Mémoires du maréchal Marmont, duc de Raguse (4/9)
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Trianon, le 21 Juillet 1811
«Je vous préviens, monsieur le duc de Raguse, que je donne l'ordre à M. le général comte Dorsenne de faire relever les troupes que vous pouvez encore avoir dans les garnisons de Ciudad-Rodrigo et de Salamanque par des troupes de son armée, et de diriger tout ce qui vous appartient sur Avila et Placencia.
«L'Empereur approuve, monsieur le maréchal, que vous n'ayez pas consenti à former, avec les troupes de votre armée, la garnison de Badajoz. Sa Majesté pense que l'Estramadure doit être défendue par l'Andalousie considérée sous tous les points de vue, et notamment sous celui des vivres. C'est à l'Andalousie à fournir tout ce qui est nécessaire pour approvisionner Badajoz pour un an, s'il est possible; cependant, monsieur le duc, l'intention de l'Empereur est que vous vous teniez le plus à portée possible, pour pouvoir, marcher franchement au secours de Badajoz, s'il y avait lieu.
«L'Empereur pense que peut-être un ouvrage à Merida ou à Medellin serait utile pour être maître du passage de la Guadiana; mais c'est à vous, qui êtes sur les lieux, à en juger.»
LE ROI JOSEPH AU MARÉCHAL MARMONT.
«Madrid, le 26 juillet 1811.
«Monsieur le duc, je reçois votre lettre du 20; je vous remercie de tout ce qu'elle contient d'aimable pour moi; vous ne doutez pus non plus de mon attachement.
«L'Empereur aurait désiré que je vinsse vous voir; mais ce n'est pas le moment, puisque l'armée n'est pas réunie. Je sens la difficulté de votre position et l'extrême justesse de vos observations; je viens de donner l'ordre pour qu'il soit prélevé, sur la contribution extraordinaire que je lève en grains, la quantité de vingt mille fanégas, en août, et vingt mille en septembre, qui seront versées dans les magasins de l'armée de Portugal. Je trouve très-bien aussi que vous fassiez usage de toutes les contributions en argent dues par la province d'Estramadure, et je donne les ordres en conséquence aux agents civils, qui ne pourront toutefois réussir qu'autant qu'ils seront protégés, soutenus et dirigés par vous, monsieur le maréchal, dont le zèle et les lumières me sont connus.--L'empereur espère beaucoup de vous et de son armée de Portugal; il est disposé à venir à votre secours avec de l'argent et avec des hommes et des chevaux: vous ne tarderez pas à sentir les effets de ces dispositions. Quant à moi, je ne puis pas vous secourir autrement; je n'ai pas de fonds à ma disposition, et je dois même vous dire que je ne pourrais pas exister ici sans un prêt qui m'est accordé par l'Empereur par mois.
«Si vous pouviez vous étendre un peu par votre droite, vous occuperiez un plus riche pays; et, avec les secours que je vous indique, vous devriez pouvoir atteindre la saison des événements militaires. La récolte n'est pas très-bonne à Ségovie ni dans les pays environnant Madrid.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU MAJOR GÉNÉRAL.
«Navalmoral, le 1er août 1811.
«Je reçois les dépêches que Votre Altesse m'a fait l'honneur de m'écrire par mon aide de camp. J'ai lu avec une grande attention l'instruction qu'elles renferment. J'avais conçu, comme Sa Majesté, le système qu'il convenait de suivre aujourd'hui pour l'armée de Portugal et le but qu'elle avait à remplir, et c'est dans cet esprit que j'ai agi jusqu'à présent. Les localités, les différentes circonstances, rendent cependant indispensable d'apporter diverses modifications dans ces dispositions.
«Je ne puis pas placer plus d'une division à Truxillo, attendu qu'il y a impossibilité absolue d'y vivre. Une division et cinq cents chevaux qui y sont aujourd'hui éprouvent les plus grandes difficultés pour les subsistances, et peut-être leur sera-t-il impossible d'y rester. Je ne puis pas avoir de troupes sur la Guadiana à moins que la plus grande partie de l'armée ne soit à Truxillo; car elles y seraient compromises, puisqu'il n'y a que trois marches d'Albuquerque, où l'ennemi a habituellement des troupes, et où il peut rassembler inopinément des forces considérables qui sont cantonnées à Portalègre, Campo-Maior et environs, et que, s'il parvenait à s'emparer de la chaussée, les troupes qui seraient sur la Guadiana n'auraient d'autre retraite que de se jeter dans la Manche après avoir abandonné leurs canons, n'ayant point de ce côté de routes praticables aux environs ou en Andalousie. D'un autre côté, comme je l'ai dit plus haut, six mille hommes ont grand peine à vivre; à plus forte raison, douze à quinze mille y seraient-ils dans l'embarras. Tout le pays que l'Empereur donne à l'armée de Portugal, entre la Guadiana et le Tage, est un vaste désert absolument inculte, couvert de bois ou consacré aux pâturages. Les environs de Cacerès et de Montanchès seuls offrent quelques ressources, et encore ces cantons ne produisent-ils guère que du vin.
«L'Empereur ayant une sollicitude particulière pour le Midi, il semblerait que l'armée devrait stationner sur les bords de la Guadiana; mais, outre que, dans cette saison, tout le pays est pestilentiel, le même raisonnement que je fais pour un petit corps s'applique à l'armée entière; car, dans cette hypothèse, évidemment l'ennemi, marchant à Truxillo, où il peut se rendre avec la plus grande facilité, attendu qu'il existe de toutes parts de bonnes communications qui arrivent sur ce point de la frontière du Portugal, l'armée serait fort compromise, et, dans tous les cas, serait forcée à une prompte retraite, qui équivaudrait presque à une défaite dans l'opinion. D'ailleurs, l'armée de Portugal, n'étant pas aujourd'hui assez forte pour combattre seule l'armée anglaise, ne doit pas se placer de manière à être obligée de livrer bataille malgré elle, et avant que d'autres troupes soient entrées en communication avec elle. Il me semble que la communication de l'armée de Portugal avec l'Estramadure, étant parallèle à l'ennemi, et par suite découverte dans toute son étendue, s'oppose à ce que cette armée soit chargée de Badajoz et habituellement de cette frontière, tandis que, la communication de l'armée du Midi étant directe, quelle que soit la faiblesse du corps qu'elle porte en avant, celui-ci n'a rien à craindre, même en se repliant devant des forces supérieures, puisqu'il se rapproche de ses magasins et de ses renforts sans jamais risquer de perdre sa communication, aucun autre débouché n'étant offert à l'ennemi. Au pis aller, ce corps arrive sur une chaîne de montagnes, où peu d'hommes équivalent à beaucoup, ce qui donne le temps de rassembler les troupes de l'Andalousie pour déboucher ensuite. Il me paraît qu'il résulte de la situation des choses et des localités que l'armée de Portugal, stationnée sur le Tage, ne peut pas se charger de la défensive immédiate en Estramadure, mais bien de délivrer l'Estramadure, tandis que les troupes de l'armée du Midi sont merveilleusement placées pour garder le pays sans se compromettre. Enfin que, dans l'hypothèse d'une guerre sérieuse sur la rive gauche du Tage, ce n'est jamais à l'armée du Midi à venir au secours de l'armée de Portugal, mais à l'armée de Portugal à aller au secours de l'armée du Midi. En conséquence, c'est à celle-là à s'engager la dernière, et, en dernière analyse, l'armée de Portugal doit toujours agir en offensive en Estramadure. Truxillo est en outre un mauvais poste, et la division qui l'occupe ne devrait jamais y combattre, quand même l'ennemi se présenterait en force égale, parce qu'elle est encore trop loin du Rio del Monte, que l'ennemi pourrait passer avant elle. D'après cela, voici quelles sont les instructions que j'ai données au générai Foy, qui commande à Truxillo: l° de pousser de fréquents partis sur Merida et sur Cacerès, afin d'avoir des nouvelles de l'ennemi et communiquer avec les troupes légères de l'armée du Midi; 2° de placer une portion de son artillerie et de ses troupes à Jaraicejo, sur la droite du Rio del Monte, et, dans le cas d'attaque de la part de l'ennemi, de se replier sans combattre sur Jaraicejo, où il serait en sûreté pour quelque temps, attendu que le Rio del Monte, par la profondeur de son lit et l'escarpement de ses rives, présente un grand obstacle, surtout dans sa partie intérieure, et que l'ennemi ne pourrait le tourner qu'en remontant cette rivière et en s'exposant lui-même à perdre sa communication si, sur ces entrefaites, le général Foy recevait des renforts qui le missent en état de reprendre l'offensive. Si le général Foy était forcé dans cette position, il se retirerait sur les hauteurs du Tage; les localités offrent la plus facile défense contre des forces extrêmement supérieures. J'y fais exécuter en outre des travaux qui en feront en peu de jours un excellent camp retranché pour une division. Je fais exécuter également des travaux qui assurent sa communication avec le fort construit sur le bord du Tage, empêchent que cette division, en stationnant, ne soit jamais séparée de la rivière, et lui donnent toujours la faculté de la repasser. Ainsi, au moyen des dispositions prises, 1° j'ai des troupes sur le plateau de l'Estramadure, qui voient ce qui se passe et m'informent des mouvements de l'ennemi; 2° ce corps, forcé, par la marche de l'ennemi, à se replier, occupe des positions d'où il est inexpugnable, et qui m'assurent la position, non-seulement de la rive gauche du fleuve, mais encore des hauteurs qui le dominent à environ une lieue, hauteurs que je regarde comme un beaucoup plus grand obstacle que le fleuve lui-même; 3° enfin, dans la position que j'ai donnée aujourd'hui à l'armée, cinq divisions pourraient être réunies au delà du Tage en quarante-huit heures si les circonstances l'exigeaient, et la sixième un peu plus tard. Il me paraît donc que j'ai résolu le problème, puisque l'armée ne peut pas perdre la faculté de se porter en masse sur la rive gauche; qu'elle peut le faire toujours en très-peu d'instants, et que, de là, pouvant se jeter sur tous les points de l'Estramadure, elle garde cette province comme si elle y était stationnée, mais sans danger, et toujours maîtresse de ses mouvements.
«Dans le cas où il y aurait une impossibilité absolue à la division du général Foy de vivre à Truxillo, cette division repasserait le Tage; mais, afin de conserver toujours la possession des hauteurs de Miravete, je fais construire, comme faisant partie du camp retranché, deux forts qui pourront être abandonnés à eux-mêmes, et qui, défendus par cent hommes, assurent toujours la possession du col, et, par conséquent, un débouché. Dans ce cas, j'enverrai de fortes reconnaissances toutes les semaines à Truxillo, sur la route de Merida et sur celle de Cacerès, afin d'être instruit des mouvements de l'ennemi.
«J'avais déjà ordonné la construction d'un pont sur pilotis sur le Tage, et on s'occupe de la recherche des bois nécessaires à ce travail. J'ai fait construire deux têtes de pont avec des réduits qui avant cinq jours seront terminées, et formeront une espèce de place susceptible d'être défendue par quatre cents hommes, et assez bonne pour être abandonnée à elle-même. Ce poste renferme mes magasins de vivres; et ces magasins s'augmenteront au fur et à mesure que j'en aurai les moyens. Comme pour placer sainement l'armée et trouver les moyens de la faire vivre, j'ai été obligé de l'établir en grande partie sur la rive droite du Tietar, dans la Vera de Placencia, et que le point naturel de rassemblement de l'armée, en cas de marche inopinée de l'ennemi sur elle, est sur la rive gauche de cette rivière, j'ai fait construire trois ponts, dont un, celui qui est sur la route de Placencia, est couvert par une tête de pont. Cette disposition est nécessitée par la nature de la rivière du Tietar, qui en douze heures de pluie croît de six à huit pieds. Toute mon artillerie est à Navalmoral, et la division de dragons dans les points des bords du Tage qui peuvent la nourrir. Enfin mon quartier général est à deux lieues du Tage, et je sais tous les jours, à douze heures de date au plus, ce qui se passe dans le coeur de l'Estramadure et dans les environs de Coria.
«Votre Altesse me mande que l'intention de l'Empereur est que, pour préparer l'offensive, j'occupe Alcantara et que je le fasse mettre en état de défense. C'est une opération que j'exécuterai aussitôt que j'en aurai les moyens, mais aujourd'hui je ne pourrais pas l'entreprendre, et voici mes raisons: pour qu'Alcantara soit mis en état de défense, il faudra au moins un mois de travail; il faudra, vu la proximité de l'ennemi, tenir à portée des forces assez considérables; mais je ne saurais comment les faire vivre; il faut donc auparavant que j'aie ici des magasins considérables formés qui puissent suivre le mouvement des troupes, assurer leurs subsistances, et permettre de les tenir réunies; une fois cet objet rempli, rien ne sera plus aisé que d'exécuter les intentions de l'Empereur. D'ici à cette époque je ferai également rassembler les bois nécessaires aux réparations du pont d'Alcantara, afin que ce travail, qu'on regarde tomme difficile, mais cependant comme praticable, puisse être exécuté sans retard. Indépendamment des motifs ci-dessus et qui me paraissent sans réplique, il devient indispensable de laisser l'armée en repos pendant les grandes chaleurs, sous peine de la voir fondre par les maladies; elle a besoin, non-seulement de repos pour sa santé, mais aussi de repos pour se réparer.
«J'espère que Sa Majesté conclura, du compte que je viens de vous rendre, que j'ai pris toutes les mesures convenables pour soutenir et secourir l'armée du Midi de tous mes moyens; et, quoique l'expérience m'ait déjà prouvé qu'il était bon de ne pas trop compter sur la parole de M. le duc de Dalmatie et sur sa fidélité à remplir ses engagements, Sa Majesté ne rendrait pas justice à mon amour pour le bien public et à mon dévouement à son service si elle doutait que je ne fisse plus que mes devoirs en cette circonstance comme en toute autre. La promptitude, au surplus, avec laquelle je suis parti de Salamanque, le peu de moyens que j'avais à ma disposition, et qui m'auraient autorisé à retarder de quelque temps mon mouvement pour les augmenter, sont, j'ose le croire, un garant de ce que je ferais à l'avenir, s'il en était besoin. Je n'hésiterai jamais à aller avec toutes mes forces au secours du maréchal duc de Dalmatie lorsqu'il le faudra; mais j'avoue que je redouterais extrêmement d'être dans une situation inverse.
«Il me reste à parler à Votre Altesse de la situation dans laquelle se trouve l'armée. Sa Majesté suppose que depuis plus d'un mois j'ai reçu les chevaux d'artillerie de la garde que le duc d'Istrie devait me fournir. Je les ai réclamés à plusieurs reprises, toujours en vain, et en ce moment le comte Dorsenne refuse d'une manière formelle de les donner avant d'en avoir reçu un pareil nombre de France, ce qui évidemment est contraire aux intentions de l'Empereur; car, s'il n'eût pas voulu me donner un secours immédiat, il aurait donné l'ordre de me les envoyer directement de France. Le comte Dorsenne annonce que, quand il aura reçu cinq cents chevaux, il n'en enverra que trois cent quatre-vingt-sept; attendu, dit-il, qu'il doit faire entrer en compte cent treize chevaux que le duc d'Istrie a donnés au prince d'Essling il y a trois mois, et qui me paraissent tout à fait étrangers à ceux-ci.
«Il résulte de la non-exécution des ordres de Sa Majesté que l'artillerie de l'armée est aujourd'hui dans une situation pire que celle où elle était à l'époque où j'ai commencé mon mouvement, puisqu'il y a eu quelques pertes de chevaux, quelques pertes de boeufs qui n'ont pas été remplacés, et, d'un autre côté, que les voitures d'artillerie qui doivent être prises à Salamanque et conduites à Madrid pour y être réparées n'ont pu y être envoyées.
«A l'époque de mon mouvement, voulant le faire avec rapidité, chaque régiment a formé un petit dépôt, dans lequel il a placé tous les hommes malingres et la plus grande partie de ses équipages. J'ai réuni tous ces petits dépôts à Toro, sous le commandement d'un officier supérieur. Ces dépôts ont avec eux les effets d'habillement, les ouvriers, etc. J'ai de même, pour la cavalerie, laissé à ces dépôts tous les chevaux à refaire qui auraient péri dans nos marches et qui, aujourd'hui, sont en état de servir. Aussitôt après mon arrivée à Badajoz, j'ai envoyé un officier pour faire partir tous ces dépôts pour Talavera, afin que l'armée, en arrivant ici, trouvât tous les secours dont elle aurait besoin; mais le duc d'Istrie s'est opposé à leur départ. J'ai envoyé postérieurement, et à diverses reprises, des officiers pour renouveler les mêmes ordres; mais le comte Dorsenne s'y oppose également; de manière que je suis dans la pénible situation de voir s'écouler, sans fruit et sans utilité, le temps de repos que les corps pourraient employer si utilement à se mettre en état d'entrer en campagne. A mon départ de Salamanque, j'ai fait évacuer tous mes malades sur Valladolid, parce que Salamanque était assez découvert. J'ai placé à Valladolid un officier supérieur, pour réunir et commander tous les hommes sortant des hôpitaux, un officier, et certain nombre de sous-officiers par chaque régiment, afin de former des détachements au fur et à mesure de leur guérison. Quinze cents hommes sont en état de rejoindre; mais, au lieu de me les renvoyer, on leur fait faire des détachements et divers services à l'armée du Nord, de manière que ces hommes, qui sont sans solde, sans aucun secours, qui ont assez d'officiers pour les conduire, mais non pour les commander dans le service, se dispersent partout, désertent ou se soustrayent au service de mille manières différentes, et seront en grande partie perdus pour leurs régiments. J'ai réclamé en vain; il règne en Espagne un esprit d'égoïsme et de localité qui est funeste au service de l'Empereur et qu'il est urgent de réprimer. Je demande, avec la plus vive instance, à Votre Altesse d'écrire à M. le comte Dorsenne d'une manière tellement impérative, qu'il envoie, sans plus de retard, les cinq cents chevaux qui me sont destinés, et qu'il ne se permette plus de retenir ni un seul soldat ni un seul cheval qui appartienne à l'armée de Portugal. Enfin, monseigneur, puisque le Nord me devient à peu près étranger, je demande également à Votre Altesse qu'on relève et qu'on me renvoie la garnison de Rodrigo.
«Les rapports que je reçois des mouvements de l'ennemi sont: que deux divisions anglaises se sont portées dans le Nord et sont cantonnées près de la Coa, qu'une division est à Castel-Branco, et que la plus grande partie du reste de l'armée, qui était restée sur la rive gauche du Tage, est en marche pour prendre des cantonnements en arrière.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, le 4 août 1811.
«J'ai mis sous les yeux de l'Empereur, monsieur le maréchal, votre lettre du 13 juillet. Des secours de toute espèce sont en mouvement pour renforcer votre armée; de nouveaux régiments de marche se forment à Paris. Sa Majesté espère qu'au moment de la reprise des hostilités, qu'on suppose devoir être en septembre, vous aurez plus de six à sept mille hommes de cavalerie et quatre-vingts pièces d'artillerie bien approvisionnées et bien attelées.
«Par les nouvelles de Londres, il paraît que les Anglais renforcent leur armée. Tout porte à penser qu'ils parviendront à remplacer les pertes qu'ils ont éprouvées dans la campagne qui vient d'avoir lieu.
«La cinquième division, que les Anglais envoient sur le Tage, est vraisemblablement pour observer l'armée du Nord, qui, comme je vous l'ai dit, porte un corps sur la Coa.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU MAJOR GÉNÉRAL.
Navalmoral, le 5 août 1811.
«J'ai reçu la lettre que Votre Altesse m'a fait l'honneur de m'écrire le 6 juillet relativement à l'administration. Les motifs qui ont déterminé un enlèvement de fonds dans la caisse pour les subsistances, lors de mon séjour à Salamanque, ont été qu'il y avait impossibilité absolue de faire subsister les troupes qui étaient à Salamanque par voie de réquisition, et qu'il était également impossible de se procurer les grains nécessaires pour la fabrication du biscuit, à moins de les acheter. Cette situation de choses est tellement démontrée, et les circonstances tellement urgentes, que la mesure, prise d'abord par mon prédécesseur, a dû ensuite être prise par moi. De même ici, pour la subsistance des chevaux, il a dû indispensablement être passé un marché pour trois mille fanègues pour faire vivre les chevaux à Navalmoral, jusqu'au moment où les réquisitions frappées sur les provinces de Talavera, Tolède et Avila, et qui sont fort éloignées, aient pu donner ces produits. A Salamanque, au moment de nous mettre en mouvement, il a fallu se pourvoir par achats de beaucoup d'objets pour le service des hôpitaux, que jamais réquisitions n'auraient produits. Des travaux ayant été indispensables au fort de Salamanque, à la place de Rodrigo et au passage du Tage, il a fallu nécessairement mettre des fonds à la disposition du commandant du génie. Les travaux de l'artillerie ont exigé aussi quelques fonds, mais beaucoup plus encore l'achat des chevaux de rouliers que j'ai fait prendre à Salamanque avant de marcher, et celui de quelques chevaux qui me sont venus de Madrid. L'emploi de tous ces fonds est justifié dans les formes voulues et sera adressé aux ministres respectifs. J'ai joint à cette lettre l'état indiquant l'emploi de chacune des sommes, par chapitre et par nature de services. Les fonds donnés au génie, la plus grande partie de ceux donnés à l'artillerie, et ceux qui ont été employés en dépenses secrètes, se trouvent déjà régularisés par le crédit ouvert par Sa Majesté pour chacun de ces articles. Quant à ce qui regarde les hôpitaux, les subsistances et l'administration proprement dite, j'aurai soin, au fur et à mesure de la rentrée des contributions des provinces affectées à l'armée, de faire effectuer des remboursements successifs aux fonds de la solde, afin de couvrir le déficit qui existe aujourd'hui.
«L'armée de Portugal n'ayant eu jusqu'ici aucun territoire, et les provinces du Nord n'ayant jamais rien versé dans la caisse de cette armée, elle n'a pu avoir aucuns fonds pour l'administration, puisque tous les fonds de France étaient affectés à la solde. Les besoins d'argent s'étant fait sentir d'une manière impérieuse, il n'a donc pas été possible de s'en procurer autrement que d'en prendre sur ceux-ci, sauf remboursement. L'intendant Saint-Lambert, et depuis lors l'ordonnateur Marchand, ont eu l'honneur de rendre compte à Votre Altesse de toutes les mesures qui ont été prises à cet égard, et de lui adresser une expédition de tous les procès-verbaux, ce qui m'a empêché de lui en rendre compte moi-même. J'ai l'honneur de vous adresser la copie de tout ce qui a rapport à cet objet.
«L'Empereur désire savoir ce qui a été payé aux corps. Je ne puis lui donner les détails par corps de ce qui a été payé aux différents régiments, attendu que, les registres du payeur général n'étant pas ici, ne peuvent être compulsés, et que la solde était due à tous les corps à dater d'époques différentes. Il m'a paru que ce qu'il y avait de mieux à faire n'était pas de payer le même nombre de mois de solde à tout le monde, mais qu'il était juste de l'aligner à la même époque. En conséquence, toute l'armée a été mise au 15 novembre. Votre Altesse trouvera ci-joint un état en détail de ce qui reste dû à l'armée jusqu'au 1er juillet.
«Enfin l'Empereur veut savoir quelles sont les contributions qui sont entrées dans la caisse de l'armée. Ainsi que j'ai eu l'honneur de vous le dire, l'armée n'a reçu que des fonds de France, et n'a rien reçu du pays, puisqu'elle n'avait ni territoire ni revenus. Aujourd'hui que Sa Majesté lui en a assigné un, j'aurai l'honneur de vous adresser chaque mois, ainsi qu'au roi d'Espagne, l'état des contributions qui auront été perçues, et de leur emploi. La somme restant en caisse aujourd'hui est de ...
«Je pense, monseigneur, que cette lettre, ainsi que les pièces justificatives qui l'accompagnent, répondent complétement aux demandes faites dans vos lettres du 6, et qu'elles justifient tout ce qui s'est fait.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, le 24 août 1811.
«L'Empereur a lu, monsieur le maréchal, vos dernières dépêches. Sa Majesté voit avec plaisir les ouvrages que vous avez fait faire à Almaraz et sur le Tietar. Elle trouve qu'il serait convenable de faire des ouvrages de campagne en avant du Rio del Monte.
«Sa Majesté espère qu'avant le 15 septembre tous vos dépôts, les trois cent quatre-vingt-sept chevaux qui doivent compléter les cinq cents chevaux du train de la garde, sur lesquels cent treize vous ont déjà été fournis, et les onze cent quarante chevaux du train, que vous mène le général Vandermaesen, vous seront arrivés; que tous vos dépôts quelconques, soit de cavalerie, soit d'infanterie, vous auront rejoint, et que votre armée se trouvera ainsi portée à plus de cinquante mille hommes. La réparation de votre armée est la grande affaire en ce moment; elle doit occuper tous vos soins; mais l'Empereur trouve que vous n'envoyez aucun état détaillé qui puisse mettre à même de disposer à subvenir à tous vos besoins.
«J'envoie mon aide de camp, le chef d'escadron baron de Canouville, dans les provinces du Nord, avec des ordres pour que tous les dépôts de cavalerie et d'artillerie, et tous les détachements qui appartiennent à l'armée de Portugal, la rejoignent sans délai. Cet officier a l'ordre de voir tout partir et de rester jusqu'à ce que tout soit en marche; je lui prescris même de se mettre en correspondance avec vous pour l'exécution de ces ordres.
«L'Empereur, monsieur le duc, me charge de vous faire connaître que l'armée de Portugal doit prendre sa ligne de communication sur Madrid; que c'est là que doit être son centre de dépôt; que toute opération que l'ennemi ferait sur la Coa ne peut déranger cette ligne. Si l'ennemi veut prendre l'offensive, il ne peut la prendre que dans l'Andalousie, parce que, de ce côté, il a un objet à remplir qui est de faire lever le siége de Cadix. Ses forces dans le Nord, avançât-il même jusqu'à Valladolid, n'aboutiraient à rien. Les troupes que nous avons dans ces provinces, en se repliant, lui opposeraient une armée considérable, et alors, sans doute, l'armée de Portugal devrait faire, pour l'armée du Nord, ce qu'elle ferait pour l'armée du Midi. L'objet important est que votre ligne d'opération soit sur Talavera et Madrid, parce que votre armée est spécialement destinée à protéger celle du Midi. Enfin, monsieur le maréchal, l'armée de Portugal étant attaquée de front, son mouvement de retraite est encore sur Madrid, parce que, dans tous les cas possibles, ce doit être sa ligne d'opération. Il faut donc que tous les dépôts quelconques appartenant à l'armée de Portugal soient dirigés sur Talavera et Madrid. L'Empereur a même ordonné que la garnison de Rodrigo fût relevée par l'armée du Nord; mais ce dernier ordre ne pourra être exécuté que plus tard.
«Le 26e régiment de chasseurs, qui est un régiment entier, doit vous avoir rejoint. Mandez-le-moi. Il est fort important que vous ayez au moins six mille hommes de cavalerie. Correspondez le plus fréquemment possible avec moi et sur tous les détails tant militaires que d'administration.
«Le général Dorsenne recevra, par mon aide de camp, l'ordre impératif de faire partir, dans les vingt-quatre heures, tous vos dépôts et détachements. Tout ce qui est en état de servir sera dirigé en gros détachements sur Placencia, et le général Dorsenne vous enverra l'état et l'itinéraire. Quant aux hommes malingres, il les dirigera sur Madrid, puisque votre ligne d'opération est désormais sur Madrid, en sorte qu'il ne lui restera plus un seul homme appartenant à votre armée.
«Je vous préviens aussi, monsieur le maréchal, que, vraisemblablement, l'Empereur se déterminera à diriger de Valladolid, par Salamanque, sur Placencia tous les renforts que conduit le général Vandermaesen. Tout ce qui est pour l'armée du Midi se réunira à la colonne du général Vandermaesen et en suivra le mouvement, et ensuite cette troupe se rendra d'Almaraz, par Truxillo, à l'armée du Midi.
«Mon aide de camp, après avoir vu partir les troupes et même le corps du général Vandermaesen, continuera sa route par Avila, Placencia et Almaraz, et reviendra par Truxillo et Madrid; et l'intention de Sa Majesté est que vous le chargiez de rapporter des états exacts de la situation de l'armée.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, le 24 août 1811.
«L'Empereur trouve, monsieur le maréchal, que vous ne correspondez pas assez avec moi. Sa Majesté désire que vous écriviez aussi souvent qu'il est possible et que vous envoyiez des renseignements très-détaillés sur tout ce qui vous concerne, des états exacts, et toujours très-récents, de la situation et de l'emplacement de vos troupes.
«Sa Majesté pense qu'il serait nécessaire que vous vous assurassiez du passage du Tietar en y faisant un pont pour les hommes à pied, afin que la division que vous avez à Placencia puisse se porter à vous rapidement. C'est sur le Midi que vous devez porter vos regards; toute entreprise de l'ennemi sur le Nord serait insensée, et il trouverait partout des renforts considérables qui compromettraient son existence.»
LE ROI JOSEPH AU MARÉCHAL MARMONT.
«Madrid, le 1er septembre 1811.
«Monsieur le duc, par la première lettre que vous m'avez écrite, vous me fîtes connaître que vous aviez besoin de vingt mille fanègues de blé par mois; je m'empressai d'ordonner que les quarante premiers mille fanègues qui seraient levés dans la province d'Avila et dans le partido de Talavera seraient livrés à l'armée de Portugal; j'espérais, par là, assurer la subsistance de vos troupes pendant les mois d'août et de septembre, et je me réservai à pourvoir par la suite selon vos besoins. Vous me fîtes connaître que vous n'aviez pas d'argent; je vous répondis que le produit des contributions des provinces qui entourent Madrid était tel, que Sa Majesté Impériale, ayant connu l'insuffisance de ces moyens, avait daigné venir à mon secours par un prêt mensuel, qu'ainsi vous deviez sentir qu'il était de toute impossibilité que je vous fisse donner de l'argent. Je ne crois pas vous avoir caché ce que tout le monde sait: que mes employés civils ne sont pas payés depuis quinze mois, et ma garde depuis dix; cependant je vous écrivis que je trouvais bon que vous levassiez les contributions de la province d'Estramadure, qui m'étaient dues, et que vous en employassiez le produit pour les besoins de l'armée de Portugal. Je vous ai fait envoyer tout le biscuit, farines, voitures, artillerie, enfin tout ce dont j'ai pu disposer: je n'ai fait aucune distinction entre l'armée de Portugal et celle du Centre, puisque leur but est le même; mais j'avais pensé que les mesures que j'avais prises pour assurer le service des deux armées et des diverses parties de mon administration auraient été respectées par les généraux de l'armée que vous commandez; il n'en a pas été ainsi. On a levé sur divers points, occupés par votre armée, la totalité de la récolte; on a par là exaspéré les habitants et fait abandonner les champs et les villages, surtout dans la province d'Avila; dans celle de Tolède on a d'abord frappé une contribution d'un million; l'ordonnateur de votre armée se permet de donner des ordres à des personnes qui ne doivent obéir qu'aux miens. J'ai aujourd'hui sous les yeux un décret que l'on dit avoir été signé de vous, monsieur le maréchal, et qui en ordonne l'exécution à mes préfets et aux généraux sous mes ordres, sans m'en avoir même donné connaissance. Ce décret met une contribution de quatre millions de réaux sur Tolède, et contremande la levée de toute autre contribution.
«J'ai peine à concevoir que cet ordre émane de vous, monsieur le duc. La province de Tolède fait partie de l'armée du Centre; elle touche Madrid; elle est occupée par les troupes de l'armée du Centre. A Tolède j'ai envoyé en mission mon ministre de l'intérieur, pour faire exécuter le décret qui ordonne la levée d'une contribution en grains, et il n'y a pas de temps à perdre. J'y ai un préfet, un gouverneur, un régiment espagnol. Comment pouvez-vous croire que puisse être accueilli un décret de vous, monsieur le duc, qui ordonne de ne plus payer autre chose que les quatre millions qu'il faut verser à l'armée du Portugal? Mais avec quoi voulez-vous donc que nous vivions? Il n'est pas à ma connaissance que vous ayez le droit de donner des ordres à Tolède. Je ne connais d'autres dispositions de l'Empereur, monsieur le duc, relatives aux rapports que je dois avoir avec l'armée que vous commandez, que celle contenue dans la lettre du prince de Neufchâtel, en date du 1er juin, «qui me donne le commandement des troupes qui entreraient dans l'arrondissement de l'armée du Centre, et même de l'armée du Portugal si cette armée se repliait dans les provinces du Centre.» J'aurais cru inutile d'entrer dans cette explication, monsieur le duc, si le décret que vous avez rendu et les dispositions que vous avez prises ne m'en faisaient sentir la nécessité. Vous concevrez facilement que, ne pouvant y avoir deux chefs suprêmes dans les mêmes lieux, Sa Majesté Impériale a senti la nécessité de prévoir et a prévu ce qui arrive. Je vous prie donc, monsieur le duc, de vous abstenir de donner aucun ordre dans les provinces du Centre.
«Cependant, comme je conçois que vous devez avoir beaucoup de besoins, et que les administrateurs et généraux de votre armée aiment mieux faire que de laisser faire, je consens à ce que vous fassiez verser dans les caisses de l'armée du Portugal les revenus des provinces d'Avila, d'Estramadure, et même du partido décimal de celle de Talavera, conformément au bordereau ci-joint.
«J'ai ordonné la formation d'un hôpital militaire à Tolède, qui pourra recevoir mille malades de l'armée du Portugal, et qui sera formé et entretenu par mon trésor et par les soins de l'intendant de la province et du commissaire que je déléguerai à cet effet. J'espère, monsieur le duc, que, de cette manière, ce que vous devez à mon autorité pourra se concilier avec ce que je dois à l'armée de Portugal et au désir que j'ai eu constamment de vous être agréable.»
LE ROI JOSEPH AU MARÉCHAL MARMONT.
Madrid, le 14 septembre 1811.
«Monsieur le maréchal, je reçois votre lettre du 3; vous ne m'accusez pas réception de celle que je vous ai écrite le 1er, qui accompagnait mon décret du même jour, dont, par précaution, je vous envoie une nouvelle copie.
«Outre les provinces d'Estramadure, d'Avila, le partido décimal de Talavera, vous verrez, par un autre décret du 11 septembre, que je me suis déterminé à mettre sous votre autorité et à affecter exclusivement à l'entretien de l'armée du Portugal une partie de la province de Tolède, qui vous fournira beaucoup de ressources. Vous savez que j'ai ordonné la formation d'un hôpital de mille malades à Tolède pour votre armée; vous n'ignorez pas les dépenses qu'elle occasionne aussi à Madrid. Si vous pouvez retirer les grains et les impôts dus des pays qui vous sont abandonnés, je ne doute pas que vous ne pourvoyiez à tous vos besoins. La ville de Tolède, par sa position entre Madrid, la Manche et l'armée du Midi; par l'importance d'opinions que lui donnent les corps ecclésiastiques, civils et militaires, qui sont habitués à obéir à mon autorité, ne peut en être soustraite qu'en me chassant de Madrid. Il en est de même des communes qui sont entre cette ville et ma capitale, qui touchent immédiatement au territoire de la province de Tolède, puisque Madrid, autrefois simple maison de campagne, était située dans la province de Tolède, et qu'aujourd'hui même, sous le nom de province de Madrid, elle n'a qu'une banlieue extrêmement rétrécie. C'est ainsi qu'Illescas, Naval El Carnero, appartiennent à la province de Tolède. C'est la province de Tolède qui a constamment nourri Madrid; ce ne sont pas les déserts qui la séparent d'avec Avila et Valladolid.
«Vous avez déjà vu, par expérience, ce qu'on peut attendre d'une autorité mixte. Je ne sais si vous savez que le général de l'armée du Portugal, que vous avez laissé à Talavera, a eu infiniment peu d'égards pour le conseiller d'État que j'ai envoyé, sur votre demande, auprès de vous, monsieur le duc, avec la qualité de commissaire royal.
«Mon commissaire de police a été arrêté et emprisonné sous ses yeux à Talavera, etc.
«C'est pour obvier à tous ces inconvénients que je me suis décidé à tracer la ligne de démarcation portée au décret ci-joint. J'espère que vous y applaudirez, et que vous reconnaîtrez bientôt l'avantage d'un système plus simple, plus juste, et seul exécutable.
«Mon ministre de l'intérieur, qui va résider quelque temps encore à Tolède, n'oubliera rien pour que les malades de l'armée de Portugal soient traités le mieux possible.
«Il me paraîtrait, monsieur le duc, que vous devriez vous attacher à faire réunir le plus d'approvisionnements possibles à Talavera; et je pense que le moyen d'obtenir des paysans n'est pas de tout enlever dans un canton, comme on a déjà fait, mais de se contenter du tiers ou de la moitié des récoltes.
«Je donne les ordres les plus précis pour que mes agents civils et militaires obéissent en tout aux ordres que vous ferez donner dans la partie de la province de Tolède assignée à l'armée de Portugal, dans celles d'Avila, Estramadure et le partido de Talavera. J'espère que vous voudrez bien donner les mêmes ordres, afin qu'un même village ne se trouve pas pressé à la fois par les demandes de l'armée de Portugal et par celles de mon gouvernement.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU MAJOR GÉNÉRAL
Placencia, le 16 septembre 1811
«Je reçois la lettre que Votre Altesse m'a fait l'honneur de m'écrire le 30 août, dans laquelle elle me fait connaître que l'Empereur veut savoir ce qui a été perçu, tant en argent qu'en denrées, par l'administration de l'armée de Portugal dans les arrondissements qu'elle a occupés. Je croyais avoir répondu, par rapport à l'argent, de manière à éclairer complétement l'Empereur. L'armée de Portugal, jusqu'à ces derniers temps, n'ayant point eu de territoire, n'a pu lever aucune contribution, et n'avait pas même perçu un sol. C'est le 1er août seulement que j'ai reçu votre lettre du 10 juillet, qui me faisait connaître que Sa Majesté déterminait, pour l'arrondissement de l'armée de Portugal, les provinces de Truxillo, Placencia, Talavera, Avila et de Tolède. C'est donc dans le courant de ce mois d'août seulement que j'ai pu faire les dispositions pour faire effectuer des rentrées de fonds; et ainsi il est assez naturel que le 20 août, époque à laquelle il n'y avait encore rien de perçu, vous n'en fussiez pas instruit. Aujourd'hui même à peine les recettes commencent-elles à s'effectuer, et les fonds perçus étant encore en grande partie entre les mains des percepteurs royaux et n'ayant pu être encore versés dans la caisse du receveur central, en raison des distances et de la difficulté des communications, je ne puis en envoyer à Votre Altesse un état général. Tout ce que je sais par les rapports des divers arrondissements, c'est qu'ils s'élèvent à cent soixante et onze mille francs, à compte de l'impôt de un million que j'ai établi par un arrêté dont copie est ci-jointe. Mais la levée de cet impôt ne pourra pas se réaliser si les obstacles qui s'y opposent restent les mêmes. J'ai eu l'honneur de vous rendre compte que le roi d'Espagne, sur l'assistance duquel je croyais pouvoir compter pour me donner les moyens d'administrer, avec autant d'ordre que possible, les provinces déterminées pour l'arrondissement de l'armée de Portugal, me le refuse; le préfet de Tolède ne me fait pas même l'honneur de répondre à mes lettres et a donné formellement l'ordre à toutes les autorités de se refuser à toutes les réquisitions de l'armée de Portugal. Les ministres ont déclaré que l'armée de Portugal ne devait lever aucun impôt dans la province de Tolède, et les mêmes ministres donnent des ordres, dans les provinces d'Avila et Talavera, qui sont en opposition avec les miens. J'ai demandé au roi un commissaire supérieur pour mettre de l'ensemble dans l'administration et être mon intermédiaire dans l'exécution de toutes les dispositions administratives qui seraient relatives à ces provinces; il m'a envoyé M. Amoros, conseiller d'État, mais qui aujourd'hui se retranche sur ce que ses instructions et les ordres des ministres sont en opposition avec ceux que je donne, et qui tendent à consacrer la totalité des ressources de l'arrondissement à l'armée. Enfin, désirant dans toutes mes opérations me servir des employés espagnols, afin de ménager l'opinion et faire une chose agréable au roi, je ne puis cependant suivre cette marche, attendu que je n'ai pu obtenir du roi l'ordre qu'ils eussent à m'obéir.
«Quant aux rentrées en denrées, elles sont assez peu considérables, par la raison qu'eu égard à la nullité absolue de nos transports il a fallu répartir les troupes chez les habitants, de manière à les faire vivre par le secours des autorités locales et sur les lieux mêmes.
«On n'a envoyé de l'orge et du grain que dans les lieux où il était absolument indispensable d'ajouter aux ressources des habitants. Ces ressources sont presque partout épuisées, et il faudra replacer l'armée en arrière pour en trouver de nouvelles; ainsi de proche en proche, tant que nous n'aurons pas des moyens de transport. On s'occupe à dresser l'état de toutes les denrées qui ont été requises et réunies, et j'aurai l'honneur de l'adresser à Votre Altesse par la première estafette.
«L'armée de Portugal est dans la situation la plus difficile; le territoire que Sa Majesté lui a assigné n'est pas le quart de ce qui serait nécessaire à son entretien. L'Estramadure n'avait d'autre richesse que celle de ses troupeaux; ils ont été mangés depuis trois ans; il ne reste qu'un désert tout à fait inculte. La province d'Avila, qui est peu considérable, a eu cette année une récolte qui ne s'élève pas à la moitié de celle des autres années. Enfin la province de Tolède m'est disputée par le roi, et mes ordres y sont méconnus, tant pour ce qui est relatif à l'administration qu'au mouvement des troupes, ce qui met à la discrétion d'un général qui n'est pas sous mes ordres mes dépôts et mes hôpitaux.
«L'armée de Portugal a des besoins de toute espèce; mais, avec le peu de ressources qui lui est offert, avec la contrariété qu'on rencontre partout et qui naît encore de la division des commandements, j'avoue que je ne puis envisager les résultats qu'avec une vive inquiétude. L'Empereur est étonné que je n'écrive pas plus souvent à Votre Altesse. Ce n'est pas faute de lui écrire, c'est que mes lettres ne lui parviennent pas. Je n'ai pas pu obtenir seulement qu'à Madrid on fît la moindre disposition pour assurer la communication avec l'armée et l'arrivée des estafettes et des courriers: et, quoique j'aie placé des troupes jusqu'à douze lieues de Madrid, il est arrivé fréquemment alors que des dépêches sont restées douze ou quinze jours entre Madrid et Talavera, oubliées dans un village par insouciance ou par l'abandon où sont toutes les branches du service. Que puis-je faire là où je n'ai nulle autorité? La responsabilité ne peut en peser sur moi.
«Les besoins de l'armée de Portugal sont étendus en raison de la force de cette armée et en raison de tous les moyens qu'elle a consommés dans la campagne de Portugal; elle a un territoire très-borné, stérile en grande partie ou dévasté; elle ne possède pas une seule ville qui offre des ressources, et encore mon autorité est sans cesse contrariée par une autorité que je ne puis combattre. A côté de cela, l'armée du Midi est dans le pays le plus fertile de l'Espagne, abondant en toute espèce de denrées, riche en argent, plein de villes d'une grande population, et administré depuis deux ans d'une manière méthodique et par une autorité reconnue. L'armée du Nord a un territoire immense et de la plus grande fertilité. L'armée d'Aragon est dans une position meilleure encore. L'armée de Portugal est donc la seule dont aucune ressource ne soit proportionnée à ses besoins et dépendant de tout le monde pour ses communications. Pour assurer l'arrivée des secours que Sa Majesté lui envoie, l'Empereur peut juger de sa position dans cette stérile vallée du Tage, où elle ne peut rien créer par elle-même et où il faut qu'elle attende tout des autres.
«Il est indispensable que Sa Majesté augmente le territoire de l'armée de Portugal; qu'elle daigne prendre des mesures pour y faire reconnaître mon autorité sans contradiction, et qu'elle m'assure des places qui, ne dépendant que de moi et offrant des ressources, puissent me servir de dépôts; enfin qu'elle daigne m'accorder aussi des moyens de transport, sans lesquels il est impossible que l'armée prépare et exécute aucun mouvement.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU MAJOR GÉNÉRAL.
«Placencia, le 16 septembre 1811.
«Je reçois en ce moment les deux lettres chiffrées que Votre Altesse m'a fait l'honneur de m'écrire le 24 août. J'avais compris depuis longtemps l'intention de Sa Majesté sur le rôle que doit jouer l'armée de Portugal, et depuis longtemps j'ai pris ma ligne d'opération par Talavera et Madrid. Sa Majesté peut être assurée que j'ai et j'aurai l'oeil ouvert sur ce qui se passera dans le Midi. Je suis parfaitement informé de tous les mouvements de l'ennemi; de Placencia, on est, avec une facilité extraordinaire, instruit de tout ce qui se passe dans les différentes directions: par Alcantara, de tout ce qui se passe dans l'Alentejo; par Castel-Branco, de ce qui se passe sur les bords du Tage, et par Valverde, de ce qui se passe aux environs de Rodrigo. Pour ce moment, l'Empereur peut être tranquille sur le Midi. Il n'y a plus sur la rive gauche du Tage que la division Hill, de sept à huit mille hommes, y compris les Portugais. Les sept autres divisions de l'armée anglaise sont en arrière et à peu de distance de Rodrigo. Tous les rapports annoncent l'arrivée de canons de siége et la construction de beaucoup de fascines et gabions. Les Anglais veulent-ils faire le siége de la place de Rodrigo? veulent-ils seulement le faire croire et rétablir le fort de la Conception et Almeida? C'est ce que j'ignore. Nous saurons à quoi nous en tenir lorsque nous serons sur les lieux. Si Rodrigo eût eu des approvisionnements, je n'aurais fait aucun mouvement jusqu'à ce que l'ennemi eût entrepris des opérations positives: mais, l'approvisionnement de la place devant finir dans les premiers jours d'octobre, il n'y a plus de temps à perdre pour en conduire de nouveaux, et, comme toute l'armée anglaise est là pour s'y opposer, il faut que toute l'armée française soit réunie pour soutenir le convoi et imposer par sa présence ou ouvrir le chemin si l'ennemi voulait le barrer. C'est dans cet esprit que j'ai invité le général Dorsenne à rassembler le plus de forces qu'il pourrait, et que j'ai envoyé l'ordre au général Vandermaesen de hâter sa marche; mais il paraît que le général Dorsenne lui a donné l'ordre de rester sur la communication de Valladolid à Bayonne.
«Sa Majesté pense que je ne dois en rien m'occuper du Nord, et que les Anglais ne pourraient venir jusqu'à Valladolid que pour leur perte. La vérité de cette opinion est facile à apprécier, et je n'ai jamais éprouvé la crainte qu'ils y allassent. Ce serait déjà beaucoup qu'ils osassent venir jusqu'à Salamanque; mais ce que je redoute pour le Nord, c'est la prise de Rodrigo; car, il ne faut pas se faire illusion. Rodrigo est une place des plus mauvaises de l'Europe, et qui ne doit pas tenir quinze jours si elle est attaquée avec des moyens convenables. On ne doit rien conclure de la défense qu'elle a faite, attendu qu'il est impossible d'attaquer une place plus mal que nous ne l'avons fait, et que les Espagnols avec cinq mille hommes qui, garnissant les faubourgs, en avaient fait une seconde place. Ainsi, si Rodrigo était assiégé, il n'y aurait pas un instant à perdre pour aller à son secours, et il faut y avoir l'oeil.
«J'ai fait repasser le Tage à la division du général Foy, qui était à Truxillo, attendu qu'elle ne pouvait pas rester isolée pendant le mouvement que je vais faire au col de Baños. D'ailleurs, le pays entre le Tage et la Guadiana est si malsain, que le tiers de cette division a été à l'hôpital. Le reste y serait entré de même si elle y eût passé le mois de septembre, et il me paraît qu'avant tout, en Espagne, il faut conserver ses soldats et ses moyens. J'ai fait placer les malades et les convalescents dans les montagnes, où, par le simple changement d'air, ils se rétablissent à vue d'oeil. Indépendamment de ces considérations, il est impossible à une division de vivre à Truxillo. Il faudrait au moins quinze cents chevaux pour occuper le pays et assurer la rentrée de ses subsistances, et, comme je n'ai pas deux mille cinq cents hommes à mettre en campagne, il est impossible de lui en donner quinze cents; car il faut conserver quelques hommes pour combattre. Dans tous les pays, la cavalerie a besoin d'être ménagée; mais ici, soit que cela tienne aux chaleurs, à la nourriture, ou à l'espèce de chevaux, ou à la nécessité absolue où l'on est de les charger de beaucoup de subsistances, il est impossible de se faire une idée exacte de la rapidité avec laquelle la cavalerie se fond quand elle est en mouvement. Pour pouvoir tenir quinze cents chevaux sur la rive gauche du Tage, il faudrait que j'en eusse cinq à six mille et les faire relever fréquemment.
«La division Foy étant affaiblie par les maladies, un corps de troupes étant indispensable pour couvrir la vallée du Tage sur la rive droite, mes dépôts et mes malades, et conserver ma communication, elle restera à Placencia, poussant des partis sur le col de Peralès, pendant qu'avec cinq autres divisions je me porterai sur le col de Baños, et le 22 à Tamamès avec mon avant-garde.
«Je me concerterai avec le général Dorsenne, et, s'il y consent, nous porterons toute notre cavalerie jusqu'à Rodrigo. Une fois l'intention de l'ennemi connue, nous pourrons faire entrer dans cette place tout le convoi qui a été préparé à Salamanque et en renouveler la garnison si, conformément aux ordres que vous m'avez annoncés à plusieurs reprises, le général Dorsenne a désigné les troupes qui doivent remplacer les miennes. Une fois cette opération terminée, je ramènerai l'armée de Portugal dans la vallée du Tage; et, si nous recevons enfin des chevaux d'artillerie et le matériel, si les ordres de Sa Majesté s'exécutent en ce qu'ils ont de favorable à l'armée de Portugal, si, enfin, elle augmente ses ressources et ses moyens, son sort s'améliorera rapidement.
«J'ai écrit une multitude de lettres au duc de Dalmatie pour le prévenir de mon mouvement et l'engager à en faire faire un au corps du général Drouet en Estramadure, qui occupe au moins la division anglaise qui y est restée, et les corps espagnols qui sont sur la frontière. Je n'en espère rien; mais, par la nature des choses, il doit y avoir un tel accord entre les mouvements des troupes qui sont sur la Guadiana, le Tage et la Tormès, puisqu'elles sont en ligne et ont affaire au même ennemi, qu'elles devraient être sous le commandement du même général, et ce général ne peut être que celui qui est placé au centre, parce qu'il est instruit avec une extrême précision et une grande promptitude de tout ce qui se passe de tous les côtés. Telle est au moins la disposition qui me semblerait jusqu'à l'évidence commandée par l'intérêt du service de l'Empereur.
«M. de Canouville, aide de camp de Votre Altesse, est parti d'ici, il y a quatre jours, pour retourner à Paris. Il est porteur d'un état de situation bien circonstancié, ainsi que des renseignements que Sa Majesté peut désirer sur la situation de l'armée.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU ROI JOSEPH.
Ciudad-Rodrigo, le 30 septembre 1811.
«Sire, je reçois la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 14 septembre.
«Si vous daignez envisager l'étendue des besoins de l'armée de Portugal, vous apprécierez, Sire, les difficultés de ma position. Il serait facile de démontrer qu'il est absolument impossible à l'armée de vivre longtemps dans l'arrondissement que l'Empereur lui a assigné; mais sa situation devient tout à fait déplorable et critique lorsque Votre Majesté me retire la portion de pays qui, seule, est encore intacte et offre quelques ressources. Je suis profondément affligé de penser que les mesures que je ne puis pas me dispenser de prendre pour assurer le bon ordre et prévenir la dévastation des provinces me font courir le risque de vous déplaire; et, si Votre Majesté rend justice à mon respect, à mon ancien attachement pour sa personne, elle sentira quel est l'empire des circonstances, puisque je me vois forcé de m'y exposer. Votre Majesté trouve contraire à sa dignité de mettre la province de Tolède à la disposition de l'armée de Portugal. Je ne tiens pas à en avoir l'administration si Votre Majesté s'y refuse; mais c'est du blé et de l'argent que je demande; et cet argent et ce blé sont employés a nourrir les soldats qui combattent pour vos intérêts. C'est par des efforts inouïs que l'armée a pu vivre dans la position où je l'avais placée; mais il est d'une impossibilité absolue de la maintenir dans les mêmes lieux. L'Estramadure est un désert; la division qui était à Truxillo a souffert tout ce qu'il est possible d'imaginer, et la famine autant que d'autres motifs m'ont forcé de la retirer de ce canton. Elle a grand besoin de se refaire. La partie la plus voisine du Portugal offre plus de ressources; mais il faudrait plus de cavalerie que je n'en ai pour pouvoir s'y soutenir sans danger. Plus tard, d'ailleurs, lorsque, ayant des transports, je pourrai occuper Alcantara, les subsistances de ce canton me seront extrêmement précieuses. J'ose donc espérer que Votre Majesté, en s'en rapportant à la droiture de mes intentions, à la pureté de mes vues, me pardonnera si, dans le nouveau placement des troupes, je me vois forcé d'envoyer une division à Tolède. Le général Foy, qui s'y rendra, trouvera moyen, j'espère, de concilier, dans ses rapports avec les autorités espagnoles, le respect qu'il doit au nom de Votre Majesté avec les besoins de l'armée. Si l'ennemi m'avait forcé de me rapprocher de Madrid, Votre Majesté ne trouverait pas étrange que l'armée s'y portât. C'est la famine qui m'y oblige aujourd'hui; et cet ennemi-là est bien plus redoutable que les Anglais.
«J'ai demandé à Votre Majesté un commissaire royal; je l'ai fait dans l'intention droite de mettre de l'ordre dans l'administration; mais j'avoue que je n'avais pas imaginé qu'il entraverait la marche des affaires au lieu de l'accélérer. Jusqu'ici, par son moyen, je n'ai pu obtenir de quoi donner un jour de pain à l'armée. Que serait-il donc arrivé si le général Lamartinière, par le zèle le plus remarquable, n'avait pas trouvé moyen de pourvoir à nos besoins? Les horribles scènes du Portugal se seraient renouvelées ici; car, après tout, ceux qui ont les armes à la main ne meurent jamais de faim les premiers. M. Amoros ne s'est, à ce qu'il paraît, occupé que de vaines prétentions de vanité et de préséance, et cependant nous sommes dans une situation à penser à toute autre chose qu'à de pareilles futilités. Le général Lamartinière a fait arrêter le commissaire de police de Talavera; mais il ne lui rendait aucun compte; et, certes, la sûreté de la ville, celle des Français et la tranquillité publique le regardent avant tout, puisque l'emploi des troupes est constamment nécessaire. Votre Majesté n'ignore sans doute pas qu'on assassine les Français dans les rues de Talavera et à la porte de la ville: très-certainement la haute police ne peut en ce moment regarder que l'autorité militaire.
«Sire, après avoir entretenu Votre Majesté de ce qui regarde la subsistance de l'armée, je dois la supplier de remarquer que, quant au commandement territorial, il est de la plus haute importance, pour la conservation d'une armée, que le général qui la commande commande également dans tout le territoire qu'elle occupe, dans les lieux où sont ses dépôts, ses magasins et ses hôpitaux. C'est parce que la division des commandements en Espagne a empêché qu'un pareil état de choses existât, que tant d'hommes ont disparu faute de soins, faute d'ordre et de dispositions conservatrices. Je ferai tout au monde pour remplir les intentions de Votre Majesté quand elle daignera me les faire connaître; mais il faut que j'en sois l'organe et que je commande là où sont mes hôpitaux, mes dépôts et mes troupes, sous peine de les voir tomber dans l'état d'abandon où je les ai pris, et de trahir tout à la fois les intérêts de l'Empereur, les vôtres et mes devoirs les plus sacrés.
«La situation actuelle des choses va me donner quelques moments de disponibles. Je vais me rendre à Talavera pour chercher à tout concilier autant qu'il sera en mon pouvoir; je mettrai le même empressement à aller à Madrid pour rendre mes devoirs à Votre Majesté, comme j'en ai le projet depuis longtemps. Si je ne puis pas parvenir, Sire, à vous satisfaire, je vous prie d'en accuser les circonstances et l'impuissance de mes efforts, et non mes intentions.
«Je n'ai pas reçu le décret dont Votre Majesté me fait l'honneur de m'entretenir, et qu'elle m'annonçait être contenu dans sa lettre.»
JOSEPH AU MARÉCHAL MARMONT.
«Madrid, le 9 octobre 1811.
«Monsieur le maréchal, je reçois vos lettres du 30 septembre. Je vous félicite sur votre heureuse expédition de Ciudad-Rodrigo.
«Je sens la difficulté de votre position sur le Tage, et je me détermine à envoyer auprès de vous le marquis d'Almenara et le colonel Duprez, pour aplanir toutes les difficultés qui pourraient s'élever sur le remplacement des troupes de l'armée du Centre par celle du Portugal dans la province de Tolède. Il faut conserver le plus que possible, monsieur le duc; l'avenir présente des inquiétudes sur les subsistances. Il faut que l'armée de Portugal vive, mais il faut aussi que celle du Centre et la capitale puissent vivre, même à l'époque où vous quitterez le Tage.
«J'ai donné mes instructions au marquis d'Almenara; j'aurai pour agréable tout ce que vous arrêterez: je compte sur votre ancien attachement autant que sur votre sagesse et votre prévoyance.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Amsterdam, le 18 octobre 1811.
«Votre aide de camp, le chef de bataillon Jardet, est arrivé hier au soir, monsieur le duc; j'ai mis sous les yeux de l'Empereur vos dépêches. Sa Majesté est satisfaite du mouvement combiné de ses armées du Nord et de Portugal, qui a eu pour but et pour résultat de ravitailler complétement Ciudad-Rodrigo.
«Sa Majesté a vu également avec plaisir l'avantage qu'ont eu ses troupes, en forçant la position retranchée de l'avant-garde de l'armée anglaise rejetée sur Alfaiatès et Sabugal.
«L'Empereur, monsieur le maréchal, m'ordonne de vous faire connaître que nous recevons aujourd'hui des nouvelles du général Suchet, qui rend compte qu'il est devant Murviedro, qu'il fait ses dispositions pour le siége de Valence. L'armée d'Aragon fait une opération de la plus grande importance, et le principal objet aujourd'hui est Valence. L'intention de l'Empereur est donc, monsieur le maréchal, que vous facilitiez au roi d'Espagne les moyens de porter le plus de troupes possible de l'armée du Centre sur Cuença, afin de soutenir le général Suchet s'il y avait lieu. Écrivez au roi à cet égard, et faites ce que Sa Majesté désirera. Dans huit jours je vous expédierai votre aide de camp.»
LE MARÉCHAL SOULT AU MARÉCHAL MARMONT.
Séville, le 2 novembre 1811.
«Vous serez sûrement instruit, lorsque ma lettre vous parviendra, de l'échec que le général de division Girard a éprouvé à Arroyo-Molinos, en revenant de Cacerès, où il avait été envoyé pour seconder les opérations que vous dirigiez sur la rive droite du Tage, d'après l'invitation que vous m'aviez faite à ce sujet, et aussi pour favoriser la marche de la colonne destinée pour l'armée du Midi et pour Badajoz, qui doit déboucher par Almaraz, et m'a été annoncée, depuis trois mois, par Son Altesse Sérénissime le prince de Neufchâtel.
«Le 28 octobre au matin, le général Girard s'est honteusement laissé surprendre à Arroyo-Molinos, au moment où il allait se mettre en marche pour rentrer à Merida, par un corps de dix mille Anglais, commandé par le lieutenant général Hill; deux régiments, le 34e et le 40e, ont été défaits, et nous avons éprouvé des pertes; nous n'avons pas même de nouvelles des généraux Girard, Dembouski et Brun, non plus que du duc d'Aremberg: le 30, le lieutenant général Hill avait son quartier à Merida.
«Je ne pense pas que les Anglais soient dans l'intention de pousser plus loin leur pointe, je suppose même qu'ils rentreront en Portugal; cependant je fais, autant que mes moyens le permettent, toutes les dispositions que les circonstances peuvent exiger: mais dans tous les cas cela est insuffisant; j'ai donc l'honneur de prier Votre Excellence de vouloir bien faire des démonstrations sur la rive gauche du Tage, et de pousser une colonne vers Merida, afin de rétablir la communication entre les deux armées, et pour obliger tous les corps ennemis qui sont en Estramadure à rentrer en Portugal; l'apparition de cette colonne, et les mouvements que je ferai opérer sur la rive gauche de la Guadiana, suffiront pour éloigner de Badajoz les corps ennemis qui auraient pu s'approcher de cette place, et qui en auraient momentanément intercepté les communications; du moins résulterat-il que, nos rapports étant rétablis, nous pourrons plus facilement concerter tes nouvelles dispositions que les circonstances nous mettront dans le cas de prendre.
«J'ai aussi l'honneur de vous prier, monsieur le maréchal, de vouloir bien en même temps faire diriger sur l'armée du Midi, par Merida, les divers corps de troupes qui, d'après les ordres de Son Altesse Sérénissime le prince major général, doivent la joindre, et se trouvent dans l'arrondissement de l'armée de Portugal: ces troupes se composent de la moitié de la colonne que commandait le général Vandermaesen, laquelle est chargée de la conduite d'un convoi de fonds, du quarante-quatrième bataillon de la flottille, d'un détachement provenant du 10e de dragons, destiné pour les 17e et 27e régiments de la même arme, du régiment de Hesse-Darmstadt, destiné pour Badajoz, d'une compagnie de sapeurs, et de divers autres détachements.
«Son Altesse Sérénissime le prince major général m'a fait l'honneur de me prévenir, par ses dernières dépêches, que l'intention de l'Empereur était que vous tinssiez, à poste fixe, deux divisions d'infanterie et un corps de cavalerie à Truxillo, afin d'être en mesure de vous porter sur la Guadiana, si les circonstances l'exigeaient, et pour avoir la facilité d'être instruit journellement de ce qui se passe du coté de Badajoz; cette disposition est d'une telle importance, que je ne puis me dispenser d'en réclamer l'exécution, et de vous prier, monsieur le maréchal, de vouloir bien me faire part des ordres que vous donnerez à ce sujet.
«L'armée du Midi est en ce moment très-engagée; le quatrième corps, qui est sur la gauche, maintient l'armée insurgée de Murcie, qui ne cesse de me donner de l'occupation et de faire des efforts pour se réorganiser; il doit aussi former un double cordon pour empêcher toute communication avec la province de Murcie, où la fièvre jaune exerce les plus grands ravages, toutes les communes, même les troupes espagnoles, en étant infectées.
«Le premier corps est employé au siège de Cadix, et doit contenir une espèce d'armée, déjà de douze mille hommes, Anglais et Espagnols, qui se forme à Tarifa et à Algesiras.
«Vous savez ce qui se passe en Estramadure, et vous connaissez l'immense étendue de pays que je dois garder.
«D'après ces motifs, je ne puis qu'inviter très-particulièrement Votre Excellence à prendre en sérieuse considération les demandes et propositions que j'ai l'honneur de lui faire.
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, le 20 novembre 1811.
«Je vous renvoie, monsieur le duc, votre aide de camp, le colonel Jardet; l'Empereur me charge de vous faire connaître que la grande affaire du moment est la prise de Valence; vous devez être instruit des avantages que vient de remporter M. le maréchal Suchet sur l'armée de Blake, et de la prise des forts de Sagonte; je joins ici des exemplaires du Moniteur, dans lesquels vous en verrez les détails; vous y verrez aussi que les Anglais ont dix-huit mille malades et paraissent décidés à rester sur la défensive. Il est indispensable, si Valence n'est pas pris, que vous fassiez un détachement de six mille hommes, qui puisse se réunir avec ce que l'armée du Centre aura de disponible et marcher au secours du maréchal Suchet; aussitôt Valence pris, beaucoup de troupes seront disponibles, et vous vous trouverez considérablement renforcé; alors commenceront les grandes opérations de votre armée.
«A cette époque, c'est-à-dire vers la fin de janvier, après la saison des pluies, vous devrez vous porter, avec l'armée de Portugal et partie de celle du Midi, sur Elvas et inonder l'Alentejo, tandis que l'armée du Nord, renforcée d'une partie de l'armée de réserve, se portera sur la Coa et Alfaiatès; mais l'objet important, dans ce moment, est la prise de Valence; l'Empereur ordonne donc, monsieur le maréchal, que vous mettiez de suite une division en mouvement. Instruisez-moi des dispositions que vous ferez à cet égard.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, le 21 novembre 1811.
«L'Empereur me charge de vous faire connaître, monsieur le maréchal, que l'objet le plus important, en ce moment, est la prise de Valence; l'Empereur ordonne que vous fassiez partir un corps de troupes qui, réuni aux forces que le roi détachera de l'armée du Centre, se dirige sur Valence pour appuyer l'armée du maréchal Suchet, jusqu'à ce qu'on soit maître de cette place.
«Faites exécuter, sans délai, cette disposition, de concert avec Sa Majesté le roi d'Espagne, et instruisez-moi de ce que vous aurez fait à cet égard. Nous sommes instruits que les Anglais ont vingt mille malades et qu'ils n'ont pas vingt mille hommes sous les armes, en sorte qu'ils ne peuvent rien entreprendre; l'intention de l'Empereur est donc que douze mille hommes, infanterie, cavalerie, sapeurs, marchent de suite sur Valence; que vous détachiez même trois à quatre mille hommes sur les derrières pour maintenir les communications, et que vous, monsieur le maréchal, soyez en mesure de soutenir la prise de Valence. Cette place prise, le Portugal sera près de sa chute, parce qu'alors, dans la bonne saison, l'armée de Portugal sera augmentée de vingt-cinq mille hommes de l'armée du Midi, et de quinze mille hommes du corps du général Reille, de manière à réunir plus de quatre-vingt mille hommes. Dans cette situation, vous recevriez l'ordre de vous porter sur Elvas et de vous emparer de tout l'Alentejo, dans le temps que l'armée du Nord se porterait sur la Coa avec une armée de quarante mille hommes. L'équipage de pont, qui existe à Badajoz, servirait à jeter des ponts sur le Tage. L'ennemi serait hors d'état de rien opposer à une pareille force qui offre toutes les chances de succès, sans présenter aucun danger. C'est donc Valence qu'il faut prendre. Le 6 novembre, nous étions maîtres d'un faubourg; il y a lieu d'espérer que la place sera prise en décembre, ce qui vous mettrait, monsieur le duc, à portée de vous trouver devant Elvas dans le courant de janvier; envoyez-moi votre avis sur le plan d'opération, afin qu'après avoir reçu la nouvelle de la prise de Valence l'Empereur puisse vous donner des ordres positifs.»
COMMENTAIRES SUR LA CORRESPONDANCE OFFICIELLE
QUI PRÉCÈDE.
L'esprit des lettres ci-dessus doit être médité dans son ensemble. Dès ce moment, on voit Napoléon se placer dans un monde idéal créé par son imagination. Il bâtit dans le vide, il rêve ce qu'il désire, et donne des ordres, comme s'il ignorait le véritable état des choses, et qu'on lui eût caché la vérité.
L'armée de Portugal est forte de trente-deux mille hommes; il lui donne un assez vaste territoire pour vivre; mais le territoire, riche et productif, est placé à plus de soixante lieues de la frontière, et l'armée et le pays sont sans moyens de transport. Or il faut, pour vivre, de deux choses l'une: ou que les subsistances soient apportées aux troupes, ou que celles-ci aillent les chercher. Ce sont les provinces de Tolède et d'Avila qui seules possèdent des ressources, le reste n'est qu'un désert: et il demande que l'armée occupe Alcantara, situé sur la frontière même de Portugal, qui est une ville ouverte; qu'on y exécute des travaux pour en faire un poste défensif; mais, pour protéger ces travaux, il eût fallu qu'une masse de troupes respectable, et une forte division au moins y fût réunie et se tînt constamment rassemblée: il eût fallu, pour faire vivre pendant un mois dix mille hommes, prendre des ressources à trente lieues alentour, et pour cela éparpiller les troupes. Ainsi une station prolongée à Alcantara était tout à fait impossible. Napoléon veut qu'un tiers de l'armée et la cavalerie occupent Truxillo, et toute cette partie de l'Estramadure est sans habitants, sans culture, et soumise à l'influence la plus délétère et la plus malsaine. Il veut que l'on communique journellement avec Rodrigo, qui est à soixante lieues de distance, ce qui ne pouvait se faire qu'au moyen d'échelons multipliés, et il oublie l'état de l'Espagne, qui était tel, que le commandement effectif et réel se réduisait seulement au lieu que couvrait l'ombre des baïonnettes.
Ainsi, pour obtenir le moindre secours, exploiter les moindres ressources, il fallait la présence des troupes: de là un éparpillement indispensable, immense, qui ôtait toute consistance et toute mobilité à l'armée; état de choses dont cette guerre d'Espagne offre peut-être un exemple unique dans l'histoire, au moins d'une manière si permanente; état de choses, qui n'a jamais cessé d'être le même pendant tout le temps que j'ai commandé.
Ce n'était pas assez; il eût voulu que j'occupasse encore Merida, que je fisse fortifier cette ville, située à trente lieues du Tage, et avec laquelle je ne pouvais communiquer que par un autre désert, en marchant parallèlement à la frontière de Portugal, tandis qu'elle se trouvait naturellement la tête de l'armée du Midi, chargée de Badajoz. Il voulait enfin que j'eusse un fort à Baños, à trente lieues du côté opposé. En lisant de pareilles instructions, on croit entendre rêver.
Il reconnaît cependant que des forces considérables sont indispensables et qu'on est loin d'en posséder le chiffre: il annonce de puissants renforts; parmi les premiers est une colonne de six mille hommes, et de huit cent cinquante chevaux, conduite par le général Vandermaesen, qui se compose de régiments de marche des corps de l'armée de Portugal; mais cette colonne est retenue partout par l'urgence des besoins, et employée à toutes les corvées: elle ne rejoint l'armée de Portugal qu'à la fin de l'année, réduite de plus de moitié.
On annonce que l'armée du Nord va être renforcée et que, dès le 15 août, elle pourra prendre position sur la Coa et couvrir Rodrigo; et cependant cette armée est dans une telle détresse, ainsi qu'on le voit par les lettres du duc d'Istrie, qu'elle retient non-seulement la colonne du général Vandermaesen, mais encore les hommes de l'armée de Portugal, sortis des hôpitaux, et organisés en corps provisoires qui font le service à l'armée du Nord.
Ce sont des rêves pareils qui fondent les calculs d'une campagne de guerre, des projets d'opérations, la sécurité de l'avenir!
On laisse les agents du roi dans les provinces destinées à faire vivre l'armée de Portugal, et ils font vider les magasins et vendre les approvisionnements qu'ils renferment avant l'arrivée des troupes; c'est ainsi qu'ils pourvoient à leurs besoins. Cependant, de toutes ces dispositions, une seule s'exécute, celle qui concerne la garnison de Rodrigo: cette place ne regarde plus directement l'armée de Portugal, elle appartient à l'armée du Nord; c'est le général de celle-ci qui en reçoit les rapports, qui fournit les troupes, et nomme le commandant; c'est à lui de veiller sur elle, et de pourvoir à sa conservation, sauf le cas d'un siége où l'armée de Portugal doit venir à son aide et lui porter assistance.--Tels sont les préliminaires d'une campagne où les ordres contradictoires vont se succéder et les illusions grandir jusqu'à ce qu'elles deviennent de véritables aberrations.
OBSERVATIONS SUR LA CORRESPONDANCE DE 1811, SUR CELLE DE 1812, ET RÉCIT HISTORIQUE DES CAUSES DU SIÉGE DE RODRIGO, ET DE L'ENLÈVEMENT DE CETTE PLACE.
Les pièces indiquées ci-dessus présentent le tableau de contradictions sans exemple, et d'une confusion dans les projets qui explique suffisamment la cause de tous les malheurs de l'Espagne, et donne le moyen de reconnaître, en outre, la bonne foi qui règne dans la discussion des événements.
La prise de Rodrigo est l'effet immédiat des dispositions impératives ordonnées par l'Empereur.
CORRESPONDANCE DE 1811.
Par la lettre du 20 novembre, le prince de Neufchâtel, major général, m'écrit pour me faire connaître, de la part de l'Empereur, que l'armée anglaise a dix-huit mille hommes malades, et que l'importance de la prise de Valence le décide à me donner l'ordre de détacher six mille hommes à l'armée de Portugal pour concourir aux opérations du général Suchet.
MÊME CORRESPONDANCE.
Le lendemain, 21, il répète que l'armée anglaise a vingt mille malades, qu'il ne lui reste pas vingt mille hommes sous les armes. Il me prescrit de détacher sur Valence non plus six mille hommes, mais un corps de douze mille hommes soutenus par une division de trois à quatre mille hommes, afin de faciliter les opérations du maréchal Suchet; et il annonce qu'une fois Valence pris je recevrai l'ordre de déboucher par la rive gauche du Tage sur Elvas, de m'emparer d'Alentejo, et que l'armée de Portugal sera augmentée de vingt-cinq mille hommes de l'armée du Midi, et de quinze mille hommes du corps du général Reille, tandis que l'armée du Nord se portera à quarante mille hommes sur la Coa.--Voilà un bel ensemble de dispositions, un vaste plan dont le succès est assuré; mais il n'y a qu'une observation à faire, c'est que tout cela était le rêve d'une imagination exaltée. Rien de réel n'existait. Les Anglais, dans le repos et l'abondance, occupant un pays sain, n'avaient pas de malades et étaient tout prêts à agir.
Les troupes qui devaient accroître l'armée de Portugal ne se trouvaient nulle part, et aucune base solide ne donnait le moyen de réaliser le projet annoncé.
Mais, à peine le détachement sur Valence est-il fait, Napoléon change d'avis, et, non content d'avoir ainsi disséminé l'armée de Portugal, il rappelle en France une partie de l'armée du Nord, et ordonne un déplacement universel des troupes, change tout le système de placements, ce qui fait qu'il n'y a plus de troupes réunies nulle part en mesure d'agir.
Le 13 décembre, vingt-deux jours après les ordres précédents, le prince de Neufchâtel m'écrit pour me faire connaître les dispositions suivantes, prescrites par l'Empereur.
Il place l'armée de Portugal dans la Vieille-Castille; il compose son territoire des six ou sept gouvernements, c'est-à-dire des provinces de Salamanque, Placencia et de Valladolid, Léon, Palencia, et les Asturies; il augmente l'armée de deux divisions, mais en retirant cinq régiments d'infanterie et deux des troupes à cheval, et en m'ordonnant d'occuper les Asturies. De ces dispositions il résulte en réalité une diminution des forces, eu égard à l'étendue du territoire et à la tâche que j'ai à remplir. Je dois me rendre à Valladolid. Il me prescrit d'augmenter les fortifications d'Astorga, de fortifier Salamanque; il reconnaît, au surplus, qu'aucune offensive contre le Portugal ne peut être prise avant la nouvelle récolte, et m'annonce le départ possible et prochain de la garde.
Pendant que toutes ces belles dispositions, qui jetaient partout la confusion, s'exécutaient, les Anglais avaient les yeux ouverts et se disposaient à entrer en campagne. Je recevais du duc de Dalmatie la lettre du 4 janvier 1812, qui n'était pas de nature à me donner beaucoup de soucis, et, peu après, une lettre du général Dorsenne du 5, dont les avis étaient beaucoup plus sérieux. Étranger au service de Rodrigo, qui n'était pas, je le répète, sous mon commandement, ne pouvant recevoir des nouvelles que par le général Dorsenne, qui jamais ne m'en avait donné, c'était la première nouvelle des dangers qu'allait courir cette place. Ce qui me parut le plus important dans cette lettre fut la phrase relative au général Barrié, qui devait faire redouter un manque d'énergie dans la défense. Puisque le général Dorsenne connaissait la disposition d'esprit et le caractère de ce général, il n'aurait pas dû le choisir pour lui confier un commandement isolé aussi important.
Des nouvelles plus graves ne tardèrent pas à se succéder. Je reçus, à mon arrivée à Valladolid, une lettre du général Thiébault, commandant à Salamanque, qui m'annonçait l'entrée en campagne des Anglais et le passage de l'Aguada; et j'envoyai, par des officiers, dans toutes les directions, aux différentes colonnes qui étaient en route pour aller occuper leurs nouveaux cantonnements, l'ordre de se diriger sur Fuente-El-Sauco et Salamanque, et je m'y rendis moi-même pour marcher sur Rodrigo aussitôt que les troupes seraient réunies; mais les événements se pressèrent tellement, et la résistance de Rodrigo fut si courte (huit jours d'opérations, dont deux jours de feu), qu'il n'y avait pas moyen d'arriver à temps à son secours, quelles qu'eussent été les dispositions prises d'avance.
Mais voici qui devient curieux! C'est la manière dont Napoléon jugea la question et les reproches qu'il m'adressa par sa lettre du 25 janvier, quand il apprit l'entrée en campagne des Anglais. Le prince de Neufchâtel me dit que l'Empereur a vu avec peine la manière dont j'ai fait opérer le général Montbrun. «Il m'avait, ajoute-t-il, donné l'ordre d'envoyer seulement six mille hommes au secours de Valence, qui devaient rejoindre le général d'Armagnac;» mais il se garde bien de dire que, s'il m'a effectivement donné ces instructions par sa lettre du 20 novembre, il m'a ordonné, par une lettre du lendemain, 21 novembre, de mettre en mouvement un corps de douze mille hommes sur Valence, soutenu par une division de trois ou quatre mille hommes, placés en intermédiaire. Telle est la suite des idées de Napoléon, sa mémoire, et sa bonne foi!
Le siége de Rodrigo a été entrepris parce que Wellington a vu l'éparpillement des armées françaises, le départ d'une partie de l'armée du Nord pour la France, et les détachements sur Valence.
La place de Rodrigo a été enlevée en un moment, parce que le général Barrié n'avait aucune énergie et n'a pas fait les plus simples dispositions que comporte la plus misérable défense; et cette reddition, si prodigieusement prompte, a empêché qu'une bataille fût livrée pour délivrer cette place.
Par les dispositions prises au milieu de cette confusion des
changements, je devais avoir réuni en face de l'armée anglaise, sur
l'Aguada, du 26 au 27, trente-deux mille hommes, et, du 1er au 2,
quarante mille. Maintenant, je dois poursuivre. On m'ordonne (même
lettre) d'envoyer une des divisions de l'armée de Portugal à l'armée du
Nord, sans rien changer à sa composition et à sa force, en échange de
trois régiments de marche, qui appartiennent aux corps de mon armée,
renforts qui me sont déjà comptés et annoncés depuis longtemps. On
retire de l'armée du Midi cinq régiments polonais, et on prescrit
d'accélérer leur retour. On ordonne impérativement de faire partir pour
la France tout ce qui appartient à la garde impériale en troupes de
toutes les armes, et on prescrit, comme l'équivalent pour l'armée de
Portugal de la diminution de forces qui s'opère partout, les secours que
pourra donner l'armée du Nord à l'armée de Portugal, dans le cas où
l'armée anglaise s'avancerait en Castille; comme s'il était possible de
compter jamais d'une manière positive sur les mouvements combinés de
généraux indépendants, et en Espagne alors beaucoup moins qu'ailleurs!
Et c'est au moment où les Anglais sont en pleine opération, et assiégent
Rodrigo, que de semblables dispositions sont prises!
Le maréchal duc de Raguse
LE MARÉCHAL SOULT AU MARÉCHAL MARMONT.
«Séville, le 9 décembre 1811.
«Monsieur le maréchal, j'ai l'honneur de vous prévenir qu'en exécution des ordres que Son Altesse Sérénissime le prince major général m'a adressés le 28 octobre dernier, je donne ordre à la septième compagnie du 4e régiment d'artillerie à cheval de se rendre à l'armée de Portugal, sa nouvelle destination: elle arrivera à Tolède le 30 de ce mois, où elle attendra les ordres de Votre Excellence. Cette compagnie n'emmènera que ses chevaux d'escadron.
«Je fais en même temps partir une compagnie de militaires français, appartenant à des régiments de l'armée de Portugal, qui, étant prisonniers de guerre, ont été forcés de servir et faisaient partie de la légion d'Estramadure, commandée par un colonel anglais, sous les ordres de Murillo et du général Castaños. Le sieur Melhiot, tambour-major au 76e de ligne, commande cette compagnie; c'est lui qui l'a conduite à nos avant-postes, il y a quinze jours, du côté de Aljucen: la manière dont il a ménagé sa rentrée lui fait honneur et annonce un homme de caractère; j'ai fait donner tout ce qu'il était possible aux hommes qu'il a ramenés; je dois cependant vous prévenir que, sur la demande du général commandant l'artillerie de l'armée, j'ai fait retenir six à sept hommes pour être incorporés dans l'artillerie, où ils ont demandé à servir; je prie Votre Excellence de l'avoir pour agréable. J'ai écrit au ministre de la guerre pour lui demander de vouloir bien approuver cette incorporation.
«J'ai reçu votre réponse au sujet de l'événement arrivé au général Girard; je n'ai certainement pas entendu que l'armée de Portugal en fût cause, d'autant plus qu'il pouvait et devait s'éviter; heureusement, il n'a pas été aussi fâcheux que d'abord on l'avait annoncé. Lorsque je fus prévenu que vous faisiez un mouvement sur Ciudad-Rodrigo, je me trouvais sur les frontières de Murcie, et, suivant vos désirs, je donnai l'ordre que l'on fît un mouvement sur la rive droite de la Guadiana, afin de retenir les troupes espagnoles et de faire même en sorte de les compromettre; mais cet ordre fut longtemps à parvenir; ensuite il fut mal exécuté, et, par la négligence la plus coupable, on s'attira ce désagrément. Les contributions n'en étaient point le prétexte, quoique le général Girard dût faire rentrer celles du district de Merida; d'ailleurs, un motif aussi puéril n'aurait dû, en aucun cas, l'empêcher de faire son métier.
«Je crois que Votre Excellence est mal instruite au sujet de ce qui s'est passé à Medellin et dans la Serena; les troupes de l'armée de Portugal ont emporté de cette contrée beaucoup de denrées, dont elles n'ont point profité, et, lorsque je l'ai fait réoccuper, on a trouvé le pays aussi épuisé que le restant de l'Estramadure.
«M. le général comte d'Erlon m'a écrit, le 6 de ce mois, que la division anglaise du général Hill occupait Albuquerque, et que l'on avait annoncé son arrivé à Cacerès. Les préparatifs que l'on a remarqués faisaient croire à un prochain mouvement.
«M. le maréchal duc de Bellune fait en ce moment le siége de Tarifa et d'Algésiras; je fais momentanément occuper le camp de San-Roch: nous avons obtenu quelques avantages dans cette partie, sur une armée anglo-espagnole que les ennemis y formaient; on l'a rejetée sous le canon de Gibraltar.
«Les troupes ennemies, qui sont en Murcie, avaient fait un mouvement sur ma gauche; mais, le 26 dernier, elles sont parties précipitamment pour se porter sur les frontières de la province de Valence; je présume que les progrès de l'armée d'Aragon y ont donné lieu. Il m'a été fait rapport que les généraux ennemis avaient dit que, s'ils étaient trop pressés, ils feraient une trouée par la Manche et iraient joindre Castaños en Estramadure, auquel ils amèneraient particulièrement leur cavalerie; si cela se réalise, Votre Excellence sera peut-être à même de profiter de cet avis.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«13 décembre 1811.
«Je vous préviens, monsieur le maréchal, que l'Empereur, après avoir pris connaissance de la lettre par laquelle vous exposez la difficulté que vous avez de vous procurer des subsistances, et considérant en outre l'importance de donner le commandement de toute la frontière de Portugal à un seul général en chef, Sa Majesté décide que la province d'Avila, celle de Salamanque, celle de Placencia, de Ciudad-Rodrigo, le royaume de Léon, la province de Palencia, les Asturies et enfin tout ce qui forme les sixième et septième gouvernements de l'Espagne, feront partie de l'armée de Portugal.
«Indépendamment de vos troupes, c'est-à-dire des six divisions qui composent maintenant l'armée de Portugal, vous aurez sous vos ordres la division du général Souham, stationnée dans la province de Salamanque, qui formera votre septième division, et la division du général Bonnet, stationnée dans les Asturies, qui vous formera une huitième division.
«L'intention de Sa Majesté, monsieur le duc, est que vous vous rendiez sans délai à Valladolid, pour prendre le commandement militaire et administratif; que vous fassiez relever de suite la garnison de Rodrigo par les troupes de votre armée, que vous occupiez toutes les plaines de la Castille avec votre cavalerie, et Astorga par une brigade et une division.
«Au moyen de ces dispositions vous enverrez dans le cinquième gouvernement tout le 34e régiment d'infanterie légère, le 113e régiment d'infanterie de ligne, le 4e régiment d'infanterie de la légion de la Vistule, et enfin tout ce qui appartient aux régiments suisses, au bataillon de Neufchâtel, et à la garde impériale, ainsi que le 1er régiment de hussards et le 31e régiment de chasseurs.
«Le général Dorsenne portera son quartier général à Burgos, où il doit réunir toutes les troupes, infanterie et cavalerie; il en résultera une nouvelle formation des deux armées de Portugal et du Nord, conformément aux deux états ci-joints.
«Il est nécessaire, monsieur le maréchal, que vous gardiez à Placencia un corps d'infanterie et de cavalerie, avec lequel vous communiquerez par les cols des montagnes, dont vous aurez grand soin d'augmenter les défenses. Cette communication devient de la plus grande importance pour Madrid, pour l'armée du Centre, pour celle du Midi, et pour savoir ce qui se passe dans cette partie. Le point de Placencia devient tellement important, que l'Empereur vous laisse le maître de placer deux divisions de ce côté.
«Il est indispensable que le général Bonnet reste dans les Asturies, parce que dans cette position il menace la Galice et contient les habitants des montagnes. Il vous faudrait plus de monde pour garder les bords de la plaine depuis Léon jusqu'à Saint-Sébastien que pour garder les Asturies. La théorie avait établi, et l'expérience a prouvé que, de toutes les opérations, la plus importante est d'occuper les Asturies, ce qui appuie la droite de l'armée à la mer et menace continuellement la Galice.
«Si le général Wellington, après la saison des pluies, voulait prendre l'offensive, alors vous pourriez réunir vos huit divisions pour livrer bataille, être secouru et soutenu par le général Dorsenne qui, de Burgos, marcherait pour vous appuyer. Mais cela n'est pas présumable. Les Anglais ayant perdu beaucoup de monde, et éprouvant beaucoup de peine à recruter leur armée, tout doit porter à penser qu'ils s'en tiendront simplement à la défense du Portugal.
«En réfléchissant à la situation des choses, il parait à l'Empereur qu'au lieu d'établir votre quartier général à Valladolid il serait préférable que vous l'établissiez à Salamanque, si cela est possible. Nous n'avons pas de plan de cette ville; si l'on pouvait la fortifier sans de trop grandes dépenses et en peu de temps, ce travail serait fort utile.
«Il faut, monsieur le duc, que vous fassiez augmenter les fortifications d'Astorga par des ouvrages en terre qui en défendent l'enceinte et qui mettent cette place en état de soutenir un siége; de manière que, dans le cas où votre année serait obligée de rétrograder jusqu'à Valladolid, même jusqu'à Burgos, vous puissiez, après avoir réuni vos forces et les secours qui vous arriveraient, faire lever le siége que l'ennemi aurait pu entreprendre sur Salamanque et Astorga.
«Tout porte à penser qu'avant la fin de la saison des pluies Valence sera pris, et qu'alors les détachements que vous avez faits pour soutenir l'expédition sur cette place vous rejoindront. La grande quantité de cavalerie que vous aurez pour battre la plaine vous mettra à même de détruire les bandes, de pacifier le pays, d'en organiser l'administration, de faire payer les contributions, et enfin de former des magasins.
«Par vos différentes dépêches il ne paraît plus possible, en effet, de prendre l'offensive contre le Portugal. Badajoz est à peine approvisionné, et Salamanque n'a pas de magasins. Il faut donc forcément attendre la nouvelle récolte, que les nuages qui obscurcissent en ce moment la politique du Nord soient dissipés. Sa Majesté ne doute pas que vous ne profitiez de ce temps pour organiser et administrer les provinces de votre commandement avec justice et intégrité, ainsi que pour former de gros magasins. Avec la quantité de troupes que vous allez avoir sous vos ordres, vous serez à même de bien assurer vos communications avec le général Bonnet, dans les Asturies. Il faut faire bien administrer cette province, et faire tourner au profit de l'armée toutes les ressources de ce pays qui, jusqu'à ce jour, ont été employées à des profits particuliers.
«Vous devez sentir, monsieur le maréchal, l'importance que met l'Empereur à ce que les troupes du général Dorsenne rentrent. Il n'est même pas impossible que l'Empereur soit dans le cas de rappeler sa garde.
«C'est à vous, monsieur le duc, qu'est réservée la conquête du Portugal et l'immortelle gloire de battre les Anglais. Vous devez donc employer tous les moyens pour vous mettre en mesure d'entreprendre cette campagne lorsque les circonstances permettront de l'ordonner. Vous devez porter le plus grand soin à organiser le matériel de votre armée et avoir des approvisionnements en tout genre de vivres et de munitions.
«Plusieurs opinions ont été émises pour détruire Rodrigo. L'Empereur pense que ce serait commettre une très-grande faute, car l'ennemi, s'appuyant sur cette position, se trouverait intercepter par ses avant-postes la communication de Salamanque à Placencia, ce qui serait un très-grand malheur. Les Anglais savent bien que, s'ils serrent ou assiégent Rodrigo, ils s'exposent à avoir bataille, ce qu'ils sont bien loin de vouloir faire; enfin, s'ils s'y exposaient, il faudrait, monsieur le maréchal, réunir votre armée et marcher droit à eux. Aussitôt que Valence sera pris, le duc de Dalmatie a l'ordre de renforcer considérablement le cinquième corps, afin d'arrêter et de contenir le général Hill et les insurgés de l'Alentejo.»
LE ROI JOSEPH AU MARÉCHAL MARMONT.
«Madrid, le 15 décembre 1811.
«Monsieur le maréchal, j'ai reçu vos lettres du 10 et du 11. Plus j'ai réfléchi aux propositions qu'elles contiennent, et plus je m'affermis dans l'opinion qu'il m'est impossible d'y adhérer.
«J'ai des ordres positifs de l'Empereur sur la part de coopération que doit prendre l'armée du Centre aux mouvements généraux ordonnés par Sa Majesté Impériale en faveur de l'armée qui assiège Valence; je ne puis donc pas m'écarter de ce qui m'est ordonné pour l'armée du Centre. Je sais que le général en chef de l'armée du Nord, que M. le duc de Dalmatie, ont des ordres directs de Paris, dont ceux que je pourrais leur donner ne pourront pas les faire écarter. Comment croire, en effet, que, tandis que l'armée du Midi a l'ordre de l'Empereur de faire un mouvement sur sa gauche, vers le royaume de Murcie, elle puisse se prêter à la demande que je lui ferais de faire un mouvement vers la droite? Comment espérer que dans le Nord on pourra faire le mouvement que vous désirez vers Salamanque, tandis que vingt-quatre mille hommes de cette armée se portent vers Valence, et qu'on m'assure que le général en chef lui-même s'est porté sur un point plus central?
«Je ne pense pas, monsieur le duc, qu'il faille faire, pour l'armée qui assiége Valence, d'autre diversion que celle ordonnée par l'Empereur. La tâche principale et glorieuse du général en chef de l'armée de Portugal me paraît déterminée jusqu'à ce qu'il prenne l'offensive, et la rentrée des Anglais dans leurs lignes aujourd'hui ne doit pas plus vous rassurer sur leurs opérations futures que les mouvements qu'ils ont faits en deçà de l'Aguada n'ont dû vous intimider il y a quelques jours, et ceux qu'ils pourraient faire encore ne doivent pas, je pense, vous empêcher d'envoyer sur Valence les huit mille hommes désignés par la lettre du prince de Neufchâtel.
«Quoique je vous aie écrit précédemment que le général d'Armagnac paraissait devoir commander ce nouveau mouvement sur Valence, ayant dirigé déjà celui qui vient d'avoir lieu, et connaissant le pays, cependant il est possible de tout combiner et de donner au général Montbrun le commandement des troupes de l'armée de Portugal et de celle du Centre, dirigées sur Valence, en laissant le général d'Armagnac gouverneur de la province de Cuença dans cette province avec deux mille hommes de l'armée du Centre, et le général Treilhard gouverneur de la province de la Manche dans la province de la Manche, commandant les quinze cents hommes de l'armée du Centre et les quinze cents hommes de l'armée de Portugal que vous y avez envoyés.
«Je n'entre pas dans plus de développements, monsieur le maréchal, persuadé qu'il n'y a pas lieu à discuter dans des choses où la marche est tracée par l'Empereur. C'était il y a deux mois, lorsque vous étiez à Madrid, et que je vous proposai de réunir aux cinq mille hommes de l'armée du Centre huit mille de l'armée de Portugal, que cela eût été possible; aujourd'hui nous ne pouvons qu'obéir, et nous devons le faire d'autant mieux, qu'il ne me paraît pas raisonnable que l'armée de Portugal puisse prendre aux opérations sur Valence une part plus active que celle qui lui est si sagement ordonnée par les dispositions du prince de Neufchâtel. Vous ne devez pas oublier, monsieur le duc, qu'un mouvement des Anglais sur Placencia par Alcantara ne serait pas improbable s'ils apprenaient que le général en chef et la plus grande partie de l'armée de Portugal, aujourd'hui gardienne du Tage, ont abandonné ses bords pour se porter sur Valence par les montagnes de Cuença. Cette route, indiquée par l'instruction du prince de Neufchâtel, ne serait point convenable pour un grand mouvement d'armée comme celui que vous projetez, et dans ce cas, ce serait par Albacete et Chinchilla qu'il faudrait se diriger pour couper la retraite à Blake sur la droite du Xucar, et avoir peut-être une affaire générale avec lui s'il se portait à la rencontre de l'armée qui marcherait sur lui; mais un mouvement semblable ne peut point être exécuté ni par le général ni par l'armée qui se trouvent en face de l'armée anglaise.»
EXTRAIT DE DEUX LETTRES DONNANT L'AVIS DES DISPOSITIONS
DES ANGLAIS
CONTRE RODRIGO.
«Salamanque, le 1er janvier 1812.
«Monsieur le général, tout ce qui tient à Rodrigo devient si sérieux, que, à tout événement, j'adresse ci-joint à Votre Excellence un duplicata de ma lettre n° 126.
«A l'appui de ce qu'elle renferme, je vais vous rendre compte des faits dont je ne puis douter, d'après ce que le préfet vient de me dire.
«Il y a trois semaines environ, les ennemis jetèrent un pont sur l'Aguada, entre Rodrigo et San Felices-El-Chico. Ce pont, presque terminé, s'écroula, et ceux qui y travaillaient furent noyés. Je cite ce fait parce qu'il établit de la suite dans les opérations.
«En ce moment, ils en ont construit deux pour le passage de l'artillerie, etc., l'un à San Felices-El-Grande, et l'autre à deux ou trois lieues plus haut. Un équipage de pont, arrivé depuis peu, a servi à l'une de ces constructions. Je mentionne cette circonstance, parce que, dans la position de l'ennemi, l'arrivée d'un équipage de pont prouve des projets.
«D'énormes convois de subsistances et de grands troupeaux de boeufs arrivent à l'armée anglaise, en passant par la province d'Avila et par la partie de la province de Salamanque occupée par l'armée de Portugal. Je l'ai écrit au général Thomières, qui est à El-Barco. Je puis ajouter qu'il y a quinze jours le marche de Tamamès a été tellement pourvu, que mille fanégas de grains n'ont pu y être vendues.
«Placencia et Bejar sont évacués; et, d'après ce que m'écrit le général Thomières, il parait qu'il doit se retirer, en cas d'un mouvement offensif de l'ennemi, sur Avila, où est son général de division Maucune.
«Don Carlos, en annonçant un grand mouvement, et avec les plus terribles menaces, vient d'ordonner, dans les provinces du septième gouvernement, que, de suite, toutes les justices soient renouvelées au nom de la régence; que les nouveaux alcades aillent prêter serment entre ses mains; que tout le bétail soit conduit dans les montagnes; que les habitants évacuent leurs villages à l'approche des Français; qu'on lui conduise d'énormes quantités de grains, de pain et de cochon salé, etc.: que, sous peine de mort, toutes les voitures existantes lui soient conduites, et que l'on emploie tous les moyens existants pour en construire de nouvelles: ordre qui s'exécute avec une inconcevable activité sur toute la gauche de la Tormès, qui, déjà, lui a fait amener un nombre très-considérable de voitures et qui les augmente tous les jours.
«J'ai demandé au préfet quels moyens on pouvait prendre pour déjouer ces projets. Il n'a pu m'en proposer aucun. Ne pouvant cependant avoir l'air d'autoriser, par le silence, ces audacieuses mesures qui, chaque jour, terrorisent davantage tout le pays, j'ai rendu l'ordre dont copie ci-jointe, et que j'ai l'honneur de vous soumettre.
«Dans cet état de choses, on annonce un mouvement offensif de la part de l'armée combinée. Je ne pense pas qu'il la conduise sur la Tormès, quoique cela soit possible; mais, considérant que l'armée de Portugal s'est retirée et découvre tout ce pays, je pense que l'attaque de Rodrigo va commencer, et tous les faits ci-dessus rapportés ne peuvent pas laisser de doute à cet égard.
«On ajoute, et c'est le bruit général, que Rodrigo est dans une fâcheuse position et que la désertion y augmente chaque jour. On cite même à cet égard des choses ridicules.
«Le préfet, qui n'est pas alarmiste et qui est un des hommes qui connaît le mieux son pays, regarde cette situation comme très-sérieuse. Je lui ai ordonné d'envoyer quelques hommes sûrs pour vérifier ces faits. Il m'a demandé avec quoi il les payerait: c'est le chapitre infernal. Il pense, comme moi, que rien ne balance la nécessité de s'éclairer sur les opérations de l'ennemi. Il a été jusqu'à me dire qu'il serait criminel d'hésiter à prendre, à cet égard, partout où il y a. Au fait, la forme ne peut tuer le fond, et nous ferons pour le mieux.
«Je ne puis vous dire à quel point Rodrigo me tourmente. Le temps qu'il
fait achève de tout faciliter à l'ennemi; tandis que, l'année dernière,
ce temps aurait sauvé Almeida et Rodrigo; comme, cette année, le temps
de l'année dernière aurait suffi pour chasser l'ennemi de ses positions.
C'est une fatalité. Du reste, mon général, le ravitaillement de Rodrigo
n'est plus une opération de division, c'est une grande et difficile
opération d'armée; et, si l'armée de Portugal n'y concourt pas, elle me
paraît très-douteuse; mais comment l'armée de Portugal se
retirerait-elle lorsque sa présence est le plus nécessaire, et comment
oublierait-elle que la conservation de Rodrigo est un de ses premiers
devoirs?
«Le général baron Thiébault.»
«Salamanque, la 3 janvier 1812.
«Mon général, j'apprends à l'instant par un homme sûr, qui est parti le 30 décembre de la gauche de l'Aguada, les faits suivants:
«Castaños, auquel il a parlé, est à Fuentes-de-Oñore; ce qui prouve qu'il ne s'est pas rapproché pour une simple visite de cantonnements.
«Toutes les voitures qu'on peut rassembler y sont conduites. Le 30, il y en avait deux cent soixante-dix, il doit y en avoir mille en ce moment.
«Chaque conducteur de voitures portait des vivres et des fourrages pour dix et douze jours, pour eux et leurs bestiaux; d'où il résulte que le mouvement de l'ennemi doit commencer maintenant.
«Le pont de Yecla est coupé; celui de Cerralbo est miné, couvert d'abatis et de retranchements, auxquels quinze cents hommes travaillent encore; il paraît qu'ils doivent servir à couvrir le flanc gauche de l'ennemi et à menacer le flanc droit des troupes qui marcheraient sur Rodrigo.
«On parle également d'ouvrages faits à Tamamès, mais je n'y crois pas; si cependant cela était, Rodrigo se trouverait au fond d'un cul-de-sac de six lieues, d'un front peu étendu, et qui même offrirait à l'ennemi trois belles positions de combat, surtout relativement à une opération que l'on sera hors de mesure de prolonger.
«Je reprends le rapport de l'espion.
«On fait sur la gauche de Jeltès et de l'Aguada un nombre énorme de fascines.
«Deux ponts existent sur l'Aguada: tous les villages de la gauche sont remplis de troupes; la cavalerie anglaise est à Fuenteguinaldo; la force de l'ennemi paraît être de vingt-quatre mille hommes.
«Une grande artillerie de siége est à Almeida, dont les travaux continuent avec la plus grande activité.
«L'opinion générale est que le siége de Rodrigo va commencer, et tout l'annonce; presque tout ce qui restait d'habitante en est parti; le corrégidor est de ce nombre, et l'espion lui a parlé; ce corrégidor est un des hommes les plus au courant de ce qui se passe.
«On fait une nouvelle levée générale des hommes en état de marcher.
«Une junte insurrectionnelle, placée à Sobradillo, est chargé de cette
opération; plus de quatre-vingts curés et moines y sont et forment la
cour de don Carlos. En face de Sobradillo se trouve un pont pour
communiquer avec le Portugal.
«Le général baron Thiébault.»
LE MARÉCHAL SOULT AU MARÉCHAL MARMONT.
«Séville, le 4 janvier 1812
«Vous êtes sûrement instruit que l'armée anglaise est de nouveau entrée en campagne et s'est portée sur la Guadiana; le 1er de ce mois, le lieutenant général Hill avec toute sa division, quatre mille Portugais et autant d'Espagnols, était à Merida; le même jour il a attaqué l'avant-garde du cinquième corps à Almendralejo. Le général Philippon m'a écrit de Badajoz, le 30, qu'indépendamment de ces troupes une autre colonne, que l'on disait forte de douze à quinze mille hommes, également venue de Portalègre et d'Albuquerque, se dirigeait par Aliseda sur Montanchès.
«J'ignore encore si les ennemis ont le projet de faire plus qu'une diversion pour m'obliger à renoncer au siége de Tarifa, que M. le maréchal duc de Bellune poursuit, et pour me forcer à rappeler les troupes que, d'après les ordres de l'Empereur, j'ai envoyées en Murcie en faveur de l'armée de siége de Valence: le temps nous rapprendra; mais, en attendant, je dois prier Votre Excellence, au nom du service de l'Empereur, de vouloir bien faire une démonstration sur Truxillo et Merida, qui dégage ma droite et oblige les ennemis à rentrer en Portugal; pour le moment, il m'est impossible de renforcer le cinquième corps, j'ai trop de troupes détachées sur ma gauche, et je ne puis encore renoncer au siége de Tarifa.
«J'ai eu plusieurs fois l'honneur d'écrire à Votre Excellence, mais depuis longtemps je n'ai pas reçu de ses nouvelles; je la prie de m'en donner, et, dans cette circonstance, de vouloir bien me faire part le plus promptement des dispositions qu'elle fera d'après ma proposition.
«Le 30 décembre, une reconnaissance de quatre compagnies d'infanterie et quinze hussards, qui avait été poussée de Merida sur Carmonita, fut attaquée par l'avant-garde de l'ennemi, composée de six cents chevau-légers anglais et quatre pièces de canon; notre détachement forma le carré et repoussa successivement cinq charges sans pouvoir être entamé; ensuite il opéra sa retraite en bon ordre sur Merida. L'ennemi perdit beaucoup de monde et de chevaux. La reconnaissance était commandée par le capitaine Neveu, du 88e régiment; sa valeur et les bonnes dispositions qu'il a faites ont donné le temps à la garnison de Merida de se mettre en mesure d'aller à son secours, et de recevoir l'ennemi.»
LE GÉNÉRAL DORSENNE AU MARÉCHAL MARMONT.
«Valladolid, le 5 janvier 1812.
«J'ai l'honneur d'adresser ci-joint, à Votre Excellence, deux lettres en original, aux dates des 1er et 3 courant, du général Thiébault, gouverneur de Salamanque. Quoique je n'ajoute aucune foi à leur contenu, car depuis six mois je n'ai cessé de recevoir de pareils rapports, je crois cependant utile de vous les communiquer. Votre Excellence est à même d'être mieux instruite que moi de la situation des choses dans la partie de Rodrigo; mais je ne puis lui dissimuler que le dégoût qu'éprouve le général Barrié dans cette place, et son caractère, ne sont pas sans me donner quelques inquiétudes, et que la première chose à faire pour le bien du service de l'Empereur serait de l'en retirer promptement. Si, contre mon opinion, les Anglais ont fait quelques projets de tentative sur Rodrigo, ou même sur Salamanque, et que don Julian ait songé à nous intercepter cette première place, on ne pourrait les attribuer qu'au mouvement que vous aviez commencé sur Valence; mais le retour imprévu de Votre Excellence pourrait, dans ce cas, faire changer aux ennemis leur plan d'opérations et leur devenir funeste.
«Avant de recevoir les ordres de l'Empereur relatifs à la nouvelle division du territoire des armées du Nord et de Portugal, j'avais déjà pris quelques mesures pour jeter des vivres dans Rodrigo. Mais depuis mon retour, et supposant que vous éprouveriez, en vous établissant dans les sixième et septième gouvernements, des difficultés pour réunir promptement les moyens nécessaires au ravitaillement de cette place, j'ai cru devoir y donner la dernière main. J'ai la satisfaction de vous annoncer, monsieur le maréchal, que nous pourrons profiter de nos changements de garnisons pour faire escorter jusqu'à Rodrigo un convoi composé de toute espèce de subsistances pendant six mois. Le seul embarras que nous aurons sera, je le crains fort, celui des transports. Il serait à désirer que Votre Excellence pût concourir à cette opération, en faisant arriver à Salamanque toutes les voitures à sa disposition.
«Avec juste raison, Votre Excellence doit compter sur moi dans toutes les circonstances, et je lui renouvelle l'assurance que je n'ai rien tant à coeur que de faire ce qui peut lui être personnellement agréable et servir Sa Majesté.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, le 9 janvier 1812.
«Je vous préviens, monsieur le maréchal, que le maréchal duc de Dalmatie a l'ordre de diriger sur Burgos, ainsi que vous l'aurez vu par ma lettre du 6 de ce mois, dont je joins ici un duplicata, les trois régiments polonais, et que je charge ce maréchal de faire aussi partir pour Burgos le 7e régiment de chevau-légers (ci-devant lanciers de la Vistule), et généralement tous les détachements polonais quelconques et officiers d'état-major polonais qu'il peut avoir sous ses ordres.
«Ayez soin que tous les détachements de ces corps qui se trouveraient sur quelque point que ce soit de l'arrondissement de l'armée de Portugal les rejoignent à leur passage.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU MAJOR GÉNÉRAL.
«Valladolid, le 13 janvier 1812.
«Monseigneur, en lisant votre lettre DU 21 NOVEMBRE, je trouve que je n'ai fait qu'exécuter littéralement l'ordre de l'Empereur, et que, même, je lui ai donné moins d'extension, puisqu'il m'était prescrit de compléter à douze mille hommes le détachement de l'armée du Centre, et que celle-ci n'a presque rien fourni; enfin que l'intention de Sa Majesté était que je plaçasse quatre mille hommes en échelons pour maintenir la communication. La division que j'ai de moins pour le moment, et que Sa Majesté supposait que j'avais sous la main, se trouvait nécessairement détachée pour l'exécution des ordres que vous m'avez adressés.
«Le général Montbrun n'a pas pu passer par Lucena. Il lui aurait fallu un équipage de montagne, et je n'en ai pas. Il paraît qu'il lui était aussi impraticable de se porter par Tarazona sur Requeña. Indépendamment de la difficulté des chemins, de celle des vivres, le passage présente des impossibilités, et, près de Requeña, se trouvent des positions qui sont occupées, retranchées et difficiles à chercher et difficiles à emporter. Il a donc pris la route d'Albonte et manoeuvré sur la rive droite du Xucar, menaçant la seule retraite qu'ait l'ennemi. Il est probable que son arrivée dans ces parages aura fait une diversion utile au maréchal Suchet, et lui aura facilité l'investissement de la place en séparant l'armée de la garnison, et déterminé celle-là à rentrer en Murcie. Ainsi tout ce qui tient aux opérations d'armée semble devoir être promptement terminé; et, si Valence résiste encore, ce ne sera plus qu'une opération méthodique pour laquelle le concours du général Montbrun serait inutile; et, comme, d'un autre côté, il est probable que les Anglais feront des mouvements à la fin de février, et qu'alors j'ai besoin de tout mon monde, j'ai donné l'ordre au général Montbrun de se mettre en route à la fin de janvier pour me rejoindre. Indépendamment des deux divisions, il a toute ma cavalerie légère dont je ne saurais me passer si, seul, je me trouvais forcé de faire la moindre opération.
«Sa Majesté parait tenir à ce que j'aie trois divisions dans la vallée du Tage; mais, vu la grande étendue de l'armée et le temps qu'il faut pour la réunir, qui, y compris celui nécessaire pour que les ordres de mouvement parviennent, est au moins de quinze jours, tandis que l'ennemi peut être en quatre jours sur moi, je n'ai d'autre garantie d'être en mesure de le combattre et de l'empêcher de séparer l'armée, tant qu'il est dans la position qu'il occupe aujourd'hui, que de tenir beaucoup de troupes sur les deux rives du Duero, afin de retarder assez les opérations pour que les divisions puissent venir me rejoindre. Mais, indépendamment de ces motifs, comment pourrais-je occuper le pays entier, établir des ressources, rendre faciles toutes les communications si près de la moitié de l'armée se trouve dans la vallée du Tage? Enfin, une dernière considération, qui a en partie motivé le changement de situation de l'armée, c'est l'impossibilité d'y vivre. Un corps considérable dans cette position ne peut y vivre que par les provinces de la Manche et de Ségovie; et elles sont affectées à l'armée du Centre. Partout il n'est possible d'y entretenir que des postes ou une très-faible division. C'est ce que j'ai fait. Malgré les efforts inouïs que j'ai faits avant mon départ pour procurer des subsistances à cette division, je n'ai encore que l'espérance qu'elle pourra y vivre jusqu'à la récolte, mais non la certitude.
«Je suis arrivé à Valladolid avant-hier; le général Dorsenne avait préparé un ravitaillement pour Rodrigo, et je profite de sa présence ici pour être soutenu au besoin, et je fais conduire le convoi immédiatement dans cette place, et par la même occasion en relever la garnison et en changer le commandant. Comme je n'ai point de cavalerie légère, le général Dorsenne me prête celle qu'il a ici et qui, réunie aux dragons, me donnera une force en cavalerie suffisante pour le mouvement; je soutiens le convoi par quatre divisions et je m'y rends de ma personne. Je ne pense pas que l'ennemi fasse de dispositions pour s'opposer à son entrée. Mais, si l'armée anglaise passait l'Aguada pour livrer bataille, j'attendrais sur la Tormès la division du Tage et les troupes que le général Dorsenne pourrait m'amener; mais sans doute ce cas n'arrivera pas. Rodrigo sera ainsi approvisionné jusqu'à la récolte, et, à moins d'un siége, il ne doit plus être l'objet d'aucune sollicitude. Cette opération terminée, les troupes du général Dorsenne seront relevées sans retard dans le septième gouvernement.»
LE GÉNÉRAL DORSENNE AU MARÉCHAL MARMONT.
«Valladolid, le 23 janvier 1812.
«Monsieur le maréchal, votre aide de camp vient de me remettre votre lettre du 21 décembre, avec le rapport du général Thiébauld à la même date.
«Votre Excellence sait qu'après avoir mis à sa disposition la division Roguet, deux batteries d'artillerie, la brigade de fusiliers de la garde et la cavalerie légère de l'armée, il ne me reste aucune troupe disponible. Je ne puis donc compter que sur celles qui se trouvent en Palencia, Léon, Benavente et Valladolid, en évacuant ces provinces, en les abandonnant aux insurgés, en laissant à l'ennemi des ouvrages et postes retranchés importants et en arrêtant les communications avec Bayonne et Madrid. Mais, d'après l'urgence que vous m'avez démontrée, je n'hésite pas à donner l'ordre à ces troupes de se tenir prêtes à marcher au premier avis. Si mon aide de camp, porteur de la présente, fait diligence, en quarante-huit heures je puis connaître la dernière détermination de Votre Excellence.
«Les troisième, quatrième et cinquième gouvernements du nord de l'Espagne n'étant occupés que par des bataillons de marche, je ne puis en retirer un seul homme. Malgré mes efforts et mes calculs, je ne pourrais rassembler que six mille hommes d'infanterie, mille chevaux et douze pièces de canon; et, quelque célérité que je fasse apporter dans mon mouvement, ces corps ne seraient réunis à Toro que vers le 2 du mois prochain.
«Comme le mouvement de l'armée combinée sur Tamamès n'est pas confirmé, qu'on ignore encore les forces de l'ennemi et que les Anglais ont l'habitude d'être lents dans leurs expéditions, je vais employer le temps qui s'écoulera jusqu'à la réponse de Votre Excellence à faire évacuer les blessés et les malades qui se trouvent dans les différentes places, et à réunir à Valladolid l'administration avec les équipages des corps.
«Avec les dragons à pied de votre armée qui étaient à Valladolid, il n'a été possible que de relever les postes de Puente-Duero à Valdestellas. Les ordres sont donnés pour que tout ce qui doit arriver de Burgos soit dirigé de suite sur Toro. Le général Curto partira avec le régiment de marche de dragons le 26; le bataillon du 47e, qui est à Almeida, sera aussi dirigé sur Toro aussitôt qu'il aura été relevé par un bataillon de marche.
«J'ai fait mettre en route, ce matin, non sans peine, vingt-deux caissons de votre grand parc, qui étaient restés à Valladolid. Ils rejoindront demain la division Roguet à Médina et suivront son mouvement sur Toro. Enfin, toutes les dispositions sont prises pour faire filer sur cette destination ce qui arriverait du Nord, appartenant à l'armée de Portugal.
«Je reviens à un objet qui mérite de fixer notre attention: en évacuant les lignes de l'Orbigo et de Cyla, nous fournissons aux Galiciens l'occasion (si le cas exige de nous porter en masse sur Salamanque) de s'emparer de nos ouvrages retranchés et de marcher ensuite, sans obstacle, sur Valladolid, en supposant que les opérations qui se présentent soient combinées, comme le prouvent les rapports qui m'annoncent unanimement l'arrivée à Villafranca de plusieurs généraux et officiers anglais et la réunion de plusieurs corps. Cette réflexion doit nous donner des craintes pour les suites. Je prie Votre Excellence de la méditer. D'ailleurs, je ne puis lui taire que mon opinion est que les Anglais, apprenant la jonction des armées impériales, renonceront, s'ils en avaient le projet, au hasard d'une bataille. Car il est à supposer que leur prétendu mouvement sur Tamamès par échelons n'a été opéré que pour avoir le temps d'approvisionner Rodrigo et de mettre cette place en état. Ils sortiraient des bornes de leur extrême prudence en marchant avec toutes leurs forces sur Salamanque; ce serait nous offrir trop d'avantages et ils auraient lieu de s'en repentir, car, quelque nombreux qu'ils soient, nous sommes plus qu'en mesure de les accabler, et ils éviteront toujours, tant qu'ils pourront, de nous attendre en plaine. Je me résume et crois fermement que l'armée combinée ne tentera pas, cette campagne, le passage de la Tormès.
«Je suis persuadé, monsieur le maréchal, que vous reconnaîtrez dans ma conduite et mes observations que toute espèce de considération cède au désir de déjouer les projets de l'ennemi et de coopérer au succès de vos opérations.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, le 23 janvier 1812.
«Je vous envoie, monsieur le maréchal, un Moniteur qui vous fera connaître l'état de choses du côté de Valence. L'Empereur a vu avec peine, monsieur le duc, la mauvaise direction donnée au général Montbrun, et que les ordres et contre-ordres donnés ont rendu inutile le mouvement que Sa Majesté avait prescrit. Vous avez reçu, le 13 décembre, l'ordre d'envoyer six mille hommes sur Cuença pour renforcer le général d'Armagnac et le mettre à même de marcher rapidement sur le corps espagnol qui était à Requeña en Utiel. Sa Majesté était fondée à croire que, le 24 ou le 25, cette puissante diversion aurait agi.
«Les ordres de l'Empereur n'ont donc pas été exécutés comme Sa Majesté le désirait. Cela provient de ce que vous avez hésité dans vos dispositions. Au lieu d'un corps volant que l'Empereur voulait lancer à tire-d'aile sur Cuença, vous avez voulu faire marcher un corps d'armée et trente pièces de canon. Sa Majesté (je dois vous le dire, monsieur le maréchal) pense que, dans cette circonstance, vous avez plus calculé votre gloire personnelle que le bien de son service. Vous connaisses assez l'Empereur, monsieur le maréchal, pour concevoir que, s'il eût voulu opérer une grande diversion en portant un corps d'armée et trente pièces de canon sur Valence, il vous aurait ordonné de passer par Almanza. Il en résulte qu'un mois après l'ordre que vous avez reçu d'envoyer un corps de six mille hommes sur Cuença l'ennemi était toujours maître de Requeña, et qu'alors tous n'aviez rien fait pour l'avantage de l'armée de Valence.
«L'Empereur, monsieur le duc, espère que cette lettre vous trouvera à Valladolid. Sa Majesté vous ordonne de suivre strictement les ordres ci-après:
«1° Rappelez, si vous ne l'avez déjà fait, le corps du général Montbrun;
«2° Vingt-quatre heures après la réception de cet ordre, faites partir une des divisions de votre armée avec son artillerie, et organisée comme elle se trouvera au moment où vous recevrez cet ordre, et vous la dirigerez sur Burgos pour faire partie de l'armée du Nord. Sa Majesté défend que vous changiez aucun officier général de la division que vous enverrez, et qu'on y fasse aucune mutation.
«Vous recevrez, en échange, trois régiments de marche, forts de cinq mille hommes présents, que vous incorporerez dans vos régiments. Ces régiments de marche partiront le même jour que la division que vous avez l'ordre d'envoyer à Burgos y arrivera. Toute la garde a l'ordre de rentrer en France, ce qu'elle ne pourra faire que quand la division que vous devez envoyer à Burgos y sera arrivée.
«Valence pris, le général Caffarelli se rendra à Pampelune pour faire également partie de l'armée du Nord. Cette armée se trouvera donc composée de trois divisions, savoir:
«Celle que je vous donne l'ordre d'y envoyer;
«La division Caffarelli,
«Et une troisième division, que le général Dorsenne va former avec le 34e léger, les 113e et 130e de ligne et les Suisses.
«La cavalerie de cette armée sera formée du régiment de lanciers de Berry, du 1e régiment de hussards, des 15e et 31e de chasseurs, et de la légion de gendarmerie à cheval.
«Ainsi l'armée du Nord se trouvera à même d'aller à votre secours avec deux divisions si les Anglais marchaient sur vous. Ce cas arrivant, le général Reille, qui, aussitôt après la prise de Valence, aura le commandement du corps d'armée de l'Èbre, pourra, de Saragosse, envoyer une division sur Pampelune; mais cela n'aurait lieu que dans le cas seulement où les Anglais déploieraient de grandes forces et feraient un mouvement offensif sur vous, ce que rien ne porte à penser. Valence pris, le maréchal Suchet restera dans cette province avec vingt-cinq mille hommes; le général Reille sera à Lerida avec le corps de l'Èbre, fort de trente-deux mille hommes, non compris les garnisons des places de la Basse-Catalogne. Il se placera à Lerida ou à Saragosse. Le général Dorsenne sera à Burgos avec l'armée du Nord, forte de trente-huit mille hommes.
«Je vous ai prévenu de l'ordre donné aux trois régiments polonais qui sont à l'armée du Midi pour rentrer en France: quand ils passeront dans l'arrondissement de votre armée, activez leur marche, au lieu de la retarder.»
LE GÉNÉRAL DORSENNE AU MARÉCHAL MARMONT.
«Valladolid, le 27 janvier 1812.
«Mon cher maréchal, Votre Excellence est sans doute instruite que le mouvement des corps et détachements de son armée, qui devaient être dirigés sur Toro, est entièrement exécuté.
«Les rapports que je reçois m'annoncent que toutes les bandes sont en mouvement dans les provinces du Nord et se réunissent; que quatre mille insurgés ont investi la place d'Armanda, où il n'y a pour toute garnison que trois cents hommes d'infanterie de l'armée de Portugal, qui gardent les magasins et l'artillerie du fort de Rahabon, que j'ai été obligé de faire désarmer, et qui succomberont s'ils ne sont promptement secourus; que le comte Montijo retourne sur Soria avec huit mille Espagnols, ayant de nouveau le projet de faire l'attaque de cette place avec du canon; enfin que les garnisons et postes sont fortement menacés; que les communications deviennent de plus en plus difficiles, et qu'il ne se passe pas de jour, depuis que j'ai retiré la division de tirailleurs de la garde du cinquième gouvernement, où il n'arrive des événements. Dans cet état de choses, comme il est à supposer, et que tout paraît même confirmer que l'armée anglo-portugaise se tiendra pour le moment à Rodrigo et ne tentera rien sur Salamanque, je prie Votre Excellence de trouver bon que je rappelle la division Roguet, son artillerie, et la cavalerie du général Laferrière, afin de les employer de suite à faire une guerre à outrance aux guérillas, à rendre la tranquillité au pays, à conserver nos établissements et nos ressources en subsistances. Je la prie aussi de prendre des dispositions pour faire relever de suite toutes les troupes de l'armée du Nord qui se trouvent encore dans les sixième et septième gouvernements, afin de me mettre à même d'exécuter les ordres réitérés de l'Empereur relatifs à sa garde, dont j'ai eu l'honneur de faire part à Votre Excellence.
«Le général de division Abbé, commandant en Navarre, vient d'éprouver, à la tête de toutes les forces disponibles de cette province, un échec où il a perdu trois à quatre cents hommes. Cet événement est d'autant plus malheureux, qu'il augmente l'audace des bandes, et il n'y a pas un instant à perdre pour les attaquer, les diviser et les détruire, sans quoi la chose deviendrait très-sérieuse et le mal irréparable.
«J'attends une prompte réponse de Votre Excellence. Je n'ai pas encore de nouvelles de l'aide de camp que je lui ai dépêché pour lui porter ma lettre du 23 courant.
«J'apprends que l'officier du génie qui était à Astorga a été transporté à Benavente dangereusement malade. Il paraît urgent de le faire remplacer, pour que les travaux ne restent pas suspendus.»
LE GÉNÉRAL DORSENNE AU MARÉCHAL MARMONT.
«Valladolid, le 29 janvier 1812.
«Monsieur le maréchal, j'ai l'honneur d'informer Votre Excellence que je reçois l'ordre impératif de diriger sur France les escadrons de cavalerie légère de la garde qui sont à Rioseco, et auxquels je donne, en conséquence, celui d'en partir.
«Je crois devoir en prévenir Votre Excellence pour qu'elle les fasse remplacer de suite si elle le juge convenable, afin que ce poste ne reste pas sans garnison.
«Les bandes continuent à faire beaucoup de mal dans le Nord; la présence de mes troupes y devient de plus en plus nécessaire. Je supplie Votre Excellence de faire hâter autant que possible le mouvement des corps de son armée qui doivent relever les miens dans le sixième gouvernement.»
LE GÉNÉRAL DORSENNE AU MARÉCHAL MARMONT.
«Duñas, le 3 février 1812.
«Monsieur le maréchal, Votre Excellence a dû recevoir, par l'estafette de ce jour, l'ordre du prince de Neufchâtel de diriger une division de l'armée de Portugal, forte de six mille baïonnettes et douze pièces de canon, sur Burgos, pour faire partie de celle du Nord. Son Altesse, par une lettre du 23 janvier, me prescrit d'envoyer à l'armée de Portugal les 1er, 2e et 3e régiments de marche aussitôt que cette division sera à ma disposition, ce qui fera un échange de troupes duquel il résultera l'avantage que tous les corps seront réunis.
«Le major général m'enjoint aussi de ne retarder, sous aucun prétexte que ce soit, le départ pour Bayonne de tout ce qui appartient à la garde impériale, infanterie, cavalerie, artillerie, le bataillon de Neufchâtel, le 4e régiment de la Vistule et autres détachements. Pour être à même d'exécuter de suite les dispositions qui me sont ordonnées, je prie instamment Votre Excellence de faire hâter la rentrée à l'armée du Nord du 31e régiment de chasseurs dont j'ai le plus grand besoin, et de me faire connaître le plus tôt possible l'arrivée à Burgos de la division qu'elle doit y envoyer.»
LE MARÉCHAL SOULT AU MARÉCHAL MARMONT.
«Séville, le 7 février 1812.
«Monsieur le maréchal, j'ai reçu au même instant les lettres que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire les 4, 19 et 24 janvier dernier. Cette dernière m'a été apportée par M. Dettencourt, officier de votre état-major; elle me confirme la nouvelle de la prise de Rodrigo que les ennemis avaient fait répandre. Il est bien extraordinaire que la garnison qui défendait cette place ne vous ait pas donné le temps de réunir votre armée et d'arriver à son secours. Ce malheureux événement rendra les opérations plus difficiles sur les deux rives du Tage et déterminera sans doute les ennemis à diriger leurs efforts sur Badajoz. Déjà je suis instruit qu'ils font des préparatifs du côté d'Uñas, Campo-Maior et Portalègre, et, indépendamment d'un corps du général Hill, on annonce l'arrivée de deux divisions qui se tenaient ordinairement du côté de Castel-Branco. Heureusement que, depuis l'an dernier, les ouvrages de défense ont été considérablement augmentés à Badajoz, et que les approvisionnements qu'il y a, quoique incomplets, nous donneraient le temps de combiner des opérations pour en éloigner les ennemis si le siége était entrepris.
«J'ai l'honneur de vous faire part que le général Hill, avec tout son corps, avait repris ses positions du côté de Portalègre. Il paraîtrait même, d'après les rapports qui me sont parvenus, qu'il a étendu ses troupes jusqu'à la rive droite du Tage. Les derniers renforts qui ont été débarqués à Lisbonne, lesquels consistent dans une brigade de cavalerie et sept à huit mille hommes d'infanterie, lui sont destinés.
«Je vois avec bien de plaisir que Votre Excellence a donné l'ordre au général Montbrun de se mettre en communication avec l'armée du Midi. Tant que cette communication existera, les ennemis n'oseront rien entreprendre sur Badajoz, puisque, au moindre mouvement, nous pouvons nous réunir et marcher à eux pour les combattre. Je désirerais donc qu'il entrât dans vos dispositions de laisser un corps entre le Tage, la Guadiana, la grande route de Truxillo et lu Sierra de Guadalupe, où il trouverait des subsistances et pourrait communiquer avec les troupes que je tiens dans la Serena, ainsi qu'avec celles que vous avez à la tête de pont d'Almaraz et à Talavera. Ce corps serait assez éloigné pour que l'ennemi ne pût rien entreprendre contre lui; il entrerait dans le système d'opérations des deux armées et couvrirait une grande étendue de pays par où les ennemis font continuellement venir des subsistances. J'ai écrit à M. le comte d'Erlon d'en faire la proposition au général Montbrun, qui peut-être se trouvera à cet effet autorisé par Votre Excellence.
«Je suis d'autant plus persuadé qu'à l'ouverture de la campagne les ennemis feront tout ce qui sera en leur pouvoir pour s'emparer de Badajoz, qu'ils ne peuvent rien entreprendre en Castille tant que cette place nous offrira un appui pour pénétrer en Portugal et nous porter sur leur ligne d'opération. Il est d'ailleurs vraisemblable qu'ils ne tarderont pas à être instruits que, d'après les dispositions de l'Empereur, l'armée du Midi va être affaiblie de plusieurs régiments que je dois envoyer à Burgos. D'après ces considérations, je ne puis qu'insister, monsieur le maréchal, pour que la position de votre aile gauche soit telle, que la communication des deux armées soit parfaitement établie, et que nous puissions, par la réunion de toutes nos forces disponibles, aller combattre les ennemis et assurer un grand succès.
«Heureusement que les affaires de l'Est nous favorisent. La prise de Valence et la destruction de l'armée que Blake commandait rendront les ennemis plus circonspects. Le général Soult 5, qui est à Murcie, a eu l'occasion, le 26 janvier, de compléter la dispersion de la division d'infanterie commandée par Villacampa, et il a battu, dans une brillante charge, la division de cavalerie du général la Carrera. Ce général, avec son état-major et deux escadrons, ont été tués.»