Mémoires du maréchal Marmont, duc de Raguse (6/9)
LE MARÉCHAL MARMONT AU MAJOR GÉNÉRAL.
Reveillon, le 21 février 1814.
«Monseigneur, je viens de recevoir la lettre que vous m'avez fait l'honneur de inscrire hier matin. Je ferai mes efforts pour me conformer aux instructions qu'elle renferme. Mais Sa Majesté doit juger de ce qu'il est possible de faire avec deux mille quatre cents hommes d'infanterie formés de quarante-sept bataillons, et neuf cents chevaux, le tout usé par cinquante-trois jours de marche d'hiver et plus de... combats où ce qu'il y avait de meilleur a péri. J'avais espéré que Sa Majesté daignerait penser à moi en distribuant les nouvelles troupes.
«Mes rapports n'annoncent aucune force ennemie sur Étoges; il ne s'est montré que quelques patrouilles en avant de Montmirail. D'autres patrouilles viennent sur Montmirail de Dannery. L'ennemi n'a personne à Sézanne, mais il a des troupes légères dans les villages en arrière; mes patrouilles entrent plusieurs fois par jour dans Sézanne.
«Je ne me rends point à Sézanne, parce que l'ennemi paraît occuper en force Épernay et semblerait annoncer un mouvement en suivant la Marne. Le général Vincent a informé le général Ledru à la Ferté-sous-Jouarre, que quatre cents cavaliers prussiens étaient venus s'établir à Piroit, s'annonçant comme l'avant-garde d'York. Je ne crois guère à ce mouvement, qui exigerait plus de forces qu'il n'en peut rester à l'ennemi sur ce point; mais je ne puis me dispenser de l'observer, afin que, s'il l'exécutait, je puisse me porter à temps sur la Ferté-sous-Jouarre, ce que je puis faire d'ici en une marche et demie, et en exigerait deux de Sézanne.»
LE GÉNÉRAL DE GROUCHY AU MARÉCHAL MARMONT.
«Lacoix-en-Brie, le 20 février 1814,
huit heures un quart du soir.
«Je m'empresse, mon cher maréchal, de vous donner communication de la lettre que je reçois de M. le général Ledru, commandant à la Ferté-sous-Jouarre: quelque exagération qu'il puisse y avoir quant à la quantité des troupes dont on annonce la marche, toujours est-il certain que ce mouvement de l'ennemi mérite d'être pris en considération. C'est ce qui me fait ne pas perdre un moment à vous le faire connaître, profitant pour cela de l'officier du prince de Neufchâtel qui vous apporte des dépêches.
«Provins est occupé par nos troupes, et, au lieu de marcher sur Montereau, je me rendrai demain à Bray, avec les troupes que je commande.
«L'Empereur aura probablement demain son quartier général à Nogent.
«Recevez, mon cher maréchal, l'expression de mon éternel attachement.
«Le colonel général commandant en chef la cavalerie,
«Comte De GROUCHY.»
«La Ferté-sous-Jouarre, le 20 février 1814
«A MONSIEUR LE GÉNÉRAL EN CHEF COMTE DE GROUCHY.
«Mon général, une lettre du général Vincent, que je reçois à l'instant, m'annonce que l'ennemi a poussé hier soir quatre cents Prussiens sur Château-Thierry par Dormans et Piroit; cette troupe annonce celle du général York, forte de soixante mille hommes. Les avant-postes sont restés à Piroit.
«J'ai l'honneur d'être avec respect, monsieur le général,
«Votre très-humble et très obéissant serviteur,
«Le général LEDRU.»
«Pour copie conforme:
«Le colonel général comte de GROUCHY.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Nogent, le 21 février 1814.
«Monsieur le duc de Raguse, le quartier général de l'Empereur est à Nogent, le duc de Reggio est à Romilly et Chartres, nouvelle route de Nogent à Troyes, entre Saint-Martin et les hauteurs de Marigny et de Saint-Flary; le général Gérard, commandant le deuxième corps d'armée, est sur Villeneuve-l'Archevêque. Les différentes divisions de la garde à pied et à cheval sont autour de Nogent. Le général Grouchy est sur le point de nous rejoindre à Nogent.
«L'Empereur suppose que vous vous trouvez à
..................................................
«L'intention de Sa Majesté est que vous placiez de la cavalerie à un chemin de Sézanne à Nogent, afin que vos communications soient assurées.
«L'Empereur va marcher sur Troyes; ayez soin de surveiller Arcis-sur-Aube; vous pouvez vous y porter si vous le jugez nécessaire; mais alors il faut que vous marchiez sur la rive droite de l'Aube. Par cette position toutefois, votre but étant d'être opposé à Blücher et à York, vous devez avant tout couvrir, avec le duc de Trévise, Paris, par les routes de Reims, Château-Thierry et Montmirail.
«Si Blücher se réunissait à l'armée ennemie qui est près; de Troyes, vous pourriez nous rejoindre. L'Empereur compte être sur Troyes le 23.
«Le duc de Trévise étant à Soissons, si l'ennemi paraissait vouloir marcher sur Châlons par Reims, il est important qu'il communique avec vous et appuie à Château-Thierry, où Sa Majesté a laissé le général Vincent avec quatre cents gardes d'honneur pour assurer le chemin.
«L'Empereur pense que la position de la Fère-Champenoise est préférable à celle de Sézanne, attendu que le chemin jusqu'à Bergères est moins long, et qu'en même temps elle est plus rapprochée d'Arcis.
«Je vous préviens que huit cents chevaux, commandés par le général Bordesoulle, et qui appartiennent au premier corps de cavalerie, se rendent sur Plancy, où ils seront demain, 22. Vous leur donnerez vos ordres, monsieur le maréchal, selon les circonstances.
«Le prince vice-connétable, major général,
«ALEXANDRE.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Troyes le 26 février 1814,
huit heures du soir.
«Monsieur le duc de Raguse, je vous préviens que le prince de la Moskowa a passé aujourd'hui à Arcis-sur-Aube, et qu'il marche sur les derrières de Blücher.
«Vous pouvez, monsieur le maréchal, s'il est nécessaire, vous faire soutenir par le maréchal duc de Trévise.
«Nous sommes entrés à Châtillon-sur-Seine, et l'Empereur y a ordonné la formation d'une cohorte de garde nationale urbaine pour garder le congrès. Nos troupes sont entrées à Bar-sur-Aube et à Clairvaux.
«Le duc de Castiglione est entré à Mâcon, Châlons, Chambéry, Bourg-en-Bresse et Genève.
«Le prince vice-connétable, major général,
«ALEXANDRE.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Troyes le 27 février 1814,
huit heures du matin.
«Monsieur le duc de Raguse, l'Empereur marche sur les derrières de l'ennemi pour couper l'armée de Blücher; nos troupes sont déjà à Plancy, et nous serons demain sur la route de Vitry. L'intention de Sa Majesté est que vous vous réunissiez au duc de Trévise, et que vous marchiez ensemble à l'ennemi.
«Le prince vice-connétable, major général,
«ALEXANDRE.»
LE MARÉCHAL MARMONT A NAPOLÉON.
«1er mars 1814.
«Sire, je reçois à l'instant la nouvelle de l'arrivée de Votre Majesté à Jouarre, et je ne perds pas un instant pour lui rendre compte de la position de l'ennemi.
«Après s'être porté sur Meaux par la rive gauche et fait sans fruit quelques tentatives sur cette ville, l'ennemi a jeté deux ponts au-dessous de la Ferté-sous-Jouarre, et a fait le passage de la Marne.
«Le corps de Kleist, formant son avant-garde, s'est bientôt mis en marche pour Lisy, où il opère le passage de l'Ourcq.
«Informé de ce mouvement, et certain que l'ennemi ne pouvait avoir sur la rive droite de l'Ourcq qu'une portion de ses forces, j'ai proposé au duc de Trévise de marcher à lui. Quoique la journée fût avancée et que nous ayons été obligés de combattre pendant une portion de la nuit, nous l'avons culbuté et battu, et nous avons réoccupé les bords de l'Ourcq. L'armée ennemie a bivaqué au confluent de l'Ourcq et de la Marne, et le corps de Kleist, avec beaucoup de cavalerie, s'est retiré sur la Ferté-Milon. Le duc de Trévise a occupé Lisy, et moi, j'ai pris position à May sur la Jargogne. Hier l'ennemi a fait quelques tentatives pour passer l'Ourcq à Lisy; mais toutes ses forces ont remonté la rivière et se sont dirigées sur la Ferté-Milon.
«Nous avons été toute la journée en situation de les compter. Elles sont fort considérables; il y a surtout une très nombreuse cavalerie. Sur le soir, l'ennemi, ayant porté des troupes en face de ma position, a fait passer l'Ourcq à quatre mille chevaux et à quelque infanterie, au pont de Gèvres, et a conservé un camp assez considérable d'infanterie sur les hauteurs de Gèvres, sur la rive gauche de l'Ourcq, et un plus considérable encore sur les hauteurs de Crouy. Les feux que je viens de faire observer indiquent que ces troupes y sont encore. L'armée ennemie n'a laissé personne en face de Lisy. Il est important de suivre ses mouvements en couvrant Paris. J'ai engagé le duc de Trévise à se rendre ici avec toutes ses troupes, afin que, s'il faisait quelque tentative sur nous avec son arrière-garde, nous fussions en mesure de lui résister et j'ai écrit à Meaux pour que tous les renforts qui sont en marche partissent cette nuit pour nous rejoindre.
«Sans notre affaire d'avant-hier l'ennemi serait maître de Meaux, et aurait ses coureurs sur Paris. Mais maintenant son coup est manqué, et l'arrivée de Votre Majesté rendra impossible l'exécution de ses projets.
«Le pont de Triport est détruit, ainsi que celui de Lagny, et, si Votre Majesté, comme je le suppose, veut passer la Marne sur-le-champ, elle ne peut le faire que sur le pont de Meaux, où tout est prêt pour la recevoir.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU ROI JOSEPH.
«May, le 1er mars 1814.
«Sire, j'ai reçu la lettre que Votre Majesté m'a fait l'honneur de m'écrire. Les choses étant tout autres que l'Empereur les suppose, la conduite que nous ayons à tenir est toute différente. Voici quelle est notre situation:
«L'affaire d'hier a donné un très-grand résultat en ce qu'elle a forcé l'ennemi à renoncer à se porter sur Meaux, et au contraire à se porter sur la Ferté-Milon. Si nous n'avions pas, hier au soir, attaqué et culbuté l'ennemi, ses troupes légères seraient aujourd'hui aux barrières, et nous aurions eu une très-mauvaise affaire aux environs de Meaux. Au lieu de cela, l'ennemi a perdu toute cette journée, puisque nous l'avons constamment en vue et en présence, et qu'il n'a fait que peu de chemin pour gagner la Ferté, quoique sa direction soit bien décidée.
«L'ennemi a tenté de passer à Lisy, mais sans fruit. Il a passé à Gèvres un bon nombre de troupes. Je ne pouvais défendre ce point, qui était hors de la ligne défensive que j'avais choisie. Toutefois ses masses ont suivi la rive gauche de l'Ourcq. Il nous a présenté un monde très-considérable et que je crois de plus de trente mille hommes, il a certainement de huit à dix mille hommes de cavalerie. Les renforts qui nous sont envoyés et l'arrivée de l'Empereur nous donneront, j'espère, les moyens de faire de belles tentatives; mais il est urgent que l'Empereur vienne, et, d'après la marche que lui-même a tracée, nous sommes autorisés à compter sur lui demain. Il est bien important que l'Empereur soit informé qu'il n'y a de pont praticable pour lui qu'à Meaux, et que ceux de Triport et de Lagny sont détruits. Celui de Meaux peut en trois quarts d'heure être mis en état de donner passage à toute l'armée.
«Nous n'avons plus que deux partis à prendre, si l'arrivée de l'Empereur se diffère. Réunir toutes les troupes, le duc de Trévise et moi, et suivre l'ennemi dans son mouvement sur la Ferté, ou bien nous rapprocher de Meaux. Mais le premier parti me paraît préférable, et je l'ai proposé au duc de Trévise. L'Empereur, arrivant ensuite, pourra agir sans perdre un moment, parce que les troupes seront toutes disposées.
«Je me concerterai avec le duc de Trévise pour faire ce qu'il y aura de mieux, d'après les rapports que nous recevrons cette nuit, et j'aurai l'honneur d'informer Votre Majesté de ce que nous aurons fait.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«La Ferté-sous-Jouarre,
le 2 mars 1814, six heures du soir.
«Monsieur le maréchal duc de Raguse, je vous préviens que l'armée passera cette nuit la Marne. Faites en sorte de correspondre avec le général Wattier qui commande la cavalerie légère, et qui marche dans la direction de Crouy et de la Ferté-Milon.
«L'intention de l'Empereur est que vous passiez l'Ourcq à la pointe du jour pour pousser l'ennemi.
«L'Empereur sera demain de sa personne à Montreuil pour se diriger à la suite de l'ennemi ou pour prendre sur-le-champ sa direction sur Château-Thierry et Châlons, selon les nouvelles que Sa Majesté recevra de vous, et ce qu'elle apprendra sur les mouvements de l'ennemi.
«Le prince vice-connétable, major général,
«ALEXANDRE.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Fère-en-Tardenois, le 4 mars 1814,
deux heures après midi.
«Monsieur le duc de Raguse, le quartier général sera ce soir à Fismes, le duc de Bellune à Fère-en-Tardenois; l'Empereur attend de vos nouvelles. Si l'ennemi a marché sur Soissons, c'est vraisemblablement pour se porter sur Laon, et, si vous êtes à Soissons avec le duc de Trévise, nous pourrons, de notre côté, arriver en même temps que vous à Laon. Comme l'ennemi n'aura pas pu prendre la place de Soissons, qu'on dit bien gardée, il aura sûrement quitté la route de Soissons à Noyon, et jeté un pont sur l'Aisne. Wintzingerode a passé, le 2 mars, à Fère-en-Tardenois. L'Empereur pense que vous devez avoir des nouvelles du Bulow, qu'on suppose du côté d'Avesnes.
«Le prince vice-connétable, major général,
«ALEXANDRE.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Fismes, le 5 mars 1814,
neuf heures du matin.
«L'Empereur, monsieur le duc de Raguse, me charge de vous faire connaître que les agents envoyés cette nuit à Soissons ont été jusqu'aux portes de la ville par la rive gauche, et ont vu, de l'autre côté de l'Aisne, de grands feux. L'intention de Sa Majesté est de passer l'Aisne à Béry où il y a un pont de pierre, à Maisy, où Sa Majesté fait jeter un pont de chevalets, et au pont d'Arcis où le duc de Trévise a l'ordre d'établir aussi un pont sur chevalets. Mettez à cet effet vos compagnies de sapeurs à sa disposition: telle est l'intention de l'Empereur. Sa Majesté pense qu'avec votre corps vous devez barrer la route de Château-Thierry en vous tenant dans la position de Busancy et Hartennes: vous vous porteriez sur Soissons si l'ennemi évacuait la ville; et, s'il ne l'évacue pas, vous vous porterez sur Braines aussitôt que le pont d'Arcis sera terminé. Nous devons être entrés ce matin à Reims.
«Le prince vice-connétable, major général,
«ALEXANDRE.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Fismes, le 5 mats 1814,
onze heures du matin.
«Monsieur le duc de Raguse, si vous n'êtes pas entré à Soissons, l'intention de l'Empereur est que vous vous rendiez cette nuit à Braines. Le quartier général de l'Empereur sera ce soir à Béry-au-Bac.
«Nous nous sommes emparés de Reims où nous avons fait deux mille prisonniers, pris deux cents officiers et trois mille hommes aux hôpitaux, ainsi que beaucoup de bagages. L'Empereur va marcher demain sur Laon par Béry-au-Bac où il y a un pont de pierre.
«Le prince vice-connétable, major général,
«ALEXANDRE.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Béry-au-Bac, le 5 mars 1814,
six heures du soir.
«Monsieur le maréchal duc de Raguse, l'Empereur pense que vous êtes ce soir à Braines, comme je vous l'ai ordonné ce matin. Nous sommes arrivés à Béry-au-Bac, dont le pont était gardé par quelques pièces de canon et de la cavalerie ennemie. Nous avons pris deux pièces et fait quelques prisonniers. Notre avant-garde est ce soir à mi-chemin d'ici à Laon. L'Empereur pense que vous devez rester la journée de demain, 6, à Braines pour voir si l'ennemi veut évacuer Soissons et couvrir Reims; mais que vous devez vous tenir en mesure de vous porter rapidement sur nous et vous rendre à Béry-au-Bac après-demain, 7, pour nous joindre le 8 à la bataille qui peut avoir lieu à Laon. L'Empereur ordonne que vous envoyiez sur-le-champ ici, pour de là nous joindre sur Laon, tous les détachements que vous pourrez avoir, qui appartiendraient au 4e régiment de dragons et la division Roussel, et aux deuxième, cinquième et sixième corps de cavalerie, ne devant garder avec vous que ce qui appartient au premier corps de cavalerie: vous formerez de tous ces détachements un régiment de marche qui viendra nous joindre à grandes journées.
«Le prince vice-connétable, major général,
«ALEXANDRE.»
«P. S. Le duc de Trévise doit être parti ce soir de Braines pour venir à Béry-au-Bac. Vous saurez où il a couché en faisant suivre sa marche. Faites-lui passer la lettre ci-incluse.
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT
«Béry-au-Bac, le 6 mars 1814, onze heures du matin.
«Monsieur le duc de Raguse, je donne l'ordre à la cavalerie du duc de Trévise, qui est à Braines, de se rendre à Béry-au-Bac pour nous rejoindre.
«Je donne en même temps l'ordre au duc de Trévise de venir sur-le-champ ici avec son corps, s'il n'est pas entré à Soissons.
«Dans le cas où vous et le duc de Trévise seriez entrés à Soissons, l'intention de l'Empereur est que vous marchiez, ainsi que ce maréchal, jusqu'à trois lieues de Soissons sur la route de Laon, afin que nous arrivions à Laon tous ensemble. Le quartier général de l'Empereur sera à Corbeny. L'intention de Sa Majesté est que, de Braines, si vous n'avez pas été à Soissons, vous vous rendiez à Béry-au-Bac pour nous rejoindre le plus tôt possible sur la route de Laon. Surtout que votre cavalerie vous précède.
«Le prince vice-connétable, major général,
«ALEXANDRE.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Du bivac de Malava, en avant de Bray,
le 8 mars 1814, dix heures du
matin.
«Monsieur le duc de Raguse, nous sommes à l'Ange-Gardien. Le prince de la Moskowa marche sur Vreil, route de Laon; le duc de Trévise marche sur Vreil par Chavigny. L'intention de Sa Majesté est que vous marchiez avec vos troupes sur Laon par Aubigny. Vous vous mettrez en communication avec le duc de Trévise. Nous avons envoyé des troupes sur Soissons; aussitôt que nous serons maîtres de cette ville, la ligne d'opération de l'armée sera par Soissons. Laissez quelques troupes à Béry-au-Bac pour garder le pont et la communication de Reims. Le général Bordesoulle, qui est à la ferme de Houstalin, près Craon, rentre à votre disposition; donnez-lui des ordres. Le duc de Padoue est également à vos ordres. Ces corps doivent marcher sur vous.
«Le prince vice-connétable, major général,
«ALEXANDRE.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Bray-en-Laonnois, le 8 mars 1814.
«Monsieur le maréchal duc de Raguse, l'Empereur ordonne que vous vous portiez à Corbeny avec votre corps; que vous y preniez sous vos ordres la division d'infanterie du duc de Padoue, ainsi que votre cavalerie, c'est-à-dire le premier corps de cavalerie commandée par le général Bordesoulle.
«L'intention de Sa Majesté est que vous fassiez les dispositions nécessaires pour nettoyer vos derrières, et que vous vous dirigiez sur Laon, mais en ayant pour but de bien maintenir vos communications. Mettez-vous en correspondance avec Reims, où commande le général Corbineau.
«Nous sommes à l'Ange-Gardien; l'Empereur suppose que dans la journée nous serons dans Soissons. Sa Majesté attend cette nouvelle pour prendre sa marche sur Laon. En attendant, poussez-y une avant-garde avec les précautions convenables.
«Je vous envoie un rapport du général Paoz; manoeuvrez avec le duc de Padoue en conséquence.
«Le prince vice-connétable, major général,
«ALEXANDRE.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Chavignon, le 9 mars 1814.
«Monsieur le maréchal duc de Raguse, je vous ai écrit ce matin par un de vos courriers. Je vous faisais connaître qu'il était à présumer que notre avant-garde était en possession de la ville de Laon; qu'en conséquence vous pouviez arrêter votre mouvement, si vous n'y trouviez pas d'inconvénient. Mais on s'y bat encore: l'Empereur s'y porte. Vous devez continuer à marcher sur cette ville.
«Le prince vice-connétable, major général,
«ALEXANDRE.»
«P. S. Tâchez de vous lier avec nous par des postes sur votre gauche.»
LE MARÉCHAL MARMONT A NAPOLÉON.
«Corbeny, le 9 mars 1814,
deux heures du matin.
«Sire, j'ai à rendre compte à Votre Majesté d'un événement de guerre malheureux et fort extraordinaire, et qui a peu d'exemples. Je me suis mis en marche, conformément à vos ordres, ce matin, pour Laon. Le brouillard était extrêmement épais. Je me suis arrêté à Fétieux; vers midi, votre canon s'étant fait entendre et le temps s'étant élevé, je me suis hâté de marcher. J'ai trouvé l'ennemi à une lieue environ avec quatre mille chevaux, que j'ai poussé devant moi avec mon canon. Plus tard, m'étant emparé d'un bois, j'ai pu découvrir environ douze mille hommes d'infanterie et cinq mille chevaux. La supériorité de ces forces devait m'empêcher de rien entreprendre de très-sérieux; cependant il me sembla indispensable d'occuper l'ennemi et d'agir assez pour neutraliser ses forces et faire une diversion utile à votre attaque. En conséquence, j'ai fait attaquer le village d'Athies et je m'en suis emparé. Plus tard, j'ai fait attaquer une ferme qui me rapprochait de la route de Marles, sur laquelle l'ennemi paraissait faire des dispositions de retraite; je m'en suis également rendu maître. L'ennemi a incendié le village et la ferme avant de se retirer. J'ai fait établir une batterie de vingt pièces de canon, à laquelle l'ennemi a répondu par une batterie de trente, ayant encore beaucoup de pièces en vue, mais non en action. L'ennemi a porté de la cavalerie sur sa gauche, ce qui menaçait ma droite; mais j'avais fait des dispositions en conséquence. Nous sommes restés plusieurs heures dans cette position, nous canonnant de part et d'autre, et repoussant quelques entreprises que l'ennemi avait faites sur les postes que j'avais établis; mais, à nuit bien close, à l'instant où je me disposais à prendre une position de nuit, des masses d'infanterie très-considérables, et formant au moins douze mille hommes, et toute la cavalerie de l'armée, ont débouché sur moi par différents points, et une portion de l'infanterie sur les derrières de ma position. Ce mouvement a eu d'autant plus d'effet, qu'il était moins prévu, parce que deux bataillons de la réserve de Paris, qui occupaient le village d'Athies et la ferme, en sont partis si vite, que je n'ai pas pu supposer même qu'ils fussent attaqués. De la précipitation de cette retraite vint le désordre, et du désordre la confusion; de là une retraite sans ordres donnés et une espèce de fuite pour l'artillerie. L'infanterie ennemie s'approcha assez pour s'engager; il devint indispensable de suivre le mouvement; mais au moins je parvins à faire de toutes ces troupes une masse compacte qui offrit quelques moyens de résistance. En même temps la cavalerie ennemie chargea la nôtre et la renversa; celle-ci est prise pour l'ennemi par notre infanterie, ce qui augmente le mal; en même temps, plusieurs masses de cavalerie ennemie se trouvent sur nos flancs et à cheval sur la route. Nous repoussons constamment cette cavalerie, soit sur nos flancs, soit sur notre front, par un feu bien soutenu et des coups de baïonnette, et nous avançons; mais les équipages et les voitures d'artillerie qui avaient précédé la colonne sont sabrés par l'ennemi; plusieurs pièces tombent en son pouvoir. Nous en reprenons plusieurs, nous les emmenons; mais d'autres restent sur la place, soit parce que les chevaux manquent, soit par toute autre raison; et nous ne pouvons consacrer beaucoup de temps à les mettre en état de nous suivre, à cause de la proximité des masses d'infanterie qui nous suivaient, en fusillant toujours avec nous. Par suite de cette impossibilité, nous avons perdu beaucoup de pièces: je n'en ai pas l'état précis, mais je crois que le nombre s'élève de douze à quatorze. La perte en hommes a été peu considérable, et je suis convaincu que l'ennemi a pris très-peu de monde, parce qu'il n'y a pas eu un seul bataillon d'ouvert par les charges de cavalerie. Nous sommes arrivés à Fétieux. L'ennemi suivant vivement et la confusion étant au comble, il a fallu nécessairement passer le village pour trouver une barrière, arrêter tout le monde, et réorganiser le personnel et le matériel. Le général Digeon se rend cette nuit à Béry-au-Bac, dans l'objet de réorganiser l'artillerie qui reste. Nous n'avons encore pu ce soir mettre de l'ordre dans les corps, qui sont tous confondus et hors d'état de faire aucun mouvement et de rendre aucun service; et, comme il y a bon nombre d'individus qui se sont portés à Béry-au-Bac, je me vois forcé de m'y rendre pour remettre tout dans un état convenable demain matin. Tel est, Sire, l'étrange événement qui a eu lieu ce soir, mais qui aurait pu être bien pis encore, si les troupes, après le premier moment de terreur qui les a fait mettre en marche sans ordre, n'avaient pas été sensibles aux reproches et disposées par là à bien faire. Je prends la liberté de vous le répéter, notre perte ne serait rien sans les canons que nous avons laissés dans les fossés de la route. Nous avons eu sûrement affaire à vingt mille hommes.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Soissons, le 12 mars 1814,
sept heures et demie du soir.
«Monsieur le maréchal duc de Raguse, Sa Majesté me charge de vous faire connaître que le général Sébastiani, avec deux mille chevaux, couche ce soir à Braines avec son corps. Sa Majesté part à minuit avec la vieille garde.
«Il est nécessaire, monsieur le duc, que vous vous teniez prêt à partir, avec la division Defrance, le premier corps de cavalerie et toute votre infanterie, pour former notre avant-garde, l'intention de l'Empereur étant d'attaquer demain Saint-Priest dans Reims, de le battre et de reprendre la ville. Vous laisserez les postes de cavalerie que vous avez placés à Sailly et le long de la rivière, et nous continuerons à tenir également un poste de cavalerie à Béry-au-Bac. L'Empereur aura ainsi une trentaine de mille hommes dans la main, dont sept ou huit mille de cavalerie, et plus de cent pièces de canon. Sa Majesté ordonne, monsieur le maréchal, que vous fassiez toutes vos dispositions pour pouvoir partir demain à la petite pointe du jour. Il est bien important que vous laissiez un corps d'observation à Béry-au-Bac, et que vous envoyiez des paysans pour vous instruire s'il déboucherait quelque chose de l'autre côté. L'Empereur espère que nous pourrons attaquer demain à deux ou trois heures après midi. Sa Majesté sera demain à Fismes, probablement de bonne heure; elle vous recommande de ne pas trop ébruiter votre marche par des coureur: il vaut mieux arriver en masse. Il serait bien important de pouvoir prendre quelques coureurs ennemis en leur tendant une embuscade, afin d'avoir des nouvelles.
«Le prince vice-connétable, major général.
«ALEXANDRE.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Soissons, le 12 mars 1814,
neuf heures et demie du soir.
«Monsieur le duc de Raguse, je vous ai envoyé un courrier extraordinaire pour vous faire connaître que l'intention de l'Empereur est que vous vous mettiez en marche, demain, 13, à six heures du matin, avec votre corps, pour vous rendre à Reims sans trop vous aventurer.
«L'Empereur marche sur Reims par la route de Fismes.
«Amenez avec vous la division Defrance, et laissez un corps d'observation au pont de Béry-au-Bac, ainsi que des postes de cavalerie aux différentes positions où vous en aviez aujourd'hui.
«Le prince vice-connétable, major général,
«ALEXANDRE.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Reims, le 14 mars 1814.
«Monsieur le duc de Raguse, je vous envoie un rapport que je viens de recevoir du colonel Plaugenief et du maire de Fismes. Prenez-en connaissance, vous y verrez les mouvements que fait l'ennemi du côté de Roncy. L'intention de l'Empereur est que vous fassiez des dispositions pour chasser l'ennemi de Roncy, et que vous veilliez sur la colonne qui voudrait passer la rivière en marchant sur le pont de Béry-au-Bac.
«Le prince vice-connétable, major général,
«ALEXANDRE.»
LE MAIRE DE LA VILLE DE FISMES AU PREMIER OFFICIER SUPÉRIEUR
DE L'ARMÉE
FRANÇAISE SUR LA ROUTE DE REIMS.
«Fismes, le 14 mars 1814.
«Monsieur, nous venons de recevoir la nouvelle certaine qu'un parti de Cosaques, évalué deux mille hommes, avec de l'artillerie, vient de mettre en réquisition les ouvriers de Sillery et environs, pour jeter un pont sur la rivière d'Aisne à Bourg, deux lieues de Fismes, et venir couper la communication audit Fismes de Soissons à Reims.
«Je vous donne cet avis pour que vous puissiez sur-le champ prendre les mesures nécessaires.
«J'ai l'honneur d'être avec respect, monsieur,
«Votre très-humble serviteur.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Reims, le 14 mars 1814,
huit heures et demie du matin.
«Monsieur le duc de Raguse, l'Empereur ordonne que vous portiez sur la route de Béry-au-Bac, en avant de vous la cavalerie du général Bordesoulle; vous aurez une avant-garde au pont et vous vous placerez de manière à la soutenir. L'Empereur voulant, à quelque prix ce soit, garder ce pont.
«Le prince vice-connétable, major général,
«ALEXANDRE.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT
«Reims, le 15 mars 1814.
«Monsieur le duc de Raguse, l'intention de l'Empereur est que vous fassiez prendre les capotes et les schakos des prisonniers, pour en donner aux soldats qui en manquent.
«Le prince vice-connétable, major général,
«ALEXANDRE.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Reims, le 15 mars 1814.
«Monsieur le duc de Raguse, je n'ai point de réponse à faire à la lettre qui vous a été remise pour moi à vos avant-postes. Employez tous les moyens possibles pour avoir des nouvelles de l'ennemi. Il paraît certain que l'ennemi marche, mais dans quelle direction, voilà ce qu'il faut connaître; donnez-nous fréquemment de vos nouvelles. Soyez en observation, envoyez beaucoup de reconnaissances sur différentes directions, faites courir les gens du pays, donnez de l'argent, et je vous le ferai rendre.
«Le prince vice-connétable, major général,
«ALEXANDRE.»
LE MARÉCHAL MARMONT A NAPOLÉON
«15 mars 1814.
«Sire, je reçois la lettre que Votre Majesté m'a fait l'honneur de m'écrire aujourd'hui. Les forces de l'ennemi sont restées toute la journée dans la même position, j'ai pu en juger par la fumée de son camp. Ce soir on reconnaît distinctement trois lignes de feux, telles qu'elles étaient hier, mais il en manque une quatrième qui, la nuit dernière, était placée plus en arrière.
«On a vu dans la journée cinq colonnes en marche pour remonter l'Aisne, mais à une grande distance, de manière que l'on n'a pu déterminer si c'était de la cavalerie ou de l'infanterie.
«L'ennemi a devant Béry des postes de cavalerie et quelque infanterie plus en arrière. Il avait amené ce matin des pièces de canon qu'il a retirées ensuite. J'ai reçu des rapports de toute la ligne, à l'exception du Pont-d'Arcis, et je n'ai pas non plus de nouvelles du détachement de cavalerie qui était en observation au débouché de Veilly, et qui a reçu ordre de se porter sur Pont-d'Arcis. Cette omission de rapport peut tenir à l'éloignement ou à quelque faute dans le service. Ainsi je n'en conclus encore rien: j'ai envoyé ce soir un officier pour vérifier ce qui se passe de ce côté. S'il n'y a rien sur ce point, il me paraîtrait assez probable que l'ennemi remonte l'Aisne et se retire, et que le mouvement qui s'est opéré aujourd'hui à notre vue aurait pour objet de protéger les bagages; cela serait d'autant plus probable, que l'ennemi a eu des patrouilles multipliées sur les bords de l'Aisne, d'ici à Neufchâtel.
«J'espère, dans la nuit, avoir des renseignements qui m'éclaireront sur les mouvements de l'ennemi, et je m'empresserai alors d'écrire au prince de Neufchâtel pour en informer Votre Majesté.
«Demain, au jour, j'essayerai de faire passer par Béry un gros parti de cavalerie, mais je ne pense pas qu'il puisse aller bien loin, attendu que l'ennemi est en force à peu de distance.
«Je vais tenter le moyen que me prescrit Votre Majesté pour recruter des soldats, et je ne négligerai rien pour réussir. Mais que faire, en campagne, d'hommes qui n'ont ni armes ni habits?
«Votre Majesté verra, par l'état ci-joint, que j'ai vingt-deux bouches à feu, y compris deux pièces de la garde qui étaient à Béry-au-Bac, et que j'ai emmenées avec moi; ainsi, ces pièces déduites, j'en ai vingt.--D'après cela, Votre Majesté pourra donner ses ordres pour compléter mon artillerie comme elle le jugera convenable.
«Votre Majesté m'annonce quelques renforts; mais les renforts immédiats sont bien peu de chose, et ceux des places de la Moselle sont bien éloignés. Votre Majesté m'avait fait annoncer que les troupes conduites par le général Jansens seraient pour moi. Il paraîtrait qu'elles reçoivent une autre destination: cependant j'ai bien peu de monde et bien mal organisé. Il me serait bien nécessaire de recevoir des soldats et d'être autorisé à organiser ce qui me reste d'une manière plus régulière. La division du général Ricard n'a guère que quatre cents et quelques combattants. Que faire avec une division de pareille force? elle ne vaut pas même un bataillon de même nombre, car ici il y a beaucoup d'embarras et peu de combattants.
«La cavalerie était restée jusqu'à présent dans un si grand désordre, qu'on ne peut raccorder la situation présente avec les états antérieurs. Il est évident que les chefs de corps ont enflé leurs régiments, ou leur négligence a empêché de rendre compte des mutations journalières, spécialement pour les hommes restés en arrière. Il est de fait qu'il y a en arrière un grand nombre d'hommes pour cause légitime, celle de la ferrure; mais il y a tant de confusion par suite de l'organisation des régiments provisoires, que l'on peut attribuer à cette cause le désordre qui existe. Il y aurait certainement de l'avantage à déterminer quatre régiments, qui recevraient tout ce qui existe, et à renvoyer les cadres en arrière.
«L'échauffourée qu'a eue hier le général Merlin a coûté plus cher qu'on ne l'avait cru d'abord. Nous avons perdu environ quatre-vingts hommes ou chevaux. Les chefs de corps en portent davantage, mais c'est évidemment pour expliquer les hommes restés en arrière depuis plusieurs jours. Le seul moyen qui m'a paru convenable pour voir clair dans ce chaos a été d'ordonner un appel nominal fait par les généraux de division. Cet appel, que je vérifierai moi-même, s'il le faut, nous donnera une base et les moyens de suivre les mutations. Aujourd'hui, le général Bordesoulle n'aurait à ses ordres, pour combattre, y compris les détachements qu'il a sur la rivière, que les débris de quinze escadrons.--Si les trois cents chevaux que Votre Majesté m'annonce arrivent, ses forces seront presque doublées.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Reims, le 17 mars 1814.
«Monsieur le duc de Raguse, l'Empereur part dans ce moment pour se rendre à Épernay, avec la vieille garde. Le duc de Trévise se rend ce soir à Reims; il laisse de la cavalerie et de l'infanterie à Soissons.
«Le départ de l'Empereur pour Épernay est nécessité par des affaires qui doivent avoir lieu hors du côté de Nogent. Sa Majesté a donc cru devoir s'approcher d'une journée pour avoir des nouvelles, et, d'après les événements, manoeuvrer suivant les circonstances. Il est possible que Sa Majesté revienne à Reims, ou se porte sur Châlons, les événements en décideront.
«Le maréchal prince de la Moskowa est à Châlons; ayez soin, monsieur le maréchal, de vous entendre avec le duc de Trévise qui sera à Reims, et de nous faire parvenir de fréquents rapports sur tout ce que vous apprendrez de l'ennemi.
«Vous aurez soin aussi de ne plus laisser passer personne sur le pont de Béry-au-Bac, sous quelque prétexte que ce soit, et vous ferez préparer tout ce qu'il vous faut pour détruire ce pont en cas d'événements.
«Le prince vice-connétable, major général,
«ALEXANDRE.»
Par duplicata.
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Épernay, le 17 mars 1814,
six heures et demie du soir.
«Monsieur le duc de Raguse, l'Empereur, en arrivant ici, a appris que l'ennemi avait passé la Seine sur ses ponts à Pont et marchait sur Provins. Sa Majesté s'est résolue à marcher sur Troyes. Le quartier général de l'Empereur sera demain à Semoine, et après-demain à Arcis. Sa Majesté laisse à Épernay le général Vincent.
«L'Empereur désire, monsieur le maréchal, que vous ayez la direction de votre corps et de celui du duc de Trévise, qui, dans ce moment, est à Reims avec deux divisions d'infanterie et la cavalerie du général Roussel, et qui a la division Charpentier à Soissons. Le ministre de la guerre a dû envoyer un général de brigade avec quelques troupes à Compiègne.
«Sa Majesté, monsieur le duc, désire que vous fassiez faire le plus de mouvement possible de cavalerie pour imposer à Blücher et gagner du temps. Si Blücher passait l'Aisne, vous devez lui disputer le terrain et couvrir la route de Paris. Il est probable que le mouvement de l'Empereur va obliger l'ennemi à repasser la Seine, ce qui arrêtera Blücher et rendra disponible le corps du duc de Tarente, qui alors vous serait envoyé.
«Il faut, monsieur le maréchal, pour les choses importantes, écrire en chiffres par Épernay et par des hommes intelligents qui sachent passer ailleurs que par les grandes routes.
«Il est très-important que vous envoyiez ordre sur ordre à la division Durutte, composée de toutes les garnisons de la Meuse, de vous rejoindre sur Reims, Rethel ou Châlons. Envoyez cet ordre de toutes les manières.
«Comme M. le maréchal duc de Trévise est le plus ancien, puisqu'il est de la création, ayez l'air de vous concerter avec lui plutôt que d'avoir la direction supérieure. C'est un objet de tact qui ne vous échappera pas. Je charge le duc de Trévise de nommer un major pour commander la place de Reims, la garde nationale et les batteries qui s'y trouvent, et de faire partir demain le général Corbineau pour venir rejoindre l'Empereur.
«Je recommande au duc de Trévise de porter tous ces soins à l'organisation de la garde nationale et de la levée en masse, et de se procurer quelques chevaux pour atteler la batterie laissée à Reims.
«Si Blücher prenait l'offensive dans la direction de Reims de manière à ce que cette ville se trouvât sous les pas de l'ennemi, et que vous et le duc de Trévise ne fussiez pas en état de la défendre, alors vous retireriez avec vous, l'un ou l'autre, la garnison et les pièces de canon, et vous emmèneriez les gardes nationaux de la levée en masse avec vous.
«Le prince vice-connétable, major général,
«ALEXANDRE.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Fère-Champenoise, le 19 mars 1814.
«Monsieur la duc de Raguse, j'ai reçu vos dernières dépêches; vous connaissez la position du duc de Trévise à Reims. Sa Majesté ne doute pas que vous n'agissiez de concert pour le succès de nos armes et pour faire le plus de mal possible à l'ennemi. Vous connaissez les localités; l'Empereur a confiance dans vos talents. Concertez-vous et même dirigez, sans choquer le duc de Trévise, les mouvements. Ayez l'air de vous entendre avec lui. Nous partons d'ici pour passer l'Aube, ensuite la Seine, et couper ce que l'ennemi peut avoir pour menacer Provins. Nous nous portons sur Plancy.
«Le prince vice-connétable, major général.
«ALEXANDRE.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Plancy, le 20 mars 1814.
«Monsieur le maréchal duc de Raguse, nous avons forcé hier le passage de l'Aube et celui de la Seine; nous étions hier, à sept heures du soir, maîtres de Méry; nous avions coupé la route de Nogent à Troyes, sur laquelle nous avons enlevé beaucoup de bagages et les équipages de pont de l'ennemi. L'ennemi avait levé en toute hâte, le 19, ses ponts sur la Seine, et battait en retraite sur Bar-sur-Aube. L'empereur de Russie était venu à Arcis-sur-Aube avec le prince de Schwarzenberg. Le corps du duc de Tarente et toute la cavalerie nous rejoignent aujourd'hui à Arcis. Il n'est pas possible que Blücher fasse aucun mouvement offensif, à ce que pense l'Empereur. Si cependant il en faisait un, vous devriez, monsieur le maréchal, ainsi que le duc de Trévise, vous retirer sur Châlons ou Épernay, afin que nous soyons tous groupés, et couvrir la route de Paris par quelques partis de cavalerie. Mais Sa Majesté croit que, dans la position actuelle des choses, il faudrait que Blücher fût fou pour tenter un mouvement sérieux.
«Le prince vice-connétable, major général,
«ALEXANDRE.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Plancy, le 20 mars 1814,
dix heures du matin.
«Monsieur le duc de Raguse, l'Empereur me charge de vous mander que, l'ennemi ayant évacué Provins, Nogent et Troyes, et se dirigeant sur Bar-sur-Aube et sur Brienne, il voit avec peine que vous vous soyez retiré sur Fismes, au lieu de vous retirer sur Reims et de là sur Châlons et Épernay. Sa Majesté ordonne donc que vous ayez sur-le-champ à prendre cette communication, car sans cela Blücher va se réunir au prince de Schwarzenberg, et tout cela tomberait sur vous. L'Empereur va peut-être lui-même manoeuvrer sur Vitry.
«Le prince vice-connétable, major général,
«ALEXANDRE.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Plancy, le 20 mars 1814, midi.
«Monsieur le maréchal duc de Raguse, l'Empereur ordonne que, de l'endroit où vous recevrez mon ordre, vous et le maréchal duc de Trévise vous vous dirigiez, avec votre infanterie, votre cavalerie et votre artillerie, sur Châlons par Reims, et, si cela ne vous paraissait pas possible, par Épernay; mais vous devez marcher en toute hâte, et surtout accélérer le mouvement de votre cavalerie. Sa Majesté sera demain matin, 21, à Vitry. Le duc de Tarente et le duc de Reggio suivent ce mouvement par Arcis-sur-Aube.
«Le prince vice-connétable, major général,
«ALEXANDRE.»
(Par duplicata.)
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«21 mars 1814.
«Monsieur le maréchal duc de Raguse, le corps du général de Wrede a voulu prendre, hier, Arcis-sur-Aube: il a été battu. La grande armée du prince de Schwarzenberg paraît marcher par Brienne sur Bar-sur-Aube pour se joindre à Blücher. L'Empereur se porte sur Vitry. Sa Majesté aura ce soir son quartier général à Sommepuis. Donnez-nous de vos nouvelles.
«Le prince vice-connétable, major général.
«ALEXANDRE.»
LE DUC DE TRÉVISE AU MARÉCHAL MARMONT.
«Vattey, le 24 mars 1814.
«Mon cher maréchal, un habitant arrivant de Châlons assure qu'il y a peu de monde dans cet endroit; que vingt-cinq dragons français y ont été hier, mais qu'ils ont dû en sortir de suite; que l'armée française avait passé la Marne, ainsi que vous me l'avez annoncé vous-même, à Frignicourt, non sur un pont, mais à gué; que l'Empereur remontait la Marne, etc. Le général Blücher, dans ce cas, n'aurait pas opéré sa jonction avec le prince de Schwarzenberg.
«D'après le mouvement que fait l'Empereur, il paraîtrait ne rien craindre du côté d'Arcis; je crois toutefois qu'il nous importe beaucoup d'éclairer cette partie.
«Demain de bonne heure, je serai à Soudé; j'aurai ce soir de la cavalerie à Dammartin.
«Dans tous les cas, notre mouvement sur Champaubert, celui que vous avez fait sur Vertus, auront produit un bon effet en forçant Czernicheff et les nombreux partis jetés sur la rive gauche de la Marne à se retirer.
«Les habitants de Vattey prétendent que quinze mille chevaux ont passé par ici, se retirant sur Vitry; c'est sans doute beaucoup: prenons qu'il n'y en ait que moitié, ce serait encore fort raisonnable.
«D'après le portrait qu'on m'a fait du général russe qui a couché ici hier, je suis tenté de croire que ce serait Wintzingerode.
«Le maréchal duc de TRÉVISE.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU MINISTRE DE LA GUERRE.
«Provins, le 27 mars 1814.
«J'ai l'honneur de vous informer qu'après m'être porté de Sézanne en arrière du défilé d'Esternay, et y avoir pris position, l'ennemi s'est présenté devant moi avec de grandes forces et a fait toutes ses dispositions d'attaque. Nous nous sommes retirés et nous avons continué notre retraite sur la Ferté-Gaucher, avec d'autant plus de raison, que nous étions informés que l'ennemi occupait Montmirail. Arrivés devant la Ferté, nous avons trouvé l'ennemi en position sur la rive droite du Grand-Morin, et battant la route avec une nombreuse artillerie. J'ai pu reconnaître au moins quatre mille hommes d'infanterie prussienne, sans compter ce qui occupait la ville et n'était pas susceptible d'être apprécié; de manière que l'ennemi avait, en calculant très-fort, au moins six mille hommes d'infanterie. M. le duc de Trévise et moi, nous décidâmes qu'il fallait s'emparer d'un plateau qui donnait les moyens de tourner la ville et d'aller prendre la route de Coulommiers plus loin. Les ordres furent donnés en conséquence, et les postes ennemis furent chassés. Pendant ce temps-là, on me rendit compte que les masses d'infanterie, de cavalerie et d'artillerie qui s'étaient présentées devant nous au défilé d'Esternay approchaient avec diligence. Je donnai l'ordre à la vingtième division d'occuper et de défendre jusqu'à l'extrémité le village de Montis, qui est la clef du défilé, afin de donner le temps d'exécuter une marche difficile dans un terrain fangeux.
«Je donnai l'ordre à ma cavalerie de se porter au delà du bois de Montis pour nous couvrir sur ce point contre la cavalerie ennemie, qui s'y portait pour tourner le défilé. Tout à coup le duc de Trévise, qui marchait en tête, m'informa qu'au lieu de se porter sur la route de Coulommiers, il prenait celle de Provins. Ce changement me contraria beaucoup, parce qu'il était évident que c'était une marche perdue. Après la route de Coulommiers manquée, notre direction était sur Rozoy; mais le mouvement était donné, et, au milieu de l'obscurité de la nuit et des embarras du chemin, il était impossible de changer la direction, et je ne voulais point quitter le duc de Trévise. En conséquence, nous avons marché sur Provins, où nous sommes arrivés ce matin et où nous avons pris position, afin de rallier et de reposer les troupes. L'ennemi est arrivé à midi avec de l'infanterie et de la cavalerie; mais, jusqu'à présent, je n'ai pas reconnu de grandes forces. Nous avons entendu aujourd'hui une vive canonnade dans la direction de Meaux. Le mouvement de l'ennemi sur Paris n'est pas douteux.
«En conséquence, nous marchons sur la capitale, et nous nous mettons en marche cette nuit pour Nangis et Melun, d'où nous descendrons la Seine pour nous porter sur Charenton. Je prie Votre Excellence de me faire connaître la situation des choses, afin que je puisse modifier mes mouvements d'après les circonstances.»
«P. S. La défense de Montis a été fort glorieuse. Une poignée d'hommes, avec deux pièces de canon, a résisté à vingt pièces de canon et quatre mille hommes d'infanterie bavaroise, qui les ont attaqués sans succès, et cette poignée de braves a ramené son canon au milieu des embarras causés par la nuit et les mauvais chemins.»
LE DUC DE TRÉVISE AU MARÉCHAL MARMONT.
«Nangis, le 28 mars 1814.
«Mon cher maréchal, je croyais vous trouver ici, ainsi que nous en étions convenus hier.
«Votre aide de camp vous remettra copie d'une lettre que je viens de recevoir du ministre de la guerre. Je regrette que nous ne soyons pas restés aujourd'hui à Provins: nous aurions pu nous jeter, en cas d'événement, sur Nogent, sur Bray ou sur Montereau.
«Je prends le parti de rester à Nangis aujourd'hui si l'ennemi n'occupe pas Rozoy en forces; dans ce dernier cas, je me porterai sur Brie-Comte-Robert, et, finalement, sur Bonneuil, ayant ma gauche à la Marne, ma droite à la Seine, pour couvrir Charenton. Cette position ne m'offre point de chance fâcheuse si le pont de Saint-Maur est suffisamment gardé, et je serai prévenu à temps si l'ennemi forçait le passage de Meaux ou celui de Lagny.
«Je vous engage à faire réoccuper le pont de Nogent par les troupes du général Souham.
«J'ai dû marcher très-lentement et faire de fréquentes haltes, à la pointe du jour, pour rallier mille à douze cents hommes de vos troupes, qui étaient restés en arrière. Je les ai fait passer devant les miennes.
«Je vous prie, mon cher maréchal, de me donner de vos nouvelles, et d'agréer l'assurance de ma haute considération et de mon attachement.
«Le maréchal duc De TRÉVISE.»
«P. S. dans le cas où je ne pourrais pas rester ici ce soir, je prendrais position à Guignes.»
LE MARÉCHAL MARMONT AU MINISTRE DE LA GUERRE.
«Melun, 28 mars 1814, sept heures du soir.
«J'ai eu l'honneur de vous écrire hier par le colonel Fabvier. J'attends avec impatience la réponse de Votre Excellence pour bien connaître ce qui se passé sur la Marne.
«Les troupes que nous avons eues devant nous à la Ferté ont dû arriver hier de bonne heure à Coulommiers et à Rebais. J'ai vu moi-même, étant à la Ferté, des colonnes d'artillerie et de bagages prendre la direction de Rebais. C'est donc par Meaux et la Ferté-sous-Jouarre que l'ennemi veut opérer, et c'est sur ce point qu'il faut porter nos forces et notre attention. De système de l'ennemi est d'autant plus naturel, qu'opérant aussi par Soissons toutes ses colonnes se trouvent liées entre elles. Je voudrais être à Meaux ou à Lagny avec le duc de Trévise; et cela serait sans la marche absurde et ridicule que nous avons faite sur Provins, et que je n'ai pas été à temps d'empêcher. Je marche à tire-d'aile pour réparer le temps perdu, mais je crains bien d'arriver trop tard, et le mal a été augmenté encore par le séjour que nous avons fait à Provins, dont nous aurions dû partir plus tôt; mais, à cet égard, je n'ai rien à me reprocher. On a entendu hier distinctement le canon entre Coulommiers et Rozoy, ou entre Coulommiers et Crécy. En conséquence je n'ai pu prendre la route directe de Meaux ni de Lagny, puisqu'il aurait fallu passer sur le corps à l'ennemi. Je n'ai point pris non plus celle de Guignes, parce que la cavalerie ennemie pouvait être aujourd'hui sur cette route, et que, dans ces immenses plaines de Brie, rien n'est plus dangereux qu'une marche de flanc un peu longue, surtout avec des troupes fatiguées et harassées, et enfin parce que je veux éviter toute espèce d'engagement, jusqu'à ce que j'aie pris ma ligue d'opération sur Paris, et que j'aie reçu les munitions qui me manquent.
«Le duc de Trévise, qui devait d'abord suivre la même direction que moi, m'écrit qu'il a pris position à Nangis, et que, si l'ennemi est en forces à Rozoy, il se portera sur Guignes. Je souhaite qu'il ne lui arrive pas malheur, mais je le crains fort. Sa station à Nangis ne remplit aucun objet, et il court la chance d'être détruit; et, s'il ne l'est pas, il est au moins inutile à la défense de la Marne, qui est le point important. Je viens de lui écrire pour l'engager à passer la Marne et à suivre mon mouvement.
«Je compte aller coucher demain à Charenton, et après-demain j'irai sur Lagny et Meaux; et, si l'ennemi n'est pas en opération sur la rivière, je déboucherai par Meaux pour éclairer ses mouvements.
«J'ai laissé le général Souham sur la Seine, occupant Nogent, Bray et Montereau, et je lui ai ordonné de faire couper les ponts. Par ce moyen la communication avec l'Empereur est assurée par la rive gauche de la Seine.»
LE MINISTRE DE LA GUERRE AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, le 28 mars 1814,
six heures et demie du soir.
«J'ai l'honneur d'informer Votre Excellence que l'ennemi, qui est parvenu à enlever hier la position de Meaux, se porte en forces sur Paris, et qu'il est déjà sur Claye.
«Il est donc de la plus haute importance, monsieur le maréchal, que vous vous rendiez en toute hâte avec vos troupes, et monsieur le duc de Trévise avec les siennes, vers Paris, c'est-à-dire plus près de la capitale.
«Je prie Votre Excellence de se mettre en marche sans aucun délai; et dans le cas où, d'après les renseignements que vous pourriez avoir, vous croiriez ne pas pouvoir vous diriger par Brie-Comte-Robert sans y trouver des forces ennemies supérieures aux vôtres, vous vous dirigeriez de Nangis droit sur Corbeil, pour y passer la Seine, et de là gagner les abords de Paris.
«J'écris dans le même sens à M. le duc de Trévise, afin que vous combiniez ensemble votre mouvement, qui exige la plus grande célérité.
«Le général Souham, à qui j'écris aussi, gardera la ligne de la Seine, entre Montereau et Nogent, avec ses troupes, pour la communication avec l'Empereur.
«Je vous prie, monsieur le maréchal, de me faire connaître, par le retour du courrier, la direction que vous aurez prise, ainsi que le moment auquel vous serez rendu près Paris.
«DUC DE FELTRE.»
«P. S. Nous avons reçu à quatre heures des nouvelles de l'Empereur du 26, de Saint-Dizier. Sa Majesté y avait battu complètement deux divisions commandées par le général Wintzingerode, qui avait pris retraite sur Bar-sur-Ornain. On avait fait deux mille prisonniers, etc.
«Le général Compans était à Ville-Parisis, à trois heures, avec presque toutes les troupes ennemies sur les bras.»
LE MINISTRE DE LA GUERRE AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, le 29 mars 1814.
«Monsieur le maréchal, vous ne pouvez trop tôt arriver à Charenton avec votre corps d'armée, pour de là manoeuvrer de manière à soutenir le général Compans, qui a couché cette nuit à Vert-Galant, et qui a, en effet, sur les bras toutes les forces des corps de Kleist, de Sacken, d'York, et, je crois, encore, le grand-duc Constantin et tes Wurtembergeois. Avec sept ou huit mille hommes de troupes qui ont déjà faibli, il a fait ce qu'il pouvait. On m'assure que ses avant-postes, attaqués ce matin, avaient été repliés. Si vous arrivez, monsieur le maréchal, on peut espérer de contenir l'ennemi entre Vincennes, qui est fortifié, et Saint-Denis, qui a été mis à l'abri d'un coup de main.
«Vous savez que le pont de Lagny est en partie rompu; c'est donc sur la droite de la Marne que vous pourrez déboucher; mais il n'y a pas une minute à perdre. Je cherche à envoyer encore quelques renforts au général Compans; mais les heures passent, à cause des distances et des difficultés du service dans une grande ville. J'ai écrit au comte Darn pour que vous ayez des vivres et du vin (si faire se peut) en arrivant à Charenton.
«Le mouvement sur Provins a tout compromis 17.
Note 17: (retour) Il est singulier que le duc de Feltre, qui n'a jamais fait la guerre, se permette de blâmer le premier mouvement sur Provins, qui a été le salut de deux corps d'armée, et qui était rendu nécessaire et indispensable, puisque en même temps que la grande armée nous suivait, nous avons rencontré en bataille, sur la grande route, à la Ferté-Gaucher, en arrière de nous et sur notre communication directe, les corps d'York et de Kleist. Il fallait aller à Provins, ou mettre bas les armes. (Note du duc de Raguse.)
«Quoiqu'on n'ait pas de nouvelles de l'Empereur depuis le 26 au soir, et que Sa Majesté n'ait point annoncé la direction qu'elle prendrait, on doit calculer qu'il est impossible que l'Empereur n'arrive pas, sur le dos de l'ennemi qui nous presse, d'ici à trois jours au plus tard, le salut de l'État dépend peut-être de résister pendant ces trois jours. Je reçois à l'instant votre bonne lettre d'aujourd'hui, à sept heures du matin. Il faudra garder le pont de Saint-Maur; cela doit regarder le duc de Trévise, qui, au lieu d'occuper Bonneuil, pourra loger ses troupes à Maisons, à Créteil, à Charenton, et avoir sa gauche à Fontenay-sous-Bois, si cette position lui parait bonne et si les dispositions du terrain ne s'y opposent pas.
«Le ministre de la guerre,
«DUC DE FELTRE.»
LE MINISTRE DE LA GUERRE AU MARÉCHAL MARMONT.
«Paris, le 29 mars 1814,
onze heures du soir.
«Monsieur le maréchal, je reçois à l'instant de nouveaux ordres de Sa Majesté le roi Joseph, que je m'empresse de transmettre à Votre Excellence, et qui contiennent de nouvelles dispositions déterminées par les circonstances.
«L'intention du roi est, monsieur le maréchal, que vous vous réunissiez cette nuit, entre la Villette et les prés Saint-Gervais, au corps du général Compans, qui sera sous les ordres de Votre Excellence.
«M. le maréchal duc de Trévise reçoit, de son côté, l'ordre de se porter cette nuit à la Villette, où il réunira sous son commandement les troupes du général Ornano.
«Au moyen de ces dispositions, vous serez chargé, monsieur le maréchal, de la défense de Paris, depuis la Villette exclusivement jusqu'à Charenton; et M. le maréchal duc de Trévise commandera depuis la Villette inclusivement jusqu'à Saint-Denis.
«J'ai l'honneur d'informer en outre Votre Excellence que le roi compte se rendre demain, dès la pointe du jour, à Montmartre, pour être à portée de voir les mouvements de l'ennemi, et de donner des ordres suivant les circonstances.
«Le ministre de la guerre,
«DUC DE FELTRE.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Fontainebleau, le 1er avril 1814,
six heures du matin.
«Dans la situation actuelle des affaires, l'Empereur s'est résolu à réunir le gouvernement à Orléans en y rassemblant toutes les réserves de l'intérieur, à se placer avec toute son armée entre Fontainebleau et Paris pour empêcher les malveillants de se livrer à leurs mauvais penchants et encourager les bons; obligeant l'armée ennemie à se tenir réunie, puisque le moindre détachement qu'elle ferait hors de Paris livrerait cette ville à l'Empereur.
«Je donne l'ordre au duc de Trévise de prendre position à la gauche d'Essonne. Vous devez, monsieur le maréchal, prendre position avec votre corps à la droite d'Essonne; par ce moyen, l'ennemi sera obligé de passer la rivière d'Essonne devant l'armée. L'inconvénient de cette position saute aux yeux, puisque la rivière d'Essonne refuse la gauche qui tombe sur la route d'Orléans.
«Le plateau de Fontenay-le-Comte à la Seine n'est que de deux petites lieues; on peut y avoir autant de débouchés que l'on veut sur la position d'Écote.
«Il serait convenable de se tenir maître d'Essonne et de Corbeil, afin de faire de la poudre dont nous avons grand besoin, et de profiter des magasins de farines qui sont très-considérables.
«Concertez-vous, monsieur le duc, avec M. le duc de Trévise; choisissez votre position; placez votre artillerie en batterie; l'armée arrive demain et suivra le même mouvement. Faites de suite travailler aux fortifications de Corbeil et d'Essonne, afin d'avoir, s'il est possible, deux débouchés. Faites fortifier la rivière d'Essonne; envoyez-moi de suite un mémoire sur cette position; qu'elle ait plus ou moins d'avantages, il faut la prendre dans tous les cas, parce que la rivière l'indique naturellement.
«Reconnaissez s'il y aurait une position entre Corbeil et Choisy, par exemple en avant de Ris, où on peut surveiller les deux routes d'Orléans et de Fontainebleau, avoir les derrières libres pour la retraite, et où on pourrait placer avec avantage une armée de quarante mille hommes. En trois ou quatre jours on aurait construit bien des redoutes et des ouvrages qui ajouteraient à la force naturelle de la position.
«Pour compléter le système, quand vous aurez vu la position, voyez la position de la rivière de l'École, afin de pouvoir donner votre avis sur ces trois positions. L'Empereur compte qu'à midi il doit être sans inquiétude sur la position que vous aurez occupée avec le duc de Trévise. Envoyez de la cavalerie à Arpajon, et poussez votre avant-garde sur la route de Paris aussi loin que vous pourrez, poussant des reconnaissances.
«Je vous envoie cette lettre par M. le colonel Bongars qui vous accompagnera dans vos reconnaissances, et qui ne reviendra que lorsque les troupes seront placées.
«Dans ce système il faut ordonner à la poudrerie de continuer de faire de la poudre, et, au fur et à mesure qu'elle fabriquera, on évacuera sur Fontainebleau, et on établira un artifice.
«Faites-moi connaître, monsieur le maréchal, la quantité de farine qui se trouve à Corbeil, soit sur cette rive, soit dans les magasins de l'autre rive, et faites rétablir le pont, si vous le jugez convenable, afin d'évacuer les farines qui seront de l'autre côté. Comme il y a un filet d'eau qui entoure la ville de l'autre coté, il doit être facile d'occuper cette ville, ce qui assure un bon passage de la Seine, indépendamment du pont de Melun.
«Envoyez de suite un officier du génie à Arpajon pour reconnaître la place. S'il y a une muraille, il fera travailler de suite à la mettre à l'abri des Cosaques.
«Le prince vice-connétable, major général,
«ALEXANDRE.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Fontainebleau, le 2 avril 1814,
quatre heures du matin.
«Monsieur le duc de Raguse, je donne l'ordre à la division des gardes d'honneur du général Defrance de partir ce matin de Saint-Germain-sur-l'Écote, pour se rendre à Fontenay-le-Vicomte et éclairer la rivière d'Essonne depuis la Ferté-Alep, en jetant des partis sur Arpajon. Le général Defrance sera sous vos ordres, et je le charge d'envoyer un officier près de vous.
«Je viens d'ordonner au général Sorbier de prendre des mesures pour qu'aujourd'hui, à cinq heures du matin, vous et le duc de Trévise, ayez au moins à vous deux soixante pièces de canon.
«La division de cavalerie du général Piré partira aujourd'hui vers onze heures ou midi de Fontainebleau pour aller se cantonner du côté de Monceaux, à une lieue derrière Essonne. Le général Piré prendra vos ordres si vous étiez attaqué.
«Le prince vice-connétable, major général,
«ALEXANDRE.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Fontainebleau, le 3 avril 1814.
«Monsieur le duc de Raguse, l'Empereur aura ce soir son quartier général au château de Tilly, près Ponthierry: ayez soin d'y envoyer un aide de camp ou officier d'état-major, qui puisse bien faire connaître à Sa Majesté l'endroit où se trouvent les troupes.
«Le prince vice-connétable, major général,
«ALEXANDRE.»
LE MAJOR GÉNÉRAL AU MARÉCHAL MARMONT.
«Fontainebleau, le 4 avril 1814.
«L'intention de l'Empereur est que vous vous rendiez ce soir de votre personne au palais de Fontainebleau, à dix heures; prenez des mesures pour pouvoir être de retour à votre poste avant le jour.
«Le prince vice-connétable, major général,
«ALEXANDRE.»
LE GÉNÉRAL BORDESOULLE AU MARÉCHAL MARMONT.
«Versailles, le 5 avril 1814.
«M. le colonel Fabvier a dû dire à Votre Excellence les motifs qui nous ont engagés à exécuter le mouvement que nous étions convenus de suspendre jusqu'au retour de MM. les princes de la Moskowa, des ducs de Tarente et de Vicence. Nous sommes arrivés à Versailles avec tout ce qui compose le sixième corps.--Absolument tout nous a suivis, et avec connaissance du parti que nous prenions, l'ayant fait connaître à la troupe avant de marcher. Maintenant, monseigneur, pour tranquilliser les officiers sur leur sort, il serait bien urgent que le gouvernement provisoire fit une adresse ou proclamation à ce corps, et qu'en lui faisant connaître sur quoi il peut compter on lui fasse payer un mois de solde; sans cela il est à craindre qu'il ne se débande.
«MM. les officiers généraux sont tous avec nous, M. Lucotte excepté. Ce joli monsieur nous avait dénoncés à l'Empereur.
«J'ai l'honneur d'être, avec le plus profond respect, de Votre Excellence,
«Le très-humble et dévoué serviteur.
«Le général de division,
«Comte BORDESOULLE.»
COPIE D'UNE LETTRE DE M. LE MARÉCHAL NEY A S. A. LE PRINCE DE BÉNÉVENT PRÉSIDENT DE LA COMMISSION COMPOSANT LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE.
«Monseigneur, je me suis rendu hier (4) à Paris avec M. le maréchal duc de Tarente et M. le duc de Vicence, comme chargé de pleins pouvoirs pour défendre, près de Sa Majesté l'empereur Alexandre, les intérêts de la dynastie de l'empereur Napoléon.--Un événement imprévu ayant tout à coup arrêté les négociations, qui cependant semblaient promettre les plus heureux résultats, je vis dès lors que, pour éviter à notre chère patrie les maux affreux d'une guerre civile, il ne restait plus aux Français qu'à embrasser entièrement la cause de nos anciens rois; et c'est pénétré de ce sentiment que je me suis rendu ce soir auprès de l'empereur Napoléon pour lui manifester le voeu de la nation.
«L'Empereur, convaincu de la position critique où il a placé la France, et de l'impossibilité où il se trouve de la sauver lui-même, a paru se résigner et consentir à une abdication entière et sans aucune restriction; c'est demain matin que j'espère qu'il m'en remettra lui-même l'acte formel et authentique; aussitôt après, j'aurai l'honneur d'aller voir Votre Altesse Sérénissime.
«Le maréchal NEY.»
«Fontainebleau, le 5 avril 1814,
onze heures et demie du soir.»
COPIE DE LA GARANTIE FAITE LE 6 AVRIL ET ANTIDATÉE.
POUR METTRE A L'AISE LES OFFICIERS ET SOLDATS DU SIXIÈME CORPS.
ARTICLE PREMIER.
«Moi, Charles, prince de Schwarzenberg, maréchal et commandant en chef les armées alliées, je garantis à toutes les troupes françaises qui, par suite du décret du sénat du 2 avril, quitteront les drapeaux de Napoléon Bonaparte, qu'elles pourront se retirer librement en Normandie avec armes, bagages et munitions, et avec les mêmes égards et honneurs militaires que les troupes alliées et réciproquement.
Art. 2..
«Que si, par suite de ce mouvement, les événements de la guerre faisaient tomber entre les mains des puissances alliées la personne de Napoléon Bonaparte, sa vie et sa liberté lui seront garanties dans un espace de terrain et dans un pays circonscrit au choix des puissances alliées et du gouvernement français.»
EXTRAIT DU NATIONAL.
Jeudi, 8 août 1814.
«... L'officier chargé de porter à Marmont l'ordre écrit de Joseph, dont nous venons de parler, le lui avait remis à deux heures. Cet ordre, formulé dans les mêmes termes pour les deux maréchaux, était ainsi conçu:
«Si M. le maréchal duc de Raguse et M. le maréchal duc de Trévise ne peuvent plus tenir, ils sont autorisés à entrer en pourparlers avec le prince de Schwarzenberg et l'empereur de Russie, qui sont devant eux.
Ils se retireront sur la Loire.
«Joseph.»
«Montmartre, ce 30 mars 1814, à dix heures du matin.»
«Le duc de Raguse n'en continua pas moins à se battre. Il avait alors non-seulement à soutenir l'effort de Schwarzenberg, mais encore du centre de l'armée de Silésie, que venait d'amener Giulay. Cette armée, nous l'avons dit, s'était partagée en trois colonnes: celle de droite, conduite par Blücher en personne, se portait, à pas comptés, par Aubervilliers et Clichy, sur la butte Montmartre, tandis que celle de gauche, aux ordres du prince de Wurtemberg, après avoir traversé le bois et le village de Romainville, s'avançait, partie sur Ménilmontant, partie sur Charonne et la chaussée de Vincennes, que défendait une batterie de vingt-huit pièces, manoeuvrées par les élèves de l'École polytechnique, au nombre de deux cent seize, et pointées par des artilleurs de la vieille garde.
«A dix heures du soir, ces braves adolescents faisaient encore feu, lorsqu'on vint leur donner l'ordre de rentrer à l'École.
«Blücher ne devait pas rencontrer la même résistance. Ne pouvant croire que Montmartre n'était pas fortifié, il ne s'en approcha, nous l'avons dit, qu'avec les précautions les plus grandes. Ce fut à trois heures et demie seulement que ses premiers détachements parurent au pied de la butte. Quelques obus et quelques boulets furent lancés contre eux; mais, à quatre heures, il ne restait plus un seul homme armé sur ce point. Blücher l'occupa immédiatement en force, et, à quatre heures et demie, les huit pièces que nos soldats y avaient laissées étaient tournées contre Paris, et jetaient sur les faubourgs les plus rapprochés des boulets et des obus.
«Ce désarroi, cet abandon général, inspiraient les craintes les plus vives à la partie riche de la population de Paris; ils préoccupaient surtout vingt-cinq à trente personnes, banquiers, commerçants, propriétaires, qui attendaient Marmont, lorsque, à six heures du soir, après avoir fait avertir le duc de Trévise, par le général Meynadier, de la signature de l'armistice, il parut dans les salons de son hôtel de la rue de Paradis-Poissonnière. Il était à peine reconnaissable, a dit un témoin oculaire; sa barbe avait huit jours; la redingote qui couvrait son uniforme était en lambeaux; de la tête aux pieds il était noir de poudre. Il annonça la suspension d'armes. «C'est bien pour l'armée, s'écria-t-on autour de lui; mais Paris? qui le garantira des excès de l'ennemi? Il faut une capitulation pour le sauver!»
«Marmont en convint. «L'armistice, ajouta-t-il, a précisément pour objet de faciliter à Paris un arrangement particulier à la capitale. Mais je suis sans autorisation pour traiter en son nom; je ne la commande pas; je ne suis pas gouvernement. Simple chef de corps, je n'ai à m'occuper que des troupes sous mes ordres. Elles ne peuvent plus rien; elles ont fait tout ce qu'humainement on pouvait exiger d'elles. On vient de m'annoncer le retour de l'Empereur par la route de Fontainebleau; je vais me replier sur cette ville, et laisser, à qui doit le prendre, le soin d'une capitulation spéciale pour Paris.--Mais qui la proposera? qui la signera? répliqua-t-on tout d'une voix; le gouvernement, toutes les hautes autorités, nous ont abandonnés; il ne reste plus personne. Ce n'est pas le conseil municipal de Paris qui peut traiter directement avec l'empereur de Russie et le roi de Prusse; ces princes ne connaissent, pas même de nom, un seul de ces membres. Les maréchaux, après avoir défendu la ville, auraient-ils l'inhumanité de l'abandonner à toutes les exigences, à toute la colère du vainqueur? Puisqu'ils ont conclu l'armistice, que leur coûte-t-il de compléter la négociation? Joseph, d'ailleurs, ne leur a-t-il pas donné carte blanche?»
«Marmont résista longtemps. A la fin, entraîné par les supplications de tout ce qui l'entourait, par les prières d'une députation du corps municipal, qui vint le conjurer de s'entremettre, il consentit à prendre la responsabilité d'un acte que tous lui signalaient comme l'unique moyen de salut pour Paris. Deux aides de camp furent chargés de conclure en son nom. Les troupes commencèrent leur mouvement de retraite sur Fontainebleau. Ce furent les détachements les premiers partis que l'Empereur rencontra à Fromenteau.
«La capitulation de Paris étonna, indigna la France. Le peuple ne put comprendre comment Paris, capitale d'un grand empire, centre de toutes les ressources du gouvernement, avec une population de sept cent mille âmes, s'était rendue après une lutte de quelques heures. Les nations ont leur jour d'injustice: le gouvernement de la régente avait été inepte et lâche; l'Empereur imprévoyant et aveugle au delà de toute croyance; l'armée, sous Paris, s'était montrée héroïque; fait inouï! elle venait de tuer à l'ennemi plus de soldats qu'elle ne comptait de combattants; et ce furent les chefs de cette armée qu'on accusa. Les nations ont aussi leurs passions; la défaite, même la plus honorable, leur semble une honte qu'elles ne peuvent accepter; être trahies va mieux à leur orgueil; la capitulation, signée par les aides de camp du duc de Raguse, fut reprochée à ce maréchal comme un acte d'infâme trahison.--Joseph Bonaparte, Clarke, duc de Feltre, le général Hullin, voilà les seuls noms sur qui doit éternellement peser le fatal souvenir de la première capitulation de Paris. Le maréchal Marmont était encore un des plus nobles soldats de notre armée au 30 mars 1814.»
«A. DE VAULABELLE.»
[Note du transcripteur: ce tableau contient les renvois 18et 19 aux notes ci-dessous.]
Note 19: (retour) Il est inutile de faire remarquer que ce tableau dressé à la place de Paris, présente un effectif exagéré, comme l'est toujours un effectif formé sur pièces dans les bureaux. En règle générale, il faut toujours retrancher, sur les effectifs de cette espèce, un cinquième au moins, cinquième qui représente les malade, les traînants, les absents, en un mot, pour quelque motif que ce soit. Il suffit d'examiner avec un peu d'attention ce tableau pour voir combien il est loin de représenter le nombre des combattants véritables. Par exemple les 6000 gardes nationaux; (y en avait-ils 6000?) étaient aux barrières. On compte les hommes qui étaient où on ne se battait pas, les hommes employés à la place, etc... (Note de l'Éditeur.)
NOTICE SUR LE GÉNÉRAL KLÉBER 20
Note 20: (retour) Le duc de Raguse a rédigé ces trois notices en exprimant l'intention formelle de les joindre à ses Mémoires. Nous devons dire pourquoi nous les insérons ici, au lieu de les rejeter à la fin de l'ouvrage, où est la place ordinaire des morceaux détachés de ce genre. D'abord elles se rapportent, en grande partie, à la portion des Mémoires que l'on vient de lire; mais, ce qui nous a principalement déterminé, c'est qu'ils complètent ce volume. Nous avons préféré ne pas suivre l'usage et conserver, pour le volume prochain, l'histoire complète de la Restauration, histoire très-intéressante, qui forme un tout bien lié, qu'il serait difficile et fâcheux de scinder. C'est donc surtout en vue de l'attrait que cette lecture peut présenter que nous avons agi en cette circonstance. (Note de l'Éditeur.)
J'ai connu les hommes les plus marquants de mon époque: j'ai vécu dans la familiarité d'un grand nombre d'entre eux. Ma vie, longue et agitée, m'a mis en rapport avec presque tous les individus dont les noms passeront à la postérité; et, après Napoléon, aucun homme n'a laissé en moi de plus profonds souvenirs que le général Kléber. Bien jeune encore quand je l'ai connu, peut-être l'ai-je jugé avec cet enthousiasme propre au premier âge; mais déjà cependant j'avais assez vu le monde pour pouvoir comparer, et peut-être aussi la nature m'a-t-elle donné quelque instinct pour apprécier les hommes: je pourrais en assigner la preuve par la manière dont j'ai deviné l'immense carrière du général Bonaparte, et cela, au moment où, général de brigade obscur, il était encore inconnu au monde.
Kléber est né à Strasbourg, en 1754, d'une famille bourgeoise. Destiné au métier d'architecte et élevé pour en suivre la carrière, des circonstances particulières lui donnèrent le moyen d'entrer à vingt-trois ans au service de l'Autriche, comme officier, dans le régiment de Kaunitz. Après sept ans, il le quitta pour revenir en France, où il reprit sa première profession. La Révolution ayant réveillé chez lui son instinct belliqueux, il entra, comme grenadier, dans un bataillon de volontaires du Haut-Rhin, où bientôt il devint adjudant-major. Renfermé dans Mayence, il se distingua à la défense de cette place, et fut nommé adjudant général. Envoyé avec cette garnison dans la Vendée, et promu bientôt au grade de général de brigade, destitué et remis peu après en activité de service et devenu général de division, il combattit en cette qualité à Fleurus, et eut ensuite sous ses ordres une aile de l'armée de Sambre-et-Meuse, commandée par le général Jourdan. Resté sans activité en 1797, il demanda au général Bonaparte de le suivre dans l'expédition d'Égypte, et en fit partie comme général de division. Blessé à l'attaque d'Alexandrie, il resta dans cette place pour y commander. Guéri, il revint à la tête de sa division, et fit l'expédition de Syrie. Le général Bonaparte, en partant pour la France, lui laissa le commandement de l'armée. Kléber, opposé au système de colonisation, conclut, peu après, une convention pour l'évacuation de l'Égypte; mais, après avoir commencé l'exécution du traité, informé de la mauvaise foi du gouvernement anglais, il se détermina à attaquer immédiatement l'armée turque, sur laquelle il remporta, avec dix mille hommes, la victoire mémorable d'Héliopolis. Après ce succès immortel, et au moment où il s'occupait à fonder un établissement durable, un fanatique l'assassina et enleva à l'armée un chef qui lui assurait à jamais la conservation de cette riche contrée, si précieuse pour la France, et dont la possession l'eût dédommagée amplement de la perte de toutes ses colonies.
Le général Kléber, d'une haute stature, d'une figure martiale, d'une bravoure brillante, donnait l'idée du dieu de la guerre. Son instruction était étendue, son esprit vif et mâle. Un accent alsacien très-marqué, des phrases souvent imprégnées de germanismes, donnaient à son langage une énergie particulière. Sa personne portait avec elle une grande autorité, et son regard imposait. Bon et agréable dans ses rapports, les troupes l'aimaient; ceux qui vivaient dans son intimité le chérissaient. Cependant, comme rien n'est parfait sur la terre, avec un caractère élevé et prononcé, il ressentait quelquefois de petites passions qui obscurcissaient ses hautes qualités. La manière dont Bonaparte avait paru et figuré à son début sur la scène du monde l'avait rempli d'admiration, et cependant, à peine placé sous ses ordres et en rapports directs avec lui, les faiblesses de l'homme reprirent leur empire, et son entourage, ne négligea rien pour refroidir et rendre bientôt ennemis deux hommes qui étaient faits pour s'entendre et s'apprécier. Du nombre de ceux qui exerçaient une influence fâcheuse sur l'esprit de Kléber, je dois mettre en première ligne Auguste Damas, un de ses aides de camp, jeune homme charmant et officier brillant, mais qui faisait un mauvais usage de son crédit sur l'esprit de son général.
Kléber réunissait chez lui deux dispositions contraires dans son esprit, chose dont on a vu plus d'une fois l'exemple chez les gens de guerre. Il ne savait pas obéir et ne voulait pas commander. Quand le commandement lui fut imposé, il l'exerça à merveille; mais, si on le lui eût offert, il l'aurait refusé opiniâtrement. Il contribua puissamment aux succès de l'armée de Sambre-et-Meuse, et fut en même temps le fléau du général Jourdan, dont il estimait peu les talents et le caractère, et qu'il tournait souvent en ridicule. Après le départ de Bonaparte, il se déclara hautement son ennemi, il critiqua amèrement ses opérations et rallia à lui tous les individus qui désiraient voir évacuer l'Égypte. L'armée se divisa en deux partis, l'un favorable, l'autre contraire à la colonisation. Les troupes qui avaient servi en Italie composaient le premier; à sa tête se plaça le général Menou, et c'est à cette seule circonstance que cet officier a dû cette protection inouïe et si peu méritée dont Napoléon ne se lassa jamais de le couvrir; Kléber adopta toutes les passions du parti opposé; mais, quand l'honneur de l'armée lui commanda de changer de conduite, il n'hésita pas à se montrer homme supérieur et grand général. Jamais ordre du jour ne fut plus éloquent que celui qu'il donna à son armée; jamais proclamation n'exalta plus vivement les sentiments des soldats. Après avoir publié textuellement la lettre de l'amiral Keit, annonçant son refus de reconnaître le traité d'El-Arich, et sa résolution de retenir prisonnière l'armée française, il ajoutait: «Soldats, on ne répond à de telles insolences que par des victoires. Préparez-vous à combattre.» On sait ce qui advint de cette résolution généreuse. La conservation de l'Égypte, s'il eût vécu, en eût été le résultat définitif.
Le langage du général Kléber, souvent ordinaire, ne manquait cependant pas d'une certaine élévation; ses images, prises presque toujours en bas lieu, avaient quelque chose de pittoresque et d'énergique, et beaucoup de mots de lui ont fait fortune dans l'armée. Lors du passage du Rhin en 1793, près de Dusseldorf, Kléber commandait le corps d'armée opérant le premier. Le retard de quelques heures dans l'arrivée des bateaux sembla avoir fait perdre la tête au général Jourdan. Le passage, exécuté de nuit, devait avoir lieu de très-bonne heure; mais, les bateaux n'ayant été disponibles qu'à dix heures, et la lune étant levée, l'opération pouvait être vue par les ennemis, et, comme tous les hommes faibles, Jourdan voulut remettre au lendemain son entreprise, ne voyant pas que le retard mettrait plus de chances contre le succès que la lumière incertaine de l'astre dont il redoutait la présence. Au moment où Kléber s'embarquait avec ses troupes pour opérer, un aide de camp arriva pour lui dire de suspendre le passage. Kléber prit un ton solennel pour répondre à l'aide de camp, et lui adressa ces paroles: «Dites au général en chef que je ch... sur la lune, je fais une éclipse, je passe, et demain je serai à Dusseldorf.» Je ne sais pas si l'éclipse fut faite, mais il est certain que le lendemain il était maître de Dusseldorf. On juge le succès qu'eut un pareil discours dans la circonstance et avec un semblable résultat.
Kléber, en Égypte, s'était promptement mis en opposition contre toutes les niaiseries de cette nuée de prétendus savants qui avaient accompagné l'armée. Ces pauvres gens étaient antipathiques aux soldats, qui les accusaient d'être cause de l'expédition. Aussi se plaisaient-ils à leur signifier qu'ils n'étaient que des ânes, mais cela d'une manière indirecte, en décorant les ânes, si communs en Égypte, du nom de savants. Kléber eut un jour l'occasion de les tourner en ridicule d'une manière sanglante. A Dieu ne plaise que je puisse confondre dans cette tourbe quelques-uns des hommes illustres qui avaient suivi l'expédition, tels que Monge, Berthollet, Dolomieu, etc.! Mais il est certain que ce peuple de savants était fort peu digne de pareils chefs et que les soldats étaient fort excusables de se moquer d'eux. Dolomieu, Monge, Berthollet, etc., étaient à dîner chez le général Kléber à Gizéh, avec une trentaine de convives. Dolomieu avait de la niaiserie dans l'esprit, dans la tournure et dans le langage: d'une taille de six pieds deux pouces, élancé comme un palmier et bègue, sa vue disposait toujours à rire. Quelqu'un ayant dit que, si ou eût trouvé cent millions en arrivant en Égypte, on aurait pu faire de très-belles choses, Dolomieu s'empara vivement de cette idée, et exprima d'une manière particulière ses regrets. Kléber alors lui ayant dit: «Mon cher Dolomieu, quel emploi auriez-vous fait de ce trésor?» celui-ci répondit en bégayant: «D'abord, j'aurais donné trente millions à l'Institut pour faire des fouilles, ensuite une pareille somme pour bâtir une ville à la pointe du Delta, enfin, le reste au gouvernement pour le couvrir des frais de l'expédition, chose juste et convenable.--Nous différons, mon cher Dolomieu, dans notre manière de voir,» lui dit alors Kléber avec autorité, «si j'avais eu mission de répartir cette somme, j'aurais donné cinquante millions à l'armée, et puis cinquante millions à l'armée, des coups de bâton au Directoire, et du foin à l'Institut.»
Cette histoire, dont le général Bonaparte rit beau-coup, fit le bonheur de l'armée.
J'ai raconté ailleurs d'autres mots du général Kléber, je pourrais en citer encore, mais j'en ai dit assez pour faire connaître la nature de son esprit. Homme remarquable sous tous les rapports, sa mort prématurée a été un grand malheur pour la France, et la cause de nos désastres en Égypte.
NOTICE SUR LE PRINCE SCHWARZENBERG
J'ai eu plusieurs fois, dans le cours de mes Mémoires, l'occasion de prononcer le nom du prince Charles de Schwarzenberg; mais je n'en ai point dit assez pour le faire connaître, et c'est ce que je veux faire ici.
Le rôle important qu'il a joué à la tête de la croisade qui s'est formée contre nous prouve que c'était un homme d'un rare mérite. Le noble et heureux caractère dont il était doué était merveilleusement adapté à la position élevée qui lui avait été confiée. Il fallait ses belles et nobles qualités pour amener à bien la tâche difficile qui lui était imposée. Ces mêmes qualités, au reste, lui ont valu l'estime et rattachement de tous ceux qui l'ont connu.
Il était issu d'une ancienne et illustre famille de l'Empire, appartenant à la noblesse immédiate, depuis plusieurs siècles établie en Autriche, où elle possède de grands biens. A l'exemple de ses ancêtres, il entra de bonne heure au service militaire. Le prince Charles était né en 1771; aussi avait-il fait les campagnes de 1788 et 1789 contre les Turcs. Il avait également servi avec distinction dans les guerres contre la France. Dès 1796, à vingt-cinq ans, il était déjà officier général, chose rare partout, et plus rare en Autriche qu'ailleurs. Il se trouva à la catastrophe d'Ulm, où, par ses dispositions et sa présence d'esprit, il sauva la plus grande partie de la cavalerie autrichienne. Son esprit aimable et sa séduction personnelle le firent choisir, pendant la paix, pour remplir les fonctions d'ambassadeur à Saint-Pétersbourg. La guerre l'ayant rappelé à l'armée, il combattit avec gloire à Wagram, en 1809.
Après le mariage de Napoléon avec Marie-Louise, le prince de Schwarzenberg devint ambassadeur en France et sut plaire universellement à Paris. La catastrophe qui accompagna les fêtes du mariage de Napoléon, et dont sa maison fut le théâtre, devint comme le pronostic funeste des malheurs dont la nouvelle dynastie serait frappée.
Au moment où la guerre de Russie éclata, il fut choisi pour commander le corps auxiliaire que l'Autriche réunit à l'armée française. Comme Napoléon l'estimait et l'aimait, comme il voulait lui donner une existence égale à celle des maréchaux français, il demanda pour lui à l'empereur François la dignité de feld-maréchal, qui lui fut accordée. Ainsi ce fut à Napoléon qu'il dut sa promotion. Singulière destinée de celui-ci! Principe de tant de grandeurs nouvelles, créateur, soutien et protecteur de tant de dynasties qui, par sa toute-puissance, prirent rang parmi les rois, quand ses nombreuses fautes eurent compromis ses destinées, il succomba écrasé par les efforts de ceux qu'il avait grandis! Le lieutenant qu'il avait choisi en 1812 devint le chef suprême qui conduisit, en 1813 et 1814, les peuples qui avaient pris les armes pour le détruire.
Le prince de Schwarzenberg remplit sa tâche avec talent en 1812. Abandonné à lui-même par Napoléon, habituellement sans ordres de lui, il manoeuvra dans le but d'être le plus utile à l'armée française. Des critiques injustes ont obscurci les services qu'il rendit à cette époque. L'esprit de parti a fait taire la vérité. On l'a accusé d'avoir agi avec faiblesse et trop de circonspection; mais ceux qui ont étudié les faits doivent le laver de cette accusation. Le prince de Schwarzenberg a manoeuvré avec habileté et talent. Il ne pouvait pas raisonnablement faire plus qu'il n'a fait. Il est vrai qu'il ne s'est pas perdu à plaisir au moment où l'armée française a présenté le spectacle d'une immense catastrophe, dont on ne trouve d'exemple que dans l'antiquité.
La position de l'Autriche ayant changé, de nouveaux devoirs le mirent dans le cas de combattre ses anciens alliés. La considération dont jouissait son talent, le cas qu'on faisait d'un caractère noble, désintéressé, conciliant, et la nécessité de flatter l'amour-propre de l'Autriche, dont le poids devait tout décider, firent choisir unanimement le prince de Schwarzenberg pour chef suprême.
Jamais mission plus difficile et plus pénible ne fut donnée à un général d'armée. Commander les troupes de tant de nations différentes, et mettre en harmonie des intérêts quelquefois si opposés; commander au milieu de souverains, environné de leurs états-majors et de leur cour; neutraliser les rivalités funestes et les mauvaises passions: faire une abnégation constante de toute vanité personnelle; accorder souvent une gloire peu méritée pour ne pas déplaire, sans cependant décourager ceux à qui elle appartenait véritablement; ne voir qu'un but marqué dans l'alliance, et se sacrifier sans cesse aux intérêts de l'harmonie et de l'union, tel est le rôle auquel le prince de Schwarzenberg s'est dévoué, et qu'une âme d'une pureté extraordinaire lui a donné le moyen de remplir. Il avait, il est vrai, un puissant appui pour le succès de ses opérations dans la haine universelle qu'inspirait Napoléon.
Je ne fais ici aucune critique des deux campagnes des alliés en 1813 et 1814. Les fautes commises ne peuvent être reprochées à un général peu maître de ses mouvements, auquel on désobéissait souvent, et que mille considérations retenaient sans cesse.
Le prince de Schwarzenberg avait des talents militaires distingués, et doit être placé au nombre des meilleurs généraux de son temps.
On assure que, dans la sécurité de la paix, on a oublié les grands services qu'il avait rendus, et que seul il pouvait rendre. En effet, son influence a été détruite par des médiocrités intrigantes. En cela il a eu un sort commun à beaucoup d'hommes capables et vertueux dont l'histoire a conservé les noms. Une mort prématurée à quarante-neuf ans l'a empêché de jouir, de son vivant, de la position qui lui était due, et que le temps aurait amenée quand les intérêts personnels et les rivalités n'y auraient plus mis d'obstacles.
NOTICE SUR LE PRINCE DE METTERNICH
Le prince de Metternich, dont la longue carrière politique a exercé pendant beaucoup d'années et exerce encore une grande influence sur les événements de l'Europe, sera l'objet légitime de la curiosité de la postérité. Ceux qui, comme moi, l'ont beaucoup fréquenté doivent chercher à le faire connaître.
Le prince de Metternich est né à Coblentz, en 1773. Sa famille appartenait à la noblesse immédiate de l'empire. Elle a eu la gloire de fournir plusieurs électeurs de Trèves et de Mayence. A l'exemple de son père, Metternich s'attacha de bonne heure au service de l'Autriche. Un avancement rapide le porta au poste de ministre de l'empereur à Berlin, qu'il occupait en 1805.
M. de Metternich est un homme d'un esprit étendu et cultivé. Il possède des connaissances multipliées. Sans être un savant, il n'est probablement pas d'homme du monde, livré aux affaires et aux plaisirs, qui ait fait des études aussi variées, et soit au même degré au courant des découvertes et de la marche des sciences et des arts, au moins dans leurs résultats et leur application.
Une tournure élégante dans sa jeunesse, une politesse facile, ont fait de lui le type du véritable grand seigneur. Son caractère égal et bienveillant rend agréables les rapports avec lui. Le prince de Metternich est prodigue de promesses, mais difficilement il les tient et s'occupe de leur exécution. La moindre considération l'arrête; le plus léger obstacle l'intimide. Jamais il n'aborde de front une difficulté; toujours il cherche à la tourner, et, si l'oubli de la vérité dans son langage est un auxiliaire utile, il n'hésite pas à en faire usage, et cela avec un aplomb imperturbable.
Cependant dans les choses essentielles, et en pesant bien la nature de ses expressions, ses paroles méritent confiance; dans les choses de peu d'importance, on doit attribuer la cause d'une moindre franchise au besoin de déguiser son impuissance et ses moyens de crédit dans les affaires de gouvernement intérieur: chose plus vraie qu'on ne croit généralement. Sous le règne de l'empereur François, et plus encore sous la règne actuel, son pouvoir réel s'est toujours borné aux affaires de son département. Sur ce terrain il est maître absolu; mais à ces limites finit sa puissance; en sorte que celui qui petit entraîner l'État dans une guerre qui consommerait des milliers d'hommes et des centaines de millions est tout à fait étranger aux mesures qui doivent servir d'appui au développement de ses forces et au régime intérieur de la société.
L'Autriche est aujourd'hui une oligarchie où chaque département administratif se gouverne isolément. Tout s'y passe d'une manière légale; tout y est régulier et conduit d'une manière paternelle; mais chaque pouvoir y marche pour son compte, et il n'y a pas de centre d'action véritable. Les moeurs de la famille impériale, et un grand esprit de justice généralement répandu dans les dépositaires du pouvoir, conduisent le pays. C'est un état de choses supportable dans le repos; mais c'est une cause de faiblesse et un grand danger au moment de l'agitation. Rien n'est plus propre à produire de grandes catastrophes.
Ce qui distingue particulièrement le prince de Metternich, le trait caractéristique de son esprit, c'est la raison. Il semble sans passion; il entend tout avec calme, et se met à la place de chacun. Gâté par les habitudes d'une position très-élevée et des conséquences qui en résultent, la contradiction lui est désagréable, et rarement il se livre à la discussion avec ceux dont les opinions sont opposées à la sienne, il est habituellement d'accord avec lui-même, et j'ai pu en acquérir la preuve dans les nombreuses conversations que pendant tant d'années j'ai eues avec lui. Alors je l'ai vu presque toujours se conduire comme d'avance il avait annoncé vouloir le faire dans une circonstance donnée et prévue. Je l'ai vu également vouloir toujours des choses raisonnables, et s'occuper de bonne heure à préparer les moyens nécessaires pour atteindre le but qu'il s'était proposé. Chef d'un cabinet dont le système et l'esprit, d'accord avec la position géographique de la puissance qu'il représente, doit avant tout être modéré, conservateur, il a pris d'autant plus facilement ces moeurs, qu'elles sont dans sa propre nature.
On accusé le prince de Metternich d'avoir beaucoup d'amour-propre, d'être infatué de son génie et d'être très-sensible à la flatterie; mais quel est l'homme capable qui ignore sa valeur et n'est pas même disposé à l'exagérer? Comment résister au plaisir d'écouter le doux concert de louanges dont le pouvoir et le succès sont toujours l'objet? Chez lui les souffrances que la contradiction et le blâme lui font éprouver ne se montrent pas par l'irritation, mais par une sorte de dédain et un silence qui lui donne à ses propres yeux un succès facile; il s'abandonne souvent aussi à l'illusion d'avoir tout prévu, même lorsque ses pronostics sont en défaut.
Comme beaucoup d'hommes, il a une grande propension à croire ce qu'il désire. Il a aussi la singulière prétention d'être né avec le génie militaire, et, chose surprenante, c'est que le prince de Metternich, après avoir vécu dans un temps de guerre si long, dans l'intimité des généraux les plus distingués de son époque, et suivi les armées, n'a pas compris un mot de la partie morale de la guerre. Un homme doué des facultés qu'il possède aurait dû la deviner sur-le-champ, et être frappé des mystères qui l'accompagnent.
Il se trompe sur lui-même comme il arrive à tant de gens distingués. Éminemment homme de concession, il ne parle que principes et emploi de la force. Homme de conciliation, il tourne en ridicule le juste milieu quand la conduite de toute sa vie en est l'apologie, ce dont assurément on ne peut le blâmer, car il n'y a pas de système invariable dans les affaires. Les choses étant plus fortes que les hommes, l'homme habile modifie sa marche quand les circonstances en indiquent la nécessité, afin de ne pas se briser contre leur puissance irrésistible.
La monarchie autrichienne s'est bien trouvée de la conduite qu'il a tenue après les malheurs qui l'avaient écrasée; car la modération et la fermeté de cette conduite l'ont replacée au point d'où elle était descendue par suite d'une politique imprévoyante et des malheurs de la guerre. L'Europe s'en trouve bien également aujourd'hui; car le système conservateur adopté l'a préservée d'une guerre qui n'était pas indispensable, et des malheurs qui en auraient été la suite.
Malgré un esprit supérieur, le prince de Metternich a une simplicité et une bonhomie qui lui font trouver un véritable délassement dans des niaiseries, qui, d'abord plaisantes, devraient promptement lui paraître fastidieuses. Singulière bizarrerie qui lui est tout à fait particulière, il s'amuse à faire une collection de toutes sortes de bêtises, des choses ridicules écrites qu'il a pu rassembler. Il consacre quelquefois des heures entières à les montrer en détail et à en faire l'exposition.
Le prince de Metternich a été très-bien traité par les femmes. De nombreux succès ont rempli sa carrière galante. Sa première femme, la princesse Laure, née comtesse de Kaunitz, m'a dit quelle ne comprenait pas qu'une femme put lui résister. Il s'est marié trois fois. Sa première femme, celle que je viens de nommer, était petite-fille du célèbre ministre tout-puissant sous Marie-Thérèse et Joseph. Elle avait beaucoup d'esprit. Devenu veuf, une véritable passion le détermina à donner sa main à une personne charmante, mademoiselle Antoinette Leicham, d'une famille obscure, et que l'aristocratie autrichienne repoussait à cause de cela. Cette dame mourut en couches à son premier enfant. Metternich prit alors une troisième femme, mademoiselle Mélanie Zichy; c'est celle que j'ai le plus connue. Quoique bien née, sa famille n'est pas ancienne. Charmante de figure, et de moeurs très-pures, son caractère passionné a eu de grands inconvénients pour son mari, pour ceux avec lesquels elle vit et pour elle-même. Cependant on ne peut révoquer en doute quelle ait de la bonté et possède de grandes qualités de coeur. En dernière analyse, le prince de Metternich, comme homme privé, a toutes les qualités qui rendent sa société sûre, commode et douce; et, comme homme politique, il justifie en grande partie, malgré quelques fautes graves que la postérité lui reprochera, la réputation d'habileté que ses longs succès lui ont donnée.
Après avoir essayé de faire le portrait du prince de Metternich, peut-être est-il à propos de jeter un coup d'oeil rapide sur l'histoire de sa vie et sur les actions principales auxquelles il a attaché son nom.
Sa carrière embrasse quatre époques principales: la première commence à son entrée au service, et se termine avec son ambassade à Paris.
La deuxième commence à sa nomination de chef du cabinet et remplit tout le temps de l'Empire.
La troisième comprend la Restauration jusqu'à la Révolution de juillet.
La quatrième se compose des temps qui ont suivi et qui durent encore.
La première période ne présente d'abord aucun intérêt politique. Occupant alors des postes secondaires, le prince de Metternich a été étranger aux grandes affaires. Son occupation principale fut alors de plaire et de se faire des amis. Il alimentait l'activité de son esprit par l'étude des sciences. Pendant le temps où il attendit à Vienne qu'un poste lui fût donné, il se livra à l'étude de la médecine, pour laquelle il a toujours un goût prononcé. Il suivit les hôpitaux de cette capitale et ne manqua jamais d'assister aux opérations de quelque importance. Il en est résulté qu'il est particulièrement instruit dans cette partie, et l'opinion que je crois être autorisé à concevoir de ses connaissances me fait penser que souvent un malade confié à un médecin de profession est moins en sûreté qu'il ne le serait entre ses mains.
Le prince de Metternich fut fort à la mode dans sa jeunesse. D'une tournure distinguée et élégante, il fut très-bien traité par le beau sexe et eut beaucoup de louangeurs. Le mariage qu'il contracta avec une petite-fille du célèbre ministre, prince de Kaunitz, ajouta puissamment à ses moyens d'avancement et de fortune.
Une circonstance fortuite, insignifiante en elle-même, le fit sortir de pair et le plaça sur le plus grand théâtre de l'époque. L'ambassade de Paris lui fut donnée. C'est de sa bouche même que j'ai entendu le récit des événements qui motivèrent le choix dont il fut l'objet.
A l'époque de la guerre de 1805, le prince, alors comte de Metternich, était ministre à Berlin. Il était fort aimé de tous ses collègues; il vivait, entre autres, en bonne harmonie avec le ministre de France, M. de Laforest, vieil employé des affaires étrangères, assez peu spirituel, mais galant homme. La guerre déclarée et les armées en mouvement, leurs relations durent cesser; mais le comte de Metternich, très-éloigné de la moindre pédanterie et de toute exagération, dit à M. de Laforest qu'il était dans leurs intérêts réciproques de se communiquer les nouvelles que chacun d'eux recevrait. Les événements militaires devaient décider toutes les questions politiques, et ils étaient également intéressés à les connaître promptement. Peut-être sa curiosité aurait-elle été moins impatiente s'il eût pu pressentir les résultats de cette campagne. Toutefois les grandes nouvelles arrivèrent. Il fit contre mauvaise fortune bon coeur, accepta sans murmurer les terribles communications que M. de Laforest fut dans le cas de lui faire, et ce dernier en instruisit Napoléon, en se louant beaucoup de lui.
La paix faite, l'Autriche dut choisir un ambassadeur pour résider à Paris. Avant la guerre, ce poste était occupé par le comte Philippe de Cobentzel, très-digne homme sans doute, mais type véritable de la bureaucratie autrichienne, il était formaliste et méticuleux; il déplaisait souverainement à Napoléon. Celui-ci s'en expliqua avec l'empereur François dans l'entrevue qu'il eut avec lui; il l'engagea à lui envoyer un jeune homme qui put le comprendre: il lui nomma Metternich comme en ayant entendu parler avec éloge, et Metternich fut nommé ambassadeur à Paris. Il plut à Napoléon, s'insinua dans sa confiance et son amitié. Les circonstances déterminèrent plus tard, en 1809, l'empereur François à lui confier la direction de la politique de la monarchie autrichienne, au moment où une série de fautes avait ouvert l'abîme qui semblait devoir l'engloutir. On crut à Vienne, non sans raison, que lui seul était en position de le fermer et d'amener des jours meilleurs. On sait qu'il a dépassé les espérances, et on connaît avec quelle habileté il a prévu tes événements et profité des folies de Napoléon. Il est à remarquer que Metternich, qui a contribué si puissamment à la chute de Napoléon par l'ensemble qu'il a su mettre dans les efforts dirigés contre lui, a dû particulièrement à Napoléon lui-même la place redoutable qu'il a occupée et dont il a tiré un si grand parti.
La paix de Vienne étant conclue, le prince de Metternich fut donc appelé à la direction des affaires. C'est à ce moment seulement que l'on peut placer le commencement de la deuxième époque de sa carrière politique.
La guerre de 1800 avait été conçue avec discernement. Le moment pour attaquer Napoléon était opportun. L'Autriche avait de grandes chances de succès, et jamais les positions respectives ne lui avaient offert et semblé promettre un plus bel avenir. Presque toute la vieille armée française était en Espagne, où elle s'épuisait en vains efforts, au milieu des souffrances de toute espèce que déguisaient des succès éphémères. Trouvant une nation sous les armes, mais sans chef pour traiter de ses intérêts, aucune négociation n'était possible. Cette puissance d'opinion que donne la victoire n'amenait elle-même aucun résultat. Ne pouvant s'exercer sur un souverain qui représente toute une nation, elle s'évanouissait bientôt et laissait constamment l'armée en présence des difficultés matérielles de chaque jour et des réalités d'une situation impossible. Maîtresse partout où elle se trouvait, elle perdait son pouvoir dans le lieu qu'elle quittait, parce qu'aucune action morale ne venait à son secours. Dès 1809, on pouvait calculer de quelle série de maux la France était menacée.
D'un autre côté, les calamités de l'Allemagne et ses humiliations avaient éveillé chez ses peuples un désir ardent de vengeance. Jamais le sentiment de la patrie allemande ne s'était développé avec plus d'énergie, et l'armée autrichienne, en prenant les armes, avait montré un enthousiasme qu'on ne lui avait jamais connu.
Des circonstances très-favorables, des moyens relatifs puissants, n'amenèrent cependant aucun résultat, aucun des succès sur lesquels on avait droit de compter. De mauvaises combinaisons militaires amenèrent des revers. La fortune vint inutilement en aide à l'armée autrichienne. L'armée français, après Essling, pouvait et devait périr; mais le général autrichien, au milieu de l'étonnement que lui causait sa victoire, manqua à sa destinée, à la fortune de son pays, et bientôt Wagram replaça Napoléon dans l'opinion à une plus grande hauteur que celle dont il avait paru devoir descendre.
Au moral, comme en mécanique, l'action est égale à la réaction. On avait cru pouvoir briser le joug de Napoléon; mais le joug devint plus lourd encore. Napoléon vainqueur devint un maître. Les peuples, lassés de voir leurs généreux efforts constamment inutiles, s'associèrent sincèrement à la soumission de leur monarque.
C'est donc sous ces auspices que le prince de Metternich devint l'arbitre des destinées de l'Autriche. Une paix très-désavantageuse venait d'être signée sans son concours, et, quoique conclue au moment même où il entrait aux affaires, il n'en a jamais accepté la responsabilité. Bien loin de là, il a protesté dans toutes les occasions. Elle fut en effet condamnable par sa précipitation. Elle fut en quelque sorte imposée à un souverain par la volonté très-suspecte d'un de ses sujets.
Metternich était à..., attendant l'ouverture des négociations, quand Napoléon eut l'idée de faire mettre toute cette affaire entre les mains d'un homme borné, vaniteux, et que ses cajoleries lui soumettraient. Il écrivit à l'empereur François pour lui demander de lui envoyer le prince Jean Lichtenstein, avec lequel, dit-il, il lui serait facile de s'entendre. L'empereur François, par déférence, prescrivit au prince Jean de se rendre à Vienne pour écouter les propositions de Napoléon et lui en rendre compte. Au lieu de se borner à un rôle si facile, n'ayant de pouvoirs d'aucune espèce, le prince Jean consentit à signer des préliminaires de paix. Napoléon lui avait promis, il est vrai, de tenir la chose secrète; mais ce n'était pas le compte de celui-ci, qui voulait exploiter la position habile qu'il avait prise et appeler l'opinion à son aide; aussi n'eut-il rien de plus pressé que de proclamer la paix en faisant tirer cent coups de canon. C'était un moyen de forcer l'empereur à ratifier le traité, par respect pour l'opinion, qui, de belliqueuse qu'elle avait été trois mois auparavant, était devenue très-pacifique. Il eut fallu, pour justifier un refus, faire tomber la tête du mandataire infidèle et que François développât un caractère supérieur à celui dont il était doué. Il se soumit et accepta en définitive un traité dont la nécessité n'était pas suffisamment démontrée. La soumission, les complaisances et la séduction devaient donc être dès lors, pour l'avenir, les armes de l'Autriche. Ce fut ce système qu'adopta Metternich, et il faut convenir qu'il l'a suivi avec habileté. Mettant de côté l'orgueil des Césars, une union de famille avec Napoléon lui parut nécessaire. C'était un refuge où la monarchie autrichienne pouvait respirer.
Depuis la mort du fils aîné de Louis Bonaparte, que diverses circonstances avaient amené Napoléon à regarder comme son successeur, on ne doutait pas qu'un divorce et un nouveau mariage ne fussent dans les projets de l'Empereur. Le comte Louis de Narbonne, resté à Vienne pour l'exécution du traité de paix, fut mis sur la voie d'une alliance, et avec tant d'adresse, qu'il crut en avoir eu la première idée. Ce projet fut transmis à Paris, où il fut accueilli avec complaisance par Napoléon, dont l'orgueil fut flatté, et ou arriva assez vite à une conclusion. Metternich, au surplus, trouva dans l'empereur François une disposition plus favorable qu'on n'aurait pu le supposer; car précédemment, et dès 1807, il s'était familiarisé avec quelque chose d'analogue. Le fait est assez extraordinaire pour être consigné ici; il m'a été raconté par le fils même de la personne avec laquelle l'Empereur s'était expliqué.
Lors de la dernière maladie de l'impératrice Marie-Thérèse, que l'empereur François aimait très-tendrement, causant intimement avec le comte Tdouel, ministre des finances, dans lequel il avait une grande confiance, il lui dit ces paroles les larmes aux yeux: «Et si j'ai le malheur de la perdre, je devrai me remarier très-promptement, car, sans cela, ils me forceront à prendre une Française.» On comprend alors que l'envoi de sa fille en France, après les nouveaux malheurs de 1809, ne fut pour lui l'objet d'aucune difficulté.
L'opinion publique, au surplus, ratifia en Autriche cette résolution, qui ne fut blâmée que par un très-petit nombre de personnes étrangères aux affaires et de peu de poids comme jugement. En général, on espérait beaucoup de l'avenir qui se présentait. On avait raison sans doute, mais on n'avait pas deviné de quelle manière l'avenir se développerait. On ne prévoyait pas dans quels écarts insensés la confiance et l'orgueil de Napoléon devaient le précipiter.
Le mariage de l'archiduchesse Marie-Louise avec Napoléon amena le prince de Metternich à Paris. Il y résida assez longtemps. Il étudia la nouvelle cour et chercha à reconnaître quel effet avait produit sur l'esprit de l'Empereur son admission dans la famille des souverains de l'Europe. Entré dans son intimité, il conquit ses bonnes grâces et son affection. Il supposait que peut-être Napoléon, uni à une fille des Césars et ayant ainsi donné une nouvelle base à son trône, ne s'occuperait plus que de le consolider; mais bientôt il fut détrompé. Il reconnut que le caractère de Napoléon n'avait été modifié d'aucune manière; que l'avenir était gros de tempêtes, dont la violence et la force croîtraient avec la masse des éléments qui devaient les former, et il en sentit d'autant plus vivement la nécessité de tout faire pour se mettre à couvert contre leur action. Aussi toute sa politique consista à éviter que, sous aucun prétexte, la bonne intelligence entre l'Autriche et la France ne fût troublée. Sa complaisance s'étendit à tout. Une guerre avec la Russie étant projetée, Napoléon exigea de l'Autriche un traité d'alliance qui lui assurât le concours d'un corps auxiliaire mis à ses ordres; mais Metternich eut l'habileté d'en réduire beaucoup l'effectif, de manière à laisser intactes presque toutes les forces de son pays. Le choix du prince de Schwarzenberg pour commander le corps auxiliaire fut fait par Napoléon. Sur sa demande, il fut nommé feld-maréchal. Ces circonstances le portèrent, plus tard, à occuper le poste de généralissime de la croisade qui fut faite contre lui: singulière destinée de Napoléon, de créer lui-même les instruments qui devaient lui être les plus funestes!
Dans son séjour à Dresde, en 1812, Napoléon parut atteindre à une hauteur de position inconnue depuis l'antiquité. Là, véritable roi des rois, tous les souverains du continent, excepté celui qu'il allait combattre, vinrent lui rendre hommage, et l'empereur d'Autriche, comme les autres, se plaça modestement parmi les courtisans. Mais l'éclat de ce diadème si brillant allait se ternir et bientôt s'éteindre; bientôt aussi devaient finir la soumission et l'obéissance.
On connaît les résultats de la campagne de Russie. Une armée aussi nombreuse que celles de Darius et de Xerxès, pourvue de moyens immenses et bien organisée, fut engloutie faute de la prévoyance la plus vulgaire. Le feu de l'ennemi ne fut que l'auxiliaire de la misère qui la détruisit et des besoins de toute espèce qu'elle éprouva. Le manque de vivres et les désordres qui s'ensuivirent causèrent sa ruine pendant son offensive. A Moscou, l'effectif de l'armée ne présentait pas le sixième de ce qu'elle était moins de deux mois auparavant, et le reste devait disparaître par un redoublement de privations, éprouvé sur la même route, au milieu de l'hiver. Des sept cent mille hommes entrés en Russie, il ne devait pas revenir en Allemagne plus de vingt mille hommes.
On conçoit que, dans cet état de choses, la politique de l'Autriche avait dû changer, la force et la crainte l'avaient rendue esclave; la faiblesse l'affranchissait et lui rendait sa liberté. Plus le prince de Metternich s'était soumis, plus il devait être impatient de rendre l'indépendance à son pays et à son gouvernement. Il ne mit cependant aucune précipitation dans ses démarches, et il se posa, non pas comme ennemi, mais comme conciliateur et pacificateur.
Les succès de Lutzen et de Bautzen vinrent rendre aux armées françaises quelque chose de leur premier éclat. La France se montra de nouveau redoutable. Aussi l'Autriche accepta-t-elle franchement le rôle dont le but était de faciliter les arrangements équitables d'une paix durable; mais, le mauvais vouloir de Napoléon pour amener ce résultat une fois démontré d'une manière évidente, elle dut se joindre aux ennemis de Napoléon. C'était la seule politique raisonnable à suivre. Metternich l'adopta. Ceux qui lui en font un reproche parlent sans justice et sans raison. L'empereur d'Autriche était-il donc le vassal, l'homme lige de Napoléon? Les intérêts de sa conservation l'avaient rendu, malgré lui, son allié. Maintenant les intérêts de son affranchissement devaient le rendre son ennemi, puisque le rôle de conciliateur et de pacificateur lui avait été refusé. Metternich donna à sa politique la seule direction qu'en bon serviteur de l'Autriche il pouvait lui faire prendre.
La guerre éclata donc en 1813 avec l'Autriche. Maintenant les questions se décideront par les armes. De nouveaux revers nous accablent. Une armée de cinq cent mille hommes et de soixante-dix mille chevaux, créée comme pur enchantement, est encore détruite en peu de mois. L'Allemagne est évacuée, et à peine arrive-t-il sur nos frontières du Rhin quarante mille hommes en état de combattre échappés à ces désastres. Cependant une offre de paix à signer immédiatement, à des conditions honorables et encore avantageuses, est faite, et les propositions qu'elle renferme sont encore refusées par des réponses évasives. Enfin le Rhin est passé, la France est envahie, et, malgré d'héroïques efforts, Paris est pris; l'Empire croule aux applaudissements frénétiques des Parisiens et des habitants du midi de la France.
Le prince de Metternich, que les hasards de la guerre avaient éloigné, ainsi que l'empereur François, du théâtre des grands événements, ne put pas exercer une action directe sur la question de changement de dynastie et du retour de la maison de Bourbon; mais il s'associa sans hésiter aux résolutions prises en son absence. Depuis il m'a assuré qu'il aurait adopté les mêmes principes s'il se fût trouvé à Paris le 31 mars; car il ne voyait aucun élément de vie et de durée à la dynastie impériale après la chute de Napoléon.
Maintenant vient la troisième période de la carrière du prince de Metternich.
De très-grandes fautes ont été faites au début de la Restauration. Des principes opposés et contradictoires, mis en présence et réunis dans la même oeuvre (l'esprit d'émigration et les idées libérales), devaient se combattre et détruire l'ouvrage qu'on élevait. Un esprit élevé comme celui du prince de Metternich devait pressentir les conséquences d'un pareil système. S'il est équitable de ne pas le lui attribuer, il est juste de lui reprocher de ne pas s'y être opposé. Les directions principales, du reste, étaient déjà prises avant son arrivée, et ceux qui doivent porter la responsabilité de ce qui a été fait devant la postérité sont l'empereur de Russie et le prince de Talleyrand. Ce dernier, plus que tout autre, en reprenant l'esprit courtisan de Versailles et en forçant la nation et l'armée à renier l'esprit de la Révolution, a frappé de mort son ouvrage. Mais laissons de côté les affaires de la France, sur lesquelles le prince de Metternich ne pouvait avoir qu'une action plus ou moins indirecte. C'est au congrès de Vienne qu'il faut arriver pour examiner la conduite qu'il a tenue.
Il y a des principes immuables de justice qui doivent toujours servir de règle, et des voeux légitimes des peuples qu'il faut respecter. Au lieu de prendre pour base de telles maximes, on a compté les peuples pour rien et les princes pour tout. L'empire français parut une curée, dont chacun voulut avoir un morceau. L'empire français avait eu une extension insensée, et il devait rentrer dans des limites raisonnables; mais, à force de le craindre, on finit par s'acharner à l'amoindrir et au delà des limites que ses droits comparatifs l'autorisaient à prétendre. Lorsque tous les souverains de l'Europe accroissaient leurs États, les rendaient plus compactes et par conséquent plus forts, il était injuste de réduire la France à son ancien territoire. Il était imprévoyant et impolitique de diminuer ainsi un contre-poids que l'avenir rendra un jour si nécessaire. On voulut alors non-seulement réduire la France, mois encore l'humilier, et on a ainsi blessé les sentiments d'un peuple généreux. Avec une conduite différente, on prévenait les révolutions.
Dans le but de satisfaire l'avidité des princes, on tenta des réunions impossibles, et dont le temps a fait justice. Ainsi, pour plaire à la maison de Nassau, on a uni la Belgique, pays riche par son agriculture, aristocratique et catholique exalté, à la Hollande, pays d'égalité, important par sa navigation et sa marine, d'esprit mercantile, et professant la religion réformée. Les actes du congrès de Vienne sont pleins de pareilles anomalies. L'injustice et le malheur pour l'Europe de la destruction du royaume de Pologne sont reconnus par le monde entier, et avoués même par ceux qui s'en sont partagé le territoire. Quelle belle occasion se présentait pour le rétablir au moment où les principes de justice, la réparation des torts, étaient proclamés! Quelle habile politique eut suivi l'Autriche en cette circonstance si elle eût élevé cette barrière contre la puissance immense que l'avenir promet à la Russie! Quel mérite pour elle auprès de ce peuple généreux, si cruellement et si constamment joué par Napoléon! Au lieu de cela, une politique vulgaire, mesquine, qui n'osa jamais s'élever à cette hauteur. La Pologne continua à offrir le spectacle d'un peuple inconsolable d'avoir perdu sa nationalité, qui, quelque chose que l'on fasse, ne cessera jamais d'être un sujet d'inquiétude pour ses moitiés. Et non-seulement on n'a pas opéré le rétablissement du royaume de Pologne, si nécessaire un jour à l'indépendance de l'Europe, maison a livré ce pays à la Russie, en la laissant s'établir d'une manière solide sur la Vistule. Dès ce moment, placée aux portes de l'Allemagne, avec des moyens puissants, une base d'opération inexpugnable, on lui a accordé une action prépondérante sur toutes les affaires de l'Europe.
Ce n'est pas tout encore. Le prince de Metternich, pour éviter des embarras, a fermé constamment les yeux sur les empiétements continuels de la Russie. Il n'a pas osé essayer de rivaliser d'influence dans les provinces des bouches du Danube. Il en a été de même de la Servie, qui semble si naturellement placée dans la sphère d'action de l'Autriche. La Moldavie, la Valachie et la Servie sont devenues russes, comme si elles appartenaient nominalement à cet empire. Cependant elles enveloppent la Hongrie et la Transylvanie, et garantissent à la Russie la possession absolue, incontestable, quand elle le voudra, de l'empire ottoman. La mansuétude qui a laissé s'établir un semblable état de choses sera l'objet d'une sérieuse et juste critique et d'un blâme mérité de la part de la postérité envers le prince de Metternich.
Ces simples aperçus suffisent pour montrer l'imprévoyance qui a régné dans les délibérations du congrès de Vienne. Le prince de Metternich et le prince de Talleyrand, qui y jouèrent le premier rôle, doivent porter la responsabilité des fautes qui furent commises. Cependant l'esprit de justice dont je fais profession me force à remarquer que le retour de Napoléon, en 1815, apporta des complications funestes, et réveilla des passions dont le but ne devait plus être Napoléon seulement, mais aussi la France elle même.
Les Bourbons, rétablis sur leur trône, se livrèrent à de petites passions contre l'Autriche, et la réaction en fut fâcheuse. Jamais ils ne purent lui pardonner le mariage de Marie-Louise avec Napoléon. Le prince de Metternich, auteur de cet acte politique, dont l'habileté ne saurait être trop admirée en cette circonstance par les hommes impartiaux, fut constamment l'objet de leur défiance. Ils reprirent les vieilles idées de la rivalité des maisons de Bourbon et d'Autriche, qui n'avaient plus d'application ni de fondement. Le mauvais vouloir que rencontra souvent le prince de Metternich dans ses relations diplomatiques lui inspira plus d'une fois des sentiments malveillants pour la France. Ces sentiments ont fini même par prendre une grande place dans son esprit. Ainsi il est indubitable que, lors des événements d'Espagne, en 1823, il chercha à accroître les embarras du gouvernement français.
Aux yeux de tout homme qui a étudié le caractère du peuple espagnol, c'était une chose grave que de venir se mêler de ses affaires. Opérer la dispersion de ses forces était chose facile; mais rétablir l'ordre et gouverner jusqu'au moment où Ferdinand, mis en liberté, serait remonté sur son trône, était rempli d'obstacles. Le moyen le plus simple d'y parvenir était de placer tous les pouvoirs dans la même main, et de confier la régence à M. le duc d'Angoulême, qui, déjà, avait le commandement de l'armée. Rien de plus naturel sans doute; et cependant le prince de Metternich remua ciel et terre pour faire donner cette régence accidentelle et temporaire au roi de Naples, qui ne pouvait ni ne voulait l'exercer en personne, et qui l'aurait confiée à l'ambassadeur de Naples à Paris, vieil intrigant, d'un esprit brouillon et confus, auquel toutes les mauvaises passions du pays se seraient rattachées. On prit un terme moyen. On forma la régence d'un conseil composé d'Espagnols, mais les choix ne furent pas heureux. Au reste, il était difficile qu'il fût à la hauteur des circonstances; car comment trouver en Espagne des gens tout à la fois d'un esprit éclairé et d'un caractère sage et modéré? On confia donc le pouvoir à des gens orgueilleux, de peu de portée d'intelligence, enivrés d'une position que le hasard leur avait donnée, et qui, sans avoir rien fait pour la mériter, ne mettaient aucunes limites à leurs prétentions. Aussi ces gens qui n'avaient retrouvé leur liberté qu'à l'arrivée de l'armée française se hâtèrent de se déclarer hostiles envers elle et de lutter ouvertement contre son chef. Le duc d'Angoulême, après avoir longtemps souffert des embarras qu'ils lui suggéraient, fut réduit, pour ne pas laisser flétrir son caractère et sa position, à prendre des mesures de rigueur envers eux, en se plaçant au-dessus de leurs actes impolitiques, injustes et insensés, qui établissaient partout l'anarchie.
Je rappelle ici la célèbre ordonnance d'Andujar, qui fut l'objet des plus vifs débats entre les cabinets. Elle était sage, nécessaire, indispensable, et ceux qui voulaient perpétuer le désordre en Espagne pouvaient seuls la blâmer. Le prince de Metternich l'attaqua avec la plus grande ardeur. Une guerre civile ne se termine que par des transactions et des amnisties. Ballesteros, qui commandait l'armée principale, avait mis bas les armes à des conditions déterminées, et les différente chefs avaient suivi son exemple. Une amnistie avait suivi la soumission, et tout était rentré dans l'ordre. Tout à coup la régence, méconnaissant les traités conclus par le duc d'Angoulême, ordonne l'arrestation des personnes que les traités protégent. Il en est souvent ainsi: ceux qui n'ont pas su combattre sont impitoyables après la victoire, que d'autres ont obtenue pour eux. Des listes de proscription sont dressées, les arrestations se multiplient, le repos public est menacé, l'autorité française est insultée. Non-seulement un grand scandale était offert au monde, mais les motifs secrets étaient placés dans une basse cupidité des agents; car avec de l'argent chaque prisonnier pouvait faire ouvrir sa prison. Le duc d'Angoulême, instruit de ces événements, ordonna aux commandants des villes et des postes militaires de faire mettre immédiatement en liberté tout homme couvert par les traités, et qui n'était l'objet d'aucune accusation pour des faits postérieurs. Le duc d'Angoulême, en cette circonstance, suivit non-seulement une bonne politique, mais il fit un acte d'honnête homme et défendit, comme il en avait le devoir, l'honneur du nom français qu'une faiblesse de sa part aurait flétri.
Le blâme connu du prince de Metternich en cette circonstance autorisa à l'accuser de sentiments hostiles envers nous.
Je viens d'indiquer les traits caractéristiques de la conduite du prince de Metternich envers la France, pendant la Restauration. J'aborderai avec une égale franchise celle qu'il a tenue avec l'Allemagne.
D'abord de justes louanges lui sont dues. Il s'est occupé avec succès de maintenir l'union en Allemagne, et de la préserver de l'esprit révolutionnaire, qui, soufflé par la France, était prêt à l'envahir. De bonne heure il jugea les effets infaillibles de la liberté de la presse, et s'occupa de se mettre à l'abri de son action. Dès 1819, il concerta avec tous les cabinets de cette vaste contrée l'emploi des moyens légaux pour y parvenir. Le bon sens des Allemands leur fit comprendre ce que ces mesures avaient de sage. Il trouva constamment dans une diète, qu'il avait organisée sur la base de l'égalité entre puissances des divers ordres, le concours désirable. Il obtint par le fait, mais sous l'apparence d'une simple influence, un pouvoir qui presque jamais n'éprouva de contradiction; système d'autant plus louable, qu'il exige, pour réussir, de la part de celui qui l'emploie, un grand respect pour la justice, pour la raison, et l'habitude d'une grande modération.
La prévoyance du prince de Metternich a donc contribué puissamment à conserver en Allemagne le bon ordre, la paix et l'union; et cela, malgré les germes de trouble qu'avait semés l'empereur Alexandre par le seul besoin d'obtenir une popularité dangereuse et passagère. Mais, au milieu de ces préoccupations, le prince de Metternich ne s'est pas aperçu que la Prusse voulait enlever à l'Autriche une partie de son influence en Allemagne. De très-bonne heure la Prusse a compris qu'avec une population faible, des revenus peu considérables, elle n'aurait jamais le moyen de jouer un rôle important si par sa politique elle ne devenait pas le point de réunion d'intérêts spéciaux. Elle a pensé avec raison qu'en se faisant le centre d'un faisceau, autour duquel des puissances d'un ordre inférieur viendraient se réunir, elle réglerait l'emploi de leurs forces et pourrait contre-balancer la puissance de l'Autriche, si supérieure à la sienne. Pendant les derniers siècles, la religion a servi à créer un lien moral dont elle a tiré un grand parti, et cela au profit de la liberté publique et du libre exercice de la religion réformée. La position de la Prusse en a été agrandie; son pouvoir s'en est accru. Elle a joué un rôle supérieur à ses ressources naturelles, et l'habitude a consacré cet ordre de choses jusqu'à ce qu'un grand homme soit venu ajouter à sa considération, lui donner un nouveau relief et un nouvel éclat, et augmenter son territoire. Mais cette ligue des intérêts religieux a perdu aujourd'hui presque toute sa force. Des intérêts d'une autre nature absorbent aujourd'hui toutes les pensées. Le siècle est devenu positif. On s'occupe de produire; on veut créer des richesses, développer l'industrie, étendre le commerce.
La Prusse, placée au milieu de petits États qui ne peuvent s'isoler, a pensé que ces pays, ayant un besoin urgent de protection commerciale, devaient la trouver dans une association qui les affranchirait de la dépendance des grandes puissances, qui favoriserait leur industrie et en outre accroîtrait leurs revenus par des impôts faciles à percevoir puisqu'ils seraient volontaires. La Prusse, en se mettant à la tête de cette réunion d'intérêts, a eu moins en vue d'augmenter ses revenus que de favoriser ses manufactures et son commerce maritime, en leur assurant des consommateurs nombreux; mais elle a eu en outre pour but d'organiser à son profit une influence puissante et durable, fondée sur les intérêts matériels, influence qui équivaudra bientôt à un pouvoir réel; car, dans une association du fort et du puissant avec les faibles, le fort devient bientôt le maître. Ce système était donc favorable à tout le monde, et dès lors il devait réussir. Le prince de Metternich ne l'a ni pensé ni compris. Il en est résulté nécessairement de graves inconvénients pour la prospérité de l'empire d'Autriche, qui est devenu un centre très-actif de fabrication. Cette idée, appliquée à l'Autriche avec les modifications nécessaires, lui eût assuré de grands avantages, et aurait accru son influence de toute celle dont la Prusse s'est emparée. Enfin, si seulement elle l'eût partagée, elle y eût suffisamment gagné. Elle peut encore intervenir aujourd'hui, mais autre chose est d'entrer dans un système établi, ou de l'avoir créé et d'en être le fondateur.
Reste à examiner l'époque qui a suivi la Révolution de 1830. Deux opinions existent en Autriche sur la conduite que le prince de Metternich devait tenir. Les uns approuvent celle qu'il a suivie; les autres prétendent qu'il devait déclarer la guerre d'une manière immédiate, en haine de la Révolution et des dangers dont elle menaçait l'Europe. Se résoudre à la guerre était un grand parti. Peut-être aurait-il été choisi si l'esprit des gouvernements de l'Europe eût été plus homogène et leurs moyens militaires plus complets. Mais les années de la Restauration avaient apporté un changement aux relations des puissances, et cette union, qui avait fait leur force quinze ans auparavant, n'existait plus. Un danger immédiat, des passions de vengeance contre Napoléon, avaient seuls pu opérer ce prestige et créer cette intensité d'énergie qui amena le triomphe en 1814. En 1830, le danger de la Révolution, tel qu'il pouvait encore se présenter à l'horizon, était éloigné et hypothétique. L'esprit de propagande avait perdu son prestige aux yeux des Allemands et des Italiens, instruits, à leurs dépens, du peu de réalité des biens qu'il promet.
Un grand refroidissement entre l'Autriche et la Russie avait commencé à la guerre de Turquie et durait encore.
L'Angleterre, toute guerrière autrefois, l'Angleterre, le point d'appui de l'Europe et le noeud des intérêts opposés à la France, était devenue calme et pacifique, et l'opinion publique avait accordé dans le pays une sorte de bienveillance et de faveur à la Révolution.
Le roi de Prusse, devenu vieux, pacifique de sa nature, froissé par le souvenir des malheurs qui avaient accablé sa jeunesse, n'était pas disposé à compromettre les avantages que la fortune lui avait accordés plus tard.
La Russie aurait été plus disposée à intervenir, par suite, non de l'opinion publique, mais en raison des sentiments personnels de l'Empereur. Mais deux cent mille hommes perdus dans la guerre de Turquie, qui n'avaient pas été remplacés par mesure d'économie, lui rendaient bien difficile de mettre en campagne une grande armée, et bientôt la révolution de la Pologne, en lui enlevant toute l'armée polonaise et en la tournant contre lui, absorba tous ses moyens.
Enfin l'insurrection de la Belgique vint encore compliquer la question et accroître les embarras.
L'union des puissances eût-elle été complète, les moyens disponibles et la guerre prochaine, il y avait de l'habileté à laisser à la Révolution l'odieux de la déclaration de guerre et des premières hostilités. La France, divisée, le deviendrait encore davantage si on n'entrait en France qu'à la suite de succès qui auraient suivi une légitime défense de l'Europe; tandis qu'en attaquant la France pacifique on risquait de trouver tous les Français réunis contre les étrangers intervenant dans nos affaires sans provocation. La religion politique consacrée aujourd'hui les exclut de toute intervention, et ceux qui seraient les plus disposés à les appeler sont obligés de professer publiquement une doctrine contraire.
On était donc beaucoup plus fort pour le cas de guerre en attendant l'agression de la part de la France. L'Autriche avait le temps de se préparer à entrer en campagne. La politique expectative du prince de Metternich en cette circonstance fut donc sage, habile et la seule à suivre. Il se borna à s'appuyer sur des armements considérables qui mettaient l'Autriche en sûreté et à même de prendre le parti que les circonstances pourraient rendre utile.
Je passe maintenant à la politique de l'Autriche à l'égard de l'Espagne, divisée par suite du testament de Ferdinand, qui changeait l'ordre de succession au trône, et je cherche à reconnaître si elle a été exercée dans ses véritables intérêts.
Toutes les familles souveraines de l'Europe sont plus ou moins ambitieuses, et la maison d'Autriche a montré plus qu'une autre qu'elle a toujours été fort préoccupée des intérêts de l'avenir dans ses alliances. A ce système constamment suivi, elle a dû les héritages qui l'ont amenée au point de grandeur où elle est aujourd'hui. Elle devait donc être opposée à la loi salique, qui régnait en Espagne. Or cette loi se trouvait renversée par le testament de Ferdinand VII, et l'Autriche, en la soutenant, renonçait pour l'avenir à la chance de voir un archiduc d'Autriche remonter sur le trône de ce pays.
Le prince de Metternich prétexta, pour motif de sa politique, le respect pour les droits; mais les droits de don Carlos, fort contestables, peuvent être certainement l'objet d'une discussion interminable. Si l'Autriche n'eût pas donné un appui moral constant et des secours d'argent à don Carlos, nul doute qu'aucune lutte sérieuse n'eût pu exister en Espagne entre Isabelle et lui. L'absence de résistance eût empêché le développement de l'esprit révolutionnaire, et la malheureuse Espagne n'eût pas été livrée aux dévastations et aux malheurs qui, pendant quinze ans, ont pesé sur elle.
Quand, plus tard, après d'immenses efforts, la lutte semblait indécise, il eût été habile de fonder les calculs de la politique sur le mariage du prince des Asturies avec Isabelle. D'abord le prince de Metternich en a rejeté la proposition avec indignation, tandis que, plus tard, il l'a fait revivre avec ardeur, mais sans succès.
La politique du prince de Metternich a donc été funeste à l'Espagne et contraire aux intérêts de ce pays. Si elle eût réussi, elle eût été favorable aux seuls intérêts de la France. Et, fait remarquable, fait dont ce temps de passion, où tout est confusion dans les esprits, a donné plus d'un exemple, la France a soutenu également un système opposé à celui qu'elle devait suivre. Elle a combattu celui de l'Autriche, qui lui était favorable, et servi celui de l'Angleterre, qui lui était contraire. L'Angleterre seule a été d'accord avec ses propres intérêts de tous les temps. Elle a affaibli l'Espagne en donnant des forces à Isabelle pour résister à don Carlos. Elle a préparé aussi le passage de la couronne d'Espagne dans une autre maison que celle des Bourbons, qui la possède depuis cent cinquante ans.
Je terminerai l'examen qui nous occupe en traitant des événements de 1840, dont le retentissement a été si grand et les conséquences auraient pu être si funestes.
Ici, tout est à blâmer, et on ne reconnaît en aucune façon la prudence du prince de Metternich, sa modération et la constance habituelle de ses projets.
D'abord il conçoit, dans l'intérêt du repos de l'Europe, qu'il est important de fixer le sort de l'Orient et d'empêcher de nouvelles collisions d'avoir lieu. Il sait, à n'en pas douter, que tous les projets guerriers viennent du Grand Seigneur; que le corps diplomatique, à Constantinople, est sans cesse occupé à l'empêcher d'entreprendre une campagne qui lui serait funeste. Il reconnaît en même temps que les prétentions de Méhémet-Ali de transmettre à ses enfants la position éclatante qu'il s'est créée, sont justes; que l'ordre qu'il a établi dans ses États est un moyen de civilisation pour tout l'Orient, et il regarde comme un devoir des puissances d'intervenir pour fonder quelque chose de permanent sous leur garantie, et qui sera placé dans le droit public de l'Europe. Le prince de Metternich est si convaincu de la marche à suivre, qu'il s'occupe de l'exécution. Il fait à l'Angleterre, à la France et à la Russie la proposition d'établir un concert dans ce but.
Sur ces entrefaites, les Turcs entrent en campagne contre Ibrahim-Pacha, et la bataille de Nézib est gagnée par les Égyptiens. Ibrahim renonce à tirer parti de sa victoire. Comme son père n'a d'autres prétentions que de conserver ce qu'il possède, comme il n'a aucun projet sur l'Asie Mineure, ne convoite rien, ne forme de désir que pour la paix, il reste en place, convaincu que la politique de l'Europe, qui est favorable aux intérêts de l'Égypte, trouvera de nouveaux arguments dans sa victoire. Il se conforme à tout ce qui lui est prescrit au nom de l'Europe, et montre par le fait la sincérité de sa modération.
En même temps, Méhémet-Ali négocie avec la Porte. Celle-ci, accablée par ses revers, par le mécontentement universel, qui a amené la défection de la flotte et fait considérer par les musulmans Méhémet-Ali comme le défenseur de l'islamisme, se décide à se soumettre à ses exigences. En cette circonstance, tout pouvait s'arranger en un moment. La Porte était résolue aux concessions et allait signer quand le ministre d'Autriche à Constantinople reçoit l'ordre d'intervenir et de promettre, au nom de l'Europe, au Grand Seigneur des conditions beaucoup plus favorables.
Cependant l'Europe, au nom de laquelle on avait parlé, n'était pas d'accord. Ce fut par un subterfuge que le ministre de Russie à Constantinople fut amené à se réunir à ses collègues en cette occasion; car, au moment même où M. de Boutenief, au nom de l'empereur de Russie, accordait son concours, le cabinet de Saint-Pétersbourg refusait d'entrer dans les combinaisons qui lui étaient proposées par l'Autriche. L'ambassadeur de France, qui, on ne sait pourquoi, avait déclaré une guerre ouverte à Méhémet-Ali, savait bien que la modération était du côté de celui-ci, puisqu'il n'avait cesse de blâmer la conduite, les actes et les illusions du Grand Seigneur. Il n'avait non plus aucun ordre de son gouvernement de signer cet acte d'intervention, qui devint funeste et jeta le trouble et le désordre, quand, au contraire, il eût fallu terminer tout en un moment en garantissant, pour l'avenir, l'exécution du traité conclu entre Méhémet-Ali et le Grand Seigneur. Dès cet instant, le sort de l'Orient était fixé. Mais ce n'était pas le compte de l'Angleterre, qui était jalouse de la suprématie de la France en Égypte et voulait à tout prix amener la confusion, dans l'espérance d'en tirer parti. D'un autre côté, l'empereur de Russie, dont la conduite avait été bien calculée et pleine de sagesse dans les intérêts généraux de la paix, entrevit un germe de discorde entre la France et l'Angleterre dans l'opposition de leurs intérêts et de leurs vues, et il s'occupa à le développer. A cet effet, il se rapprocha de l'Angleterre: il flatta ses passions, et atteignit enfin le but le plus cher à sa politique, en brisant l'alliance de la France et de l'Angleterre, qui lui était odieuse.
Cependant on avait établi une conférence à Londres, qui ne résolvait rien, et le temps s'écoulait sans aucune solution. La Turquie était impatiente de voir son sort réglé. Elle était réduite aux abois. Le prince de Metternich, sans être aussi favorable à Méhémet-Ali qu'avant la bataille de Nézib, et tout en se refusant à ses demandes, voulait cependant qu'il fût bien traité. En même temps, il voulait régler, d'une manière rassurante pour l'avenir, le mode de concours de protection pour l'empire ottoman, et ne pas en laisser le droit et le devoir uniquement à la Russie, intéressée un jour à sa destruction. Il proposa donc que, si de nouveaux dangers menaçaient Constantinople, en même temps qu'une escadre russe viendrait dans le Bosphore, une escadre combinée de vaisseaux français et anglais passerait les Dardanelles et croiserait à l'entrée de la mer de Marmara. Il ignorait sans doute que les Dardanelles sont, pour les Russes, l'arche sainte; qu'ils les regardent comme leur frontière militaire que personne ne doit franchir sans leur permission; et qu'ils préféreraient, avec raison, accepter les conséquences d'une guerre de dix ans plutôt que de consentir à les voir en possession d'une puissance qui ne leur serait pas subordonnée. Le prince de Metternich fit donc faire cette proposition à l'empereur de Russie. Nicolas la reçut avec un emportement qui alla jusqu'à la menace de déclarer la guerre à l'Autriche traitant la conduite du prince envers lui de perfidie et de trahison.
Le prince de Metternich, en apprenant la manière dont ses propositions avaient été accueillies, tomba malade subitement et fut pour plusieurs jours en danger de mort. Remis de cette crise, les négociations continuèrent; mais le prince de Metternich, mal avec l'empereur de Russie, peu confiant dans l'état de la France et l'appui qu'il pouvait en tirer, livra sa politique à la direction de lord Palmerston, homme passionné et nullement pourvu des qualités nécessaires aux fonctions qu'il remplissait. Il se mit à sa remorque. C'était se résoudre à être hostile à la France.
Après le départ du prince pour les bords du Rhin, il arriva à Vienne une proposition du cabinet de Paris, qui, trouvée sage et convenable, fut acceptée sans observation par celui qui le remplaçait (le comte de Fiquelmont), et acheminée à la conférence de Londres avec approbation. Mais, soumise au prince de Metternich en route, il en suspendit l'envoi, et, de cette manière, il resserra chaque jour davantage les liens qui l'unissaient à la politique de lord Palmerston. Alors les exigences de celui-ci ne cessèrent d'augmenter contre Méhémet-Ali, et le prince de Metternich n'y cédait qu'à regret.
Il eût été sage au gouvernement français de profiter de l'espèce d'appui que lui offrait l'Autriche, et d'accepter les conditions consenties en faveur de Méhémet-Ali; mais une infatuation sans excuse des agents de ce gouvernement les égara. Ils ne voulurent jamais croire à un traité qui isolerait la France, et, le 13 juillet, le traité fut signé, et la France isolée.
Dans cette circonstance, le ministre d'Autriche à Londres ne remplit pas ses devoirs. Il devait, huit jours avant la signature du traité, faire part confidentiellement, mais d'une manière positive et sans équivoque, à l'ambassadeur de France, des projets arrêtés. Nul doute que le gouvernement français n'eut réfléchi, et Méhémet-Ali était forcé alors d'accepter les propositions qui lui étaient faites.
Par la conduite qu'il a tenue, le ministre d'Autriche à Londres, M. le baron de Neuman, a plutôt servi les passions de lord Palmerston que les véritables intérêts de l'Autriche; car, dans la politique du prince de Metternich, quel était le but à atteindre? se conserver l'amitié de l'Angleterre, et établir la paix en Orient. Or, en faisant un mystère profond à la France de ce qui allait se conclure, on l'encourageait indirectement à ne rien céder, et on faisait naître des chances de guerre. Cette guerre, dont personne ne voulait, pouvait amener les plus grandes catastrophes, ou au moins de grandes humiliations pour l'alliance.
Si la politique de la France eut été à la fois énergique et sage, après avoir fait la faute de se laisser écarter de l'alliance, le gouvernement français aurait armé d'une manière formidable, mais en donnant toutes les assurances et tous les gages possibles de sécurité à l'Allemagne. Il eut dû envoyer une escadre à Alexandrie avec un renfort de matelots destiné à monter les vaisseaux turcs amenés par le capitan-pacha, faire transporter trois mille hommes d'infanterie française à Saint-Jean-d'Acre pour maintenir le Liban dans l'ordre et l'obéissance, et empêcher la révolte des Druzes et des Maronites, seuls dangers véritables pour les Égyptiens. Si, en outre, il avait rassemblé une armée pour entrer en Italie au moment où la guerre éclaterait en Orient, et fait la déclaration formelle qu'il ne demandait, pour désarmer, que de voir l'Europe d'accord pour conserver à Méhémet-Ali et assurer à ses enfants les domaines qu'il possédait, le gouvernement français eut alors dominé les événements; car, je le répète, personne ne voulait la guerre, et personne, excepté la France, n'était préparé à la soutenir. Une transaction eût été faite en un moment, et la France sortait glorieuse et puissante sans avoir tiré un coup de canon! Ce résultat brillant était la conséquence immédiate de la complaisance du prince de Metternich pour l'Angleterre qui l'avait entraîné.
Si la guerre eut éclaté, il est impossible de déterminer les conséquences qui en auraient résulté pour l'Autriche. L'armée était sur le pied de paix, le trésor vide et sans crédit, les membres du gouvernement divisés, l'opinion publique révoltée d'avoir une guerre qu'aucun intérêt autrichien ne réclamait, et cela sans l'avoir prévue et s'être disposé à la soutenir. De tout cela, il serait résulté nécessairement un bouleversement intérieur et des désastres probables pour la monarchie autrichienne. Or, quand une politique peut amener de semblables résultats sans promettre dans le succès d'immenses avantages, elle ne saurait être que l'objet de la plus vive critique.
Je dois ajouter cependant ici que jamais le prince de Metternich ne s'est glorifié du succès obtenu dans cette circonstance. Je l'ai entendu même s'en étonner et dire qu'il était loin de s'y attendre. Alors pourquoi entrer dans une politique et pourquoi concourir à des opérations qui doivent amener des humiliations? Or ni les gouvernements ni les hommes d'État ne doivent être indifférents à Faction qu'exerce le succès sur les esprits et sur l'opinion des peuples, source de toute-puissance dans le monde.
En résultat, le prince de Metternich a eu pour motif réel de plaire au gouvernement de l'Angleterre. Il a fallu qu'il y attachât une bien grande valeur pour l'acheter au prix de semblables dangers. Il a eu pour motif apparent de sauver le Grand Seigneur d'un péril qui était imaginaire, et de rétablir l'empire ottoman sur d'autres bases. Il a échoué complètement à cet égard, car cet empire est aujourd'hui beaucoup plus faible qu'il n'était alors, attendu qu'à l'ordre qui régnait en Syrie a été substitué le désordre, et que le désordre, source de faiblesse, qui ne cessera de s'accroître, amènera la destruction de ce vieil empire, qu'il mine depuis si longtemps.
Du reste, le prince de Metternich avait d'avance déterminé la limite qu'il ne voulait pas dépasser dans sa politique. Quand les affaires de Syrie furent terminées selon les désirs de l'alliance et que l'armée égyptienne eut évacué le pays, lord Palmerston, ivre de ce succès, voulait bouleverser l'Égypte et chasser Méhémet-Ali, afin de mettre un pied dans ce pays pour pouvoir s'en emparer plus tard. Le prince de Metternich, qu'il avait cru pouvoir entraîner, résista aux instances de l'Angleterre. Il s'unit alors loyalement et énergiquement à la France pour conserver intacte la base de l'édifice que Méhémet-Ali avait élevé, et contribua puissamment à assurer le repos de son avenir.