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Loi du 29 juillet 1881 sur la Liberté de la Presse

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CHAPITRE V.
DES POURSUITES ET DE LA RÉPRESSION.


§ 1er.—DES PERSONNES RESPONSABLES DE CRIMES ET DÉLITS
COMMIS PAR LA VOIE DE LA PRESSE.

42. Seront passibles, comme auteurs principaux, des peines qui constituent la répression des crimes et délits commis par la voie de la presse, dans l’ordre ci-après, savoir: 1o les gérants ou éditeurs, quelles que soient leurs professions ou leurs dénominations; 2o à leur défaut, les auteurs; 3o à défaut des auteurs, les imprimeurs; 4o à défaut des imprimeurs, les vendeurs, distributeurs ou afficheurs.

43. Lorsque les gérants ou les éditeurs seront en cause, les auteurs seront poursuivis comme complices.

Pourront l’être, au même titre et dans tous les cas, toutes personnes auxquelles l’article 60 du Code pénal pourrait s’appliquer. Ledit article ne pourra s’appliquer aux imprimeurs pour faits d’impression, sauf dans le cas et les conditions prévus par l’article 6 de la loi du 7 juin 1848 sur les attroupements.

44. Les propriétaires des journaux ou écrits périodiques sont responsables des condamnations pécuniaires prononcées au profit des tiers contre les personnes désignées dans les deux articles précédents, conformément aux dispositions des articles 1382, 1383 et 1384 du Code civil.

45. Les crimes et délits prévus par la présente loi seront déférés à la cour d’assises.

Sont exceptés et déférés aux tribunaux de police correctionnelle les délits et infractions prévus par les articles 3, 4, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 17, paragraphes 2 et 4; 28, paragraphe 2; 32, 33, paragraphe 2; 38, 39 et 40 de la présente loi.

Sont encore exceptées et renvoyées devant les tribunaux de simple police les contraventions prévues par les articles 2, 15, 17, paragraphes 1 et 3; 21 et 33, paragraphe 3, de la présente loi.

46. L’action civile résultant des délits de diffamation prévus et punis par les articles 30 et 31 ne pourra, sauf dans le cas de décès de l’auteur du fait incriminé ou d’amnistie, être poursuivie séparément de l’action publique.

§ 2.—DE LA PROCÉDURE.

A.—Cour d’assises.

47. La poursuite des crimes et délits commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication aura lieu d’office et à la requête du ministère public, sous les modifications suivantes:

1o Dans le cas d’injure ou de diffamation envers les cours, tribunaux et autres corps indiqués en l’article 30, la poursuite n’aura lieu que sur une délibération prise par eux en assemblée générale, et requérant les poursuites, ou, si le corps n’a pas d’assemblée générale, sur la plainte du chef du corps ou du ministre duquel ce corps relève;

2o Dans le cas d’injure ou de diffamation envers un ou plusieurs membres de l’une ou de l’autre Chambre, la poursuite n’aura lieu que sur la plainte de la personne ou des personnes intéressées;

3o Dans le cas d’injure ou de diffamation envers les fonctionnaires publics, les dépositaires ou agents de l’autorité publique autres que les ministres, envers les ministres des cultes salariés par l’État et les citoyens chargés d’un service ou d’un mandat public, la poursuite aura lieu, soit sur leur plainte, soit d’office, sur la plainte du ministre dont ils relèvent;

4o Dans le cas de diffamation envers un juré ou un témoin, délit prévu par l’article 31, la poursuite n’aura lieu que sur la plainte du juré ou du témoin qui se prétendra diffamé;

5o Dans le cas d’offense envers les chefs d’État ou d’outrage envers les agents diplomatiques étrangers, la poursuite aura lieu soit à leur requête, soit d’office sur leur demande adressée au ministre des affaires étrangères et par celui-ci au ministre de la justice;

6o Dans les cas prévus par les paragraphes 3 et 4 du présent article, le droit de citation directe devant la cour d’assises appartiendra à la partie lésée.

Sur sa requête, le président de la cour d’assises fixera les jours et heures auxquels l’affaire sera appelée.

48. Si le ministère public requiert une information, il sera tenu, dans son réquisitoire, d’articuler et de qualifier les provocations, outrages, diffamations et injures à raison desquels la poursuite est intentée, avec indication des textes dont l’application est demandée, à peine de nullité du réquisitoire de ladite poursuite.

49. Immédiatement après le réquisitoire, le juge d’instruction pourra, mais seulement en cas d’omission du dépôt prescrit par les articles 3 et 10 ci-dessus, ordonner la saisie de quatre exemplaires de l’écrit, du journal ou du dessin incriminé. Cette disposition ne déroge en rien à ce qui est prescrit par l’article 28 de la présente loi.

Si le prévenu est domicilié en France, il ne pourra être arrêté préventivement, sauf en cas de crime.

En cas de condamnation, l’arrêt pourra ordonner la saisie et la suppression ou la destruction de tous les exemplaires qui seraient mis en vente, distribués ou exposés aux regards du public.

Toutefois, la suppression ou la destruction pourra ne s’appliquer qu’à certaines parties des exemplaires saisis.

50. La citation contiendra l’indication précise des écrits, des imprimés, placards, dessins, gravures, peintures, médailles, emblèmes, des discours ou propos publiquement proférés qui seront l’objet de la poursuite, ainsi que de la qualification des faits. Elle indiquera les textes de la loi invoqués à l’appui de la demande.

Si la citation est à la requête du plaignant, elle portera, en outre, copie de l’ordonnance du président; elle contiendra élection de domicile dans la ville où siège la cour d’assises et sera notifiée tant au prévenu qu’au ministère public.

Toutes ces formalités seront observées à peine de nullité de la poursuite.

51. Le délai entre la citation et la comparution en cour d’assises sera de cinq jours francs, outre un jour par cinq myriamètres de distance.

52. En matière de diffamation, ce délai sera de douze jours, outre un jour par cinq myriamètres.

Quand le prévenu voudra être admis à prouver la vérité des faits diffamatoires, conformément aux dispositions de l’article 34 de la présente loi, il devra, dans les cinq jours qui suivront la notification de la citation, faire signifier au ministère public près la cour d’assises ou au plaignant, au domicile par lui élu, suivant qu’il est assigné à la requête de l’un ou de l’autre:

1o Les faits articulés et qualifiés dans la citation, desquels il entend prouver la vérité;

2o La copie des pièces;

3o Les noms, professions et demeures des témoins par lesquels il entend faire sa preuve. Cette signification contiendra élection de domicile près la cour d’assises, le tout à peine d’être déchu du droit de faire la preuve.

53. Dans les cinq jours suivants, le plaignant ou le ministère public, suivant les cas, sera tenu de faire signifier au prévenu, au domicile par lui élu, la copie des pièces et les noms, professions et demeures des témoins par lesquels il entend faire la preuve contraire, sous peine d’être déchu de son droit.

54. Toute demande en renvoi pour quelque cause que ce soit, tout incident sur la procédure suivie devront être présentés avant l’appel des jurés, à peine de forclusion.

55. Si le prévenu a été présent à l’appel des jurés, il ne pourra plus faire défaut, quand bien même il se fût retiré pendant le tirage au sort.

En conséquence, tout arrêt qui interviendra, soit sur la forme, soit sur le fond, sera définitif, quand bien même le prévenu se retirerait de l’audience ou refuserait de se défendre. Dans ce cas, il sera procédé avec le concours du jury et comme si le prévenu était présent.

56. Si le prévenu ne comparaît pas au jour fixé par la citation, il sera jugé par défaut par la cour d’assises, sans assistance ni intervention des jurés.

La condamnation par défaut sera comme non avenue si, dans les cinq jours de la signification qui en aura été faite au prévenu ou à son domicile, outre un jour par cinq myriamètres, celui-ci forme opposition à l’exécution de l’arrêt et notifie son opposition tant au ministère public qu’au plaignant. Toutefois, si la signification n’a été faite à personne ou s’il ne résulte pas de l’acte d’exécution de l’arrêt que le prévenu en a eu connaissance, l’opposition sera recevable jusqu’à l’expiration des délais de la prescription de la peine. L’opposition vaudra citation à la première audience utile. Les frais de l’expédition, de la signification de l’arrêt, de l’opposition et de la réassignation pourront être laissés à la charge du prévenu.

57. Faute par le prévenu de former son opposition dans le délai fixé en l’article 56 et de la signifier aux personnes indiquées dans cet article, ou de comparaître par lui-même au jour fixé en l’article précédent, l’opposition sera réputée non avenue et l’arrêt par défaut sera définitif.

58. En cas d’acquittement par le jury, s’il y a partie civile en cause, la cour ne pourra statuer que sur les dommages intérêts réclamés par le prévenu. Ce dernier devra être renvoyé de la plainte sans dépens ni dommages-intérêts au profit du plaignant.

59. Si, au moment où le ministère public ou le plaignant exerce son action, la session de la cour d’assises est terminée, et s’il ne doit pas s’en ouvrir d’autre à une époque rapprochée, il pourra être formé une cour d’assises extraordinaire, par ordonnance motivée du premier président. Cette ordonnance prescrira le tirage au sort des jurés conformément à la loi.

L’article 81 du décret du 6 juillet 1810 sera applicable aux cours d’assises extraordinaires formées en exécution du paragraphe précédent.

B.—Police correctionnelle et simple police.

60. La poursuite devant les tribunaux correctionnels et de simple police aura lieu conformément aux dispositions du chapitre II du titre Ier du livre II du Code d’instruction criminelle, sauf les modifications suivantes:

1o Dans le cas de diffamation envers les particuliers prévu par l’article 32 et dans le cas d’injure prévu par l’article 33, paragraphe 2, la poursuite n’aura lieu que sur la plainte de la personne diffamée ou injuriée.

2o En cas de diffamation ou d’injure pendant la période électorale contre un candidat à une fonction élective, le délai de la citation sera réduit à vingt-quatre heures, outre le délai de distance.

3o La citation précisera et qualifiera le fait incriminé; elle indiquera le texte de loi applicable à la poursuite, le tout à peine de nullité de ladite poursuite.

Sont applicables au cas de poursuite et de condamnation les dispositions de l’article 48 de la présente loi.

Le désistement du plaignant arrêtera la poursuite commencée.

C.—Pourvois en cassation.

61. Le droit de se pourvoir en cassation appartiendra au prévenu et à la partie civile, quant aux dispositions relatives à ses intérêts civils. L’un et l’autre seront dispensés de consigner l’amende, et le prévenu de se mettre en état.

62. Le pourvoi devra être formé, dans les trois jours, au greffe de la cour ou du tribunal qui aura rendu la décision. Dans les vingt-quatre heures qui suivront, les pièces seront envoyées à la cour de cassation, qui jugera d’urgence dans les dix jours à partir de leur réception.

§ 3.—RÉCIDIVES, CIRCONSTANCES ATTÉNUANTES, PRESCRIPTION.

63. L’aggravation des peines résultant de la récidive ne sera pas applicable aux infractions prévues par la présente loi.

En cas de conviction de plusieurs crimes ou délits prévus par la présente loi, les peines ne se cumuleront pas, et la plus forte sera seule prononcée.

64. L’article 463 du Code pénal est applicable dans tous les cas prévus par la présente loi. Lorsqu’il y aura lieu de faire cette application, la peine prononcée ne pourra excéder la moitié de la peine édictée par la loi.

65. L’action publique et l’action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par la présente loi se prescriront après trois mois révolus, à compter du jour où ils auront été commis ou du jour du dernier acte de poursuite, s’il en a été fait.

Les prescriptions commencées à l’époque de la publication de la présente loi et pour lesquelles il faudrait encore, suivant les lois existantes, plus de trois mois à compter de la même époque, seront, par ce laps de trois mois, définitivement accomplies.

DISPOSITIONS TRANSITOIRES.

66. Les gérants et propriétaires de journaux existant, au jour de la promulgation de la présente loi seront tenus de se conformer, dans un délai de quinzaine, aux prescriptions édictées par les articles 7 et 8, sous peine de tomber sous l’application de l’article 9.

67. Le montant des cautionnements versés par les journaux ou écrits périodiques actuellement soumis à cette obligation sera remboursé à chacun d’eux par le trésor public dans un délai de trois mois à partir du jour de la promulgation de la présente loi, sans préjudice des retenues qui pourront être effectuées, au profit de l’État et des particuliers, pour les condamnations à l’amende et les réparations civiles auxquelles il n’aura pas été autrement satisfait à l’époque du remboursement.

68. Sont abrogés les édits, lois, décrets, ordonnances, arrêtés, règlements, déclarations généralement quelconques, relatifs à l’imprimerie, à la librairie, à la presse périodique ou non périodique, au colportage, à l’affichage, à la vente sur la voie publique et aux crimes et délits prévus par les lois sur la presse et les autres moyens de publication, sans que puissent revivre les dispositions abrogées par les lois antérieures.

Est également abrogé le second paragraphe de l’article 31 de la loi du 10 août 1871 sur les conseils généraux, relatif à l’appréciation de leurs discussions par les journaux.

69. La présente loi est applicable à l’Algérie et aux colonies.

70. Amnistie est accordée pour tous les crimes et délits commis antérieurement au 16 février 1881 par la voie de la presse ou autres moyens de publication, sauf l’outrage aux bonnes mœurs puni par l’article 28 de la présente loi, et sans préjudice du droit des tiers.

Les amendes non perçues ne seront pas exigées. Les amendes déjà perçues ne seront pas restituées, à l’exception de celles qui ont été payées depuis le 16 février 1881.

La présente loi, délibérée et adoptée par le Sénat et par la Chambre des députés, sera exécutée comme loi de l’État.

Fait à Paris, le 29 Juillet 1881.

Signé JULES GRÉVY.

Le Président du Conseil,
Ministre de l’instruction publique
et des beaux-arts
,
Signé Jules Ferry.

Le Ministre de l’intérieur et des cultes,
Signé Constans.

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