Mémoires du maréchal Marmont, duc de Raguse (4/9)
LE MARÉCHAL JOURDAN AU MARÉCHAL MARMONT.
«Madrid, le 3 juin 1812.
«Monsieur le maréchal, j'ai reçu dans la nuit votre lettre du 29 du mois, et je me suis empressé de la mettre sous les yeux du roi. Sa Majesté me charge de vous adresser copie de la lettre qu'elle vient d'envoyer à M. le général comte Caffarelli; pour plus grande sûreté envoyez-lui une copie, et pressez-le d'exécuter les ordres du roi.
«Sa Majesté a demandé une division au général Suchet, mais elle n'a encore aucun avis de sa marche. Elle a adressé par dix voies différentes au duc de Dalmatie l'ordre de mettre le tiers de son armée sous les ordres du comte d'Erlon, de prescrire à ce général de bien observer les mouvements du général Hill sur la Guadiana, et de se porter rapidement dans la vallée du Tage si lord Wellington rappelle à lui le général Hill. Le roi va réitérer ses ordres et va les faire partir par un de ses aides de camp.
«On répand ici le bruit que depuis plusieurs jours le général Bonnet est entré dans les Asturies. Sa Majesté désirerait bien savoir si ce bruit est fondé, et si cette division est toujours à portée de vous rejoindre dans le cas où l'armée anglaise marcherait sur vous.
«J'ai reçu ce matin une lettre du général Foy, datée du pont de l'Arzobispo, du 31 mai. Ce général est en marche pour se rapprocher de vous. Conformément aux ordres que je lui ai donnés, il m'annonce que le général Hill est toujours sur la rive gauche du Tage avec trois divisions.»
LE MINISTRE DE LA GUERRE AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, le 9 juin 1812.
«Monsieur le maréchal, depuis la lettre que j'ai eu l'honneur d'écrire à Votre Excellence le 2 du courant, l'Empereur m'a renvoyé vos dépêches des 16 et 21 avril. Sa Majesté m'ordonne de vous mander que c'est dorénavant le roi d'Espagne qui doit vous donner les directions, ainsi que le prince de Neufchâtel l'a fait connaître et que j'ai eu soin de vous le réitérer par mes lettres des 15 mai et 2 courant. Ceci répond aux observations et aux demandes contenues dans votre première dépêche; Sa Majesté espère que votre retraite s'est faite devant lord Wellington suivant les règles de la guerre, en le contenant avec des masses et des corps rassemblés.
«L'Empereur suppose que vous aurez conservé vos têtes de pont sur l'Aguada 7, parce que cela seul peut vous permettre d'avoir des nouvelles de l'ennemi tous les jours et de le tenir en respect. Sa Majesté ajoutait, à cette occasion, que, si vous aviez mis un trop grand intervalle entre l'ennemi et vous, vous auriez agi contre les principes de la guerre en laissant le général anglais maître de se porter où il voudrait, et que, perdant ainsi l'initiative des mouvements, vous n'auriez plus la même influence dans les affaires d'Espagne. L'Empereur pense que la Biscaye et le Nord se sont trouvés dans une situation fâcheuse par les suites de l'évacuation des Asturies, dont la réoccupation par la division du général Bonnet ne lui était point encore connue. Le nord de l'Espagne s'est trouvé exposé, en effet, à des événements malheureux, et il n'est pas douteux que la libre communication des guérillas avec la Galice et les Asturies, par terre et par mer, ne finit par les rendre formidables. Tant que les Asturies ne seront pas occupées en force par vos troupes, ajoute Sa Majesté, votre position ne peut jamais s'améliorer.
«Telle est l'opinion de l'Empereur, sur laquelle Sa Majesté insiste d'autant plus, qu'elle ignorait, en écrivant, le retour du général Bonnet dans les Asturies, que vos lettres postérieures lui auront appris, et qui doit avoir une influence très-avantageuse sur l'état des affaires dans le nord de l'Espagne.»
LE GÉNÉRAL CAFFARELLI AU MARÉCHAL MARMONT.
«Vitoria, le 10 juin 1812.
«Monsieur le maréchal, j'ai reçu à la fois les lettres que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire les 24 et 30 mai et le 5 juin. Il paraît qu'il y en a eu d'égarées, car ce sont les premières que je reçois depuis un mois.
«Je réunis en infanterie, cavalerie et artillerie tout ce que j'ai de disponible, et je ferai tout ce qu'on peut attendre d'un bon serviteur de l'Empereur.»
LE ROI JOSEPH AU MARÉCHAL MARMONT.
«Madrid, le 12 juin 1812.
«Monsieur le duc, deux jours après avoir reçu votre dernière lettre, du 5 de ce mois, par laquelle vous m'annoncez que vous regardez le mouvement des Anglais sur vous comme très-prochain, j'ai eu des nouvelles de l'Andalousie; le maréchal duc de Dalmatie mande, par sa lettre du 26 mai, qu'il est positif que l'intention du général anglais est de marcher sur l'Andalousie pour forcer l'armée du Midi à lever le siége de Cadix: telles sont ses propres expressions. D'après cette opinion, à laquelle le duc de Dalmatie paraît s'être arrêté, loin d'avoir exécuté les ordres que je lui avais donnés de mettre le corps du comte d'Erlon en mesure de contenir celui du général Hill en Estramadure et de passer même le Tage si le général Hill le passait pour agir sur la rive droite, il demande que l'armée de Portugal et celle d'Aragon marchent au secours de l'armée du Midi.
«Comme cette opinion ne s'est point vérifiée jusqu'ici et qu'elle me paraît même formellement démentie par les rapports que vous m'avez adressés, je n'ai point révoqué mes premiers ordres; je les réitère, au contraire, en pressant leur exécution.
«J'ai cru cependant qu'il était important de vous faire connaître ce que m'écrit le duc de Dalmatie. Il est possible que les Anglais fassent par la suite ce qu'ils n'ont pas fait aujourd'hui.
«Je vous recommande donc de ne pas vous laisser imposer par de fausses démonstrations; s'il arrivait que celles que les Anglais ont faites contre vous n'eussent eu d'autre objet que de masquer leur véritable projet sur l'Andalousie, soyez toujours prêt à faire marcher, comme mes instructions antérieures l'ont prévu, trois divisions de l'armée de Portugal en Estramadure, dans le cas où lord Wellington se porterait sur la rive gauche du Tage: c'est ce que vous êtes à portée d'observer. Le général Caffarelli m'a écrit en date du 25 mai; il a dû entrer en correspondance avec vous sur les secours que vous pouvez attendre de l'armée du Nord; il paraît que vous avez peu à y compter, vu l'état de faiblesse auquel, suivant ce que mande le général Caffarelli, l'armée du Nord est réduite.»
LE GÉNÉRAL CAFFARELLI AU MARÉCHAL MARMONT.
«Vitoria, le 14 juin 1812.
«Monsieur le maréchal, je viens de recevoir les dépêches de Votre Excellence du 8, primata et duplicata. Vous espérez livrer bataille; je vous amènerai huit mille hommes et vingt-deux bouches à feu dès que les troupes que j'attends de Navarre seront arrivées. Je me mettrai en mouvement et je m'échelonnerai entre Burgos et Valladolid.»
LE MARÉCHAL JOURDAN AU MARÉCHAL MARMONT.
«Madrid, le 14 juin 1812.
«Monsieur le maréchal, le roi a reçu depuis quelques jours votre lettre du 5-6. Sa Majesté vous a répondu hier par estafette; elle me charge de vous adresser ci-joint le duplicata de sa lettre.--J'ai reçu ce matin le duplicata de votre lettre du 1er juin et votre lettre du 2 du même mois; je les ai mises sous les yeux du roi.
«Sa Majesté vous a fait connaître quelle est l'opinion de M. le duc de Dalmatie sur les projets de l'ennemi. Ce maréchal croit qu'une bonne partie de l'armée anglaise est sur la Guadiana, et que le générai Darricaut mande, par ses lettres des 2 et 5 juin, que soixante mille hommes sont au moment de pénétrer en Andalousie. Le roi est trop éloigné pour juger qui est dans l'erreur, de vous ou du duc de Dalmatie. Sa Majesté ne peut donc que vous réitérer que vous devez bien observer les mouvements de l'ennemi, pour éviter d'être trompé par de fausses démonstrations et vous tenir prêt à porter trois divisions au secours de l'armée du Midi si lord Wellington se porte sur l'Andalousie. Le roi a mandé la même chose au duc de Dalmatie, en lui réitérant l'ordre d'envoyer le comte d'Erlon sur la rive droite du Tage si lord Wellington appelle à lui le général Hill.
«J'ai mandé, par ordre du roi, au général Caffarelli de se préparer à vous soutenir avec tout ce dont il pourra disposer dans le cas où l'année anglaise prendrait l'offensive sur vous; mais, comme ce général ne peut pas dégarnir sans danger les provinces dont le commandement lui a été confié, le roi désire que vous ne l'appeliez à vous que quand vous connaîtrez bien les projets de l'ennemi. Il a été écrit depuis longtemps à M. le due de Dalmatie et au comte d'Erlon que le corps de l'armée du Midi qui se porterait sur le Tage trouverait à Talavera de l'artillerie, pourvu qu'on menât des chevaux pour l'atteler. Il est déjà arrivé dans la vallée du Toge un grand bateau sur lequel on peut passer deux voitures à la fois. Ce grand bateau est en réserve à Oropesa. On s'occupe ici de la construction d'un pont volant; il sera envoyé à Talavera aussitôt qu'il sera prêt. Le roi sent parfaitement qu'il serait important de faire rétablir le fort de Lugar-Nuevo; mais le général Treillard n'a pas assez des troupes sous ses ordres pour cela, et le roi ne peut pas lui en envoyer d'autres. Sa Majesté me charge de vous proposer d'envoyer un bataillon de cinq cents hommes à ce général, et de suite on travaillera à rétablir Lugar-Nuevo en même temps qu'on s'occupera de la construction des bateaux pour un pont. Si vous pouvez faire passer une division dans la vallée du Tage, vous rendrez un service de la plus grande importance.
«Le général Treillard, n'ayant pas assez des troupes pour faire réparer et garder Lugar-Nuevo, est encore bien moins en état de faire ouvrir des roules sur la rive gauche du Tage. Je lui en avais donné l'ordre depuis longtemps; mais il ne lui a pas été difficile de démontrer qu'il était dans l'impossibilité de l'exécuter.
«Les forts de Miravete doivent être approvisionnés pour deux mois dans le moment actuel. Le général Treillard reçoit fréquemment des nouvelles du commandant.»
LE ROI JOSEPH AU MARÉCHAL MARMONT.
«Madrid, le 18 juin 1812.
«Monsieur le duc, le maréchal Jourdan m'a communiqué votre lettre du 14. J'espère que, si le général Hill s'est réuni au gros de l'armée anglaise, le général Drouet aura suivi son mouvement et qu'il arrivera bientôt dans la vallée du Tage. Je ne saurais supposer que le duc de Dalmatie n'exécute pas les ordres formels que je lui ai donnés à cet égard, et que j'ai si souvent réitérés. J'espère aussi que le général Caffarelli vous enverra quelques secours.
«Je viens d'envoyer ordre aux troupes qui sont dans la Manche de venir sur le Tage. Je les réunirai à celles qui sont sous le commandement du général Treillard, ce qui formera un petit corps d'environ quatre mille hommes, qui agira avec les troupes de l'armée du Midi, sous les ordres du comte d'Erlon.
«Je pense que, si le général Hill est resté avec dix-huit mille hommes sur la rive gauche du Tage, vous serez en état de battre l'armée anglaise, surtout si vous recevez quelques secours de l'armée du Nord. C'est à vous à bien choisir votre champ de bataille et de bien faire vos dispositions; mais je conçois que, si le général Hill est réuni au gros de l'armée anglaise, le succès pourrait être incertain si vous combattez seul. Je pense que, dans ce cas, vous devez éviter de livrer bataille avant l'arrivée des troupes du général Drouet et de celles que j'ai fait demander au maréchal Suchet. Si les ordres que j'ai donnés à ce maréchal et au duc de Dalmatie sont exécutés, le succès est certain. Il ne faudrait donc pas le compromettre par trop de précipitation. Il serait moins dangereux de céder un peu de terrain. J'ai cru devoir vous adresser ces réflexions, afin que, suivant les circonstances, vous en fassiez l'usage convenable. Je n'hésiterais pas même à vous donner l'ordre positif de refuser la bataille si j'étais certain de l'arrivée du général Drouet avec quinze mille hommes et de l'arrivée de la division de l'armée d'Aragon; car alors l'armée anglaise serait fortement compromise. Mais, dans l'incertitude où je suis à cet égard, je ne puis que vous répéter que, si le général Hill est encore sur la rive gauche du Tage, vous devez bien choisir votre terrain et bien faire vos dispositions pour livrer bataille avec toutes vos forces réunies; mais que, si le corps du général Hill est réuni à lord Wellington, vous devez éviter de combattre aussi longtemps que cela vous sera possible, afin d'attendre les secours qui sans doute arriveront. Je viens de réitérer à cet égard mes ordres au maréchal Suchet et au duc de Dalmatie, et je vais les réitérer au général Caffarelli.»
LE GÉNÉRAL BONNET AU MARÉCHAL MARMONT.
«Aguilard del Campo, le 20 juin 1812.
«Monsieur le maréchal, par ma lettre du 19, j'ai eu l'honneur de rendre compte à Votre Excellence des motifs qui m'ont obligé d'évacuer Oviedo. Je me suis rendu sur la Pisnarga, où j'attends vos ordres. Le général Rey, gouverneur à Burgos, a répondu à l'avis que je lui avais donné de ma position. Les bandes, dans ce pays, sont nombreuses et actives. Si je n'avais craint de contrarier vos intentions, j'aurais dirigé ma division sur Rioseco, quoique, dans la position qu'elle occupe, elle est sur Burgos et peut se porter au secours de Santander.
«Un accident assez désagréable vient de m'arriver, et me mettra peut-être dans le cas de me rendre à Burgos de ma personne. Je me suis fendu la tête trop fortement pour croire qu'il me soit possible de suivre les mouvements que ferait ma division. Il sera donc urgent de me donner un successeur si elle devait agir de suite.»
LE GÉNÉRAL CAFFARELLI AU MARÉCHAL MARMONT.
«20 juin 1812.
«Hier les premières troupes dont je puis disposer sont arrivées ici; elles sont parties aujourd'hui, ce matin; les autres arrivent de tous les côtés à la fois; elles doivent se mettre en mouvement de suite; j'apprends que les Anglais ont fait une expédition composée de onze bâtiments, dont deux vaisseaux et six frégates, et avant-hier au soir elle était devant le port de Motrico.
«D'un autre côté, Renovalès s'est porté à sept lieues de Bilbao; Pinto en est à six, et Longa pas bien loin de là. Tous ces mouvements me forcent à retarder celui de la majeure partie de l'infanterie; mais la cavalerie et l'artillerie vont partir. J'attends des nouvelles à chaque instant, et, dès que j'en aurai, je prendrai la détermination la plus prompte et la plus sûre, celle de faire marcher contre cette expédition et de la culbuter; cela portera un délai forcé de plusieurs jours à mon arrivée, ce qui me contrarie bien; mais je ne prévoyais pas cette circonstance, et, lorsque j'en ai parlé, j'étais loin de penser qu'elle se présentât promptement.»
LE GÉNÉRAL CAFFARELLI AU MARÉCHAL MARMONT.
«26 juin 1812.
«Monsieur le maréchal, j'ai eu l'honneur d'informer Votre Excellence que les ennemis avaient fait à la côte une forte expédition; que j'ai été obligé de disposer des troupes qui étaient arrivées ici la veille; que Bilbao était attaqué, tandis que Lequeitio l'était par mer et par terre, et avait été emporté; que le général Bonnet, évacuant les Asturies, est entré le 18 dans la province de Santander.
«J'ai appris, hier au soir, qu'il avait pris la route de Reynosa, que l'expédition était composée de six vaisseaux de ligne, neuf frégates et six bricks, qui se tiennent partie sur Santoña, partie sur la côte de Biscaye. Les troupes débarquées à Lequeitio sont des troupes de terre anglaises.
«Par l'évacuation des Asturies, à laquelle j'étais loin de m'attendre, d'après les dernières lettres de Votre Excellence, je me trouve, non-seulement découvert, mais hors d'état de conserver la province de Santander. Tomasera livré à lui-même, la Biscaye est ouverte de partout, et l'ennemi pourra en occuper tous les ports. Je suis entouré de bandes très-fortes, peu dangereuses par elles-mêmes, mais bien par la multiplicité de leurs mouvements sur les différents points de l'arrondissement de l'armée.
«Dans cet état de choses, que puis-je faire, sans livrer le pays à l'ennemi, sans lui abandonner les moyens de nous soutenir par la suite, et toutes nos subsistances?
«J'envoie la cavalerie et l'artillerie, c'est tout ce qu'il est en mon pouvoir de faire, et Votre Excellence est trop juste pour exiger autre chose de moi. En ce moment, j'apprends que Bilbao est encore attaqué.
«Voilà ma position, monsieur le maréchal, elle est pénible sous tous les rapports et, certes, je n'ai pas beaucoup de moyens de l'améliorer.»
LE GÉNÉRAL DE MONTLIVAULT AU MARÉCHAL MARMONT.
«Valladolid, le 28 juin 1812.
«Monseigneur, le mouvement du général Bonnet, ainsi que je vous l'annonçais par mes lettres précédentes, est réel; il était il y a trois jours à Aguilair del Campo, à dix-huit lieues d'ici. La lettre que j'ai l'honneur d'envoyer ci-jointe à Votre Excellence vous en instruira plus positivement. Le général Guérin, qui a également reçu une lettre du général Bonnet, qui lui demande des nouvelles de ce qui se passe, a daigné me consulter afin de s'éclairer sur les intentions de Votre Excellence. Il rend compte au général Bonnet de la position de Votre Excellence, et l'engage, dans le cas où il n'aurait pas d'ordres contraires, à se porter en ligne le plus rapidement possible. Veuillez, monseigneur, par le retour du paysan, envoyer des ordres pour cette division et dire si l'on a rempli vos vues. Quant à l'armée du Nord, je commence à perdre l'espoir de voir arriver le général Caffarelli, ni aucunes troupes de son armée. D'après la lettre qu'a reçue le général Guérin, il paraît positif que le 24 il n'y avait encore personne d'arrivé à Burgos. Les bruits courants, dont j'ai eu l'honneur de rendre compte à Votre Excellence, par mes lettres des 26 et 27, existent toujours; mais plus le temps s'écoule, et moins ils méritent de confiance. Depuis trois jours on répète les mêmes choses, et nous n'avons pas aujourd'hui dos nouvelles plus positives que lors de mon arrivée.
«Il paraît certain qu'un convoi de France est arrivé le 23 à Burgos, et que les troupes qui l'escortaient ont rétrogradé sur-le-champ sur Vitoria. Dans cet état de choses, monseigneur, je crois ma présence ici complétement inutile, et supplie Votre Excellence de vouloir bien me rappeler auprès d'elle. Car, ne pouvant remplir ici ses instructions, il m'est extrêmement pénible, dans un moment comme celui-ci, de me trouver éloigné de l'armée. Je ne puis aller plus loin, les communications n'existant pas. La seule ressource qui me restait, le convoi, reste ici. Quant aux nouvelles, le gouverneur et le commissaire de police ont plus de moyens que moi d'en avoir et d'en faire passer à Votre Excellence. J'implore donc de ses bontés de m'envoyer l'ordre, par le retour du porteur, de rentrer près d'elle. Je n'ai négligé aucun moyen pour savoir ce qui se passe. Je me suis abouché avec tous ceux qui pouvaient avoir des nouvelles. J'ai fait partir les trois lettres de Votre Excellence pour le général Caffarelli, et j'en ai moi-même écrit une quatrième par un contrebandier très-adroit. J'espère que Votre Excellence aura reçu mes quatre lettres, qui ont précédé celle-ci.--Des moissonneurs galiciens arrivent aujourd'hui ici, disant que Astorga a été pris le 23 du courant et que l'armée de Galice s'avance, sans donner d'autres détails.»
LE MARÉCHAL JOURDAN AU MARÉCHAL MARMONT.
Madrid, le 30 juin 1812.
On trouvera le texte de cette lettre dans les Mémoires du duc de Raguse, page 121 de ce volume.
LE MARÉCHAL MARMONT AU GÉNÉRAL CAFFARELLI.
«Tordesillas, le 2 juillet 1812.
«Monsieur le comte, le 10 juin vous m'avez écrit que vous rassembliez vos troupes pour venir à mon secours, et que vous feriez tout ce qu'on peut attendre d'un bon serviteur de l'Empereur.
«Le 14 juin, vous m'avez donné les mêmes assurances avec plus de détail.
«Le 20 juin, en m'annonçant que l'envoi d'une portion de l'infanterie serait retardé, vous m'annoncez que la cavalerie et l'artillerie se mettent en marche; et aujourd'hui, 2 juillet, pas un soldat, pas un canon de l'armée du Nord ne sont arrivés.
«Il eût mieux valu, monsieur le comte, ne rien promettre que ne rien tenir, car ces promesses ont influé sur toutes les dispositions que j'ai prises.
«Je ne sais quel sera le résultat de tout ceci; s'il est funeste, je laisse à votre conscience à juger les causes qui l'auront produit, et s'il était plus conforme aux intérêts de l'Empereur, dans la crise où nous sommes, de s'occuper à combattre Longa-Regnovalès ou lord Wellington.»
LE GÉNÉRAL CAFFARELLI AU MARÉCHAL MARMONT.
«Vitoria, le 11 juillet 1812.
«Monsieur le maréchal, j'avais tout disposé pour faire partir ce matin de l'artillerie et de la cavalerie, et je devais les faire escorter par un régiment d'infanterie jusqu'à Burgos, où, se ralliant à d'autre cavalerie et à de l'artillerie, le convoi serait allé jusqu'à Valladolid; les mouvements de l'ennemi m'en ont empêché. Le port de Castro est pris, et en ce moment Portugalette, qui est à l'entrée de la rivière de Bilbao, est vivement attaqué depuis trois heures du matin. Ce n'est qu'avec la plus grande difficulté que je puis communiquer avec les troupes; je ne puis avoir des nouvelles ni de San Andeo ni de Pampelune. Les postes de l'Èbre sont attaqués; la communication avec la France est interceptées. Ce ne sont plus des bandes, ce sont des corps de trois à quatre mille hommes, organisés en bataillons, qui agissent sous la direction des Anglais. Tout le pays prend les armes: je ne pense pas cependant que cet état de choses puisse durer au delà de quelques jours. J'attends une division qui devrait être arrivée à Logrono, et aussitôt j'espère que les choses changeront de face. Croyez, monsieur le maréchal, que je ne demande pas mieux que de vous seconder; mais, obligé de garder une ligne extrêmement étendue et ayant peu de moyens, je me suis vu forcé de différer les choses les plus pressantes et les plus importantes: et je mets au premier rang celle de vous envoyer du monde.
«J'apprends à l'instant qu'il est arrivé des troupes à Bayonne, et je dois penser que, le 13, il en partira pour Vitoria. Je donne ordre au 1er régiment de hussards, au 31e de chasseurs et à un escadron arrivé depuis peu, de partir avec huit bouches à feu pour se rendre à Valladolid et d'y faire apporter du biscuit. J'ai prié Votre Excellence d'envoyer de l'infanterie pour prendre ce convoi; il l'attendra à Celada, car à peine ai-je en tout et sur tous les points six mille hommes disponibles, que j'aurais envoyés à l'armée de Portugal sans ces événements. Le 15e de chasseurs a quatre bouches à feu, qui sont ici et qui partiront lorsque je pourrai les faire escorter. Je n'ai pas reçu de lettres de Votre Excellence depuis le 2.»
LE GÉNÉRAL CAFFARELLI AU MARÉCHAL MARMONT.
«Vitoria, le 16 juillet 1812.
«Monsieur le maréchal, aujourd'hui la cavalerie, l'artillerie et le convoi que j'ai eu l'honneur d'annoncer à Votre Excellence par ma lettre du 11 ont dû se mettre en marche sous les ordres du général Chauvet, et je pense qu'ils arriveront le 18 ou le 19 à Valladolid.
«Votre Excellence a envoyé l'ordre à la division Palombini, qui devait se trouver à Aranda, d'aller joindre l'armée à Tordesillas, et c'était l'intention de Sa Majesté Catholique; mais cette division, pour laquelle j'avais envoyé des ordres à Aranda et à Soria, n'a communiqué avec aucune place; elle est allée dans les environs de Soria, sur la frontière d'Aragon, de là sur Tudela, d'où le général Palombini m'a annoncé sa prochaine arrivée à Logrono: sa lettre est du 2. Je lui ai envoyé l'ordre de venir le plus promptement possible; ma lettre est arrivée le 6 à Tudela. Tous les jours on m'a annoncé sa prochaine arrivée. Je lui ai envoyé ordres sur ordres; je n'ai pas reçu de ses nouvelles. Avant-hier je lui ai encore écrit; je le fais encore aujourd'hui. Je ne conçois rien à ses mouvements et à l'ignorance dans laquelle il me laisse de sa situation.
«Le peu de troupes que j'ai envoyées sur les côtes a eu trois affaires avec deux corps de trois à quatre mille hommes qui appuyaient les opérations de l'escadre anglaise. Santonia va sous peu être abandonné à lui-même. Tous les hommes en état de porter les armes sont enlevés; les ennemis nous entourent de tous les côtés, et notre situation, sous tous les rapports, est extrêmement critique.
«Au moment où cette lettre va partir, j'apprends que Mendizabal est arrivé à Orduna, et que cette ville et les environs sont remplis de troupes et que son projet est d'attaquer Vitoria de concert avec les bandes de la Navarre et du Guipuscoa.
«Un voyageur m'apprend qu'il a rencontré la division Palombini à Cerbera, près d'Agreda, le 13 au matin. Je ne puis comprendre les motifs de ces mouvements.»
LE GÉNÉRAL CAFFARELLI AU MARÉCHAL MARMONT.
«Reçue au camp d'Aldea-Rubia, le 21 juillet 1812.
«Si j'avais une heure d'entretien avec Votre Excellence, elle verrait que je ne mérite pas de reproches, et encore moins l'ironie amère avec laquelle votre lettre du 2 est terminée. Je sens tout comme un autre de quelle importance il est pour la gloire et pour les intérêts de l'Empereur de battre lord Wellington de préférence aux bandes. Je suis aussi attaché qu'un autre à les conserver, mais une forte expédition est venue; je ne sais ce qui va venir des Asturies ou sur Burgos ou sur la Castille, et j'ai très-peu de bonne infanterie. La cavalerie et l'artillerie seraient parties si j'eusse pu les faire appuyer par de l'infanterie; je les aurais fait joindre au général Bonnet si j'eusse connu son mouvement. L'embarras est de se mettre en route, parce que j'espère qu'elles seront appuyées par des troupes venant à leur rencontre de Valladolid. Ce qu'il y a de certain, c'est que je suis entouré d'ennemis, attaqué de tous côtés, et que, si j'eusse fait le détachement que j'avais disposé et qui était à la veille de son départ, l'ennemi serait maître de tout le pays et aux portes de la France.»
LE ROI JOSEPH AU MARÉCHAL MARMONT.
«Madrid, le 21 juillet 1812.
«Ayant perdu l'espérance de vous faire secourir par des troupes de l'armée du Midi et de l'armée d'Aragon, j'ai pris le parti d'évacuer toutes les provinces comprises dans l'arrondissement de l'armée du Centre, et je n'ai laissé de garnison qu'à Madrid, Tolède et Guadalaxara, et je pars ce soir avec un corps de treize à quatorze mille hommes. Je vais me diriger sur Villacastin, Arevalo, et, de là, je me porterai sur Ormedo pour m'unir à vous, ou sur Fontiveros et la Tormès, pour menacer les communications de l'ennemi suivant les événements et le parti que vous prendrez. J'ignore votre position, je n'ai pas de notions bien précises sur celles de l'ennemi ni sur ses forces; je ne peux donc pas juger de ce que vous pouvez faire, et, par conséquent, vous envoyer des ordres formels: ainsi c'est à vous à me faire savoir ce que vous êtes dans le cas d'entreprendre au moyen des secours que je vous mène, et j'agirai en conséquence. Je vous fais seulement observer que je ne veux pas être longtemps éloigné de ma capitale; il faut donc agir promptement. Je vous préviens aussi que je ne peux me réunir avec vous qu'autant que vous passerez le Duero, étant dans la ferme résolution de ne pas passer la rive droite de ce fleuve, et de me tenir plutôt en Andalousie pour y chercher l'armée du Midi, et revenir ensuite au centre de l'Espagne et y livrer bataille à l'armée anglaise. Calculez, d'après cela, ce que vous pouvez entreprendre, faites-le-moi savoir, et je ferai tout ce qu'il me sera possible de faire avec le corps de troupes qui est à moi. Je dois vous faire observer que, tant que je ne connaîtrai pas vos intentions, je devrai agir avec circonspection, afin de ne pas m'exposer à être battu ou au moins à reculer. Mon mouvement doit nécessairement fixer l'attention de l'ennemi; il devra détacher des troupes pour m'observer, c'est à vous à en profiter pour agir, afin de ne pas laisser à lord Wellington la facilité de faire impunément un détachement sur moi.
«Je vous ai développé plus haut les motifs qui m'empêchent de vous donner des ordres précis; mais voici mon opinion sur la manière dont vous devez agir: aussitôt que lord Wellington aura fait un détachement sur moi, vous devez vous porter sur la rive gauche du Duero, soit par le pont de Tordesillas, soit par le pont de Toro. Si vous passez par Tordesillas, je me porterai sur Médina ou Valdestellas afin de me réunir à vous, et ensuite nous agirons avec vigueur. Si vous passiez à Toro et que vous vous portiez sur Salamanque, je me porterai sur Alba de Tormès par Fontiveros. Cette dernière opération aurait l'avantage de forcer lord Wellington à quitter les environs de Tordesillas pour se réunir à Salamanque, et un premier mouvement rétrograde serait fort avantageux pour l'opinion et nous donnerait la faculté de nous réunir. Il n'est pas probable que lord Wellington se hasarde à passer sur la rive droite du Duero par Tordesillas lorsqu'il verra que vous et moi nous nous portons sur Salamanque, puisqu'il perdrait sa ligne d'opération sur le Portugal, à laquelle il doit tenir beaucoup. Je n'hésiterais pas même à vous donner l'ordre de vous porter rapidement sur Toro, et de là sur Salamanque, si je savais ce qui se passe sur la rive droite du Duero, où on dit qu'une armée espagnole est en opération. Cependant je ne puis me dispenser de vous faire observer que cette armée sera bientôt dispersée si nous parvenons à battre l'armée anglaise. Faites-moi donc savoir, monsieur le maréchal, ce que vous croyez pouvoir entreprendre, et comptez que de mon coté je ferai tout ce qui dépendra de moi.»
LE ROI JOSEPH AU MARÉCHAL MARMONT.
«21 juillet 1812.
«Monsieur le maréchal, je vous ai écrit par six différentes voies en vous annonçant mon départ de Madrid dans le but de vous porter moi-même les secours que je n'avais pu vous procurer des autres armées. J'avais appris à Villacastin et on me confirme ici votre passage du Duero et la retraite de l'armée anglaise sur Salamanque. Je suis impatient de connaître par vous-même la vérité de ce qui se passe, et vos espérances et vos projets. J'ai avec moi douze mille hommes, deux mille chevaux et vingt bouches à feu. Je ne puis pas prolonger mon absence de ma capitale, qui est réduite à une simple garnison; mais il n'y a rien que je n'expose pour battre les Anglais.
«Ma cavalerie sera demain à Peñaranda, et l'infanterie à Fontiveros. J'attends vos rapports.»
LE ROI JOSEPH AU GÉNÉRAL CLAUSEL
Blanco-Sancho, le 25 juillet, midi.
«Monsieur le général. M. le maréchal duc de Raguse m'annonce les événements du 22 juillet, sa blessure et votre commandement.
«Je reçois en même temps votre lettre de ce matin d'Arevalo, et le porteur m'assure n'être parti d'Arevalo qu'après vous avoir vu partir. La lettre de M. le maréchal ne me parlait que de la perte de trois mille hommes et m'assurait que celle de l'ennemi était plus considérable. La vôtre, monsieur, me prouve que nos malheurs sont plus grands, puisqu'ils ont pu vous déterminer à vous retirer sur la droite du Duero, me sachant si près de vous, et à me déclarer que la réunion de mes troupes (de quatorze mille hommes) ne suffirait pas pour attaquer les Anglais; que vous ne resteriez sur le Duero que dans le cas où lord Wellington se porterait sur Madrid. Je n'ai donc d'autre parti à prendre que de ralentir la poursuite de l'ennemi par les mouvements que j'ordonnerai à la cavalerie et par la lenteur que je mettrai dans mon retour sur Madrid. Vous devez sentir combien je suis impatient de connaître l'état de vos pertes et votre situation actuelle.»
(Par duplicata.)
LE MARÉCHAL MARMONT A NAPOLÉON.
«Tudela, le 31 juillet 1812.
«Sire, je viens de rendre compte au ministre de la guerre des événements qui ont eu lieu depuis que les Anglais ont commencé à agir contre l'armée de Portugal. Mon rapport contient le détail de mes opérations jusqu'au moment où ma malheureuse blessure m'a privé du commandement. J'ai cru devoir envoyer un de mes aides de camp, M. le capitaine Fabvier, pour porter ce rapport à Paris. J'ai pensé aussi que Votre Majesté ne désapprouverait pas que cet officier, qui est parfaitement au fait de tout ce qui s'est passé et qui connaît l'état des choses, se rendit près d'elle pour lui donner tous les renseignements qu'elle pourrait désirer et répondre aux questions qu'elle daignerait lui faire.
«Sire, un combat s'est engagé le 22 juillet avec les Anglais; il a été sanglant. J'ai été frappé auparavant, et au moment où tout nous présageait des succès et où la présence du chef était le plus nécessaire; mais la fortune, en m'éloignant de l'armée, a abandonné nos armes. Que n'ai-je pu, Sire, conserver le commandement jusqu'à la fin de la journée au prix de tout mon sang et de ma vie!»
LE MARÉCHAL MARMONT AU MAJOR GÉNÉRAL.
«Tudela, le 31 juillet 1812.
«J'ai cru devoir expédier un de mes aides de camp à Paris pour porter au ministre de la guerre le rapport des événements qui se sont passés depuis que les Anglais ont commencé à agir contre nous, et du résultat du combat qui a eu lieu le 22 juillet en vue de Salamanque. J'ai pensé que Sa Majesté ne désapprouverait pas que cet officier se rendit au quartier impérial pour lui donner les renseignements qu'elle pourrait désirer, et répondre aux questions qu'elle daignerait lui faire. Je l'ai chargé, aussi d'avoir l'honneur de vous remettre le même rapport, et de vous rendre compte des détails qui pourraient vous intéresser.
«Quoique les circonstances ne soient pas favorables pour faire des demandes d'avancement, je vous rappellerai cependant, monseigneur, tous les titres que M. Fabvier réunit pour en obtenir. C'est un officier extrêmement distingué, d'une grande bravoure, plein d'ardeur et remarquable par sa capacité. Il a rempli avec distinction une mission en Perse, pour laquelle il n'a point obtenu de récompense. Il est à regretter que cet officier ait été retardé dans sa carrière. Plusieurs fois j'ai sollicité pour lui le grade de chef d'escadron. Votre Altesse a daigné exprimer l'intérêt qu'elle mettrait à provoquer cette grâce de Sa Majesté. Permettez-moi, monseigneur, de vous prier de nouveau de lui en faire la demande.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU MINISTRE DE LA GUERRE.
«Tudela, le 31 juillet 1812.
«Monsieur le duc, l'interruption des communications avec la France depuis l'ouverture de la campagne m'ayant empêché de vous rendre des comptes successifs des événements qui se sont passés, je ferai remonter ce rapport au moment où les Anglais sont entrés en opération, et je vais avoir l'honneur de vous faire connaître en détail tous les mouvements qui se sont exécutés jusqu'à l'événement malheureux qui vient d'avoir lieu, et auquel nous étions loin de nous attendre.
«Dès le mois de mai, j'étais informé que l'armée anglaise devait entrer en campagne avec des moyens puissants. J'en rendis compte au roi, afin qu'il pût prendre les dispositions qu'il croirait convenables; et j'en prévins également le général Caffarelli, pour qu'il pût se mettre en mesure de m'envoyer des ses cours lorsque le moment serait venu.
«L'extrême difficulté des subsistances, l'impossibilité de faire vivre à cette époque les troupes rassemblées, m'empêchèrent d'avoir plus de huit à neuf bataillons à Salamanque; mais tout était à portée pour venir me joindre en peu de jours.
«Le 12 juin, l'armée ennemie passa l'Aguada. Le 14, au matin, j'en fus instruit, et l'ordre de rassemblement fut donné aux troupes. Le 16, l'armée anglaise arriva devant Salamanque. Dans la nuit du 16 au 17, j'évacuai cette ville, laissant toutefois une garnison dans les forts que j'avais fait construire, et qui, par l'extrême activité qu'on avait mise aux travaux, se trouvaient en état de défense. Je me portai à six lieues de Salamanque, et là, ayant réuni cinq divisions, je me rapprochai de cette ville. Je chassai devant moi les avant-postes anglais et forçai l'armée ennemie à montrer quelle attitude elle comptait prendre; elle parut résolue à combattre sur le beau plateau et la forte position de San Christoval.
«Le reste de l'armée me rejoignit, je manoeuvrai autour de cette position; mais j'acquis la certitude que partout elle nous présenterait des obstacles difficiles à vaincre et qu'il valait mieux forcer l'ennemi à venir sur un autre champ de bataille que d'engager une action avec lui sur un terrain qui lui donnait beaucoup d'avantages; d'ailleurs divers motifs me faisaient désirer de traîner les opérations en longueur, car je venais de recevoir une lettre du général Caffarelli, qui m'annonçait qu'il réunissait ses troupes et qu'il allait marcher pour me soutenir, tandis que ma présence avait fait suspendre le siége du fort de Salamanque. Les choses restèrent dans cet état pendant quelques jours encore, et les armées en présence, lorsque le siége du fort de Salamanque recommença avec vigueur. En égard au peu de distance qu'il y avait entre l'armée française et la place, et, au moyen des signaux convenus, j'étais chaque jour informé de la situation de la place. Ceux du 26 au 27 m'informèrent que le fort pouvait tenir encore cinq jours; dès lors je me décidai à exécuter le passage de la Tormès et à agir par la rive gauche; le fort d'Alba, que j'avais précieusement conservé, me donnait un passage sur cette rivière, une nouvelle ligne d'opérations et un point de dépôt important; je fis des dispositions pour exécuter ce passage dans la nuit du 28 au 29. Dans la nuit du 27, le feu redoubla d'intensité, et l'ennemi, fatigué d'une résistance qui lui paraissait exagérée, tira à boulets rouges sur les établissements du fort. Malheureusement ses magasins renfermaient une grande quantité de bois de démolition, ils s'enflammèrent, et dans un instant le fort fut le foyer d'un vaste incendie; il fut impossible à la brave garnison qui le défendait de supporter tout à la fois les attaques de l'ennemi et l'incendie qui détruisait ses défenses, ses magasins et ses vivres et mettait les soldats eux-mêmes dans la situation la plus épouvantable; elle dut donc se rendre à discrétion après avoir eu la gloire de repousser deux assauts, et de faire perdre à l'armée anglaise plus de quinze cents hommes, c'est-à-dire plus du double de sa force. Cet événement se passa le 28, à midi. L'armée, n'ayant plus d'objet dans son opération au delà de la Tormès, et tout au contraire indiquant qu'il était sage d'attendre les renforts annoncés d'une manière formelle par l'armée du Nord, je me décidai à rapprocher l'armée du Duero, sauf à passer cette rivière, si l'armée anglaise marchait à nous, et à y prendre une bonne ligne de défense, jusqu'à ce que le moment de l'offensive fût venu. Le 28, l'armée partit et prit position sur la Guareña; le 29, sur la Trabanjos, où elle séjourna; l'ennemi ayant suivi le mouvement avec toutes ses forces, l'armée prit position le 1er juillet sur le Zapardiel, et, le 2, elle passa le Duero à Tordesillas, lieu que je choisis pour le pivot de mes manoeuvres. La ligne du Duero est excellente; je fis avec détail toutes les dispositions qui pouvaient assurer la bonne défense de cette rivière, et je ne pouvais douter de faire échouer toutes les entreprises de l'ennemi, s'il tentait le passage. Le 3, lendemain du jour où nous avions passé le Duero, il fit quelques rassemblements de forces et quelques légères tentatives pour effectuer ce passage sur Pollos, point qui lui était fort avantageux. Les troupes que je disposai, et quelques coups de canon, le firent promptement renoncer à son entreprise.
«Tout en attendant les secours de l'armée du Nord, promis d'une manière si réitérée et si solennelle, je cherchai à ajouter, par ma propre industrie, aux moyens de l'armée. Ma cavalerie était bien inférieure à celle de l'ennemi. Les Anglais avaient près de cinq mille chevaux, anglais ou allemands, sans compter les Espagnols, formés en troupes régulières; je n'en avais pas deux mille. Avec cette disproportion, comment manoeuvrer son ennemi? Comment profiter des succès qu'on peut obtenir? Je n'avais qu'un moyen d'augmenter ma cavalerie, c'était celui de disposer des chevaux inutiles au service de l'armée et appartenant à des individus qui n'avaient pas droit d'en avoir, qui en avaient un nombre excédant celui que la loi leur accorde. Je n'hésitai pas à prendre ce moyen, quelque rigoureux qu'il fût, puisqu'il s'agissait de l'intérêt imminent de l'armée et du succès de ses opérations. J'ordonnai donc l'enlèvement, sur estimation et moyennant le payement de leur valeur, des chevaux qui se trouvaient dans la catégorie précitée. J'en fis également enlever un grand nombre qui se trouvaient dans un convoi venant d'Andalousie. Cette mesure, exécutée avec sévérité, donna, en huit jours, mille hommes à cheval de plus, et ma cavalerie réunit plus de trois mille combattants. Cependant, je n'en espérais pas moins les secours de l'armée du Nord, qui continuait ses promesses, dont l'exécution semblait être commencée, mais dont nous n'avions encore aucun effet.
«La huitième division de l'armée de Portugal occupait les Asturies. Ces troupes étaient complétement isolées de l'armée par l'évacuation de toute la province de Léon et de Benavente; elles se trouvaient sans secours et sans communication avec l'armée du Nord, parce que, d'un côté, les trincadours, qui avaient du venir de Bayonne, n'avaient pu être envoyés à Gijon, et que, de l'outre, le général en chef de l'armée du Nord, quoiqu'il l'eût promis d'une manière formelle, s'était dispensé de faire faire un pont sur la Daga et d'y établir des postes. Cette division n'avait pu emporter que très-peu de munitions, faute de moyens de transport. Elles étaient en partie consommées, et elle ne savait comment les remplacer. Sa position pouvait devenir à chaque instant plus critique si l'ennemi s'occupait d'elle sérieusement; tandis que, si elle restait ainsi isolée, elle demeurait tout à fait étrangère aux événements importants qui allaient se passer sur le plateau de la Castille. Le général Bonnet, calculant dans cet état de choses, et considérant, d'après la connaissance qu'il a du pays, qu'il est beaucoup plus difficile de sortir des Asturies que d'y rentrer quand l'ennemi veut s'opposer à l'entrée ou au départ, il se décida à évacuer cette province et à aller prendre position à Reynosa. Là, ayant appris que l'armée de Portugal était en présence de l'armée anglaise et qu'elle était au moment de combattre, il n'hésita pas à se mettre en mouvement et à la rejoindre.
«Fort de ce secours important, de l'augmentation que ma cavalerie venait d'avoir, n'ayant plus rien de positif de l'armée du Nord, instruit, d'ailleurs, de la marche de l'armée de Galice, qui, sous peu de jours, devait nécessairement me forcer à un détachement pour l'éloigner, je pensai que je devais agir sans retard. Je devais craindre que ma situation, qui s'était beaucoup améliorée, ne changeât en perdant du temps; tandis que celle de l'ennemi devait devenir meilleure à chaque instant par la nature même des choses. Je résolus donc de repasser le Duero; mais ce passage est une opération difficile et délicate; elle ne peut être entreprise qu'avec beaucoup d'art et de circonspection, en présence d'une armée en état de combattre. J'employai les journées des 13, 14, 15 et 16 juillet à faire beaucoup de marches et de contre-marches qui trompèrent l'ennemi. Je feignis de vouloir déboucher par Toro, et je débouchai par Tordesillas, en faisant une marche extrêmement rapide. Ce mouvement réussit si bien, que toute l'armée put passer la rivière, s'en éloigner et se former sans rencontrer un seul ennemi. Le 17, l'armée prit position à Nava del Rey. L'ennemi, qui était en pleine marche sur Toro, ne put porter rapidement que deux divisions à Tordesillas de la Orden; les autres étaient rappelées de toutes parts pour se réunir. Le 18 au matin, nous trouvâmes ces deux divisions à Tordesillas de la Orden. Comme elles ne croyaient pas toute l'armée rassemblée, elles pensèrent pouvoir gagner du temps sans péril. Cependant, lorsqu'elles virent déboucher nos masses, elles s'empressèrent d'opérer leur retraite sur un plateau qui domine le village, et vers lequel nous marchions. Déjà nous les avions débordées; si j'avais eu une cavalerie supérieure ou égale en nombre à celle de l'ennemi, ces deux divisions étaient détruites. Nous ne les poursuivîmes pas moins avec toute la vigueur possible, et, pendant trois heures de marche, elles furent accablées par le feu de notre artillerie, que je fis porter en queue et en flanc, et auquel elles purent difficilement répondre; mais, protégées par leur nombreuse cavalerie, elles se divisèrent pour remonter la Guareña, afin de la passer avec plus de facilité.
«Arrivés sur les hauteurs de la vallée de la Guareña, nous vîmes qu'une portion de l'armée anglaise se formait sur la rive gauche de cette rivière. Dans cet endroit, les hauteurs de cette vallée sont très-escarpées, et la vallée a une largeur médiocre. Soit que ce fût le besoin de rapprocher ses troupes de l'eau, à cause de la chaleur excessive qui se faisait sentir, soit pour toute autre raison que j'ignore, le général anglais en avait placé la plus grande partie dans le fond à une demi-portée de canon des hauteurs dont nous étions les maîtres. Aussi, en arrivant, je fis mettre en batterie quarante pièces de canon, qui, dans un moment, curent forcé l'ennemi à se retirer après avoir laissé un grand nombre de morts et de blessés sur la place. L'armée marchait sur deux colonnes, et j'avais donné le commandement de la colonne de droite, distante de celle de gauche de trois quarts de lieue, au général Clausel. Arrivé sur les lieux, le général Clausel, ayant peu de monde devant lui, crut pouvoir s'emparer de deux plateaux de la rive gauche de la Guareña et les conserver; mais cette attaque fut faite avec peu de monde. Ses troupes n'étaient pas reposées et à peine formées. L'ennemi s'en aperçut, marcha aux troupes qu'il avait ainsi jetées en avant, et les força à la retraite. Dans ce combat, qui fut d'une courte durée, nous avons éprouvé quelque perte. La division de dragons, qui soutenait l'infanterie, chargea avec vigueur contre la cavalerie anglaise; mais le général Carrié, un peu trop éloigné du peloton d'élite du 13e régiment, tomba au pouvoir de l'ennemi.
«L'armée resta dans sa position toute la soirée du 18; elle y resta de même pendant toute la journée du 19. L'extrême chaleur et la fatigue qu'on avait éprouvées pendant celle du 18 rendaient nécessaire ce repos pour rassembler les traînards. A quatre heures du soir, l'armée prit les armes et défila par sa gauche pour remonter la Guareña et prendre position en face de l'Olmo. Mon intention était de menacer tout à la fois l'ennemi et de continuer à remonter la Guareña, afin de la passer avec facilité, ou bien, si l'ennemi se portait en force sur la haute Guareña, de revenir, par un mouvement rapide, sur la position qu'il aurait abandonnée. L'ennemi suivit mon mouvement. Le 20, avant le jour, l'armée était en marche pour remonter la Guareña. L'avant-garde franchit rapidement cette rivière là où elle n'est qu'un ruisseau et occupa le commencement d'un immense plateau qui se continue sans aucune modulation jusqu'à peu de distance de Salamanque. L'ennemi chercha à occuper le même plateau; mais il ne put y parvenir. Alors il se détermina à suivre un plateau parallèle qui se rattachait à la position qu'il venait de quitter, et qui lui offrait partout une position dans le cas où j'aurais marché à lui. Les deux armées marchèrent ainsi parallèlement avec toute la célérité possible, et tenant leurs masses toujours liées, afin d'être à tout moment en état de combattre. L'ennemi, ayant cru pouvoir nous devancer au village de Cantalpino, dirigea une colonne sur ce village, dans l'espoir de pouvoir être avant nous sur le plateau qui le domine et vers lequel nous marchions; mais son attente fut trompée: la cavalerie légère que j'y envoyai et la huitième division, qui était à la tête de la colonne, marchèrent si rapidement, que l'ennemi fut forcé d'y renoncer. Bien mieux, le chemin de l'autre plateau le rapprochant trop du nôtre, et celui que nous avions ayant l'avantage du commandement, quelques pièces de canon, qui furent placées à propos, incommodèrent beaucoup l'ennemi; car une bonne portion de l'armée fut obligée de défiler sous ce canon, et le reste fut obligé de repasser la montagne pour l'éviter. Enfin je mis les dragons à la piste de l'ennemi. L'énorme quantité de traînards qu'il laissait en arrière nous aurait donné les moyens de faire trois mille prisonniers s'il y eût eu plus de proportion entre notre cavalerie et la sienne; mais celle-ci, disposée pour arrêter notre poursuite, pour presser la marche des hommes à pied à coups de plat de sabre, pour transporter même les fantassins qui ne pouvaient plus marcher, nous en empêcha. Cependant il est tombé entre nos mains trois à quatre cents hommes et quelques bagages. Le soir, l'armée campa sur les hauteurs d'Aldea-Rubia, ayant ses postes sur la Tormès, et l'ennemi reprit sa position de San-Christoval.
«Le 21, ayant été informé que l'ennemi n'occupait pas Alba de Tormès, j'y fis jeter une garnison. Le même jour, je passai la rivière sur deux colonnes, prenant ma direction par la lisière des bois et établissant mon camp entre Alba de Tormès et Salamanque. Mon objet était, en prenant cette position, de continuer le mouvement par ma gauche, afin de déposter l'ennemi des environs de Salamanque pour le combattre avec plus d'avantage. Je comptais prendre une bonne position défensive où l'ennemi ne pût rien entreprendre contre moi, et enfin venir assez près de lui pour pouvoir profiler des premières fautes qu'il ferait et l'attaquer avec vigueur. Le 22 au matin, je me portai sur les hauteurs de Calvarossa de Arriba pour reconnaître l'ennemi. J'y trouvai une division qui venait d'y arriver; d'autres étaient en marche pour s'y rendre. Quelque tiraillement s'engagea pour occuper des postes d'observation dont nous restâmes respectivement les maîtres. Tout annonçait que l'ennemi avait l'intention d'occuper la position de Tejarès, qui était à une lieue en arrière de celle dans laquelle il se trouvait dans ce moment, distante d'une lieue et demie en avant de Salamanque. Cependant il rassembla beaucoup de forces sur ce point, et, comme son mouvement sur Tejarès pouvait être difficile si toute l'armée française était en présence, je crus utile de l'appeler, afin de pouvoir faire ce que les circonstances commanderaient. Il y avait entre nous et les Anglais deux mamelons isolés appelés les Arapilès. Je donnai l'ordre au général Bonnet de faire occuper celui qui appartenait à la position que nous devions prendre; ses troupes le firent avec promptitude et dextérité. L'ennemi fit occuper le sien: mais il était dominé par le nôtre à la distance de deux cent cinquante toises. Je destinai, dans le cas où il y aurait un mouvement général par la gauche et où il y aurait une bataille, ce mamelon à être le pivot et le point d'appui de droite de toute l'armée. La première division eut ordre d'occuper et de défendre le plateau de Calvarossa, qui est précédé et gardé par un ravin large et profond. La troisième division était en deuxième ligne, destinée à la soutenir, et les deuxième, quatrième, cinquième et sixième se trouvaient à la tête des bois en masse derrière la position d'Arapilès, pouvant se porter également de tous les côtés, tandis que la septième division occupait la tête gauche du bois, qui formait un mamelon extrêmement âpre et d'un difficile accès, et que je faisais garnir de vingt pièces de canon. La cavalerie légère fut chargée d'éclairer la gauche et de se placer en avant de la septième division. Les dragons restèrent en seconde ligne à la droite de l'armée. Telles étaient les dispositions faites vers le milieu de la journée.
«L'ennemi avait ses troupes parallèlement à moi, prolongeant sa droite et se liant à la montagne de Tejarès, qui paraissait toujours son point de retraite.
«Il y avait en avant du plateau occupé par l'artillerie un autre vaste plateau facile à défendre, et qui avait une action bien plus immédiate sur les mouvements de l'ennemi. La possession de ce plateau me donnait les moyens, dans le cas où j'aurais voulu manoeuvrer vers la soirée, de me porter sur les communications de l'ennemi sur Tamamès: ce poste, d'ailleurs bien occupé, était inexpugnable et complétait même la position que j'avais prise; il était d'ailleurs indispensable de l'occuper, attendu que l'ennemi venait de renforcer son centre, d'où il pouvait se porter en masse sur ce plateau et commencer son attaque par la prise de ce point important. En conséquence, je donnai l'ordre à la cinquième division d'aller prendre position à l'extrémité droite de ce plateau, dont le feu se liait parfaitement avec celui d'Arapilès, à la septième division de se placer en seconde ligne pour la soutenir, à la deuxième de se tenir en réserve de celle-ci, et à la sixième d'occuper le plateau de la tête du bois où restait encore un grand nombre de pièces. Je donnai l'ordre également au général Bonnet de faire occuper par le 122e un mamelon intermédiaire entre le grand plateau et le mamelon d'Arapilès qui défendait le débouché du village d'Arapilès; enfin j'ordonnai au général Boyer, commandant les dragons, de laisser un régiment pour éclairer la droite du général Foy, et de porter les trois autres régiments en avant du bois sur le flanc de la deuxième division; de manière à pouvoir, si l'ennemi attaquait le plateau, le charger par la droite de ce plateau, tandis que la cavalerie légère chargerait par sa gauche. La plupart de ces mouvements s'exécutèrent avec irrégularité: la cinquième division, après avoir pris le poste indiqué, s'étendit par sa gauche sans motifs ni raison: la septième division, qui avait ordre de la soutenir, se porta à sa hauteur; enfin la deuxième division se trouvait encore en arrière. Je sentis toutes les conséquences que ces irrégularités pouvaient avoir, et je résolus d'y remédier moi-même sur-le-champ, ce qui était chose facile, l'ennemi n'ayant fait encore aucun mouvement. En même temps je reçus le rapport que l'ennemi faisait passer de nouvelles troupes de sa gauche à sa droite; j'ordonnai aux quatrième et troisième divisions de se porter par la lisière du bois à hauteur, afin que je pusse en disposer au besoin. Il était quatre heures un quart, et je me portais au plateau qui allait être l'objet d'une lutte opiniâtre; mais dans ce moment un boulet creux m'atteignit, me fracassa le bras droit et me fit deux larges blessures au côté droit: je devins ainsi incapable de prendre aucune espèce de part au commandement. Ce temps précieux, que j'aurais employé à rectifier le placement des troupes sur la gauche, se passa sans fruit. De l'absence du commandement naît l'anarchie, et de là le désordre. Cependant le temps s'écoule sans que l'ennemi entreprenne rien. Enfin à cinq heures, jugeant que la situation est favorable, l'ennemi attaque avec impétuosité cette gauche mal formée, les divisions combattant repoussent l'ennemi, en sont repoussées à leur tour; mais elles agissent sans ensemble et sans méthode: les divisions que j'avais appelées pour soutenir les premières se trouvent dans le cas de prendre part au combat sans l'avoir prévu; chaque général fait des efforts extraordinaires pour pouvoir suppléer par ses dispositions particulières à ce que l'ensemble laisse à désirer; mais, s'il peut y parvenir en partie, il ne le peut complétement. L'artillerie se couvre de gloire, fait des prodiges de valeur et au milieu de nos pertes l'ennemi en fait d'énormes; il dirige des attaques sur Arapilès que le brave 120e défendait; il en est repoussé laissant plus de huit cents morts sur la place; enfin l'armée se replie, évacue les plateaux et se retire à la lisière du bois; là l'ennemi fait de nouveaux efforts; la division Foy, qui se trouve par la nature des choses chargée de couvrir le mouvement rétrograde, est attaquée avec vigueur, repousse l'ennemi constamment. Cette division ainsi que son général méritent les plus grands éloges. Dès ce moment la retraite s'effectua sur Alba de Tormès, sans être inquiétée par l'ennemi. Notre perte s'élève à six mille hommes environ hors de combat; nous avons perdu neuf pièces de canon qui, étant démontées, n'ont pu être transportées; tout le reste des bagages, tout le parc d'artillerie, tout le matériel de l'armée a été emmené.
«Il m'est difficile, monsieur le duc, d'exprimer les divers sentiments qui m'ont agité au moment où la fatale blessure que j'ai reçue m'a éloigné de l'armée; j'aurais échangé avec délices cette blessure contre la certitude de recevoir un coup mortel à la fin de la journée, pour conserver la faculté du commandement, tant je connaissais l'importance des événements qui allaient se passer, et combien en ce moment, où le choc des deux armées semblait se préparer, la présence du chef était nécessaire pour l'ensemble à donner au mouvement des troupes et pour en diriger l'action.
«Ainsi un moment de malheur a détruit le résultat de six semaines de combinaisons sages, de mouvements méthodiques, dont l'issue jusqu'alors paraissait certaine et dont tout nous faisait présager de recueillir les fruits.
«Le 25, l'armée fit sa retraite d'Alba de Tormès sur Peñaranda, en prenant sa direction vers le Duero. Toute la cavalerie ennemie atteignit notre arrière-garde, composée de cavalerie et de la première division; cette cavalerie se replia et laissa cette division trop engagée; mais elle forma ses carrés pour résister à l'ennemi. Un d'eux fut enfoncé, les autres résistèrent, et celui du 69e notamment tua deux cents chevaux à l'ennemi à coups de baïonnette; depuis ce temps il n'a fait aucune tentative contre nous.
«Le général Clausel a le commandement de l'armée, et prendra les mesures que les circonstances exigeront. Je vais me faire transporter à Burgos, où j'espère qu'avec du repos et des soins je pourrai me guérir des blessures graves que j'ai reçues, et qui m'affligent plus par l'influence funeste qu'elles ont eue sur les succès de l'armée que par les souffrances qu'elles me font éprouver.
«Je ne saurais trop faire l'éloge de la valeur avec laquelle les généraux et les colonels ont combattu, et du bon esprit qui les a animés dans cette circonstance difficile. Je dois faire mention particulière du général Bonnet, dont au surplus la réputation est faite depuis longtemps; je dois également nommer le général Taupin qui commandait la sixième division. Le général Clausel, quoique blessé, n'a pas quitté le champ de bataille et a donné l'exemple d'une grande bravoure, et a payé de sa personne jusqu'à la fin. Le général d'artillerie Tirlet et le colonel Dijeon, commandant la réserve d'artillerie, se sont particulièrement distingués.
«Dans cette journée, toute malheureuse qu'elle est, il y a eu une multitude de traits dignes d'être cités et qui honorent le nom français. Je m'occuperai à les faire recueillir, et je solliciterai de Sa Majesté des récompenses pour les braves qui s'en sont rendus dignes. Je ne dois pas différer de citer la belle conduite du sous-lieutenant Gullimat, du 118e régiment, qui s'est élancé dans les rangs ennemis pour y enlever un drapeau dont il s'est emparé, après avoir coupé le bras de celui qui le portait, et qu'il a rapporté dans nos rangs malgré les coups de baïonnette qu'il a reçus.
«Nous avons à regretter la perte du général de division Ferey, mort de ses blessures, du général Thomières, tué sur le champ de bataille, et du général Desgraviers. Les généraux Bonnet et Clausel, et le général de brigade Menrse ont été blessés.»
LE MINISTRE DE LA GUERRE AU MARÉCHAL MARMONT
«Paris, le 18 août 1812.
«Monsieur le maréchal, M. Fabvier, votre aide de camp, arriva hier avec vos dépêches des 31 juillet et 6 août; je les attendais avec une vive impatience, les nouvelles anglaises, pleines d'exagération, ayant devancé les vôtres à Taris. C'est à l'Empereur qu'il appartient de juger tout ce qui est relatif à la fâcheuse affaire du 22 juillet; mais, quels qu'en puissent être l'effet et les conséquences, je me persuade que l'Empereur ne verra dans tout ce qui s'est passé que de nouvelles preuves de votre dévouement pour son service, et que Sa Majesté sera vivement touchée de l'accident qui, au commencement de la bataille du 22 juillet, vous a privé du commandement réel de l'armée de Portugal. Je suis personnellement affecté de ce malheureux événement, et l'ancien attachement que Votre Excellence me connaît pour elle ne lui laissera aucun doute sur les sentiments pénibles qui m'agitent en ce moment. Je me flatte, monsieur le maréchal, que vos blessures n'auront aucune suite fâcheuse, et j'ai appris avec plaisir que votre état n'était point dangereux. Je n'hésite point à accorder à Votre Excellence la permission de rentrer en France et de se rendre à Paris si elle le juge à propos. Si la fortune a trahi vos espérances, monsieur le maréchal, je vois, par les lettres que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, que, ses coups se sont arrêtés devant la noblesse de vos sentiments, l'élévation de vos pensées, et qu'ils ne pouvaient porter atteinte à votre zèle pour le service de l'Empereur, à votre attachement et à votre dévouement pour sa personne.
«Un maréchal de l'empire va partir pour prendre le commandement de l'armée de Portugal.»
LE MINISTRE DE LA GUERRE AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, le 14 novembre 1812.
«Monsieur le maréchal, lorsque, le 18 août dernier, j'eus l'honneur de répondre aux lettres que Votre Excellence m'avait adressées par son aide de camp, M. Fabvier, pour me donner les détails relatifs à la bataille du 22 juillet, j'eus soin de vous prévenir que c'était à l'Empereur qu'il appartenait de juger tout ce qui était relatif à cette affaire, sur laquelle je lui avais transmis tout ce que vous m'aviez adressé. Sa Majesté, en me répondant, ma fait connaître sa manière de voir et de juger les choses, et m'a ordonné à cette occasion de vous proposer différentes questions, auxquelles l'Empereur exige de votre part une réponse catégorique. Si j'ai tardé jusqu'à présent de vous adresser ces questions, c'était pour attendre votre rétablissement et me conformer, en ceci, aux intentions de Sa Majesté Impériale. Maintenant, je n'ai plus qu'à m'acquitter du devoir que ses ordres m'ont imposé envers vous.
«L'Empereur, dans l'examen qu'il a fait de vos opérations, est parti d'un principe que vous ne pouvez méconnaître: c'est que vous deviez considérer le roi comme votre général en chef, et que vos mouvements, étant subordonnés au système général adopté par Sa Majesté Catholique, vous deviez toujours prendre ses ordres avant d'entreprendre des opérations qui sortaient de ce système. Placé, par une suite des dispositions générales, à Salamanque, il était tout simple de vous y défendre si vous étiez attaqué; mais vous ne pouviez vous éloigner de ce point de plusieurs marches sans en prévenir votre général en chef. Je ne puis vous dissimuler, monsieur le maréchal, que l'Empereur envisage votre manière d'agir dans le cas indiqué comme une insubordination formelle et une désobéissance à ses ordres. Cependant vous avez fait plus encore; vous êtes sorti de votre défensive sur le Duero, où vous pouviez être secouru par des renforts de Madrid, pour prendre l'offensive sur l'ennemi sans attendre les ordres du roi ni les secours qu'il était à même de vous envoyer. Sans doute vous avez pensé qu'ils vous étaient inutiles, et l'espérance du succès que vous avez cru pouvoir obtenir seul vous a entraîné à agir sans attendre des renforts dont la proximité du roi vous donnait la certitude: mais c'est précisément ce que l'Empereur condamne, puisque vous vous êtes permis de livrer bataille sans y être autorisé, et que vous avez compromis par là la gloire des armes françaises et le service de l'Empereur. Si du moins, en vous décidant à courir les chances d'un combat, vous aviez fait ce qui dépendait de vous pour en assurer le succès, on pourrait supposer que vous avez craint de laisser échapper une occasion favorable; mais, par une précipitation que rien n'explique, vous n'avez pas même voulu attendre le secours de la cavalerie de l'armée du Nord, qui vous était si important et dont vous étiez certain, en retardant la bataille de deux jours seulement. Cette conduite, si difficile à concevoir, a fait d'autant plus d'impression sur l'Empereur, que Sa Majesté a vainement cherché, dans votre rapport, les motifs qui vous ont fait agir; elle n'y a rien trouvé qui lui ait fait connaître l'état réel des choses; et, comme elle veut être éclairée à cet égard, elle exige de vous une réponse précise et catégorique aux questions suivantes:
«Pourquoi n'avez-vous pas instruit le roi que vous aviez évacué Salamanque de plusieurs marches, et demandé ses ordres sur le parti que vous aviez à suivre?
«Pourquoi êtes-vous sorti de votre défensive sur le Duero et avez-vous passé de la défensive à l'offensive sans attendre les renforts que vous aviez demandés?
«Pourquoi vous êtes-vous permis de livrer bataille sans l'ordre de votre général en chef?
«Enfin pourquoi n'avez-vous pas au moins retardé de deux jours, pour avoir les secours de la cavalerie que vous saviez en marche?
«Je vous invite, monsieur le maréchal, à m'adresser, le plus tôt que vous pourrez, une réponse à ces questions que je puisse mettre sous les yeux de l'Empereur; je désire vivement qu'elle soit de nature à le satisfaire et qu'elle lut donne des explications dont il a besoin pour diminuer l'impression pénible que les événements ont dû nécessairement produire sur son esprit.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU MINISTRE DE LA GUERRE
«Bayonne, le 19 novembre 1812.
«Monsieur le duc, je viens de recevoir la lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire le 14 novembre, je ne perds pas un moment pour y répondre. La satisfaction de l'Empereur étant le but et la première récompense de tous mes efforts, je ne saurais mettre trop de hâte à répondre aux questions qu'il vous a donné l'ordre de me faire dans la persuasion où je suis que les impressions défavorables que Sa Majesté a reçues sur moi seront plus tôt effacées: j'ajouterai même que j'éprouve beaucoup de regret de ne les avoir pas connues plus tôt, car j'ose croire que je serais, depuis longtemps, rentré dans la plénitude de ses bonnes grâces; mais je ne puis cependant me dispenser de commencer par exprimer la reconnaissance que j'éprouve pour le motif qui a fait retarder, jusqu'à ce moment, les questions qui me sont faites et qui prouve que Sa Majesté a daigné prendre quelque intérêt à ma conservation.
«Je rappellerai succinctement ici les instructions générales que j'ai reçues à différentes époques, qui, toutes, me prescrivent de marcher et d'attaquer l'ennemi, s'il prend l'offensive; celle du 13 décembre 1811 porte textuellement: «Si le général Wellington, après la saison des pluies, voulait prendre l'offensive, vous pourriez réunir vos huit divisions pour lui livrer bataille.» Et plus loin: «Si les Anglais s'exposaient à avoir bataille, il faudrait, monsieur le maréchal, réunir votre année et marcher droit à eux.» Celle du 18 février dit: «Si lord Wellington marchait à vous, vous réuniriez sept divisions à Salamanque avec votre artillerie et votre cavalerie, et il faudrait, après avoir choisi votre position sous Salamanque, être vainqueur ou périr avec l'armée française.» Ces expressions manifestent d'une manière suffisante l'opinion de l'Empereur sur mes devoirs à remplir; mais, comme elles ont été données à une époque antérieure à celle où le roi a eu le commandement, je n'arguerai pas de ce qu'elles ont de favorable pour moi pour justifier ce que j'ai fait et je me renfermerai dans le cadre même qu'a tracé Sa Majesté, et me contenterai de prouver d'abord que je n'ai en rien désobéi au roi, ni outre-passé les instructions qu'il m'a données, mais que je les ai suivies littéralement, et je chercherai à démontrer ensuite que ce que j'ai fait était démontré par les calculs de la raison.
«Première question. Sa Majesté m'accuse d'avoir manqué à la subordination en évacuant Salamanque sans en rendre compte au roi et de n'avoir pas demandé ses ordres sur le parti que j'avais à suivre.
«Il est difficile de concevoir sur quel fondement cette accusation peut être portée contre moi. Non-seulement j'ai rendu compte au roi de l'évacuation de Salamanque, mais je l'avais même prévenu depuis longtemps de la nécessité qu'il y aurait d'évacuer cette ville lorsque l'ennemi se porterait sur la Tormès, parce que l'armée de Portugal, ne pouvant y être réunie d'avance, ne serait point en état de le combattre à son arrivée; le roi était informé de ma position comme moi-même. Les lettres que j'ai eu l'honneur de lui écrire, ainsi qu'au maréchal Jourdan, les 22, 24, 26 et 29 mai; 1er, 2, 5, 8, 12, 13 et 14 juin, qui, toutes, jusqu'au 14 juin, lui sont parvenues, l'ont instruit dans le plus grand détail de tout ce qui avait l'apport à l'armée de Portugal; mais, pour lever tout doute à l'égard du peu de fondement de l'accusation qui m'est faite, je joins ici un paragraphe de ma lettre au maréchal Jourdan du 29 mai, dont le sens n'est pas équivoque. J'y joins également la copie d'un paragraphe de ma lettre du 1er juin, qui lui rappelle que l'évacuation de Salamanque sera nécessaire pour le rassemblement de l'armée; enfin la copie de ma lettre du 14 juin qui lui annonce que l'armée anglaise est en pleine marche, et que je vais manoeuvrer conformément à ce que je lui ai annoncé par mes précédentes lettres. Cette dernière lettre du 14 juin lui est également parvenue et très promptement, car le roi m'a répondu à cette lettre le 18. Le reproche qui m'est donc fait d'avoir évacué Salamanque sans en rendre compte au roi est sans aucune espèce de fondement.
«Depuis mon départ de Salamanque, j'ai écrit au roi et au maréchal Jourdan, les 22 et 28 juin, 1er, 6 et 17 juillet. Les quatre premières ont été expédiées par triplicata, et, si elles ne sont pas parvenues, la faute ne peut m'en être imputée.
«Deuxième question. L'Empereur demande pourquoi je suis sorti de ma défensive du Duero et pourquoi j'ai passé de la défensive à l'offensive.
«J'ai repris l'offensive: 1° parce que j'avais acquis la certitude que je ne pouvais compter sur aucun renfort de l'armée du Nord; 2° parce qu'aucun secours de l'armée du Centre ne m'était ni promis ni annoncé que dans le cas où le général Hill se réunirait à lord Wellington; 3° parce que l'armée de Galice avait passé l'Orbigo, que les milices portugaises avaient passé l'Esla et qu'en différant peu de jours j'allais me trouver dans la nécessité de détacher un corps de six on sept mille hommes et de cinq cents chevaux pour leur faire tête et me couvrir de ce côté, ce qui m'aurait affaibli d'autant vis-à-vis de l'armée anglaise qui alors, sans doute, serait venue à moi; 4° parce que les instructions écrites du roi en date du 18 juin, dont je joins ici copie, me prescrivent d'attaquer lord Wellington si le général Hill n'a point fait sa jonction avec lui et qu'une lettre du maréchal Jourdan du 30 juin (la dernière que j'aie reçue de Madrid), en m'exprimant l'étonnement du roi sur ce que je n'avais pas encore attaqué les Anglais, me pressait de le faire dans la crainte que le général Hill ne rejoignit lord Wellington et que ma position ne s'empirât.
«Je vais donner sur chacun de ces articles les explications nécessaires.
«1° A l'ouverture de la campagne, le général Caffarelli me fit les plus belles promesses; et j'étais autorisé, d'après ses premières lettres, à croire que, dans le courant du mois de juin, je recevrais un puissant renfort de l'armée du Nord. Ce fut en grande partie l'obligation où j'étais de l'attendre, et d'autres circonstances que mon rapport a fait connaître, qui occasionnèrent alors la prise des forts de Salamanque. Les lettres des 20, 26 juin et 11 juillet, du général Caffarelli, en exagérant d'une manière ridicule la force des bandes, le danger d'un débarquement dont les côtes étaient menacées (débarquement qui s'est réduit à peu près à rien, attendu que la flotte qui était en vue n'avait pas quatre cents hommes de troupes à bord), m'annoncèrent successivement la diminution des renforts qu'on devait m'envoyer; et enfin, par sa lettre du 26 juin, il m'annonça que je ne pouvais plus compter sur un seul homme d'infanterie. La copie de cette lettre est ci-jointe; elle lèvera toute espèce de doute à cet égard. Restaient donc seulement la cavalerie et l'artillerie, dont la promesse n'avait pas discontinué, mais qui ne s'effectuait pas. Je crus cependant fortement à l'arrivée de ce dernier secours, et j'attendis: mais je fus instruit bientôt qu'au lieu de quatre régiments sur lesquels j'avais droit de compter la légion de gendarmerie avait ordre de rentrer en France et ne viendrait pas, et que le général Caffarelli, qui voulait conserver près de lui un corps de cavalerie, j'ignore dans quel objet, gardait le 15e de chasseurs, et qu'enfin ce secours, si solennellement promis, se réduisait à six cents chevaux des 1er hussards et 31e chasseurs, et huit pièces de canon, qui étaient réunies à Burgos depuis le 15 juin, mais dont le départ, constamment annoncé, ne s'effectuait jamais. J'attendis encore, et tant que le retard à mon mouvement n'empirait pas ma situation; mais, lorsque j'eus la certitude que l'avant-garde de l'armée de Galice était arrivée à Rioseco, et que, selon les apparences, j'aurais, sous peu de jours, sur les bras quinze mille hommes, de mauvaises troupes sans doute, mais qui me forceraient à un détachement de six à sept mille hommes et de cinq cents chevaux, je n'hésitai pas à négliger un secours de six cents chevaux, qui devenait nul, puisque j'étais obligé de l'opposer à l'armée de Galice, et qui, pour l'avoir attendu, me forcerait à m'affaiblir de six ou sept mille hommes d'infanterie. Le retard de l'arrivée de ces six cents chevaux était inexplicable, car le général Caffarelli ne pouvait en faire aucun usage. Aucun obstacle ne s'opposait à leur arrivée à Valladolid, et, quoiqu'ils n'en fussent qu'à trois marches, je les attendais vainement depuis un mois. Il ne pouvait donc y avoir que l'ineptie la plus complète ou l'intention formelle de me tromper dans tous mes calculs qui pût ainsi retarder sa marche. L'une et l'autre hypothèse m'empêchaient également de prévoir quand ces délais auraient enfin un terme; mais le péril était là, et chaque jour le rendait plus imminent. Je ne pouvais donc pas tarder à me décider; mais, quand même l'armée de Galice n'eût pas dû venir jusqu'à moi, la conservation d'Astorga exigeait que je hâtasse mes opérations; car, quelque effort que le général Bonnet eût fait pour approvisionner cette place, il n'avait pu y réunir des vivres que jusqu'au 1er août. Cette place était bloquée, et, pour la délivrer, je ne pouvais pas faire un détachement moindre de sept ou huit mille hommes; mais ce détachement ne pouvait être fait qu'après un succès sur les Anglais, et après les avoir éloignés du Duero, car ce détachement, fait avant, aurait mis l'armée de Portugal en péril; et, l'armée de Portugal battue, ce détachement, jeté hors de sa ligne naturelle, eût été bien compromis. Il fallait donc éloigner l'armée anglaise pour faire le détachement d'Astorga; et, si l'on calcule qu'il fallait bien compter sur huit à dix jours en opérations contre les Anglais, et que, de Salamanque, il y a huit marches jusqu'à Astorga, on peut juger qu'il n'y avait pas de temps à perdre, le 16 juillet, pour sauver une place qui n'avait de vivres que jusqu'au 1er août. Aussi, le 16 juillet, n'ayant aucune nouvelle du départ de Burgos des six cents chevaux et des huit pièces de canon de l'armée du Nord, et, tout étant prêt pour mon passage du Duero, je l'effectuai le 17 au matin.
«2° La lettre du roi du 18 juin m'annonce que les quatre mille hommes que Sa Majesté faisait réunir dans la Manche se réuniraient au comte d'Erlon pour venir au secours de l'armée de Portugal si celui ci était dans le cas de venir s'y réunir: mais celui-ci ne devait y venir que dans le cas où Hill rejoindrait Wellington: Hill n'avait pas rejoint Wellington. Ainsi je n'avais rien à gagner à attendre, puisque je ne devais être renforcé que dans le cas où l'armée ennemie aurait reçu un accroissement à peu près de même force.
«3° Tout ce qui concerne les mouvements de l'armée de Galice vient d'être expliqué plus haut, et n'a pas besoin de nouveaux détails.
«4° La lettre du roi est formelle, elle me trace la marche que je dois suivre; il est de mon devoir de ne pas m'en écarter. La lettre du 30 juin du maréchal Jourdan, écrite au nom du roi, devient plus pressante; elle parait m'accuser de retard dans mes opérations, elle me presse d'agir; sans doute qu'il était de mon devoir de le faire. Les originaux de ces deux lettres sont entre mes mains, et les copies en sont ci-jointes. Les craintes du roi, exprimées dans la lettre du maréchal Jourdan, que le comte d'Erlon n'arrive pas en même temps que le général Hill dans le bassin du Duero, étaient extrêmement fondées, et on ne peut douter que, ce cas arrivant, le comte d'Erlon, quelque diligence qu'il eût faite, ne fût arrivé quinze jours après le général Hill. En effet, les Anglais avaient fait rétablir en charpente, par un travail de six semaines et avec beaucoup de moyens, la coupure de quatre-vingt-dix-neuf pieds faite au pont d'Alcantara; cette communication entre les mains des Anglais donnait au général Hill le moyen de venir d'Albuera sur la Tormès en huit ou neuf marches, et le pont, pouvant être détruit en un moment, était enlevé au comte d'Erlon qui n'avait pas les moyens de le rétablir. D'un autre côté, avant l'ouverture de la campagne, le général Hill avait fait un coup de main sur le pont d'Almaraz, avait détruit les barques et tous les agrès: il ne restait donc au comte d'Erlon d'autre passage que le pont de l'Arzobispo, ou de venir par la Manche: mais la route qui conduit au pont de l'Arzobispo n'est pas praticable pour l'artillerie: il eût fallu la démonter, et ce travail eût demandé plusieurs jours. S'il eût pris la route de la Manche, ce retard eût été beaucoup plus long. Enfin, après avoir passé le Tage, il n'avait d'autre chemin à prendre, pour se rendre dans le bassin du Duero, que celui du Guadarrama, afin d'être plus facilement en liaison avec l'armée de Portugal, et ce détour lui eût fait perdre encore plusieurs marches. Ainsi, soit par les obstacles que le pays présentait, soit par les détours qu'il était nécessairement obligé de faire, il devait arriver longtemps après le général Hill; et cependant, que de chances encore, comme la difficulté de subsister dans le désert qu'il avait à traverser, etc., qui pouvaient arrêter sa marche. Rien n'était donc plus convenable que de faire en toute hâte ce que le roi avait ordonné, c'est-à-dire d'agir avant que Hill n'eût rejoint Wellington.
«Troisième question. L'Empereur demande pourquoi je me suis permis de livrer bataille sans l'ordre de mon général en chef?
«La lettre du roi du 18 juin, celle du maréchal Jourdan du 30, prouvent que, loin de désobéir à mon général en chef, je n'ai fait qu'exécuter ses ordres.
«Quatrième question. Enfin, l'Empereur demande pourquoi je n'ai pas au moins retardé de deux jours de donner bataille pour avoir les secours que je savais en marche?
«La raison en est simple: je ne comptais pas donner bataille le 22 juillet; c'est l'ennemi qui a attaqué, et, sans ma blessure, il n'y en aurait pas eu: ceci demande plus du développement.
«Je n'ai été instruit de l'itinéraire des six cents chevaux et de l'artillerie de l'armée du Nord que le 21 dans la soirée. Dans ce moment, presque toute l'armée avait passé la Tormès. Si j'eusse reçu cette nouvelle cinq heures plus tôt, il n'y a aucun doute que je n'eusse suspendu ce mouvement et que je n'eusse attendu dans le camp d'Aldea-Rubia l'arrivée de ce renfort; mais, en ce moment, faire rétrograder toute l'armée eut été une chose mauvaise dans l'opinion et inutile, puisque je pouvais également prendre position sur la rive gauche de la Tormès, et d'autant mieux que ce pays est peu favorable à la cavalerie, dans laquelle j'étais inférieur, et ce mouvement rétrograde eût été contraire à la suite des opérations, puisqu'il me faisait abandonner l'avantage marqué que j'avais obtenu d'occuper sans combat le sommet du plateau qui sépare Alba de Tormès de Salamanque, plateau que je devais supposer qui me serait vigoureusement disputé, et où j'avais gagné l'ennemi de vitesse, plateau extrêmement important, puisque c'était par là seulement que je pouvais manoeuvrer l'ennemi avec quelque apparence de succès, menacer sa communication avec Rodrigo et le forcer à sortir des positions qui entourent Salamanque; enfin arriver au but que je m'étais toujours propose, de le combattre en marche. Je me décidai donc à prendre une bonne position défensive à la tête des bois de Calvarossa de Arriba et à attendre là l'arrivée du secours qui était près de moi. Le 22 au matin, je montai à cheval, avant le jour, pour voir encore la position et rectifier ce qu'elle aurait de fautif. Il me parut indispensable d'occuper par une division la hauteur de Calvarossa de Arriba que je n'avais occupée le soir que par des postes, et je l'y plaçai. Il me parut également nécessaire de faire occuper par un régiment un des Arapilès et de le faire soutenir intermédiairement à la forêt par le reste de la division, et je conservai les six autres divisions à la tête des bois en les concentrant sur deux lignes. Pendant la nuit, l'armée anglaise était venue prendre position à peu de distance, et, après s'être formée, elle se plaça à portée de canon de nous. La position de l'année anglaise était forte par les obstacles que le terrain présentait pour arriver jusqu'à elle; mais la position que l'armée française occupait, indépendamment du même avantage, avait celui d'un commandement immédiat et à portée de canon, et, comme j'étais supérieur en artillerie, je ne manquai pas de profiter de cet avantage; je fis établir des batteries qui écrasèrent tous les corps ennemis qui se tinrent à portée, et ils furent obligés de se retirer ou de se masquer par les obstacles de terrain qui pouvaient les couvrir. L'ennemi, qui craignait pour sa droite, qui couvrait son point de retraite, retraite que je menaçais éminemment, puisqu'on deux ou trois heures l'année pouvait être portée sur sa communication, renforça sa droite vers le milieu de la journée. Aussitôt que je m'en aperçus, je crus nécessaire d'occuper un plateau très-fort d'assiette qui complétait ma position et d'où, avec des pièces de gros calibre, je pouvais gêner les mouvements de l'ennemi et atteindre à ses ligues. En conséquence, je retirai trois divisions du bois pour l'occuper, et j'y envoyai toute ma réserve d'artillerie.
«Ce plateau était inattaquable, occupé par de pareilles forces, couvert en partie et soutenu à droite par la hauteur d'Arapilès et à gauche par les troupes de la tête du bois et une batterie considérable. L'artillerie occupant ce plateau écrasa une première ligne qui se trouvait sous son feu; mais les trois divisions, au lieu de se placer comme je leur en avais donné l'ordre et de se concentrer, s'éparpillèrent, une d'elles descendit même du plateau sans motif ni raison. A l'instant où je m'en aperçus, je me mis en devoir de m'y rendre afin de rectifier tout ce que cette position avait de vicieux, et d'avoir une défensive aussi forte que possible et telle que le terrain la comportait; mais, à l'instant où je m'y rendais, je reçus les fatales blessures qui me mirent hors de combat: j'envoyai mes ordres, mais ils ne furent point ou furent mal exécutés. L'ennemi ne fit aucun mouvement offensif pendant trois quarts d'heure; mais, voyant enfin cette gauche toujours mal formée, l'armée française sans chef, ce qu'il ne pouvait ignorer, car, blessé dans un moment de tranquillité à deux cents toises de l'ennemi et dans un lieu où je m'étais tenu longtemps de préférence, parce qu'il me donnait la facilité de voir parfaitement tous les mouvements de l'armée anglaise, il n'est pas douteux que Wellington n'en ait été informé sur-le-champ; c'est cette double circonstance qui l'a décidé à attaquer; si je n'eusse pas été blessé, la gauche eût été formée en moins d'un quart d'heure, comme elle aurait dû l'être d'abord; jamais il n'aurait osé concevoir l'espérance de la forcer, et il est probable que dans la nuit il se serait retiré sur une position beaucoup plus forte en arrière de celle qu'il occupait. Je serais resté le 23 dans cette position, et, le 24, ayant reçu mes renforts, je me serais porté sur la route de Rodrigo pour le forcer à l'évacuer; alors de ses mouvements naissaient de nouvelles combinaisons, etc. En général, le système que j'avais pris avec l'armée anglaise, et qui me parait incontestablement le meilleur, était de ne jamais l'attaquer en position; mais d'être toujours formé et en mesure de le recevoir et de manoeuvrer de manière à le forcer à se mouvoir et à changer de position, parce que, connaissant par expérience la supériorité des troupes françaises sur les troupes anglaises dans l'exécution des grands mouvements, j'étais certain de trouver un jour ou l'autre l'occasion d'un beau succès en en écrasant une partie; et, afin de pouvoir la gêner dans ses opérations et être plus à même de maîtriser ses mouvements, j'avais toujours campé le plus près possible d'elle, en prenant une bonne position défensive et en cherchant toujours l'occasion, soit en position, soit en marche, de l'incommoder du feu de mon artillerie et de lui en faire sentir la supériorité.
«Monsieur le duc, cette lettre est bien longue; mais j'ai cru, dans une circonstance aussi importante pour moi, devoir ne négliger d'exposer aucune des raisons qui doivent me justifier dans l'esprit de l'Empereur. J'ose espérer qu'il sera convaincu, d'après le narré sincère et véritable des faits, que, loin de désobéir au roi, je n'ai fait que suivre littéralement les instructions qu'il m'a données et exécuter ses ordres, et que les dispositions que j'ai prises ont été commandées par les calculs de la raison; enfin, que, si les résultats ont été contraires à la gloire de ses armes, la cause en est dans la double fatalité qui, d'un coté, a empêché de me parvenir les lettres par lesquelles le roi me faisait connaître son changement, ainsi que les nouvelles dispositions qu'il avait prises pour venir à mon secours, et, de l'autre, m'a enlevé au commandement de l'armée au moment où j'y étais le plus nécessaire.»
OBSERVATIONS
Les explications précédentes font connaître d'une manière satisfaisante tous les malheurs de cette triste campagne; il ne manquait plus qu'une chose pour compléter les étranges aberrations de Napoléon, c'était de faire peser sur moi la responsabilité d'un mouvement que je n'avais exécuté que malgré moi et comme l'accomplissement d'un devoir impérieux d'obéissance, et c'est ce qui n'a pas manqué d'arriver.
Les ordres impératifs sont du mois de février, et n'ont pu être exécutés qu'à la fin du mois de mars.
A la fin de ce mois, ils me sont réitérés verbalement par le colonel Jardet, mon aide de camp, que Napoléon me renvoie, et qui me rejoint le 25. Le 28, j'entre en campagne, ignorant encore l'investissement de Badajoz. Le 4 avril, le prince de Neufchâtel m'écrit que l'Empereur me laisse carte blanche, mais cette dépêche ne me parvient qu'après la moitié du mois de mai.
Maintenant Napoléon, 10 avril, blâme l'opération exécutée, et dit que, puisque le feu était à la maison, il fallait marcher par Almaraz; mais c'est ce que je m'étais tué de lui représenter; c'est ce qu'il a blâmé si directement et qu'il oublie; car si, six semaines plus tôt, le feu n'était pas à la maison, il était facile de reconnaître qu'il y serait mis bientôt, et alors il était sage de rester à portée pour pouvoir l'éteindre; il ne veut pas se rappeler que l'armée n'avait aucune mobilité et ne pouvait pas faire le moindre mouvement sans l'avoir préparé longtemps d'avance.
Au surplus, au milieu de ses reproches, de ses blâmes et de son humeur, il cherche une justification personnelle, et il prouve ainsi qu'il reconnaît ses torts, en disant que les instructions étaient données à trois cents lieues de distance, ce qui faisait croire sans doute, qu'à ses yeux elles n'étaient pas impératives. Mais alors il ne fallait pas les libeller d'une manière si précise; il fallait comprendre les raisons absolues qui m'avaient obligé à adopter un système purement défensif, en liaison et en combinaison constante avec le Midi, seul système qui put remplir le triple objet de réunir promptement les troupes nécessaires pour livrer bataille, de vivre en repos, mais d'être toujours prêt à agir jusqu'à la récolte, en conservant précieusement les vivres économisés pour les mouvements qui deviendraient nécessaires.
Je le répète, si j'eusse gardé cette position, Wellington n'aurait rien osé entreprendre. Mais, du moment où le système d'une offensive impuissante a prévalu, il a pu agir avec sécurité, et un secours direct qui fut parti des bords de l'Agunda le 1er avril pour Badajoz, au moment où j'ai appris le commencement du siège, n'aurait rien produit d'utile, car je ne pouvais pas arriver à temps, puisque, dans la nuit du 6 au 7, la ville a été emportée, et la défense a été si courte, que le maréchal Soult, qui avait préparé les moyens de secours dont il pouvait disposer, et n'était occupé que de ce soin, n'est arrivé avec ses troupes en face des Anglais, à Almendralejo, à deux marches de Badajoz, que le 8, c'est-à-dire deux jours après la reddition.
La fin de la lettre du prince de Neufchâtel pourrait peut-être faire supposer que Napoléon attribuait à l'humeur la conduite que j'ai tenue; s'il en était ainsi, il aurait été dans une grande erreur: car, assurément, il n'y a eu d'autres mobiles dans ma conduite que de la soumission; et cette soumission était d'autant plus méritoire, que j'en connaissais d'avance les funestes effets.
L'examen des lettres du général Caffarelli, des 14, 20, 26 juin, et 11 juillet; celles du maréchal Jourdan et du roi d'Espagne terminent les commentaires.
Par les premières, on voit d'abord la ferme résolution du général Caffarelli d'envoyer à mon secours. On doit la croire sincère au moins; mais cette intention se modifie bientôt. Les seuls mouvements des guérillas, exécutés dans le but de faire une diversion, l'effrayent. Il exagère les dangers, et bientôt, en homme faible, il perd la tête et oublie son premier devoir, celui dont l'exécution touchait de si près au salut de l'Espagne, et il reste absorbé par des intérêts misérables et devant des dangers de nulle gravité. En définitive, l'armée de Portugal reçoit l'assurance que l'armée du Nord ne lui apportera aucun secours de quelque importance.
La correspondance du roi est, en général, raisonnable, et il donne des ordres à chacun de me secourir suivant l'occurrence; mais ceux adressés au général Caffarelli ne produisent aucun effet sur l'esprit de celui-ci. Ceux envoyés au maréchal Soult n'ont pas été dans le cas d'être exécutés. Cependant le roi a eu plusieurs torts, des torts tels, qu'ils ont amené la catastrophe: d'abord, de ne pas penser plus tôt au secours qu'il pouvait m'apporter, même hypothétiquement, de ne pas le préparer et de ne m'en avoir pas informé, non plus que du parti qu'il prendrait si les circonstances l'y forçaient; au contraire, il s'est prononcé d'une manière tout opposée, et il m'a annoncé formellement, sans équivoque, que le maréchal Suchet, n'obtempérant pas à ses demandes, il ne pourrait rien faire par ses propres moyens. La lettre du maréchal Jourdan, du 30 juin, est explicite: elle ne laisse aucun doute et aucune espérance; elle me provoque même, d'une manière réitérée, à livrer bataille sans retard. C'est la réception de cette lettre, celle des dernières du général Caffarelli et la certitude qu'Astorga achèverait la consommation de ses vivres avec la fin du mois, et la crainte de voir arriver le général Hill se réunir à Wellington, qui m'ont décidé à prendre l'offensive. D'après mes données, cette résolution était opportune et bien calculée, malgré la disproportion des forces; mais il se trouve qu'après m'avoir parlé d'une manière si claire, le roi change d'avis sans m'en prévenir. C'est le jour même où il part de Madrid qu'il m'annonce son mouvement. Évidemment, il a dû le préparer pendant huit ou dix jours au moins, et il m'en a fait un mystère. S'il m'avait seulement parlé de la possibilité d'un secours, assurément je l'aurais attendu; et, sans même le promettre d'une manière absolue, il ont pu me le laisser espérer. Au moment de son entrée en campagne, j'aurais passé le Duero de manière à le couvrir quand il déboucherait dans les plaines de la Vieille-Castille. Alors il pouvait venir me joindre sans éprouver aucun danger; et nous eussions combiné nos mouvements de manière à combattre avec avantage l'armée anglaise si elle avait osé nous attendre.
Ainsi on ne peut expliquer la conduite du roi. Sa lettre du 21 ne dit pas qu'il m'ait envoyé l'avis de ses préparatifs; c'est donc sans transition, et vingt jours après m'avoir fait connaître officiellement, par la lettre du 30 juin, du maréchal Jourdan, que je n'aurais aucun secours à espérer, qu'il entre en campagne. Jamais, depuis qu'il existe des armées, on n'a combiné de mouvements de cette manière, et cette lettre du 21 et la nouvelle du mouvement du roi ne me sont parvenues que le 25, le lendemain de la bataille.
Assurément ce n'est pas moi qui suis coupable du résultat. C'est aux auteurs de cette confusion à en porter la responsabilité.
Après ce qui précède, il est sans doute superflu de répondre à l'interrogatoire que renferme la lettre du 14 novembre 1812, et aux questions dont il se compose. Cependant je le ferai d'une manière concise en forme de résumé.
1° J'ai rendu compte itérativement au roi de tous mes mouvements. Si toutes mes lettres ne lui sont pas parvenues, cela tient à l'état où était l'Espagne. Il a su par ma lettre du 14, dont il m'accuse réception par sa lettre du 18, ma retraite sur le Duero. Je l'ai accablé de demandes de secours, et la lettre du maréchal Jourdan du 30 prouve qu'il les a toutes refusées.
2° J'ai expliqué en détail les motifs qui m'ont décidé à prendre l'offensive; il serait superflu de revenir à cette question. Cette résolution était commandée par la raison, par les calculs les plus simples, et ce n'est pas de mon fait si j'étais placé dans les conditions fâcheuses qui m'imposaient cette obligation.
3° J'ai livré bataille parce que j'ai été attaqué. L'ensemble de mes mouvements prouve que je voulais, s'il était possible, forcer par des manoeuvres les Anglais à la retraite, et ne combattre que dans des circonstances très-favorables.
4° Je n'ai connu l'envoi d'aucun secours d'une manière certaine, et
j'étais autorisé à croire qu'il ne m'en arriverait aucun.
Le Maréchal Duc de Raguse.
Fin du tome quatrième.
Carte pour suivre les opérations de l'armée de Portugal
sous les ordres du duc de Raguse .
(Agrandissement)