Mémoires du maréchal Marmont, duc de Raguse (9/9)
Pour l'authenticité de la signature là-dessus.
Le secrétaire général au ministère de la guerre,
(L. S.)
Munich, le 15 novembre 1836.
Signé: Glockner.
Le soussigné, secrétaire intime au ministère des affaires étrangères de Bavière, certifie l'authenticité de la signature ci-contre du secrétaire général au ministère de la guerre.
Munich, le 15 novembre 1836.
(L. S.)
Par autorisation du ministre.
Signé: Gessels.
Pour copie conforme,
Munich, le 15 novembre 1836.
Gessels.
Secrétaire intime.
Sceau des
affaires étrangères
de Bavière
Nº V.--LETTRE DU PRINCE EUGÈNE À LA PRINCESSE AUGUSTE.
Vérone, le 23 novembre 1813.
Je t'envoie, ma bonne Auguste, une lettre que j'ai reçue du roi par un officier parlementaire. Cet officier n'était autre que le prince Taxis. J'ai causé plus d'une heure avec lui, et je t'assure que je n'ai dit que ce que je devais. En deux mots, il m'a apporté la proposition de la part de tous les alliés, pour me faite quitter la cause de l'Empereur, de me reconnaître comme roi d'Italie.
J'ai répondu tout ce que toi-même, tu aurais répondu, et il est parti ému et admirateur de ma manière de penser; comme il a vu que je ne voulais entendre à rien qu'à un armistice, il m'a assuré que le roi l'obtiendrait d'autant plus, «que les alliés admiraient mon caractère et ma conduite.»
C'est déjà une bien belle récompense que de commander ainsi l'estime à ses ennemis.
Déchire le billet du roi, ne parle de rien de tout cela.
Dans l'armée on ne sait qu'il est venu un parlementaire que comme officier autrichien.
Adieu, etc., etc.
Nº VI.--L'EMPEREUR AU PRINCE EUGÈNE.
Saint-Cloud, le 17 novembre 1813.
Mon fils, le général Danthouard arrive. Vous avez encore une belle
armée, et, si vous avez avec cela cent pièces de canon, l'ennemi est
incapable de vous forcer, il ne s'agit que de gagner du temps. J'ai ici
six cent mille hommes en mouvement; j'en réunirai cent mille en Italie.
Je vais prendre des mesures pour porter tous vos cadres au grand complet
de neuf cents hommes par bataillon. Faites-moi connaître si tous les
régiments de l'armée d'Italie d'ancienne formation auraient de l'étoffe
pour établir les sixièmes bataillons.
Votre affectionné père,
Napoléon.
P. S. Vous trouverez ci-joint la note du départ des colonnes italiennes.
N° VII.--L'EMPEREUR AU PRINCE EUGÈNE.
Saint-Cloud, le 18 novembre 1813.
Mon fils,
J'ai reçu votre lettre sur la situation des esprits en Italie. J'envoie
à Gênes le prince d'Essling avec trois mille hommes tirés de Toulon. Je
vous ai envoyé aujourd'hui un ordre pour la formation de plusieurs
sixièmes bataillons. Vous y aurez vu que vous pouvez compter sur un
renfort de quinze à seize mille hommes, et qu'en outre quarante mille
hommes seront réunis avant le 1er janvier à Turin et à Alexandrie. On
fera encore de plus grands efforts. Dans ce moment, tout est ici en
mouvement. Ne vous laissez point abattre par le mauvais esprit des
Italiens. Il ne faut pas compter sur la reconnaissance des peuples. Le
sort de l'Italie ne dépend pas des Italiens. J'ai déjà six cent mille
hommes en mouvement. Je puis employer là-dessus cent mille hommes pour
l'Italie. De votre côté, remuez-vous aussi. Écrivez au prince Borghèse.
Il me semble que la grande-duchesse et le général Miollis pourraient
envoyer des colonnes dans le Rubicon. J'ai envoyé le duc d'Otrante à
Naples pour éclairer le roi et l'engager à se porter sur le Pô. Si ce
prince ne trahit pas ce qu'il doit à la France et à moi, sa marche
pourra être d'un grand effet.
Votre affectionné père,
Napoléon.
N° VIII.--L'EMPEREUR AU PRINCE EUGÈNE.
Saint-Cloud, le 20 novembre 1813.
Mon fils,
Je viens de dicter au général Danthouard ce qu'il doit faire à Turin, Alexandrie, Plaisance et Mantoue: il vous fera connaître mes intentions.
Il ne faut point quitter l'Adige sans livrer une grande bataille; les grandes batailles se gagnent avec de l'artillerie: ayez beaucoup de pièces de 12. Étant à portée des places fortes, vous pourrez en avoir autant que vous voudrez. Vous n'avez plus rien à craindre d'une diversion sur les derrières, puisque l'artillerie ne passe nulle part. Mettez deux cents hommes et six pièces de canons à Brescia, à la citadelle. Ayez des barques armées, qui vous rendent absolument maître du lac de Peschiera, du lac de Lugano, du lac Majeur et du lac de Côme. Faites construire de bonnes redoutes fraisées et palissadées sur le plateau de Rivoli et qu'elles battent le chemin de Vérone, sur la rive gauche de l'Adige. Faites construire des ouvrages du côté de Montebello (ce dernier mot est effacé et remplacé de la main de l'Empereur par la Couronne).
Si vous êtes à temps, occupez les hauteurs de Caldiero et faites-y faire
des redoutes; coupez les digues de l'Alpon et inondez le bas Adige.
Enfin, la grande manoeuvre serait d'attaquer l'ennemi en concertant les
moyens de passer rapidement, et sans qu'il le sût, par Mestre. Cette
manoeuvre concertée en secret, et avec les grands moyens que vous avez,
pourrait vous donner des avantages considérables.
Votre affectionné père,
Napoléon.
N° IX.--LETTRE DU GÉNÉRAL DANTHOUARD AU PRINCE EUGÈNE.
Sans date.
Monseigneur,
J'ai l'honneur d'adresser à Votre Altesse Impériale une copie des instructions que l'Empereur m'a dictées et que j'ai écrites à la volée. Je pense que Votre Altesse est déjà au courant de tout cela, mais il y a des articles intéressants. J'ai écrit comme l'Empereur parlait. Il y a eu ensuite une conversation d'une heure. Il est déjà passé cinq mille conscrits pour Alexandrie, et il y en a sept mille passés de Piémont en France.
Je n'ose m'exprimer sur ce que je pense des travaux militaires du Mont-Cenis; il faudra une division pour les garder si on les achève; mais je parie qu'il en sera pour ce point comme pour Peschiera.
Votre Altesse Impériale verra que je sais encore loin d'elle pour plusieurs jours. Je ne sais comment le prince Borghèse prendra ma mission; mais, s'il la prend bien, je la ferai bien; s'il la prend mal, je ne pourrai la remplir en entier. L'Empereur m'a dit de lui rendre compte directement et en même temps m'a ajouté:
«Tout ce que vous allez faire étant pour le vice-roi, vous le préviendrez de tout ce qui sera nécessaire.» Je prie Votre Altesse Impériale de m'adresser ses ordres à Turin pour ces premiers jours; il est probable que je n'irai à Plaisance qu'après Casal, et passant par Milan.
J'ai l'honneur d'être avec un profond respect, Monseigneur,
De Votre Altesse, le très-humble et dévoué,
Comte Danthouard.
N° X.--ORDRES ET INSTRUCTIONS DICTÉS PAR L'EMPEREUR,
LE 20 NOVEMBRE
1813, À ONZE HEURES DU MATIN.
Danthouard m'écrira du Mont-Cenis où en est la forteresse, si on peut l'armer, si elle est à l'abri d'un coup de main, etc.
Il verra le prince Borghèse qui doit avoir reçu la copie de l'ordre que j'ai signé hier, ayant deux buts, ou qui la lui fera voir.
Premier but.--1° L'envoi de dix-huit mille hommes de renforts à l'armée d'Italie sur la conscription des cent vingt mille hommes. Ces dix-huit mille hommes sont fournis aux six corps qui forment l'armée d'Italie, à raison de sept cents hommes; total, quatre mille deux cents hommes. Plus, huit cents hommes à prendre au dépôt du 156e pour le 92e; en tout, cinq mille hommes, et en sept mille hommes qui font partie des régiments qui sont à l'armée d'Italie et dépôts au delà des Alpes. Enfin, en six cents hommes du dépôt du 156e régiment pour le 36e léger, six cents hommes pour le 133e, six cents hommes pour le 132e, etc.; total, seize mille hommes.
Au reste, le prince Borghèse lui remettra le décret qui est très-détaillé, afin qu'il en ait pleine connaissance pour l'exécution de ses ordres.
Il reconnaîtra: 1° si les conscrits sont beaux hommes et forts, s'assurera de la quantité, si la désertion a occasionné des pertes et combien, etc.
2° Il s'informera du directeur de l'artillerie s'il a les armes pour ces seize mille hommes.
3° Il s'assurera si l'habillement, grand et petit équipement, sont prêts, ou quand ils le seront, etc.
4° Cet seize mille hommes sont destinés aux premier et deuxième bataillons de l'armée d'Italie; mais j'ai en outre une armée de réserve de trente mille hommes par décret d'hier (19 novembre), et à prendre sur la levée des trois cent mille hommes. Ces trente mille hommes se lèveront en Provence, en Dauphiné, Lyonnais, et seront réunis à Alexandrie à la fin de décembre.
Il faut voir si les armes sont prêtes ainsi que l'habillement, ou bien si les mesures sont prises pour cela, pour ces trente mille hommes. Ces trente mille hommes, formant trois divisions, seront incorporés, pour la première division, dans les quatrième et sixième bataillons de l'armée d'Italie, le quatrième bataillon existant à Alexandrie. Le vice-roi fera former les cadres des sixièmes bataillons et les enverra de suite à Alexandrie.
2° La deuxième division sera formée des bataillons qui ont leur dépôt en Piémont. Plusieurs retournent à la grande armée, en sorte qu'il ne faut compter que sur la moitié; il faut donc former des cadres en remplacement et les diriger sur ces dépôts.
3° La troisième division sera formée de onze à douze cinquièmes bataillons, dans les vingt-septième et vingt-huitième divisions militaires.
La première division recevra 9,000
La deuxième division recevra 7,500
La troisième division recevra 5,500
22,000 hommes.
Indépendamment de ces trois divisions, je forme une réserve en Toscane des troisième, quatrième, cinquième bataillons du 112e régiment, des quatrième, cinquième bataillons du 33e léger, qui reçoivent deux mille cinq cents hommes sur la levée des trois cent mille hommes.
Plus, je forme une réserve à Rome des troisième, quatrième, bataillons du 22e léger, des quatrième, cinquième bataillons du 4e léger, des quatrième, cinquième bataillons du 6e de ligne, qui recevront trois mille hommes sur les trois cent mille hommes, non compris ce qu'ils reçoivent des cent vingt mille hommes; total, vingt-huit mille hommes.
Il reste deux mille hommes pour l'artillerie d'Alexandrie, Turin, pour les sapeurs, les équipages... Je veux une artillerie pour l'armée de réserve.
J'ai envoyé le prince d'Essling à Gênes avec trois mille hommes de gardes nationales, levées depuis un an à Toulon. Il est possible que je lui confie le commandement de l'armée de réserve; mais, s'il est totalement hors d'état de le remplir à cause de sa poitrine, j'y enverrai probablement le général Caffarelli.
Ainsi donc, avant le 1er janvier, le vice-roi recevra seize mille hommes des cent vingt mille hommes pour recruter les trois premiers bataillons des régiments, tout cela de l'ancienne France; il n'y aura ni Piémontais, ni Italiens, ni Belges; plus trente mille hommes de l'armée de réserve; total, quarante-six mille hommes réunis d'ici au mois de février, tous vieux Français et âgés de vingt-trois, vingt quatre, vingt-cinq, vingt-six, vingt-sept, vingt-huit, vingt-neuf, trente, trente et un, trente-deux ans.
Le principal soin doit être de former les sixièmes bataillons et de tirer des corps pour former les cadres dont nous manquons et qu'on ne peut créer.
Le roi de Naples m'a écrit qu'il marche avec trente mille hommes. S'il exécute le mouvement, l'Italie est sauvée; car les troupes autrichiennes ne valent pas les Napolitains.
Le roi est un homme très-brave, il mérite de la considération, il ne peut diriger des opérations, mais il est brave, il anime, il enlève et mérite des égards. Il ne peut donner de l'ombrage au vice-roi; son rôle est à Naples, il n'en peut sortir.
Danthouard me rendra compte de l'état dans lequel se trouve la citadelle de Turin, son armement, ses magasins de guerre et de bouche, son commandant, les officiers du génie, de l'état-major, etc., etc.
Il me rendra le même compte sur Alexandrie, en joignant le calque des ouvrages; il me fera rapport sur les officiers, l'état-major, etc., etc.
Même rapport sur la citadelle de Plaisance. On me parle de la citadelle de Casal; il s'y rendra, et me rendra compte si cela vaut la peine d'être armé et approvisionné. Si le vice-roi avait enfermé dans les places les fonds de dépôts comme quartiers-maîtres, ouvriers, etc., il faut les retirer, il faut même évacuer tout ce qui, dans ce genre, se trouve à Mantoue; on y a même enfermé le cinquième bataillon en dépôt du 3e léger; j'ai donné des ordres pour que ce dépôt reçoive six cents conscrits à Alexandrie; Danthouard se fera rendre compte où cela en est, et que cela soit dirigé d'Alexandrie; ensuite que le dépôt major, ouvriers, soient à Plaisance pour recevoir ce qui revient de la grande armée et organiser un bataillon. Danthouard trouvera à Alexandrin sept cents hommes pour le 13e de ligne. Le vice-roi a enfermé le dépôt à Palma-Nova; ces sept cents hommes vont se trouver seuls. J'ai ordonné d'en former le sixième bataillon. Il faut que le vice-roi fournisse quelques officiers, et le prince Borghèse formera le cadre. J'ai ordonné qu'un demi-cadre du 13e soit envoyé de Mayence; mais, jusqu'à l'arrivée, il faut pourvoir à la réception, organisation, instruction, et mettre ce bataillon à la citadelle d'Alexandrie. Danthouard trouvera à Plaisance le dépôt du neuvième bataillon des équipages militaires. Il faut diriger tout l'atelier, le matériel, les magasins sur Alexandrie, qui est une place sûre.
Si les approvisionnements des citadelles de Turin et d'Alexandrie n'étaient pas complets, il faudrait en rendre compte au prince Borghèse, pour qu'il y pourvoie de suite.
Danthouard donnera des ordres en forme d'avis pour tout ce qu'il croira nécessaire d'après mes intentions et me rendra compte des ordres qu'il aura donnés.
Il faut que les fortifications soient en état, fermer les gorges en palissades, voir ce qui est nécessaire pour les parapets et banquettes à rétablir, etc., etc. Porter une grande attention sur les inondations. Compte-t-on dans le pays sur l'inondation du Tanaro et la résistance du pont éclusé?
Un régiment croate de treize cents hommes et six cents chevaux est à Lyon. Je donne ordre à Corbineau de faire mettre pied à terre et d'envoyer cette canaille sur la Loire, et de donner trois cents chevaux à chacun des deux régiments, 1er hussards et 31e de chasseurs.
Je vais m'occuper de la cavalerie pour l'armée d'Italie: 1° J'envoie à Milan tout ce qui appartient au 1er de hussards et 31e de chasseurs; 2° je vais y envoyer deux bons régiments de dragons d'Espagne de douze cents chevaux chacun.
J'ai ordonné que toutes les troupes italiennes de la grande armée se rendent à Milan, il y a quatre mille hommes. Même ordre pour les mêmes qui sont en Aragon et en Espagne; il y a six mille hommes, tout cela est en marche. J'ai ordonné à Grouchy de se rendre à l'armée d'Italie. Il est un peu susceptible, mais le vice-roi fera pour le mieux. Le vice-roi peut avoir grande confiance en Zucchi; j'en ai été très-content.
Il ne faut pas donner du crédit à Pino, il faut élever en crédit Palombini et Zucchi et soutenir Fontanelli. L'expérience m'a prouvé que l'ennemi s'occupe particulièrement de gagner les généraux étrangers que nous portons en avant et leur accordent crédit et confiance. Ainsi de Wrede, pour qui j'ai tout fait, a été tourné contre moi, mais il est mort. Les trois généraux que j'indique peuvent être mis en avant en ce moment et annuler Pino.
Il faut que les approvisionnements des places soient pour six mois. Je désire que Danthouard examine Saint-Georges et me dise sur quoi je puis compter.
OPÉRATIONS.
Le vice-roi ne doit pas quitter l'Adige sans une bataille. Il doit avoir de la confiance; il a quarante mille hommes, il peut avoir cent vingt pièces de canon, il est sûr du succès. Quitter l'Adige sans se battre est un déshonneur. Il vaut mieux être battu.
Il faut qu'il y ait beaucoup d'artillerie, il ne doit pas en manquer à Mantoue et Pavie. Il n'y a que les attelages qui pourraient manquer; mais les dépôts sont trop voisins pour que l'on ait besoin de traîner beaucoup de caissons. Ce n'est pas comme l'armée attaquante qui est obligée à avoir avec soi ses deux approvisionnements. Il faut une réserve de dix-huit pièces de douze pour un moment décisif. L'attelage bien nécessaire est celui de la pièce et d'un caisson et demi, il n'est pas nécessaire d'attelages réguliers pour les affûts, les forges, les rechanges, etc., lorsque l'on est aussi prêt de ses places et dépôts.
Lorsqu'il verra venir la bataille, il doit avoir cent cinquante à deux cents pièces. Je n'attache pas d'importance à la perte des canons, si les chances de prises peuvent être compensées par les chances de succès.
Je suppose que la demi-lune de la porte de Vérone à Caldiero est établie et armée; en cas contraire, il faut l'établir sur-le-champ et l'armer avec du huit et du douze en fer on mauvais aloi à tirer des places, puisque l'on n'a pas occupé Caldiero, qui était la véritable position. J'avais dans le temps fait établir cette demi-lune.
L'occupation des hauteurs de Caldiero, couverte d'ouvrages de campagne, ne peut être forcée, l'Alpon en avant. On doit y être sans inquiétude, la Rocca-d'Anfo barre le seul chemin par où l'on puisse venir avec de l'artillerie. Il y faut deux chaloupes armées pour le lac; il faut deux ou trois barques années pour le lac de Come. Il faut tirer des marins de la côte pour ce service, et, s'il n'y en a pas en demander au prince Borghèse, de Gênes, où il se trouve des marins de l'ancienne France. Il faut trois à quatre cents hommes dans la citadelle de Bergame et de Brescia. Quelques poignées d'hommes de gardes nationales pour l'intérieur de la ville et deux mauvaises pièces à la citadelle.
Il faut des bateaux armés pour les lacs de Mantoue, et qu'il y ait un lieutenant de vaisseau de la vieille France pour chef; il faut rester maître de tous les points des lacs.
Il faut se maintenir en communication avec Brondolo par la rive droite de l'Adige. Il faut à Rivoli une bonne redoute palissadée, armée de canons, ce qui rend impraticable la grande route de Vérone.
Il faut occuper le Montebaldo, et un ouvrage à la Corona.
Il faut alors que l'ennemi passe l'Adige, et je ne vois pas de difficultés à couper les digues de l'Alpon et même les digues de l'Adige sous Legnago à Chiavari (en batardeau). Il faut des bateaux armés sur le lac Majeur et sur le lac de Lugano, sans violer les Suisses. Il y a un point au royaume d'Italie. Dans ces situations inforçables, il ne faut pas quitter sans une bataille; une manoeuvre que j'indique, que je ne conseille pas, que je ferais, serait de passer par Brondolo-sur-Mestre, et de forcer sur Trévise ou la Piave avec trente mille hommes; il ne manque pas de moyens de transports à Venise. Je la ferais, mais je ne conseille pas si on ne me comprend pas. On obtiendrait des résultats incalculables. L'ennemi opère par Conegliano et Trévise; on le coupe, on le disperse, on le détruit, et, s'il faut se retirer, on le fait sur Malghera et l'Adige. Mais je ne conseille pas cette manoeuvre hardie; c'est là ma manière, mais il faut comprendre et saisir tous les détails et moyens d'exécution, le but à remplir, les coups à porter, etc., etc....... L'armée serait....... (Sa Majesté en est restée là court).
Si le vice-roi perdait la bataille et abandonnait l'Adige, il a la ligne du Mincio qui n'est pas bonne, mais qu'il faut préparer d'avance pour s'en servir pour un premier moment de retraite et voir venir; ensuite l'Adda, le Tessin, etc., etc. Je pense que, forcé sur le Tessin, il doit se jeter sur Alexandrie et la Boquette. Il serait, à Alexandrie, renforcé par l'armée de réserve, sa ligne d'opération serait par Gênes.
Je préfère défendre Gênes au mont Cenis parce que d'Alexandrie et Gênes il protége davantage la Toscane. Au cas de retraite, il faudra prévenir les garnisons de Turin et du mont Cenis, et celle du Simplon, qui doit se retirer sur Genève que je fais mettre en défense.
Quand bien même le vice-roi quitterait le Mincio et l'Adda, la grande-duchesse doit rester à Florence; l'ennemi ne peut y envoyer un détachement de son armée. D'ailleurs, si la grande-duchesse était forcée, elle se replierait sur Rome; si elle y était encore forcée, elle se replierait sur Naples.
La présence du prince d'Essling avec trois mille hommes à Gênes, où les dépôts se forment, et les marins assurent la place. D'ailleurs les Génois ne sont pas Autrichiens.
Il n'y a rien à craindre des Suisses; s'ils étaient contre nous, ils seraient perdus. Ils sont bien loin de se déclarer aujourd'hui quoi qu'on dise. Enfin, passé février, je serai en mesure, et j'enverrai d'autres renforts. J'ai en ce moment huit cent mille hommes en mouvement, etc. L'argent ne me manque pas.
Si les autorités italiennes étaient obligées d'évacuer Milan, elles se retireraient à Gênes.
Dans tout ceci, j'ai fait abstraction du roi de Naples, car, s'il est fidèle à moi, à la France et à l'honneur, il doit être avec vingt-cinq mille hommes sur le Pô. Alors beaucoup de dispositions sont changées.
Je connais parfaitement les positions; je ne vois pas comment l'ennemi passerait l'Adige. Quand bien même l'ennemi se porterait d'Ala sur Montebaldo, il ne peut y conduire d'artillerie sur la Corona. Il y a de superbes positions où j'ai donné ma bataille de Rivoli.
L'infanterie autrichienne est méprisable; la seule qui vaille quelque chose est l'infanterie prussienne. À Leipsick, ils étaient cinq cent mille hommes, et je n'en avais que cent dix mille; je les ai battus deux jours de suite, etc., etc.
Il faut un pont sur le Pô au-dessous de Pavie vers Stradella. Il faut faire travailler à la citadelle de Plaisance.
Si j'avais su sur quoi compter pour l'artillerie, j'aurais vu si je devais aller en Italie; dans tous les cas, on peut laisser ébruiter que j'irai en Italie, etc., etc.
Nº XI.--L'EMPEREUR AU PRINCE EUGÈNE.
Paris, le 28 novembre 1813.
Mon fils, je reçois votre lettre du 22 novembre4. Je reconnais bien là la politique de l'Autriche; c'est ainsi qu'elle fait tant de traîtres.
Je ne vois pas de difficultés à ce que vous fassiez un armistice de deux
mois; mais le principal est de bien stipuler que les places seront
ravitaillées journellement, afin qu'au moment où l'armistice viendra à
se rompre elles soient aussi bien approvisionnées qu'avant. Je pense, au
reste, que cela se borne à Osoppo et Palma-Nuova, puisque vous conservez
vos communications avec Venise.
Votre affectionné père,
Napoléon.
Nº XII.--L'EMPEREUR AU PRINCE EUGÈNE.
Paris, le 3 décembre 1813.
Mon fils, j'ai accordé les décorations de la Légion d'honneur et de la Couronne de fer, que vous m'avez demandées pour l'armée dans votre lettre du 23 du mois dernier.
Le roi de Naples me mande qu'il sera bientôt à Bologne avec trente mille hommes. Cette nouvelle vous permettra de vous maintenir en communication avec Venise et vous donnera le temps d'attendre l'armée que je forme pour pouvoir reprendre le pays de Venise. Agissez avec le roi le mieux qu'il vous sera possible; envoyez-lui un commissaire italien pour assurer la nourriture de ses troupes; enfin faites-lui toutes les prévenances possibles pour en tirer le meilleur parti. C'est une grande consolation pour moi de n'avoir plus rien à craindre pour l'Italie.
Je vous ai mandé que toutes les troupes italiennes qui étaient en
Catalogne, en Aragon et à Bayonne sont actuellement en marche pour vous
rejoindre.
Votre affectionné père,
Napoléon.
Nº XIII.--LE PRINCE EUGÈNE À LA PRINCESSE AUGUSTE.
Vérone, le 17 janvier 1814.
Il paraît, ma chère Auguste, qu'il sera impossible de s'entendre avec l'ennemi pour une suspension d'armes. Oh! les vilaines gens! le croirais-tu? ils ne consentent à traiter que sur la même question que m'avait déjà faite le prince Taxis. Aussi a-t-on de suite rompu le discours. Dans quel temps vivons-nous! et comme on dégrade l'éclat du trône en exigeant, pour y monter, lâcheté, ingratitude et trahison! Va, je ne serai jamais roi!
Adieu, ma bonne Auguste, etc.
Eugène.
Nº XIV.--L'EMPEREUR AU PRINCE EUGÈNE.
(LETTRE EN CHIFFRES, L'EXPLICATION
SE TROUVE AVEC LA LETTRE)
Paris, le 17 janvier 1814.
Mon fils, vous aurez su, par les différentes pièces qui ont été publiées, tous les efforts que j'ai déjà faits pour avoir la paix. J'ai depuis envoyé mon ministre des relations extérieures à leurs avant-postes: ils ont différé à le recevoir, et cependant ils marchent toujours.
Le dur d'Otrante vous aura mandé que le roi de Naples se met avec nos
ennemis: aussitôt que vous en aurez la nouvelle officielle, il me
semble important que vous gagniez les Alpes avec toute votre armée. Le
cas échéant, vous laisserez des Italiens pour la garnison de Mantoue et
autres places, ayant soin d'amener l'argenterie et les effets précieux
de la maison et les caisses.
Votre affectionné père,
Napoléon.
Nº XV.--LE DUC D'OTRANTE AU PRINCE EUGÈNE.
Florence, le 21 janvier 1814.
Monseigneur, une lettre de M. Metternich a décidé la reine de Naples à entrer dans la coalition. Je ne connais pas le traité, mais je sais qu'il est conclu. Prévoyant le résultat prochain, j'ai eu l'honneur d'écrire, il y a quelques jours, à Votre Altesse de prendre ses mesures comme s'il était signé.
La lettre de M. Metternich est perfide; après avoir fait le tableau des forces de la coalition et des désastres de la France, elle ajoute que l'empereur Napoléon, dans des négociations avec les puissances coalisées, cède toute l'Italie et même Naples; toutefois qu'il a fait demander par le roi de Bavière le Milanais pour Votre Altesse.
Le projet de la coalition est simple: c'est de remettre les choses comme elles étaient avant 1789; le roi de Naples en sera convaincu trop tard.
Votre Altesse sait ce qui vient de se passer à Rome; nous allons être forcés d'évacuer la Toscane; la grande-duchesse fait rassembler tous les militaires qui ne sont pas nécessaires pour la garde des forts, et les enverra au quartier général de Votre Altesse; le prince Félix doit s'y rendre, et j'aurai l'honneur de l'y accompagner.
Je prie Votre Altesse de recevoir, etc.
Le duc d'Otrante.
Nº XVI.--LE PRINCE EUGÈNE À LA PRINCESSE AUGUSTE.
Vérone, le 25 janvier 1814.
Les moments deviennent bien pressants, ma bien-aimée Auguste, surtout à cause de ces maudits Napolitains. Peut-on voir plus de perfidie: ne pas se déclarer et continuer à s'avancer sur nos derrières! N'importe, j'en aurai un morceau, je t'en réponds. À tout événement, je fais partir demain5 Triaire pour Milan.
Nº XVII.--LE PRINCE EUGÈNE À LA PRINCESSE AUGUSTE.
Vérone, le 28 janvier 1814
Gifflinga est revenu aujourd'hui de Naples. Le roi est décidément contre nous, et il sera à Bologne d'ici à quelques jours; je vais donc me préparer à un mouvement sur le Mincio, pour être de là plus à portée de passer le Pô, et donner sur le nez des Napolitains, si l'occasion s'en présente.
Il faut penser sérieusement à ton voyage, quoique je sois certain de pouvoir toujours te prévenir. Rien ne peut t'empêcher de passer par Turin, le col de Tende et Nice pour aller à Marseille; la route de Gênes serait peut-être moins sûre, à cause des Anglais, qui sont toujours le long des côtes.
Tu feras bien de dire à Triaire de faire partir pour Aix ou pour Marseille mes caisses de livres et de cartes topographiques.
Adieu, ma bonne Auguste.
Eugène.
Nº XVIII.--LE PRINCE EUGÈNE À LA PRINCESSE AUGUSTE.
Goito, le 9 février 1814.
Encore une bataille de gagnée, ma bonne et chère Auguste! l'affaire a
été chaude et a duré jusqu'à huit heures du soir. En même temps que je
passais le Mincio pour attaquer l'ennemi, il passait lui-même sur un
autre point. Je l'ai pourtant battu et fait près de deux mille cinq
cents prisonniers. Nos troupes se sont bien conduites, surtout
l'infanterie. Ma santé est bonne; je suis seulement très-fatigué.
Eugène.
Nº XIX.--LE DUC DE FELTRE, MINISTRE DE LA GUERRE, AU PRINCE EUGÈNE.
Paris, le 9 février 1814.
Monseigneur,
L'Empereur me prescrit, par une lettre datée de Nogent-sur-Seine, le 8 de ce mois, de réitérer à Votre Altesse Impériale l'ordre que Sa Majesté lui a donné de se porter sur les Alpes, aussitôt que le roi de Naples aura déclaré la guerre à la France.
D'après les intentions de Sa Majesté Votre Altesse Impériale ne doit laisser aucune garnison dans les places de l'Italie, si ce n'est des troupes d'Italie, et elle doit de sa personne venir avec tout ce qui est Français sur Turin et Lyon, soit par Fenestrelle, soit par le mont Cenis. L'Empereur me charge de mander à Votre Altesse Impériale qu'aussitôt qu'elle sera en Savoie elle sera rejointe par tout ce que nous avons à Lyon.
J'ai l'honneur, etc.
Le ministre de la guerre,
Duc de FELTRE.
Nº XX.--LE PRINCE EUGÈNE À LA PRINCESSE AUGUSTE.
Goito, le 11 février 1814.
Je t'annonce que le roi de Naples, aussitôt qu'il a su que j'avais gagné
la bataille du Mincio, m'a envoyé un officier pour me faire quelques
ouvertures. J'y envoie de suite Bataille pour l'entendre; ce serait un
beau résultat pour moi si je pouvais obtenir qu'il se déclarât en notre
faveur.
Eugène.
Nº XXI.--LETTRE DU PRINCE EUGÈNE À L'EMPEREUR.
Volta, le 18 février 1814.
Sire,
Une lettre que je reçois de l'impératrice Joséphine m'apprend que Votre Majesté me reproche de n'avoir pas mis assez d'empressement à exécuter l'ordre qu'elle m'a donné par sa lettre en chiffres, et qu'elle m'a fait réitérer le 9 de ce mois par le duc de Feltre.
Votre Majesté a semblé croire aussi que j'ai besoin d'être excité à me rapprocher de la France, dans les circonstances actuelles, par d'autres motifs que mon dévouement pour sa personne, et mon amour pour ma patrie.
Que Votre majesté me le pardonne, mais je dois lui dire que je n'ai mérité ni ses reproches ni le peu de confiance qu'elle montre dans des sentiments qui seront toujours les plus puissants mobiles de toutes mes actions.
L'ordre de Votre Majesté portait expressément que, dans le cas où le roi de Naples déclarerait la guerre à la France, je devais me retirer sur les Alpes. Cet ordre n'était que conditionnel: j'aurais été coupable si je l'eusse exécuté avant que la condition qui devait en motiver l'exécution eût été remplie. Mais cependant je me suis mis aussitôt, par mon mouvement rétrograde sur le Mincio, et en m'échelonnant sur Plaisance, en mesure d'exécuter la retraite que Votre Majesté me prescrivait, aussitôt que le roi de Naples, sortant de son indécision, se serait enfin formellement déclaré contre nous. Jusqu'à présent ses troupes n'ont commis aucune hostilité contre celles de Votre Majesté; le roi s'est toujours refusé à coopérer activement au mouvement des Autrichiens, et, il y a deux jours encore, il m'a fait dire que son intention n'était point d'agir contre Votre Majesté, et il m'a donné en même temps à entendre qu'il ne faudrait qu'une circonstance heureuse pour qu'il se déclarât en faveur des drapeaux sous lesquels il a toujours combattu. Votre Majesté voit donc clairement qu'il ne m'a point été permis de croire que le moment d'exécuter son ordre conditionnel fût arrivé.
Mais, si Votre Majesté veut supposer un instant que j'eusse interprété ses ordres de manière à me retirer aussitôt que je les aurais reçus, qu'en serait-il résulté?
J'ai une armée de trente-six mille hommes, dont vingt-quatre mille Français et douze mille Italiens. Mais, de ces vingt-quatre mille Français, plus de la moitié sont nés dans les États de Rome et de Gênes, en Toscane et dans le Piémont, et aucun d'eux assurément n'aurait repassé les Alpes. Les hommes qui appartiennent aux départements du Léman et du Mont-Blanc, qui commencent déjà à déserter, auraient bientôt suivi cet exemple des Italiens, et je me serais trouvé dans les défilés du mont Cenis ou de Fenestrelle, comme je m'y trouverai aussitôt que Votre Majesté m'en aura donné l'ordre positif, avec dix mille hommes à peine, et attirant à ma suite sur la France soixante-dix mille Autrichiens, et l'armée napolitaine qui alors, privée de la présence de l'armée française qui lui sert encore plus d'appui que de frein, eût été forcée aussitôt d'agir offensivement contre nous. Il est d'ailleurs impossible de douter que l'évacuation entière de l'Italie aurait jeté dans les rangs des ennemis de Votre Majesté un grand nombre de soldats qui sont aujourd'hui ses sujets.
Je suis donc convaincu que le mouvement de retraite prescrit par Votre Majesté aurait été très-funeste à ses armes, et qu'il est fort heureux que, jusqu'à présent, je n'aie pas dû l'opérer. Mais, si l'intention de Votre Majesté était que je dusse le plus promptement possible rentrer en France avec ce que j'aurais pu conserver de son armée, que n'a-t-elle daigné me l'ordonner? Elle doit en être bien persuadée, ses moindres désirs seront toujours des lois suprêmes pour moi; mais Votre Majesté m'a appris que dans le métier des armes il n'est pas permis de deviner les intentions, et qu'on doit se borner à exécuter les ordres.
Quoiqu'il en soit, il est impossible que de pareils doutes soient nés dans le coeur de Votre Majesté. Un dévouement aussi parfait que le mien doit avoir excité la jalousie; puisse-t-elle ne point parvenir à altérer les bontés de Votre Majesté pour moi! elles seront toujours ma plus chère récompense. Le but de toute ma vie sera de les justifier, et je ne cesserai jamais de mettre mon bonheur à vous prouver mon attachement et ma gloire à vous servir.
Je suis, Sire, etc.
Signé: Eugène Napoléon.
Nº XXII.--L'EMPEREUR AU PRINCE EUGÈNE.
Nangis, le 18 février 1814.
Mon fils,
J'ai reçu votre lettre du 9 février, j'ai vu avec plaisir les avantages que vous avez obtenus; s'ils avaient été un peu plus décisifs et que l'ennemi se fût plus compromit, nous aurions pu garder l'Italie. Tascher vous fera connaître l'état des choses ici; j'ai détruit l'armée de Silésie, composée de Russes et de Prussiens; j'ai commencé hier à battre Schwarzenberg; j'ai, dans ces quatre jours, fait trente à quarante mille prisonniers, pris une vingtaine de généraux, cinq à six cents officiers, cent cinquante à deux cents pièces de canon et une immense quantité de bagages; je n'ai perdu presque personne; la cavalerie ennemie est à bas, leurs chevaux sont morts de fatigue; ils sont beaucoup diminués; d'ailleurs ils se sont trop étendus.
Il est donc possible, si la fortune continue à nous sourire, que
l'ennemi soit rejeté en grand désordre hors de nos frontières et que
nous puissions alors conserver l'Italie. Dans cette supposition, le roi
de Naples changerait probablement de parti.
Votre père affectionné,
Napoléon.
Nº XXIII.--L'EMPEREUR AU PRINCE EUGÈNE.
Au château de Surville, près Montereau,
le 19 février 1814.
Mon fils,
Il est nécessaire que la vice-reine se rende sans délai à Paris pour y
faire ses couches, mon intention étant que, dans aucun cas, elle ne
reste dans le pays occupé par l'ennemi. Faites-la donc partir
sur-le-champ. Je vous ai expédié Tascher; il vous fera connaître les
événements qui ont eu lieu avant son départ. Depuis j'ai battu
Wittgenstein au combat de Nangis, je lui ai fait quatre mille
prisonniers russes et pris des canons et des drapeaux, et surtout j'ai
enlevé à l'ennemi le pont de Montereau sans qu'il ait pu le brûler.
Votre affectionné père,
Napoléon.
Nº XXIV.--EXTRAIT D'UN RAPPORT DU COMTE TASCHER DE LA PAGERIE, ENVOYÉ AUPRÈS DE L'EMPEREUR APRÈS LA BATAILLE DU MINCIO, LE 9 FÉVRIER 1814, ET REPARTI DE PARIS LE 18 FÉVRIER.
Quartier général della Volta,
le 27 février.
................................ Le lendemain matin (18), Sa Majesté me fit appeler; je fus introduit dans son cabinet, et elle me dit: «Tascher, tu vas partir tout de suite pour retourner en Italie; tu ne t'arrêteras à Paris que pour voir ta femme, sans communiquer avec qui que ce soit; tu diras à Eugène que j'ai été vainqueur à Champaubert et à Montmirail des meilleures troupes de la coalition; que Schwarzenberg m'a fait demander cette nuit, par un de ses aides de camp, un armistice, mais que je n'en suis pas dupe, car c'est pour me leurrer et gagner du temps. Tu lui diras que, si les ordres qui ont été donnés hier au maréchal Victor avaient été ponctuellement exécutés, il en serait résulté la perte des corps bavarois et des Wurtembergeois, pris au dépourvu par ce mouvement, et qu'alors, n'ayant plus devant lui que des Autrichiens, qui sont de mauvais soldats et de la canaille, il les aurait menés à coups de fouet de poste; mais que, rien de ce qui avait été ordonné n'ayant été fait, il a fallu recourir à de nouvelles chances.» Sa Majesté ajouta: «Tu diras à Eugène que je lui donne ordre de garder l'Italie le plus longtemps possible; de s'y défendre; qu'il ne s'occupe pas de l'armée napolitaine, composée de mauvais soldats, et du roi de Naples qui est un fou, un ingrat; en cas qu'il soit obligé de céder du terrain, de ne laisser dans les places fortes qu'il sera obligé d'abandonner que juste le nombre de soldats italiens nécessaire pour en faire le service; de ne perdre du terrain que pied à pied en le défendant, et qu'enfin, s'il était serré de trop près, de réunir tous ses moyens, de se retirer sous les murs de Milan, d'y livrer bataille; que, s'il est vaincu, d'opérer sa retraite sur les Alpes comme il pourra; ne céder le terrain qu'à la dernière extrémité. Dis à Eugène que je suis content de lui; qu'il témoigne ma satisfaction à l'armée d'Italie, et que sur toute la ligne il fasse tirer une salve de cent coups de canon en réjouissance des victoires de Champaubert et de Montmirail. À Lyon, tu verras le préfet; tu diras au maréchal Augereau qui y commande qu'ayant pris douze mille hommes de vieux soldats, y compris le 13e de cuirassiers et le 11e de hussards, d'y réunir les nouvelles levées, les gardes nationales, la gendarmerie, de marcher sur-le-champ, tête baissée, sur Mâcon et Châlons, sans s'occuper des mouvements de l'ennemi sur sa droite; qu'il n'aura à combattre que le corps du prince de Hesse-Hombourg, composé des troupes de nouvelle levée des petits princes allemands, commandés par des officiers de la noblesse allemande sans aucune expérience de la guerre; qu'il doit les vaincre et ne pas s'effrayer du nombre. À Turin, tu diras au prince Borghèse de contremander l'évacuation de la Toscane s'il en est encore temps; mais, dans le cas contraire, d'arrêter les troupes dans leurs mouvements; de défendre les différentes positions en avant de la ville de Gênes, de mettre cette ville dans un état imposant de défense et donner connaissance de ces dispositions au vice-roi.»
De Votre Altesse Impériale, etc., etc.
L. Tascher de la Pagerie.
Nº XXV.--LE PRINCE EUGÈNE À L'EMPEREUR.
Volta, le 27 février 1814, au soir.
Sire,
J'ai reçu ce matin les ordres de Votre Majesté, en date du 19, concernant le départ de la vice-reine de Milan. J'ai été profondément affligé de voir, par la forme de cet ordre, que Sa Majesté s'était méprise sur mes véritables intentions, en pensant que j'eusse jamais eu celle de laisser la vice-reine dans des lieux qu'auraient occupés les ennemis de Votre Majesté, à moins d'un obstacle physique. Je croyais, par toute ma conduite, avoir mérité que Votre Majesté ne mît plus mes sentiments en doute.
La santé de ma femme a été très-mauvaise depuis trois mois; les derniers événements, en redoublant ses inquiétudes, avaient encore aggravé son mal. Je vais lui communiquer les intentions de Votre Majesté, et, dès que sa santé le lui permettra, elles seront remplies. Je le répète, Sire, elles ne pouvaient nous chagriner que par les motifs injustes qui vous les auraient suggérés, et qui sont étrangers, j'ose le dire, à votre coeur paternel.
Je suis avec respect, Sire, de Votre Majesté,
Le bien soumis et tendre fils et fidèle sujet.
Eugène Napoléon.
Nº XXVI.--LE MINISTRE DE LA GUERRE AU PRINCE EUGENE.
Paris, le 3 mars 1814.
J'ai reçu les lettres dont Votre Altesse Impériale m'a honoré sous les dates des 16, 18, 20 et 22 février, et j'ai eu soin d'en transmettre le contenu à l'Empereur. Sa Majesté y aura vu plusieurs choses satisfaisantes, mais elle n'a encore rien fait connaître à cet égard. Je dois croire que l'Empereur est disposé à laisser en ce moment l'armée d'Italie dans la position où elle se trouve; et que Sa Majesté se bornera à faire revenir les garnisons de la Toscane et des États romains, comme l'ordre en a été donné. Déjà la garnison de Livourne est repliée sur Gênes, d'après les dispositions arrêtées par madame la grande-duchesse, qui devait négocier aussi pour le retour des garnisons de Sienne, Montargentaro et des forts de Florence.
Quant à l'armée d'Italie, il paraît que les succès remportés par Votre Altesse Impériale, joints à ceux que l'Empereur a obtenus de son côté, lui procureront les moyens de se maintenir dans sa position et d'attendre les événements.
J'ai l'honneur,
Signé: Duc de Feltre.
Nº XXVII.--LE PRINCE EUGÈNE À LA PRINCESSE AUGUSTE.
Mantoue, le 9 mars 1814, au soir.
Ma bonne Auguste, le roi de Naples a enfin levé le masque. Il nous a attaqués hier matin à Reggio avec dix-huit à vingt mille hommes; je n'y avais pas trois mille hommes, et on a tenu toute la journée; le général Severoli y a eu la jambe emportée et nous y avons perdu deux cent cinquante à trois cents hommes. Nos troupes se sont repliées sur Parme et ont pris en arrière la position de Toro; cela me fera faire un second mouvement sur Plaisance, surtout si le roi de Naples continue à s'avancer. Le général ***, que j'ai laissé sur le Mincio, a une peur de tous les diables depuis que je n'y suis plus.
Je t'engage, ma bonne amie, à continuer tes préparatifs, et demain ou
après-demain je t'enverrai Triaire; tout cela dépendra, du reste, des
nouvelles et des événements!
Eugène.
Nº XXVIII.--L'EMPEREUR AU PRINCE EUGÈNE.
Soissons, le 12 mars 1814.
Mon fils, je reçois une lettre de vous, et une de la vice-reine, qui sont de l'extravagance; il faut que vous ayez perdu la tête: c'est par dignité et honneur que j'ai désiré que la vice-reine vînt faire ses couches à Paris, et je la connais trop susceptible pour penser qu'elle puisse se résoudre à se trouver dans cet état au milieu des Autrichiens. Sur la demande de la reine Hortense, j'aurais pu vous en écrire plus tôt; mais alors Paris était menacé. Du moment que cette ville ne l'est plus, il n'y aurait rien de plus simple aujourd'hui que de venir faire ses couches au milieu de sa famille, et dans le lieu où il y a le moindre sujet d'inquiétude. Il faut que vous soyez fou pour supposer que tout ceci se rapporte à de la politique. Je ne change jamais ni de style ni de ton, et je vous ai écrit comme je vous ai toujours écrit.
Il est fâcheux, pour le siècle où nous vivons, que votre réponse au roi de Bavière vous ait valu l'estime de toute l'Europe. Quant à moi, je ne vous en ai pas fait compliment, parce que vous n'avez fait que votre devoir, et que c'est une chose simple. Toutefois vous en avez déjà la récompense, même dans l'opinion de l'ennemi, de qui le mépris pour votre voisin est au dernier degré.
Je vous écris une lettre en chiffres pour vous faire connaître mes
intentions.
Votre affectionné père,
Napoléon
Nº XXIX.--copie de la lettre en chiffres.
Même date.
Mon fils, je vous envoie copie d'une lettre fort extraordinaire que je reçois du roi de Naples. Lorsqu'on m'assassine, moi et la France, de pareils sentiments sont vraiment une chose inconcevable.
Je reçois également la lettre que vous m'écrivez avec le projet de traité que le roi vous a envoyé. Vous sentez que cette idée est une folie. Cependant envoyez un agent auprès de ce traître extraordinaire, et faites un traité avec lui en mon nom. Ne touchez au Piémont ni à Gênes, et partagez le reste de l'Italie en deux royaumes. Que ce traité reste secret jusqu'à ce qu'on ait chassé les Autrichiens du pays, et que vingt-quatre heures après sa signature le roi se déclare et tombe sur les Autrichiens. Vous pouvez tout faire en ce sens; rien ne doit être épargné dans la situation actuelle pour ajouter à nos efforts les efforts des Napolitains. On fera ensuite ce qu'on voudra, car après une pareille ingratitude et dans de telles circonstances rien ne lie.
Voulant l'embarrasser, j'ai donné ordre que le pape fût envoyé par
Plaisance et Parme aux avant-postes. J'ai fait écrire au pape qu'ayant
demandé, comme évêque de Rome, à retourner dans son diocèse, je le lui
ai permis. Ayez donc soin de ne vous engager à rien relativement au
pape, soit à le reconnaître, comme à ne pas le reconnaître.
Votre affectionné père,
Napoléon.
Nº XXX.--LE PRINCE EUGÈNE À LA PRINCESSE AUGUSTE.
Mantoue, le 16 mars 1814, au soir.
Les dernières lettres de Paris nous donnent quelque espoir de paix, et on m'assure que tout devait être terminé le 18. Espérons qu'avant le 1er avril notre sort sera entièrement terminé; car tu ne pourrais pas attendre plus longtemps à te fixer un lieu définitif de tes couches, et, si alors tu peux réellement encore voyager, nous choisirons une petite ville du midi de la France. Mais tout cela dans le cas où rien ne finirait, et cela n'est pas possible.
Nº XXXI.--LE MÊME À LA MÊME.
Mantoue, le 19 mars 1814, au soir.
Ma bonne Auguste, je te renvoie la lettre de l'Empereur, et j'y joins celle qu'il m'a adressée sur le même sujet; elles prouvent bien qu'il se repent de ce qu'il nous avait écrit primitivement pour ton départ. L'Empereur m'envoie en chiffres l'autorisation de m'arranger avec le roi de Naples; cela est trop tard, je crois; il y a trois mois que je la demande; mais enfin j'essayerai. Ne parle de cela à personne, car le traité doit être secret.
Nº XXXII.--LE MÊME À LA MÊME.
Mantoue, le 23 mars 1814, au soir.
Je te répondrai demain sur tes idées de rester à Alexandrie ou à Mantoue pour tes couches. Cette dernière idée me sourit beaucoup au premier abord; il y aurait pourtant de terrible l'idée de te laisser sans aucune espèce de communication, si je me retirais. Ce matin je suis très-occupé car j'ai à rendre compte à l'Empereur des tentatives faites auprès du roi de Naples. Après avoir donné les plus grandes protestations d'amitié et d'attachement à l'Empereur, il prétend m'obliger à faire passer les Alpes à toutes les troupes françaises, et alors, dit-il, il s'entendra avec moi. Comme je connais l'homme, tu sens bien que je ne me mettrai jamais en position d'être à sa discrétion.
Quel épouvantable traître!
Voici la note de M. de Blacas fils:
«C'est une exagération de dire que M. le duc de Blacas n'avait pas servi. Capitaine de dragons dans le régiment du roi, en 1790, il fit toutes les campagnes de l'armée de Condé et ne vint se fixer momentanément à Florence qu'après le licenciement. Jamais M. de Blacas n'a reçu quoi que ce soit sur la ferme des jeux. Quant aux sept ou huit millions qui lui auraient été confiés au retour de Gand par le roi Louis XVIII, voici l'entière vérité:
«Une somme considérable fut en effet remise par le roi à M. de Blacas avec ordre de la placer sous son nom personnel en bons de l'Échiquier et autres valeurs anglaises. La négociation se fit par l'intermédiaire de banquiers de Londres, entre autres de MM. Contes et Drummont. Chaque année, M. de Blacas présentait un rapport au roi sur le revenu et sur l'emploi de ces fonds. Le lendemain de la mort de Louis XVIII, ce fut lui qui apprit au roi Charles X l'existence de ce dépôt, et il lui en remit tous les titres. À partir de ce moment, l'administration en fut confiée à M. de Belleville qui donna une décharge signée de lui et approuvée par le roi. Cette pièce, ainsi que les comptes rendus de 1815 à 1824, qui portent tous le vu et approuvé de la main du roi Louis XVIII, et toute la correspondance des banquiers, se trouvent dans les papiers que M. de Blacas a laissés à sa famille. Ce fut sous le nom de M. de Belleville que ces fonds figurèrent désormais chez les banquiers, et leur correspondance constate ce changement. Ces fonds ont été l'unique ressource du roi Charles X à son arrivée en Angleterre après la Révolution de 1830.»
fin du tome neuvième et dernier.
TABLE DES MATIÈRES
LIVRE VINGT-CINQUIÈME.--1835-1838.
Reprise de mes Mémoires.--Publication de mon voyage en Orient.--Instances du général de Witt pour que je prenne du service en Russie.--Le savant Fossombroni.
Couronnement de l'empereur et de l'impératrice d'Autriche en Bohême.--Voyage en Bohême.--Richesses de la Bohême.--Château de Rothenhof.--Château de Frauenberg.--Cristaux de Bohême.--Fabrique de Leonor-Hain.
Prague.--Palais des États.--Musée.--Bibliothèque.--Champ de bataille de Prague (1757).--Fabriques de Prague.--Château de Brandeis.--Fabrique Koeklin.--Château de Tetschen.
Toeplitz.--Voyage du roi de Prusse à Toeplitz.--Eaux de Lobkowitz.--Le maréchal Paskewitz.--Établissement métallurgique de Platz.--Carlsbad.--Elbogen.--Egra.--Franzensbad-Koenigswart.--Marienbad.--Riesenstein..
Champ de bataille de Znaïm.--Champ de bataille de Kollin.--Champ de bataille de Lowositz.
L'empereur Nicolas.--Entrevue mystérieuse.--Les contradictions de son caractère.--Pilnitz.
Trésor de Dresde.--Fabrique de porcelaine de Saxe.--Suisse saxonne.--Camp de Pirna.--Freiberg.--Colonie des Frères Moraves.--Friedland.--Koenigsgratz.--Josephstadt.--Forges de Brünn.--Le Spielberg.--Marcheck.--Famille de Lichtenstein.
Château de Malaczka, au prince Pallfy.--Hiver à Vienne.--M. le duc de Bordeaux.--Études sur les fours à puddler.
LIVRE VINGT-SIXIÈME.--1839-1841.
Affaires d'Orient de 1839 à 1841.--Mes rapports avec Méhémet-Ali. Confidences. 108
Lettres de Boghos-Bey.--Je deviens un intermédiaire utile.
Opinion du prince de Metternich.--Situation de Méhémet-Ali vis-à-vis de diverses puissances.--Intervention de la Russie.--Le prince de Metternich s'appuie sur l'Angleterre.
Mémoire sur la question d'Orient, intitulé: De la crise de l'Orient et de la politique qu'elle semble exiger.--Terreur inspirée à Vienne parle traité du 15 juillet.--Critique de la politique suivie par la France.--Raisons de la faiblesse de l'armée égyptienne en campagne.
Ibrahim-Pacha et Soliman-Pacha.--Saint-Jean-d'Acre.--Continuation de mes relations avec l'Égypte.--Appendice.
CORRESPONDANCE DU LIVRE VINGT-SIXIÈME
Correspondance entre le maréchal Marmont et Boghos-Joussouf.
Relation de la bataille de Nézib par Soliman-Pacha.
Observations du maréchal sur cette bataille.
LIVRE VINGT-SEPTIÈME.--1841.
Je reprends la plume pour consigner encore quelques souvenirs.--M. de Sainte-Aulaire quitte Vienne.--Appréciation de son caractère.--Sa famille.--Ses embarras.--Anecdotes.
Je me détermine à m'établir à Venise.--M. le duc de Bordeaux.
Venise.--Place Saint-Marc.--Considérations sur les différentes phases de la puissance de Venise.--Société de Venise.--Peintures.--Les Murazzy.
Chioggia.--L'Adige.--Digues.
Le Pô.
Bologne.--Peintures.
Florence.--Tableaux.
Gênes.
Le comte de Fiquelmont, ancien ministre d'Autriche, au maréchal duc de Raguse, sur le commerce de la Russie (Vienne, le 14 février 1831).
Promenades dans Rome.
Des révolutions et des circonstances qui les amènent.
Des vertus des peuples barbares.
Notes relatives à quelques passages des Mémoires du duc de Raguse concernant le prince Eugène et M. le duc de Blacas.
FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES DU TOME NEUVIÈME ET DERNIER.