Mémoires du maréchal Marmont, duc de Raguse (4/9)
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«11 février 1812.
«Vous trouverez ci-joint, monsieur le duc, la lettre que j'écris à M. le duc de Dalmatie.
«La division qu'il va faire marcher sur Hill suffira pour le faire retirer; l'intention de l'Empereur, monsieur le duc, est que vous vous placiez à Salamanque dans une situation de guerre offensive.
«Faites commencer des ouvrages dans cette place. Menacez Rodrigo, Almeida, Oporto; soyez sûr qu'avec de pareilles dispositions lord Wellington ne détachera pus un homme dans le Midi. Ne restez pas à Valladolid, cela est trop loin de l'offensive. Faites occuper les Asturies le plus tôt possible, et au plus tard lorsque le général Montbrun vous aura rejoint, ce qui doit avoir lieu dans ce moment.»
COPIE DE LA LETTRE AU DUC DE DALMATIE.
«11 février.
«Sa Majesté pense que le général Hill n'a à Merida qu'une simple division anglaise et une quinzaine de mille hommes réunis. Il est fâcheux que cela paralyse une armée aussi forte que la vôtre, et composée de troupes d'élite.
«L'Empereur voit dans vos dépêches que vous appelez l'armée de Portugal
sur Truxillo. Cependant vous savez, monsieur le maréchal, que l'armée
anglaise est composée de sept divisions, et que, s'il y en a une contre
vous, les six autres doivent être dans le Nord. La position de l'armée à
Merida nous est funeste puisque de là le général Hill se recrute et est
à portée d'avoir des ramifications dans le pays, tandis que le mouvement
de quinze à vingt mille Français ferait rentrer cette division dans le
Portugal. Telle est, monsieur le duc, l'opinion de l'Empereur.
«Alexandre.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, le 14 février 1812.
«L'Empereur, monsieur le duc, regrette qu'avec la division Souham et les trois autres divisions que vous avez réunies vous ne vous soyez pas reporté sur Salamanque pour voir ce qui se passait. Vous auriez donné beaucoup à penser aux Anglais et auriez pu être utile à Rodrigo.
«Le moyen de secourir l'armée du Midi, dans la position où vous êtes, est de placer votre quartier général à Salamanque et d'y concentrer votre armée; en ne détachant qu'une division sur le Tage, de réoccuper les Asturies et d'obliger l'ennemi à rester à Almeida et dans le Nord, par la crainte d'une invasion. Vous pourrez même pousser des partis sur Rodrigo, si vous avez l'artillerie de siége nécessaire. Votre honneur est attaché à prendre cette place, ou, si le défaut de vivres ou d'artillerie vous forçait d'ajourner cette opération jusqu'à la récolte, vous pourriez de moins faire une incursion en Portugal et vous porter sur le Duero et sur Almeida. Cette menace contiendrait l'ennemi.
«L'armée du Midi est très-forte, l'armée de Valence, qui aujourd'hui a ses avant-postes sur Alicante, dégage sa droite.
«La position que vous devez prendre doit donc être offensive de Salamanque à Almeida. Tant que les Anglais vous sauront réunis en force à Salamanque, ils ne feront aucun mouvement; mais, si vous allez de votre personne à Valladolid, si vos troupes sont envoyées se perdre sur les derrières, si surtout votre cavalerie n'est pas en mesure après la saison des pluies, vous exposerez tout le nord de l'Espagne à des catastrophes.
«Il est indispensable de réoccuper les Asturies, parce qu'il faut plus de monde pour garder la lisière de la plaine jusqu'à la Biscaye que pour garder les Asturies.
«Puisque les Anglais se sont divisés en deux corps, un sur le Midi et l'autre sur vous, ils ne sont pas forts, et vous devez l'être beaucoup plus qu'eux. La lettre que je vous ai écrite et que vous avez reçue le 13 décembre vous a fait connaître ce que vous deviez faire.
«Menacez les Anglais, et, si vous croyez pour le moment ne pas pouvoir reprendre Rodrigo, faites réparer les chemins qui mènent à Almeida, réunissez vos équipages de siége, envoyez de gros détachements sur Rodrigo. Cela contiendra les Anglais, ne fatiguera pas vos troupes et aura bien moins d'inconvénients que de vous disséminer encore, comme vous le proposez.
«L'Empereur pense que le général Montbrun est arrivé et que vous avez enfin réuni votre armée.
«La prise de Valence a beaucoup fortifié l'armée du Midi, et il faut que vous supposiez les Anglais fous pour les croire capables de marcher sur Rodrigo en vous laissant arriver à Lisbonne avant eux. Ils iront dans le Midi si par des dispositions mal calculées vous détachez deux ou trois divisions sur le Tage, puisque par là vous les rassurez et leur dites que vous ne voulez rien faire contre eux, et respectez l'opinion de la défensive et de leur initiative.
«Je vous le répète donc: l'intention de l'Empereur est que vous ne quittiez pas Salamanque, que vous fassiez réoccuper les Asturies, que votre armée s'appuie sur la position de Salamanque et que vous menaciez les Anglais.
OBSERVATIONS DU DUC DE RAGUSE SUR LA CORRESPONDANCE
DE NAPOLÉON EN
FÉVRIER.
Les erreurs et les aberrations dont les lettres précédentes sont remplies prennent maintenant un caractère encore plus prononcé, et les instructions que renferment celles-ci, ayant pour base des faits complétement inexacts et une nature de choses que l'imagination seule avait créée, conduisent à chaque moment à des conclusions insensées. Si les points de départ étaient vrais, tout serait juste: comme ils sont faux, tout est absurde et finit par amener la confusion des idées par la confusion des faits.
Par la lettre du 11 février, l'Empereur ordonne de rassembler l'armée à Salamanque et de prendre une attitude offensive. Mais une réunion des troupes exige des magasins, et je n'avais aucun moyen d'en former. L'Empereur avait reconnu, par la lettre du 15 décembre, que l'état des subsistances ne permettait pas de prendre l'offensive avant la récolte prochaine, or une attitude offensive, qui suppose une réunion prolongée dans un lieu déterminé, exige encore plus de moyens en subsistances qu'une offensive réelle qui porte une armée bientôt dans de nouveaux pays. Toute chose dans ce genre était donc impraticable.
Une lettre de la même date exprime le regret que, avec la division Souham et les trois autres divisions que j'avais réunies, je ne me sois pas porté sur Salamanque; cela eût pu, ajoute-t-on, être utile à Rodrigo: on oublie que cette place était tombée en huit jours, et dix jours avant la réunion possible des premières troupes, qui de toutes parts étaient en marche; et, en outre, on oublie également que près de la moitié des troupes rassemblées se composait des corps de la garde qui avaient ordre de rentrer en France, et des troupes de l'armée du Nord, que j'avais la nécessité de remplacer dans les postes de communication qu'elles avaient évacués. On parle de reprendre cette place quand ou sait bien que je n'ai ni grosse artillerie ni vivres pour nourrir l'année réunie; au défaut de cette opération, on propose une incursion en Portugal, quand le pays qui m'en sépare n'est qu'un désert de vingt lieues sans la moindre ressource, n'offre pas encore même de l'herbe pour nourrir les chevaux.
Mais la lettre du 18, qui renferme des instructions détaillées précises et à peu près impératives, rassemble toutes les aberrations imaginables.
Napoléon ne change point la base de ses raisonnements, il suppose vrai tout ce qu'il voudrait trouver existant.
Il établit que j'ai la supériorité sur l'ennemi quand je ne peux pas lui opposer une force égale aux deux tiers des siennes, et encore ces forces ne peuvent être réunies que pour un court espace de temps, c'est-à-dire pour celui où elles consomment les approvisionnements qu'elles ont rassemblés avec peine et que les soldats portent sur leur dos.
Il faut le répéter, l'armée ne pouvait vivre que dans des cantonnements étendus; on diminuait la ration du soldat momentanément afin de créer une réserve, et, quand les ressources de ces cantonnements étaient épuisées, il fallait changer de place et opérer absolument comme un berger qui change son troupeau de pâturage quand il a dévoré l'espace qu'il a parcouru pendant quelque temps.
On ne pouvait donc jamais tenir l'armée rassemblée que pendant très-peu de jours, et il était sage de conserver des ressources créées aussi péniblement pour le moment où il faudrait combattre, soit en marchant à l'ennemi, soit en l'attendant en position. Mais quinze jours sont bientôt écoulés, et, si on a consommé dans une simple démonstration ce qu'on ne peut remplacer qu'avec beaucoup de peine et de temps, on n'est plus en mesure de se tenir réuni quand des opérations réelles doivent commencer.
Napoléon imagine que le duc de Wellington suppose que je vais faire le siége de Rodrigo, et cette pensée est un rêve qui le flatte. Le duc de Wellington connaissait comme moi-même notre misère, notre pénurie en toute chose, notre absence complète de moyens en matériel et notre infériorité en personnel: il ne pouvait donc nullement nous croire disposés à prendre l'offensive. Il n'en était pas de même pour la défensive; il savait que les troupes, placées d'une manière systématique pour vivre pendant un temps illimité, pouvaient se rassembler promptement pour combattre et pour se combiner: mon système, basé sur un calcul raisonnable, lui inspirait une circonspection fondée. Il était clair qu'il en voulait à Badajoz: il était certain que le maréchal Soult ne pouvait pas lutter seul contre lui, et que mon concours était indispensable à l'armée du Midi; mais il était évident que mes moyens ne correspondaient nullement à une offensive véritable. Il n'y avait donc qu'une seule chose à faire avec fruit, une seule chose exécutable: c'était de placer la majeure partie de mes troupes à portée de l'armée du Midi pour me réunir à elle et livrer bataille aux Anglais aussitôt qu'ils entreprendraient le siége de Badajoz. Je pouvais passer ainsi tout le temps qui nous séparait de l'époque de la récolte et tenir sans plus de frais Wellington en échec pendant toute la campagne. Tant que j'ai suivi ce système. Wellington est resté tranquille; mais, au moment même où j'en ai changé, il est entré en opération et s'est mis en mesure de commencer bientôt le siége de Badajoz.
Toute cette jonglerie d'offensive impuissante ne devait aboutir qu'à épuiser et fatiguer les troupes, et à user le peu de moyens que la raison m'avait commandé de conserver prudemment pour un meilleur emploi.
Napoléon ordonne de placer deux fortes avant-gardes qui menacent Rodrigo et Almeida, et de faire le coup de fusil chaque jour avec les Anglais, dont je suis séparé par une rivière et par un espace de vingt lieues d'un désert parcouru sans cesse par de nombreuses guérillas dont le nombre s'élevait quelquefois à trois ou quatre mille hommes, et pouvaient au besoin être soutenues par la nombreuse cavalerie anglaise, dont la force était de six mille chevaux, tandis que l'armée de Portugal possédait à peine une chétive cavalerie de deux mille hommes! On veut que je menace les autres directions du Portugal, que je fasse réparer les routes de Porto et d'Almeida; mais auparavant, sans doute, il faut occuper une partie du Portugal. Mais tout cela est insensé, tout cela a le cachet d'un plan de campagne fait dans un accès de fièvre chaude!
Voyons maintenant les combinaisons qu'il applique au personnel: elles sont dignes des premières. Il n'était pas possible d'exister en Espagne sans l'occupation d'un grand espace du pays; on le sait, l'action du pouvoir disparaissait au moment où les baïonnettes s'éloignaient: on ne pouvait communiquer qu'avec des escortes, et une grande partie des armées d'Espagne était consacrée à cet usage. L'armée ne pouvait communiquer avec la France, avec Madrid, avec Séville, que sous la protection de ce réseau immense qui accablait les armées de fatigue et ruinait les troupes.
L'armée de Portugal avait nécessairement son contingent à fournir pour supporter ce fardeau commun. Eh bien, les évaluations de mes forces étaient faites avec tant de bonne foi, que Napoléon établit, pour le cas d'un mouvement de Wellington, qu'en livrant bataille à Salamanque et réunissant sept divisions j'aurai cinquante mille hommes à lui opposer, et il se retrouve que, lorsque j'étais dans la nécessité, trois mois plus tard, de réunir tous mes moyens, et avec huit divisions, après avoir levé toutes les communications, afin de ne laisser personne en arrière, je n'ai pas pu arriver à avoir quarante mille hommes pour combattre.
Maintenant tous les faits passés se confondent dans l'esprit de Napoléon. Il dit: «Si, après avoir rejeté Wellington en Portugal (cela ne peut s'entendre que de l'opération combinée exécutée au mois de septembre), vous fussiez resté dans la province de Salamanque, Wellington n'aurait pas bougé, et c'est quand vous vous êtes porté sans raison sur le Tage qu'il a vu qu'il n'avait plus rien à craindre.»
Mais alors Salamanque avait été donné à l'armée du Nord; mais je devais me nourrir par la province de Tolède, et le détachement de seize mille hommes sur Valence a été ordonné par Napoléon le 21 novembre. A qui donc la faute? à qui revient le blâme? qui en est le coupable? Ce n'est pas moi sans doute, qui n'ai fait qu'exécuter des ordres précis et impératifs.
Plus loin, il dit, en parlant du siége de Rodrigo (voyez p. 331): «Si, du 17 au 18, avec les trente mille hommes que vous aviez sous la main, vous aviez marché à tire-d'aile sans livrer bataille, mais faisant mine de le vouloir, l'ennemi, déconcerté par votre arrivée, était résolu à lever le siége de Rodrigo. Qui vous empêchait, en effet, de vous porter avec vingt-cinq mille hommes entre Salamanque et Rodrigo?» La réponse est simple et facile: c'est le 13 seulement que j'ai reçu à Avila, par un officier expédié de Salamanque par le général Thiébault, la nouvelle de l'entrée en campagne des Anglais et leur passage de l'Aguada le 10. Quelle qu'eût été la diligence de mes dispositions, ma promptitude à diriger toutes mes colonnes en mouvement sur Fuente-El-Sauco, en arrière de Salamanque, elles ne pouvaient y arriver que du 26 au 27. Je ne pouvais donc pas me porter à moitié chemin de Salamanque et Rodrigo le 17 ou le 18.
Il revient de nouveau à cette offensive de comédie, et dit: «Si Wellington se dirige sur Badajoz, laissez-le aller; marchez sur Almeida, poussez des partis en Portugal.» J'ai répondu déjà à ces projets; mais l'obstination toujours croissante de Napoléon me décida enfin à me soumettre à ses ordres. Le résultat de mon obéissance confirma tous mes raisonnements et justifia mes prévisions.
Enfin, plus bas, il dit encore: «En ne songeant qu'à l'armée du Midi, qui n'a pas besoin de vous, puisqu'elle est forte de quatre-vingt mille hommes des meilleures troupes de l'Europe; en ayant des sollicitudes pour les pays qui ne sont pas sous votre commandement, un combat 6 que vous éprouveriez serait une calamité qui se ferait sentir dans toute l'Espagne; un échec de l'armée du Midi la conduirait sur Madrid ou sur Valence, et ne serait pas de même nature (voyez p. 330).»
C'était précisément pour conserver et augmenter les moyens de l'armée de Portugal que je ne voulais pas les user dans une offensive puérile et qui ne pouvait avoir aucun résultat utile; et la position sur le Tage, en liaison avec l'armée du Midi, en contenant Wellington, suspendait les opérations pendant un temps illimité et remplissait jusqu'à la récolte un but important. Puisque Napoléon comprenait autrement l'importance de mon rôle, il fallait alors me donner les moyens de le remplir; mais on doit remarquer avec étonnement le changement, survenu dans son langage. Lorsqu'il y avait dix mille hommes de plus à l'armée du Midi, et que l'armée du Nord avait quinze mille hommes de la garde et possédait Rodrigo; quand, en outre, l'armée de Portugal était dans la vallée du Tage, Napoléon tremblait pour Badajoz (voyez la correspondance de 1811); et c'est quand cette vallée est dégarnie, quand l'armée de Midi est affaiblie, qu'il prétend que cette armée n'a pas besoin de secours, et qu'en m'occupant d'elle je fais une chose qui ne me regarde pas.
«Un dernier mot sur la question de l'occupation des Asturies, sur laquelle revient sans cesse Napoléon, véritable idée fixe qui s'est emparée de lui. Sans doute une longue base d'opération est nécessaire pour qu'une armée soit en sûreté; mais d'abord le principe n'est pas applicable aux circonstances de la guerre d'Espagne. Ce ne sont pas des corps d'armée qui peuvent ici se porter sur les communications, ce sont des insurgés, des bandes que le pays produit et que le sol traversé par la route recrute, entretient et nourrit. Plus le pays qui n'est pas occupé est étendu, et plus les bandes y sont nombreuses, sans doute; mais cependant l'occupation extrême protége moins utilement les communications que celle qui est plus restreinte, surtout si les corps qui en sont chargés peuvent se mouvoir avec plus de facilité. Or les Asturies, situées sur le revers septentrional des montagnes, forment un bassin enfoncé qui est séparé du royaume de Léon par des défilés très difficiles, et les troupes placées sur le plateau, à l'entrée de ces défilés, pouvant parcourir la plaine, sont mille fois plus utiles que celles qui, jetées à l'extrémité, en sont séparées et sont réduites à occuper quelques villes; elles protégent plus utilement et concourent d'une manière plus efficace aux opérations principales.
Ici encore, Napoléon revient à ses rêves d'offensive, devenus une monomanie de son esprit, un caprice de son imagination, et il dit qu'une division française, placée dans les Asturies, menacerait la Galice. D'abord, que signifie cette prétention constante d'offensive quand on n'a pas le nombre de troupes nécessaires pour occuper convenablement et avec fruit le pays conquis? Alors une augmentation de territoire est, au contraire, une cause de faiblesse de plus, et puis je nie que la bonne offensive doive partir des Asturies; elle doit évidemment venir de la province de Léon; il vaut mieux descendre du plateau, pour arriver sur les bords de la mer et suivre le cours des eaux, que de franchir autant de bassins et de contre-forts qu'il y a de ruisseaux. L'occupation des Asturies n'avait donc aucun avantage, mais renfermait des inconvénients graves; elle isolait complétement du reste de l'Espagne les troupes qui s'y trouvaient, et le général Bonnet, qui commandait la division qui y a été envoyée, officier capable et distingué, l'avait si bien senti, que, craignant de ne pas pouvoir en sortir avec facilité quand les circonstances le demanderaient, il les évacua de lui-même et prit position à la tête des défilés d'Aguilar del Campo, certain de remplir ainsi le double but de contenir la population et de pouvoir se réunir facilement à l'armée quand le moment serait arrivé. Cette sage disposition le mit à même, en effet, de me rejoindre aussitôt qu'il fut appelé.
Blessé par la dureté de la correspondance qu'on a lue et pressé par des ordres aussi impérieux, je me décidai, à mon grand regret, à exécuter aussi promptement que possible le mouvement qui m'était prescrit, et on en a vu le récit dans le texte de mes Mémoires; j'en avais prévu les effets et j'eus la douleur d'avoir raison; la prise de Badajoz en fut la conséquence, comme celle de Rodrigo avait été celle de mon détachement sur Valence; et, comme ces deux opérations avaient été faites par des ordres précis de Napoléon, ordres qu'il réitérait sans cesse et qu'il n'y avait plus moyen d'éluder, a lui seul doit en être attribué le malheur.
Cependant je me reproche encore aujourd'hui, après trente-deux ans, au
moment où je revois ces Mémoires, d'avoir obéi. J'aurais dû résister
encore et quitter violemment le commandement, puisque je n'avais pas pu
obtenir de m'en démettre (voir ma correspondance), plutôt que d'exécuter
un mouvement qui était en opposition avec mes convictions intimes, et
d'autant plus, que, plus d'une fois, en réfléchissant à la bizarrerie
des ordres que je recevais, au refus de comprendre des rapports auxquels
il n'y avait pas de réplique, les confidences du duc Decrès de 1809 sont
revenues à ma mémoire et à mon esprit.
Le maréchal duc de Raguse.
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, le 18 février 1812.
«Monsieur le duc, je viens de mettre à l'instant sous les yeux de l'Empereur vos lettres du 29 janvier, 4 et 6 février. Sa Majesté n'est pas satisfaite de la direction que vous donnez à la guerre: vous avez la supériorité sur l'ennemi, et, au lieu de prendre l'initiative, vous ne cessez de la recevoir. Vous remuez et fatiguez vos troupes: ce n'est pas là l'art de la guerre. Quand le général Hill marche sur l'armée du Midi avec quinze mille hommes, c'est ce qui peut vous arriver de plus heureux: cette armée est de force et assez bien organisée pour ne rien craindre de l'armée anglaise, aurait-elle quatre ou cinq divisions réunies.
«Aujourd'hui, l'ennemi suppose que vous allez faire le siége de Rodrigo; il approche le général Hill de sa droite, afin de pouvoir le faire venir à lui à grandes marches et vous livrer bataille réunis si vous vouiez reprendre Rodrigo.--C'est donc au duc de Dalmatie à tenir vingt mille hommes pour l'empêcher de faire ce mouvement, et, si Hill passe le Tage, de se porter à sa suite ou dans l'Alentejo. Vous avez le double de la lettre que l'Empereur m'a ordonné d'écrire au duc de Dalmatie le 11 de ce mois, en réponse à la demande qu'il vous avait faite de porter des troupes dans le Midi. C'est vous, monsieur le maréchal, qui deviez lui écrire pour lui demander de porter un gros corps de troupes vers la Guadiana, pour maintenir le général Hill dans le Midi et l'empêcher de se réunir à lord Wellington. La prise de Ciudad-Rodrigo est un échec pour vous, et les Anglais connaissent assez l'honneur français pour comprendre que ce succès peut devenir un affront pour eux, et qu'au lieu d'améliorer leur position l'occupation de Ciudad-Rodrigo les met dans l'obligation de défendre cette place. Ils vous rendent maître du choix du champ de bataille, puisque vous les forcez à venir au secours de cette place et à combattre dans une position si loin de la mer.
Le résultat de cet avantage ne peut être retardé que jusqu'à la récolte; alors vous serez en mesure de faire le siége de Rodrigo: l'ennemi marchera ou aura la honte de vous voir reprendre cette place.
«Le mouvement du général Hill sur le Tage a été fait dans la croyance qu'aussitôt que vous auriez su la prise de Ciudad-Rodrigo vous auriez réuni vos troupes pour marcher rapidement sur cette ville, pour l'investir et profiter du premier moment où la brèche n'était pas relevée et qu'il ne pouvait y avoir aucun approvisionnement.
«Cette occasion étant masquée, il faut tout préparer pour le mois de mai. La véritable route de Lisbonne est par le Nord: l'ennemi, y ayant des magasins considérables et des hôpitaux, ne peut se retirer sur cette capitale que très-lentement. Si, dans l'attaque du prince d'Essling, il s'est retiré rapidement, c'est parce qu'il s'était préparé à ce mouvement. Il a donc un grand intérêt à vous empêcher de pénétrer dans le Portugal. La situation du prince d'Essling devant Lisbonne était, pour l'Angleterre et pour le Portugal, une grande calamité. Je ne puis que vous répéter les ordres de l'Empereur: prenez votre quartier général à Salamanque; travaillez avec activité à fortifier cette ville; faites-y travailler six mille hommes de troupes et six mille paysans; réunissez-y un nouvel équipage de siége, qui servira à armer la ville; formez-y des approvisionnements; faites faire tous les jours le coup de fusil avec les Anglais; placez deux fortes avant-gardes qui menacent l'une Rodrigo, l'autre Almeida; menacez les autres directions sur la frontière de Portugal; envoyez des partis qui ravagent quelques villages. Enfin employez tout ce qui peut tenir l'ennemi sur le qui-vive; faites réparer les routes d'Oporto et d'Almeida; tenez votre armée vers Toro, Benavente; la province d'Avila a même de bonnes parties où l'on trouvera des ressources.
«Dans cette situation, qui est aussi simple que formidable, vous reposez vos troupes, vous formez des magasins, et avec de simples démonstrations bien combinées, qui mettent vos avant-postes à même de tirer journellement des coups de fusil avec l'ennemi, vous aurez barre sur les Anglais qui ne pourront vous observer. Vous devez tous les jours faire faire des prisonniers par vos avant-gardes, et sur toutes les directions qui menacent l'ennemi. C'est le moyen d'avoir de ses nouvelles, il n'en est pas d'autre efficace.
«L'Empereur me prescrit de donner l'ordre au duc de Dalmatie d'avoir toujours un corps de vingt mille hommes avec vingt bouches à feu, composé de ses meilleures troupes, soit sur Merida pour faire le coup de fusil, soit avec le corps du général Hill et le contenir sur la rive gauche du Tage, soit sur Badajoz en se portant sur l'Alentejo et l'obligeant ainsi à se rapprocher d'Elvas.
«Cette opération est d'autant plus importante, que, si elle n'avait pas lieu, le général Hill pourrait se réunir à lord Wellington pour vous attaquer. Il serait insensé de penser que jamais lord Wellington pût rappeler la division Hill, tant que le duc de Dalmatie fera des démonstrations. Lord Wellington ne peut donc vous attaquer qu'avec son corps, et, s'il marchait vers vous, vous réuniriez sept divisions à Salamanque avec toute votre cavalerie et votre artillerie. Cela vous ferait cinquante mille hommes. Je dis entre vous sept divisions, car il ne faut jamais compter sur celle des Asturies. Alors cette division recevrait l'ordre de marcher en avant pour menacer la Galice et contenir le corps espagnol qui est de ce côté. Appuyé à Salamanque, ayant autant d'artillerie et de munitions que vous voudrez, votre armée, forte de cinquante mille hommes, est inattaquable. Le général Hill fût-il même réuni à Wellington, elle serait inattaquable, non pas pour trente mille Anglais, qui au fond sont le total de ce que les Anglais ont en Portugal, sans y comprendre les Portugais, mais pour soixante-dix mille Anglais. Un camp choisi, une retraite assurée sur les places, des canons et munitions en quantité, sont un avantage que vous savez trop bien apprécier.
«Cependant, tandis que vous observerez, je suppose que Hill ait joint l'armée anglaise et que lord Wellington soit beaucoup plus fort qu'il ne l'est; dans ce cas, l'armée du nord de l'Espagne avec sa cavalerie et deux divisions viendrait à vous; vous vous renforceriez tous les jours, et la victoire serait assurée. Mais, une fois la résolution prise, il faut la tenir, il n'y a plus ni si ni mais. Il faut choisir votre position sous Salamanque, être vainqueur ou périr avec l'armée française, au champ de bataille que vous aurez choisi. Comme vous êtes le plus fort, et qu'il est important d'avoir l'initiative, évitez de faire des travaux de camp retranché qui n'appartiennent qu'à la défensive et avertiraient l'ennemi. Il suffira de reconnaître les emplacements et de travailler à force à la place. Si on prend un système de fortifications serré, et qu'on n'admette pas trop de développement, en six semaines on peut avoir une bonne place qui mette votre quartier général, vos magasins et vos hôpitaux à l'abri de toute entreprise de l'ennemi, et qui puisse servir de point d'appui à votre corps d'armée pour recevoir bataille, ou de point de départ pour marcher sur Rodrigo et Almeida quand le temps en sera venu.
«Je vous ai dit que vous ne deviez compter que sur sept divisions. La division Bonnet doit retourner sur-le-champ dans les Asturies. Soit que vous considériez la conservation de toutes les provinces du Nord, sait que vous considériez un mouvement de retraite, les Asturies sont nécessaires. Elles assurent la possession des montagne. Sans elles ni Salamanque, ni Burgos, ni même Vitoria, ne sont tenables, si après une bataille perdue il fallait évacuer. La division des Asturies ne devrait pas même alors être rappelée à vous. Mais, se repliant avec ordre sur votre droite, elle appuierait votre retraite, et, lorsque vous seriez à Burgos, elle serait à Reynosa pour vous couvrir de ce côté. Sans quoi, favorisé par des débarquements sur tous les points de la côte, l'ennemi, dès le commencement de votre retraite, vous tirerait des coups de fusil sur Montdragon et Vitoria; d'ailleurs, vous n'avez pas seulement à lutter contre lord Wellington. Vous avez à contenir aussi le corps ennemi qui est en Galice, et, au moment où vous marchez sur l'ennemi, la division touchant les Asturies contiendra la Galice et épargnera la présence d'une division à Astorga.
«Je vous le répète, c'est à l'armée du Midi, à avoir un corps de vingt mille hommes de troupes pour tenir en échec une partie de l'armée de Wellington sur la rive du Tage.
«Ce n'est donc pas à vous, monsieur le duc, a vous disséminer en faveur de l'armée du Midi.
«Lorsque vous avez été prendre le commandement de votre armée, elle venait d'éprouver un échec par sa retraite du Portugal. Ce pays était ravagé: les hôpitaux et les magasins de l'ennemi étaient à Lisbonne; vos troupes étaient fatiguées, dégoûtées, sans artillerie, sans train d'équipage. Badajoz était attaqué depuis longtemps; une bataille dans le Midi n'avait pu faire lever le siége de cette place. Que deviez-vous faire alors? Vous porter sur Almeida pour menacer Lisbonne?--Non; parce que votre armée n'avait point d'artillerie, point de train d'équipage, ci qu'elle était fatiguée. L'ennemi, dans cette position, n'aurait pas cru à cette menace; il aurait laissé approcher jusqu'à Coïmbre, aurait pris Badajoz, et ensuite serait venu sur vous. Vous avez donc fait, à cette époque, ce qu'il fallait faire: vous avez marché rapidement au secours de Badajoz. L'ennemi avait barre sur vous, et l'art de la guerre était de vous y concentrer. Le siége en a été levé, et l'ennemi est rentré en Portugal. C'est ce qu'il y avait à faire. Depuis, monsieur le maréchal, vous êtes revenu dans le Nord; lord Wellington s'est reporté sur le véritable point de défense du pays; et, depuis ce temps, vous êtes en présence.
«Si, après avoir rejeté lord Wellington au delà de Ciudad-Rodrigo, vous fussiez resté dans la province de Salamanque, ayant vos avant-gardes sur les directions du Portugal, lord Wellington n'aurait pas bougé; mais vous vous êtes porté sans raison sur le Tage. Les Anglais ont cru que vous vous disposiez à entrer dans l'Alentejo pour vous réunir au duc de Dalmatie et faire te siége d'Elvas. Ils manoeuvrèrent en conséquence et restèrent attentifs lorsque votre mouvement sur Valence leur a fait connaître qu'ils n'avaient rien à craindre.
«Dans ce moment, monsieur le duc, votre position est simple et claire; par conséquent, elle ne demande pas des combinaisons d'esprit. Placez votre armée de manière que sa marche puisse se réunir et se grouper sur Salamanque. Ayez-y votre quartier général; que vos ordres, vos dispositions, annoncent à l'ennemi que la grosse artillerie arrive à Salamanque, que vous y formez des magasins, que tout y est dans une position offensive. Faites faire continuellement la petite guerre avec les postes ennemis. Dans cet état, vous êtes maître de tous les mouvements des Anglais. Si Wellington se dirige sur Badajoz, laissez-le aller; réunissez aussitôt votre armée et marchez droit sur Almeida, et poussez des pointes sur Coïmbre. Wellington reviendra bien vite sur vous. Mais les Anglais ont trop de savoir-faire pour commettre une pareille faute. Ce n'est pas l'envoi de quatre à cinq mille hommes sur Valence qui a fait faire aux Anglais leur mouvement pour s'emparer de Ciudad-Rodrigo, c'est la marche, si inutile, que vous avez fait faire d'une grande partie de votre artillerie, de votre cavalerie; c'est la dissémination d'une grande partie de votre armée.
«Écrivez au duc de Dalmatie et sollicitez le roi de lui écrire également pour qu'il exécute les ordres impératif que je lui donne de porter un corps de vingt mille hommes pour forcer le général Hill à rester sur la rive gauche du Tage. Ne pensez donc plus, monsieur le maréchal, à aller dans le Midi, et marchez droit sur le Portugal si lord Wellington fait la faute de se porter sur la rive gauche du Tage.
«La division Caffarelli doit être arrivée en Navarre. L'Empereur ordonne qu'une division italienne vienne renforcer l'armée du Nord. Mettez-vous en correspondance avec le maréchal Suchet à Valence, afin qu'il puisse marcher avec ses forces pour soutenir Madrid, s'il y a lieu. Profitez du moment où vos troupes se réunissent pour bien organiser et mettre de l'ordre dans le Nord. Qu'on travaille jour et nuit à fortifier Salamanque; qu'on y fasse venir de grosses pièces; qu'on refasse l'équipage de siége; enfin qu'on forme des magasins de subsistances. Vous sentirez, monsieur le maréchal, qu'en suivant ces directions, et qu'en mettant pour les exécuter toute l'activité convenable, vous tiendrez l'ennemi en échec. Londres elle même tremblera de la perspective d'une bataille et de l'invasion du Portugal, si redoutée des Anglais, et enfin, au moment de la récolte, vous vous trouverez tout à fait en état d'investir Rodrigo et de prendre cette place à la barbe des Anglais, ou de leur livrer bataille, ce qui serait à désirer; car, battus aussi loin de la mer, ils seront perdus et le Portugal perdu. L'artillerie qui arriverait pour armer Salamanque servirait pour Almeida et pour Rodrigo. En recevant la bataille au lieu de la donner, en ne songeant qu'à l'armée du Midi, qui n'a pas besoin de vous, puisqu'elle est forte de quatre vingt mille hommes des meilleures troupes de l'Europe, en ayant de la sollicitude pour des pays qui ne sont pas sous votre commandement et abandonnant les Asturies et les provinces qui vous regardent, un combat que vous éprouveriez serait une calamité qui se ferait sentir dans toute l'Espagne. Un échec de l'armée du Midi la conduirait sur Madrid ou sur Valence, et ne serait pas de même nature.
«Je vous le répète, vous êtes le maître de conserver barre sur lord Wellington en plaçant votre quartier général à Salamanque, en occupant en force cette position et en poussant de fortes reconnaissances sur les débouchés. Je ne pourrais que vous redire ce que je vous ai déjà expliqué ci-dessus. Si Badajoz était cerné seulement par deux ou trois divisions anglaises, le duc de Dalmatie la débloquera; mais alors Wellington affaibli vous mettrait à même de vous porter dans le centre du Portugal, ce qui secourrait plus efficacement Badajoz que toute autre opération. Mais, lorsque par les nouvelles dispositions de l'Empereur, qui l'ont obligé à renoncer pour cette année à l'expédition du Portugal, vu la tournure que prenaient les affaires générales de l'Europe, l'Empereur vous a ordonné de vous porter sur Valladolid, avec votre armée, que vous êtes arrivé inopinément à Salamanque, les Anglais, qui ont bien calculé que ces mouvements n'avaient pu se faire on conséquence des leurs, ont été atterrés; et si, du 17 au 18, avec les trente mille hommes que vous aviez dans la main, vous aviez marché à tire-d'aile, sans livrer bataille, mais faisant mine de le vouloir, l'ennemi, qui était déconcerté par votre arrivée, était résolu de lever le siége de Rodrigo. Qui vous empêchait, en effet, de vous porter avec vingt-cinq mille hommes entre Salamanque et Rodrigo?
«C'est une opération qu'on pourrait même faire avec dix mille hommes en prenant position sans s'engager, et retournant sur Salamanque si l'ennemi présentait trop de forces. La guerre est un métier de position, et douze mille hommes ne sont jamais engagés quand ils ne veulent pas: à plus forte raison trente mille, surtout lorsque ces trente mille hommes étaient suivis par d'autres troupes. Mais le passé est sans remède.
«Je donne l'ordre que tout ce qu'il sera possible de fournir vous soit fourni pour compléter votre artillerie et pour armer Salamanque. Vingt-quatre heures après la réception de cette lettre, l'Empereur pense que vous partirez pour Salamanque, à moins d'événements inattendus; que vous chargerez une avant-garde d'occuper les débouchés sur Rodrigo et une autre sur Almeida; que vous aurez dans la main au moins la valeur d'une division; que vous ferez revenir la cavalerie et l'artillerie qui sont à la division du Tage; que vous renverrez la division Bonnet dans les Asturies. Vous ne donnerez pas de division à l'armée du Nord, parce qu'elle sera renforcée par la division.... Pourtant, comme ce mouvement sera brusque, il faut lui donner le temps d'opérer son effet, et ce ne peut être que huit jours après que vous serez arrivé à Salamanque et que ces dispositions seront faites que leur effet aura eu lieu sur l'ennemi; ce n'est qu'alors que vous pourrez entièrement évacuer le Tage. En attendant, il semble à l'Empereur qu'une seule division d'infanterie sur ce point est suffisante.
«Le roi enverra au moins douze cents hommes de cavalerie et trois mille hommes d'infanterie. Appuyez cette division; réunissez surtout votre cavalerie, dont vous n'avez pas de trop et dont vous avez tant besoin. Lorsque vous verrez que votre mouvement offensif a produit un effet, vous retirerez du Tage d'abord une brigade et ensuite une autre brigade; mais en même temps vous augmenterez vos démonstrations d'offensive, de manière que tout montre que vous attendez les premières herbes pour entrer en Portugal.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, le 21 février 1812.
«L'Empereur a lu, monsieur le maréchal, votre lettre du 6 de ce mois. Sa Majesté est extrêmement peinée que vous ayez envoyé la division du général Bonnet à l'armée du Nord; cette division est la seule qui puisse occuper avec profit les Asturies, parce que le soldat connaît le pays et les habitants. Il valait mieux ne rien envoyer à l'armée du Nord, et renvoyer la division du général Bonnet dans les Asturies. L'intention de l'Empereur est que, dans quelque endroit que cette division se trouve, elle retourne dans cette province; pour le Nord, il vaut mieux avoir la division du général Bonnet dans les Asturies qu'à Burgos. L'Empereur trouve que l'armée de Portugal est en l'air, et que la communication avec Irun n'est pas tenable si on n'a pas les Asturies. Il faut donc occuper les Asturies quand on est à la hauteur de Salamanque, et occuper les lignes de Fuentes de Reynosa quand on n'est qu'à la hauteur de Valladolid ou de Burgos; mais laisser les paysans maîtres des montagnes communiquant avec la mer, c'est le plus grand malheur qui puisse arriver en Espagne. La population de la Galice refluera dans les provinces occupées par l'armée; nous avons l'expérience pour preuve de cette théorie. Quand le duc d'Istrie fit évacuer les Asturies, tout le pays fut en mouvement; il faut, monsieur le duc, six mille hommes pour garder les montagnes; qu'on les place dans les Asturies ou à Santander, c'est la même chose, avec cette différence qu'en les plaçant à Santander ils ne couvrent pas le royaume de Léon et n'occupent pas cette province qui est plus importante pour les insurgés. L'Empereur, monsieur le maréchal, met à votre disposition la division du général Bonnet à cet effet; son intention est que vous fassiez route sur les Asturies par le chemin que le général Bonnet jugera le meilleur.--Je vous ai déjà fait connaître, monsieur le duc, que l'Empereur n'approuve pas la dissémination de votre armée; Sa Majesté ne voit, dans votre conduite, que du tâtonnement. Comment, à Valladolid, prétendez-vous être instruit à temps de ce que fera l'ennemi? Ce n'est pas possible dans aucun pays, et surtout dans un pays insurgé. Je ne puis que vous répéter que l'Empereur ne voit d'opération honorable pour ses armées que d'occuper Salamanque; d'avoir des avant-gardes qui feront le coup de fusil sur la frontière de Portugal et avec Rodrigo: d'avoir votre armée centralisée autour de vous à quatre ou cinq marches, jusqu'à ce que l'armée du Centre ait pu placer des troupes à Almaraz, que votre armée ait occupé Salamanque, et que l'opération du maréchal duc de Dalmatie sur Merida et Badajoz ait de l'influence sur l'ennemi et se soit fait sentir. Vous pouvez laisser une division légère sur Talavera, occupant Almaraz; mais elle doit toujours être prête à vous rejoindre. Lorsque vous aurez occupé Salamanque, que vos avant-postes auront cette direction et que cette espèce de vésicatoire militaire aura fait son effet sur l'ennemi, vous pourrez faire rapprocher de vous la division que vous aurez sur le Tage. Mais vous sentirez qu'il sera également nécessaire que l'armée du Centre ait auparavant donné des troupes pour garder la vallée.
«L'Empereur, monsieur le duc, me charge de vous répéter que vous vous occupez trop de ce qui ne vous regarde pas, et pas assez de ce qui vous regarde. Votre mission a été de défendre Almeida et Rodrigo, et vous avez laissé prendre ces places. Vous avez le Nord à maintenir et à administrer, et vous abandonnez les Asturies, c'est-à-dire le seul moyen de le gouverner et de le contenir.--Vous allez vous embarrasser si lord Wellington envoie une ou deux divisions sur Badajoz, quand Badajoz est une place très-forte, et que le duc de Dalmatie a quatre-vingt mille hommes, lorsqu'il peut être secouru par le maréchal Suchet. Enfin, si Wellington marchait sur Badajoz, vous avez un moyen sûr, prompt et triomphant de le rappeler, celui de marcher sur Rodrigo ou Almeida. Votre armée se compose de huit divisions; une doit rester dans les Asturies, et vous ne devez y compter que pour la faire marcher sur la Galice. Quand même, après une bataille avec les Anglais, vous seriez battu, vous ne devez pas faire évacuer les Asturies par cette division, mais la faire filer par les hauteurs à votre droite. Les coups de fusil arriveront avant peu de jours à Montdragon si on n'occupe pas les montagnes.
«La division des Asturies est une division qui, en cas d'évacuation de Salamanque et de Valladolid, devrait nouer le mouvement dans les montagnes; sans quoi la position de Burgos ne serait pas tenable, pas même celle de Vitoria. D'ailleurs, encore une fois, monsieur le duc, vous avez à lutter, non-seulement contre les armées anglaises, mais aussi contre la Galice; et les six mille hommes qui se porteront en avant, par les débouchés de la Galice, contiendront cette province; et peut-être que six mille hommes dans les Asturies équivaudraient à dix-huit mille hommes qu'il faudrait à Astorga et sur le littoral. Les insurgés, sans communication après la prise de Valence, étaient au désespoir. L'arrivée des bandes à Pautel, à Oviedo, et le rétablissement de leur communication avec la mer, leur ont rendu leur courage; tout cela par défaut de réflexion et de connaissance des localités. En résumé, monsieur le maréchal, de vos huit divisions, une doit être dans les Asturies et n'en point bouger; les sept autres doivent être réunies autour de Salamanque. Cela vous fait une armée de cinquante mille Français, avec une artillerie de cent bouches à feu, lesquels, dans un terrain bien étudié, couverts par des bouts de flèche, ayant leurs vivres assurés et leur appui à Salamanque, ne seraient pas vaincus par quatre-vingt mille hommes. Toutefois, monsieur le duc, il faut bien se garder de faire à Salamanque un camp retranché; les Anglais vous croiraient sur la défensive et n'auraient plus de crainte: c'est une place forte qu'il faut avoir à Salamanque.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, le 21 février 1812.
«L'Empereur me charge de vous dire, monsieur le maréchal, que vous avez mal compris ses intentions sur Valence. Sa Majesté avait ordonné de faire marcher sur cette place douze mille hommes, en comprenant les troupes de l'armée du Centre, et elle entendait que ce mouvement fût par Cuença. Il y avait déjà à Cuença quatre mille hommes. Le roi d'Espagne en aurait donné trois mille autres. Ce n'était donc que trois ou quatre mille hommes à faire filer sur Cuença. L'Empereur trouve que vos plaintes ne sont pas fondées, et qu'il eût été insensé au roi de se porter de Cuença sur Albacète. Ce mouvement aurait permis à l'ennemi, qui était à Requeña, de marcher sur Madrid. Il était évident que cette opération d'Albacète ne pouvait se faire, à moins de forces sérieuses, puisqu'elle demandait une grande ligne d'opération, et qu'elle n'aurait pas donné de résultat pour la prise de Valence; car, si le général Suchet avait été battu aux passages des lignes, cette opération ne signifiait rien. L'art de la guerre ne consiste pas à diviser ses troupes. L'opération de Cuença sur Requeña, communiquant par la gauche avec Suchet avant d'attaquer l'ennemi, était une véritable opération militaire. Quelques mille hommes de plus, avec le général Montbrun, n'auraient affaibli en rien l'armée de Portugal. Les Anglais ne s'en seraient pas aperçus. Cette opération eût même pu se faire en envoyant des troupes de l'armée du Centre, et en remplaçant par des troupes de l'armée de Portugal celles qui se seraient portées sur Cuença. Sans doute, la route n'est pas bonne pour l'artillerie; mais on n'avait pas besoin d'artillerie contre ces insurgés, et d'ailleurs le maréchal Suchet en avait. L'Empereur trouve, monsieur le duc, que vous avez fait là une faute qui n'est pas justifiable. Puisque vous étiez devant l'ennemi, et qu'il est évident que vous exposiez tout le nord de l'Espagne, s'il eût fallu faire une grande opération d'armée, on eût préféré la faire faire par le maréchal duc de Dalmatie, et l'on eût prévu le cas où les Anglais auraient marché sur Madrid ou sur Salamanque.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU MAJOR GÉNÉRAL.
«Valladolid, le 23 février 1812.
On trouvera le texte de cette lettre dans les Mémoires du duc de Raguse, page 90 de ce volume.
LE GÉNÉRAL DORSENNE AU MARÉCHAL MARMONT.
«Burgos, le 24 février 1812.
«Les rapports que je reçois de la Biscaye sont de nature à m'empêcher d'en détacher un seul homme.--Les 2e et 3e régiments de marche de votre armée y gardent seuls la communication d'Irun à Vitoria, et, malgré tout le désir que j'ai de les mettre à votre disposition, vous devez concevoir qu'il m'est impossible de le faire avant d'avoir reçu les troupes de la division Bonnet, qui doivent les remplacer.--Le 1er régiment de marche, stationné en Navarre, a depuis longtemps l'ordre d'en partir pour se rendre à Valladolid; mais je suis sans nouvelles de cette province, et j'ignore même encore si le général Caffarelli y est entré: c'est ce qui m'empêche de vous adresser l'itinéraire de ces détachements.
«Toute l'armée a subi des pertes, de sorte que je ne puis même disposer d'aucun de ces corps. Le peu de troupes qui va me rester me met dans la nécessite de prier Votre Excellence d'ordonner l'occupation des postes de Villa-Rodrigo et Quintana del Puente. Il existe dans le premier deux cent cinquante hommes, et dans le second soixante-dix. Je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour garder le plus longtemps possible Reynosa; mais, si on n'augmente pas mes moyens, je crains d'être forcé à vous prier également d'en faire remplacer la garnison.
«Un approvisionnement de grains que je suis obligé d'envoyer dans la province de Santander me met aussi dans l'embarras pour les transports. Cependant j'espère pouvoir diriger sur Valladolid, dans huit à dix jours, cent à cent vingt voitures pour y prendre une partie de mes malades.
«J'ai fait partir aujourd'hui le douzième convoi de fonds, et j'ai joint à son escorte le détachement de l'année de Portugal, qui formait la garnison d'Aranda.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU MAJOR GÉNÉRAL.
«Valladolid, le 20 février 1812.
«Monseigneur, je reçois les lettres que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 11 février; plus je les ai méditées, plus je me suis convaincu que, si Sa Majesté était sur les lieux, elle envisagerait la position de son année de Portugal d'une tout autre manière. Votre Altesse me dit que j'aurais dû concentrer mes troupes à Salamanque, mais elle oublie que précédemment les ordres de l'Empereur étaient d'avoir trois divisions au delà des montagnes. Si je concentrais l'armée à Salamanque, elle ne pourrait y vivre quinze jours; et bientôt un désert semblable à celui qui sépare Rodrigo de Salamanque séparerait Salamanque de Valladolid, ce qui rendrait pour l'avenir bien pire la situation de l'armée. L'Empereur veut que je fasse des mouvements offensifs sur Rodrigo; mais Sa Majesté ignore donc que le plus léger mouvement ici cause une perte énorme de moyens, et spécialement de chevaux, équivalente à cette qui résulterait d'une bataille; de manière qu'il faut restreindre ses mouvements pour un objet déterminé et positif et qui promette des résultats. Si l'armée faisait un mouvement sur Rodrigo aujourd'hui, elle ne pourrait pas passer l'Aguada, parce que dans cette saison cette rivière n'est pas guéable. L'armée ne pourrait pas rester, faute de vivres, trois jours devant Rodrigo, et cette simple marche, qui n'aurait aucun résultat et n'aurait donné aucun change à l'ennemi, parce qu'il connaît bien l'impossibilité absolue où nous sommes de rien entreprendre, cette simple marche, dis-je, ferait perdre à l'armée cinq cents chevaux et la rendrait incapable de faire aucun mouvement pendant six semaines, parce qu'il faudrait qu'elle se dispersât jusqu'à vingt et vingt-cinq lieues pour aller former sa réserve de vivres, et qu'elle eût le temps de les rassembler et de les préparer. Au mois d'avril de l'année dernière, l'armée de Portugal a perdu presque tous ses chevaux d'artillerie et le plus grand nombre de ses chevaux de cavalerie, pour être restée entre la Coa et l'Aguada pendant six jours; et cependant la saison était plus avancée et le pays moins désert qu'aujourd'hui.
«Sa Majesté pense que je ne dois point envoyer mes troupes se perdre sur les derrières; mais n'ai-je pas dû relever sept mille hommes de la garde et les troupes de l'armée du Nord dans les postes qu'elles occupaient, postes qui ne peuvent être abandonnés sans bouleverser tout le pays et renoncer aux moyens de vivre.
«Votre Altesse me parle du siége de Rodrigo. Si je reçois des transports et un équipage de vivres, cette opération sera facile après la récolte; mais, avant et sans ces moyens, il est absolument impossible d'y songer. Votre Altesse me dit qu'il est de mon honneur de faire tout ce qui sera utile au service de l'Empereur; mais je n'ai point ici de torts à me reprocher; car, certes, les causes de la perte de Rodrigo me sont tout à fait étrangères. Si les circonstances eussent mis plus tôt cette frontière sous mes ordres, je crois pouvoir le dire avec fondement, Rodrigo serait encore à nous.
«Votre Altesse me dit que, si l'armée était réunie à Salamanque, les Anglais seraient fous de se porter en Estramadure, en me laissant derrière eux et maître d'aller à Lisbonne; mais cette combinaison, ils l'ont faite au mois de mai dernier, quoique toute l'armée fut à peu de distance de Salamanque, quoique l'armée du Nord fût double de ce qu'elle est aujourd'hui, quoique la saison, plus avancée, pût permettre de faire vivre les chevaux, et que nous fussions maîtres de Rodrigo. Ils n'ont pas cru possible alors que nous entreprissions cette opération, et ils ont eu raison. L'imagineraient-ils aujourd'hui, que toutes les circonstances que je viens d'énoncer sont contraires, et qu'ils connaissent la grande quantité de troupes qui est rentrée en France.
«L'ennemi avait si bien le projet de faire depuis longtemps le siége de Badajoz, que, depuis près de quatre mois, il a établi de grands magasins à Campo-Maior, et j'en ai rendu compte à Votre Altesse. Il n'a cessé de les augmenter depuis. Il était tellement résolu à faire un détachement après la prise de Rodrigo, que, quoiqu'il sût très-bien que j'étais en pleine marche avec l'armée pour me rendre sur la Tormès, et de là sur l'Aguada, il a fait partir deux divisions le surlendemain de l'occupation de Rodrigo.
«L'armée de Portugal, dans l'état actuel des choses, n'ayant pas même un ennemi devant elle, ne pourrait pas dépasser la Coa, et les forces que lord Wellington y a laissées sont plus que suffisantes pour mettre à l'abri de tous événements les villages les plus avancés du Portugal. En conséquence, aucun mouvement de ce côté ne remplirait l'objet de sauver Badajoz. Il n'y a que des dispositions qui donnent une action immédiate sur cette place qui puissent en imposer à l'ennemi et faire espérer d'atteindre le but proposé.
«L'Empereur, à ce qu'il me paraît, compte pour rien les difficultés de vivre. Ces difficultés font tout; et, si elles eussent cessé par la formation de magasins, tout ce que pourrait ordonner l'Empereur serait exécuté avec ponctualité et facilité. Mais nous sommes loin de là, et je n'ai rien à me reprocher à cet égard. Je ne commandais pas ici il y a trois mois. J'ai voulu faire des magasins dans la vallée du Tage, et, à cet effet, j'ai demandé un territoire étendu, fertile et à portée, avec des moyens de transport. Le territoire m'a été refusé, et les moyens de transport, accordés et longtemps attendus, ont reçu, à ce qu'il paraît, une autre destination.
«J'arrive dans le Nord au mois de janvier, et je ne trouve pas un grain de blé on magasin, pas un sou dans les caisses, des dettes partout, et, résultat infaillible du système absurde d'administration qui a été adopté, une disette réelle ou factice dont il est difficile de se faire une juste idée. On n'obtient dans les cantonnements des subsistances journalières que les armes à la main; il y a loin de là à la formation de magasins qui permettant de faire mouvoir l'année.
«Nous ne sommes pas à deux de jeu dans l'espèce de guerre que nous faisons ici avec les Anglais; l'armée anglaise est toujours réunie et disponible, parce qu'elle a beaucoup d'argent et beaucoup de transports. Sept à huit mille mulets sont employés pour le transport de ses subsistances. Le foin que toute la cavalerie anglaise mange, sur les bords de la Coa et de l'Aguada vient d'Angleterre. Que Sa Majesté juge, d'après cela, quel rapport il y a entre nos moyens et les leurs, nous qui n'avons pas un magasin qui renferme quatre jours de vivres pour l'année, et aucuns moyens de transport, nous qui ne pouvons pas envoyer une réquisition avec fruit au plus misérable village sans faire un détachement de deux cents hommes, et qui sommes obligés de nous éparpiller a des distances énormes et d'être constamment en course pour subsister.
«Quelque faibles que soient les garnisons des villes, on ne peut exprimer quelle difficulté il y a à les pourvoir de subsistances. Ainsi, quelque effort que j'aie fait, Valladolid ne renferme pas pour cinq jours de vivres.
«Cet état de choses ne changera entièrement qu'après la récolte, avec des principes d'administration plus raisonnables, et avec plus d'ordre qu'on n'en a mis jusqu'ici. D'ici à cette époque, l'armée sera dans la position la plus difficile qu'on puisse dépeindre, et il serait injuste d'attendre beaucoup d'elle. On ne peut rien faire ici qu'avec du temps: il faut créer ses moyens, les organiser, et pour cela il faut être à l'époque des ressources; malheureusement j'arrive ici quand elles sont épuisées.
«Il est possible que Sa Majesté ne soit pas satisfaite de mes raisons; mais j'avoue que je ne conçois pas la possibilité d'exécuter ce qui m'est prescrit sans préparer des désastres pour l'avenir. Si Sa Majesté en juge autrement, je lui renouvellerai avec instance la prière de me donner un successeur dans mon commandement, qui alors doit être confié en de meilleures mains.
«En attendant, je vais, conformément à ma lettre d'hier, faire tous mes efforts pour sauver Badajoz; si j'y parviens, quand les apparences indiqueront que l'ennemi renonce à toute offensive dans le Midi, je ramènerai alors toutes mes troupes dans la Vieille-Castille, et je ferai réoccuper les Asturies.
«J'espère au surplus qu'avant ce temps Sa Majesté m'aura soulagé d'un fardeau qui est au-dessus de mes forces.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, le 28 février 1812.
«J'ai mis sous les yeux de l'Empereur, monsieur le duc, la lettre par laquelle vous témoignez le désir de suivre Sa Majesté dans le cas où elle entrerait en campagne.
«L'Empereur, monsieur le maréchal, me charge de vous faire connaître que vos talents lui sont nécessaires en Espagne, et que le bien de son service exige que vous restiez à la tête de l'armée que vous commandez.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU MAJOR GÉNÉRAL.
«Valladolid, le 2 mars 1812.
«Monseigneur, à l'instant où je montais à cheval pour me rendre à Avila, je reçois les lettres que Votre Altesse m'a fait l'honneur de m'écrire les 18 et 21 février. Les ordres de Sa Majesté sont tellement impératifs et me rendent tellement étranger au sort de Badajoz, que, quelles que soient les raisons qui m'avaient empêché d'abord de m'y conformer, je pense qu'il est aujourd'hui de mon devoir de le faire. En conséquence, je donne l'ordre à la cavalerie légère, à la quatrième et à la sixième division qui sont dans la vallée du Tage, de rentrer dans la Vieille-Castille; j'y laisse seulement la première division qui rentrera aussi aux époques fixées par Sa Majesté, et lorsqu'elle aura été relevée par l'armée du Centre. Mais, comme il me parait évident que le siège de Badajoz n'a été suspendu que par suite de la présence de ces trois divisions, mon opinion est que mon mouvement va mettre cette place en péril; j'ose espérer ou moins que, s'il lui arrive malheur, on ne pourra pas m'en attribuer la faute.
«Votre Altesse m'écrit que l'Empereur trouve que je m'occupe trop des intérêts des autres et pas assez de ce dont je suis personnellement chargé. J'avais regardé comme un de mes devoirs imposés par l'Empereur, et un des plus difficiles à remplir, de secourir l'armée du Midi, et ce devoir a été formellement exprimé dans vingt de vos dépêches, et indiqué explicitement par l'ordre que j'ai reçu de laisser trois divisions dans la vallée du Tage. Aujourd'hui j'en suis affranchi, ma position devient beaucoup plus simple et beaucoup meilleure.
«L'Empereur parait ajouter beaucoup de confiance à l'effet que doivent produire sur l'esprit de lord Wellington des démonstrations dans le Nord. J'ose avoir une opinion contraire, attendu que lord Wellington sait très-bien que nous n'avons point de magasins, et connaît les immenses difficultés que le pays présente par sa nature et par le manque absolu de ressources en subsistances en cette saison. Il sait très-bien que l'année, sans avoir personne à combattre, n'est pas en état d'aller au delà de la Coa, et que, si elle l'entreprenait à l'époque où nous sommes, elle en reviendrait au bout de quatre jours, hors d'état de rien faire de la campagne et après avoir perdu tous ses chevaux.
«Je me rends à Salamanque où je vais établir mon quartier général; je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour remplir les intentions de l'Empereur; mais toutes les démonstrations ne peuvent aller au delà des cours rapides de l'Aguada et de la Tormès et des reconnaissances sur Rodrigo, car, l'Aguada n'étant pas guéable maintenant, le passage de cette rivière est une opération qui exige des bateaux, et je n'en ai pas.
«Lord Wellington, qui ne peut pas croire, à cette époque de Tannée, à une marche offensive, faute de magasins formés et de subsistances pour les chevaux, ne peut pas croire davantage au siège de Rodrigo, la grosse artillerie fût-elle à Salamanque; il sait qu'il faut d'autres préparatifs qui exigent du temps, et, s'il veut faire le siège de Badajoz, il a le temps de l'exécuter, puisque les préparatifs sont faits depuis longtemps, et de revenir pour soutenir Rodrigo; ainsi je doute fort que mes mouvements lui en imposent beaucoup.
«Sa Majesté veut que nos avant-postes fassent journellement le coup de fusil avec les Anglais. Sa Majesté ignore donc que, par la nature des choses et par l'impossibilité absolue de vivre, il y a toujours au moins vingt lieues entre les avant-postes anglais et les nôtres, et que cet intervalle est occupé par les guérillas, de manière qu'en détachant beaucoup de troupes elles meurent de faim, et que, si on en détache peu, elles sont compromises. Ce n'est donc qu'avec les guérillas, et à peu de distance de nos lignes, que nous avons affaire.
«Sa Majesté trouve qu'ayant la supériorité sur l'ennemi j'ai tort de lui laisser prendre l'initiative: l'armée de Portugal est bien assez forte pour battre l'armée anglaise, mais elle est inférieure à celle-ci pour opérer, par suite de la différence des moyens. L'armée anglaise, pourvue d'avance de grands magasins, de moyens de transport suffisants, vit partout également bien; l'armée de Portugal, sans magasins, avec très-peu de transports, sans argent, ne peut vivre qu'en se disséminant, et se trouve par là dépendante des lieux qui offrent des ressources, et n'est nullement propre à manoeuvrer; et cet état de choses durera jusqu'à la récolte.
«Puisque Votre Altesse me reproche d'avoir laissé prendre Almeida, il est possible qu'elle me reproche aussi de n'avoir pas fait des magasins à Salamanque et Valladolid lorsque je n'y commandais pas. Ces reproches, tout pénibles qu'ils sont, ne me rendront pas coupable.
«Votre Altesse m'accuse d'être la cause de la prise de Rodrigo: je crois y être tout à fait étranger. Rodrigo a été pris, parce qu'il avait une mauvaise garnison, trop peu nombreuse, et un mauvais général; parce que le général de l'armée du Nord a été sans surveillance et sans prévoyance. Je ne pouvais, moi, avoir l'oeil sur cette place, puisque j'en étais séparé par une chaîne de montagnes et par un désert qu'un séjour de six mois de l'armée avait formé dans la vallée du Tage.
«L'Empereur est étonné que je n'aie pas marché, du 17 au 18, avec les trente mille hommes que j'avais rassemblés. Je n'avais pas de troupes du 17 au 18; mais les troupes qui étaient en marche pour relever celles de l'armée du Nord dans leurs cantonnements avaient reçu, en route, les ordres nécessaires pour se réunir à Salamanque le 22. Ces troupes ne formaient que vingt-quatre mille hommes et ne pouvaient y arriver plus tôt. A cette époque, la place était prise depuis quatre jours. La reprendre sur-le-champ était impossible, puisqu'elle ne pouvait pas être bloquée, attendu que, la rivière n'étant pas guéable, je ne pouvais la passer, et que lord Wellington aurait conservé sa communication avec Rodrigo, sans qu'il eût été possible de l'empêcher. Ainsi l'armée anglaise, sans pouvoir être forcée à recevoir bataille, pouvait défendre cette place. L'armée de Portugal, qui n'avait d'ailleurs avec elle ni grosse artillerie ni vivres pour rester longtemps et manoeuvrer, aurait donc fait sans objet et sans résultat une marche pénible et destructive de tous ses moyens.
«L'expérience de la guerre d'Espagne m'a appris que la grande affaire dans ce pays était la conservation des hommes et des moyens, et c'est à cela que je me suis attaché particulièrement.
«L'Empereur trouve que je fatigue mes troupes par des marches inutiles. Personne ne s'occupe plus que moi de leur éviter des fatigues, et je ne conçois pas que cette observation s'applique aux détachements qui sont dans la vallée du Tage, car je ne les y ai point envoyés; je me suis contenté d'arrêter les troupes qui venaient de la Manche, à l'instant où, après la prise de Rodrigo, j'ai appris que le 21 janvier lord Wellington avait fait partir deux divisions pour l'Estramadure; comme je considérais alors comme un de mes devoirs de secourir le Midi, ces dispositions étaient toutes naturelles.
«Lorsque le général Hill a marché sur Merida, j'ai bien vu que c'était une diversion, et j'ai si peu pris le change, qu'en me portant sur Salamanque pour aller au secours de Rodrigo, je n'ai pas laissé plus de mille hommes dans la vallée du Tage.
«Il paraît que Sa Majesté croit que lord Wellington a des magasins à peu de distance, sur la frontière du Nord. Ses magasins sont à Abrantès et en Estramadure; ses hôpitaux sont à Lisbonne, à Castel-Branco et Abrantès. Ainsi rien ne l'intéresse sur la Coa.
«Votre Altesse dit que la véritable route de Lisbonne est par le Nord. Je crois que ceux qui connaissent bien le pays sont convaincus du contraire. Quant à moi, il me paraît que, toutes les fois que le principal corps d'armée passera par cette direction, on aura toutes sortes de malheurs à redouter, et que celle qu'on devrait choisir est celle de l'Alentejo. J'en ai déduit les motifs dans un mémoire que j'ai eu l'honneur de vous adresser il y a trois mois.
«Votre Altesse parle d'occuper les débouchés d'Almeida et de Rodrigo: le pays qui sépare l'Aguada et la Tormès est une immense plaine qui est praticable dans tout les sens; ainsi j'ignore ce qu'on entend par ces débouchés.
«L'Empereur me blâme d'être rentré dans la vallée du Tage après avoir rejeté lord Wellington de l'autre coté de la Coa; mais c'était l'ordre impératif de l'Empereur, qui ne m'avait assigné d'autre territoire que la vallée du Tage. Rodrigo avait été occupé par les troupes de l'armée du Nord, et Sa Majesté m'avait affranchi du devoir de veiller sur cette place. Si j'eusse été le maître, je serais venu m'établir à Salamanque; la raison militaire le disait, puisque l'ennemi était en présence; la raison des subsistances le disait de même, puisque ce pays offrait des ressources et que la vallée du Tage était épuisée. Il paraîtrait donc juste que l'Empereur affranchît de toute responsabilité quand on suit littéralement ses ordres, ou qu'il laissât plus de latitude et de pouvoir pour les exécuter.
«L'Empereur semble croire que je ne suis pas ferme dans mes résolutions; j'ignore ce qui peut avoir motivé l'opinion de Sa Majesté. Lorsque j'ai cru utile de combattre, je ne sache pas que rien ait jamais fait changer mes déterminations; et, si ici on ne combat jamais, c'est qu'en vérité cette guerre ne ressemble en rien aux autres, et que les circonstances ne permettent pas de la faire autrement.
«L'Empereur ordonne de grands travaux à Salamanque; il veut que douze mille hommes soient employés à ces travaux: il semble que l'Empereur ignore que nous n'avons ni les vivres pour les nourrir ni l'argent pour les payer, et que nous sommes menacés de voir immédiatement tous les services manquer à la fois dans toutes les places: c'étaient les provinces du Nord qui pourvoyaient alors à la plus grande masse des besoins des sixième et septième gouvernements; et cette situation empire chaque jour de la manière la plus effrayante; et elle ne changera que lorsque nous aurons un territoire plus proportionné à nos besoins. Quant aux magasins, leur formation est l'objet de tous mes efforts et de toute ma sollicitude; mais, à l'époque de l'année où nous sommes arrivés, ce n'est pas une chose facile. Si Sa Majesté augmente les ressources, et si alors je parviens à rassembler des subsistances pour nourrir l'armée pendant un mois, je croirai avoir obtenu un grand résultat, et il serait bien désirable qu'elles puisent être conservées pour le moment où il faudrait combattre l'ennemi d'une manière sérieuse, et non pour faire de simples démonstrations.
«J'écris au duc d'Albufera pour lui faire connaître la situation des choses, et je donne l'ordre au général Bonnet de rentrer sur-le-champ dans les Asturies par le col de Lietor-Liegos. Je sens toute l'importance de l'occupation de cette province, et je comptais y envoyer des troupes incessamment.
«Monseigneur, il ne me reste plus qu'à exprimer à Votre Altesse la peine que j'éprouve de la manière dont l'Empereur apprécie les efforts que je fais ici constamment pour le bien de son service. Puisque Sa Majesté m'attribue la prise d'Almeida, qui était rendue avant que je prisse le commandement de l'armée, j'ignore ce que je pourrai faire pour me mettre à l'abri de toute espèce d'inculpation.»
LE GÉNÉRAL DORSENNE AU MARÉCHAL MARMONT.
«Burgos, le 6 mars 1812.
«Monsieur le maréchal, j'ai eu l'honneur de vous mander, le 24 février, que le départ prochain de la garde et le peu de troupes qui me restaient m'obligeaient à prier Votre Excellence d'ordonner l'occupation des postes de Villa-Rodrigo et Quintana del Puente.
«Aujourd'hui que la plus grande partie est déjà rentrée en France et l'autre prête à partir, que la division Bonnet m'est retirée sans que je sache encore quand arrivera la division Palombini, et que je suis au moment de marcher en Navarre pour une expédition contre les bandes, Votre Excellence sentira qu'il m'est impossible de conserver ces postes. Je la prie donc de nouveau de faire relever, sans délai, les troupes qui s'y trouvent; il existe dans le premier deux cent cinquante hommes et dans le second soixante-dix hommes.
«P. S. Si je n'ai pas de réponse à cet égard de Votre Excellence, je donnerai l'ordre au premier régiment de marche de l'armée de Portugal de laisser à son passage de quoi occuper ces postes.
LE MARÉCHAL SOULT AU MARÉCHAL MARMONT.
«Sainte-Marie, le 11 mars 1812.
«Monsieur le maréchal, M. le général Foy m'a fait parvenir la lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire le 22 février, et j'ai été en même temps prévenu de la position de trois divisions qui sont sous ses ordres.
«Les Anglais ont décidé leur mouvement sur Badajoz, et, d'après ce que M. le général comte d'Erlon m'a écrit le 8, il est à présumer, qu'en ce moment la place est investie; j'attends d'en être positivement instruit pour prendre mes dernières dispositions et marcher à leur rencontre.
«Je prie M. le général Foy de communiquer à Votre Excellence la lettre que je lui ai écrite; je désire vivement, monsieur le maréchal, que les dispositions que je lui propose puissent lui convenir, et qu'il soit autorisé à s'y conformer en attendant qu'il ait pu prendre vos nouveaux ordres.
«Ainsi que vous me l'avez annoncé par votre dernière lettre, je compte que, du moment que l'armée anglaise aura commencé ses opérations contre Badajoz, et que la plus grande partie de ses forces se sera portée sur la Guadiana, vous destinerez toutes celles qui seront disponibles de l'armée de Portugal pour venir se réunir à celles qui seront sur ce théâtre dans l'objet de livrer bataille aux ennemis et de dégager Badajoz; j'éprouverai alors une bien grande satisfaction à vous embrasser.
«L'armée du Midi ne pourra présenter en ligne que vingt-deux à vingt-quatre mille hommes, dont quatre mille de cavalerie et quarante pièces de canon. On a retiré cinq régiments d'infanterie et trois de cavalerie que le maréchal duc de Trévise met en route pour Burgos. Je vous engage à arrêter leur marche et à en disposer jusqu'après l'événement. En ce moment j'ai en ma présence douze mille Espagnols et Anglais qui sont en avant et restent dans les montagnes d'Algésiras. Jamais je n'ai été plus embarrassé.
«Enfin, monsieur le maréchal, les ennemis nous fournissent l'occasion d'assurer de nouveaux triomphes aux armes de l'Empereur, j'ai la confiance qu'ils seront éclatants.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, le 12 mars 1812.
«J'ai mis sous les yeux de l'Empereur, monsieur le maréchal, vos lettres des 27, 28 février et du 2 de ce mois.
«Sa Majesté pense que la réunion de vos forces à Salamanque n'est pas suffisante pour le but que vous devez remplir; qu'il est nécessaire que vous jetiez un pont sur l'Aguada, et que vous y ayez une tête de pont, afin que, si l'ennemi laisse moins de cinq divisions sur la rive droite du Tage, vous puissiez vous porter sur la Coa, sur Almeida, et ravager tout le nord du Portugal. La saison des pluies doit finir. Si Badajoz est pris par deux simples divisions, la prise de Badajoz ne pourra pas vous être imputée et retombera tout entière sur l'armée du Midi. Si, au contraire, l'ennemi s'affaiblit de plus de cinq divisions et n'en laisse que deux, trois ou même quatre sur la rive droite, ce sera la faute de l'armée de Portugal si elle ne marche pas sur le corps de l'ennemi, n'investit pas Almeida, ne ravage pas tout le nord du Portugal, ne jette pas des partis jusqu'à Mondego. Enfin le rôle principal de l'armée de Portugal se réduit à ceci: d'y tenir en échec six divisions de l'armée anglaise, au moins cinq; prendre l'offensive dans le Nord; ou, si l'ennemi a pris l'initiative, ou si toute autre circonstance l'ordonne, faire filer sur le Tage, par Almaraz, autant de divisions que lord Wellington en aura fait filer pour faire le siége de Badajoz.
«Telles sont, monsieur le duc, les dispositions que Sa Majesté me charge de vous prescrire.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, le 16 mars 1812.
«L'Empereur m'ordonne de vous faire connaître, monsieur le maréchal, qu'il confie le commandement de toutes ses armées en Espagne à Sa Majesté Catholique, et que M. le maréchal Jourdan remplira les fonctions de chef d'état-major.
«La nécessité de mettre de l'ensemble dans les armées du Midi, de Valence, de Portugal et du Nord a déterminé Sa Majesté Impériale à donner au roi d'Espagne le commandement de ses armées.
«En conséquence, monsieur le duc, vous voudrez bien régler vos mouvements sur les ordres que vous recevrez du roi, vous conformer à tout ce qu'il vous prescrira et correspondre journellement avec lui.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU MAJOR GÉNÉRAL
«Salamanque, le 27 mars 1812.
«Monseigneur, je reçois la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 12 mars. Les instructions qu'elle renferme sont précisément le contraire de celles que contiennent vos lettres des 18 et 21 février, instructions impératives, qui m'ont forcé, contre ma conviction intime, à changer toutes mes dispositions et à me mettre dans l'impossibilité de faire ce que je regardais comme conforme aux intérêts de l'Empereur. Sa Majesté appréciera tout ce que cette opposition a de fâcheux pour son service et d'embarrassant pour moi.
«Dans ses lettres des 18 et 21 février Votre Altesse me dit que Sa Majesté trouve que je me mêle de choses qui ne me regardent pas; qu'il est déplacé à moi d'être inquiet pour Badajoz qui est une place très-forte, soutenue par une armée de quatre-vingt mille hommes; que l'armée anglaise qui voudrait faire le siège de Badajoz, fut-elle forte de quatre et même de cinq divisions, l'armée du Midi serait en mesure de délivrer cette place; elle m'ordonne formellement de renoncer à l'idée devenir au secours de Badajoz; elle ajoute que, si lord Wellington s'y porte, il faut le laisser faire, certain qu'en marchant sur l'Aguada il sera bientôt contraint de revenir; enfin, d'après les lettres des 18 et 21, il est clair que Sa Majesté m'affranchit de toute espèce de responsabilité sur Badajoz, pourvu que je fasse une diversion sur l'Aguada; d'après ces lettres si précises, où les intentions de Sa Majesté sont si fortement exprimées, je me rends à Salamanque, et je rappelle mes divisions du Tage, excepté une seule qui couvre Madrid, jusqu'à ce que l'armée du Centre envoie des troupes pour la remplacer.
«Aujourd'hui Votre Altesse m'écrit que je suis responsable de Badajoz si lord Wellington en fait le siège avec plus de deux divisions; et il semble à la fin de sa lettre que Sa Majesté me laisse le maître de secourir cette place, en portant des troupes sur le Tage. Ainsi, après avoir, par des ordres impératifs, détruit mes premières combinaisons qui avaient préparé et assuré un secours efficace à Badajoz, après m'avoir d'abord enlevé le choix des moyens, on me le rend à l'instant où il ne m'est plus possible d'en faire usage. En effet, lorsque je me disposais à marcher avec quatre divisions au secours de Badajoz, j'avais trois divisions dans la vallée du Tage, cantonnées dans la Manche ou la province de Tolède, placées à six ou sept marches de Badajoz, ce qui leur donnait le moyen d'arriver à l'ennemi encore munies de huit jours de vivres, et de le combattre après avoir fait leur jonction avec l'armée du Midi. Aujourd'hui que ces troupes ont repassé les montagnes, qu'elles ont consommé leurs subsistances de réserve en s'éloignant, qu'il m'a été impossible d'obtenir de Madrid les secours nécessaires pour former un magasin à Almaraz, quoique depuis six mois j'en aie constamment renouvelé la demande, les troupes qui partiraient d'ici auraient consommé toutes les subsistances qu'il serait possible de leur donner avant d'arriver devant Badajoz. L'an passé, je n'aurais jamais osé faire le mouvement que j'exécutais si je n'avais été certain que le blé était mûr dans l'Estramadure, et, effectivement, c'est en faisant la moisson que les soldats vécurent le jour de leur arrivée sur la Guadiana. A l'époque actuelle, et Almaraz ne renfermant pas les approvisionnements nécessaires, ce mouvement ne put se faire qu'en deux fois et avec l'intervalle nécessaire pour donner aux troupes le temps de faire, à portée de Badajoz et dans un pays qui produise quelque chose, une réserve de vivres, et le pays est plus éloigné de ma position actuelle que Badajoz même; c'est pour cela que j'avais laissé des troupes sur le haut Tage. Mon mouvement était faisable dans la position que j'avais prise; il est presque impraticable dans la position où je suis maintenant, vu l'époque de la saison, et le temps rapproché des opérations probables de l'ennemi.
«J'espère que Sa Majesté appréciera la position cruelle dans laquelle ces dispositions contradictoires m'ont placé et qu'elle reconnaîtra que la responsabilité ne peut peser sur un général que lorsque, lui ayant indiqué d'une manière générale le but à atteindre, on lui laisse constamment le choix des moyens.
«Après avoir mûrement réfléchi à la situation compliquée dans laquelle je me trouve, et considérant qu'avant tout la tâche qui m'est donnée est la conservation du Nord et que cette tâche est beaucoup plus grande que celle du Midi; considérant que la nouvelle d'un débarquement des Anglais à la Corogne, quoique peu probable, prend cependant de la consistance, et que diverses dispositions des troupes portugaises et de la Galice, qui sont à Bragance et sur l'Esla, annoncent l'offensive; enfin vos lettres des 18 et 21 faisant entrer l'armée d'Aragon dans les calculs du secours que peut recevoir l'année du Midi, et mes dispositions, malgré les énormes difficultés qu'elles présentent dans l'exécution, étant faites pour une marche de quinze jours sur l'Aguada, déjà commencée, je continue ce mouvement sans cependant, je le répète, avoir une très-grande confiance dans les résultats qu'il doit donner.
«Je mets en mouvement la division du Tage pour la porter sur Placencia en faisant répandre le bruit qu'elle se réunira avec l'armée par le col de Peralès pour entrer en Portugal, et je pars d'ici avec trois divisions; c'est tout ce que je puis porter sur l'Aguada, devant laisser une division sur l'Esla pour faire face aux Portugais et à la Galice; le général Bonnet n'attendant pour rentrer dans les Asturies que l'ouverture des passages fermés par les neiges; devant occuper constamment Astorga, Léon, Placencia, Valladolid et Zamora, sous peine de voir ce pays en combustion et nos embarras s'accroître d'une manière incalculable; devant conserver la communication de Burgos avec Madrid, de Valladolid avec Salamanque, et de Salamanque avec l'armée; combattant sur la Tormès, j'aurais une division de plus en ligne, ce qui ferait cinq divisions, et le nombre de sept que Sa Majesté compte que je peux y rassembler ne peut s'y trouver que lorsque l'armée du Centre aura avec deux divisions, placées dans les postes avancés sur ces communications et sur l'Esla, remplacé les deux divisions que j'en tirerais.
«J'ai écrit au général Dorsenne pour l'engager, si la chose lui est possible, à porter une partie de ses troupes dans le sixième gouvernement afin d'y remplacer les miennes et de rendre disponibles, dans le mouvement à faire dans ce moment, celles qu'il aura relevées. J'ignore s'il fera droit à ma demande, mais j'en doute, n'ayant pas encore reçu les bataillons de marche qu'il doit m'envoyer et qui me sont annoncés depuis longtemps.
«Monseigneur, je ne puis croire que Sa Majesté se fasse une idée exacte de la difficulté de son armée du Portugal; elle lui accorderait les secours qui lui sont si nécessaires, et les secours jusqu'à la récolte, c'est de l'argent, seul moyen d'assurer la subsistance des troupes réunies. L'armée de Portugal est incapable aujourd'hui d'aucune offensive sérieuse, d'aucune opération suivie, et sa situation ne changera que lorsqu'elle aura quelques magasins. L'économie du peu d'argent nécessaire à assurer les opérations jusqu'à la récolte peut être payée, d'ici à trois mois, bien cher en hommes et en argent.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
Paris, le 4 avril 1812.
«Votre aide de camp vous aura fait connaître que l'Empereur vous laisse carte blanche; mais Sa Majesté a jugé convenable de confier au roi d'Espagne le commandement des armées de Portugal, du Midi et de Valence, pour les diriger vers un seul et même but, ainsi que la direction politique des affaires d'Espagne.
«L'Empereur considère.................................... de troupes qu'on puisse faire, sans quoi les brigands fileraient sur Saint-Sébastien, et il faudrait employer contre eux six fois plus de forces qu'il n'en faut pour occuper les Asturies.»
LE MARÉCHAL JOURDAN AU MARÉCHAL MARMONT.
«Talavera, le 9 avril 1812.
«Un commerçant qui arrive de l'Estramadure rapporte les nouvelles suivantes:
«Le 22 du mois dernier, il se trouvait en El Castain, où il a ouï dire que les troupes impériales de Badajoz empêchaient les Anglais de placer leurs batteries.
«Le 22, ce commerçant se mit en route pour retourner à Talavera; il passa par Médina de las Torrès, où auparavant étaient les Anglais, et, lors de son passage, il n'y en avait aucun.
«A Guareña, il y avait des Anglais qui se retiraient vers Abajo. A Medellin, il n'y avait ni Anglais ni Français. A Santo-Benito, les Français y étaient, et à Miajadas, il y avait un petit parti de Portugais.
«Il entendit le feu de la place jusqu'au 2 avril, époque où il se trouvait à Miajadas. Par conséquent, la nouvelle de la reddition de Badajoz, répandue avant, est fausse.»
LE GÉNÉRAL DORSENNE AU MARÉCHAL MARMONT.
«Pampelune, le 11 avril 1812.
«Monsieur le maréchal, je ne reçois qu'à l'instant la lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire le 23 mars dernier pour me prévenir que les ennemis paraissent décidément faire une entreprise sur Badajoz; qu'elle se met en mouvement; qu'elle va, en conséquence, avoir besoin d'augmenter ses forces, et que, pour les réunir, elle m'engage à relever la grande communication, les garnisons de la province de Palencia et celles de Valladolid.
«Il m'est extrêmement pénible d'être obligé de déclarer à Votre Excellence que je ne puis faire dans cette occasion ce qu'elle désire. Les troupes qui me sont annoncées depuis deux mois ne sont pas arrivées. Partout mes garnisons sont insultées, et je n'ai pas un régiment disponible pour agir. Si je ne reçois pas de renforts, j'ai lieu de craindre de voir mes communications interceptées avant peu.
«Une preuve bien convaincante de ce que j'annonce à Votre Excellence, c'est que les régiments de marche de son armée, que j'aurais dû lui renvoyer depuis longtemps, n'ont pu encore être remplacés, ce qui m'a obligé à les garder jusqu'à ce jour.
«Enfin, monsieur le maréchal, je dois vous prévenir qu'en supposant même que le prince de Neufchâtel vous ait donné l'avis que je dois vous secourir au besoin, il me serait impossible de le faire dans ce moment, puisque je ne peux déplacer un seul homme sans compromettre ou évacuer le pays (ce qui serait bien contraire aux intérêts et à la volonté de l'Empereur), et que, partout où mes troupes sont établies, elles n'y sont que trop faiblement.
«Je vais me rendre en Biscaye, afin de faire un effort pour vous renvoyer vos deux régiments de marche, qui tiennent encore la ligne d'Irun à Vitoria. Celui qui était à Pampelune doit vous avoir rejoint. Si je réussis, je me trouverai heureux; mais je vous prie de ne pas me supposer dans une position avantageuse.»
LE MARÉCHAL JOURDAN AU MARÉCHAL MARMONT.
«Madrid, le 13 avril 1812.
«Monsieur le duc, Sa Majesté me charge de vous dire qu'elle a reçu votre lettre en date du 31 mars. Le roi pense, comme vous, que ce qu'il y a de mieux à faire, c'est de continuer l'opération que vous avez commencée; elle doit nécessairement produire une diversion utile à M. le duc de Dalmatie, tandis que, si vous reveniez sur vos pas pour porter ensuite des troupes sur la rive gauche du Tage, ce mouvement, nécessairement très-long, serait vraisemblablement trop tardif.
«Le roi m'ordonne d'adresser à Votre Excellence copie d'un rapport qui lui est parvenu de Talavera. Le rapport coïncide avec la nouvelle du jour de Madrid, qui annonce que les Anglais ont suspendu le siége de Badajoz, et qu'ils ont réuni leurs troupes pour s'opposer au maréchal duc de Dalmatie, qui marche sur eux.
«On me mande de Talavera, sous la date du 9 de ce mois, qu'on n'avait rien appris de nouveau du général Foy, et on ne savait pas où il était.»
LE MARÉCHAL SOULT AU MARÉCHAL MARMONT.
«Séville, le 14 avril 1812.
«Monsieur le maréchal, M. le général Foy a dû vous transmettre diverses lettres que je lui ai écrites, et vous rendre compte que la place de Badajoz avait été malheureusement emportée par assaut dans la nuit du 6 au 7 de ce mois. Je m'étais porté en Estramadure avec vingt-quatre mille hommes pour secourir la place; le 7, j'arrivai à Villafranca, et mes avant-postes furent poussés jusqu'à Fuente-Del-Maestro, Azeuchal, Villalba et Almendralejo. Le 8, comme j'allais prendre position à l'embouchure du Guadajira, j'appris la fâcheuse nouvelle de la prise de Badajoz. Jusqu'alors je m'étais flatté que l'armée de Portugal, qui ne pouvait douter que toute l'armée anglaise ne fût sur la Guadiana, viendrait se réunir à celle du Midi pour livrer bataille aux ennemis. J'étais fondé dans mon espoir par l'assurance que vous-même me donnâtes le 22 février dernier. Mais, en même temps, j'appris, par des lettres du général Foy des 30 et 31, que les moyens qu'il avait auparavant lui étaient ôtés. J'étais en trop grande disproportion de forces avec l'ennemi pour lui livrer bataille en Estramadure; je me suis donc rapproché de l'Andalousie, où ma présence était des plus nécessaires: Séville était investie par quatorze mille Espagnols, et les lignes de Cadix étaient compromises.
«On dit que l'armée anglaise marche sur moi; si elle se présente, je la recevrai en position, et je ferai en sorte qu'elle ait lieu de se repentir d'être venue. S'il y avait en le moindre concert d'opération entre l'armée de Portugal et celle du Midi, l'armée anglaise était perdue et la place de Badajoz serait encore au pouvoir de l'Empereur. Je déplore amèrement qu'il ne vous ait pas été possible de vous entendre avec moi à ce sujet.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
»Paris, le 16 avril 1812.
«J'ai mis sous les yeux de l'Empereur, monsieur le maréchal, vos lettres des 22 et 23 mars.
«Par mes dépêches des 18 et 20 février, je vous prescrivais les mesures nécessaires pour prendre l'initiative et donner à la guerre un caractère convenable à la gloire des armes françaises, en lui ôtant ce tâtonnement et cette fluctuation actuelles, qui sont déjà le présage d'une armée vaincue. Mais, au lieu d'étudier et de chercher à saisir l'esprit des instructions générales qui vous étaient données, vous vous êtes plu à ne pas les comprendre et à prendre justement le contre-pied de leur esprit. Ces instructions sont raisonnées et motivées, comme toute instruction d'un gouvernement; elles étaient données à trois cents lieues et à six semaines d'intervalle; elles vous supposaient vis-à-vis de l'ennemi et vous précisaient de le contenir et d'obliger la plus grande partie de son armée à rester dans le Nord, en concentrant votre quartier général à Salamanque, et en tirant tous les jours des coups de fusil sous Rodrigo et sous Almeida. Ces instructions vous disaient: «Si, dans cet état de choses, l'ennemi reste devant vous avec moins de cinq divisions, marchez à lui, suivez-le en queue; ses hôpitaux et magasins étant entre Lisbonne et la Coa, il ne pourra les évacuer si rapidement, que vous ne puissiez les atteindre.» Je vous y ajoutais que, dans cet état de choses, il était absurde de penser que le général anglais pût abandonner tout le Nord pour se jeter sur une place qui menaçait de cinq semaines de résistance; qu'il pourrait y envoyer deux divisions, trois même, mais qu'alors l'armée du Midi, secourue aujourd'hui par celle de Valence, qui appuie sa gauche, serait suffisante.
«Mes dépêches sont arrivées le 6 mars, et alors vous aviez entièrement perdu l'initiative; vous vous étiez retiré en arrière, de manière que l'ennemi vous croyait sur Burgos. Lord Wellington avait évacué ses magasins et ses hôpitaux sur Lisbonne; il avait entièrement disparu: il avait alors dix jours d'initiative sur vous, et son mouvement sur Badajoz était prononcé.
«Dans cet état de choses, vous vous êtes porté le 6 sur Salamanque; vous avez fait partir du pont d'Almaraz, le 8, deux divisions, et êtes resté cantonné sans faire aucun mouvement ni sur Rodrigo ni sur Almeida, ce qui a décidé Wellington, aussitôt qu'il a vu que vous ne faisiez rien sur Salamanque, à se porter sur Badajoz le 12; il la cernait le 16.
«Certes, il faut ne pas avoir les premières notions de l'art de la guerre pour ne pas comprendre que, dans la position où vous étiez le 6, l'ennemi ayant préparé tout son champ de bataille entre Lisbonne et Salamanque, vous ne pouviez ôter les divisions d'Almaraz qui entraient dans le système de Badajoz qu'en même temps votre tête n'eût marché sur l'Aguada et sur Almeida. Vous ne pouviez vous décider à affaiblir Almaraz, qui était une position propre à secourir Badajoz, en recevant l'initiative de l'ennemi, qu'autant que vous ayez été décidé à marcher sur Almeida, et en position de le faire, et de menacer réellement Lisbonne. Mais faire un mouvement d'Almaraz sur Salamanque, pour rester à Salamanque sans rien faire depuis le 6 jusqu'au 28, c'était effectivement annuler toute l'armée à l'ouverture de la campagne; c'était vouloir tout perdre, sans qu'on puisse en saisir le motif.
«Le 24, vous avez dû être instruit que le 16 lord Wellington avait cerné Badajoz; cependant le 24 vous n'aviez pas encore bougé, et l'on voit, dans les relations de l'armée anglaise, que lord Wellington remarque bien, jour par jour, qu'aucun mouvement ne se fait à Salamanque; n'était-il pas naturel alors, puisque vous étiez instruit que Badajoz était cerné depuis huit jours, et que le feu était à la maison, que vous vous portassiez à grandes marches sur Almaraz pour appuyer la division Foy? Vous pouviez arriver le 10 avril à Badajoz, et vous auriez trouvé l'armée anglaise fatiguée du siége, et dans la situation la plus désirable pour lui livrer bataille. Cependant, aussitôt que l'Empereur apprit la manière étrange dont vous considériez les choses, il me chargea de vous écrire le 12 mars, et je vous renvoyai votre aide de camp, qui est arrivé le 25. Mes instructions étaient précises. Nous apprenons que le 28 vous étiez parti pour Rodrigo, avec quinze jours de vivres, et que le 30 vous étiez devant cette place. Si vous vous portez de là au pont d'Almaraz, vous pouvez encore arriver à temps pour sauver Badajoz, qui, si elle est bien défendue, peut résister cinq à six semaines. Vous n'aurez pas longtemps ajouté foi au débarquement des Anglais à la Corogne.
«Toutefois, d'un moment à l'autre l'Empereur peut partir pour la Pologne; il ne peut que vous recommander de seconder le roi, et de faire de vous-même, par attachement pour sa personne et la gloire de ses armes, tout ce qu'il vous sera possible pour empêcher que quarante mille Anglais ne gâtent toutes les affaires d'Espagne; ce qui serait infaillible si les commandants des différents corps ne sont pas animés de ce zèle pour la gloire et de ce patriotisme qui seuls vainquent les obstacles et empêchent de sacrifier jamais à son humeur et à des passions quelconques l'intérêt public.
«Au retour de Pologne Sa Majesté ira en Espagne. Elle espère n'avoir plus que des éloges à vous donner à ce que vous aurez fait, et que vous aurez de nouveau bien mérité dans son estime.
LE MARÉCHAL MARMONT AU ROI JOSEPH.
«Fuenteguinaldo, le 21 avril 1812.
«Sire, Votre Majesté désire connaître si les pays que l'armée occupe peuvent suffire à ses moyens de subsistance. Je ne puis mieux répondre à cela qu'en assurant à Votre Majesté que l'on ne vit dans les cantonnements qu'au moyen des plus grands actes de violence, que partout la force seule peut donner les moyens journaliers de subsistance.
«La force, étant nécessaire pour assurer la subsistance, ne peut être mise en usage pour former des magasins, et, par conséquent, il n'en existe nulle part.
«La subsistance des troupes à Valladolid et dans toutes les villes est toujours dans l'état le plus critique.--On ne peut plus faire rien qu'au moyen d'achats, et cette dépense est tellement en disproportion avec les ressources en argent dont on peut disposer, qu'après avoir épuisé le peu d'argent de la solde qui est arrivée de France, il y a de quoi être effrayé de l'avenir jusqu'à la récolte.
«L'Empereur vient d'ordonner au général Dorsenne d'envoyer de la province d'Aranda huit mille quintaux de froment; mais le général Dorsenne, qui craignait que je n'envoyasse chercher du grain dans cette province, a fait tout enlever et conduire à Burgos. Je compte donc peu sur cette ressource et cependant les événements les plus graves, les plus désastreux, les plus calamiteux, peuvent être le résultat de cette pénurie.
«D'après les documents de l'administration, les produits du territoire qu'occupe l'armée de Portugal ne sont évalués qu'à un peu plus de moitié des produits du pays qu'occupe l'armée du Nord, en supposant même que le septième gouvernement, dont les produits sont réduits presqu'à rien par la perte de Rodrigo, fût intact; et cependant l'armée du Nord n'est guère que les trois cinquièmes de l'armée de Portugal.
«J'ignore quels motifs ont pu déterminer l'Empereur à un arrangement qui refuse tout à ceux qui ont le plus souffert et qui ont à combattre, tandis qu'il prodigue tout à d'autres, qui, par la nature de leurs fonctions et par leur placement, ne sont destinés qu'à un rôle secondaire.
«Votre Majesté, d'après cela, peut juger que l'armée de Portugal, dans un territoire dévasté par l'armée du Nord qui l'a précédée, qui n'a qu'un territoire insuffisant et sans proportion avec ses besoins, n'a des ressources ni suffisamment en blés ni suffisamment en argent; que, n'ayant point d'argent, elle ne peut faire venir du blé des autres provinces, et qu'eût-elle des magasins, n'ayant pas de moyens de transport, elle ne pourrait se faire suivre par des approvisionnements en cas de mouvement.
«On peut cependant compter que, selon l'usage établi à l'armée de Portugal, les soldais ont une réserve de quinze jours de vivres qu'ils portent dans leurs sacs. Mais cet approvisionnement vient d'être consommé pendant le mouvement que je viens d'exécuter, et il faudra du temps et de nouveaux efforts pour pouvoir le reformer.
«Votre Majesté désire connaître où en est la solde de l'armée. Les six premières divisions sont alignées au mois de juin 1811, et il leur est dû dix mois de solde; la septième au mois de septembre, ainsi il lui est dû huit mois; la huitième division au mois d'octobre 1810, ainsi il lui est dû dix-huit mois. Ce seul exposé suffit pour faire connaître à Votre Majesté dans quelle misère est l'armée.
LE GÉNÉRAL DORSENNE AU MARÉCHAL MARMONT
«Vitoria, le 21 avril 1812.
«Mon cher maréchal, je ne reçois qu'aujourd'hui la lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire de la Caritas le 6 février.
«Je dois lui répéter ce que je lui ai déjà annoncé le 11 de ce mois, qu'il m'est impossible d'envoyer il Valladolid une de mes divisions comme elle le désire, que les troupes qui me sont annoncées depuis deux mois ne sont pas arrivées, et que, partout où mes garnisons sont établies, elles n'y sont que trop faiblement.
«Je vais redoubler d'efforts, monsieur le maréchal, pour vous renvoyer vos deux régiments de marche qui gardent encore les communications d'Irun à Vitoria, et je n'estimerai heureux de pouvoir y réussir.»
LE ROI JOSEPH AU MARÉCHAL MARMONT.
«Madrid, le 1er mai 1812.
«Monsieur le maréchal, j'ai reçu en même temps vos lettres des 16 et 21 avril. Le mouvement que vous avez fait n'ayant pas eu l'effet qu'on espérait, et ne pouvant pas rendre toute votre armée disponible en ordonnant au général Dorsenne de remplacer vos troupes en Castille, j'approuve fort la proposition que vous faites de vous rendre avec quatre divisions dans la vallée du Tage pour opérer, par l'Estramadure, en faveur de l'Andalousie. Je vous engage à hâter ce mouvement le plus que vous pourrez.
«M. le maréchal Jourdan vous écrit en détail sur les moyens que l'on peut tirer de Madrid et mettre à la disposition des troupes qui doivent agir dans l'Estramadure pour se porter au secours de l'Andalousie.
«Je fais écrire au général Dorsenne, mais je ne pense pas qu'il envoie aucunes troupes pour remplacer les vôtres.
«Je reçois l'avis qu'un régiment de l'armée d'Aragon est arrivé à Cuença pour assurer la communication avec Madrid. L'arrivée de ce régiment donne la possibilité de faire occuper par les troupes de l'armée du Centre les postes et forts sur le Tage, et de rendre ainsi disponible la division Foy. Une brigade de cavalerie de l'armée du Centre reçoit l'ordre de se porter dans la vallée du Tage, où elle sera à vos ordres. Je n'ai point encore avis du départ de Valence de la division que j'ai demandée; elle sera aussi employée à secourir l'armée du Midi.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU MAJOR GÉNÉRAL.
«Salamanque, le 2 mai 1812.
«Monseigneur, je reçois la lettre que Votre Altesse m'a fait l'honneur de m'écrire le 16 avril. Il est dur d'être accablé des reproches les plus amers sans les avoir mérités. Vos instructions du 18 et du 21 février sont rédigées d'une manière si impérative, qu'elles suffiraient pour faire condamner devant un tribunal un général qui ne s'y serait pas conformé. Elles consacraient formellement le cas où l'ennemi serait en possession de l'initiative; elles disaient même: «Si lord Wellington marche avec toutes ses troupes sur Badajoz, laissez-le aller, rassemblez votre armée, et il reviendra bien vite.» C'est précisément ce que j'ai fait: toutes les raisons qui établissent que les divisions auraient dû rester sur le Tage, je les ai senties, et elles sont toutes consignées dans les lettres que je vous ai écrites: c'est donc par pure obéissance que je les ai rappelées.
«Je ne puis donc être responsable du mauvais effet qui en est résulté. J'ai mis mes troupes en mouvement pour Rodrigo aussitôt que j'ai pu avoir des subsistances pour exécuter cette opération. J'ignore par quelle magie on aurait pu la commencer plus tôt sans laisser hommes et chevaux sur la route.
«Ayant une fois renoncé à la marche sur le Tage, je ne pouvais y revenir brusquement, attendu qu'au même instant j'avais rappelé les officiers que j'avais envoyés à Madrid avec des fonds pour presser l'envoi des subsistances sur Almaraz, et qu'alors tous les envois avaient complètement cessé. Avec quinze jours de vivres, j'aurais passé le Tage; mais comment subsister ensuite avec les moyens du pays compris entre le Tage et la Guadiana, le désert le plus affreux qui existe, et en présence de l'ennemi? La destruction de l'armée en aurait été la conséquence nécessaire. Il n'y avait que des envois prompts de Madrid qui pussent pourvoir aux besoins de l'armée, et je ne pouvais y compter, car je n'ai trouvé dans cette ville ni secours, ni force, ni volonté. A l'époque où nous sommes, on ne peut pas faire un mouvement sur cette frontière sans l'avoir préparé un mois d'avance, et, après que ce mouvement a été exécuté, l'armée est incapable pendant longtemps de se mouvoir de nouveau. Je crois l'avoir dit plus d'une fois, l'Empereur n'a point d'armée ici; car, quoiqu'il ait de braves soldats, ils ne peuvent ni se mouvoir ni se tenir réunis, faute de moyens de transport et de magasins. Vous me dites que j'ai annulé l'armée au commencement de la campagne; ce qui annule l'armée, c'est l'absence totale de moyens et le refus que l'Empereur a toujours fait de lui en accorder, tandis qu'il est assez connu que l'ennemi en a surabondance. On ne peut former des magasins qu'avec de l'argent, et l'Empereur n'a jamais voulu en donner. On nous a même enlevé les moyens de transport qui nous avaient été accordés, au moment où ils nous étaient le plus nécessaires. Permettez-moi de le dire: il n'y a peut-être pas d'exemple qu'une armée ait été laissée dans un pareil abandon; peut-être même suis-je autorisé à dire que, sans ma sollicitude et mes soins de tous les instants, il serait déjà arrivé de grands malheurs. L'Empereur voit toujours, dans son armée de Portugal, une armée nombreuse, une armée reposée et disponible; mais il oublie que quatorze à quinze mille hommes sont indispensables pour l'occupation du pays, ce qui réduit d'autant la force pour combattre; que, comme nulle part un ordre, une simple lettre, ne peuvent être portés que par cent cinquante ou deux cents hommes, et qu'on n'obtient pas une seule ration sans l'action immédiate d'une force imposante, la totalité des troupes se trouve continuellement en mouvement, et elles se fatiguent réellement plus qu'elles ne le feraient en campagne, quoiqu'elles paraissent tranquilles dans leurs cantonnements. Il n'y a jamais eu dans ma conduite ni tâtonnement ni fluctuation, mais bien le sentiment de la faiblesse de mes moyens jusqu'à la récolte, et la conviction de la nécessité de se contenter de chercher à arrêter l'ennemi dans ses opérations, ne pouvant le maîtriser. Je le répète, jusqu'à la récolte, il n'y a que de l'argent qui puisse rendre à l'armée quelque mobilité. Il semblerait que Sa Majesté ignore la situation présente de l'Espagne, celle de son armée de Portugal, le nombre et les forces toujours croissantes des guérillas, et les difficultés épouvantables que présente ici le plus léger mouvement exécuté en corps d'armée. Je supplie Votre Altesse de m'expliquer pourquoi, dans un pareil ordre de choses, les ordres sont si précis et si impératifs, si ce n'est pour qu'on les suive. En faisant ce que l'Empereur trouve aujourd'hui que j'aurais dû faire, il est possible que je n'eusse pas réussi à sauver Badajoz. Dans ce cas, de quel poids ne seraient pas contre moi les reproches de l'Empereur et quelle responsabilité n'aurais-je pas encourue? Ce n'est pas que je redoute la responsabilité, je me sens au contraire toute la force de la supporter; mais il faut qu'après m'avoir donné des moyens proportionnés aux besoins de l'armée, on me laisse quelque latitude dans le mode de leur emploi.
«L'Empereur me compte, comme étant destinées à combattre l'armée anglaise, deux divisions de l'armée du Nord, sa cavalerie et une partie de son artillerie. J'ai demandé il y a six à sept semaines au général Dorsenne de faire relever dans quelques postes les troupes que je me proposais de conduire en Portugal. Non-seulement il n'a relevé aucun de mes postes, mais même il ne m'a pas encore envoyé deux des trois régiments de marche qu'il avait à moi; il m'a, de plus, déclaré qu'il lui était absolument impossible de me promettre aucun secours pour l'avenir. Ainsi, si l'armée marche aux Anglais, il faut, pour qu'elle soit en situation de combattre, qu'elle évacue tout le pays et porte la confusion à son comble, et, si elle ne prend pas cette mesure, elle se trouve très-inférieure en nombre. D'après cela, Sa Majesté peut apprécier ma position.
« Je ne pense pas que personne ait plus de patriotisme que moi, plus d'attachement pour l'Empereur et mette à un plus haut prix la gloire de ses armes. Ainsi donc Sa Majesté peut être assurée du zèle avec lequel je seconderai le roi d'Espagne. Mais je prends acte ici que je ne puis être responsable de ses dispositions, et l'Empereur trouvera sans doute juste ma réserve lorsqu'il calculera les conséquences qui peuvent résulter de la disposition que vient de prendre le roi pour conduire trois divisions de l'armée de Portugal sur Séville par la Manche. »
LE ROI JOSEPH AU MARÉCHAL MARMONT.
Madrid, le 4 mai 1812.
«Monsieur le maréchal, j'ai sous les yeux votre lettre du 27 avril à M. le maréchal Jourdan, et je reçois en même temps celle du major général du 16, qui me donne connaissance des lettres qu'il vous a adressées le 12 mars et le 16 avril. Je sais par un aide de camp du duc de Dalmatie que ce maréchal était le 27 avril à Séville, et qu'il avait réuni une grande partie de ses forces, conservant toutefois le blocus de l'île de Léon, Grenade, Malaga, etc ... et ayant sa droite à Anduxera et sa gauche à l'île de Léon. Il n'avait pas encore reçu l'avis des dispositions de l'Empereur qui me confient le commandement de ses armées. Le maréchal Suchet n'avait pas envoyé la division que je lui avais fait demander.
«Dans cet état de choses, je ne pense pas qu'il y ait autre chose à faire aujourd'hui que ce qu'il eût été à désirer que l'on eût fait avant la reddition de Badajoz. Je pense que les instructions de l'Empereur du 12 mars sont encore applicables, et qu'il faut faire, pour la conservation de l'Andalousie, ce qu'elles prescrivaient pour Badajoz.
«Il est de fait que l'ennemi n'a fait aucune démonstration sur Lugar-Nuevo, et je crois que lord Wellington est effectivement en Portugal avec quatre ou cinq divisions, comme vous le pensez vous-même. Dans cette hypothèse, monsieur le maréchal, vous devez le contenir et l'occuper assez par des démonstrations et des mouvements offensifs sur l'Aguada pour l'empêcher de se porter en Andalousie. Dans le cas où il ne serait plus devant vous et qu'il porterait ses divisions sur la rive gauche du Tage, vous vous porteriez à votre tour dans la vallée du Tage, afin de passer ce fleuve à Almaraz, et marcher avec toutes les forces disponibles, au secours de l'Andalousie.
«On continue à envoyer des subsistances à Lugar-Nuevo; mais vous connaissez leur rareté. N'oubliez pas que le blé que vous devez faire prendre à Ségovie, si votre mouvement se fait bientôt sur Lugar-Nuevo, est destiné à l'approvisionnement des forts de Miravete, et qu'il ne pourrait pas être remplacé jusqu'à la récolte.»
LE ROI JOSEPH AU MARÉCHAL DE MARMONT.
«Madrid, le 7 mai 1812.
«Monsieur le duc, j'ai reçu votre lettre du 5 mai par laquelle vous me prévenez que lord Wellington se trouve avec cinq divisions sur la Coa.
«Je donne ordre au duc de Dalmatie de détacher le général Drouet avec le tiers de l'armée du Midi; sa tâche sera d'observer les mouvements du corps du général Hill, de l'arrêter sur la rive gauche du Tage, et de passer ce fleuve à Almaraz si les troupes anglaises passaient sur la rive droite; il se tiendra en communication avec le général chargé de défendre Almaraz, Talavera, etc.
«J'ai chargé le général d'Armagnac, de ce commandement. Il fera occuper les forts du Tage et rendra ainsi disponible la division Foy. Je dois toutefois vous faire observer, monsieur le maréchal, que les forces que commande le général d'Armagnac se réduisent à trois bataillons et à six cents chevaux. Vous pouvez apprécier le genre de résistance qu'il peut opposer à l'ennemi, s'il était attaqué, chose qui n'est pas impossible. Si l'ennemi n'est pas en état d'entreprendre une opération générale avant la récolte, il pourrait profiter de ce temps pour se porter rapidement par Placencia sur Lugar-Nuevo, l'enlever, occuper ce point, s'y fortifier et couper ainsi toute communication avec nos armées. Il pourrait alors se livrer aux opérations de la campagne prochaine avec beaucoup de facilité, soit qu'il se portai au Nord ou au Midi. Vous devez donc donner ordre au général Foy de faire observer constamment la communication de Placencia et de se tenir toujours en mesure de couvrir les forts du Tage, dont vous devez mieux sentir que personne l'importance, à moins que les mouvements de l'ennemi ne soient totalement prononcés et que vous n'ayez plus aucun doute sur leur objet. Je n'ai pas besoin de vous répéter que les blés et biscuits de Ségovie sont destinés à l'approvisionnement des forts du Tage. Je les fais enlever; ainsi vous n'avez pas besoin de vous en occuper.
«J'écris et je fais écrire de nouveau au général Dorsenne pour qu'il exécute les dispositions prescrites par les ordres de l'Empereur dans le cas où vous seriez attaqué. Mettez-vous aussi en communication avec lui sur cet article.»
LE GÉNÉRAL CAFFARELLI AU MARÉCHAL MARMONT.
«Vitoria, le 13 mai 1812.
«Monsieur le maréchal, le courrier arrive, et j'apprends que M. Grandsigne, colonel, chargé des dépêches de Votre Excellence, a été attaqué entre Celada et Burgos. Son escorte, forte de cent vingt hommes d'infanterie et cinquante hussards, s'est trouvée entourée par toute la bande du curé, au nombre de seize cents hommes; elle s'est vaillamment défendue, M. Grandsigne, laissé pour mort au milieu d'une charge, a été dépouillé en un instant, on l'a transporté à Celada où il a expiré, le 10, lendemain de l'attaque. Tous les paquets dont il était chargé et l'estafette sont perdus; la malle a été sauvée. Nous avons perdu deux officiers, vingt-quatre hussards et deux soldats du 123e régiment tués, et trente-sept chevaux. Le capitaine d'infanterie a si bien manoeuvré et a fait si bonne contenance, qu'il a rallié les hussards et est entré à Celada sans être entamé.
«Il se trouve dans les environs de Burgos plus de dix mille brigands, je n'ai de disponibles que seize cents hommes et quatre cents chevaux, que j'envoie manoeuvrer sur les flancs de la route pour rouvrir les communications et éloigner les bandes.
«Je trouve toutes les troupes dispersées. J'attends le général Vandermaesen et le général Palombini, et j'ignore où ils sont. Je pense cependant que le premier rentrera bientôt.
«J'ai dû retenir le 13 le convoi de fonds et arrêter le régiment de marche, ils auraient été trop compromis.--Le 15, le convoi de fonds est en marche; il arrive dans trois jours. Je le ferai partir lorsqu'il y aura sûreté, et que j'aurai assez de monde pour l'escorter; mais je prie Votre Excellence d'envoyer au-devant d'eux jusqu'à Villa-Rodrigo. J'aurai soin de l'en prévenir.»
LE GÉNÉRAL CAFFARELLI AU MARÉCHAL MARMONT.
«Vitoria, le 20 mai 1812.
«Monsieur le maréchal, j'ai été indirectement informé que, lors de la dernière prise de Gijon par le général Bonnet, ce général y avait saisi des papiers très-importants et notamment des plans par l'Angleterre, contenant les opérations de cette campagne, et celles que l'armée anglaise devait faire contre l'arrondissement de l'armée du Nord.
«Dans en moment, toutes les bandes sont en mouvement, et je ne puis concevoir quel est le but de toutes les marches et contre-marches qu'elles opèrent.
«Les communications sont pour ainsi dire interrompues, et Votre Excellence sait que je n'ai point de troupes disponibles. Les papiers que le général Bonnet avait saisis furent envoyés par duplicata à M. le général Dorsenne; mais celui-ci ne les a pas reçus, ou bien il est parti sans me les remettre et même sans m'en parler. Il est vrai qu'il était extrêmement malade et peu en état de s'occuper de choses sérieuses.
«Je dois penser que Votre Excellence a connaissance de ces papiers, et je la prie instamment de vouloir bien m'en envoyer une copie chiffrée par duplicata.
«J'ai une si grande étendue de côtes à garder et si peu de moyens pour empêcher un débarquement, que je suis forcé de prendre toutes les précautions possibles pour me mettre à l'abri d'un événement.»
LE ROI JOSEPH AU MARÉCHAL MARMONT.
«Madrid, le 23 mai 1812.
«Monsieur le maréchal, votre aide de camp m'a remisée matin vos lettres des 18 et 20 mai, et M. le maréchal Jourdan m'a communiqué votre lettre du 19 de ce mois.
«J'ai envoyé à Talavera le général d'Armagnac dans un moment où vous m'annonciez que toute l'armée anglaise s'était portée au nord du Tage, et vous me préveniez que vous seriez sans doute obligé de rappeler la division Foy pour la réunir au gros de l'armée, et il ne s'agissait donc pas alors de faire relever la garnison des forts; mais il fallait encore des troupes pour appuyer ces garnisons et un général pour les commander. J'ai donc envoyé le général d'Armagnac avec trois bataillons, deux régiments de cavalerie, des sapeurs, des canonniers, des officiers d'état-major et des administrateurs.
«J'ai envoyé deux convois de subsistances dans la vallée du Tage, avec les chevaux d'artillerie de ma garde. J'ai épuisé les magasins de Madrid; le départ de ces convois a fait hausser considérablement le prix du blé dans ma capitale, et j'ai la douleur d'apprendre tous les jours qu'un grand nombre d'individus meurent de faim dans les rues. J'ai donc du mettre une grande importance à la conservation de ces denrées, et je les ai mises sous la surveillance du général qui était destiné à rester dans la vallée du Tage, et non pas sous la surveillance du général Foy, qui pouvait d'un instant à l'autre recevoir de vous l'ordre de se porter partout ailleurs. Ces subsistances ont toujours été destinées à la nourriture des troupes qui seraient appelées à opérer en Estramadure, et non à nourrir la garnison de Talavera. Si M. le général d'Aultarme a écrit le contraire à M. le général d'Armagnac, il a eu très-grand tort, et, si M» le général d'Armagnac a destiné une partie des convois à cet usage, il est très-répréhensible. Je vais me faire rendre compte de ce qui a été fait à cet égard. Mais M. le général d'Armagnac, M. le général Foy, et vous, monsieur le maréchal, vous auriez dû connaître mes intentions sur la destination de ces convois par les lettres de M. le maréchal Jourdan, qui ne laissent aucun doute à ce sujet, et on n'aurait pas du s'arrêter à une lettre du général d'Aultarme, écrite trop légèrement.
«Le premier convoi a été déchargé à Talavera, non pas pour nourrir la garnison de cette place, mais pour faire revenir plus promptement à Madrid les moyens de transport, afin de faire partir sans délai un second convoi. Je n'ai pas cru qu'il fût absolument impassible de faire porter peu à peu les subsistances de Talavera à Lugar-Nuevo. L'essentiel était d'en envoyer promptement.
«M. le général d'Armagnac et le général Foy ne se sont pas entendus. J'ai donc dû prendre un parti; il fallait donner l'administration à l'un ou à l'autre: il m'a paru plus raisonnable de la confier à celui des deux qui est destiné à rester constamment dans la vallée du Tage et à garder les forts qu'à celui qui, d'un instant à l'autre, pouvait recevoir une nouvelle destination. Vous dites à cela que, si le général d'Armagnac est chargé de l'administration, la division Foy mourra de faim: M. le général d'Armagnac en dit autant du général Foy. Je n'ai dû croire ni l'un ni l'autre, et j'ai dû faire ce qui m'a paru le plus convenable, surtout ayant la ferme volonté d'exiger de M. le général d'Armagnac qu'il remplisse mes intentions à l'égard de la division Foy. Je n'ai jamais pensé que cet arrangement pût faire retirer de la vallée du Tage la division Foy, tant que sa présence y sera nécessaire, comme vous semblez le supposer dans vos lettres.
«Cependant, monsieur le maréchal, si vous pensez que cette disposition peut contrarier vos opérations, je rappellerai le général d'Armagnac à Tolède avec l'infanterie de l'armée du Centre, et nous continuerons à faire garder les forts par vos troupes; cela me convient d'autant plus, que, n'ayant aucun secours à attendre du maréchal Suchet, qui ne peut même faire occuper la province de Cuença, je n'ai pas des troupes pour couvrir Madrid et faire ramasser, à l'époque de la récolte, les grains des provinces environnantes; mais, si vous persistez à croire que la présence des troupes du général d'Armagnac est nécessaire dans la vallée du Tage, ce général restera gouverneur de l'arrondissement de Talavera; faites-moi donc promptement connaître votre opinion.
«M. le maréchal Jourdan vous a prévenu que j'ai donné à M. le général Treillard le commandement de la cavalerie de l'armée du Centre, qui est dans la vallée du Tage. Si vous opérez en Estramadure, ce général sera sous vos ordres; mais, si les circonstances vous rappellent dans le Nord, le général Treillard ne suivra pas votre mouvement; vous avez aussi été prévenu qu'à votre arrivée dans la vallée du Tage le général d'Armagnac doit prendre vos ordres.
«Au surplus, cette lettre est peut-être inutile dans le moment actuel; car, si l'ennemi s'est emparé des forts du pont du Tage, je devrai faire d'autres dispositions; mais j'ai voulu entrer dans tous ces détails pour vous prouver que, bien loin d'avoir voulu entraver vos opérations, j'ai fait pour votre armée plus que je ne pouvais faire.
«Je pense, monsieur le maréchal, qu'au premier avis du général Foy vous aurez fait soutenir sa division par la division Clausel, et que vous vous serez porté vous-même dans la vallée du Tage, à moins que vous n'ayez la certitude que le gros de l'armée est devant vous. Je n'ai point reçu de nouvelles du général Foy depuis ses trois lettres du 19, dont M. le maréchal Jourdan vous a envoyé des copies.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU ROI JOSEPH.
«Salamanque, le 24 mai 1812.
«Sire, je reçois la lettre du 17 et du 18 de ce mois; Sire, Votre Majesté avait daigné m'ordonner, il y a six mois, époque à laquelle j'ai quitté la vallée du Tage, de former un grand dépôt de vivres à Lugar-Nuevo. Je n'aurais pas été dans l'obligation d'envoyer des troupes dans la province de Ségovie pour y réunir des vivres, pour les mettre en état de passer dans la vallée du Tage. Ainsi ce qu'il peut y avoir d'irrégulier dans cette disposition est plus que légitimé par l'urgence de nos besoins.
«La conduite du colonel du 50e régiment est condamnable pour avoir demandé des rations plus fortes que celles qui sont déterminées, et je le punirai en conséquence; mais, certes, il ne l'est pas pour avoir employé les moyens de rigueur, attendu que ce sont les seuls qui donnent des résultats, et qu'il serait méprisable et coupable envers l'Empereur et l'armée s'il n'avait pas pris les moyens nécessaires pour réunir promptement les approvisionnements que je lui ai fait donner l'ordre de former; il n'a eu et ne peut avoir, non plus que moi, l'intention de manquer à Votre Majesté, et j'ai donné assez de preuves du respect que je lui porte pour que toute justification à cet égard soit superflue; mais il y a un premier devoir à remplir, c'est celui qui se rattache immédiatement à nos succès et à l'honneur des armes de l'Empereur.
«Votre Majesté est la maîtresse de faire, relativement à moi, la demande qui lui conviendra; je n'ai rien fait que ne me commandassent ma conscience, mes lumières et mon amour du bien public; ainsi rien ne saurait m'intimider.
«Votre Majesté trouve que les moyens que l'on emploie sont tout au plus tolérables dans un pays nouvellement conquis; mais je ne sais pas dans quelle catégorie on pense placer l'Espagne et si elle connaît des localités où l'on a pu obtenir quelque chose sous les baïonnettes.»
LE ROI JOSEPH AU MARÉCHAL MARMONT.
«Madrid, le 28 mai 1812.
«Monsieur le maréchal, j'ai reçu votre lettre du 26 de ce mois, datée de Fontiveros. Je vous ai prévenu, par ma lettre du 7 de ce mois, des ordres que j'avais donnés le même jour au duc de Dalmatie pour former le corps du comte d'Erlon du tiers de l'armée du Midi, en le chargeant d'observer sur la Guadiana le corps du général Hill, de l'y contenir, de le suivre, et même de passer le Tage si le général Hill passait sur la rive droite.
«J'ai réitéré, le 26 de ce mois, et je renouvelle aujourd'hui ces mêmes ordres, qui sont parfaitement applicables aux circonstances dont vous me faites part et qu'ils avaient prévues.--J'espère qu'ils auront été exécutés ou qu'ils le seront du moins assez à temps pour seconder vos mouvements. Si le corps du général d'Erlon, par une suite de ces dispositions, arrive sur la rive droite du Tage, il couvrira Médina, ou se portera, suivant la marche de l'ennemi, sur le flanc de l'armée anglaise pour agir de concert avec vous. Mais, tant qu'il ne sera pas à portée de remplir l'un ou l'autre de ces deux objets, il m'est impossible de vous donner la cavalerie de l'armée du Centre, qui se trouve dans la vallée du Tage, où il ne resterait plus que trois bataillons si elle la quittait.--Madrid ne serait pas à l'abri d'un coup de main. Le général Treillard, qui commande actuellement dans cette vallée, a l'ordre de se mettre en communication avec le général Drouet, de tenir et d'approvisionner les forts de Miravete, s'ils ne sont pas tombés au pouvoir de l'ennemi, comme on peut s'en flatter encore, afin d'assurer cette communication, de voir s'il est possible d'établir un pont volant à Almaraz avec ce qui peut être resté de celui que l'ennemi a brûlé, s'il n'a pas pu le détruire entièrement; enfin, de faciliter, autant que possible, les moyens de passer le Tage au pont du l'Arzobispo, ou au moins de prévenir le général Drouet de l'état où est ce passage. Tel est le résumé des ordres que j'ai donnés. Vous voyez qu'ils tendent tous à vous dégager le plus possible, soit en retenant sur la rive gauche du Tage le corps du général Hill, soit en vous donnant l'appui du général Drouet, si lord Wellington appelait à lui le général Hill; et ainsi, dans l'un ou l'autre cas, à vous donner les moyens de combattre avec avantage l'ennemi, si, comme tout semble l'annoncer, il se portait définitivement sur vous. Je n'ajouterai plus qu'un mot. Il vous est facile, monsieur le maréchal, de juger que, tant que le général Drouet ne sera pas sur le Tage, Madrid est entièrement à découvert, malgré le petit corps que je laisse dans cette vallée. Ainsi vous ne devez retirer et rappeler à vous qu'avec beaucoup de ménagements la division Foy. Je n'ai pas besoin d'insister sur ce point: vous devez sentir de quelle importance il est.»
LE MARÉCHAL JOURDAN AU MARÉCHAL MARMONT.
«Madrid, le 28 mai 1812.
«Monsieur le maréchal, le roi vient de recevoir votre lettre du 26. Sa Majesté envoie derechef au duc de Dalmatie l'ordre de renforcer le plus possible le corps du comte d'Erlon, afin de mettre ce général en état de battre le corps du général Hill s'il reste sur la Guadiana, et lui rendre l'ordre de faire marcher le corps du comte d'Erlon sur Miravete si lord Wellington rappelle le général Hill à lui. Le comte d'Erlon pourra vraisemblablement passer le Tage au pont de l'Arzobispo. Ce passage est difficile pour l'artillerie; mais je ne le crois pas impraticable. Si le corps du comte d'Erlon arrive sur la rive droite du Tage, il sera destiné à couvrir Madrid et à se porter sur le flanc de l'armée anglaise, suivant les circonstances. Jusqu'à l'arrivée de ce corps, le roi ne peut pas vous donner la cavalerie que vous demandez, puisque cette cavalerie, qui consiste en huit cents chevaux, est destinée, avec trois bataillons, à garder la vallée du Tage. Ce sont les seules troupes que le roi ait disponibles, et il ne peut pas les éloigner sans s'exposer à avoir sa capitale insultée. Le roi prescrit au général Treillard, qui commande les troupes de l'armée du Centre dans la vallée du Tage, de tâcher de correspondre avec le comte d'Erlon. Il désire que le général Foy corresponde avec ce général aussi longtemps que le permettra la position de sa division.»
LE ROI JOSEPH AU MARÉCHAL MARMONT.
«Madrid, le 3 juin 1812.
«Monsieur le maréchal, vous avez déjà été instruit, par M. le prince de Neufchâtel, que l'Empereur avait jugé à propos de me confier le commandement de ses armées dans la Péninsule. M. le prince de Neufchâtel, en partant pour le nord de l'Europe, me prévient, le 4 mai, que le ministre de la guerre est chargé de recevoir à Paris la correspondance des armées d'Espagne et de Portugal.
«L'Empereur est parti de Paris le 9. Au moment de son départ, Sa Majesté a chargé son ministre de la guerre de me faire connaître ses intentions.
«M. le duc de Feltre m'écrit que l'Empereur n'avait pas cru devoir me lier par des instructions impératives; qu'en général conserver les conquêtes faites, s'occuper particulièrement du Nord, afin de maintenir les communications avec la France; attendre, dans cette altitude imposante, le moment de prendre l'offensive contre les Anglais, étaient les vues de l'Empereur et le but qu'on devait se proposer dans la conduite de la guerre en Espagne. J'ai besoin que vous mettiez autant d'empressement à me seconder que je mettrai de zèle à remplir la tâche qui m'est imposée.
«Vous devez, monsieur le duc, multiplier vos rapports avec moi, établir vos communications avec Madrid, pour qu'ils puissent me parvenir promptement, et que je puisse également vous transmettre mes ordres. Il faut que je connaisse toujours la situation de l'armée que vous commandez, l'emplacement de vos troupes, les forces et les mouvements de l'ennemi que vous avez devant vous et l'état politique des provinces que vous occupez.
«Je recevrai avec plaisir votre opinion sur ce que vous croirez convenable de faire; je la provoque même dans la persuasion où je suis que votre expérience peut m'être utile; mais, quand vous recevrez un ordre de moi, vous devrez l'exécuter sur-le-champ, sans quoi vous resterez responsable des événements.
«Vous donnerez l'ordre aux intendances de me rendre compte de l'administration des provinces, comprises dans l'étendue de votre commandement. Vous prescrirez aussi à l'ordonnateur en chef de l'armée de me rendre également compte de l'administration militaire. Ils m'adresseront d'abord un rapport sur la situation de l'administration, et ensuite ils m'enverront les mêmes rapports qu'ils font passer au ministre de la guerre à Paris.
«Veuillez, monsieur le maréchal, faire annoncer à l'armée que vous commandez, par la voie de l'ordre du jour, que l'Empereur m'a confié le commandement de ses armées dans la Péninsule, et nommé le maréchal de l'Empire Jourdan chef de l'état-major général. Vous ordonnerez aux gouverneurs et commandants des provinces, places et arrondissements, d'adresser à mon état-major les rapports qu'ils étaient dans l'usage d'adresser au prince de Neufchâtel, et à votre chef d'état-major d'y faire passer copie de tous les ordres du jour.»
LE ROI JOSEPH AU GÉNÉRAL CAFFARELLI.
«Madrid, le 3 juin 1812.
«Monsieur le comte, M. le duc de Raguse m'a prévenu depuis longtemps que, conformément aux instructions données par le prince major général, le général en chef de l'armée du Nord doit faire soutenir l'armée de Portugal par la cavalerie, son artillerie et deux divisions d'infanterie, si l'armée anglaise marche sur cette armée. M. le maréchal Jourdan a donc écrit par mon ordre, le 18 mai, à M. le comte Dorsenne de se tenir prêt à aider le duc de Raguse de toutes les troupes dont il pourrait disposer, et d'envoyer ces troupes au duc de Raguse à sa première demande. Il paraît que nous touchons au moment où ces dispositions doivent recevoir leur exécution. Tout annonce que l'armée anglaise va prendre l'offensive sur celle de Portugal. N'ayant reçu de vous ni de votre prédécesseur aucun état de situation de l'armée du Nord, il m'est impossible de déterminer quelles sont les troupes que vous pouvez envoyer au secours de l'armée de Portugal; mais je vous donne l'ordre de réunir toutes celles que vous pourrez placer en échelon entre Burgos et Valladolid, et de prescrire au général qui en aura le commandement d'aller joindre le maréchal duc de Raguse au premier ordre de ce maréchal. Vous sentez, monsieur le général, que, si l'armée de Portugal perdait une bataille, les armées françaises en Espagne seraient compromises; ainsi vous devez vous disposer à l'aider avec toutes les troupes dont vous pouvez disposer. Vous laisserez sur les points principaux de la communication les troupes nécessaires pour les garder, et vous négligerez momentanément l'intérieur des provinces.»