Mémoires du maréchal Marmont, duc de Raguse (5/9)
The Project Gutenberg eBook of Mémoires du maréchal Marmont, duc de Raguse (5/9)
Title: Mémoires du maréchal Marmont, duc de Raguse (5/9)
Author: duc de Raguse Auguste Frédéric Louis Viesse de Marmont
Release date: October 2, 2010 [eBook #33832]
Language: French
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de France (BnF/Gallica)
MÉMOIRES
DU MARÉCHAL MARMONT
DUC DE RAGUSE
DE 1792 À 1841
IMPRIMÉS SUR LE MANUSCRIT ORIGINAL DE L'AUTEUR
AVEC
LE PORTRAIT DU DUC DE REISCHSTADT
CELUI DU DUC DE RAGUSE
ET QUATRE FAC-SIMILE DE CHARLES X, DU DUC D'ANGOULÊME, DE L'EMPEREUR
NICOLAS ET DU DUC DE RAGUSE
DEUXIÈME ÉDITION
TOME CINQUIÈME
PARIS
PERROTIN, LIBRAIRE-ÉDITEUR
41, RUE FONTAINE-MOLlÈRE, 41L'éditeur se réserve tous droits de traduction et de reproduction.
1857
MÉMOIRES
DU MARÉCHAL
DUC DE RAGUSE
LIVRE SEIZIÈME
1813
Sommaire.--Situation et faiblesse de la grande armée après la campagne de Russie.--Organisation d'une nouvelle armée dite d'observation du Mein.--Création des régiments provisoires.--Canonnière de marine.--Composition de l'armée du Mein.--Arrivée du duc de Raguse à Mayence.--Composition du sixième corps, sous les ordres de Marmont.--Marche sur Dresde.--Combat de Wiessenfels.--Mort du duc d'Istrie.--Napoléon établit son quartier général à Lutzen.--Reconnaissance de l'ennemi exécutée par le sixième corps.--Bataille de Lutzen 2 mai 1813.--Combats de nuit contre la cavalerie ennemie.--Danger que court le duc de Raguse.--Paroles de l'Empereur.--Entrée de l'armée française à Dresde.
Je passai les mois de janvier et de février 1813 à soigner mes blessures, impatient de rentrer en campagne. Grâce à la force de mon tempérament, dès le mois de mai, je fus en état de partir. Après quinze jours passés à Châtillon, où j'arrêtai les travaux dont la suite devait m'occuper d'une manière si grave et si importante, je me mis en route pour l'armée.
Les deux mois et demi passés à Paris et à la cour firent époque pour moi. Étranger aux plaisirs et aux splendeurs de ce séjour, depuis neuf ans, je n'avais pas quitté les camps; et, sous le régime impérial, je n'avais habité la capitale que pendant six semaines environ et à trois reprises différentes, à l'époque du couronnement, en 1809, après la paix de Vienne, et à l'époque de la naissance du roi de Rome, avant d'aller prendre le commandement de l'armée de Portugal. Aussi, sur ce terrain, tout était neuf pour moi. La cour, encore brillante, présentait cependant un horizon sombre à tous les yeux. La défection du corps prussien d'York, indice effrayant de la situation des esprits, donnait à chacun le pressentiment de grands et de nouveaux malheurs. Et cependant la fortune est venue au secours du courage, et il n'a tenu qu'à Napoléon de rasseoir pour toujours sa puissance ébranlée; mais il devait se charger lui-même de se détruire et périr par un suicide politique.
Depuis plusieurs années, Napoléon, rappelant, autant qu'il le pouvait, dans les habitudes, les usages anciens de la cour de France, exigeait que l'on vint à ses fêtes en habit habillé. L'intérêt des manufactures servait de prétexte à cet usage singulier, imitation servile du passé. Rien n'était si extraordinaire que ce travestissement de soldats dont la parure était les cicatrices et l'air martial bien plus que la grâce et l'élégance. Je me fis faire de beaux habits pour me conformer à l'ordre donné, et ma manche ouverte, mon bras en écharpe et sans mouvement, faisaient ressortir ce que ce costume avait de bizarre.
Les historiens de la campagne de 1812 en Russie ont raconté ses désastres avec trop de détails pour que, sans y avoir assisté, je m'occupe de les décrire. L'ouvrage de M. de Ségur porte avec lui la conviction et doit être placé en première ligne. J'ai pu juger, dans la campagne suivante, des dispositions physiques et morales de Napoléon. Il était en 1813 tel que M. de Ségur le dépeint en 1812. Plus tard, j'ai pu apprécier l'exactitude de ses récits quand il décrit les lieux où se sont passées les grandes scènes de cette époque. Enfin il a bien peint le caractère des événements dans une armée livrée à de semblables circonstances, et c'est lui qui, à mon avis, doit faire autorité dans l'avenir.
La grande armée n'existait plus que de nom. À peine les régiments conservaient-ils des fragments de cadres. L'effectif présent sous les armes, dans le cadre d'un grand nombre de divisions, ne s'élevait pas à plus de huit à neuf cents hommes. Les hommes échappés à la mort étaient prisonniers ou éparpillés, sans armes et sans organisation. Quelques corps, restés en Prusse et à Dantzig, furent victimes à leur tour des rigueurs de la saison et éprouvèrent une grande diminution. De leur côté aussi les troupes ennemies, sans avoir été désorganisées, étaient beaucoup réduites, malgré les soins qu'on avait pris pour leur conservation pendant la poursuite des opérations. Néanmoins leur nombre et leur état les rendaient très-supérieures aux nôtres et fort redoutables.
La défection de la Prusse avait mis inopinément dans la balance de nouvelles forces contre nous, et ces forces étaient aussi redoutables par le nombre des soldats que par l'esprit qui les animait. L'enthousiasme de la nation la fit se lever, pour ainsi dire, tout entière pour assurer sa délivrance.
La ville de Dantzig, abandonnée à elle-même, fut bloquée, ainsi que les diverses places de la Vistule. Cependant le vice-roi, qui commandait cette prétendue grande armée, dont les débris réorganisés composaient un corps de tout au plus douze mille hommes, formé de quatre divisions, était resté à Posen aussi longtemps qu'il l'avait pu sans danger. Il s'était ensuite retiré lentement et s'était arrêté à Berlin. Enfin, quand le mouvement des armées ennemies et la levée en masse de la Prusse l'y forcèrent, il se réfugia derrière l'Elbe, où il reçut des renforts considérables.
L'hiver de 1813 se passa ainsi en Allemagne. Pendant ce temps, une nouvelle armée, sous le nom d'armée d'observation du Mein, se formait sur la frontière et se préparait à entrer en campagne.
Les désastres survenus en Russie avaient été ressentis vivement par la France entière. Quelque lourd qu'eût paru le fardeau de la guerre, quelle que fût l'impopularité de l'Empereur et de ses entreprises gigantesques, qui, se renouvelant chaque année, épuisaient toujours davantage les peuples, l'honneur national, accoutumé, par des succès continuels, à dicter partout des lois, se réveilla au bruit des revers. Le sentiment patriotique fit faire des efforts extraordinaires pour mettre Napoléon à même de reprendre sa position perdue et de rétablir son influence sur l'Europe. On espérait que Napoléon était corrigé, et qu'enfin la France pourrait jouir de sa puissance au sein du repos. Les levées se firent avec facilité et empressement. Une réquisition immense de chevaux s'exécuta promptement et sans murmures. Tout marcha avec une telle rapidité, que les armées semblaient sortir de terre.
Avant de commencer la campagne de Russie, l'Empereur avait emmené avec lui tout ce qu'il y avait de disponible dans l'armée. Il n'avait laissé en France que des dépôts; mais, par une sage prévoyance, il avait ordonné la levée de cent bataillons de réserve, sous le nom de cohortes. Afin de se ménager la ressource des conscriptions futures, il l'avait fait faire sur les conscriptions passées, c'est-à-dire parmi les hommes libérés, mesure injuste et odieuse, mais qui lui fournit des hommes faits, robustes, de l'âge de vingt-deux à vingt-huit ans, et plus en état que ceux des levées annuelles de supporter les fatigues de la guerre. Pour déguiser aux yeux de ces hommes, appelés contre toute espèce de droit, la rigueur dont ils étaient l'objet, le sénatus-consulte, rendu à cette occasion, déclara que ces nouveaux soldats n'auraient d'autre destination que la défense du territoire de l'Empire; qu'ils ne pourraient en sortir; et, pour présenter à l'esprit l'idée d'une organisation particulière adaptée à cette destination spéciale, on les plaça dans des corps nouvellement formés sous le nom de cohortes au lieu de bataillons.
M. de Lacépède, orateur du Sénat, prononça, en présentant l'acte qui mettait l'Empereur en possession de cette ressource, les paroles suivantes, qui furent au reste frappées de ridicule, au moment même où elles furent proférées: «Mais ces jeunes soldats auront à gémir du sort qui leur est réservé, de rester loin des dangers et du théâtre de la gloire des armes françaises.» Le théâtre de la guerre se rapprocha d'eux et vint les chercher. Un nouveau sénatus-consulte, rendu dans l'hiver de 1812 à 1813, autorisa à les mobiliser et à en faire des régiments, qui prirent de nouveaux numéros dans l'armée. Ces corps, ayant été levés au moment du plus grand déploiement de nos forces, avaient reçu un grand nombre d'officiers fort médiocres et trop âgés, en réforme ou en retraite, rappelés au service, mais les soldats étaient admirables. Les cent cohortes organisées en régiments prirent les numéros au delà du 122e et jusqu'à 130 et quelques. Ces corps formèrent la première ressource dont l'Empereur disposa.
La conscription annuelle était déjà appelée. Elle servit à remplir les cadres d'un grand nombre des troisième et quatrième bataillons, qui formèrent des régiments provisoires, et furent envoyés dans le corps d'observation du Mein.--Des soldats, tirés des compagnies départementales, formèrent un régiment de quatre magnifiques bataillons. Napoléon eut, en outre, l'idée de faire servir à terre, et comme infanterie, les canonniers de la marine, corps nombreux, brave et fort inutile dans les ports en ce moment. Il ordonna son doublement en y versant un nombre de conscrits égal à celui des vieux soldats. On forma ainsi quinze bataillons de campagne, qui entrèrent dans la composition de mon corps d'armée. Enfin, Napoléon appela à lui un corps de trois divisions, formées avec des troupes de l'armée d'Italie, composé d'anciens régiments, dont la gloire et le courage rappelaient notre beau temps militaire. Ce corps, confié au général Bertrand, traversa le Tyrol, et vint nous rejoindre dans les plaines de la Saxe.
L'armée d'observation du Mein se composa en dernière analyse de corps dont les numéros définitifs, dans la grande armée, furent les suivants:
Troisième corps, maréchal Ney, quatre divisions;
Quatrième corps, général Bertrand, trois divisions, dont une wurtembergeoise;
Sixième corps, duc de Raguse, quatre divisions, dont trois seulement furent organisées (canonniers de la marine).
Le premier corps, prince d'Eckmühl, quatre divisions. Il était sur le bas Elbe, où il se réorganisait.
Le deuxième corps, duc de Bellune, qui était à Magdebourg. Il fut formé fort tard, et il ne put prendre part à la première partie de la campagne.
Les cinquième, onzième et douzième corps, commandés par le général Lauriston et les maréchaux Macdonald et Oudinot, chacun de trois divisions (cohortes). Ils avaient déjà rejoint le vice-roi.
Enfin, aux forces ci-dessus il faut ajouter la garde impériale, dont l'infanterie s'élevait à quinze mille hommes et la cavalerie à quatre mille, seule cavalerie, au reste, qui fût alors disponible dans toute l'armée. Ces forces, organisées pendant le cours de l'hiver, étaient en état de rentrer en campagne à la fin d'avril. Cependant l'Empereur ne se contenta point de ces préparatifs, quelque considérables qu'ils fussent déjà. Il ordonna encore bien d'autres levées. De plus il stimula les alliés pour remplacer leurs contingents, dont, il est vrai, il ne restait presque plus que le souvenir. Les effets de ces mesures extraordinaires, soutenues par une grande activité et une puissante volonté, se firent sentir successivement pendant le cours de la première partie de la campagne et de l'armistice qui s'ensuivit. Des secours de toute nature ne cessèrent d'arriver, en sorte que l'armée se trouva, à la fin de l'été, composée, il est vrai, en grande partie de très-jeunes soldats, peu en état de supporter longtemps les fatigues de la guerre, mais aussi forte en nombre d'hommes et en chevaux qu'elle eût jamais été. Ce n'est pas, au surplus, le moment d'entreprendre cette partie de mes récits. Nous en sommes seulement à présent à la formation des troupes entrant les premières en ligne, après les désastres survenus en Russie, et qui combattirent à Lutzen.
Je me rendis à Mayence, où j'arrivai le 24 mars, encore très-souffrant de ma blessure reçue en Espagne. Mes plaies, encore ouvertes, exigeaient des soins journaliers, et mon bras était encore sans aucun mouvement. Beaucoup d'autres, à ma place, eussent réclamé du repos pour assurer leur guérison; mais le repos, au milieu du mouvement de la guerre, eût été pour moi une maladie mortelle. Je n'étais pas encore rassasié de cette vie de périls et d'émotions qui échauffent le coeur, exaltent l'esprit, décuplent l'existence. Le temps et les malheurs ne m'avaient pas encore désenchanté en me montrant les illusions dont elle est souvent remplie.
Les dispositions de l'Empereur avaient ordonné la formation de mon corps d'armée en quatre divisions d'infanterie; mais la quatrième, n'ayant eu qu'une organisation incomplète, reçut peu après une autre destination. Mon corps d'armée ne se composa donc réellement, pendant toute la campagne, que de trois divisions formées de quarante bataillons. Quinze de ces bataillons appartenaient à l'artillerie de la marine. Ils étaient composés moitié d'anciens soldats, et l'autre moitié de recrues, incorporées au moment où ils se mirent en marche des grands ports où ils tenaient garnison. Les vingt-cinq autres bataillons furent composés, savoir: du 37e léger, nouveau corps, mais formé de vieux soldats tirés par détachement des compagnies départementales; de vingt troisième et quatrième bataillons de différents régiments des armées d'Espagne, organisés en régiments provisoires; enfin, d'un bataillon espagnol.
1er régiment d'infanterie de la marine, quatre bataillons.
2e régiment, infanterie de marine, six bataillons.
3e régiment, infanterie de marine, deux bataillons.
4e régiment, infanterie de marine, trois bataillons.
37e léger, deux bataillons.
32e léger, deux bataillons.
23e léger, deux bataillons.
11e provisoire, deux bataillons.
13e provisoire, deux bataillons.
15e de ligne, deux bataillons.
16e provisoire, deux bataillons.
70e de ligne, deux bataillons.
120e de ligne, deux bataillons.
20e provisoire, deux bataillons.
25e provisoire, deux bataillons.
Corps Joseph Napoléon, un bataillon.
L'artillerie se composa de quatre-vingt-quatre bouches à feu. L'extrême pénurie éprouvée en cavalerie empêcha de m'en donner une seule division ou même une seule brigade. J'eus à ma disposition seulement les lanciers de Berg, composés d'environ deux cents chevaux. Les régiments d'artillerie de la marine, faisant le fond de mon corps d'armée, méritaient beaucoup d'éloges pour leur bravoure et leur bon esprit. Jamais soldats ne se sont exposés de meilleure grâce au canon de l'ennemi, et n'y sont restés avec plus de fermeté. Mais ces troupes avaient une grande maladresse et un manque complet d'expérience de la guerre de terre. Elles eurent en conséquence, pendant quelque temps, beaucoup de désavantage devant l'ennemi. Le personnel des officiers dut être remanié. Il fallut nommer à un grand nombre d'emplois. On exerça constamment aux manoeuvres et les vieux et les jeunes soldats; même pendant les marches, l'instruction fut continuée. On agit de la même manière dans les autres bataillons, entièrement composés de conscrits. Ceux dont les cadres étaient bons, quoique formés très-rapidement, purent être présentés à l'ennemi avec confiance, tant les paysans français, belliqueux par essence, sont faciles à dresser. Un bataillon du 4e régiment de ligne, dont le cadre était complet et admirable, m'en donna la preuve. Ce bataillon, après avoir reçu les recrues à la fin de janvier, était un corps modèle au mois de mai suivant.
Mes divisions étaient commandées, savoir: la première par le général Compans; la deuxième par le général Bonnet; la troisième, par le général Freiderick; mon artillerie, par le général de division Fouché.
J'établis mon quartier général à Hanau, et mes troupes, pour vivre et se former, eurent le pays environnant sur la route d'Allemagne, jusques et y compris Fulde.
Pendant ce temps, le troisième corps, commandé par le maréchal prince de la Moskowa, s'organisait dans le duché de Saxe. La gauche se formait à Mayence, et la cavalerie en Lorraine et dans le Palatinat du Rhin. Le vice-roi avait son quartier général à Strassfurth et le maréchal Ney, à Meiningen. Les corps ennemis étaient ainsi placés: celui de York à Dessau; Wittgenstein, au delà de l'Elbe, et la masse des troupes, réunies en arrière de Dresde, prêtes à déboucher.
Je portai, le 13 avril, ma deuxième division sur Vach. Le 15, elle prit position à Eisenach, tandis que la première la remplaça à Vach, et que le prince de la Moskowa débouchait sur Erfurth.
Le mouvement commencé continua, et, le 21, ma deuxième division, qui tenait la tête de la colonne, arriva à Gotha, la première à Langensalza et la troisième à Eisenach, où, dès le 19, j'avais porté mon quartier général.
Pendant ces marches, nos troupes achevaient de s'organiser. De son côté, le vice-roi, marchant pour faire sa jonction, arrivait à Mersebourg. Le 1er mai, au matin, le troisième corps avait débouché de Weissenfels, où je l'avais remplacé. Une avant-garde ennemie eut avec lui un léger engagement dans lequel le maréchal Bessières fut tué. C'était un de nos compagnons d'Italie et sa perte fut appréciée par l'armée. Je la ressentis plus vivement que d'autres à cause de nos souvenirs communs. Séparés pendant longtemps et ayant eu pour lui quelques motifs d'éloignement, nous nous étions rapprochés, et notre ancienne amitié s'était réveillée. Homme d'esprit et de coeur, il donna toujours à l'Empereur des avis utiles. Vingt et un jours après, nous devions perdre un autre camarade qui m'était bien plus cher. La fortune devait enfin s'appesantir sur nous, après nous avoir si longtemps protégés et comblés de ses faveurs.
Le troisième corps alla prendre position à Kaia, à Kleingrossgorschen et à Starfield. Napoléon se rendit à Lutzen, où il établit son quartier général.
Je pris position à Ripach et je mis mon corps d'armée à cheval sur le ravin, prêt à marcher dans différentes directions. Pendant ce temps les troupes aux ordres du vice-roi, occupant la rive gauche de la Saale, s'étaient rencontrées à Mersebourg, et avaient fait leur jonction avec celles que Napoléon amenait en personne. L'Empereur ignorait la position véritable de l'ennemi et ne supposait pas qu'il se décidât si promptement à l'offensive. Une raison suffisante pour ignorer les mouvements était notre défaut de cavalerie. Nous ne pouvions pas battre la campagne et avoir des nouvelles certaines. Mais Napoléon aurait dû réfléchir que l'ennemi, ayant trente mille chevaux, tandis que nous n'en avions pas quatre mille, et possédant ainsi sur nous de si grands avantages dans un pays aussi plat, aussi découvert, ou ne nous attaquerait jamais, ou nous attaquerait en ce moment.
Le 2 mai, Napoléon dirigea les troupes du vice-roi, c'est-à-dire le cinquième et le onzième corps sur Leipzig, et se mit en route lui-même pour s'y rendre. Il m'envoya auparavant l'ordre de faire une forte reconnaissance dans la direction de Pégau avec tout mon corps d'armée, de percer tous les rideaux de troupes qui me seraient présentés, afin de m'assurer où était la force des masses ennemies. Je me mis en mesure d'exécuter ces dispositions. On se le rappelle, j'étais campé sur le ravin de Ripach, occupant par une division la rive droite, et la rive gauche par les deux autres. Le troisième corps était campé aux villages de Grossgorschen, Kaia et Starfield.
L'opération qui m'était prescrite était délicate. M'avancer avec vingt mille hommes sans cavalerie, au milieu d'une immense plaine où je pouvais subitement être entouré par toutes les forces de l'ennemi, exigeait de grandes précautions pour rester en liaison par l'armée, et à même d'être soutenu si j'étais inopinément attaqué par des forces supérieures. Or j'avais à choisir entre deux chemins dans la direction qui m'était donnée. De Ripach on peut aller à Pégau par la rive droite et par la rive gauche du ravin. Le chemin de la rive gauche est le plus court, et j'étais déjà tout placé sur ce chemin; mais il avait l'inconvénient de me séparer du gros des forces de l'armée, de laisser mon flanc droit exposé aux attaques de l'ennemi, tandis que j'aurais été acculé au ravin à ma gauche. En marchant par la rive droite, le chemin était plus long; mais mon flanc devait être couvert par le ravin, ma gauche en liaison avec l'armée, ma retraite sur Lutzen était assurée, et je couvrais ainsi la portion des troupes qui avait marché sur Leipzig. C'est peut-être à cette combinaison sage que nous avons dû un succès brillant à la place d'une catastrophe.
Après avoir passé le ravin de Ripach, et avoir formé mes troupes en six carrés qui marchaient en échiquier, je me mis en marche en suivant la rive droite, et me portant ainsi sur Starfield.
À peine approchions-nous de ce village que nous vîmes se former, sur les hauteurs qui le dominent, des masses considérables de cavalerie ennemie, soutenues par une nombreuse artillerie, et, en même temps, nous entendîmes le canon dans la direction de Kaia et de Grossgorschen. La division Gérard, du troisième corps, campée à peu de distance sur la rive gauche, et un peu en arrière de Starfield, venait d'être surprise par l'ennemi. Elle prenait les armes dans une grande confusion. Son artillerie se trouvait sans attelages, ses chevaux ayant été inconsidérément aux fourrages. Cette division eût couru de grands risques si je fusse arrivé quelques minutes plus tard; mais je hâtai ma marche, et je m'empressai de me porter en avant pour la couvrir et lui donner le temps de s'organiser.--Les forces que l'ennemi nous montrait étaient imposantes: mais, ne voyant encore que de la cavalerie, elles ne me parurent cependant pas assez redoutables pour m'empêcher de remplir mes instructions. En conséquence, je me décidai à les aborder sans perdre un seul moment, afin de juger en quoi elles consistaient au juste. Afin d'être à l'abri de tout événement fâcheux si j'avais affaire à trop forte partie, je fis occuper en force le village de Starfield, destiné ainsi à me servir de point d'appui. Je portai en avant du village, et un peu sur la gauche, la division Compans; et, en échelons plus à la gauche encore, la division Bonnet. Les troupes, soutenues par le feu de ma nombreuse artillerie, se mirent à marcher en avant et au pas accéléré. Cette charge s'exécuta avec vigueur et promptitude; mais, les forces de l'ennemi augmentant avec rapidité, je vis bientôt qu'une grande bataille allait être livrée. Alors j'arrêtai mon mouvement, qui, en m'éloignant de mon point de résistance et de sûreté, aurait infailliblement occasionné ma perte. Je maintins toutefois mon attitude offensive, afin de partager l'attention de l'ennemi et de l'empêcher d'écraser les troupes du troisième corps, qui combattaient à Kaia et à Kleingrossgorschen. L'ennemi avait dirigé contre elles la majeure partie de ses forces, et spécialement beaucoup d'infanterie. La division Gérard les ayant rejointes, tout le troisième corps se trouvait engagé; mais ma position sur sa droite réduisait à son front le terrain qu'il avait à défendre.
Le maréchal Ney, ayant été voir l'Empereur à Lutzen, celui-ci l'engagea à l'accompagner à Leipzig. Le maréchal, averti pendant la route, par le bruit du canon, de ce qui se passait à son corps d'armée, y retourna en toute hâte. Il le trouva aux prises avec l'ennemi depuis deux heures environ, et ayant déjà perdu Grossgorschen, Kleingrossgorschen et Kaia. L'Empereur, appelé par les mêmes motifs, suivit Ney de près, mais après avoir envoyé l'ordre au duc de Tarente de se porter, à marches forcées, sur ce point, et de se placer à la gauche du troisième corps.
L'ennemi sentait l'importance de profiter de notre faiblesse pour envelopper le troisième corps; mais il ne pouvait y réussir qu'après m'avoir forcé moi-même à reculer. Il réunit donc de grandes forces contre moi; il dirigea le feu de plus de cent cinquante pièces de canon contre mon seul corps d'armée.
Mes troupes supportèrent ce feu terrible avec un grand calme et avec un remarquable courage. Les soldats de la division Compans surtout, plus exposés que les autres, furent dignes d'admiration. Les rangs s'éclaircissaient à chaque instant, mais se reformaient de nouveau, sans incertitude, et personne ne songeait à s'éloigner.--Les braves canonniers de la marine, accoutumés particulièrement à des combats de mer, où l'artillerie joue le principal et presque l'unique rôle, semblaient être dans leur élément. Immédiatement après ce feu terrible, la cavalerie ennemie s'ébranla, et fit une charge vigoureuse, principalement dirigée contre le 1er régiment d'artillerie de la marine. Ce régiment, commandé par le colonel Esmond, montra ce que peut une bonne infanterie, et l'ennemi vint échouer contre ses baïonnettes. D'autres charges furent renouvelées, mais inutilement et sans succès.
L'infanterie ennemie se disposa à venir prendre part au combat, et de nouvelles forces en artillerie et en cavalerie furent ajoutées aux premières. Un nouvel effort pouvant être tenté et devenir décisif, je me décidai à prendre une meilleure position défensive. Je portai mes troupes un peu en arrière, de manière à les masquer en partie et à les mettre, le mieux possible, à même de soutenir le village de Starfield. Toute la division Compans fut mise dans ce village et chargée de le défendre. Les manoeuvres de l'ennemi, afin de s'étendre sur ma droite, rendaient cette disposition encore plus nécessaire pour empêcher qu'il ne passât entre la tête du ravin et le village. En outre, je plaçai en deçà et sur le bord du ravin une partie de ma troisième division, ce qui suffit pour compléter la sûreté de mon flanc. Le reste de cette division resta en réserve pour pourvoir aux cas imprévus.
L'ennemi dirigea une attaque complète sur Starfield; mais elle lui réussit mal: elle fut repoussée. Sur ces entrefaites, l'Empereur et les troupes de la garde étant arrivées près de Kaia, on se battit sur ce point avec acharnement, et ce village, vivement disputé, avait fini par rester en notre pouvoir. D'un autre côté, le onzième corps, aux ordres du duc de Tarente, dirigé de Schönau (où il était déjà arrivé en marchant sur Leipzig), en suivant le chemin qui conduit directement à Pégau, s'était emparé du village d'Eidorf, sur l'extrême droite de la ligne ennemie. Il s'y était maintenu, malgré les efforts opiniâtres des troupes russes, qui, après l'avoir perdu, voulurent le reprendre. Enfin, il était cinq heures, et le quatrième corps, venant de Iéna, arrivait en arrière de la gauche de l'ennemi, qu'il prenait à revers. Une division de ce corps, la division Morand, suffit seule pour compléter ses embarras. On dirigea de nouveau contre lui un grand effort en avant de Kaia. Cet effort fut soutenu par ma deuxième division, que j'envoyai au secours du troisième corps, aussitôt que j'eus reconnu la présence de celui du général Bertrand (quatrième corps). Ma division reprit le village de Batuna. En ce moment, l'ennemi se décida à la retraite. Alors la division Compans déboucha de Starfield et marcha à lui. La division Freiderick se plaça à gauche et soutint son mouvement; tandis que la division Bonnet, en communication avec le troisième corps, servait de pivot à mon mouvement. Nous suivîmes l'ennemi avec autant de rapidité que la conservation de l'ordre de notre formation nous le permit. Nous continuâmes notre marche jusqu'à la nuit, après avoir fait un changement de front presque perpendiculaire, l'aile droite en avant. Notre mouvement était réglé sur celui du centre et de la gauche de l'armée. Ceux-ci s'arrêtèrent au moment où la nuit commençait. Nous fîmes halte à notre tour pour rester en ligne; nous devînmes ainsi stationnaires pendant une demi-heure, en présence de l'ennemi, resté maître de Grossgorschen et placé en avant de ce village.
L'obscurité était devenue complète. Faute de cavalerie, il y avait impossibilité de se faire éclairer. J'avais mis pied à terre pour me reposer, quand tout à coup un bruit de chevaux se fit entendre; c'était la cavalerie prussienne qui arrivait sur nous. L'état de mes blessures m'obligeait à quelques précautions pour me mettre en selle, et, n'ayant pas le temps nécessaire pour monter à cheval, je me jetai dans le carré formé par le 37e léger, le plus à portée. Ce régiment, ayant peu d'ensemble alors, mais depuis devenu très-bon, s'abandonna à une terreur panique et se mit à fuir. En même temps, mon escorte et mon état-major s'éloignaient du lieu où la charge s'opérait. Ce malheureux régiment en déroute les prit pour l'ennemi et tira sur eux. Entraîné par ce mouvement, j'avais l'âme navrée en reconnaissant l'erreur qui faisait passer par nos armes nos pauvres officiers, et cependant je supposais les Prussiens mêlés avec eux. Au milieu de cette confusion, je pensai que, si, comme je le croyais, les cavaliers prussiens allaient nous sabrer, il était inutile de me faire enlever en me signalant à eux et en leur donnant le moyen de me reconnaître aux plumes blanches dont mon chapeau était garni. Je fis ma retraite forcée de quelques minutes, mon chapeau placé sous mon bras. La foule, allant plus vite que moi, me culbuta au passage du fossé de la grande route, mais enfin les fuyards s'arrêtèrent. Très-heureusement pour nous, les Prussiens n'avaient pas été informés de notre désordre; après avoir chargé sur le 1er régiment de la marine, qui avait fait bonne contenance et les avait reçus bravement, ils s'étaient retirés.
Le 37e léger s'étant reformé, je lui fis honte de sa conduite. Je laissai mes troupes divisées en plusieurs carrés, afin qu'un nouveau désordre ne vînt pas tout compromettre; mais je plaçai mes carrés si près les uns des autres et les faces les plus voisines des carrés les plus rapprochées à si petite distance, qu'elles ne pouvaient pas tirer les unes sur les autres et empêchaient cependant l'ennemi de pénétrer entre elles.
Mes troupes, ainsi disposées, attendirent. J'avais le pressentiment d'une nouvelle entreprise tentée avec des moyens plus complets, et la chose arriva comme je l'avais prévue. Vers les dix heures du soir, quatre régiments de cavalerie prussienne, dont un des gardes, vinrent fondre sur nous. Tout le monde cette fois fit son devoir; aucun désordre n'eut lieu, et l'ennemi laissa cinq à six cents hommes morts autour de nous, et ensuite se retira. Une heure plus tard, tout étant parfaitement tranquille, je portai mes troupes à une petite distance, auprès d'un ruisseau et de quelques arbres; elles purent s'établir pour la nuit et se reposer ensuite.
La triste échauffourée dont je viens de rendre compte coûta la vie à mon premier aide de camp, le colonel Jardet, officier du plus grand mérite, tué par nos soldats. Je le regrettai beaucoup. Plusieurs autres officiers périrent aussi malheureusement en ce moment, et le cheval de mon chef d'état-major reçut onze balles qui le frappèrent à la fois.
Après cette double tentative, l'ennemi évacua Grossgorschen et s'éloigna complétement du champ de bataille.
Cette bataille fut glorieuse pour l'armée française, dont les troupes, composées en grande partie de nouvelles levées, montrèrent beaucoup de valeur. Les résultats en trophées et en prisonniers furent nuls, attendu notre manque absolu de cavalerie.
Le soir de la bataille, l'Empereur dit à Duroc: «Je suis de nouveau le maître de l'Europe.» Cette bataille de Lutzen, bonne conception de la part de Wittgenstein, avait été mal donnée. Il eût dû attendre, pour attaquer, le moment où l'armée française eût été plus engagée du côté de Leipzig, et en même temps agir avec tous ses moyens réunis. En effet, le corps de Miloradowitch, détaché, ne combattit pas. Wittgenstein devait agir promptement et en masse par la gauche; une défaite complète des troisième et sixième corps aurait eu une très-grande influence sur le sort de la campagne. La disproportion de nos forces, si l'ennemi eût agi avec plus d'ensemble, jointe à l'avantage résultant de la nature du pays et de sa nombreuse cavalerie, l'autorisait à l'espérer.--D'un autre côté, Napoléon avait rapidement réparé sa faute en marchant en toute hâte au secours de ses corps engagés. Il s'exposa beaucoup en ralliant et ramenant à la charge les troupes du troisième corps, qui avaient été culbutées. C'est probablement le jour où, dans toute sa carrière, il a couru le plus de dangers personnels sur le champ de bataille.
En ce moment, toutes les troupes françaises réunies en Allemagne s'élevaient à cent soixante-quinze mille hommes, et cent et quelques mille seulement étaient rassemblés sur le champ de bataille de Lutzen.
On estime, et des documents pris à bonne source font croire que la totalité des forces russes et prussiennes ne leur étaient pas de beaucoup inférieures; quatre-vingt-dix mille hommes se trouvaient à Lutzen ou à portée.
Le 3 mai, l'ennemi s'étant retiré sur Pégau, dans la direction de Dresde, le duc de Tarente fut mis à sa poursuite. Je me rendis à Löbnitz, et je dirigeai des avant-gardes sur Berna. Le troisième corps, ayant le plus souffert pendant la bataille, resta à Lutzen; il était d'ailleurs destiné à passer l'Elbe à Wittenberg.
Je marchai au soutien du onzième corps, qui eut plusieurs engagements plus ou moins sérieux, entre autres à Colditz. L'ennemi continua son mouvement en bon ordre sur l'Elbe, en marchant sur diverses colonnes; mais la majeure partie prit la direction de Dresde.
Nous arrivâmes devant cette ville le 8, et nous y entrâmes immédiatement, tandis que l'empereur de Russie et le roi de Prusse quittaient le jour même la ville neuve, où ils avaient, depuis quarante-huit heures, établi leur quartier général.
CORRESPONDANCE ET DOCUMENTS
RELATIFS AU LIVRE SEIZIÈME
LE MINISTRE DE LA GUERRE AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, le 13 mars 1813.
«Monsieur le maréchal, l'Empereur me charge de prévenir Votre Excellence qu'il est indispensable qu'au 20 mars vous ayez votre quartier général à Francfort, afin que vous puissiez voir par vous même les troupes qui doivent composer votre corps d'armée; qu'au 1er avril votre quartier général devra être porté à Hanau, et que, du 1er au 15 avril, vos quatre divisions devront être placées à Aschaffembourg et à Hanau, à moins de nouveaux ordres de Sa Majesté.
«Conformément aux intentions de l'Empereur, j'ai adressé à M. le maréchal prince de la Moskowa l'ordre d'établir son quartier général, le 15 mars, à Hanau: de faire partir, le 20, la première division du premier corps d'observation du Rhin, qui est à Aschaffembourg, pour prendre position à Wurtzbourg.
«La deuxième division sera réunie le 20 mars à Aschaffembourg, et les troisième et quatrième divisions seront réunies à la même époque à Hanau. Aussitôt que la deuxième division sera complétement organisée, elle partira pour Wurtzbourg, et sera remplacée à Aschaffembourg par la troisième division.
«M. le maréchal prince de la Moskowa conservera, jusqu'à nouvel ordre, son quartier général à Hanau, et j'ai recommandé à Son Excellence de ne laisser aucune de ses troupes à Francfort, pour que le deuxième corps d'observation du Rhin puisse se rendre dans cette ville.
«Indépendamment des quatre divisions françaises qui composent le premier corps d'observation du Rhin, il y sera attaché deux divisions de troupes alliées fournies par Leurs Altesses Royales le grand-duc de Hesse-Darmstadt, le grand-duc de Bade, le prince primat, et Sa Majesté le roi de Wurtemberg.
«Ces deux divisions seront commandées par le général Marchand, qui reçoit l'ordre de porter son quartier général à Wurtzbourg, où les contingents qui doivent composer ces divisions seront réunis.
«Une autre division de troupes alliées, fournie par Sa Majesté le roi de Bavière, et qui sera commandée par le général comte de Wrede, sera également attachée à ce corps d'armée; cette division se réunit à Bamberg, Bayreuth et Cromach.
«Ainsi M. le maréchal prince de la Moskowa aura sous ses ordres quatre divisions d'infanterie française et trois divisions de troupes alliées; au total, sept divisions.
«La cavalerie de ce corps d'armée sera composée de trois brigades qui formeront une division.
«Aussitôt que la première division du premier corps d'observation du Rhin, commandée par le général Souham, sera arrivée à Wurtzbourg, le général Marchand portera sa division en avant de la direction de Schweinfurth.
«J'ai aussi adressé au général comte Bertrand, commandant le corps d'observation d'Italie, l'ordre de diriger le mouvement de ses troupes de manière que la première division soit rendue le 15 avril à Nuremberg, en passant par Augsbourg; la seconde division à la même époque à Neubourg; la troisième à Donawert, et la quatrième à Augsbourg, où le général Bertrand doit avoir établi son quartier général le 5 avril.
«La cavalerie, le parc d'artillerie et les équipages militaires de ce corps d'armée devront être rendus, au 15 avril, entre Augsbourg et Donawert.
«Tels sont les ordres que j'ai expédiés, et que l'Empereur m'a chargé de communiquer à Votre Excellence, pour que vous puissiez connaître le mouvement du premier corps d'observation du Rhin, et du corps d'observation d'Italie.
«Je vous prie, monsieur le maréchal, de m'instruire des dispositions que vous aurez faites pour ce qui concerne votre corps d'armée, afin de me mettre à portée d'en rendre compte à Sa Majesté.
«Le ministre de la guerre,
«Duc de Feltre.»
LE MARÉCHAL MARMONT À NAPOLÉON.
«Mayence, le 26 mars 1813.
«Sire, aussitôt après mon arrivée à Mayence, j'ai pris connaissance de la situation des troupes de mon corps d'armée qui venaient d'arriver. Je crois qu'il est de mon devoir d'adresser directement à Votre Majesté un tableau général de la situation de ces troupes, afin qu'elle puisse prendre à leur égard les dispositions qu'elle jugera convenables.
«Les troupes de marine sont arrivées ou arrivent aujourd'hui ou demain; mais ni leur nombre ni la formation des détachements ne cadrent nullement avec les états fournis par le ministre de la guerre: il y a eu nécessairement erreur ou omission d'ordres. Dans tous les cas, je dois le faire connaître à Votre Majesté afin qu'elle connaisse la véritable situation de ces troupes.
«L'état du ministre présente trois détachements composant le 1er régiment de marine, l'un de 1,400 hommes, l'autre de 1,360, et le dernier de 1,750, total, 4,510. Au lieu de cela, les colonnes ont été composées, savoir: 985 hommes de Brest, 480 de Lorient, 600 de Rochefort, 287 de Toulon, 1,215 d'Anvers, 68 de Boulogne, 45 de Cherbourg; total, 3,680; déficit 830 sur le nombre des hommes annoncés partis. Je ne parle pas de 219 hommes restés en arrière ou aux hôpitaux, mais qui rejoindront plus tard; le déficit est sur les partants.
«Le 2e régiment, d'après l'état du ministre, se compose de 20 hommes, 39, 14, 1,605, 1,410, 1,410. 1,400; total, 5,898. Au lieu de cela, il est parti: première colonne, de Toulon, 1,277 hommes; deuxième, 1,091; troisième, 1,563; de Brest, 78; de Cherbourg, 130; de Rochefort, 46; total, 4,185; déficit, 1,713 hommes au moment du départ, non compris 766 hommes restés en route, mais qui rejoindront plus tard.
«Il y a également des erreurs dans les 3e et 4e régiments. Votre Majesté connaîtra incessamment et dans le plus petit détail la situation de ces quatre corps, les mesures étant prises pour que, d'ici à cinq jours, les états de situation les plus circonstanciés soient dressés.
«En général, les troupes de la marine paraissent animées du meilleur esprit, mais elles manquent de différentes choses indispensables pour le service.
«1° Ces corps manquent de tambours et de caisses de tambour; il en manque à peu près deux cent cinquante dans les quatre régiments; il n'y en a point dans les magasins de Mayence et de Strasbourg, et les moyens de confection ici sont extrêmement bornés: un grand envoi de l'intérieur peut seul donner à ces corps ce qu'il leur faut.
«2° Ces corps, par leur organisation, n'avaient pas de chirurgiens, ceux des vaisseaux devant leur suffire; il paraît juste et nécessaire de les en fournir comme l'armée de terre.
«3° Ces corps sont tout à fait dépourvus d'ustensiles de campagne, et, à cet égard, les autres corps sont dans le même cas. Le magasin de Mayence est tout à fait dépourvu et les arrivages paraissent suspendus. Les confections sur lesquelles on comptait à Francfort n'ont pu encore avoir lieu, les marchés n'étant pas même passés aujourd'hui; et cependant le premier corps d'observation doit être servi avant le deuxième, et il est loin d'avoir ce qu'il lui faut. Des dispositions nouvelles et d'urgence peuvent seules pourvoir les troupes de ce qui leur manque.
«4° Le dédoublement des troupes de marine a laissé un grand nombre d'emplois d'officiers vacants; les propositions n'ont pas été accueillies par le ministre parce qu'elles n'étaient pas appuyées d'états réguliers. Mais les matricules qui seules peuvent donner les moyens de les former sont dans les ports et n'existent pas ici. J'ai donné l'ordre de renouveler ces propositions, et je les adresserai de nouveau au ministre, les choix d'ailleurs paraissant porter sur des sujets qui en sont dignes et qui sont les plus anciens.
«5° L'armement de ces corps aurait besoin d'être échangé 1, mais l'arsenal de Mayence n'en a pas les moyens; ces corps manquent d'armuriers et en ont un besoin pressant. Le 1er régiment aurait aussi besoin de gibernes, mais il n'en existe pas ici. Quant à l'habillement, presque toutes les recrues ne sont vêtues que de vestes et de capotes, et les effets sont encore en arrière; j'ignore s'il est permis d'espérer leur prochaine arrivée.
«Voilà, Sire, les renseignements généraux sur les régiments de marine. Ces corps sont en mouvement pour se rassembler sur différents points; les généraux de division placés au milieu d'eux surveilleront constamment leur instruction, et moi-même je leur consacrerai autant de temps qu'il me sera possible.
«Le 37e léger, qui se forme ici, ne sera pas réuni aussi promptement que l'indication du ministre avait pu le faire supposer. Soixante-huit départements ont envoyé leur contingent, quarante sont encore en retard, mais en général ce sont les plus éloignés. L'espèce d'hommes de ce régiment est belle et ce corps sera fort beau lorsqu'il sera organisé; mais tout lui manque à la fois. Quoiqu'il ait deux mille cent hommes réunis, il n'a encore que quatre officiers. Les effets d'habillement ne sont pas encore arrivés, et on n'a pas de notions précises sur l'époque de leur arrivée: il en est de même des caisses de tambour et de ce qui tient à l'équipement. Cependant ce corps ne peut ni servir ni se mouvoir avant d'avoir des officiers et son habillement. Dans le mouvement que les troupes font sur la rive droite, je place le 37e à Mayence et à Castel, où M. le duc de Valmy a bien voulu me permettre de le laisser; pour qu'étant tout réuni et plus à portée des ressources il puisse être plus promptement organisé; il a bien voulu me permettre également de placer dans ce régiment les premiers officiers arrivant de France, au moins à raison d'un par compagnie, mais il lui manquera encore des sous-lieutenants; les sous-officiers de ce régiment étant en général peu susceptibles de recevoir de l'avancement, la plupart d'entre eux ayant été nommés par les préfets, la veille de leur départ. Il faudrait pour ce régiment un certain nombre d'élèves de l'École militaire.
«Hanau ayant été évacué par le premier corps d'observation, les troupes de marine de la deuxième division sont en route pour s'y rendre; elles établiront leurs cantonnements au delà de Hanau, entre Fulde et Hanau.
«Cinq bataillons de la troisième division, qui viennent d'arriver, partent aussi pour se rendre à Hanau, où cette division se rassemblera.
«La première division se rassemble à Hoescht, et de là viendra à Hanau, lorsque je pourrai disposer d'Aschaffembourg; alors la quatrième remplacera la première de Mayence à Hoescht, et s'y formera.
«Chaque division reçoit immédiatement son ambulance, qui est organisée et en état de marcher. Je serai moi-même dans trois jours à Hanau, où j'établirai mon quartier général.
«Presque tous les généraux de brigade et adjudants commandants, et tout ce qui tient aux états-majors du corps d'armée sont encore en arrière, et nous en aurions cependant grand besoin.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU DUC DE VALMY
«Mayence, le 30 mars 1813.
«Permettez-moi de vous rappeler diverses demandes que j'ai eu l'honneur de vous faire verbalement, et auxquelles vous avez bien voulu me promettre de faire droit.
«Vous avez bien voulu me promettre de faire incorporer dans le 37e régiment les premiers officiers qui arriveraient de France, au moins jusqu'à concurrence d'un par compagnie. Je vous demande instamment, aussitôt que les deux premiers bataillons de ce régiment auront reçu leur habillement, de les faire partir de Mayence et de Castel pour Fridberg, afin que le général Bonnet puisse avoir ce corps sous les yeux et s'occuper de son instruction. Vous avez bien voulu me promettre de le faire remplacer à Mayence et à Castel par les troisième et quatrième bataillons que commandera alors le major, et qui rejoindront les premiers aussitôt qu'ils auront reçu officiers et habillements.
«Je vous demande, mon cher maréchal, de placer dans Mayence, aussitôt que vous le croirez possible, le fond de la quatrième division, et de porter, lorsque les troupes de la première division l'auront laissé libre, son quartier général à Hoescht, afin que, sortie de Mayence, elle puisse mieux se former.
«Je vous rappelle la promesse que vous avez bien voulu me faire de faire changer tout l'armement des régiments de marine. Les régiments ont ordre de dresser leurs états de demande, et ils réclameront près de Votre Excellence, dans le cas où l'artillerie ferait des difficultés, pour les satisfaire et leur fournir les moyens de transport qu'il leur faudra.
«La première division est à Hoescht, la deuxième à Friedberg, la troisième à Hanau. Je vous demande de faire donner l'ordre que, quand il arrivera des détachements pour ces divisions, on les dirige sur ces différents points. Lorsque les circonstances me les feront changer, j'aurai l'honneur de vous en informer.
«Enfin, mon cher maréchal, lorsqu'il y aura de la cavalerie désignée pour moi, je vous prie d'en hâter la marche autant que possible, attendu que, n'en ayant pas un seul homme, je n'ai aucun moyen de communication entre mes divisions.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU DUC DE VALMY.
«Hanau, le 1er avril 1813.
«J'ai l'honneur de vous informer que, conformément aux nouveaux ordres que je viens de recevoir de Sa Majesté, j'ordonne à la deuxième division, qui est à Friedberg, de se porter sur Fulde, et elle va exécuter son mouvement. La première division, qui est à Hoescht, en partira pour se rendre à Friedberg, et je donne également ordre au général Teste de partir avec les troupes qu'il a disponibles pour se rendre à Giesen, l'intention de Sa Majesté étant que cette division reste sur les confins du royaume de Westphalie, du grand-duché de Berg et de la principauté de Nassau jusqu'à ce qu'elle soit toute réunie. C'est donc sur Hanau que je vous prie de faire envoyer, au fur et à mesure de leur arrivée, tous les corps ou détachements qui appartiendraient à la deuxième ou à la troisième division, sur Friedberg ceux de la première, et sur Giesen ceux de la quatrième. Je laisse toujours à Mayence et à Castel, ainsi que nous en sommes convenus, le 37e léger, jusqu'à ce qu'il ait reçu son habillement et des officiers, et je vous réitère la demande de diriger sur Hanau les deux premiers bataillons aussitôt qu'ils seront en état.»
LE MARÉCHAL MARMONT À NAPOLÉON.
«Hanau, le 1er avril 1813.
«J'ai l'honneur de rendre compte à Votre Majesté que, conformément à ses ordres qui viennent de me parvenir, je prescris au général Bonnet de se porter, avec onze bataillons de marine qui appartiennent à sa division, de Friedberg, où il est maintenant, sur Fulde. La première division le remplacera à Friedberg; la troisième se rassemble à Hanau, et le général Teste, avec les corps de la quatrième division qu'il a, va se rendre à Giesen, où il sera à portée du royaume de Westphalie, du grand-duché de Berg et de la principauté de Nassau.
«Je laisse à Mayence le 37e léger jusqu'à ce qu'il ait reçu des officiers et ses effets d'habillement. Ce serait compromettre l'existence de ce beau régiment que de le faire marcher dans l'état où il se trouve. Aussitôt que les deux premiers bataillons seront en état, ils rejoindront leur division avec le colonel. Les troisième et quatrième bataillons viendront ensuite avec le major.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU VICE-ROI.
«Hanau, le 1er avril 1813.
«Permettez-moi de me rappeler au souvenir de Votre Altesse Impériale et de la féliciter de la campagne laborieuse qu'elle vient de faire, et dont le mérite sera approuvé par tous les coeurs vraiment français. J'espère que vous êtes à la fin de vos travaux pénibles, et que l'avenir vous dédommagera complétement de tous les sacrifices que vous avez faits.
«Je viens d'arriver ici, où je réunis un beau corps d'armée dont Sa Majesté a daigné me confier le commandement. Nous serons, j'espère, très-promptement en état de marcher. Dans la situation actuelle des choses, Votre Altesse Impériale trouvera peut-être convenable que nous ne soyons pas tout à fait dans l'ignorance des événements qui se passent du côté où elle se trouve, et c'est avec confiance que je lui fais la demande d'être assez bonne pour m'en faire informer.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, le 1er avril 1813.
«Mon cousin, j'ai reçu votre lettre du 26 mars.--Vous trouverez ci-joint un rapport sur les renseignements que j'ai fait prendre dans les bureaux du ministère de la guerre. J'ai donné ordre que cinq mille hommes se missent en marche de différents ports pour rejoindre leurs régiments. Il est nécessaire que vous fassiez la revue de ces régiments, bataillon par bataillon, compagnie par compagnie, afin de me faire connaître les cadres qui existent et ce qui y manque. Vous deviez avoir vingt bataillons, formant seize mille hommes. Il paraît que, pour le moment, ils ne formeront que dix mille hommes, puisqu'il faudra beaucoup de temps pour que les détachements qui sont en route arrivent à leurs régiments.
«Napoléon.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU MAJOR GÉNÉRAL.
«Hanau, le 2 avril 1813.
«J'ai reçu la lettre que Votre Altesse m'a fait l'honneur de m'écrire le 29 mars.
«J'ai l'honneur de vous rendre compte que, conformément aux ordres de l'Empereur, la division Bonnet est en route pour Fulde, et que je vais porter la division Compans entre Hanau et Fulde.
«Il paraît que le prince de la Moskowa porte ses troupes sur Meiningen au lieu de le faire sur Eisenach. Je ne pourrai porter moi-même des troupes sur Eisenach que lorsque le prince de la Moskowa débouchera de Meiningen pour se porter sur la Saale. Tout autorisant à croire que l'ennemi est à Leipzig et peut faire à chaque instant un mouvement plus en avant, il pourrait y avoir les conséquences les plus graves à courir risque de mettre en contact avec lui la division Bonnet, qui aura un tiers de son monde en arrière, tant que le 37e n'aura pas rejoint, qui n'a pas un seul homme de cavalerie pour l'éclairer, et qui, plus que cela, n'a pas encore une pièce de canon ni un seul caisson de cartouches.
«La division Compans et la division Friederich ont encore en arrière, l'une, six bataillons, et l'autre sept, et ne les recevront que dans quelques jours, de manière qu'il me paraît impossible que Sa Majesté calcule pouvoir faire opérer les trois premières divisions de mon corps d'armée avant le 15 avril.
«J'ai l'honneur de vous rendre compte aussi que le 23e régiment d'infanterie légère, n'ayant qu'un seul officier par compagnie et à peine un sous-officier et pas un caporal ayant plus de trois mois de service, il m'a paru de la plus urgente nécessité de donner quelques secours à ce corps, en lui accordant des sous-officiers tirés d'autres régiments. J'ai, en conséquence, ordonné provisoirement que le 14e de ligne, dont l'instruction est parfaite et le cadre excellent, lui fournirait six caporaux pour être faits sergents, et six soldats pour être faits caporaux; que le 37e léger, qui est extrêmement riche en vieux soldats, fournirait douze caporaux et soldats pour être faits sergents et caporaux, et le 16e régiment provisoire, six autres: ce qui donnera au 23e léger deux sergents et deux caporaux nouveaux par compagnie. Sans ce secours, il était impossible que ce régiment, dont l'espèce d'hommes est très-belle et de la meilleure volonté, rendît aucun service avant six mois. Je vous prie d'obtenir de Sa Majesté qu'elle approuve ces dispositions.
«J'ai adressé des mémoires de proposition au ministre de la guerre pour les 23e et 37e léger, 11e provisoire, 121e de ligne et 2e de marine. Comme ces corps manquent d'officiers, il serait de la plus grande urgence que les nominations parvinssent promptement.
«Le chef de bataillon Millaud, du 23e léger, ayant obtenu sa retraite, il manque à ce régiment deux chefs de bataillon. Je sollicite ces deux emplois, l'un pour M. Voisin, capitaine de grenadiers au 1er régiment, qui a vingt ans de grade et qui jouit de la meilleure réputation dans son corps, et l'autre pour M. Fonvielle, capitaine de grenadiers au 82e régiment, qui a quatre ans de grade, et que je connais pour un officier très-distingué.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, le 3 avril 1813.
«Mon cousin, il se réunit à Mayence deux divisions de marche de cavalerie, la première, composée de tous les détachements fournis de France par les régiments qui font partie du premier corps de cavalerie, formés en quatre régiments de marche; l'autre, composée de tous les détachements des régiments qui font partie du deuxième corps. Vous prendrez le commandement de ces deux divisions, et vous les placerez dans les environs de Hanau, dans des lieux où elles puissent se former et s'organiser. Les cinquante et un régiments de cavalerie de la grande armée entrent dans la formation de ces deux divisions, dont le ministre de la guerre vous enverra le tableau.--Chacun de ces cinquante et un régiments finira par fournir cinq cents hommes, ce qui portera ces divisions à vingt-cinq mille hommes. La tête de ces régiments étant à l'armée de l'Elbe, et formant à peu près quinze mille hommes, cela fera quarante mille hommes de cavalerie pour les cinquante et un régiments.--Mon intention est bien, aussitôt que cela sera possible, de réunir tous ces détachements à leurs régiments respectifs à l'armée de l'Elbe; mais, en attendant, ils doivent pouvoir servir et pouvoir se battre, si cela est nécessaire, avant leur réunion. Vous passerez en revue tous les détachements; vous leur ferez fournir ce qui leur manquerait. Vous me proposerez la nomination aux emplois vacants: enfin vous ferez tout ce qui est nécessaire pour que les divisions soient bien et promptement organisées.--Le ministre de la guerre envoie les généraux, colonels, majors et chefs d'escadron nécessaires à ces corps. Je donne ordre au duc de Plaisance de se rendre à Mayence pour y suivre, sous vos ordres, tous les détails de cette organisation.
«Napoléon.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, le 7 avril 1813.
«Mon cousin, j'ai donné ordre que la division Bonnet se rendît à Fulde. J'ai donné ordre que deux bataillons de Wurtzbourg, faisant partie de la division Durutte, se rendissent de Wurtzbourg à Fulde, où ils seront sous les ordres du général Bonnet.--Les quatre bataillons de la division Durutte, qui sont à Mayence, se rendent également à la division Bonnet. Le général Bonnet aura ainsi six bataillons de la division Durutte, qu'il fera repasser à leur division aussitôt que cela pourra se faire avec sûreté.--J'ai ordonné que le général Durutte, s'il était obligé de quitter la Saale, se renfermât dans Erfurth, ce qui porterait la garnison de cette place à cinq mille hommes.--Le général Bonnet doit se mettre en communication avec le prince de la Moskowa à Wurtzbourg. Il y a une route directe; faites-la reconnaître.--Il y a à Gotha un millier d'hommes appartenant aux princes de Saxe, et neuf cent un hommes de ma garde à cheval, commandés par le colonel Lyon. Ces troupes ne se retireront que dans le cas où cela serait nécessaire, et où l'ennemi ferait un grand mouvement par Dresde, ce qui ne paraît pas probable.--Le général Bonnet tiendra une avant-garde à Vach-sur-la-Werra, et se mettra en correspondance avec le général Souham, qui est à Meiningen, également sur la Werra.--Faites reconnaître cette route; donnez ordre au général Pernetti de fournir sans délai son artillerie à la division Bonnet. Il est de la plus grande importance que cette division ait ses seize pièces de canon.--Aussitôt que la division Bonnet aura son artillerie et que la division Compans aura également ses seize pièces, vous pousserez la division Compans sur Fulde et Bonnet sur Eisenach.--Faites connaître à Gotha que les troupes de Saxe-Gotha et de Saxe-Weimar sont sous les ordres du général Bonnet.--Si les neuf cents hommes de ma garde étaient obligés d'évacuer Gotha, donnez ordre au général Bonnet de les retenir avec lui.--Aussitôt que votre troisième division aura également son artillerie, vous la dirigerez sur Fulde. Tous ces mouvements préparatoires ont pour but de faire sentir à l'ennemi la présence de nos forces et de l'empêcher de se porter sur le vice-roi, qui est, avec cent mille hommes, en avant de Magdebourg.--Il paraît que vous ne pouvez pas compter sur votre quatrième division, puisqu'elle ne sera formée qu'au mois de mai ou de juin.--Faites-moi connaître la situation de vos divisions, de votre artillerie et de votre génie, en matériel et personnel.--Je suppose que les régiments de marine ont leurs musiques. S'ils n'en avaient pas, faites-leur-en former. Je suppose aussi qu'ils ont des sapeurs avec de bonnes haches.--Les régiments provisoires doivent aussi avoir au moins quatre sapeurs par bataillon.--Vous devez connaître mon règlement pour les bagages et les ambulances, et ce que j'ai accordé aux officiers pour porter leurs bagages et aux corps pour porter leur comptabilité en chevaux de bât.--Donnez des ordres en conséquence. Faites-moi connaître si vos troupes sont au courant pour la solde.--Cela est important et soulagerait le pays.--Les bataillons de vos régiments de marine sont trop faibles; vous devez donc laisser à Mayence six cadres de bataillons, savoir: deux pour le régiment qui a huit bataillons, deux pour celui qui en a six, et un pour chacun des deux qui en ont trois.--De sorte que les bataillons qui vous resteront seront au moins de six cents hommes chacun.--J'ai pris des mesures pour compléter les six cadres de bataillons laissés à Mayence; il ne faut donc les affaiblir en aucune manière.
«Napoléon.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, le 7 avril 1813.
«Mon cousin, j'ai ordonné qu'un bataillon espagnol se rendit à la division Bonnet. Comme le général Bonnet connaît l'esprit des Espagnols, il faudra qu'il exerce sur eux une grande surveillance.
«Napoléon.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, le 7 avril 1813.
«Mon cousin, donnez ordre que quatre mille quintaux de farine soient réunis à Fulde pour le service de votre corps d'armée.--Faites-y confectionner cent mille rations de pain biscuité, de sorte qu'en passant, votre corps puisse prendre du pain pour quatre jours.--Aussitôt que la division Bonnet sera arrivée à Eisenach, vous y ferez également réunir quatre mille quintaux de farine.
«Napoléon.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, le 7 avril 1813.
«Mon cousin, les cadres des cinq bataillons des 35e, 36e légers, 131e, 132e, et 133e ont dû arriver à Erfurth le 2 avril. Je leur avais donné l'ordre de se rendre à Mayence; depuis, j'ai changé cette disposition. Ils doivent être dirigés par Wurtzbourg sur Ratisbonne, où ces cadres trouveront quatre mille hommes bien armés et bien équipés, venant de l'armée d'Italie. Envoyez donc à leur rencontre et faites-les détourner de la route au point où on les rencontrera.
«Napoléon.»
LE MARÉCHAL MARMONT À NAPOLÉON.
«Hanau, le 8 avril 1813.
«Sire, je reçois les lettres que Votre Majesté m'a fait l'honneur de m'écrire le 3 avril. Je ferai en sorte de remplir les intentions de Votre Majesté à l'arrivée des divisions de cavalerie qui doivent venir ici.
«Je viens d'achever la revue de détail de celles des troupes de mon corps d'armée qui sont arrivées ici. J'ai, en général, eu lieu d'être content: et, avec quelques jours donnés à l'instruction, quelques nominations dont les demandes ont déjà été faites, et quelques envois d'officiers pour les corps qui manquent de sujets, ces troupes seront en état de bien servir Votre Majesté. Elles sont animées d'un très-bon esprit. J'aurais déjà adressé au prince de Neufchâtel un rapport circonstancié, corps par corps, si je n'avais pas été obligé d'attendre des états qui me sont nécessaires et n'ont pu encore m'être fournis.
«L'artillerie de la division Bonnet est arrivée aujourd'hui ici et part demain pour rejoindre sa division à Fulde: c'est la seule que j'aie encore reçue. Cette artillerie est fort belle, bien attelée et en fort bon état. Comme les canonniers destinés à la servir ne sont pas encore arrivés, j'ai ordonné de former, par division, un détachement de cent cinquante hommes pris dans les régiments de marine.
«Je supplie Votre Majesté de me faire connaître si, en portant la division Bonnet sur Eisenach, elle ne m'autorise pas à mettre aux ordres de ce général cinq cents chevaux de la cavalerie qu'elle m'annonce.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU DUC DE TRÉVISE.
«Hanau, le 9 avril 1813.
«J'ai reçu l'ordre de l'Empereur d'envoyer une division sur Vach ou Eisenach, afin d'avoir plus de pays et de ressources pour organiser mes troupes; mais, d'après les nouvelles répandues de la retraite du général Durutte et des mouvements de l'ennemi en avant de la Mulde, j'ai suspendu ce mouvement jusqu'à ce que cette division fût organisée et eût reçu de l'artillerie et de la cavalerie. Elle va recevoir son artillerie, mais je ne suis pas en mesure encore de lui fournir de la cavalerie. On m'assure qu'il y a à Gotha un corps de cavalerie de la garde; s'il en est ainsi, veuillez me le faire connaître, parce qu'alors je pourrais porter des troupes sur Vach sans inconvénient; et, dans ce cas, je vous prierais d'ordonner au commandant de la garde, à Gotha, d'entrer en communication avec le général Bonnet et de s'informer de toutes les nouvelles qu'il aurait de l'ennemi; et, si l'approche de l'ennemi le forçait de se retirer, de se diriger sur Vach, et de rester avec le général Bonnet pour manoeuvrer de concert avec lui, ce général devant se retirer sur Fulde si les circonstances l'exigeaient.
«Veuillez, mon cher maréchal, me faire connaître si ce que j'ai l'honneur de proposer à Votre Excellence vous convient, afin que je puisse donner des ordres en conséquence au général Bonnet.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Saint-Cloud, le 9 avril 1813.
«Mon cousin, le général Durutte a envoyé quatorze pièces de canon attelées à Erfurth. J'ai ordonné que ces pièces fussent données à votre corps d'armée. Faites-les prendre aussitôt que vous serez à portée de le faire, sans les compromettre.
«Napoléon.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Saint-Cloud, le 10 avril 1813.
«Mon cousin, cinq mille hommes bien habillés et bien équipés sont dirigés des dépôts de France sur Mayence, pour compléter les six cadres de la marine que vous avez laissés à Mayence.
«Napoléon.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Saint-Cloud, le 10 avril 1813.
«Mon cousin, veillez à ce que les bataillons qui composent les régiments provisoires se procurent les chevaux de bât qu'ils doivent avoir pour leur ambulance.
«Napoléon.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU GÉNÉRAL BONNET.
«13 avril 1813 soir.
«Monsieur le général, je reçois votre lettre en date de ce jour. J'ai reçu une lettre du vice-roi, qui était le 10 à Strasfurth. Le général d'York était à Dessau, le général Vittgenstein au delà de l'Elbe; un rassemblement de troupes considérable paraissait avoir lieu entre Dresde et Golditz, tout annonçait un mouvement général de l'ennemi, mais rien n'annonçait d'une manière précise ce qu'il voulait faire, et si son intention était seulement de couvrir une entreprise sur Wittembourg ou de se porter dans la Thuringe. Dans cet état de choses, arrêtez votre mouvement sur Vach et occupez, si vous le croyez sans inconvénient, Eisenach par une arrière-garde ou seulement par des postes. Nous verrons, d'ici à deux jours, ce qu'il convient de faire; ordonnez cependant à Eisenach qu'on y rassemble des vivres.
«En restant ainsi placé vous serez facilement lié avec le général Compans, et, comme je pousse ma troisième division sur Fulde et que le prince de la Moskowa se concentre à Meiningen, nous présenterons, d'ici à peu de jours, une force considérable sur ce point.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU MARÉCHAL NEY.
«13 avril 1813.
«Mon cher prince, j'ai porté une division sur Vach ayant ses postes sur Eisenach, une autre est à Fulde, la troisième va soutenir celle-ci. Sa Majesté m'a fait l'honneur de m'écrire qu'elle vous avait donné l'ordre de rassembler votre corps sur Meiningen, et que peut-être vous le porteriez sur Erfurth. Veuillez me faire connaître ce que vous comptez faire, afin que je règle mes mouvements en conséquence et que je m'avance sur Eisenach et même sur Gotha, si votre mouvement en avant s'exécute. Une lettre du vice-roi m'annonce qu'il avait encore, le 10, son quartier général à Strasfurth, que le général d'York était à Dessau et paraissait être suivi par le général Wittgenstein, et que tout annonçait un mouvement général de l'ennemi; mais que rien n'indiquait d'une manière précise ce qu'il voulait faire, et si son intention était de se porter sur lui ou de chercher à pénétrer dans la Thuringe.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Saint-Cloud, le 14 avril 1813.
«Mon cousin, je reçois votre lettre du 11 avril, et j'y vois que, le 12, la division Compans sera à Fulde, et que, le 12, la division Bonnet part pour Eisenach. Elle aura donc pu y arriver le 15. Vous ne me parlez pas du mouvement de votre troisième division. Je suppose que, le 15, cette division sera aussi près de Fulde, et que, vous-même, vous aurez votre quartier général sur Eisenach.--Gotha est un très-beau pays, où il est nécessaire de faire sur-le-champ une réunion de farines.--Je suppose que votre troisième division a déjà son artillerie; mais ce qui importe, c'est que vous ayez au moins une ou deux compagnies d'artillerie légère et vos batteries de réserve. Il faut beaucoup d'artillerie dans cette guerre.--Vous devez avoir quatre-vingt-douze pièces de canon; mais seize pièces étaient destinées à la quatrième division, qui ne peut pas encore entrer en ligne: cela doit donc au moins vous faire soixante-seize.--Le duc d'Istrie arrive avec une division de la garde à pied et une à cheval, et environ cinquante-deux pièces. Ainsi ce corps d'armée, formant provisoirement quarante mille hommes d'infanterie et six à sept mille chevaux, aura donc cent vingt-huit pièces de canon.--La seconde division d'infanterie de la garde, avec trente-huit pièces de canon, ne doit pas tarder à le joindre.--Par une inconcevable disposition du général Sorbier, seize compagnies, qui devaient arriver de Magdebourg, sont en retard. Je suppose cependant qu'elles ne tarderont pas à arriver. On y a pourvu néanmoins par le mouvement de quatorze autres compagnies.--Je suppose que les premier et second bataillons du 37e sont en marche pour rejoindre la division Bonnet, et que les troisième et quatrième bataillons ne tarderont pas, ce qui, joint aux six bataillons du général Durutte, provisoirement en subsistance dans cette division, en portera le nombre à vingt bataillons. Il faudra en former trois brigades, chacune de six à sept bataillons.
«Napoléon.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU MAJOR GÉNÉRAL.
«15 avril 1813.
«J'ai reçu l'ordre de l'Empereur de porter, du 13 au 18, ma deuxième division sur Vach, et mes première et troisième sur Fulde, et ensuite de pousser des troupes sur Eisenach.
«Ma deuxième division est dans ce moment-ci à Vach, ayant ses avant-postes sur Eisenach; ma première division est à Fulde; ma troisième division part demain matin pour se rendre également sur cette place, et j'y serai moi-même après-demain. Les ordres de l'Empereur étant en pleine exécution, je serai sur Eisenach aussitôt que possible.
«L'Empereur m'avait donné l'ordre de passer en revue et d'organiser les deux divisions de marche de cavalerie qui sont attachées à mon corps d'armée. Ces troupes, arrivant plus tard que Sa Majesté ne l'avait pensé, et mon départ étant devenu nécessaire, je ne pourrai pas remplir cette mission.
«Je crois qu'il est de mon devoir de vous prier de représenter à Sa Majesté qu'elle ne doit pas considérer mon corps d'armée, dans l'état actuel des choses, comme en état de combattre. Elle en connaît la situation d'après le rapport que j'ai eu l'honneur de lui faire; mais je vais entrer encore à cet égard dans quelques détails.
«1° Les corps sont sans officiers, et de vieilles troupes bien instruites ne seraient pas capables de marcher avec un si petit nombre d'officiers pour les conduire, et à plus forte raison des nouvelles. Les corps ont envoyé des mémoires de proposition pour tous les sujets susceptibles d'occuper les emplois; de ces mémoires, envoyés depuis plusieurs mois au ministre, et en duplicata par moi, il n'en est pas revenu un seul.
«Il y a environ quatre-vingts emplois pour lesquels les corps ne peuvent pas présenter de sujets. Sa Majesté a ordonné d'envoyer sur les deux corps d'observation du Rhin un assez grand nombre d'officiers. Tous ont été envoyés au premier corps, et il ne m'en est revenu que neuf chefs de bataillon qui ont été placés. Il y en a, à Mayence, que j'ai demandés et qui n'arrivent pas, entre autres le colonel Deschamps, à qui j'ai fait donner l'ordre de venir commander le 2e régiment de marine, et dont je n'entends pas parler.
«Si Sa Majesté veut que ces troupes s'organisent promptement, il faut qu'elle m'autorise à faire recevoir, dans les corps, les sujets pour lesquels il a été envoyé des mémoires de proposition.
«2° Les première et deuxième divisions ont seules leur artillerie. La troisième n'a ni un canon ni un caisson de cartouches.
«3° Je n'ai pas un seul homme de cavalerie. Il me semble qu'il faudrait prendre, sur les deux divisions qui se forment, un millier de chevaux les plus en état de servir, pour que je ne fusse pas tout à fait dépourvu des moyens de m'éclairer.
«4° C'est depuis avant-hier seulement que nous connaissons ici le décret de l'Empereur relatif aux ambulances, et les corps n'ont eu encore ni le temps ni l'argent pour se procurer les chevaux de bât.
«5° Tous les corps manquent tout à fait de chirurgiens.
«6° Il n'y a, pour tout le corps d'armée, qu'un seul adjoint à l'état-major. Il n'existe pas un commissaire des guerres, ni aux divisions, ni au quartier général.
«Votre Altesse sentira qu'il y a ici une grande réunion d'hommes, mais qu'il n'y a pas une armée organisée, et qu'il serait funeste au bien du service de Sa Majesté de mettre ces troupes en situation de rencontrer l'ennemi avant d'être régulièrement constituées pour tout ce qu'il leur faut.
«Un de mes aides de camp est près du prince de la Moskowa, et me rapportera la nouvelle de l'époque précise de ses mouvements, d'après lesquels je me réglerai.
«J'ai l'honneur de joindre à ma lettre l'état de situation que vous m'avez demandé.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU DUC DE PLAISANCE.
«15 avril 1813.
«Je reçois, seulement, monsieur le duc, votre lettre du 12 et je vous ai écrit, à l'arrivée du général Dommanges, pour vous dire combien j'attachais de prix à ce que les troupes passassent promptement le Rhin et vinssent s'établir dans les cantonnements, auprès de Hanau. Il y a place pour recevoir tout ce que vous enverrez; mais, aujourd'hui que je mets en mouvement mon infanterie, il y a encore plus de place.
«Je vous prie d'ordonner que tous les emplois de sous-officiers soient remplis immédiatement dans les compagnies s'il y a des sujets propres à les occuper; il faut aussi faire des propositions, pour les nominations d'officier, de tous les sujets susceptibles d'être élevés en grade, car les détachements ne pourront servir qu'autant que les cadres seront bien complets. Un vieux corps bien instruit, dans lequel il y a peu de sous-officiers et d'officiers, sert mal; un nouveau corps ne sert pas et se détruit.
«Je pars de Hanau pour suivre mon infanterie; en conséquence, je ne pourrai donc pas m'occuper de ce travail important. Je laisse ici le général Millaud pour le faire momentanément. Je pense qu'il serait convenable au bien du service de l'Empereur que vous vinssiez ici pour faire ce travail, aussitôt que vous aurez fait passer le Rhin aux troupes arrivées, et pris des mesures pour qu'aucune de celles qui arriveront ne s'arrête sur la rive gauche; alors le général Millaud viendrait près de moi pour commander tout ce qui serait disponible et vous m'enverriez tout ce qui serait susceptible de faire un peu de service. Je prendrai d'ailleurs des mesures pour l'instruction de ce détachement que je désirerais que vous pussiez porter immédiatement de mille à douze cents chevaux.
«Je vous prie de me faire connaître journellement vos opérations, afin que je sache toujours sur quoi je peux compter et que je connaisse quelles sont les troupes dont je puis disposer de suite, et à quelle époque je pourrai faire usage du reste.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU GÉNÉRAL MILLAUD.
«Hanau, le 16 avril 1813.
«Monsieur le comte, forcé de quitter Hanau et de suivre mes divisions, je vous prie de me suppléer pour faire sur la cavalerie qui doit arriver, le travail dont j'étais chargé par Sa Majesté jusqu'à l'arrivée du duc de Plaisance. Vous établirez votre quartier général à Hanau; vous passerez en revue tous les détachements de cavalerie qui arriveront, et vous m'en rendrez compte journellement et me ferez connaître: 1° la force des détachements à leur arrivée; 2° le nombre d'hommes et de chevaux laissés en route; 3° le nombre des chevaux blessés; 4° enfin le lieu d'où est parti le corps. Vous me ferez connaître également le nombre des officiers présents et le nombre des emplois vacants; le nombre des sous-officiers présents et le nombre des emplois de sous-officiers vacants. Vous ordonnerez de remplir immédiatement tous les emplois de sous-officiers vacants lorsqu'il y aura des sujets propres à les remplir; vous ferez faire des mémoires de proposition pour tous les emplois d'officiers vacants lorsqu'il y aura des sujets dignes de les occuper. Enfin, monsieur le comte, vous ne négligerez rien pour me faire connaître la véritable situation de ces corps et accélérer leur organisation.
«Aussitôt après l'arrivée du duc de Plaisance, vous partirez pour me rejoindre, emmenant avec vous tous les détachements susceptibles de servir, et prendrez à l'armée, jusqu'à l'organisation des divisions, le commandement de ce qui part aujourd'hui et de ce que vous avez.
«Vous ferez connaître au duc de Plaisance que je désire qu'il continue à m'adresser des rapports semblables.
«Je vous ai fait remettre un projet de cantonnement qui donne le moyen de placer six mille chevaux aux environs de Hanau.
«Vous aurez soin de placer ces troupes d'une manière méthodique, afin que les corps puissent se rassembler facilement et que les officiers supérieurs puissent faire chaque jour la visite de leurs cantonnements. Enfin vous réglerez, par un ordre, vos instructions de manière à tirer, le plus promptement possible, le meilleur parti de ces hommes, et afin qu'ils soient bientôt en état de faire le service devant l'ennemi.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Mayence, le 17 avril 1813.
«Mon cousin, je n'ai aucune nouvelle de votre corps d'armée. L'état-major ne connaît ni le nombre d'hommes que vous avez sous les armes ni le nombre d'officiers qui manquent. Le major général assure que vous avez envoyé cela au ministre de la guerre: c'est autant de chiffons qui resteront dans les bureaux sans réponse.--Envoyez vos états de situation et vos demandes au prince major général. Votre correspondance avec le ministre de la guerre est inutile aujourd'hui.--Envoyez l'état des places vacantes et celui des officiers que vous proposez d'avancer. Enfin faites connaître tout ce qui vous manque, afin que j'y pourvoie sans délai.
«Napoléon.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Mayence, le 17 avril 1813.
«Mon cousin, le général Durutte, par une lettre de Blankenberg du 15 avril, annonce qu'il a envoyé à Erfurth, et de là à Salsungen, sur la Werra, quatorze pièces de canon qui lui étaient inutiles. Voyez où sont ces pièces et réunissez-les à l'artillerie de votre corps d'armée.
«Napoléon.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Mayence, le 17 avril 1813.
«Mon cousin, j'ai décidé que huit cadres d'artillerie à pied partiraient le 19 de Mayence pour votre corps d'armée. Ces cadres seront complétés en officiers et sous-officiers que vous ferez choisir dans l'artillerie de marine. Vous porterez ensuite ces huit compagnies à cent vingt hommes chacune au moyen de huit cents canonniers marins, que vous prendrez dans vos bataillons. Six de ces compagnies seront employées au service de l'artillerie de vos trois premières divisions; les deux autres compagnies serviront vos deux batteries de réserve à pied. Vous recevrez ensuite deux compagnies d'artillerie venant de l'intérieur: elles seront employées à votre parc.»
«Napoléon.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Mayence, le 17 avril 1813.
«Mon cousin, je reçois au moment même votre rapport daté de Hanau le 10 avril, qui revient de Paris.--Vous trouverez ci-joint la notice de décrets que je viens de rendre. Faites reconnaître ces officiers sur-le-champ. Il est de la plus haute importance que vous présentiez de bons sujets pour les places vacantes dans les régiments de marine. Que votre présentation arrive dans vingt-quatre heures, vous aurez sur-le-champ les décrets et, sans perdre de temps, vous ferez reconnaître les officiers. Ayez toujours soin de prendre de bons officiers, et de les prendre dans un régiment pour suppléer à ce qui manquerait dans l'autre. Aussitôt que j'aurai votre rapport, il n'y aura plus rien à faire sous ce point de vue.--De toutes les manoeuvres je dois vous recommander la plus importante, c'est le ploiement en bataillon carré par bataillon. Il faut que les chefs de bataillon et les capitaines sachent faire ce mouvement avec la plus grande rapidité; c'est le seul moyen de se mettre à l'abri des charges de cavalerie et de sauver tout un régiment; comme je suppose que ces officiers sont peu manoeuvriers, faites-leur en faire la théorie, et qu'on la leur explique tous les jours, de manière que cela leur devienne extrêmement familier.--Pour le 23e régiment, vous parlez toujours de vos envois au ministre de la guerre. Envoyez-moi les demandes et les propositions nécessaires pour compléter ce régiment.--Choisissez les officiers pour le 86e dans le 47e, et que, par ce moyen, ce régiment provisoire soit complété en officiers.--Vous ne parlez pas du major ou colonel qui commande le 25e provisoire.--J'écris au ministre de la guerre pour faire rejoindre les deux compagnies du 86e, qui sont dans la Mayenne.--Donnez des ordres pour que le bataillon espagnol ne soit point envoyé en détachement, et qu'on l'ait toujours sous la main, à l'abri de la séduction. Il ne faut point l'employer au service d'avant-garde ou d'escorte, mais le tenir toujours ensemble et au milieu des bataillons français.--Sur les officiers revenus d'Espagne, on va vous envoyer les officiers dont vous avez besoin.--Envoyez la récapitulation de ce qui vous manque en colonels, majors, majors en second, chefs de bataillon, capitaines, etc.
«Napoléon.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Mayence, le 19 avril 1813.
«Mon cousin, je vous envoie copie de la lettre que j'écris au duc d'Istrie. Prenez les ordres du duc d'Istrie, s'il y est; prenez sur vous s'il n'y est pas. La marche de l'ennemi me paraît fort imprudente; on peut l'en faire repentir; mais surtout ôtez-nous toute inquiétude sur notre flanc gauche.
«Napoléon.»
NAPOLÉON AU DUC D'ISTRIE.
«Mayence, le 19 avril 1813.
«Le major général a dû vous expédier un officier pour vous faire connaître qu'un corps de partisans de trois à quatre escadrons, de six pièces de canon et de deux à trois bataillons, s'était porté sur Mulhausen et Vanfried; que le général westphalien Hammersten avait peur d'être sérieusement attaqué et craignait d'être obligé de se porter sur Witzenhausen, ce qui donnait de fortes inquiétudes au roi à Cassel.--J'espère que l'arrivée du général Souham dans la journée du 17 à Gotha, et celle du général Bonnet qui, ce me semble, a dû être, le 17 au soir, à Eisenach, auront ralenti la marche de l'ennemi. J'espère que vous-même, arrivé à Eisenach, vous vous serez porté sur les derrières de l'ennemi pour dégager le général westphalien et tranquilliser Cassel de ce côté. Cela est d'autant plus important que ces partis sur le flanc gauche inquiéteraient nos communications avec Erfurth.--Ainsi donc, aussitôt que vous serez arrivé à Eisenach, mettez plusieurs corps d'infanterie et de cavalerie sur les derrières de l'ennemi, et dégagez le général Hammersten.--Écrivez au roi à Cassel pour lui faire connaître votre mouvement et le rassurer.--Le prince de la Moskowa étant déjà sur Erfurth, les mouvements que vous pouvez faire sur les derrières de l'ennemi seront d'un heureux effet et pourront donner lieu à quelques coups de sabre et à la prise de quelques bataillons ennemis.--Le général Lefèvre Desnouettes me paraît très-propre pour cette expédition, mais appuyez-le par de l'infanterie. Enfin faites faire tout ce qu'il faut: cela est très-important, car ce serait un très-grand malheur si le roi était obligé d'évacuer Cassel.
«Napoléon.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU MAJOR GÉNÉRAL.
«Philippsthal, le 19 avril 1813,
quatre heures du matin.
«Monseigneur, je reçois la lettre que Votre Altesse m'a fait l'honneur de m'écrire le 17, ainsi que celles de Sa Majesté. J'ai reçu hier au soir une lettre du prince de la Moskowa, d'Erfurth, du 17 au soir. Elle confirme les nouvelles qu'il m'avait données précédemment, que l'ennemi n'a pas de forces à portée. Les coureurs qui s'étaient montrés se sont retirés.
«J'ai deux divisions à Eisenach, et j'occupe Gotha. Le prince de la Moskowa comptait mettre aussi une division à Gotha; je lui ai fait avec instance la demande de me laisser cette ville, qui m'est indispensable pour subsister. Ma troisième division arrivera demain à Eisenach; je serai moi-même dans cette ville dans trois heures.
«Je vais faire reconnaître aujourd'hui les officiers que Sa Majesté a nommés, et je vais faire rédiger de suite le tableau des emplois vacants et les mémoires de proposition. Je n'ai pu faire faire ce travail hier, parce que les troupes étaient en marche.
«D'après la récapitulation que j'ai faite des emplois vacants et des sujets propres à les remplir, c'est-à-dire des mémoires de proposition que je vais adresser de nouveau à Votre Altesse, il faut soixante capitaines, un officier payeur, deux adjudants-majors, soixante-sept lieutenants, qui ne peuvent pas être fournis par les corps, faute de sujets. Ainsi c'est ce nombre de sujets qu'il est nécessaire d'envoyer à mon corps d'armée pour remplir les emplois vacants; et je suppose que tous les sous-lieutenants nommés pour les régiments de marine ont rejoint.
«Le 25e provisoire n'a ni colonel ni major; mais le duc de Valmy m'a annoncé qu'il en avait à Mayence, et je l'ai instamment prié de leur donner l'ordre de me rejoindre. Ayant reçu des officiers supérieurs revenant du troisième corps depuis que j'ai eu l'honneur d'adresser mon rapport, je les ai placés dans les différents corps qui en manquaient. J'aurai l'honneur d'en adresser l'état exact, afin que Votre Altesse veuille bien donner les lettres de passe.
«J'ai eu l'honneur d'adresser à Votre Altesse, par le colonel Jardet, mon aide de camp, à son arrivée à Mayence, un état de situation dans la forme demandée. Ainsi je pense que Sa Majesté a, pour le nombre des présents sous les armes, tous les documents que je puis lui fournir. Quant au nombre des emplois vacants, ils se composent de ceux vacants par manque de sujets, et que j'ai relatés plus haut, et des propositions faites par les corps et dont Votre Altesse va recevoir le double.
«Mes troupes, en passant à Fulde, se sont complétées en pain. Il restera encore en réserve trois mille quintaux de farine, dont douze cents étaient, à mon passage, en magasin, et le surplus devait être livré dans deux jours.
«Il n'existe point de fours militaires à Fulde: les moyens de fabrication que le pays comporte sont de huit mille rations par jour et de vingt-quatre mille dans un rayon de deux à trois lieues. N'ayant ni officiers du génie ni employés pour la construction des fours, j'écris au préfet de Fulde, pour qu'il ait à remplir les intentions de Sa Majesté; et je ferai, à Eisenach, tout mon possible pour exécuter ses ordres.
«On s'occupe de rassembler à Eisenach les quatre mille quintaux de farine demandés. J'ai fait la demande d'un rassemblement de huit à dix mille quintaux à Gotha, qu'on m'a promis de former immédiatement.
«Aussitôt que le retour d'hiver rigoureux qui se fait sentir sera passé, je ferai camper les troupes; et, d'ici là, je les rassemblerai, autant que possible, pour que leur instruction soit poussée avec activité.
«Les quatorze bouches à feu du général Durutte sont à mon corps d'armée. Je les ai attachées provisoirement à la troisième division, qui n'a pas encore son artillerie.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU MAJOR GÉNÉRAL.
«Eisenach, le 19 avril 1813.
«Monseigneur, j'ai l'honneur de rendre compte à Votre Altesse que je porte après-demain la division Bonnet sur Gotha; elle sera cantonnée en entier dans cette ville ou dans les villages circonvoisins, en arrière et sur la droite de cette ville. Elle hâtera la formation des magasins de farine à Gotha. Je porte la première division sur Langensalza, où je fais réunir aussi des subsistances. La troisième division sera placée à Eisenach et en avant. Il m'a paru indispensable d'occuper Langensalza pour observer la grande route de Leipzig; aussitôt que les magasins seront suffisamment formés, les troupes camperont. Par ce moyen elles seront en situation d'exécuter tous les mouvements que les circonstances pourront nécessiter, soit pour soutenir le prince de la Moskowa, soit pour défendre les gorges de la Thuringe, et assez étendues pour vivre. Les coureurs russes sont venus jusque sur la Werra et ont surpris un escadron westphalien à Wanfried; mais ils se sont retirés. Je n'ai point de nouvelles du prince de la Moskowa depuis la lettre dont j'ai eu l'honneur de vous rendre compte; mais rien n'annonce que l'ennemi soit en opération sur lui.
«La division Bonnet est la seule qui ait des ustensiles de campement, encore lui manque-t-il des gamelles; il est bien important, pour que les troupes puissent camper sans désordre, que les autres divisions reçoivent les ustensiles de campement qu'il leur faut, et celle-ci ceux qui lui manquent encore, et il serait bien nécessaire qu'on y joignît des haches qui manquent à toutes les compagnies et qui sont cependant indispensables, car celles des sapeurs sont loin de suffire aux besoins du bivac et du campement.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU ROI DE WESTPHALIE.
«Eisenach, le 20 avril 1813, soir.
«Sire, aussitôt après mon arrivée ici, je me suis empressé de faire des dispositions pour éloigner les partis qui se sont présentés sur vos frontières. J'ai envoyé une forte division sur Langensalza, et le duc d'Istrie y a ajouté un corps de cavalerie de la garde qui va pousser des partis dans toutes les directions.
«Comme nous n'avons pas de nouvelles récentes de Cassel et qu'il serait possible qu'il y eût de ce côté quelques désordres, j'envoie demain, à moitié chemin de cette ville ici, un corps d'infanterie et de cavalerie qui serait soutenu par des forces plus considérables s'il était nécessaire, mais qui rentrera immédiatement si, comme je le suppose, tout est tranquille. Je prie Votre Majesté de me faire connaître ce qui pourrait se passer d'important du côté où elle se trouve, afin que je puisse faire ce que les circonstances commanderont, et prendre des positions conformes à sa sûreté.»
LE MARÉCHAL MARMONT À NAPOLÉON.
«20 avril 1813.
«J'ai reçu la lettre que Votre Majesté m'a fait l'honneur de m'écrire pour me faire connaître ses intentions sur le moyen de remplacer le personnel d'artillerie qui manque à mon corps d'armée. Les cadres des huit compagnies n'étant pas encore arrivés, je prie Votre Majesté de me permettre de lui faire quelques représentations sur une disposition qui ne me semble pas d'accord avec le bien de son service.
«Le corps des canonniers de la marine a un bon esprit, une assez bonne composition; mais ce corps a déjà été énervé par diverses dispositions intérieures, et il me semble que ce corps perdrait presque toute sa valeur d'opinion, et même sa valeur réelle comme ancien corps, si la disposition prescrite était exécutée littéralement.
«Les canonniers de la marine, à leur départ des ports, ont laissé un certain nombre d'hommes pour le service de la marine, conformément aux dispositions du décret de Votre Majesté, et, en général, ceux conservés ont été des hommes de choix. La marine a surtout conservé un grand nombre de sous-officiers, et les meilleurs, de manière que le plus grand nombre des sous-officiers actuels a un ou deux mois de nomination, et que le corps des sous-officiers dans ces régiments est en général très-faible. Depuis, ces mêmes régiments ont fourni trois cents canonniers pour la garde de Votre Majesté, et j'ai tenu la main à ce que les choix fussent faits tels qu'il convenait pour ce service important. Ensuite on a tiré à peu près le cinquième ou le sixième des officiers existante dans ces corps pour l'artillerie de terre, et on a choisi encore les officiers les plus méritants. Si à cela on ajoute encore un recrutement d'officiers et de sept à huit cents canonniers, ce corps ne sera le même en rien, parce que les chefs de corps, qui espèrent beaucoup de leur situation actuelle et mettent un grand prix à mériter la bienveillance de Votre Majesté, perdront l'espérance de bien faire en perdant les hommes dans lesquels ils avaient confiance, et seront découragés en pensant que leur corps est destiné à être un dépôt de recrutement pour les autres corps de l'armée, et que l'avenir brillant qui leur était offert leur est fermé; et réellement ce corps, de neuf mille hommes environ, dont plus de quatre mille sont conscrits de l'armée, perdant environ onze cents hommes d'élite, pris sur les anciens, sans compter les hommes plus recommandables encore qui ont été retenus dans les ports, sera peu de chose, en comparaison de ce qu'il était, par la différence de son esprit et de sa composition. Je pense donc que, puisque le besoin de l'artillerie de terre exige un secours momentané, il vaudrait mieux prendre une disposition seulement provisoire, qui, sans changer la composition de ce corps, n'influerait pas non plus sur l'esprit des officiers, et affecter, pour un temps déterminé, un bataillon tout entier au service des pièces de campagne; ou, si Votre Majesté tenait à une disposition définitive, que le recrutement des huit compagnies portât indifféremment sur tous les bataillons de mon corps d'armée. L'artillerie de marine s'en trouverait beaucoup mieux et l'artillerie de terre guère plus mal, attendu qu'il est bien facile de former en peu de jours des servants de pièces de campagne lorsqu'il y a par pièce trois ou quatre bons canonniers.
«Je prie Votre Majesté de me faire connaître si mes observations lui ont paru fondées, ou si elle persiste dans les dispositions qu'elle avait prescrites, pour que je puisse me conformer à ses intentions.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU GÉNÉRAL COMPANS.
«22 avril 1813.
«Monsieur le comte, je reçois votre lettre de ce jour. Les circonstances ne rendent pas nécessaire l'emploi des vingt mille rations de pain commandées à Mulhausen. Vous devez, si elles sont fabriquées, avoir soin de les faire prendre. J'ai été informé des obstacles que l'administration westphalienne met à la fourniture des subsistances demandées pour l'armée; mais, comme nos besoins sont pressants, que les rassemblements de troupes deviennent considérables et nécessitent une prompte réunion de subsistances, vous emploierez la force, s'il est nécessaire, pour forcer l'administration de Mulhausen à fournir les quatre mille quintaux de farine de blé, tant pour Eisenach que pour Langensalza. Vous recevrez demain un détachement de cavalerie convenable pour vous éclairer.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU MAJOR GÉNÉRAL.
«22 avril, soir.
«Monseigneur, j'ai l'honneur de vous rendre compte qu'ayant fait à Mulhausen la demande de quatre mille quintaux de farine pour l'approvisionnement des troupes qui vont être campées à Langensalza et à Eisenach j'ai reçu du préfet westphalien la réponse que, d'après les ordres de son gouvernement, il ne devait rien fournir. Je prie Votre Altesse de porter cette nouvelle extraordinaire à la connaissance de l'Empereur, afin que Sa Majesté puisse donner les ordres qu'elle croira convenables.
«J'ai aussi l'honneur de vous rendre compte que le général Friederick, que j'avais envoyé à Bichhausen afin d'avoir des nouvelles de Cassel et de poursuivre les détachements qui auraient pu s'avancer du côté de cette place, me fait le rapport que le commandant de Bichhausen l'a informé qu'un assez grand nombre de soldats d'infanterie westphalienne se trouvaient journellement dans les environs, porteurs de permissions signées des généraux. Il a paru extraordinaire à ce commandant que l'on permît aussi facilement à des soldats de venir dans un pays exposé aux incursions de l'ennemi, et la chose me paraît digne de remarque.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU MAJOR GÉNÉRAL.
«23 avril 1813.
«À l'instant où j'ai reçu l'ordre de partir de Hanau pour faire mon mouvement sur Eisenach, n'ayant d'autre cavalerie que celle qui se rassemblait à Hanau, et ignorant le mouvement de la garde, je fis choix de deux détachements formant quatre escadrons complets; le premier de ces détachements, composé des 5e, 8e et 9e de hussards; l'autre, des 7e, 11e, 12e et 16e de chasseurs, ce détachement m'ayant paru susceptible de faire quelque service en l'employant avec ménagement et précaution. Il paraît que l'Empereur a désapprouvé cette mesure et avait ordonné que ces détachements restassent à Hanau, et j'ai reçu du général Millaud la nouvelle qu'il avait donné aux détachements l'ordre de rétrograder, d'après ceux de Sa Majesté. J'ai donc eu lieu d'être étonné de leur arrivée avant-hier; c'est hier seulement que l'ordre de rétrograder leur est parvenu. Comme il y a sept marches d'ici à Hanau, que ce serait une fatigue à pure perte pour les chevaux et un temps perdu pour l'instruction des hommes, j'ai pensé qu'il n'était plus convenable de les faire rétrograder et j'ai fait choix pour eux de bons cantonnements, où on les mettra promptement en état de bien servir. Le chef d'escadron Reisey, qui commande le détachement de hussards, pense qu'en quinze jours il le mettra en état de faire son service devant l'ennemi.
«J'avais donné l'ordre au général Dommanges de venir prendre le commandement de ces deux détachements, par suite de l'ordre de Sa Majesté, dont il a eu connaissance avant son départ de Hanau; il est resté. Si, comme je le suppose, Sa Majesté approuve les dispositions que j'ai prises de ne pas faire rétrograder ces corps depuis ici, il serait utile que le général Dommanges, ou tout autre général de brigade ou colonel, reçût l'ordre de venir afin qu'il y eût un chef pour les surveiller et les commander.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU MAJOR GÉNÉRAL.
«26 avril 1813.
«Le 1er régiment a plus de cent hommes qui manquent de culottes et de pantalons, et qui, s'ils ne les recevaient pas, seraient hors d'état d'entrer en campagne. Cette position est d'autant plus fâcheuse, que le régiment ne peut attendre ces effets de son dépôt, attendu qu'il n'a point reçu les tricots que le ... avait annoncés. Votre Altesse jugera sans doute convenable de prendre une mesure extraordinaire pour faire avoir au 1er régiment de marine les effets qui lui manquent, et je lui demande avec instance de vouloir le faire promptement.»
LE MARÉCHAL MARMONT AUX MEMBRES DE LA COMMISSION DES SUBSISTANCES DE GOTHA.
«26 avril 1813.
«Messieurs, je vous préviens que, d'après les ordres de Sa Majesté, il est indispensable que vous preniez des mesures pour faire diriger sur Erfurth trois mille quintaux de farine, savoir: cinq cents quintaux par jour; cinq mille quintaux de blé, à raison de cinq cents quintaux par jour; dix mille quintaux de viande sur pied, soit vaches, boeufs ou moutons, à raison de mille quintaux par jour; enfin cent mille boisseaux d'avoine, à raison de dix mille par jour, et ce à compter d'aujourd'hui. Je vous prie de me faire connaître le plus promptement possible les dispositions que vous aurez prises pour remplir les intentions de Sa Majesté, afin que je puisse, s'il le faut, y concourir et les assister de la force nécessaire. Je vous prie de me faire connaître également dans quel rapport sont les ressources que les différentes contrées présentent, afin que je puisse prendre des mesures directement si vos efforts ne remplissaient pas le but que j'en attends.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Erfurth, le 27 avril 1813.
«Mon cousin, je viens de prendre dans les 123e et 134e régiments de ligne des capitaines pour les faire chefs de bataillon dans le 37e léger, des lieutenants pour les faire capitaines, des sous-lieutenants pour les faire lieutenants et des sergents pour les faire sous-lieutenants. Mon décret va vous être envoyé par le major général. Tous ces hommes sont ici dans la citadelle; faites-les réunir sans délai, et qu'ils partent demain à la pointe du jour, pour qu'avant midi ils soient reconnus et placés dans les compagnies. Il n'y a rien de plus urgent que cela, ce régiment ne pouvant pas marcher avec les officiers ineptes qui s'y trouvent. Vous mettrez en pied tous les sous-lieutenants que je vous envoie, et qui ont tous fait la guerre. Vous renverrez au dépôt d'Erfurth, et vous m'en remettrez la note, tous les capitaines qui n'auraient pas fait la guerre. Vous mettrez à la suite les sous-lieutenants et lieutenants qui seraient dans le même cas. Il est absurde d'avoir dans un régiment des capitaines qui n'ont pas fait la guerre. On verra dans la campagne ce qu'on pourra faire de ceux que vous allez renvoyer au dépôt. Mais, en attendant, le commandement sera dans la main des hommes que je vous envoie.
«Napoléon.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Weissenfels, le 1er mai 1813,
deux heures du matin.
«Faites partir, à cinq heures du matin, les cinq bataillons de la division Durutte, qui sont avec le général Bonnet, pour se rendre à Mersebourg joindre leur division sans artillerie. Prévenez le vice-roi, par courrier, de l'heure à laquelle ils arriveront à Mersebourg. Les quatorze bouches à feu de la division Durutte resteront à la réserve de votre corps jusqu'à nouvel ordre. Le vice-roi aura soixante mille hommes ce matin, 1er mai, à mi-chemin de Mersebourg à Leipzig. Approchez vos divisions le plus possible de Weissenfels, afin de pouvoir soutenir le maréchal Ney si cela était nécessaire. Je n'ai pas encore de nouvelles du général Marchand, qui devait passer à Stossen. Je n'en ai pas davantage du général Bertrand. Si vous en avez, donnez-m'en. L'un et l'autre devaient venir par Camburg. J'ai donné l'ordre au maréchal Mortier de se porter par la rive gauche de la Saale, en passant sur le pont que j'ai fait construire près de Naumbourg, avec la division de la garde pour se rendre à Weissenfels. Par ce moyen, Naumbourg sera tout à fait libre. Vous y pourrez placer votre troisième division. Ce mouvement par la rive gauche rendra aussi la rive droite, pour vos divisions, très-libre.
«Si vous n'avez pas de nouvelles des généraux Bertrand et Marchand, envoyez un officier à Camburg pour en avoir.
«Napoléon.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Lutzen, le 1er mai 1813.
«Le quartier général de l'Empereur est ce soir à Lutzen. La journée a été fort belle. La jonction avec l'armée de l'Elbe a eu lieu près Lutzen. L'ennemi, qui a montré une nombreuse cavalerie, a constamment été repoussé par notre infanterie dans des plaines immenses, et a eu beaucoup de monde tué par notre canon. Nous n'avons perdu qu'une centaine d'hommes; mais une perte bien sensible a été faite. Un boulet a coupé le poignet et traversé les reins à M. le maréchal duc d'Istrie, qui est mort à l'instant même sur le champ d'honneur. C'est le premier coup de canon tiré par l'ennemi. L'armée et toute la France partageront les vifs regrets de l'Empereur.
«Le prince de Neufchâtel, major général.
«Alexandre.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Weissenfels, 1er mai 1813,
huit heures du matin.
«Mon cousin, venez de votre personne sur la route de Lutzen. Je ne sais pas où a couché la division Bonnet et la division Compans. Mettez-les en marche pour les approcher de Weissenfels.
«Napoléon.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Lutzen, le 2 mai 1813,
neuf heures et demie du matin.
«Monsieur le duc de Raguse, l'Empereur me charge de vous donner l'ordre de partir de votre position pour vous porter sur Pégau. Je donne l'ordre au général Bertrand que, au lieu de venir ce soir, comme il en a reçu l'ordre hier, jusqu'à Kaia, de s'arrêter à Tauchau. Je le préviens qu'il peut même arrêter, s'il en est encore temps, la division italienne à Gleisberg, et celle wurtembergeoise à Stöhsen. Par ce moyen, son corps couvrira Naumbourg, Weissenfels, et menacera Zeitz, et sera en position pour se porter sur Pégau si l'ennemi menaçait de déboucher. Je lui dis de se tenir en communication avec vous.
«Le prince de la Moskowa est à Kaia, et pousse de fortes reconnaissances sur Zwickau et sur Pégau.
«Le vice-roi porte le général Lauriston sur Leipzig.
«Le onzième corps se porte sur Markranstadt, d'où il enverra des reconnaissances sur Zwickau et sur Leipzig.
«Je préviens aussi le général Bertrand que, si l'ennemi débouchait de Zeitz, il réunirait ses trois divisions et marcherait à lui 2.
«Le prince de Neufchâtel, major général,
«Alexandre.»
ORDRE DU JOUR.
«8 mai 1813.
«Monsieur le maréchal commandant en chef le sixième corps témoigne son mécontentement aux troupes à ses ordres pour les désordres qu'elles commettent journellement. Si la bonne conduite qu'elles ont tenue sur le champ de bataille est faite pour leur mériter la bienveillance de Sa Majesté, la continuation des désordres attirerait sur elles toute sa sévérité. Les généraux, chefs de corps et officiers doivent concourir avec le même zèle au maintien de l'ordre. La recherche des vivres doit être faite d'une manière régulière et par des corvées armées, conduites par des officiers, et tout individu qui sera trouvé isolé, n'eût-il pris que du pain, sera arrêté comme maraudeur et puni comme tel suivant la rigueur des lois. Il doit être fait un appel toutes les trois heures, et tous les hommes qui ne seront pas présents seront arrêtés et mis à la garde du camp. Il est surtout expressément défendu de se servir de ses munitions pour d'autres usages que pour ceux de la guerre, et tout contrevenant à cet ordre qui sera pris sur le fait sera arrêté par la gendarmerie, conduit au quartier général et traduit devant le grand prévôt de l'armée. M. le maréchal est convaincu que, si les officiers y mettent l'activité nécessaire, les désordres si répréhensibles qui ont lieu cesseront sur-le-champ. Leur honneur, comme leur devoir et leur intérêt, le leur commandent également.
«Le présent ordre du jour sera lu, pendant trois jours consécutifs, aux troupes rassemblées.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU MAJOR GÉNÉRAL.
«Près Steinbach, 8 mai 1813.
«Monseigneur, les mouvements continuels de mon corps d'armée m'ayant empêché, jusqu'à ce moment, de vous adresser mon rapport sur les détails de ses opérations relatives à la bataille de Lutzen, je m'empresse de réparer cette omission.
«Après avoir passé la Saale, je reçus l'ordre de prendre position avec mon corps d'armée au défilé de Ripach.
«Le lendemain 2 mai, les projets de l'ennemi étant encore obscurs, l'Empereur me donna l'ordre de me porter sur Pégau, afin de connaître la force de l'ennemi sur ce point et de culbuter tous les corps moins forts que le mien, que je trouverais sur mon passage. Afin de ne pas être trompé par de simples apparences, je me mis immédiatement en mouvement. Deux routes me conduisaient également à Pégau, l'une par la rive gauche du ravin et plus courte, l'autre par la rive droite et plus longue.
«Je choisis la deuxième parce qu'elle me liait plus avec l'armée, et que, dans le pas d'une grande bataille, je ne courrais pas risque d'en être séparé.
«Mes troupes formées en neuf colonnes, sur plusieurs lignes, prêtes à former promptement des carrés et disposées en échelons, je m'ébranlai; après une heure de marche, j'arrivai au village de Starfield. En ce moment le canon se fit entendre au village de Kaia, et, au même instant, l'ennemi se montra sur l'immense plateau qui précède et domine le village de Starfield; les forces qu'il me montra dans ce moment ne me parurent pas assez grandes pour devoir m'arrêter; je me disposai donc à remplir la partie de mes instructions qui me prescrivait de marcher à lui; mais, afin d'être à l'abri de tout événement fâcheux, j'occupai fortement le village de Starfield, qui devait être mon point d'appui. Je portai en avant du village, et un peu à sa gauche, la division Compans, et en échelons sur sa gauche, celle du général Bonnet; et, soutenu d'une nombreuse artillerie, je portai ces troupes en avant.
«La charge que j'avais ordonnée s'exécuta avec promptitude et vigueur; les forces que l'ennemi me montra bientôt me prouvèrent qu'une grande bataille allait être livrée; alors j'arrêtai mon mouvement offensif, qui, en m'éloignant de l'armée et de mes points d'appui, aurait infailliblement causé ma perte; mais je conservai toutefois une attitude offensive, afin de partager l'attention de l'ennemi, de l'empêcher d'écraser les troupes du troisième corps qui combattaient à Kaia, et de donner le temps aux échelons que Sa Majesté avait formés en arrière de se réunir et de venir nous dégager. Alors l'ennemi réunit de grandes forces contre moi, et surtout une nombreuse artillerie. Plus de cent cinquante pièces de canon furent dirigées contre mon seul corps d'armée; mais les troupes supportèrent leur feu avec un calme et un courage dignes des plus grands éloges. La division Compans, surtout, la plus exposée, mérite des éloges particuliers; les rangs éclaircis à chaque instant se reformaient aux cris de Vive l'Empereur! Immédiatement après ce feu terrible, la cavalerie ennemie s'ébranla et fit une charge vigoureuse également dirigée contre le 1er régiment d'artillerie de marine. Cet excellent régiment, commandé par le brave colonel Esmond, montra en ce moment tout ce qu'une bonne infanterie peut contre la cavalerie, et les efforts de l'ennemi vinrent échouer contre ses baïonnettes; d'autres charges furent également faites, et toutes également sans succès. Cependant le combat durait déjà depuis plusieurs heures; Sa Majesté, qui avait prévu ce qui pouvait arriver et placé l'armée en conséquence, avait eu le temps de la réunir et de marcher. L'ennemi voulut faire un dernier effort sur moi et redoubla son feu dans l'espérance de me forcer à évacuer le village de Starfield, et il pouvait espérer d'obtenir ce résultat si j'eusse continué à garder la position offensive que j'avais prise et à combattre à découvert; je crus devoir ne pas compromettre ce poste important, et à cet effet je reportai mes troupes en arrière, de la distance nécessaire pour en masquer une partie, en étant à portée de soutenir le village de Starfield, et toute la division Compans fut placée dans ce village. Cette disposition fut encore rendue plus nécessaire par un grand mouvement que l'ennemi fit sur ma droite, qui, étant en arrière du ravin, n'avait plus de point d'appui, tandis que la tête de mes forces était au village, et n'ayant rien au delà du ravin. Peu de troupes suffisaient pour arrêter l'ennemi sur ce point. J'y employai une portion de la troisième division, et je gardai le reste de cette division en réserve, afin de pourvoir aux cas imprévus. L'ennemi alors fit une charge directe sur le village; mais elle lui réussit mal. Cependant l'Empereur était arrivé sur Kaia, et, tandis qu'on se battait sur ce point avec acharnement, les efforts de l'ennemi furent ralentis contre moi, quoique j'eusse toujours en présence de grandes forces.
«Cinq heures et demie arrivèrent, et le quatrième corps parut. Aussitôt que je pus être certain de l'avoir bien reconnu, j'eus lieu d'être tranquille sur ma droite, et j'exécutai, sans perdre un seul instant, avant même d'avoir communiqué avec lui, l'ordre anticipé que Sa Majesté m'avait donné de porter une division sur Kaia aussitôt que je serais en liaison avec le général Bertrand. Enfin l'ennemi était battu partout; Sa Majesté était victorieuse; elle ordonne une charge générale. La division Compans débouche de nouveau du village. La division Friederich se porta à sa gauche et à droite de la division Bonnet, et nous marchâmes rapidement à l'ennemi, qui fuyait devant nous, aussi loin que le jour le permit. Nous nous canonnions encore qu'à peine pouvions-nous distinguer, dans l'obscurité, les masses qui se retiraient devant nous. Il fallut enfin s'arrêter par suite de l'obscurité de la nuit. Nous étions en repos depuis quelques instants lorsqu'un corps de cavalerie ennemie se présenta inopinément et sans avoir pu être reconnu, et chargea nos carrés. Il fut reçu la nuit comme il l'avait été le jour, et se replia, mais sans avoir éprouvé une grande perte, attendu que, dans l'obscurité, il eût été dangereux de faire feu sans avoir bien reconnu la division des carrés. Immédiatement après sa retraite, prévoyant qu'il pourrait revenir, je rapprochai tellement mes carrés, qu'ils pouvaient tous se voir, et je les échelonnai de manière que deux côtés pussent toujours tirer, et qu'il y eût des feux dans toutes les divisions. Ce que j'avais prévu arriva. L'ennemi, comptant que, après la fatigue d'une aussi longue journée, les soldats seraient couchés et les armes aux faisceaux, arriva à dix heures avec quatre régiments de cavalerie de choix, dont un régiment de gardes prussiennes. Ces quatre régiments se jetèrent avec une impétuosité extraordinaire au milieu de nous; mais ils trouvèrent chacun à son poste. Tous les ordres donnés furent exécutés ponctuellement, et l'ennemi enveloppa de ses morts nos carrés sans en enfoncer aucun. Trois cents hussards restèrent sur la place, et les rapports des Prussiens annoncent que le régiment des gardes a été détruit entièrement. Ainsi a fini une belle journée. C'est le sixième corps qui, dans cette mémorable bataille, a eu l'honneur de tirer les premiers coups de canon et les derniers coups de fusil. Je ne saurais donner trop d'éloges aux troupes dont Sa Majesté m'a confié le commandement. Les soldats de marine se sont montrés dignes de l'armée dans laquelle Sa Majesté les a attachés. Ces nouveaux soldats marchent d'un pas ferme sur le pas des anciens. Je devrais nommer tous les généraux et tous les officiers supérieurs; mais je dois faire une mention particulière du général Compans et du général Bonnet, des généraux Jamin, Joubert et Richemont. Le général Compans a eu ses habits criblés de mitraille: le général Bonnet, deux chevaux tués sous lui: le général Jamin, quoique blessé, n'a pas quitté le champ de bataille un seul instant. Je dois faire aussi mention du colonel Jardet, mon premier aide de camp, officier d'une grande distinction, qui a été blessé d'une manière extrêmement grave. Je dois citer aussi le général Faucher, commandant l'artillerie, et le colonel de Ponthou, commandant le génie, dont j'ai eu à me louer.
«J'aurai l'honneur d'adresser à Votre Altesse des demandes de récompenses pour les officiers et soldats qui ont si bien mérité de Sa Majesté, et en vous priant de les soumettre à l'Empereur.»
LIVRE DIX-SEPTIÈME
1813
Sommaire.--Hésitations du roi de Saxe.--Passage de l'Elbe à Priesnitz.--Reddition de Torgau.--Combat de Bichofswerda (12 mai).--Combats de Grossenheim, de Koenigswerth et de Weissig.--Positions de l'armée devant Bautzen.--Bataille de Bautzen (20 mai).--Bataille de Wurtzen (21 mai).--Retraite de l'ennemi sur Weissenberg.--Combat de Reichenbach.--Mort du général Bruyère.--Mort de Duroc: son portrait.--Passage de la Niesse par le septième corps.--Surprise et déroute de la division Maison à Haynau.--Combat de Jauer.--Armistice de Pleiswig.--Ligne de démarcation des deux armées.--Retour de l'Empereur à Dresde (10 juin).--Établissement du sixième corps à Buntzlau.--Situation de l'armée française pendant l'armistice.--Haine des Prussiens pour les Français.--Rôle de l'Autriche.--Travaux de défense à Buntzlau.--Arrivée de M. de Metternich à Dresde.--Paroles de l'Empereur.--Ouverture du congrès de Prague.--Dénonciation de l'armistice (10 août).--Manière de voir de l'Empereur.--Ses conseillers.--Composition et force de l'armée française.--Travaux de défense autour de Dresde.--Plan de campagne de Napoléon.--Composition et force des armées ennemies.--Formation de l'armée française.--Arrivée de Napoléon à Görlitz (18 août).--Commencement des hostilités.--Opérations du sixième corps.--Mouvements des armées autour de Dresde.--La grande armée alliée attaque Dresde (26 août).--Bataille de Dresde.--Mort du général Moreau.--Retraite de l'ennemi.--Poursuite de l'armée ennemie.--Combats de Possendorf, de Dippoldiswald et de Falkenheim.--Combat de Zinnwald.--Catastrophe du général Vandamme.
À la fin de mars, à l'approche de l'armée russe, le roi de Saxe, pour ne pas tomber en son pouvoir, avait abandonné sa capitale. Il s'était rendu d'abord à Plauen et de là à Ratisbonne, accompagné d'un corps de quinze cents chevaux.
Nos revers à la fin de la dernière campagne, la destruction de nos forces, la défection de la Prusse et les passions qui se développaient dans une grande partie de l'Allemagne, avaient frappé de terreur les princes de la Confédération. L'Autriche avait, dès ce moment, entrevu l'espoir de retrouver son ancienne prépondérance, soit par des négociations, soit en rentrant plus tard dans la lice. Elle s'occupait, dès lors, à réunir autour d'elle en faisceau tout ce qu'elle pouvait détacher de notre alliance, afin de donner plus de poids à ses paroles.
Le roi de Saxe, un des premiers à qui elle s'était adressée, comprit bientôt que les intérêts bien entendus de l'Allemagne étaient dans un système modérateur, assurant à l'avenir le repos de l'Europe, et dont l'Autriche serait le centre. Il signa d'abord une convention par laquelle le corps polonais acculé à Cracovie, à la frontière autrichienne, aurait la faculté d'entrer en Galicie, en déposant ses armes. Ces armes devaient être transportées sur des chariots et devaient lui être rendues à son arrivée en Saxe. Cette disposition concernait également quelques troupes françaises et un corps de cavalerie saxonne qui se trouvait avec elles. À l'ombre de cette première convention, on commença à négocier un traité de neutralité qui devait séparer la Saxe de l'alliance française et l'unir à la politique autrichienne.
D'un autre côté, l'Autriche avait pris une attitude pacifique en faisant faire un armistice pour le corps auxiliaire que commandait le feld-maréchal, prince de Schwarzenberg. Enfin, le 26 avril, elle avait déclaré à l'ambassadeur de France à Vienne que les stipulations du traité du 4 mars 1812 n'étaient plus applicables aux circonstances présentes.
C'était annoncer l'intention de suivre une politique indépendante. Après tous ces divers actes, le roi de Saxe quitta Ratisbonne et se rendit à Prague. Cette démarche donna l'éveil à Napoléon sur ses intentions. Il soupçonna que les négociations relatives au désarmement du corps polonais pourraient avoir été plus loin, et se crut menacé de voir la Saxe se séparer de ses intérêts. Dès son arrivée à Mayence, il avait envoyé auprès de lui à Ratisbonne le général de Flahaut pour surveiller la conduite du roi et réclamer la cavalerie qu'il avait avec lui. Il n'eut cependant jamais la certitude d'un traité convenu et signé. Il crut seulement que des propositions avaient été faites et reçues avec complaisance; mais enfin les mauvaises dispositions du roi de Saxe devinrent patentes par la connaissance des ordres donnés le 5 mai au général Thielmann, qui commandait à Torgau, de ne recevoir aucune troupe étrangère dans la place, et par le refus d'en ouvrir les portes au troisième corps, qui s'y présenta.
Alors la victoire avait donné du poids aux paroles de Napoléon, et il se trouvait maître de Dresde au moment même où le roi semblait vouloir l'abandonner. Il envoya un officier à Prague, le comte de Montesquiou, pour remettre à M. de Sera, alors ministre de France auprès du roi, une lettre qui lui prescrivait de le faire s'expliquer dans l'espace de six heures. Il devait, à l'instant même: 1° déclarer par écrit dans une lettre à l'Empereur qu'il n'avait pas cessé de faire partie de la Confédération du Rhin et reconnaissait les obligations qui en résultaient pour lui; 2° donner l'ordre au général Thielmann d'ouvrir les portes de Torgau et de mettre à la disposition du général Régnier les troupes saxonnes qui s'y trouvaient et devaient en sortir; 3° enfin d'envoyer à Dresde la cavalerie saxonne restée près de lui, et de la mettre à la disposition de l'Empereur; dans le cas d'un refus, M. de Sera lui devait faire connaître qu'il était déclaré félon et avait cessé de régner.
Un langage pareil auprès d'un prince faible, dont les États étaient envahis et en partie occupés, devait avoir les résultats qu'en attendait Napoléon. Le roi souscrivit à tout et s'excusa auprès de l'Empereur d'Autriche sur l'empire des circonstances. Il lui demanda le secret sur le traité fait, signé et ratifié, et le secret lui fut gardé. Le roi se rendit à Dresde. L'Empereur donna, avec intention, un grand éclat à son retour. Il alla, le 12 mai, à sa rencontre à une lieue, accompagné de tous les maréchaux alors à Dresde, et j'étais du nombre. Il fut empressé et affectueux envers son allié; il s'efforça d'établir l'opinion qu'il n'avait jamais douté de sa fidélité. On ne peut que plaindre un souverain placé dans des circonstances aussi difficiles, entre le salut de ses peuples et ses engagements. Les résultats de sa conduite lui ont été funestes; mais la campagne de 1813, dont la fin a été si désastreuse pour nous, a été cependant bien près d'être couronnée par des triomphes. Ainsi, en prenant seulement pour base les probabilités et les intérêts, on doit reconnaître que peu s'en est fallu qu'il n'ait eu à s'applaudir de sa politique. Ce vieux monarque, si fort aimé par ses sujets, ne doit pas être jugé avec trop de sévérité.
Le onzième corps était entré à Dresde le 8. Dès le 9 au matin, un pont fut jeté sur l'Elbe à Priesnitz. L'ennemi mit obstacle à ce travail autant qu'il fut en son pouvoir. Le 9, les quatrième, sixième et douzième corps arrivèrent à Dresde. Le 11, le onzième corps passa l'Elbe et prit position sur la route de Bautzen. Les quatrième et sixième corps, ainsi que le premier corps de cavalerie, suivirent la même direction. Le douzième corps resta à Dresde avec le quartier général impérial et la garde. Ce même jour le troisième corps entra à Torgau; mais le général Thielmann, qui y commandait pour le roi de Saxe, après avoir remis la forteresse au maréchal Ney, passa à l'ennemi avec son état-major. Le cinquième corps de Meissen se rendit également à Torgau, et à ces deux corps se joignit le septième, dont le général Régnier reprit le commandement. Réorganisé, il se composa de la division française du général Durutte et des troupes saxonnes.
Le onzième corps, en s'éloignant de Dresde, avait pris la route de Bautzen, tandis que le quatrième s'était porté sur Königsbrück, et le sixième sur Reichenbach. Le 12, le maréchal duc de Tarente, ayant rencontré l'arrière-garde russe, commandée par Miloradowitch, la poussa devant lui. Un autre combat assez vif s'engagea à Bichofswerda. Cette ville fut enlevée; mais les Russes l'incendièrent en l'évacuant, afin de détruire les magasins qu'elle renfermait.
Le 13, le onzième corps continua son mouvement, et prit position à moitié chemin de Bautzen. Les quatrième et sixième corps restèrent, ce jour-là, à Königsbrück et à Reichenbach, ainsi que le douzième et la garde à Dresde. Le cinquième, parti de Torgau, marcha dans la direction d'Obrilugk; le troisième dans la direction de Lukau. Le deuxième, commandé par le maréchal duc de Bellune, et le deuxième de cavalerie du général Sébastiani, étaient arrivés à Wittenberg. Par ces dispositions, Napoléon menaçait la communication de la grande armée ennemie avec Berlin, et même cette capitale. L'Empereur avait aussi pour motif, en ralentissant ses opérations, de recevoir des renforts, entre autres les troupes de la vieille et de la jeune garde, commandées par le général Barrois, enfin de la cavalerie. Il voulait en outre donner le temps au deuxième et au septième corps d'achever leur organisation.
Le 14, tous les corps restèrent en position.
Le 15, le onzième corps se porta en avant et rencontra, à Godeau, le corps de Miloradowitch. Après une résistance de quelques moments, l'ennemi se retira à Bautzen, et repassa la Sprée. Appelé par le bruit du canon et par l'invitation du maréchal Macdonald, je marchai sur-le-champ; mais j'arrivai quand le combat finissait. Le onzième corps campa en face de Bautzen, le sixième campa à sa gauche, et le quatrième à la gauche de celui-ci. L'ennemi, qui voulait gêner les communications de nos divers corps d'armée, avait porté un grand nombre de Cosaques, sous les ordres directs de Platow, à Grossenheim, soutenu par le corps de Kleist.
Napoléon, voulant nettoyer tout cet espace entre son centre et sa gauche, donna l'ordre au duc de Trévise de partir de Dresde avec une division de jeunes gardes et le corps de cavalerie, commandé par le général Latour-Maubourg, et de chasser l'ennemi de cette position trop avancée. Après une résistance assez vive de la part des Prussiens, ce but fut atteint. Kleist se retira dans la direction d'Elstenwerda, et Platow dans celle d'Ortona.
Après avoir rempli cet objet, le duc de Trévise marcha sur Bautzen. Le 18, le cinquième corps se porta sur Hoyerswerda, et les troisième et septième suivirent.
Ces trois corps étaient destinés à tourner toutes les positions que l'ennemi avaient fortifiées. Le même jour, l'Empereur et tout le reste de sa garde partirent de Dresde. Ils vinrent s'établir, avec le quartier général, en face de Bautzen. Mais ce jour-là, 18, l'ennemi ayant appris le mouvement du cinquième corps sur Hoyerswerda, et ignorant qu'il était soutenu par les troisième et septième corps, fit un détachement pour s'opposer à lui, et profiter de son isolement pour le battre.
Le général York vint avec dix mille Prussiens prendre position à Weissig. Il était appuyé par Barclay de Tolly avec douze mille Russes. Le général Bertrand détacha sur Königswerth la division italienne de son corps, pour maintenir la communication entre les deux parties de l'armée. Cette division, établie négligemment, fut attaquée et surprise par Barclay. Elle fut mise dans un grand désordre. Cependant, comme elle était appuyée à des bois en arrière de la ville, elle réussit à se rallier, et soutint le combat. Sur ces entrefaites, le comte de Valmy arriva avec sa cavalerie, et Königswerth fut repris. Pendant ces événements, le cinquième corps avait rencontré le général York à Weissig. Un combat opiniâtre s'ensuivit. La position fut enlevée, et l'ennemi fut forcé de se replier sur le gros de son armée.
Ces deux corps, d'York et de Barclay de Tolly, rentrèrent en ligne. Le corps russe fut chargé de défendre la Sprée dans son cours inférieur.
Le 19, toute l'armée française était déployée circulairement devant Bautzen, le douzième corps occupait l'extrême droite, et était placé sur les hauteurs de Technitz. Le onzième corps était près de Breska, derrière le Windmüchlenberg. Le sixième était en avant de Salzfortgen. Le quatrième appuyait sa gauche à Welka et à la chaussée de Hoyerswerda. La garde et la cavalerie étaient en arrière, sur la route de Dresde. Le quartier général était à Fortigen. La gauche de l'armée n'était pas encore en ligne. Le cinquième corps occupait Weissig. Le troisième, un peu en arrière, se trouvait à Markersdorf; le septième à Hoyerswerda. Le deuxième avait quitté Wittenberg, et s'était avancé vers Galzen et Dalheim. Il était en face des corps prussiens de Bulow, de celui de Berstel et de la division russe de Karper.
L'armée ennemie avait deux positions à défendre: la première ayant sa gauche aux montagnes, défendue par des abatis et des redoutes, et le front couvert par Bautzen et la Sprée, dont le lit est encaissé et les bords escarpés; la deuxième position, également appuyée aux montagnes, se composait des retranchements construits en avant de Kalskirch. Son front était couvert par une ligne de redoutes faites avec soin et bien armées, et par les hauteurs de Krekvitz. Enfin la droite occupait les hauteurs de Glaima, et les points de Klitz et de Malschitz.
Le 20, au matin, l'armée s'ébranla. Le douzième corps, placé à la droite, attaqua les hauteurs où était la gauche ennemie, après avoir jeté un pont sur la Sprée et passé cette rivière. Le onzième corps fut chargé d'attaquer Bautzen, après avoir aussi franchi la Sprée au-dessus de cette ville. Je reçus l'ordre de passer la Sprée à une demi-lieue au-dessous de Bautzen, et d'attaquer le corps de Kleist qui était en face, et occupait les hauteurs de Seydan. Une vive résistance nous fut opposée; mais, après un combat de cinq heures, l'ennemi fut chassé des diverses positions qu'il occupait devant nous et forcé à se retirer, sur les hauteurs du village de Kayna, en arrière du ruisseau.
Comme Bautzen continuait à se défendre et arrêtait la marche du onzième corps, je détachai ma première division, commandée par le général Compans, pour prendre la ville à revers. La batterie qui en défendait les approches fut enlevée au pas de charge, et les remparts escaladés. Tous les soldats russes qui se trouvaient dans la ville furent faits prisonniers.
Je fis attaquer ensuite, par la division Bonnet, le corps de Kleist, qui venait d'être renforcé et qui s'était concentré dans la position de Kayna et de Basankwitz. Il fut culbuté et obligé de se retirer plus en arrière. Il occupa alors la position retranchée et préparée d'avance, où il avait décidé qu'une seconde bataille devait être livrée. Pendant ces mouvements, les troisième, cinquième et septième corps, sous les ordres du maréchal Ney, s'approchèrent de la Sprée, au village de Klix. Il devait forcer le passage et tourner les retranchements, tandis que le quatrième corps observerait les bords de la Sprée, en face de Krekwitz, en attendant que la prise de Bautzen et le mouvement de la droite eussent permis de l'attaquer.
Le soir du 20, l'armée française était donc à cheval sur la Sprée, et occupait une ligne brisée, la droite aux montagnes, le centre en face de Krekwitz, et la gauche sur Klix.
Du côté de l'ennemi, la gauche et la partie du centre qui se liait avec elle étaient fortifiées par tout ce que l'art peut offrir d'avantageux, et un succès sur ce point ne compromettait pas le reste de l'armée. Ce n'était donc pas le point d'attaque à choisir: tandis qu'en attaquant la droite on avait moins d'obstacles à surmonter. On forçait le centre et la gauche à se retirer en toute hâte. Enfin, l'on pouvait espérer en couper une partie. Aussi ce fut le plan d'attaque adopté par Napoléon.
La gauche de l'ennemi était commandée par le prince Eugène de Wurtemberg et le général Korsakoff, le centre par le général Blücher, et la droite par le général Barclay de Tolly.
Le 21, à cinq heures du matin, le maréchal duc de Reggio commença le combat par une fausse attaque, dont l'objet était de masquer nos véritables intentions et de contenir une partie considérable des forces de l'ennemi. Celui-ci, qui avait porté sa gauche en avant du ruisseau et des retranchements construits dans les montagnes, fut forcé à un mouvement rétrograde; mais, ayant reçu des secours, il résista et força le duc de Reggio, qui s'était emparé de Meltheuer, de l'évacuer et de reprendre sa première position. Le onzième corps prit part au combat, et soutint le douzième. Pendant ce temps, le prince de la Moskowa enlevait le village de Klix. Il attaqua ensuite l'ennemi dans une seconde position, entre Glaima et l'étang de Malschitz, et le battit. Il avait ainsi tourné ses positions. De son côte, le quatrième corps, dont le duc de Dalmatie était venu prendre le commandement, après s'être emparé du village de Krekwitz, forçait l'ennemi à la retraite. Enfin, l'affaire étant engagée sur tous les points, je déployai le sixième devant les retranchements ennemis, et je commençai contre eux un feu d'artillerie à faire trembler la terre. Peu après, j'aperçus un mouvement rétrograde prononcé à la droite et au centre de l'ennemi. L'ayant reconnu le premier, j'en fis prévenir aussitôt l'Empereur, et mis mes troupes en mouvement pour marcher à ces retranchements; mais, l'ennemi les ayant évacués assez tôt pour éviter un engagement d'infanterie, je continuai à le poursuivre sans relâche jusqu'au village de Wurtzen.
Cette bataille, à laquelle on donna le nom de Wurtzen, fut bien conduite. Chaque événement arriva comme il avait été prévu, et chacun fit son devoir. L'infanterie soutint la réputation qu'elle avait acquise à Lutzen. La direction des attaques et le point choisi pour porter les coups décisifs promettaient de grands résultats, et il est probable qu'on les aurait obtenus sans notre extrême faiblesse en cavalerie.
L'ennemi se retira sur Weissenberg. On ne peut guère comprendre ses illusions. Il aurait dû voir que cette position, choisie et fortifiée d'avance, devait tomber d'elle-même par un simple mouvement stratégique. L'armée française, avec les renforts qu'elle avait reçus, consistant en dix mille hommes de cavalerie et huit mille de la garde, et, au moyen des cinquième, septième et douzième corps qui n'avaient pas combattu à Lutzen, s'élevait à cent cinquante mille hommes. Les forces de l'ennemi étaient au-dessous de cent mille.
Le 22, l'armée française se mit en mouvement pour suivre l'ennemi. Le douzième corps resta en position sur le champ de bataille pour le couvrir contre les mouvements que le corps de Bulow aurait pu exécuter. L'ennemi prit position en avant de Reichenbach et sur les hauteurs entre Reichenbach et Markersdorff. Le septième corps, qui n'avait pas combattu la veille, soutenu par la cavalerie du général Latour-Maubourg, reçut l'ordre d'attaquer. Le combat fut chaud et brillant, et la cavalerie russe forcée à la retraite. Il coûta la vie à un excellent officier, un de nos camarades de l'état-major général de la glorieuse armée d'Italie, le général Bruyère, commandant une division de la cavalerie légère. Nous le regrettâmes vivement.
Mon corps d'armée suivait, et de ma personne j'avais été joindre l'Empereur à la fin du combat. Bruyère venait d'être tué, et j'en causais avec le général Duroc, duc de Frioul, avec lequel j'étais intimement lié. En ce moment, la figure de Duroc portait une expression de tristesse que je ne lui avais jamais vue. Les circonstances qui suivirent immédiatement l'ont gravée profondément dans ma mémoire et pourraient faire croire à la vérité des pressentiments. Duroc donc, triste et préoccupé, montrait une sorte de découragement et d'abattement dans toute sa personne. Je marchai quelque temps en causant avec lui; il me dit ces propres paroles: «Mon ami, l'Empereur est insatiable de combats; nous y resterons tous, voilà notre destinée!» Après avoir cherché à le remettre un peu et à combattre ses idées noires et misanthropiques, j'allai prendre les ordres de l'Empereur, qui m'ordonna de faire camper mon corps d'armée sur la crête que nous venions de traverser. Napoléon, arrivé auprès du village de Markersdorff et marchant dans un chemin creux, un boulet isolé, parti à grande distance d'une batterie qui se retirait devant notre avant-garde, tomba dans le groupe qui l'environnait, tua roide le général Kirchner, bon officier du génie, et blessa mortellement le duc de Frioul, dont les entrailles furent mises à découvert. Peu de moments après, et lorsque j'étais encore occupé de mon établissement, j'appris cette triste nouvelle.
L'Empereur montra de la douleur et passa quelque temps avec Duroc, dans la baraque où il fut déposé. Il paraît qu'il se justifia auprès de l'Empereur de je ne sais quels torts, que celui-ci lui avait imputés sans fondement, et dont l'accusation l'avait profondément blessé. Le lendemain matin, je le vis de très-bonne heure. Ses douleurs atroces lui faisaient désirer la mort, et il la demandait avec instance. Je causai avec lui pendant quelques moments. Je lui parlai des personnes qui l'intéressaient, et, comme je lui montrais ma vive et profonde commisération, il me répondit: «Va, mon ami, la mort serait peu de chose pour moi si je souffrais moins vivement.»
Dans le cours de mes récits, j'ai eu peu d'occasions de parler du duc de Frioul. Ayant pour ainsi dire passé ma vie avec lui, et le rôle qu'il a joué lui donnant de l'importance historique, je dois chercher à le faire connaître.
Duroc était d'une bonne famille. Son père, gentilhomme de la province d'Auvergne, sans fortune, servant dans un régiment de cavalerie en garnison à Pont-à-Mousson, s'y maria, et s'établit dans cette ville. Duroc, placé comme élève du roi à l'École militaire qui y existait alors, fut destiné au service de l'artillerie, débouché le plus sûr, carrière la plus avantageuse autrefois pour un gentilhomme qui n'avait ni appui ni protection. Il y entra en même temps que moi, et nous fûmes reçus élèves sous-lieutenants à Châlons, au commencement de janvier 1792. Plus tard, une partie de l'école ayant émigré, Duroc alla rejoindre l'armée des princes et fit le siège de Thionville. Son bon sens naturel lui ayant promptement fait apprécier la confusion qui régnait parmi les émigrés, il rentra en France, et vint à Metz, où moi-même, reçu officier, j'étais en garnison. Il me fit confidence de ce qui lui était arrivé, et de sa résolution de reprendre du service. Le gouvernement ferma les yeux sur son absence momentanée, mais le contraignit à subir l'examen de sortie, et à retourner à Châlons pour y reprendre sa place d'élève. Quelque temps après, et cette formalité étant remplie, il rejoignit le quatrième régiment d'artillerie. De là, il passa dans une compagnie d'ouvriers employée à l'armée de Nice. C'est là que je le retrouvai en 1794.
Duroc continua à servir dans son arme, et devint aide de camp du général Lespinasse, commandant l'artillerie de l'armée d'Italie. Après la bataille d'Arcole, le général Bonaparte ayant perdu plusieurs aides de camp, et m'ayant consulté sur les officiers qui pouvaient les remplacer, je lui proposai et lui présentai Duroc qui fut admis. Voilà l'origine de sa fortune. Duroc se l'est toujours rappelé, et m'a constamment voué une amitié très-vive, que le temps n'avait fait que consolider. Il fit, en qualité d'aide de camp, le reste des campagnes d'Italie et la campagne d'Égypte. Arrivé au grade de colonel quand le général Bonaparte devint premier consul, il eut l'administration de sa maison. Puis, quand Napoléon prit la couronne impériale, il fut grand maréchal avec une autorité très-étendue, et investi d'une confiance sans bornes. Duroc eut diverses missions diplomatiques à Berlin et à Pétersbourg, qu'il remplit à la satisfaction de l'Empereur. Il était le centre de mille relations diverses. L'Empereur le chargeait souvent de travaux étrangers à ses fonctions habituelles, et il s'en acquittait toujours bien. Aussi fut-il toujours surchargé de besogne, accablé de fatigues et d'ennuis, et au point de murmurer souvent contre la faveur et les grandeurs.
Le duc de Frioul avait un esprit sans éclat, mais sage et juste; peu de passions, mais une profonde raison et une ambition bornée. Les faveurs sont venues le chercher plus souvent qu'il n'a couru après elles. Naturellement réservé, son commerce était sûr, et jamais on n'eut à lui reprocher la plus légère indiscrétion. Étranger au sentiment de la haine, il n'a nui à personne; mais, au contraire, il a rendu une multitude de services à des personnes qui l'ont ignoré. Une réclamation juste et fondée l'a toujours trouvé bien disposé, et il faisait auprès de l'Empereur telle démarche qu'il croyait utile, sans jamais s'en faire de mérite auprès de celui qui en était l'objet. Simple, vrai, modeste, probe et désintéressé, son caractère froid l'aurait empêché de se dévouer pour un autre, de se compromettre pour le servir; mais, dans sa position, c'était déjà beaucoup que de rencontrer, si près du pouvoir suprême, un homme sans malveillance; car tout ce qu'on peut raisonnablement désirer et espérer, c'est d'y trouver, en outre de la justice, une bienveillance active quand elle est sans danger. Duroc était bon officier, et il a regretté d'être éloigné du métier pour lequel il avait de l'attrait. Très-utile à l'Empereur, il lui a fait souvent des amis. Ses opinions, toujours sages, lui permettaient, en les exprimant, de s'élever avec une certaine indépendance, quoiqu'il craignît beaucoup Napoléon. S'il eût vécu pendant l'armistice de 1813, peut-être aurait-il eu sur l'Empereur une influence utile et lui aurait-il fait sentir les inconvénients qui devaient résulter de la reprise des hostilités. Mais Napoléon, après l'avoir perdu, n'avait près de lui alors presque que des flatteurs; et de ceux-là seuls il aimait les conseils.
Je reviens aux événements militaires. Le 23, l'armée ennemie se retira sur deux colonnes. Celle de droite, commandée par Barclay de Tolly, sur la route de Buntzlau, et celle de gauche, sous les ordres de Wittgenstein, se dirigea sur Loubau. L'arrière-garde, commandée par Miloradowitch, brûla le pont de la Niesse à Görlitz, et détruisit tous les moyens de passage. L'empereur de Russie et le roi de Prusse se rendirent à Löwenberg. Le septième corps, commandé par le général Régnier, arriva devant Görlitz, et passa la Niesse de vive force. Le cinquième corps, qui le suivait, prit la direction de Buntzlau. Le quatrième vint à Hemersdorf, en arrière du septième. Le onzième corps s'établit à Schiomberg. Le quartier général, la garde, les troisième et sixième corps restèrent à Görlitz.
Le 24, le quatrième corps se porta sur Loubau: au moment où il se disposait à attaquer cette ville, l'ennemi l'évacua et prit position derrière la Queiss.
Le corps commandé par Miloradowitch fut forcé à la retraite; mais le quatrième corps resta en position derrière Loubau, et le onzième corps vint l'y joindre. Le cinquième corps se porta à Siegersdorf. Les troisième et septième corps marchèrent dans la direction de Valdau. Le sixième suivit le mouvement de l'armée dans la direction de Buntzlau.
La colonne de droite de l'ennemi se retira sur Haynau; celle de gauche sur Goldsberg.
Le 25, le cinquième corps, après avoir rétabli les ponts sur le Bober, marcha sur Thomaswald. Les troisième et septième corps le remplacèrent à Buntzlau. Le deuxième vint à Vichrau sur la Queiss. Le quartier général vint à Buntzlau. Le quatrième corps se rendit à Loubau et à Gilesdorf.
Le 26, l'ennemi continua son mouvement sur Liegnitz. Il préparait ainsi sa retraite dans la haute Silésie, en pivotant sur sa gauche qui resta en position. Le même jour, le quatrième corps passa le Bober à Rakwitz, et vint prendre position à Deutmansdorf. Le onzième corps vint à Löwenberg. Le cinquième corps, qui marchait en tête de colonne à la suite de la droite de l'ennemi, vint prendre position en avant de Haynau. La division Maison était d'avant-garde. Elle s'établit en avant d'un ravin, sans s'être fait suffisamment éclairer. Au moment où elle campait, elle fut attaquée à l'improviste par les Prussiens qui débouchèrent des bois. Surprise sans être en défense, elle fut culbutée et pour ainsi dire détruite. À peine deux cents hommes échappèrent-ils de cette échauffourée, qui fit grand bruit et grand tort au général Maison. Cet officier général, se croyant déshonoré, voulut se brûler la cervelle. Le général de division Lagrange, son camarade de corps d'armée, le calma et l'empêcha d'exécuter la résolution que son désespoir lui avait inspirée.
Le troisième et le septième corps continuèrent leur mouvement à l'appui du cinquième corps dans la direction de Haynau et de Liegnitz. J'arrivai, ce jour-là, sur la Katzbach dont l'ennemi occupait en force la rive droite. Le 27, l'ennemi prépara un mouvement de concentration et de retraite sur la haute Silésie, en approchant sa droite du gros de ses forces, qui se retira à Merteskatz, à peu de distance de Jauer, et y prit position. Pendant ce temps, le septième et le cinquième corps français arrivaient à Liegnitz, tandis que le quatrième prenait position sur la Katzbach à Hohendorf, et le onzième à Goldsberg. Le troisième corps était resté à Haynau. Ainsi toute l'armée était en ligne, prête à s'engager contre les forces concentrées de l'ennemi; mais, après cette concentration, l'ennemi continua son mouvement rétrograde en laissant de fortes arrière-gardes pour couvrir Breslau.
Le quartier général ennemi se dirigea sur Schweidnitz.
Le même jour, 27, je passai la Katzbach, et je chassai l'ennemi qui gardait les défilés en arrière de cette rivière. L'ennemi présenta à ma vue environ trente mille hommes placés en échelons, ce qui annonçait l'intention de se retirer.
Le surlendemain, 29, je marchai sur Jauer, tandis que le quatrième corps couvrait ma droite en se portant sur Hemsdorf. En avant de Jauer, je trouvai un corps ennemi d'environ quinze mille hommes que je culbutai après un combat assez vif. J'avais été rejoint par le corps de cavalerie du général Latour-Maubourg; mais cette cavalerie, toute nouvelle et peu instruite, était d'une faible ressource. Avec une cavalerie capable de combattre, et sur laquelle j'eusse pu compter, ce corps de quinze mille hommes aurait probablement été détruit, tant le succès obtenu avait été prononcé. Il y eut un millier de prisonniers de faits. Toutes les forces ennemies se dirigèrent sur Striegau.
Les troisième, cinquième et septième corps continuèrent leur mouvement dans la direction de Breslau, et s'établirent à Neumarck. Le 29, les armées restèrent en position.
Le 30, je reçus l'ordre de me diriger sur Eisendorf, et le duc de Tarente, avec le onzième corps, fut dirigé sur Striegau. Pendant ce mouvement de flanc, une nombreuse cavalerie s'opposa à ma marche et m'obligea à prendre beaucoup de précautions. La position de l'armée ainsi réunie obligeait l'ennemi à rester acculé à la Bohême et à la Silésie autrichienne. Si la guerre eût continué immédiatement avec des succès marqués, sa situation pouvait devenir fort critique et même désespérée.
Mais l'ennemi, en choisissant cette direction, avait calculé toutes les chances qui pouvaient en résulter. En repassant l'Oder, il abandonnait toute la Prusse et la livrait à notre vengeance. Il consacrait l'opinion d'une infériorité décidée. L'Autriche, encore indécise sur le parti qu'elle prendrait, car des velléités et des projets hypothétiques étaient seuls entrés alors dans son esprit, était abandonnée et livrée à ses craintes si on s'éloignait d'elle. En se serrant sur elle, on l'entraînait dans une alliance. En la prenant pour arbitre, la laissant maîtresse de dicter les conditions de la paix aux puissances belligérantes, on flattait son orgueil, on servait ses intérêts, et on la forçait à prendre parti contre Napoléon, s'il se refusait à se conformer à ses offres.
D'un autre coté, ce parti hardi avait ses inconvénients; car, si les événements eussent pris un grand caractère d'urgence, l'Autriche, n'étant pas encore prête, n'aurait pas voulu se compromettre en se déclarant pour les alliés. Alors ceux-ci devaient avoir en vue, comme complément de leurs combinaisons, d'arriver à la conclusion d'un armistice. De son côté, Napoléon était décidé à y consentir par méfiance de l'Autriche, motivée sur la manoeuvre des ennemis, annonçant de leur part une confiance qui cependant était loin d'être entière; mais il fallait alors, pour cette raison, vouloir faire la paix.
Cependant il a été démontré depuis que, dans cette circonstance, l'intérêt bien entendu de Napoléon aurait été de continuer la guerre. Son armée était plus nombreuse que celle de l'ennemi. Celle-ci, battue dans deux grands engagements, et après une retraite fort longue, éprouvait du découragement. Aucun renfort ne l'avait encore rejoint.
Quant à nous, nos corps, organisés à la hâte, avaient beaucoup souffert des combats et des marches. Il y avait fatigue et lassitude. Notre cavalerie, si peu nombreuse encore, n'avait aucune consistance. Un repos de deux mois devait rendre à nos troupes toute la valeur dont elles étaient susceptibles. D'ailleurs, d'immenses renforts étaient en marche de toutes parts pour nous rejoindre. Enfin nos jeunes soldats devaient profiter, dans des camps de repos, des soins qu'on donnerait à leur instruction. Toutes ces considérations firent pencher Napoléon en faveur d'un armistice quand les Russes le lui firent proposer. Le général Schuwaloff, aide de camp de l'empereur de Russie, se présenta à nos avant-postes pour le demander. Le duc de Vicence ayant été envoyé par Napoléon pour le recevoir, des conférences suivirent dans le château de Pleiswig entre les avant-postes des deux armées, et, en quarante-huit heures, tout fut convenu et signé.
Cet armistice devait durer jusqu'au 20 juillet et cesser six jours après avoir été dénoncé; plus tard, on le prolongea jusqu'au 10 août. La ligne de démarcation suivante fut convenue entre les deux armées: en Silésie, la ligne de l'armée combinée, partant de la Bohême, passait par Dittersbach, Paffendorf et Landshut, suivait le Bober jusqu'à Budelstadt, et de là, passant par Boskenheim et Striegau, suivait la rivière de Striegau jusqu'à Kanth.
La ligne de l'armée française partait également des frontières de la Bohême, arrivait au Bober par Schreibersan et Rimnitz, suivait cette rivière jusqu'à Lahn, allait ensuite gagner à Neukwitz la Katzbach, qu'elle suivait jusqu'à l'Oder.
Le pays entre les deux lignes de démarcation était neutre depuis l'embouchure de la Katzbach. La ligne de démarcation suivait l'Oder jusqu'à la frontière de la Saxe, vers l'embouchure de la Sprée, de là arrivait à l'Elbe, non loin de l'embouchure de la Saale, en suivant les frontières de la Prusse, et ensuite le fleuve jusqu'à la frontière de la troisième division militaire. La démarcation du bas Elbe devait être déterminée de concert avec le prince d'Eckmühl. Il fut convenu que Magdebourg et toutes les places fortes entre les mains des Français, situées dans les pays occupés par l'ennemi, auraient un rayon d'une lieue autour de leur enceinte et seraient ravitaillées tous les cinq jours.
Les deux armées devaient être placées, le 12 juin, sur leurs nouvelles lignes. Le quartier général de l'armée s'établit à Reichenbach. L'empereur Napoléon retourna à Dresde, où il arriva le 10 juin.
Pendant les mouvements dont j'ai rendu compte, le douzième corps, commandé par le duc de Reggio, était resté d'abord à Bautzen. Il s'était ensuite porté sur Hoyeswerda pour couvrir l'armée contre les troupes qui venaient de Berlin, et que commandait le général Bulow. La mission de ce corps d'armée était de couvrir cette capitale, et, en conséquence, il s'était placé à Interbach. Là, il reçut des renforts de la landwehr de Brandebourg, et son effectif atteignit le chiffre de trente mille hommes. Ainsi renforcé, Bulow vint attaquer le duc de Reggio à Hoyerswerda, mais il fut repoussé avec perte. Il fit sa retraite sur Kottebus, où il prit position avec la masse de ses forces, occupant ainsi Gaben, Drebkorn et Interbach, avec de forts détachements. Le duc de Reggio marcha à lui; mais, ayant voulu menacer Berlin, il se porta dans la direction de Lukau. Bulow, informé de ce mouvement, accourut en toute hâte sur ce point. Lukau a une bonne enceinte et des fossés pleins d'eau. L'avant-garde ennemie fut culbutée et forcée de rentrer dans la ville. Mais ce premier succès ne termina point le combat; la lutte se prolongea et finit par tourner à notre désavantage. Le douzième corps, attaqué sur ses flancs et obligé de se retirer, se dirigea sur Ubigau, où il reçut la nouvelle de l'armistice.
Par la dispersion de ses forces, l'ennemi avait donné beau jeu au duc de Reggio; mais celui-ci n'en sut pas profiter. Sa marche incertaine en se portant en avant, ses directions variées, donnèrent au général Bulow le moyen de réparer toutes ses fautes et de combattre à Lukau avec avantage.
Le mouvement général des troupes, nous ayant éloignés de notre frontière, avait laissé l'Allemagne tout entière sans troupes. Le corps de Woronzoff devant Magdebourg, et un autre corps stationné à Hambourg, servaient d'appui à une foule de partisans qui opéraient sur nos derrières. Ils se montraient partout et dans toutes les directions. Divers convois furent enlevés, plusieurs détachements pris, et beaucoup d'atrocités commises contre les usages de la guerre. Un partisan prussien, nommé Lutzow, acquit, dans ces circonstances, une sorte de célébrité.
Une opération combinée entre les généraux Woronzoff et Czernikoff faillit avoir pour résultat l'enlèvement de la garnison de Leipzig, où beaucoup de blessés se trouvaient réunis; mais l'armistice en arrêta l'exécution au dernier moment.
Enfin divers combats eurent lieu dans les environs de Hambourg. Les îles de l'Elbe et la ville de Hambourg elle-même tombèrent successivement au pouvoir du général Vandamme, au moyen des secours que lui envoya le roi de Danemark, qui resserra en cette circonstance ses liens d'alliance avec l'Empereur. Dès ce moment, une division danoise, commandée par le général Schomtenbourg, se trouva combinée avec les troupes françaises.
Les différents corps de l'armée établis dans les divers cercles de Löwenberg, de Goldsberg, Buntzlau, eurent ces territoires pour assurer leurs besoins. Le sixième corps fut placé à Buntzlau. Chacun s'occupa avec activité à refaire les troupes, à les réorganiser et à les instruire. Des détachements amenant des recrues étaient en route de France pour tous les régiments; mais, comme ils étaient entièrement composés de nouveaux soldats sans aucune instruction, il fallait consacrer tous ses efforts à les mettre en état de combattre. Ces soins occupèrent tous les chefs de l'armée jusqu'au 10 août, moment auquel on reprit les armes. Je vais rendre un compte succinct de ce qui se passa jusqu'au renouvellement des hostilités.
SITUATION DE L'ARMÉE FRANÇAISE PENDANT L'ARMISTICE ET LA DEUXIÈME CAMPAGNE DE 1813.
La manière et la promptitude avec laquelle l'armée française avait reparu sur la scène, l'espèce de résurrection dont elle venait de présenter l'image, avaient étonné l'Europe. Les succès de Lutzen et de Bautzen avaient montré ce que l'on pouvait attendre de ses efforts. Mais ces succès, si glorieux et si éclatants qu'ils fussent, n'avaient donné que de faibles résultats. Ils n'avaient pas diminué d'une manière sensible les forces de l'ennemi. D'un autre côté, l'armée combinée était loin d'être arrivée à la force que le mouvement imprimé en Prusse et en Russie devait produire. Les recrues dont la levée avait été ordonnée en Russie, au commencement de l'année précédente, étaient au moment de rejoindre et de renforcer les corps. Le mouvement national de la Prusse n'était pas encore régularisé; le roi avait ordonné une levée en masse de ses peuples contre les Français quand ils franchiraient leur territoire; il ordonnait la destruction des moissons et des fruits, l'enlèvement des bestiaux, enfin une guerre à mort. Quand, en 1814, les paysans français voulurent prendre les armes, on les menaça de les traiter en criminels. On prétendit qu'ils agissaient contre le droit des gens et les usages des peuples civilisés. C'est ainsi que les hommes changent de doctrines et de principes, suivant leurs diverses situations.
Ces dispositions extrêmes, inspirées par le désespoir et la fureur, restèrent, au surplus, sans exécution: mais un esprit public prononcé, une énergie admirable, se montrèrent dans toutes les classes en Prusse. Les sociétés secrètes, formées pour préparer la délivrance du pays, avec l'assentiment et l'appui du gouvernement, produisirent l'effet qu'on avait dû en attendre. Les idées de liberté, le désir d'institutions et de garanties constitutionnelles, s'étaient mêlés aux idées d'affranchissement et d'indépendance nationale. Tous ces désirs, toutes ces espérances, avaient été encouragés par le roi, à titre de moyens défensifs. Aussi tout bouillait en Prusse. Plus l'oppression de Napoléon avait été forte et sa tyrannie odieuse, et plus la réaction avait de violence. Les étudiants couraient aux armes. Cette jeunesse vive, ardente et souvent redoutable, qui peuple les universités d'Allemagne, rappelait, par son esprit, son ardeur et son but, la formation des premiers bataillons des volontaires de France, qui furent tout de suite si remarquables par leur conduite, et qui devinrent plus tard le noyau de l'armée française et la pépinière d'où sortit le plus grand nombre de ses chefs. Enfin l'énergie de la Prusse était encore accrue par le sentiment de la position dans laquelle elle s'était placée volontairement. Sa désertion de la cause française au milieu de la guerre, cette défection du général York, avaient autorisé toute espèce de vengeance de la part de Napoléon, qui n'était, d'ailleurs, que trop disposé à s'y livrer. La force seule pouvait donc la préserver. Mais, pour mettre en oeuvre de pareilles ressources, pour régulariser de semblables moyens, le gouvernement avait à peine eu trois mois, et encore le dernier de ces trois mois avait été employé tout entier à combattre. La Prusse était donc loin de présenter en ce moment les forces réelles dont elle pourrait bientôt disposer. L'armistice devait lui donner le temps d'achever ses préparatifs.
Les Russes, ses alliés, épuisés par la campagne précédente, par les marches exécutées pendant l'hiver, ne comptaient dans leur armée que des bataillons incomplets. Les recrues, formées et dressées, allaient arriver et doubler chez eux le nombre des combattants.
De son côté, Napoléon avait ordonné des levées immenses. Ces levées s'exécutaient avec facilité; mais les produits n'en étaient pas encore parvenus jusqu'à lui. Deux mois de plus, et son armée aurait une force double, une cavalerie nombreuse, et tout ce qui pouvait lui donner les chances de la victoire. Ainsi un repos momentané avait dû entrer dans ses idées. Il profita avec activité de l'armistice.
Enfin, pour achever le tableau de cette époque mémorable, je dirai que l'Autriche, ayant vu, lors des désastres de 1812, le rôle qu'elle était appelée à jouer, faisait ses préparatifs dans ce but. Les circonstances étaient favorables. Elles lui fournissaient l'occasion de devenir modératrice et même juge suprême des débats, en raison de sa force, en raison de sa position géographique, et en raison même de l'esprit de sagesse et de lenteur qui préside à ses conseils.
On a déjà dit que, dès le 26 avril, le gouvernement autrichien avait déclaré que les stipulations du traité du 14 mars 1812 n'étaient plus applicables à la situation présente. C'était dévoiler toute sa politique. Mais ses moyens militaires, pour l'appuyer, étaient incomplets. Il fallait porter son armée à un effectif qui donnât à son langage le poids convenable. On s'occupa donc avec activité en Autriche de levées d'hommes, d'achats de chevaux et de toutes les dispositions qui doivent donner la possibilité d'entrer en campagne. Pour cela, il fallait du temps. Aussi l'Autriche fut-elle l'intermédiaire utile par lequel passa la demande d'une prolongation de suspension d'armes que fit Napoléon. Elle la favorisa, l'appuya, en offrant en même temps sa médiation pour la paix. Ainsi, quand tout le monde parlait de la paix, personne n'en voulait. Tout le monde était de mauvaise foi et dans la conviction que jamais la paix ne pourrait réaliser des prétentions opposées et inconciliables.
La Prusse, ainsi que je l'ai déjà dit, voulait déployer les moyens que le mouvement national mettait à sa disposition.--Les Russes recevaient leurs recrues et leurs renforts; l'Autriche voulait donner à son armée un effectif qui l'autorisât à parler en maître, et Napoléon atteindre l'époque où il aurait fait arriver les levées extraordinaires que les efforts si honorables du peuple français faisaient de bonne grâce et avec empressement. C'était une halte, un repos profitable à chacun, et dont l'objet était de se préparer à combattre et de se mettre à même de le faire avec succès. Il n'y avait qu'une seule chance de paix: c'est que Napoléon consentît à faire le sacrifice d'une partie de sa puissance, spécialement en faveur de l'Autriche, afin de se la rendre favorable. Du moment où elle eût été avec nous, sa prépondérance eût décidé la question, et toute lutte cessait; mais, pour qu'elle fût avec nous, il fallait adopter des sentiments autres que ceux qui animaient Napoléon. Ainsi, malgré le langage pacifique tenu par tout le monde, tout le monde voulait la guerre; car chacun voulait des résultats que la victoire seule pouvait donner, et Napoléon, dont le caractère dès lors était de s'abandonner aux illusions qui le flattaient, s'efforçait à se persuader que jamais l'Autriche n'oserait prendre les armes contre lui, et qu'ainsi il aurait seulement à combattre la Prusse et la Russie. Cette manière d'envisager les événements futurs n'a plus cessé d'être la sienne et l'a conduit à sa perte.
C'est dans cet esprit et avec ces dispositions que les armées prirent les positions réglées par l'armistice.
Les espérances de l'Empereur pour l'augmentation de ses forces se réalisèrent promptement. L'armée croissait à vue d'oeil. Les jeunes soldats furent occupés dans les camps à tirer à la cible, exercice dont on n'a jamais fait un emploi suffisant en France, et qui, constamment en usage en Angleterre, donnait autrefois à l'infanterie anglaise un feu supérieur à celui des autres troupes de l'Europe. Un grand nombre des conscrits qui venaient de faire la campagne se trouvaient blessés à la main gauche et avaient perdu un doigt. Cette blessure, cause de réforme, les fit soupçonner de s'être mutilés pour être exemptés du service, et l'Empereur ordonna les mesures les plus rigoureuses contre eux. Quelques-uns pouvaient être coupables; mais j'acquis la certitude que ces blessures, si nombreuses et si semblables, avaient pu être reçues naturellement à cause du peu d'instruction des troupes. Je reconnus que, lorsque les rangs sont trop ouverts, comme il arrive avec des soldats peu instruits et chargés de gros sacs, le deuxième rang, en tirant, peut facilement blesser les hommes du premier. Je fus heureux de constater un fait servant de réparation à l'honneur français.
J'allai m'établir, de ma personne, dans un château charmant appelé Niederthomaswald, à deux lieues en avant de Buntzlau.
Napoléon, voulant préparer un point d'appui sur le Bober, me demanda si Buntzlau pouvait être fortifié et mis à l'abri d'un coup de main. Ayant répondu d'une manière affirmative, je reçus l'ordre d'exécuter les travaux nécessaires. Je parvins à faire de cette ville une forteresse qui eût exigé un siége. Il y avait une première enceinte revêtue, une seconde enceinte, liée aux maisons, qui pouvait servir de réduit, une contre-escarpe et des fossés qui furent inondés en partie au moyen des nouveaux travaux; mais cette place, mise en état en moins d'un mois, ne fut pas occupée pendant la campagne suivante et ne servit à rien, ainsi que je l'expliquerai plus tard.
L'armistice avait été conclu par toutes les puissances dans le but apparent d'arriver à la conclusion de la paix, sans la médiation de l'Autriche. Le prince de Metternich se rendit à Dresde pour y voir l'Empereur et juger de ses dispositions. Napoléon avait toujours eu pour lui une bienveillance toute particulière et un attrait marqué. Cependant leur discussion fut vive, de la part de l'Empereur au moins; car le prince de Metternich, toujours maître de lui-même, parlait de tout sans passion, et discutait les intérêts dont il était chargé avec le calme qui convient à un homme d'État. Les emportements de Napoléon, joués, comme il lui arrivait souvent, ne produisirent aucun effet. La grande affaire était les pouvoirs à donner aux médiateurs. L'Empereur voulait que l'Autriche fût seulement une intermédiaire; mais l'Autriche voulait être arbitre et résolut à se déclarer contre celui qui refuserait de reconnaître sa médiation. Cependant Napoléon accorda le principe et convint de ce mode de négociation. L'Empereur reconnut clairement alors la propension de l'Autriche à devenir son ennemie; mais il refusait toujours à croire qu'elle s'y décidât. Il calcula avec le prince de Metternich les forces qu'il allait avoir à combattre. Il commença par les nier ou les réduire de beaucoup. Forcé ensuite de reconnaître tout ce que ces forces avaient d'imposant, il lui dit avec humeur ces paroles remarquables, qui n'étaient dignes ni de son esprit ni de son jugement: «Eh bien! plus vous serez, et plus sûrement et plus facilement je vous battrai.»
Le prince de Metternich le quitta après une conversation de dix heures, mais ayant perdu l'espérance d'obtenir une négociation suivie dont la conclusion pût être la paix. Pendant ce temps, Napoléon s'abandonnait à l'idée que l'Autriche resterait neutre; car ses dernières paroles furent celles-ci, au moment même où le prince de Metternich passait la dernière porte de son appartement: «Eh bien! vous ne me ferez pas la guerre.»
Cependant le congrès de Prague fut ouvert comme il était convenu. Les plénipotentiaires français, MM. de Vicence et de Narbonne, s'y rendirent tard. Ensuite ils déclarèrent qu'ils n'avaient pas de pouvoirs, ajoutant qu'ils les recevraient incessamment. Le temps s'écoula dans cette vaine attente. On arriva ainsi au 10 août, dernier jour de l'armistice. À minuit, les alliés déclarèrent que, d'après les termes des conventions, les hostilités recommenceraient le 16.
Le 12, tout étant rompu, les pouvoirs arrivèrent; mais il était trop tard. Celui qui a approché et bien connu Napoléon le reconnaîtra dans cette manière d'agir.
Napoléon s'était laissé aller tout à la fois à la fougue de son caractère, à la passion qui le dominait et à une espèce de finasserie toujours fort de son goût. Il aurait dû comprendre, tout d'abord, qu'après la consommation énorme d'hommes qu'il avait faite et la nécessité où il était de faire la guerre avec des soldats si jeunes il ne pourrait pas la prolonger pendant longtemps, car alors son armée se fondrait comme la neige au printemps. Napoléon, dans les derniers temps de son règne, a toujours mieux aimé tout perdre que de rien céder. En cela, son caractère a éprouvé une grande modification. Ce n'était plus le jeune général d'Italie qui avait su renoncer à l'espérance de prendre immédiatement Mantoue, qui s'était résigné à abandonner cent cinquante pièces de siége dans la tranchée pour aller livrer une bataille, la gagner et aller reprendre l'exécution de ses projets.
Si, en 1813, Napoléon avait fait la paix (et il pouvait la faire avec honneur après ses victoires de Lutzen et de Bautzen), en conservant de grands avantages, il satisfaisait l'opinion publique en France. Il récompensait le pays des efforts qu'il avait faits pour le soutenir. Il laissait mûrir son armée, si je puis m'exprimer ainsi; et, après deux ou trois ans, s'il avait voulu, il aurait recommencé la lutte avec des moyens plus complets et plus imposants que jamais; mais sa passion l'entraîna. Son esprit supérieur lui montra certainement alors les avantages d'un système de temporisation; mais un feu intérieur le brûlait, un instinct aveugle l'entraînait, quelquefois même contre l'évidence. Cet instinct parlait plus haut que la raison, et commandait.
Il avait d'ailleurs un conseiller funeste qui flattait ses passions, adoptait toutes ses illusions, et même les rendait encore plus éblouissantes. Le duc de Bassano, esprit étroit et vain, flatteur par essence, avait juré une adoration sans réserve à son maître. Il la professait hautement et s'en glorifiait. Il étudiait ses désirs pour en faire ses lois, et il mettait son esprit et son éloquence à plaider les causes que Napoléon avait déjà jugées. C'était un moyen de lui plaire et d'en être bien traité. Mais le prix de ses succès devait être la perte de son idole. Il répétait, à cette époque, à Napoléon sans cesse ces paroles: «L'Europe est attentive et impatiente de savoir si l'Empereur sacrifiera Dantzig.» La prétention et l'espérance de conserver cette ville, ainsi que les sentiments d'orgueil qui s'opposaient à toute espèce de sacrifice, étaient caressés par ce langage. C'est là ce qui a fait recommencer la guerre, et en définitive produit la chute de Napoléon et la destruction de l'Empire.
L'époque rapprochée des hostilités décida l'Empereur à faire célébrer sa fête, par l'armée, plus tôt qu'à l'ordinaire. Le 15 août y était consacré ordinairement. Elle fut fixée cette année au 10 août, pour la dernière fois.
Napoléon avait déployé une telle activité, les ordres et les mesures prises pour la réorganisation de son armée avaient été si bien combinés, les autorités en France avaient mis tant de zèle à les exécuter, et le pays avait montré tant de bonne volonté, que ses forces étaient devenues extrêmement considérables.
L'armée se composait de douze corps d'armée organisés en quarante et une divisions, toutes au complet, sans compter la garde impériale, la vieille garde, formant en tout quatre divisions. La cavalerie, qui nous manquait complétement à Lutzen, était portée maintenant à soixante-dix mille chevaux. Enfin ce n'est pas trop de porter à quatre cent cinquante mille hommes les forces totales réunies en Allemagne, et dont Napoléon pouvait disposer.
Voici quels étaient les divers corps de l'armée, et les noms de ceux qui les commandaient: