir généreux de faire «des choses», qui vous anime quand vous pensez à l’aimable souveraine des Hollandais, est-il si capricieux que, seule, une chimère puisse l’exciter?... Dans l’ordre de réalités plus prochaines, ne croyez-vous pas qu’une jeune fille comme vous peut, elle aussi, faire «des choses» moins éclatantes que l’acte royal de Wilhelmine,—belles, utiles, glorieuses cependant?...
Méditez là-dessus. Le délicieux Satan de Milton déclare, avec assez d’esprit pour un ange congédié, que notre paradis est partout où nous sommes. Il est non moins vrai et plus ordinairement utile de croire que nous portons notre royaume avec nous.
VII
Il y eut peut-être un temps, Françoise, où les jeunes personnes de votre âge, glissant le 24 décembre leurs souliers dans la cheminée, croyaient d’une foi sincère que le bonhomme Noël ou le petit Jésus, en tournée bienfaisante, y déposeraient nuitamment des cadeaux... Peut-être, aussi, un temps viendrat-il où les demoiselles de dix-huit ans se garderont comme d’une superstition ridicule de mettre leurs bottines dans l’âtre, même s’il est convenu implicitement (c’est votre cas) que leur mère ou leur oncle se chargent de les remplir...
Vous, Françoise, la destinée vous fit naître à une époque intermédiaire. La tradition vous touche encore assez fortement pour que vous aimiez—par sympathie respectueuse—les gestes que vos grand’mères accomplissaient avec ferveur. Votre pensée intime semblerait probablement à ces respectables aïeules bien libre, bien émancipée, et tout de même vous agissez en apparence exactement comme elles. J’estime que vous avez raison. Dans toutes les circonstances où s’exerce souverainement l’arbitre mystérieux de la conscience, une femme, une jeune fille, doit, sans abdiquer l’esprit critique, apporter une bonne grâce tolérante. Il lui sied d’être à la fois curieuse de vérité et amicale aux traditions.
La tradition religieuse, la tradition populaire, s’unissent pour faire de cette dernière semaine de l’année quelque chose à la fois de grave et de gai, une période où l’esprit trouve des minutes pour se divertir et d’autres pour méditer. Soyez sûre que, parmi les plus indépendants, les plus froids d’entre nous, il n’en est pas un qui ne sente passer sur son cœur, pendant cette suprême huitaine, des espoirs et des regrets, des nuages mélancoliques et de chaudes effusions de clarté. On a beau se dire que l’année commence tous les jours, que le calendrier, tel qu’il est, résulte d’une fantaisie combinée de géomètres et de papes: la force des habitudes héréditaires est si impérieuse que, pour tout le monde, entre le 25 et le 31 décembre, le poids du passé se fait plus lourd, tandis que l’avenir s’impose à notre attention plus attrayant, plus inquiétant. C’est comme une halte prolongée entre hier et demain; elle force à réfléchir ceux-là mêmes qui ont le plus coutume de vivre au jour le jour... Cette fois nos réflexions s’aggravent de ce que le siècle finit en même temps que l’année. On va, semble-t-il, vieillir de cent ans. Tout naturellement, de ce dernier palier où nous voilà, on s’arrête pour considérer un plus long bout de la route. Les actifs reporters, habituellement satisfaits quand ils sont venus demander aux écrivains leur opinion sur l’année échue, prétendent en l’occasion nous arracher un jugement «sur le siècle». Et vous-même, Françoise, ne m’avez-vous pas dit que, l’autre jour, à l’institution Berquin, on vous proposa, comme composition de «style», une sorte d’inventaire des conquêtes morales, scientifiques, artistiques, du XIXe siècle?
Je vous ai demandé, à ce propos, de me laisser parcourir votre travail.
—Jamais de la vie, m’avez-vous répondu. D’abord, j’ai déchiré ma copie dès qu’on me l’a rendue. Et puis, je n’avais rien su trouver d’intéressant. J’ai parlé des inventions célèbres; j’ai cité des noms de poètes et de savants, entre autres Victor Hugo et Pasteur. Mais, au fond, je ne me sentais pas de force pour traiter la question.
Vous fûtes en cela modeste, mais avisée. Rien n’est plus malaisé que de juger un temps où l’on a vécu. Même en vous, qui y avez vécu si peu d’années, il a mis trop de ses mœurs pour que vous puissiez l’apprécier de sang-froid. Et moi comme vous, encore que le siècle m’ait ouvert vingt ans plus tôt un crédit sur ses années... Discutons donc comme il nous plaira le bilan du siècle; mais sachons que nos conclusions seront certainement bouleversées par les philosophes de demain. Offrons-leur nos idées là-dessus comme un document sur l’opinion contemporaine, et rien de plus.
A ce point de vue, je regrette l’accès de mauvaise humeur qui vous fit détruire votre composition de style. Si le hasard y avait mis quelque complaisance, on pouvait espérer que, vers l’an 2000, un érudit, dénichant ce précieux inventaire, l’eût publié comme un témoignage de l’état d’esprit féminin vers la fin de 1900. Plus curieux encore eût été le document si votre maîtresse de «style» eût posé la question de façon moins vague, de façon à vous permettre d’exprimer directement votre tempérament et votre esprit.
A sa place, j’aurais dicté le sujet ainsi:
«Une jeune fille achevant ses études au cours de l’année scolaire 1900-1901 examine ce que le siècle finissant lui laisse d’idées nettes, de souvenirs historiques précieux, de sentiments dominants; et elle cherche à prévoir comment elle utilisera au siècle suivant un tel héritage.»
Vous eussiez traité la question, j’en suis sûr, avec beaucoup d’agrément. Et, comme je vous connais assez bien, je devine à peu près ce que vous auriez dit... Vous hochez la tête? Vous me mettez au défi de faire votre composition? Je tiens la gageure. Un instant je vais m’imaginer que je suis Françoise Le Quellien, assise devant son pupitre noir, tout au fond de cette classe aux murs vert d’eau que vous m’avez montrée furtivement, l’an dernier, après la distribution des prix... Quand je vous reverrai, vous me direz si vous eussiez consenti à signer cette copie.
INSTITUTION BERQUIN
Composition de Mlle Françoise Le Quellien
«Les idées nettes que lègue le XIXe siècle à mon esprit?... Grave problème. Il me semble que beaucoup d’idées ensemble meublent ma tête, et que ces idées ne devaient pas être toutes, ni dans le même ordre, logées en une tête de jeune fille, il y a cent ans. Mais ces idées nombreuses manquent de netteté et d’harmonie. En matière religieuse, j’ai encore de la piété; mais j’ai le goût de la discussion. En politique (c’est un peu ridicule à dire quand on n’a pas dix-neuf ans), je suis d’avance sceptique et dégoûtée. Le faible écho qui m’arrive des discussions parlementaires me semble confus et discordant, et je vois avec surprise des gens d’apparence raisonnable se haïr parce qu’ils ne s’entendent pas sur la valeur du ministère. Restent les grands principes généraux de morale et d’humanité, dont il fut beaucoup parlé, assure l’histoire, à plusieurs reprises dans le courant du siècle. Ce goût de la pitié pour les humbles que je sens en moi très impérieux, peut-être en effet est-ce un legs dont je suis redevable au siècle où je suis née. Seulement, aujourd’hui que je commence à m’informer des événements accomplis sur la surface du globe, je suis frappée du démenti que les faits donnent aux idées, et cela m’irrite contre mon temps. Les rois et les peuples mêmes me semblent animés d’un esprit d’égoïsme sauvage tellement contraire et aux appétits de mon cœur et à ce qu’on m’enseigna comme principe de civilisation! Ma bonne foi, mon désir ingénu du bien, sont déroutés.
«Exemple: il y a deux ans, les mandataires de tous les peuples se réunissent à la Haye: ils préconisent la paix et l’arbitrage, ils signent une convention par laquelle le pillage est interdit. Deux ans plus tard, deux guerres impitoyables mobilisent un demi-million d’êtres humains, deux guerres aussi atroces qu’il en fut jamais. L’un des belligérants demande l’arbitrage. Les puissances se gardent bien de l’aider à l’obtenir; elles font la sourde oreille et conversent d’autre chose. En revanche, elles s’unissent, d’un accord bien plus parfait que celui de la Haye, pour piller en famille les particuliers de la Chine... Comprend-on le désarroi où de tels événements jettent l’ingénuité de mes dix-huit ans?
«Autre legs du siècle, me dit-on: les conquêtes de la science. Je les vois de mes yeux: chemin de fer, télégraphe, téléphone, éclairage électrique, becs incandescents, automobiles, découvertes pastoriennes, critique historique... J’ai, de ce progrès universel, une notion assez claire. Mais puis-je ignorer que des esprits considérables proclament, au bout de tant d’efforts, la banqueroute de la science? Il paraît que le merveilleux instrument de conquête légué par le XVIIIe siècle à son successeur s’est faussé à l’usage. On comprendra qu’il n’appartienne pas à une petite demoiselle de dix-huit ans de prononcer la sentence et de dire qui a raison, des «scientistes» ou des «antiscientistes». Mais on accordera en même temps que je ne doive accepter que sous le bénéfice d’un inventaire minutieux un héritage aussi décrié...
«Il y a encore un héritage artistique, littéraire, etc... Je n’ai pas de compétence pour l’estimer par moi-même. Si je m’en rapporte aux critiques, je suis fort en peine. Une anarchie intellectuelle absolue me paraît être leur régime. Ils jugent beaucoup d’après leurs amitiés personnelles et leurs passions politiques: la preuve, c’est que je sais d’avance comment tel critique appréciera l’œuvre nouvelle de tel écrivain. Eux-mêmes se lamentent entre eux sur la décadence de la critique et son absence totale d’influence. Aussi n’aperçoit-on plus ces «grands courants» de la littérature et de l’art, signalés (soyons érudite!) par Georges Brandès... Donc, je ne demanderais pas mieux que de me passionner, comme au temps du romantisme, du naturalisme, du wagnérisme... Mais pourquoi se passionner? J’ai des sympathies pour telle ou telle œuvre, pour tel ou tel artiste; mais je n’ai, en conscience, aucune doctrine artistique. En cette manière, le siècle ne me lègue rien du tout. C’est des jours à venir que j’espère l’enthousiasme.
«Quant aux grands souvenirs historiques, ils m’inspirent, malgré mon âme tendre, une défiance extrême. Ce n’est pas que je sois défiante par nature; mais on a détruit une à une toutes mes croyances. D’abord, en bloc et en détail, on m’assure que la Révolution a fait faillite. C’est-à-dire que la base même du siècle s’écroule. D’autre part, tous les principes idéalistes, qui semblaient constituer l’essence même de l’esprit du XIXe siècle, sont officiellement honnis aujourd’hui... Il faut réviser les jugements portés par l’historien depuis cent ans. Les faits et les principes sont également discutés. Déclaration des droits de l’homme: niaiseries. Volontaires de 92: légende. Napoléon Ier: une résultante. Mouvement social de 48: clownerie. Principe des nationalités: aberration d’un maniaque. La France champion du droit: criminelle duperie. Le siècle était parti dans un mouvement de fraternité, de justice; il s’achève dans l’apothéose de l’argent et de la force. La plus grande nation est celle qui gagne le plus d’argent et qui peut commettre impunément le plus d’iniquités. Voilà la morale de 1900.
«En somme, de quelque côté que je regarde, je ne vois que des faillites. Sur toute la ligne, le XIXe siècle liquide avec perte. Dieu me garde d’accueillir un si dangereux héritage!—Va-t’en achever ta liquidation dans la fosse commune du passé, vieux siècle qui n’as tenu aucun des engagements de ta jeunesse! Merci pour les dix-huit années de vie que tu m’as données: mais je suis bien aise d’offrir les suivantes à des temps nouveaux...
«... J’écris cela... et il me semble que le pauvre vieux siècle agonisant me répond d’un ton de reproche: «Tu es injuste. Je meurs en pleine faillite, c’est vrai, et j’ai une laide agonie; mais toi seule, jeune fille, devrais t’interdire de m’accuser. Car, au milieu de ma triste vieillesse, j’ai pensé à toi, je t’ai aimée. Ce qui me restait de goût et de force pour l’idéal, je te l’ai consacré. Si tu es demain plus libre, plus respectée, plus utile, ce sera grâce à l’héritage que je te laisse, car, durant les dix-huit années que je t’ai données, tu as pris de ta force, de tes droits, de ton avenir, une conscience que n’avaient pas tes aînées. Porte donc dans le siècle nouveau la vigueur d’espoir, le désir du bien, la foi en la justice que les hommes de ce temps ont perdus. Tu représentes la seule énergie ascensionnelle qui subsiste, tendue vers l’idéal. N’est-ce pas un grand rôle?»
Peut-être bien, chère Françoise, si vous aviez remis cette composition à Mme Rochette, vous eût-on classée la dernière, ou accusée de mauvais esprit. Mais je suis bien certain que vous eussiez exprimé l’intime pensée de votre cœur, qui est aussi ma pensée intime. Oui, dans le dégoût et le désordre de tout, le seul mouvement généreux, fécond, c’est celui qui porte la femme de notre temps vers une collaboration avec l’homme, plus efficace, plus libre, plus égale. En vous empruntant vos énergies,—jeunes filles, jeunes femmes,—peut-être l’humanité se sauvera-t-elle de la banqueroute définitive...
Prenez au sérieux votre mission de demain, ironique Françoise; méditez-la pendant la halte séculaire de cette dernière semaine. «Vous êtes le sel de la terre, comme disait le divin enfant de Noël. Si le sel perd sa saveur, par quoi le remplacer?»
VIII
Il vous souvient, chère Françoise, que vendredi dernier je fus chargé par vous d’une mission de confiance, dont je ne m’acquittai pas sans fierté. Mme Le Quellien, qui a la gorge délicate, vous avait paru un peu souffrante lors de votre récente sortie. Depuis, le médecin lui interdisait de quitter la chambre par les jours assez froids que nous traversons, et vous n’accordiez pas une foi absolue aux lettres rassurantes qu’elle vous écrivait. Un petit bleu signé de vos initiales me pria donc d’aller m’enquérir de visu de l’état réel de Mme Le Quellien et de vous en apporter le jour même un fidèle bulletin au parloir de votre pension, où je serais, par faveur spéciale, admis à vous voir pendant la récréation méridienne.
Il vous souvient aussi que j’eus seulement avec vous un très court entretien. A peine arriviez-vous au parloir que sonna la fin de la récréation. Ma commission, heureusement, ne fut pas longue à faire; je vous rassurai en deux mots, je vous embrassai paternellement sur le front; comblé de vos gentils remerciements, je vous vis, avec trois de vos compagnes appelées aussi au parloir à titre exceptionnel, vous éloigner bien vite et regagner les bâtiments de l’école.
Je n’eus donc pas le temps de vous raconter que je vous avais attendue bien près d’une demi-heure. Sans doute, l’on vous avait mal cherchée, ou bien la préposée au parloir avait requis des autorisations supplémentaires pour vous convoquer ainsi un vendredi, hors des circonstances officielles... Ne me plaignez pas. Assurément, j’aurais préféré jouir plus longtemps de votre compagnie, mais, en vous attendant, je ne m’ennuyai guère. J’aime fort le parloir de l’institut Berquin, agréablement isolé des bâtiments principaux, installé en plein parc dans un vieux petit hôtel daté de 1840, sage caprice de quelque bourgeois de jadis. On dut l’acheter tout meublé quand on l’annexa à l’institution, car les fauteuils et les chaises d’acajou plaqué, décorés de reps à bande de tapisserie faite à la main, le piano, boîte rectangulaire posée sur deux X, avec la pédale montée sur une lyre, et les prétentieuses gravures appendues aux murailles, composent un style parfaitement harmonieux... De l’un ou de l’autre des deux salons du rez-de-chaussée, la vue est agréable, soit qu’on découvre le jardinet bien entretenu de l’entrée ou le bosquet du fond, un peu sombre et humide, grâce à une trentaine de vieux arbres tels qu’il n’en reste plus beaucoup à Paris.
Chaque fois qu’il m’arrive de vous attendre en ce lieu discret, je parcours les tableaux d’honneur qui y sont affichés; les noms qu’ils exposent me sont aujourd’hui familiers. J’applaudis aux succès de Mlle Louise Leleu, major incontestable de la classe nacarat-uni. Dans la classe verte, Fernande du Saussoy défend énergiquement le premier rang en histoire. Quant à Françoise Le Quellien, elle tient une place enviable dans les mentions de la classe supérieure, préparatoire aux examens: mon orgueil d’oncle s’en émeut. Que si d’aventure l’attente se prolonge, il ne tient qu’à moi d’ouvrir un des trois volumes, toujours les mêmes, déposés sur le guéridon, et de m’y rafraîchir la mémoire touchant l’histoire du Canada français, consignée en fort bon langage par un certain M. Bonafoux, vraiment trop peu connu pour son mérite.
Il y avait dix minutes environ qu’assis dans le parloir du fond je relisais ainsi les derniers moments de M. de Montcalm, quand des pas vifs montèrent l’escalier du perron, puis un bruissement de soie égaya le silence de la pièce d’entrée. Sans me déranger de mon refuge, je vis, reflétée dans une glace d’angle, la gracieuse silhouette d’une jeune femme vêtue avec une élégance recherchée, et dont le profil perdu me parut agréable. Elle ne m’aperçut pas, ne pénétra même pas jusqu’à la salle où je me trouvais, distraite aussitôt par trois autres silhouettes qui apparurent dans le parloir d’entrée, silhouettes de pensionnaires, celles-ci, que mes yeux connaissaient déjà. Des prénoms furent prononcés avec des rires, de petits cris, des baisers, des exclamations de surprise et de tendresse. «Yvonne!... Juliette!... Suzanne!... Madeleine!...» Durant cinq bonnes minutes, les trois pensionnaires et l’élégante visiteuse parlèrent et rirent tout à la fois, et toutes à la fois, ce qui est un privilège charmant de la conversation féminine.
Quand ce premier feu s’apaisa, la visiteuse—Yvonne—donna des renseignements volubiles sur sa situation présente, qui ne semblait pas lui déplaire. Je compris—car j’entendais tout sans avoir besoin d’écouter—qu’elle avait quitté quelques mois auparavant l’institut Berquin pour se marier, qu’elle avait fait un voyage de noces «oh! merveilleux, mes chéries!...» en Espagne, qu’elle rentrait tout justement à Paris et s’installait, en ce moment même, dans un appartement ultra-moderne de l’avenue Malakoff. Les mots «mon mari» revenaient à chaque seconde dans sa pétulante conversation, mais presque toujours comme régime de phrases inaugurées par le pronom: je... «J’ai dit à mon mari... J’ai envoyé mon mari... J’ai demandé à mon mari... Je ne permettrais pas à mon mari...» etc... En sorte que ce personnage absent m’apparut sous la figure d’un modeste et docile complément, soucieux à bon droit de son accord avec le sujet.
—Au fond, il est très gentil, conclut la jeune femme. Pas très, très fort... d’ailleurs, j’aime mieux ça. Il ne me fallait pas un mari trop intelligent. Il m’adore et fait tout ce que je veux.
—C’est l’idéal, dit Juliette.
—Tu en as eu, une veine! soupira Suzanne.
—Avec cela, il est très bien de sa personne, insinua Madeleine.
—Oh! très bien, corrigea Yvonne, c’est trop dire. Il n’est pas mal, surtout depuis que je l’habille. Mais ce n’est pas absolument mon type. Il lui manque deux centimètres et il a une tendance à engraisser: j’ai horreur de ça. Aussi je lui interdis de boire à ses repas... Mais, au fait, à propos de jolis garçons, le délicieux Maxime vient-il toujours au parloir?
A peine ces mots: «le délicieux Maxime» furent-ils prononcés que le tumulte des quatre voix recommença. Le délicieux Maxime passionnait tout le monde... Oui, il venait presque chaque dimanche rendre visite à sa sœur, Lucie Despeyroux. Et, pour le voir, ces demoiselles, principalement celles des deux classes supérieures, employaient mille ruses. Celles qu’on n’appelait point au parloir trouvaient moyen d’y venir sous prétexte de transmettre quelque commission. Les plus hardies se risquaient à parler à Lucie, afin d’approcher plus près de Maxime. Hélène Cantemerle avait composé pour lui une pièce de vers: on ne croyait pas, toutefois, qu’elle la lui eût envoyée.
—Enfin, vous êtes toutes amoureuses de lui, conclut Yvonne en riant,—comme de mon temps!... Moi aussi, j’ai eu pour lui ma petite toquade. Mais cela m’a passé.
—Tu pourrais le revoir sans émotion? dit Suzanne.
—Mais oui... Je suis une vieille femme mariée, maintenant. C’est bon pour vous, petites perruches, de vous surexciter comme cela en cage.
Cette réflexion d’Yvonne me parut très juste. J’étais en train d’en faire d’analogues, à part moi.
«Certes, me disais-je, tout ce que viennent de dire librement ces jeunes filles, qui ne se savent pas entendues, est absolument innocent et prouve même, par l’impétuosité naïve des propos, leur foncière innocence. Tout de même, trois petites jeunes filles anglaises ou américaines ne parleraient pas ainsi. Elles analyseraient plus froidement les mérites du joli Maxime Despeyroux et le considéreraient au point de vue exclusif des chances matrimoniales qu’il leur offrirait. Il ne deviendrait pas pour elles une sorte de personnage mythique, un Lohengrin ou un Amadis. Les cœurs ne se consumeraient pas d’une flamme si romanesque dans le silence des dortoirs et des études... Dieu!... que cette éducation claustrale, à l’écart du monde, isolée soigneusement de tout rapport avec les jeunes gens, échauffe l’imagination et trouble le cœur des pauvres petites demoiselles! Si, depuis leur enfance, les trois que voilà jouaient aux barres ou faisaient de la bicyclette avec divers saint-cyriens ou aspirants de Saint-Cyr, comme avec des frères ou des cousins, elles regarderaient Maxime Despeyroux d’un œil plus tranquille...»
J’interrompis mes réflexions. Yvonne disait, répondant à de pressantes questions:
—Oui... on me fait pas mal la cour... Mais vous savez, mes mignonnes, à Paris les très jeunes femmes n’ont pas beaucoup de courtisans. Et puis, moi, je suis sérieuse!
«Hum! pensai-je... Voilà qui va bien, et le mari-complément a de la chance de posséder une si grave moitié!... N’importe! celle-ci me paraît bien brusquement promue à l’état d’épouse et bientôt, sans doute, de mère de famille, car il lui reste, à l’évidence, dans le cerveau, pas mal des fumées qui obscurcissent l’entendement des trois petites pensionnaires... Dire que celles-ci aussi seront peut-être des épouses dans un an, des mères dans deux ans!... L’amour, la liberté, le devoir, l’ordre, l’autorité, il faudra qu’elles apprennent tout cela d’un coup, pauvres gamines!... Décidément, l’éducation claustrale, préludant au mariage impromptu, est tout ce qu’il y a de plus absurde... N’est-ce pas désolant que personne, à ces fillettes tourmentées par leur imagination, ne soit ici désigné pour leur parler précisément de ce qui les attend demain, pour leur donner d’avance un peu de sérénité et de discernement dans la lutte avec l’autre sexe, pour les préparer, en un mot, à être des femmes?... Mais non, ce rôle ne tente personne. Toutes les dignes maîtresses qui président à l’enseignement des deux cents élèves de Berquin ignorent que la moitié de l’école est toquée d’un uniforme.»
J’en étais là, chère Françoise, et de nouveau je prêtais l’oreille au bavardage de mes quatre voisines, quand vous parûtes à votre tour dans le parloir d’entrée. On vous fit fête. La fringante Yvonne vous demanda:
—Et toi, Françoise, es-tu toquée aussi de Maxime Despeyroux?
Je vous vis, dans la glace, rouge jusqu’au front, ce qui est bien naturel après une question aussi saugrenue. Mais votre réponse fut parfaite.
—Oh! dites-vous... Je suis tellement liée avec Lucie, vous savez!... Pour moi, Maxime est comme une sorte de parent.
—Oui, ma chère, appuya Suzanne avec véhémence.—A-t-elle de la chance, cette Françoise. Elle voit Maxime de près... Elle va chez lui... Elle lui parle!...
—Et elle n’en perd pas la raison!... s’écria Juliette.
—Tiens, tu n’as pas de cœur, résuma Yvonne.
—Excusez-moi, fîtes-vous en souriant... Mon oncle est là qui m’attend.
Là-dessus, lestement, vous prîtes congé du petit groupe, qui se mit à chuchoter, assez penaud d’apprendre que l’entretien avait eu un témoin, indiscret par profession.
Chère Françoise, vous ne sauriez croire combien il m’a plu de ne pas vous entendre divaguer sur le compte du joli saint-cyrien, de concert avec vos quatre toquées d’amies. Elles disent que vous n’avez pas de cœur: moi, je n’en crois rien. Seulement, ce cœur innocent n’a encore battu pour personne. Mais, le jour où il battra, j’espère bien que le secret de cette grave chose sera gardé par vous soigneusement, confié à des conseillers rares et fidèles,—et non dispersé, divulgué au hasard, comme les toquades des trois petites perruches de Berquin et de l’inquiétante Yvonne.
IX
Je vous ai promis, Françoise, ma jolie nièce, quelque chose de plus précis, sur le système idéal d’enseignement, que les prudentes généralités où se cantonnent d’habitude les détracteurs des systèmes en usage. Il ne suffit pas de clamer à tout bout de champ: «Dieu! que ces programmes sont mal faits! que de peine perdue! que de temps gaspillé!» Il ne suffit même pas de donner les raisons de son dégoût: il importe de proposer un régime nouveau et de prouver qu’il serait préférable. Or, les ministres succèdent aux ministres, les commissions se renouvellent: rien de sensiblement meilleur n’apparaît dans l’art d’enseigner les jeunes gens—garçons ou filles. Comme les ministres ne sont pas des sots ni les commissions des paresseuses, il faut croire que le cas est incommode.
—Mais alors, mon oncle, puisque vous prétendez m’offrir un système excellent, définitif, vous vous jugez plus fort, à vous tout seul, que les ministres et les commissions?
—Non, ma nièce. Je sens et je déplore mon infirmité. Ma seule supériorité, pour résoudre ce problème, consiste précisément à n’être point ministre et à ne faire partie d’aucune commission.
Autre chose est d’élaborer un plan d’études, parmi les soucis de la politique, dans un bureau officiel où l’on est à chaque instant dérangé par un huissier, par un chef de cabinet, par des membres du Parlement, par ses collègues,—autre chose est d’être assis, comme je le suis en ce moment, chez soi, dans une maison dont on paye le loyer et dont nul revirement politique ne peut vous expulser, à une table sur laquelle, il est vrai, ni Duruy ni Cousin n’écrivirent, mais qui vous appartient en propre et n’appartiendra à d’autres qu’après votre mort. Autre chose surtout est de tenir sa porte rigoureusement consignée aux importuns, de goûter l’indépendance sereine d’un meunier de Sans-Souci...
Tel est mon cas, Françoise. Je médite, j’écris pour vous en un plein repos, comme dit Pascal. Devant moi, les arbres, les petits massifs de mon jardin, me masquent Paris: j’aperçois seulement les deux tourelles du Trocadéro, lesquelles, ainsi vues de profil, dans la buée du matin, font vaguement songer à une double image de la Torre del Mangia, de Sienne... A portée de mes mains, nul dossier indigeste, nul texte menaçant d’interpellation, nul rapport de bureaucrate à parcourir; mais bien le Corpus Poetarum, édition de Francfort, 1621,—le troisième volume des œuvres morales de Plutarque, traduites en français par Bétolaud,—des vers d’Henri de Régnier, le dernier numéro de la Revue de Paris... Comprenez-vous, chère enfant, que l’esprit, en de telles conditions, s’exerce plus librement à la méditation pure, à l’élégance des solutions?
Profitons de cette paix, de cette sécurité, de la légèreté de l’air et de la clémence du ciel pour étudier ce grave sujet: l’enseignement secondaire des jeunes filles.
L’enseignement secondaire des jeunes filles! Quelle association barbare de deux mots charmants avec deux vocables pédantesques! Il me semble entendre Baron ou Coquelin Cadet vous demander avec leur voix de comiques: «Mademoiselle, que pensez-vous de l’enseignement secondaire?» Vous leur ririez au nez en disant: «Je m’en moque...» Prenez garde, cependant, Françoise, ma nièce. L’enseignement secondaire vous touche directement, puisque vous «en faites» en ce moment, aussi inconsciemment peut-être que M. Jourdain faisait de la prose. Et toutes les têtes de votre âge, blondes, châtain, rousses ou brunes, qui se penchent comme la vôtre, à l’heure qu’il est, sur les pupitres de l’institut Berquin, «font» de l’enseignement secondaire. Souffrez donc que je vous explique ces deux mots pesants et, par la même occasion, quelques autres du même poids.
Vous n’eûtes pas encore le temps, Françoise, de vous occuper à planter des arbres. Moi qui suis un vieux campagnard, j’en ai planté pas mal dans ma vie, notamment des pêchers, ayant un faible pour les pêches. Or, quiconque n’a jamais eu, comme vous, de rapport avec des pêches que pour les manger n’imagine pas le soin qu’on doit prendre d’un pêcher pour le décider à porter des pêches mangeables.
D’abord il faut greffer le sauvageon de la pépinière, c’est-à-dire incorporer à une plante qui naturellement ne produirait jamais aucun fruit viable l’aptitude à en produire. Quelquefois la greffe réussit; souvent elle avorte: dans ce dernier cas le sauvageon restera sauvageon toute sa vie.
Ensuite il faut ôter le pêcher greffé de sa pépinière, le transplanter dans l’endroit où il devra vivre, grandir, fructifier avec le temps. Il ressemble alors à un simple bâton portant à un bout trois ou quatre ramilles de la longueur d’un doigt, et à l’autre quelques filaments de racines. N’allez pas croire qu’on se contente de ficher ce bâton en terre et de lui dire: «Pousse, maintenant; débrouille-toi!» Il faut d’abord creuser un large trou, très large, très profond, le plus large et le plus profond possible, et remplir ce trou, destiné à recevoir les racines de l’arbrisseau, d’une terre composée à dessein, particulièrement légère, nourrissante, assimilable: car les radicelles du pêcher sont trop faibles et trop inexpérimentées encore pour extraire spontanément leur nourriture d’un sol quelconque. Ce n’est pas tout. Il faut, à côté de la tige du jeune arbre, planter une forte perche pour la soutenir, pour la forcer à monter en ligne droite; comme on a imposé à l’arbre ses aliments, on lui impose sa route aérienne. Ce n’est pas tout encore. Quand, au cours des saisons, le pêcher adolescent allongera ses rameaux, débourrera ses feuilles, s’ornera même de quelques fleurs, n’imaginez pas qu’on le laissera vaquer à ces fantaisies décoratives. On lui coupera bon nombre de rameaux, rognant impitoyablement ceux qui ne concourent pas à l’harmonie de l’arbuste. Que dis-je? On aura le triste et nécessaire courage de lui arracher ses fleurs, presque toutes, car elles useraient inutilement la sève et ne donneraient pas de fruits dignes de ce nom... Et ce traitement barbare se prolongera jusqu’à ce que l’arbre soit considéré comme formé.
Alors seulement on le débarrassera de son tuteur: le tronc, déjà fort, continuera tout seul à pousser droit. Déjà les racines, peu à peu développées, atteignent les limites de la niche souterraine qu’on leur avait préparée; elles vont pénétrer dans une terre grasse ou maigre, sable, argile, humus, cailloux même. N’importe: elles sont assez robustes désormais, assez intelligentes et assez volontaires pour choisir leur nourriture, pour tourner les obstacles. Au besoin, elles sont assez patientes pour fendre lentement les pierres. De même on laissera les fleurs s’épanouir librement et librement se transformer en fruits. L’arbre adulte suffit maintenant au labeur de sa fructification. Le jardinier n’a plus qu’à l’émonder en hiver, à le fumer au printemps, à l’arroser en été et à faire, dans la saison, la récolte des pêches.
Eh bien! Françoise, les trois états que je viens de vous décrire ressemblent, à peu de chose près, aux trois périodes de la formation complète, lorsqu’il s’agit non plus d’un pêcher, mais d’un élève.
Le temps de pépinière, où l’on greffe le sauvageon, c’est l’enseignement primaire;—la délicate période qui suit la transplantation correspond à l’enseignement secondaire;—l’enseignement supérieur, c’est la troisième période, où l’arbre adulte commence à respirer, à croître, à fleurir et à donner des fruits sous le regard encore vigilant du jardinier.
Votre clair esprit a tout de suite deviné que la période la plus délicate de la culture, pour l’élève comme pour le pêcher, c’est la période secondaire. Alors, en effet, le sujet commence à manifester son impulsion propre vers la croissance, vers la vie, et cependant cette impulsion ne suffirait pas à assurer la croissance et la vie. La période secondaire est donc toujours une période d’éducation, de ferme tutelle. Mais cette tutelle éducatrice serait mortelle au sujet si elle aboutissait à contrarier la loi de son développement naturel, à le surmener ou à le rabougrir.
Faut-il donc s’étonner que, des trois enseignements, le secondaire soit celui qu’on essaie de réformer le plus souvent et qui laisse encore aujourd’hui, chez nous comme ailleurs, le plus à désirer?
Si cela peut vous intéresser, Françoise, je vous dirai en passant que nous avons en France un fort bon enseignement supérieur. Quant à l’enseignement primaire, il a fait de tels progrès depuis une trentaine d’années qu’il est aujourd’hui à peu près excellent. Dans un village près duquel j’habite quelques mois au printemps et à l’automne, il m’arrive parfois de passer un moment à l’école primaire, où le maître veut bien m’admettre. Filles et garçons y consomment en commun la manne scolaire. Eh bien! je suis émerveillé de l’ingénieuse façon dont on enseigne à ces petits, à ces petites, la lecture, l’écriture, le calcul, la géographie. On était, de mon temps, loin de ce sens pratique, de cet ordre intelligent. L’homme qui, apprenant à lire aux enfants, inventa de leur faire appeler R, «re», F, «fe», Q, «que», me paraît avoir possédé une sorte de génie... Et cet autre aussi qui imagina de commencer l’enseignement de la géographie en traçant à la craie, sur le tableau, le plan de la classe, avec les bancs, la chaire et la bibliothèque, puis autour de ce plan celui de la maison d’école, puis celui de la placette, des rues du village, de la commune... Si je pouvais découvrir le nom de ces deux initiateurs, je tâcherais qu’on leur élevât aussitôt deux statues...
La réforme de l’enseignement primaire a été accomplie, sans fracas et sans heurt, en quelques années, après la terrible guerre de 1870. C’est que nos paysans n’ont pas, comme les bourgeois, des idées personnelles—et quelles idées!—sur la façon d’enseigner leur progéniture. On disposa d’une «matière scolaire» malléable. On put, sans que nul protestât, inaugurer des méthodes nouvelles, non seulement de didactique, mais de pédagogie. C’est ainsi—peu de gens le savent—que, dans le tiers des écoles communales de France, la coéducation des deux sexes s’est acclimatée sans le moindre inconvénient.
Par l’esprit des parents, retenez cela, Françoise, doit commencer la réforme de l’enseignement secondaire: c’est le seul enseignement où les parents prétendent intervenir. L’élémentaire ne les intéresse pas, et le supérieur excède trop évidemment leur compétence.
Aussi est-ce à Françoise bientôt émancipée, bientôt mariée, et dans quelques années mère d’une charmante petite Françoise II, que ma présente lettre s’adresse. Si cette lettre vous ennuie aujourd’hui, ou si vous n’y découvrez point de profit direct, mettez-la de côté, conservez-la pour la relire au temps utile,—quand Françoise II aura fait sa dentition seconde.
Nous supposerons, chère Françoise, le jeune objet de l’enseignement secondaire en possession—à dix ans—de toutes les connaissances que nos pères résumaient en ces termes: lire, écrire et compter. Avec quelques notions sur la figure de la terre, la place et le nom des grands pays, les divisions générales de l’histoire, nous aurons un enseignement primaire très suffisant. Et encore, à tout prendre, j’accepterais une élève qui ne saurait rigoureusement que lire, écrire et compter... Quelques mères se récrient:
—Quoi! à dix ans, une fillette ne saurait que lire, écrire et compter?... La mienne, monsieur, n’a pas neuf ans et demi, et déjà elle commence le latin; déjà elle fait des «styles».
Fort bien, madame. Moi, je m’en tiens à mon programme, en y ajoutant, pour utiliser la mémoire et le souple gosier de l’enfance, la pratique usuelle, sans grammaire, d’une langue étrangère (l’anglais est décidément indispensable) et les éléments du solfège. Sachant ainsi couramment lire, écrire et compter, jabotant l’anglais usuel, connaissant ses notes de musique, notre petite demoiselle arrive devant le maître et lui offre sept années de sa vie. Qu’allons-nous lui apprendre durant ces sept ans?
Rappelons-nous nos principes de bon jardinier. L’enseignement secondaire est une éducation, une tutelle. La petite Françoise II, qui sait lire, écrire et compter, a appris tout cela beaucoup plus par la mémoire que par le raisonnement. La petite Françoise II ne sait pas encore, en somme, ce que c’est que de travailler et d’apprendre. Ce qu’elle sait, on le lui a patiemment inculqué en le lui répétant à satiété; on l’a greffé sur le sauvageon. Elle va se développer maintenant d’un essor personnel; mais, si ce développement n’était surveillé, guidé, accéléré ou ralenti à chaque heure, il risquerait d’aboutir à la stérilité ou à l’épuisement... Heures du travail, objet du travail, tout cela devra donc être préparé et fixé par le maître: la contribution de Françoise II, c’est l’effort de comprendre et d’apprendre. Et non seulement l’enseignement secondaire doit être ainsi initiateur et tutélaire, il doit être au besoin restrictif. Quand le jardinier diligent arrache les fleurs du petit pêcher, le citadin qui passe crie à l’attentat. Laissons crier le citadin qui passe, et persistons, durant les années où la plante se forme, à guider la nature, laquelle ne consent à produire des fruits savoureux que sous la contrainte de l’homme.
Or, une des plus fâcheuses tendances modernes, c’est d’appliquer à l’enseignement secondaire la méthode qui convient au seul enseignement supérieur. On dit aux petits pêchers, tout juste sortis de la pépinière et replantés en pleine terre: «Maintenant, tirez-vous d’affaire!» Et sans doute quelques-uns s’en tirent; mais, il faut bien l’avouer, beaucoup ne donnent que des fruits misérables, ou pas de fruit du tout. L’avortement de l’enseignement secondaire en France n’est guère contesté par personne.
Nous nous garderons soigneusement de compromettre l’instruction de Françoise II par une telle erreur pédagogique. De dix à dix-sept ans, nous ne nous lasserons pas de guider, de protéger son effort. C’est le temps de la formation de l’esprit: l’esprit, en ces précieuses années, prend ses habitudes, et pour attaquer un problème, et pour suivre une démonstration, et pour coordonner et retenir des faits. La source imaginative jaillit, creuse son lit: plus tard, rien ne pourra plus changer ni le débit de la source ni son cours. Disciplinons cette jeune intelligence, afin qu’elle arrive en pleine force, en pleine faculté d’action, à la période signalée par un philosophe comme la plus féconde de la vie humaine, période qui commence un peu avant et finit un peu après vingt ans. «Alors, dit Taine, il y a sept ou huit années de sève montante et de production continue, bourgeons, fleurs et fruits...» A la «période tainienne» s’adaptera l’enseignement dit supérieur. C’est assez pour l’enseignement secondaire de préparer par une juste discipline ce futur épanouissement.
Mais vous n’ignorez pas, Françoise, que l’enseignement supérieur, celui des Universités, des grandes Écoles spéciales, est l’apanage d’un petit nombre d’élèves, et surtout d’un petit nombre de femmes. Pour la plupart de celles-ci, l’époque d’épanouissement et de fructification est celle même du mariage, de la maternité, de la fondation de la famille, et c’est là un épanouissement, une fructification qui en valent bien d’autres. Néanmoins, il en résulte que la plupart des femmes (l’on pourrait dire même: la plupart des élèves des deux sexes) n’accroîtront guère leurs connaissances scolaires à partir de seize ou dix-huit ans. Il faut donc que l’enseignement secondaire ne se contente pas d’éduquer l’élève en l’habituant à de bonnes méthodes: il faut qu’après l’avoir suivi l’élève ait compris ou appris ce que doivent avoir appris ou compris les gens dits «cultivés».
Étudions cette idée et ce mot de «culture», appliquée par la logique du langage à l’éducation de l’esprit, en vertu de l’analogie entre l’élève et la plante.
Être cultivé, cela ne veut pas dire être spécialement savant en quoi que ce soit. Un numismate, érudit en sa partie, peut être un homme sans culture s’il ne possède pas cet ensemble de notions grâce à quoi, selon le mot de Térence, rien d’humain ne vous est étranger. La vraie culture est générale; elle est l’opposé de la spécialisation.
L’on vous dira, Françoise, que la spécialisation est seule désirable aujourd’hui, parce que la société a besoin de sujets qui excellent en leur partie. L’on vous dira même qu’elle est seule possible, parce que le trésor des connaissances s’est démesurément accru et que l’esprit humain, s’il veut l’acquérir, se condamne à la banqueroute. Vous répondrez hardiment à ces ennemis de la culture générale que leurs raisons ne valent rien. Il n’est pas vrai qu’un esprit ait plus à comprendre et plus à retenir aujourd’hui qu’au XVIe siècle, par exemple, pour mériter l’épithète de cultivé. Alors comme aujourd’hui, il y avait des théories de physique, de chimie, une science de la terre et des éléments: s’il vous prend la fantaisie d’ouvrir un des livres de ce temps-là, vous verrez que pour être moins fondées sur l’observation ces théories n’en étaient pas plus simples. En outre, la culture générale s’encombrait alors d’un inextricable fatras d’argumentation, aboli de nos jours. Dans l’intérêt de sa paresse, un paresseux ferait mieux, croyez-moi, de suivre les cours du Collège de France sous M. Gaston Paris qu’au lendemain de sa fondation. D’autre part, aujourd’hui comme alors, un spécialiste sans culture générale était un organisme incomplet, réputé pour tel. Et sans doute, à cette volonté de n’ignorer rien, les artistes de la Renaissance durent d’être les plus grands artistes de tous les temps.
Ce qui est vrai, c’est que la société a besoin de sujets qui, leur culture générale achevée, y surajoutent une forte culture spéciale. Le temps de cette culture spéciale, c’est précisément cette «période tainienne» qui pour un Taine s’inaugure à quinze ou seize ans, mais qui, pour la plupart, n’est sensible que vers dix-sept ou dix-huit et s’étend jusqu’aux environs de vingt-cinq ans. Voilà le temps du libre effort vers une science ou un art distincts, préférés... Jusque-là, toute spécialisation est vaine: et là où elle n’est pas imposée par le manque d’argent et la nécessité d’un métier hâtif, c’est presque un crime des parents que d’y soumettre leurs enfants. Les parents s’excusent en disant: «L’enfant montre des dispositions pour telle ou telle spécialité.»—Plaisanterie! Sauf quelques petits Pascals, quelques petits Paderewskis, quels sont les enfants qui témoignent à dix ans d’aptitudes spéciales vraiment indicatrices? Gardons-nous de faire fonds sur les prétendues dispositions des enfants. Tel ne rêve que machines, qui sera poète; tel sera volontairement huissier à trente ans qui, à douze, inquiétait sa famille par des apparences contemplatives et une extrême sensibilité. A ces âges, l’être physique se forme, rien des contours définitifs n’est arrêté. Il ne faut imposer à un cerveau en formation que ce que peuvent supporter tous les jeunes cerveaux.
Vous me direz que, pour Françoise II, tout ce discours n’importe guère. Françoise II n’ira pas au collège de M. Gaston Paris. Françoise ne sera point une spécialiste... Hum!... Qu’en savez-vous? Il y a des femmes qui suivent aujourd’hui les cours du Collège de France. Vers 1920, il y en aura probablement davantage: êtes-vous assurée que Françoise II ne sera pas du nombre? Malgré les incertitudes de l’avenir, une des présomptions les plus vraisemblables est que, de plus en plus, l’instruction des filles devra ressembler à celle des garçons. C’est pourquoi je ne distinguerai guère entre les deux, je vous en avertis, au cours de cette lettre et des suivantes.
Si d’ailleurs Françoise II doit être tout simplement épouse et mère à la mode d’aujourd’hui, c’est bien le cas de ne point spécialiser l’enseignement qu’on lui donnera entre dix et dix-sept ans! A ceux, à celles qui ne recevront jamais de culture supérieure, la culture générale est d’autant plus indispensable. Sans rien préjuger de l’avenir, il nous faut donc faire de Françoise II ce que vous-même, Françoise, souhaitiez être à la fin de vos études secondaires: une femme ayant des clartés de tout, des clartés, vous entendez bien, et non des obscurités ou des pénombres.
Résumons avec une simplicité qui exclut tout pédantisme les conclusions de cette lettre:
I. L’enseignement secondaire est une éducation et une tutelle.
II. Il a pour objet la culture générale.
Comment diriger cette tutelle éducatrice? Et comment doser les éléments, comment régler les procédés de cette culture générale? Mes prochaines lettres tâcheront de vous le dire.