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Loi du 29 juillet 1881 sur la Liberté de la Presse

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129bis

CHAPITRE IV.
DES CRIMES ET DÉLITS COMMIS PAR LA VOIE DE LA PRESSE
OU PAR TOUT AUTRE MOYEN DE PUBLICATION.


§ 1er.—PROVOCATION AUX CRIMES ET DÉLITS.

23. Seront punis comme complices d’une action qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, des imprimés vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou affiches exposés aux regards du public, auront directement provoqué l’auteur ou les auteurs à commettre ladite action, si la provocation a été suivie d’effet.

Cette disposition sera également applicable lorsque la provocation n’aura été suivie que d’une tentative de crime prévue par l’article 2 du Code pénal.

24. Ceux qui, par les moyens énoncés en l’article précédent, auront directement provoqué à commettre les crimes de meurtre, de pillage et d’incendie, ou l’un des crimes contre la sûreté de l’État prévus par les articles 75 et suivants, jusques et y compris l’article 101 du Code pénal, seront punis, dans le cas où cette provocation n’aurait pas été suivie d’effet, de trois mois à deux ans d’emprisonnement et de cent francs à trois mille francs d’amende.

Tous cris ou chants séditieux proférés dans des lieux ou réunions publics seront punis d’un emprisonnement de six jours à un mois et d’une amende de seize francs à cinq cents francs, ou de l’une de ces deux peines seulement.

25. Toute provocation par l’un des moyens énoncés en l’article 23, adressée à des militaires des armées de terre ou de mer, dans le but de les détourner de leurs devoirs militaires et de l’obéissance qu’ils doivent à leurs chefs dans tout ce qu’ils leur commandent pour l’exécution des lois et règlements militaires, sera punie d’un emprisonnement d’un à six mois et d’une amende de seize francs à cent francs.

§ 2.—DÉLITS CONTRE LA CHOSE PUBLIQUE.

26. L’offense au Président de la République par l’un des moyens énoncés dans l’article 23 et dans l’article 28 est punie d’un emprisonnement de trois mois à un an et d’une amende de cent francs à trois mille francs, ou de l’une de ces deux peines seulement.

27. La publication ou reproduction de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers, sera punie d’un emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende de cinquante francs à mille francs, ou de l’une de ces deux peines seulement, lorsque la publication ou reproduction aura troublé la paix publique et qu’elle aura été faite de mauvaise foi.

28. L’outrage aux bonnes mœurs commis par l’un des moyens énoncés en l’article 23 sera puni d’un emprisonnement d’un mois à deux ans et d’une amende de seize francs à deux mille francs.

Les mêmes peines seront applicables à la mise en vente, à la distribution ou à l’exposition de dessins, gravures, peintures, emblèmes ou images obscènes. Les exemplaires de ces dessins, gravures, peintures, emblèmes ou images obscènes exposés aux regards du public, mis en vente, colportés ou distribués, seront saisis.

§ 3.—DÉLITS CONTRE LES PERSONNES.

29. Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation.

Toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure.

30. La diffamation commise par l’un des moyens énoncés en l’article 23 et en l’article 28, envers les cours, les tribunaux, les armées de terre ou de mer, les corps constitués et les administrations publiques, sera punie d’un emprisonnement de huit jours à un an et d’une amende de cent francs à trois mille francs, ou de l’une de ces deux peines seulement.

31. Sera punie de la même peine la diffamation commise par les mêmes moyens, à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, envers un ou plusieurs membres du ministère, un ou plusieurs membres de l’une ou de l’autre Chambre, un fonctionnaire public, un dépositaire ou agent de l’autorité publique, un ministre de l’un des cultes salariés par l’État, un citoyen chargé d’un service ou d’un mandat public, temporaire ou permanent, un juré ou un témoin, à raison de sa déposition.

32. La diffamation commise envers les particuliers par l’un des moyens énoncés en l’article 23 et en l’article 28 sera punie d’un emprisonnement de cinq jours à six mois et d’une amende de vingt-cinq francs à deux-mille francs, ou de l’une de ces deux peines seulement.

33. L’injure commise par les mêmes moyens envers les corps ou les personnes désignés par les articles 30 et 31 de la présente loi sera punie d’un emprisonnement de six jours à trois mois et d’une amende de dix-huit francs à cinq cents francs, ou de l’une de ces deux peines seulement.

L’injure commise de la même manière envers les particuliers, lorsqu’elle n’aura pas été précédée de provocation, sera punie d’un emprisonnement de cinq jours à deux mois et d’une amende de seize francs à trois cents francs, ou de l’une de ces deux peines seulement.

Si l’injure n’est pas publique, elle ne sera punie que de la peine prévue par l’article 471 du Code pénal.

34. Les articles 29, 30 et 31 ne seront applicables aux diffamations ou injures dirigées contre la mémoire des morts, que dans les cas où les auteurs de ces diffamations ou injures auraient eu l’intention de porter atteinte à l’honneur ou à la considération des héritiers vivants.

Ceux-ci pourront toujours user du droit de réponse prévu par l’article 13.

35. La vérité du fait diffamatoire, mais seulement quand il est relatif aux fonctions, pourra être établie par les voies ordinaires, dans le cas d’imputations contre les corps constitués, les armées de terre ou de mer, les administrations publiques et contre toutes les personnes énumérées dans l’article 31.

La vérité des imputations diffamatoires et injurieuses pourra être également établie contre les directeurs ou administrateurs de toute entreprise industrielle, commerciale ou financière, faisant publiquement appel à l’épargne ou au crédit.

Dans les cas prévus aux deux paragraphes précédents, la preuve contraire est réservée. Si la preuve du fait diffamatoire est rapportée, le prévenu sera renvoyé des fins de la plainte.

Dans toute autre circonstance et envers toute autre personne non qualifiée, lorsque le fait imputé est l’objet de poursuites commencées à la requête du ministère public ou d’une plainte de la part du prévenu, il sera, durant l’instruction qui devra avoir lieu, sursis à la poursuite et au jugement du délit de diffamation.

§ 4.—DÉLITS CONTRE LES CHEFS D’ÉTAT ET AGENTS DIPLOMATIQUES ÉTRANGERS.

36. L’offense commise publiquement envers les chefs d’État étrangers sera punie d’un emprisonnement de trois mois à un an et d’une amende de cent francs à trois mille francs, ou de l’une de ces deux peines seulement.

37. L’outrage commis publiquement envers les ambassadeurs et ministres plénipotentiaires, envoyés, chargés d’affaires ou autres agents diplomatiques accrédités près du Gouvernement de la République, sera puni d’un emprisonnement de huit jours à un an et d’une amende de cinquante francs à deux mille francs, ou de l’une de ces deux peines seulement.

§ 5.—PUBLICATIONS INTERDITES, IMMUNITÉS DE LA DÉFENSE.

38. Il est interdit de publier les actes d’accusation et tous autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu’ils aient été lus en audience publique, et ce, sous peine d’une amende de cinquante francs à mille francs.

39. Il est interdit de rendre compte des procès en diffamation où la preuve des faits diffamatoires n’est pas autorisée. La plainte seule pourra être publiée par le plaignant. Dans toute affaire civile, les cours et tribunaux pourront interdire le compte rendu du procès. Ces interdictions ne s’appliqueront pas aux jugements, qui pourront toujours être publiés.

Il est également interdit de rendre compte des délibérations intérieures soit des jurys, soit des cours et tribunaux.

Toute infraction à ces dispositions sera punie d’une amende de cent francs à deux mille francs.

40. Il est interdit d’ouvrir ou d’annoncer publiquement des souscriptions ayant pour objet d’indemniser des amendes, frais et dommages-intérêts prononcés par des condamnations judiciaires en matière criminelle et correctionnelle, sous peine d’un emprisonnement de huit jours à six mois et d’une amende de cent francs à mille francs, ou de l’une de ces deux peines seulement.

41. Ne donneront ouverture à aucune action les discours tenus dans le sein de l’une des deux Chambres, ainsi que les rapports ou toutes autres pièces imprimées par ordre de l’une des deux Chambres.

Ne donnera lieu à aucune action le compte rendu des séances publiques des deux Chambres fait de bonne foi dans les journaux.

Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux.

Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts. Les juges pourront aussi, dans le même cas, faire des injonctions aux avocats et officiers ministériels, et même les suspendre de leurs fonctions. La durée de cette suspension ne pourra excéder deux mois, et six mois en cas de récidive dans l’année.

Pourront toutefois les faits diffamatoires étrangers à la cause donner ouverture soit à l’action publique, soit à l’action civile des parties, lorsque ces actions leur auront été réservées par les tribunaux, et, dans tous les cas, à l’action civile des tiers.

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