Mémoires du maréchal Marmont, duc de Raguse (5/9)
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Bautzen, le 6 septembre 1813, neuf heures du matin.
«Monsieur le duc de Raguse, l'Empereur ordonne que vous portiez, aujourd'hui 6, votre quartier général à Hoyerswerda. Vous échelonnerez votre corps entre Bautzen et Hoyerswerda. Vous prendrez sous vos ordres la brigade de cavalerie légère du général de Piré.
«Le cinquième corps de cavalerie, commandé par le général Lhéritier, qui est à Grossenhayn, et qui est fort d'environ deux mille cinq cents chevaux, se joindra à vous et sera également sous vos ordres, ce qui vous fera quatre mille chevaux.
«Le général Normann a deux bataillons de votre corps et six cents chevaux qui se sont reposés à Hoyerswerda; donnez lui l'ordre de pousser sur-le-champ à une marche sur le chemin de Lukau, afin d'éclairer ce qui se trouve à Sonnewald et à Kalau.
«L'intention de l'Empereur, monsieur le duc, est que vous manoeuvriez pour battre et détruire un corps de sept à huit mille hommes d'infanterie prussienne qu'on dit se trouver à Sonnewald. Il est nécessaire que vous mainteniez toujours vos communications avec Bautzen pour recevoir des nouvelles, puisque toutes les opérations sont subordonnées à ce que l'ennemi ferait sur Dresde.
«Votre ligne d'opérations doit être d'Hoyerswerda sur Dresde.
«Le prince vice-connétable, major général,
«Alexandre.»
LIVRE DIX-HUITIÈME
1813
Sommaire.--Opérations sur la route de Berlin.--Combat de Grossbeeren (23 août).--Retrait d'Oudinot sur Wittenberg.--Le maréchal Ney remplace le maréchal Oudinot.--Opérations en Silésie sous les ordres du duc de Tarente.--Combat de la Katzbach.--Belle défense de la division Puthod.--L'Empereur se porte au secours de l'armée de Silésie.--Retour de l'Empereur à Dresde.--Revers du maréchal Ney en Prusse.--Retraite de l'armée de Silésie sur Dresde.--Entretien du duc de Raguse avec l'Empereur.--Opération des diverses armées pendant le mois de septembre.--Manoeuvres du sixième corps pour couvrir Leipzig.--L'ennemi prend l'offensive (2 octobre).--Napoléon forcé de déplacer le théâtre de la guerre.--Conversation de l'Empereur avec Marmont.--Manoeuvres autour de Leipzig.--Erreur de Napoléon.--Mouvement rétrograde du sixième corps.--Bataille de Leipzig.--Journée du 17 octobre.--Marmont blessé.--Pertes du sixième corps.--Journée du 18 octobre.--Défection de la cavalerie wurtembergeoise et de l'armée saxonne.--Le sixième corps chargé de défendre Leipzig.--Évacuation de la ville.--Destruction prématurée du pont sur l'Elster.--Retraite sur Weissenfels. Les fricotteurs.--Combat de Hanau, 30 octobre.--Entrée à Mayence, 2 novembre 1813.
Il faut maintenant rendre un compte succinct de ce qui s'était passé en Silésie et dans la direction de Berlin. On se rappelle la passion qui animait l'Empereur contre la Prusse, et son désir de se venger d'elle sans retard. Il avait donné l'ordre au duc de Reggio, dont l'armée était composée des quatrième, septième et douzième corps, et du troisième de cavalerie, de marcher sur Berlin, aussitôt après l'ouverture de la campagne. Mais cette tâche était au-dessus de la portée du chef qu'il avait choisi. Oudinot, homme excellent et brave soldat, était peu propre au commandement en chef d'une armée nombreuse. Il ne possédait pas la force d'esprit nécessaire pour conduire une opération combinée, dont la durée doit embrasser plusieurs jours.
À l'expiration de l'armistice, Oudinot réunit son armée à Dahme, et s'avança sur Baruth. Le 19, il prit position entre Baruth et Lackenwald, et y séjourna le 20. Toutes les troupes alliées en présence étaient éparpillées et cantonnées jusqu'à Berlin et Postdam. Une seule brigade de quatre bataillons, commandée par le général de Thümeu, les couvrait contre l'armée française. Le 21, Oudinot continua son mouvement; le quatrième corps opérant à droite, se dirigeant sur Sperenberg et Saalow; le septième, au centre, par le bois de Kummersdorf, sur Ludersdorf et Gatzdorf, vers Christinendorf, et le douzième, à gauche, par Goltow, à Scharfenbrück sur Trebbin.
Les Prussiens se retirèrent sur le défilé de Thyrow, après un double combat qui mit le septième corps en possession du village de Nunsdorf, et le quatrième de celui de Mellen. Dans la nuit du 21 au 22, l'armée française était placée de la manière suivante: le quatrième corps à Dergiscow; le septième, à Nunsdorf et Christinendorf, et le douzième, à Trebbin.
En avant de cette position, les marais à traverser offrent trois passages: 1° celui de Juhnsdorf; 2° celui de Wittstock; 3° celui de Thyrow.
Le 22, le septième corps attaqua Wittstock, et s'en empara. Le quatrième s'approcha de Juhnsdorf et l'occupa après la retraite de l'ennemi. Le douzième corps resta en réserve. Le 23, le quatrième corps débouche et marche sur Blankenfeld; mais, après une faible attaque, il se replie sur Juhnsdorf. Au même moment, et pendant que le quatrième corps se replie, le septième se porte en avant, débouche des bois, et occupe Grossheeren. Les Prussiens, concentrés en arrière de ce village, et en échelons jusqu'à Heimersdorf, n'hésitèrent pas à profiler de l'occasion que leur offrait le mouvement isolé, et en pointe, de ce corps. Ils étaient devenus libres de leur mouvement sur leur gauche par la retraite du quatrième corps, et sur leur droite par le retard de l'arrivée du douzième. En conséquence, ils accablèrent le septième corps, qui avait été jeté ainsi, seul et imprudemment, loin de ses appuis. Ils le forcèrent à une retraite précipitée. Heureusement la tête du douzième corps arriva enfin au secours du septième. Elle le protégea dans sa retraite et contribua à le sauver d'un imminent péril. Le soir, toute l'armée française se trouva ainsi reportée en arrière des défilés, et couverte par les marais qu'elle avait franchis pour attaquer.
Dès ce moment, le duc de Reggio mit son armée en retraite, se rapprochant de l'Elbe par des mouvements successifs. Il vint prendre position à peu de distance, en avant de Wittenberg, où il arriva le 4 septembre. Le combat de Grossbeeren n'avait coûté à l'armée française qu'une perte de treize pièces de canon, et quinze cents prisonniers saxons, c'est-à-dire peu de chose pour une armée de plus de quatre-vingt mille hommes. C'était s'avouer, à bon marché, incapable de tenir la campagne.
L'armée ennemie, composée en très-grande majorité de Prussiens, était commandée par les généraux Bulow, Fauentzien, Woronzoff et Czernicheff, sous les ordres du prince royal de Suède. Sa force pouvait s'élever à cent mille hommes. Elle était remplie de cet enthousiasme national qui, pendant cette guerre, caractérisa d'une manière particulière les troupes prussiennes. L'armée française était inférieure de dix mille hommes. Composée en partie de Saxons et d'Italiens, elle était loin de posséder le même esprit. Cependant, si, au début de la campagne, Oudinot eût agi avec plus de vigueur et de célérité, il eût surpris l'ennemi dispersé pour vivre. Il aurait pu le battre en détail et arriver à Berlin; mais l'incertitude et l'incorrection des mouvements présidèrent aux premières opérations.
Napoléon, mécontent d'un semblable résultat, confia cette armée à un autre chef, qui eut l'ordre d'attaquer l'ennemi sans retard. Le maréchal Ney, chargé de remplacer le maréchal Oudinot, exécuta cet ordre de marcher en avant; mais il le fit d'une manière inconsidérée. Un homme raisonnable ne peut trouver l'explication satisfaisante des mouvements qu'il ordonna. Oudinot avait péché par un peu de timidité et d'incertitude; mais au moins il avait agi avec calcul et prudence; son armée était encore intacte quand il la quitta. En peu de jours, il en fut tout autrement sous son nouveau chef.
Pendant ces événements, la grande armée ennemie, battue devant Dresde, s'était retirée en Bohême, après avoir échappé, par le succès inopiné de Culm, à une destruction qui semblait devoir être certaine; mais, en même temps, l'armée de Silésie, dont il me reste à parler, éprouvait un de ces grands revers dont la série ne devait plus être interrompue pendant le reste de la campagne.
Napoléon, en quittant la Silésie, et en partant le 24 pour Dresde, avait laissé le commandement de l'armée française au maréchal duc de Tarente. Cette armée, diminuée du sixième corps que Napoléon emmenait avec lui, restait composée des troisième, cinquième et onzième corps d'armée, et du deuxième corps de cavalerie. Elle s'élevait à quatre-vingt mille hommes environ. Réunis autour de Goldsberg, les troisième et cinquième corps étaient en avant de cette ville; le onzième, et la cavalerie du général Sébastiani, en arrière.
Le général Blücher se décida à reprendre sur-le-champ l'offensive, et, dès le 25, il mit ses colonnes en mouvement. Le corps de Langeron fut dirigé sur Goldsberg pour observer l'armée française; celui de York resta à Jauer, et celui du général Sacken marcha sur Malitsch, dans la direction de Liegnitz. De son côté, le duc de Tarente, résolu d'attaquer l'ennemi qu'il supposait toujours réuni à Jauer, mit en marche ses corps d'armée de la manière suivante: le cinquième corps eut l'ordre de se porter en avant par Hennersdorf, à l'exception de la division Puthod, qui reçut celui de marcher sur Schönau, et de là sur Jauer. Le troisième corps dut passer la Katzbach, près de Liegnitz, et suivre la grande route par Neudorf et Malitsch. Le onzième corps eut pour instruction de passer au gué de Schmogwitz et de remonter la rive droite de la Wüthende-Neisse par Brechelshof. Enfin la cavalerie de Sébastiani reçut l'ordre de passer par Kroitsch et Nieder-Crayn, en suivant la rive gauche de la Wüthende-Neisse.
Tous ces mouvements eurent lieu le 26. Or, ce jour-là même, l'armée de Blücher continuait son mouvement offensif. Sacken et York devaient passer la Katzbach au-dessus de Liegnitz, et attaquer ainsi la gauche de l'armée française en la tournant. Une pluie épouvantable, qui tombait depuis plusieurs jours, avait grossi les rivières et les ruisseaux, et en avait fait déborder plusieurs. Enfin le temps était obscur et les mouvements incertains. Le onzième corps, après avoir passé la Katzbach, se trouva inopinément en face des corps de Sacken, marchant dans la direction de Eichholtz, et de York, occupant les hauteurs de Bellwitzhof. Le corps de Langeron était attaqué, de son côté, par le cinquième corps, qui débouchait de Goldsberg. En ce moment, le troisième corps, ayant reçu ses ordres de mouvement trop tard, se trouvait en arrière. Voulant réparer le temps perdu, il se dirigea sur le gué de Kroitsch pour y passer la rivière; mais sa marche se trouva contrariée par le mouvement de la cavalerie, dont la direction croisait la sienne, et il y eut un grand encombrement et une grande lenteur dans le mouvement, causé par cette rencontre au village de Kroitsch. La gauche du onzième corps, se trouvant ainsi sans appui, l'ennemi se hâta de la tourner par une nombreuse cavalerie. Elle fut ainsi vivement pressée, tandis que la division Horn, la division du prince de Mecklembourg du corps de York, et la division de Hunneberg, en face de Schlaupe, observaient l'autre rive de la Wüthende-Neisse. La gauche du onzième corps ne put être que faiblement soutenue par la cavalerie, qui, d'abord arrêtée, ainsi que je l'ai dit, par la rencontre du troisième corps, et ensuite par le défilé de Nieder-Crayn, où tout se trouvait pêle-mêle, arrivait seulement par détachement et ne pouvait agir que par des efforts partiels et impuissants. À la nuit, le onzième corps fut obligé de céder à la fois de tous les côtés. Une seule division du troisième corps avait pu entrer en ligne. Il se trouva ainsi que le duc de Tarente n'avait opposé que trente-deux mille combattants à l'ennemi, qui lui en avait présenté plus de cinquante mille. Une division du troisième corps, débouchant par Nieder-Crayn, voulut arrêter la poursuite; mais elle fut culbutée par les Prussiens, qui s'emparèrent du défilé, prirent le parc d'artillerie du onzième corps et tous ses bagages.
Le duc de Tarente, n'ayant d'autre retraite que sur la Katzbach, et le gué de Schmogwitz, fit rétrograder les deux divisions du troisième corps qui n'avaient pu entrer en ligne. Elles passèrent ce gué et gravirent les hauteurs au pied desquelles coule la Katzbach, pendant que le onzième corps, acculé à la rivière, soutenait un combat inégal.
Pendant la nuit, tout le reste de l'armée repassa la Katzbach. La gauche se rallia à Liegnitz et se retira sur Buntzlau. Le cinquième corps, attaqué le 27 devant Goldsberg par le corps de Langeron, fut forcé à la retraite. Dépourvu de cavalerie pour protéger son mouvement, il perdit dix-huit pièces de canon. Il arriva le soir à la hauteur de Löwenberg. Le 28, il repassa le Bober à Buntzlau avec les troisième et onzième corps. Les pluies avaient tellement enflé cette rivière, que ce point était le seul où il fût possible de la franchir.
Dans les dispositions offensives faites par le duc de Tarente, la division Puthod, du cinquième corps, avait été dirigée, comme nous l'avons vu, sur Schönau, d'où elle devait marcher sur Jauer pour se réunir à l'armée. Elle se trouvait à Molkau pendant la bataille de la Katzbach. Quelque diligence qu'elle fit, elle ne put arriver à temps pour se réunir à son corps d'armée à Goldsberg, et, celui-ci forcé à la retraite, elle se trouva abandonnée. Le général Puthod se retira sur Hirschberg; mais, le pont étant rompu, et le Bober trop fort pour qu'on pût le rétablir, il descendit la rivière et arriva à Löwenberg le 29. Il y fit des efforts inutiles pour rétablir le pont. Suivi par le corps de Langeron, et ne pouvant se rendre à Buntzlau, où il avait été prévenu par le général Radrewicz et la cavalerie du général Koeff, le général Puthod se trouva enveloppé de toutes parts. Il prit la résolution généreuse de combattre jusqu'à extinction. Il s'établit sur les hauteurs de Plagwitz, en avant de Löwenberg, et attendit l'ennemi de pied ferme. Attaqué par deux divisions d'infanterie et une de cavalerie, il succomba, après avoir fait une défense opiniâtre. Cette courte campagne de cinq jours coûta à l'armée française dix mille hommes tués ou blessés et quinze mille prisonniers.
Il est difficile de concevoir une opération plus mal conçue et plus mal conduite. La division des forces et leur éparpillement eurent lieu sans motif raisonnable. La marche en avant fut exécutée sans prudence et sans connaître les dispositions de l'ennemi. Cette offensive, prise sur un si grand front, et particulièrement à gauche, au lieu de l'appuyer à la droite, par où était la communication la plus courte et la plus directe avec Dresde, seul point de retraite de l'armée, est une de ces fautes qui paraissent incontestables. Le retard apporté dans les ordres donnés au troisième corps, et le croisement des colonnes, résultat d'une fausse direction, expliquent suffisamment la catastrophe.
Ce revers, avec l'événement funeste de Culm, décidèrent du sort de la campagne. Le maréchal Macdonald, homme de courage, dont le caractère droit et honorable mérite l'estime et l'affection de tous ceux qui le connaissent, n'aurait jamais dû être chargé d'un semblable commandement; sa capacité, fort médiocre, le rend peu propre à un grand commandement. Le temps s'écoule avec lui en vaines paroles. Il a cette activité malheureuse de certains hommes qui se laissent absorber dans les circonstances les plus importantes par les détails les plus minutieux. À l'armée, il écrit lui-même les lettres relatives au service. Cette seule circonstance le fait connaître. Aussi aucune disposition ne fut-elle prise à temps et à propos. La confusion régna partout, et l'armée, diminuée d'un tiers, perdit en outre la confiance qui, jusque-là, l'avait animée.
D'un autre côté, il est étrange que, dans son offensive, Blücher ne se soit pas appuyé aux montagnes de Bohême, et n'ait pas agi particulièrement par sa gauche. S'il eût manoeuvré de manière à arriver, après un succès, avant l'armée française à Löwenberg, il était maître de la communication la plus courte avec Dresde, et il pouvait rendre sa retraite plus difficile et plus périlleuse.
L'Empereur partit de Dresde, le 3 septembre, avec sa garde et mon corps d'armée. S'il eût employé les quatre jours qui venaient de s'écouler à compléter ses succès dans la poursuite de la grande armée, il eût été le maître des événements. Il eût pu réparer sans peine les malheurs arrivés en Silésie. Toute compensation faite, il lui restait encore de grands avantages; mais le malheur de Vandamme et le désastre de Silésie firent une masse de maux trop grande pour pouvoir rétablir l'équilibre, surtout après le parti pris par les ennemis d'éviter dorénavant de combattre Napoléon en personne, et de se contenter de le harceler, de le fatiguer, et d'user ses troupes par des marches, jusqu'au moment où la diminution de ses forces mettrait entre les deux armées une telle disproportion, qu'il n'y aurait plus aucune incertitude dans le succès et le résultat de la lutte.
Le 4, Napoléon, après avoir dépassé Bautzen, rencontra le duc de Tarente se disposant à évacuer les positions de Hohenkirchen, et à repasser la Sprée. Il l'arrêta, lui ordonna de se reporter en avant. L'avant-garde ennemie fut culbutée et se dirigea en arrière de Lauban.
Le 5, l'Empereur porta la majeure partie de ses forces sur Reichenbach. L'ennemi se replia sur Görlitz, et se plaça derrière la Neisse à Lauban. Autant par suite du système dont j'ai rendu compte plus haut qu'à cause de l'arrivée prochaine de l'armée de Benningsen, puissant renfort, on devait s'attendre à voir Blücher se retirer plus loin si l'Empereur passait la Neisse. En conséquence, toute offensive de ce côté devant être sans résultat, et pouvant même avoir des conséquences funestes à cause du mouvement de la grande armée alliée sur Dresde, Napoléon quitta l'armée de Silésie le 8. Il la laissa en position à Hohenkirchen, après lui avoir donné pour renfort le huitième corps. Ce secours réparait en partie ses pertes, et la portait à une force d'environ soixante-dix mille hommes. Le duc de Tarente, au lieu de faire des démonstrations pour en imposer à l'ennemi, se tint tranquille, et annonça ainsi à Blücher le départ de Napoléon. Dès lors le général prussien se disposa à reprendre l'offensive.
Je reçus en même temps l'ordre de me rendre à Camenz afin d'être, tout à la fois, à portée de l'Elster-Noir et de Lukau. Je devais être ainsi en mesure, suivant les circonstances, de faire une diversion en faveur du prince de la Moskowa, ou bien de me rendre à Dresde. Le 8, je me portai à Hoyerswerda, et je dirigeai une forte avant-garde sur Senftenberg et des coureurs dans la direction de Lukau. En même temps j'avais donné l'ordre au cinquième corps de cavalerie, commandé par le général Lhéritier, mis à ma disposition, de partir de Grossenhayn pour Roulau, afin de m'appuyer; mais dans la nuit je reçus l'ordre de me rapprocher de Dresde à marches forcées. Le 9, j'arrivai à Ottendorf, et, le 10, à Dresde, où je m'arrêtai. J'occupai la ville et le camp retranché. Je pus enfin faire reposer mes troupes. Mon corps d'armée avait marché, pendant vingt-deux jours, sans un seul séjour, livré un assez grand nombre de combats, et fait souvent des marches de douze lieues; mais il était bien organisé. L'esprit en était admirable. À l'exception des blessés, un très-petit nombre d'hommes seulement se trouvaient en arrière. Il ne manquait pas une pièce de canon, ni une voiture d'artillerie ou d'équipages.
L'Empereur avait été rappelé à Dresde par les mouvements offensifs du prince de Schwarzenberg. En effet, l'avant-garde de Wittgenstein s'était avancée, le 5, à Peterswald, et le 6, à Berggieshübel, avec la division prussienne de Ziethen. Le prince Eugène de Wurtemberg, avec la cavalerie de Pahlen, débouchait sur Dippoldiswald, tandis que le général Klenau s'avançait vers Chemnitz. Le prince de Schwarzenberg, avec les corps autrichiens de Colloredo, Chasteler, Giulay et les réserves, avait pris la direction d'Aussig, pour y passer l'Elbe, et manoeuvrer sur la rive droite. Le 7, Wittgenstein occupa Pirna, et, le 8, se porta vers Dohna où étaient réunis les premier, deuxième et quatorzième corps.
L'Empereur, de retour, le 7, à Dresde, se rendit, le 8, au camp de Dohna. L'avant-garde de Wittgenstein fut culbutée. Ce général se replia sur Pirna. Le même jour, le prince de Schwarzenberg, en plein mouvement, fut instruit de la présence de Napoléon. Il se retira aussitôt, et vint prendre la position qu'il avait choisie en avant de Toeplitz. Le 9, Napoléon porta la plus grande partie de ses forces sur Liebenthal. Ce mouvement menaçant de tourner le corps de Wittgenstein, celui-ci se retira sur Nollendorf, où il fut joint par le corps de Kleist. Les troupes aux ordres de Klenau se rapprochèrent de Toeplitz, et vinrent prendre position au Sebastiansberg.
Le 10, Napoléon vint à Baremberg. Le premier corps marcha sur Peterswald, et le quatorzième sur Fürstenwald. Le général Wittgenstein se replia sur Culm. Le 11, il s'avança de Fürstenwald vers le défilé du Geyersberg. La division du quatorzième corps, commandée par le général Bonnet, s'empara de la montagne; mais la difficulté du terrain empêcha d'y conduire de l'artillerie. Les obstacles pour déboucher, en présence de l'ennemi, dans une position inexpugnable, paraissant insurmontables, Napoléon renonça à l'attaquer, et se décida à retourner à Dresde. Il laissa le premier corps en position à Nollendorf, le quatorzième sur les hauteurs de Berna, en avant d'Ebersdorf. Le deuxième alla occuper Steinberg, et la jeune garde le camp de Pirna. L'Empereur dut sentir bien vivement alors la faute commise, il y avait onze jours, de n'avoir pas complété ses succès de Dresde par un mouvement à fond sur l'armée ennemie, au moment où elle repassait ces mêmes défilés dans un désordre incompatible avec une résistance sérieuse.
Mais, pendant ces mouvements, de nouveaux désastres venaient accabler la portion de l'armée française qui avait reçu l'ordre de marcher sur Berlin. On a vu, le 4, le prince de la Moskowa remplacer le maréchal duc de Reggio, et prendre le commandement de l'armée. Dès le lendemain, 5 septembre, il était en mouvement. La division Guilleminot, en tête du douzième corps, attaqua la division prussienne de Dobschutz, et la chassa de Zaahn. Plus tard, le corps de Tauenzien fut attaqué à Seida, et forcé à se retirer sur Dennewitz, où il prit position. Le soir, l'armée française occupait les positions suivantes: le quatrième corps à Neundorf, le douzième à Seida, et le septième entre les deux. L'armée ennemie était ainsi placée: Tauenzien à Dennewitz, Bulow à Klein-Lippsdorf, les Suédois et les troupes russes, sous les ordres du prince royal de Suède, sur les hauteurs de Lobez. Dans ces dispositions respectives, le prince de la Moskowa eut l'étrange idée de porter son armée sur Dahme pour prendre la route de Berlin, et de marcher directement sur cette ville. En conséquence, le 6, au matin, il continua son mouvement. Le quatrième corps fut chargé de s'emparer de Dennewitz, et de couvrir la marche de flanc qu'il opérait avec le reste de l'armée.
L'ennemi résista à cette attaque, perdit Dennewitz; mais se soutint avec opiniâtreté en avant de Interburg. Pendant que Tauenzien était ainsi aux prises avec le quatrième corps, Bulow, qui d'abord avait pris position en avant d'Eckmannsdorf, débouchait par Wolmsdorf en arrière de l'armée française. Le septième corps fut alors obligé de prendre part au combat, et vint se former près de Niedergorsdorf. L'armée française était attaquée de front, de flanc, et à revers. Le douzième corps vint donc occuper le village de Goldsdorf, sur lequel tout le corps de Bulow était dirigé. Après diverses alternatives de bons et de mauvais succès, l'armée se concentra près de Rohrbeck. Les Saxons, placés au centre, ayant lâché pied, les deux corps français se trouvèrent séparés, et forcés à une retraite divergente. Celui de droite, le quatrième, se retira sur Dahme. Le douzième suivit la route que les fuyards avaient prise, par Schweidnitz, dans la direction de Torgau.
Cette opération, si singulière, si absurde, ne peut s'expliquer. Exécuter une marche de flanc, en plein jour, aussi longue et aussi à portée d'une armée supérieure en forces, était l'opération la plus dangereuse et la plus imprudente, et dans quel objet? pour arriver avant l'ennemi sur la route de Berlin et marcher sur cette ville. Mais, en supposant, ce qui paraît impossible, cette marche exécutée avec un succès complet, à quoi aboutissait-elle? À placer l'armée ennemie sur le flanc et sur les derrières de l'armée française, ce qui aurait mis celle-ci dans le péril le plus évident, et l'aurait, en définitive, empêché de marcher sur Berlin. Si l'armée française était en état de prendre l'offensive, elle ne pouvait pas espérer de se rendre à la dérobée à Berlin. Il fallait qu'elle se résolût à livrer bataille. Dès lors, elle n'avait autre chose à faire que de marcher brusquement et rapidement par la route directe, et, après avoir enlevé Zaahn, se dirigeant sur Treuenbrietzen et Belitz, empêcher la réunion des corps ennemis qui étaient à une certaine distance les uns des autres, les battre en détail, après s'être placée ainsi au milieu d'eux. On croit rêver quand on approfondit les combinaisons qui furent faites alors et la manière dont on opéra.
Le lendemain, 7, le douzième corps et les Saxons continuèrent leur mouvement sur Torgau. Le quatrième corps, attaqué à Dahme par une division de quatre mille Prussiens, commandée par le général Woheser, se mit également en marche pour Torgau, après avoir rompu les ponts de l'Elster. Le 8, il rejoignit le reste de l'armée sous le canon de Torgau. Cette opération coûta à l'armée française douze mille hommes tués, blesses, ou pris, et vingt-cinq pièces de canon.
Ainsi, chaque jour, l'édifice de notre puissance s'écroulait pour ne plus se relever. Pendant que Napoléon était accouru à Dresde et avait marché sur la frontière de Bohême, l'armée ennemie de Silésie avait repris l'offensive. Dès le 9, elle s'était mise en mouvement. Le corps de Langeron passa la Neisse à Ostritz, au-dessus de Görlitz: celui de York entre Ostritz et Görlitz, et celui de Sacken, à Görlitz même. L'avant-garde française se retira des bords de la Neisse sur Reichenbach sans s'être engagée, et de là sur Hohenkirchen. Le corps de Poniatowski, attaqué par celui de Langeron a Lauban, se retira sur Neustadt.
L'armée alliée fut rejointe, ce jour-là, par la division autrichienne de Bubna. Le 10, le duc de Tarente quitta la position de Hohenkirchen pour repasser la Sprée. Le 6, il était à Gordau, n'ayant plus que des avant-postes sur la Sprée. Enfin, le 12, le duc de Tarente se replia sur Bischofswerda, et le huitième corps vint de Neustadt à Stolpen. Le rapprochement de notre armée de Silésie à une petite marche de Dresde, sans avoir livré un seul combat, opéré en même temps que la perte de la bataille de Dennewitz, favorisait la réunion des trois armées qui nous entouraient. Elles pouvaient alors, à volonté, agir d'une manière simultanée.
Je restai à Dresde jusqu'au 12 inclus. Pendant mon séjour, je vis beaucoup Napoléon. Dans la nuit du 12 au 13, je passai au moins trois heures avec lui à causer de la campagne. Il se livrait volontiers, avec moi, à la discussion de ses projets, et à l'examen des événements écoulés. Il n'était pas tranquille sur son issue, quoiqu'il affectât de la confiance. Il se plaignait de ses lieutenants, et il avait raison; mais pourquoi avait-il séparé ses forces, et disposé son plan de campagne de manière à rendre indispensable de confier de grands commandements à une grande distance de lui, à des hommes incapables de les exercer? Et puis, n'avait-il pas eu d'autres choix à faire? Saint-Cyr, un des premiers généraux de l'Europe, pour la guerre défensive, n'était-il pas merveilleusement propre à commander l'armée de Silésie, destinée à couvrir, par sa position, les autres armées, et à garder seulement le terrain qu'elle occupait? Il n'était pas ancien maréchal, il est vrai; mais, puisqu'il avait laissé à Macdonald des corps commandés seulement par des officiers généraux, il pouvait en faire autant pour Saint-Cyr, et, dès lors, il n'y avait plus de difficultés. Si les inconvénients du plan de campagne vicieux et les mauvais choix avaient amené tous les maux actuels, quel était le coupable? Je lui exprimai cette pensée avec modération et réserve; mais il n'était pas au bout de ses erreurs et au moment de réparer ses fautes. Il me dit que, probablement, la guerre allait changer de théâtre, et serait forcément portée plus en arrière; que les ennemis tenteraient sans doute le passage de l'Elbe avec les deux armées de Silésie et du Nord réunies; qu'alors il devait manoeuvrer de manière à empêcher leur jonction avec la grande armée; qu'il devenait indispensable de nettoyer ces pays des corps qui les parcouraient, et menaçaient nos établissements et nos communications, et que je commencerais le mouvement. Enfin, quand je le quittai, il me dit ces propres paroles: «L'échiquier est bien embrouillé; il n'y a que moi qui puisse s'y reconnaître.» Hélas! c'est lui-même qui s'est perdu dans ce labyrinthe!
Le 13, je partis avec mon corps pour Grossenhayn. Là, je me réunis au roi de Naples, que j'y trouvai avec un corps nombreux de cavalerie. Le but de ce mouvement était de couvrir l'arrivée à Dresde de vingt mille quintaux de farine, arrêtés à Torgau et embarqués sur l'Elbe. Les dispositions de troupes convenables à ce but furent faites, et le convoi arriva heureusement à Dresde. Nous restâmes jusqu'au 25 dans cette position.
Je vis journellement et familièrement Murat. Je le retrouvai bon camarade et sans prétention. Il se mit en frais d'amitié pour moi. Je payai cette bienveillance par la complaisance avec laquelle j'écoutai, chaque jour, les récits qui concernaient ses États. Il me parlait souvent surtout de l'amour que lui portaient ses sujets. Il y avait dans son langage une candeur risible, une conviction profonde d'être nécessaire à leur bonheur. Entre autres choses, il me raconta que, lorsqu'il devait quitter Naples en dernier lieu (et c'était une chose secrète), se promenant avec la reine, et entendant les acclamations dont il était l'objet, il dit à sa femme: «Oh! les pauvres gens! Ils ne savent pas le malheur qui les attend. Ils ignorent que je vais partir!» J'écoutai en souriant; mais lui, en faisant ce récit, était encore attendri des douleurs dont il avait été la cause.
Cette réunion de troupes à Grossenhayn détermina Blücher à renforcer sa droite et à porter le corps de Sacken à Kamens. Ce mouvement décida le duc de Tarente à se rapprocher encore davantage de Dresde, et à prendre position à Harta. Les avant-postes de l'armée de Berlin étaient établis sur l'Elster noir. Pendant notre séjour à Grossenhayn, la grande armée recommençait des démonstrations offensives. L'ennemi se porta en avant et fit replier les corps français occupant les différents débouchés. Napoléon partit le 15 de Dresde avec sa garde, et vint à Berggieshübel; mais la disposition générale de l'armée ennemie était toute défensive, et la masse de ses troupes, placée dans le bassin de Toeplitz, en face des débouchés, occupait une position inexpugnable.
Le 16 au matin, le prince de Schwarzenberg avait ses troupes placées de la manière suivante: le corps de Wittgenstein à Peterswald; la division Czenneville à Eichwald, sur la route de Zinnwald; celle du prince Maurice Liechtenstein, à Klostergraben; une avant-garde sous les ordres du général Longueville en avant d'Aussig, sur la route d'Eule; le corps de Kleist à Mariaschein; les grenadiers et les cuirassiers russes à Sabachleben; les gardes russe et prussienne à Toeplitz; le corps de Colloredo à Culm; celui de Meervelt à Aussig; celui de Giulay à Brunn; celui de Klenau à Marienwerder, et les réserves de cavalerie à Breslau.
À midi, Napoléon continua son mouvement en avant. Le corps de Wittgenstein se replia sur Culm. La division Ziethen fut portée dans des abatis qui avaient été faits entre Tellenitz et Jutterbach. Le corps de Colloredo était appuyé à droite à Strekowitz. Napoléon occupa le soir les hauteurs de Nollendorf.
Le 17, la division Ziethen, attaquée par la division Mouton-Duvernet, du premier corps, fut poussée sur Culm. Le combat s'engagea alors avec le corps de Wittgenstein. Les villages d'Arbesau, d'Islisich, de Jourdorf, furent emportés; mais le corps de Meervelt s'avança d'Aussig sur Nollendorf, tandis que celui de Colloredo s'avançait sur Neudorf et Kniemts. Il attaqua Arbesau, qui fut évacué. La jeune garde, qui l'occupait, en fut chassée après avoir fait des pertes considérables, et le premier corps se retira sur Nollendorf. Napoléon, voyant l'impossibilité de déboucher devant des forces aussi considérables, ramena ses troupes en avant de Berggieshübel, et rentra avec sa garde à Dresde le 18. Ce mouvement, recommencé pour la troisième fois, et fatigant pour les troupes, avait été encore sans résultat.
Le prince de Schwarzenberg attendait pour agir que le corps de Benningsen, fort de soixante mille hommes, qui, dès le 17, avait sa tête à Löwenberg, fût rapproché davantage de Dresde.
Napoléon voulut tenter de nouveau la fortune, et essaya d'éloigner Blücher. Il se rendit le 22 à Hatzan, et mit en mouvement les troisième, cinquième et onzième corps. L'avant-garde de Radrewitch fut attaquée à Bischofswerda. Forcée d'évacuer cette ville, elle se retira jusqu'à Gordau; mais Napoléon, ayant vu toute l'armée de Silésie en position à Bautzen, tandis que le corps de Sacken s'approchait sur sa gauche pour menacer la communication de Bischofswerda, ne se trouvant pas assez fort pour livrer bataille, se retira et ramena les troupes dans la position concentrée de Weissig, à deux lieues de Dresde. Il s'en tint encore à une simple démonstration.
Le 24 et le 25, l'armée de Silésie, remplacée dans ses positions par l'armée de Benningsen, fit un mouvement général par sa droite pour se rapprocher de l'Elbe et de l'armée du Nord. Le corps de Tauentzien, appartenant à cette dernière armée, occupait déjà, depuis quelque temps, une position intermédiaire entre les deux armées et en établissait la liaison. Le corps de Sacken se présenta devant Grossenhayn pour couvrir ce mouvement. Le roi de Naples était retourné à Dresde, et j'avais sous mes ordres, outre le sixième corps d'armée, les premier et cinquième corps de cavalerie. Le 25 au soir, je reçus l'ordre de repasser l'Elbe à Meisson et de me porter sur Wurtzen et Eulenbourg.
Le 26 au matin, je pris position sur les hauteurs de Wanterwitz, position formidable où j'étais en mesure de résister à des forces supérieures. J'avais laissé une forte arrière-garde, composée de la plus grande partie du cinquième corps de cavalerie. Celle-ci fut attaquée par une grande masse de Cosaques appartenant à l'armée de Silésie. Elle fut mise dans un grand désordre. Le général Lhéritier, son commandant, s'était fait une bonne réputation comme colonel: mais il n'avait pas assez de tête pour commander des forces considérables. Les défilés en arrière étant fort mauvais, il devenait important de ne pas laisser l'ennemi trop près de nous pendant notre marche. Je reportai cette cavalerie en avant, après l'avoir ralliée moi-même, sans autre secours que ma seule présence et quelques mots adressés aux premiers fuyards. Nous restâmes en repos le reste de la journée. Le 27, mon arrière-garde repassa l'Elbe. L'ennemi, ayant suivi immédiatement, voulut tenter un coup de main sur la tête de pont, mais il fut vaillamment repoussé par le 10e provisoire, composé d'un bataillon des 11e et 16e de ligne. Je laissai le général Cohorn, avec sa brigade, pour garder ce poste important, jusqu'à ce qu'il fût relevé par des troupes appartenant à un autre corps, et je me mis en route par Oschatz, Wurtzen et Eulenbourg.
Pour expliquer ce qui va suivre, il faut maintenant que je fasse connaître la position du prince de la Moskowa. Après la défaite de Dennewitz, le prince de la Moskowa avait repassé l'Elbe à Torgau. Il avait réorganisé son armée. Le douzième corps avait été dissous, et la division bavaroise, qui s'y trouvait, envoyée à Dresde. Le restant des troupes, réuni à la division Guilleminot, avait été attaché au quatrième corps. Par suite cette armée ne se trouvait plus composée que de deux corps, le quatrième et le septième. Elle se mit en mouvement, le 25, pour descendre l'Elbe. Le 27, le prince de la Moskowa était à Oranienbürg avec le quatrième corps, et le septième à Dessau. Ces troupes observaient les ponts d'Acken et de Roslau. L'avant-garde suédoise, après avoir occupé Dessau, avait évacué cette ville, et s'était retirée sur la tête de pont. Là, un bataillon saxon déserta à l'ennemi avec armes et bagages. Un léger combat avec les Suédois fut livré en avant de Dessau. Toute l'armée du Nord, commandée par le prince royal de Suède, placée en face, sur la rive droite du fleuve, observait les garnisons de Wittenberg et de Torgau. Des opérations de siége furent même commencées par le général Bulow contre Wittenberg.
D'un autre côté, depuis quelque temps, des détachements de troupes légères désolaient les derrières de l'armée française. Czernicheff avec ses Cosaques s'était avancé au delà de la Saale. Le général Tielemann, déserteur du service de Saxe, s'était porté avec un corps franc dans les environs de Leipzig, et se trouvait en liaison avec le colonel autrichien de Mensdorf, qui opérait dans les mêmes cantons.
L'Empereur détacha vers ce point le général Lefebvre-Desnouettes avec quatre mille chevaux, pour donner la chasse à ces partisans; et, comme, en même temps, la route de Dresde à Chemnitz avait été interceptée par la brigade autrichienne de Scheilher, qui avait enlevé à Freyberg trois cents hussards westphaliens, le général Kleist faisant aussi des démonstrations de ce côté, il envoya à Freyberg le deuxième corps pour garder ce débouché. Le 11 septembre, Thielmann avait paru à Weissenfels, et inutilement attaqué un convoi en route pour Leipzig. Il fut plus heureux à Naumbourg, qu'il enleva. Il prit ensuite Mersebourg, et cinq cents hommes par capitulation. Là il fut attaqué par Lefebvre-Desnouettes, qui le battit. Il se retira sur Zeist et Zurchau, mais après avoir vu délivrer ses prisonniers, Lefebvre-Desnouettes vint ensuite occuper Altenbourg. Platow l'en chassa, non sans lui faire éprouver d'assez grandes pertes, par suite des mauvaises dispositions prises par le général français en se retirant. Il avait imprudemment livré combat en avant d'un défilé. Après cet échec, Lefebvre-Desnouettes se rendit d'abord à Weissenfels, et de là revint à Leipzig.
Le 25 septembre, Czernicheff, parti avec trois mille chevaux d'Eisleben, arriva devant Cassel, dans la nuit du 27 au 28. Un bataillon d'infanterie, placé en avant de la ville et forcé dans sa position, se retira après avoir éprouvé quelque perte. Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie, voyant les symptômes d'une insurrection, s'éloigna, laissant le général Alix pour défendre Cassel avec deux bataillons.
Le 30, Czernicheff fit attaquer Cassel et s'en empara, aidé d'un mouvement national qui éclata en sa faveur. Après avoir proclamé, au nom des souverains alliés, la dissolution du royaume de Westphalie, il évacua la ville en emportant tout ce qu'elle renfermait de richesses publiques transportables et après avoir organisé une insurrection systématique dans cette portion de l'Allemagne.
Le 29, au matin, j'arrivai à Wurtzen. J'y reçus une lettre du duc de Padoue qui commandait à Leipzig. Il m'annonçait la présence de l'ennemi, et la crainte d'être obligé d'évacuer cette ville. Je continuai mon mouvement sans perdre un moment, et j'arrivai, le soir même du 28, à Leipzig avec la tête de mes forces. Je mis le reste à portée, je nettoyai les environs des ennemis qui s'y trouvaient. Je restai dans cette position jusqu'au 3.
Le 2 octobre, Blücher se décida à prendre l'offensive. Il se porta, avec les corps de Bulow et de Tauentzien, au confluent de l'Elster et de l'Elbe, jeta, dans la nuit, deux ponts et opéra son passage. Le général Bertrand, chargé de s'y opposer, occupant une position avantageuse, résista pendant la plus grande partie de la journée; mais, vers les cinq heures, il fut forcé, et opéra sa retraite dans la direction de Dessau. Pendant ce temps, les Suédois avaient débouché par le pont de Roslau, et s'étaient avancés sur Dessau. Le maréchal Ney, avec le septième corps, et rejoint par le quatrième, se replia, remonta la rive gauche de la Moldau, et occupa Bittersfeld et Düclitsch. Informé de ces événements dans la nuit du 3 au 4, je me rendis, en toute hâte, avec mon corps, à Düben, afin d'offrir un point d'appui au général Bertrand, et de favoriser sa retraite. Je recueillis effectivement les troupes wurtembergeoises qui faisaient partie de son corps et qui s'y étaient retirées, le reste de ce corps ayant rejoint la septième. L'ennemi se présenta bientôt en force devant moi. Le poste de Düben n'étant pas tenable, je repassai la rivière, et pris position en face. Une berge élevée, à une demi-portée de canon de la ville, me donnait tous les moyens de défendre avec succès ce défilé. L'ennemi fit plusieurs tentatives pour déboucher; mais il fut constamment repoussé.
Je plaçai de la cavalerie en observation sur la rive gauche de la rivière, pour me lier avec les troupes du maréchal Ney.
Dans cette position nous pouvions attendre ce que ferait l'ennemi; mais tout à coup, celui-ci ayant présenté des forces considérables en face de Bittersfeld sur la rive droite, le maréchal Ney s'effraya de sa position, et, quoique l'ennemi n'eût rassemblé aucun moyen de passage, et montré aucune disposition de le tenter, le maréchal Ney me fit prévenir qu'il se retirait sur Kamens. Ce mouvement laissait ma gauche tout à fait à découvert et compromettait beaucoup ma position. Me retirer cependant, en plein jour, étant aussi rapproché de l'ennemi, était fort délicat. Je masquai mes préparatifs et mon mouvement aussi bien que possible, et je l'effectuai sans accident, avec précision et vitesse. J'allai prendre la belle position de Hohen Priegnitz, en liant ma gauche avec le prince de la Moskowa, auquel je demandai une entrevue pour pouvoir arrêter avec lui ce qui nous restait à faire. Nous ne pûmes nous comprendre. Il fut impossible de lui faire entendre que rien ne pressait dans nos mouvements de retraite, et qu'il fallait attendre que l'ennemi se montrât en force pour se retirer. Le maréchal Ney, brave et intrépide soldat, homme de champ de bataille, n'entendait rien à la combinaison des mouvements. Son esprit s'effrayait de ce qu'il ne voyait pas. Jamais les calculs ne dirigeaient ses actions. C'était toujours chez lui le résultat de la sensation du moment et comme un effet de l'état de son sang. Il pouvait s'en aller aussi bien devant trente mille hommes en ayant cinquante qu'en attaquer cinquante avec vingt. Toutefois, dans la circonstance, il était dans une disposition de crainte irréfléchie et exagérée. Il ne voulut pas s'arrêter, quoique des troupes légères seules fussent en présence.
Ce maréchal ayant continué son mouvement, j'allai occuper le même jour, 6, les hauteurs d'Eulenbourg où je campai. Leipzig se trouvant de nouveau menacé, dès le lendemain je me portai sur cette ville, par Taucha, afin de la couvrir, et de protéger l'arrivée d'un convoi retenu à Naumbourg. Je l'y fis entrer.
Le 8, ayant fait une forte reconnaissance du côté de Delitzsch, je trouvai devant moi des forces de cavalerie assez considérables; mais elles se retirèrent après une légère résistance.
Pendant que ces divers mouvements s'opéraient, Napoléon fit les dispositions suivantes. Il laissa le maréchal Saint-Cyr à Dresde, avec les premier et quatorzième corps, et les chargea de garder les débouchés de la Bohême de ce côté. Le cinquième corps reçut l'ordre de se rendre à Freyberg avec le huitième. Réunis au deuxième, ces trois corps furent mis aux ordres du roi de Naples, et chargés de couvrir les débouchés de la Bohême sur Leipzig. Le 7, Napoléon se mit en mouvement pour descendre l'Elbe et se rapprocher de l'armée de Silésie, que son intention était de combattre. Il partit avec les troisième et onzième corps et sa garde. Le 9, il s'avança à Eulenbourg, où il fut rejoint par les quatrième et septième corps. Le même jour, je me portai, conformément à ses ordres, dans la direction de Düben, et je campai à la hauteur d'Eulenbourg. Une très-nombreuse cavalerie était devant moi et je dus marcher avec lenteur et précaution, n'ayant plus avec moi les premier et cinquième corps de cavalerie. Je trouvai l'ennemi formé près de Koblein, soutenu par une nombreuse artillerie: mais il n'entreprit rien de sérieux et se retira après un engagement de trois quarts d'heure environ. Le 10, je me réunis, à Düben, à l'Empereur, et j'occupai Delitzsch par une division et de la cavalerie.
L'armée de Silésie s'était retirée brusquement de Düben, et repliée sur le prince royal de Suède. Le corps de Sacken, s'étant trouvé en retard, fut obligé de repasser la Muldau à Ragika. Les deux armées du prince de Suède et de Blücher se trouvèrent réunies à Zerlig.
Le 11, l'Empereur donna l'ordre au général Régnier de passer l'Elbe à Wittenberg, et le maréchal Ney, avec le troisième corps, marcha sur Dessau. Le 12, Dessau fut emporté, et la division prussienne qui l'occupait se retira sur Roslau, après avoir perdu trois mille hommes, tandis que le général Régnier poussait la division Thumen par la rive droite, également sur Roslau. Le général Tauentzien continua sa retraite sur Zerbst. Le 13, le septième corps rentra à Wittenberg. Les deux armées ennemies se trouvèrent de nouveau séparées: celle de Silésie sur Halle, et celle du prince royal de Suède sur Bernbourg. Le 30, le prince de Suède passa la Saale et se porta sur Cöthen.
Le 11, je me portai sur Bittersfeld pour y faire une forte reconnaissance. Je pris avec moi ma cavalerie et une division d'infanterie. J'acquis la certitude que toute l'armée ennemie était en deçà de l'Elbe. Je revins à Düben, et j'en rendis compte à l'Empereur.
Napoléon se trouvait alors avec cent trente mille hommes réunis et disponibles. C'était assurément l'occasion d'agir offensivement d'une manière décidée, de changer le théâtre de la guerre et le système de démonstration impuissante de mouvements de va-et-vient qui avaient si fort diminué ses forces, et l'avaient fait si rapidement déchoir. Une offensive vive sur Blücher et le prince royal de Suède, qui l'aurait porté au delà de la Saale, sur la ligne d'opération de l'ennemi, ou bien sur l'Elbe, lui promettait les avantages les plus décisifs. Ces manoeuvres lui étaient faciles, puisqu'il possédait toutes les places situées sur le fleuve. Il aurait pu, avec promptitude, se mouvoir sur les deux rives. Huit jours d'opérations énergiques lui faisaient détruire les forces qu'il avait devant lui. Il pouvait rétablir ainsi ses affaires et rappeler la victoire sous ses drapeaux. En faisant cette opération il augmentait son armée d'une partie des garnisons des places: il appelait à lui le corps de Davoust qui lui aurait amené plus de vingt mille hommes, en laissant encore les forces nécessaires à la garde de Hambourg; il se faisait joindre par le corps d'Augereau, appelé de Würzbourg, et déjà arrivé sur la Saale, et, dans tous les cas, il avait ses communications libres avec la France par le Bas-Rhin.
Dans ce système, les trois corps, deuxième, cinquième et huitième, avec lesquels manoeuvrait Murat, se seraient retirés lentement sur lui, auraient couvert Leipzig aussi longtemps que possible. Pour complément, il aurait envoyé, par des émissaires, l'ordre au maréchal Saint Cyr d'évacuer Dresde, pour se rendre à grandes marches sur Wittenberg et Torgau, par la rive droite de l'Elbe. Enfin on peut ajouter que la nécessité d'abandonner Dresde, vu la marche des événements et la direction qu'avait prise la guerre, aurait dû être sentie d'avance, et lui faire naître, de bonne heure, l'idée d'évacuer de cette ville les malades et les blessés, afin de rendre mobiles et disponibles les deux corps d'armée chargés de défendre cette place, ou plutôt ce camp retranché. Enfin il devait être informé des dispositions hostiles de la Bavière. En s'éloignant de cette puissance, il y échappait ou retardait au moins son action contre lui; mais, au lieu d'envisager les nouvelles nécessités que les circonstances lui imposaient, il resta indécis, voulut tout conserver à la fois. Il perdit tout pour avoir voulu tout garder.
On ne reconnaît plus Napoléon pendant cette campagne. J'eus une longue conversation avec lui à Düben. Jamais cette conversation n'est sortie de ma mémoire. Quand j'étais à portée de lui, il était dans l'usage de m'envoyer chercher pour me parler de ses projets et des différentes choses qui l'occupaient d'une manière particulière. Un usage, fort commode pour lui, assez bien entendu, mais insupportable pour les autres, lui donnait beaucoup de temps à employer ainsi. Lorsque les mouvements de son quartier général le permettaient, il se couchait à six ou sept heures du soir, se levait à minuit ou à une heure. Les rapports arrivant, il se trouvait ainsi tout prêt à les lire et à donner des ordres en conséquence; mais pour ceux qui avaient marché ou combattu pendant la journée, pour ceux qui, à la fin du jour, avaient fait les rapports, disposé tout pour opérer le lendemain, et devaient dormir la nuit pour se reposer, c'était une chose terrible que de renoncer, au commencement d'un sommeil réparateur, à son action bienfaisante, et d'aller ainsi prendre part à une conversation plus ou moins intéressante.
Après donc être rentré de ma reconnaissance de Bittersfeld, et lui avoir fait mon rapport, je venais de me coucher quand on vint me chercher de la part de l'Empereur. Il me parla de sa position et des divers partis qu'il avait à prendre. J'insistai de toutes mes forces pour celui dont je viens de parler et qui, seul, pouvait le sauver. Son unique moyen de salut, selon moi, en ce moment, était de s'éloigner des champs de bataille de la Bohême, puisque plus tôt il n'avait pas voulu la conquérir, et enfin de quitter les défilés qui lui avaient été si funestes. Il ne put se décider à l'évacuation volontaire de Leipzig. Il ne prévoyait pas que, huit jours plus tard, il y serait forcé, sous de bien autres auspices, au milieu de désastres et d'une confusion qui ont achevé sa ruine. Il se disposait, au contraire, à aller combattre sous les murs de cette ville. Je discutai en détail, avec lui, sur les inconvénients de choisir un semblable champ de bataille, au fond d'un entonnoir, en avant d'horribles défilés, longs et faciles à boucher; mais il me répondit ces paroles mémorables et qui montrent les illusions dont il était encore rempli: «Je ne combattrai qu'autant que je le voudrai. Ils n'oseront jamais m'y attaquer.»
La conversation se porta naturellement sur les événements de la campagne. J'en fis la critique avec franchise. Je lui fis remarquer que nos pertes énormes, indépendamment de celles éprouvées sur le champ de bataille, venaient essentiellement du manque de soins, de vivres et de secours de toute espèce qui avaient été refusés aux soldats. J'établis enfin que, si Dresde avait contenu les approvisionnements nécessaires pour nourrir l'armée, si les hôpitaux avaient été pourvus de tout ce dont ils avaient besoin pour que les malades et les blessés reçussent des secours convenables, son armée serait plus forte de cinquante mille hommes, et certes cette évaluation n'était pas au-dessus de la vérité. «Alors, ajoutai-je, indépendamment de l'intérêt qu'il y a à sauver la vie à cinquante mille hommes, vous auriez été dispensé, pour conserver la même force à votre armée, d'ordonner une levée de cinquante mille conscrits. Au lieu d'avoir en espérance cinquante mille hommes, vous auriez en réalité cinquante mille vieux soldats aguerris, et sur le terrain même des opérations. Ces cinquante mille soldats à lever, à habiller, à armer, à faire arriver, coûteront sans doute bien cinquante millions. Or, en supposant, ce qui est énorme, que l'augmentation de dépense exigée par un meilleur entretien de l'armée se fût élevée à vingt-cinq millions, il en résulte que cette dépense de vingt-cinq millions, faite à propos, vous eût épargné cinquante mille hommes et vingt-cinq millions.» Je lui fis cette démonstration la plume à la main. Elle était sans réplique. Vaincu par l'évidence, il me répondit avec humeur: «Si j'avais donné cette somme, on me l'aurait volée, et les choses seraient dans le même état.»
Il n'y avait rien à répliquer à cette étrange réponse qu'une chose, c'est qu'il fallait alors renoncer à gouverner et à administrer. Napoléon a toujours été dans l'usage de prodiguer les moyens pour créer de nouvelles forces; mais jamais il n'a voulu faire le moindre sacrifice pour entretenir celles qui existaient, et sans doute la raison commande une marche inverse.
Cette conversation, une des plus longues que j'aie jamais eues tête à tête avec Napoléon, car elle dura plus de cinq heures, ayant commencé vers une heure après minuit et n'ayant fini qu'après le déjeuner, qui eut lieu à six heures du matin, varia beaucoup dans son objet. Elle changea de nature plusieurs fois, et embrassa des questions générales, comme il arrivait souvent avec lui. Il se plaignait de l'abandon de ses alliés. Il disait qu'ils lui avaient manqué de parole. À cette occasion, il fit la distinction de ce qu'il appela l'homme d'honneur et l'homme de conscience, en donnant la préférence au premier, parce que, avec celui qui tient purement et simplement sa parole et ses engagements, on sait sur quoi compter, tandis qu'avec l'autre on dépend de ses lumières et de son jugement. «Le second, dit-il, est celui qui fait ce qu'il croit devoir faire, ce qu'il suppose être le mieux.» Puis il ajouta: «Mon beau-père, l'empereur d'Autriche, a fait ce qu'il a cru utile aux intérêts de ses peuples. C'est un honnête homme, un homme de conscience, mais ce n'est pas un homme d'honneur. Vous, par exemple, si l'ennemi, ayant envahi la France et étant sur la hauteur de Montmartre, vous croyiez, même avec raison, que le salut du pays vous commande de m'abandonner et que vous le fissiez, vous seriez un bon Français, un brave homme, un homme de conscience, et non un homme d'honneur.» Ces paroles, prononcées par Napoléon, et adressées à moi le 11 octobre 1813, ne portaient-elles pas l'empreinte d'un caractère tout à fait extraordinaire? n'ont-elles pas quelque chose de surnaturel et de prophétique? Elles sont revenues à ma pensée après les événements d'Essonne. Elles m'ont fait alors une impression que l'on conçoit, et qui jamais ne s'est effacée de ma mémoire.
Pendant que Napoléon s'était porté sur la Muldau et campait à Düben, la grande armée de Bohême était entrée en mouvement. Le corps de Colloredo et l'armée de Benningsen s'étaient portés sur Zeist et Pirna. Le 9, ce mouvement offensif continua. Le 10, Benningsen, arrivé devant Dresde, où les deux corps français s'étaient retirés, laissa devant cette place Tolstoï avec vingt mille hommes, et marcha sur Leipzig avec le reste de ses forces, en se dirigeant par Nossen et Colditz.
Dès le 6, la grande armée de Schwarzenberg avait commencé aussi à se mettre en marche. Le général Klenau vint devant Penig, où était une division du huitième corps, et Wittgenstein devant Altenbourg, où était l'autre partie de ce corps d'armée, et Poniatowski en personne. La route de Freyburg à Chemnitz fut rouverte en chassant la division Murrai de la position qu'elle occupait près de Flohe, et le troisième corps d'armée, aux ordres du roi de Naples, opéra avec la cavalerie par sa droite pour se rapprocher de Leipzig et couvrir cette ville contre les troupes qui débouchaient de la Bohême. Enfin les deux armées étaient, le 13, en présence près de Leipzig. Les Français occupaient Wachau et Liebertwolkwitz, ayant une avant-garde vers Groebern et Goffa.
Le 14, le prince de Schwarzenberg fit faire une reconnaissance générale par les corps de Wittgenstein et de Klenau. Un combat de cavalerie fut à notre avantage, et chacun rentra le soir dans ses positions.
Le corps commandé par le maréchal duc de Castiglione, appelé de Würzbourg, où il était trop faible pour résister aux attaques de l'armée bavaroise, qui d'alliée allait devenir ennemie et quitter l'Inn pour marcher sur nos communications, était arrivé, le 9 octobre, à Naumbourg. Le prince Maurice de Liechtenstein, envoyé à sa rencontre, voulut lui barrer le chemin entre Naumbourg et Weissenfels; mais le maréchal le chassa devant lui. Il arriva le 18 à Leipzig, tandis que le corps de Giulay, aussi dirigé de ce côté dans le même but, entrait à Weissenfelds, qui venait d'être évacué.
Le 12, je reçus l'ordre d'aller prendre position à Delitzsch, et j'en chassai l'ennemi; mais, ayant été mis à la disposition du roi de Naples, je fus appelé par lui de la manière la plus pressante, et je partis immédiatement. Je me rendis, à marches forcées, de l'autre côté de Leipzig, et j'allai prendre position à Stoetteritz le 13 au soir.
Dans la nuit, je reçus l'ordre de l'Empereur de rétrograder, et de chercher une position au nord de Leipzig, qui couvrit cette ville du côté de Halle et de Landsberg. J'avais déjà assez parcouru le pays pour connaître cette position existante à une lieue et demie de Leipzig, à Liebenthal et Brettenfeld, sur le terrain même où Gustave-Adolphe combattit, il y avait alors cent quarante-deux ans, et avait remporté une victoire signalée. J'allai l'occuper; après avoir reconnu avec soin et détail le champ de bataille, je m'assurai qu'il était trop vaste pour mon corps d'armée; mais qu'avec des travaux d'une exécution facile, et trente mille hommes, je pouvais tenir en échec, pendant vingt-quatre heures, les armées du Nord et de Silésie. J'en rendis compte à Napoléon, qui me prescrivit d'exécuter sans retard les travaux, et m'annonça que, le moment venu, j'aurais le troisième corps à ma disposition, ce qui porterait ma force au nombre d'hommes que j'avais déterminé. Je me mis à la besogne, et ne négligeai rien pour remplir la tâche imposée. Je fis faire de nombreux abatis dans le bois, en avant de Liebenthal et en arrière de Radfeld. Puis je l'occupai fortement. Ce bois devint comme une forteresse. Badfeld fut aussi occupé par mon avant-garde, qui en chassa un corps de cavalerie considérable, soutenu par une artillerie assez nombreuse.
Pendant la journée du 15, les troisième, quatrième, septième et onzième corps, et la garde, firent leur mouvement sur Leipzig, qu'ils traversèrent. Les troisième et quatrième restèrent à Eustritz, en arrière de moi. Le onzième et la garde allèrent se mettre en ligne contre la grande armée, et le septième se porta sur Taucha.
Le 15, dans la journée, des sapeurs, pris deux jours auparavant près de Delitzsch, conduits au quartier général à Halle, et qui s'étaient échappés, m'informèrent de la marche des armées combinées du Nord et de Silésie. D'après ces rapports, elles devaient être en présence, selon toutes les apparences, le lendemain, 16, au matin.
J'en prévins Napoléon, dont le quartier général était à Reudnitz, près de Leipzig. Le 15, au soir, la cavalerie et l'artillerie, que j'avais devant moi, furent soutenues par de l'infanterie. Je fis replier mes postes éloignés, jetés sur les bords de l'Elster. J'en donnai avis à l'Empereur. Vers dix heures du soir, je montai sur le clocher de Liebenthal, et je pus voir de mes yeux tous les feux de l'armée ennemie. L'horizon en était embrasé. Je me hâtai d'en rendre compte à l'Empereur et de lui rappeler que ma position exigeait trente mille hommes. Je lui demandais de ne pas perdre un moment pour mettre à ma disposition le troisième corps qu'il m'avait promis.
J'attendais avec impatience le résultat de mes rapports et les effets qui en seraient la suite, quand, le 16, à huit heures du matin, je reçus une lettre de Napoléon, apportée par un de ses officiers d'ordonnance, appelé Lavesaut. Dans cette lettre, il critiquait tous mes rapports et leur conclusion. Il prétendait que j'étais dans une erreur complète. Je n'avais, disait-il, personne devant moi. Il me donnait en conséquence l'ordre de me retirer immédiatement sur Leipzig, de traverser cette ville, et de venir former la réserve de l'armée 5.
Note 5: (retour) Dans une lettre datée du 15 octobre, au soir, le major général m'écrit: «Dans le cas où l'ennemi déboucherait devant vous en grande force, votre corps, celui du général Bertrand et celui du prince de la Moskowa sont destinés à lui être opposés.»Ces dispositions étaient parfaitement sages et raisonnables.
Or la marche de l'ennemi était prouvée par le rapport des sapeurs faits prisonniers le 13, échappés et arrivés près de moi le 15, rapport que j'avais fait connaître à l'Empereur.
Son arrivée était prouvée par la présence de l'infanterie, devant laquelle mes avant-postes s'étaient repliés.
Elle l'était encore par la vue des feux de toute l'armée, qui s'apercevaient du clocher de Liebenthal, et dont j'avais rendu compte à neuf heures du soir.
Et, avec ces documents,
On donne l'ordre, le 16 au matin, au général Bertrand de marcher sur Lindenau;
Au troisième corps, de venir à la grande armée;
Et au sixième, de traverser Leipzig et de s'établir entre Leipzig et la grande armée!
Napoléon ne regardait alors comme vrai que ce qui entrait dans ses combinaisons et son esprit.
(Voir les pièces justificatives.)
Un pareil ordre, dans des circonstances semblables, devait être promptement exécuté. Je ne pouvais m'y tromper: l'Empereur était tombé dans une erreur grossière; mais du moment où il ne m'envoyait pas le troisième corps, indispensable à cause de l'étendue de la position à défendre je devais bien me garder d'y rester. D'ailleurs, les ordres étaient précis; et, à moins que les coups de canon ne viennent contrarier l'exécution d'un ordre de mouvement, il n'y a plus d'armée ni de succès possible quand on délibère à cette occasion et quand on hésite à l'exécuter.
Grâce à la bonne organisation de mes troupes, à leur instruction et à leur discipline, une demi-heure après l'ordre reçu, elles étaient formées en six colonnes parallèles, et en marche pour se rendre à Leipzig. Mais, à peine le mouvement commencé, l'ennemi déboucha sur nous. Une forte avant-garde occupait le village de Radfeld. Elle était commandée par un général d'une grande valeur et d'une grande capacité, homme d'un nom militaire illustre, le général Cohorn. Elle fut forcée à se retirer; mais elle le fit avec lenteur et en bon ordre. Une brigade de cavalerie légère wurtembergeoise, faisant partie de mon corps d'armée et qui se trouvait à l'avant-garde, se conduisit aussi avec valeur et courage. C'était le dernier mouvement d'honneur et de fidélité du général Normam, et de ses soldats. Quelques heures plus tard, ils nous furent funestes au lieu de nous être utiles. La deuxième division, commandée par le général Lagrange, resta en arrière pour soutenir l'arrière-garde et la recueillir. Quand tout fut en ordre et convenablement disposé, le mouvement continua sur Leipzig en échangeant à chaque moment des coups de canon avec l'ennemi.
L'opinion de Napoléon n'était plus susceptible de discussion. L'ennemi était là, nous étions aux prises avec lui. C'était toute l'armée de Silésie qui était en présence et avec laquelle nous avions affaire. Nous ne pouvions plus aller sur le champ de bataille au sud de Leipzig. Entrer même à Leipzig, et nous former derrière la Partha était chose périlleuse. Passer un défilé comme celui que nous avions devant nous, défilé soumis à l'action des hauteurs qui le dominent immédiatement, pouvait produire une grande confusion, et amener une catastrophe. Le général Bertrand, ayant reçu l'ordre de balayer l'ennemi sur les derrières de l'armée et d'ouvrir le débouché de Lindenau, s'était mis en marche immédiatement pour l'exécuter. Mais le troisième corps pouvait être encore à Leipzig, et à portée de me soutenir. J'avais reconnu une position, moins bonne que celle de Liebenthal, mais plus resserrée et plus rapprochée de la ville, celle dont la droite est à Eustritz et la gauche à Meckern. J'envoyai un officier auprès du maréchal Ney, qui était à Leipzig et auquel l'Empereur avait donné le commandement supérieur, pour savoir si le troisième corps s'y trouvait encore. Il me fit répondre affirmativement et dire que je pouvais en disposer. Je n'hésitai plus à m'arrêter, à prendre position et à livrer bataille. J'arrêtai mes colonnes sur le plateau et je formai ma ligne de bataille. L'attaque de l'ennemi ne pouvait venir que par notre gauche. Notre droite était en arrière, appuyée et couverte par une petite division polonaise, commandée par le général Dombrowsky, et qui, placée de l'autre côté du ruisseau marécageux et encaissé qui coule à Eustritz, prenait ainsi, de revers, la gauche de l'ennemi. Je devais donc conclure que ce serait sur ma gauche et sur Meckern que l'ennemi se porterait. En conséquence, je fis faire un changement de front oblique, par brigade, la droite en avant, ce qui forma mon corps d'armée en six lignes, présentant ainsi de nombreuses réserves. Meckern fut confié au 2e régiment de marine. Toute mon artillerie fut placée sur le point le plus élevé de la ligne occupée par mon corps d'armée. Mes quatre-vingt-quatre pièces de canon furent disposées pour arrêter l'ennemi. Douze pièces de douze, entre autres, avaient pour objet de flanquer, d'une manière avancée, la droite du village de Meckern.
L'ennemi attaqua, avec impétuosité, le village de Meckern, et fit soutenir cette attaque par le feu d'une nombreuse artillerie qui se développa en face de mon front. Mais tous ses efforts furent longtemps impuissants. Après des attaques réitérées sur le village, une partie fut évacuée, mais bientôt reprise par le même régiment qui le défendait et qui fut ramené à la charge. Culbutés de nouveau, le 4e de marine et le 37e léger furent successivement portés sur Meckern, où semblait être toute la bataille. Ils le reprirent et le conservèrent longtemps, ainsi qu'on devait l'attendre d'aussi bonnes troupes, malgré les efforts constants de l'ennemi et les troupes fraîches qui renouvelaient les attaques. En ce moment, j'éprouvais une vive impatience de l'arrivée du troisième corps que le maréchal Ney m'avait annoncé. S'il se fût trouvé à ma disposition, comme j'étais autorisé à y compter, il eût débouché par ma droite, et un mouvement offensif sur la gauche de l'ennemi aurait assuré le gain de la bataille, c'est-à-dire la conservation de notre position pendant toute la journée.
Il y avait plus de quatre heures que nous combattions avec acharnement. L'ennemi avait fait des pertes énormes par la supériorité du feu de notre artillerie, et son action foudroyante sur ses masses, quand il exécuta une nouvelle charge. Elle avait échoué comme les précédentes et produit un grand désordre parmi ses troupes. Je donnai l'ordre, à la brigade de cavalerie wurtembergeoise, commandée par le général Normam, de charger cette infanterie présentant à la vue la plus grande confusion. Elle refusa d'abord d'exécuter mes ordres, et, le moment passé, il n'y avait plus rien à entreprendre de bien utile. À l'arrivée d'un second ordre, elle s'ébranla cependant; mais elle se jeta sur un bataillon du 1er régiment de marine, le culbuta au lieu de se précipiter sur l'ennemi qui se rétablit et recommença son offensive.
Cependant les choses continuaient à se balancer, malgré la disproportion des forces, lorsqu'au moment d'une nouvelle attaque de l'ennemi la batterie de douze, dont l'effet était si favorable et si puissant, fut tout à coup mise hors de service, un obus ayant fait sauter quatre caissons. Des caissons d'obus sautèrent aussi. Les obus éclatèrent, et précisément au moment où l'ennemi faisait une charge décisive. Cet accident eut des conséquences funestes. L'ennemi, ayant réussi dans son attaque à emporter le village de Mackern, fit avancer son centre. Celui-ci fut bientôt aux mains avec la première division. Le combat prit alors un nouveau caractère. Nos masses et celles de l'ennemi furent si rapprochées les unes des autres, et pendant si longtemps, que jamais chose pareille ne s'était offerte à mes yeux. Je pris avec moi les 20e et 25e provisoires, commandés par les colonels Maury et Drouhot, et je les menai à la charge. Bientôt moins de cent cinquante pas nous séparèrent de l'ennemi. Arrivés à cette distance, nous rétrogradâmes; mais, après avoir fait quelques pas, nous nous arrêtâmes, et fîmes, à notre tour, rétrograder l'ennemi. Cet état de choses dura près d'une demi-heure. Alors le 1er régiment d'artillerie de la marine, placé à ma droite, engagé également de très-près avec l'ennemi, vint à plier. Le 32e léger se porta en avant, et arrêta momentanément l'ennemi; mais, en ce moment, six mille chevaux vinrent nous envelopper et nous attaquer de toute part. Il fallut se retirer sur la troisième division, qui avait peu combattu, et dont les échelons nous recueillirent et arrêtèrent la poursuite. La nuit arriva et mit fin à ce combat, un des plus chauds, un des plus opiniâtres qui aient jamais été livrés. Les troupes y montrèrent la plus grande valeur. Si les Wurtemburgeois avaient fait leur devoir, un succès complet aurait été le prix de nos efforts. Indépendamment de la conservation de tout le champ de bataille, nous aurions fait bon nombre de prisonniers. Malgré tous les contre-temps survenus, nous perdîmes seulement la moitié du terrain sur lequel nos troupes étaient formées. Nous eûmes fort peu de soldats prisonniers; mais vingt-sept pièces de canon tombèrent au pouvoir de l'ennemi. Blessé à la main gauche, d'une balle, au moment où je menais les 20e et 25e régiments à la charge, je ne quittai le champ de bataille que le dernier. Je ne fus pansé qu'à dix heures du soir.
Dans cette bataille, le corps de York, fort de vingt-deux mille hommes, fut engagé en entier, et presque tous les généraux ou officiers supérieurs furent tués ou blessés, tant ils avaient dû payer de leur personne pour contenir leurs troupes et se maintenir contre la vivacité de nos attaques ou l'énergie de notre défense. Le corps de Langeron fut en partie engagé. Notre champ de bataille fut le plus ensanglanté dans cette mémorable journée, le lieu où l'action fut la plus vive. J'ai ouï dire à divers officiers prussiens, et, entre autres, à M. de Goltz, adjudant général envoyé par le roi de Prusse auprès de Blücher, le même qui, depuis, a été ministre de Prusse à Paris, qu'après l'évacuation de Leipzig les souverains alliés, ayant été visiter tous les champs de bataille, furent frappés de la physionomie de celui-ci, du nombre des morts, et surtout de la proximité des morts des deux armées.
La nuit étant arrivée, mes troupes prirent position à Eustritz et Gohlis. Le lendemain matin, elles repassèrent la Partha et s'établirent sur la rive gauche de cette rivière.
J'avais dû compter sur le troisième corps d'armée; mais le maréchal Ney en avait disposé par l'ordre de l'Empereur, et l'avait dirigé sur la grande armée. Napoléon, informé de mon engagement, lui envoya l'ordre de rétrograder, mais déjà il était près de lui. Il se mit cependant en mouvement pour revenir, sans pouvoir arriver à temps pour nous secourir; et, pendant cette journée décisive, ayant toujours marché d'une armée à l'autre, il ne fut utile nulle part.
Napoléon, de son côté, avait combattu avec les deuxième, cinquième, huitième, onzième corps et sa garde. Il avait gardé ses positions, mais n'avait pas pu enlever celles de l'ennemi. Je n'entrerai pas dans le détail de ce qui se passa de ce côté. Ce n'est pas l'histoire complète de la guerre que j'écris, mais seulement le récit des événements qui me sont particulièrement personnels. Divers écrivains militaires ont fait des relations de la bataille de Leipzig. Je les ai lues. La plus exacte, celle qui se rapproche davantage de la vérité pour les faits, malgré le thème convenu de mettre Napoléon à l'abri de tout reproche, est celle que contient le Spectateur militaire, et dont le général Pelet est l'auteur.
Mon corps d'armée perdit de six à sept mille hommes. Le seul corps de York, d'après les relations officielles, dont les évaluations sont probablement fort inférieures à la vérité, éprouva une perte de cinq mille quatre cent soixante-sept hommes.
Pendant cette double bataille, le quatrième corps, commandé par le général Bertrand, avait passé l'Elster, s'était emparé de Lindenau, et avait éloigné le corps de Giulay, qui occupait la plaine de Markranstadt et de Lutzen. Cette bataille du 16 décidait la question de la possession de l'Allemagne. C'est pour y commander que nous avions combattu ce jour-là. C'est pour l'affranchir de notre domination que les alliés nous avaient attaqués. Il restait à livrer bataille pour assurer notre salut personnel. Ainsi, quand on fixe au 18 octobre la bataille de Leipzig, on est dans l'erreur. Le 16, la grande question a été décidée. Napoléon n'étant pas parvenu à battre et à faire reculer l'ennemi, moi m'étant trouvé dans la nécessité de combattre un contre quatre, quoique l'armée du Nord, forte de soixante mille hommes, ne fût pas entrée en ligne, et la grande armée du prince de Schwarzenberg devant recevoir, le 17, les puissants renforts que Benningsen et Colloredo lui amenaient, il n'y avait plus rien à faire. D'ailleurs nos moyens étaient usés, nos munitions consommées, nos corps à moitié détruits. Nous n'avions donc plus d'espérance à concevoir, et notre pensée unique devait être de nous retirer en bon ordre, de sauver nos débris et de regagner la France.
La journée du 17 se passa tranquillement. L'ennemi attendait ses renforts. Quant à nous, nous étions occupés à remettre l'ordre dans nos troupes. Cependant nous aurions dû, dès ce moment, commencer notre retraite, ou au moins en préparer les moyens, de manière à l'effectuer dès l'entrée de la nuit. Mais une sorte d'insouciance de la part de Napoléon, impossible à expliquer et difficile à qualifier, mettait le comble à tous nos maux. Pendant toute la journée du 17, l'armée de Silésie, et ensuite l'armée du Nord, commandée par le prince royal de Suède, défilèrent sous nos yeux et remontèrent la rive droite de la Partha. Je fis occuper les divers ponts de la partie supérieure de cette rivière, et je plaçai en observation, sur la rive gauche, ma cavalerie légère. Mon infanterie était campée perpendiculairement à la Partha, faisant face à Taucha, la gauche au village de Schoenfeld, la droite sur la direction du village de Paunsdorf.
L'Empereur avait cependant senti la nécessité d'opérer la retraite. Les troupes qui avaient combattu à Wachau et Liebertwolkwitz la commencèrent avant le jour, le 18, et se rapprochèrent de Leipzig. Des caissons, que l'on ne pouvait pas emmener faute d'attelages, sautèrent, ce qui avertit l'ennemi du mouvement qui s'opérait. Il se mit en conséquence en mesure d'attaquer l'armée française. En effet, vers les dix heures du matin, l'armée de Bohême marcha en avant, formée en trois grosses masses, la droite commandée par le général Benningsen, le centre par Barclay de Tolly, et celle de gauche par le prince de Hesse-Hombourg, tandis que l'armée de Silésie et l'armée du Nord débouchaient par Taucha.
La grande armée française prit aussitôt les positions suivantes: à l'extrême droite, le huitième (Poniatowski), ensuite, vers Probstheyda, le duc de Castiglione; puis le corps du duc de Bellune; ensuite le cinquième (général Lauriston); enfin le duc de Tarente, avec le onzième, derrière Holzhausen. Le septième, composé de Saxons, qui venait de Taucha, devait occuper Paunsdorf. Mon corps devait être à gauche, et le troisième en seconde ligne.
Aucun engagement n'avait encore eu lieu; mais on devait reconnaître que le moment de l'action était prochain. Je venais de visiter mes postes de cavalerie wurtembergeoise sur la rive gauche de la Partha. J'avais donné pour instruction au général Normam, en le quittant, de se replier avec lenteur sur moi quand l'ennemi arriverait sur lui en débouchant de Taucha, et de me faire prévenir, afin que mes troupes eussent le temps de prendre les armes. Je rentrais à mon camp avec sécurité quand je vis la plaine couverte de cavalerie légère. Cette cavalerie en désordre marchait dans notre direction et s'avançait sur nous. Je supposai que les Wurtembergeois, attaqués brusquement, fuyaient. Je fis prendre les armes immédiatement aux troupes. Je fis battre la générale. C'était la première fois dans ma vie que j'employais devant l'ennemi ce moyen d'avertissement. En un petit nombre de minutes, les troupes furent en ligne, formées et en état de combattre. La cavalerie en vue approcha. Elle était composée de Cosaques. Normam, avec sa brigade, avait passé à l'ennemi.
Un instant après, la cavalerie saxonne, placée au dedans de nos lignes, s'ébranla et marcha dans la direction de l'ennemi. Je crus d'abord qu'elle allait se mettre en ligne dans un de nos nombreux intervalles; mais je reconnus bientôt ses intentions. Formée en colonne, ses chevaux de main étaient en tête. Elle dépassa rapidement la ligne des troupes françaises, fut reçue dans les rangs ennemis, et promptement imitée par l'infanterie et l'artillerie; mais, chose odieuse! cette artillerie, à peine arrivée à une certaine distance, s'arrêta, se mit en batterie et tira sur nous. La diminution de nos forces nous obligea à raccourcir notre ligne. Je portai ma droite en arrière et la plaçai dans la direction de Wolkmann, plus rapprochée de Leipzig. Ma ligne fut complétée au moyen de la division Delmas, du troisième corps, qui vint remplir le vide fait par le départ des Saxons et occuper Wolkmann. Les troupes que j'avais en tête se trouvaient être composées des deux armées de Silésie et du Nord. Les Suédois se trouvaient à leur droite et vis-à-vis de ma gauche.
L'ennemi dirigea ses principales attaques sur ce point. Il déploya devant nous cent cinquante bouches à feu. C'était beaucoup; car mon artillerie, fort diminuée par les pertes de l'avant-veille, avait très-peu de munitions. Il fallut les ménager, et cependant bientôt elles s'épuisèrent. L'ennemi rapprochait son canon, mitraillait un carré. Cette troupe, ainsi foudroyée, perdait du terrain, et alors j'allai la joindre et lui ordonner de s'arrêter. Je restai avec elle pour partager son sort et l'encourager; mais bientôt un autre carré, plus maltraité encore, fit un mouvement de retraite. Je fus forcé de courir à lui pour lui tenir le même langage et lui donner le même exemple.
Pendant ce temps, les attaques sur Schoenfeld se succédaient, et ce beau et grand village fut pris et repris sept fois. Jamais l'ennemi ne parvint à s'en emparer complétement. Les troupes de ma deuxième division et un détachement de la troisième eurent la gloire de cette défense héroïque. Elles comptaient pour rien le nombre de leurs ennemis et soutinrent le combat près de huit heures. À la fin de la journée, mon artillerie étant entièrement démontée ou sans munitions, et l'ennemi s'étant tellement rapproché avec la sienne, qu'il n'y avait plus moyen d'y tenir, mes troupes firent un léger mouvement en arrière; mais, l'artillerie du troisième corps étant venue à notre secours, ainsi que la division Ricard, le village de Schoenfeld fut repris une huitième fois, et ainsi finit cette malheureuse, mais glorieuse journée. Notre perte fut considérable en tués et en blessés, surtout en officiers, parmi lesquels huit officiers généraux de mon seul corps d'armée.
Pour donner une idée exacte de la manière dont nous nous sommes battus pendant ces deux célèbres journées, je dirai seulement ce qui concerne mon état-major et moi-même. Mon chef d'état-major et le sous-chef furent frappés à mes côtés 6; quatre aides de camp furent tués, blessés ou pris; sept officiers d'état-major furent également tués ou blessés 7. Quant à moi, j'eus un coup de fusil à la main, une contusion au bras gauche, une balle dans mon chapeau, une balle dans mes habits, quatre chevaux tués ou blessés sous moi 8. Sur trois domestiques qui m'accompagnaient, deux furent blessés et eurent leurs chevaux tués. Partout cependant nous avions résisté; partout nous avions conservé nos positions. Les troupes s'étaient surpassées en énergie et en courage, et elles en avaient bien le sentiment. Jamais je n'ai vu les miennes plus fières de ce qu'elles avaient fait.
Note 7: (retour) Entre autres, Laclos, chef de bataillon, tué; le capitaine de Charnailles, blessé et fait prisonnier; le capitaine Komierouski, la cuisse cassée; le lieutenant Perrégaux, le lieutenant de Bonneval, le lieutenant Martin, le lieutenant Baraguey-d'Hilliers, le poignet emporté; le capitaine Jules de Méry, prisonnier.--Nous n'avons pu nous procurer les noms des autres officiers; mais il suffit de remarquer que, parmi les aides de camp du maréchal, les seuls restés debout furent le colonel Denys de Damrémont, premier aide de camp, et le lieutenant-colonel Fabvier. (Note de l'Éditeur.)
Cependant il n'y avait plus un moment à perdre pour nous retirer et pour hâter une retraite rendue difficile par la position particulière à Leipzig, les embarras causés par tant de corps d'armée agglomérés et les défilés qu'il fallait traverser. De nombreux ponts auraient dû être construits sur l'Elster pour donner moyen à l'infanterie de marcher sur diverses colonnes à la fois, en laissant la chaussée libre à l'artillerie, à la cavalerie et aux équipages; mais on n'en avait fait aucun. L'état-major n'en avait pas reçu l'ordre et n'en eut pas la pensée. On aurait cru que des officiers seraient préposés pendant toute la nuit pour veiller à la sortie de l'artillerie et à la marche régulière de cet immense matériel. Rien de semblable ne fut ordonné. Les voitures, placées sur trois ou quatre colonnes parallèles sur les boulevards de Leipzig, se trouvant dans l'impossibilité d'avancer faute d'ordre, les soldats du train s'endormirent, et tout resta ainsi en confusion jusqu'au 19 au matin. Alors il fallut prendre position dans les faubourgs de la ville, afin de les défendre autant que possible et de retarder l'entrée de l'ennemi de quelques heures pour faciliter la sortie de cette artillerie, dont on était encombré; mais, aucune reconnaissance préliminaire n'ayant été faite, aucun de nous ne connaissait les localités, les points à occuper, les issues à garder. Les jardins qui entourent Leipzig rendaient d'ailleurs la défense difficile. Les troupes ne pouvant pas circuler, se mouvoir et se porter d'un point sur l'autre, l'ennemi, dans ce labyrinthe, trouva facilement des passages pour pénétrer. Quelques troupes ennemies une fois entrées, la crainte et le désordre se mirent parmi nos soldats, et toute défense devint impossible.
Chargé d'occuper le faubourg de Halle et de le défendre, je pris position, le 19, de grand matin. Le troisième corps était sous mes ordres.
Je plaçai la plus grande partie de mes troupes à la porte même de Halle et derrière la Partha, afin d'empêcher l'ennemi d'arriver plus tôt que nous sur la communication de Lindenau, notre point de retraite, objet de la plus grande importance. Je chargeai la division Ricard de la barrière de Schoenfeld, se liant par sa droite avec le onzième corps qui défendait la porte de Dresde. Je plaçai en réserve la plus grande partie du sixième corps dans les vergers, entre la barrière de Schoenfeld et la porte de Halle, les troupes ne pouvant pas se former sur le boulevard, occupé par une grande quantité de voitures.
Nous étions à peine formés lorsque l'ennemi, ayant réuni beaucoup d'artillerie et de troupes, attaqua le onzième corps dans le faubourg de Dresde. Ses attaques parvinrent peu après à la barrière de Schoenfeld; mais le canon qu'il avait porté de ce côté, ne pouvant découvrir le pied des maisons et du mur d'enceinte, ne lui ouvrit aucun passage. Ses tentatives furent repoussées. Une vaste maison, hors de l'enceinte, une manufacture, que j'avais fait occuper par un détachement du 70e régiment, et dont j'avais donné le commandement au major Rouget, fit éprouver de grandes pertes à l'ennemi, en même temps qu'une compagnie de carabiniers du 23e léger sortit de la barrière avec la plus grande impétuosité et massacra tout se qui s'était avancé. J'avais appelé, au secours de la division Ricard, la plus grande partie du sixième corps, et nous repoussions partout l'ennemi. Mais nous ne tardâmes pas à avoir des preuves que l'ennemi avait pénétré dans les faubourgs de droite. Il se présenta tout à coup à la droite immédiate des troupes à mes ordres, c'est-à-dire à la gauche du onzième corps, et entre ce corps et moi. Je marchai, à la tête du 142e et du 23e léger, pour le chasser des rues qu'il occupait. Un premier succès couronna nos efforts; mais les troupes ennemies augmentaient sans cesse; elles furent en outre bientôt secondées par le feu des troupes saxonnes et badoises qui occupaient l'intérieur de la ville. Cette circonstance rendit nos efforts inutiles.
Le désordre était partout. L'encombrement causé par les voitures sur les boulevards, l'affluence de ceux qui se retiraient, empêchaient aucune formation ni aucune disposition. Enfin la terreur emporta tout le monde. L'on jugera de ses effets quand on saura qu'il y a un boulevard circulaire entre la ville et les faubourgs, et que, les troupes se retirant à la fois par le boulevard du Nord, par celui du Midi et par le milieu de la ville, les trois colonnes se réunissaient sur la chaussée de Lindenau, débouché commun.
La foule était si pressée sur ce point de réunion, qu'ayant, pour mon compte, fait ma retraite par les bas-côtés du boulevard, jamais je ne pus entrer, sans secours, dans le courant. Deux officiers du 86e s'en chargèrent, l'un frappa tellement avec son sabre qu'il parvint à faire un léger vide, et l'autre, ayant saisi et tiré fortement la bride du petit cheval arabe que je montais, le jeta dans cette masse confuse, où dans les premiers moments il fut porté, tant la foule était compacte.
Cette foule s'écoulait et passait le pont que Napoléon avait fait miner. J'ignorais cette disposition, et je ne compris pas le sens d'une demande faite par le colonel du génie Montfort, qui s'informa auprès de moi de la troupe destinée à passer la dernière. Je lui répondis qu'à la manière dont la retraite s'opérait, avec la confusion existante, on devait croire que c'était le hasard qui en déciderait. Je continuai ma marche.
Je n'étais pas à deux cents pas de ce malheureux pont, lorsqu'une explosion m'annonça qu'il venait de sauter. Douze ou quinze mille hommes étaient encore en arriére.
Cet événement funeste fut causé par la vue de quelques Cosaques qui avaient paru dans la prairie. Le sous-officier de sapeurs qui était chargé de la mine perdit la tête, crut à une attaque, et y mit le feu.
Je réunis alors une portion de mes troupes sur la rive gauche de l'Elster, afin de protéger la retraite des hommes restés en arrière, et de recueillir ceux qui passaient l'Elster à la nage. Je reçus, en ce moment, le maréchal Macdonald qui, arrivé trois minutes trop tard, ne put passer le pont. Il franchit la rivière avec plus de bonheur que le prince Poniatowski qui y périt. Quelques hommes aussi se retirèrent par un petit pont que l'on avait trouvé le moyen d'établir. La division Durutte, du septième corps, mise sous mes ordres, prit également position dans la prairie dans le même but. Ces troupes y restèrent tant que leur présence fut utile. Plus tard elles se retirèrent, et furent couvertes par l'arrière-garde, composée de deux divisions de jeunes gardes, que commandait le maréchal duc de Reggio. Elles se trouvèrent réunies à Lindenau.
J'avais alors sous mes ordres les troisième, cinquième, sixième et septième corps, ou plutôt leurs misérables débris. J'allai prendre position à Markranstadt. C'est là que je retrouvai l'Empereur. Il était fort abattu, et il avait raison de l'être. À peine deux mois s'étaient écoulés, et une immense armée, une armée de plus de quatre cent cinquante mille hommes, s'était fondue entre ses mains. C'était la seconde fois depuis un an qu'il présentait au monde ce spectacle de destruction, dont les temps modernes n'ont pas offert d'autre exemple. Il lui restait environ soixante mille hommes, composés en partie de la garde, en partie des corps de cavalerie qui avaient passé le défilé de Lindenau pendant la nuit, et dans la journée du 18, et enfin du corps de Bertrand: seules forces régulières sur lesquelles il pût compter. Ce qui sortit, le 19, au moment où l'ennemi entrait à Leipzig, n'avait plus ni consistance ni organisation.
Le 20, nous nous portâmes sur Weissenfels. J'occupai, avec les divers corps sous mes ordres, dont la force ne s'élevait pas ensemble à six mille hommes, les hauteurs de la rive gauche de la Saale, couvrant le passage de l'armée contre les troupes ennemies qui auraient pu déboucher par Mersebourg. Le lendemain, nous campâmes sur les hauteurs de Freybourg et d'Eckartsberg. Un corps ennemi, venant de Iéna, se montra sur notre flanc vers Kosen, et voulut gêner notre marche. Je formai mes troupes au débouché; je contins l'ennemi, et couvris ainsi les mouvements de l'armée. Le 22, nous prîmes position à Butelstadt; le 23 et le 24, sur les hauteurs d'Erfurth; le 25, à Arsbach; le 26, à Wartas; le 27, à Buttler; le 28, en avant de Fulde; le 29, à Saalmünster. L'ennemi nous suivait sur différentes colonnes, mais ne pressait pas notre marche. Il n'y eut qu'un seul engagement sérieux près de Gotha. La jeune garde, d'abord aux ordres du maréchal Oudinot, puis à ceux du maréchal Mortier, faisait l'extrême arrière-garde, et avant elle marchait à peu de distance le quatrième corps.
Des troupes aussi désorganisées que celles que nous commandions, aussi harassées, aussi exténuées par les marches, les combats, les revers et les privations, s'abandonnèrent bientôt à l'indiscipline. L'impossibilité de faire vivre les soldats par des distributions régulières motiva et justifia leurs dispositions. Chacun s'occupa, avant tout, à trouver sa subsistance; et, comme l'esprit militaire était éteint, comme un abattement et un dégoût que rien ne saurait rendre le remplaçaient, tous ceux qui s'étaient éloignés des drapeaux jetèrent leurs armes et marchèrent un bâton à la main. Sur soixante mille hommes qui restaient encore, vingt mille étaient ainsi formés en troupes de huit ou dix hommes, couvrant toute la campagne, et marchant sur les flancs des colonnes, bivaquant pour leur compte. Les plaines et les vallées étaient, chaque nuit, couvertes d'une quantité de feux épars, et placés sans régularité. Ces soldats reçurent de l'armée un surnom devenu historique, qui rappelait leur unique occupation, la recherche des moyens de vivre; on les appela les fricoteurs.
Au commencement d'octobre, les négociations qui déjà existaient depuis quelque temps entre l'Autriche et la Bavière, prirent un caractère sérieux, et se terminèrent par une alliance. L'armée du général de Wrede, qui, dans l'intérêt de l'alliance française, était rassemblée sur les bords de l'Inn, et couvrait la Bavière contre les troupes de l'Autriche, commandées par le prince de Reuss, se réunit à celles-ci pour nous attaquer. Se plaçant sous les ordres mêmes du général de Wrede, elles se mirent en marche pour se porter sur nos derrières et couper nos communications. Dès le 15 octobre, cette armée avait commencé son mouvement. Le 17, elle était à Landshut; le 20, à Nordlingen; le 22, à Anspach, et le 24 devant Würtzbourg. Le général Tarreau commandait dans cette ville avec une garnison de douze cents hommes. Il refusa d'en ouvrir les portes. De Wrede fit mettre en batterie tous les obusiers de son armée, et bombarder la ville pendant la nuit, mais sans effet. Plusieurs sommations ayant été infructueuses, il se disposait à donner l'assaut à cette ville, dont l'étendue était beaucoup trop grande pour la faible garnison qui l'occupait, lorsque le général Tarreau consentit à la lui remettre et à se retirer dans la citadelle. L'armée austro-bavaroise continua son mouvement sur Aschaffembourg et sur Hanau. Son avant-garde entra dans cette ville; mais, chassée par une première colonne qui marchait à deux journées en avant de l'armée, les Bavarois, soutenus par des renforts, y rentrèrent après son passage. Obligés de nouveau d'évacuer la ville et d'attendre la division du général Lamotte, cette division et celle du général de Roy étant arrivées, ils occupèrent la ville et les bords de la Kinzig.
Le 29, Wrede dirigea la division Rechberg sur Francfort. Elle y arriva le 30, et occupa le faubourg de Sachsenhausen. Une avant-garde autrichienne de cette même armée se porta sur Gelnhausen, et prit position à Altenhausen. Toute l'armée de Wrede, forte de cinquante mille hommes, était rassemblée sur le terrain le plus favorable pour agir contre l'armée française. Il eût dû porter toutes ses forces à l'entrée du défilé de Gelnhausen; jamais il n'aurait été au pouvoir de l'armée française de déboucher; mais il se tint timidement dans la plaine, peu en avant de la Kinzig, et à portée de repasser cette rivière et de se retirer dans la vallée du Mein, s'il était battu.
Ce même jour, 29, l'avant-garde de l'armée française culbuta la brigade autrichienne de Wolkmann, placée à peu de distance de Gelnhausen. Vers trois heures après-midi, elle arriva devant Langenselbold qui était occupé par une division bavaroise. Cette division fut forcée à se retirer. L'armée ennemie s'établit alors de la manière suivante, en position en avant de Hanau et de la Kinzig. Elle avait cette rivière à dos: sa droite, composée de la division Becker, appuyée à la rivière et à la ferme de Neuhof. Venait ensuite une partie de la division autrichienne du général de Fresnel. Au delà de la route de Francfort était placée la division bavaroise de Lamotte. Plus à gauche était la cavalerie bavaroise et une nombreuse artillerie. Cette ligne était terminée par le reste de la division de Fresnel, et des Cosaques qui voyaient la route de Friedberg. Enfin la division du général Bach occupait la ville de Hanau.
Le 30, au matin, l'armée française, aussitôt qu'elle fut à portée, et qu'elle put se développer dans la plaine, mit en action sa cavalerie et l'artillerie de la garde. La cavalerie aux ordres du général Sébastiani les soutint. L'ennemi, écrasé par le feu auquel il fut soumis, pressé par les charges qu'il eut à supporter, plia. Quand il fut arrivé à la lisière du bois, plusieurs milliers de tirailleurs furent chargés de l'y suivre. Les troupes peu nombreuses du duc de Bellune et du duc de Tarente reçurent cette mission. Deux bataillons de chasseurs de la vieille garde, commandés par le général Curial, curent l'ordre de les soutenir. La manière dont ces deux bataillons se portèrent en avant et culbutèrent ce qu'ils avaient devant eux fut un objet d'admiration pour ceux qui en furent témoins.
Appelé par le feu, dont j'entendais le bruit, et par les ordres que je reçus, je hâtai ma marche et j'arrivai à temps pour prendre part au combat avec la tête de ma colonne. Une charge de six cents hommes faite dans le bois à l'appui de notre gauche, qui éprouvait une fort grande résistance, força l'ennemi à repasser la Kinzig. Tout ce qui était sur la route de Francfort se retira par Hanau, et sortit de cette ville pour se réunir à ce qui avait fait sa retraite par le pont de Lamboi. Pendant la nuit, je fis jeter quelques centaines d'obus dans la ville. L'ennemi l'évacua, et j'en fis prendre possession. Je bivaquai en face de lui. Je n'en étais séparé que par la Kinzig. Les Bavarois perdirent dans cette affaire environ six mille hommes. Notre perte fut moindre, vu le petit nombre de nos combattants et notre succès.
L'ennemi tenta de passer la Kinzig le lendemain 31; mais il fut constamment repoussé par mes troupes. Aucune de ses tentatives ne lui réussit; et, quoiqu'il fit soutenir ses mouvements offensifs par une artillerie formidable et très-supérieure à la nôtre, ses troupes furent constamment rejetées ou contenues de l'autre côté de la rivière. Le quatrième corps, étant arrivé, me remplaça. Quand il fut en position, je continuai mon mouvement sur Francfort. Alors de Wrede prit l'offensive à la fois sur la rivière et sur la ville. Cette dernière attaque réussissant, il voulut déboucher sur la grande route; mais ce général, arrivé sur le pont, reçut une balle dans le bas-ventre. L'artillerie de la division Morand ayant en même temps mitraillé la colonne ennemie, elle plia. Une brigade italienne chargea l'ennemi avec vigueur, le culbuta et reprit la ville. Le soir, le général Bertrand replia ses postes et se retira sur Francfort. L'arrière-garde, commandée par le maréchal Mortier, évita de passer à Hanau, et se retira de Gelnhausen directement sur Hochstadt, où elle arriva sans être inquiétée.
Le 1er novembre, je me rendis à Hochstadt, sur la Nidda. Le pont sur cette rivière avait été coupé par l'ordre du maréchal Kellermann, commandant à Mayence. Ce général, sans garnison dans cette forteresse, n'avait à sa disposition que quelques dépôts. Craignant l'arrivée de l'armée de Wrede, il avait cherché, avec raison, à lui créer des obstacles pour retarder sa marche. Le 2 novembre, j'entrai à Mayence. Mes troupes s'y établirent, ainsi que dans les environs.
Notre retour sur le sol de l'Empire semblait mettre un terme à nos malheurs: mais ce ne devait être qu'une suspension momentanée à nos souffrances. Nous étions destinés à être, plus tard, accablés par bien d'autres infortunes et bien d'autres misères.
CORRESPONDANCE ET DOCUMENTS
RELATIFS AU LIVRE DIX-HUITIÈME.
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Bautzen, le 6 septembre 1813,
dix heures du matin.
«D'après de nouvelles dispositions, monsieur le duc de Raguse, l'Empereur ordonne qu'au lieu de vous porter sur Hoyerswerda vous partiez sur-le-champ, avec votre corps d'armée, pour vous diriger sur Dresde en passant par Königsbrück. Faites-moi connaître toujours où vous serez, afin que je puisse vous envoyer des ordres.
«Le prince vice-connétable, major général,
«Alexandre.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Bautzen, le 6 septembre 1813,
dix heures du matin.
«Mon cousin, rendez-vous aujourd'hui sur Kamens et Königsbrück, pour pouvoir arriver demain à Dresde, s'il est nécessaire. Je vais moi-même m'approcher aujourd'hui de Dresde, et je verrai si les choses sont aussi sérieuses que paraîtrait l'annoncer la dépêche du maréchal Saint-Cyr. Si cela était moins sérieux, de la petite ville de Königsbruck et de Kamens vous pourriez toujours vous reporter sur Hoyerswerda. Emmenez tout ce qui appartient à votre corps, et ne laissez personne à Bautzen.--Le général Normam ayant marché du côté de Königsbruck, vous le prendrez sous vos ordres: il sera nécessaire que vous l'employiez à flanquer votre marche.
«Napoléon.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Dresde, le 7 septembre 1813.
«Il est neuf heures du matin, monsieur le duc. L'Empereur suppose que vous avez reçu la lettre que je vous ai écrite à quatre heures du matin. Jusqu'à ce moment, l'ennemi ne paraît pas avoir de monde à Dippoldiswald, et nous sommes toujours dans l'opinion que le mouvement que l'ennemi fait sur la rive gauche de l'Elbe a pour but de rappeler l'Empereur de son mouvement sur la Neisse.
«Nous recevons des nouvelles du prince de la Moskowa; il a attaqué l'ennemi le 5 à deux lieues de Wittenberg; il l'a battu et repoussé jusqu'à cinq lieues sur la route de Interburg. L'Empereur pense donc qu'il sera utile que vous vous rendiez à Hoyerswerda, et de là pousser une avant-garde sur Kalau. Arrivé à Lukau, vous ne serez qu'à trois fortes marches de Dresde, et à même distance de Berlin. Sa Majesté pense donc que vous devez diriger de suite la valeur d'une division sur Hoyerswerda, et garder pendant toute la journée d'aujourd'hui votre troisième division à Kamens, pour bien rallier tous vos traîneurs.
«Vous trouverez ci-joint un ordre qui met le général Lhéritier à votre disposition. Ce général est à Grossenhayn; il pourra vous rejoindre par Elsterwerda, Senftenberg, ou par Sonnenwald. Comme il a deux bataillons d'infanterie, quelques pièces de canon et plus de deux mille chevaux, s'il marche réuni et avec précaution, il n'aura rien à craindre dans sa marche pour flanquer votre gauche.
«Le prince vice-connétable, major général,
«Alexandre.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Lubestadt, le 10 septembre 1813,
neuf heures du matin.
«Monsieur le duc de Raguse, l'intention de l'Empereur est que vous restiez à Dresde, et que vous avez l'oeil sur tout ce qui se passe.
«La position de l'armée est aujourd'hui ainsi qu'il suit:
«Le prince de la Moskowa et les trois corps qui ont essuyé un échec, dans la journée du 6, se rallient à Torgau;
«Le duc de Tarente vient prendre position avec son armée aujourd'hui 10, en avant de Bautzen. Le prince Poniatowski garde la droite; cette retraite n'était pas nécessitée, elle a été ordonnée par l'Empereur pour concentrer nos forces;
«Le général Lhéritier est à Grossenhayn en observation;
«Le sixième corps est à Dresde avec la brigade Piré;
«Le général Margaron, avec un corps de huit à dix mille hommes, cavalerie, infanterie et artillerie, est à Leipzig;
«Le maréchal Saint-Cyr, soutenu par les premier et deuxième corps, marche sur les hauteurs de Toeplitz;
«Une division de la jeune garde est à Dresde;
«Le duc de Trévise, avec les autres divisions, est à Pirna, occupant Gieshübel.
«Les corps russes et prussiens, et quelques Autrichiens qui occupaient Borna, Gieshübel et Altenbourg, se sont mis successivement en retraite dans la journée d'hier.
«Dans cette situation des choses, il est probable que ce mouvement offensif en Bohême rappellera les corps que l'ennemi avait jetés sur Freyberg et Zwickau, si tant est que l'ennemi ait jeté des corps dans cette direction. Si l'ennemi n'a jeté que des partis, il est possible qu'il les laisse, mais alors, monsieur le maréchal, vous pouvez faire faire de fortes patrouilles sur Freyberg pour les poursuivre.
«Il est nécessaire, monsieur le duc, que vous receviez la correspondance du général Lhéritier, que vous le souteniez s'il est nécessaire; il faut aussi que vous vous mettiez en correspondance avec le prince de la Moskowa, le duc de Tarente et le prince Poniatowski.
«Il est possible que l'Empereur soit de retour dans la journée de demain à Dresde; Sa Majesté peut dans un jour réunir toute sa garde et le corps du général Latour-Maubourg à votre corps d'armée. Il est possible aussi que, si l'Empereur trouve quelque mal à faire à l'ennemi, il reste encore éloigné de Dresde pendant quelques jours.
«Le prince vice-connétable, major général,
«Alexandre.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Dresde, le 12 septembre 1813.
«L'Empereur ordonne, monsieur le duc, que vous vous mettiez en marche demain 13, à cinq heures du matin, avec votre première division; vous vous ferez suivre par votre seconde division, qui partira à six heures, et par votre troisième division qui partira à sept heures du matin. Vous vous dirigerez sur Grossenhayn, afin de chasser l'ennemi de la rive droite de l'Elbe entre Torgau et Dresde, et de favoriser un convoi de quinze mille quintaux de farine qui de Torgau doit venir à Dresde. L'arrivée de ce convoi est de la plus haute importance, puisqu'elle assurerait des subsistances pendant plusieurs mois sur notre point de réunion de Dresde.
«Sa Majesté le roi de Naples part demain avec le premier corps de cavalerie pour Grossenhayn; il prendra aussi sous ses ordres le cinquième corps de cavalerie qui s'y trouve, et, soutenu par votre corps, il manoeuvrera de manière à rendre libre l'Elbe, afin que le convoi de quinze mille quintaux de farine puisse arriver à Dresde, et de manière aussi à éclairer tout ce qu'il y a d'ennemis de ce côté.
«Le prince vice-connétable, major général,
«Alexandre.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Dresde, le 14 septembre 1813.
«Monsieur le maréchal duc de Raguse, je mande au roi que, si le but de son expédition est rempli, c'est-à-dire si le convoi parti de Torgau le 13 a passé les points dangereux, le roi partirait demain au jour avec sa cavalerie pour se rendre à Dresde: il paraît que l'ennemi veut déboucher par Peterswald. Dans ce cas, l'intention de Sa Majesté serait que vous fissiez partir demain, deux heures avant le jour, la division de votre corps la plus rapprochée de Dresde, et que vous arrivassiez de votre personne avec cette division: le reste de votre corps d'armée suivrait. Il serait alors important, monsieur le duc, que vous arrivassiez le plus tôt possible avec votre division, afin d'avoir l'oeil sur tout. L'Empereur sera ce soir à Pirna. Le général Lhéritier s'échelonnerait de Grossenhayn sur Dresde pour protéger le passage du convoi de farine: l'arrivée de ce convoi est de la plus haute importante et la première considération. L'Empereur veut à son tour attaquer l'ennemi et vigoureusement. Je vous écrirai dans la nuit: envoyez-moi un officier.
«Le prince vice-connétable, major général,
«Alexandre.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Dresde, le 15 septembre 1813,
deux heures du matin.
«Mon cousin, quinze à vingt mille hommes ont débouché hier par Peterswald, ce qui a obligé le comte de Lobau à prendre la position de Gieshübel; mais, comme l'ennemi n'a point attaqué en même temps Borna, cela ne s'annonce point comme un mouvement d'armée. Il me tarde d'apprendre que le convoi de vivres est passé. Vous devez faire, ainsi que le roi de Naples, tout pour faire arriver ce convoi. Cela fait, il faudra vous tenir prêt à agir d'après les circonstances, et à revenir à Dresde si cela est nécessaire. Vous aurez, dans la journée, des nouvelles positives de ce qui se sera passé. Je compte me rendre près de Pirna, pour être plus rapproché de ce qui aura lieu de ce côté. J'espère que, si hier 14 vous n'avez pas eu de nouvelles du convoi, vous en aurez aujourd'hui 15. Si vous avez la nouvelle qu'il a passé, préparez-vous à faire un mouvement; mais ne vous pressez pas de le faire jusqu'à ce que vous ayez les nouvelles de la journée.
«Napoléon.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Pirna, le 16 septembre 1813,
neuf heures du matin.
«L'Empereur a chassé hier l'ennemi au delà de Peterswald, mais il occupe encore le col des hautes montagnes, entre Peterswald et Nollendorf. Sa Majesté le fera attaquer aujourd'hui à midi pour le chasser et le rejeter entièrement au delà des montagnes.
«Sa Majesté a appris avec plaisir la nouvelle du convoi; votre présence, monsieur le maréchal, ainsi que celle du roi, dans toutes ces directions, est utile, parce qu'elle menace Berlin; Sa Majesté suppose d'ailleurs que cela fait un moment de repos pour votre corps, comme pour la grosse cavalerie.
«Sa Majesté a déjà fait connaître qu'il fallait occuper Radebourg et Königsbruck. Elle suppose que cela est fait; elle suppose aussi qu'on se sera mis en correspondance avec le prince de la Moskowa en établissant un bateau à la hauteur de l'endroit où se trouve le roi.
«L'Empereur désire, monsieur le maréchal, que vous envoyiez un officier reconnaître le château de Meissen, le pont, la tête de pont: savoir si elle est armée et si tout est en bon état.
«Le prince vice-connétable, major-général,
«Alexandre.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Pirna, le 20 septembre 1813,
quatre heures du matin.
«Mon cousin, la journée d'hier et cette nuit sont si horribles, qu'il n'y a pas moyen de bouger.--Le duc de Tarente a donné une fausse alarme. Vous devez rester, jusqu'à nouvel ordre, dans votre position; il n'est pas probable que l'infanterie ennemie ose s'avancer. Si cela était, je viendrais vous renforcer et nous livrerions bataille, ce qui serait une chose bien avantageuse, mais qui paraît opposée à leur système. La grande affaire de ce moment paraît être de conserver les armes et les cartouches le plus possible.
«Napoléon.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Harta, le 23 septembre 1813,
une heure après midi.
«Mon cousin, l'ennemi a repassé en désordre la Sprée. Le duc de Tarente doit, dans ce moment, être entré à Bautzen.--Mon intention est de faire remplacer le général Normam par une colonne du corps du duc de Tarente dans la journée de demain et de vous donner ordre de vous replier demain sur Meissen. Aussitôt que le roi de Naples sera revenu à Dresde, le général Latour-Maubourg sera sous vos ordres. Je dirige sur Meissen le troisième corps, qui sera également sous vos ordres. Il arrivera à Meissen le 25 ou au plus tard le 26.--Cela vous fera une forte armée, avec laquelle vous serez prêt à vous porter partout où les circonstance l'exigeraient. Faites préparer des vivres à Meissen et dans les bailliages environnants. J'attache une haute importance au pont de Meissen. Pressez les travaux du pont de Meissen, et fournissez tous les ouvriers nécessaires aux travaux de la tête de pont. Il est inutile de changer le pont de bateaux, puisque j'espère que, sous huit jours, le pont de pierre sera réparé.--J'aurai un pont à Koenigstein, un pont à Pirna, un pont à Pilnitz, trois ponts à Dresde et un pont à Meissen. J'ai ordonné de construire, à une demi-lieue en avant du camp retranché de la rive droite à Dresde, deux redoutes, l'une sur la route de Berlin, et l'autre sur celle de Bautzen. Le duc de Tarente est chargé de la garde de camp retranché, et occupera tous les débouchés de la forêt par des postes retranchés à deux lieues en avant.--Par ce moyen, je pourrai disposer des troisième, cinquième et huitième corps, et de la plus grande partie de la cavalerie du général Sébastiani, ainsi que de toute ma garde. Avec ces forces, je battrai l'ennemi de l'oeil, afin de profiter de la première faute qu'il pourrait faire.--Envoyez un officier au prince de la Moskowa pour lui faire connaître verbalement le contenu de cette lettre, afin d'éviter que celui-ci puisse tomber entre les mains de l'ennemi.--Le général Lefebvre-Desnouettes a battu Thielmann et a rétabli la communication avec Erfurth. Je viens aussi de recevoir sept estafettes de Paris tout à la fois.--Le cinquième corps de cavalerie restera à Grossenhayn, et sera chargé de couvrir les routes de Meissen, de Moritzbourg, etc.--Tenez vos postes en avant de Meissen le plus loin que vous pourrez et aussi longtemps qu'il sera possible.--Faites travailler, je vous le répète, avec la plus grande activité à la tête de pont de Meissen en faisant relever vos ouvriers trois à quatre fois par jour.--Vous verrez, par les ordres que vous recevrez du major général, que, dès que vous aurez repassé l'Elbe, vous devez placer vos postes de manière à garder parfaitement la rive gauche jusqu'à Torgau. Le troisième corps y sera plus particulièrement destiné.--Je vous écrirai plus en détail de Dresde, où je serai ce soir.
«Napoléon.»
«P. S. Ne faites aucun mouvement que vous n'en receviez l'ordre du major général.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Harta, le 24 septembre 1813,
cinq heures du matin.
«Mon cousin, j'ai reçu votre lettre du 23, à une heure après-midi. Les renseignements que vous me donnez sont légers et vagues. Vous ne me faites pas connaître de quelle nation étaient les troupes qui ont campé à deux lieues de vous, ni d'où elles venaient, ni ce qu'elles ont fait. Il paraît que le général Sacken s'était retiré sur Kamens; mais il est probable qu'il se sera porté ensuite sur Bautzen, où le duc de Tarente doit entrer ce matin. Nous allons en avoir des nouvelles positives.--Vous aurez probablement fait raccommoder le pont de Meissen. Vous y aurez envoyé à cet effet des sapeurs.--Je suis étonné qu'hier, à une heure après midi, vous n'eussiez pas encore reçu ma lettre relative à la reconnaissance du général Delmas sur Kamens.
«Napoléon.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Dresde, le 25 septembre 1815.
«Mon cousin, j'ai reçu votre lettre du 24. J'ai ordonné qu'effectivement, sans défaire le pont actuel, on établit des piles sur bateaux, qui nous donneront, sous quarante-huit heures, le passage du pont de pierre. Faites exécuter cet ordre. Cela fera deux ponts au lieu d'un, ce qui nous sera avantageux jusqu'à ce que nous ayons définitivement un véritable pont.--Donnez des ordres pour qu'à Meissen on ne laisse plus descendre aucun bateau pour Torgau, puisque la rivière n'est pas libre.
«Napoléon.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Dresde, le 27 septembre 1813,
dix heures du matin.
«Monsieur le duc de Raguse, l'Empereur ordonne que vous portiez votre quartier général à Wurtzen, et que vous placiez vos trois divisions, l'une près de Eulenbourg, une autre à Wurtzen, et une autre entre Wurtzen et Meissen: par exemple à la petite ville d'Oschatz ou dans celle de Mügeln.
«Quant au premier corps de cavalerie du général Latour-Maubourg, l'intention de l'Empereur est que vous le placiez à Dahlen et Schilda, si toutefois il y a du fourrage dans ces endroits.
«Vous laisserez une brigade de grosse cavalerie et une brigade d'infanterie à Meissen, jusqu'à ce qu'elles y soient relevées.
«Je donne l'ordre à cinq cents hommes montés du 3e de hussards et du 27e de chasseurs, appartenant au cinquième corps de cavalerie, qui sont à Wilsdruff, de se rendre à Meissen pour y relever la brigade de cavalerie que vous aurez laissée dans cette place.
«L'intention de l'Empereur, monsieur le maréchal, est que vous formiez cinq colonnes, chacune de trois à quatre cents hommes de cavalerie et d'un bataillon d'infanterie; les trois premières seront destinées à occuper la position vis-à-vis Mühlberg, la petite ville de Strehla et les positions entre Strehla et Meissen, chacune de ces colonnes ayant six pièces de canon sur le bord de la rivière. Les deux autres seront destinées à aller en partisans pour nettoyer tout ce qui se trouverait entre Torgau et Dresde, Colditz et Meissen, et il suffira que ces dernières colonnes aient deux pièces d'artillerie.
«Le général Margaron a sous ses ordres, à Leipzig, différents détachements appartenant au premier corps de cavalerie; il a déjà dû faire rejoindre ceux qui faisaient partie des brigades Piré et Valin; il doit lui rester les suivants:
PREMIÈRE DIVISION ET CAVALERIE LÉGÈRE, GÉNÉRAL BERKEIM.
Hommes. Chevaux. Hommes. Chevaux.
1er de chevau-légers. 128 -- 135 }
3e id. 63 -- 71 } 352 -- 393
5e id. 94 -- 104 }
8e id. 67 -- 83 }
2e de cuirassiers. 37 -- 36 }
3e id. 9 -- 13 }
6e id. 109 -- 116 } 219 -- 244
9e id. 21 -- 21 }
7e de dragons 31 -- 35 }
19e de chasseurs. 12 -- 23 }
----- -----
Total 571 -- 637
«La division Berkeim étant avec le deuxième corps, je donne l'ordre au général Margaron d'envoyer les quatre premiers détachements ci-dessus à Freyberg pour rejoindre leurs corps. Quant aux six autres détachements, je lui prescris de les diriger sur Wurtzen et de vous informer de leur marche. Je vous prie, monsieur le maréchal, de m'instruire de leur arrivée et de les faire réunir à leurs régiments respectifs.
«Pour le prince vice-connétable, major général.
«Le général de division, chef de l'état-major.
«Comte Monthion.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Dresde, le 27 septembre 1813, quatre
heures et demie du matin.
«Monsieur le maréchal, j'ai mis sous les yeux de l'Empereur votre lettre du 26, qui rendait compte que votre quartier général était à Ocrill. L'intention de Sa Majesté est que vous fassiez passer l'Elbe au sixième corps d'armée et au premier corps de cavalerie, et que vous vous échelonniez sur Torgau. Il serait convenable de ne faire occuper le bord de la rivière que par des troupes légères et de prendre une route qui ne serait soumise ni en vue de la rive droite.
«Le cinquième corps de cavalerie devra s'approcher de Dresde de manière à garder les routes de Dresde, Radenbourg, Grossenhayn et Meissen dans la position la plus favorable. Grossenhayn se trouvant trop loin, il ne sera pas possible qu'on puisse garder cette place lorsque vous aurez quitté Meissen. Le quartier général du cinquième corps de cavalerie pourrait être placé à Moritzbourg.
«Gardez en force la tête de pont de Meissen; faites-moi connaître si tous les blockhaus qui ont été établis de Meissen à Torgau sont garnis de troupes, afin d'être assuré que la route soit gardée.
«Si l'infanterie ennemie s'approchait trop de Meissen pendant que vous y serez, débouchez sur elle et donnez-lui une leçon. Le prince de la Moskowa a repoussé, le 24, l'ennemi entre Wittenberg et Torgau. Vous en aurez sûrement reçu des nouvelles.--L'Empereur en attend à chaque instant, et il est probable que, dans la journée, il vous enverra de nouveaux ordres pour prononcer votre mouvement sur Leipzig ou Torgau; ce sera sans doute sur Torgau. Faites en sorte que votre première division prenne une direction intermédiaire et que l'ennemi ne puisse connaître définitivement celle que vous suivrez.
«Pour le prince vice-connétable, major-général,
«Le général de division, chef de l'état-major,
«Comte Monthion.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Dresde, le 27 septembre 1813,
neuf heures du matin.
«Mon cousin, votre première division arrivera demain à Eilenbourg; votre seconde à Wurtzen, et votre troisième à Oschatz. La cavalerie du général Latour-Maubourg sera sur Dahlen et Schilda. Votre quartier général sera demain à Wurtzen. Vous donnerez ordre qu'une brigade de grosse cavalerie reste à Meissen jusqu'à ce qu'elle y soit relevée par six cents hommes de cavalerie qui appartiennent au cinquième corps et qui sont aujourd'hui à Wilsdruf.--Tenez votre quartier général toute la journée d'aujourd'hui à Meissen.--Vous formerez trois colonnes, chacune de trois à quatre cents hommes de cavalerie, un bataillon d'infanterie et six pièces d'artillerie à cheval. Vous aurez soin que ces colonnes soient bien commandées, et vous en enverrez une vis-à-vis Mühlberg, une sur Strehla et la troisième entre Strehla et Meissen, sur les points où il y avait des bacs. Ces colonnes battront toute la rive et empêcheront tout passage; elles feront construire des blockhaus intermédiaires entre ceux qui existent déjà, de manière qu'au lieu qu'il y en ait toutes les deux lieues il y en ait de lieue en lieue; elles feront voir qu'elles ont de l'artillerie en la promenant le long de la rivière pour la montrer tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, et elles détruiront à coups de canon tous les bateaux de l'ennemi.--Vous formerez deux autres colonnes, chacune de trois à quatre cents hommes de cavalerie légère, cinq cents hommes d'infanterie et deux pièces d'artillerie. Vous les ferez commander par des officiers intelligents qui concerteront leurs mouvements avec le prince Poniatowski, le général Lefebvre-Desnouettes, le général Lorge et le duc de Padoue, pour courir après les partisans ennemis et faire en sorte qu'il n'y en ait aucun entre Leipzig et l'Elbe.--Faites une instruction pour toutes ces colonnes: elles ne doivent jamais passer la nuit dans le lieu où elles auraient vu coucher le soleil. Toutes ces colonnes doivent être très-actives, correspondre entre elles et purger entièrement le pays des partis ennemis.--Le prince Poniatowski est à Waldheim; sa cavalerie légère est à Colditz; elle se liera donc avec la vôtre. Le général Lefebvre-Desnouettes est à Altenbourg, et le duc de Padoue a beaucoup de cavalerie à Leipzig. Mettez-vous en correspondance avec lui. Le prince de la Moskowa est à Pretsch et à Kemberg.--Dans cette position, vous serez à portée de vous joindre au prince de la Moskowa pour couvrir Leipzig et couper à l'ennemi le chemin de l'Elbe, ou bien de prendre l'offensive par Wittenberg pour faire tomber tous les ponts de l'ennemi, ou enfin revenir sur Dresde, sur Chemnitz ou sur Altenbourg, pour s'opposer aux mouvements que l'ennemi pourrait faire de la Bohême. Le duc de Bellune est à Freyberg.--Il va vous arriver d'Erfurth trois mille hommes d'infanterie pour votre corps.--Je donne ordre au général Margaron de renvoyer au premier corps de cavalerie les mille hommes de ce corps qu'il a à Leipzig.
«Napoléon.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Dresde, le 28 septembre 1813.
«Monsieur le maréchal duc de Raguse, je vous préviens que, d'après les intentions de l'Empereur, je donne l'ordre au général Lhéritier de réunir tout le cinquième corps de cavalerie à Meissen et de rester dans cette place. Ce général formera deux colonnes, chacune de quatre à cinq cents chevaux, avec deux pièces d'artillerie. L'une sera chargée de la garde de l'Elbe depuis Meissen jusqu'à Riesa, et l'autre de Meissen à Dresde, et il se tiendra avec le reste de son corps à Meissen pour se porter partout où cela serait nécessaire. Par ce moyen, monsieur le duc, vous pourrez ne former que deux colonnes au lieu de trois pour garder la rive gauche de l'Elbe.
«L'Empereur ordonne, monsieur le maréchal, que vous laissiez une brigade d'infanterie, avec sa batterie, pour occuper Meissen jusqu'à ce qu'elle y soit remplacée par d'autres troupes; elle tiendra un bataillon dans la tête de pont. Le pont sera attaché aux piles du pont de pierre. Les canons du château et l'artillerie de la brigade seront mis en batterie sur la rive gauche pour protéger la tête de pont. S'il était à craindre que le pont fût rompu, il serait établi un bac pour la communication d'une rive à l'autre. Sa Majesté vous recommande, monsieur le duc, de laisser un bon général de brigade pour être chargé du commandement de la brigade que vous laisserez à Meissen jusqu'à ce qu'elle soit remplacée. Je vous prie de m'informer de l'exécution de ces dispositions.
«Pour le prince vice-connétable, major général,
«Le général de division, chef d'état-major,
«Comte Monthion.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Dresde, le 28 septembre 1813.
«Mon cousin, je vous suppose aujourd'hui à Wurtzen. L'ennemi, qui avait établi un pont vis-à-vis de l'Elster et qui avait une très-belle tête de pont, a reployé son pont, le général Bertrand l'ayant chassé de Wartenbourg. Ce général a démoli la tête de pont et s'est porté le 26 à l'appui du prince de la Moskowa, qui marchait sur Dessau.--Le général Lefebvre-Desnouettes était toujours à Altenbourg. Il aurait marché sur Zwickau, mais les mouvements de Dessau l'empêchaient de s'éloigner de Leipzig.--Le duc de Castiglione sera avec tout son corps après-demain à Iéna.
«Napoléon.»
LE MARÉCHAL NEY AU MARÉCHAL MARMONT.
«Schleesen, le 28 septembre 1813,
cinq heures du matin.
«Mon cher maréchal, j'ai poussé l'ennemi le 26 et le 27 jusque près de Dessau; il a brûlé ses ponts sur la Mulde et passé l'Elbe. Je ferai, ce matin, la même opération qu'à Wartenbourg, resserrant l'ennemi dans sa tête de pont par les deux rives de la Mulde et la gauche de l'Elbe; mais il est probable qu'il ne laissera personne sur cette rive et qu'il repliera son pont. On a distingué hier un grand mouvement dans l'armée ennemie, vers Roslau, et on a remarqué une colonne marchant sur Zerbst, où est le quartier général du prince royal de Suède, et une autre se dirigeant sur Koswig.
«Il paraît que l'ennemi a fait une ligne de circonvallation à sept cent toises de Wittenberg, et qu'il prépare des batteries pour repousser nos colonnes si elles débouchaient par cette place. Le bombardement a continué cette nuit. J'envoie ce matin le général du génie Blein à Wittenberg pour reconnaître la tranchée ennemie. On pense que c'est Bulow qui est chargé de ce siége, et que Tauenzien est en observation vers l'Elster. Les corps suédois et russes sont vers Koswig et Zerbst. Les Suédois, en quittant Dessau, ont dit qu'ils repassaient l'Elbe, parce que l'Autriche avait fait une paix séparée avec l'empereur Napoléon.
«Je compte établir le général Dabrowski à Acken afin de l'employer à chasser tous les partis ennemis qui peuvent se trouver entre la Saale et la Mulde, et de rétablir insensiblement nos communications avec Magdebourg.
«Je pars pour Dessau.
«Maréchal prince de la Moskowa.»
«P. S. Le général Bertrand est avec ses principales forces à Kemberg. Une de ses divisions est ici et l'autre en arrière de Schmiedeberg et Pretsch. Le général Régnier reste à Oranienbaum. La première brigade du général Guilleminot, avec la cavalerie légère, resserrera l'ennemi dans sa tête de pont de Roslau.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Dresde, le 30 septembre 1813,
trois heures du matin.
«L'Empereur me charge de vous faire connaître que le prince Poniatowski a l'ordre de se porter aujourd'hui à Frohbourg, et qu'il dirige sa cavalerie sur Altenbourg et Borna. Le général Lauriston partira à la pointe du jour pour se rendre à Nossen, et enverra une avant-garde sur Waldheim. Ce général se mettra en correspondance avec vous. Le duc de Bellune porte sur Chemnitz une forte division avec de la cavalerie, et l'éclairera fortement du côté de Marienberg; il mettra son quartier général en avant de Freyberg.--Le général Souham, qui a son quartier général sur le chemin de Grossenhayn, à la hauteur du camp retranché de Dresde, a l'ordre de faire partir, à cinq heures du matin, en les faisant passer de la rive droite sur la rive gauche, une batterie de douze et les batteries d'artillerie à cheval, ainsi qu'une division d'infanterie, la brigade de cavalerie légère du général Beurmann, et le quartier général de son corps d'armée. Tout cela se rendra à Meissen par la rive gauche. Arrivé à Meissen, le général Souham renverra la brigade d'infanterie du sixième corps, qui s'y trouve, rejoindre son corps, ainsi que toute l'artillerie qui appartiendra au sixième corps.
«Le prince Poniatowski sera ainsi placé à une journée sur votre gauche. Vous devez correspondre, monsieur le duc, avec le général Lauriston et le prince Poniatowski, pour agir selon les circonstances. Il n'est pas encore démontré que l'ennemi ait fait sur Altenbourg un mouvement considérable d'infanterie; Sa Majesté suppose qu'il a envoyé seulement quelques divisions légères pour soutenir sa cavalerie; il est probable que cela l'éclairera parfaitement dans la journée. Le prince de la Moskowa ayant pris Dessau, l'ennemi a voulu le reprendre en l'attaquant avec la garde suédoise: mais elle a échoué et a été écrasée.
«Pour le prince vice-connétable, major-général,
«Comte Monthion.»
NAPOLÉON AU MARÉCHAL MARMONT.
«Dresde, le 30 septembre 1813,
trois heures et demie du matin
«Mon cousin, je reçois votre lettre du 28, où vous me faites connaître que vous vous rendrez à Leipzig et réunirez le premier corps de cavalerie à Wurtzen. Le prince Poniatowski se rend aujourd'hui de Waldheim à Frohbourg, à une journée sur votre gauche: il fera battre Altenbourg et Borna. Le cinquième corps se rend à Nossen, son avant-garde à Waldheim; le deuxième corps se rend à Chemnitz avec le cinquième corps de cavalerie. Le duc de Castiglione devra arriver demain à Iéna.--Je fais relever votre brigade à Meissen par la division Souham.--L'ennemi a-t-il dirigé vingt-cinq mille hommes d'infanterie sur Altenbourg? Si cela est, il faut couper et enlever ce corps. N'a-t-il envoyé que de la cavalerie; il faut encore harceler et obliger ce corps à se reployer.--Le prince de la Moskowa, avec les quatrième et septième corps, le troisième corps de cavalerie et la division Dombrowski 9 se trouve avoir quarante mille hommes.--Le sixième corps, le huitième, le cinquième, le premier corps de cavalerie, le quatrième et la division Margaron, cela vous fera près de soixante mille hommes.--Correspondez avec le prince Poniatowski et le général Lauriston.
«Napoléon.»
Note 9: (retour) Dans la Correspondance et Documents, les noms de lieux et de personnes sont diversement écrits, par exemple, l'Empereur écrit Dombrowski, le maréchal Ney Dabrowski, etc., etc. Nous avons cru devoir laisser subsister les deux orthographes, puisqu'elles sont dans les originaux. (Note de l'Éditeur.)