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Mémoires du maréchal Marmont, duc de Raguse (5/9)

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NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.

«Dresde, le 1er octobre 1813, quatre
heures du matin.




«Mon cousin, je reçois votre lettre du 29, à onze heures du soir.--La brigade que vous avez laissée à Meissen a été remplacée par le troisième corps. Laissez du monde à Wurtzen et faites-y travailler à la double tête de pont, et surtout à l'établissement d'un bon pont sur pilotis. La Mulde déborde. Il est nécessaire que nous soyons maîtres de ce passage.--Le 30, le prince Poniatowski a eu son quartier général à Rochlitz. Aujourd'hui, 1er octobre, il sera à Frohbourg ou à Altenbourg. Le comte de Valmy a dû coucher, le 30, à Frohbourg et a dû envoyer un fort détachement sur Borna. Le général Uminski a dû occuper Boda, et le prince Sulkowski a été sur Penig.--Le cinquième corps était hier, 30, à Nossen et à Waldheim.--Les troupes du duc de Castiglione ne devaient pas tarder à paraître du côté d'Iéna.--Jusqu'à cette heure, il paraîtrait que le général Platow, fils de l'hetman, avec Thielman, et soutenu d'une division légère, se porte sur la Saale. Il paraîtrait que cette division légère serait commandée par le général Baumgarten. Le général Klenau paraîtrait se trouver à Comotau.--Dans la journée, tout ceci va parfaitement s'éclaircir.--Il paraîtrait que Platow avait sous ses ordres mille à douze cents Cosaques; le régiment palatin de Ferdinand autrichien, et le régiment de Hesse-Hombourg autrichien; enfin, il paraîtrait que le général Platow se serait porté sur Penig et de là sur Altenbourg, laissant le général Baumgarten à Chemnitz.

«Napoléon


NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.

«Dresde, le 1er octobre 1813,
quatre heures du matin.




«Mon cousin, vous nous avez pris douze cents quintaux de farine à Meissen. Renvoyez-nous-les. Le duc de Padoue a l'état de ce que Leipzig, Wurtzen et autres bailliages nous doivent fournir ici. Prenez toutes les mesures pour nous faire venir mille quintaux de farine par jour. Écrivez aux baillis. Envoyez des commissions et faites partir des convois. Nous avons aussi du riz qui nous appartient à Leipzig. Prenez des informations et faites-le partir. Enfin prenez des mesures pour nous approvisionner. Le duc de Padoue est au fait de la distribution que la régence a faite, entre tous les bailliages, pour les farines que chacun doit fournir. --Surtout ne retenez rien pour vous de tout ce qui doit nous être adressé à Dresde.

«Napoléon.»


LE MARÉCHAL NEY AU MARÉCHAL MARMONT.

«Pötnitz, le 1er octobre 1813.



«Mon cher maréchal, je viens de recevoir la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire hier de Leipzig. J'en ai également reçu une cette nuit du prince major général, en date du 29 septembre, par laquelle il me mande que l'Empereur désire que votre corps d'armée soit employé dans l'opération qui aura pour objet de faire lever le siége de Wittenberg. En attendant qu'elle ait lieu, je pense que la position qu'il serait le plus convenable de faire prendre à vos troupes, pour remplir le double but de couvrir Leipzig et de m'appuyer au besoin, serait de placer une de vos divisions à Düben, une autre à Bitterfeld et Delitzsch, et la troisième qui, avec la cavalerie du général Latour-Maubourg, couvrirait les communications de Dresde, pourrait être établie à Wurtzen. Dites-moi, mon cher maréchal, si vous jugez à propos de faire exécuter ce mouvement à votre corps d'armée, afin que, si vous y consentez, je puisse faire serrer sur moi les troupes que j'ai sur ces divers points, et qui me seront très-utiles pour resserrer et observer l'ennemi et l'empêcher de passer l'Elbe en corps d'armée. Je pense que le général Dalton se décidera enfin bientôt à envoyer d'Erfurth à Leipzig les troupes dont il peut disposer, et qui sont au nombre de douze mille hommes, et que dès lors M. le duc de Padoue n'aura plus besoin de votre appui ni du mien pour conserver cette ville.

«Nous ouvrons la tranchée devant la tête de pont de l'ennemi, entre la droite de la Mulde et la gauche de l'Elbe, et nous élevons des batteries: déjà tous ses postes sont rentrés, et nous sommes à quatre cents toises de ses ouvrages; j'espère que demain nous nous en serons approchés à deux cents. Lorsque cette opération sera terminée sur cette rive de la Mulde, je la ferai faire également sur la rive gauche. Je fais aussi établir sur cette rivière un pont de bateaux à six cents toises de la tête de pont, afin que mes troupes puissent rapidement passer d'une rive à l'autre et se soutenir au besoin. On s'occupe également à retrancher les points principaux de Dessau, de manière à mettre cette ville à l'abri d'un coup de main et à en faire une espèce de tête de pont. Woronzow et Czernitchef sont toujours entre Acken et Dessau avec quelques détachements d'infanterie. Mais ce ne sera que lorsque j'aurai mis l'ennemi dans l'impossibilité de déboucher par Roslau que je pourrai m'occuper de forcer ces partisans à évacuer le pays entre la Saale et la Mulde. Le camp principal de l'ennemi est toujours à Roslau et le quartier général du prince de Suède à Zerbst.

«Maréchal prince de la Moskowa


NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.

«Dresde, le 3 octobre 1813.



«Mon cousin, tous les bruits que l'on fait courir sont controuvés. Il n'y a pas de corps d'armée ennemi sur Géra; il n'y en a pas sur Altenbourg: il n'y a de ce côté que le corps de l'hetman Platow et de Thielmann. Il faut mettre une grande circonspection dans vos mouvements. Avant tout, il faut soutenir le prince de la Moskowa. Le roi de Naples, avec le deuxième, le cinquième et le huitième corps, qui sont entre Freyberg, Chemnitz et Altenbourg, se trouve, dans l'ordre naturel, opposé à tout ce qui arriverait de Bohême. D'ailleurs, un officier que vous m'enverriez en poste pourrait, en moins de vingt heures, vous rapporter ma réponse. Je vous le répète: couvrir Leipzig, puisque vous y êtes, empêcher le passage de l'Elbe de Wittenberg à Torgau, secourir Torgau, appuyer le prince de la Moskowa, voilà le premier but que vous devez vous proposer: le reste viendra après. J'attends aujourd'hui des nouvelles du prince Poniatowski et l'arrivée de mes troupes à Chemnitz, ce qui me mettra à même de prendre un parti.

«Napoléon


NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.

«Dresde, le 3 octobre 1813.



«Mon cousin, le prince Poniatowski est arrivé à Altenbourg le 2 octobre.--Voici ce qui s'est passé:--Dans les premiers jours de septembre, le colonel Münsdorf est arrivé à Altenbourg avec un détachement de mille à onze cents chevaux.--Thielmann est venu le rejoindre avec trois mille chevaux. D'Altenbourg, ces troupes poussèrent des partis sur Zeitz, Borna, Freybourg, Weissenfels, Mersebourg et Géra. Le général Lefebvre-Desnouettes les repoussa, les rejeta sur Altenbourg, et ensuite sur Zwickau. Mais, le 28, l'hetman Platow déboucha sur Altenbourg avec ses Cosaques, trois mille hommes d'infanterie autrichienne et deux mille cavaliers autrichiens. Le général Lefebvre fut attaqué de front dans le temps que Thielmann le tournait sur Zeitz. Le 28 au soir, Platow était de retour à Altenbourg; le 29, Thielmann y était également revenu. Platow rentra avec sa troupe à Chemnitz, en partie le 29 et en partie le 30.--Thielmann et le comte Münsdorf restèrent à Altenbourg; mais, le 2, au moment où ils faisaient leur mouvement de retraite sur Zwickau, la cavalerie du prince Poniatowski les chargea, leur sabra cinq à six cents hommes, et fit trois cents prisonniers. En faisant ses adieux aux magistrats d'Altenbourg, Thielmann leur a dit qu'il jugeait que les Français venaient sur lui, que la ville serait occupée par eux, et qu'il s'en allait. Il paraît que l'infanterie autrichienne que Platow avait sous ses ordres était du corps de Klenau; que ce corps de Klenau n'est que de six mille hommes de cavalerie et au plus de quinze mille hommes d'infanterie; qu'il occupe Chemnitz, Marienberg et Augustenbourg.--Le prince Poniatowski occupe Frohbourg et Windischleybe.--J'attends à chaque instant des nouvelles de l'entrée du roi de Naples à Chemnitz. Vous voyez donc que le mouvement de vingt mille Autrichiens sur Altenbourg est controuvé.--Faites mettre dans les journaux de Leipzig que le général Thielmann a été battu par le prince Poniatowski, qui lui a fait six cents prisonniers et lui a tué et sabré beaucoup de monde.

«Napoléon


LE MARÉCHAL NEY AU MARÉCHAL MARMONT.

«Pötnitz, le 3 octobre 1813



«Mon cher maréchal, je reçois votre lettre d'hier.

«L'Empereur m'a écrit, le 1er, pour me faire connaître l'emplacement des corps d'armée. Sa Majesté pense que l'ennemi pourrait déboucher de la Bohême par Marienberg. J'attends des nouvelles du général Bertrand, qui est parti de Worlitz dans la nuit du 1er au 2 pour se rendre à Wartenbourg, afin de rejeter sur la rive droite des détachements prussiens du corps de Borstell, qui travaillent au rétablissement du pont vis-à-vis d'Elster. On a entendu hier le bruit du canon dans cette direction. Ma ligne est bien étendue, et je ne pourrais opposer qu'une faible résistance aux mouvements de l'ennemi s'il débouchait par son pont de Roslau. Les ouvrages qui couvrent ce pont sont tellement forts et si bien armés, que je ne puis raisonnablement entreprendre de les forcer. Le général Dabrowski quitte Delitzsch pour s'établir à Dessau. Le général Fournier occupe Raguhn et envoie des reconnaissances sur Delitzsch et Düben. Si je parviens à resserrer l'ennemi dans ses ouvrages de manière à ce qu'il ne puisse pas déboucher, alors je tâcherai de chasser les partis qui se trouvent entre la Saale et la Mulde. Si Czernitcheff est en marche sur la Westphalie, il reste également ici beaucoup de cavalerie légère sous les ordres de Woronzow.

«Maréchal prince de la Moskowa


LE MARÉCHAL NEY AU MARÉCHAL MARMONT.

«Pötnitz, le 3 octobre 1813,
cinq heures du soir.




«Le général Bertrand m'écrit ce matin de Wartenbourg à onze heures; il est aux prises depuis sept heures avec l'ennemi, qui attaque vigoureusement et auquel il suppose beaucoup de forces. Il me paraît bien important que vous fassiez occuper fortement le point de Düben, afin que, si l'ennemi forçait ma droite, il ne puisse pas arriver sans obstacle à Leipzig. C'est d'ailleurs dans cette position de Düben que vous seriez en mesure de me soutenir, suivant l'ordre que l'Empereur m'annonce, par sa lettre d'avant-hier, qu'il vous en a donné.

«Maréchal prince de la Moskowa


LE MARÉCHAL NEY AU MARÉCHAL MARMONT.

«Bitterfeld, le 4 octobre 1813,
deux heures de l'après-midi.




«Mon cher maréchal, l'armée ennemie de Silésie, après avoir marché presque sans interruption pendant cinq jours et cinq nuits, a jeté un pont sur l'Elbe, vis-à-vis Elster, dans la nuit du 2 au 3, et a attaqué hier, à sept heures du matin, le général Bertrand, qui occupait la forte position de Wartenbourg, et qui, après s'être battu depuis sept heures du matin jusqu'à six heures du soir, et après avoir fait éprouver à l'ennemi une perte considérable, a dû se replier sur Klitzschena. Ma droite se trouvant ainsi tournée par des forces très-supérieures, et pouvant être attaquée sur les deux rives de la Mulde par l'armée du prince de Suède, il m'a paru indispensable de me retirer sur Delitzsch. Il est de la dernière importance que l'Empereur prenne sur-le-champ un parti décisif: car, d'ici au 6, l'ennemi peut diriger plus de cent mille hommes sur Leipzig. Les prisonniers faits par le général Bertrand appartiennent aux corps de Langeron, Kleist et Sacken. La perte du quatrième corps n'est pas considérable, parce que les troupes étaient avantageusement postées derrière des digues et des abatis; mais la division wurtembergeoise, qui était de quatorze cents hommes et qui défendait le village de Blodding, a été presque entièrement détruite.

«J'occupe faiblement Düben: le reste de mes troupes est à Bitterfeld et à Delitzsch.

«Maréchal prince de la Moskowa


NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.

«Dresde, le 4 octobre 1813.



«Mon cousin, je reçois votre lettre. J'approuve le parti que vous prenez. Réunissez votre corps, le premier corps de cavalerie, et marchez à l'ennemi: enlevez-lui ses ponts de Waldenbourg, Dessau et Acken; qu'il ne lui en reste aucun.--Le duc de Castiglione doit être arrivé aujourd'hui à Iéna. Le prince Poniatowski est à Altenbourg.--Le roi de Naples doit être à Chemnitz. J'en attends des nouvelles à chaque instant. On a fait hier deux ou trois cents prisonniers à la division Baumgarten entre Chemnitz et Freyberg.--Vous m'envoyez des officiers qui sont des enfants, qui ne savent rien et ne peuvent donner verbalement aucun renseignement; envoyez-moi des hommes.--Le troisième corps se porte sur Torgau; une de ses divisions sera demain, 5, à Belgern.

«Napoléon.»

«P. S. Communiquez ces nouvelles au prince de la Moskowa, et faites-lui connaître combien il est important d'enlever à l'ennemi tous ses ponts.»


LE MARÉCHAL NEY AU MARÉCHAL MARMONT.

«Delitzsch, le 5 octobre 1813.



«Je m'empresse de vous faire connaître les positions qu'occupent les troupes sous mes ordres.

«Le général Dabrowski est à Bitterfeld.

«La division de cavalerie légère du général Fournier, à Landsberg, poussant des reconnaissances sur Halle.

«La division de cavalerie du général Defrance, en seconde ligne, derrière le général Fournier, à Zschernitz.

«Le septième corps aura la division Durutte à Göllmenz et Lukenwhna, point intermédiaire de Düben et Eulenbourg. Les deux autres divisions de ce corps, à Broda, occupant Delitzsch et Bendorf. Sa cavalerie légère à Koltzau.

«Le quatrième corps, à Zschortau.

«Je sais que vous occupez Düben et Eulenbourg, et je pense que vous avez toujours une ou deux divisions à Leipzig.

«Nous manquons de munitions. Le quatrième corps a tout consommé. Ne pourriez-vous pas, mon cher maréchal, céder au général Bertrand un approvisionnement simple pour six pièces de douze, deux obusiers de six pouces, douze pièces de six et quatre obusiers de vingt-quatre, ainsi que dix caissons de cartouches d'infanterie. On assure qu'il y a des dépôts considérables à Torgau, et qu'il s'y trouve, entre autres, plus d'un million de cartouches en réserve; vous pourriez vous remplacer dans cette ville, avec laquelle vous communiquez.

«Maréchal prince de la Moskowa


LE MARÉCHAL NEY AU MARÉCHAL MARMONT.

«Delitzsch, le 5 octobre 1813,
huit heures du soir.




«Mon cher maréchal, j'ai reçu la lettre que vous m'avez écrite aujourd'hui de Hohen-Priegnitz. Il ne s'agit pas, je crois, de serrer sur Eulenbourg pour conserver ce débouché, mais bien de nous rassembler le plus promptement possible sur Leipzig.

«Les divisions Fournier et Defrance, que j'ai détachées aujourd'hui sur Landsberg, ont été forcées de rétrograder, et l'ennemi les a suivies jusqu'à une demi-lieue d'ici, en avant de Gros-Kühna. L'ennemi s'est également présenté à Schenkenberg; il a fallu de l'infanterie et du canon pour l'éloigner. Enfin, le général Dabrowski, après s'être battu contre des forces supérieures, a évacué Bitterfeld; il est à Paupitzsch et se rapprochera encore cette nuit de Delitzsch. Ce général a vu plus de quatre mille hommes de cavalerie passer la Mulde entre Bitterfeld et Düben.

«Je viens d'ordonner à la division Durutte, qui est à Lukenwhna, de rentrer en ligne demain matin à la hauteur de Mocherwitz. Je pense, mon cher maréchal, que vous devez venir prendre position à Lukenwhna, gardant Eulenbourg par un régiment d'infanterie et un détachement de cavalerie; cette troupe aurait, en cas d'événement, sa retraite assurée sur Leipzig, et pourrait même, au besoin, se diriger sur Wurtzen.

«Si vous jugez convenable de vous rassembler à Lukenwhna ou à Cremsitz, j'attendrai l'ennemi demain à Delitzsch; nous nous trouverions parfaitement en mesure de livrer bataille à l'ennemi ou de nous retirer ensemble, s'il nous présentait des forces supérieures. Je ne crois pas que l'ennemi ose engager un petit corps avec la Mulde à dos; ainsi nous pourrions attendre et gagner la journée de demain. Il faut espérer que l'Empereur nous donnera de ses nouvelles, et que Sa Majesté va prendre un grand parti.

«J'attends, mon cher maréchal, votre réponse à la proposition que je viens de vous faire pour prendre mes dispositions définitives.

«Maréchal prince de la Moskowa


NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.

«Dresde, le 5 octobre 1813,
deux heures du matin.




«Mon cousin, je reçois votre lettre du 4 octobre, datée d'Eulenbourg. Je n'ai encore reçu aucune nouvelle des affaires du général Bertrand que par votre lettre d'hier. J'aurais bien voulu que vous m'eussiez donné quelques détails. Donnez-moi tous ceux que vous aurez.--Le troisième corps a dû avoir, hier 4, une division à Meissen, une à Riesa et l'autre à Strehla. J'ai donné ordre qu'une division marchât sur Belgern. Je donne au troisième corps l'ordre de marcher tout entier sur Torgau. Il est, dès ce moment, à votre disposition. Ordonnez qu'à Torgau on y joigne tous les hommes de son dépôt qui sont disponibles.--Il est de la plus haute importance que vous faisiez rétablir le pont de Düben, et que vous marchiez rapidement pour détruire le pont de l'ennemi. Votre réunion avec le prince de la Moskowa et le général Dombrowski, est aussi de la plus haute importance.--Je donne ordre au duc de Castiglione de se porter sur Leipzig avec son corps d'armée.--Il est urgent de rejeter l'ennemi au delà de la rivière, avant qu'il ait de nouveaux renforts.

«Napoléon.»


NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.

«Dresde, le 6 octobre 1813,
neuf heures du matin.




«Mon cousin, le duc de Padoue me fait passer votre lettre, datée le 5 de Lindenhain. J'avais reçu vos lettres précédentes. J'ai également reçu, par le duc de Padoue, une lettre du prince de la Moskowa, du 4 à deux heures après-midi.--Je vous ai déjà fait connaître que le troisième corps était échelonné sur la route de Meissen à Torgau; il a dû être concentré, aujourd'hui 6, à Torgau. Je serai ce soir à Meissen, avec quatre-vingt mille hommes, ayant mon avant-garde à l'embranchement de la route de Leipzig et de celle de Torgau. J'y recevrai vos lettres qui me décideront à prendre l'une ou l'autre de ces routes. Les reconnaissances envoyées hier sur la rive droite, jusqu'à dix lieues de Dresde, n'ont trouvé que peu de monde, et le commissaire du cercle de Königsbruck nous a instruit en détail des forces et du mouvement de l'armée ennemie.--Comme le troisième corps est sous vos ordres, j'ignore la direction que vous lui avez donnée; mais je suppose que demain matin je serai parfaitement éclairé là-dessus.--Je me propose de me porter sur Torgau, et de là de marcher sur la rive droite pour couper l'ennemi et lui enlever tous ses ponts sans être obligé de lutter contre ses têtes de pont. En marchant par la rive gauche, il y a l'inconvénient que l'ennemi peut repasser la rivière et éviter la bataille; mais, dans cette seconde hypothèse, nous pouvons déboucher par Wittenberg.--Au reste, comme l'ennemi a l'initiative du mouvement, je ne pourrai me décider sur le plan à adopter définitivement que lorsque je connaîtrai l'état de la question le 6 au soir.

«Napoléon.»


LE MARÉCHAL NEY AU MARÉCHAL MARMONT.

«Göllmenz, le 6 octobre 1813,
six heures du matin.




«Je viens de recevoir la lettre que vous m'avez écrite ce matin à quatre heures.

«Je sens parfaitement que vous ne pouvez pas quitter de jour votre position devant l'ennemi qui, ayant rétabli le pont de Düben, ne manquerait pas de faire du mal à votre arrière-garde. J'établis en conséquence les quatrième et septième corps à Naundorf et Klwölkan. La division Dabrowski restera à Delitzsch tant qu'elle pourra s'y maintenir. La division Fournier prend position à Lindenhain, s'éclairant sur Bitterfeld par Reihitz. La division Defrance restera ici à Göllmenz. Comme il serait impossible que nos deux corps, en partant ce soir à la chute du jour, pussent passer sur la droite de la Mulde à Eulenbourg, je resterai en seconde ligne derrière vous jusqu'à quatre heures de l'après-midi, heure à laquelle je me mettrai en marche sur Wurtzen, d'où j'irai prendre position à Schilda. Vous, mon cher maréchal, après avoir passé par Eulenbourg, vous iriez prendre position à Mackern ou Reichenbach, et nous serons dès lors en mesure de marcher sur le flanc de l'ennemi.

«Faites-moi part, je vous prie, de vos observations sur le mouvement projeté et l'ensemble des manoeuvres.

«Maréchal prince de la Moskowa


LE MARÉCHAL NEY AU MARÉCHAL MARMONT.

«Bennewitz, le 7 octobre 1813,
six heures du matin.




«Je reçois votre lettre d'hier soir.

«Le général Régnier prend position à Pichen; il établit sur la Mulde, vis-à-vis Colla, un pont qui sera achevé ce matin. Ce général se mettra en communication avec votre corps d'armée à Taucha.

«Le quatrième corps prend la direction de Torgau pour rallier le troisième, s'il est encore près de cette place. Je ne vois pas que le troisième corps puisse être exposé dans sa marche sur Eulenbourg, s'il a reçu l'ordre que vous lui avez donné de s'y rendre, puisque vous m'annoncez que l'ennemi a peu de monde aux environs de cette ville et que vous pensez qu'il opère sur votre gauche. Le duc de Padoue me mande que quelques régiments d'infanterie ennemie doivent être arrivés à Halle.

«Donnez des ordres, mon cher maréchal, pour faire arriver en toute hâte sur Leipzig tous les convois qui peuvent être entre cette ville et Erfurth; il faut rappeler tous les détachements et être serré en masse. Il ne s'agit plus, comme vous le remarquez fort bien, que de gagner du temps; l'Empereur, qui est définitivement en mouvement, ne tardera sans doute pas à faire changer la face des affaires.

«Maréchal prince de la Moskowa


LE MARÉCHAL NEY AU MARÉCHAL MARMONT.

«Bennewitz, le 7 octobre 1813,
une heure de l'après-midi.




«Le général Dombrowski, auquel j'avais donné l'ordre de tenir hier jusqu'à quatre heures de l'après-midi le poste de Delitzsch, tandis que votre corps d'armée et celui du général Régnier faisaient leur mouvement, a été attaqué très-vivement par la cavalerie légère ennemie qu'il a toujours repoussée; il est parti de sa position à une heure du matin, et son arrière-garde a été suivie jusqu'à Taucha.

«Le général Régnier m'a rendu compte que vos troupes avaient entièrement évacué Eulenbourg hier au soir; je lui ai ordonné d'y envoyer mille à douze cents hommes pour la garde du pont, qui devient un débouché important, en ce moment où l'arrivée des renforts que l'Empereur conduit en personne annonce que nous allons reprendre l'offensive.

«Les Cosaques qui étaient hier à Wurtzen y ont laissé une proclamation qui annonce aux Saxons que le général Blücher marche sur Leipzig avec soixante mille hommes, et que l'armée française est détruite.

«Maréchal prince de la Moskowa


LE MARÉCHAL MARMONT À NAPOLÉON.

«6 octobre 1813, quatre heures



«Sire, j'ai eu l'honneur de rendre hier au soir à Votre Majesté un compte détaillé de ma position. En conséquence, je ne l'en entretiendrai pas encore une fois. Je prendrai la liberté seulement, au nom du bien du service, de lui dire qu'il est de la plus grande urgence qu'elle vienne ici; car, si elle ne vient pas, nous allons faire de la mauvaise besogne, je ne puis en douter aux dispositions que je vois prendre. Le premier ordre que je reçois, si je l'exécutais, compromettrait l'armée de la manière la plus éminente, car il n'a été le résultat d'aucune espèce de calcul, ni de temps, ni d'opération. Je n'entre pas dans de plus grands détails pour ne pas fatiguer Votre Majesté. Je me borne à lui réitérer l'assurance que rien ne serait plus fâcheux pour son service que de voir la direction des opérations, dans la position délicate où nous sommes, confiée aux mêmes mains.»


LE MARÉCHAL MARMONT À NAPOLÉON.

«8 octobre 1813 soir.



«Sire, je reçois la lettre de reproches que Votre Majesté a chargé le major général de m'écrire. Nous serions restés sur la Mulde sans difficulté, et nous y serions encore, sans les étranges combinaisons du prince de la Moskowa, les craintes exagérées, plus étranges encore, qu'il a eues de l'ennemi.

«Je n'ai quitté Düben que vingt quatre heures après que les troupes qui étaient à ma hauteur s'étaient retirées. Je n'ai quitté Hohen-Priegnitz que lorsque les troupes du prince de la Moskowa étaient depuis longtemps en marche sur Wurtzen. «Sentant la nécessité de couvrir Leipzig, j'ai demandé avec instance au prince de la Moskowa de s'y rendre, et je serais resté à Eulenbourg pour garder les passages de la Mulde et rallier le troisième corps, quoique ce mouvement fût naturel au prince de la Moskowa, puisqu'il était plus à portée que moi; il s'y est refusé formellement et a persisté à se porter sur Wurtzen, trouvant apparemment qu'il n'était en sûreté que là.

«J'ai dû me porter sur Leipzig, parce que c'était le rôle qu'il m'avait assigné. Le prince de la Moskowa s'est chargé formellement de faire immédiatement un détour convenable pour rallier le général Souham à Wurtzen dans le cas où il aurait reçu l'ordre que je lui avais expédié, chose dont il était possible de douter.

«Enfin je n'ai point détruit le pont d'Eulenbourg, comme on l'a dit à Votre Majesté; mais je l'ai fait couper de manière à exiger cinq à six heures de réparation en faisant le calcul que, si le général Souham avait reçu l'ordre de mouvement, il serait garanti par là, pendant la matinée, de l'action des troupes qui m'avaient suivi et dont le nombre pouvait être fort augmenté pendant la nuit, et qu'ainsi il aurait sa retraite libre sur Wurtzen.

«Telles sont, Sire, les justifications que mon honneur exige que je présente à Votre Majesté, et qui, je l'espère, me mettront à l'abri de tout blâme à ses yeux.»


LE MARÉCHAL NEY AU MARÉCHAL MARMONT.

«Bennewitz, le 8 octobre 1813.



«Je reçois la lettre que vous m'avez écrite de Schönfeld hier à onze heures du soir. Je ne crois pas l'ennemi en mesure de venir immédiatement à Leipzig pour y livrer bataille, et il est à présumer, d'après divers renseignements, que son projet est de prendre Wittenberg avant de se livrer à aucune entreprise sérieuse. Au surplus, il me semble que vous auriez tort de vous engager fortement avant notre réunion totale, et qu'il est convenable d'attendre, pour opérer cette réunion, que nous sachions si l'Empereur veut manoeuvrer entre l'Elbe et la Mulde, ou entre la Mulde et la Saale. Quoi qu'il en soit, je prescris au général Régnier d'établir aujourd'hui sa ligne de manière que sa droite soit à la hauteur de Gotha et sa gauche vers Taucha, ayant un poste à Eulenbourg.

«J'écris au général Souham que, s'il ne croit pas pouvoir se maintenir à Eulenbourg, il remonte la Mulde pour venir s'établir à Nitzschwitz; il restera dans cette position jusqu'au retour sur la Mulde du général Bertrand, qui est allé à Torgau tant pour y prendre des munitions que pour avoir des nouvelles de l'Empereur.

«Le général Dombrowsky est à Schmöllen, au-dessus de Wurtzen. Dans cette position, je puis en une marche me réunir à vous; mais je ne crois pas qu'il faille livrer bataille à Leipzig, et que, lorsque le convoi d'artillerie sera arrivé, il sera convenable que nous nous rapprochions de la Mulde pour y attendre les ordres de l'Empereur, que nous ne pouvons pas tarder à recevoir.

«Maréchal prince de la Moskowa

«P. S. Le général Souham est arrivé à Wurtzen.»


LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.

«Wurtzen, le 9 octobre 1813,
une heure et demie du matin.




«L'Empereur ordonne que vous fassiez partir à six heures du matin le général Latour-Maubourg, avec tout le premier corps de cavalerie; le général Lefebvre-Desnouettes avec toute la cavalerie de la garde; la brigade du général Piré et la brigade du général Vallin. Pendant la marche, le général Lefebvre sera sous les ordres du général Latour-Maubourg. Donnez vos ordres pour que ces corps arrivent le plus tôt possible à Eulenbourg, où l'Empereur se trouvera de sa personne. Il est nécessaire qu'ils y soient à onze heures du matin, et qu'ils battent le chemin direct de Düben. Prescrivez au général Lefebvre et au général Latour-Maubourg d'envoyer chacun un officier auprès de l'Empereur pour faire connaître l'heure à laquelle ils arriveront. Cette cavalerie nettoiera ainsi tout le pays depuis la route de Leipzig à Eulenbourg jusqu'à celle de Leipzig à Düben.

«Quant à vous, monsieur le maréchal, portez-vous aujourd'hui, avec votre corps d'armée, sur la route de Düben; vous aurez votre cavalerie légère et la division de cavalerie du général Lorge. Vous ferez éclairer par une colonne mobile la route de Leipzig à Delitzsch.

«Accélérez le retour de la division que vous avez détachée, et placez-la en réserve. Cela n'empêche pas, monsieur le maréchal, que vous ne fassiez partir à six heures du matin une bonne avant-garde d'infanterie, de cavalerie et d'artillerie, et que vous ne la suiviez avec vos deux divisions, attendu qu'il est nécessaire que vous soyez à la hauteur d'Eulenbourg aujourd'hui avant onze heures du matin.

«L'Empereur sera à huit heures du matin à Eulenbourg, marchant, aujourd'hui 9, avec cent vingt mille hommes sur Düben.

«Pour le prince vice-connétable, major général,

«Le général de division, chef de l'état-major,

«Comte Monthion


LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.

«Eulenbourg, le 10 octobre 1813,
quatre heures du matin.




«L'Empereur ordonne que vous vous portiez, aujourd'hui 10, sur Düben, où sera le quartier général. Je vous préviens que le général Régnier est arrivé hier à Düben, que le général Langeron a évacué à son approche. Vous devez, monsieur le duc, vous assurer du mouvement que fait l'ennemi à Delitzsch et si son avant-garde, qui y était hier, a fait un mouvement rétrograde sur Bitterfeld. Si, au contraire, les troupes de l'ennemi qui étaient à Bitterfeld se portaient sur Delitzsch pour marcher sur Leipzig, vous prendrez alors une position parallèle à celle de l'ennemi, ayant votre ligne d'opération sur Düben, de manière à couvrir Düben et Eulenbourg. Il est nécessaire, monsieur le maréchal, que vous correspondiez plusieurs fois par jour avec le quartier général. Je donne ordre au général Lefebvre-Desnouettes de marcher entre la Mulde et vous afin de maintenir toujours votre communication avec nous.

«Pour le prince vice-connétable, major général,

«Le général de division, chef de l'état-major,

«Comte Monthion


LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.

«Düben, le 10 octobre 1813,
six heures et demie du soir.




«J'envoie un officier au-devant de votre première division pour lui dire de prendre position sur la rive gauche, sans passer ce soir la rivière. Cet officier continuera ensuite sa route jusqu'à ce qu'il rencontre vos deux autres divisions, pour leur dire également de prendre position où il les trouvera, afin qu'elles ne se fatiguent pas inutilement. Il reviendra ensuite faire connaître où vos trois divisions auront pris position, ainsi que votre cavalerie et votre artillerie.

«L'intention de l'Empereur, monsieur le maréchal, est que, de votre personne, vous veniez voir Sa Majesté ce soir ou cette nuit.

«Pour le prince vice-connétable, major général,

«Le général de division, chef de l'état-major,

«Comte Monthion


LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.

«Düben, le 11 octobre 1813,
quatre heures du matin.




«L'Empereur me charge de vous prescrire de passer aujourd'hui la Mulde aussitôt que Düben sera désencombré. Vous laisserez les généraux Lorge et Normam sur la rive gauche, et leur donnerez pour instruction de faire courir des partis sur Delitzsch et Bitterfeld. Vous dirigerez avec cette cavalerie, sur Bitterfeld, l'infanterie, nécessaire pour obliger l'infanterie ennemie à évacuer cette position. L'Empereur désire, monsieur le duc, que vous dirigiez l'opération et que vous fassiez partir les troupes une heure avant le jour, de manière à savoir de bonne heure l'intention de l'ennemi sur Bitterfeld et Jesnitz.

«Pour le prince vice-connétable, major général,

«Le général de division, chef de l'état-major,

«Comte Monthion


NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.

»Düben, le 11 octobre 1813,
onze heures du matin.




»Mon cousin, faites-moi connaître ce que veut dire le mouvement de l'ennemi sur Zorbig. Est-ce pour aller à Dessau, ou pour se porter sur Halle ou sur Acken?

«Napoléon.»


NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.

«Düben, le 11 octobre 1813,
trois heures après-midi.




«Mon cousin, un postillon qui arrive de Cöthen, et qui en est parti hier à trois heures après midi, fait le rapport que l'ennemi n'a plus personne à Raguhn, à Jesnitz, et fort peu de monde à Dessau. Il est donc très-important que vous poussiez à fond vos reconnaissances, et que vous sachiez positivement ce qu'il y a à Zorbig et dans la direction de Cöthen et de Halle.

«Napoléon.»


NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.

«Düben, le 12 octobre 1813,
quatre heures du matin.




«Mon cousin, choisissez une position d'où vous puissiez couvrir à la fois Düben, Jesnitz et Leipzig. Vous pourriez peut-être vous couvrir de la branche de la Mulde qui passe à Delitzsch, si toutefois elle n'est pas guéable. Alors vous vous trouveriez en communication avec le duc de Reggio qui a une avant-garde à Raguhn et à Jesnitz; vous couvririez parfaitement Düben, dont vous pourriez vous placer à trois lieues, et vous seriez à portée de vous rendre, en une petite marche, sur Leipzig, et surtout de tomber sur le flanc du corps qui voudrait marcher de Halle sur cette ville.--Votre corps, baraqué ainsi dans une position avantageuse, serait d'un très-heureux résultat. Il ferait le prolongement de la ligne de Dessau, par Jesnitz, jusqu'à Borna où se trouve le roi de Naples. Vous couvrirez par ce moyen Eulenbourg, et le général Lefebvre-Desnouettes pourra se porter en avant pour éclairer votre gauche.--En cas de nécessité, la garde déboucherait sur vous par Düben et Eulenbourg.--Il faudra placer des avant-gardes de cavalerie, infanterie et artillerie sur les routes de Halle, Cöthen et Leipzig.--Aussitôt que vous aurez choisi votre position et que votre corps sera en mouvement pour s'y rendre, vous vous mettrez en correspondance avec le duc de Padoue à Leipzig, avec lequel votre correspondance doit être très-sûre et très-rapide.

«Napoléon.»


NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.

«Düben, le 12 octobre 1813,
onze heures du soir.




«Mon cousin, je reçois votre lettre, que m'apporte l'officier d'ordonnance Gourgaud; elle est datée d'aujourd'hui à neuf heures du soir.--Le prince de la Moskowa s'est emparé de Dessau; il a fait deux mille cinq cents prisonniers, dont cinquante officiers. Il me mande, à trois heures après midi, que le général Tauenzien a passé à Dessau les ponts pour aller du côté de Roslau, et qu'on voit sur la rive droite des colonnes immenses de bagages et de pares qui remontent la rivière, et toutes les probabilités sont que l'armée de Berlin tout entière a passé sur la rive droite aux ponts de Dessau et d'Acken.--Le général Régnier, le général Dombrowski et le duc de Tarente avaient passé à Wittenberg sur la rive droite; à trois heures, nos avant-postes avaient passé Koswig.--À quatre heures, on a entendu une canonnade très-vive qui a duré jusqu'à six heures. Je n'en connais point encore le résultat; c'était l'attaque du général Régnier et du général Dombrowski sur la rive droite à Roslau.--L'ennemi paraissait être dans une grande épouvante.--Le duc de Castiglione était arrivé à Leipzig. Il avait eu, il y a trois jours, une affaire avec Thielman et Liechtenstein; il a battu complètement ce dernier, l'a mis en déroute et lui a fait douze cents prisonniers.--Le roi de Naples occupe la position de Grosbern, où il me mande qu'il tiendra toute la journée de demain 13.--Mon intention est que vous vous mettiez en marche pour vous rapprocher de Leipzig, et que vous envoyiez demander des ordres au roi de Naples. Je compte donc que vous serez à sept ou huit heures du matin, comme vous le proposez, sur Hohleim.--Je vous écrirai, du reste, de nouveau.--Votre arrivée au roi de Naples lui complétera quatre-vingt-dix mille hommes.--Si le général Régnier ne s'est pas emparé aujourd'hui de Roslau, cela me donnera le temps de m'en emparer demain, de bien battre l'armée de Berlin, et de terminer toutes ces affaires-là.--Je suppose que les reconnaissances que vous aurez envoyées sur la route de Halle vous auront enfin donné des nouvelles. Envoyez de fortes reconnaissances dans cette direction.--Marchez de manière à pouvoir surtout secourir Leipzig, et envoyez demander des ordres au roi pour entrer en bataille. Le moment décisif paraît être arrivé: il ne peut plus être question que de se bien battre.--Si vous entendez le canon sur Leipzig, activez votre marche et prenez part à l'affaire.

«Napoléon.»


NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.

«Düben, le 12 octobre 1813,
trois heures et demie après midi.




«Mon cousin, je n'ai point reçu de nouvelles de vous aujourd'hui: j'espère ne pas tarder à en recevoir. Je suppose que vous vous serez placé à quatre lieues de Leipzig.--Nous nous sommes emparés des ponts de l'ennemi sur l'Elbe, et il paraît que l'armée de Berlin s'est portée sur la rive droite.--D'un autre côté, le roi de Naples occupe la position de Grosbern, qu'il a prise ce matin. Je lui mande de la conserver toute la journée de demain 13.--Mon intention est que, si ce prince doit pouvoir conserver cette position, vous partiez à trois heures du matin pour prendre une position sur la route de Dobern, ayant votre gauche à Tachau.--Je me mettrai en marche de Düben, avec la vieille garde, pour vous rejoindre. La division Curial se mettra en marche d'Eulenbourg avec la division Lefebvre, de sorte que demain, vers midi, nous serons soixante-dix mille hommes réunis à portée de Leipzig. Toute mon armée se mettra en mouvement; et, dans la journée du 14, elle sera toute arrivée, et je pourrai livrer bataille à l'armée ennemie avec deux cent mille hommes.--Faites-moi connaître les renseignements que vous auriez de votre côté sur l'armée de Silésie et sur les positions que l'on pourrait prendre contre cette armée, contre l'armée qui viendrait par Halle et par Dessau.--Faites-moi bien connaître la position que vous occuperez, et à quelle heure vous pourrez être rendu à portée de Leipzig.

«Napoléon.»


NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.

«Düben, le 13 octobre 1813,
dix heures du matin.




«Mon cousin, je reçois votre lettre d'aujourd'hui 13, à trois du matin, par laquelle vous m'annoncez que vous serez à huit heures à Hohleim.--Je pense qu'il est nécessaire que vous ne vous massiez en ligne sur la rive gauche de la Partha qu'autant que le roi serait attaqué; mais ce serait une grande faute que de vous porter en ligne sur la rive gauche de la Partha, puisqu'on peut avoir à craindre que Blücher ne vienne à déboucher par Halle ou par quelque autre point. Je pense donc que vous devez reconnaître la position de Brettenfeld et la ligne de la Partha jusqu'à Taucha, et avoir des avant-gardes sur Skindits ainsi que sur la route de Landsberg. Par ce moyen vous vous déploieriez promptement, la gauche à l'Elster et la droite à la Partha, pour recevoir ce qui viendrait par ces chemins. Reconnaissez bien cette position. Ayez trois ponts sur la Partha, pour déboucher rapidement sur la rive gauche s'il en était besoin; mais tenez votre cavalerie dans les directions de Halle et de Landsberg. Battez les routes de Delitzsch et de Düben, afin de maintenir toutes ces communications parfaitement libres.--Toute ma garde arrive ici dans la journée, et je suppose que la tête arrivera aujourd'hui sur Lindenhain ou sur Hohleim.--À mesure que les autres corps d'armée arriveront, on les placera autour de Leipzig, la garde au centre en réserve.--Si vous étiez placé en ligne sur la gauche de la Partha, et qu'il fallût vous porter contre quelque chose qui viendrait du côté de Blücher, cela dérangerait toute la ligne et serait du plus mauvais effet. Il est important que l'armée de Silésie n'approche pas à deux lieues de Leipzig.--Vos trois divisions peuvent être très-espacées, avec les bonnes troupes qui les composent. Le temps de reconnaître la position qu'elles occuperont donnera celui nécessaire pour se mettre à l'abri de toute attaque. Mon intention est que vous placiez vos troupes sur deux rangs au lieu de trois. Le troisième rang ne sert à rien au feu, il sert encore moins à la baïonnette. Quand on sera en colonnes serrées par bataillon, trois divisions formeront six rangs et trois rangs de serre-file. Vous verrez l'avantage que cela aura. Votre feu sera meilleur; vos forces seront tiercées. L'ennemi, accoutumé à nous savoir sur trois rangs, jugera nos bataillons plus forts d'un tiers.--Donnez les ordres les plus précis pour l'exécution de la présente disposition.

«Napoléon.»


LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.

«Düben, le 13 octobre 1813,
une heure du matin.




«Monsieur le duc de Raguse, l'Empereur me charge de vous donner l'ordre d'être rendu aujourd'hui, 13, à sept heures du matin, à trois lieues de Leipzig, et de prendre les ordres du roi de Naples pour votre position, pour entrer en ligne. Ne perdez pas un instant pour exécuter l'ordre de Sa Majesté, et envoyez à l'avance un officier au roi de Naples pour lui faire connaître votre marche.

«Pour le prince vice-connétable, major général,

«Le général de division, chef de l'état-major,

«Comte Monthion


NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.

«Rettuis, le 14 octobre 1813,
six heures du soir.




«Mon cousin, mon quartier général est dans le Koll Garten, au village de Rettuis, sur la gauche de la Partha, à peu près à l'intersection des routes de Taucha et de Wurtzen, à une demi-lieue de Leipzig. Mon officier d'ordonnance Caraman me rend compte que vous prenez position à Stameln, Liebenthal et Brettenfeld. Le général Bertrand a ordre de prendre position, la gauche à Göhlis et la droite à la Partha, couvrant le pont de Schönfeld. Il est ainsi en arrière de votre gauche et vous servira de réserve.--Le duc de Tarente a passé à deux heures après midi le pont de Düben et s'avancera demain sur Leipzig.--Il y a eu aujourd'hui une canonnade assez vive. L'ennemi a été repoussé. Nous occupons Liebertwolkwitz, la droite appuyée à l'Elster. L'ennemi se prolonge sur sa gauche ou sur notre droite.--Toute ma garde, cavalerie, infanterie, artillerie, vient se placer autour de mon logement. Il serait bien convenable de remuer un peu de terre, de faire quelques abatis et de planter des palissades où cela peut être utile.--Je vous envoie une relation de la bataille de Gustave-Adolphe qui traite des positions que vous occupez.

«Napoléon.»


LE MARÉCHAL MACDONALD AU MARÉCHAL MARMONT.

«Lindenhain, le 14 octobre 1813,
dix heures et demie du soir.




«Son Altesse le major général m'informe de votre position et de celles que l'armée a prises ce soir. Je me mettrai en marche à deux ou trois heures du matin, suivi du prince de la Moskowa. Dans le cas où l'ennemi déboucherait en grande force sur moi par Delitzsch, et que, sans compromettre le onzième corps, je ne pourrais lui faire face, j'appuierai à gauche pour passer la Partha sur l'un des ponts que m'indique le major général. Le deuxième corps de cavalerie et les deux divisions du premier arriveront, j'espère, à temps pour flanquer ma droite. Je suis instruit que vous devez envoyer au-devant de moi. Je serai fort aise d'avoir de vos nouvelles et de ce que vous aurez vu ou appris.

«Le maréchal duc de Tarente,

«Macdonald


NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.

«Reudnitz, près Leipzig, le 15 octobre 1813,
dix heures du soir.




«Mon cousin, les rapports de la ville sont que le prince royal est à Mersebourg. On croit ce soir voir beaucoup de feux à Markranstadt, ce qui me ferait supposer que la force de l'ennemi ne se présenterait pas sur le chemin de Halle à Leipzig, mais sur celui de Weissenfels à Leipzig, d'où il se joindrait par Zwickau ou Pégau à l'armée de Bohême. Il est indispensable que vous ayez un officier sur la tour de Lindenau, et que vous en envoyiez un autre à la tour de Leipzig pour y lorgner à la pointe du jour.--Je suis fâché que vous n'ayez pas poussé une reconnaissance jusqu'à Schkenditz.--Il est bien nécessaire que tout votre corps ne reste pas dans la situation où il se trouve si l'ennemi attaquait ailleurs.

«Napoléon.»


LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.

«Reudnitz, le 15 octobre 1813,
onze heures du soir.




«Monsieur le maréchal duc de Raguse, l'Empereur est surpris que vous ne soyez pas encore en communication avec le général Bertrand. Ce général est depuis hier au soir de bonne heure à Eustritz.--L'Empereur livre demain bataille à l'armée autrichienne, à la hauteur de Liebertwolkwitz, où le quartier général de l'Empereur sera demain 16, à sept heures du matin. Si vous n'avez que de la cavalerie ou peu d'infanterie devant vous, poussez-la loin et tenez-vous prêt à joindre l'Empereur. Le général Bertrand serait suffisant pour garder la position de ce côté si toute l'armée de Silésie ne débouche pas par là. Dans le cas contraire, le corps du prince de la Moskowa est à Mokau, et, si l'ennemi débouchait devant vous en grande force, votre corps, celui du général Bertrand et celui du prince de la Moskowa sont destinés à lui être opposés 10.

«Le prince vice-connétable, major général,

«Alexandre

Note 10: (retour) Cette disposition était parfaitement sage et conforme à la raison; et c'est quand m'est parvenu le rapport des sapeurs échappés de Halle, qui m'annonçait la marche décidée de l'armée; quand le rapport du 15, à neuf heures du soir, fait connaître que l'infanterie prussienne est en face des avant-postes, et que la vue des feux prouve que toute l'armée ennemie est en présence, que, le 16 au matin, l'ordre est donné au quatrième corps de marcher sur Lindenau, et au troisième, de venir à la grande armée.(Note du duc de Raguse.)

LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.

«Reudnitz, le 16 octobre 1813,
huit heures du matin.




«L'Empereur vient d'ordonner au prince de la Moskowa de se tenir dans la journée près de Leipzig, ayant sous ses ordres le sixième corps, le quatrième, le troisième, les divisions Lorge, Defrance et Fournier. Prenez en conséquence les ordres de ce prince. Si ce matin on n'avait point aperçu d'armée débouchant par Halle, comme tout porte à penser qu'on n'a rien vu, vous repasserez le pont de Leipzig et viendrez vous mettre en bataille entre Leipzig et Liebertwolkwitz, vos trois divisions en échelons, et vous, vous resterez à une demi-lieue sur la grande route de Leipzig à Liebertwolkwitz, dans une maison où vous établirez votre quartier général. Vous enverrez un aide de camp auprès de l'Empereur, afin qu'on puisse vous retrouver et vous mettre rapidement en marche si cela paraît nécessaire à Sa Majesté pour prendre part à la bataille, ou pour vous porter dans la ville ou pourvoir à tout événement imprévu.

«Vous attendrez, pour l'exécution de ces dispositions, les ordres du prince de la Moskowa.

«Le prince vice-connétable, major général,

«Alexandre


NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.

«16 octobre 1813, trois heures du matin.



«Mon cousin, je reçois votre lettre du 15 octobre à neuf heures du soir. Je ne tiens pas pour certain que le bataillon qui était à Hanicher se soit replié devant de l'infanterie. Il paraît, au contraire, qu'il n'avait devant lui que de la cavalerie. Il eût été convenable que vous fissiez soutenir ce bataillon sur Hanicher, pour avoir des prisonniers. Il n'est pas dans les règles qu'une reconnaissance de l'ennemi qui n'est pas soutenue par un camp puisse s'approcher et reconnaître notre camp. L'instruction que vous aviez donnée pour que ce bataillon se repliât s'il trouvait l'ennemi en corps d'armée a reçu une mauvaise application, puisque votre troupe s'est retirée sans que l'ennemi se soit présenté en corps de bataille. Avec cette manière de faire la guerre, il est impossible de rien apprendre. Vous auriez dû, depuis deux jours, envoyer des espions à Halle et à Mersebourg, et faire ce qui est d'usage à la guerre, en ordonnant au bourgmestre de vous donner un paysan, dont on retient la femme en otage, et en envoyant avec ce paysan un soldat déguisé comme domestique qui le suive dans sa mission 11. Cela réussit sur tous les points; mais vous n'employez aucune des précautions dont on se sert à la guerre. Comment, depuis deux jours, avec trente mille hommes, n'avez-vous fait aucun prisonnier 12? Le fait est que votre corps est un des plus beaux de l'armée, qu'il est en bataille contre rien, et que vous manoeuvrez comme si vous aviez, à une lieue et demie de vous, une armée campée, tandis qu'il est clair qu'avant-hier et hier vous n'avez vu personne.

«Napoléon.»

Note 11: (retour) Les sapeurs français échappés et arrivés le 15 donnaient de meilleurs renseignements que ceux des paysans. (Note du duc de Raguse.)
Note 12: (retour) Comment faire des prisonniers à quatre ou cinq mille hommes de cavalerie qui nous entouraient, quand on a moins de mille à douze cents chevaux? (Note du duc de Raguse.)

NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.

«Reudnitz, le 16 octobre 1813,
six heures du matin.




«Mon cousin, il me paraît que rien n'annonce que l'ennemi veuille déboucher par Halle, et qu'il n'y a là qu'un corps de cavalerie. Il paraît douteux qu'on ait vu hier, comme on le prétend, quelques bataillons d'infanterie.--À la rentrée des reconnaissances, ce matin, cela sera entièrement vérifié, et, comme je vais faire attaquer les Autrichiens, je pense qu'il est convenable que vous passiez la ville au pont de la Partha, dans le faubourg et que vous veniez vous placer en réserve, à une demi-lieue de la ville, entre Leipzig et Liebertwolkwitz, vos divisions en échelons. De là vous pourrez vous porter sur Lindenau, si l'ennemi faisait une attaque sérieuse de ce côté, ce qui me paraîtrait absurde. Je vous appellerai à la bataille, aussitôt que je verrai la force de l'ennemi et que je serai certain que l'ennemi s'engage.--Enfin vous pourrez vous porter au secours du général Bertrand qui placera des postes sur votre position, si, ce qui n'arrivera probablement pas, une armée ennemie pouvait paraître sur le chemin de Halle.--Il faudra vous tenir, de votre personne, sur la grande route, hors de la ville. Il faudra laisser la division Lorge au général Bertrand, afin que cette division, soutenue par l'infanterie du général Bertrand, occupe toujours vos postes avancés.

«Napoléon.»


LE MARÉCHAL MARMONT AU MAJOR GÉNÉRAL.

«19 octobre 1813.



«Monseigneur, la part qu'a prise le sixième corps d'armée aux batailles des 16 et 18 octobre, devant Leipzig, étant de nature à mériter l'intérêt de Sa Majesté, je crois de mon devoir de vous en adresser le rapport.

«Le sixième corps était placé, depuis plusieurs jours, à Liebenthal, chargé d'observer les mouvements de l'ennemi, qui pourrait déboucher de ce côté. Le 16, au matin, Sa Majesté étant dans l'intention d'attaquer l'ennemi, et aucun corps d'armée considérable ne s'étant encore montré devant moi, je reçus l'ordre de me rapprocher de Leipzig, afin, tout en le couvrant, d'être plus à même de prendre part, s'il y avait lieu, au combat qui devait se livrer de l'autre côté de cette ville. Je mis en marche mes équipages, et bientôt après mon corps d'armée s'ébranla.

«À peine mon mouvement était-il commencé, que de grosses masses de troupes ennemies débouchèrent par les routes de Halle et Gandsberg.

«Il était trop tard, et j'étais trop faible, pour occuper la position de Liebenthal. En conséquence, je continuai ma marche sur Leipzig, en soutenant mon mouvement par une vive canonnade. L'ennemi nous suivit avec activité, en ne montrant toutefois que des forces qui n'étaient pas trop supérieures aux miennes.

«J'avais deux partis à prendre: ou continuer ma marche et passer par le défilé de Leipzig, sous le feu et les efforts de l'ennemi, avec tous les désavantages que le terrain comporte, ou de faire face à l'ennemi.

«J'y fus d'autant plus décidé, que je reçus plusieurs fois du prince de la Moskowa l'assurance que la disposition ordonnée par Sa Majesté pour que le troisième corps me soutint était exécutée, et qu'il marchait à mon secours. Je m'arrêtai donc; je fis face à l'ennemi, j'occupai la position qui à sa droite au ruisseau d'Eutritz et sa gauche à l'Elster, au village de Meckern, et je me préparai à combattre, soutenu par près de cent pièces de canon.

«L'armée ennemie marcha à moi avec rapidité. Ses forces semblaient sortir de dessous terre; elles grossirent à vue d'oeil: c'était toute l'armée de Silésie.

«L'attaque de l'ennemi se dirigea d'abord sur le village de Meckern. Ce village fut attaqué avec vigueur, et l'ennemi supporta tout le feu de mon artillerie. Il fut défendu de même par les troupes de la deuxième division, sous les ordres du général Lagrange. Le 2e régiment d'artillerie de marine, qui était chargé de ce poste, y mit vigueur et ténacité; il conserva ce village pendant longtemps, le perdit et le reprit plusieurs fois. Mais l'ennemi redoubla d'efforts et envoya de puissants secours, ne s'occupant que de ce point. Alors je fis exécuter un changement de front oblique par brigade, ce qui forma immédiatement six lignes en échelons, qui étaient également bien disposées pour soutenir ce village, où paraissait être toute la bataille.

«Le 37e léger et le 4e régiment de marine furent successivement portés sur ce village; ils le reprirent et le défendirent avec tout le courage qu'on pouvait attendre d'aussi bonnes troupes.

«Le combat se soutenait avec le même acharnement depuis trois heures, et l'ennemi avait fait des pertes énormes par l'avantage que nous donnait la position de notre artillerie pour écraser ses masses. Mais de nouvelles forces se présentaient sans cesse et renouvelaient les attaques. Une explosion de quatre caissons de douze, qui eut lieu à la fois, éteignit pour un instant le feu d'une de nos principales batteries, et, en ce moment, l'ennemi faisait une charge décisive.

«J'engageai alors les troupes de la première division, qui formaient les échelons du centre, pour soutenir les troupes engagées et combattre l'ennemi, qui taisait un mouvement par son centre.

«Le combat prit un nouveau caractère, et nos masses d'infanterie se trouvèrent en un moment à moins de trente pas de l'ennemi. Jamais action ne fut plus vive. En peu d'instants, blessé moi-même et mes habits criblés, tout ce qui m'environnait périt ou fut frappé.

«Les 20e et 25e régiments provisoire, commandés par les colonels Maury et Drouhot, se couvrirent de gloire dans cette circonstance. Ils marchèrent à l'ennemi et le forcèrent à plier; mais, accablés par le nombre, ces régiments furent obligés de s'arrêter, en parvenant toutefois à se soutenir dans leur position. Le 32e léger fit aussi des prodiges. Les troupes de la troisième division, qui formaient les derniers échelons, prirent part au combat, autant pour soutenir les troupes qui étaient engagées que pour résister à quelques troupes que l'ennemi faisait marcher par sa gauche.

«Les choses étaient dans cette situation, et le troisième corps, dont l'arrivée eût été si décisive, ne paraissait pas, lorsque l'ennemi précipita six mille chevaux sur toutes nos masses, qui étaient déjà aux prises à une si petite distance avec l'infanterie ennemie.

«Notre infanterie montra en général beaucoup de sang-froid et de courage. Mais plusieurs bataillons des 1er et 3e régiments de marine, qui occupaient une position importante, plièrent, ce qui força nos masses à se rapprocher pour se mieux soutenir. L'ennemi fit de nouveaux efforts qui furent repousses avec un nouveau courage, et l'infanterie combattit à la fois contre l'infanterie et la cavalerie ennemie, et repoussa toujours de nouvelles attaques jusqu'à la nuit.

«Alors je réunis mes troupes, et je pris position à Entritz et à Göhlis.

«Ainsi, les troupes du sixième corps ont résisté, pendant cinq heures, à des forces quadruples, et la victoire eût été le prix de nos efforts, malgré la disproportion des forces, si les ordres que Sa Majesté avaient donnés pour le secours à m'envoyer eussent été exécutés.

«J'ai eu dans cette circonstance extrêmement à me louer des généraux et officiers supérieurs, mais je dois faire une mention particulière du général Lagrange, qui a beaucoup combattu au commencement de l'action, et du général Cohorn, qui a soutenu tous les efforts de l'ennemi à la fin de la journée. Nous avons fait de grandes pertes, mais l'ennemi en a dû faire d'énormes. Des prisonniers, faits depuis, les portent à dix mille hommes.

«Le lendemain matin, je repassai la Partha pour me lier à l'armée. Le 17 fut employé à réparer le désordre qu'une affaire aussi chaude avait dû nécessairement causer, et à mettre les troupes en état de combattre.

«Le 18 au matin, le sixième corps était concentré dans les environs de Schönfeld, observant par des détachements les bords de la Partha, défendant les gués et les différents passages. L'ennemi avait manoeuvré pendant la nuit pour se porter sur Taucha. Il y passa la Partha, et descendit cette rivière. Lorsqu'il fut à la hauteur de Neutsch et de Naundorf, les postes qui défendaient ces passages se replièrent sur moi, et j'établis ma ligne, la gauche à Schoenfeld, la droite dans la direction du village de Paunsdorf.

«Mais la défection des Saxons ayant forcé le général Régnier à évacuer Paunsdorf, et à se rapprocher de Leipzig, je pris une nouvelle ligne, la gauche à Schoenfeld, la droite dans la direction du village de Wolkmansdorf, et, après avoir fait établir mes masses en échiquier et border leur front de toute mon artillerie, j'attendis l'ennemi sans inquiétude.

«À l'armée de Silésie, que j'avais combattue l'avant-veille, se trouvait réunie l'armée suédoise; mais, cette fois, j'étais soutenu par le troisième corps qui fournit même une division, commandée par le général Delmas, pour compléter ma ligne.

«L'ennemi déploya devant nous cent cinquante bouches à feu, en même temps qu'il fit attaquer le village de Schoenfeld avec la plus grande vigueur. Sept fois l'ennemi parvint à s'emparer de la plus grande portion de ce village, et sept fois il en fut chassé. C'était encore la division commandée par le général Lagrange, et un détachement de la troisième, qui eurent la gloire de la défense de ce village, et jamais troupes ne se sont comportées d'une manière plus héroïque, car elles comptaient pour rien le nombre de leurs ennemis.

«Les troupes de la troisième division, qui occupaient la ligne en plaine, furent exposées au feu de mitraille le plus épouvantable, sans imaginer, pendant neuf heures, de faire un pas rétrograde. À la fin de la journée, notre artillerie démontée et nos munitions épuisées permirent à l'ennemi d'approcher tellement son immense artillerie, que la position n'était plus tenable, ce qui força à prendre position un peu en arrière. Mais l'artillerie du troisième corps arriva, et la division Ricard se porta rapidement à la position que nous venions de quitter, et chassa une huitième fois l'ennemi du village de Schoenfeld. Ainsi finit cette glorieuse journée.

«Je ne connais pas d'éloges dont ne soient dignes des troupes aussi braves, aussi dévouées, et qui, malgré les pertes qu'elles avaient éprouvées l'avant-veille, n'en combattaient pas avec moins de courage.

«Notre perte dans cette journée a été considérable. Elle a consisté particulièrement en officiers généraux. Le général Richemont, mon chef d'état-major, a été tué à mes côtés. Les généraux Delmas, Friederich et Cohorn ont été blessés mortellement. Les généraux Compans, Pelleport et Choisy l'ont été d'une manière moins grave. Mon sous-chef d'état-major, quatre de mes aides de camp, et cinq officiers de mon état-major ont été tués ou blessés.

«Et, dès ce moment, je dois faire une mention particulière du courage et du zèle que les colonels Denis de Damrémont et Fabvier, employés près de moi, ont montrés.»


LE MARÉCHAL MARMONT À NAPOLÉON.

«20 octobre 1813.



«Sire, je supplie Votre Majesté de me permettre de lui exprimer la vive affliction que j'ai éprouvée à la lecture de son bulletin du 19, qui vient de me parvenir.--Sire, tout ce qui est relatif à la défense de Schoenfeld et de toute la plaine, jusqu'à la hauteur en arrière de Paunsdorf, le 18 octobre, m'appartient tout entier, tant pour la disposition des troupes que pour leur commandement sur le champ de bataille, et non au prince de la Moskowa, auquel Votre Majesté attribue les succès obtenus.--Il a paru à peine en tout dix minutes sur ce point. J'ai été personnellement dix heures sous la mitraille de l'ennemi par la nécessité des circonstances, parce que c'était seulement en payant de sa personne et par la présence du chef qu'un aussi petit nombre d'hommes que celui que j'avais pouvait résister à des forces aussi supérieures que celles qui étaient devant moi. C'est ce jour-là, Sire, que tout ce qui m'environnait a péri.--Jamais, à aucune époque de ma vie, je ne vous ai servi avec plus de dévouement que dans cette occasion.--Il n'y a pas un soldat du sixième corps qui ne puisse l'attester; et cependant Votre Majesté n'a pas daigné prononcer mon nom dans le récit de cette glorieuse journée.--Sire, après l'humiliation et le danger plus grand encore d'être sous les ordres d'un homme tel que le prince de la Moskowa, je ne vois rien de pire que de se voir aussi complétement oublié en pareille circonstance.

«L'objet de mes affections et de mes voeux est d'obtenir votre bienveillance; et Votre Majesté ne saurait me refuser sa justice.»


LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.

«Ollendorf, le 22 octobre 1813,
onze heures et demie du soir.




«Monsieur le duc de Raguse, l'intention de l'Empereur est que, avec les troisième, sixième et septième corps d'armée, vous continuiez, demain 23, votre mouvement sur Erfurth, pour prendre position sur les hauteurs, en arrière de la forteresse. Ayez soin d'envoyer à l'avance un officier pour reconnaître la position que vous devrez occuper.

«Le prince vice-connétable, major général,

«Alexandre


LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.

«Ollendorf, le 22 octobre 1813,
onze heures et demie.




«Je donne l'ordre au général Sébastiani de flanquer la marche de l'armée, et de protéger ce qui passera entre vous et le duc de Reggio.

«Le prince vice-connétable, major général,

«Alexandre


LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.

«Erfurth, le 24 octobre 1813,
deux heures du matin.




«L'intention de l'Empereur est que vous placiez vos corps dans des villages plus près d'Erfurth, afin de bien vous rallier ce matin et de prendre les effets d'habillement et d'armement dont vous pouvez avoir besoin.

«Le prince vice-connétable, major général,

«Alexandre.

«P. S. Faites-moi connaître le nom des villages où vos corps seront placés.»


LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.

«Gotha, le 25 octobre 1813.



«Monsieur le maréchal duc de Raguse, l'Empereur ordonne que vous partiez demain à deux heures du matin pour vous rendre à Eisenach. Vous y prendrez une position militaire pour soutenir la ville et le général Sébastiani, qui a beaucoup de cavalerie ennemie en présence, et vous vous tiendrez prêt à aller plus loin du côté de Berka.

«Le prince vice-connétable, major général,

«Alexandre


ORDRE POUR M. LE DUC DE RAGUSE.

«Rothenbergen, le 30 octobre 1813.



«Les bagages et tous les parcs d'artillerie de l'armée se rendront d'ici à Langenselbold, de là à Hochstädt, passant par Bruckobel, et de là, d'après les nouvelles que l'on aura, ils se dirigeront sur Francfort ou sur Bergen. Tous les isolés et blessés, tous les chevaux blessés, les hommes de cavalerie, non combattants à leur régiment, suivront la même route. Le duc de Padoue, avec le troisième corps de cavalerie, marchera en tête de cette colonne et la dirigera.

«MM. les maréchaux commandant en chef les corps d'armée, le général Sorbier, le général Rogniat, le général Dulauloy, le général Nansouty, commandant en chef la cavalerie, le directeur général de l'administration de l'armée, et enfin tous chefs d'autorité militaires ou d'administration, feront exécuter, chacun en ce qui le concerne, les dispositions ci-dessus. M. le général Radet est spécialement chargé et responsable de l'exécution de cet ordre. Il placera des postes de gendarmerie en conséquence, de manière qu'il n'y ait que l'artillerie active des corps d'armée et les combattants qui suivent la grande route de Hanau, et que tout le reste prenne la route indiquée dans l'ordre ci-dessus. M. le général Radet fera mettre deux poteaux avec des écriteaux.

«Le prince vice-connétable, major général,

«Alexandre


LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.

«Au camp, quatre heures du matin.



«Monsieur le duc de Raguse, j'ai remis à l'Empereur le petit croquis que vous m'avez envoyé de votre position. Sa Majesté fait demander si, ce matin, vous pouvez attaquer la ville de Hanau de votre côté. Pouvez-vous passer le pont de bois?

«Le prince vice-connétable, major général,

«Alexandre

«P. S. Nous avons jeté toute la nuit des obus dans la ville.»


LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.

«À une lieue en avant de Hanau,
le 31 octobre 1813, dix heures et demie.




«Monsieur le duc de Raguse, l'officier d'état-major que je vous ai envoyé arrive. L'Empereur me charge de vous dire de continuer à canonner l'ennemi avec toute votre artillerie.

«Le prince vice-connétable, major général,

«Alexandre


LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.

«Au bivac, devant Hanau, le 31 octobre 1813.



«Monsieur le maréchal duc de Raguse, l'ennemi a évacué Hanau, le duc de Bellune et le duc de Castiglione partent pour Francfort; vous laisserez au pont les troupes nécessaires pour contenir l'ennemi. Le général Bertrand a ordre d'occuper Hanau; concertez-vous avec lui, et, lorsqu'il se sera emparé des positions, continuez votre mouvement sur Francfort.

«Le prince vice-connétable, major général,

«Alexandre

«P. S. Le général Bertrand pourra remplacer les troupes que vous avez au pont de bois: concertez-vous avec lui.»


LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.

«Francfort, le 31 octobre 1813.


«Vous pouvez prendre position en avant du faubourg de Hanau; vous ferez prendre pour deux jours de vivres à Francfort, et à cet effet vous enverrez des corvées en règle dans la ville pour recevoir cette distribution.

«Le prince vice-connétable, major général,

«Alexandre


LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.

«Francfort, la 1er novembre 1813, trois
heures et demie du matin.




«L'Empereur ordonne qu'avec les troisième et sixième corps d'armée vous vous portiez à Höchst, que vous y passiez la Nidda et que vous preniez position jusqu'à nouvel ordre sur cette rivière. Mettez-vous en mouvement à six heures du matin.

«Le prince vice-connétable, major général,

«Alexandre

«P. S. Faites partir les isolés et les voitures qui peuvent être autour de vous.»


NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.

«Mayence, le 2 novembre 1813.



«Mon cousin, je reçois votre lettre; vous n'avez envoyé, ni à moi, ni à l'état-major, aucune relation des batailles du 16 et du 18: ce que vous auriez dû faire.

«Napoléon.»


LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.

«Höchst, le 2 novembre 1813,
une heure et demie du matin.




«Vous tiendrez la position que vous occupez sur la Nidda, à Höchst, jusqu'à l'arrivée du général Curial, c'est-à-dire de la première de ses divisions; ensuite vous vous mettrez en route avec votre corps pour vous rendre à Mayence. Le général Sébastiani a l'ordre de flanquer la droite de la route d'ici à Mayence. Vous remettrez la garde des ponts à ce général.

«Le prince vice-connétable, major général,

«Alexandre


FIN DU TOME CINQUIÈME.



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