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Mémoires de Mr. d'Artagnan

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Cependant je devins bien-tôt tout aussi miserable que lui, la fortune me tourna le dos tout d'un coup, & je commençai à perdre tout ce que j'avois, ainsi comme je me voyois déchu de mes prétentions par l'avarice de mon nouveau maître, il arriva que lors que je croyois devoir être le mieux, ce fut justement lors que je me trouvai le plus mal. Je fus bien-tôt denué de toutes choses par les pertes que j'entassai les unes sur les autres, & comme un joueur tel que je l'étois devenu par accident, quoi que je ne l'eusse jamais été d'inclination, croit toûjours reparer les brêches qu'il a faites, je m'enfoncai d'autant plus dans le bourbier, que je fis plus d'effort pour en sortir. Cela me rendit sage à la fin, & considerant que Dieu m'ayant suscité ce secours dans le temps que je n'avois rien, il lui plaisoit de me le refuser maintenant que je devois avoir quelque ressource, je fis dessein de ne plus jouer du tout. Ainsi quoi que l'on dise ordinairement que qui a joué jouera, & que l'on croye ce Proverbe infaillible, je fis voir bientôt par ma conduite qu'il n'y a point de regle sans exception. S'il m'arriva de jouer d'avantage ce ne fut rien en comparaison de ce que j'avois joué auparavant, & ayant gagné cela sur moi que de me rendre maître de ma conduite, la fortune fut obligée malgré elle de me donner du relâche de ce côté là. Elle me suscita cependant un autre malheur qui me fut bien aussi sensible; quoi qu'il ne me jettât pas dans la nécessité. La Dame que j'avois avertie de sa beveuë l'ayant été trop tard pour en faire son profit, l'autre avertit son mari de nôtre Commerce quelque tems après que je fus parti de Paris. Il fut sensible à cet affront, comme chacun à coutume de l'être dans une pareille rencontre. Il y prit donc feu tout aussi-tôt, & n'ayant point douté de la chose aux preuves qu'elle tâchoit de lui en donner, il résolut de s'en venger ou d'en mourir en la peine. Par malheur pour nous il surprit encore deux lettres que nous nous écrivions, tellement que perdant patience après cela, il envoya à Amiens un homme pour m'assassiner. Il y arriva deux jours après que j'en étois parti par l'ordre de Mr. le Cardinal, qui m'avoit envoyé vers le Marêchal du Plessis. Il étoit en Italie, & il lui ordonnoit de passer en Provence pour s'y embarquer avec le Marêchal de la Meilleraie.

Ce contre-tems empêcha cet assasin de pouvoir executer son coup, & ne sachant où me prendre, parce que son Eminence tenoit mon message secret, il s'en retourna à Paris où il dit à celui qui l'avoit envoyé la raison pour laquelle il s'en revenoit sans rien faire. Mon jaloux écrivit à la Cour à quelqu'un de ses amis pour savoir ce que j'étois devenu; mais nul ne lui en pouvant rien dire, il ne voulut pas faire éclater son ressentiment contre sa femme, de peur de manquer ce qu'il projettoit contre moi. Il se donna patience jusques à ce que je fusse revenu, & n'ayant gueres tardé à mon voyage, je ne fus pas plûtôt de retour à Amiens qu'il en fut averti par ceux à qui il avoit écrit. Il y depêcha en même tems le même homme qui m'y avoit déja manqué, & celui-ci m'y ayant encore manqué cette fois là, parce que son Eminence ne me vit pas plûtôt de retour qu'il me renvoya devant Courtray pour porter quelques ordres au Duc d'Orleans, il me suivit devant cette place, parce qu'il savoit bien que j'y étois allé. Le Comte Delpont, Savoyard de Nation, y commandoit, & comme c'étoit un homme intelligent dans l'attaque & dans la deffense des places, il avoit demandé à cor & à cri au Gouverneur des Païs-Bas, de lui envoyer des munitions de guerre & de bouche dont il manquoit. Ce Gouverneur qui ne croyoit pas qu'on dût attaquer cette place, parce qu'elle étoit bien avant dans le païs, prit ses précautions pour des allarmes, & lui ayant fait réponse de ne se point inquieter, & qu'on ne songeoit point à lui, Delpont n'en fut point content, & lui recrivit, que quoi qu'il déferat toutes choses à ses conseils, & qu'il reverât ses ordres, il lui permettroit de lui dire ou qu'il étoit mal servi par ses espions, ou qu'il ne prenoit pas garde aux mouvemens de ses ennemis; qu'il étoit aisé de connoître leur dessein par leurs demarches, & qu'il faloit qu'il eut bien perdu son tems à la guerre, s'il s'abusoit dans la pensée qu'il avoit que sa place seroit attaquée avant qu'il fut peu.

Comme il suffit d'avoir du merite pour se faire des ennemis & des jaloux, Delpont qui en avoit auprès du Gouverneur ne manqua pas d'y être raillé, comme un homme susceptible de terreur panique. Quelqu'un de ses amis le lui ayant mandé, & qu'on le faisoit passer pour un visionnaire, il se contenta de recrire encore une fois à ce Gouverneur, afin qu'il ne put lui imputer d'avoir manqué à son devoir pour écouter un peu trop son ressentiment; mais sa lettre ayant été tout aussi mal reçûë que l'avoit été la premiere, il s'en tint là, & ne dit plus rien, il fut assiegé cependant, & l'experience ayant fait voir à ses ennemis qu'il en savoit plus qu'eux tous, ils furent bien confus d'avoir tant parlé mal à propos. Comme il n'y a rien capable d'abatre un brave homme, le mauvais état de cette place ne fit point perdre courage à celui ci. Il donna le tems au Général de l'Armée d'Espagne de se preparer à le secourir, & ce général s'étant aproché de nos lignes les reconnut, & fit tout ce que l'on fait ordinairement quand on a dessein de ne pas laisser prendre une place sans coup ferir.

Les choses étoient en cet état quand j'arrivai à nôtre camp, & le Cardinal ne m'ayant point recommandé de faire diligence, je crus que j'aurois mauvaise grace de revenir si-tôt auprès de lui, maintenant que l'on étoit à la veille d'une bataille. Je me mêlai même avec quelques volontaires qui demanderent permission au Duc d'Orleans d'aller reconnoître les ennemis. Par ce moien nous les attirâmes hors de leur Camp en les provoquant de venir faire le coup de pistolet. Nous nous engageâmes ainsi dans une espece de combat, qui eut été plus loin que nôtre Général n'eut voulu s'il n'eut pris soin de retenir nôtre ardeur. Comme c'étoit à lui à attendre qu'on le vint attaquer, il fit sonner la retraitte, en quoi il se montra beaucoup plus sage que nous. Nous nous retirâmes suivant ses ordres, & ayant été fort exact après cela à ne pas permettre que ni volontaire ni autres fissent une semblable chose que celle que nous venions de faire, nous les attendîmes de pied ferme, quand ils voudroient venir à nous. Leur Général n'osa l'entreprendre, tant qu'il demeura maître de sa raison; mais l'ayant perduë dans une débauche qu'il fit avec ses principaux Officiers, parmi lesquels il y avoit quelques Allemans, qui ne voyoient rien au dessus de leur courage quand ils avoient une fois quatre verres de vin dans la tête plus qu'il ne falloit, il permit qu'ils vinssent nous attaquer lors que nous n'y pensions presque plus. Il parut bien du côté qu'ils firent éclater cette entreprise qu'ils y faisoient entrer plus de chaleur que raisonnement; car ils vinrent droit au quartier du Marêchal de Gassion, qui étoit un homme aussi vigilant qu'il savoit bien se deffendre. Encore passe s'ils fussent venus à celui du Marêchal de Rantzau, qui avoit cela de commun avec eux qu'à quelque heure qu'on le put prendre on ne le trouvoit guéres à jeun. Ils eussent pû esperer du moins qu'étant but à but de ce côté-là, il n'y eut plus eu que la fortune qui eut decidé du reste; mais en s'addressant à Gassion, ils trouverent un homme qui ne pouvoit jamais être surpris, & qui les repoussa aussi de telle sorte, que tout hardis que le vin les rendoit, ils ne tarderent gueres à prendre la fuite.

Ayant si mal réüssi dans leur entreprise, ils en firent une autre du côté du Marêchal de Rantzau, qui parut toute aussi éloignée de la raison que l'avoit été celle-là. Comme il avoit fortifié son quartier par des redoutes qu'il avoit élevées de distance en distance, ils furent à lui par tranchées. C'étoit le moyen justement de le faire precautionner, & de l'empêcher de boire. Mais soit qu'ils eussent oui dire, comme il étoit vrai, que quand il avoit bu, il n'en frapoit que mieux, pourvû qu'il n'eut pas bu par excès, ou qu'ils crussent qu'ils viendroient à bout de leur dessein plus facilement par-là, que par tout le reste, ils employerent beaucoup de tems à cette tranchée sans en receuillir aucun fruit. Rantzau dont on renforça le quartier, fit de frequentes sorties sur eux, & si les assiegez en eussent fait autant sur nous & avec autant de succès, ils eussent éloigné la perte de leur place beaucoup mieux que par tout ce qu'ils firent. Mais le peu de monde qu'avoit le Comte Delpont le mettant hors d'état de rien entreprendre, il fut obligé de se contenter de se deffendre selon ses forces & d'être spectateur de ce qui se passoit au quartier Rantzau. Il n'en espera neanmoins rien de bon, voiant que dans toutes les sorties que ce Marêchal faisoit il étoit bien rare qu'il n'y eut de l'avantage. Il jugea que c'étoit un prejugé de ce qui devoit arriver, & ne se trompa pas: ils furent obligez d'abandonner leur dessein, après l'avoir poursuivi pendant quelque tems. Le Duc d'Orleans proffita de la consternation que cela devoit jetter dans l'esprit des assiegez. Il les fit sommer de se rendre; mais le Gouverneur dont le courage ne s'affoiblissoit point au milieu des malheureux évenemens qui arrivoient à son parti, ne croyant pas qu'il y eut de l'honneur à lui à la faire, tant qu'il verroit une armée préte à le secourir, il attendit qu'elle se fut retirée pour entendre à une capitulation; mais il ne l'eut pas plutôt perdu ce vûë, qu'il crut à propos de ne pas attendre davantage & se rendit.

Deux jours devant que cela arivat l'homme qui avoit été envoyé pour m'assassiner, & qui sans que je m'en apperçusse me suivoit à vue depuis qu'il m'avoit trouvé, etant venu à la tranchée ou j'étois, receut un coup ce Mousquet, lorsqu'il ne cherchoit que l'occasion de faire le sien. Le coup étoit mortel, & lui ayant été annoncé qu'il faloit se preparer à la mort, il demanda à me parler, & m'avoua en secret à quel dessein & de quelle part il étoit venu là. Il me dit en même tems de prendre garde à moi, parce que celui qui l'avoit envoyé étoit si rempli de ressentiment qu'il avoit bien la mine de n'en pas demeurer là. Je profitai de l'avis, & me tins sur mes gardes. Cependant croyant être obligé d'en avertir la Dame qui étoit cause de tout ce fracas, afin qu'elle prit ses precautions aussi-bien que moi, je lui envoyai une lettre par mon valet de chambre, que je depêchois à Paris pour quelque argent, que j'y avois prêté lors que j'avois gagné les neuf cent pistoles, dont j'ai parlé tantôt. Il la lui rendit en main propre, & sans que son Mari en eut connoissance, parce que je lui avois dit avant que de le faire partir, comment il s'y prendroit pour cela. Elle fut bien surprise quand elle vit ce qu'elle contenoit, & se doutant bien que s'il en venoit là contre moi, il y avoit bien de l'apparence qu'il ne la ménageroit pas davantage, elle resolut de la prevenir. Elle gaigna un Apotiquaire qui moyennant cinquante pistoles lui donna une dose de poison; elle le lui fit prendre adroitement, & comme ce poison ne devoit faire son effet que peu à peu, son mari qui avoit d'étranges desseins contr'elle & contre moi eut le tems de songer à sa vengeance. Il chercha un autre assassin pour m'envoyer en l'autre monde, pendant que ne se pouvant resoudre à la traiter si cruellement: après l'amitié qu'il avoit eu pour elle, il fit dessein de l'envoyer en Religion. Comme il étoit prudent il fut quelque tems devant que de fixer son choix sur l'homme qu'il cherchoit à mon égard. Pour ce qui est d'elle comme il croyoit pareillement que le moins d'éclat qu'il pouroit faire ne seroit que le mieux, il l'envoya chez son pere, qu'elle avoit encore, & qui étoit un Gentilhomme de distinction de la Province de Normandie. Il feignit d'avoir reçû des lettres de ce païs-là, qui lui aprenoient qu'il se portoit mal; il lui dit qu'il etoit necessaire qu'elle y fut faire un tour, afin que s'il venoit à mourir elle eut l'oeil qu'une autre fille qu'il avoit pour tous enfans, & qui etoit mariée à un homme de qualité de la Province ne mit pas la main, à son préjudice, à sa succession.

La Dame le crut de bonne foi, & comme elle ne l'aimoit pas trop, & que quand on a de tels sentimens pour un mari, on ne demande pas mieux que d'en être éloignée, elle partit non-seulement sans répugnance; mais encore avec beaucoup de joye. Elle crut que tant qu'elle seroit chez son Pere, ou chez ses Parens, elle n'avoit rien à en craindre; mais en y arrivant elle y trouva un grand sujet de mortification, au lieu d'y voir son pere ou mort ou moribond comme elle s'y attendoit, elle le vit se portant bien, & n'ayant nulle envie de mourir. Elle en eut eu sans doute beaucoup de joye, si ce n'est qu'elle reconnut à son abord, qu'il n'étoit pas tout à fait bien intentionné pour elle. Il lui sembla même qu'il la menaçoit déja par ses regards, en quoi elle ne se trompoit pas trop. Il avoit reçû une lettre de son mari, par laquelle après l'avoir averti de sa petite vie, il la finissoit en le priant de l'en deffaire tout au plûtôt, de peur de succomber à la tentation qu'il avoit quelquefois de lui faire un méchant parti. Le bon homme qui entendoit à demi mot, lui eut bien caché son chagrin, s'il eut été aussi dissimulé que le sont d'ordinaire les gens de sa nation; mais ayant cela de particulier en lui qu'il ne leur ressembloit pas à cet égard, il ne lui fit pas non-seulement mauvaise mine, mais il lui en dit encore le sujet. La Dame fut bien surprise à ces reproches. Cependant ne sachant que lui dire pour s'excuser, parce que son mari en lui écrivant lui avoit aussi envoyé les deux lettres qu'il avoit interceptées, elle baissa les yeux qu'elle n'eut pas levez si-tôt de terre, si ce n'est que ce Gentilhomme après avoir paru assez moderé dans son ressentiment, s'emporta de telle sorte qu'elle eut peur qu'il n'en vint à d'étranges extremitez. Ainsi croyant que quelque méchante excuse qu'elle lui put donner, elle vaudroit toûjours mieux que rien, elle lui répondit que s'il vouloit se donner la patience de l'entendre, peut-être ne la trouveroit-il pas si coupable qu'il pretendoit: qu'il se devoit souvenir que quand il l'avoit mariée à son mari c'avoit été contre son gré, qu'elle l'avoit conjuré de lui en donner un autre, parce qu'elle sentoit bien qu'elle ne le pouroit jamais aimer; qu'il n'en avoit voulu rien faire, ce qui l'avoit obligée de recourir aux larmes; mais que ses larmes n'ayant non plus operé que ses prieres, elle étoit ainsi passé dans la maison d'un homme encore plus desagréable par son humeur que par sa mine, quoi qu'elle ne fut pas fort ragoutante pour une femme; que pour peu de delicatesse qu'elle put avoir, cela suffisoit tout seul pour rebutter la plus vertueuse; qu'elle n'avoit pû par ce moyen lui faire toutes les caresses qu'elle eut faites à un autre; qu'il n'avoit pas été trop content; que cependant tout cela se seroit peut-être raccommodé, s'il n'eut sçû je ne sais comment les sentimens qu'elle avoit pour lui, dès qu'elle étoit fille; qu'il en avoit été au desespoir, & que comme il n'étoit pas naturellement trop raisonnable, il avoit pris sujet de là de l'accuser d'avoir quelque galant; que même il n'en étoit pas demeuré aux reproches, qu'il étoit bientôt passé aux extremitez, jusques à mettre plusieurs fois la main sur elle, qu'elle n'avoit pas voulu s'en plaindre ni à lui ni à personne, se flattant qu'à la longue il rentreroit en lui même, mais que puis que sa jalousie le menoit encore si loin que de lui supposer des amourettes, pour quelques lettres écrites innocemment, elle ne pouvoit plus s'empêcher de lui découvrir son malheur.

Le bon homme qui ne croyoit pas tout ce qu'on lui disoit, & principalement quand cela venoit d'une femme contre qui les soupçons étoient aussi forts qu'ils l'étoient contr'elle, il lui répondit que si ce qu'elle disoit étoit vrai, cela rendoit sa faute plus legere, quoi que cela ne l'excusât pas entierement; qu'un mari avoit tort d'en venir jamais là, pour quelque raison que ce pût être, mais que c'étoit encore bien pis d'une femme qui pour avoir le plaisir de s'en venger se portoit aux choses dont elle étoit accusée. Elle voulut encore lui dire que ce n'étoit qu'un jaloux, & qui ne meritoit pas qu'on ajoutât foi à ses paroles: Il lui repartit qu'il desiroit pour l'amour d'elle, & pour l'amour de lui-même qu'elle dit vrai; mais que comme c'étoit une chose à éclaircir avant que de la croire il alloit toûjours la mener dans un couvent. Il commanda en même tems de mettre les chevaux au carosse, & l'ayant conduite à Roüen il l'y laissa entre les mains d'une Abbesse qui étoit de set parentes. Elle souffrit qu'on l'y menât sans se laisser faire aucune violence, parce qu'elle se flattoit que sa captivité ne seroit pas de longue durée; elle savoit qu'elle avoit mis son mari dans un état à ne pas vivre encore long-tems, ainsi elle contoit que lui mort, elle seroit sa maîtresse sans être tenuë de reconnoître la domination de personne.

Quand elle fut là, elle y fit la devote, si bien que l'Abbesse s'y laissant tromper elle manda à son pere qui lui avoit fait confidence de son chagrin, afin qu'elle prit garde de plus près à sa conduite, que tout ce qu'on lui avoit dit de sa fille avoit tout l'air de medisance, qu'il n'y avoit point de personne ni plus sage ni plus modeste, & que bien loin d'en être mécontent il devoit en être satisfait au dernier point. Le pere ne l'en justifia pas davantage dans son esprit, pour avoir bonne réputation auprès d'elle. Comme il savoit, que les femmes qui veulent tromper les autres sont celles d'ordinaire qui s'efforcent le plus de paroître vertueuses, il suspendit son sentiment, jusques à ce qu'il sut faire un tour à Paris. Il étoit resolu de s'en éclaircir avec son gendre à qui il avoit mandé le lieu où il avoit mis sa femme; afin que s'il lui prenoit envie de la ravoir, il le put faire toutes fois & quantes que bon lui sembleroit. Il savoit que c'est une démangeaison qui prend souvent aux pauvres cocus, & que cocu pour cocu, ils aiment autant l'être d'une femme que d'une Maîtresse qu'ils pouroient prendre. Mais devant qu'il y put aller le boucon qu'avoit pris l'autre le faisant tomber en langueur, il n'osa lui en parler, parce que le bruit couroit dans le monde qu'il n'étoit malade que de chagrin. Il eut peur de renouveller sa playe, principalement, parce qu'il penchoit plûtôt à croire sa fille coupable qu'innocente.

Le mal de ce pauvre homme augmenta cependant tous les jours, & son beau pere qui l'avoit toûjours trouvé de moment à autre en plus mauvais état, comme il étoit impossible qu'il fut autrement, après ce qu'il avoit pris, craignant que sa vûë ne lui fut desagréable partit, après lui avoir souhaité une promte guerison. Il étoit bien éloigné de l'esperrer de la maniere que les choses se passoient, ainsi se voyant decliner à chaque moment, son Confesseur lui demanda s'il ne pardonnoit pas à sa femme. Car il lui avoit dit à confesse dequoi il la soupçonnoit, & que c'étoit ce qui le faisoit mourir. Il ne lui répondit ni ouï ni non, ce qui obligeant le Confesseur de lui réiterer la même demande, jusques à quatre fois, il lui fit à ce coup-là une réponse toute pareille à celle qu'un Admiral de France fit un jour au sien sur une chose assez semblable à celle-là. Cet Admiral n'avoit qu'une fille unique à qui un Gentilhomme, qu'il avoit fait un enfant. L'engrosseur s'en étoit enfui en Angleterre après son coup, non-seulement pour éviter la bâtonnade qui ne lui pouvoit manquer après cela, mais encore la pendaison qui est inévitable dans ces sortes de rencontres, ou tout du moins d'avoir le col coupé. Aussi l'Admiral l'y avoit déjà fait condamner quand il tomba malade dangereusement. Le Confesseur ne lui cacha pas l'état où il étoit, & comme il étoit gaigné par les amis du Gentilhomme il demanda à son penitent s'il vouloit porter sa vengeance jusques en l'autre monde? que Dieu vouloit qu'il pardonnât & que s'il ne pardonnoit il ne voudroit pas être à sa place. L'Admiral lui répondit qu'il lui demandoit là une chose bien difficile, mais que puis qu'on ne pouvoit se sauver que par là, il pardonnoit à lui & à sa fille s'il venoit à mourir. Le Confesseur lui repartit que cela ne suffisoit pas, & que soit qu'il mourut ou qu'il guerit il faloit le faire; mais l'autre lui répondit que ce qui étoit dit étoit dit, & qu'il n'avoit que faire d'en attendre davantage. Il mourut effectivement sans y vouloir ni ajouter ni diminuer, & comme c'étoit assez pour procurer le repos de ces deux amans, l'engrosseur revint d'abord qu'il eut les yeux fermez, & épousa sa Maîtresse. Ils ont été la tige de quantité de cordons bleus, & d'autres personnes de grande consideration, quoi que le mari ne fut qu'un petit Gentilhomme de Provence, & même si petit, que quoi qu'il s'en trouve de si miserables en Berri qu'ils labourent eux-mêmes leur charuë, je doute fort qu'il ne le fut encore davantage, qu'ils le sauroient être.

Au reste le mari de ma Maîtresse n'ayant fait à son Confesseur qu'une réponse conditionnelle ainsi que l'Admiral avoit fait au sien, il s'en alla de même en l'autre monde sans vouloir y rien changer. La Dame sortit du couvent tout aussi-tôt sans y vouloir demeurer davantage, & son Pere crut y devoir donner son consentement sans se faire tirer l'oreille, depeur qu'en resistant on ne fut persuadé dans le monde que son gendre avoit eu raison de faire ce qu'il avoit fait. Quand elle fut ainsi retournée à Paris je crus que rien ne m'empêchoit plus d'aller chez elle, & j'y fus comme de coutume. J'y fus tout aussi-bien reçû en apparence que je l'avois jamais été, mais lui ayant voulu demander les mêmes faveurs qu'elle m'avoit faites auparavant, elle me dit franchement que le tems n'en étoit plus, que si elle avoit été folle elle ne le vouloit plus être; mais que si ces faveurs m'étoient cheres, elle me les rendroit quand je voudrois, pourvû que je les voulussent meriter par un mariage. Il y en eut eu beaucoup à ma place qui l'eussent pris au mot. Jeune belle & riche comme elle étoit déja, & comme elle le devoit être encore davantage après la mort de son pere, étoit plus qu'il n'en falloit pour tenter un Gascon qui n'avoit que la cape & l'épée; mais trouvant qu'il y avoit assez de cocus, sans en augmenter encore le nombre, je demeurai si froid & si interdit à cette proposition, qu'il lui fut impossible de le méconnoître. Elle m'en fit quantité de reproches, & me dit que voila ce que c'étoit que d'obliger un ingrat. J'eus la bouche ouverte pour lui répondre que si elle n'eut jamais obligé que moi, peut-être ni eusse-je pas pris garde de si près, mais faisant reflexion que je la desobligerois plus par cette parole, que par quelque méchante excuse que je pusse trouver, je lui répondis que j'accepterois de bon coeur l'honneur qu'elle me voudroit faire si ce n'est que j'avois tant d'aversion pour le mariage, que j'avois peur de la rendre malheureuse, aussi-bien que moi. Elle entendit bien ce que cela vouloit dire, dont me sachant très mauvais gré, elle chercha un autre Marchand, puis que je ne voulois pas être le sien. Elle n'en manqua pas à Paris où les cornes ne font pas de peur à quantité de gens, pourvû qu'elles se trouvent dorées. Le Chevalier de... Cadet de bonne maison, mais qui n'avoit pour toutes choses qu'une pension assez modique que son frere ainé lui faisoit, se mit sur les rangs & l'emporta. Je ne lui enviai point sa fortune, puis qu'il n'avoit tenu qu'à moi de l'avoir, mais comme j'eusse été bien aise d'en faire ma Maîtresse, je me presentai devant elle, quand ils furent mariez pour voir si elle seroit d'humeur de me traiter comme elle avoit fait, du vivant de son premier mari. Le Chevalier dans l'esprit de qui elle ne passoit pas pour une Vestale, & qui avoit peur de sa foiblesse, crut qu'il m'en devoit parler plûtôt qu'à elle. Il me dit sans autre compliment que chacun étoit le maître chez soi, & qu'il ne trouvoit pas bon que j'y revinsse davantage. Je n'eus rien à dire à cela, & étant obligé de faire ce qu'il disoit, je me serois beaucoup ennuyé si Paris ne m'eût fourni mille autres Maîtresses qui me consolerent bien-tôt de celle là. En effet je ne fus pas long-tems sans en trouver une, non pas à la verité aussi belle qu'étoit la femme du Chevalier, mais qui en recompense étoit encore bien plus riche. Le compliment qu'elle me fit d'abord que nous fumes bons amis, fut extrémement de mon goût. Elle me dit que quand on étoit bien ensemble, il falloit que tout fut commun; qu'ainsi je pouvois mettre la main dans son Cabinet quand j'aurois besoin de quelque chose, & qu'elle n'y trouveroit jamais à redire.

Son mari étoit President, & ils ne vivoient pas trop bien ensemble, sans qu'ils s'en souciassent trop ni l'un ni l'autre. C'étoit lui qui étoit cause de leur desordre. Au lieu, dans les commencemens de vivre avec elle comme il devoit, il avoit debuté d'abord par mille amourettes. Elle s'en étoit trouvée toute scandalisée, & lui en avoit dit son sentiment; mais comme il ne la vouloit pas mettre sur le pied de le controller, quand bon lui sembleroit, il lui dit qu'il ne se plaisoit nullement à ses corrections, & qu'il la prioit de s'en deffaire. Ce compliment avoit bien plus l'air d'un commandement que d'une priere, & comme un mari n'aime point que sa femme le controlle, & qu'une femme aussi n'aime point de se voir méprisée par son mari, celle-ci se trouva si outrée de sa conduite & de sa réponse, qu'elle résolut de lui ôter son coeur. Le procedé qu'il continua de tenir avec elle la convia bien-tôt à éxecuter sa résolution. Il eut toûjours un nombre infini de Maîtresses, & comme dans peu de tems l'on mange beaucoup de bien à un métier comme celui là, il n'y eut Personne qui ne conseillât à la Presidente de se faire separer de biens d'avec lui. Ses parens l'en presserent même avec beaucoup de chaleur, & comme elle ne pouvoit pas trop considerer son époux de la maniere qu'il en usoit avec elle, elle y donna les mains sans se mettre beaucoup en peine de la confusion que cela lui alloit donner dans le monde.

Le President se servit de toute son authorité pour empêcher que le Châtelet n'ajugeat à sa femme ce qu'elle demandoit. Cela traina l'affaire en longueur, mais enfin comme la dissipation dont elle l'accusoit étoit manifeste, & qu'il y a des regles dans la justice que l'on ne sauroit passer, sans se rendre coupable de prevarication, ce tribunal alloit prononcer contre lui quand il s'avisa d'un tour de chicanne pour reculer sa condamnation. Il lui fit un incident sur ce que le Lieutenant civil étoit de ses parens, & l'ayant attirée par là au Conseil, il y demanda d'autres juges. Le Conseil où il avoit des amis aussi-bien que dans les autres tribunaux ne voulut pas juger l'affaire si-tôt, pour donner le tems à sa femme de se raccommoder avec lui & à leurs amis communs d'y travailler. Ce President y fit tout son possible, mais comme l'amitié qu'elle avoit euë pour lui au commencement s'étoit non-seulement évanoui, mais qu'il y avoit encore succedé beaucoup de haine, elle ne voulut jamais écouter ni aucune des propositions qu'il lui fit, ni aucune de celles qu'il fit faire par ses parens, & par ses amis. Comme il vit cela, & que quelque credit qu'il eut au Conseil il y seroit bientôt debouté de ses demandes, il lui fit une autre chicanne qui suffisoit toute seule pour la perdre dans son esprit, quand même il n'y eut pas déja été assez perdu. Il trouva deux ou trois faux témoins qui lui promirent de desposer comment ils l'avoient veuë entrer dans le carosse d'un homme, ses coeffes baissées, & comme une femme qui ne vouloit pas être connuë, pour couvrir apparement le mal qu'elle alloit faire. Ces faux temoins lui promirent aussi de dire que le Carosse avoit été ensuite du côté du Bois de Boulogne, & que s'étant arrêté dans le Village qui porte ce nom là, elle y étoit descenduë & entrée dans une Hostellerie où elle avoit demeuré deux ou trois heures tête à tête avec celui qui étoit dans le Carosse avec elle.

Cette accusation étoit grave, & comme il y alloit de l'honneur & de la reputation de la Dame, elle ne servit qu'à éloigner encore son coeur de son mari. Cependant comme ce n'étoit qu'une medisance, & qu'elle en vouloit avoir reparation à quelque prix que ce fut; elle entreprit les témoins, & les convainquit de fausseté. Il se trouva par bonheur pour elle que le même jour qu'ils l'accusoient de ce rendez-vous elle avoit été enfermée toute l'après dinée dans un Couvent, ainsi toutes les religieuses deposant en sa faveur, son innocence, que son mari voulait opprimer pour se delivrer du procès qu'elle lui faisoit, fut reconnuë generalement de tout le monde.

Le cours de cette affaire ayant interrompu l'autre, elle recommença à poursuivre la premiere avec toute la chaleur que demandait l'affront qu'il lui avoit voulu faire. Elle vint à bout de ce qu'elle desiroit, & le Conseil ayant debouté le President de sa requête, le Chatelet lui adjugea après cela tout ce qu'elle desiroit. Elle fut separée de biens d'avec lui: & fut toute prête en même tems de le poursuivre en separation de corps, sur ce qu'il l'avoit accusée d'adultere; mais ayant consulté cette affaire avant que de s'y engager, & les Avocats lui ayant dit qu'elle n'y réussiroit pas, parce qu'il n'avoit rien fait que sur le temoignage dont il ne s'étoit pu deffendre, elle en demeura là, quoi que dans son coeur, elle lui en voulut bien du mal. Il tâcha de l'adoucir par une conduite plus réglée que celle qu'il avoit tenuë jusques là, mais comme il ne faisoit rien que par contrainte, & que quand on est une fois debauché, on revient bientôt à son premier train de vie, il lui arriva une avanture fâcheuse, quoiqu'il crut d'abord que ce ne fut qu'une galanterie. Il avoit une belle maison à quatre lieuës de Paris, où il alloit souvent s'en donner à coeur joye avec ses Maîtresses. Or sa femme se trouvant incommodée pendant quelques jours, il s'y en fut tout seul & y donna rendez-vous à une de ses amies. Il l'y garda pendant deux ou trois jours, & s'y étant bien diverti avec elle il la renvoya à la Ville, pendant qu'il y demeura encore le reste la semaine avec elle.

Le voisinage de Paris lui ayant attiré bonne Compagnie pendant qu'il étoit là, il y vint un de ses amis avec une Dame qu'il lui fit passer pour une de ses cousines germaines. Il lui dit qu'elle étoit mariée à un Gentilhomme de distinction de la Province de Bourgogne, & qu'un procès qu'elle avoit au Parlement l'avoit attirée à Paris. Il en avoit une effectivement qui étoit mariée en ce Pays-là, & qui y demeuroit actuellement, mais elle étoit bien éloignée de ressembler à celle-ci. Celle-ci étoit aussi peu cruelle que l'autre étoit sage: & ils avoient choisi son ami & elle la maison du President pour y venir passer quelques jours ensemble, croyant tous deux qu'il n'étoit pas homme à prendre garde de si près à leurs affaires, & que quand même il y prendrait garde, il n'étoit pas assez ennemi de nature pour se scandaliser de ce qu'ils auroient fait servir sa maison à leurs plaisirs. En effet il n'étoit pas grand formaliste là dessus. Cependant s'étant douté qu'ils étoient bien ensemble, quoi qu'ils lui en fissent mistere, il resolut de le découvrir de lui même sans qu'il lui fut besoin de leur donner la question. Pour cet effet il les mit coucher dans deux chambres qui étoient l'une auprès de l'autre, & qui avoient communication ensemble. Il donna un lit d'ange à la Dame, qui au lieu d'être sur une couche ordinaire, étoit au milieu de la chambre suspendu par quatre coings. Il contoit que s'ils étoient bien ensemble l'homme viendroit l'y trouver, & il batissoit là-dessus un dessein qui devoit servir à l'eclaircissement de ce qu'il cherchoit.

Au reste après leur avoir fait fort bonne chere, l'heure de se coucher étant venue, il les fit passer tous deux chacun dans leur appartement. Ils furent ravis quand ils virent qu'ils étoient si près l'un de l'autre, & sur tout quand après avoir regardé la porte de communication qui y étoit, ils reconnurent que rien ne les empêcheroit de se visiter. L'homme fut trouver la Dame comme le Président s'y étoit bien attendu, & s'étant mis avec elle dans le lit, qui étoit en l'air, & qui ressembloit plûtôt à une branloire qu'à un veritable lit, le President ne les crut pas plûtôt endormis, qu'ils furent guindés au haut de la chambre par le moien des cordons qui étoient dans des poulies attachées aux quatre coins. Ils étoient si fatiguez soit du voiage qu'ils avoient fait de Paris à cette maison, soit d'autre chose, qui ne se dit point, mais qui se devine aisément, qu'ils ne se sentirent point enlever. Ils se trouverent ainsi le lendemain matin bien étonnés quand ils se virent tout au haut de la chambre. Elle avoit pour le moins quinze pieds d'élevation, & ne pouvant sauter du haut en bas sans courre risque de se rompre ou un bras ou une jambe, leur état leur parut tout aussi triste que celui d'un homme qui se voit pris dans un piege, lors qu'il y pense le moins. Ils demeurerent là jusques à midi que le President jugea à propos de les aller relever de sentinelle. Il fit le surpris quand il les vit couchez ensemble, & guindez si haut; mais enfin ayant converti bien-tôt son feint étonnement en raillerie, il leur dit qu'il se fussent épargnez cette confusion, s'ils eussent voulu: qu'ils n'avoient qu'à lui avouer leur intrigue, & que comme il n'étoit pas scrupuleux, il se fut fait un plaisir de leur rendre service. Il goguenarda beaucoup après cela, & bien que la Dame ne fut pas sans confusion non plus que son ami, ils feignirent d'entendre le mot pour rire; parce qu'ils ne pouvoient rien faire de mieux. Cependant un secret sentiment leur en demeurant gravé dans le coeur, ils ne furent pas plûtôt de retour à Paris que l'homme resolut d'en prendre vengeance. Il rumina bien comment il s'y devoit prendre pour l'assurer, & comme il ne voioit rien qui lui promit un succès plus favorable qu'une pensée qui lui venoit, voici ce qu'il fit incontinent pour la mettre à execution. Comme il se doutoit qu'en apostant quelque jolie fille à ce magistrat, il donneroit tête baissée dans le panneau, il en choisit une qui étoit toute aussi gâtée qu'elle étoit belle. Il la fit venir chez lui avec une autre femme qui lui ressembloit quant aux moeurs. Il les fit habiller en religieuses & donna à celle qui ne se portoit pas bien & qui étoit la plus jolie tous les ornemens qu'une Abbesse a coutume de porter, afin qu'on la reconnoisse d'avec les autres.

Quand cela fut fait, il lui donnât aussi une carosse à six chevaux avec des livrées grises. Ce carosse prit le chemin des eaux de Bourbon, sur lequel étoit la maison du President. La fausse Abbesse à qui le mal qu'elle avoit ne donnoit pas bonne couleur, s'étant arrêtée dans son village sur les cinq heures après midi, sous prétexte qu'elle étoit si incommodée qu'elle ne pouvoit passer outre, envoia une heure après demander au President s'il trouveroit bon qu'elle se fut promener dans son parc d'abord qu'elle se seroit reposée. L'on étoit alors au mois de mai où les journées sont longues, & assez chaudes; & s'y en étant allée sur les sept heures du soir après avoir sçû que le President le trouvoit bon, non seulement, mais encore qu'il lui feroit voir lui-même tout ce qu'il y avoit de beau dans sa maison, il vint au devant d'elle jusques à la porte quand il sut qu'elle étoit arrivée. Il trouva qu'il ne lui manquoit que le teint pour être une des plus belles personnes du monde, l'attribuant à ce dont on a de coutume d'accuser les Dames, savoir d'être amoureuses. La charité qu'il avoit naturellement pour le beau sexe lui fit songer à lui offrir un remède que l'on fait passer pour souverain dans ces sortes de maladies. Il ne lui voulut pas dire tout d'un coup jusques où s'étendoit la bonne volonté qu'il avoit pour elle, & étant bien aise de la prévenir auparavant en sa faveur, il n'y eut sorte d'honnêteté qu'il ne lui fit, ni de douceur qu'il ne lui contât. La feinte Abbesse feignoit de n'y être pas insensible, & lui faisant accroire qu'elle n'avoit nulle inclination au couvent, lors que ses parens l'avoient obligée de s'y jetter, il lui témoigna de son côté de prendre grande part à la violence qui lui avoit été faite. Enfin s'enflammant toûjours de plus en plus auprès d'elle, il lui debita quantité de fleurettes qu'il ne crut pas perduës de la manière qu'elle les receut. Elle le fit comme une femme qui n'eut pas sçû ce que c'étoit que du monde, c'est à dire comme une innocente qui croyoit tout ce qu'on lui disoit. Le President l'attribua à ce qu'elle avoit été enfermée dans un couvent dés la bavette, de sorte que la croiant aussi neuve en amour qu'elle y étoit vielle & usée, il se crut le plus heureux de tous les hommes. Il se fit donc une bonne fortune de ce qu'un morceau comme celui-là lui étoit reservé. Il s'abusoit bien dans sa pensée, aussi en ayant tâté après quelques façons que fit la Dame pour mieux faire valloir son jeu, il ne fut guerres à reconnoître qu'il lui eut vallu presque autant prendre du poison que de taire ce qu'il avoit fait. Il devient malade en peu de jours, & son teint étant devenu semblable plûtôt à un mort qu'à un homme vivant, il fut obligé d'avouer en se regardant dans un miroir, que s'il falloit se mocquer de ceux qui avoient les pâles couleurs, il en étoit du nombre, aussi bien que sa nouvelle amie.

La fausse Abbesse demeura chez lui quatre ou cinq jours, & ils n'y eurent qu'une même table & un même lit. Elle en partit ensuitte pour aller à son prétendu voiage, mais elle ne fut pas plûtôt à Corbeil qu'au lieu de le continuer, elle y passa la rivière de Seine pour s'en retourner à Paris. Celui qui l'en avoit fait sortir lui avoit promis qu'en cas que son voyage fut heureux, il lui donneroit une bonne recompense. Au reste elle étoit bien aise de lui aller dire qu'il l'avoit été tout autant qu'il le desiroit, ou qu'elle se trompoit fort: l'homme fut ravi de cette bonne nouvelle, & lui ayant donné dequoi la bien contenter, elle quitta les habits qu'elle avoit auparavant. Le President cependant sentit de grandes douleurs par tout le corps, & comme il étoit bien éloigné de savoir ce que cela vouloit dire, il s'approcha de sa femme aux heures qu'il avoit quelque relâche. Elle le souffrit, quelque mal qu'ils fussent ensemble, soit qu'elle aimât encore mieux cela que rien, ou que son Confesseur lui eut fait un scrupule, de refuser le devoir à son mari. Ce ne fut pas neanmoins sans prendre part au present qui lui avoit été fait, dont s'étant apperçûe encore plûtôt que lui, elle lui dit des injures capables de faire perdre patience à l'homme du monde le plus retenu. Il n'osa rien dire, parceque le mal qu'il souffroit lui même lui faisoit apprehender d'être coupable. En effet n'ayant guerres été à reconnoître que la feinte Abbesse étoit une fausse pièce, il se jetta à ses pieds pour la supplier de lui pardonner. Il lui conta même comment il avoit été attrapé, pretendant lui donner de la compassion par la nouveauté du fait, ou tout du moins lui rendre son excuse plus recevable. S'il eut bien fait il devoit au lieu d'avouer ainsi la dette si franchement, rejetter sur elle même la cause de cette maladie. La Dame aussi mourant de peur qu'il ne s'en avisât, fit semblant de lui pardonner, afin qu'il ne fit point de difficulté une autrefois de convenir de la chose tout de même qu'il venoit de faire. Il se tint heureux dans son malheur; & ne feignant point de lui faire tout de nouveau le recit de cette avanture, lors qu'il lui plut de remettre cette affaire sur le tapis, il ne prit pas garde qu'elle avoit fait cacher deux personnes à la ruelle de son lit, afin de déposer contre lui quand il en seroit tems. Ayant été sa duppe, lorsqu'il y pensoit le moins, elle le fit venir en justice où elle intenta instance en separation de corps. Il voulut alors se dédire, de ce qu'il lui avoit dit en secret: il croioit que personne ne le pouroit convaincre de fausseté, puisqu'il ne dependoit que de sa bonne foi d'avouer ou denier la dette; mais les deux témoins lui ayant été confrontés, il n'eut rien à dire, sinon que sa femme étoit plus fine que lui. Elle obtint ainsi au Châtelet la separation de corps, qu'elle demandoit, pendant que le Parlement selon sa coutume ne crut pas devoir prononcer si vite. Il voulut leur laisser le tems de faire reflexion à ce qu'ils alloient faire, c'est pourquoi avant donné arrêt par lequel ils devoient avoir six mois pour aviser s'ils se separoient ou non, ce terme ne fut pas plûtôt expiré qu'elle recommença ses poursuites. Le Parlement ne put lui refuser de confirmer la sentence du Châtelet, ainsi ayant été deffaite d'un mari dont elle avoit si peu de lieu d'être contente, elle sec mit chez un de ses parens qui étoit mon ami intime. Ce fut là où je ne perdis pas mon temps auprès d'elle. Elle me fit du bien au deffaut de Mr. le Cardinal qui ne m'en faisoit guerres non plus qu'à Besmaux, qui avoit été par son ordre en Italie avec le Marêchal de la Meilleraie. Il s'y fit donner un coup de pistolet au coin de l'oeil, ou du moins il fit acroire qu'on le lui avoit donné. Ce n'étoit rien pourtant, & il ne lui avoit pas fait plus de mal que si en se gratant il se fut égratigné avec son ongle; mais de peur qu'on n'en perdit le souvenir, & afin que cela rendit témoignage dans l'occasion qu'il auroit été à la guerre, il y porta depuis une mouche, qu'il y conserve encore aujourd'hui fort precieusement.

Je ne fus guerres à me faire aimer de la Dame, & comme elle n'avoit jamais eu d'enfans avec son mari, elle se flatta que quelques faveurs qu'elle me put accorder elle n'y courroit aucun risque. Je ne fus pas faché qu'elle se deffit ainsi de la crainte qu'une autre eut pû avoir à sa place, & vivant avec elle comme un mari, & une femme ont coutume de faire ensemble, à la reserve que bien loin de faire les choses tambour battant, nous ne les faisions qu'en cachette, elle devint grosse lors qu'elle s'y attendoit le moins. Elle ne s'en apperçut pas plûtôt qu'elle en fut au desespoir. Cependant comme c'étoit une chose faite, & où il n'y avoit point de remede, elle eut recours à moi pour lui dire comment elle s'y prendroit pour empêcher que cela ne vint à la connoissance de son mari, & de ses parens. Je n'y trouvai point de meilleur expedient, que de la faire aller dans un Couvent, lors qu'elle craindroit qu'il n'y parut à sa ceinture. Elle me crut, & lui ayant donné une sage femme au lieu d'une femme de chambre, afin que quand ce viendroit le tems de sa couche elle en put tirer le secours qu'il lui falloit, il arriva que lors que l'on avoit conduit toutes choses avec tant de jugement & de secret, que cette affaire ne passoit pas sa femme de chambre, elle & moi, tout le couvent en eut connoissance par un malheur auquel je ne pouvois prévoir ni moi ni personne. Elle eut un des plus rudes accouchemens qu'une femme puisse jamais avoir, de sorte que la sage femme ne sachant à qui recourir, elle se vit dans la fatale nécessité ou de la laisser mourrir entre ses bras sans secours ou d'en appeller de la ville. Elle ne le pouvoit faire cependant sans en demander permission à la Superieure, & comme il y alloit de la vie d'une femme, & de celle de son enfant, elle n'en fit point de difficulté après y avoir bien fait reflexion; qui fut bien surprise ce fut là Superieure, lors qu'elle apprit que cette Dame étoit en travail. Elle assembla en même tems les meres discrettes pour sçavoir comment elles auroient à se conduire dans une occasion aussi delicatte que celle là; elles se trouverent toutes aussi embarrassées qu'elles le pouvoient être à une nouvelle si impreveuë. Celles qui avoient de la charité dirent pourtant, après y avoir pensé meurement, qu'au hazard de tout ce qui en pouvoit arriver, il falloit secourir la mére & l'enfant; mais les autres s'étant trouvées d'un autre avis, le tems qu'elles mirent devant que de se pouvoir accorder, fut cause que cette Dame expira dans les douleurs, plus aisées à concevoir qu'à d'écrire. L'enfant lui demeura cependant dans le ventre, & bien que la sage femme leur dit qu'en le lui ouvrant on pourroit peut-être encore le sauver, elles ne voulurent jamais permettre qu'il vint un Chirurgien, de peur que cela ne portât coup à la réputation de leur couvent.

La Mort de cette Dame ayant fini nôtre intrigue, & m'en étant consolé quelque tems après, parce qu'en ce monde les plus grandes afflictions finissent aussi bien que celles qui ne sont pas si considerables, je resolus de me marier pour n'être plus exposé à ce nombre infini d'avantures qui m'arrivoient avec mes Maîtresses. Cette resolution n'étoit pas difficile à prendre, principalement comme je la prenois. Je voulois une jeune personne qui fut riche & passablement belle, si elle ne l'étoit pas tout à fait, & comme cela ne se rencontre pas tous les jours, sur tout quand on na ni bien ni établissement comme je n'en avois aucun, je fus long tems à chercher sans pouvoir trouver ce que je voulois. Enfin une Dame de robe chez qui j'allois tous les jours, & qui étoit parente de Madame de Treville sachant mon dessein, ne dit qu'elle sçavoit une jeune veuve qui étoit mon veritable ballot; qu'elle vouloit me rendre ce service que de me mettre aux mains avec elle; que c'étoit à moi à faire le reste; mais que s'il ne me manquoit encore que de parler en ma faveur je pouvois conter qu'elle s'y employeroit de toutes ses forces. Je fus ravi de cette promesse, & l'en ayant remerciée comme je devois, je la priai de me donner le plûtôt qu'elle pourroit des marques de sa bonne volonté. Je lui dis que si j'étois si pressé, c'est que la campagne ne tarderoit gueres à revenir, & que comme j'étois sur le pied d'être un des chevaux de poste de Mr. le Cardinal j'aprehendois que quand je serois une fois embarqué avec la Dame, il ne rompit mes mesures par quelque commission incommode. En effet Besmaux & moi faisions la plûpart de ses messages, & cela ne nous plaisoit guerres, parce que ce n'étoit pas de ces messages où il y a de l'honneur & du proffit, mais de ceux où il n'y avoit que de la peine sans aucune utilité. Mais avant que de m'engager plus avant dans cette affaire il faut que je dise quelque chose de celles qui regarde l'Etat.

Après être revenu de devant Courtrai, & que le Duc d'Orleans eut quitté l'armée ensuitte de quelques autres conquêtes, le Duc d'Anguien à qui le commandement en étoit resté, avoit demandé permission d'assieger Dunkerque. Cela avoit surpris toute la Cour, parce que la Campagne étoit déja bien avancée, & qu'il sembloit n'y avoir pas assez de tems pour une entreprise si considerable; d'ailleurs cette place avoit pour Gouverneur un certain Marquis de Leide, homme fort entendu dans le metier de la guerre, & qui prevoyant dès l'année precedente quand il avoit veu assiéger Mardik, que nous ne faisions cette entreprise que pour nous ouvrir le chemin pour aller à lui, s'étoit precautionné contre nos desseins.

Le Cardinal remontra ces difficultez à St. Evremont que le Duc d'Anguien avoit envoyé à la Cour pour obtenir la permission qu'il demandoit. Il l'avoit choisi préférablement à beaucoup d'autres, pour lui donner cette commission, parce que comme il avoit beaucoup d'esprit, il esperoit qu'il répondroit pertinemment à toutes les objections qui lui seroient faites. Il ne se trompoit pas, il applanit à ce Ministre toutes les difficultez qu'il se formoit dans son esprit. Cependant voyant qu'il en revenoit toûjours à sa timidité naturelle, qui le faisoit trembler au milieu des ennemis les plus assurez, il lui demanda si Mr. le Duc d'Anguien comblé de gloire comme il l'étoit, voudroit entreprendre quelque chose au dessus de ses forces pour le faire craindre comme il faisoit; s'il ne savoit pas qu'il y alloit de sa propre réputation aussi-bien que de la gloire de l'Etat, d'où il devoit inferer qu'en ayant toûjours été très jaloux, il n'étoit pas homme à s'engager temerairement dans une folle entreprise. Le Cardinal lui objecta que ce siége ne se pouvoit faire sans les Hollandois, & que n'y ayant point de traité de fait avec eux, la saison s'en passeroit devant qu'il put être conclu. S. Evremont lui repondit que le Duc y avoit pourvû, en envoiant vers eux le Baron de Tourville son premier Gentilhomme de la chambre; qu'il devoit negocier ce traité sous le bon plaisir de la Cour, afin que si elle approuvoit ses desseins il n'y eut point de tems perdu. Le Cardinal vit bien de la maniere que Saint Evremont lui parloit que ce siége étoit resolu dans l'esprit du Duc, & comme il avoit beaucoup de confiance en lui, il renvoya ce messager, avec ordre de lui dire que le Roi le laissoit le Maitre de faire tout ce qu'il jugeroit à propos.

Il y avoit un peu de malice dans une si prompte condescendance. Ce Ministre qui commençoit à vouloir regner tout seul ne voioit point, comme j'ai déja dit de belle charge vacante, soit à la guerre soit à la Cour, qu'il ne devorât des yeux pour ses neveux, & pour ses nieces, qu'il avoit fait venir d'Italie. Au reste il y en avoit une des plus grandes & des plus considerables qui vaqnoit depuis quelques mois; c'étoit celle d'Admirale de France dont le Duc de Bresé frere de la Duchesse d'Anguin étoit revétu avant sa mort. Il avoit été tué d'un coup de canon sur les côtes d'Italie, où il commandoit nôtre armée Navale, pour favoriser l'entreprise que le Cardinal avoit fait sur les deux places dont il a été parle ci-devant. Elle lui avoit mieux réussi que celle d'Orbitelle; les Maréchaux de Meilleraie & du Plessis les avoient emportées, & comme la Campagne de Flandres n'avoit pas été moins heureuse, il ne pretendoit pas moins pour les services qu'il croioit y avoir rendus que d'avoir cette grande charge. Il la destinoit au Duc de Mercoeur fils ainé du Duc de Vendôme, à qui il vouloit donner une de ses nieces, mais il trouvoit de la difficulté de la part du Prince de Condé & du Duc d'Anguin qui pretendoient qu'elle dut appartenir à la soeur du deffunt. Cette pretention ne pouvoit être fondée que sur les services du Duc qui étaient tels qu'on pouvoit compter autant de batailles gaignées qu'il avoit déja fait de Campagnes. Une gloire si éclatante donnoit de la jalousie à ce Ministre, & lui faisait craindre que son droit ne prevalut au sien, tant qu'il ne lui arriveroit rien de facheux. Ainsi se flattant que quelque conduite & quelque courage qu'eut ce Général, il auroit de la peine à surmonter les difficultez de la saison, & à forcer un Gouverneur si experimenté il donna les mains à tout ce qu'il vouloit.

St. Evremont étant parti avec ces ordres, & Tourville étant revenu de Hollande avec de bonnes nouvelles, le Duc s'achemina devant cette place & se mit au dessus de tous les obstacles des ennemis, & de la saison par sa bonne conduite & par sa bravoure. Le Marquis de Leide y fit pourtant tout ce que l'on pouvoit attendre d'un brave homme, & fort entendu dans le metier. Cependant le Comte de Laval, dont l'ai parlé ci-devant, étant de garde à la tranchée y fut blessé d'un coup de Mousquet à la tête. J'étois tout auprès de lui lorsque cet accident arriva. Mr. le Cardinal m'avoit envoyé vers le Duc pour le porter à se desister de la pretention qu'il avoit sur la charge d'Admiral, pour recompense de laquelle il promettoit de lui faire avoir ce Gouvernement pour qui bon lui sembleroit, d'abord que cette place seroit prise. Il lui promettoit aussi d'y faire joindre quelques autres graces de la Cour. Mais le Duc s'étant moqué de ses offres, je pouvois reprendre la route de Paris d'où je venois; neanmoins je n'en voulus rien faire, que je n'eusse veu la tranchée. Le Comte de Laval qui étoit Marêchal de Camp y commandoit ce jour là, & comme je ne l'avois point encore vû, il me demandoit si je ne savois point des nouvelles de sa femme, quand il receut le coup dont je viens de parler. Il en tomba par terre comme s'il eut été mort. Je crus effectivement que c'en étoit fait quand il se releva tout d'un coup en me disant que ce n'étoit rien. Il se fit même doner de l'ancre & du papier devant que de se faire emporter à sa tante & écrivit à sa femme, que comme il ne doutoit pas qu'elle ne fut allarmée à la nouvelle qui se debiteroit tout aussi-tôt de sa blessure, il étoit bien aise lui même de lui apprendre qu'elle n'était pas si dangereuse qu'on la lui pouroit faire: mais, ou il ne se sentoit pas, ou il étoit bien aise de ne la pas allarmer. Je n'eus donc pas plûtôt demeuré une heure ou deux à la tranchée & remarqué l'état où elle étoit, que je fus prendre congé du Duc d'Anguin qui m'avoit dit qu'il me vouloit donner des lettres pour son Eminence. Il m'en donna une effectivement, & comme il lui mandoit que la blessure du Comte de Laval étoit tout autre que ce Comte ne l'avoit mandé à sa femme, tout Paris fut bientôt rempli du bruit de sa mort prochaine. On le cacha tout autant que l'on put à Madame de Laval, mais ayant eu le vent de son état elle n'en voulut rien croire, parce qu'elle adjoutoit plus de foi à la lettre qu'elle avoit receuë de son mari, qu'à tout le reste. Le Chancellier qui l'avoit vûe entre les mains de sa fille, sachant que c'étoit moi qui avois apporté la nouvelle qui la detruisoit m'envoia prier de le venir voir. Il me demanda confidement en quel état étoit son gendre, & ce qu'il devoit croire ou de la lettre qu'il avoit écrite lui même à sa femme ou de ce que l'on publioit dans le monde. Je le voulus flatter, mais reconnoissant tout aussi-tôt mon dessein, il me dit qu'il ne m'en demandoit pas davantage & que je lui disois plus en ne lui disant rien que si je lui confirmois tout ce qu'il apprenoit d'ailleurs; qu'il me prioit de tenir à tout le monde le même langage que je venois de lui tenir, parce que si je parlois d'une autre maniere il avoit peur que sa fille ne le sut, & que cela ne fut capable de lui faire tourner la cervelle: que comme elle aimoit extremement son mari, il prendroit les devans pour la preparer insensiblement à la nouvelle de sa mort, qui vraisemblablement ne tarderoit guerres à venir. Je ne voulus lui rien dire davantage, de peur de lui être cruel en lui deguisant encore la verité. Il devinoit juste quand il croioit ce qu'il disoit; puisque deux jours après il vint un Courier de l'Armée qui apporta cette triste nouvelle.

Cependant le Duc d'Anguien prit cette place contre l'esperance du Cardinal, & cette Conquête ayant encore haussé les esperances du Prince de Condé il manda à son fils de ne pas revenir de l'armée, jusques à ce qu'il sçût que ce Ministre fut d'humeur à lui rendre justice sur ses pretentions. La chose étoit en negociation de part & d'autre, & le Cardinal qui croyoit que pourvû qu'il peut conserver cette charge pour lui il n'y avoit rien qu'il lui dut refuser, lui offroit quantité de choses en la place. Le Prince de Condé qui agissoit pour son fils, crut toûjours qu'il falloit prendre, & que cela n'empêcheroit pas le Duc de renouveller ses pretentions dans un autre tems. Ainsi il se platra un accommodement, après lequel le Duc vint à la Cour ou il fut regardé comme un Heros qui n'avoit pas eu son pareil depuis long-tems.

Ce fut dans ce tems-là que la parente de Madame de Treville me proposa le mariage dont je viens de parler. Je lui avois assez témoigné qu'il m'étoit agréable, pour la porter à n'y point perdre de tems. Elle n'y en perdit point aussi, & en ayant parlé à la Dame, elle lui dit tant de bien de moi qu'elle consentit de me voir chez-elle, pour juger elle-même si elle devoit croire tout ce qu'elle lui en disoit. Elle me plut extrêmement par un air de sagesse qui étoit répandu par toute sa personne. Sa beauté n'étoit pas tout à fait si touchante, quoi qu'il n'y eut rien qui dut rebutter. Je l'entretins quelque tems, & m'en étant allé le premier, afin que mon amie put lui demander ce qu'elle pensoit de moi, j'eus grand soin de la retourner voir dès le jour même, afin qu'elle m'en put rendre compte. Mon amie me dit que je ne lui deplaisois pas, & que comme elle avoit beaucoup de bien, elle esperoit qu'elle ne prendroit pas garde si j'en avois ou non. Je fus tout rejouï de cette bonne nouvelle, & l'ayant priée de me procurer encore de fois à autre quelque entrevûë avec cette Dame, afin d'entretenir & même d'augmenter la bonne opinion qu'elle pouvoit avoir de moi, elle me le promit, & me tint sa parolle.

Cette Dame s'appelloit Madame de Miramion, & c'est la même qui fait aujourd'hui tant de bruit à Paris par sa pieté. J'eus le bonheur de lui plaire toûjours de plus en plus, & comme il n'y a point de charmes semblables à ceux qui sortent de la vertu, j'en devins si amoureux que je n'eus point de repos qu'elle n'eut donné sa parole à mon amie de consentir au dessein que j'avois pour elle. Elle n'en voulut rien faire qu'elle ne me connut plus à fonds, ainsi elle lui répondit que ce n'étoit pas assez de se sentir quelque inclination pour moi, pour faire un marché qui devoit durer si long-tems, qu'il faloit savoir encore auparavant si je le méritois, & qu'il n'y avoit que le tems qui le lui put apprendre; que je me donnasse donc patience, parce que l'on gâtoit tout bien souvent à force de se trop presser. Je ne pus rien trouver à redire à cette réponse, & la voyant encore de fois à autre & toûjours chez la même Dame, mes affaires alloient le mieux du monde selon toutes les apparences, quand mes esperances se trouverent renversées tout d'un coup. Les grands biens de cette Dame lui donnoient beaucoup d'amoureux dont les uns s'étoient declarez & les autres n'en avoient encore rien fait. Je ne sais par quelle raison Bussi Rabutin que nous avons vû depuis Lieutenant Général des Armées du Roi & Mestre de Camp de la Cavallerie legere de France, étoit de ce dernier nombre. C'étoit un homme fort vain, & quand je ne le dirois pas ici, il n'y a qu'à lire son Histoire amoureuse des Gaules pour juger que je ne lui attribue rien qui ne lui soit bien dû. Cependant tout vain qu'il étoit, il ne jugea pas à propos de s'en fier aux rares qualitez dont il se vente lui-même dans l'éloge qu'il fait de sa personne. Il resolu de l'enlever, afin que se rendant maître de cette Dame, pas un ne songeât plus à elle, dans la prevention ou l'on seroit qu'il en auroit tiré par force, ce qu'il ne pouvoit esperer de bonne amitié. Il n'eut pas plutôt formé ce dessein qu'il se mit en devoir de l'executer. Il se munit de relais & de Carosses, & les ayant mis sur le chemin de la Brie, où il pretendoit se retirer dans une maison forte qui appartenoit à un de ses parens, il prit son tems qu'elle alloit de St. Cloux au Mont Valerien pour executer son coup. Elle étoit déja dans la devotion, mais une devotion reglée, & qui n'avoit rien d'incompatible avec le mariage. Elle pretendoit y aller en pelerinage quand il fit enlever son Carosse par de ses parens & de ses amis dont il avoit fait provision. Il lui fit en même-tems son compliment, & comme il avoit la langue assez bien penduë, il ne tint pas à lui qu'il ne lui fit accroire qu'elle lui avoit encore obligation du rapt qu'il faisoit de sa personne. Par malheur pour lui elle n'étoit pas fort credule, de sorte que lui ayant vomi des injures au lieu de la moderation à laquelle il vouloit la preparer, il quitta le langage doucereux, pour lui dire que soit qu'elle consentit ou non à son enlevement, il n'en seroit toûjours ni plus ni moins. Il la fit descendre en même tems de son Carosse, & l'ayant fait monter dans un autre, il prit son chemin entre St. Denis & Paris, afin de ne se pas engager dans la Ville. Il croyoit avoir si bien pris ses mesures, qu'il seroit ou il pretendoit aller, avant qu'on pût rien savoir nulle part de ce qui se passoit. Mais le Carosse où il l'avoit fait monter s'étant rompu à côté du bois de Boulogne où il ne s'étoit pas voulu engager pareillement, il se passa plus de deux heures, avant qu'il fut raccommodé.

Cela donna le tems à un des laquais de la Dame de venir annoncer à son amie, ce qui venoit d'arriver. J'étois chez elle par bonheur, & ayant appris cette méchante nouvelle j'en sortis en même-tems pour voler à son secours. J'y eusse été bien plûtôt, s'il y eut eu encore un Hôtel des Mousquetaires, mais il n'y en avoit plus, & le Cardinal Mazarin s'étoit tellement obstiné à vouloir avoir la compagnie de Mr. de Treville, que voyant qu'il ne vouloit point la lui donner, il avoit fait en sorte qu'elle avoit été cassée. J'eus ainsi bien de la peine avant que de pouvoir rassembler sept ou huit de mes amis. Je crus n'en avoir pas besoin de moins, parce que j'avois appris que Bussi en avoit autant des siens avec lui & même davantage. Je fis diligence & comme je savois à-peu-près le chemin qu'il tenoit, je fus bien tôt à les trousses. Il me découvrit de loin, & lors qu'il alloit entrer dans la maison ou il pretendoit se retirer; & comme on n'aime point à combattre quand on a tort, il me quitta le champ de bataille avec la Dame. Je fus à elle & lui temoignai la joye que j'avois de l'avoir delivrée des mains de son ravisseur. Je croyois qu'elle m'en alloit témoigner sa reconnoissance, & m'en faire des remerciemens à proportion de ce service, mais elle me regarda presque comme un homme qu'elle n'eut pas connu. Je l'attribuai à la peur qu'elle avoit euë, & qui aparemment la rendoit comme insensible: ne m'épouvantant donc point pour cela je la ramenai à Paris ou je crus qu'elle seroit plus en état de me dire ce qu'elle pensoit de ce que je venois de faire pour elle. Cependant j'eus beau m'y attendre, je n'en vis aucun effet, où si j'en vis quelqu'un, il ne servit qu'à me persuader que je n'avois pas plus à esperer auprès d'elle que si je l'eusse laissée entre les mains de Bussi. Elle me dit effectivement qu'après ce qui venoit de lui arriver jamais homme ne lui seroit de rien, qu'elle ne vouloit pas s'exposer aux reproches qu'on lui pouroit faire d'avoir été entre les mains d'un autre; que Dieu qui savoit tout, savoit bien neanmoins qu'il n'avoit rien été attenté à son honneur; mais que comme il ne suffisoit pas à une personne de se savoir innocente, & qu'il falloit encore pour bien faire que tout le monde le fut aussi-bien qu'elle, elle prendroit un parti qui la mettroit à couvert de ce qu'elle auroit à apprehender, si elle étoit jamais si folle que de se remarier.

Je fus touché de ces paroles plus que je ne le puis exprimer. J'en demeurai même si interdit qu'il me fut comme impossible d'y répondre. La Dame prit ce tems-là pour me quitter, soit qu'elle fut peut-être toute aussi penetrée de douleur, que je le pouvois être, ou qu'elle voulut s'exemter de me plaindre; elle évita donc une presence qui l'accusoit tacitement de maltraiter l'homme du monde qui meritoit le moins de l'être. Je ne saurois dire si en me quittant elle ne me dit rien autre chose que ce que je viens de rapporter, c'est dis-je ce que je ne saurois dire au juste, & tout ce que je fais c'est qu'étant allé chez son amie, & la mienne, pour lui conter mon malheur, je n'eus pas seulement la consolation de l'en pouvoir entretenir; elle avoit fait une partie de masque, & étant allé courre le bal, elle n'en revint que le lendemain matin. Comme je n'étois pas d'humeur à l'aller chercher là, je m'en fus chez moi où je passai une des plus méchantes nuits que j'aye passées de ma vie, aussi me dura-t-elle infiniment, & la matinée m'ayant encore tout autant duré, parce que cette Dame ayant couru toute la nuit, je la devois laisser reposer & ne l'aller voir que l'après dînée; Je m'y en fus enfin, quand je crus qu'elle pouvoit être visible. Elle savoit bien que j'avois été au secours de son amie, & même assez utilement; mais comme elle ne savoit pas de quelle maniere j'en avois été payé, elle pretendoit que cela devoit bien avancer mes affaires. Ainsi elle ne me vit pas plûtôt qu'elle me fit un compliment bien different de celui qu'elle m'eut fait si elle eut connu ce qui se passoit. Elle avoit pourtant été voir son amie une demi heure après que je l'avois quittée; mais il y avoit tant de monde chez-elle, qu'elle n'avoit pu l'entretenir en secret. Je la surpris extrémement quand je lui appris de quelle maniere j'en avois été reçû; elle me dit que cela n'étoit pas croyable, & lui ayant confirmé la chose par serment, elle prit son serieux & me dit qu'elle la verroit le jour même pour tâcher de lui faire changer de sentiment, avec toute la chaleur que l'on sauroit croire, & m'ayant promis d'y faire tout son possible, je la revins voir le soir pour savoir ce qu'elle auroit operé. Elle me dit d'abord qu'elle me vit qu'il n'y avoit rien à faire pour moi, & qu'elle me plaignoit tout autant que je meritois de l'être; qu'on n'avoit jamais oui parler d'un malheur pareil au mien, qu'il falloit que je fusse né sous une étoille bien malheureuse pour voir ainsi renverser mes esperances dans un tems où tout sembloit encore devoir les augmenter. Enfin elle me donna une infinité d'encens; mais tout cela n'étant que de la fumée, je lui demandai ce que la Dame lui pouvoit avoir dit pour colorer du moins la rigueur de son procedé. Elle me répondit qu'elle n'avoit rien autre chose à dire si-non ce qu'elle m'avoit dit à moi-même; qu'elle ne vouloit pas, à ce qu'elle pretendoit, s'exposer aux reproches que je lui pourois faire, si elle m'épousoit; que c'étoit tout ce qu'elle en avoit pu tirer; mais qu'au surplus elle s'étoit si-bien imprimée cette pensée dans la tête, qu'elle se trompoit fort si ni moi ni personne la lui pouvoient jamais arracher.

Ce fut toute la réponse que je pus avoir de l'une & de l'autre, tellement qu'ayant autant de lieu que j'en avois d'être mécontent des Dames, je résolus de ne pas perdre davantage mon tems avec elles. Je leur fis banqueroute effectivement pour le moins cinq ou six fois, & j'en eusse bien fait autant au Cardinal si je l'eusse pû, tant je trouvois que c'étoit un méchant maître. Il ne nous faisoit jamais present de rien ni à Besmaux ni à moi, & quoi que nous fussions auprès de lui en qualité de ses Gentilshommes, nous n'avions pas seulement le credit de faire entrer un de nos amis dans sa Chambre. S'il arrivoit à quelques uns de nous en prier il falloit que nous leur avouassions nôtre foible, ou que nous cherchassions du moins quelque deffaite, pour nous excuser de le faire. Enfin nous étions de veritables esclaves, ce qui m'eut fait songer à prendre mon parti, d'un autre côté, si j'eusse sçû à qui m'addresser pour être mieux. Mais personne ne nous regardoit tout tant que nous étions à lui. Comme il y avoit déja quelque tems qu'il avoit donné à connoître qu'il étoit tout aussi interessé que fourbe, il sembloit que nous lui ressemblassions, parce que nous étions ses Domestiques. Cela empêcha les personnes de qualité de s'attacher à lui, si-bien qu'on peut dire qu'on y voyoit plus de racaille que d'honnêtes gens. Il y entra même environ ce tems-là, ou du moins de peur que je ne mente, il y étoit entré quelque tems auparavant un petit homme dont l'extraction n'étoit pas plus grande que la taille. Il avoit été de son premier metier garçon cabaretier en Bearn, mais ayant troqué un bonnet rouge qu'il portoit en ce tems-là avec un chapeau bordé, & une plume blanche, il devint si fier pour avoir ainsi changé de parure & de condition, qu'il eut querelle presque avec tout le monde. Cependant comme il eut quelque avantage sur quelques-uns, il devint en grande faveur auprès de son Eminence qui en fit même quelque tems après un des principaux Officiers de ses Mousquetaires. Il étoit brave homme pour en dire la verité, & comme il y avoit dans cette même compagnie un Officier qui étoit tout aussi hargneux que lui, mais qui étoit Gentilhomme, ils en vinrent aux mains bien-tôt l'un contre l'autre. Les duels étoient si fort deffendus de ce tems-là, comme ils le sont encore aujourd'hui, qu'ils furent obligez de se cacher de tout le monde pour pouvoir se joindre seurement. Le Roi venoit de donner un grand exemple en la personne des la Frette, de la rigueur avec laquelle il traiteroit ceux qui enfraindroient ses Edits. Cela avoit fait peur à chacun, de sorte que quelque animez qu'ils fussent l'un contre l'autre ils tâcherent de couvrir leur action de tenebres. Ils se battirent dans une chambre à Charenton ou étoit leur quartier & la Vergne, c'est le nom de celui qui étoit Gentilhomme, y fut tué tout roide sur la place. Nantia son frere aîné qui étoit Ecuyer ordinaire de la Reine crut devoir étouffer cette affaire plûtôt que de la faire éclatter, par quelques procedures. Il fit enterrer le mort en cachette, & le tueur fut si heureux que le Roi n'entendit parler en aucune façon de ce combat. Ainsi cela n'empêcha pas que ce petit homme ne fit son chemin. Il demeura sous-Lieutenant de cette Compagnie, quand le Roi la prit pour lui; mais le bon homme Marsac qui la commandoit étant mort, & Mr. Colbert Ministre d'Etat l'ayant fait donner à son frere, qui la mit bientôt sur un autre pied, qu'elle n'étoit auparavant, ce petit homme fut si fier que sans se ressouvenir de sa naissance, il ne voulut pas lui obéïr. Il aima mieux quitter sa charge, ce qui fit la fortune de Mr. de Montbron. Car quoi qu'il fut né tout autre chose que lui, il se tint honoré de servir sous ce nouveau Commandant qui prit bien-tôt le nom de Comte de Maulevrier au lieu de celui qu'il portait auparavant. Ce Comte n'étoit pourtant que le fils d'un payeur des rentes, c'est-à-dire d'un bon bourgeois, mais comme la fortune de son frère le rendoit susceptible des plus grands honneurs, il fut non-seulement appellé Mr. le Comte, gros comme le bras, mais il voulut encore bien-tôt être Gouverneur de Province. Il traita du Gouvernement de Mets, & de tout le païs Messin avec le Marêchal de la Ferté qui outre cela avoit celui de Lorraine. Il se tenoit tout assuré d'en avoir l'agrément, & par rapport à la faveur de son frère, qui étoit alors dans le plus grand éclat, & par rapport à son courage qui pour ne point mentir n'étoit pas des moindres; aussi dans une petite guerre qui se fit quelque tems après en Hollande, & où le Roi envoya six mille hommes au secours de la Republique contre l'Evêque de Munster, du nombre desquels il étoit, Mr. de Pradel qui en avoit le commandement disoit d'ordinaire qu'il eut bien voulu être son heritier, parce qu'il étoit friand de la tranchée. Cependant quoi que chacun lui rendit justice là-dessus, & qu'il n'y eut personne d'assez passionné pour parler autrement de son courage, le Roi lui refusa l'agrément de ce Gouvernement. On ne sait pas bien d'où procéda ce refus, à moins qu'il ne fut scandalisé de ce qu'il s'en étoit tenu fort, sans lui en avoir parlé auparavant, ou que sa fierté qui surpassoit encore celle du petit homme dont je viens de parler, eut quelque chose qui lui fut desagréable. Le Comte de Maulevrier s'en trouva si piqué qu'il quitta sa compagnie. Mr. de Montbron l'eut après lui, & la vient de quitter tout presentement pour se mettre à la tête du Regiment du Roi, où Sa Majesté a témoigné que ses services lui seroient plus agréables qu'ailleurs.

J'ay un peu anticipé sur le tems & de passer comme j'ai fait de l'année 1648. jusques en 1672. je ne sais si je n'en serai point blâmé, par ceux qui ne cherchent que le moindre sujet de critiquer un ouvrage; mais qu'ils en fassent tout ce qu'il leur plaira, s'il n'y a que cela à redire à celui-ci j'en aurai bientôt l'absolution du public. Il y a des matieres qui emportent souvent, & dont le fil interrompu pourroit déplaire quelque fois davantage que de le poursuivre au préjudice de la Chronologie; quoi qu'il en soit, Madame de Miramion m'ayant donné mon congé de la maniere que je viens de dire, j'eus du moins la consolation de voir que ce n'étoit pas pour un autre qu'elle me quittoit. En effet elle fit bien-tôt après cet établissement qui édifie tout Paris, & qui est d'un grand secours pour un grand nombre de personnes.

Jusque-là le Cardinal nous avoit traité assez froidement Besmaux & moi, & comme nous avions été Camarades dans les Gardes, puis dans les Mousquetaires, & enfin Compagnons de fortune dans sa maison, il sembloit qu'il voulut que toutes choses fussent 473 égales entre nous deux jusques à ses rebuffades. Mais enfin lorsque nous y pensions le moins, il changea tout d'un coup de conduite à nôtre égard. J'en voulois pénétrer la raison, trouvant que nous meritions moins que jamais ses caresses, du moins moi, qui voyant le peu d'état qu'il faisoit de mes services, ne m'attachois plus tant à les lui rendre que je faisois auparavant. Je ne fus guerres à la connoître. Je vis que sa fortune chancelloit, & comme il commençoit à croire qu'il aurait bientôt besoin de tout le monde, il tâchoit de nous gagner. Je le dis à Besmaux qui me fit reponse, que soit que cela fut ou non, il fallait en faire nôtre proffit. Il concluoit toûjours là, desorte que je ne fus pas surpris de sa reponse. Ce Ministre s'étoit fait une infinité d'ennemis par un intérêt sordide qu'il avoit fait paroître en mille rencontres; s'il venoit à vaquer une charge soit de guerre ou autrement il ne falloit point conter qu'il considerât ni le service ni le merite pour la donner. Celui qui lui en offroit le plus étoit toûjours preferé aux autres, ce qui l'avoit rendu si odieux à tous ceux qui y pouvoient prendre intérêt que s'il n'eut tenu qu'à eux ils l'eussent renvoyé il y avoit déja bien long-tems en Italie. Pour ce qui est du peuple il n'en étoit pas content. Il étoit accablé d'Edits, & soit que se fut vérité, ou medisance, on vouloit qu'il eut envoyé en ce Païs-là une partie de l'argent qui en étoit provenu. Le murmure qui s'en étoit fait dés l'année 1645. eut été peut-être dés ce tems-là capable de produire de mechans effets, si Mr. le Prince ne l'eut empêché par sa prudence; mais étant mort sur la fin de l'année 1646. le Duc d'Anguin qui prit son nom ne témoigna pas pour lui la même consideration qu'avoit fait son pére, soit qu'il fut moins prudent qu'il n'avoit été, ou qu'il crut avoir sujet de se plaindre de ce Ministre. Il l'accusoit de l'avoir envoyé en Catalogne l'année d'après la Campagne de Dunkerque, & d'y avoir fait échouër sa gloire, en l'embarquant malicieusement au siége de Lerida où il l'avoit laissé manquer de toutes choses.

Le Cardinal à qui il ne falloit que montrer les dents pour en avoir tout ce qu'on vouloit, ne sut pas plûtôt les plaintes qu'il faisoit contre lui, qu'il fit tout ce qu'il put pour regaigner son amitié. Il y employa tout ceux qui avoient quelque credit sur son esprit; & comme le Duc de Châtillon en avoit beaucoup, & qu'il craignoit qu'il n'eut sur le coeur le refus qu'il venoit de lui faire du Gouvernement d'Ypres, il lui promit de lui-faire donner le bâton de Marêchal de France moiennant qu'il y voulut faire son devoir & oublier le passé. Ce Duc qui avoit déja eu cette dignité par deux fois dans sa Maison, & qui croioit la meriter aussi-bien que ceux qui en avoient été honnorez, se trouva choqué de cette proposition, au lieu d'en être satisfait comme pretendoit le Cardinal. Il fit réponse à celui qui lui en parla de sa part, que c'étoit à ses services que cette dignité étoit due & non pas à l'intrigue qu'il lui faisoit proposer; qu'il laissoit cela à ceux qui y étoient plus propres qu'il n'étoit, mais que pour lui ce seroit toûjours à son épée qu'il seroit redevable de tout le bien qui lui arriveroit. Le Cardinal jugeant à cette reponse qu'il étoit outré contre lui, il s'addressa à Guitaut qui étoit devenu depuis quelque tems favori du Prince. Celui-ci ne se montra pas si fier que l'autre, & moyennant vingt mille écus, qu'il lui donna comptant, il lui promit de faire sa paix avec son Maitre. Le Prince qui ne lui pouvoit rien refuser, lui accorda ce qu'il lui demandoit. Il remit au Cardinal l'offense qu'il croioit en avoir reçûë, & s'étant promis reciproquement de ne rien faire à l'avenir, qui les put brouiller de nouveau, ils scellerent cette promesse par un grand repas que leur donna le Marêchal de Grammont qui étoit ami commun de l'un & de l'autre.

La Campagne de 1648. commança sur ces entrefaites, & comme les ennemis avoient repris Courtrai, & fait quelques autres conquêtes, on prit encore sujet de là de dire que ce Ministre étoit ravi que les choses se passassent de la sorte, afin d'avoir sujet de lever de l'argent; qu'il vouloit que la guerre tirât en longueur, parceque si elle finissoit comme rien ne l'empêchoit de le faire, s'il vouloit une fois y appliquer les remedes convenables il n'auroit plus aucun pretexte de lever de nouveaux impots. Sous ce pretexte le Parlement de Paris refusa de verifier quelques Edits, & comme on ne pouvoit alors lever de l'argent sur le peuple que ce ne fut de son consentement, il se fit diverses allées vers ce Corps pour le porter à faire ce que le Roi desiroit. C'est ainsi que le Cardinal appelloit la resolution qu'il prenoit dans son cabinet, & quelques autres gens de pareille étoffe, qui avoient intérêt à suivre ses volontez & sa politique. Comme leur coutume étoit de s'engraisser du sang du peuple il savoit bien qu'ils ne lui contrediroient en rien. Le Parlement parmi lequel il y avoit des Membres qui avoient du moins autant de soin de leurs intérêts que de celui du public, ne trouva pas à propos de le contenter. Quelques uns qui avoient leur honneur en recommandation ne s'y opposerent pas neanmoins ouvertement. Ils tâcherent au contraire de concilier les droits du Roi avec ceux du peuple, en faisant quelques propositions qui leur paroissoient raisonnables; mais les autres qui ne marchoient pas si droit ayant fait échouer leurs bons desseins il y eut plus que jamais des obstacles à la verification de quelques Edits que le Roi ou plûtôt son Ministre, avoit envoyés à cette Compagnie. Ils firent bien plus. Ils se firent presenter sous main une requête seditieuse par laquelle son Eminence étoit accusée formellement de fomenter les troubles de l'Etat, pour ses intérêts particuliers. Ils s'en firent presenter aussi contre les Partisans que l'on accusoit de quantité de concussions, pour reparation desquelles on demandoit qu'il fut procedé contr'eux criminellement jusques à arrêt deffinitif. Comme cela ne se pouvoit faire sans s'attirer le Conseil à dos à qui le Roi avoit reservé cette connoissance, comme dis-je la Cour ne pouvoit être qu'extremément delicate là dessus, elle dont l'authorité eut été extrémement diminuée si cette requête eut eu lieu; les Conseillers qui étoient sages & amateurs du repos public ne s'en voulurent jamais charger. Un nommé Broussel qui étoit Conseiller aux Requêtes ne fit pas la même chose. Il couvroit une grande ambition sous un faux zéle du bien public. Comme il n'avoit pas lieu de se loüer de sa fortune qui étoit assez mauvaise, il songeoit à la reparer en se faisant craindre. Pour cet effet il affectoit en toutes rencontres d'être très affectionné au peuple. Il parloit aux uns & aux autres familierement; & il pretendoit que le Cardinal pour l'empécher de les prendre en sa protection, lui feroit bientôt dire un mot à l'oreille; ainsi il se chargea de cette réquête avec beaucoup de hardiesse. Comme ce Ministre ignoroit encore le pouvoir de cette Compagnie, & qu'il ne s'étoit jamais instruit ni par lui-même ni par personne du poids qu'elle avoit donné à un parti lorsqu'il s'étoit élevé quelque guerre civile, il méprisa d'abord ce Conseiller au lieu de le ménager comme il devoit: se servant donc d'une nouvelle Victoire que M. le Prince venoit de remporter en Flandres, & du raccommodement qui avoit été fait entr'eux, il fit arrêter Broussel avec quelques autres membres du Parlement au sortir du Te Deum que l'on avoit chanté à nôtre Dame pour remercier Dieu de cet avantage.

Le coup étoit hardi, puisque c'étoit choquer non seulement toute la populace de Paris qui le regardoit comme son protecteur, mais encore le Parlement qui ne devoit pas être d'humeur à souffrir inpunément qu'on attentât ainsi à sa liberté, aussi en arriva-t-il tout aussi-tôt un desordre épouvantable, & tel que la Cour n'eut jamais pensé. Ce peuple apprenant ce qui se passoit fit des baricades depuis nôtre Dame, jusques à une portée de pistollet du Palais Royal. Cela fut fait dans un moment, & pour ainsi dire en une clein d'oeil. On vint l'annoncer au Cardinal, & comme le Roi demeuroit alors dans ce Palais, ce Ministre en fit renforcer la Garde, parce qu'il ne s'y croioit pas en seureté. Il tint conseil aussi en même tems pour savoir si le Roi ne devoit point sortir de la Ville. Pour lui il en étoit d'avis, parce que la crainte où il étoit ne lui laissoit pas la liberté de bien examiner les inconveniens qui en arriveroient; mais Mr. le Tellier qui étoit de ce conseil, & en qui il avoit une confiance toute particuliere, lui ayant remontré qu'outre qu'il n'étoit pas bien seur que le peuple lui permit de l'emmener, il valloit bien mieux tâcher de faire desarmer cette populace par la douceur. Il m'envoya vers la premiere baricade pour découvrir adroitement dans quel sentimemt étoient ceux qui la gardoient. J'y fus à l'heure même, quoi qu'il y eut assez de danger si l'on venoit par hasard à m'y reconnoître. D'abord que j'y arrivai il se presenta devant moy un artisan armé de pied en cap, comme s'il eut voulu effrayer les petits enfans. Il me cria qui vive d'une voix tonnante, afin que tout rèpondit à son habillement. Je lui repartis vive le Roi, & vive Broussel, ce qui étant extrémement de son goût il m'ouvrit une barriere, & me fit entrer au dedans de la baricade. J'y trouvai plusieurs bouteilles de vin sur un tonneau avec quelque viande froide, & celui qui y commandoit voulant que j'y busse avec lui afin apparement de me faire ratiffier ces parolles que je venois de dire en beuvant à la santé de ce Magistrat, il me la porta effectivement, puis me laissa aller.

Pendant que j'étois là, & que je faisois pair & compagnon avec cette canaille, pour mieux découvrir son secret, le Maréchal de Grammont vint au Palais Royal, après avoir donné ordre au Régiment des Gardes dont il étoit Colonel d'y faire filer quelques soldats un à un. Quelques Officiers de ce Regiment s'y rendirent aussi, & la Reine Mere qui regardoit ce qui se passoit comme un attentat effroyable à l'authorité de son fils, croyant que si elle faisoit marcher contre ces mutins ces soldats rassemblées ensemble, ils se dissiperoient bientôt, commanda au Marêchal de la Meilleraie de les y mener lui même. Le Marêchal crut qu'il ne devoit pas témoigner moins de courage que cette Princesse dans une occasion comme celle là, & que puis qu'elle avoit la hardiesse de former une telle resolution, il devoit bien avoir celle de l'executer. Il s'y en fut donc de ce pas, mais au lieu d'effrayer cette canaille comme la Reine le pretendoit, elle fut assez insolente pour faire feu sur lui. La partie n'étoit pas égale; ainsi s'étant retiré tout aussi-tôt, & même fait sa retraite à la sourdine, de peur qu'il ne lui arrivât pis, il fut dire à la Reine qu'à moins que la nuit ne portât conseil à cette populace, il ne savoit pas comment on la feroit rentrer dans le devoir.

J'étois au dedans de la premiere baricade, lors que cela arriva, & ayant passé plus avant après y avoir bû trois ou quatre coups, en depit de moi, je vis des esprits si turbulens partout où j'addressai mes pas, que j'eus horreur de quantité de choses que j'entendis dire contre le Gouvernement present, & particulierement contre la personne du Cardinal. Il y en eut un même qui dit de si grandes sottises, que je crus ne pas devoir les lui pardonner. Cependant comme il étoit dangereux de lui faire paroître la méchante volonté que j'avois contre lui, je feignis non seulement d'entrer dans son sentiment, mais encore de passer plus loin. Je lui dis qu'il ne pourroit mieux témoigner le zele qu'il avoit pour le bien public qu'en faisant paroître la haine qu'il avoit pour ce Ministre; que ce n'étoit rien pourtant à moins de joindre l'effet à la volonté, que je savois le secret de lui faire sentir le mal qu'il lui desiroit, & que s'il vouloit en partager le peril avec moy, il en partageroit aussi toute la gloire. Je disois cela non seulement pour le remettre entre les mains du Cardinal, mais encore pour voir s'il étoit capable, comme il s'en ventoit, de tuer un jour son Eminence. Je reconnus bien-tôt à sa réponse, qu'il étoit tout aussi dangereux qu'il vouloit qu'on le crut; car il me dit à l'heure même qu'il étoit pret non seulement de partager avec moy le péril, dont je lui parlois; mais encore de le courre tout seul; si je ne voulois pas être de la partie. Je feignis plus que jamais de n'être pas moins animé que lui contre ce Ministre, & sur ce qu'il me pressoit entrémement de lui dire comment se pouvoit executer le coup que je lui proposois: je lui répondis que je savois un endroit par où le Cardinal passoit tout seul, lors qu'il alloit au Conseil, où on lui pourrait donner son fait. Il fut si simple que de me croire, & m'ayant demandé si c'étoit avec une épée ou un poignard, qu'il falloit marcher à cette expedition ou avec quelque arme à feu, je lui fis reponse que le poignard étoit plus seur que tout le reste; que la raison qu'il y en avoit c'est que le coup fait, on le pourroit laisser tomber, afin qu'en cas qu'on vint à être poursuivi & fouillé le soupçon ne tombât pas sur lui.

Deux ou trois de ses camarades qui avoient fait la débauche toute la journée avec lui, & qui n'étoient capables d'aucun raisonnement m'entendant parler de la sorte, trouverent non seulement que j'avois raison, mais l'encouragerent encore dans son entreprise. Il ne paroissoit pas en avoir de besoin, du moins si l'on vouloit adjouter foi à ses paroles; quoi qu'il en soit voulant s'en venir à l'heure même avec moi, pour commettre au plûtôt cet homicide, je crus que je ne le devois pas souffrir, parce qu'il se pouvoir faire que ce projet ne fut que l'effet des fumées, que le vin lui envoioit au cerveau. Ainsi je voulois remettre la partie au lendemain, & je l'obligeai malgré lui de s'en contenter. Il me donna rendez-vous à un cabaret assez proche du Pallais Royal, où il me fit jurer que je me trouverois entre sept ou huit heures du matin. Je le lui promis, sans faire trop de reflexion que je n'aurois gueres d'honneur à le faire tomber dans le panneau que je lui preparois; ainsi y ayant pensé après l'avoir quitté j'étois resolu de lui manquer de parolle, quand un de mes amis à qui j'en parlai me dit qu'en conscience je devois poursuivre ma pointe, parce qu'il y alloit du salut de l'Etat; que j'empêcherois par là le desordre qui y arriveroit infailliblement s'il venoit tôt ou tard à en assassiner le Ministre; qu'enfin je ne devois pas m'en faire le moindre scrupule, parceque d'avoir cette malheureuse pensée, ou contre le Roi même ou contre celui à qui il laissoit le soin de ses affaires, étoit presque la même chose.

Je ne me contentai pas si bien de ce Casuiste que je ne fusse bien aise d'en consulter un autre. Je fus chercher un homme de bien à qui je m'étois addressé quelquefois pour resoudre des doutes qui n'étoient survenus au sujet de ma conscience. Je lui exposai le fait sans y rien diminuer ni augmenter, & ayant été tout du même sentiment que mon ami, je resolus de les en croire, de peur que l'attache que j'aurois, à mon opinion ne me rendit criminel envers l'Etat. Le lendemain matin, je fus donc à ce rendez-vous, & je me flattai en chemin que la nuit auroit porté conseil à mon homme, & lui aurait fait mettre de l'eau dans son vin. Mais c'étoit à quoi il pensoit le moins; de sorte que quoique je n'eusse pas passé l'heure dont nous étions convenus ensemble, il y avoit déja je ne sais combien de tems qu'il m'attendoit à ce cabaret, tant il était prévenu de J'avois averti Mr. le Cardinal du Dessein de cet homme, d'abord que l'on m'avoit dit que j'étois obligé en conscience de le faire attraper. Son Eminence qui étoit aisément susceptible de frayeur trembla quand elle m'entendit dire qu'il y avoit ainsi un homme qui avoit conspiré de le tuer. Il approuva fort les Casuistes qui m'avoient conseillé de le livrer entre ses mains. Car je ne feignis point de lui avouer la peine où j'avois été, afin qu'il ne crut pas que je fusse un flatteur ni un homme à me faire de fête auprès de lui, parce qu'il avoir tout le pouvoir de l'Etat entre les mains. Quoi qu'il en soit mon homme ayant déja de l'impatience de se trouver au lieu où il esperoit faire son coup, ne voulut boire qu'une rasade, avant que de s'y en aller. Il se posta dans l'endroit où je le mis, & je me mis à dix pas au dessous de lui, sous pretexte que s'il manquoit son coup par hasard, je ferois en sorte de ne le pas manquer moi même. Il étoit bien credule pour un homme aussi méchant qu'il l'étoit: du moins ce n'est gueres l'ordinaire que quand on est capable de se porter à une aussi mechante action que celle là, on prenne si mal ses precautions. Mais sa passion l'aveuglant à un point qu'il étoit disposé à croire tout ce qu'on vouloit, à peine fut-il dans son poste où regnoit une telle obscurité que nous ne pouvions nous discerner l'un l'autre, qu'il s'y trouva pris comme au trebuchet. Ses yeux s'ouvrirent au même tems, & comme il commençoit à reconnoître qu'il ne devoit accuser que moi de son malheur, il dit aussi-tôt ces paroles, ah le fourbe! ah le scelerat! Le Cardinal l'eut bien fait mourir sans aucune forme de procès, s'il eut osé, mais comme nous vivons dans une Monarchie où il n'est pas permis d'écouter si fort sa passion, il differa d'en venir là jusques à ce que le Parlement fut assez de ses amis pour lui en demander justice. Car quoi que la volonté ne soit pas punie en France comme le fait, comme ce malheureux s'étoit mis en devoir d'executer son dessein, il falloit considerer son action non comme une chose projettée seulement dans son esprit, mais encore comme exécutée, si on ne l'eut prevenu par ce que l'on avoit fait. Son Eminence n'osant donc en croire tout son ressentiment, l'on fit venir à deux heures de nuit dans la cour des cuisines un Carosse pour le mener à la Bastille. Quelque Gardes de la Prevôté eurent ordre de se mettre dedans, avec lui, afin de l'emmener plus surement. Car on n'osoit le faire entourer de peur que le peuple ne se jettât sur eux, s'il venoit à reconnoître qu'ils emmenassent un prisonnier d'Etat. Mais toutes ces precautions ne servirent de rien, le peuple qui avoit mis des mouchars à toutes les portes de ce Palais, de peur qu'on n'emmenât le Roi, sachant qu'il en sortoit un Carosse bien fermé, l'arrêta avant qu'il put gagner le haut de la rue des petits chams. Les Gardes de la Prevôté eussent bien voulu être hors de là, quand ils s'entendirent demander leurs noms, leurs qualitez & où ils alloient. Ils n'eurent pas neanmoins la peine d'y repondre, le prisonnier la leur épargna, eu leur apprenant qu'ils 485 le menoient & la cause pour laquelle il avoit été livré entre leurs mains. Ils le délivrerent en même tems, & ces Gardes eussent été bien aises qu'ils les eussent renvoyez pareillement, mais ils les emmenerent après leur avoir donné mille coups en chemin. Il en mourut même un quelques jours après à force d'avoir été battu. Le peuple croioit cependant que le Parlement épouseroit sa passion, & que s'il ne faisoit pendre ces prisonniers, il les envoieroit du moins aux Galeres; mais n'étant pas si mal habile que de faire une affaire mal à propos ni si injuste, que de punir des gens qui n'avoient fait autre chose que d'obéïr aui ordres de la Cour, comme ils ne s'en pouvoient dispenser, il les mit bientôt hors de prison au lieu de leur faire le mal que leurs ennemis pretendoient.

Mr. le Cardinal fut au desespoir quand les Officiers de la Prévôté lui rendirent compte de ce qui étoit arrivé à leurs Gardes. Il eut peur que cet homme lui étant ainsi échapé, il ne se portât tout de nouveau à exécuter son coup. Pour plus grande peine pour lui il n'avoit point été interrogé, ainsi il ne savoit où le prendre ni comment il devoit faire pour aller au devant de ce qu'il aprehendoit. Il m'envoya chercher en même tems pour me dire ce qui venoit d'arriver, & pour me demander si dans la conversation que j'avois euë avec lui il ne m'avoit point dit qui il étoit. Je lui repondis que je n'avois jamais osé le lui demander, de peur de lui donner du soupçon; que je m'étois contenté de l'atirer dans le piege, parce que je supposois qu'on sauroit toûjours bien qui il étoit, quand il seroit en lieu de seureté. Cependant s'il avoit lieu de craindre quelque chose d'un si méchant homme, je ne voyois pas que je ne dusse m'en défier pareillement. Comme il savoit que c'étoit moi qui lui avoit fait cette piece, il y avoit apparence, qu'il s'efforceroit d'en tirer vengeance d'abord qu'il croiroit y pouvoir réussir. J'avois lieu du moins de le croire de même, sur tout cet homme ayant sû qui j'étois après avoir été arrêté. Car Mr. le Cardinal avoit voulu que je lui reprochasse son crime, en presence de plusieurs personnes qui m'avoient même nommés devant lui, en m'en demandant quelques circonstances qu'ils ne trouvoient pas que je leur explicasse assez bien.

Ma crainte ne fut pas trop mal fondée, & je puis dire que ce fut un veritable miracle comment j'en rechapai. Cet homme après avoir ainsi recouvré sa liberté s'informa adroitement de mon humeur & de mes habitudes, & sachant que mon péché mignon avoit toûjours été celui des Dames, il crut d'autant plutôt qu'il m'y attraperoit qu'il ne savoit pas que je leur eusse fait banqueroute depuis quelques tems. Il avoit une soeur qui quoi qu'elle n'eut pas les habits ni les autres parures qui me servent pas peu à relever la beauté, ne laissoit pas d'être une des plus jolies filles de Paris. Il me l'apporta, & je ne fis plus un pas, pour ainsi dire, que je ne la trouvasse devant moi. Soit que j'allasse à l'Eglise on en quelque autre endroit, elle me suivoit par tout ni plus ni moins que si c'eut été mon ombre. Je ne fus guerres à m'en appercevoir, & comme on n'a toujours que trop bonne opinion de soi-même, je crus aussi tôt qu'elle me trouvoit à son gré. Cela me la fit observer soigneusement, & tout ce que j'en pus remarquer augmentant encore en moi cette pensée, je lui dis un jour comme elle me devança au bénitier où elle voioit que j'allois prendre de l'eau bénite, vous êtes bien jolie ma fille, & il y a long-tems que je remarque que pour être heureux, il ne faudroit qu'être aimé de vous. Elle me fit la révérence, d'un air gracieux, & comme on a coutume de faire quand ce qu'on entend me déplait pas. Je trouvai mon compliment bien employé, puis qu'elle l'avoit receu de la sorte, & ayant donné ordre à un laquais que j'avois avec moy de la suivre jusques à son logis, & de s'informer du voisinage qui elle étoit, il me rapporta que c'étoit une honnête fille, ou du moins qu'elle en avoit la réputation. Il me dit aussi en même tems qu'elle vivoit sous l'aîle de sa mere, & qu'elles travailloient toutes deux en couture. Mon laquais m'ayant rapporté tout cela, j'en devins amoureux, sur la réputation qu'il lui donnoit de se comporter sagement. Car ce n'est pas une petite chose pour donner son estime à une personne que de la croire vertueuse, sans cela tout ce que peut produire un beau visage, c'est d'allumer quelques feux qui ne durent gueres plus que celui de paille; la matière qui les peut entretenir est de croire qu'une personne ait de la vertu; si on me le croit pas c'est un plante qui meurt faute de racines, ou un ediffice qui se renverse de lui même faute de fondemens solides.

La première chose que je fis après cette découverte fut d'envoyer chercher cette fille, sous prétexte qu'une Dame vouloit s'en servir pour lui faire quelque linge. Je recommandai cependant à la personne que j'y envoyai de ne point entrer chez-elle, qu'il n'en eut vû sortir la mère, depeur qu'elle ne m'amenât l'une au lieu de l'autre. La fille refusa d'abord de venir, & vouloit qu'on attendit sa mere pour la mener avec elle, mais la personne qui lui parloit de ma part, & qui avoit la réponse toute prête lui ayant dit que la Dame pour qui elle la venoit chercher étoit à la veille d'aller à la Campagne, & que si elle ne venoit avec elle, elle en iroit chercher une autre qui ne feroit pas tant de façons, elle prit ses coëffes & ses gans depeur de perdre cette pratique. J'avois prié une femme de na connoissance de se trouver dans la Chambre d'un de mes amis, afin de la recevoir. Cette femme qui étoit bien éloignée d'être une Vestalle entendoit son métier, de sorte qu'après lui avoir donné quelques chemises d'hommes à faire, comme en ayant commission d'un de ses amis, elle lui dit que pour une aussi jolie fille qu'elle étoit elle avoit là un métier qui étoit au dessous de ce qu'elle méritoit. La fille ne fut pas surprise de ce compliment, qu'elle avoit ouï souvent dans la bouche des personnes qui l'avoient fait travailler. Elle le fut bien davantage de me voir entrer sur ces entrefaites, & en ayant rougi, je l'attribuai à la bonne volonté que je croyois qu'elle eut pour moi. La Dame passa dans une autre Chambre en même-tems, sous prétexte qu'elle avoit encore quelque morceau de toille à lui donner. Comme tout cela avoit été concerté entre cette femme & moi, je ne laissai pas échaper cette occasion sans dire à cette fille, ce que je me sentois pour elle. Cependant pour l'y mieux préparer je ne manquai pas de lui témoigner que je n'aurois jamais porté chemises de si bon coeur que celles qui m'alloient venir de sa main; mais enfin tout cela n'étant que de là crème fouétée, & en voulant venir au fait, je lui fis san façon la proposition de la mettre en Chambre, & d'en faire ma maîtresse. J'ornai mon discours en même-tems de tout ce qui a coutume de flatter une fille. Je lui dis même qu'elle pouroit mener sa mère avec elle, si elle voulait, & que je fournirais à l'entretien de l'une & de l'autre.

Cette fille qui étoit du moins aussi trompeuse qu'elle étoit agréable, se prit à pleurer à cette proposition. Je la lui avois faite hardiment, parce que je supposois qu'après les pas qu'elle avoit faits, elle ne pouvoit lui être desagréable. Cependant après avoir déjà donné si-bien dans le panneau, j'y donnai encore tout aussi-bien que l'avois fait. En effet sans rien soupçonner de tout ce qui se passoit, je crus tout ce qu'elle me voulut dire de la cause des larmes que je lui voyois répandre; elle me dit d'un ton qui en eut bien trompé d'autres que moi, qu'elle étoit bien malheureuse d'avoir des sentimens tels qu'elle avoit, puis qu'au lieu de la reconnoissance qu'elle en attendoit, elle ne trouvoit en moi qu'une ingratitude sans pareille, qu'on voyoit bien quelquefois à la vérité que l'amour qu'on avoit l'un pour l'autre avoit des suites pareilles à celles que je lui proposois maintenant; mais enfin que de debuter par là avec une fille comme je faisois presentement avec elle, c'étoit lui marquer que je ne la considerois nullement, & que je ne me considerois que moi seul.

Je trouvai tant de justice dans ces reproches, que je ne crus pas seulement être en droit de m'excuser de ce que je lui avois dit, sur la grandeur de ma passion: il me sembla que cela vaudroit moins pour moi que de lui avouër ma faute ingenuement. Je le fis aussi de tout mon coeur, & lui dis qu'elle avoit raison de me dire tout ce qu'elle disoit; que j'avouois avec elle que ce n'étoit pas pour rien qu'il y avoit un Proverbe qui disoit qu'il falloit connoître avant que d'aimer; que pour moi je n'en avois pas besoin, neanmoins, parce qu'elle étoit si aimable, qu'il suffisoit de la voir pour lui donner son coeur sans reserve. Après que je lui eus tenu ce discours, je lui dis aussi que pour elle, elle avoit raison de vouloir me pratiquer avant que de me donner le sien; j'ajoutai encore quantité de choses à celles-là, toûjours sur le même ton, & m'ayant témoigné qu'elle s'en contentoit je ne me crus pas malheureux, parce qu'elle me permit de l'aller voir après qu'elle en auroit eu le consentement de sa mere. Elle me promit de le lui demander d'abord qu'elle en trouverait l'occasion, & afin que je ne me deffiasse de rien, elle me dit que cette femme avoit tant d'amitié pour elle, qu'elle ne lui refusoit gueres tout ce qu'elle lui pouvoit demander: qu'elle me prioit de l'aller voir le lendemain, sous pretexte de mes chemises, que sa mère y seroit, & qu'elle vouloit qu'elle me vit, parce que quand elle m'auroit vûë, elle lui accorderoit encore plûtôt la permission qu'elle avoit à lui demander.

Ce fut ainsi qu'elle me dora la pillule, & je l'avallai si bien que je ne manquai pas le lendemain au rendez-vous. Sa mere s'y trouva comme elle me l'avoit dit, & je ne saurois dire au juste, si elle l'avoit avertie ou non du tour qu'elle avoit envie de me jouër, & qu'elle me joua bien-tôt après, parce que le pretexte que j'avois d'aller chez-elle étoit si plausible que cette femme m'y pouvoit bien souffrir sans être de moitié de sa fourberie; mais si elle n'en étoit pas encore avertie en ce tems-là, elle le fut du moins bien-tôt après, puis qu'elle me permit non-seulement de retourner voir sa fille, mais encore de lui conter des fleurettes. Elle les reçût de la meilleure grace du monde, & comme si elle y eut été très-sensible. Cela me fit d'autant plus de plaisir, que j'en devenois de moment à autre amoureux de plus en plus. Cependant un jour que j'y allois, je rencontrai à cent pas de sa maison un garde de Mr. le Cardinal qui me dit que je ne mettois pas mal mes affections, que ma maîtresse en valloit bien la peine, & qu'il la connoissoit assez pour m'en répondre. Je fis semblant de ne pas entendre ce qu'il me vouloit dire par là. Je lui en demandai l'explication, & il me dit aussi-tôt que c'étoit inutilement que je voulois faire le fin avec lui; qu'il me voyoit entrer & sortir journellement de chez la couturière, & que même je n'y pouvois gueres mettre le pied sans qu'il ne s'en apperçût, qu'il demeuroit au dessous d'elle, & que j'étois bien Privilegié de la voir quand bon me sembloit, puis qu'il n'en avoit jamais pû venir à bout, quoi qu'il y eut fait tout son possible.

Comme je vis qu'il me parloit ainsi d'original, je ne voulus pas lui insister davantage. Je tombai d'accord du fait avec lui, & lui ayant demandé si cette fille étoit aussi vertueuse qu'on me l'avoit dit, il me répondit en riant que c'étoit à lui plûtôt qu'à moi à me faire cette demande, parce que depuis le tems que je la voyois j'en pouvois rendre compte mieux que personne. Je lui repartis que la connoissance que nous avions faite ensemble n'étoit pas si ancienne qu'il croyoit, que je ne l'avois vû encore que cinq ou six fois, tellement qu'il en devoit savoir plus de nouvelles que moi, lui qui demeuroit dans sa maison. Il m'en confirma tout le bien que j'en avois déja ouï dire, & nous étant separez de la sorte je ne songeai plus qu'à avancer mes affaires auprès d'elle, puis que j'apprenois de mille endroits que sa conduite étoit telle que je ne devois point rougir d'y avoir mis mon inclination. Cependant deux ou trois jours après cette rencontre m'y en étant allé à mon ordinaire, sur les cinq ou six heures du soir, son frere y vint une heure après accompagné de trois de ses amis, qui avoient l'air de vrais satellites. Je fus surpris de le voir, & même jusques au dernier point. Car je devinai tout aussi-tôt qu'il ne venoit-là que pour me faire pieces. Je n'avois pas trop mauvaise raison, de le croire ainsi, & quand même je ne l'eusse pas cru son compliment me l'apprit assez. Il me demanda ce que je venois faire chez sa soeur, & si je croyois qu'il le souffrit impunément: en même, tems il se jetta sur moi avec ses trois amis, & n'ayant pû m'en deffendre, parce que je me trouvai surpris, il me dit de me preparer à la mort, parce qu'il ne me donnoit qu'un moment à vivre.

Si j'avois été surpris de sa venuë, je le fus encore davantage de son compliment. Neanmoins, ayant l'esprit assez present pour m'aviser d'une chose à laquelle je fus redevable de ma vie, je lui dis que si je ne pouvois obtenir grace auprès de lui, je le priois du moins de me donner le tems de me preparer à mourir en bon Chrétien, qu'il souffrit que je passasse dans un cabinet qui étoit à côté d'où nous étions, afin de me recueuillir. Il me le permit, & en ayant fermé la porte sur moi avec un crochet, qui s'y trouva fortuitement, je commençai à fraper du pied sur le plancher, afin d'appeller le garde de Mr. le Cardinal à mon secours. Il étoit par bonheur pour moi dans sa Chambre avec trois ou quatre de ses amis qui devoient souper avec lui. Ils avoient entendu le bruit que mes assassins avoient fait en entrant, & principalement en se jettant sur moi. Ils n'avoient sçû ce que cela vouloit dire, parce qu'ils n'avoient pas coutume d'en entendre tant: mais l'appel que je leur faisois leur faisant juger qu'il y avoit quelque chose d'extraordinaire, ils monterent en haut pour voir ce que c'étoit. Mes assassins commençoient déja à vouloir enfoncer la porte du cabinet où j'étois; mais les entendant sur le degré ils convertirent leur fureur en crainte; voyant bien qu'on les obligeroit avant qu'il fut peu de rendre compte de leurs actions. Le garde étant arrivé à la porte avec ses amis, ils ne voulurent pas la lui ouvrir. Je lui criai au travers de la mienne d'envoyer chercher un Commissaire pour leur faire faire de force, ce qu'ils ne vouloient pas faire de bon gré. Il entendit ma voix au travers du murmure que faisoient ces assassins, pour consulter ensemble ce qu'ils avoient à faire dans une occasion si pressante pour eux. Ils prirent le parti que la prudence leur conseilloit, & ce fut de leur ouvrir la porte avant que le Commissaire arrivât. Comme il s'en étoit détaché un de la Compagnie du Garde pour aller chercher cet Officier, ils étoient alors quatre contre quatre, de sorte qu'il ne pouvoit manquer qu'il n'y eut bien du sang répandu, parce que le desespoir ou étoient ces assassins leur tenoit lieu de courage.

D'abord que j'entendis que la porte étoit ouverte, j'ouvris celle du cabinet où j'étois, quoi que ces assassins m'eussent desarmé, en se jettant sur moi. Ce n'étoit pas le moyen de donner grand secours au garde ni à ses amis, mais le bonheur ayant voulu que ceux à qui j'en voulois me tournassent le dos, j'en surpris un par derrière & lui arrachai son épée, lors qu'il s'y attendoit le moins. Il se jetta dans le cabinet de peur que je ne le tuasse, ou qu'il ne fut percé par quelqu'un de ceux à qui il avoit affaire auparavant. Je le trouvai bien là, me flattant qu'il n'auroit pas la hardiesse d'en sortir comme j'avois fait. Nous fumes ainsi cinq contre trois, ce qui ne rendoit plus la partie égale. Mais le desespoir où ils étoient suppleant pour eux à l'inegalité ils se battirent avec tant de hardiesse, & de fureur qu'ils nous avoient déja blessé deux hommes, quand le Commissaire arriva. Pour ce qui est d'eux, ils l'étoient tous trois, & le secours que cet Officier nous amena nous en ayant rendu les maîtres, sans qu'ils pussent nous resister davantage, ils furent pris tous quatre, & emmenez au Chatelet. L'on y mena aussi la mere & la fille, & quoi que j'eusse pitié de celle-ci, & que je fusse porté d'inclination à lui pardonner, je crus neanmoins que je ne le devois pas faire, après une aussi grande tromperie que la sienne. Je pris soin dès le soir même d'informer Mr. le Cardinal de cette avanture, & comme je ne manquai pas en même tems de lui dire que j'avois l'obligation à son garde de m'avoir tiré de ce mauvais pas, il fut si aise de voir que celui qui l'avoit voulu tuer étoit entre les mains de la justice, qu'il lui donna une Lieutenance de Cavallerie dans son Régiment. Il y devînt en suitte Capitaine, & étoit encore en passe de devenir quelque chose de plus, quand il fut tué au combat du Faubourg St. Anthoine qui se donna quatre ans après.

Les baricades de Paris après avoir eu le commencement que je viens de dire avoient eu une fin qui avoit beaucoup chagriné la Cour. Mathieu Molé premier President du Parlement, homme fin & rusé, & qui sous une simplicité apparente & un desinteressement simulé cachoit un coeur tout rempli d'artifice & d'interest, avoit été obligé par sa compagnie d'aller redemander à la Reine Broussel avec les autres magistrats qui avoient été arrêtez avec lui. Cette necessité lui avoit beaucoup déplu, parce qu'il étoit pensionnaire de la Cour, & qu'il apprehendoit de perdre ses bien-faits, en faisant quelque chose qui lui fut desagreable. Comme il n'avoit pas été tout seul au Pallais Roial, & qu'il y avoit avec lui des Députés de sa Compagnie, il lui avoit fallu parler à Sa Majesté sur le ton qui lui avoit été prescrit. La Reine avoit assez mal receu ce qu'il lui avoit dit, non pas tant toutesfois par rapport à sa personne que par rapport à ceux de la part de qui il venoit. Il avoit donc été obligé de s'en retourner sans rien obtenir; mais le peuple qui restoit toûjours en armes pour garder ses baricades, l'avoit contraint de retourner sur ses pas, lors qu'il s'étoit presenté. Ce n'avoit pas été même sans lui faire des menaces, que s'il ne réussissoit mieux cette fois là qu'il l'avoit fait l'autre, il lui en feroit porter la folle enchere. Ce Magistrat s'étoit donc presenté pour la seconde fois devant Sa Majesté, & ne lui avoit point caché la contrainte qui lui avoit été faite: cela avoit jetté la Reine dans un grand embarras, parce qu'elle apprehendoit de mettre l'authorité du Roi son fils en compromis. Mais le premier President lui ayant dit tout de nouveau, de quelle maniere les choses s'étoient passées à la baricade, & adjouté que si Sa Majesté s'obstinoit à ne pas accorder la liberté des prisonniers, il ne lui pouvoit repondre des suites qu'auroit la desobeïssance de ces seditieux, elle se resolut de le croire, de peur de porter les choses à l'extremité par une trop grande obstination. Le Conseil du Roi approuva sa resolution, & l'ordre ayant été expédié pour les tirer de prison, la sedition s'appaisa tout en aussi peu de tems qu'elle avoit été excitée.

Ces choses étoient en cet état quand on mena mes assassins au Châtelet, Mr. le Cardinal qui y avoit des créatures les fit agir afin qu'on les jugeât à la derniere rigueur. Ils ne voulurent pas le desobliger pour si peu de chose. Car ils contoient pour rien la vie de ces miserables par rapport à la bassesse de leur naissance, plûtôt que par rapport à leurs actions. Ainsi ils les condamnerent à être pendus, dont ayant appellé au Parlement tout ce que le Cardinal put faire fut de les faire condamner au bannissement. Ce jugement ne lui plus pas tant qu'avoit fait l'autre, si bien qu'apprehendant qu'au lieu de sortir du Royaume, ils ne se cachassent à Paris, & qu'ils ne prissent leur tems pour l'assassiner, il fit donner une Lettre de cachet pour les envoyer à Salses. S'il eut pû les envoyer plus loin, & qu'il eut sû qu'ils y eussent voulu demeurer, il n'eut pas manqué à le faire. Il envoya Besmaux pour les y conduire, avec des Archers, commission qui ne lui plut gueres & dont je ne me ferois jamais chargé si j'eusse été à sa place, aussi le lui dis-je sans rien deguiser avant que de le laisser partir. Je m'y crus obligé plus particulierement qu'un autre, parce qu'étant lui & moy sur le même pied, auprès de son Eminence, j'apprehendois que la complaisance qu'il avoit pour elle ne me fit tort. Il me repondit que quand on avoit un Maître ce n'étoit que pour executer ses ordres, & non pas pour les controller, que c'étoit là son humeur, & que pour moi je pouvois faire tout ce que bon me sembleroit, sans qu'il y trouvât à redire. Je connus à cette réponse qu'il ne tiendroit à rien qu'il ne me fit une querelle d'allemand, pour peu qu'il y entrevit le moindre jour. Cela me surprit, parce qu'il avoit temoigné d'abord que cette commission ne lui étoit pas agreable, comme en effet elle ne le devoit pas être, pour peu qu'il y fit de reflexion; quoiqu'il en soit étant bien aise de ne me point faire d'affaire avec lui & moins encore avec Mr. le Cardinal à qui je craignois qu'il ne voulut faire sa cour à mes dépens, je lui dis que bien loin d'improuver ce qu'il faisoit j'étois prêt de lui donner ma bénédiction, afin qu'il put partir sans scrupule. Je ne sais si je lui dis cela d'un air de mépris, ou s'il le prit de cette façon, mais enfin m'étant presenté le soir devant Mr. le Cardinal il me tourna le dos sans me regarder. Il fit cela d'une manière si sensible que je ne pus douter qu'il n'eut quelque chose sur le coeur contre moy. Je l'attribuai aussi-tôt à Besmaux, & ne doutant point qu'il ne lui eut empoisonné ce que je lui avois dit, je resolus de m'en éclaircir avec son Eminence à la premiere occasion que j'en trouverois. Je ne me trompois pas, Besmaux qui étoit homme à sacrifier le meilleur de ses amis, des qu'il y alloit seulement pour lui de quelque apparence de fortune, n'avoit pas manqué à faire le flatteur auprès d'elle. Il lui avoit dit, lors qu'il en avoit pris congé, qu'il n'avoit pas tenu à un de ses amis de le dissuader de son voyage, sous pretexte que sa commission étoit plûtôt celle d'un Archer que celle d'un Gentilhomme; que pour lui, cependant il feroit non seulement ce personnage de tout son coeur, quand il iroit de son service, mais encore celui de Boureau.

Mr. le Cardinal n'étoit pas extrémement jaloux qu'on se donnât à lui préferablement à tout autre, comme l'avoit été autrefois le Cardinal de Richelieu. Il disoit même quelquefois, pour avoir lieu de condamner sa memoire, & d'élever sa réputation à son prejudice, que bien loin de lui ressembler, il n'auroit point plus de joye que de voir passer ses Domestiques au service du Roi. Cependant quoi qu'il voulut paroître ainsi desinteressé, il ne laissoit pas de ressembler à beaucoup d'autres qui n'aiment pas qu'on trouve rien au dessous de soi, quand il y va de leur satisfaction; se lassant donc aller à croire que j'étois fort criminel, parce que Besmaux m'avoit fait passer pour tel dans son esprit, il continua non seulement de detourner les yeux de dessus moi, mais encore à me faire mauvaise mine. Je n'étois pas ni assez content de lui ni assez coupable pour recevoir ce traitement avec patience. Si j'eusse été coupable j'eusse été moi-même le premier à baisser les yeux, pour me dire que je l'avois bien merité, & si je lui eusse eu quelque obligation je me fusse dit peut être que l'on devoit tout souffrir d'un homme à qui on étoit si redevable, mais ce Ministre étant encore à faire la moindre chose pour moi, & d'ailleurs ne trouvant nullement qu'il se dût tenir offensé de ce que j'avois dit à Besmaux, je l'attendis un jour dans l'allée sombre où l'homme dont je viens de parler l'avoit voulu assassiner. Je savois qu'il n'y avoir point de jour qu'il n'y passoit, & même j'en savois l'heure, & pour ainsi dire jusques au moment; ainsi n'ayant pas eu le tems de m'y morfondre, je ne l'y vis pas plûtôt ou pour mieux dire, je ne l'y entendis pas plûtôt marcher, que je lui dis Monseigneur ne craignez rien, c'est Artagnan qui ayant reconnu que vôtre Eminence ne le veut pas regarder a cherché l'obscurité pour lui demander en quoi il est coupable, sans l'obliger à baisser les yeux devant lui. Mr. le Cardinal fut bien surpris à ma voix, & l'eut été encore bien d'avantage s'il ne l'eut pas reconnuë, & que je ne me fusse pas nommé; mais enfin s'étant rassuré par l'un & par l'autre, & sur tout parce que je lui témoignois par mes parolles que rien ne m'amenoit là que le desir de recouvrer ses bonnes graces, il me dit que s'il ne me regardoit pas ce n'étoit pas sans raison; que si j'en doutois, je n'avois qu'à me ressouvenir de ce que j'avois dit à Besmaux avant son départ. Je lui répondis que je n'avois que faire de rappeller ma memoire pour m'en ressouvenir, que je lui avoit dit telle & telle chose, & que non seulement j'en demeurois d'accord, mais encore que si la chose étoit à refaire, je n'en ferois pas moins que ce que j'avois fait; que je ne voulois que lui même pour juge, s'il convenoit bien à un gentilhomme de se mettre à la tête d'une troupe d'archers, quelque service qu'il y eut à lui rendre: que genereux comme je le connoissois, j'étois sûr qu'il ne l'approuveroit pas, quoi qu'un peu de préoccupation lui eut fait témoigner d'abord tout le contraire; que s'il avoit à m'éprouver ce pouvoit être par quelque autre endroit que celui là; & que quelque peril qu'il y eut il ne me verroit jamais reculer, pour veu que cela se pût faire sans deshonneur, mais que quand il y en auroit pour moi, ou que je le croirois, il me verroit rentrer tout aussi-tôt dans ma coquille.

Il témoigna être content de ma justification, & Besmaux étant revenu quelque tems après de son Voyage, je lui battis froid comme à un homme dont je n'avois pas lieu d'être content. Champfleuri Capitaine des Gardes du Cardinal qui étoit nôtre ami commun, & qui vouloit nous raccommoder nous ayant conviez tous deux à venir manger la souppe chez lui, sans que nous fussions ni lui ni moi que nous nous y devions trouver, & encore moins boire ensemble, il se servit de cette occasion pour nous prier d'oublier le passé. Besmaux ne demandoit pas mieux, & ne jugeant pas que je me dusse faire tenir à quatre, parce qu'il y alloit plus du sien que du mien, à tout ce qui s'étoit passé, je fis tout ce que mon ami vouloit. Il nous fit choquer le verre ensemble, & les choses s'étant passées de la sorte, sans que dans le fonds j'eusse grande estime pour un camarade qui m'avoit fait une telle piece, je ne trouvai point d'occasion de lui donner sur les doigts, que je ne le fisse de bon coeur. Mr. du Tremblai Gouverneur de la Bastille frere du fameux Pere Joseph, qui avoit joué un rolle de grande consequence sous le Ministere du Cardinal de Richelieu, étant devenu malade en ce tems-là, je dis à nôtre ami que s'il me vouloit donner seulement mille Pistoles pour mon droit d'avis, je lui indiquerois une chose qui feroit sa fortune s'il étoit si heureux que de la pouvoir obtenir. Il étoit fin, mais non pas de cette finesse qui fait discerner aisément à quelle intention l'on parle. Toute celle qu'il avoit ne rouloit que sur son interest, & hors de là il n'étoit capable de rien. Il vouloit néanmoins qu'on le crut fort habile, & j'avois la complaisance de feindre que je le croyois tel, afin de me pouvoir moquer de lui plus aisément quand l'occasion s'en presentoit. Rien donc ne l'empêcha de donner d'abord dans le paneau, que la reflexion qu'il fit que si je savois une si bonne affaire, je la demanderois bien plûtôt pour moi, que de la donner à un autre. Il me témoigna sa pensée, & lui ayant répondu que si je n'y songeois pas, c'est qu'il y avoit des choses qui convenoient à l'inclination des uns, qui ne convenoient pas à l'inclination des autres: il m'interogea sur quoi je me fondois, que ce que j'avois à lui proposer lui plairoit plûtôt qu'à moi; je lui répondis qu'il étoit sur l'expérience, & me répondant qu'il n'avoit rien à me dire après cela, il me conjura de lui ouvrir mon coeur. Il me dit en même tems que je pouvois faire fonds sur les mille Pistoles que je demandois, & qu'il m'en feroit son billet, pour peu que je me defiasse de sa parole, je fus ravi de le voir de si bonne foi, & comme je l'avois fait mordre à l'hameçon d'une maniere qu'il ne s'en pouvoit plus dédire, je lui dis alors la maladie de du Tremblai, & que s'il m'en vouloit croire il demanderoit son gouvernement. Il fut si simple que de ne pas reconnoître encore que je me moquois de lui. En effet il me demanda d'un grand serieux à quoi j'avois reconnu qu'il y étoit plus propre que moi, & je fus obligé de lui dire devant qu'il le pû comprendre, que cela ne m'avoit pas été difficile, puis que devant que d'être bon concierge il avoit témoigné qu'il étoit bon archer, qu'au reste il avoit si bien réussi à l'un qu'il étoit impossible qu'il ne réussit encore bien à l'autre, que je lui souhaittois toute sorte de prosperité dans cette nouvelle charge principalement s'il avoit soin de me donner les mille Pistoles qu'il me promettoit. Il ne fut pas bien aise que je le raillasse de la sorte, il s'en plaignit à Champfleuri, qu'il tâcha d'interesser dans sa querelle, sous pretexte qu'après avoir été employé dans nôtre raccommodement il trouveroit que j'avois mauvaise grace de mépriser la peine qu'il y avoit prise. Mais comme il étoit plus de mes amis que des siens, il n'en eut pas toute la satisfaction qu'il esperoit.

Le Cardinal qui avoit pris plaisir jusques là à entretenir la guerre, & qui pour en venir à bout plus facilement n'avoit pas fait tous les efforts qu'il eut pû faire, s'il l'eut voulu terminer, changea alors de politique. Il n'eut pas plûtôt veu les baricades de Paris, que jugeant de là, combien il étoit haï, & le danger qu'il y avoit pour lui qu'il ne s'élevât une nouvelle sedition, qu'il m'envoya en Allemagne vers les Plenipotentiaires que nous avions en ce païs là. Il les y avoit envoyez tout aussi-tôt après qu'il avoit été élevé au ministere, afin de faire accroire aux Peuples qu'il vouloit signaler les commencemens de son pouvoir par une chose aussi avantageuse à l'Etat que l'étoit la paix. Comme on ne le connoissoit pas encore, & que la Reine mere y avoit été trompée toute la premiere, croyant d'abord qu'elle l'avoit mise au poste où il étoit, qu'il s'en acquitteroit mieux qu'un autre, parce que l'intérêt, qui est un poison qui a coûtume de corrompre la plûpart des Ministres, ne feroit pas le même effet sur lui que sur une infinité d'autres, lui à qui elle ne voyoit ni enfans ni suivans, il n'étoit pas difficile néanmoins de savoir qu'il avoit des neveux & des nièces & même en grande quantité; mais il avoit toujours paru si indiffèrent pour eux, qu'il sembloit que c'étoit à quoi il songeroit le moins qu'à les enrichir, quand il se trouverait en place. Cependant l'appetit lui étant venu à mesure qu'il se voyoit maître d'un grand Royaume, il n'avoit plus songé qu'a pêcher en eau trouble afin de s'élever non seulement au dessus de leur condition, mais encore de leur esperance. Pour cet effet pendant qu'il fesoit sonner bien haut ses bonnes intentions pour la paix, & que pour les justifier il alleguoit le depart des Plenipotentiaires, il avoit envoyé des ordres secrets à l'un d'entr'eux d'y faire naître des obstacles insurmontables. Il s'étoit donc écoulé déja plusieurs années, sans qu'une assemblée si celebre eut rien produit. Les habiles gens mêmes avoient reconnu, il y avoit plus de deux ans, que tout cela n'étoit qu'une véritable mommerie; mais enfin le peril dont il étoit menacé lui faisant voir la nécessité qu'il y avoit pour lui de faire la paix avec les étrangers, pour se pouvoir deffendre des ennemis Domestiques, j'en portai les ordres à Mr. Servient. C'étoit un des plus fins hommes qu'il y eut jamais eu. Il jouoit ses collegues comme s'ils n'eussent pas eu le sens commun; aussi y en avoit t-il un qui n'étoit pas trop habile homme, & quoi que l'autre le fut d'avantage, cela n'empêchoit pas qu'il ne le fit donner souvent dans le panneau.

Servient ayant receu ces ordres applanit bien-tôt toutes les difficultez qu'il avoit fait naître lui même. Il fit consentir les Suedois, qui avoient intêret à ce traité, à quantité de choses contre lesquelles il les avoit fait roidir lui-même auparavant: la Religion Catholique y fut un peu sacriffiée; on abandonna à ces Peuples quantité de païs où elle avoit toûjours régné jusques-là, & où ils commencerent à l'abolir insensiblement. On rendit aussi, pour plaire aux Princes Protestans, l'Evêché d'Osnabruk alternatif entre les Lutheriens & les Catholiques. Enfin l'Empereur qui étoit aussi pressé que le Cardinal de se delivrer de la crainte que lui causoient les Hongrois & quelques autres ennemis Domestiques, ayant consenti à demembrer l'Empire en faveur de la Reine Christine, qui étoit alors assise sur le Trone du Grand Gustave son Pere, ce traité fut conclu à Munster le 24. d'Octobre 1648. Le Roi d'Espagne & le Duc de Lorraine n'y voulurent pas entrer, qu'on ne leur rendit des conquêtes qui avoient été faites sur eux; & comme cela ne se pouvoit sans honte de la nôtre part, le Cardinal, qui eut été bien aise de leur faire mettre les armes bas, aussi bien qu'aux Allemans, se consola de la resistance qu'ils y faisoient, par la connoissance que chacun auroit qu'il n'auroit pas tenu à lui de rendre la paix generale.

En m'en revenant de ce païs là j'eus ordre de passer en Angleterre ou il se joüoit d'étranges Tragedies. Ces Peuples après avoir chassé leur Roi de leur Capitale, & lui avoir donné plusieurs batailles l'avoient enfin réduit dans la fatalle nécessité de se jetter entre les bras des Ecossois. Lui à qui c'étoit à les proteger avoit été si malheureux que d'être obligé de réclamer leur protection. Les Anglois qui traitent d'ordinaire ces Peuples de Barbares, ne le virent pas plûtôt entre leurs mains, qu'ils resolurent de l'en tirer. Ils traiterent avec quelques uns des Principaux qu'ils le leur livreroient moyennant une bonne somme d'argent. La chose s'executa aussi tôt, & ce pauvre Prince fut fait prisonnier de ses propres sujets. L'on a toûjours attribué la cause de ces desordres à la Politique d'un grand Ministre qui avoit beaucoup à coeur la gloire de l'Etat dont l'administration lui avoit été confiée. Mais si cela est il a bien perdu son tems, quand il s'est efforcé de passer pour aussi homme de bien que grand Politique. Une telle conduite ne répond gueres à ce qui est répandu dans quelque livres de pieté qu'il a composez, mais peut-être aussi ne les a-t-il donnez au public que pour lui faire voir qu'il avoit assez d'esprit pour joüer tous les personnages qu'il vouloit. Car il me souvient qu'il composa aussi une Comedie dans le même tems, & même que le chagrin qu'il eut de ce qu'elle n'avoit pas le même succez que celles de Corneille, lui fit entreprendre de faire condamner le Cid par l'Accademie Françoise qu'il avoit établie. Il pensoit apparemment que comme elle lui avoit l'obligation de son établissement, elle se feroit un plaisir de lui témoigner sa reconnoissance, par une complaisance aveugle; mais il en arriva tout autrement qu'il ne pensoit, tellement qu'il eut encore le mécontentement de se voir tondu de ce côté-là.

Quoiqu'il en soit si ce fut une chose fort extraordinaire que la prison de ce Prince; ces Peuples n'en demeurerent pas là: après avoir resolu d'agir criminellement contre lui & de le rendre soumis à leurs loix, comme le pouvoit être le moindre d'entr'eux, ils en étoient venus de la pensée aux effets. Cromwel qui s'est rendu fameux à toute la posterité, en s'élevant de la qualité de simple Gentilhomme à celle de Protecteur des trois Royaumes qui composent cette Couronne, étoit déja comme le maître de cette nation. Il s'étoit attiré cette puissance par une adresse merveilleuse qui avoit été suivie du consentement presque universel de tous ces Peuples. Il étoit un des hommes du monde le plus ambitieux; mais il sçavoit cacher ce deffaut sous de si belles apparences qu'on eut dit au contraire qu'il n'y avoit point d'homme moins superbe ni moins amateur des vanitez. Enfin il sembloit, tant il sçavoit bien joüer son personnage, que la procedure criminelle qui se faisoit contre Sa Majesté Britannique ne fut nullement de son goût, quoi qu'il ne demandât pas mieux que de lui voir perdre la tête sur un échaffaut. Les choses étoient dans cet état, quand la Reine sa femme qui s'etoit retirée en France, il y avoit déja trois ou quatre ans, pria la Reine Mere d'interposer son Authorité pour empêcher que cette felonie dont elle prevoyoit bien le cours, n'allât plus loin. Le Cardinal qui étoit bien aise que ces Peuples eussent des differens entr'eux qui les empêchassent de se mêler de ceux de leurs Voisins, n'avoit pas pris trop de soin jusques là déteindre ce feu, dont il ne lui étoit pas plus difficile qu'à la Reine d'Angleterre de prevoir toutes les suittes. Mais soit qu'il ne crut pas qu'elles pussent aller jamais si loin qu'on les vit aller avant qu'il fut peu, ou que les ressorts secrets qui font agir la plûpart des Ministres lui fissent fermer les yeux à toute autre consideration qu'à celle qui regardoit le bien de l'Etat qui lui étoit proposé, il étoit demeuré spectateur de toutes ces tragedies, sans penser que la charité & même l'intérêt du Roi, ne lui permettoient pas d'y être si indifferent. Il ne se fut pas même reveillé de cette lethargie sans les pressantes sollicitations de la Reine d'Angleterre. Cette Princesse qui vouloit, comme il étoit de raison, mettre toutes choses en oeuvre pour ne pas voir perir le Roi son mari, après en avoir parlé plusieurs fois à la Reine Mere, & à son Ministre, obtint enfin qu'on envoyeroit tout de nouveau quelqu'un en ce pays-là pour y faire un dernier effort. Plusieurs y avoient déja été inutilement, soit qu'ils eussent des ordres secrets de ne faire les choses qu'à demi, ou qu'ils ne trouvassent pas des dispositions favorables à réüssir dans leur negociation; quoi qu'il en soit son Eminence ayant jetté les yeux sur moi pour me confier une affaire de si grande importance, elle me donna ordre de venir recevoir mes instructions de sa propre bouche. Ce n'est pas qu'elle ne me les dut donner pas écrit, & même elle y faisoit travailler par le Comte de Brienne, Secretaire d'Etat des affaires étrangeres; mais comme il y avoit de certaines choses dont elle se reservoit le secret, elle ne voulut pas les lui confier, & me les expliqua tête à tête.

Je n'eus point de caractere public dans ce voyage, quoique je m'y fusse attendu d'abord. Je m'en étois même déja rejouï par avance, sans en rien communiquer néanmoins à personne. Parce que je savois que ce Ministre vouloit tenir secret le lieu où j'allois: & en effet au lieu de le publier, il voulut au contraire que je passasse non seulement incognito en ce pays là, mais encore que je prise toute une autre route que celle qui y conduisoit. Il étoit bien aise de depaïser par là ceux qui seroient curieux sur ma marche, ainsi au lieu de me faire cheminer du côté de la mer, il m'y fit tourner le dos. Je pris mon chemin par la Champagne, & étant allé passer par Sedan, j'y rendis une lettre à Mr. de Fabert qui de peu de chose s'étoit élevé jusques à la dignité de Gouverneur de cette place qui étoit alors une des plus considerables de tout le Royaume. Il avoit une étrange réputation, savoir de parler tous les jours à ce qui s'appelle un genie, & on vouloit, je ne sais pas sur quel fondement, qu'il l'avertit de l'avenir. Je sais bien pourtant ou à peu près sur quoi tout cela étoit fondé, c'est qu'il avoit toûjours aimé de certains livres qui ne sont pas trop bons, & qu'il s'étoit venté d'une apparition lors qu'il étoit à neuf ou dix lieuës de Paris dans un chateau qui appartenoit au Duc d'Epernon. Je ne saurois dire au juste si cette reputation lui étoit bien duë ou non. Cela passe ma connoissance, & tout ce que j'en puis dire c'est qu'il étoit homme d'esprit. Aussi le Cardinal de Richelieu qui lui avoit fait donner ce Gouvernement en faisoit beaucoup de cas, & ne faisoit gueres de choses sans en prendre son avis. Le Cardinal Mazarin n'avoit pas fait d'abord tout de même, non qu'il ne sut à peu près dequoi il étoit capable, mais parce qu'il vouloit avoir pour lui ou pour quelqu'une de ses creatures son Gouvernement, comme il avoit fait de la charge de Treville. Fabert n'avoit pas voulu le lui donner, & cela avoit fait naître à son Eminence la pensée de le perdre. Il s'y étoit même resolu d'autant plûtôt qu'il étoit en grande liaison avec Mr. de Chavigni son ennemi declaré. Fabert qui avoit reconnu d'abord sa méchante volonté pour lui ne s'en étoit guerres mis en peine d'avantage. Comme on étoit dans un tems où il suffisoit de se faire craindre pour ne se pas soucier beaucoup d'être aimé, il s'étoit abstenu d'aller à la Cour, de peur de s'y voir arrêté. Il avoit fait le petit Roi dans son Gouvernement, comme il arrivoit alors de faire à quantité de Gouverneurs. Le Cardinal en avoit pris l'allarme, de sorte que pour empêcher qu'il ne se jettât entre les bras des ennemis, il avoit changé de conduite à son égard. Cependant comme son coeur étoit toujours de même pour lui, il avoit tâché de l'attirer à Paris sous divers pretextes. Il prétendoit toujours l'y faire arrêter. Mais Fabert qui étoit tout aussi fin que lui & qui ne manquoit pas de bons amis à la Cour, qui l'avertissoient de tout ce qui s'y passoit, il n'avoit jamais voulu sortir de sa place, & y avoit trouvé de bonnes raisons: tantôt il lui avoit mandé que s'il s'en éloignoit les ennemis prendroient ce tems là pour l'assieger, & tantôt qu'il avoit lui-même quelque entreprise à faire, qui demandoit sa residence. Le Cardinal avoit bien entendu ce que cela vouloit dire, & n'avoit pas jugé à propos de lui en demander une plus ample explication.

Les choses étoient demeurées en cet état pendant quelque tems, mais enfin Fabert qui avoit envie de pousser sa fortune encore plus loin qu'elle n'étoit, voyant que s'il en vouloit prendre le chemin, il devoit gagner la confiance de ce Ministre, il étudia son inclination, afin de le pouvoir prendre par son foible. Il reconnut bientôt que sa passion dominante étoit l'avarice, ainsi lui proposant quelque expédient pour diminuer la depense de sa Garnison, & pour empécher que nos trouppes qui ravageoient bien autant la champagne qu'eussent pu faire les ennemis, s'ils y fussent entrez, n'y continuassent leurs desordres, ils devinrent à la fin si bons amis que ce n'étoit plus ce que c'étoit auparavant. Le Cardinal lui écrivoit réglément toutes les semaines, & soit qu'il crut que par le moyen du genie dont je viens de parler, il fut plus capable qu'un autre de lui donner conseil, il commençoit à imiter le Cardinal de Richelieu, c'est à dire à le consulter tout comme avoit fait ce Ministre.

Je reconnus bien leur étroite intelligence, d'abord que je lui eus presenté une lettre que son Eminence m'avoit donnée pour lui. Car après m'avoir regardé comme pour m'arracher quelques parolles de la bouche, comme il vit que je le regardois de mon côté sans lui rien dire, il me demanda si je croirais réüssir dans mon voyage: je lui répondis que je ne savois de quel voiage il vouloit parler, mais m'ayant dit que je ne devois point finesser avec lui, & que Mr. le Cardinal l'instruisoit de toutes choses, je ne reconnus pas plûtôt qu'il me disoit vrai à quelques paroles qu'il me lâcha, que je lui repartis que je n'étois pas assez habile pour lui en parler affirmativement, que tout ce que je lui pouvois dire c'est qu'il ne tiendroit pas à moi & que j'y emploierois tout mon savoir faire. 11 ne tiendra pas à vous, me dit il, & c'est de quoi je suis bien persuadé sans que vous en juriez. Mais ou je suis bien trompé ou vous vous en reviendrez sans rien faire: vôtre voyage ne fera que hâter les mauvais desseins que cette Nation a contre son Roi, parce qu'elle n'aime pas que les étrangers se donnent la liberté de se mêler de ses affaires. Je lui répondis que peut-être prendroit-elle garde à deux fois à ce qu'elle feroit, parce qu'elle apprehenderoit sans doute que la paix ne se fit avec les Espagnols, tout comme elle venoit de se faire avec les allemans, & que les deux Couronnes ne tombassent après cela sur elle, lorsqu'elle y penseroit le moins. Il me repartit de prendre bien garde à ne leur pas faire cette menace, parceque ce seroit le moyen justement de tout gâter, que cela lui feroit faire un traité avec l'Espagne qui ne vouloit point de paix, qu'elle ne l'avoit déja que trop témoigné en refusant d'entrer dans celui qui avoit été fait à Munster; que ce refus ne procedoit que de ce qu'elle esperoit que nous nous brouillerions bien-tôt nous mêmes dans nôtre Etat; qu'elle n'avoit pas trop de tort de le croire, parce que les esprits étoient disposez en France d'une maniere qu'à la premiere chose qui arriveroit on verroit d'étrangers revolutions; que le Cardinal avoit fait un coup d'étourdi quand il avoit fait arrêter Broussel & ses compagnons; qu'il devoit prevoir ce qui en arriveroit; mais enfin qu'après en avoir fait la faute, il devoit la soutenir au peril de sa vie; que d'avoir fait relâcher ces prisonnniers comme il avoit fait, c'étoit vouloir qu'on lui fit la loi en toutes rencontres; qu'il ne tarderoit guerres à s'en appercevoir, & que quoique l'orage fut appaisé en apparence, il le verroit éclatter bientôt tout de nouveau & plus terrible mille fois qu'auparavant; qu'au reste les Anglois étoient nos voisins de trop près, & avoient de trop bons espions chez nous pour ignorer tous ces mouvemens; que c'étoit ce qui leur donnoit la hardisse de faire le procès à leur Roi, & ce qui le feroit perir miserablement; qu'ainsi si le dessein du Cardinal étoit de le sauver, il lui diroit bien tout ce qu'il avoit à faire, & tout ce que j'avois à faire aussi; que toutes mes instructions ne devoient rouler que sur l'étroite correspondance que je devois entretenir avec Cromwel & avec le Parlement d'Angleterre, parceque si j'entreprenois de vouloir sauver Sa Majesté Britannique, bien loin d'y pouvoir réüssir, je ne ferois que me perdre avec elle; que quand il me parloit ainsi de moi, j'entendois bien apparement ce qu'il vouloit dire par là; que sous mon nom il entendoit tout l'Etat qui étoit presque tout aussi malade que le pouvoit être celui d'Angleterre.

Son raisonnement étoit fort juste, aussi Mr. Le Cardinal m'avoit dit de bouche avant que de me faire partir, de prendre bien garde à tout, quand je serois arrivé en ce Pais là; que si je voiois que tout y fut desesperé pour Sa Maj. Britannique je le laissasse perir comme les autres, puis qu'il ne me serviroit de rien de l'en vouloir garentir; qu'au surplus de quelque maniere que les choses s'y passassent je songeasse bien que l'intérêt du Roi, & celui de l'Etat ne demandoient pas que les esprits s'y réünissent bien qu'ils pussent s'opposer à nos entreprises. Je demeurai deux jours à Sedan où ce Gouverneur me fit fort bonne chere, quoi qu'il ne se mit pas sur le pied de tenir une table delicate, comme faisoient quantité d'autres Gouverneurs. Il songeoit bien plûtôt à faire le bien de sa famille, qui étoit assez nombreuse, pour croire qu'il ne mourroit pas sans heritiers. Je pris congé de lui après ce tems là, & étant descendu à Liege par la Meuse, je passai de là à Cologne où je croiois trouver cet Electeur. J'avois des lettres à lui rendre de la part de son Eminence, mais ne l'y ayant pas trouvé, je fus obligé d'aller à Breuil où il étoit. C'est une maison de plaisance qui appartient à ceux qui jouïssent de cet Electorat. Je m'acquittai de ma commission, qui n'étoit pas bien difficile. Cette lettre ne contenant que des complimens qui étoient pourtant fort interessez, comme avoit coutume d'être tout ce que faisoit ce Ministre. Comme il prevoioit aussi bien que Fabert que sa Fortune n'étoit pas trop assurée, après ce qui étoit arrivé, il tâchoit de se procurer une retraite auprès de cet Electeur, en cas qu'il en eut besoin. Cependant comme il sçavoit que les presens ne servent pas peu à entretenir l'amitié, je lui portai aussi avec ma lettre un portrait de la Vierge, dont le Duc de Savoye avoit fait present à son Emminence.

Je pris congé de lui après avoir demeuré deux jours à sa Cour, qui n'avoit rien de recommandable pour un Prince souverain. Je trouvai même que ses inclinations ne repondoient pas trop à la grandeur de sa naissance. Il demeuroit enfermé tout le jour sans se montrer à personne, & il s'occupoit là de la recherche de la pierre philosophale, du moins si l'on en veut croire ce qui s'en disoit. Cela étoit cause qu'il n'avoit jamais un sol, & tout son revenu s'en alloit en fumée au lieu de vivre comme une personne de sa condition. Ce n'est pas qu'il n'y eut assez à manger à sa table, mais tout y étoit si mal appreté, que quand on sortoit comme je faisois d'un endroit où l'on faut aussi bonne chere que l'on fait en France, on pouvoit dire que l'on y mouroit de faim. Je fus de là à Bruxelles où je pouvois aller seurement, à cause d'un passeport que son Eminence m'avoit envoyé à Breuil. Je n'y vis personne, & n'y ayant fait que coucher, je fus m'embarquer à Ostende où j'appris qu'il y avoit un vaisseau qui passoit en Angleterre. C'étoit un vaisseau armé moitié en guerre, moitié en Marchandise, & nous n'eumes pas fait plus de trois ou quatre lieuës que nous en vîmes paroître un autre qui portoit Pavillon de France. Comme le nôtre portoit celui d'Espagne, ils ne se furent pas plûtôt reconnus, qu'il ne leur en fallut pas davantage pour se preparer de part & d'autre au combat. Ils étoient à peu prés de même force, mais dans un moment cette egalité disparut; nous vîmes avancer un vaisseau qui se hâtoit de venir vers nous comme y ayant grand interêt. Il étoit beaucoup plus prés de celui de France que du nôtre, si bien que celui-ci put discerner plûtôt que nous qui il étoit. Il étoit espagnol & d'abord qu'il le reconnut, il s'enfuit au lieu de venir à nous. Les deux vaisseaux espagnols commencerent ainsi à lui donner la chasse, on le poursuivit même de si prés que je crus qu'il alloit être pris. Cela me fit de la peine & le chagrin que j'en avois paroissant sur mon visage, je ne m'entendis pas seulement accabler d'injures au même tems, mais donner encore un coup de bâton dont je me crus assommé. Je tournai la tête du coté d'où le coup venoit, pour voir qui étoit si hardi que de me traitter de la sorte, je vis que c'etoit le Capitaine du vaisseau, & bien que je ne puisse esperer vraisemblablement de m'en venger, qu'il ne m'en coutât la vie, je ne laissai pas de mettre l'épée à la main pour la lui passer au travers du corps. Rien ne lui fit echaper mon ressentiment que la precaution qu'il eut de me tourner le dos. Sa fuite me l'ayant ainsi dérobé, un Chevalier de Malthe Espagnol, homme d'une des premieres Maisons de toute l'Andalousie qui avoit vu son action, mit l'épée à la main tout aussi tôt, non pour m'aider à tuer celui qui l'avoit faite, mais pour empêcher que quelques uns de ses soldats à qui il avoit dit de me tuer n'exécutassent son commandement. Il me dit de ne rien craindre, & qu'il periroit plutôt que de souffrir que ce brutal m'outrageât davantage.

Le respect qu'on avoit pour lui fit que ces soldats n'oserent poursuivre leur pointe. Les passagers même qui étoient en grande quantité dans le vaisseau se rangerent auprès de nous pour empêcher qu'on ne nous fit insulte. Les matelots qui bandoient tout leur esprit auparavant à joindre le vaisseau François se relacherent alors de leurs soins pour voir ce que cela vouloit dire. Comme c'étoit nôtre vaisseau qui le serroit de plus prés, & que l'autre qui le poursuivoit n'étoit pas trop bon voilier, il se servit de ce relâche pour se tirer de péril & nous le perdimes bientôt de veuë; l'autre vaisseau en ayant fait tout autant, il s'en vint à nous pour savoir à quoy il tenoit que nous ne l'eussions pris. Il nous trouva sous les armes les uns contre les autres, dont il demeura tout surpris. Cependant celui qui m'avoit outragé lui ayant voulu faire sa cause bonne il lui dit qu'il n'étoit qu'un brutal, & qu'il y avoit long-tems ou'il le connoissoit pour tel; qu'il étoit fâché de n'avoir pas le pouvoir de m'en faire justice, mais que puisque j'allois en Angleterre il me donneroit un bon conseil; que je m'en plaignisse à l'Ambassadeur d'Espagne & qu'il le feroit arrêter tout aussi-tôt. Je ne fus point content de cet expédient, que je ne trouvois pas capable de me satisfaire, après l'outrage que j'avois reçû. J'eusse voulu que l'on m'eut permis de lui passer mon épée au travers du corps, ou du moins de lui couper le visage, comme il le meritoit bien; mais enfin voyant que ce seroit inutilement que je m'efforcerois de le faire, & que je n'en aurois jamais la permission, je répondis à celui qui paroissoit si bien intentionné pour moi, que l'Ambassadeur dont il me parloit ne sauroit peut-être ou prendre ce maître brutal, qu'ainsi je n'en aurois aucune satisfaction. Il me repartit qu'il falloit de toute necessité qu'il fut décharger ses Marchandises dans quelque Port d'Angleterre; qu'elles étoient pour le compte de quelques Marchans Anglois, & que ce seroit-là où on l'attraperoit; que cependant il me diroit, pour me consoler toûjours en attendant, qu'il ne pouvoit venir rien de bon d'un homme comme celui-là; qu'il avoit été renegat, & corsaire, & que Sa Majesté Catholique ne l'avoit reçû en grace qu'à la recommandation d'un des principaux de son Conseil; que l'accès qu'il avoit trouvé auprès de lui ne meritoit pas neanmoins qu'il s'en ventât; que ce n'avoit été qu'en lui faisant present d'une esclave qu'il avoit achetée quelque part en Barbarie; que ce Ministre en avoit passé maintenant sa fantaisie, de sorte qu'il ne falloit pas craindre qu'il lui servit davantage de support.

Ce Capitaine, qui étoit aussi honnête que l'autre étoit brutal, ayant fait ainsi tout son possible pour diminuer l'excès de mon ressentiment, il nous fit monter dans son bord, le Chevalier de Malthe & moi, après m'avoir promis qu'il seroit lui-même mon solliciteur auprès de l'Ambassadeur d'Espagne. Il s'en alloit à Londres, & il nous y mena. Nous y arrivâmes pour ainsi dire en moins de rien, le vent qui nous poussoit étant si favorable qu'il ne pouvait gueres l'être davantage. Ce Capitaine me tint parole d'abord qu'il y fut arrivé. Il raconta à l'Ambassadeur tout ce qui m'étoit survenu, & lui en demanda justice en mon nom. Je fus bien embarrassé si je devois l'aller voir, ayant peur que ma visite ne fut pas approuvée de la Cour dans la situation où étoient les affaires des deux Couronnes. Car elles se brouilloient toûjours de plus en plus. Le Cardinal avoit fait arrêter tout nouvellement sur la frontiere un homme qui venoit à Paris pour y porter le Parlement à se déclarer entierement contre ce Ministre. Comme ils y avoient vû beaucoup de disposition, parce qui étoit arrivé, ils se flattoient que pour peu de soin que l'on prit à rattiser le feu qui avoit commencé à paroître, il ne tarderoit gueres à causer un grand embrasement. Cet homme fut fouillé quand on l'arrêta, & on lui trouva sur lui plus de choses qu'il ne lui en falloit pour le perdre. Son Eminence ne voulut pas qu'on fit éclat de cette affaire, de peur que cela ne haussât le coeur aux mal-intentionnez, quand ils se verroient soutenus par une Couronne qui avoit accoutumé de balancer le pouvoir de la nôtre. Cependant comme il ne vouloit pas laisser ce crime impuni, il m'écrivit de lui donner avis quand je serois arrivé à Calais, par où je devois passer en m'en revenant.

L'embarras où j'étois touchant l'Ambassadeur d'Espagne ayant tenu quelque tems mon esprit en suspens, je me deffis à la fin de mes scrupules. Je considerai que la visite que je lui rendrois n'avoit rien qui fut préjudiciable au service du Roi. Je fus donc le voir, & m'ayant parfaitement bien reçû, je ne lui eus pas plûtôt conté mon affaire, que faisant un jugement de moi plus avantageux que je ne devois esperer, il me demanda ce que j'étois venu faire en ce païs là. Il soupçonna tout aussi-tôt, à ce que je reconnus depuis, que j'y étois envoyé de la part de la Cour, tellement que m'observant depuis les pieds jusques à la tête, il me fut aisé de voir qu'il eut voulu être devin pour savoir ce que j'avois dans le coeur. Je lui donnai le change, & afin qu'il ne le put deffier de rien, je lui répondis que j'avois une affaire en France qui m'avoit obligé d'en sortir, que je m'y étois battu contre un de mes parens, & que comme les duels y étoient deffendus, sous de grosses peines, je n'avois point eu de repos, que je ne me fusse vû en lieu de seureté. J'eus beau déguiser ainsi ce que j'étois, je ne pus lui en faire accroire. Il me demanda les tenans & les abboutissans de mon prétendu combat. Je ne m'étois pas préparé à ma menterie, du moins comme il le falloit être pour n'être pas trouvé menteur, de sorte que lui ayant conté la première chose qui me vint dans la pensée, il lui fut facile de savoir que tout cela n'étoit qu'une imposture; parce qu'il avoit des gens sur les lieux qui lui en manderent la vérité. Je trouvai cependant les choses si mal disposées pour réüssir dans ma négociation, que suivant les instructions que j'en avois je ne jugeai pas à propos d'en dire un seul mot; tout au contraire je tâchai de m'insinuer dans la confiance de Cromwel pour qui j'avois une lettre de creance. Comme c'étoit un fin politique il avoit des espions en campagne qui lui rendoient compte de tous ceux qui entroient ou qui sortoient d'Angleterre, pour peu qu'ils parussent gens à y devoir faire attention. Il savoit ainsi ma venue dès le même jour que j'y avois mis pied à terre. Au reste comme il s'étoit écoulé plus d'une semaine depuis ce tems-là, & qu'il n'y avoit point d'apparence que j'eusse tant tardé à le voir, si ce n'est que j'avois quelque chose à examiner auparavant, je lui devins encore plus suspect, que je ne l'étois à l'Ambassadeur. Il n'eut garde de m'en rien témoigner, & me traitant au contraire avec une cordialité capable d'y prendre un bien plus fin que moi, il me dit qu'il se tenoit bien redevable à Mr. le Cardinal des offres de service qu'il vouloit bien lui faire faire; qu'il se donneroit l'honneur de lui recrire, & que comme il ne témoigneroit jamais si-bien dans sa lettre la reconnoissance qu'il avoit de sa bonté comme elle étoit gravée dans son coeur, il me seroit bien obligé de lui vouloir dire de bouche tout ce qu'il tâchoit de m'en faire connoître.

Il accompagna des paroles si obligeantes d'un Diamant qui pouvoit bien valoir deux cent pistoles: il voulut que je le prisse, & je ne voulus pas le refuser, de peur que Mr. le Cardinal ne le trouvât mauvais. Cela m'eut ôté toute sorte de soupçon, supposé que j'en eusse eu auparavant. Cependant comme tout conspiroit à me tromper aussi-bien du côté de l'Ambassadeur, que de celui-là, son Excellence fit arrêter le Capitaine qui m'avoit fait insulte d'abord qu'il sut qu'il étoit arrivé à Gravesende. Il me fit dire en même-tems qu'il m'en feroit bonne & brieve justice, & je n'eus pas de lieu d'en douter effectivement, puis qu'il le fit mettre en prison. Il est vrai qu'il y avoit encore d'autres plaintes contre lui que les miennes qui ne meritoient pas moins qu'il en fut fait un exemple, que ce qu'il avoit fait contre moi. Au reste toutes ces honêtetez m'ayant consolé de ma méchante fortune, au lieu de prendre le paquebot pour me rendre à Calais, comme j'en avois le dessein auparavant, je pris une barque tout exprès entre Douvres & un endroit où il y a deux tours que les mariniers appellent ordinairement les deux soeurs. Je le fis par ordre exprès de Mr. le Cardinal, qui m'avoit recrit non-seulement de le faire, mais encore de débarquer auprès de Boulogne à une baye dont je ne me ressouviens plus du nom. Il me mandoit que j'y trouverois de ses nouvelles, & que je ne manquasse pas à executer de point en point tout ce qu'il me commanderoit.

Je ne pris pas soin de cacher mon depart, parce que je ne croyois point que rien m'y dut obliger; mais à peine fus-je parti de Londres que Cromwel d'un côté & l'Ambassadeur de l'autre mirent des gens en campagne pour m'enlever. Ils croyoient que je dusse prendre la route de Douvres, & ne la point quitter, que je n'y fusse arrivé, mais comme j'avois ordre de m'assurer d'une barque pour me rendre où il m'étoit ordonné, ils me manquerent en chemin. Ils furent quand ils se furent redressez, que j'avois fait marché avec un patron pour me rendre du côté de Boulogne. Ils en chercherent quelque autre chacun de leur côté pour me devancer s'il étoit possible, mais ayant perdu quelque tems avant que d'en rencontrer, j'étois déja en seureté qu'ils étoient encore les uns & les autres à plus de trois lieuës de moi. Comme ces deux barques suivoient la même route que j'avois prise, & qu'elles cherchoient toutes deux la même chose, elles ne se furent pas plûtôt apperçûës l'une & l'autre qu'elles crurent que c'étoit justement ce qu'elles cherchoient. Elles se presserent donc de se joindre, ce qui les en devoit desabuser, pour peu qu'elles y voulussent songer; car si c'eut été moi comme elles pensoient, je n'eusse songé qu'à suivre ma route, sans me mettre en peine de connoître qui me suivoit. Mais comme on ne fait pas toûjours reflexion à toutes choses, principalement quand l'esprit se trouve préoccupé, ces deux barques qui étoient armées toutes deux de Mousquets, ne furent pas plûtôt à portée de se faire une décharge qu'elles se la firent sans se ménager en aucune façon. J'étois encore sur le rivage & même je n'y faisois que d'arriver. Au reste je ne sus ce que cela vouloit dire, & j'en fus quelque tems en peine. Cependant comme le vent étoit bon pour venir en France, & qu'elles avoient fait encore près d'une lieue lorsque cela arriva, j'eus le plaisir de voir ce combat, où je ne croyois pas avoir tant d'interêt que j'en avois, puis qu'il se faisoit uniquement pour l'amour de moi. Après cette decharge il s'en fit encore une autre, devant que de s'aborder; puis en étant venus alors à l'abordage, ils reconnurent quand ils eurent jetté les yeux les uns sur les autres, que ce qu'ils cherchoient n'y étoit pas. Il y avoit eu deux ou trois hommes de tués de chaque côté, & qui plus est un des deux patrons étoit blessé d'un coup tout au travers du corps. Comme ils virent cela, & qu'il ne leur serviroit de rien de se battre davantage, ils firent leur paix, & entrerent tous dans une même barque, après s'être dit que ce qu'ils cherchoient s'étoit sauvé. Car ils voyoient de loin celle qui m'avoit apporté, & quoi qu'ils ne me pussent pas reconnoître d'où ils étoient, ils se douterent bien que c'étoit moi. Le patron qui étoit blessé s'en vint se faire penser où j'étois, & comme il ne me connoissoit pas, & qu'on lui demanda à quelle occasion les gens qu'il avoit avec lui s'étoient battus, il conta ingenuement tout ce qu'il en savoit.

Je fus ravi de l'avoir évité si belle. Comme j'avois trouvé là les ordres dont Mr. le Cardinal me parloit, & que c'étoit pour retourner en mer, je crus que je devois attendre que ces gens s'en fussent éloignez, afin de ne pas tomber entre leurs mains. Les ordres qu'il m'envoyoit étoient de faire embarquer l'homme qui étoit venu pour debaucher le Parlement, & de le voir jetter en mer avant que de m'en revenir, quand nous ferions à quatre ou cinq lieuës de la rade. Comme il ne demandoit que mon témoignage, & que je n'avois nulle part à l'execution je crus que je ne pouvois pas desobeïr. Il avoit envoyé ce pauvre miserable sur les lieux, sans lui signifier un ordre si cruel: on lui avoit fait accroire au contraire qu'on le renvoyoit en son païs. Je ne sais ce qu'il en avoit pensé en chemin, parce que ce n'étoit pas là son plus court; mais enfin quand il fut à une demie lieuë de terre, & qu'on ne craignoit plus qu'il fit retentir l'air de ses lamentations, on ne feignit plus de lui dire sa condamnation Il fut bien surpris à cette nouvelle, & se récria fortement contre l'injustice qu'il pretendoit qu'on lui fit. Elle n'étoit pas trop grande, cependant, & il meritoit bien la mort, puis que le droit des gens n'a jamais permis de faire ce qu'il avoit fait. Il pretendoit bien le contraire néanmoins, & que puis qu'il étoit envoyé par une Puissance on ne le pouvoit traiter ni comme traitre ni comme espion, mais il eut beau reclamer contre son arrêt il lui en fallut passer par-là. Il s'y resolut donc voyant que c'étoit une necessité, & comme ceux qui le conduisoient avoient amené avec eux un aumonier, il le confessa, puis il subit son jugement, avec plus de confiance qu'il ne paroissoit en avoir d'abord.

Je m'en retournai ensuite d'où je venois, & ayant pris la poste à une lieuë de là je passai par Boulogne ou je fus voir Mr. Daumont qui en étoit Gouverneur aussi-bien que de tout le Boulonnois. C'étoit assez que je fusse au Cardinal pour en être bien reçû. C'étoit un homme tout politique, & tout dévoué à la faveur. Il me regala magnifiquement, & après y avoir resté jusques au lendemain après midi, je repris la poste, & arrivai à la Cour qui étoit encore à Paris. La Reine d'Angleterre qui n'avoit point eu depuis long tems des nouvelles du Roi son mari, en étoit extrèmement en peine, & sachant que je revenois de ce païs là, elle m'envoya dire, comme j'avois l'honneur d'en être connu, qu'elle seroit bien aise de me parler. Comme je n'avois rien de bon à lui dire, j'eus d'abord la pensée de faire le malade, pour n'être pas obligé d'y aller, mais considerant que cela ne pouroit pas toûjours durer, & qu'outre cela elle pouroit envoyer quelqu'un chez moi, qui me presseroit si fort de sa part que ce seroit presque la même chose que si j'avois affaire à elle, je me resolus de lui obéïr. J'y fus donc, mais au lieu de lui dire tout ce que je sçavois, je lui deguisai les choses tellement, qu'elle n'en fut pas plus savante. Je lui dis qu'on tenoit le Roi de si court, depuis deux ou trois mois, qu'il étoit impossible d'en pouvoir parler que par presomption; que j'avois veu en ce païs là Milord Montaigu, & quelques autres de ses plus fideles serviteurs, qu'ils en étoient tout aussi en peine qu'elle en pouvoit être, & que ce Milord ayant fait deguiser son neveu pour pouvoir l'aborder plus seurement, il avoit été pris sur le fait & envoyé en prison.

Cette circonstance m'étoit tout à fait avantageuse pour lui faire accroire ce que je lui disois, mais comme cette Princesse avoit de l'Esprit infiniment, elle me fit réponse qu'elle étoit perduë, & que de la maniere que je lui parlois elle voyoit bien que s'étoit fait du Roi son époux. Je tâchai autant que je pus de calmer ses allarmes, mais comme on a souvent un secret pressentiment de son malheur, elle pleura amérement, sans que moi ni personne de tous ceux qui étoient autour d'elle l'en pussent jamais empêcher. Elle n'avoit pas trop grand tort de juger mal de ses affaires, & en effet les Anglois ayant poussé les choses jusques à ce point de felonie que de faire comparoître leur Roi sur la sellete, pour y rendre compte de ses actions, l'on vit ce que l'on n'avoit jamais veu jusques là ni même ce dont on n'avoit jamais ouï parler auparavant, l'on vit dis-je des sujets s'ériger en juges de leur souverain, & le condamner à la mort. Toute l'Europe fut non seulement toute étonnée d'un paricide si odieux; mais en gemit encore étrangement. Cependant personne n'entreprit de le venger, au moins des Puissances Voisines, parce que la plûpart avoient guerre ensemble, & qu'il y en avoit même qui étoient affligées aussi bien que l'Angleterre de guerres civiles. Nous étions malheureusement pour nous dans ce cas, & les barricades de Paris avoient produit ce méchant effet, que tant du côté de la Cour que de celui des Peuples il y avoit toutes les dispositions imaginables à causer un embrasement, qui avoit bien la mine de ne pas s'éteindre si tôt. La Reine Mere étoit au desespoir, de ce qu'on l'avoit forcée, pour ainsi dire, le poignard à la gorge, de rendre la liberté à un homme que le conseil du Roi son fils avoit trouvé assez coupable pour l'en priver. Les Peuples de leur côte qui avoient été appuyés dans leur revolte par le Parlement se tenant tout fiers de l'avoir veu couronner par un succès avantageux au lieu de la punition qui leur en étoit duë, n'en étoient que plus portés à faire éclater quelque nouvelle desobéissance. La Cour n'osoit plus faire d'Edits qu'ils n'y trouvassent à reduire, & comme les nécessitez de l'Etat demandoit qu'on en fit journellement, ou du moins que le Ministre étoit bien aise de le faire accroire, il y eut tous les jours des requêtes presentées au Parlement pour ne pas souffrir qu'on égorgeat ainsi tout le Royaume pour enrichir un homme, dont l'avarice étoit telle qu'il ne seroit jamais content qu'il ne se fut engraissé du sang du Peuple.

L'on designoit assez par là le Cardinal Mazarin dont l'humeur ménagère pour ne pas dire quelque chose de pis, deplaisoit furieusement à tout le monde; mais quand on ne se fut pas assez expliqué pour le faire connoître on le nomma bien-tôt formellement, afin que personne n'en put douter. Le Parlement fut ravi que l'on eut ainsi recours à lui pour servir de Mediateur entre le Roi & son Peuple: plusieurs de cette Compagnie qui avoient bon appetit crurent que cela leur donneroit moyen de faire leurs affaires, mais comme le Cardinal n'étoit pas trop liberal, ils virent bientôt qu'ils auroient beaucoup à décompter, s'ils vouloient faire fonds là dessus. Ceux qui avoient remarqué qu'il falloit s'en faire craindre pour en arracher ce que l'on vouloit changerent alors de batterie, & commencerent à le prendre à partie de tout ce qui donnoit lieu de murmurer. Ils l'accusèrent de faire durer la guerre pour ses intérêts particuliers & comme ils ne le pouvoient prouver à l'égard de celle de Flandres, ils eurent recours à ce qui s'étoit passé en Allemagne entre Servient & ses Collegues, afin que la connoissance que l'on avoit du passé servit de préjugé pour ce qui se passoit presentement. Ils formerent encore bien d'autres accusations contre lui, & comme c'étoit sonner le bouteselle de la guerre civile, le Cardinal resolut de les prevenir. La Reine Mere y étoit toute disposée d'elle même, ainsi la veille des Rois cette Princesse ayant fait sortir de Paris le Roi son fils, à qui le Cardinal donnoit déjà d'étranges impressions de cette Ville, elle se retira à St Germain en Laye, Chateau scitué sur la croupe d'une montagne qui est arrosée au pied, de la riviere de Seine. On ne parla plus là que d'assieger ces seditieux, & Mr. le Prince qui ne trouvoit rien d'impossible le promit à la Reine, ou du moins de les bloquer, bien qu'il n'eut pas plus de dix à douze mille hommes pour le seconder dans une si grande entreprise.

Le Parlement eut été bien étonnné quand il apprit ce dessein, si ce n'est qu'il avoit préveu la chose de longue main. Cependant comme toute sa prévoyance n'avoit pas été jusques là que de lui faire faire des provisions pour un si grand Peuple, & même que cela étoit absolument impossible, il crut qu'il feroit bien mieux de rechercher un accommodement que de s'exposer aux reproches qui lui étoient inévitables, s'il etoit cause de leur perte. Quantité de pauvres gens qui alloient extrémement souffrir n'avoient que faire en effet des mouvemens secrets qui les faisoient tous agir: la faim les alloit presser, & l'on n'en pouvoit douter nullement, de la maniere que les choses se passoient déja. Car enfin, comme une si grande populace ne subsiste d'ordinaire qu'au jour la journée, il étoit non seulement tout visible que quand elle viendroit à manquer de pain, elle l'en accuseroit tout aussi-tôt; mais qu'elle l'en rendroit peut-être encore responsable. Ce furent ces reflexions qui obligerent cette Compagnie de ne pas pousser les choses si loin que quelques uns de ses membres eussent bien voulu. D'ailleurs les plus sages étoient bien aises de se disculper de quantité de choses, dont on les accusoit. Les plus éclairés vouloient qu'il entrât plus de brigues & d'ambition dans toutes leurs assemblées que de zele pour le bien public; ainsi ils deputerent quelques uns d'entr'eux à St. Germain, offrant de se ranger dans le devoir, à de certaines conditions, qui montroient encore néanmoins que s'ils ne vouloient pas être les Maîtres tout à fait, du moins songeoient-ils à tirer au bâton avec celui qui le devoit-étre. Cela deplut à la Reine Mere qui avoit été avertie dés avant leur depart de Paris des propositions qu'ils avoient à lui faire. Ainsi les ayant renvoyés sans les vouloir écouter, le Parlement s'en trouva tellement scandalisé, qu'il donna un arrêt contre le Cardinal. Il y fut déclaré ennemi de l'Etat & en cette qualité indigne de remplir la place qu'il occupoit. Ce corps donna ordre en même tems à ce que la Ville fut gardée, & comme cela ne se pouvoit faire sans avoir des troupes, il ordonna quelques nouvelles levées tant de Cavalerie que d'Infanterie.

Mr. de Longueville qui ne faisoit que d'arriver de Munster où il étoit à la tête de nos Plenipotentiaires, plûtôt à cause de sa qualité que de son merite, au lieu de se montrer reconnoissant de la grace que la Cour lui avoit faite de le choisir par preference à un autre pour un poste si considerable, fut le premier à se declarer contr'elle. Il quitta St. Germain où il avoit d'abord suivi le Roi, pour venir offrir ses services au Parlement. Cette Compagnie les accepta de bon coeur, & sa desobéïssance ayant été suivie de celle de quelques autres grands, il pretendoit, comme il avoit le rang au dessus d'eux à la Cour, que les offres de service qu'ils avoient faites pareillement à cette Compagnie ne lui pouroit préjudicier pour la qualité de Généralissime de ses armées, quand il fut obligé de la ceder à un autre qui étoit encore plus grand que lui. Le Prince de Conti ou tenté de changer sa crosse contre une épée, car il étoit Abbé de St. Denis, ou envoyé peut-être par le Prince de Condé son Frere pour avoir encore par son moyen quelque credit dans le Parlement qu'il alloit perdre en se declarant contre lui, vint aussi à Paris dans le même dessein qu'y étoit venu le Duc de Longueville. Il mit d'accord par là quelques Ducs & quelques autres personnes de qualité qui ne vouloient pas demeurer d'accord d'obéïr au Duc de Longueville. Ils pretendoient voir auparavant un brevet dont sa Maison se ventoit de devoir aller immediatement après les Princes du sang. Ils ne croyoient pas cette pretention si bien établie qu'ils ne songeassent à la disputer, sur tout ne voyant pas qu'il en joüit à la Cour où l'on voyoit tous les jours les Princes de la Maison de Savoye & de Lorraine lui disputer le pas. Or les Ducs soutenoient qu'ils ne le cedoient point à ceux là, & que par consequent, ils ne devoient point aussi le lui ceder. Mais si c'étoient là leurs pretentions le Maréchal de la Motthe Houdancour qui étoit mécontent du Cardinal, & qui dans le dessein de s'en venger, parce qu'il l'avoit fait mettre en prison, d'où il ne faisoit que de sortir, étoit venu offrir pareillement sa tête & son épée au Parlement, en avoit une contr'eux qui paroissoit beaucoup mieux fondée que la leur. Il pretendoit que leur qualité de Duc n'entroit point en concurrence avec la sienne, quand il s'agissoit du commandement d'une Armée, & que les Maréchaux de France étoient de cent piques au dessus deux à cet égard. Enfin toutes ces differentes pretentions eussent peut-être causé encore une autre guerre que celle qui étoit prête de s'allumer, quand le Prince de Conti les mit tous d'accord par son arrivée. Ceux qui disputoient ce commandement au Duc de Longueville n'oserent disputer à sa qualité de Prince du sang ce qu'ils étoient prêts de soutenir contre l'autre, à la pointe de l'épée; ainsi tout ce différent s'étant terminé par là Mr. le Cardinal me dit de me préparer à retourner en Angleterre. Je pris la liberté de lui répresenter que j'y étois suspect à Cromwel, qui y avoit bien encore accru sa Puissance, depuis la mort funeste de Charles Premier. Cet homme qui étoit un des plus grands Politiques qu'il y ait eu depuis long tems dans l'Europe, après avoir reconnu par l'experience qu'il en avoit faite en plusieurs rencontres, que les Anglois étoient gens à tout entreprendre pour maintenir leur liberté, leur avoit fait abolir la qualité de Roi, sous laquelle ils avoient toûjours vécu, pour s'ériger en Republique. Il les avoit leurés par là d'une maniere que peu s'en falloit qu'ils ne baisassent les pas par où il passoit, & qu'ils ne coupassent ses habits en piéces pour en faire autant de Reliques. Jamais on n'a veu en effet une si grande amitié pour un homme que ces Peuples en eurent pour lui au commmencement. Il fit bien d'avantage encore en leur faveur. Comme le commun Peuple après s'être délivré de la Puissance Royale, regardoit encore une espece d'esclavage l'authorité que la Chambre Haute avoit dans le Parlement, il la supprima tout de même qu'il avoit déjà fait la Royauté. Il est impossible de dire les benedictions qu'il en eut de la populace, elle en fit des feux de joye pendant plusieurs jours, & en ayant receu des acclamations tout autant de fois qu'il se montroit en public, son Eminence ne fut pas plûtôt qu'il avoit fait ce coup là, qu'il le jugea capable de faire doresenavant tout ce qu'il voudroit entreprendre.

La pensée qu'il en eut & celle qui lui vint en même tems de lier une étroite amitié avec lui, fut cause du commandement dont je viens de parler. Il fit attention à la réponse que je lui avoit faite là dessus, & comme il sçavoit comment j'avois été poursuivi par les gens de ce nouveau tiran, & par ceux de l'Ambassadeur d'Espagne, peut-être que ma remonstrance eut fait quelque impression sur lui, si ce n'est qu'il me croyoit plus capable qu'un autre de me ménager avec les esprits de ce païs là. Il ne pretendoit pas seulement envoyer faire compliment à Cromwel sur ce que son pouvoir augmentoit de moment à autre, mais reconnoître encore ceux qui avoient le plus de credit auprès de lui, afin de se les rendre favorables par ses largesses. Il me donna donc des lettres de change pour vingt mille écus, me disant que s'il m'en falloit d'avantage pour executer son commandement, je n'aurois qu'à l'en avertir & qu'il me les envoyeroit aussi-tôt: C'est pourquoi rien ne me devoit empêcher de faire des avances jusques à la somme que je trouverais bon de promettre. Je partis comme malgré moi pour ce païs là; & Cromwel ne me vit pas plûtôt qu'il me reconnut. Il me demanda aussi-tôt si je le tromperois cette fois là comme j'avois fait l'autre, & que j'avois été bien heureux de m'échaper de ses mains, que si j'y fusse tombé dans la conjoncture où l'on étoit, il ne pouvoit me dire de quelle maniere il m'eut traitté; parce que cela eut dépendu de mille choses; qu'il me pardonnoit, presentement qu'il n'y avoit plus de peril, principalement si je lui apprenois ce que j'étois venu faire en Angleterre en ce tems là.

Cromwel me parloit avec tant de bonté & de cordialité que je resolus de lui avouër naïvement toutes choses. Je ne pris pas garde que j'allois deroger par là au caractere dont j'étois revêtu. Je sçavois bien pourtant que dans le portrait qu'en a fait un homme de ce siecle, qui a passé pour avoir beaucoup d'esprit, il a pretendu que bien loin qu'un Ministre public doive faire le personnage que j'allois faire, il doit bien plûtôt mentir avec gravité. C'est du moins la deffinition qu'il lui donne, & qui n'est pas trop mal inventée, en égard au personnage que la plûpart de ceux qui en sont revêtus jouent tous les jours à la veuë de toute l'Europe; me departant donc à ce coup là de cette politique quand je l'eusse même cru inseparable de ma qualité, je dis à Cromwel qu'il n'avoit pas en trop de tort de me soupçonner pour être autre chose que ce que je paroissois être; que j'étois venu effectivement la premiere fois en Angleterre, à un autre dessein que de lui faire un simple compliment; que j'avois eu ordre de sçavoir en quel état étoient les affaires de Charles, & de me conduire selon ce que je viendrois à en apprendre, qu'il ne le devoit pas trouver mauvais, parce que s'il se mettoit à la place de Mr. le Cardinal il avoueroit qu'il n'en eut pas moins fait que lui.

Il aima mon ingenuité, & me dit qu'on faisoit bien mieux les affaires de son maître en convenant comme je faisois de la verité, qu'en s'efforçant de la deguiser; qu'il vouloit être de mes amis, à condition que je fusse des siens; qu'il m'en demandoit ma parole, persuadé qu'il étoit que quand je la lui aurois donnée je la garderois inviolablement. Je me tins extrémement honnoré de cette maniere d'agir, & lui disant que ce n'étoit pas de mon amitié dont j'osois l'assurer, mail d'un respect dont je ne me departirois de ma vie, il me répondit fort obligeament que je laissasse là le respect, & que je lui accordasse ce qn'il me demandoit. Je tâchai par une reponse toute remplie de defference & de soumission de ne pas dementir la bonne opinion qu'il vouloit bien me témoigner avoir de moy. Enfin cette entreveuë ayant de quoi me contenter infiniment je tâchai de me servir de l'estime dont il m'honnoroit pour avancer auprès de lui ce que Mr. le Cardinal m'avoit recommandé. Je lui parlai de la passion que son Eminence avoit d'étre de ses amis, & qui étoit telle qu'elle ne manqueroit jamais à la moindre chose qui seroit capable de le lui prouver. Il me répondit en riant que je faisois mon devoir de tâcher de se lui persuader, & que s'il vouloit faire le sien, il me répondroit qu'il ne me conseilloit pas tellement de me fier à sa parolle que de vouloir être sa caution; que ce Ministre venoit d'un Païs où l'on ne le faisoit pas une loi de tenir tout ce que l'on promettoit, qu'il étoit bien vrai qu'il n'y avoit point de regle si generale qui n'eut son exception, mais enfin que d'être Italien & Ministre d'Etat d'un grand Royaume, tel qu'étoit la France, & en même tems rempli de sincerité, c'etoit presque deux choses incompatibles; qu'il le lui diroit à lui même s'il lui parloit, comme il faisoit à moy, qu'il me diroit même que plus il y trouveroit à redire plus ce seroit une marque qu'il lui auroit dit la verité. Il se mit en même temps à goguenarder avec moy, sur toutes les grimaces que l'on faisoit dans la plûpart des Cours, me demandant si celles de France & d'Espagne en avoient jamais été meilleures amies pour toutes les Ambassades qu'ils s'étoient envoyées, aussi bien que pour toutes les alliances qu'ils eussent jamais contractées ensemble. Je ne pus lui dire autre chose sinon que je croyois qu'il avoit raison. Il aima encore ma bonne foi, & nous étant separés de la sorte, il me dit qu'il me vouloit donner à diner en famille avant que je m'en retournasse en France; qu'il ne pouvoit mieux me marquer l'estime qu'il faisoit de moy, que de me traiter de la sorte; qu'il n'en usoit comme cela qu'avec ses bons amis, & que de se depouiller ainsi avec eux de sa dignité c'étoit leur montrer qu'on n'avoit pas envie de les surprendre en quelque maniere que ce pût être.

Le Colonel Harrisson, Malmey & Lambert, étoient ses plus confidens. Il me presenta lui même à eux, & ils me donnerent tous trois à manger, mais trop proprement & avec trop de sumptuosité pour croire qu'ils le fissent de bon coeur; car quand on donne à manger à ses amis on n'y fait point tant de façon. Je fus ravi qu'il me fit connoitre ainsi lui même ceux qui étoient les siens, & ne m'y pouvant plus tromper, puisque c'étoit de sa propre bouche, me les avoit nommés, je leur rendis à sous trois un repas, qui n'eut pas été inferieur au leur, si j'eusse eu une maison aussi bien meublée que je l'eusse pu souhaitter pour les recevoir; mais comme il y a bien à dire qu'il y en ait en ce Pais là de telles, comme il s'en trouve une à S. Cloud chez le nommé Denoiers, tout ce qui put manquer à mon festin, c'est que le lieu où nous mangeames ne répondoit pas à la depense que j'y avois faite. Il est vrai que je n'y avois rien épargné, d'autant plus que je pretendois bien le mettre sur le compte de M. le Cardinal. Je croyois qu'il n'y pourroit trouver à redire, & que comme c'étoit pour ses interêts, & non pas pour les miens, que je les traittois, il ne m'en diroit jamais mot. Je fis après cela tout ce qu'il falloit faire, & tout ce que la prudence me pouvoit suggerer pour attirer ces trois Colonels dans son parti: mais comme l'Ambassadeur d'Espagne m'avoit primé, & qu'il leur avoit promis monts & merveilles pour être sourds à toutes les propositions qui lui pouroient être faites de ma part, je trouvai des gens si durs qu'il me fut impossible de les amollir. Je le mandai à Mr. le Cardinal, & l'informai en même tems de ce que je croyois qui en étoit cause. Il me fit reponse que quoique les Indes fournissent à l'Espagne des tresors que la France n'avoit pas, comme nôtre Couronne l'avoit toûjours emporté pardessus l'autre, il falloir tâcher encore que ce fut la même chose en cette occasion; qu'ainsi je n'y epargnasse rien, & que je n'en serois point dedi, quelque dépense que j'y eusse faite. J'avois déja offert mes vingt mille écus pour les gagner. Ils avoient traité cela de bagatelle, & il falloit bien que l'Espagne chantât sur un autre ton, puis qu'ils me méprisoient si fort: mais enfin cette lettre me parlant en termes si précis que je croyois pouvoir aller jusques à cent mille écus, s'il en étoit besoin, j'en fus quitte à meilleur marché, puisque moyennant soixante mille, je les fis convenir de faire tout ce que voudroit Mr. le Cardinal. Je le mandai à son Eminence, me tenant tout fier de la victoire que je remportois sur l'Ambassadeur; mais la reponse que j'en receus, au lieu de me rejouïr, eut de quoi me mortifier étrangement. Il me manda que de la maniere que j'en usois, il s'étonnoit comment avec les Soixante mille écus je n'avois pas encore promis la Couronne du Roi mon maître; qu'il n'avoit que faire de leur amitié à ce prix là, & qu'il aimoit mieux s'en passer que de l'acheter si cher. Il m'ordonna en même tems de m'en revenir, & n'en voulant rien faire que je ne me fusse disculpé auparavant à ces trois Messieurs de mon manquement de parole, je le fis du mieux que je pus, quoi que j'y fusse bien empêché.

Quand je fus de retour à Paris, & que je voulus porter dans mon compte à son Eminence la dépense que j'avois faite pour les traiter, elle me dit que je me moquois d'elle & me la raya; elle me dit aussi que s'il faloit qu'elle payât tous les festins qu'il plairoit à ses Domestiques de donner, le revenu du Roi n'y suffiroit pas, que c'étoit à ceux qui convioient les autres à danser à payer les violons, & qu'il n'y avoit que moi qui voulut y obliger les autres. La manière dure dont je vis qu'elle me parloit & qui sentoit sa correction, me parut insupportable. J'en parlai à Mr. de Navailles qui étoit comme son favori, ou qui du moins avoit assez son oreille, pour lui redire quand il lui plairoit tout ce que je lui aurois dit. Je lui dis que j'étois resolu de la quitter, ne pouvant plus souffrir le mauvais traitement qu'il me faisoit tous les jours; que je le priois de lui demander mon congé, & que je lui en aurois obligation. Comme il étoit de mes amis il me demanda si je me moquois de lui parler de la sorte, qu'il n'étoit pas homme à me croire dans ma colere, & que s'il le faisoit, ce seroit le plus méchant office qu'il me put jamais rendre; si je voulois perdre le tems qu'il y avoit que j'étois à son Éminence; que je me donnasse patience & que ce qu'elle ne faisoit pas en un jour pour ses domestiques elle le fesoit avec le tems; qu'il étoit bien vrai qu'elle eut pu se dispenser de me dire tout ce qu'elle m'avoit dit; mais que ce qui me devoit consoler c'est que je n'étois pas le seul qui essuyât ainsi ses brusqueries, qu'il n'en étoit pas exempt non plus que les autres, mais que comme ce Ministre avoit toutes les graces du Royaume entre les mains, & qu'elles ne pouvoient couler que par son canal, il falloit non-seulement se mordre les levres quand on avoit la demangeaison de se plaindre de ses injures, mais encore étouffer le ressentiment qui en pouvoit naître dans son coeur; qu'il falloir prendre le bon & le mauvais des gens à qui l'on avoit affaire, & se resoudre quelquefois à passer de mauvaises heures, afin d'en avoir un jour de bonnes.

J'avois bon besoin de ces remontrances pour remettre mon esprit, tant il étoit ulceré contre ce Ministre. Ce n'est pas que la dépense qu'il jettoit sur moi injustement me souciat beaucoup, quoi que fusse dans un tems à avoir besoin de toutes mes pièces: mais il me sembloit, comme il étoit vrai effectivement, que quand il eut eu la raison de son côté comme il étoit bien éloigné de l'avoir, il y avoit des manières plus honnêtes que les siennes de faire la correction. Mais c'étoit-là son caractere, & bien qu'il fut le plus fourbe de tous les hommes, il avoit cela de particulier en lui, qu'au lieu bien souvent de cacher ce qu'il pensoit il s'en expliquoit en des termes qui étoient encore mille fois plus offensans pour ceux que cela regardoit, que le soupçon qu'il pouvoit avoir, ou de leur fidelité ou de leur preudhomie. Quelques jours après il y eut un Lieutenant aux Gardes de tué à un Château que l'on voulut emporter en Flandres, & comme malgré le conseil que m'avoit donné Mr. de Navailles j'étois resolu de le quitter à la première occasion que j'en trouverois, je lui demandai cette charge qui me fournissoit un beau prétexte de me contenter. Il me regarda, attentivement à cette demande & craignant qu'il ne me dit encore quelque dureté, je me mordis la langue d'avance, parce que je me sentois une certaine demangeaison de lui parler comme il falloit, s'il venoit encore à me blâmer. Mais au lieu de me dire quelque chose de desobligeant il me répondit avec son baragouin dont il ne s'est jamais pû deffaire jusques à la mort, Monsieur d'Artagnan on ne connaît pas un homme pour le voir, j'ou vous avois toujours pris pour un aigle, & j'ou vois que vous n'êtes qu'un oison. Me vouloir quitter pour une Lieutenance aux Gardes; sachez qu'un Capitaine dans ce Regiment voudroit avoir trouqué sa charge contre vous, & vous avoir encore douné vingt mille écous de retour. Un Gouvernement est la moindre chouse que peut esperer oun de mes Doumestiques; vouiez la belle comparaison qu'il y a donc doune Lieutenance aux Gardes avec oun Gouvernement.

Un autre à ma place se seroit consolé de ce refus, par les belles esperances qu'il me donnoit; mais comme c'étoit le plus grand prometteur du monde, & que je le connoissois mieux que personne, je ne m'en crus pas plus avancé pour cela. Je m'imaginai au contraire que son refus ne venoit que de ce qu'il avoit quelque Marchand en main qui lui vouloit donner de l'argent comptant de cette charge. Je ne me trompois pas, il y avoit le fils d'un homme d'affaire qui la lui marchandoit. Ce n'étoit pourtant gueres là le poste d'une personne de si basse naissance. Quand j'étois arrivé à Paris ces sortes de charges n'étoient remplies que par des gens de la première qualité, mais comme la condition chez lui n'étoit pas ce qui lui paroissoit le plus recommandable, & qu'il faisoit bien plus de cas de la richesse, il les eut données encore à un homme moindre que celui-là, pourvû qu'il lui en eut voulu donner cinquante pistoles plus qu'un autre. Le Duc de la Feuillade que le Roi à honnoré, il n'y a pas long-tems, de la charge de Mestre de Camp de ce Regiment a fait ces jours-ci une chose qui témoigne qu'il ne ressemble pas trop mal à ce Ministre, à la reserve qu'il chante pouille quand on ne lui veut pas donner ce qu'il demande, & que son Eminence ne se rebutoit point jusques à ce qu'il vit qu'il n'y avoit plus rien à esperer pour lui. Le fis d'un Fermier General de mes amis ayant voulu acheter ces jours passez une Enseigne aux Gardes, d'une personne de sa connoissance & de la mienne, & le marché en étant fait à quatorze mille francs, comme il a voulu avoir l'agrément du Duc avant que de demander celui du Roi, il lui a dit qu'il ne prit pas cette Charge de celui de qui il la marchandoit, & qu'il lui en vouloit vendre lui-même une pareille qui étoit en sa disposition: le fils du Fermier en a été ravi, parce qu'il a cru que cela lui faciliteroit sa reception. Mais quand c'est venu à parler du prix, l'autre en a voulu avoir deux mille Loüis d'or, sous prétexte que ce qui coutoit quatorze mille francs à une personne de condition en devoit couter vingt-deux tout du moins à un roturier comme lui. Il a voulu ainsi verifier en sa personne ce qui se dit d'ordinaire des villains, savoir qu'ils entrent dans les charges par la porte dorée: mais quoi que celui-ci le soit de pere en fils, jusques à la millieme generation, cela n'empêche pas qu'il n'ait mieux aimé ne pas entrer dans les gardes que d'y entrer en donnant huit mille francs plus qu'il ne falloit.

Mr. le Cardinal m'ayant refusé de la sorte, je résolus de faire ce que me conseilloit Mr. de Navailles, c'est-à-dire de prendre patience, jusques à ce qu'il plut à son Eminence de me donner quelque établissement. Au reste comme je ne trouvois point que j'en pusse prendre de meilleur que d'avoir quelque charge auprès du Roi, ce fut à cela que je buttai uniquement. Besmaux ne me ressembla pas, & soit qu'il aimât à trouver toujours la nappe mise, ou qu'il se sentit moins propre à la guerre qu'à la servitude, bien loin de songer à sortir de celle où il étoit, il ne demanda qu'à s'y enfoncer encore plus qu'auparavant. Il dit à son Eminence que comme chacun étoit de son sentiment, & croyoit avoir raison, il ne lui demanderoit pas comme moi de lui faire changer de maître; mais de l'attacher tellement à lui qu'il en devint desormais inseparable; que tout ce qu'il desiroit étoit d'avoir quelque charge dans ses gardes; parce qu'il ne s'éloignerait jamais par-là de sa personne. Je ne sais si une telle demande s'accordoit bien avec la mouche qu'il portoit toujours au coin de l'oeil. Il ne l'avoit jamais arborée que pour apprendre à tous ceux qui ne l'avoient jamais vû à la guerre, que ce n'étoit pas sa faute qu'ils eussent eu de si méchans yeux, puis qu'il falloit bien qu'il y eut été, aux marques honnorables qu'il en portoit encore sur le visage; pretendant donc s'avancer par-là bien plus avant dans la carriere que je ne ferois de ma vie, & me jetter en même-tems de la poussiere aux yeux, il se trouva que Mr. le Cardinal nous rendit justice bien-tôt après à l'un & à l'autre. Comme il le croyoit plus propre que moi à garder sa salle, & moi plus propre que lui à rouller dans l'armée du Roi, il lui donna la Lieutenance de ses Gardes, & à moi une charge pareille à celle que je venois de lui demander. Nous fumes ainsi contens l'un & l'autre, & je tâchai de servir dans la mienne d'une manière que je n'y pusse pas demeurer toûjours. Car quand on est poussé d'une belle ambition, quoi qu'on ait obtenu ce que l'on desire, on desire bien-tôt quelque chose davantage. L'homme à cela même de particulier en lui qu'il n'est jamais content de sa fortune: Il aspire toûjours à quelque nouveauté, & le Roi même n'est pas exempt de cette foiblesse, quoi qu'il semble que rien ne manque à ses desirs. Ouï j'appelle foiblesse cette phrenesie qui fait que nous ne sommes jamais contens dans nôtre condition presente, & en effet bien que je vienne de lui donner moi-même un autre nom, je l'ai fait plûtôt sans y penser que je n'en ai parlé selon que je devois, pour en dire la verité.

Le Cardinal après avoir emmené le Roi, de Paris, étant excité par la Reine mere & par son propre ressentiment de venger les injures communes qu'ils avoient reçûës du Parlement & des Parisiens qui ne les haïssoient gueres moins l'un que l'autre, quoi qu'il y eut bien à dire qu'ils leur en eussent donné le même sujet, le Cardinal dis-je après avoir resolu dans son ame de ne pas laisser leur rebellion inpunie, tint Conseil avec Mr. le Prince comme il s'y devoit prendre pour y réussir. Mr. le Prince avoit été detourné d'abord de cette resolution par ses veritables amis, & par ses bons & fideles serviteurs. Ils lui avoient representé qu'il perdroit par-là l'amitié de cette Compagnie, que son pere, dont l'exemple n'étoit pas à mépriser, avoit ménagée, tellement qu'il l'avoit toûjours mise au nombre des choses qui lui étoient les plus precieuses. Mais le Cardinal, qui quand il avoit une fois affaire de quelqu'un, ne se soucioit guerres de faire des bassesses, pour veu qu'il put parvenir à ce qu'il desiroit, se mit à genoux devant lui pour le prier de ne pas abandonner ses interêts, qui dans cette occasion avoient une telle connexité avec ceux de l'Etat, qu'on pouvoit dire que c'étoit presque une même chose. Il avoit bien fait plus, il s'étoit raccommodé avec le President Perrault, Intendant de ce Prince, qu'il ne pouvoit souffrir auparavant, parce que, sous pretexte du merite & du credit de son maître, il vouloit presque avoir autant de voix en chapitre que s'il eut été lui même premier Ministre. Comme il étoit fier naturellement comme le sont presque tous les gens qui viennent de peu, comme il venoit, il parloit non seulement bien haut, quand il y alloit des intérêts de Mr. le Prince ou des siens, mais encore de ceux de moindre personne qui appartenoit à son maître. Il étoit President de la Chambre des Comptes, qui étoit beaucoup pour lui, par rapport à sa naissance, mais étant de ceux dont je viens de parler, c'est à dire de ces gens qui ne sont jamais contens de leur fortune, il voulait être President à mortier. Mr. le Cardinal le lui avoit promis par plusieurs fois, & même eu avoit donné parolle à Mr. le Prince, mais comme il apprehendoit l'esprit altier de ce President, il ne s'étoit pas beaucoup pressé de la lui tenir. Il avoit trouvé un pretexte de s'en deffendre par le peu d'obéïssance que rendoit le Parlement & par l'attache que tous ceux qui possedoient de pareilles charges avoient à les garder. Il disoit, comme c'étoit la verité, que l'un en rendoit une nouvelle création dangereuse, & que l'autre mettoit de l'impossibilité à le gratifier d'une de celle qui étoient déja sur pied. Il tiroit ainsi tout l'avantage qu'il pouvoit esperer de leur raccommodement, sans qu'il lui en coutât rien, parce que l'autre n'étoit pas assez deraisonnable pour lui demander l'impossible.

Le Prince s'étant ainsi rendu aux desirs de son Eminence, à quoi la Reine mere encore ne contribua pas peu, en le conjurant de ne pas abandonner son fils ni elle dans une conjoncture de si grande consequence pour eux, il fit marcher ses troupes du côté de la Riviere de Seine au dessous de Paris. Leur petit nombre les empêcha de se pouvoir emparer de tous les postes avantageux, & comme Charenton étoit du nombre de ceux qui n'étoient pas occupez, le Prince de Conti qui avoit été declaré Generallissime des forces du Parlement y envoya deux mille hommes sous le commandement du Marquis de Chanleu. Il fit des barricades à la hâte pour se deffendre dans ce trou qui ne valloit rien. Le Comte de Brancas, Chevalier d'honneur de la Reine Mere, tâcha de le retirer de sa desobéïssance avant qu'il la fit éclatter davantage. Ils étoient proches parens, & les liens du sang qui doivent se faire sentir particulierement dans un tems, comme celui-là, le rendirent hardi à ne lui rien déguiser pour lui faire reconnoître sa faute; mais comme l'autre se plaignoit du Cardinal qu'il accusoit de l'avoir laissé en arriere pour avancer des gens qui avoient beaucoup moins servi que lui, il ne le voulut jamais croire.

Mr. le Prince qui avoit peur que les Parisiens n'entreprissent de secourir ce poste qui n'étoit éloigné de leurs Faubourgs que d'une petite lieuë tout au plus, s'avança lui même de ce côté là, quoi que cette bicoque fut indigne de sa presence. Il se mit au dedans des murailles qui enferment le Parc de Vicennes avec quelques Cavalerie pendant qu'il fit garder l'Abbaye de Conflans & Carrieres par son Infanterie. Il chargea le Duc de Chatillon de faire cette attaque; & comme celui-ci vouloit à toute force être Marêchal de France, il esperoit que le Cardinal qui avoit à coeur cette entreprise, lui en tiendroit plus de compte que de tout ce qu'il avoit pû faire, d'ailleurs M. le Prince se servit des murailles du Parc de Vincennes comme d'un rétranchement pour n'être pas accablé par le nombre; car les parisiens ne pouvoient venir à lui que par des breches qu'il y fit faire, & qui se voyent encore aujourd'hui au même état qu'il les mit. Le Duc de Chatillon qui s'étoit toûjours montré digne du grand nom qu'il portoit, après avoir reconnu cette bicoque que Chanleu croyoit qu'il dut attaquer du côté de Paris, parce que c'étoit celui qui paroissoit le plus foible, le trouva si bien fortifié qu'il ne crut pas s'y devoir attacher. Il aima mieux s'addresser du côté du temple que les gens de de la Religion ont dans ce Bourg, quoi qu'il fut naturellement plus fort que l'autre, & que Chanleu y eut jetté quelque Infanterie pour prendre en flanc ceux qui s'avanceroient de ce côté là; mais comme il avoit négligé d'y faire des retranchemens, comme il avoit fait ailleurs, & que l'art passe souvent la nature, il se trouva pris justement du côté qu'il ne s'attendoit pas. Il y courut lui même pour le deffendre, & il s'y exposa d'autant plus qu'il avoit peur qu'on ne l'accusât d'avoir negligé de prendre ses précautions par une sotte credulité. Il avoit promis outre cela au Parlement que moyennant qu'il lui donnât le nombre de troupes qu'il demandoit, il conserveroit ce poste ou qu'il s'enseveliroit sous ses ruines. Ainsi ayant fait une belle deffense & l'attaque n'étant pas moins vigoureuse, l'on vit bientôt tomber de part & d'autre quantité de monde sans savoir encore qui auroit le dessus. Le Duc de Chatillon qui avoit accompagné Mr. le Prince dans toutes ses Victoires & dans l'attaque de plusieurs places qui étoient tombées devant lui, fâché de voir resister cette bicoque après avoir aidé à tant de grandes actions, fit alors un dernier effort pour faire plier les troupes qui lui étoient opposées. Il y réüssit & les ayant chassez de leurs retranchemens, il les fit abbattre pour se faire un passage afin de s'avancer plus avant. Ses gens entrerent ainsi dans la rûë par où l'on va au Temple. Chanleu leur y fit tête, le mieux qu'il put, & comme il se ressouvenoit de la parolle qu'il avoit donnée au Parlement, il s'y fit tuer en faisant tout ce que pouvoit faire un homme de tête & de courage. Le Duc de Chatillon ne trouvant plus rien qui lui fit resistence après la mort de Chanleu, s'avança vers le temple où il prétendoit bien que ceux qui étoient dedans missent les armes bas, & se rendissent prisonniers de guerre sans coup ferir. Mais lors qu'il se defioit le moins de sa mauvaise fortune, il lui fut tiré un coup de là; dont il perdit d'abord connoissance. On le fut dire à Mr. le Prince qui en eut été plus fâché qu'il ne fut s'il n'eut pas été amoureux de sa femme; mais comme le Duc s'étoit mis depuis peu sur le pied de mari incommode, & que ce Prince n'aimoit pas à être gehenné, il dit à Guittaut qui étoit auprès de lui, il eut tout aussi bien fait de n'être point jaloux, puis qu'il avoit si peu de tems à vivre. Les gens du Duc ne laissèrent pas nonobstant la bravoure d'achever la conquête qu'il avoit entamée. Les troupes de Chanleu s'y firent presque toutes tailler en pièces, quoi que la mort de leur Gouverneur les dut rendre moins hardis. On porta cependant le blessé à Vincennes, où il lui vint des Medecins & des Chirurgiens de tous côtez. Le Roi lui envoya les siens, & Mr. le Cardinal en ayant fait tout autant, il n'eut pas manqué d'en rechaper s'il n'eut tenu qu'à du secours; mais sa blessure étoit mortelle, de sorte qu'il ne vécut que jusques au lendemain, Son Eminence à qui j'étois encore m'y envoya pour lui témoigner le chagrin qu'il avoit de son état. Je trouvai la Duchesse sa femme auprès de lui. Elle étoit venuë en diligence de St. Germain, lachant qu'il n'avoit plus gueres à vivre. Ce n'est pas qu'elle eut grande amitié pour lui, elle avoit trop d'amans pour aimer un époux; & comme c'étoit la plus belle personne de la Cour, & la plus coquette, il avoit reconnu, mais un peu tard, que s'il eut bien fait, il eut cru son pere, qui lui disoit avant son mariage qu'il étoit dangereux souvent d'épouser une si belle femme. Je le trouvai tout attendri auprès d'elle, soit qu'il eut regret de la quitter ou que n'ayant pas encore trente ans, il ne put soutenir son malheur avec la même fermeté qu'il eut fait s'il eut été dans un âge plus avancé. Charenton ayant ainsi été emporté, Mr. le Prince retourna à St. Germain avec le Duc d'Orleans qui avoit voulu être present à cette action. On avoit dit au Cardinal qu'il étoit sorti plus de vingt mille hommes de Paris pour s'y oposer, & que Mr. le Prince leur avoit fait prendre la fuite, avec un seul Escadron. L'un étoit vrai, & non pas l'autre, la verité étoit que ces vingt mille hommes étoient bien sortis de cette grande Ville, mais non pas qu'ils se fussent mis en devoir de venir l'attaquer. Ils s'étoient contentez de montrer le nez sans oser en faire davantage; mais comme ce Ministre étoit un donneur d'encens sans s'informer d'avantage si on lui avoit dit vrai ou non; Mr. le Prince, lui dit-il d'abord qu'il le vit, que fairont les Espagnols d'oresenavant, vous qui tenez plus de monde vous seul, que ne fait oune armée. Il lui demanda en même tems à voir son épée, supposant apparement qu'elle étoit teinte du sang des pauvres Parisiens, mais Mr. le Prince qui ne vouloit point de louanges, qui ne lui fussent dues, & qui même ne s'en soucioit guère après les avoir meritées, lui ayant conté la chose comme elle étoit. Ah qu'ou me dites vous, reprit-il, & bien loin de me dire de ce qu'ou je viens d'avancer, je les plains encoure davantage vous dont la voüe est plus dangereuse que celle d'oun Basilic; faire enfouir vingt mille hommes pour les regarder soulement, est un ouvrage qui n'appartient qu'à vôtre Altesse.

Il lui dit encore quantité de mommeries, qui eussent été bien mieux dans la bouche d'un baladin que dans celle d'un Ministre d'Etat. Je crois même que ce fut là la pensée de Mr. le Prince, quoi qu'il en soit, les Generaux des parisiens étant tout honteux de ce qu'on leur avoit pris à leur barbe un poste qui leur eut été facile de secourir, tachérent d'en effacer la honte par quelque conquête plus considerable. Il n'y en avoit gueres cependant qui leur pût faire grand honneur. Tout ce que nous tenions au dessus, & au dessous, de la Seine ne valloit rien, & ne méritoit pas le nom de place. La seule Ville de Melun avoit quelque reputation à cause de son antiquité. Car elle a été bâtie avant Jules Cesar, & c'est du moins ce que ses commentaires nous apprennent. Mais comme ce n'est pas l'antiquité qui rend une Ville considerable pour la guerre, & que si cela étoit il n'y en auroit gueres qui le fut en comparaison de Treves, qui ne vaut pourtant rien; ce ne fut pas là aussi où ils s'attacherent, parce que la riviere qui la divise en trois, de sorte qu'on diroit presque que ce sont trois Villes, leur faisoit craindre que s'ils separoient leurs forces pour l'attaquer, Mr. le Prince ne tombât sur eux sans qu'ils se pussent secourir les uns les autres. Ils bornerent donc leurs grands desseins à se saisir de Brie-Comte-Robert, & de quelques autres bicoques. Sur la nouvelle qu'en eut Mr. le Prince, il voulut quitter la Cour pour s'en venir dans son armée qui tenoit pour le moins quinze ou vingt lieuës de païs. 11 avoit mis le quartier du Roi à St. Denis, parce que ce lieu lui paroissoit plus considerable que les autres, non-seulement parce qu'il renferme les tombeaux de nos Rois, mais encore par là proximité de Paris. Mais le Cardinal & la Reine mere lui témoignant que les lieux qui étoient à attaquer étoient indignes de sa presence, il se laissa debaucher d'autant plus aisément, qu'il avoit quelques amourettes qui lui faisoient trouver agréable le sejour de St. Germain. Le Marêchal du Plessis prit sa place. Le Comte de Grancey qui a été depuis Marêchal de France & qui étoit alors Lieutenant General, ayant été detaché de son armée fut attaquer Brie-Comte-Robert. Cette Ville qui est à l'entrée de la Brie du côté de Paris fit mine de se deffendre, parce qu'il lui étoit honteux de se rendre étant aux portes de cette Ville, dont elle pouvoit esperer du secours; mais personne n'ayant paru pour deloger le Comte de devant ses murailles, parce que le Marêchal s'étoit posté entre deux pour l'empêcher, elle demanda à Capituler tout aussi-tôt. Quelques autres Villes qu'on attaqua ensuite firent la même chose, & l'on ne vit jamais plus de lâcheté qu'il en parut de la part des Parisiens, car quoi que le Marêchal du Plessis n'eut qu'une poignée de monde, ils n'oserent jamais se montrer devant lui. Il est vrai que comme on avoit tiré de St. Denis les troupes qui y étoient pour marcher en campagne, & qu'il n'y étoit resté qu'une Compagnie Suisse qui n'étoit pas capable de la garder, ils forcerent cette place, se flattant que par cette prise ils repareroient le blâme qu'on leur pouvoir donner avec justice, d'avoir laissé perdre tout le reste sans coup férir. Mais s'ils se ventoient de cette Conquête qui n'étoit pourtant pas capable d'effacer leur honte, leur vanité fut bien-tôt étouffée par l'arrivée de Mr. le Prince. Il quitta St. Germain pour venir reprendre cette place, il le fit même à leur barbe sans qu'ils osassent encore s'y opposer.

Mr. le Cardinal fut ravi de toutes ces petites expeditions, qui, bien que de peu de conséquence par elles mêmes, ne laissoient pas de resserrer tellement les parisiens qu'ils commençoient à manquer de tout. S'ils eussent bien-fait ils s'en fussent pris à leurs Generaux à qui c'étoit à leur ouvrir les passages; mais comme ils ne songeoient tous tant qu'ils étoient, depuis le premier jusques au dernier, qu'à faire en leur particulier quelque accommodement avantageux avec la Cour, & qu'ils n'avoient garde d'affranchir le peuple de leur misere, parce qu'après cela il eut été trop insolent, ils trouvoient des difficultez à toutes choses sans que le Parlement pût connoître s'ils disoient vrai ou non. En effet ce n'étoit pas son métier de decider de tout cela, & il falloit bien qu'il s'en rapportât à leur parole. La haine cependant de tous ceux qui étaient dans la souffrance retomboit sur lui, parce qu'ils l'accusoient avec raison d'avoir allumé la guerre pour ses intérêts particuliers. Comme leur mécontentement & la misere qui augmentoit de moment à autre dans la Ville étoient capables d'y exciter quelque sedition, cette Compagnie si trouva bien embarrassée, & commença à reconnoître, mais un peu tard, qu'on ne se soustrait jamais de l'obeïssance que l'on doit à son Souverain, sans y trouver de grandes difficultes. Tout commença même à lui devenir suspect jusques à ses propres Membres, parce que plusieurs d'entr'eux, à l'exemple de ses Generaux, avoient des relations à la Cour dont ils tâchoient de tirer quelque grace devant que de lui promettre de rentrer dans le devoir.

Mr. le Cardinal qui ne demandoit pas mieux que d'augmenter le soupçon que leurs confreres avoient de leur conduite, bien loin de finir avec eux, les tenoit en suspens, pendant que sous main il faisoit part aux autres de toutes les propositions qui lui étoient faites. Il m'employa dans cette rencontre, & je l'y servis utilement. Je connoissois la femme d'un conseiller qui étoit coquette à un point qu'elle vouloit que chacun lui en contât. Je l'avois servie selon son inclination, parce qu'il ne m'en devoit couter que des paroles, & qu'on n'a pas plus de peine à dire à une femme qu'elle est jolie, quoiqu'on ne le dise souvent qu'au prejudice de la verité, que si on lui disoit ce qu'on en pense veritablement. Sa coquêterie avoit déplu d'abord à son mari, qui croyoit que l'appannage d'un homme qui a une femme de cette humeur est d'être bien-tôt ce que tant d'autres sont; mais le tems & l'experience lui ayant appris que bien que cela arrive ordinairement il n'en étoit pas de même avec elle, & que si elle aimoit la fleurette elle n'en aimoit pas moins la vertu, s'y accoutuma, non-seulement, mais se fit encore souvent un regal de lui entendre parler de ses intrigues. Elle lui avoit dit que j'étois du nombre de ses amans, & comme je n'avois pas encore quitté Mr. le Cardinal & que ce Magistrat croyoit que je pourrois être instruit plus particulierement qu'un autre des demarches de ses confreres, elle m'écrivit une lettre par son conseil dont la teneur étoit qu'elle avoit cru que je lui disois vrai, quand j'avois pris soin quelquefois de lui assurer qu'elle ne m'étoit pas indifferente, qu'elle craignoit bien cependant de s'y être trompée, parce que quand on aimoit veritablement on trouvoit bien moyen malgré ce qui se passoit entre les deux partis, de revoir ce que l'on aimoit; que l'on n'étoit pas si exact sur les passeports que je n'en pusse obtenir un, pour peu que je voulusse m'y employer; qu'elle s'offroit même de m'en sauver la peine, si j'y trouvois quelque difficulté; que je n'avois qu'à le lui faire savoir, & qu'elle m'en envoieroit un tout au plûtôt.

Je montrai cette Lettre à Mr. le Cardinal, non pas pour lui demander permission d'aller voir cette Dame, car c'étoit dequoi je me souciois le moins; mais pour savoir de lui s'il ne vouloit point se servir de cette occasion pour me faire menager quelque chose dans la Ville qui pût tourner à son avantage. Il me dit qu'il me savoit bon gré de lui en parler, que j'eusse à accepter cette proposition, & que devant que ce passeport m'arivat, il me diroit tout ce que j'aurois à faire pour son service; qu'il y alloit penser serieusement, parce qu'après une meure reflexion, on se trompoit moins que quand on decidoit des choses à la bouluëve. Une heure après il m'envoya chercher pour me faire entrer dans son Cabinet. Il me demanda d'abord qu'il me vit, si j'entendois bien à faire l'amoureux, & lui ayant répondu qu'il avoir été un tems que je ne m'en acquittois pas trop mal, & que je ne croyois pas encore l'avoir oublié; tant mieux, me dit-il, mais ne me tromperas tu point, car quand on a une maîtresse il est bien rare qu'on ne lui sacrifie pas son Maître dans l'occasion. Je lui répondis que cela arrivoit quelquefois, mais non pas à un honnête homme; d'ailleurs qu'il falloit que ce fut une maîtresse aimée, mais que quand elle ne tenoit pas plus au coeur que me faisoit celle-là, ni le maître ni même le moindre ami, n'avoit rien à apprehender, que je ne l'avois jamais veuë pour m'en faire une attache, mais par un simple amusement; que quand on en étoit sur ce pied-là avec une personne, on demeuroit toûjours avec elle le maître de son secret; qu'ainsi si elle ne savoit le sien que par moi, il pouvoit conter qu'elle n'en seroit jamais plus instruite qu'elle le pouvoit être presentement. Il me répartit que puis que je ne l'aimois pas, il avouoit avec moi qu'il devoit mettre toute crainte bas, qu'ainsi j'eusse à lui écrire sans perdre de tems qu'elle eut à m'envoyer le passeport qu'elle m'offroit.

Je le fis d'abord que je l'eus quitté, & comme nous avions les mêmes sentimens elle & moy, & que nous ne songions qu'à nous tromper, elle ne perdit point de tems de sa part, pour m'envoyer ce que je lui demandois. Je la fus trouver le premier jour que j'eus son passeport, & jouant extrémement bien mon personnage auprès d'elle, j'en fis si bien l'amoureux qu'elle trouva qu'une absence de cinq semaines comme j'avois été, sans la voir, étoit un merveilleux secret pour rechauffer l'amant le plus froid. Cependant pour ne me point dementir de l'ardeur que je lui témoignois, je lui dis en confidence qu'avant qu'il fut peu j'esperois que nous nous reverions, sans qu'il fut besoin d'avoir recours à un passeport. Je n'en voulus pas dire davantage, sachant que si je ne disois ainsi les choses qu'à demi, elle n'en auroit que plus de curiosité de savoir ce que j'entendois par là. Cela ne manqua pas d'arriver. Elle me pria de m'expliquer mieux, & feignant de me repentir en quelque façon d'avoir trop parlé, je ne voulus jamais rompre le silence qu'elle ne m'eut fait serment qu'elle ne raporteroit jamais à personne 560 ce que je voulois bien lui dire pour lui marquer mieux la passion que j'avois pour elle. Je ne faisois pas trop bien de lui demander une chose comme celle là, moi qui me doutois qu'elle me tarderoit gueres à être parjure; mais enfin comme je savois que les grimaces sont souvent de saison, & que même elles font mieux réussir que tout le reste, je n'eus pas de peine à me deffaire des scrupules que je pouvois avoir là dessus: la Dame me jura tout ce que je voulus, & je lui dis après cela que tels & tels Presidens & tels & tels Conseillers avoient promis à Mr. le Cardinal d'être dans ses intérêts au préjudice de toutes choses, qu'on leur avoit promis des benefices à la plupart pour leurs enfans, & que cela s'executeroit d'abord qu'il viendroit à en vaquer; que moyennant cette recompense ils avoient promis de quitter Paris incessamment, & de se retirer à Montargis où le Roi avoit transféré leur compagnie par une Declaration; que ceux qui y resteroient seroient en petit nombre après cela; de sorte qu'il ne seroit pas difficile à son Eminence de les abbatre: d'ailleurs, que le peuple qui se plaignoit déja d'eux les tourneroient bientôt en ridicules, voyant que la plus saine partie de leur Compagnie les auroit d'abandonnez, & que ce qui en resteroit dans la Capitale du Royaume ne meriteroit pas de porter le nom de Parlement.

La Dame goba d'autant plûtôt cette nouvelle, que tous ceux que je lui avois nommez étoient devenus suspects à leurs confreres, ils savoient effectivement qu'ils avoient fait quantité d'avances à la Cour pour embrasser son parti, & que si cela ne s'étoit pas encore conclu ce ne pouvoit être tout au plus, que parce que leurs demandes ne s'accordoient pas avec la gueuserie. Comme la plûpart des Provinces avoient part à la desobéïssance du Parlement, & qu'elles suivoient son exemple l'argent qui en revenoit étoit si rare, que bien loin de le pouvoir prodiguer, comme ils desiroient, on ne pouvoit jamais en être trop bon ménager. Aussi n'avois-je pas cru devoir avancer qu'ils eussent été gagnez par du comptant, ce que j'eusse dit se fut détruit par l'état presente des affaires, & il étoit bien plus à propos d'avoir recours, comme j'avois fait, à une chose sur laquelle on ne me pouvoit convaincre de mensonge. Le Mari à qui la Dame fit part de ce que je lui avois dit s'y laissa surprendre aussi-bien qu'elle, tellement qu'en ayant fait rapport à ceux de sa Compagnie qu il croyoit n'avoir aucune liaison avec la Cour, ils firent diverses assemblées entr'eux où ils n'eurent garde d'appeller ceux qui leur étoient suspects. Je n'avois pas nommé cependant à la Dame ceux qui le leur devoient être davantage, & qui recevoient effectivement des bien-faits de la Cour sans que personne en fut rien. Cela eut detruit la confiance qu'ils avoient en eux, & par consequent les services que ceux là rendoient, en affectant que tous les conseils qu'ils dormoient étoient uniquement par rapport aux interêts de la Compagnie, & au bien du Peuple. Quoi qu'il en fait cette finesse commençant à jetter de la division entre la plûpart, on pouvoit esperer d'en receuillir bien-tôt quelque fruit, quand le Duc de Beaufort qui s'étoit sauvé de prison depuis peu, & qui avoit embrassé le parti du Parlement tâcha de réparer le faux bruit qui couroit de la defection de tous ces membres. Comme il ne pouvoit pardonner au Cardinal tous les maux qu'il lui avoit fait souffrir, il ne pouvoit entendre sans horreur qu'on voulue se raccommoder avec lui: ainsi prenant soin de justifier ceux que j'avois tâché de noircir, je courais grand risque de voir toutes mes esperances renversées, quand le hazard plûtôt que le reste réunit les esprits au moment qu'ils paroissoient se brouiller de nouveau tout autant qu'auparavant.

Le mauvais état des affaires des parisiens ayant obligé le Parlement d'envoyer demander du secours aux Espagnols, l'Archiduc Leopold, qui commandoit dans les Païs-Bas, crut non seulement devoir en promettre à celui qu'il avoit envoyé vers lui; mais encore lui écrire une lettre de sa propre main pour marquer qu'il pouvoit s'y assurer. Un de ses Gentilhommes là lui apporta de sa part, & la Cour en ayant nouvelle, & même que cet Archiduc devoit entrer lui même en personne en France pour faire lever le blocus de Paris, la Reine Mère qui avoit toujours paru ferme dans la resolution de punir cette grande Ville, changea tout d'un coup de sentiment par le peril qui la menaçoit. Elle crut, avec raison, que ce Prince qui avoit déja proffité de nos desordres en reprenant en Flandres quantité de bonnes Places, pouroit bien y joindre en passant celles qu'il trouveroit à sa devotion, soit sur la Frontiere de Picardie ou même dans le coeur du Royaume; ainsi la nécessité l'obligeant de se relâcher de la fierté, elle envoya un Heraut d'armes pour proposer quelque accommodement au Parlement. Je ne sçais à quoi son conseil pensoit d'envoyer ainsi un Heraut d'armes aux sujets du Roi, puis qu'ils ne s'envoyent jamais que de Souverain à Souverain. Mais la crainte que l'on avoit de la venuë de l'Archiduc avoit tellement troublé la cervelle à la plûpart, qu'ils ne sçavoient plus ce qu'ils faisoient. Ce Heraut s'étant presenté à la Porte St. Honoré avec sa cotte d'armes, & son bâton, on en donna avis à cette Compagnie qui ne s'assembloit plus comme de coutume pour vaquer aux affaires des particuliers, mais seulement à celles qui avoient du rapport à elle, ou à l'Etat en general. Comme elle étoit toûjours divisée entr'elle, & que ceux qui étoient bien intentionnez pour la Cour ne cherchoient qu'à ramener les autres à leur sentiment, ils prirent cette occasion aux cheveux pour les faire revenir de leur devoir. Ils leur répresenterent qu'ils avoient tout tant qu'ils étoient déja donné assez à mordre sur leur conduite, en envoyant demander du secours aux ennemis de l'Etat, sans s'attirer encore de nouveaux réproches; que s'ils recevoient ce Herault, ce seroit donner lieu à leurs ennemis de les accuser comme ils faisoient déja de vouloir s'ériger en Souverains; qu'ainsi il falloit le renvoyer, & faire sçavoir à cette Princesse que s'ils ne l'avoient pas receu ce n'étoit que parce qu'ils n'étoient pas si criminels qu'on tâchoit de les faire passer dans son esprit.

Le Parlement trouva ce conseil tout à fait honnorable pour lui, & cet avis ayant passé à la pluralité des voix, il envoya les gens du Roi pour faire part à la Reine du sujet pour lequel on avoit renvoyé ce Herault. Il y avoit parmi ces Deputez des gens bien intentionnez pour la paix, & comme cette soumission étoit du goût de la Cour, & qu'elle vouloit s'affranchir de la crainte qu'elle avoit de la venuë de l'Archiduc, elle leur proposa une conference pour terminer à l'amiable les differens qui divisoient les esprits. Ils ne purent l'accepter de leur chef, quelque bon dessein qu'ils en pussent avoir. Il falloit qu'ils en fissent rapport auparavant au Parlement, & l'ayant fait en des termes qui marquoient que s'ils en étoient crus ou proffiteroit bien-tôt de la disposicion où la Reine Mere étoit de leur pardonner, leur avis fut suivi d'un consentement unanime. On convint de parr & d'autre que l'on s'assembleroit à Ruel pour y examiner toutes choses. Le Parlement y envoya des Deputez, & le Cardinal Mazarin y étant allé lui même de la part de la Cour, le Duc d'Orleans honora ces conferences de sa presence. Enfin après bien des contestations la paix fut concluë entre les deux partis. Mais elle fut de peu de durée, desorte que devant qu'il fut peu la guerre civile se ralluma si fortement que tout ce que l'on avoit veu jusques là n'étoit rien en comparaison de ce qui se vit alors.

FIN.

                                TABLE
                                 DES
                        PRINCIPALES MATIERES
                    Contenuës dans ces Memoires.



   A.

   Agnan (S.) Capitaine des Gardes du Duc d'Orleans.             400

   Aire pris par les François.                                   130
     Le Cardinal Infant tâche de le reprendre.                   151

   Angleterre (Reine d') refugiée en France.                262, 527

   Angleterre (Roi d')                                           506
     Prisonnier                                             506, 527
     condamné à mort & executé.                                  518

   Anglois, leur caractére.                  252, 253, 261, 263, 268

   Anguien (le Duc d')                                           137
     Veut secourir Rocroi.                                       239
     Gagne la Bataille de Rocroi.                                242
     Va sur les frontieres de Lorraine, prend Thionville.
     Affaire qui lui arrive au Palais d'Orleans.                 399
     Ce qu'on dit de lui à l'affaire de Nortlinguen.             404
     S'acommode arec le Duc d'Orleans.                           421
     Assiege Dunkerque.                                     456, 458
     Prend cette Place.                                          461
     Prend le nom de Prince de Condé.                            474
     Ce qu'il fait aux guerres de Paris.                    547, 549
     Bon mot de ce Prince.                                       551
     Ses entretiens avec le Cardinal Mazarin.                    551

   Aramis. Mousquetaire Bearnois.                  14, 266, 269, 347

   Arras, assiegé.                                                69
     Ce que disoient les Assiegez en raillant les François.   70, 71
     Demande à capituler.                                         84
     S. Preuil en est fait Gouverneur.                            90

   Artagnan. Sa famille,                                           1
     Est Bearnois.                                                 2
     Né d'un pere pauvre. Part du Bearn: avis que son pere
     lui donne en partant.                                         4
     Querelle qu'il a avec un Gentilhomme entre Blois & Orleans.   5
     Est mis en prison.                                         7, 8
     En sort.                                                     10
     Arrive à Paris.                                              13
     Se bat.                                                  20, 21
     Blesse son homme, sa générosité.                             22
     Le Roi le veut voir.                                         26
     Un Garde du Cardinal le traite d'Aprentis Mousquetaire.      30
     Se bat avec ce Garde & le blesse.                            31
     Le Roi lui parle & le fait mettre Cadet aux Gardes.          50
     Lui donne cinquante Loüis.                                   51
     Cherche à se batre avec le Gentilhomme avec lequel il y a eu
     querelle.                                                   102
     Se rend amoureux d'une Hotesse.                             105
     Le Gentilhomme le veut faire assassiner.               104, 113
     Les Assassins sont pris.                                    119
     Joue & gagne.                                               114
     Ce qui se passe avec son Hôtesse.                           127
     Va en Campagne.                                             149
     Revient. Ce qui se passe après son retour avec sa
     Maîtresse.                                        162, 164, 167
     Le Mari le surprend avec sa femme & lui lâche un coup de
     Pistolet.                                              167, 168
     Ce qui arrive au Mari.                            170, 173, 174
     On lui défend de voir sa Maitresse. Il la voit.        175, 200
     Ce que fait le Mari.                                   200, 201
     Est surpris par le Mari avec sa Maîtresse.                  204
     Saute d'une fenêtre.                                        205
     Comment il se tire de cette affaire.                        207
     Obtient un Decret contre le Mari & le fait emprisonner.     210
     M. de Treville lui fait une Mercuriale.                213, 215
     Promet de ne plus voir cette femme.                         217
     Ecrit à cette femme, qui lui fait réponse.                  218
     Cette femme le fait insulter par des Suisses.               222
     Est blessé.                                                 223
     Fin de cette amourette.                                     224
     Va en Angleterre.                                           250
     Se trouve à une Bataille.                                   256
     Retourne à Paris.                                           262
     Est appellé en duel par un Anglois. Reçoit un billet d'une
     Angloise.                                                   262
     Fait demander la vie à l'Anglois.                           270
     Reçoit un second Billet de l'Angloise.                      272
     Se rend amoureux de cette Angloise.                         274
     En est maltraité.                                           276
     Rend service au frere de l'Angloise.                        279
     La femme de Chambre de l'Angloise se rend amoureuse de lui. 286
     Avantures qu'il a à ce sujet.                287, 307, 309, 312
     Couche avec l'Angloise par un plaisant stratagème.          312
     Suite de l'avanture.                                   314, 315
     Malice que lui fait la Femme de Chambre, avanture
     plaisante.                                        318, 322, 323
     Lettre qu'il écrit à l'Angloise.                            316
     En obtient les dernieres faveurs volontairement.       333, 346
     On veut l'assassiner.                                       346
     Suite de cette affaire.                                348, 349
     On lui refuse une Casaque de Mousquetaire.             361, 362
     Entre dans les Mousquetaires.                               378
     Se rend amoureux d'une Dame. Caractere de cette Dame.       382
     Les Domestiques de cette Dame lui rendent de mauvais
     offices.                                               385, 387
     Gagne dans une seance neuf cent Pistoles.                   394
     Fait la Campagne en Flandres.                          420, 421
     Ce qui lui arrive au Siege de Bourbourg.                    401
     Se rend encore amoureux.                                    413
     Une Dame lui écrit une Lettre.                              491
     Ce qui lui arrive dans cette occasion. Fait une autre
     Campagne en Flandres                                   420, 421
     Est appellé auprès du Cardinal Mazarin pour Gentilhomme.    425
     Malheurs qui lui arrivent.                                  426
     On le veut encore assassiner.                               432
     Sa Maîtresse empoisonne son Mari                            433
     Elle se remarie. Fait une autre Maîtresse.                  441
     Histoire de cette Maîtresse.                      441, 453, 454
     Se veut marier avec Madame de Miramion.                455, 462
     Tire cette Dame des mains de Bussi Rabutin qui l'avoit
     enlevée.                                                    465
     Son état chez le Cardinal.                             468, 472
     Entre dans les Barricades de Paris.                    478, 480
     Ce qu'il y fait. La même
     Ce qui lui arrive à ce sujet.                               486
     On veut l'assassiner encore.                                495
     Mauvais office que lui rend un de ses Camarades.            498
     Le Cardinal lui fait mauvaise mine.                    498, 499
     L'envoye en Allemagne vers les Plenipotentiaires pour
     la Paix.                                                    504
     Passe en suite en Angleterre.                          506, 509
     Ce qui lui arrive en son voyage & sur mer.             510, 517
     Reçoit un coup de bâton dans le Vaisseau.                   517
     De quelle maniere il se menage en Angleterre.               522
     Cromwel lui fait present d'un Diamant.                      522
     Part sans rien dire, d'Angleterre.                          523
     On le poursuit.                                             524
     Arrive à Paris.                                             527
     Le Cardinal le renvoye en Angleterre.                       534
     Caresses que lui fait Cromwel.                         535, 537
     Est traité par les Confidens de Cromwel, il les traite.     539
     Maneges qu'il fait en Angleterre.                      539, 540
     Retourne à Paris, où il est mal recompensé par le Cardinal. 540
     Est fait Lieutenant aux Gardes.                             556
     Ses intrigues pendant les troubles de Paris.                558

   Athos, Mousquetaire Bearnois.                   14, 167, 168, 347

   Avantures.                        5. 105 & suiv. jusqu'à 224, 264
     & suivantes jusqu'à 346, 382, 405, 441, 448, 455, 486, 510, 291
     Voyez Meuniere. Portraits.

   Aumont (le Maréchal d')                                       364

   Autorité absoluë en France, son
    commencement.                                 160, 161, 176, 178


   B

   Baiette (Fort de la) pris par le Maréchal de Gassion.         363

   Bapaume assiegé par le Maréchal de la Meilleraye.             154

   Baricades de Paris.                            478, 496, 528, 548

   Bassompierre (le Maréchal de) sort de la Bastille, après la
    mort du Cardinal de Richelieu.                               199

   Bataille de Rocroi.                                           142
   Entre le Roi d'Angleterre & les Parlementaires.               261

   Baumont, Gouverneur de Bologne, son caractère.                526

   Bearnois, leur caractère.                                    2, 9

   Beaufort (le Duc de)                                          246
     Arrêté.                                                     249
     Sort de prison.                                             562

   Beauvais (l'Evêque de)                                        238
     Chassé de la Cour.                                          244

   Beauvais (la) Femme de Chambre de la Reine.                   227

   Bedfort (le Comte de)                                    252, 253

   Bernajoux Capitaine du Regiment de Navarre blessé par
    d'Artagnan.                                               20, 22

   Besmaux, Cadet aux Gardes, se fait apeller Montlesun.      58, 59
     Son caractère.                                               55
     Fait faire un Baudrier en Broderie qui n'a point
     de derriere.                                     61, 63, 64, 68
     Sa fortune.                   395, 425, 452, 456, 468, 472, 545

   Biscarat, creature du Cardinal de Richelieu.                   20

   Bouillon (le Duc de) a des engagemens avec les
     Espagnols.                                   133, 134, 136, 139
     Met le Siege devant Damvilliers, le Roi lui pardonne.       154
     Entre dans la Conspiration de Cinqmars.                     187
     Est arreté. Donne Sedan pour racheter sa vie.               196
     Est declaré Prince.                                         354

   Bourbourg assiegé par les François.                           405

   Boisdauphin (le Chevalier de)                                 291
     Voyez le Comte de Laval

   Bouvard Medecin du Roi, ignorant.                  48, 49, 52, 55

   Brancas (le Comte de)                                         548

   Bresé (le Maréchal de) son caractère.                         141
     Enleve une femme dont il fait tuer le mari.            142, 154
     Méchant Office qu'il rend à S. Preuil.                      158

   Bresé (le Duc de) sa mort.                                    458

   Breuil Maison de plaisance de l'Electeur de Cologne.          515

   Brie Comte-Robert.                                            554

   Briqueville, Mousquetaire.                               165, 168

   Broussel.                                                477, 514

   Bussi Rabutin, son Caractére, enleve Madame de Miramion
     qu'Artagnan delivre.                                        463


   C.

   Cahusac, creature du Cardinal de Richelieu.                    20

   Campagnac, Gentilhomme Domestique du Duc de Bouillon fait
     un Traité avec le Cardinal Infant.                          138

   Capelle (le Fort de la) pris par le Marêchal de Gassion.      363

   Cardinal Infant. Veut faire lever le Siege d'Arras.            69
     Attaque un Fort.                                         78, 79
     Le prend, on le reprend sur lui.                             81
     Le reprend, & est obligé de le quitter
     encore.                                       83, 151, 152, 236

   Carmain (le Comte de) sort de la Bastille après
   la mort du Cardinal de Richelieu.                             199

   Cavois Capitaine Lieutenant des Mousquetaires à pied du
     Cardinal de Richelieu.                                   36, 45
     Caractére de sa femme.                                       46
     Disgrace de Cavois auprès du Cardinal. Sa femme,
     lui fait faire le malade. Ce que produit cette
     supercherie.                                     45, 46, 52, 54

   Champfleuri, Capitaine des Gardes du Cardinal
     Mazarin                                                501, 503

   Chancellier de France, son caractére.                         230

   Chanleu.                                                 550, 551

   Charenton attaqué, pris.                            548, 551, 551

   Châteauneuf, Garde des Sceaux.                           247, 248

   Châtillon (le Maréchal de)                       81, 82, 152, 153
     Son caractére.                                              142
     Bon mot de ce Maréchal.                                     552

   Châtillon (le Duc de)                               474, 549, 551

   Châtre (M. de la) arreté.                                248, 249

   Chavigny.                                                195, 224
     Est acusé d'aimer la Reine.                                 225
     Le Cardinal Mazarin empêche qu'il ne se racomode avec elle. 227
     Se racomode avec le Duc d'Orleans. Ce qu'il fait contre
     la Reine.                                         228, 231, 235
     On lui ôte sa Charge.                                       244
     Avoit retiré chez lui le Cardinal Mazarin.                  249

   Chevreuse (Madame de) son caractère.                          246

   Christine, Reine de Suède.                                    506

   Cid.                                                          507

   Cinqmars, fils du Maréchal Deffiat, favori de
     Loüis XIII.                                            178, 179
     Veut faire assassiner le Cardinal de Richelieu.        180, 183
     Le veut tuer lui-même, & fait faire un Poignard pour
     cela qu'il porte pendu au pommeau de son épée.              184
     Sa Conspiration.                                            187
     Sa dissimulation, ses artifice pour perdre le Cardinal.     188
     Persiste dans sa Conspiration.                              190
     Empêche le Roi d'aller trouver le Cardinal.                 193
     Est arrêté, perd la tête.                                   195

   Coaislin  (le Chevalier de)                                   248

   Colonel, à qui l'on fait essuyer une mortification.            72

   Combat entre deux Barques qui poursuivent d'Artagnan.         524

   Condé (le Prince de) pere d'Anguien.                          397
     Sa mort.                                                    474

   Condé. (le Prince de) Voyez Anguien.

   Confesseur (mot dit à un)                                     439
     Confesseur de Louïs XIII.                                   234

   Conti, Le Prince de Conti.                               532, 533

   Couilloure pris par le Maréchal de la Meilleraye.             187

   Courtrai.                                           428, 432, 475

   Couturière (avanture d'une) avec d'Artagnan.                  486

   Cox, Anglois.                                                 264

   Cromwel.                                                      507
     Son caractère.                                    508, 522, 534
     Ses confidens                                               538


   D.

   Damvilliers, repris par les François.                         154

   Danneveu, Mousquetaire.                                        84

   Delpont (le Comte)                                       428, 432

   Desnoyers, Secretaire d'Etat.                                 155
     Méchant office qu'il rend à S. Preuil             157, 224, 233
     Est disgracié.                                              234

   Dissimulation nécessaire à un Ministre Public.                536

   Ducs.                                                         533

   Dunkerque.                                          456, 459, 461


   E.

   Espar (d').                                              178, 179

   Eperons (Journée des).                                        192

   Essor (des) Capitaine aux Gardes.                    50, 365, 406

   Essex (le Comte d').                                          255

   Evremont (S.)                                            456, 459


   F.

   Fabert (M. de) Sa mine.                                        17
     S'oppose au Maréchal de la Meilleraye.                      144
     Son caractére.                                              195
     Est pourvu du Gouvernement de Sedan.                        361
     Passe pour avoir un Genie.                                  510
     Sa politique à l'égard du Cardinal Mazarin.                 511

   Feuillade (le Duc de la).                                     544

   Folquin (le Fort de S.) pris par le Maréchal de Gassion.      363

   Fondreville, Gentilhomme Normand.                        259, 261

   Fontaine (le Comte de).                                       237
     Est tué à la Bataille de Rocroi.                            243

   Fontrailles, ami de Cinqmars, ce qu'il fait.   187, 194, 195, 196

   François, leur caractére.                                358, 359


   G.

   Gassin.                                   240, 242, 353, 363, 430

   Germain (S.) en Laye.                                         530

   Gléen (le Général).                                           404

   Grancé. (le Comte de).                                   364, 365

   Grandier jugé par des Commissaires.                      160, 161

   Grammont (Mot du Maréchal de)                                 355
     Est fait prisonnier.                                   403, 476

   Gravelines.                                                   362
     Attaqué par les François.                                   369
     Se rend.                                                    377

   Guébriant (le Maréchal de) prend Rotwiel, & est
     tué deux jours après.                                       250

   Guisant.                                                      475


   H.

   Hallier (M. du) Maréchal de Camp.                          74, 83

   Harcourt (le Comte d')                                   250, 252
     Les Anglois le méprisent.                              254, 256

   Harrisson, Colonel.                                           538

   Heraut d'Armes envoyé par la Reine au Parlement de Paris.     563

   Hoca (Jeu de) chez le Cardinal Mazarin.                       356

   Homme n'est jamais content.                              546, 548

   Honrecourt (la défaite de).                                   192

   Hôpital (le Maréchal de l').                             237, 240


   J.

   Jalousie, son caractére.                                      166
     Jalousie des Mousquetaires & des Gardes du Cardinal
     de Richelieu.                                            14, 25

   Importans (Cabale des)                                        249

   Italiens, leur caractére.                                358, 537

   Jussac.                                                        16
     Commandant dans le Havre de Grace.                       18, 23


   L.

   Lambert (le Colonel).                                         538

   Laval (le Comte de) Histoire de son Mariage.             291, 292
     Fait un appel à Treville.                              301, 303
     Est blessé au Siege de Dunkerque.                           459
     Sa mort.                                                    461

   Lauberdamont, Chef des Commissaires dans l'affaire
     de Grandier.                                                160

   Leide (le Marquis de)                                    456, 459

   Lens pris par les François.                                   152

   Leopold (l'Archiduc)                                          562

   Lerida.                                                       474

   Lettres d'une Angloise à d'Artagnan.                     264, 272
     Lettre d'Artagnan à l'Angloise.                             227
     Lettres de la même Angloise au Marquis de Wardes que
     reçoit d'Artagnan.                                          315
     Lettre d'Artagnan à la même.                                326
     Lettre du Cardinal Mazarin.                                 371
     Lettre de la femme d'un Partisan à d'Artagnan.              416

   Longueville (le Duc de).                                      532

   Loudun (Religieuses de).                                      160

   Loüis XIII. Son caractére.                          131, 171, 182
     Va en Roussillon.                                      183, 185
     Suite de son caractére.                                     186
     Prend ombrage de la puissance du Cardinal de Richelieu.     199
     Fait des reflexions sur la mort.                            226
     Chasse son Confesseur.                                      234
     Chasse Desnoyers. La même.
     Fait dresser une Declaration pour être executée après
     sa mort.                                                    235
     Meurt.                                                      238

   Loüis XIV. (Mot de) au sujet des Protestans de son
     Royaume.                                                 44, 45
     On lui donne pour Gouverneur le Marquis de Villeroy.        423
     Sort de Paris avec la Reine, sa mere.                       530

   Luc (Madame de S.) raillée & insultée par le Cardinal
     de Richelieu.                                               199


   M.

   Mainville.                                               367, 369

   Mainvilliers. Cadet aux Gardes.                        61, 63, 68

   Malmey (le Colonel)                                           538

   Manchini.                                                     379

   Mardik pris par les François.                                 405
     Repris.                                                     422

   Marillac (le Maréchal de) condamné par des Commissaires.
    Premier pas de la Cour de France au Gouvernement
    Souverain.                                              160, 161

   Marsac.                                                       470

   Maulevrier (le Comte de)                                      471

   Maurice, Prince Palatin.                                      251

   Mazarin (le Cardinal) sa fortune.                             197
     Installe M. de Fabert dans son Gouvernement de Sedan.       198
     Son caractére.                                              226
     Sa Politique.                                          226, 227
     Fait l'amoureux de la Beauvais, Femme de Chambre de
     la Reine.                                                   227
     Ses adresses.                                               232
     Est fait Premier Ministre.                                  244
     Avoit été pauvre.                                           245
     Etudie l'inclination des Grands.                            356
     Officiers de sa Maison.                                     357
     Son avarice.                                                357
     Sa fourberie. Apprend aux François à être fourbes.          358
     Eloigne de la Cour les Princes.                             359
     Ce qu'il fait au Maréchal de la Meilleraye.                 374
     À Treville.                                                 379
     Suite de ce qu'il fait.  396, 401, 422, 456, 458, 461, 472, 473                                                                       475
     On veut l'assassiner.                                       480
     Change de politique.                                        504
     Empêche que la Paix qui se négocie à Munster ne se fasse.   503
     Veut perdre Fabert.                                         511
     Donne ordre de jetter en mer un homme qui étoit venu
     débaucher le Parlement de Paris.                            525
     Fait sortir de cette Ville le Roi, & la Reine vierge.       530
     Le Parlement donne un Arrêt, où il est declaré
     ennemi de l'Etat.                                      531, 532
     Comment il traite d'Artagnan.                               540
     Suite de son caractére.                                     542
     Son barragouin.                                        543, 553
     Ses bassesses.                                         547, 553

   Meilleraye (le Maréchal de la) se brouille
     avec S. Preuil.                                        143, 145
     Assiege Bapaume.                                            154
     Méchant office qu'il rend à S. Preuil au sujet de la
     Garnison de cette Place.                                    157
     Il l'arrête.                                                158
     Assiege Perpignan.                                          186
     Prend Couilloure.                                           187
     Prend Perpignan & Salée.                                    197
     Est appellé Preneur de Places.               363, 370, 373, 374
     S'attire le Cardinal Mazarin.                     376, 424, 433

   Melton (Di Francisco de)                                      137
     Assiege Rocroi.                                             239
     Va à la rencontre du Duc d'Anguin & lui livre bataille.     242

   Melun.                                                        553

   Merci (le Général) bat M. de Turenne.                         401
     Et tué.                                                     404

   Meuniere dont S. Preuil se rend amoureux.
     Avanture.                                   91, 93, 98, 99. 159

   Miledi                                              264, 265, 273
     Ses avantures avec d'Artagnan. Son portrait.
     Est fille d'un Pair d'Angleterre.                           275
     Sa bizarrerie à l'égard d'Artagnan.          276, 277, 283, 285
     Se rend amoureuse du Marquis de Wardes.           287, 307, 309
     En croyant donner rendévous à ce Marquis pour passer
     la nuit avec elle, le donne à d'Artagnan.                   312
     Suite de cette avanture.                               314, 315
     Ecrit à d'Artagnan en croyant écrire à de Wardes.      315, 322
     Ce que lui fait faire le depit contre ce Marquis.           328
     Accorde Volontairement à d'Artagnan les dernieres faveurs.  333
     Suite de cette avanture.                          337, 338, 345

   Miramion (Madame de) enlevée.                            462, 464
     Sa retraite.                                                472

   Mole (le President)                                           496

   Montbron.                                                     471

   Montlesun.                                                     59

   Montigré, Gentilhomme qui rend de grands services
     à d'Artagnan.                                                12

   Munster (Paix de)                                             506


   N.

   Nantia                                                        470

   Navailles (M de)                                              541

   Nogent (le Comte de) Comte de nouvelle impression.
     Son caractére.                                           87, 88

   Noudancour (le Maréchal de la Mothe)                          533

   Nortlinguen.                                             403, 404


   O.

   Officiers Généraux, quand ils étoient étrangers,
     n'avoient point en France le commandement des troupes
     qui leur appartenoient.                                      80

   Orbitelle.                                                    422

   Orleans (le Duc d')   231, 232, 363, 396, 404, 421, 431, 552, 564

   Orondate (le Marquis de Villars)                              415

   Osnabruk                                                      506


   P.

   Paix entre le Parlement & la Cour de France.                  565

   Paris bloqué.                                       548, 552, 555

   Parlement de Paris.                            475, 530, 563, 564

   Pere. La plupart des peres offrent à Dieu le recut
     de leurs familles.                                            3

   Perpignan albergé par les François.                           186
     pris.                                                       197

   Philipes (Fort S.) Abandonné par les Espagnols.               365

   Picolomini                                          370, 377, 405

   Piombine pris par les François.                               424

   Plessis (le Maréchal du)                                 458, 554

   Portolongone pris par les François.                           424

   Porthos,  Mousquetaire Bearnois.                     14, 163, 347

   Portrait (avanture sur un)                                    410

   Pradel (M. de)                                                471

   Preuil (S.) est fait Gouverneur d'Arras. Son caractére.        90
     Se rend amoureux d'une Meuniere.                             91
     La gagne.                                                    93
     La tient cachée.                                             96
     Present qu'il fait à son mari.                               98
     Lui fait voir sa femme.                                      99
     Traverses qui lui arrivent.                                 144
     Joüe à la paume avec le Duc de Bresé.                       146
     Se fait ennemi de Desnoyers. Donne des coups de canne à un
     Commissaire des vivres.                                     155
     Facheuse rencontre qu'il a au sujet de la Garnison
     de Bapaume.                                                 156
     Est arrêté par le Maréchal de la Meilleraye: ce qu'il
     dit à cette occasion.                                       158
     Des Commissaires travaillent à son Procés à Amiens.         160
     A le cou coupé.                                             161


   R.

   Rantzau (le Comte de) adonné au vin.         78, 79, 80, 363, 430

   Reine (la) Epouse de Loüis XIII. son caractére.          226, 228
     Son portrait. On la fait visiter par le Chancelier pour
     voir si elle a des lettres.                                 230
     Elle est avertie de ce que Chavigni trame contre elle.      231
     Est declarée tutrice des Princes ses enfans, avec un
     Conseil.                                                    235

   Richelieu (le Cardinal de) Réponse brutale qu'il fait
     au Roi.                                                      86
     Lui en demende pardon.                                       90
     Sa politique.                                               131
     Son caractére                                               176
     Ce qu'il fait pour établir l'Autorité
     absolue en France.                           160, 161, 176, 178
     Cinqmars le veut assassiner.                                180
     Fait son Testament croyant mourir.                          185
     Guerit.                                                     186
     Ombrage que prend Loüis XIII. à son égard. Allarmé.         189
     Se retire à Tarascon.                                  190, 191
     Son adresse pour se rendre nécessaire au Roi.     191, 192, 193
     Va trouver ce Prince.                                  194, 196
     Sa maladie, sa mort.                                   196, 197
     Bienfaits du Roi à sa famille.                              198
     Ce Cardinal faisoit des railleries & des insultes
     à ceux qu'il opprimoit.                                     199

   Riviere (l'Abbé de la)                                        350

   Robert (le Prince)                                            251

   Rocroi assiegé par les Espagnols.                             239
     Bataille de Rocroi.                                         242

   Rosant, Gentilhomme qui maltraite
     d'Artagnan.                          7, 102, 103, 104, 113, 119

   Rotondes.                                                      20

   Rotwiel pris par le Maréchal de Guebriant.                    250

   Rottembourg pris par les François.                            402

   Roure (le) Faux bourg de Paris.                               355


   S.

   Salée pris par le Maréchal de la Meilleraye.                  197

   Sac de Gand pris par les Hollandois.                          378

   Schomberg (le Maréchal de) se lie avec Cinqmars.    186, 187, 195

   Selle (la) Lieutenant.                                   367, 368

   Servient (M.) son caractére.                                  505

   Soissons (le Comte de)                                        135
     Mécontent du Cardinal de Richelieu.                    135, 136
     Sa mort, & ce qu'on en dit.                            153, 249

   Soucariere, Bâtard du Duc de Bellegarde.                      224

   Spinola (le Marquis de) pris pour le Comte de Laval.     293, 294

   Straatman, Suisse épousé* ** ** de d'Artagnan.                224

   Suse (le Comte de la)                                         395


   T.

   Tellier (M. le) fait secretaire d'Etat.                  234, 478

   Thionville pris par le Duc d'Anguien.                         250

   Thou (M. de) Conseiller d'Etat, conseil qu'il donne
    à Cinqmars.                                                  190
    Est arreté & perd la tête.                                   196

   Tour (M. de la) est fait Gouverneur d'Arras.                  159

   Tourville (le Baron de)                                  457, 459

   Tremblas (M. du)                                              502

   Treves, Ville très ancienne.                                  554

   Treville, ou Troisville, histoire de ce Gentilhomme.            2
     Histoire de ses fils.                                         3
     Tire d'Artagnan d'une affaire.                               25
     L'amene au Roi qui souhaite de le voir.                 26, 121
     Mercuriale qu'il lui fait: son caractére.                   170
     Lui rend un bon office.                                171, 174
     Donne sans reflexion dans la vûë de Cinqmars, qui veut
     tuer le Cardinal de Richelieu.                         181, 182
     Affaire qu'il a avec le Chancellier.                        299
     Avec le Cardinal Mazarin.                              379, 425

   Trimouille (le Duc de la) son caractére.                   43, 44

   Turenne (Vicomte de) fait l'amoureux d'une des parentes
     du Cardinal de Richelieu.                                   139
     Son caractére.                                              140
     Est fait Maréchal de France.                           354, 401


   V.

   Vergne (la)                                                   470

   Villeguises (le Marquis de)                                   464

   Voilerons (le Marquis de) Gouverneur de Louïs XIV.            423

   Voleurs protegez par le Lieutenant Criminel de Paris.         208


   W.

   Wardes (le Marquis de)                                   287, 289

   Wimphem pris par les François.                                402


                              Fin de la Table.

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