← Retour

Mémoires pour servir à l'Histoire de mon temps (Tome 3)

16px
100%

Dès que le cabinet fut reconstitué, le débat recommença dans la Chambre des députés sur les causes de sa dissolution et de sa reconstitution: pendant deux jours, MM. Mauguin, Garnier-Pagès, Sauzet, Odilon Barrot, s'efforcèrent de démontrer à la Chambre qu'il n'aurait dû ni se dissoudre, ni se reformer comme il l'avait fait. Le déplaisir de l'opposition était extrême; elle avait espéré que ces fluctuations et ces crises du pouvoir, qui se succédaient depuis près d'un an, aboutiraient à un changement complet, non-seulement de personnes, mais de système, et que la politique de concession remplacerait enfin la politique de résistance. Il s'agissait en effet de savoir si les conspirations et les insurrections anarchiques d'avril 1834 seraient punies après avoir été réprimées, ou si le pouvoir, qui avait vaincu les insurgés dans les rues, se déclarerait impuissant à les faire juger selon les lois, et leur rouvrirait lui-même l'arène quand ils proclamaient de toutes parts leur ardeur à recommencer le combat. C'était là la question qui se débattait sous le nom de l'amnistie; l'opposition, dans ses diverses nuances, s'était crue sur le point de la résoudre elle-même; et elle voyait se reformer précisément le cabinet qui, depuis trois ans, avait soutenu la politique de résistance, et qui regardait comme sa mission patriotique d'assurer le triomphe de l'ordre en droit comme en fait, par les arrêts de la justice comme par les victoires de la force publique. En prenant pour la première fois la parole comme président du conseil, le duc de Broglie, avec un accent plein d'autorité et de franchise, établit nettement, d'une part, la politique dans laquelle le cabinet était bien résolu de persévérer, d'autre part, le caractère vraiment constitutionnel du cabinet lui-même et des principes d'après lesquels il s'était réorganisé. Son langage plut à la majorité comme le grand jour plaît à ceux qui cherchent leur route; toute indécision cessa dans les Chambres comme dans le gouvernement; et le cabinet se mit à l'oeuvre, confiant dans sa situation parlementaire et dans ses éléments intérieurs.

Ses premiers travaux répondirent à ses espérances et à l'attente publique. La plupart des grandes questions qui demeuraient en suspens furent vidées; un nouveau projet de loi, présenté pour le règlement de la dette envers les États-Unis d'Amérique, fut discuté, adopté, et, malgré les difficultés diplomatiques qui en retardèrent quelque temps l'exécution, cette cause de trouble et peut-être de querelle entre les deux nations disparut complétement. Des lois sur les attributions des autorités municipales et sur la responsabilité des ministres et des agents du pouvoir furent l'objet de sérieux débats. Une loi qui modifiait, dans un sens favorable à l'affranchissement progressif des esclaves, la législation criminelle des colonies, fut promulguée. Une autre loi, aussi importante pour la prospérité matérielle de nos campagnes que l'a été la loi de l'instruction primaire pour leur progrès intellectuel, la loi sur les chemins vicinaux fut proposée, discutée, adoptée, et mise, l'année suivante, en régulière exécution. Dès l'année précédente, en juin et juillet 1834, M. Duchâtel avait commencé, dans notre régime commercial, d'importantes réformes. Deux ordonnances[13], rendues en vertu de pouvoirs spéciaux accordés par la loi de finances, et concertées entre deux commissaires français et deux commissaires anglais (lord Clarendon était l'un de ceux-ci), avaient aboli diverses prohibitions et réduit les droits d'entrée sur un grand nombre d'objets, les fers, les houilles, les laines, les lins, etc. Des réductions correspondantes avaient été prononcées en Angleterre, et la liberté du commerce était entrée dans les voies d'un progrès graduel, mutuel et sévèrement discuté. Un peu plus tard, en octobre 1834, M. Duchâtel entreprit une grande enquête commerciale pour rechercher, par l'étude précise des faits, quelles seraient les conséquences de la levée des prohibitions, et à quelles conditions elles pourraient être abolies. Cette enquête avait lieu devant le Conseil supérieur du commerce, et, à la suite de chaque séance, les dépositions des témoins entendus étaient publiées dans les journaux. Le gouvernement ne voulait accomplir les réformes libérales qu'avec l'aide du temps, à la lumière des faits bien connus, et sous les yeux du public averti et éclairé. Les crises ministérielles qui survinrent à la fin de 1834 suspendirent les résultats de l'enquête; mais en octobre 1835, quand l'ordre raffermi permit les espérances et les travaux d'avenir, M. Duchâtel, par une ordonnance nouvelle[14], rentra dans la voie qu'il avait ouverte, et fit faire à la libre extension de nos relations commerciales de nouveaux progrès, si prudemment mesurés qu'ils furent acceptés presque sans murmure par les intérêts même qui ne les désiraient pas. Ainsi, en même temps que l'esprit conservateur prévalait dans la politique, une activité intelligente régnait dans l'administration, et les travaux parlementaires du cabinet ne l'empêchaient point de veiller avec soin aux affaires courantes et matérielles de l'État.

[Note 13: Des 2 juin et 8 juillet 1834.]

[Note 14: Du 10 octobre 1835.]

Pendant que nous mettions ainsi sincèrement en pratique le régime constitutionnel, la Cour des pairs le défendait fermement contre les ennemis acharnés à le renverser. Je dis les ennemis, car, de la part des insurgés vaincus, le procès d'avril 1834 fut encore la guerre, la guerre transportée des rues dans le Palais-de-Justice, hautement proclamée et systématiquement poursuivie à coups de théories, de déclamations et d'invectives, au lieu de coups de fusil. Je ne crois pas que l'histoire judiciaire du monde ait jamais offert un pareil spectacle: cent vingt et un accusés se portant accusateurs des juges, des lois, du gouvernement tout entier, refusant absolument de leur reconnaître aucun droit, se taisant quand on les interrogeait, parlant, vociférant quand on leur ordonnait de se taire, opposant leurs violences personnelles à la force publique, maudissant, injuriant, menaçant, prédisant leur victoire et leur vengeance prochaines, l'anarchie fanatique et pratique s'étalant avec arrogance au nom de la république, et se donnant toute licence pour prolonger et enflammer le procès, dans l'espoir d'en faire sortir de nouveau la guerre civile. Et par une inconséquence qui serait étrange, si quelque chose pouvait être étrange dans le chaos, ces accusés, qui proclamaient la guerre contre leurs juges, réclamaient de ces mêmes juges toutes les garanties, toutes les formes, tous les scrupules de la justice régulière, et prétendaient imposer toutes leurs exigences au pouvoir auquel ils refusaient tous les droits.

Loin de la Cour, et dans les actes ou les conciliabules intérieurs du parti, la même politique était pratiquée; la même indifférence régnait sur la nature et la moralité des moyens, pourvu qu'ils servissent à la cause. On voulait dégoûter la garde nationale du service qu'elle avait à faire au Luxembourg; on essaya de faire circuler et signer une protestation; la tentative échoua; on adressa alors au président de la Cour des pairs une lettre par laquelle plusieurs honorables gardes nationaux de la 9e légion se refusaient à ce service. Les prétendus signataires désavouèrent la lettre; elle était fausse. Un journal du parti, le Réformateur, avait subi une condamnation; il publia une lettre qu'il avait reçue, disait-il, de l'un des jurés, qui déclarait qu'il n'avait voté la culpabilité que pour se soustraire aux persécutions dont on le menaçait; les douze jurés qui avaient prononcé dans l'affaire réclamèrent, niant tous ensemble la prétendue lettre. Celle-là aussi était fausse. Une fabrication plus étrange encore amena un incident qui aggrava singulièrement le procès. La Tribune et le Réformateur publièrent une lettre adressée aux accusés par le comité de leurs défenseurs, pour les exhorter à persévérer dans leur ardente résistance, et qui finissait par cet outrage à la Cour des pairs: «L'infamie du juge fait la gloire de l'accusé.» Sur la proposition du duc de Montebello, la Cour, justement indignée, ordonna des poursuites contre les auteurs de cette lettre, et le procès des défenseurs vint se joindre au procès des insurgés. Deux députés, MM. de Cormenin et Audry de Puyraveau, figuraient parmi les signataires; la Cour des pairs demanda à la Chambre des députés l'autorisation de les poursuivre. M. de Cormenin déclara qu'il n'avait point signé; la même déclaration vint de la plupart des personnes dont les noms étaient au bas de la lettre; elle avait été rédigée et signée sans leur aveu, et dans l'espoir qu'ils ne la désavoueraient pas. Une surprise ironique éclata dans le public; un violent débat s'éleva dans l'intérieur du parti: fallait-il que tous avouassent la lettre, comme s'ils l'avaient effectivement signée, ou devait-on convenir de la vérité? Ce dernier avis prévalut; deux membres du comité, MM. Trélat et Michel de Bourges, se déclarèrent seuls auteurs de la lettre; quelques autres des prétendus signataires en acceptèrent tacitement la responsabilité; ils furent seuls poursuivis et condamnés avec les éditeurs des deux journaux qui l'avaient publiée; mais ce mensonge, commis avec tant de légèreté et abandonné avec tant de faiblesse, fit grand tort, dans le public comme dans la Cour, aux accusés comme à leurs défenseurs, et le procès, un moment compliqué par cet incident, en marcha plus aisément vers sa conclusion.

De tous les chaos où tombe souvent l'humanité, le plus déplorable à contempler est celui de l'âme humaine elle-même: les accusés et leur parti offraient ce triste spectacle: le bien et le mal, le vrai et le faux, le juste et l'injuste, l'utile et le funeste, le possible et l'impossible, tout était mêlé et confondu dans ces esprits troublés jusqu'à la frénésie ou pervertis jusqu'au crime; et ce qu'il y avait en eux de bon et de noble, la conviction sincère, le dévouement, le courage, ne servait plus qu'à les précipiter eux-mêmes dans cet abîme de l'anarchie où ils s'efforçaient d'entraîner leur pays, croyant l'affranchir et le régénérer.

La Cour des pairs renouvela, dans cette difficile épreuve, les grands exemples de fermeté tranquille et de modération judicieuse qu'elle avait déjà donnés. En 1830, dans le procès des ministres de Charles X, elle avait maintenu l'équité envers les accusés contre la passion publique; en 1835, elle maintint l'ordre public contre les fureurs des accusés, en gardant aussi l'équité. Ni la longueur du procès, ni la violence des scènes, ni les incidents imprévus, ni les complications légales, ni la retraite successive de plusieurs pairs lassés ou troublés, rien ne l'irrita, rien ne l'arrêta; elle était résolue à être en même temps modérée et efficace. Cent soixante-quatre pairs avaient assisté à la première audience, cent dix-huit étaient présents à la dernière et signèrent l'arrêt définitif. Le procès avait duré neuf mois. Les accusés, leurs défenseurs, leurs journaux, avaient constamment parlé, protesté, déclamé comme en présence de l'échafaud: «Vous voulez cent soixante-quatre têtes, prenez-les.—Envoyez à la mort les soutiens de cent cinquante familles du peuple.—On m'a amené ici par force; on m'a déchiré; on m'a massacré; tenez, voilà ma poitrine; frappez-moi, tuez-moi.» Pas une condamnation à mort ne fut prononcée; la déportation fut la peine la plus grave. La Cour maintint l'empire des lois sans user de toute leur force, et défendit l'État contre l'insurrection anarchique sans se soucier des emportements et des menaces des insurgés.

Plus le procès avait été difficile et orageux, plus le succès était grand pour le gouvernement; c'était la victoire des lois après celle des armes; ni la force ni la justice n'avaient manqué à la société. Pourtant les obstacles et les périls persistaient ou renaissaient incessamment sur les pas du pouvoir; ses ennemis, loin de se montrer découragés par leurs défaites, redoublaient de colère et de manoeuvres; la violence de leurs journaux demeurait la même; les procès de presse, toujours nombreux, aboutissaient toujours à des résultats variables et presque alternatifs, aujourd'hui des condamnations, demain des acquittements, également inefficaces, les uns pour réprimer, les autres pour satisfaire les passions factieuses. Le public s'étonnait que la victoire de l'ordre ne lui rendît pas plus de repos et de sécurité. Un homme d'un esprit ferme et d'un courage indomptable, libéral éprouvé, et qui, par son nom, son caractère et son talent, exerçait dans le sud-ouest de la France une grande influence, M. Henri Fonfrède m'écrivait de Bordeaux: «Nous restons sur un champ de bataille où, malgré tant de succès si péniblement conquis, les obstacles et les dangers se renouvellent sans cesse, et entravent l'action du pouvoir au moment où elle semblerait se manifester plus ferme et mieux assurée. Cela inquiète ici beaucoup les esprits. Je crois pouvoir dire que le principal germe de ce mal est dans l'influence démocratique trop puissamment excitée, et dans l'absence de principes clairs et fixes au sein de notre propre parti. Nos collèges électoraux eux-mêmes, dans leur portion gouvernementale qui forme évidemment la grande majorité, du moins ici, sont tellement décousus et abandonnés aux mille nuances théoriques de la première argumentation tenue, qu'avec les meilleures intentions du monde, ils pourraient, sans s'en douter, voter au contre-sens de leur propre opinion politique, et contribuer ainsi, non pas à une conciliation toujours désirable entre les opinions modérées et consciencieuses, mais à une confusion inextricable de principes hétérogènes et contraires, qui ôterait aux hommes engagés dans le travail de la restauration sociale tous les leviers dont ils ont besoin pour agir efficacement.»

Pendant que le procès suivait son cours, nous reconnûmes bientôt que, en même temps que la guerre continuait, le champ de bataille était changé. Ce n'était plus à de grands mouvements publics, à de vastes complots, aux soulèvements populaires, que les ennemis demandaient le succès; c'était dans la personne même du Roi qu'ils voulaient frapper et détruire le régime tout entier. L'assassinat remplaçait l'insurrection. De l'automne de 1834 à l'été de 1835, sept projets de ce crime alors nouveau furent découverts et déjoués par l'autorité: les uns conçus et poursuivis avec une obstination profonde, les autres rêvés par des imaginations en délire et par cette détestable ambition de célébrité, n'importe à quel prix, que suscitent les grands désordres sociaux. Nous approchions des fêtes annuelles de juillet; le Roi devait passer sur les boulevards une grande revue de la garde nationale; des bruits sinistres circulaient; des révélations à la fois précises et obscures parvenaient à l'administration; des symptômes épars, des propos décousus et pourtant d'une coïncidence singulière indiquaient une forte préoccupation partout répandue. M. de Nouvion les a recueillis avec soin et bien résumés en ces termes: «À l'approche du 28 juillet, plusieurs journaux de province publièrent simultanément une correspondance de Paris ainsi conçue: «On continue à dire que Louis Philippe sera assassiné, ou du moins qu'on tentera de l'assassiner à la revue du 28. Ce bruit a sans doute pour but de déterminer sa bonne garde nationale à venir, nombreuse, le protéger de ses baïonnettes.» On lisait dans la Quotidienne du 24 juillet: «Le Gouvernement affecte d'envelopper encore du plus profond mystère le prétendu complot dirigé contre la personne de Louis-Philippe. Fantasmagorie! conspiration dont le secret est la formation de quelques gardes du corps, à laquelle on veut préparer les esprits par des simulacres de danger pour la famille royale.» Le 24, le Corsaire disait: «Le prince L… (le roi Léopold) a envoyé demander à son beau-père ses recettes d'assassinat politique. L'enthousiasme baisse à Bruxelles. Il y a maintenant, à la Préfecture de police, une brigade préposée aux assassinats mensuels.» Le 26, le Charivari contenait ces deux lignes: «Hier, le Roi citoyen est venu à Paris avec sa superbe famille, sans être aucunement assassiné.» Le 28, jour du crime, le Corsaire disait, en faisant allusion au passage du Roi sur la place Vendôme: «On parie pour l'éclipse totale du Napoléon de la paix.» Le même jour, la France, après avoir rendu compte de la journée de la veille, dite fête des morts, ajoutait cette affreuse plaisanterie: «Peut-être est-ce à la fête des vivants qu'il est réservé, par compensation, de nous offrir le spectacle d'un enterrement. Nous verrons bien cela demain ou après-demain.» A l'étranger, le Correspondant de Hambourg du 25 juillet annonce qu'on s'attend à une catastrophe pendant l'anniversaire des trois jours. Une lettre de Berlin, du 26, constate que le même bruit s'y était répandu. Le 28, des jeunes gens voyageant en Suisse, après avoir inscrit sur un registre d'auberge les noms de Louis-Philippe et de ses fils, les font suivre de ces mots: «Qu'ils reposent en paix[15]!»

[Note 15: Histoire du règne de Louis-Philippe Ier, par Victor de
Nouvien, t. III, p. 501-502.]

Au milieu de ces bruits, la plupart ignorés alors ou peu remarqués, et qui pourtant semaient dans l'air une vague alarme, nous nous rendîmes le 28 juillet aux Tuileries, au moment où le Roi se disposait à partir pour la revue. La famille royale était réunie, la Reine émue et silencieuse, Madame Adélaïde visiblement affectée et demandant qu'on la rassurât, les jeunes princes prenant plaisir à entendre dire que la troupe était superbe et que la garde nationale serait très-nombreuse. Il était convenu que quelques-uns des ministres accompagneraient le Roi, et que les autres iraient, ainsi que la Reine, à l'hôtel de la Chancellerie, place Vendôme, attendre le retour du Roi qui devait s'arrêter là pour assister au défilé. Le Roi monta à cheval et partit avec ses trois fils, le duc d'Orléans, le duc de Nemours et le prince de Joinville, quatre de ses ministres, le duc de Broglie, le maréchal Maison, l'amiral Rigny et M. Thiers, les maréchaux Mortier et Lobau et un nombreux état-major. Nous nous rendîmes, l'amiral Duperré, M. Duchâtel, M. Humann, M. Persil et moi, à la Chancellerie. Plus d'une heure s'écoula; des nouvelles venaient à chaque instant de la revue; on se félicitait de l'ordre qui y régnait, du bel aspect des troupes, du bon esprit de la garde nationale. Tout à coup la Reine et les Princesses arrivèrent saisies de trouble et de douleur; au au moment où elles quittaient les Tuileries pour se rendre à la Chancellerie, le colonel Boyer, l'un des aides de camp du Roi, était accouru au galop leur annoncer l'attentat auquel le Roi et ses fils venaient d'échapper, et qui avait fait, autour de lui, tant de victimes. Quelques minutes après midi, sur le boulevard du Temple, le Roi cheminait tranquillement le long des rangs de la garde nationale, et un peu en avant de son cortége; un jet de flamme, parti d'une fenêtre sur la gauche, frappa soudain ses yeux: «Joinville, dit-il à son fils en ce moment le plus voisin de lui, ceci me regarde;» et au même instant une nuée de balles éclatait sur son passage, frappant à mort ou blessant grièvement quarante et une des personnes qui l'entouraient. Le Roi s'arrêta un moment, vit ses fils debout à ses côtés, promena ses regards sur les mourants, donna quelques ordres, et, montrant du doigt au duc de Broglie, qui s'était rapproché de lui, l'oreille de son cheval percée d'une balle: «Il faut continuer, mon cher duc; marchons, marchons;» et il poursuivit en effet la revue, au milieu des explosions d'indignation et des acclamations incessantes de la garde nationale, de la troupe et de la population.

La nouvelle nous était venue à la Chancellerie en même temps qu'elle arrivait aux Tuileries; mais le récit encore obscur de l'attentat, les bruits incertains déjà répandus sur le nombre et les noms des victimes, l'absence prolongée du Roi et de sa suite maintenaient et redoublaient les alarmes; les salons de la Chancellerie étaient pleins des femmes, des mères, des soeurs, des filles de ceux qui accompagnaient le Roi; on accourait de tous côtés pour demander ou apporter des nouvelles: qui était tué? qui était blessé? que se passait-il à la revue continuée? La duchesse de Broglie arriva cherchant son mari; la Reine se jeta dans ses bras, étouffant à grand'peine ses larmes. Toute cette société royale était en proie à toutes les terreurs, à toutes les angoisses du coeur humain, et personne ne savait bien encore quelle serait la mesure de ses douleurs.

La vérité complète et précise, cruelle pour les uns, calmante pour les autres, fut enfin connue. La revue terminée, le Roi arriva à la Chancellerie avec son cortége: autour de la famille royale réunie et rassurée, on comptait les pertes, on répétait les noms de dix-huit autres familles, les unes illustres, les autres obscures, un maréchal, des généraux, des gardes nationaux, des ouvriers, des femmes, une jeune fille, toutes frappées du même coup, toutes en proie à la même désolation. Après un court repos, le Roi et les princes ses fils remontèrent à cheval, à la porte de la Chancellerie: les bataillons de la garde nationale et les régiments de l'armée défilèrent devant eux, avec ces acclamations ardentes, mêlées de sympathie et de colère, que suscite dans les masses le spectacle d'un grand crime, d'une grande douleur et d'un grand péril. Le défilé terminé, tous se dispersèrent, princes et peuple; chacun retourna à ses tristesses et à ses affaires; le duc de Broglie, en se déshabillant, vit tomber de sa cravate une balle qui s'y était arrêtée après avoir, sans qu'il s'en aperçût au moment, emporté et ensanglanté le collet de son habit. La population affluait autour des Tuileries, sur le théâtre de l'attentat, à la porte des blessés connus; et le soir même, le Roi, la Reine et Madame Adélaïde, dans une voiture de ville, sans escorte, allèrent porter à la veuve du maréchal Mortier, la duchesse de Trévise, ces témoignages de sympathie qui honorent ceux qui les donnent plus qu'ils ne consolent ceux qui en sont l'objet.

L'horreur fut générale et profonde. Le public était indigné et attendri. Le crime avait été préparé et exécuté avec une indifférence atroce. Toutes les classes, tous les rangs, tous les âges avaient été frappés. Les douleurs royales et les douleurs populaires s'étaient confondues. Le Roi avait déployé, au moment du péril, une fermeté imperturbable, et en revoyant sa famille, une sensibilité expansive. Nul homme n'a jamais eu un courage plus simple, plus exempt d'ostentation, moins empressé à se faire remarquer et valoir. Des milliers de spectateurs avaient vu et racontaient tous les détails, affreux ou touchants, de l'événement. Huit jours après, le 5 août, quatorze cercueils, portés sur quatorze chars funèbres, précédés et suivis d'un cortége immense, gouvernement, garde nationale, armée, clergé, magistrats, corps savants, écoles publiques, les représentants de la société tout entière, cheminèrent le long des boulevards, de la place de la Bastille aux Invalides, à travers une population innombrable, passionnément émue et silencieuse. Le Roi, la Reine, toute la famille royale attendaient et reçurent le cortége à l'hôtel des Invalides. En présence de toutes ces grandeurs divines et humaines, tous ces cercueils qu'un seul crime avait remplis de morts si divers, descendirent l'un après l'autre dans le même caveau. La cérémonie terminée, quand ce peuple de spectateurs se fut écoulé, les jours suivants, au sein des familles, dans les lieux publics, partout où se rencontraient des hommes qui n'avaient rien à cacher, un sentiment unanime éclatait; c'était le cri général qu'un devoir impérieux commandait de mettre un terme aux attaques, aux provocations, aux manoeuvres qui suscitaient de tels forfaits et infligeaient à la société de tels périls, au coeur humain de telles douleurs.

Le cabinet n'hésita pas un instant à remplir ce devoir. Le mal, c'était la provocation continue, tantôt audacieuse, tantôt astucieuse, au renversement de l'ordre établi. Pour atteindre à ce but, on s'arrogeait le droit de tenir et de remettre incessamment toutes choses en question, les bases même de la société comme les actes de son gouvernement, le droit primitif et fondamental des pouvoirs publics aussi bien que leur conduite. C'était là ce qu'on appelait la liberté de l'esprit humain et de la presse. Il fallait attaquer et vaincre dans son principe cette prétention anarchique, après l'avoir vaincue dans sa conséquence matérielle et armée, l'insurrection.

Nous abordâmes de front l'ennemi. Les lois que nous proposâmes le 4 août 1835, et qui devinrent les lois du 9 septembre suivant, qualifiaient d'attentat à la sûreté de l'État toute attaque contre le principe et la forme du gouvernement établi en 1830, lorsque cette attaque avait pour but d'exciter à la destruction ou au changement du gouvernement. Elles sanctionnaient et garantissaient l'inviolabilité constitutionnelle du Roi en punissant quiconque ferait remonter jusqu'à lui la responsabilité ou le blâme des actes de son gouvernement. Elles prenaient des précautions précises contre les divers moyens de dissimuler ces délits et d'en éluder la peine tout en les commettant. Elles réglaient, dans les limites et selon les conditions générales instituées par la Charte, les peines attachées aux délits, les juridictions appelées à en connaître et les formes de la procédure, de façon à assurer l'efficacité et la promptitude de la répression.

Pour tout esprit libre et ferme, il n'y avait rien là que de conforme aux traditions des nations civilisées et aux règles du commun bon sens. C'est une dérision de réclamer, au nom de la liberté de l'esprit humain, le droit de mettre incessamment en question les institutions fondamentales de l'État, et de confondre les méditations de l'intelligence avec les coups de la guerre. Il faut, à toute société humaine, des points fixes, des bases à l'abri de toute atteinte; nul État ne peut subsister en l'air, ouvert à tous les vents et à tous les assauts. Quand Dieu a, comme dit l'Écriture, livré le monde aux disputes des hommes, il connaissait les limites de leur puissance; il savait combien elle serait vaine, au fond, contre son oeuvre, même quand elle en troublerait la surface. Mais les oeuvres humaines sont bien autrement faibles et fragiles que l'oeuvre divine; elles ont besoin de garanties qu'elles ne trouvent pas dans leur force propre et native. Et quand la limite a été posée entre la discussion scientifique et la guerre politique, c'est un devoir pour le législateur de ne pas se contenter de défenses vaines, et d'opposer aux assaillants des remparts solides. Les lois de septembre n'inventèrent, pour réprimer les délits dont elles proclamaient la gravité, aucune pénalité inouïe et repoussée par nos moeurs, aucune juridiction nouvelle et qui parût prédestinée à la rigueur ou à la servilité. La déportation, avec des conditions diverses, était dès lors et sera de jour en jour plus acceptée comme la peine la mieux appropriée aux crimes politiques. La Cour des pairs faisait, depuis vingt ans, ses preuves d'indépendance et de modération en même temps que de fermeté efficace. Les modifications apportées dans la procédure n'avaient d'autre objet que d'assurer la prompte répression du délit, sans enlever aux accusés aucun de leurs moyens de défense. Les lois de septembre ne portaient nullement les caractères de lois d'exception et de colère; elles maintenaient les garanties essentielles du droit, tout en pourvoyant aux besoins accidentels et actuels de la société; définitions, juridictions, formes, peines, tout y était combiné, non pour frapper des ennemis, mais pour que la justice publique fût puissante et suffît pleinement à sa mission, en conservant son indépendance et son équité.

La discussion de ces lois amena un exemple frappant de la déplorable faiblesse d'esprit et de coeur qui, sous l'influence des passions personnelles ou des clameurs extérieures, peut obscurcir les notions les plus certaines et les plus simples. En parlant de la peine de la déportation que l'opposition qualifiait d'atroce, je fus conduit à dire: «On oublie constamment dans ce débat le but de toute peine, de toute législation pénale. Il ne s'agit pas seulement de punir ou de réprimer le condamné; il s'agit surtout de prévenir des crimes pareils. Il ne faut pas seulement mettre celui qui a commis le crime hors d'état de nuire de nouveau; il faut surtout empêcher que ceux qui seraient tentés de commettre les mêmes crimes se laissent aller à cette tentation. L'intimidation préventive et générale, tel est le but principal, le but dominant des lois pénales. Il faut choisir, dans ce monde, entre l'intimidation des honnêtes gens et l'intimidation des malhonnêtes gens, entre la sécurité des brouillons et la sécurité des pères de famille; il faut que les uns ou les autres aient peur, que les uns ou les autres redoutent la société et ses lois. Il faut le sentiment profond, permanent, d'un pouvoir supérieur toujours capable d'atteindre et de punir. Dans l'intérieur de la famille, dans les rapports de l'homme avec son Dieu, il y a de la crainte; il y en a naturellement et nécessairement. Qui ne craint rien bientôt ne respecte rien. La nature morale de l'homme a besoin d'être contenue par une puissance extérieure, de même que sa nature physique, son sang, tout son corps ont besoin d'être contenus par l'air extérieur, par la pression atmosphérique qui pèse sur lui. Opérez le vide autour du corps de l'homme; vous verrez à l'instant toute son organisation se troubler et se détruire. Il en est de même de sa nature morale; il faut qu'un pouvoir constant, énergique, redoutable, veille sur l'homme et le contienne; sans quoi, l'homme se livrera à toute l'intempérance, à toute la démence de l'égoïsme et de la passion.» Il n'y avait là; à coup sûr, qu'une vérité proclamée par le bon sens général, et de tout temps admise par les publicistes et par les moralistes, comme une des bases fondamentales de la législation religieuse et civile. Les partis et les journaux en firent une prétention tyrannique et barbare; le mot intimidation devint le synonyme d'iniquité préventive et de cruauté pénale; on l'écrivit, on le répéta à côté de mon nom comme le terrible caractère de ma politique. Et comme il est utile d'apporter des faits à l'appui des mots, on en inventa pour établir que, ce que je disais, je le faisais aussi dans l'occasion; on dit, on redit que, pendant les insurrections de Lyon, en 1831 et en 1834, j'avais donné, pour les réprimer, «des ordres impitoyables.» Le mensonge était grossier: en 1831, j'étais étranger au cabinet, et en 1834, je n'avais eu, par la nature de mes attributions, aucun ordre à donner à Lyon, et je n'en avais en effet donné aucun. Mais peu importe la vérité aux passions ennemies; la crédulité vient, pour elles, en aide au mensonge, et elles ne s'inquiètent guère qu'avec le temps la lumière se fasse sur leurs assertions; le profit, et plus encore le plaisir momentané qu'elles y trouvent suffisent à leur vulgaire satisfaction.

Le duc de Broglie se fit grand honneur dans ce débat; il expliqua et défendit les lois proposées avec une franchise, une fermeté, une lucidité, une élévation d'idées et de langage qui firent, sur la Chambre, une impression profonde. Il obtint, dans cette circonstance le plus honnête et le plus utile des succès; il donna aux partisans de la politique de résistance la satisfaction d'entendre prouver avec éclat qu'ils avaient raison, et il les affermit dans leur conviction en les laissant bien certains qu'il était lui-même profondément convaincu. En dépit des mauvaises velléités de la nature humaine, les hommes se plaisent à estimer en admirant, et les partis ne sont jamais plus animés et plus fidèles que lorsqu'ils se sentent honorés par le caractère et le talent de leurs chefs.

Les lois de septembre une fois votées et promulguées, l'état des esprits dans le pays, à leur sujet, fut très-mêlé et divers. L'opposition les avait ardemment combattues; les uns, par hostilité radicale, routine ou passion de parti; les autres, avec une inquiétude sincère. Plus j'y réfléchis, plus je demeure convaincu que l'opposition de ce temps a été constamment sous l'empire d'une double erreur; elle redoutait trop peu le mal et trop les remèdes; elle n'avait pas le sentiment juste des périls dont notre société était menacée par les idées fausses et les mauvaises passions qui fermentaient dans son sein; elle était infiniment trop prompte à croire les libertés publiques compromises ou même perdues. Les nations libres ont besoin de s'abriter sous des constructions fortes, surtout lorsqu'elles ont déjà longtemps vécu, et que leur longue vie a développé des éléments très-divers et des situations très-compliquées. Leurs libertés y sont aussi intéressées que leur repos, car la liberté, dont les germes peuvent être semés au vent des révolutions, ne s'enracine et ne grandit qu'au sein de l'ordre et sous des pouvoirs réguliers et durables. Le ferme établissement du gouvernement nouveau était pour nous, après 1830, la première et essentielle condition de la liberté; et telle était la situation comme la nature de ce gouvernement qu'il ne pouvait faire courir à la liberté aucun risque sérieux. L'opposition, je parle de l'opposition loyale et sans arrière-pensée, méconnut cet état général du pays; et son erreur était naturelle, car c'était celle d'une partie considérable du pays lui-même; il croyait sa santé politique plus forte qu'elle n'était réellement, et il repoussait comme inutiles et presque comme injurieux la plupart des remèdes qui lui étaient présentés. Aussi, en combattant les lois de septembre, l'opposition parlementaire ne manqua ni d'écho ni d'effet; et ces lois rencontrèrent, hors des Chambres, le même genre et à peu près le même degré de mécontentement et de blâme qu'elles avaient trouvés dans leur sein.

En revanche, l'adhésion, non-seulement des amis déclarés de la politique de résistance, mais des spectateurs impartiaux, fut prompte et décidée. Dans les départements, la grande majorité des conseils généraux, élus par les classes les plus indépendantes comme les plus éclairées, et représentants tranquilles des sentiments comme des intérêts locaux, s'empressèrent de témoigner leur satisfaction de la fermeté franche du cabinet et des garanties qu'il venait de donner à la paix publique. On ne tarda pas à reconnaître que ces garanties n'étaient ni oppressives, ni vaines: la presse ennemie baissa de ton, sans cesser d'être libre; ses violences et ses scandales furent plus rares et mieux réprimés; mais la discussion de la politique et des actes du pouvoir demeura ouverte et vive. Mises à l'épreuve de l'expérience, les lois de septembre ont, pendant plusieurs années, efficacement protégé l'ordre public, et à coup sûr elles n'ont pas détruit la liberté.

L'Europe fut frappée du spectacle qu'offrait alors la France. Le tranquille courage et la présence d'esprit du Roi, au moment de l'attentat, étaient fort admirés; on parlait de la main visible de la Providence qui l'avait préservé, lui et ses fils, dans cet immense péril. Treize ans plus tard, quand le gouvernement de 1830 n'existait plus, un vieux tory de ma connaissance, légitimiste déclaré pour la France, M. Croker me disait à Londres: «Après l'attentat de Fieschi, quand je vis par quelle fortune le roi Louis-Philippe y avait échappé, et avec quelle vigueur son gouvernement défendait la société menacée, je le crus, pour la première fois, destiné à fonder en France le régime constitutionnel et sa dynastie.» La Providence se réservait de nous apprendre qu'il faut de bien autres conditions que le courage et la bonne conduite de quelques hommes pour mettre fin aux révolutions et fonder un gouvernement.

Pendant les quatre mois qui s'écoulèrent entre la promulgation des lois de septembre et l'ouverture de la session de 1836, la situation du cabinet fut forte et tranquille; aucun grand événement ne vint nous troubler, aucun dissentiment intérieur ne nous embarrassait dans le travail régulier du gouvernement. Le procès de Fieschi et de ses complices, la conclusion du procès des insurgés d'avril, les négociations relatives à l'exécution du traité des 25 millions entre la France et les États-Unis, les mouvements diplomatiques de l'Europe, les crises révolutionnaires de l'Espagne, la préparation des projets de loi qui devaient être présentés aux Chambres dans la session prochaine nous occupaient sérieusement sans nous susciter dans le présent aucune complication fâcheuse, pour l'avenir aucune grave inquiétude. Un seul incident me donna à prendre une résolution qui pouvait entraîner, pour moi, une responsabilité délicate. Le maréchal Clauzel, alors gouverneur général de l'Algérie, préparait une expédition dans l'intérieur de la province d'Oran et sur Mascara. Le duc d'Orléans désirait ardemment aller en Afrique et y prendre part. Son désir rencontrait dans le cabinet beaucoup d'objections; on se souciait peu d'exposer l'héritier de la couronne à de graves périls dans une entreprise sur une terre inconnue et sans nécessité politique. On doutait que le maréchal Clauzel vît avec plaisir la présence du prince à l'armée et on craignait entre eux quelque embarras. Le Roi me parla du désir de son fils: «désir bien naturel, me dit-il, et qu'à tout prendre il est bon de satisfaire; quelles que soient les chances, il faut que mon fils vive avec l'armée et s'y fasse honneur. Aidez-moi à lever les obstacles qu'il rencontre; soyez favorable, dans le conseil, à son départ pour l'Afrique; il vous en saura beaucoup de gré, et je désire qu'il soit bien pour vous.» Le Roi avait raison: l'activité, l'empressement à servir le pays, à s'en faire connaître et à s'y distinguer, sont le devoir et font la fortune des princes. J'appuyai auprès de mes collègues, en particulier et dans le conseil, la proposition du départ du duc d'Orléans pour l'expédition projetée. En s'y rendant, il devait passer par la Corse, s'y arrêter quelques jours, et s'y montrer attentif aux besoins de cette terre si négligée du maître qu'elle avait donné à l'Europe. Il partit en effet dans les derniers jours d'octobre, et le 26 novembre suivant, au moment de se mettre en marche avec l'armée pour Mascara, il m'écrivait d'Oran:

«Je ne puis partir, Monsieur, pour l'expédition qui doit compléter un voyage que je vous dois d'avoir entrepris, sans vous remercier de nouveau d'avoir senti que l'intérêt de mon avenir, autant que le devoir de ma position, m'appelait partout où l'armée avait une tâche à accomplir. J'ai la confiance que le résultat de mon voyage ne pourra d'aucune façon vous faire regretter d'avoir donné votre adhésion à mon projet; et je sais que, tout en me conduisant de manière à me concilier l'estime de l'armée, je dois éviter ce qui, plus tard, pourrait faire peser des reproches spécieux sur la responsabilité du gouvernement.

«Je n'ai point la place de consigner, dans une lettre écrite à la hâte et au moment de monter à cheval, les observations nombreuses que j'ai cherché à recueillir avec impartialité sur l'état de notre marine, sur la Corse, et sur l'Afrique; mais je ne puis laisser échapper cette occasion de vous dire que je n'ai eu qu'à me louer, sous tous les rapports, de la manière d'être du maréchal Clauzel à mon égard. Je me suis efforcé pourtant de ne point laisser influencer, par l'accueil que j'ai reçu ici, le jugement que je devais porter sur l'état de ce pays; et j'ai dû reconnaître que des résultats importants, et auxquels, vous le savez, j'étais loin de m'attendre, avaient déjà été obtenus par le maréchal. Il a éteint toute dissidence politique; il représente convenablement et fait respecter l'autorité royale, et l'esprit de parti n'existe plus dans la population que sa composition y rendait le plus accessible. Les troupes ont repris confiance en leur chef et en elles-mêmes, et sous le point de vue militaire la situation est très-satisfaisante. Quant à la direction générale de son commandement, je crois pouvoir affirmer que le maréchal a compris maintenant ce qu'il fallait pour être soutenu par le gouvernement; et il veut le faire, même vis-à-vis des colons. Je pense même qu'il a senti qu'il deviendrait nécessaire de diminuer dans quelque temps les charges excessives que nos possessions africaines font peser sur la France; et j'ai eu occasion de discuter avec lui un plan de gouvernement de la Régence d'Alger que je désire vivement soumettre et faire approuver au Roi et à ses ministres à mon retour à Paris. Je serai au plus tard le 18 ou le 19 décembre à Toulon, et d'ici là, je vous prie, monsieur, de recevoir l'assurance de tous mes sentiments pour vous.»

L'expédition atteignit pleinement son but; Mascara fut occupé; le duc d'Orléans se fit grand honneur, dans l'armée et auprès de ses chefs, par son intelligence aussi prompte et aussi brillante que sa bravoure; et le 19 décembre, comme il me l'avait annoncé, il débarqua à Toulon, charmé d'avoir fait avec succès ce premier pas dans sa vie militaire en Afrique, et gardant un bon souvenir de mon intervention pour lui dans cette occasion.

Le même jour, à dix heures du soir, un convoi plus que modeste, presque un convoi de pauvre, suivi seulement d'un frère, d'une soeur et d'un prêtre, traversait Paris transportant dans une église de village, près de Bordeaux, le cercueil d'un grand homme de bien, grand citoyen dans les jours de péril suprême, et quelquefois grand orateur dans les débats politiques. L'ancien président de la Chambre des députés, le ministre de Louis XVIII, M. Lainé était mort à Paris le 17 décembre, et c'était selon sa dernière volonté qu'il était conduit, sans le moindre appareil, à sa dernière demeure. En 1830, après la révolution de Juillet, il se tint d'abord à l'écart, portant, par vraie tristesse comme par convenance, le deuil de cette ancienne royauté qu'il avait servie pendant seize ans, sinon avec un esprit politique clairvoyant et ferme, du moins avec un patriotisme sincère, une modération généreuse et un courage mélancolique qui s'élevait parfois à de beaux mouvements d'éloquence. Quand il vit la nouvelle monarchie établie et luttant contre l'anarchie, dès le 17 septembre 1830, il vint silencieusement prendre son siège dans la Chambre des pairs; et depuis ce jour jusqu'à sa mort, il s'acquitta scrupuleusement de tous ses devoirs politiques, sans sortir, pour aucun autre motif, de la retraite à laquelle il avait voué la fin de sa vie. C'était une âme très-noble, facilement émue, triste, et dont les instincts, plus grands que ses idées, s'élevaient, avec un touchant mélange de simplicité morale et de pompe oratoire, jusqu'à la vertu éloquente. Il avait dans l'esprit peu d'originalité, peu de vigueur, des aspirations hautes plutôt que des convictions claires, et son talent, qui manquait de précision au fond et de pureté dans la forme, ne laissait pas d'être toujours élevé, animé et sympathique. L'ordre et la liberté, le Roi et le pays ont eu des conseillers plus profonds et plus efficaces, jamais un ami plus dévoué et un serviteur plus digne. J'ai souvent pensé et agi autrement que M. Lainé; depuis 1830, je ne l'ai plus rencontré que rarement; mais soit dans mes rapports avec lui, soit en regardant de loin sa conduite et sa vie, je lui ai toujours porté une profonde estime, et je prends plaisir à rendre aujourd'hui à sa mémoire un hommage qu'en 1835 j'aurais volontiers rendu à son cercueil.

La session s'ouvrit le 29 décembre 1835 sous des auspices favorables; aucun trouble violent et prochain ne menaçait le pays; aucune question vitale ne pesait sur le gouvernement; la confiance renaissait, les libertés publiques se déployaient au sein de l'ordre que l'on commençait à croire effectivement rétabli: «J'espère, dit le Roi en ouvrant la session, que le moment est venu, pour la France, de recueillir les fruits de sa prudence et de son courage. Éclairés par le passé, profitons d'une expérience si chèrement acquise; appliquons-nous à calmer les esprits, à perfectionner nos lois, à protéger, par de judicieuses mesures, tous les intérêts d'une nation qui, après tant d'orages, donne au monde civilisé le salutaire exemple d'une noble modération, seul gage des succès durables. Le soin de son repos, de sa liberté, de sa grandeur, est mon premier devoir; son bonheur sera ma plus chère récompense.» Deux jours après, M. Dupin, réélu président de la Chambre des députés, disait en prenant possession du fauteuil: «Si, dans les précédentes sessions, les agitations du dehors ont quelquefois réagi jusque dans cette enceinte, je n'en doute pas, la paix profonde qui règne dans l'État étendra sur nous sa salutaire influence. La lutte sera toute parlementaire; elle sera digne; les intérêts du pays seront noblement et librement débattus; les rivalités, s'il s'en élève, ne seront inspirées que par l'amour du bien public; chacun voudra remporter chez soi le sentiment d'un devoir généreusement accompli.»

Le 14 janvier 1836, M. Humann proposa à la Chambre des députés les lois de finances. Dès le début de son discours, en exposant les besoins et les ressources de l'exercice 1837, il présenta comme nécessaire, légitime, opportune, et, sinon comme immédiate, du moins comme imminente, la mesure que M. de Villèle avait tentée sans succès en 1824, le remboursement ou la réduction des rentes. La Chambre accueillit ses paroles avec une faveur marquée, et nous, au banc des ministres, nous les entendîmes avec une extrême surprise. Bonne ou mauvaise, une telle mesure était évidemment trop grave pour être annoncée sans l'examen approfondi et l'assentiment formel du cabinet; elle n'y avait été ni décidée, ni même mise en délibération; la démarche qui s'accomplissait en ce moment était le fait du ministre des finances seul; ni le Roi, ni les autres membres du cabinet ne l'avaient acceptée ni connue.

Bien des spectateurs à cette époque et plusieurs historiens depuis lors ont vu là un acte perfidement prémédité, une intrigue ourdie pour diviser, disloquer et renverser le cabinet, intrigue dont M. Humann aurait été l'instrument crédule et involontaire. C'est mettre dans la politique plus de comédie machiavélique qu'il n'y en a réellement, quoiqu'il y en ait beaucoup. M. Humann n'était ni un instrument ni une dupe; il n'avait, pour son propre compte, nul mauvais dessein envers le cabinet dont il partageait sincèrement les vues générales, et il ne fut nullement, dans cette occasion, l'aveugle agent des desseins d'autrui. Profondément convaincu de la légalité et de l'utilité de la conversion des rentes, il avait, en 1824, appuyé M. de Villèle dans cette tentative; plus tard, soit avant, soit depuis son entrée dans le cabinet, il s'était plusieurs fois expliqué dans le même sens; peut-être même, en préparant le budget de 1837, avait-il reparlé de son idée à quelques-uns de ses collègues; mais il n'en avait jamais proposé au conseil ni l'adoption formelle, ni l'exécution prochaine; il la développa dans son exposé des motifs pour se donner à lui-même une grande satisfaction et pour poser la base d'un budget normal auquel il avait hâte d'arriver. C'était un esprit à la fois profond et gauche, obstiné et timide devant la contradiction, et persévérant dans ses vues quoique embarrassé à les produire et à les soutenir. Il tenait beaucoup à accomplir, pendant son ministère, quelque acte important et qui lui fît honneur: «Que voulez-vous? disait M. Royer-Collard, qui ne se refusait guère un peu d'ironie envers ses amis, M. Guizot a sa loi sur l'instruction primaire, M. Thiers sa loi sur l'achèvement des monuments publics; Humann aussi veut avoir sa gloire.» En tenant, sur la conversion des rentes, un langage officiellement positif et pressant, M. Humann en dit beaucoup plus qu'il n'avait osé en dire d'avance au Roi et à ses collègues; mais il ne formait point le propos délibéré de les engager à tout risque et sans leur aveu; il marchait à son but avec un mélange de précipitation et d'embarras, mais sans arrière-pensée déloyale. Il y eut là, de sa part, une imprudence un peu égoïste et sournoise, mais point d'intrigue, ni de complaisance secrète pour les intrigues qui s'agitaient autour du cabinet.

Quoi qu'il en fût, un tel acte et la situation qu'il faisait au Roi et au cabinet n'étaient pas supportables; la dignité des personnes et l'harmonie intérieure du gouvernement en étaient également compromises. Nous nous en expliquâmes nettement avec M. Humann. Il sentit la portée de ce qu'il avait fait, nous en exprima son regret en persistant dans ses vues, et donna sa démission. Le comte d'Argout, gouverneur de la Banque, lui succéda immédiatement dans le ministère des finances.

Restait la question même que M. Humann avait soulevée, qu'il n'emportait pas en se retirant, et sur laquelle le cabinet était obligé de prendre sans délai un parti. Nous étions prévenus que des interpellations nous seraient adressées à ce sujet, non par l'opposition, mais par l'un de nos plus sincères amis, M. Augustin Giraud, car la conversion des rentes avait, dans nos propres rangs, des partisans aussi chauds que parmi nos adversaires politiques. Notre situation était délicate. Le Roi était vivement opposé à la mesure qu'il regardait comme injuste en soi, contraire à la bonne foi publique, nuisible à son gouvernement, et dont il contestait même la légalité. La plupart d'entre nous pensaient, au contraire, que la mesure était légale en principe et bonne à prendre dès qu'elle deviendrait opportune, mais que l'opportunité n'existait pas encore et qu'il fallait l'attendre. Nous résolûmes de n'aborder la question au fond que si elle devenait, dans la Chambre, l'objet d'une proposition formelle, et de déclarer en attendant que le cabinet était décidé, d'une part à ne point proposer lui-même, dans la cession actuelle, la conversion des rentes, d'autre part à ne contracter, sur l'époque où cette mesure pourrait être adoptée, aucun engagement positif et à jour fixe. Ce fut là le langage que tint le duc de Broglie en expliquant, dans les termes les plus amicaux, notre dissidence avec M. Humann, les motifs de sa retraite et le regret que nous en ressentions. Tant de réserve ne convenait pas aux partisans impatients de la conversion des rentes; ils voulaient que sur-le-champ le cabinet adoptât la mesure en principe, dît pour quelles raisons il la jugeait momentanément inopportune, et indiquât pour quel temps il en espérait l'opportunité. On se plaignit que le duc de Broglie ne se fût pas, disait-on, expliqué assez clairement. Il assigna de nouveau les limites comme les raisons de sa réserve, et en répétant les termes mêmes dont il s'était servi pour répondre à l'interpellation qui nous était adressée, il adressa à son tour aux questionneurs cette question: «Est-ce clair?» Rien n'était plus clair en effet que ses paroles, ni plus sensé et plus loyal que la conduite qu'il tenait au nom du cabinet: c'est précisément dans les questions embarrassantes et douteuses que le premier devoir des hommes qui gouvernent est de dire franchement ce que, dans le présent, ils veulent ou ne veulent pas faire, et de réserver, pour l'avenir, leur droit de délibérer et de se résoudre selon les nécessités ou les convenances des temps. Le duc de Broglie pratiquait, en agissant ainsi, la seule politique digne d'un gouvernement sérieux en face d'un pays libre. Il ne pressentit pas bien la disposition de la Chambre et l'effet de ses paroles quand il termina sa réponse par ce tour un peu sec et moqueur: «Est-ce clair?» Je n'ai rencontré nul homme qui, dans ses rapports soit avec les assemblées publiques, soit avec les individus isolés, fût plus scrupuleusement appliqué à bien agir et moins préoccupé de plaire. La Chambre fut piquée de cette attitude et de plus en plus échauffée dans son désir de peser fortement sur le cabinet pour que la conversion des rentes fût, sinon immédiatement accomplie, du moins résolue en principe et annoncée pour une époque prochaine. Trois propositions formelles furent déposées à ce sujet, et la principale, celle de M. Gouin, accueillie par les bureaux de la Chambre, devint, les 5 et 6 février, l'objet d'un débat solennel.

Des membres du cabinet, M. Thiers et M. Duchâtel furent ceux qui y prirent la principale part. Avec l'inventive et souple rectitude de son esprit, M. Thiers traita la question sous toutes ses faces: au nom du cabinet tout entier, il reconnut non-seulement que la réduction des rentes était légale et utile pour l'État, mais encore qu'elle serait inévitablement amenée par le temps. Il exposa ensuite combien, si elle s'opérait soudainement, elle serait peu équitable et dure, ce qu'il y avait d'exagéré dans les avantages qu'on s'en promettait, et quels en pourraient être les inconvénients si elle était entreprise au milieu d'une situation naguère orageuse et à peine raffermie. Sa conclusion fut aussi modeste que sa discussion avait été lucide; il se borna à demander l'ajournement de la proposition. Par des considérations plus spécialement financières, M. Duchâtel soutint, et sur le fond de la mesure et sur la convenance de l'ajournement, la même politique. Mais, par des motifs très-divers, la Chambre était fortement prévenue; les uns voulaient établir immédiatement, et à tout prix, l'équilibre du budget; les autres avaient, contre les capitalistes et les rentiers de Paris, une secrète humeur; le goût des plans de finances, les jalousies de province, les engagements d'amour-propre, les intrigues de parti, les rancunes et les ambitions personnelles se joignirent aux efforts de l'opposition contre la demande de l'ajournement; elle fut rejetée à deux voix de majorité, et le cabinet, décidé à ne pas accepter un tel échec, porta aussitôt au Roi sa démission.

Dix jours après ce vote, un député absent, et l'un des plus indépendants comme des plus judicieux, M. Jouffroy m'écrivait de Pise, où la maladie le retenait encore: «Le Journal des Débats arrivé hier vient de me faire connaître la belle décision de la Chambre sur la proposition de M. Gouin et la retraite du cabinet. Je ne suis pas encore revenu de la surprise que me cause cet étrange événement. Renverser un cabinet qui, depuis trois ans, fait face à l'ennemi, au moment où il a achevé de le vaincre et où, grâce à son énergie, la cause de l'ordre est sauvée; le renverser après avoir marché avec lui dans les moments difficiles, et triomphé avec lui; le renverser à propos d'une question de finances inexécutable cette année, inexécutable l'année prochaine, parce qu'il dit qu'il faut prendre six mois pour y réfléchir; le renverser enfin parce qu'il hésite sur une mesure dont la justice est douteuse, c'est une absurdité qui n'a pas de nom et qui révèle une absence d'esprit politique incroyable. Je suis affligé pour la Chambre, affligé pour mon pays d'un tel acte; il étonne ici tous les hommes sensés et leur paraît inexplicable. Il ne l'est pourtant pas pour ceux qui connaissent notre Chambre comme je la connais, et je vois bien d'ici comment et de quoi s'est formée la majorité des 194 contre 192. Mais précisément parce que je le sais, je ne conçois pas quel profit retireront de la dissolution du cabinet ceux qui l'ont amenée; composée comme elle l'est, il me semble douteux que cette agglomération puisse rester unie jusqu'à la formation d'un cabinet nouveau, et il m'est démontré qu'elle ne le créera que pour le déchirer. Le Roi ne peut aller au sein du tiers-parti. Les deux oppositions ne soutiendront pas trois mois un ministère du tiers-parti. Il faudra donc qu'il meure, comme il a déjà fait, ou qu'il s'abjure et se fasse semblable à la ci-devant majorité, à laquelle il restera toujours suspect parce qu'il l'a désertée, et dont les membres sortants de l'ancien cabinet resteront toujours les chefs. Ainsi il vivra sous la protection et par la grâce des vaincus, ce qui le rendra ridicule. Je comprends mal une telle situation; je n'en voudrais à aucun prix; et si les membres du cabinet tombé restent unis, elle ne sera pas longtemps tenable. Mais quelle mauvaise aventure pour le pays en présence de la question d'Orient, de la guerre civile d'Espagne et de l'affaire des États-Unis!»

M. Jouffroy avait, je crois, pleinement raison, et dans son jugement sur la crise naguère accomplie, et dans son appréciation des chances de l'avenir. Si les membres du cabinet tombé, qui, depuis plus de trois ans, pratiquaient la même politique et qui venaient de succomber ensemble en soutenant la même cause, étaient restés unis après leur chute comme ils l'avaient été au sein du pouvoir, s'ils s'étaient refusés à toute séparation dans leur retraite comme ils s'étaient défendus de toute discorde dans le gouvernement, ils auraient certainement ramené bientôt le succès de leur politique, et fait faire au gouvernement représentatif un grand pas vers son régulier et complet établissement. Mais les dispositions et les résolutions qu'eût exigées une telle conduite ne se rencontraient point chez plusieurs des hommes dont le concours y eût été nécessaire, et l'espérance de M. Jouffroy était un rêve que les faits ne devaient pas tarder à démentir.

Le roi Louis-Philippe était fort capable d'avoir une idée fixe, une résolution permanente, et de la maintenir ou de la reprendre à travers les difficultés variables des circonstances. Il l'a bien prouvé par son constant et efficace attachement, dans les affaires extérieures à la paix européenne, et pour l'intérieur à l'ordre légal. S'il eût été aussi convaincu que la solide union des diverses nuances qui avaient formé le cabinet du 11 octobre 1832, et de leurs principaux représentants, était nécessaire à la sûreté de son trône et au succès de son gouvernement, il aurait employé, à maintenir ou à rétablir cette union, sa constance comme son savoir-faire, et il y aurait probablement réussi. Mais le Roi n'avait point de conviction semblable; il était porté à croire que, par lui-même, il suffirait toujours pour faire prévaloir la bonne politique, et quand il s'agissait de la formation ou de la chute des cabinets, il cédait quelquefois à ses goûts personnels, à ses préventions ou à ses convenances du moment, bien plus qu'il ne l'eût fait s'il eût eu constamment en vue la nécessité de tenir groupées et agissant ensemble autour de lui toutes les forces vitales de son gouvernement. J'ai déjà dit comment et par quelles causes il portait au duc de Broglie plus d'estime et de confiance que de faveur. Quand, sur la question de la conversion des rentes, éclata la crise ministérielle, diverses circonstances aggravaient encore, dans le Roi, cette disposition: quelques-uns des diplomates européens, entre autres le prince de Metternich et le baron de Werther, ministre de Prusse à Paris, avaient eu, avec le duc de Broglie, de petits différends qui leur avaient laissé, pour lui, un secret mauvais vouloir. Le prince de Talleyrand qui, dans sa retraite, conservait, auprès du Roi, des habitudes d'intimité et d'influence, n'avait pas oublié son dernier dissentiment avec le duc de Broglie à propos du vague projet d'alliance offensive et défensive avec l'Angleterre, et lui en gardait quelque humeur. De tous ces faits résultaient, autour du Roi, un langage, un travail quotidien peu favorable au duc de Broglie; on le représentait comme assez souvent incommode, quelquefois compromettant, et, en tout cas, point indispensable. En mars 1835,1e Roi ne s'était pas décidé sans peine à le rappeler au département des affaires étrangères; en février 1836, il l'en vit sortir sans regret.

Loin de rien faire ou de rien dire qui le séparât de ses collègues dans le cabinet, M. Thiers avait fermement soutenu, à propos de la conversion des rentes comme en toute autre occasion, leur politique commune; il ne pouvait être taxé de défection cachée ou seulement de mollesse; il avait agi aussi loyalement qu'utilement. Pourtant il conservait toujours quelque crainte d'être trop intimement uni aux doctrinaires, et quelque soin de s'en distinguer. La rentrée du duc de Broglie en 1835, comme président du conseil, lui avait laissé une impression de contrariété et de malaise qui n'influa point sur sa conduite tant que le cabinet resta debout, mais qui le disposa à se considérer, après notre chute, comme dégagé de tout lien et libre de suivre à part sa propre destinée. Il était las du ministère de l'intérieur et ne cachait pas son goût pour le département des affaires étrangères. A la cour, dans le monde diplomatique, dans les salons, les politiques peu favorables au duc de Broglie ne manquaient pas de flatter ce goût de M. Thiers, et de satisfaire ainsi leur mauvais vouloir pour le ministre qui leur déplaisait en se préparant le bon vouloir de son successeur. Il eût fallu, de la part de M. Thiers, une conviction profonde de la nécessité des liens qui avaient uni le cabinet du 11 octobre et une forte résolution de les maintenir à travers les diverses chances de la fortune. Ni cette conviction, ni cette résolution ne se rencontraient en lui, pas plus que dans le Roi.

Quelle qu'en dût être l'issue, la crise était flagrante; le Roi se mit à l'oeuvre pour former un cabinet. Il appela successivement M. Humann, M. Molé, le maréchal Gérard, M. Dupin, M. Passy, M. Sauzet. Les trois premiers déclinèrent formellement l'invitation du Roi; ils croyaient plusieurs des ministres tombés nécessaires au gouvernement, et ne se jugeaient pas en mesure, soit de les retenir dans un cabinet nouveau, soit de se passer de leur concours. Les trois derniers, appelés ensemble et à plusieurs reprises aux Tuileries, se dirent prêts à servir le Roi et le pays, mais ne voulurent pas entreprendre de former eux-mêmes un ministère; ils donnèrent au Roi le conseil d'en charger spécialement un homme politique qui deviendrait le président du cabinet futur, rôle auquel, selon le dire de M. Dupin, aucun d'eux ne prétendait. Le tiers-parti se souciait peu de renouveler l'épreuve du ministère des trois jours. Dans ces divers entretiens, le Roi fit l'éloge du cabinet tombé, exprima le, vif regret que lui laissait sa retraite, et n'insista pas beaucoup pour que M. Dupin et ses amis en devinssent les successeurs.

C'était autour de M. Thiers et sur lui-même que se faisait un travail sérieux pour reconstruire un cabinet; c'était sur lui que le Roi comptait pour maintenir l'ancienne politique en en faisant un peu fléchir les apparences, et pour éluder ou du moins ajourner la réduction des rentes sans s'y refuser, dans le présent, aussi nettement que l'avait fait le duc de Broglie. Des personnes importantes à la cour, bien des députés du tiers-parti ou même de l'opposition pressaient M. Thiers de se prêter à cette combinaison, et lui promettaient leur concours. M. de Talleyrand l'approuvait hautement, dans le monde diplomatique comme auprès du Roi, et par des paroles élégamment flatteuses, il encourageait M. Thiers à l'entreprendre. M. Thiers hésitait; il lui en coûtait de se séparer de ses anciens collègues et de tenir une conduite autre que la leur; il avait éprouvé leur loyauté et leur courage; il savait ce que, malgré les clameurs de parti, ils avaient de considération et d'influence dans le pays comme dans les Chambres; il ne prévoyait pas sans inquiétude les dissentiments qui naissent et se développent presque infailliblement entre les hommes quand leurs situations deviennent très-diverses. Il fit des efforts répétés pour décider M. Duchâtel à rester avec lui dans le nouveau cabinet; il lui offrit de lui laisser la désignation de deux ministres et de me proposer l'ambassade d'Angleterre. M. Duchâtel refusa péremptoirement; il ne voulait ni accepter, pour la politique jusque-là pratiquée, un drapeau et des alliés plus incertains, ni se séparer de ses intimes amis. Après quinze jours de fluctuation, M. Thiers se décida enfin, et le Moniteur du 22 février 1836 annonça la formation du nouveau cabinet. M. Thiers le présidait comme ministre des affaires étrangères; trois membres du cabinet précédent, le maréchal Maison, l'amiral Duperré et le comte d'Argout continuaient d'y siéger; trois députés du tiers-parti, MM. Passy, Pelet de la Lozère et Sanzet, y entraient comme ministres du commerce, de l'instruction publique et de la justice; le comte de Montalivet, investi de la confiance particulière du Roi et qui avait naguère courageusement soutenu la politique de résistance, fut chargé du ministère de l'intérieur.

Le lendemain du jour où la formation du nouveau cabinet fut décidée, au moment où elle paraissait dans le Moniteur, je reçus de M. Thiers ce billet:

«Mon cher monsieur Guizot, je n'ai pas eu le temps d'aller vous annoncer hier soir notre constitution définitive, car nous sommes sortis fort tard des Tuileries. Les événements nous ont séparés; mais ils laisseront subsister, je l'espère, les sentiments qu'avaient fait naître tant d'années passées ensemble, dans les mêmes périls. S'il dépend de moi, il restera beaucoup de notre union, car nous avons encore beaucoup de services à rendre à la même cause, quoique placés dans des situations diverses. Je ferai de mon mieux pour qu'il en soit ainsi. J'irai vous voir dès que j'aurai suffi aux nécessités du premier moment.»

Je lui répondis sur-le-champ:

«Mon cher ami, vous avez toute raison de croire à la durée des sentiments qu'a fait naître entre nous une si longue communauté de travaux et de périls. J'appartiens à la cause que nous avons soutenue ensemble. J'irai où elle me mènera, et je compte bien vous y retrouver toujours. Adieu. J'irai vous voir dès que je vous supposerai un peu de loisir.»

Il y a, dans toute grande entreprise humaine, une idée supérieure, souveraine, qui doit être le point fixe, l'étoile dirigeante des hommes appelés à y jouer un rôle. En 1832, et à travers bien des difficultés de situation, de relations, d'habitudes, de caractère, c'était une idée de cet ordre qui avait présidé à la formation du cabinet du 11 octobre. Acteurs, conseillers ou spectateurs, tous ceux qui avaient pris part à l'événement avaient senti que l'union et l'action commune des hommes déjà éprouvés dans le travail du gouvernement monarchique et libre étaient l'impérieuse condition de son succès. Ce sentiment avait surmonté toutes les hésitations, tous les obstacles et déterminé toutes les conduites. Sentiment parfaitement sensé et clairvoyant, car les grandes oeuvres et les bonnes causes n'ont jamais échoué que par la désunion des hommes et des partis qui, au fond, formaient les mêmes voeux et avaient pour mission de concourir aux mêmes desseins. Cette idée dominante, cette grande lumière de 1832 disparut en 1836; et elle disparut dans une bien petite circonstance, devant une question très-secondaire et par des motifs bien légers ou bien personnels. La conversion plus ou moins prompte des rentes était, à coup sûr, fort loin de valoir l'abandon de l'union des personnes et des politiques qui, depuis 1830, travaillaient ensemble à fonder le gouvernement. Ce fut la faute de cette époque. La révolution de 1830 avait déjà fort rétréci le cercle et désuni les rangs des conseillers efficaces de la royauté sous le régime constitutionnel; la crise ministérielle de 1836 rompit le faisceau que, sous l'influence d'une pensée haute et prévoyante, celle de 1832 avait formé.

PIÈCES HISTORIQUES

I

Rapport au roi Louis-Philippe sur la publication d'un Manuel général de l'instruction primaire.

(19 octobre 1832.)

SIRE,

Le gouvernement de Juillet a dû comprendre, et il a compris la haute importance de l'instruction primaire: une puissante impulsion a été donnée, de grands résultats ont été obtenus. Pour les assurer et les étendre, une institution me paraît indispensable; je veux dire une publication périodique qui recueille et répande tout ce qui peut servir à l'amélioration des écoles et à l'instruction du peuple.

Bien peu d'instituteurs primaires ont reçu, dans les écoles normales récemment fondées, le secret des bonnes méthodes et les principes d'une éducation nationale. Ceux qui sortent de ces écoles demandent à être dirigés dans leurs études et dans leurs efforts; sans cela, leur zèle s'affaiblit, et bientôt une triste routine devient leur ressource dernière. Ainsi l'ignorance se maintient et se propage par ceux-là même qui sont chargés de la combattre, et les sacrifices faits par l'État, les départements, les communes, demeurent stériles.

Nos nouvelles institutions, spécialement celle des comités locaux, appellent d'ailleurs, à la surveillance des écoles, des citoyens que nulles études spéciales n'ont préparés à l'accomplissement de cette mission. C'est pour eux un assez grand sacrifice que de dérober à leurs intérêts et à leurs affaires quelques instants pour la surveillance qui leur est confiée. Il appartient donc à l'autorité qui les institue de leur adresser des instructions précises qui rendent cette surveillance plus facile pour eux-mêmes, et vraiment efficace pour les écoles qui en sont l'objet.

Pour satisfaire à ce besoin, des théories générales sont loin de suffire; il faut des indications précises, des conseils répétés. Chaque jour voit éclore, en matière d'enseignement, un nouveau livre, une méthode nouvelle: le pays doit s'en féliciter; mais ces inventions, ces essais ont besoin d'être appréciés avec science et indépendance. Des rapports précieux, pleins de faits et de vues, rédigés par les comités, les inspecteurs, les recteurs, les maires, les préfets, demeurent inconnus du public. Le gouvernement doit prendre soin de connaître et de répandre toutes les méthodes heureuses, de suivre tous les essais, de provoquer tous les perfectionnements.

Dans nos moeurs, dans nos institutions, un seul moyen offre assez d'action, assez de puissance pour assurer cette influence salutaire: c'est la presse.

Je propose donc à Votre Majesté d'autoriser en principe la publication d'un recueil périodique à l'usage des écoles primaires de tous les degrés.

Ce recueil devra contenir: 1° la publication de tous les documents relatifs à l'instruction populaire en France; 2° la publication de tout ce qui intéresse l'instruction primaire dans les principaux pays du monde civilisé; 3° l'analyse des ouvrages relatifs à l'instruction primaire; 4° des conseils et des directions propres à assurer le progrès de cette instruction dans toutes les parties du royaume.

Pour présenter toutes les garanties désirables, cette publication serait confiée à un haut fonctionnaire de l'Université, sous la direction du Conseil royal.

Ce fonctionnaire devra être pénétré de cette vérité que, si les institutions font les destinées des peuples, ce sont les moeurs qui font les institutions nationales, et que la base la plus inébranlable de l'ordre social est l'éducation morale de la Jeunesse.

Il comprendra aussi que les moeurs se rattachent aux convictions religieuses, et que l'action de la conscience ne se remplace par aucune autre. C'est en Hollande, en Allemagne, en Écosse que se trouvent les écoles les plus florissantes, les plus efficaces de notre époque; et dans tous ces pays, la religion s'associe à l'instruction primaire et lui prête le plus utile appui.

La France, Sire, ne restera point en arrière de tels exemples. Elle saura concilier des convictions profondes avec des lumières rapidement progressives, des moeurs fortes avec des institutions libres. C'est la mission de l'éducation nationale d'assurer ces beaux résultats. L'institution pour laquelle j'ai l'honneur de solliciter l'approbation de Votre Majesté me parait un des meilleurs moyens de les préparer.

Je suis avec le plus profond respect,
Sire,
De Votre Majesté,
Le très-humble, très-obéissant et
très-fidèle serviteur et sujet,

Le ministre secrétaire d'État au département de l'instruction publique, GUIZOT.

Approuvé: LOUIS-PHILIPPE.

II

Circulaire adressée le 18 juillet 1833 à tous les instituteurs primaires en leur envoyant la loi du 28 juin 1833.

Paris, 18 juillet 1833.

Monsieur, je vous transmets la loi du 28 juin dernier sur l'instruction primaire, ainsi que l'exposé des motifs qui l'accompagnait lorsque, d'après les ordres du Roi, j'ai eu l'honneur de la présenter, le 2 janvier dernier, à la Chambre des députés.

Cette loi, monsieur, est vraiment la charte de l'instruction primaire; c'est pourquoi je désire qu'elle parvienne directement à la connaissance et demeure en la possession de tout instituteur. Si vous l'étudiez avec soin, si vous méditez attentivement ses dispositions ainsi que les motifs qui en développent l'esprit, vous êtes assuré de bien connaître vos devoirs et vos droits, et la situation nouvelle que vous destinent nos institutions.

Ne vous y trompez pas, monsieur: bien que la carrière de l'instituteur primaire soit sans éclat, bien que ses soins et ses jours doivent le plus souvent se consumer dans l'enceinte d'une commune, ses travaux intéressent la société tout entière, et sa profession participe de l'importance des fonctions publiques. Ce n'est pas pour la commune seulement et dans un intérêt purement local que la loi veut que tous les Français acquièrent, s'il est possible, les connaissances indispensables à la vie sociale, et sans lesquelles l'intelligence languit et quelquefois s'abrutit: c'est aussi pour l'État lui-même et dans l'intérêt public; c'est parce que la liberté n'est assurée et régulière que chez un peuple assez éclairé pour écouter en toute circonstance la voix de la raison. L'instruction primaire universelle est désormais une des garanties de l'ordre et de la stabilité sociale. Comme tout, dans les principes de notre gouvernement, est vrai et raisonnable, développer l'intelligence, propager les lumières, c'est assurer l'empire et la durée de la monarchie constitutionnelle.

Pénétrez-vous donc, monsieur, de l'importance de votre mission; que son utilité vous soit toujours présente dans les travaux assidus qu'elle vous impose. Vous le voyez: la législation et le gouvernement se sont efforcés d'améliorer la condition et d'assurer l'avenir des instituteurs. D'abord le libre exercice de leur profession dans tout le royaume leur est garanti, et le droit d'enseigner ne peut être ni refusé, ni retiré à celui qui se montre capable et digne d'une telle mission. Chaque commune doit, en outre, ouvrir un asile à l'instruction primaire. A chaque école communale un maître est promis. A chaque instituteur communal un traitement fixe est assuré. Une rétribution spéciale et variable vient l'accroître. Un mode de perception, à la fois plus conforme à votre dignité et à vos intérêts, en facilite le recouvrement, sans gêner d'ailleurs la liberté des conventions particulières. Par l'institution des caisses d'épargne, des ressources sont préparées à la vieillesse des maîtres. Dès leur jeunesse, la dispense du service militaire leur prouve la sollicitude qu'ils inspirent à la société. Dans leurs fonctions, ils ne sont soumis qu'à des autorités éclairées et désintéressées. Leur existence est mise à l'abri de l'arbitraire ou de la persécution. Enfin l'approbation de leurs supérieurs légitimes encouragera leur bonne conduite et constatera leurs succès; et quelquefois même une récompense brillante, à laquelle leur modeste ambition ne prétendait pas, peut venir leur attester que le gouvernement du Roi veille sur leurs services et sait les honorer.

Toutefois, monsieur, je ne l'ignore point: la prévoyance de la loi, les ressources dont le pouvoir dispose ne réussiront jamais à rendre la simple profession d'instituteur communal aussi attrayante qu'elle est utile. La société ne saurait rendre, à celui qui s'y consacre, tout ce qu'il fait pour elle. Il n'y a point de fortune à faire, il n'y a guère de renommée à acquérir dans les obligations pénibles qu'il accomplit. Destiné à voir sa vie s'écouler dans un travail monotone, quelquefois même à rencontrer autour de lui l'injustice ou l'ingratitude de l'ignorance, il s'attristerait souvent et succomberait peut-être s'il ne puisait sa force et son courage ailleurs que dans les perspectives d'un intérêt immédiat et purement personnel. Il faut qu'un sentiment profond de l'importance morale de ses travaux le soutienne et l'anime, et que l'austère plaisir d'avoir servi les hommes et secrètement contribué au bien public devienne le digne salaire que lui donne sa conscience seule. C'est sa gloire de ne prétendre à rien au delà de son obscure et laborieuse condition, de s'épuiser en sacrifices à peine comptés de ceux qui en profitent, de travailler enfin pour les hommes et de n'attendre sa récompense que de Dieu.

Aussi voit-on que, partout où l'enseignement primaire a prospéré, une pensée religieuse s'est unie, dans ceux qui le répandent, au goût des lumières et de l'instruction. Puissiez-vous, monsieur, trouver dans de telles espérances, dans ces croyances dignes d'un esprit sain et d'un coeur pur, une satisfaction et une constance que peut-être la raison seule et le seul patriotisme ne vous donneraient pas!

C'est ainsi que les devoirs nombreux et divers qui vous sont réservés vous paraîtront plus faciles, plus doux et prendront sur vous plus d'empire. Il doit m'être permis, monsieur, de vous les rappeler. Désormais, en devenant instituteur communal, vous appartenez à l'instruction publique; le titre que vous portez, conféré par le ministre, est placé sous sa sauvegarde. L'Université vous réclame; en même temps qu'elle vous surveille, elle vous protège et vous admet à quelques-uns des droits qui font de l'enseignement une sorte de magistrature. Mais le nouveau caractère qui vous est donné m'autorise à vous retracer les engagements que vous contractez en le recevant. Mon droit ne se borne pas à vous rappeler les dispositions des lois et règlements que vous devez scrupuleusement observer; c'est mon devoir d'établir et de maintenir les principes qui doivent servir de règle morale à la conduite de l'instituteur, et dont la violation compromettrait la dignité du corps auquel il pourra appartenir désormais. Il ne suffit pas, en effet, de respecter le texte des lois; l'intérêt seul y pourrait contraindre, car elles se vengent de celui qui les enfreint; il faut encore et surtout prouver par sa conduite qu'on a compris la raison morale des lois, qu'on accepte volontairement et de coeur l'ordre qu'elles ont pour but de maintenir, et qu'à défaut de l'autorité on trouverait dans sa conscience une puissance sainte comme les lois et non moins impérieuse.

Les premiers de vos devoirs, monsieur, sont envers les enfants confiés à vos soins. L'instituteur est appelé par le père de famille au partage de son autorité naturelle; il doit l'exercer avec la même vigilance et presque avec la même tendresse. Non-seulement la vie et la santé des enfants sont remises à sa garde, mais l'éducation de leur coeur et de leur intelligence dépend de lui presque tout entière. En ce qui concerne l'enseignement proprement dit, rien ne vous manquera de ce qui peut vous guider. Non-seulement une École normale vous donnera des leçons et des exemples; non-seulement les comités s'attacheront à vous transmettre des instructions utiles, mais encore l'Université même se maintiendra avec vous en constante communication. Le Roi a bien voulu approuver la publication d'un journal spécialement destiné à l'enseignement primaire. Je veillerai à ce que le Manuel général répande partout, avec les actes officiels qui vous intéressent, la connaissance des méthodes sûres, des tentatives heureuses, les notions pratiques que réclament les écoles, la comparaison des résultats obtenus en France ou à l'étranger, enfin tout ce qui peut diriger le zèle, faciliter le succès, entretenir l'émulation.

Mais quant à l'éducation morale, c'est en vous surtout, monsieur, que je me fie. Rien ne peut suppléer en vous la volonté de bien faire. Vous n'ignorez pas que c'est là, sans aucun doute, la plus importante et la plus difficile partie de votre mission. Vous n'ignorez pas qu'en vous confiant un enfant, chaque famille vous demande de lui rendre un honnête homme et le pays un bon citoyen. Vous le savez: les vertus ne suivent pas toujours les lumières, et les leçons que reçoit l'enfance pourraient lui devenir funestes si elles ne s'adressaient qu'à son intelligence. Que l'instituteur ne craigne donc pas d'entreprendre sur les droits des familles en donnant ses premiers soins à la culture intérieure de l'âme de ses élèves. Autant il doit se garder d'ouvrir son école à l'esprit de secte ou de parti, et de nourrir les enfants dans des doctrines religieuses ou politiques qui les mettent pour ainsi dire en révolte contre l'autorité des conseils domestiques, autant il doit s'élever au-dessus des querelles passagères qui agitent la société, pour s'appliquer sans cesse à propager, à affermir ces principes impérissables de morale et de raison sans lesquels l'ordre universel est en péril, et à jeter profondément dans de jeunes coeurs ces semences de vertu et d'honneur que l'âge et les passions n'étoufferont point. La foi dans la Providence, la sainteté du devoir, la soumission à l'autorité paternelle, le respect dû aux lois, au prince, aux droits de tous, tels sont les sentiments qu'il s'attachera à développer. Jamais, par sa conversation ou son exemple, il ne risquera d'ébranler chez les enfants la vénération due au bien; jamais, par des paroles de haine ou de vengeance, il ne les disposera à ces préventions aveugles qui créent, pour ainsi dire, des nations ennemies au sein de la même nation. La paix et la concorde qu'il maintiendra dans son école doivent, s'il est possible, préparer le calme et l'union des générations à venir.

Les rapports de l'instituteur avec les parents ne peuvent manquer d'être fréquents. La bienveillance y doit présider: s'il ne possédait la bienveillance des familles, son autorité sur les enfants serait compromise, et le fruit de ses leçons serait perdu pour eux. Il ne saurait donc porter trop de soin et de prudence clans cette sorte de relations. Une intimité légèrement contractée pourrait exposer son indépendance, quelquefois même l'engager dans ces dissensions locales qui désolent souvent les petites communes. En se prêtant avec complaisance aux demandes raisonnables des parents, il se gardera bien de sacrifier à leurs capricieuses exigences ses principes d'éducation et la discipline de son école. Une école doit être l'asile de l'égalité, c'est-à-dire de la justice.

Les devoirs de l'instituteur envers l'autorité sont plus clairs encore et non moins importants. Il est lui-même une autorité dans la commune; comment donc donnerait-il l'exemple de l'insubordination? Comment ne respecterait-il pas les magistrats municipaux, l'autorité religieuse, les pouvoirs légaux qui maintiennent la sécurité publique? Quel avenir il préparerait à la population au sein de laquelle il vit si, par son exemple ou par des discours malveillants, il excitait chez les enfants cette disposition à tout méconnaître, à tout insulter, qui peut devenir dans un autre âge l'instrument de l'immoralité et quelquefois de l'anarchie!

Le maire est le chef de la commune; il est à la tête de la surveillance locale; l'intérêt pressant comme le devoir de l'instituteur est donc de lui témoigner en toute occasion la déférence qui lui est due. Le curé ou le pasteur ont aussi droit au respect, car leur ministère répond à ce qu'il y a de plus élevé dans la nature humaine. S'il arrivait que, par quelque fatalité, le ministre de la religion refusât à l'instituteur une juste bienveillance, celui-ci ne devrait pas sans doute s'humilier pour la reconquérir, mais il s'appliquerait de plus en plus à la mériter par sa conduite, et il saurait l'attendre. C'est au succès de son école à désarmer des préventions injustes; c'est à sa prudence à ne donner aucun prétexte à l'intolérance. Il doit éviter l'hypocrisie à l'égal de l'impiété. Rien d'ailleurs n'est plus désirable que l'accord du prêtre et de l'instituteur; tous deux sont revêtus d'une autorité morale; tous deux peuvent s'entendre pour exercer sur les enfants, par des moyens divers, une commune influence. Un tel accord vaut bien qu'on fasse, pour l'obtenir, quelques sacrifices, et j'attends de vos lumières et de votre sagesse que rien d'honorable ne vous coûtera pour réaliser cette union sans laquelle nos efforts pour l'instruction populaire seraient souvent infructueux.

Enfin; monsieur, je n'ai pas besoin d'insister sur vos relations avec les autorités spéciales qui veillent sur les écoles, avec l'Université elle-même: vous trouverez là des conseils, une direction nécessaire, souvent un appui contre des difficultés locales et des inimitiés accidentelles. L'administration n'a point d'autres intérêts que ceux de l'instruction primaire, qui au fond sont les vôtres. Elle ne vous demande que de vous pénétrer de plus en plus de l'esprit de votre mission. Tandis que de son côté elle veillera sur vos droits, sur vos intérêts, sur votre avenir, maintenez, par une vigilance continuelle, la dignité de votre état; ne l'altérez point par des spéculations inconvenantes, par des occupations incompatibles avec l'enseignement; ayez les yeux ouverts sur tous les moyens d'améliorer l'instruction que vous dispensez autour de vous. Les secours ne vous manqueront pas: dans la plupart des grandes villes, des cours de perfectionnement sont ouverts; dans les Écoles normales, des places sont ménagées aux instituteurs qui voudraient venir y retremper leur enseignement. Il devient chaque jour plus facile de vous composer à peu de frais une bibliothèque suffisante à vos besoins. Enfin, dans quelques arrondissements, dans quelques cantons, des conférences ont déjà été établies entre les instituteurs: c'est là qu'ils peuvent mettre leur expérience en commun, et s'encourager les uns les autres en s'aidant mutuellement.

Au moment où, sous les auspices d'une législation nouvelle, nous entrons tous dans une nouvelle carrière, au moment où l'instruction primaire va être l'objet de l'expérience la plus réelle et la plus étendue qui ait encore été tentée dans notre patrie, j'ai dû, monsieur, vous rappeler les principes qui guident l'administration de l'instruction publique et les espérances qu'elle fonde sur vous. Je compte sur tous vos efforts pour faire réussir l'oeuvre que nous entreprenons en commun: ne doutez jamais de la protection du gouvernement, de sa constante, de son active sollicitude pour les précieux intérêts qui vous sont confiés. L'universalité de l'instruction primaire est à ses yeux l'une des plus grandes et des plus pressantes conséquences de notre Charte; il lui tarde de la réaliser. Sur cette question comme sur toute autre, la France trouvera toujours d'accord l'esprit de la Charte et la volonté du Roi.

Recevez, etc.

III

Circulaire adressée le 13 août 1835 aux inspecteurs des écoles primaires institués par une ordonnance du Roi du 26 février 1835.

Monsieur l'inspecteur, le Roi, par son ordonnance du 26 février dernier, a institué sommairement les fonctions qui vous sont conférées; et le conseil royal de l'instruction publique, par un statut du 27 du même mois, auquel j'ai donné mon approbation, a réglé d'une manière plus explicite l'exercice de ces fonctions.

M. le recteur de l'Académie à laquelle vous appartenez est chargé de vous communiquer ces deux actes qui sont votre règle fondamentale.

Mais au moment de votre entrée en fonctions, j'ai besoin de vous faire connaître, avec précision et dans toute son étendue, la mission qui vous est confiée, et tout ce que j'attends de vos efforts.

La loi du 28 juin 1833 a désigné les autorités appelées à concourir à son exécution. Toutes ces autorités, les recteurs, les préfets, les comités, ont reçu de moi des instructions détaillées qui les ont dirigées dans leur marche. Je n'ai qu'à me louer de leur bon esprit et de leur zèle, et d'importants résultats ont déjà prouvé l'efficacité de leurs travaux. Cependant, au moment même où la loi a été rendue, tous les hommes éclairés ont pressenti que l'action de ces diverses autorités ne suffirait pas pour atteindre le but que la loi se proposait. La propagation et la surveillance de l'instruction primaire sont une tâche à la fois très-vaste et surchargée d'une infinité de détails minutieux; il faut agir partout et regarder partout de très-près; ni les recteurs, ni les préfets, ni les comités ne peuvent suffire à un tel travail.

Placés à la tête d'une circonscription très-étendue, les recteurs ne sauraient donner, aux nombreuses écoles primaires qu'elle contient, cette attention spéciale et précise dont elles ont besoin; ils ne sauraient visiter fréquemment les écoles, entrer inopinément dans celles des campagnes comme dans celles des villes, et y ranimer sans cesse par leur présence la règle et la vie. Ils sont contraints de se borner à des instructions générales, à une correspondance lointaine; ils administrent l'instruction primaire, ils ne sauraient la vivifier réellement.

L'instruction secondaire et les grands établissements qui s'y rattachent sont d'ailleurs l'objet essentiel de l'attention de MM. les recteurs: c'est là le résultat presque inévitable de la nature de leurs propres études et du système général d'instruction publique pour lequel ils ont été originairement institués. Leur autorité et leur surveillance supérieure sont indispensables à l'instruction primaire, mais on ne doit ni demander, ni attendre qu'ils s'y consacrent tout entiers.

Quant à MM. les préfets, ils ont déjà rendu, et ils seront constamment appelés à rendre à l'instruction primaire les plus importants services; elle se lie étroitement à l'administration publique; elle prend place dans les budgets de toutes les communes; elle a, dans chaque département, son budget particulier, que le préfet doit présenter chaque année au conseil général; elle donne lieu fréquemment à des travaux publics qui se rattachent à l'ensemble de l'administration. Le concours actif et bienveillant des préfets est donc essentiel, non-seulement à l'instruction première, mais à la prospérité permanente des écoles. Mais en même temps, il est évident que MM. les préfets, occupés avant tout des soins de l'administration générale, étrangers aux études spéciales qu'exige l'instruction primaire, ne sauraient la diriger.

L'intervention des comités dans les écoles est plus directe et plus rapprochée: ils influeront puissamment, partout où ils le voudront, sur leur bonne tenue et leur prospérité. Cependant, on ne saurait espérer non plus qu'ils y suffisent: réunis seulement à des intervalles éloignés pour se livrer à des travaux qui sortent du cercle de leurs occupations journalières, les notables qui en font partie ne peuvent porter, dans la surveillance de l'instruction primaire, ni cette activité constante et réglée qui n'appartient qu'à l'administration permanente, ni cette connaissance intime du sujet qu'on n'acquiert qu'en s'y dévouant spécialement et par profession. Si les comités n'existaient pas, ou s'ils négligeaient de remplir les fonctions que la loi leur attribue, l'instruction primaire aurait beaucoup à en souffrir, car elle demeurerait beaucoup trop étrangère aux notables de chaque localité, c'est-à-dire au public dont l'influence ne pénétrerait plus suffisamment dans les écoles; mais on se tromperait grandement si l'on croyait que cette influence peut suffire; il faut à l'instruction primaire l'action d'une autorité spéciale, vouée par état à la faire prospérer.

La loi du 28 juin 1833 n'est en exécution que depuis deux ans, et déjà l'expérience a démontré la vérité des considérations que je viens de vous indiquer. Recteurs, préfets, comités, tous ont apporté dans l'application de la loi, non-seulement la bonne volonté et le soin qu'on sera toujours en droit d'attendre d'eux, mais encore cette ardeur qui s'attache naturellement à toute grande amélioration nouvelle et approuvée du public: cependant, plus j'ai suivi de près et attentivement observé leur action et ses résultats, plus j'ai reconnu qu'elle était loin de suffire, et que ce serait se payer d'apparences que de croire qu'on peut faire, avec ces moyens, je ne dis pas tout le bien possible, mais seulement tout le bien nécessaire.

J'ai reconnu en même temps, et tous les administrateurs éclairés ont acquis la même conviction, que, malgré leur égale bonne volonté et leur empressement à agir de bon accord, le concours de ces diverses autorités à la direction de l'instruction primaire donnait lieu quelquefois à des tâtonnements, à des frottements fâcheux, qu'il manquait entre elles un lien permanent, un moyen prompt et facile de s'informer réciproquement, de se concerter et d'exercer, chacune dans sa sphère, les attributions qui leur sont propres, en les faisant toutes converger, sans perte de temps ni d'efforts, vers le but commun.

Combler toutes ces lacunes, faire, dans l'intérêt de l'instruction primaire, ce que ne peut faire ni l'une ni l'autre des diverses autorités qui s'en occupent, servir de lien entre ces autorités, faciliter leurs relations, prévenir les conflits d'attributions et l'inertie ou les embarras qui en résultent, tel est, monsieur l'inspecteur, le caractère propre de votre mission. D'autres pouvoirs s'exerceront concurremment avec le vôtre dans le département qui vous est confié; le vôtre seul est spécial et entièrement adonné à une seule attribution. M. le recteur, M. le préfet, MM. les membres des comités se doivent en grande partie à d'autres soins: vous seul, dans le département, vous êtes l'homme de l'instruction primaire seule. Vous n'avez point d'autres affaires que les siennes, sa prospérité fera toute votre gloire. C'est assez dire que vous lui appartenez tout entier, et que rien de ce qui l'intéresse ne doit vous demeurer étranger.

Votre première obligation sera donc de prêter, aux diverses autorités qui prennent part à l'administration de l'instruction primaire, une assistance toujours dévouée. Quels que soient les travaux dans lesquels vous pourrez les seconder, tenez-les à honneur, et prenez-y le même intérêt qu'à vos propres attributions. Je ne saurais énumérer ici d'avance tous ces travaux, et après la recommandation générale que je vous adresse, j'espère qu'une telle énumération n'est point nécessaire. Cependant, je crois devoir vous indiquer quelques-uns des objets sur lesquels je vous invite spécialement à mettre à la disposition de MM. les recteurs, de MM. les préfets et des comités, votre zèle et votre travail.

Le 31 juillet 1834, j'ai annoncé à MM. les préfets que MM. les inspecteurs des écoles primaires concourraient à la préparation des tableaux relatifs aux dépenses ordinaires des écoles primaires communales, tableaux dressés jusqu'à présent par les soins réunis de ces magistrats et de MM. les recteurs. Le 20 avril dernier, j'ai donné à MM. les recteurs le même avis. Les recherches que les bureaux des préfectures ont à faire pour cet objet absorbent souvent le temps que réclament aussi des affaires non moins urgentes, et cette complication peut nuire à l'exactitude du travail. D'un autre côté, le personnel des bureaux des académies est trop peu considérable pour que les recteurs demeurent chargés de la partie de ces tableaux qui leur est confiée. Nul ne pourra mieux que vous rédiger ce travail qui sera désormais placé dans vos attributions. Le registre du personnel des instituteurs que vous devez tenir, les nominations, révocations et mutations récentes dont il vous sera donné connaissance, vos inspections, l'examen des délibérations des conseils municipaux, ainsi que des budgets des communes qui vous seront communiqués dans les bureaux de la préfecture, vous fourniront les éléments nécessaires pour dresser avec exactitude ce tableau dont les cadres vous seront remis, et qui fera connaître le nom des instituteurs en exercice au 1er janvier de chaque année, leur traitement, les frais de location des maisons d'école, ou les indemnités de logement accordées aux instituteurs, enfin le montant des fonds communaux, départementaux et de l'État affectés au payement de ces dépenses.

Vous soumettrez ce tableau à la vérification de M. le préfet, qui doit me l'adresser dans les quinze premiers jours du mois de janvier.

Vous suivrez la même marche à l'égard de l'état des changements survenus pendant chaque trimestre parmi les instituteurs. Cet état sera rédigé par vous et remis à M. le préfet, qui me le transmettra dans les quinze jours qui suivront l'expiration du trimestre.

Vous vous ferez remettre les budgets des dépenses des comités d'arrondissement et des commissions d'instruction primaire, et vous les transmettrez avec vos observations à MM. les recteurs.

Le service de l'instruction primaire exige un certain nombre d'imprimés qui sont distribués en petite quantité dans les départements. Pour diminuer les dépenses que chaque département aurait à supporter si MM. les préfets étaient obligés de faire préparer ces imprimés, j'ai décidé qu'ils seraient fournis à chaque département par l'Imprimerie royale, sauf remboursement sur les fonds votés par le conseil général. Ces imprimés seront adressés aux inspecteurs qui en feront la répartition entre les fonctionnaires auxquels ils seront nécessaires.

Un règlement sur la comptabilité des dépenses de l'instruction primaire, dans lequel sera déterminée la part que les inspecteurs des écoles primaires devront prendre à ces travaux, sera très-incessamment adressé à MM. les recteurs et à MM. les préfets.

Un statut que je prépare réglera de même les devoirs de MM. les inspecteurs des écoles primaires relativement aux caisses d'épargne qui seront établies.

J'en viens maintenant aux fonctions qui vous sont propres et dans lesquelles vous serez appelé, non plus à concourir avec d'autres autorités, mais à agir par vous-même et seul, sous la direction du recteur et du préfet.

Votre premier soin doit être, ainsi que le prescrit l'article 1er du statut du 27 février, de dresser chaque année le tableau des écoles de votre ressort qui devront être, de votre part, l'objet d'une visite spéciale. Ce serait mal comprendre le but de cette disposition que d'y chercher une excuse préparée à la négligence, ou une autorisation de choisir, parmi les écoles soumises à votre inspection, celles qui vous promettraient un plus prompt succès et moins de fatigue. Gardez-vous bien même d'en conclure qu'il vous suffira de visiter les établissements les plus importants, tels que les écoles des chefs-lieux d'arrondissement et de canton. En principe, toutes les écoles du département ont droit à votre visite annuelle; mais cette visite ne doit pas être une pure formalité; une course rapide et vaine; et l'article 1er du Statut a voulu pourvoir au cas, malheureusement trop fréquent, où l'étendue de votre ressort vous mettrait dans l'impossibilité d'en inspecter réellement et sérieusement chaque année toutes les écoles. Dans le choix que vous serez appelé à faire, sans doute les écoles des villes trouveront leur place, mais je n'hésite pas à appeler spécialement sur les écoles des campagnes toute votre sollicitude. Placées au milieu d'une population plus active, plus près des comités qui les régissent, sous la conduite de maîtres plus expérimentés, encouragées et animées par la concurrence, les écoles des villes trouvent dans leur situation seule des causes efficaces de prospérité: il vous sera facile d'ailleurs de les visiter accidentellement et lorsque des motifs variés vous attireront dans les lieux où elles sont situées. Mais les établissements qui doivent surtout être de votre part l'objet d'une surveillance persévérante et systématiquement organisée, ce sont les écoles que la loi du 28 juin 1833 a fait naître dans les campagnes, loin des ressources de la civilisation et sous la direction de maîtres moins éprouvés; c'est là surtout que vos visites sont nécessaires et seront vraiment efficaces. En voyant que ni la distance, ni la rigueur des saisons, ni la difficulté des chemins, ni l'obscurité de son nom ne vous empêchent de vous intéresser vivement à elle, et de lui apporter le bienfait de l'instruction qui lui manque, cette population, naturellement laborieuse, tempérante et sensée, se pénétrera pour vous d'une véritable reconnaissance, s'accoutumera à mettre elle-même beaucoup d'importance à vos travaux, et ne tardera pas à vous prêter, pour la prospérité des écoles rurales, son appui modeste, mais sérieux.

Pour dresser le tableau des écoles que vous aurez à visiter spécialement, vous aurez soin de vous concerter d'avance avec M. le recteur et M. le préfet, afin qu'aucune de celles qui leur paraîtraient mériter une attention particulière ne soit omise sur ce tableau; vous consulterez chaque année le rapport de votre inspection précédente; et, pour l'inspection prochaine qui doit commencer vos travaux, j'aurai soin que M. le recteur de l'Académie vous remette le rapport des inspecteurs qui ont été extraordinairement chargés, en 1833, de visiter les écoles de votre département. Vous trouverez dans les bureaux de la préfecture les états que les comités ont dû dresser de la situation des écoles primaires en 1834. Vous étudierez avec soin les observations consignées dans ces divers tableaux, et, d'après l'état des écoles à cette époque, il vous sera facile de connaître celles qui exigent aujourd'hui votre première visite. Les rapports des comités transmis par vous à M. le recteur et dont vous aurez pris aussi préalablement connaissance, serviront de même à fixer votre détermination. Enfin, l'article 15 de l'ordonnances du 16 juillet 1833 m'ayant chargé de faire dresser tous les ans un état des communes qui ne possèdent point de maisons d'école, et de celles qui n'en ont pas en nombre suffisant ou de convenablement disposées, cet état a été rédigé au commencement de 1834 par les soins des comités d'arrondissement; il est déposé à la préfecture; vous ne négligerez pas d'en prendre communication avant votre départ, afin de pouvoir plus sûrement rédiger vous-même un semblable état pour 1835, d'après la série de questions et le modèle que je vous ferai remettre à cet effet; vous consignerez, après votre inspection, le résultat de vos visites locales et les renseignements recueillis par vous près des comités.

Pour réunir tous les éléments qu'exigera la rédaction de cet état, il sera nécessaire que vous visitiez toutes les communes de votre département, même celles où il n'existe pas encore d'instituteur; vous les placerez dans votre itinéraire de la manière que vous jugerez la plus convenable pour vous mettre promptement en mesure de constater, à cet égard, l'état des choses et d'assurer l'exécution de la loi.

Quant à l'époque à laquelle votre inspection doit avoir lieu, je ne saurais vous donner à cet égard aucune règle générale et précise: sans doute il serait désirable que toutes les époques de l'année offrissent à l'inspecteur des écoles également peuplées, et qu'elles ne fussent désertes que pendant les vacances déterminées par les statuts; c'est le voeu de la loi, c'est le droit des communes qui assurent un traitement annuel à l'instituteur, et vous ne sauriez trop employer votre influence à combattre, sur ce point, les mauvaises habitudes des familles. Mais, avant qu'elles aient enfin ouvert les yeux sur leurs véritables intérêts, longtemps encore, dans les campagnes, le retour des travaux rustiques disputera les enfants aux travaux de l'école, et peut-être y a-t-il ici, dans la situation même des classes laborieuses, une difficulté qu'on ne saurait espérer de surmonter absolument. Quoi qu'il en soit, dans l'état actuel des choses, l'automne et l'hiver sont la vraie saison des écoles, et vous ne pourrez guère visiter avec fruit pendant le printemps, et surtout pendant l'été, que les écoles urbaines, moins exposées que les autres à ces émigrations fâcheuses.

Il ne conviendrait pas non plus de prendre pour époque de votre départ le moment même où la cessation des travaux champêtres donne aux enfants le premier signal de la rentrée des classes: pour juger l'enseignement des maîtres et le progrès des élèves, il faut attendre que plusieurs semaines d'exercice régulier aient permis à l'instituteur de mettre en jeu sa méthode et de renouveler chez les enfants cette aptitude, et, pour ainsi dire, cette souplesse intellectuelle qu'émoussent aisément six mois de travaux rudes et grossiers.

Autant que l'on peut déterminer d'avance, et d'une façon générale, une limite subordonnée à tant de circonstances particulières, je suis enclin à penser que, pour les écoles rurales, c'est vers le milieu du mois de novembre que devront commencer d'ordinaire les fatigues de votre inspection. Quant aux écoles urbaines, il vous sera beaucoup plus facile de choisir dans tout le cours de l'année le moment convenable pour les visiter. Je m'en rapporterai, du reste, à cet égard, aux renseignements que vous recueillerez vousmême dans votre département, et aux conseils que vous donneront les diverses autorités.

Quand vous aurez ainsi dressé le tableau des écoles que doit atteindre votre visite annuelle et déterminé l'époque de votre départ, quand vous aurez reçu de M. le recteur et de M. le préfet des instructions particulières sur des questions que leur correspondance habituelle n'aurait pas suffisamment éclaircies, quand votre itinéraire enfin sera revêtu de leur approbation, vous en donnerez connaissance aux comités dont vous devrez parcourir la circonscription et aux maires des communes que vous devrez visiter. Peut-être votre apparition inattendue dans une école vous offrirait-elle un moyen plus sûr d'en apprécier la situation; et, lorsque vous aurez de justes sujets de défiance sur la conduite du maître et sur la tenue de son école, vous ferez bien de vous y présenter à l'improviste, ou de vous concerter avec les autorités locales pour qu'elles tiennent secret l'avis que vous leur aurez donné de votre prochaine arrivée. Mais, en général, les communications que vous aurez, dans le cours de votre inspection, soit avec les comités, soit avec les maires et les conseils municipaux, sont trop précieuses pour que vous couriez le risque d'en être privé en ne les trouvant pas réunis à jour fixe. Vous échapperez aisément aux pièges que pourraient vous tendre quelques instituteurs en préparant d'avance leurs élèves à surprendre votre suffrage; un oeil exercé n'est pas dupe de ces représentations d'apparat. La présence des membres du conseil municipal, ou du comité local, ou du comité d'arrondissement, qui souvent vous accompagneront dans l'école, en donnant plus de solennité à votre inspection, vous mettra aussi à couvert de toute espèce de fraude de la part du maître, ou vous en seriez promptement averti par leur propre étonnement. Je ne doute pas, d'ailleurs, que vous ne preniez les précautions propres à vous garantir de toute surprise, en vous faisant remettre, par exemple, l'état nominatif des élèves qui fréquentent l'école, et en vous assurant qu'on n'y a pas appelé ce jour-là des enfants qui n'en font plus partie pour faire briller leur savoir, ni exclus de l'examen ceux dont on aurait voulu dissimuler la faiblesse.

Aux termes de l'article 1er du statut du 27 février, vos premières relations, dans le cours de votre inspection, seront avec les comités. Je ne saurais trop vous recommander de prendre soin que vos communications avec eux ne soient pas à leurs yeux une pure et vaine formalité. Appliquez-vous à les convaincre de l'importance que l'administration supérieure attache à leur intervention; et, pour y réussir, recueillez avec soin et ne laissez jamais tomber dans l'oubli les renseignements qu'ils vous fourniront. Rien ne blesse et ne décourage plus les hommes notables qui, dans chaque localité, prêtent à l'administration leur libre concours, que de la voir traiter avec légèreté les faits locaux dont ils l'informent. Vous vous appliquerez en même temps à tenir les comités au courant des idées générales d'après lesquelles se dirige l'administration supérieure: c'est surtout à cet égard que les comités locaux sont sujets à se tromper; le désir même des perfectionnements les égare souvent; vivant dans un horizon resserré, et manquant de termes de comparaison, ils se laissent aisément séduire par les promesses de progrès que répand une charlatanerie frivole, et tombent ainsi dans des tentatives d'innovation souvent malheureuses. C'est en faisant pénétrer dans les comités les vues de l'administration que vous les prémunirez contre ce péril, et que, sans faire violence aux circonstances locales, vous maintiendrez dans le régime de l'instruction primaire l'unité et la régularité qui feront sa force.

Vous rencontrerez presque toujours dans chaque comité un ou deux membres qui se seront plus soigneusement occupés des écoles, et qui leur porteront un zèle particulier. Il n'est guère de petite ville, de population un peu agglomérée, qui n'offre quelques hommes de cette trempe; mais ils se découragent souvent, soit à cause de la froideur de leurs alentours, soit à cause de l'indifférence de l'administration supérieure. Recherchez avec soin de tels hommes, honorez leur zèle, demandez-leur de vous accompagner dans les écoles, ne négligez rien pour les convaincre de la reconnaissance que leur porte l'administration. Ce serait de sa part un tort grave de ne pas savoir attirer et grouper autour d'elle, dans chaque localité, les hommes d'une bonne volonté active et désintéressée; rien ne peut suppléer au mouvement qu'ils répandent autour d'eux, et à la force qu'ils procurent à l'administration lorsqu'elle prend soin elle-même de les encourager et de les soutenir.

Indépendamment des comités, vous aurez à traiter, dans toutes les communes que vous visiterez, avec les autorités civiles et religieuses qui interviennent dans les écoles, avec les maires, les conseils municipaux, les curés ou les pasteurs. Vos bonnes relations avec ces diverses personnes sont de la plus haute importance pour la prospérité de l'instruction primaire; ne craignez pas d'entrer avec elles dans de longues conversations sur l'état et les intérêts de la commune; recueillez tous les renseignements qu'elles voudront vous fournir; donnez-leur, sur les démarches diverses qu'elles peuvent avoir à faire dans l'intérêt de leur école; toutes les explications, toutes les directions dont elles ont besoin; faites appel à l'esprit de famille, aux intérêts et aux sentiments de la vie domestique: ce sont là, dans le modeste horizon de l'activité communale, les mobiles à la fois les plus puissants et les plus moraux qu'on puisse mettre en jeu.

Je vous recommande spécialement d'entretenir avec les curés et les pasteurs les meilleures relations. Appliquez-vous à leur bien persuader que ce n'est point par pure convenance et pour étaler un vain respect que la loi du 28 juin 1833 a inscrit l'instruction morale et religieuse en tête des objets de l'instruction primaire; c'est sérieusement et sincèrement que nous poursuivrons le but indiqué par ces paroles, et que nous travaillerons, dans les limites de notre pouvoir, à rétablir dans l'âme des enfants l'autorité de la religion. Croyez bien qu'en donnant à ses ministres cette confiance, et en la confirmant par toutes les habitudes de votre conduite et de votre langage, vous vous assurerez presque partout, pour les progrès de l'éducation populaire, le plus utile appui.

J'inviterai MM. les préfets à donner les ordres nécessaires pour la convocation des conseils municipaux dans toutes les communes que vous devrez visiter.

Quant à l'inspection que vous avez à faire dans l'intérieur même des écoles, je ne puis vous donner que des instructions très-générales, et déjà contenues dans les art. 2 et 3 du statut du 27 février; ce sera à vous de juger, dans chaque localité, comment vous devez vous y prendre, quelles questions vous devez faire pour bien connaître et apprécier la tenue de l'école, le mérite des méthodes du maître et le degré d'instruction des élèves. Je vous invite seulement à ne jamais vous contenter d'un examen superficiel et fait en courant; non-seulement vous n'en recueilleriez pour l'administration que des notions inexactes et trompeuses, mais vous compromettriez auprès des assistants votre caractère et votre influence. Rien ne discrédite plus l'autorité que les apparences de la légèreté et de la précipitation, car tout le monde se flatte alors de lui cacher ce qu'elle a besoin de connaître, ou d'éluder ce qu'elle aura prescrit.

Je vous recommande, dans vos relations avec les maîtres, au sein même de l'école, de ne rien faire et de ne rien dire qui puisse altérer le respect ou la confiance que leur portent les élèves. Nourrir et développer ces sentiments doit être le but principal de l'éducation et de tous ceux qui y concourent. Recueillez sur les maîtres tous les renseignements, donnez leur à eux-mêmes en particulier tous les avertissements qui vous paraîtront nécessaires; mais qu'à votre sortie de l'école, le maître ne se sente jamais affaibli ou déchu dans l'esprit de ses élèves et de leurs parents.

Les résultats de votre inspection annuelle seront consignés dans des tableaux dont je vous ferai remettre les cadres. Les faits statistiques relatifs aux communes et aux écoles que vous n'aurez pu visiter y seront inscrits d'après les renseignements que vous vous ferez adresser par les comités locaux. Une colonne spéciale sera ouverte, dans le tableau de la situation des écoles, pour recevoir vos observations sur la capacité, l'aptitude, le zèle et la conduite morale des instituteurs. Je vous recommande de la remplir avec soin, au fur et à mesure que vous aurez visité chaque école, et avant que les impressions que vous aurez reçues aient pu s'altérer ou s'effacer.

L'état de situation des écoles primaires, divisé en autant de cahiers qu'il y a de comités d'arrondissement dans le département, sera remis en quadruple expédition dans le mois de janvier à chacun de ces comités, qui y consignera ses observations, et en enverra une expédition au recteur, au préfet et au ministre. La quatrième restera déposée dans ses archives.

Quant aux observations générales qui auraient pour objet de me faire connaître la situation de l'instruction primaire dans l'ensemble du département, ses besoins divers, les difficultés qui retardent sa propagation sur tel ou tel point du territoire, les moyens de l'améliorer, enfin, tous les faits qui ne pourraient trouver place dans le cadre de l'état de situation, vous les consignerez dans le rapport annuel qui vous est prescrit par l'article 9 du statut du 27 février, et que vous devez envoyer au recteur et au préfet, qui me le transmettront avec leurs observations.

Après les écoles primaires communales qui sont le principal objet de votre mission, divers établissements d'instruction primaire, et notamment les écoles normales primaires, les écoles primaires supérieures, les salles d'asile et les écoles d'adultes doivent aussi vous occuper.

Sur les deux premières classes d'établissements, j'ai peu de chose à ajouter aux prescriptions des articles 4 et 5 du statut du 27 février. Je vous recommande seulement, en ce qui concerne les écoles primaires supérieures, de ne rien négliger pour en presser la fondation dans les communes où elle doit avoir lieu. Ces établissements sont destinés à satisfaire aux besoins d'éducation d'une population nombreuse et importante, pour qui la simple instruction primaire est insuffisante et l'instruction classique inutile. En vous prescrivant chaque année, sur chaque école primaire supérieure, un rapport spécial et détaillé, le statut du 27 février vous indique quelle importance s'attache à ces établissements. Quand j'aurai recueilli, sur les essais déjà tentés en ce genre, de plus amples renseignements, je vous adresserai, à ce sujet, des instructions particulières.

Vous ne sauriez prêter à l'école normale primaire de votre département une trop constante attention, ni en suivre de trop près les travaux: entretenez avec son directeur des relations aussi intimes qu'il vous sera possible; de vous et de lui dépend la destinée de l'instruction primaire dans le département; vous serez chargé de suivre et de diriger, dans chaque localité, les maîtres qu'il aura formés au sein de l'école. Votre bonne intelligence, l'unité de vos vues, l'harmonie de vos influences sont indispensables pour assurer votre succès et le sien. Votre situation vous appelle l'un et l'autre à contracter ensemble une véritable fraternité de pensées et d'efforts. Qu'elle soit réelle et animée par un profond sentiment de vos devoirs communs: votre tâche à l'un et à l'autre en sera bien plus facile, et votre action bien plus efficace.

Lorsque vous aurez à communiquer des instructions au directeur de l'école normale, lorsque vous croirez devoir lui donner des conseils ou lui adresser des observations sur la marche de son établissement, faites-le avec tous les ménagements que demande votre position respective. Si vous remarquiez qu'il n'eut pas déféré à vos conseils ou à vos observations, vous réclameriez l'intervention du recteur ou du préfet, selon qu'il s'agirait de l'enseignement ou de quelque fait administratif dépendant de l'administration générale.

Les salles d'asile et les écoles d'adultes commencent à se multiplier; cependant ce ne sont pas encore des établissements assez nombreux ni assez régulièrement organisés pour que je puisse vous adresser dès ce moment, à leur sujet, toutes les instructions nécessaires; elles vous parviendront plus tard.

Les écoles privées sont aussi placées sous votre inspection: sans exercer sur elles une surveillance aussi habituelle que sur les écoles communales, vous ne devez cependant pas négliger de les visiter de temps en temps, surtout dans les villes où elles sont nombreuses et importantes. Dans ces visites vous ne ferez pas, de l'enseignement et des méthodes, l'objet particulier de votre attention; il est naturel que les écoles privées exercent à cet égard toute la liberté qui leur appartient; mais vous porterez, sur la tenue et l'état moral de ces écoles, un regard attentif: c'est le pressant intérêt des familles et le devoir de l'autorité publique. Les maîtres qui les dirigent ont d'ailleurs à remplir des obligations légales dont vous devez constater l'accomplissement.

Les renseignements que vous recueillerez sur les écoles privées seront aussi consignés dans les états de situation de l'instruction primaire.

Il me reste à vous entretenir de quelques fonctions particulières qui vous sont également confiées, et qui, bien qu'elles ne concernent pas l'inspection des écoles, n'en sont pas moins, pour l'instruction primaire en général, de la plus haute importance.

La première est votre participation aux travaux de la commission établie en vertu de l'article 35 de la loi du 28 juin 1833, et qui est chargée de l'examen de tous les aspirants aux brevets de capacité, ainsi que des examens d'entrée et de sortie, et de fin d'année, des élèves-maîtres des écoles normales primaires du département.

Des travaux de ces commissions dépend peut-être, presque autant que de toute autre cause, l'avenir de l'instruction primaire: le vice de la plupart des examens parmi nous, c'est de dégénérer en une formalité peu sérieuse où la complaisance de l'examinateur couvre la faiblesse du candidat: On s'accoutume ainsi d'une part, à nuire à la société en déclarant capables ceux qui ne le sont point: d'autre part, à traiter légèrement les prescriptions légales, et à les convertir en une sorte de mensonge officiel, ce qui est un mal moral au moins aussi grave. J'espère que les commissions d'instruction primaire ne tomberont point dans un tel vice; vous êtes spécialement appelé à y veiller: les examens dont elles sont chargées doivent être sérieux et réellement propres à constater la capacité des candidats. N'oubliez jamais, monsieur, et rappelez constamment, aux membres des commissions au sein desquelles vous aurez l'honneur de siéger, que, munis de leur brevet de capacité, les instituteurs admis par elles pourront aller se présenter partout, et obtenir de la confiance des communes le soin de donner l'éducation primaire à des générations qui n'en recevront point d'autre.

Quant à l'étendue de l'exigence qu'il convient d'apporter dans ces examens, elle est réglée par les dispositions mêmes de la loi qui détermine les objets de l'instruction primaire, élémentaire et supérieure. Souvent les candidats essayent de faire beaucoup valoir des connaissances en apparence assez variées; ne vous laissez jamais prendre à ce piège; exigez toujours, comme condition absolue de l'admission, une instruction solide sur les matières qui constituent vraiment l'instruction primaire. Sans doute il convient de tenir compte aux candidats des connaissances qu'ils peuvent posséder au delà de ce cercle; mais ces connaissances ne doivent jamais servir à couvrir la légèreté de leur savoir dans l'intérieur même du cercle légal.

Je ne saurais trop vous recommander de donner, au rapport spécial que vous aurez à m'adresser à chaque session, sur les opérations des commissions d'examen, votre plus scrupuleuse attention.

L'article 7 du statut du 27 février vous charge encore d'assister, aussi souvent que vous le pourrez, aux conférences d'instituteurs qui auront été dûment autorisées dans votre département; je me propose, à mesure que ces conférences se multiplieront, de recueillir à leur sujet tous les renseignements de quelque importance, et de vous adresser ensuite, sur leur tenue et sur la manière dont il convient de les régler, des instructions particulières. En attendant, vous veillerez à ce que de telles réunions ne soient jamais détournées de leur objet: il pourrait se faire que, soit par des prétentions chimériques, soit dans des vues moins excusables encore, on essayât dans quelques lieux d'y faire pénétrer des questions qui doivent en être absolument bannies. L'instruction primaire serait non-seulement compromise, mais pervertie, le jour où les passions politiques essayeraient d'y porter la main. Elle est essentiellement, comme la religion, étrangère à toute intention de ce genre, et uniquement dévouée au développement de la moralité individuelle et au maintien de l'ordre social.

En vous appelant à donner votre avis motivé sur toutes les propositions et encouragements de tout genre en faveur de l'instruction primaire, et à constater le résultat des allocations accordées, l'article 8 du statut du 27 février vous impose un travail minutieux, mais d'une grande utilité. Trop souvent les encouragements et les secours sont accordés un peu au hasard, et livrés ensuite à un hasard nouveau, celui de l'exécution. Il est indispensable que l'administration, en les accordant, sache bien ce qu'elle fait, et qu'après les avoir accordés, elle sache encore si ce qu'elle a voulu faire se fait réellement. Ne craignez, en pareille matière, ni l'exactitude des investigations, ni la prolixité des détails; vous resterez probablement toujours au-dessous de ce qu'exigerait la nécessité.

Je pourrais, monsieur l'inspecteur, donner aux instructions que je vous adresse beaucoup plus de développement; mais elles sont déjà fort étendues, et j'aime mieux, quant aux conséquences des principes qui y sont posés, m'en rapporter à votre sagacité et à votre zèle. J'appelle, en finissant, toute votre attention sur l'idée qui me préoccupe constamment moi-même. Vous êtes chargé, autant, et peut-être plus que personne, de réaliser les promesses de la loi du 28 juin 1833, car c'est à vous d'en suivre l'application dans chaque cas particulier, et jusqu'au moment définitif où elle s'accomplit. Ne perdez jamais de vue que, dans cette grande tentative pour fonder universellement et effectivement l'éducation populaire, le succès dépend essentiellement de la moralité des maîtres et de la discipline des écoles. Ramenez, sans cesse sur ces deux conditions votre sollicitude et vos efforts. Qu'elles s'accomplissent de plus en plus; que le sentiment du devoir et l'habitude de l'ordre soient incessamment en progrès dans nos écoles; que leur bonne renommée s'affermisse et pénètre au sein de toutes les familles. La prospérité de l'instruction primaire est, à ce prix, aussi bien que son utilité.

Recevez, etc.

Le ministre secrétaire d'État de l'instruction publique. Signé: GUIZOT.

IV

Correspondance entre l'abbé J.-M. de la Mennais et M. Guizot sur les écoles primaires de la Congrégation de l'instruction chrétienne.

1° L'abbé J.-M. de la Mennais à M. Guizot.

Ploërmel, le 15 octobre 1836.

Monsieur le Ministre,

Je suis heureux d'avoir à renouveler avec vous d'anciens rapports dont le souvenir me sera toujours bien doux, et qui ont si puissamment encouragé et soutenu mes efforts pour répandre l'instruction primaire dans notre Bretagne. J'ai la consolation de voir mes établissements se multiplier et prospérer, malgré des difficultés de détail sans cesse renaissantes et qui fatiguent quelquefois. Cependant elles sont moins nombreuses et moins vives qu'elles ne l'ont été; on reconnaît généralement aujourd'hui qu'il n'y a guère d'écoles possibles dans nos communes rurales que celles des frères: aussi, à la fin de la retraite où je les ai tous réunis dernièrement, ne m'en est-il pas resté un seul de disponible, et si chacun d'eux avait été partagé en quatre, il n'y en aurait pas eu encore assez pour satisfaire à toutes les demandes.

Je dois donc m'occuper plus que jamais de peupler mon noviciat, et c'est toujours là ce qui m'embarrasse; non qu'il ne se présente des sujets, mais ce sont presque toujours des jeunes gens qui n'ont rien, qui savent fort peu de chose au moment où ils arrivent, et qu'il faut garder longtemps pour qu'ils deviennent capables. Sous certains rapports, leur pauvreté même est un avantage; leurs moeurs sont plus simples et plus pures, leur esprit est plus solide; ils n'ont aucune habitude dispendieuse, aucun goût de luxe; nés dans les campagnes, ils y retournent plus volontiers que d'autres; ils y vivent à moins de frais, et ils n'aspirent point à un état plus élevé: mais habiller et nourrir ces pauvres et si excellents enfants, jusqu'à ce qu'ils soient en état de diriger une école, c'est une dépense énorme; et il serait inutile, sans doute, de chercher à vous convaincre de la nécessité où je suis, plus que jamais, de continuer à réclamer de vous des secours. Pour 1836, vous avez bien voulu m'allouer 3,000 fr.; pour 1837, vous me donnerez tout ce que vous pourrez me donner, j'en suis sûr d'avance: c'est pourquoi je n'insiste pas pour obtenir davantage, malgré tous les motifs que j'ai de le désirer ardemment. Je me confie entièrement dans la bienveillance généreuse dont vous m'avez honoré, et si je me hâte d'y avoir recours, c'est parce qu'il est très-important pour moi de recevoir, dès le commencement de 1837, la somme que vous m'accorderez. En conséquence, je vous prie, monsieur le ministre, de l'ordonnancer le plus tôt qu'il vous sera possible, comme vous l'avez fait l'année dernière avec tant de bonté.

Vous apprendrez avec plaisir que le Finistère, si arriéré jusqu'ici, me demande des écoles, depuis que je suis parvenu à y en établir… une…, qui a eu un grand succès. A tous ceux qui m'écrivent de ce pays-là pour en avoir de semblables, je réponds: «Envoyez-moi des sujets et payez pour eux;» mais cette condition déconcerte. De même, aux instances très-pressantes que l'on me fait de diverses provinces de France pour me déterminer à y fonder des noviciats, je réponds encore: «Envoyez-moi des sujets et payez pour eux;» cette si juste parole ne satisfait personne, et on abandonne un projet dont l'exécution exigerait quelque sacrifice. D'un autre côté, M. le ministre de la marine a chargé M. le préfet du Morbihan de m'exprimer son désir d'avoir quelques-uns de mes frères pour l'instruction des esclaves affranchis de la Martinique et de la Guadeloupe: je n'ai pas dit non, car ce serait une si belle et si sainte oeuvre! Mais je n'ai pas encore dit oui, car la triste objection revient toujours: où prendre assez de sujets pour suffire à tant de besoins, et pourquoi les jeter si loin quand on en a si peu?—Ah! si j'étais aidé comme je voudrais l'être!…

Je suis avec respect,
Monsieur le ministre,
Votre très-humble et
très-obéissant serviteur,
L'abbé J.-M. DE LA MENNAIS.

M. Guizot à l'abbé J.-M. de la Mennais.

Paris, le 8 novembre 1836.

Je vous aiderai avec grand plaisir, monsieur, à continuer l'oeuvre salutaire que vous poursuivez avec tant de persévérance. Je comprends toutes vos difficultés; mais ne vous plaignez pas, vous les surmonterez; il n'y a point de travail qui ne soit effacé par le succès, et ce n'est pas à la paix que nous devons prétendre, mais à la victoire. Je vous allouerai, dès les premiers jours de 1837, 3,000 fr. d'encouragement pour votre institut de Ploërmel. Je ne puis le faire plus tôt; vous avez déjà reçu 3,000 fr. sur l'exercice 1836, et il faut que celui de 1837 soit ouvert pour que je puisse ordonnancer une somme quelconque sur ses crédits.

Je voudrais avoir de vous quelques détails sur ce que vous pourriez faire, si vous étiez aidé, vraiment aidé, pour l'éducation des esclaves de nos colonies. Personne n'est plus convaincu que moi que l'affranchissement n'est possible qu'après qu'on aura fait vivre, et vivre longtemps, ces malheureux dans l'atmosphère religieuse. Dans les colonies anglaises, Antigue est celle où l'émancipation a le mieux réussi, quoiqu'elle ait été soudaine, parce que les frères Moraves y étaient établis depuis près d'un siècle et avaient pris, sur la population noire, une influence immense. Combien coûteraient vos frères? Combien pourriez-vous en destiner à cette mission? Faudrait-il former une branche particulière de votre institut? Je voudrais recueillir tous les renseignements possibles avant d'entamer positivement l'affaire au ministère de la marine.

Adieu, monsieur; si vous avez besoin de mon appui, croyez qu'il ne vous manquera pas tant que vous ferez le bien que vous faites à l'éducation populaire, et recevez l'assurance de mes sentiments les plus distingués.

GUIZOT.

V

1° M. Jouffroy à M. Guizot. Marseille, 6 décembre 1835.

Monsieur,

Je vous écris quelques lignes de Marseille pour vous informer de mon heureuse arrivée en cette ville. Quoique assez fatigué, je ne suis pas plus mal qu'à mon départ de Paris, et c'est tout ce que je pouvais espérer. Je compte partir mardi pour Livourne par le bateau à vapeur. Le temps est beau, et s'il ne change pas, nous aurons une traversée fort douce. Si la mer me fatiguait trop, je m'arrêterais à Gênes, d'où j'irais à Pise en voiturin.

Je suis enchanté de la vallée du Rhône, de Lyon à Avignon; ce sont les plus belles lignes du monde, et j'aimais jusqu'aux teintes sévères que l'hiver répandait sur le paysage. La campagne d'Avignon m'a révélé une nature que je ne connaissais pas et qui m'a causé une impression inexprimable. Je ne dis rien de la gracieuse vallée d'Aix ni de la belle rade de Marseille; j'étais mieux préparé au spectacle qu'elles m'ont offert. Il ne m'a pas ému comme la vieille ville des papes et le magnifique horizon semé de ruines qui l'entoure.

J'espère arriver heureusement à Pise d'où je vous écrirai. Je sais que vous avez eu la bonté de m'y ménager une connaissance agréable et utile dans la personne de M…..; c'est une nouvelle obligation que j'aurai à votre bienveillance; je la retrouverai là comme à Paris. Je ne vous dirai pas combien j'en suis touché et reconnaissant; ce sont des choses qui s'expriment mal. Adieu, monsieur; croyez à mon vieil et invariable attachement et à mon respectueux dévouement.

JOUFFROY.

M. Jouffroy à M. Guizot. Pise, 4 janvier 1836.

Monsieur,

Quoique je sois établi à Pise depuis quinze jours, je n'ai pas voulu vous écrire avant d'avoir fait connaissance avec ce pays et ses habitants. J'ai trouvé aux bords de l'Arno une température extraordinaire qui, depuis mon arrivée, ne s'est pas un moment adoucie; à plusieurs reprises le fleuve a charrié, et le thermomètre est descendu la nuit à six degrés au-dessous de zéro; par un temps pareil, il était impossible que le rétablissement de ma santé fît de grands progrès, et toutefois je me sens beaucoup mieux qu'à Paris; le voyage surtout, quoique pénible, m'a fait le plus grand bien; tant que j'ai été en mouvement, je me suis parfaitement porté, et je n'ai retrouvé le sentiment de ma faiblesse que dans le repos. Je suivrai cette indication, et quand la température sera devenue meilleure, je ferai de nombreuses excursions dans les environs de Pise; j'espère à l'aide de ce régime, et sous un ciel qui ne peut manquer prochainement de s'adoucir, atteindre le but de mon voyage. Je ne vous demande point pardon d'entrer dans ces détails; vous m'avez trop prouvé l'intérêt que vous vouliez prendre à ma santé pour que j'hésite à vous les donner.

J'ai reçu ici l'accueil le plus aimable et le plus amical de tous les professeurs de l'université que j'ai visités. Je me suis particulièrement lié avec M. Rosellini, qui poursuit avec zèle et aux frais du grand-duc la publication de son grand ouvrage sur les monuments de l'Égypte et de la Nubie; avec M. Rosini, l'un des poëtes et des prosateurs les plus distingués de l'Italie, l'auteur de la Monaca di Monza qui a balancé dans ce pays l'immense succès du roman de Manzoni; enfin avec M. Requoli, élève de Dupuytren, et le premier chirurgien de l'Italie depuis la mort de Vacca. Ces trois hommes occuperaient en tous pays un rang élevé, et ne négligent rien pour me rendre le séjour de Pise agréable et facile. Tous trois sont professeurs à l'université, qui compte dans son sein d'autres hommes de mérite; malheureusement le professeur de philosophie est un vieux prêtre moitié scolastique et moitié condillaciste, tout à fait inabordable.

Mon espérance de rencontrer dans la bibliothèque de Pise quelques manuscrits intéressants pour l'histoire de la philosophie française dans le moyen âge s'est tout à fait évanouie. Les Florentins victorieux ont dépouillé les Pisans de tous les monuments littéraires que ceux-ci possédaient, et la bibliothèque de Pise, composée de 50,000 volumes, est tout à fait moderne et ne contient aucun manuscrit. J'en serai donc réduit à parcourir les catalogues des bibliothèques de Florence quand j'irai visiter cette dernière ville, et peut-être y découvrirai-je quelque chose. En attendant je recueille des renseignements sur l'état de l'instruction publique en Toscane; mais je crains bien qu'il n'ait fort peu changé depuis M. Cuvier. Toutefois, veuillez me dire, ou me faire dire par M. Dubois, jusqu'à quel point de telles recherches pourraient vous être utiles, et dans quel sens elles devraient être particulièrement dirigées.

La rigueur de la saison ne m'a pas encore permis de travailler sérieusement; mais, quand viendra le beau temps, j'espère mener à bien mon travail sur Reid. J'attends avec impatience les discussions de la Chambre sur la politique extérieure; je compte sur bien des légèretés de la part de nos avocats; mais après les tristes débats sur notre état intérieur qui ont rempli, avec tant de dangers pour le pays, les dernières sessions, ce sera un grand progrès de voir enfin la Chambre s'occuper de nos véritables affaires qui sont celles du dehors, dût-elle s'y montrer très-ignorante et très-faible, comme je m'y attends. L'attention de la France une fois détournée d'elle-même, les passions se calmeront, et nous entrerons enfin dans une vie politique régulière. Je regrette beaucoup sous ce rapport la session qui va s'ouvrir; je crois que j'aurais pris quelque part aux discussions; mais nos véritables intérêts ne manqueront pas de représentants et je jouirai de loin de vos victoires.

Adieu, monsieur; veuillez croire à mon vieil et bien constant et bien véritable attachement.

JOUFFROY.

VI

Rapport au roi Louis-Philippe sur la création d'une chaire de droit constitutionnel dans la Faculté de droit de Paris.

Paris, le 22 août 1834.

Sire,

Une somme de 25,000 fr. a été portée au budget de 1835 pour créations nouvelles dans l'enseignement des facultés du royaume. L'objet de quelques-unes de ces créations était indiqué dans le rapport que j'ai eu l'honneur de présenter à Votre Majesté, sous la date du 31 décembre 1833:

«On se plaint que l'enseignement du droit est incomplet… Plusieurs facultés réclament des chaires de droit administratif;… et il n'en est pas une où soit enseigné notre droit constitutionnel français, ancien et moderne… Cependant le gouvernement sous lequel nous vivons aujourd'hui appelle tant de citoyens à prendre part aux affaires de l'État, à celles du département et de la commune, qu'on ne saurait trop désirer que la partie de notre législation qui se rattache à l'exercice des droits politiques et aux attributions des divers pouvoirs soit expliquée et commentée, au moins dans nos principales écoles. De tels cours, faits par des hommes d'expérience et d'une haute raison, pourraient devenir d'un grand intérêt social. Je crois donc qu'il est urgent de faire quelques essais en ce genre.»

Le crédit demandé fut alloué par les Chambres, dans des vues conformes à celles que Votre Majesté avait daigné approuver. J'ai dû, en conséquence, m'occuper du lieu le plus convenable au premier essai de cet enseignement, de son objet précis, de la forme qu'il doit avoir et du rang qu'il doit prendre dans l'ordre des études.

Bien que l'établissement d'un cours de droit constitutionnel soit un fait entièrement nouveau dans nos écoles, il peut d'autant plus facilement y être introduit que le principe de cet enseignement avait été reconnu dès l'origine par les décrets constitutifs des facultés de droit, et spécialement par celui du 21 septembre 1804, qui statuait, article 10:

«Dans la deuxième et dans la troisième années, outre la suite du Code des Français, on enseignera le droit public français et le droit civil dans ses rapports avec l'administration publique.»

Mais cette promesse resta stérile sous l'Empire. Il en fut de même sous la Restauration. Dans le développement momentané que reçut la Faculté de Paris, par l'ordonnance du 24 mai 1819, le droit public français fut réduit à une chaire de droit administratif qui elle-même fut bientôt supprimée. Il appartient au gouvernement de Votre Majesté de faire, sur ce point, ce qu'on a toujours redouté, et d'enseigner hautement les principes de liberté légale et de droit constitutionnel qui sont la base de nos institutions.

Un tel enseignement, sans doute, ne peut s'improviser dans toutes les écoles à la fois; médiocre, il serait inutile, ou même nuisible. Il veut des hommes supérieurs qui puissent le donner avec l'autorité de la conviction et du talent. Qu'une seule chaire de ce genre soit créée et dignement remplie, elle exercera bientôt une grande influence.

Ce point reconnu, Sire, il ne peut y avoir de doute sur le lieu de cette première création. C'est dans l'École de droit de Paris, c'est au centre même de l'enseignement le plus actif et le plus complet qu'on doit ouvrir ce cours nouveau et appeler tout le monde à le juger.

Quant à son objet et à sa forme, ils sont déterminés par le titre même: c'est l'exposition de la Charte et des garanties individuelles comme des institutions politiques qu'elle consacre. Ce n'est plus là, pour nous, un simple système philosophique livré aux disputes des hommes; c'est une loi écrite, reconnue, qui peut et doit être expliquée, commentée, aussi bien que la loi civile ou toute autre partie de notre législation. Un tel enseignement, à la fois vaste et précis, fondé sur le droit public national et sur les leçons de l'histoire, susceptible de s'étendre par les comparaisons et les analyses étrangères, doit substituer, aux erreurs de l'ignorance et à la témérité des notions superficielles, des connaissances fortes et positives.

A mes yeux, c'est dans la pleine franchise et l'étendue de ce cours que se trouvera son efficacité. Comme le droit constitutionnel est maintenant parmi nous une vraie science dont les principes sont déterminés et les applications journalières, il n'a point de conséquences extrêmes qu'on doive craindre, ni de mystères qu'on doive cacher; et plus l'exposition faite par un esprit élevé sera complète et approfondie, plus l'impression en sera paisible et salutaire.

Mais, par cette raison même, Votre Majesté jugera sans doute que cet enseignement nouveau ne saurait être ajouté comme un simple ornement à l'École de droit de Paris, et qu'il y doit être incorporé comme partie intégrante des études.

Déjà, depuis 1804, des objets nouveaux d'enseignement, que ne comprenait pas la première organisation, furent, à diverses époques, ajoutés aux anciens cours, et sont devenus obligatoires pour les élèves. Ainsi, l'ordonnance du 4 novembre 1820 prescrivit de suivre, dans la troisième année, indépendamment du cours de Code civil, un cours de Code commercial et un cours de droit administratif. Un règlement du 5 mai 1829 décida également que le droit administratif ferait partie nécessaire du second examen de licence. Par les mêmes motifs et par une considération plus haute encore, le cours de droit constitutionnel doit être rendu obligatoire, en troisième année, pour les aspirants à la licence, dans la Faculté de droit de Paris, et le second examen de licence devra comprendre une épreuve spéciale sur les objets du nouveau cours.

Il résultera de ces diverses dispositions que le titre de licencié en droit sera plus élevé, plus difficile à obtenir dans la Faculté de Paris que dans les autres facultés du royaume. Mais une semblable inégalité existe déjà entre les facultés où l'enseignement du droit administratif fait partie des cours et celles où il n'a pas lieu. D'ailleurs, ce qu'il importe surtout, c'est d'améliorer ce qui prospère déjà et d'établir quelque part le modèle d'un enseignement étendu et bien dirigé, sauf à multiplier ensuite, sur les divers points de la France, une création heureusement éprouvée.

J'ai l'honneur de proposer, en conséquence, à Votre Majesté, de vouloir bien donner son approbation au projet d'ordonnance ci-joint.

Je suis avec le plus profond respect,
Sire,
De Votre Majesté,
Le très-humble et très-obéissant
serviteur et fidèle sujet,

GUIZOT.

VII

M. Auguste Comte à M. Guizot. Paris, le samedi 30 mars 1833.

Monsieur,

Quoique, depuis plus de trois semaines, je diffère à dessein de vous écrire, je dois d'abord vous demander sincèrement pardon de vous entretenir d'affaires si peu de temps après la perte cruelle et irréparable que vous venez d'éprouver, et à laquelle je compatis vivement. Mais, comme, d'après ce que vous aviez bien voulu m'annoncer dans notre dernière entrevue, c'était vers le commencement de mars que devait être examinée définitivement la proposition que j'ai eu l'honneur de vous soumettre le 29 octobre dernier, sur la création d'une chaire d'histoire générale des sciences physiques et mathématiques au Collège de France, je craindrais, en gardant plus longtemps le silence à cet égard, de donner lieu de croire que j'aurais renoncé à ce projet.

Il serait déplacé, monsieur, de rappeler ici, même sommairement, les diverses considérations principales propres à faire sentir l'importance capitale de ce nouvel enseignement, et sa double influence nécessaire pour contribuer à imprimer aux études scientifiques une direction plus philosophique, et pour combler une lacune fondamentale dans le système des études historiques: c'est, ce me semble, le complément évident et indispensable de la haute instruction, surtout à l'époque actuelle. Je m'en réfère à cet égard à ma note du 29 octobre; ou, pour mieux dire, monsieur, je m'en rapporte à votre opinion propre et spontanée sur une question que la nature de votre esprit et de vos méditations antérieures vous met plus que personne en état de juger sainement. Car, je vous avoue, monsieur, que ce à quoi j'attache le plus d'importance dans cette affaire, c'est que vous veuilliez bien la décider uniquement par vous-même, à l'abri de toute influence, en usant de votre droit à l'égard du Collège de France qui se trouve heureusement, et par la loi, et par l'usage, hors des attributions du conseil d'instruction publique. Les deux seuls savants qui fassent actuellement partie de ce conseil, quoique distingués d'ailleurs dans leurs spécialités, sont, en effet, par une singulière coïncidence, généralement reconnus dans le monde scientifique comme parfaitement étrangers à tout ce qui sort de la sphère propre de leurs travaux, et comme pleinement incompétents en tout ce qui concerne la philosophie des sciences et l'histoire de l'esprit humain. Il y aurait, monsieur, je dois le dire avec ma franchise ordinaire, plus que de la modestie, dans une intelligence comme la vôtre, à subordonner votre opinion à la leur sur une question de la nature de celle que j'ai eu l'honneur de soulever auprès de vous. Si vous pouvez à ce sujet recueillir des conseils utiles, ce n'est pas du moins de la part de vos conseillers officiels.

Comme depuis cinq mois, vous avez eu certainement le loisir d'examiner cette affaire avec toute la maturité suffisante, sans être importuné de mes instances, je crois pouvoir enfin, monsieur, sans être indiscret, réclamer à cet égard votre décision définitive. Je suis loin de me plaindre de la situation précaire et parfois misérable dans laquelle je me suis toujours trouvé jusqu'à présent, car je sens combien elle a puissamment contribué à mon éducation. Mais cette éducation ne saurait durer toute la vie, et il est bien temps, à trente-cinq ans, de s'inquiéter enfin d'une position fixe et convenable. Les mêmes circonstances qui ont été utiles (et à mon avis indispensables ordinairement) pour forcer l'homme à mûrir ses conceptions et à combiner profondément le système général de ses travaux, deviennent nuisibles par une prolongation démesurée, quand il ne s'agit plus que de poursuivre avec calme l'exécution de recherches convenablement tracées. Pour un esprit tel que vous connaissez le mien, monsieur, il y a, j'ose le dire, un meilleur emploi de son temps, dans l'intérêt de la société, que de donner chaque jour cinq à six leçons de mathématiques. Je n'ai pas oublié, monsieur, que, dans les conversations philosophiques trop rares et si profondément intéressantes que j'ai eu l'honneur d'avoir avec vous autrefois, vous avez bien voulu m'exprimer souvent combien vous me jugeriez propre à contribuer à la régénération de la haute instruction publique, si les circonstances vous en conféraient jamais la direction. Je ne crains pas, monsieur, de vous rappeler aujourd'hui cette disposition bienveillante et d'en réclamer les effets lorsqu'il s'agit d'une création, qui, abstraction faite de mon avantage personnel, présente en elle-même une utilité scientifique incontestable et du premier ordre, et qui se trouve en une telle harmonie avec la nature de mon intelligence et des recherches de toute ma vie qu'il serait, je crois, fort difficile aujourd'hui qu'elle pût convenir à aucune autre personne.

J'espère, monsieur, que vous ne trouverez pas déplacée mon insistance à cet égard après un si long délai. Vous n'ignorez pas que, bien que ce projet fût pleinement arrêté dans mon esprit avant votre ministère, je n'ai point essayé de le soumettre à votre prédécesseur, par la certitude que j'avais de n'en être pas compris, et il est plus que probable que la même raison m'empêchera également d'en parler à votre successeur. Vous concevez donc, monsieur, qu'il est de la dernière importance pour moi de faire juger cette question pendant que le ministère de l'instruction publique est occupé, grâce à une heureuse exception, par un esprit de la trempe du vôtre et dont j'ai le précieux avantage d'être connu personnellement.

Comme cette fonction ne présente heureusement aucun caractère politique, je ne pense pas qu'on puisse trouver, dans le système général du gouvernement actuel, aucun motif de m'exclure, malgré l'incompatibilité intellectuelle de ma philosophie positive avec toute philosophie théologique ou Métaphysique, et par suite avec les systèmes politiques correspondants. Dans tous les cas, cette exclusion ne saurait offrir l'utilité d'arrêter mon essor philosophique qui est maintenant trop caractérisé et trop développé pour pouvoir être étouffé par aucun obstacle matériel, dont l'effet ne pourrait être au contraire que d'y introduire, par le ressentiment involontaire d'une injustice profonde, un caractère d'irritation contre lequel je me suis soigneusement tenu en garde jusqu'ici. Comme je ne pense pas que les vexations purement gratuites et individuelles se présentent à l'esprit d'aucun homme d'État, dans quelque système que ce soit, je dois donc être pleinement rassuré à cet égard. Si cependant, monsieur, quelque motif de ce genre contrariait ici l'effet de votre bienveillance, je ne doute pas que vous ne crussiez devoir me le déclarer franchement, par la certitude que vous auriez que je vous connais trop bien pour ne pas regarder un esprit aussi élevé que le vôtre comme parfaitement étranger à toute difficulté de cette nature.

Je ne pense pas non plus avoir aucun obstacle à rencontrer dans les considérations financières, car le budget du Collège de France me semble actuellement pouvoir comporter aisément cette nouvelle dépense sans aucune addition de fonds, la chaire d'économie politique ne devant point probablement être rétablie, à cause du caractère vague et de la conception irrationnelle de cette prétendue science, telle qu'elle est entendue jusqu'ici. Dans tous les cas, il est nécessaire d'abord de reconnaître en principe la convenance du cours d'histoire des sciences positives, sans y mêler aucune question d'argent. Je puis d'autant plus faciliter une telle décision que je consentirais volontiers à faire ce cours sans aucun traitement jusqu'à ce que la Chambre eût alloué des fonds spéciaux, si le budget était réellement insuffisant.

Par ces divers motifs, j'espère, monsieur, que vous voudrez bien m'assigner prochainement une dernière entrevue pour me faire connaître, au sujet de cette création, votre détermination définitive, soit dans un sens, soit dans un autre. J'ai besoin de n'être pas tenu plus longtemps en suspens à cet égard, afin de pouvoir donner suite, si une telle carrière m'était malheureusement fermée, aux démarches susceptibles, dans une autre direction, de me conduire à une position convenable, ce qui est devenu maintenant pour moi, après une insouciance philosophique aussi prolongée, un véritable devoir.

J'ai dédaigné, monsieur, d'employer, auprès d'un homme de votre valeur, les procédés ordinaires de sollicitations indirectes et de patronages plus ou moins importants que j'eusse pu néanmoins mettre en jeu tout comme un autre. C'est moi seul, monsieur, qui m'adresse à vous seul. Il s'agit ici d'une occasion unique de m'accorder une position convenable, sans léser aucun intérêt, et en fondant une institution d'une haute importance scientifique, susceptible, je ne crains pas de le dire, d'honorer à jamais votre passage au ministère de l'instruction publique. Je crois donc pouvoir compter sur l'épreuve décisive à laquelle je soumets ainsi votre ancienne bienveillance pour moi et votre zèle pour les véritables progrès de l'esprit humain.

Veuillez agréer, monsieur, l'assurance bien sincère de la respectueuse considération de Votre dévoué serviteur,

Auguste COMTE.
N° 459, rue Saint-Jacques.

P.-S. Je vous prie, monsieur, de vouloir bien accepter l'hommage du premier volume de mon Cours de philosophie positive, dont j'ai l'honneur de vous envoyer ci-joint un exemplaire. La publication de cet ouvrage, que les désastres de la librairie avaient suspendue pendant deux ans, va maintenant être continuée sans interruption par un autre éditeur. Je m'empresse de profiter de la première disponibilité de quelques exemplaires pour satisfaire le désir que j'avais depuis si longtemps de soumettre ce travail à un juge tel que vous.

VIII

M. Lakanal à M. Guizot. Mobile,—État d'Alabama, 16 juillet 1835.

Excellence,

Mon grand travail en deux volumes sur les États-Unis, avec la traduction anglaise en regard du texte, est sous presse, et vous y êtes célébré plusieurs fois: d'abord, en traitant de l'état de l'instruction publique aux États-Unis, comparé à celui où elle se trouve en France et en Angleterre; votre éloge naît du sujet, aussi naturellement que la fleur sort de sa tige; vous êtes le moderne restaurateur de l'instruction publique dans notre belle patrie: cette vérité est connue et non contestée, même dans les journaux; j'ai sous les yeux celui des Connaissances utiles, l'Abeille américaine, et le Moniteur de la Nouvelle-Orléans. Voire cours d'histoire est devenu une époque mémorable dans les annales de notre Université. Vos ouvrages historiques, qu'on étudie après les avoir lus, présentent cette partie de nos connaissances comme l'avait conçue l'orateur romain, comme le précepteur, comme l'institutrice de la vie, magistra vitae. En traitant de l'état actuel de la législation aux États-Unis, en France et en Angleterre, j'ai occasion de signaler les orateurs qui priment au congrès, au parlement et à la tribune, et certes je ne puis pas omettre l'orateur dont le beau talent d'improvisateur protège les saines doctrines qui dirigent le gouvernement actuel de la France. J'ai, avec tous les bons esprits, l'intime conviction que si le gouvernement s'était lancé dans toute autre direction, s'il avait imprimé une toute autre tournure aux affaires publiques, la France aurait subi de nouvelles révolutions, depuis les journées de juillet; il suffit, pour en être convaincu, de connaître le caractère inquiet et mobile de la généralité des Français, et l'esprit qui régit les cabinets de l'Europe. La France foulée, démembrée, aurait été envahie pour la troisième fois.

Les tumultueux débats mus, de toutes parts, aux États-Unis à l'occasion du traité des vingt-cinq millions, forment un appendice remarquable dans mon ouvrage. Les orateurs de l'opposition, qui ont traité cette question à la tribune, se sont placés dans une fausse position. Ils ont mal jugé les Américains. Ils ont ignoré ou feint de méconnaître l'état moral de ces contrées à demi-civilisées. En général, les habitants des États-Unis ne forment pas un corps de nation proprement dit, un peuple homogène. Les fondateurs du gouvernement fédéral reposent tous dans la tombe, et leurs descendants ne forment que la partie la plus exiguë de la population générale; celle-ci se compose d'Irlandais, d'Allemands, de Suisses, d'Espagnols, d'Italiens, de Polonais, de Français, etc. Jackson lui-même, né Américain, n'avait que huit ans à l'époque de la proclamation de l'Indépendance, étant né le 7 mars 1767. Tous ces peuples, si divers d'esprit, de moeurs, d'habitudes, de langage, jouissent ici d'une liberté semi-sauvage que les lois ne refrènent jamais, et se donnent, de préférence, un chef vieux soldat, qui, toute sa vie, a cultivé ses champs dans le Tennessee, ou pourchassé de misérables sauvages dans les forêts. Croit-on, espère-t-on qu'un tel homme, dur de caractère, traitera les affaires publiques comme nos courtisans et nos académiciens? Jackson, soldat très-despote, comme il l'a prouvé à Pensacola et à la Nouvelle-Orléans, passe à pieds joints sur toutes les convenances, par habitude et non par mauvaise intention; il est bien placé à la tête d'un peuple nouveau et peu avancé dans la carrière de la civilisation. Cette vérité est bien connue par M. Livingston lui-même: ce citoyen avait été chargé par la législature de la Louisiane de la rédaction d'un code de lois; j'étais, à cette époque, président de l'Université de la Nouvelle-Orléans, et je vivais très-familièrement, et même dans une sorte d'intimité, avec Livingston, Je lui écrivis pour lui signaler une foule de lacunes dans son travail; sa réponse fut, et il ne l'a pas certainement oubliée, que ce code ébauché suffisait, pour le moment, à un peuple nouveau, économe et laborieux, et qui ne possédait encore que les établissements nécessaires aux premiers besoins de la vie. Le peuple américain a, dans ses habitudes et son langage, quelque chose de trop âpre et de trop vert pour pouvoir découvrir rien d'offensant pour les Français dans le message de son président. J'atteste que je n'ai pas rencontré un seul Américain de marque qui, retranché comme ils le sont tous derrière leurs habitudes, ait pu rien découvrir d'offensant, pour les Français, dans le message de Jackson. L'excessive susceptibilité française doit faire des concessions à un peuple dont les formes et le langage sont naturellement austères et même acerbes. On ne traite pas affaires, politiques à Samarkande comme à Paris, à Sparte comme à Athènes, aux beaux jours du siècle de Périclès. Le passage incriminé est, si l'on peut s'exprimer ainsi, un fruit du cru. Jackson ne traite pas autrement avec les autorités constituées des États-Unis, et probablement avec les cabinets de l'Europe, qui ont le bon esprit de ne pas s'en fâcher. Voyez les messages relatifs à la Banque, et surtout aux troubles qui ont agité les Carolines: toutes ces discussions, où le Sénat accuse le président d'avoir violé la constitution, où le président proteste contre le Sénat, où Jackson menace de contraindre, par la force, les États du Sud, où l'on lui répond en lui prodiguant les qualifications de nouveau Robespierre, de second Marat, ne laissent après elles aucune irritation, et ne troublent nullement la grande famille. On est tolérant aux États-Unis, et l'ambition ne fait pas fermenter les têtes des membres du congrès, pour supplanter les ministres. On a été généralement fort surpris, dans ces contrées, de ne voir attaquer le traité que par les libéraux, ou soi-disant tels, et par les légitimistes avec. Les Américains, dans leur gros bon sens, ont jugé que l'attaque contre le traité de Jackson n'était que la raison ostensible, et que la véritable était dirigée contre le ministère, et l'on formule ainsi toutes les récriminations du parti libéral par ces mots: ôte-toi de là que je m'y mette. Quant aux légitimistes, à visière levée, ils rappellent, dans leurs voeux pour l'économie et leur appel à la dignité nationale, la réflexion de Laocoon à la vue du cheval de Troie: Timeo Danaos et dona ferentes.

En résumé:

1. Le langage du peuple des États-Unis, tel qu'il s'est formé, tel qu'il est constitué, diffère essentiellement de celui d'un peuple parvenu à son dernier degré de civilisation.

2. Jackson a cédé à l'impulsion que lui a donnée Livingston dans plusieurs lettres qui ont été publiées textuellement dans tous les journaux de l'Amérique.

3. Le message donne au peuple français de grands éloges qui doivent bien affaiblir l'impression défavorable produite par l'article incriminé.

4. Le gouvernement français a fait justice de l'inconsidéré agent diplomatique donneur de mauvais conseils.

5. Et ne doit-on pas faire entrer en ligne de compte, et par forme de compensation, les réflexions pesantes tombées sur Jackson du haut de la tribune?

Partant, je crois, avec les Américains et même les Français qui habitent ce pays, que justice est faite.

Je ne vous parle plus de moi. Je crois cependant que, connaissant à fond les États-Unis et les régions environnantes, que, possédant surtout l'anglais et l'espagnol, et la langue est une sorte de consanguinité entre les peuples, je pourrais vous être utile, robuste et bien portant comme je suis, et tout dévoué à votre gouvernement, auquel j'ai offert mes hommages aux premiers jours de son installation. Je ne vous importunerai plus jamais, et je me bornerai, dans ma solitude, à me plaindre à la nature de ce que, m'ayant rempli toute ma vie du désir de servir ma patrie, elle m'en a refusé les moyens.

J'ai l'honneur d'être,
De Votre Excellence,
Le très-humble et très-obéissant serviteur,

Signé: LAKANAL.

Doctrinaire dans l'ancienne acception, et pour toujours dans la nouvelle. Il défendrait, le cas échéant, les nouveaux doctrinaires, comme il défendit, dans des jours d'orage, le vénérable général des doctrinaires, menacé de la mort et caché chez moi, jusqu'au moment où je pus, non sans peine et sans efforts, le produire au grand jour et le placer.

IX

Rapports au roi Louis-Philippe sur la publication d'une Collection des Documents inédits relatifs à l'histoire de France.

(31 décembre 1833 et 27 novembre 1834.)

Extrait du rapport au Roi sur le budget du ministère de l'instruction publique pour l'exercice de 1835.

Sire,

…..Depuis quinze ans environ l'étude des sources historiques a repris une activité nouvelle. Des hommes d'un esprit clairvoyant, d'une science rare, d'une constance laborieuse, ont pénétré, les uns dans le vaste dépôt des archives du royaume, les autres dans les collections de manuscrits de la Bibliothèque royale; quelques-uns ont poussé leurs recherches jusque dans les bibliothèques et les archives dès départements. Partout il a été prouvé, dès les premiers essais, en fouillant au hasard, que de grandes richesses étaient restées enfouies. Les efforts ont redoublé, et l'on a pas tardé à obtenir des découvertes aussi importantes qu'inattendues, de véritables révélations qui éclairent d'un jour nouveau tels ou tels événements, tels ou tels siècles de notre histoire; à ce point qu'il est peut-être permis d'avancer que les manuscrits et monuments originaux, qui ont été jusqu'à présent mis au jour, ne surpassent guère en nombre ni en importance ceux qui sont restés inédits.

Depuis que ce fait est constaté, il ne se passa pas un jour sans que les hommes jaloux des progrès de la science et de la gloire littéraire de la France n'expriment le regret de voir l'exploitation d'une mine si riche abandonnée à des individus isolés, dont les plus grands efforts ne peuvent produire que des résultats partiels et bornés. À la vérité, parmi ces explorateurs volontaires, il faut distinguer l'Académie des inscriptions qui travaille à recueillir diverses séries de monuments relatifs à notre histoire nationale. Mais Votre Majesté a pu se convaincre, il y a quelques instants, de l'extrême exiguïté des ressources dont l'Académie dispose pour la publication de ces recueils, et de la lenteur qui en résulte inévitablement. Aussi, quelle que soit l'excellence de ses travaux, ils sont insuffisants pour calmer les regrets et satisfaire les désirs de ceux qui voudraient entrer en possession de tant de trésors, encore inutiles ou ignorés.

Le besoin de voir mettre un terme à ces efforts isolés commence à être si vivement senti que quelques personnes se sont récemment formées en société pour tenter de concentrer et de coordonner les recherches de tous les hommes qui se vouent à ce genre de travaux[16]. J'espère que cette société n'aura pas fait un vain appel aux amis de la science; je m'associe à ses efforts; mais je ne puis me dissimuler que, lors même qu'elle parviendrait à disposer de ressources plus considérables qu'il n'est permis de le supposer, son action ne serait encore que partielle, et ses publications n'embrasseraient que quelques séries de monuments.

[Note 16: La Société de l'histoire de France, fondée en juin 1833, compte déjà plus de deux cents membres, et a déjà fait, indépendamment de son Bulletin qui parait tous les mois, plusieurs publications importantes.]

Au gouvernement seul il appartient, selon moi, de pouvoir accomplir le grand travail d'une publication générale de tous les matériaux importants et encore inédits sur l'histoire de notre patrie. Le gouvernement seul possède les ressources de tout genre qu'exige cette vaste entreprise. Je ne parle même pas des moyens de subvenir aux dépenses qu'elle doit entraîner; mais, comme gardien et dépositaire de ces legs précieux des siècles passés, le gouvernement peut enrichir une telle publication d'une foule d'éclaircissements que de simples particuliers tenteraient en vain d'obtenir. C'est là une oeuvre toute libérale et digne de la bienveillance de Votre Majesté pour la propagation de l'instruction publique et la diffusion des lumières.

Mais chaque jour de retard rend la tâche plus difficile: non-seulement les traditions s'effacent et nous enlèvent en s'effaçant bien des moyens de compléter et d'interpréter les témoignages écrits; mais les monuments eux-mêmes s'altèrent matériellement. Il est une foule de dépôts, surtout dans les départements, où les pièces les plus anciennes s'égarent ou deviennent indéchiffrables, faute de soins nécessaires à leur entretien. Je crois donc qu'il est urgent que l'entreprise soit mise à exécution, et qu'elle reçoive immédiatement une assez grande extension.

Une des premières opérations serait de dresser un inventaire des richesses paléographiques de tous les départements. Les recherches seraient faites dans deux sortes d'établissements; d'abord dans les bibliothèques communales, en second lieu dans les dépôts d'archives, soit communales, soit départementales. Je sais déjà qu'il est plusieurs bibliothèques qui pourraient être exploitées avec grand profit, et presque toutes offriraient quelque chose à recueillir. Ce sont surtout des éclaircissements sur l'histoire des localités, des particularités toutes provinciales, que fourniraient ces bibliothèques. Malgré les ravages qui, depuis quarante ans, ont produit, dans la plupart de ces dépôts, d'irréparables lacunes, on peut encore y faire une abondante moisson. Il en est même qui, par un heureux hasard, ont été préservés du pillage; et quand le sort a voulu que ce fût dans une de ces villes, anciennes capitales d'importantes provinces, telles que Dijon ou Lille par exemple, on sent combien de faits précieux doivent y rester enfouis. Il est telle de ces villes qui peut nous offrir une correspondance non interrompue avec tous nos souverains pendant cinq ou six siècles, telle autre qui possède plus de deux ou trois mille chartes, plus de dix mille pièces de tout genre, non-seulement inédites, mais inconnues des paléographes, et dont aucune analyse, aucun catalogue, n'a encore révélé l'importance. En un mot, les bibliothèques et les archives départementales deviendraient probablement une des sources où seraient puisés les plus nombreux matériaux de cette grande publication.

Le département des manuscrits de la Bibliothèque royale serait également fouillé, et fournirait une masse de documents originaux, dont il serait difficile de calculer l'importance. Les collections dites de Colbert, de Brienne, de Dupuy, de Gaignières, et tant d'autres qu'il serait trop long d'énumérer, n'ont encore été pour ainsi dire qu'entr'ouvertes. Là sont ensevelis des correspondances, des mémoires, des écrits de toute espèce, reflets vivants de tous les siècles, répertoires des jugements que chaque époque a portés sur elle-même. Aucun autre dépôt n'est plus riche que la Bibliothèque royale en matériaux pour cette sorte d'histoire qu'on peut appeler contemporaine, histoire qui ne consiste pas moins dans la révélation des idées que dans celle des faits.

Les archives du royaume, au contraire, jetteraient de vives lumières sur telles ou telles circonstances d'événements défigurés par la tradition. On y puiserait des rectifications importantes, des renseignements curieux sur tous les faits sociaux qui laissent de leur passage une trace officielle et authentique. Il est aussi, dans le dépôt des archives, des trésors qu'on ne serait pas tenté d'y chercher, tels que des correspondances diplomatiques, des traités de politique, des fragments d'histoire. Ainsi, en résumé, bibliothèques et archives des départements, Bibliothèque royale et bibliothèques secondaires de Paris, archives du royaume, tels seraient les principaux établissements dont il s'agirait de produire les richesses au grand jour.

Mais il est une autre source historique plus abondante encore peut-être, et jusqu'ici plus inconnue. Les dépôts dont je viens de parler sont publics; le gouvernement ne ferait qu'en extraire et rendre plus abordable à tous les lecteurs ce que, avec de grands efforts sans doute, les particuliers peuvent accomplir par eux-mêmes. Le bienfait serait immense, mais le gouvernement doit faire davantage. Il possède d'autres archives dont lui seul dispose, et dont il peut, sans aucun inconvénient, communiquer, en partie du moins, les inappréciables trésors: je veux parler des archives des différents ministères, et notamment du ministère des affaires étrangères.

Jusqu'ici, tantôt la nature du gouvernement, tantôt de justes convenances, ont rendu ces grands dépôts à peu près inaccessibles; mais la séparation est si profonde entre notre temps et les temps passés, la politique de notre époque est si peu solidaire de celle des siècles antérieurs, que le gouvernement peut, sans crainte et sans scrupule, associer le public à une partie de ces richesses historiques.

En s'arrêtant vers le commencement du dernier siècle, non-seulement l'intérêt de l'État, mais l'intérêt des familles, ne pourront souffrir la moindre atteinte.

Évidemment les faits, les documents antérieurs au règne de Louis XV n'appartiennent plus à la politique, mais à l'histoire, et rien n'empêche plus de publier ceux qui méritent la publicité.

En exploitant ainsi avec sagesse les archives des divers ministères, et surtout celles des affaires étrangères, qui sont dans un ordre parfait, la publication que j'ai l'honneur de proposer à Votre Majesté sera un monument tout à fait digne d'elle et de la France.

L'histoire des villes, des provinces, des faits et des usages locaux sera éclairée par les bibliothèques et les archives départementales; l'histoire générale des idées, des usages, des moeurs et des rites par les manuscrits des grandes bibliothèques de Paris, par les archives du royaume; enfin l'histoire particulière des traités et des ambassades par les archives des affaires étrangères; celle de la législation et des grands procès par les archives du Parlement; celle des sièges, des batailles, de la marine et des colonies par les archives de la guerre et de la marine.

Je ne puis, dans cet exposé, offrir à Votre Majesté qu'un sommaire, une ébauché incomplète de l'entreprise que je soumets à Son approbation. Je souhaite que les résultats que je ne puis que faire entrevoir, mais qu'on serait assuré d'atteindre, justifient aux yeux de Votre Majesté et à ceux des Chambres ma demande d'une allocation extraordinaire. Si ce crédit est accordé, j'aurai l'honneur de présenter à Votre Majesté un plan plus détaillé de cette grande publication nationale, et de lui soumettre les moyens d'exécution les plus propres à en assurer le succès.

Je suis avec le plus profond respect,
Sire,
De Votre Majesté,
Le très-humble et très-obéissant
serviteur et fidèle sujet,

Paris, 31 décembre 1833. Le ministre secrétaire d'État au département de l'instruction publique,

GUIZOT.

2. Rapport au Roi sur les Mesures prescrites pour la recherche et la publication des Documents inédits relatifs à l'histoire de France.

SIRE,

Votre Majesté a daigné accueillir les vues que j'ai eu l'honneur de lui soumettre relativement à la recherche et à la publication des monuments inédits de l'histoire de France. Les Chambres ont voté, dans le budget de 1835, un crédit de 120,000 fr. consacré à ces travaux, et qui atteste hautement l'intérêt qu'inspire l'entreprise scientifique et nationale qu'a approuvée Votre Majesté.

Je me suis appliqué à en préparer le succès, et je demande à Votre Majesté la permission de mettre sous ses yeux le plan que je me propose de suivre et les dispositions que j'ai déjà prescrites.

Dès le 22 novembre 1833, je me suis adressé à MM. les préfets pour leur demander des renseignements précis et détaillés sur la situation des bibliothèques et des archives des départements qu'ils administrent, ainsi que sur les divers ouvrages manuscrits qui peuvent être contenus dans ces dépôts. Les réponses que j'ai reçues m'ont déjà fourni quelques documents curieux; elles m'ont surtout indiqué les voies qu'il convient de suivre pour arriver à des résultats importants.

Le 20 juillet dernier, je me suis mis en rapport avec les académies et sociétés savantes établies dans les départements; j'ai sollicité leur concours; j'ai cherché à encourager leurs efforts, et tout me porte à croire qu'elles me seconderont avec zèle et efficacité.

Le 18 juillet dernier, j'ai formé, auprès du ministère de l'instruction publique, un comité où se réunissent quelques-uns des hommes les plus considérables par le savoir et par le mérite de leurs travaux historiques. Ce comité sera spécialement chargé de surveiller et de diriger, de concert avec moi, tous les détails de cette vaste entreprise. Il s'est assemblé plusieurs fois sous ma présidence, et, grâce à l'assistance éclairée que ses membres ont bien voulu me prêter, on entrevoit déjà les résultats qu'il sera possible d'obtenir.

Un premier soin a dû occuper le comité, celui de déterminer nettement le but que doit se proposer l'administration et les limites dans lesquelles il convient de se renfermer. Il suffit, à cet égard, de s'en tenir rigoureusement aux termes mêmes de la loi de finances de 1835. Ils contiennent et expliquent toute la pensée de l'entreprise. Puiser à toutes les sources, dans les archives et bibliothèques de Paris et des départements, dans les collections publiques et particulières; recueillir, examiner et publier, s'il y a lieu, tous les documents inédits importants et qui offrent un caractère historique, tels que manuscrits, chartes, diplômes, chroniques, mémoires, correspondances, oeuvres même de philosophie, de littérature ou d'art, pourvu qu'elles révèlent quelque face ignorée des moeurs et de l'état social d'une époque de notre histoire: tel sera le but de ces travaux.

J'ai examiné soigneusement, avec le comité, quels seraient les plus sûrs moyens d'exécution.

La recherche des documents présente d'assez grandes difficultés. A Paris, et dans quelques villes en petit nombre, il existe des archives classées méthodiquement, et dans lesquelles a été dressé avec exactitude l'inventaire des pièces qui s'y trouvent déposées; mais partout ailleurs, règnent le désordre et la confusion. A l'époque des troubles révolutionnaires, une foule de documents, jusque-là conservés dans les anciens monastères, dans les châteaux ou dans les archives des communes, ont été livrés tout à coup au pillage et à la dévastation. Des amas de papiers et de parchemins, transportés dans les municipalités voisines, ont été jetés pêle-mêle dans des greniers ou dans des salles abandonnées; le souvenir même s'est effacé, dans plusieurs endroits, de ces translations opérées négligemment et sans formalités. De là l'opinion généralement établie, et devenue, pour ainsi dire, de tradition dans un grand nombre de départements, que tout a péri dans ces temps d'agitation. Il est certain néanmoins qu'on peut retrouver encore une partie considérable des anciennes archives, notamment dans les villes d'évêché et de parlement, et qu'une foule de pièces importantes ont été sauvées et rendues aux villes lorsque, plus tard, une autorité conservatrice fit déposer dans les chefs-lieux des districts les débris des anciennes abbayes, confondus avec les chartes et autres monuments authentiques. Plusieurs pièces aussi furent gardées alors comme titres de propriété ou de droits utiles des biens qui avaient été vendus par l'autorité publique.

Je ne saurais former le dessein de procéder actuellement et directement à un classement général et méthodique de toutes les archives locales, soit des départements, soit des communes: le temps et les ressources manqueraient pour un si immense travail. La Bibliothèque du Roi possède déjà un inventaire général de toutes les archives qui existaient en France avant la révolution, inventaire dressé, vers 1784, sous le ministère de M. Bertin, et auquel sont joints un grand nombre de cartulaires ou répertoires des principales pièces que ces archives locales renfermaient. Ces renseignements suffiront aux premières recherches; à mesure que l'on pénétrera dans les dépôts publics pour en extraire les richesses, on éprouvera le besoin de les mettre en ordre; de premières améliorations susciteront le zèle qui aspire à des améliorations nouvelles, et le zèle créera des ressources. Les autorités locales, les conseils généraux et municipaux seront naturellement provoqués et conduits, on peut l'espérer, à réintégrer leurs archives dans des lieux convenables, et à faire dresser le catalogue des pièces qu'on y conserve. Il convient donc de se mettre dès à présent à l'oeuvre, sans prétendre commencer méthodiquement par un travail de classement général qui offrirait, dans l'état actuel des choses, plus d'embarras que d'avantages, et que nos recherches amèneront, d'ailleurs, presque nécessairement.

J'ai cherché, de concert avec MM. les membres du comité, quels pouvaient être, dans chaque département, dans chaque ville, les hommes déjà connus par leurs travaux sur l'histoire nationale, et capables de s'associer à ceux que je dois faire entreprendre. Nous avons dressé une première liste de quatre-vingt-sept personnes avec lesquelles je me propose de me mettre en rapport, afin de les charger spécialement des recherches relatives aux lieux qu'elles habitent. Une correspondance régulière s'établira entre elles et mon département, par l'intermédiaire de MM. les préfets; et, sans imposer partout un ordre toujours le même, une organisation systématique et uniforme, qui s'accorderaient mal avec les besoins et les ressources particulières de chaque localité, j'ai rédigé cependant des instructions générales qui peuvent s'appliquer également à toutes les recherches et à tous les pays, et qui seront adressées à tous les correspondants de mon ministère.

Dans les lieux où je ne pourrai obtenir le concours de quelques correspondants propres à ce genre de travail, je tâcherai d'y suppléer en envoyant des commissaires spéciaux déjà exercés, et dont le mérite me soit bien connu. Du reste, j'accueillerai avec empressement toutes les communications, toutes les propositions. Je sais que beaucoup d'hommes modestes et laborieux vivent dispersés et presque ignorés sur notre territoire, prêts à mettre leur savoir et leur zèle à la disposition d'une administration bienveillante. Je serai attentif à les chercher et heureux de les découvrir. Le comité central se tiendra constamment au courant des diverses recherches qui seront entreprises à Paris et dans les départements. Il dirigera, par des instructions particulières, tous les travaux que j'aurai prescrits ou autorisés; il transmettra aux correspondants du ministère les renseignements qui leur seront indispensables pour juger de la valeur réelle de telles ou telles archives, de tels ou tels manuscrits. Aussitôt qu'une découverte importante aura été signalée à mon attention, l'un des membres du comité sera chargé spécialement de l'examiner, de s'entendre avec la personne qui m'aura adressé cette communication, de rechercher toutes les pièces relatives au même sujet qui pourraient exister dans d'autres collections; et toutes les fois que, après cet examen, la publication de tel ou tel manuscrit, de telle ou telle pièce, aura été jugée convenable, elle aura lieu sous la surveillance du comité, soit par les soins directs de l'un de ses membres, soit par une révision attentive du travail de ses correspondants.

Tel est, Sire, dans ses traits essentiels, le plan que je crois devoir adopter. L'exécution en est déjà commencée, et je puis en indiquer à Votre Majesté les premiers et prochains résultats.

Les archives de plusieurs villes du royaume sont en assez bon ordre et assez bien connues pour qu'on ait pu s'y livrer immédiatement à d'utiles travaux. La bibliothèque publique de Besançon est, depuis longtemps, dépositaire des papiers du principal ministre de Charles-Quint et de Philippe II, d'un homme qui a été mêlé à toutes les grandes affaires du XVIe siècle, du cardinal Perrenot de Granvelle. Ce vaste recueil se compose des correspondances de ce ministre, des notes de ses agents, et de toutes les pièces relatives à son administration dans les Pays-Bas et dans le royaume de Naples. Il n'a été connu des savants, jusqu'à ce jour, que par l'ébauche d'un catalogue imprimé, et par la courte analyse de quelques pièces, que l'on doit à un religieux bénédictin du XVIIIe siècle. J'ai formé à Besançon, sous la présidence du savant bibliothécaire de cette ville, M. Weiss, une commission chargée de procéder à l'analyse complète de ces matériaux. Elle en fera le dépouillement et mettra à part ceux qui présentent assez d'intérêt pour être livrés à la publicité. J'espère que bientôt une partie considérable de ces pièces historiques sera préparée pour l'impression.

Les riches et précieuses archives des anciens comtes de Flandre sont conservées à Lille: elles contiennent des documents qui remontent jusqu'au XIe siècle. Je prends des mesures, de concert avec M. le préfet du Nord, pour faire explorer ces archives, et en tirer tous les documents qui paraîtraient dignes d'être mis en lumière.

Les restes des anciennes archives du Roussillon sont conservés à Perpignan: on y trouvera des renseignements intéressants pour l'histoire de cette province et pour celle des relations des rois de France avec les rois d'Aragon. Des spoliations nombreuses et une longue négligence, dont ces archives sont enfin préservées, grâce au zèle du bibliothécaire de la ville de Perpignan, ne les ont pas tellement appauvries qu'elles ne puissent encore offrir des pièces importantes.

A Poitiers, où sont déposées les archives de l'ancienne province d'Aquitaine, j'ai envoyé, avec le titre d'archiviste de la ville, un des élèves les plus distingués de l'école des Chartes, M. Redet. M. Chelles, élève de la même école, a été également envoyé à Lyon avec le même titre.

Dans les bibliothèques et les archives de Paris, les travaux sont déjà en pleine activité, et promettent d'importants résultats.

Le département des manuscrits, à la Bibliothèque royale, dépôt immense de matériaux de toute espèce, est, pour la première fois, livré à une exploration générale et régulière. Il présente des corps d'ouvrages rédigés, tantôt par des hommes instruits sur des sujets divers de notre histoire, tantôt par des personnes qui ont voulu transmettre à la postérité le détail des affaires auxquelles elles ont pris part. On y trouve aussi des recueils de pièces détachées en nombre considérable, formant des sources de documents authentiques sur presque tous les sujets. Des collections rassemblées par des particuliers dont elles ont conservé les noms, celles de Colbert, de Dupuy, de Brienne, de Gaignières, de Baluze, du président de Mesmes, et plusieurs autres, y ont été déposées dans leur intégrité après la mort de leurs possesseurs. Des jeunes gens exercés à ce genre d'étude sont chargés, sous la surveillance et la direction des conservateurs, MM. Champollion-Figeac et Guérard, d'explorer ces mines fécondes, et de signaler les manuscrits divers, mémoires ou autres pièces, qui leur paraîtraient dignes de publication, pour que le comité en fasse ensuite l'objet d'un examen spécial. Déjà plusieurs ouvrages ont été puisés à cette source, et sont livrés aux personnes chargées d'en préparer la publication. Je citerai, entre autres, une réunion de notes curieuses, écrites de la main même du cardinal de Mazarin, et relatives aux incidents journaliers de sa conduite pendant les guerres de la Fronde. Ces notes, écrites le plus souvent en italien et d'une façon fort abrégée, seront publiées avec une traduction française et les éclaircissements nécessaires.

Un journal des États généraux tenus à Tours en 1484, dont la Bibliothèque royale possède plusieurs copies, a été rédigé en latin par Jean Masselin, l'un des membres de ces États. Les nombreux détails qu'il fournit sur les discussions, les usages et les idées politiques de ce temps ont été, en grande partie, ignorés de nos historiens. Quelques-uns se sont contentés de le faire connaître par des extraits que les autres ont copiés. Il sera publié, pour la première fois, dans son texte original, et accompagné d'une traduction.

Un monument important de la langue, de la poésie et de l'histoire d'un temps déjà reculé, est une vaste chronique en vers de la guerre des Albigeois, écrite dans la langue du pays, à une époque très-voisine encore de cet événement, par un auteur qui avait été témoin des faits qu'il raconte. C'est une source de renseignements également intéressants pour les philologues et pour les historiens, et aussi l'un des plus curieux monuments littéraires du XIIIe siècle. Le soin de sa publication est confié à M. Fauriel.

Après la paix de 1763, M. de Bréquigny fut envoyé à Londres avec un bureau composé de sept personnes, pour y prendre copie de toutes les pièces déposées aux archives de la Tour de Londres qui pouvaient se rapporter à l'histoire de France. Ce travail dura plusieurs années; il a produit une collection d'environ cent cinquante volumes in-folio de copies de documents divers concernant celles de nos provinces qui avaient été rangées longtemps sous la domination anglaise. Les originaux de plusieurs de ces documents se sont perdus depuis à la Tour de Londres. La nature de ces recherches, leur étendue, et jusqu'aux événements qui ont eu lieu depuis qu'elles ont été accomplies, tout contribue à donner à cette immense collection un intérêt que le temps n'a fait qu'accroître. J'ai ordonné le dépouillement de ce recueil déposé maintenant à la Bibliothèque du Roi; chacun des documents qu'il renferme sera successivement examiné; ceux qui n'ont point encore été publiés, et qui néanmoins mériteront de l'être, seront relevés, classés et mis au jour.

Une autre collection, que je crois propre à jeter des lumières nouvelles sur l'histoire politique de l'ancienne monarchie française, sera celle des chartes concédées aux villes et aux communes par les rois et les seigneurs, du XIe au XVe siècle. Ces chartes sont en grand nombre; elles embrassent presque toute l'étendue de la France, et la teneur en est fort variée. Plusieurs ont déjà été publiées, mais beaucoup d'autres n'ont point vu le jour; et peut-être ces dernières ne sont-elles pas les moins curieuses et les moins importantes. La Bibliothèque du Roi en possède une collection formée par les soins de Dupuy, et qui remplit quelques volumes in-folio. Elle sera soumise à une sévère analyse: on évitera de produire ce qui est déjà connu; on y ajoutera les pièces et les documents nécessaires pour la compléter. Enfin, j'ai l'intention d'y faire joindre les chartes et constitutions primitives des différentes corporations, maîtrises et sociétés particulières établies en France, de telle sorte que cette collection rapproche et mette dans tout leur jour les nombreuses et diverses origines de la bourgeoisie française, c'est-à-dire les premières institutions qui ont servi à affranchir et à élever la nation. Ce travail s'exécutera sous la direction de M. Augustin Thierry.

Les archives générales du royaume, compulsées en même temps et de la même manière que la Bibliothèque du Roi, fourniront un grand nombre de pièces détachées, actes de l'autorité publique, relations d'événements particuliers, diplômes, chartes et autres monuments authentiques propres à jeter de nouvelles lumières sur les points les plus obscurs de notre histoire, et à corriger souvent des versions fautives ou incomplètes.

Les archives spéciales des différents ministères nous promettent encore de plus importantes richesses; ces matériaux doivent être exploités avec prudence et discernement: aussi nos recherches s'adresseront-elles exclusivement aux époques qui peuvent être considérées comme tombées dans le domaine de l'histoire. Mais nous trouverons dans ces limites de quoi exciter et satisfaire la plus avide curiosité des savants et du public. MM. les directeurs de ces précieux dépôts ont bien voulu me promettre leur concours le plus empressé.

Les archives du ministère des affaires étrangères, classées avec un ordre parfait, forment le dépôt historique le plus considérable par l'abondance et la valeur de ses documents. Les publications que je me propose d'y puiser s'exécuteront par les soins du directeur, M. Mignet, qui a déjà préparé un recueil important et étendu destiné à en commencer la série. Les longues et curieuses négociations relatives à la succession d'Espagne, ouverte par la mort de Charles II, seront l'objet de ce recueil. Entamées immédiatement après le traité des Pyrénées en 1659, elles n'ont été terminées qu'en 1713, à l'époque où la paix d'Utrecht vint fixer enfin le droit public de l'Europe et sa distribution territoriale sur de nouvelles bases. Cette publication fera connaître la marche progressive des grands événements qui en sont l'objet, et mettra pour la première fois au jour, dans toute sa réalité et toute son étendue, la politique de Louis XIV.

Les archives du dépôt de la guerre seront consultées en même temps que celles des affaires étrangères, et les renseignements empruntés à ces deux sources différentes seront rapprochés entre eux et comparés les uns avec les autres. Ainsi, tandis que l'on recherchera, dans les archives de notre diplomatie, tout ce qui se rapporte aux négociations qu'entraîna l'affaire de la succession d'Espagne, le dépôt de la guerre mettra à notre disposition l'histoire des campagnes qui suivirent et secondèrent ces négociations, accompagnée de la correspondance de Louis XIV, de Philippe V, du duc d'Orléans, du maréchal de Berwick et du duc de Vendôme.

A ces dernières publications seront joints les cartes et plans nécessaires pour l'intelligence des opérations militaires; M. le directeur du dépôt actuel de la guerre a bien voulu m'offrir les riches matériaux de ce genre qu'il a recueillis lui-même. Ils seront mis au jour par ses soins personnels et sous sa surveillance.

Des travaux analogues seront exécutés aussi dans les archives du ministère de la marine: l'état de notre marine, l'histoire de nos campagnes maritimes ou des grandes batailles navales, celle de nos colonies depuis plus de cent cinquante ans, y sont conservés dans des collections authentiques dont le choix sera fait par des hommes versés dans cette étude toute spéciale.

Après l'histoire politique, l'histoire intellectuelle et morale du pays a droit également à notre attention; c'est aussi une grande et belle partie des destinées d'un peuple que la série de ses efforts et de ses progrès dans la philosophie, les sciences et les lettres. Sans doute l'abondance et le caractère spécial des monuments de ce genre doivent nous prescrire à cet égard quelque réserve; ils ne sauraient être accueillis facilement ni en très-grand nombre dans une collection dont l'histoire proprement dite est l'objet dominant. Mais les ouvrages qui, à certaines époques, ont fortement agité les esprits et exercé une action puissante sur le développement intellectuel des générations contemporaines, ceux qui ont ouvert, dans le mouvement des idées, une ère nouvelle, ceux enfin qui, sous une forme purement littéraire, nous révèlent des moeurs oubliées, des usages ou des faits sociaux dont on avait perdu la trace, de tels ouvrages se rattachent de bien près à l'histoire; et si nous découvrions quelques monuments de ce genre, nous croirions devoir nous empresser de les publier, en en formant dans la collection générale une série particulière.

Je puis déjà, Sire, signaler en ce genre à Votre Majesté une découverte récente et d'un haut intérêt pour les personnes qui se vouent à l'étude de la philosophie et de son histoire parmi nous. Le manuscrit du fameux ouvrage d'Abailard, intitulé le Oui et non (Sic et non), vient d'être retrouvé dans la bibliothèque d'Avranches. Ce livre, qu'on croyait irréparablement perdu, est celui qui donna lieu à la condamnation d'Abailard, au concile de Sens, en 1140. M. Cousin en surveillera la publication.

Enfin, Sire, l'histoire des arts doit occuper une place dans ce vaste ensemble de recherches qui embrasse toutes les parties de l'existence et des destinées nationales. Aucune étude peut-être ne nous révèle plus vivement l'état social et le véritable esprit des générations passées que celle de leurs monuments religieux, civils, publics, domestiques, des idées et des règles diverses qui ont présidé à leur construction, l'étude, en un mot, de toutes les oeuvres et de toutes les variations de l'architecture qui est à la fois le commencement et le résumé de tous les arts.

Je me propose, Sire, de faire incessamment commencer un travail considérable sur cette matière: je m'appliquerai à faire dresser un inventaire complet, un catalogue descriptif et raisonné des monuments de tous les genres et de toutes les époques qui ont existé ou existent encore sur le sol de la France. Un tel travail, en raison de sa nature spéciale, de son importance et de sa nouveauté, doit demeurer distinct des autres travaux historiques dont je viens d'entretenir Votre Majesté; aussi mon intention est-elle d'en confier la direction à un comité spécial, et d'en faire l'objet de mesures particulières que j'aurai l'honneur de proposer à Votre Majesté.

Telles sont, Sire, les mesures que j'ai prises, préparées ou projetées pour assurer l'accomplissement de la grande entreprise au sujet de laquelle le vote des Chambres a répondu aux vues de Votre Majesté. Cette entreprise ne doit pas être un effort accidentel et passager; ce sera un long hommage et, pour ainsi dire, une institution durable en l'honneur des origines, des souvenirs et de la gloire de la France. J'ose espérer que, grâce au savant et zélé concours des personnes qui veulent bien me seconder, les premiers résultats ne se feront pas longtemps attendre et ne seront pas indignes de la noble pensée dont Votre Majesté a daigné me confier l'exécution.

Je suis avec le plus profond respect,
Sire,
De Votre Majesté,
Le très-humble et très-obéissant serviteur et fidèle sujet,

Le ministre de l'instruction publique,

Guizot.

X

Rapport à M. le comte Pelet de la Lozère, ministre de l'instruction publique, sur l'état des travaux relatifs à la collection des documents inédits concernant l'histoire de France.

(23 mars 1836.)

Monsieur le ministre,

Depuis la dernière réunion du comité, les travaux historiques entrepris par les ordres de M. le ministre, votre prédécesseur, n'ont pas été interrompus. Ces travaux, ainsi que j'ai déjà eu l'honneur de vous l'expliquer, sont de deux sortes: la recherche des documents et leur publication; cette division est indiquée par le texte même de la loi des finances, qui ouvre au ministère de l'instruction publique un crédit spécial pour recueil et publication des monuments inédits relatifs à l'histoire de France.

La recherche des documents comprend le dépouillement et le classement des collections diverses de manuscrits, l'analyse des pièces qui paraissent dignes d'attention, et l'examen des propositions adressées au ministre.

Parmi les publications, il en est qui sont terminées, d'autres qui sont seulement commencées, quelques-unes enfin qui ont été prescrites par arrêtés ministériels, et dont les matériaux ne sont pas encore suffisamment préparés pour l'impression.

Je me propose de mettre sous vos yeux, dans ce rapport, la situation actuelle des travaux historiques entrepris sous la direction du premier comité, afin que vous puissiez apprécier par vous-même, monsieur le ministre, ce qui a été fait jusqu'à ce jour, et ce qu'il conviendra de faire ultérieurement.

Il n'y a qu'une seule publication qui soit véritablement terminée, c'est celle du Journal des États-généraux de 1484, par Jehan Masselin. L'ouvrage a été imprimé et livré au public depuis trois mois.

Les tomes I et II des Négociations relatives à la succession d'Espagne ont été mis au jour par M. Mignet, ainsi que le 1er tome du Recueil de pièces pour servir à l'histoire de la guerre de la succession d'Espagne, par M. le général baron Pelet, directeur du dépôt de la guerre. Le travail nécessaire à l'achèvement de ces deux grandes publications se poursuit sans relâche.

Un volume intitulé: Journal des séances du conseil du roi Charles VIII va paraître immédiatement; M. Fallot a bien voulu se charger de rédiger une introduction à cet ouvrage.

Plusieurs autres ouvrages sont livrés à l'impression:

L'Histoire en vers de la croisade contre les hérétiques albigeois, traduite sur le texte provençal par M. Fauriel;

Un choix de lettres de rois, reines, princes et princesses de France, par M. Champollion-Figeac, extraites des copies de Bréquigny;

La chronique du religieux de Saint-Denis.

MM. Fauriel et Champollion voudront bien expliquer au comité à quel degré d'avancement leur travail est parvenu.

M. Ravenel a terminé son travail sur les carnets de Mazarin; il a joint au texte de ces carnets divers papiers inédits de Mazarin, sa correspondance avec Colbert, et plusieurs autres pièces relatives aux troubles de la Fronde.

M. le ministre de l'instruction publique n'a point encore donné l'autorisation nécessaire pour l'impression du travail de M. Ravenel; il serait bon de prendre, à cet égard, l'avis du comité, dans sa prochaine séance.

M. Francisque Michel poursuit la publication de la _Chro__nique en vers des ducs de Normandie_, par Benoît de Sainte-Maure, dont il a recueilli le texte dans son dernier voyage en Angleterre.

Je ne mentionnerai pas ici la publication presque entièrement terminée des ouvrages inédits d'Abailard, par M. Cousin, le second comité étant spécialement chargé de la direction de tout ce qui concerne la littérature, la philosophie, les sciences et les arts, dans leurs rapports avec l'histoire générale.

M. le ministre, votre prédécesseur, a autorisé récemment la publication de plusieurs autres ouvrages qu'il a jugés dignes d'intérêt.

M. Jules Desnoyers, membre du premier comité, a été chargé de rédiger un Exposé critique des recherches entreprises en France à toutes les époques, et qui ont eu pour but l'étude et la publication des anciens monuments de l'histoire nationale. Ce travail est destiné à servir d'analogue à celui qui a été confié à M. Sainte-Beuve, sur l'histoire de la critique littéraire.

Les Bénédictins de Solesmes, réunis en société sous la direction de M. l'abbé Guéranger, chanoine de la ville du Mans, ont reçu la mission de continuer le recueil intitulé: Gallia christiana. Ils travailleront d'abord, pendant un an, à la rédaction du volume pour lequel ils ont déjà rassemblé un nombre considérable de matériaux. Le comité, après avoir examiné le résultat de ces travaux, décidera s'il convient de leur confier cette entreprise pour un temps plus long.

M. Tommaseo publiera, sous la direction de M. Mignet, les Relations des ambassadeurs vénitiens sur les affaires de France, pendant le XVIe siècle.

M. Claude fait imprimer, sous la direction et la surveillance de M. Guérard, le Cartulaire de l'abbaye de Saint-Bertin. Quand cet ouvrage aura été mis au jour, le même travail aura lieu pour le Cartulaire de l'église de Notre-Dame de Chartres.

Le dépouillement des manuscrits de la Bibliothèque royale, confié à M. Champollion-Figeac, a donné d'importants résultats pendant le cours de l'année 1835; depuis un mois, ce service a été complètement réorganisé, sept personnes y sont employées au lieu de douze, et trois principalement ont pour fonction spéciale de recueillir et d'analyser les pièces qui contiennent des documents précieux pour l'histoire de France.

La commission instituée à Besançon, sous la présidence de M. Weiss, continue le dépouillement des papiers manuscrits du cardinal de Granvelle.

M. Leglay poursuit son travail sur les manuscrits déposés aux archives de Lille et de Cambray.

M. de Courson exécute des recherches semblables à Rennes, de concert avec M. Maillet, bibliothécaire de cette ville.

La correspondance des départements a donné, depuis quelque temps, d'utiles renseignements. Je vais vous exposer en peu de mots, monsieur le ministre, le résumé des travaux les plus importants des correspondants du ministre.

M. Maillard de Chambure, correspondant pour le département de la Côte d'Or, adresse (29 juin 1835) une notice sur le manuscrit de l'histoire de Saint Jean de Réôme, lequel provient de l'abbaye de Moutiers-Saint Jean, où il était mal à propos désigné sous le titre de Cartulaire de Réôme.

Le même correspondant fait part (24 juillet 1835) de la découverte qu'il a faite, dans la bibliothèque de l'Académie des sciences de Dijon, de deux manuscrits, dont l'un, qui a appartenu à la bibliothèque du président Bouhier, est intitulé: Journal de ce qui s'est passé en Bourgogne, durant la Ligue de 1571 à 1601, par le sieur Pépin, chanoine musical de la sainte chapelle de Dijon, petit in-4°, mentionné dans la bibliothèque historique, n° 38,897.—Le second manuscrit a pour titre: Mémoire de ce qui s'est passé au Parlement de Dijon, du 10 novembre 1574 au 3 juillet 1602, par Gabriel Breunot, conseiller au Parlement. Grand in-8°, n° 33,053.

M. Piers, correspondant à Saint-Omer, envoie la continuation de ses notices sur les manuscrits que possède la bibliothèque historique de cette ville. Celles qu'il adresse aujourd'hui sont relatives aux n° 249: Cyrilli Alexandrini Thesaurus;—-n° 750: Cartularium Folciami;—n° 769: vita beati Petri, Tharantasiensis archipiscopi. Enfin, il indique encore les suivants: Vita beatoe Marioe de Onyaco—Genealogia comitum Flandrensium, etc. M. Piers joint à ces renseignements une notice biographique sur l'abbaye de Clairmarais avec la description de l'Église; cette dernière partie se rapporte plutôt aux travaux spéciaux du second comité.

M. Maurice Ardant jeune, président du tribunal de commerce de Limoges, adresse une copie d'un manuscrit intitulé: De l'affranchissement des habitants de Rochechouart et de la création de leur commune en 1296.

M. le docteur Leglay, en poursuivant ses investigations dans les archives et les bibliothèques du département du Nord, a trouvé plusieurs manuscrits qu'il a jugés dignes d'attention, et qui mériteraient, suivant lui, d'être imprimés et publiés par le gouvernement, sinon en totalité, du moins en grande partie. Il a signalé d'abord deux chapitres, inédits jusqu'à ce jour, de la chronique de Molinet. Peut-être conviendrait-il d'ordonner la copie de ces fragments, afin de les publier plus tard dans un recueil de pièces diverses. Les mémoires de Robert d'Esclaibes, gentilhomme de Hainaut, qui servait dans l'armée de la Ligue du temps de Henri III et de Henri IV, ont été signalés par M. Leglay; ceux du baron de Fuverdin, formant au moins dix gros volumes, lui ont paru contenir aussi une foule de renseignements intéressants et souvent inconnus sur les affaires publiques du XVIIe siècle. Si le comité croyait devoir donner suite aux propositions de M. Leglay, il ajouterait de nouveaux détails sur ces deux ouvrages à ceux que renferme déjà la lettre adressée par lui à M. le Ministre de l'instruction publique. On s'est borné provisoirement à remercier M. Leglay des communications qu'il avait faites au Ministre; on lui répondra d'une manière plus précise lorsque vous aurez consulté le comité à ce sujet.

M. Jouffroy et M. Weiss ont indiqué aussi, comme un monument historique d'une haute importance, une Histoire en 16 livres, des guerres de la Franche-Comté de 1632 à 1642, par le sieur Girardot de Beauchemin, conseiller au Parlement de Dôle, et membre du gouvernement de la province à cette époque. Cet ouvrage intéresse non-seulement par l'exposé des faits qu'il raconte, mais encore par un style vif et animé, par la représentation fidèle de l'esprit du temps, et une intelligence remarquable des événements politiques. M. le ministre, votre prédécesseur a autorisé M. Weiss à s'occuper de la publication de cette histoire; il lui a demandé, toute fois, quel plan de travail il comptait suivre, à quelle époque il pourrait se mettre à l'oeuvre, et combien de temps serait nécessaire pour l'achèvement de cette entreprise. M. Weiss n'a point encore envoyé sa réponse.

Divers documents, faisant partie des papiers inédits du cardinal Granvelle, ont été recueillis à Bruxelles par M. le baron de Reiffenberg et M. Gachard, archiviste de Belgique; ils ont bien voulu nous adresser ces documents qui ont été mis à la disposition de la commission de Besançon.

M. Larrigaudière, relieur à Moissac (Tarn-et-Garonne), et possesseur d'un certain nombre de chartes et de manuscrits relatifs à l'abbaye de Moissac, propose de vendre ces documents au gouvernement. M. le ministre de l'instruction publique n'a pu obtenir encore, sur la valeur des pièces qu'on lui offrait, des renseignements suffisants pour être en mesure de prendre aucune décision à cet égard. Il n'y a d'ailleurs aucun fonds au budget du ministère qui puisse être appliqué à des dépenses de cette nature. Si l'on employait, à l'achat des pièces historiques qui sont tombées entre les mains des particuliers, le crédit destiné aux travaux de recherche et de publication, ce crédit, déjà fort borné, serait bientôt insuffisant; et le ministère ne pouvant, d'ailleurs, conserver dans ses archives les documents qu'il aurait achetés, se trouverait obligé de les donner à des établissements qui doivent eux-mêmes avoir des fonds pour des acquisitions de cette nature. M. Larrigaudière a donc gardé ses manuscrits; il menace de les employer aux travaux de son état; ce sont là les expressions dont il se sert; il n'est pas inutile, je pense, d'appeler sur cette affaire l'attention du comité.

M. Buchon adresse un rapport sur plusieurs manuscrits de George Chastelain, qu'il dit avoir découverts en visitant les bibliothèques de l'ancienne Flandre. Il n'y a plus lieu de s'occuper des propositions de M. Buchon; depuis l'époque où il a écrit au Ministre à ce sujet, il a annoncé l'intention de publier ces documents pour son propre compte, dans la collection générale qu'il a entrepris de mettre au jour.

M. de Formeville, conseiller à la Cour royale de Caen et correspondant du ministère, communique l'inventaire des documents qu'il a recueillis dans divers dépôts publics et particuliers du département du Calvados. La lettre de M. de Formeville et les indications qui s'y trouvaient jointes ont été examinées avec le plus grand soin par M. Champollion, et d'après l'avis que M. Champollion a bien voulu donner au ministre, de nouvelles instructions ont été adressées à M. de Formeville, dont on attend maintenant la réponse.

M. Maillet, correspondant du ministère et bibliothécaire de la ville de Rennes, annonce qu'il existe, dans une petite commune, située à six lieues de cette ville, un manuscrit de 1225, contenant des concessions de privilèges faites par le duc Pierre, dit de Mauclerc, et confirmées par ses successeurs. D'autres communications de M. Maillet ont été examinées par M. Fallot. On attend la réponse que M. Maillet doit adresser au ministère consécutivement aux instructions spéciales qu'il a reçues depuis cette époque.

M. le baron de Gaujal, premier président de la Cour royale de Limoges, informe M. le ministre qu'il est parvenu à réunir la collection complète des coutumes et privilèges des villes de l'ancienne province du Rouergue, depuis le commencement du XIIe siècle jusqu'à la fin du XIVe. Il pense que ces documents offrent assez d'intérêt pour être publiés aux frais de l'État dans la collection des monuments inédits de l'histoire de France.

M. Adhelm Bernier propose de publier, à la suite du journal des séances du conseil privé du roi Charles VIII, les pièces suivantes qu'il assure être inédites:

1° Un document original concernant les ducs de Lorraine, entre autres celui qui figure principalement dans le conseil privé de Charles VIII;

2° Poésies historiques sur Charles VIII, qui se composent de la prophétie du roi Charles VIII par Guilloche, et d'une satyre intitulée: L'aisnée fille de Fortune, ou louange d'Anne de Beaujeu.

Monsieur le ministre n'ayant point de renseignements précis sur les monuments indiqués par M. Bernier, et se proposant, d'une autre part, de publier très-prochainement le journal du Conseil privé, a renvoyé à l'examen du comité les nouvelles propositions de M. Bernier.

Le même M. Bernier transmet au ministre la chronique inédite de Gaston IV, comte de Foix, gouverneur, pour Charles VIII et Louis XI, de la province de Guyenne, écrite par Guillaume Leseur, son domestique, et copiée sur le manuscrit unique de la Bibliothèque Royale.

M. le baron Laugier de Chartrouse, correspondant et ancien maire de la ville d'Arles, transmet une notice sur un grand nombre de documents historiques tirés des archives de la ville d'Arles. M. de Chartrouse ne donne guère que des titres; si l'un de messieurs les membres du comité voulait bien prendre la peine de les examiner, on pourrait, demander a M. de Chartrouse des détails plus étendus et plus circonstanciés.

M. Henri, correspondant et bibliothécaire de la ville de Perpignan, fait connaître le résultat des recherches auxquelles il s'est livré dans divers dépôts d'archives. Les renseignements qu'il fournit sont trop vagues pour qu'il ait été possible d'accéder, sur cette simple information, au désir exprimé par M. Henri, qui demandait une allocation spéciale pour poursuivre ses recherches.

M. Léchaudé d'Anisy, correspondant à Caen, donne des renseignements sur les débris des archives de l'abbaye de Savigny, déposés à la sous-préfecture de Mortain. M. le ministre avait spécialement chargé M. Léchaudé d'Anisy d'examiner ces pièces, sur lesquelles on avait appelé son attention. Il reste démontré qu'elles sont loin d'avoir l'importance qu'on leur supposait.

M. Legonidec, qui s'est livré depuis longtemps à une étude approfondie des dialectes breton et gallois, prie M. le ministre de lui faire délivrer une commission pour la recherche des monuments celtiques, des manuscrits, chartes, etc., qui pourront se trouver dans la Bretagne et les provinces qui l'avoisinent. M. le ministre a décidé que cette proposition serait soumise au comité.

M. Ollivier, correspondant de Valence (Drôme), adresse un rapport fort étendu sur les manuscrits relatifs à l'histoire de France que possède la ville de Grenoble. Une indemnité a été accordée à M. Ollivier, et il a été chargé de continuer ses travaux de dépouillement.

M. Chambaud, secrétaire de l'administration du musée Calvet à Avignon, a entrepris, par les ordres de M. le préfet de Vaucluse et avec l'autorisation du ministre, le dépouillement des archives communales de ce département; il communique, dans une première lettre, les résultats de son travail.

Enfin, monsieur le ministre, des missions particulières ont été confiées à quelques personnes.

M. Michelet a relevé les catalogues des manuscrits que possèdent les bibliothèques de Poitiers, La Rochelle, Angoulême, Bordeaux, Toulouse, Limoges et Bourges; un rapport détaillé de M. Michelet a été remis par lui à M. le ministre de l'instruction publique.

Un autre rapport a été fait par M. Granier de Cassagnac, chargé de faire une tournée dans quelques départements du sud-ouest de la France, à l'effet de vérifier la situation des archives et le travail des correspondants.

M. Dugua, correspondant pour le département de Vaucluse, a fait connaître aussi les résultats du travail auquel il s'est livré, par ordre du ministre, sur les manuscrits historiques de la bibliothèque de Carpentras, et sur ceux qui appartiennent à M. Requien d'Avignon.

Tels sont, monsieur le ministre, les travaux terminés, commencés ou proposés. Je n'ai rien à dire de tout ce qui est terminé. Pour ce qui est commencé, il s'agit de poursuivre; le zèle éclairé des collaborateurs du ministère n'a pas besoin d'être stimulé, puisque, chaque jour, un progrès remarquable se fait sentir dans leurs travaux. Quant aux propositions diverses qui vous ont été faites, le comité les examinera successivement, et verra ce qu'il y aura lieu de faire pour chacune d'elles. Je me bornerai à vous faire remarquer que les fonds alloués au budget pour les travaux historiques, bien loin d'excéder les besoins, seraient, au contraire, insuffisants si l'administration ne se faisait un devoir d'ajourner un grand nombre d'entreprises utiles, si elle accordait seulement, à toutes les personnes qu'elle emploie, des indemnités convenables et méritées. Sur tous les points du royaume, de longues et pénibles recherches s'exécutent sans relâche; il n'est point un seul dépôt de quelque importance qui ne soit exploré avec une activité d'autant plus digne d'éloges qu'elle est presque toujours désintéressée. L'amour de la science suffit seul à tant de travaux. Vous penserez sans doute, monsieur le ministre, qu'il est de l'honneur, je dirai plus, qu'il est du devoir du Gouvernement de s'associer de plus en plus à ces nobles efforts, en les secondant par tous les moyens qui sont en son pouvoir, en augmentant surtout les ressources nécessaires pour garantir leur durée et assurer leur succès.

Le chef de la 3e division,

Signé: Hippolyte Royer-Collard.

XI

Tableau comparatif des lois rendues de 1830 à 1837, les unes pour la résistance au désordre et la défense du pouvoir, les autres pour l'extension et la garantie des libertés publiques.

Lois pour la résistance au désordre Lois pour l'extension et la et la défense du pouvoir. garantie des libertés publiques.

1830. 1830

10 décembre. Loi sur les affiches, 12 septembre. réélection des Loi sur la afficheurs et crieurs députés nommés à des fonctions publics. publiques.

1831. 8 octobre. Loi sur l'application du jury aux délits de la presse 8 avril. Loi sur le cautionnement et aux délits politiques. des journaux ou écrits périodiques, modifiant l'article 1er de la loi 11 octobre. Loi relative au vote du 14 décembre 1830. annuel du contingent de l'armée.

—Loi sur la procédure en matière 24 décembre. Loi qui réduit le de délits de la presse, cautionnement et le droit de d'affichage et de criage publics. timbre des journaux.

10 avril. Loi sur les attroupe- 1831 ments. 8 février. Loi qui met les traitements du culte israélite 1832. à la charge de l'état.

avril. Loi qui autorise le 4 mars. Loi sur la composition gouvernement à suspendre des cours d'assises et la pour un an l'élection des déclaration du jury. conseils municipaux dans certaines communes. 21 mars. Loi sur l'organisation municipale. 1834. 16 février. Loi sur les crieurs 22 mars. Loi sur la garde publics. nationale.

19 avril. Loi sur l'élection 23 février. Loi qui confère aux de la chambre des députés. maréchaux-des-logis et brigadiers de gendarmerie dans huit 1832 départements de l'ouest les pouvoirs d'officiers de police 16 avril. Loi qui donne au judiciaire (temporaire). gouvernement la faculté d'autoriser les mariages entre beaux-frères 10 avril. Loi sur les associa- et belles-soeurs. tions. 28 avril. Loi contenant des 24 mai. Loi contre les modifications au code pénal et fabricants, débitants, au code d'instruction criminelle. distributeurs et détenteurs d'armes et munitions de guerre. 1833

24 avril. Loi sur l'exercice des 1835. droits civils et politiques dans les colonies. 9 septembre. Loi sur les crimes, —Loi sur le régime législatif délits et contraventions de dans les colonies. la presse et autres moyens de publication. 22 juin. Loi sur l'organisation —Loi sur les cours d'assises. des conseils généraux de —Loi sur le jury et sur la départements et des conseils déportation. d'arrondissement.

1836. 23 juin. Loi sur l'instruction 13 mai. Loi sur le vote secret primaire. du jury. 1834

20 avril. Loi sur l'organisation départementale et municipale du département de la Seine et de Paris.

19 mai. Loi sur l'état des officiers.

1835

22 juin. Loi qui modifie la législation criminelle dans les colonies.

1837

14 juillet. Loi sur l'organisation de la garde nationale de la Seine.

18 juillet. Loi sur l'administration municipale.

Chargement de la publicité...