Mémoires pour servir à l'Histoire de mon temps (Tome 3)
XII
Récit de l'insurrection de Lyon en avril 1834, écrit en mai 1834, par un témoin oculaire.
La voix de la presse lyonnaise, un moment couverte et interrompue par le bruit du canon, se fait entendre de nouveau, depuis que l'ordre matériel est rétabli. Quelques personnes ont la simplicité de s'en étonner, beaucoup s'en affligent.
Je n'en suis ni affligé ni surpris. Je sais que, Dieu merci, pour combler l'abîme qui s'était ouvert il n'a pas été nécessaire d'y précipiter une liberté ou un principe; je sais qu'on ne doit pas offrir les lois en holocauste aux mains de ceux qui viennent de mourir pour les lois; je sais qu'il ne faut pas jeter son bouclier, même pour écraser un ennemi; je sais que ces enquêtes irrégulières, que la polémique quotidienne a coutume d'instruire sur les grands événements, offrent souvent des leçons salutaires, des vérités profondes, et ramènent nos esprits, si oublieux de leur nature, sur la méditation des faits accomplis.
Mais ce que je n'ignore pas non plus, c'est qu'il est du devoir de tout bon citoyen d'apporter son témoignage consciencieux dans cette grande procédure; c'est qu'on est mal reçu à se plaindre de l'abus que font certaines gens du droit de publier leur pensée quand on refuse soi-même d'en faire usage pour la défense de la vérité.
Aussi, n'ai-je point hésité à prendre la plume pour exposer, d'une manière aussi vraie et aussi complète que possible, les circonstances de la lutte qui vient d'ensanglanter Lyon, les causes qui l'ont amenée, et les conséquences qu'on doit en attendre.
C'est ici une relation écrite à la hâte et dans un moment où tous les faits n'ont pu être encore officiellement constatés; mais la crainte de commettre involontairement quelques erreurs partielles ne m'empêchera pas de combattre les erreurs générales et systématiques que l'on cherche à faire prévaloir.
Il importe de fixer avant tout le véritable caractère du mouvement qui vient d'avoir lieu.
Politique, il n'a rien de menaçant pour notre avenir; c'est le dernier effort d'un parti aux abois, qui a présenté et perdu cette bataille qu'il nous annonçait à la tribune. C'est le dernier acte d'un drame qui n'a été que trop long et trop sanglant.
Industriel, au contraire, il offre les symptômes les plus fâcheux. Il nous montre la question de la fabrique lyonnaise toujours la même depuis 1831; et cette question, indépendante de la marche générale des affaires et de l'affermissement progressif du gouvernement constitutionnel, n'est pas de celles qui se jugent par la force. La victoire remportée serait ici de peu de valeur; il faudrait se préparer seulement à en gagner tous les ans une nouvelle, jusqu'à la ruine complète du commerce de Lyon.
Heureusement l'affaire ne se présente point ainsi; heureusement l'insurrection de 1834 a déployé, aux yeux de tous, la bannière toute politique qu'elle suivait; elle a crié bien haut son mot de ralliement, République: mot bien différent de celui qu'on répétait en 1831, Tarif.
Cependant, l'habitude est si bien prise de ne voir à Lyon qu'une lutte des fabricants et des ouvriers en soie, que beaucoup d'hommes sincères ne peuvent se résoudre à voir autre chose dans les derniers événements. Pour eux, les insurgés sont toujours des ouvriers; avril 1834 est une revanche de novembre 1831.
C'est spécialement à ces hommes que j'adresse les réflexions qui vont suivre. Quant aux écrivains du Précurseur ou aux membres de la Société des droits de l'homme, ils savent mieux que moi ce qu'il en est; mais ils sont dans leur rôle quand ils repoussent toute participation à une tentative qui a échoué.
Un premier fait mérite d'être remarqué, c'est le petit nombre d'ouvriers en soie qui ont pris part à l'insurrection. Que l'on consulte l'état des blessés civils apportés dans les hôpitaux, celui des morts, celui des prisonniers, on trouvera à peine un dixième d'hommes appartenant à la fabrique des soieries. Il y a mieux; on rencontre sur ces listes six étrangers pour un Lyonnais; or, tel est le caractère des mouvements politiques d'employer presque exclusivement les hommes qu'aucun lien de famille ne rattache à la ville qu'ils vont mettre à feu et à sang.
Ceux qui verraient encore, dans une cause qui n'a enrégimenté que si peu de Lyonnais et d'ouvriers en soie, la cause spéciale de Lyon et du commerce de soieries, je les prie de se rappeler la crise vraiment industrielle de novembre 1831, et de mettre le programme d'alors en regard du programme d'aujourd'hui. En 1831, on se levait à ce cri terrible: Vivre en travaillant, ou mourir en combattant! En 1834, on a déclaré la guerre en lisant sur la place Saint-Jean une longue proclamation, qui n'a de remarquable que son caractère essentiellement politique. La voici:
«Citoyens,
L'audace de nos gouvernants est loin de se ralentir; ils espèrent par là cacher leur faiblesse, mais ils se trompent: le peuple est trop clairvoyant aujourd'hui. Ne sait-il pas d'ailleurs que toute la France les abandonne, et qu'il n'est pas un homme de conscience, dans quelque position qu'il soit, manufacturier ou prolétaire, citoyen ou soldat, qui ose se proclamer leur défenseur!…
Citoyens, voici ce que le gouvernement de Louis-Philippe vient encore de faire… Par des ordonnances du 7 de ce mois, il a nommé plusieurs courtisans, ennemis du peuple, à des fonctions très-lucratives. Ce sont des sangsues de plus qui vont se gorger de l'or que nous avons tant de peine à amasser pour payer d'écrasants impôts. Parmi eux, se trouve Barthe, le renégat, qui est aussi nommé pair de France!… Ainsi on récompense les hommes sans honneur, sans conscience, et on laisse souffrir de misère tous ceux qui sont utiles au pays, les ouvriers, par exemple, et les vieux soldats. Pourquoi nous en étonner?… Ceux-ci sont purs et braves; ils ne chérissent l'existence que parce qu'elle leur donne la faculté d'aimer et de servir leur patrie; c'est pourquoi aussi on les emprisonne, on les assomme dans les rues, ou on les envoie à Alger!… Ce n'est pas là ce que ferait un gouvernement national, un gouvernement républicain.
Mais l'acte le plus significatif de la royauté, c'est la nomination de Persil au ministère de la justice!… Persil, citoyens, c'est un pourvoyeur d'échafauds!… C'est Persil qui a voulu faire rouler les têtes des hommes les plus patriotes de la France, et si les jurés les lui ont refusées, ce n'est pas faute d'insistance de sa part!… C'est Persil qui a eu l'infamie de dire le premier qu'il fallait détruire les associations et abolir le jury! En le prenant pour ministre, la royauté a donc adopté toutes les pensées, toutes les haines de cet homme! Elle va donc leur laisser un libre cours!… Pauvre France, descendras-tu au degré d'esclavage et de honte auquel on te conduit?…
La loi contre les associations est discutée, dans ce moment à la Chambre des pairs. Nous savons tous qu'elle y sera immédiatement adoptée. Nous la verrons donc très-incessamment placardée dans nos rues!… Vous le voyez, citoyens; ce n'est pas seulement notre honneur national et notre liberté qu'ils veulent détruire, c'est notre vie à tous, notre existence qu'ils viennent attaquer. En. abolissant les sociétés, ils veulent empêcher aux ouvriers de se soutenir dans leurs besoins, dans leurs maladies, de s'entr'aider surtout pour obtenir l'amélioration de leur malheureux sort!… Le peuple est juste, le peuple est bon; ceux qui lui attribuent des pensées de dévastation et de sang sont d'infâmes calomniateurs; mais ceux qui lui refusent des droits et du pain sont infiniment coupables.
Ouvriers, soldats, vous tous enfants de l'héroïque France, souffrirez-vous les maux dont on vous menace? consentirez-vous à courber vos têtes sous le joug honteux qu'on prépare à votre patrie? Non, c'est du sang français qui coule dans vos veines, ce sont des coeurs français qui battent dans vos poitrines; vous ne pouvez donc être assimilés à de vils esclaves. Vous vous entendrez tous pour sauver la France et lui rendre son titre de première des nations.
8 Avril 1834.»
Je le demande, est-ce là le cri de guerre des ouvriers contre les maîtres? Est-ce une affaire de salaire ou de tarif? Non, toutes les questions industrielles sont mises en oubli, pour ne penser qu'à M. Persil et à la loi sur les associations; il est impossible de déclarer plus franchement dans quel esprit on veut agir, et cet esprit a présidé à l'insurrection jusqu'au dernier moment; les placards républicains, le drapeau rouge, le tutoiement obligé, tout indiquait une protestation armée contre le gouvernement de Juillet bien plus que contre l'organisation de la fabrique lyonnaise.
Si la question était moins grave, je pourrais m'arrêter ici; mais il importe de répondre à toutes les objections, de dissiper tous les doutes. Dans ce but, je vais remonter plus haut et expliquer, par l'histoire abrégée de la crise qui a précédé les derniers événements, comment la querelle industrielle s'est éteinte peu à peu, sous l'influence d'une prudente administration, comment elle s'est abdiquée au profit de la querelle politique, comment la Société des droits de l'homme a absorbé la Société des mutuellistes, comment elle a seule inspiré, dirigé et exécuté le mouvement insurrectionnel d'avril.
On sait que la fabrique des soies a quatre rouages bien distincts, l'ouvrier, le chef d'atelier, le fabricant et le commissionnaire. Sur ces quatre rouages, trois sont nécessaires; mais l'intervention du chef d'atelier, qui reçoit les matières du fabricant et les remet à l'ouvrier auquel il loue ses métiers, ne semble propre qu'à diminuer inutilement le salaire de ce dernier. Plus désoeuvré et plus ambitieux que le simple ouvrier, le chef d'atelier est aussi plus turbulent; mais, d'un autre côté, il est plus moral, plus instruit, plus éloigné des idées de pillage et de subversion complète. Les chefs d'atelier ont fait novembre 1831, mais ils ont aussi enchaîné cette fatale victoire; ils ont empêché qu'elle ne dégénérât en dévastation et en incendie.
Quant aux ouvriers, ce qui leur manque essentiellement, c'est la prévoyance que possèdent jusqu'à un certain point les chefs d'atelier. Quand les salaires sont élevés, ils dépensent davantage et jamais ils ne mettent un centime de côté pour les mauvais jours. A Lyon, la caisse d'épargne ne reçoit point de dépôts; aussi l'ouvrier voit-il arriver avec terreur le moment du chômage de la fabrique et de la baisse des salaires; son idée fixe, c'est le tarif, c'est-à-dire un minimum au-dessous duquel ne pourrait descendre, dans aucun cas, le prix qu'il reçoit pour sa journée.
Ce tarif, il l'a demandé d'abord à l'autorité administrative; en 1831, la requête fut présentée à M. Bouvier-Dumolard par trente mille hommes enrégimentés. Il y donna son consentement, et cette foule, ivre de joie d'avoir vu se réaliser son rêve favori, se retira en criant: Vive Dumolard! vive notre père! Le préfet s'endormit tranquille au milieu de ces protestations d'amour. Il crut avoir résolu le problème.
Mais il avait compté sans les nécessités de l'industrie qui, ne permettant pas au fabricant de travailler à perte, frappent d'impuissance et de ridicule toute fixation immuable du prix de la journée. Les fabricants protestèrent contre le pacte absurde qu'on leur imposait; les ouvriers, forts de la faute qu'on avait commise, descendirent sur la place publique pour défendre ce traité qu'ils devaient regarder comme leur charte. La garnison fut expulsée, et la population des ateliers, forcée, quelques jours après, de courber la tête devant une armée, n'en dut pas moins conserver au fond du coeur ce souvenir qu'elle était restée maîtresse du champ de bataille. Souvenir fatal, qui exaltait ses prétentions, entretenait la pensée d'un nouvel appel à la force et exigeait peut-être un sanglant démenti. C'est en ce sens, mais en ce sens seulement, qu'avril 1834 peut passer pour une revanche de novembre 1831.
La seconde fois, le tarif ne fut pas demandé à l'administration, mais à la libre discussion et aux lois. Le tribunal des prudhommes fut l'arène du nouveau débat. L'Écho de la fabrique fut l'organe des réclamations de la classe ouvrière; mais ces réclamations insensées ne pouvaient réussir sur un semblable terrain. On ne tarda pas à l'abandonner.
C'est à la force organisée qu'on s'est adressé en dernier lieu. Cette troisième expérience ayant échoué en février 1834, la crise industrielle a expiré; elle n'avait plus de transformation nouvelle à subir.
Ceci demande quelques détails.
La Société des mutuellistes est composée de chefs d'atelier. Celle des Ferrandiniers, créée à son image, reçoit dans son sein les ouvriers ou compagnons. Ces deux sociétés, déjà anciennes, avaient pris quelque importance depuis la révolution de Juillet, et surtout depuis que la fabrique était entrée dans la troisième période, celle dont il est ici question. Divisés par loges de vingt membres, gouvernés par un comité central de vingt personnes, organisés, en un mot, comme toutes les sociétés politiques, qui ont fini depuis par les absorber, les Mutuellistes et les Ferrandiniers ont cru imposer enfin le tarif en saisissant l'arme puissante des interdictions de travail.
Les moyens d'exécution étaient: 1° la cessation du travail pour le compte de tout fabricant qui ne se soumettrait pas aux ordres des sociétés; 2° la désertion des métiers des chefs d'atelier insoumis; 3° une caisse de secours pour les ouvriers restés sans travail par suite de leur obéissance.
Cette caisse, à peine suffisante pour les interdictions partielles, ne pouvait dédommager les ouvriers du mal que leur causait une suspension générale, et c'est dans ce cas que des dons considérables, provenant de sources en général inconnues, ont soutenu un zèle qui menaçait de se refroidir très-promptement. Ce fait n'est pas le seul qui signale l'intervention de plus en plus complète des partis politiques dans la lutte industrielle. Bientôt les interdictions vinrent frapper les opinions des chefs d'atelier, comme leur désobéissance aux règlements mutuellistes. Mais ne devançons pas la marche des événements.
Contre le mode d'exécution adopté par les ouvriers, les moyens légaux étaient impuissants; un système absolu de non intervention était prescrit à l'autorité. Elle n'avait d'autre mission que de protéger les chefs d'atelier et les fabricants contre la force matérielle et de les rassurer contre les menaces que leur attirait tout acte de fermeté.
Ce rôle, fort simple en apparence, offrait d'immenses difficultés; rester impartial et calme au milieu de ces débats passionnés, résister aux provocations insultantes des uns, aux instantes prières des autres, se résigner à voir, pendant quelque temps, ses intentions ou du moins ses lumières méconnues pour attendre sa réhabilitation d'un succès lent, éloigné et incertain, telle était la position qu'il fallait accepter avec courage et ne pas abandonner un seul moment. La lutte qui s'est terminée en février 1834 est la plus glorieuse époque de la pénible administration de M. de Gasparin. A forée de prudence, d'habileté et de courage, il a remporté, sur les mauvaises passions de la fabrique, une victoire décisive, victoire dont l'influence a réagi sur celle d'avril, et qu'on peut se rappeler sans amertume parce qu'elle n'a pas coûté de sang français..
Il était dans la nature de la Société des Mutuellistes de s'unir de plus en plus, et presque à son insu, avec les sociétés politiques; destinée à être un jour absorbée, dominée et exploitée par celles-ci, elle devait se présenter d'abord comme leur alliée contre l'ordre de choses existant, qui les blessait également, quoique sous des rapports divers. C'est ce qui arriva à la fin de 1833; à cette époque, on commença à préparer une vaste explosion; l'entrée des ouvriers en Suisse et la suspension générale du travail à Lyon devaient en donner le signal. Ces deux opérations devaient avoir lieu simultanément le 10 février 1834.
Heureusement le gouvernement Suisse, soupçonnant les projets du général Ramorino et de ses réfugies, prit des mesures qui les forcèrent à devancer le jour indiqué. L'expédition mal préparée échoua complètement: quant aux Mutuellistes, ils tinrent parole; au moment convenu, le 10 février, tous les métiers cessèrent de battre.
Alors la ville de Lyon offrit un spectacle vraiment extraordinaire: les magasins étaient fermés, les ateliers déserts; cinquante mille ouvriers parcouraient les rues; et, espérant prendre les fabricants par la famine, ils avaient la constance de supporter huit jours entiers de chômage, sans autres ressources que les faibles secours de ceux qui soutenaient leur courage et entretenaient leurs espérances.
Ces espérances furent entièrement déçues; les fabricants tinrent bon jusqu'au bout, et huit jours d'interdiction n'amenèrent pas un centime d'augmentation dans les salaires. Les ouvriers, sentant toute la force de cette expérience, tournèrent leur ressentiment contre ceux qui les avaient flattés d'un espoir chimérique. De ce moment, les sociétés industrielles ne conservèrent plus une existence et une action indépendantes; les Mutuellistes se retirèrent, en partie de ces intrigues, et c'est dans cette situation que les derniers événements ont trouvé la fabrique lyonnaise. Ai-je tort de dire qu'en 1834 février a sauvé avril?
A mesure que ces sociétés industrielles se divisaient et s'effaçaient, la société politique des Droits de l'homme, qui a fini par absorber leurs débris, prenait chaque jour plus d'importance, d'audace et d'ascendant. MM. Garnier-Pagès, Cavaignac et Ramorino étaient venus, à différentes époques, lui apporter les instructions de la société mère, examiner et réformer son organisation et ses plans.
C'est surtout depuis la présentation de la loi sur les associations, c'est à l'approche du soulèvement d'avril que la société manifeste une activité extraordinaire. Le 30 mars, elle essaie de se réunir aux Brotteaux pour protester contre la loi; mais les abords du local étant occupés par un piquet d'infanterie et une cinquantaine de dragons, le comité central reconnaît l'impossibilité d'y pénétrer et se retire sans rien entreprendre.
A la même époque, la société envoie à Paris un délégué spécial qui visite en passant les affiliés de Châlons, de Beaune et de Dijon, et donne le mot d'ordre pour l'explosion générale qui doit avoir lieu.
Cependant les Mutuellistes, comme nous l'avons dit plus haut, se perdent de plus en plus dans la Société des Droits de l'homme. L'Écho de la fabrique, qui est leur organe, dit positivement, dans son numéro du 30 mars: «Si, dans l'ordre du jour cité par M. Prunelle, il est recommandé de repousser des loges les imprimés des Droits de l'homme, c'est une mesure de discipline momentanée et non une prescription à toujours; ces papiers n'ont jamais été prohibés en temps ordinaires, ce qui est d'autant plus naturel que plusieurs des Mutuellistes font partie de la _Société des Droits de l'homme et de plusieurs sociétés politiques.»
Enfin le moment de l'action approchant, le comité central éprouve le besoin de s'adresser à tous les sectionnaires et de se retremper dans une élection nouvelle. Tel est le but de la circulaire suivante:
«Lyon, le 15 germinal an XLII de l'ère républicaine (4 avril 1834).
UNITÉ, ÉGALITÉ. ASSOCIATION, PROPAGANDE.
Le comité central du département du Rhône de la Société des Droits de l'homme, aux citoyens composant les sections.
Citoyens,
Plus les circonstances deviennent graves, plus ceux que vous avez choisis pour diriger la puissante action que vous donnent votre dévouement et vos convictions sentent le besoin de s'entendre précisément avec vous et de connaître d'une manière fixe l'esprit qui vous anime. C'est dans ce but que nous avions décidé qu'une assemblée générale aurait lieu; mais, sûrs des précautions que nous avions prises, nous ne pouvions l'être aussi bien de la discrétion ou de la fermeté de ceux avec lesquels nous avions été contraints de traiter pour avoir un local: l'autorité a été prévenue, notre réunion a été empêchée.
Nous avons dû immédiatement réunir ceux qui représentent le plus largement la société, et c'est aux chefs des sections que nous avons verbalement présenté l'état actuel de l'association et le compte rendu de nos travaux pendant le trimestre qui vient d'expirer. Vous demanderez chacun au chef de votre section le résumé de ce rapport; mais nous sentons le besoin d'aider leur mémoire en vous rappelant nous-mêmes les traits suivants.
Quant aux finances, le comité s'est plaint du peu d'exactitude qui a été apporté dans le versement de la cotisation entre les mains du caissier. Il a annoncé qu'il existait encore un arriéré sur les payements de janvier; que la moitié seulement des sections avait payé pour février et qu'aucun versement n'avait été fait pour mars; que, cependant, les dépenses avaient été continuées, même pendant le dernier mois cité, et que parmi elles figurait principalement le chiffre des sommes dépensées pour les prisonniers de Lyon ou de Saint-Etienne, lequel ne s'élevait pas à moins de 600 francs; que, dans cette situation, il était impossible de donner sur le champ l'état précis des finances pendant ce trimestre; qu'enfin il engageait formellement les chefs de section à faire leurs versements à la prochaine réunion des conseils d'arrondissement et à nommer deux délégués à l'examen desquels les comptes généraux seraient livrés par le caissier, suivant le règlement.
Le comité a, comme organe de l'association, témoigné, avec une franchise toute républicaine, le mécontentement qu'il avait éprouvé par suite de l'inconcevable conduite de quelques chefs de section qui, au mépris des règlements, loi formelle que nous devons tous suivre tant qu'il n'y a pas réellement impossibilité matérielle, ont cherché, eux, infiniment faible majorité, à entraîner, par des voies détournées, la majorité à l'adoption de leurs projets. Ce n'était rien moins que la division et l'anarchie qu'ils allaient jeter dans nos rangs, et cela dans le moment où plus que jamais nous avons besoin de nous unir; mais, malgré tous leurs efforts, ils n'ont pu réussir dans leurs tentatives, et c'est plus sous le rapport de sa considération que sous celui de sa force intérieure qu'ils ont nui à la société, car la dernière réunion des chefs des sections nous a pleinement confirmés dans ce que nous savions déjà, à savoir que c'était à trois ou quatre citoyens seulement que le mal était dû.
Néanmoins le comité, principalement à cause de la situation grave dans laquelle la France est placée et de l'immense adjonction de sectionnaires survenue pendant le dernier trimestre, a voulu savoir s'il était toujours la représentation fidèle et vraie de la société, et si la volonté de la majorité des membres actuels était que le mandat dont il est revêtu lui fut continué. Afin de ne gêner en rien l'émission de la pensée de chaque sectionnaire, les membres composant le comité ont déclaré qu'il donnaient tous leur démission. En conséquence, les chefs de section ont été invités à prévenir immédiatement les sectionnaires de se réunir dimanche pour procéder à de nouvelles élections.
Citoyens,
«Vous allez faire acte entier de souveraineté; sans considération de nous, mais en examinant seulement les services rendus à notre cause, comme gages nécessaires de dévouement et d'abnégation pour l'avenir, vous fixerez vos choix. En attendant que l'expression générale de vos voeux soit précisée, nous conserverons la direction que vous nous avez donnée. Si, pendant cet espace de temps, des événements survenaient, vous nous trouveriez ce que nous serons toujours, c'est à dire résolus à tous les sacrifices que peut exiger l'intérêt bien entendu de la sainte cause républicaine. Tout pleins de respect pour vos volontés, nous serons honorés de reprendre, s'il le faut, nos places de simples sectionnaires, et nous n'en continuerons pas moins à travailler avec notre dévouement habituel. Mais nous vous le déclarons dès à présent, nous combattrons directement par tous les moyens quiconque tenterait à l'avenir d'agir en dehors du règlement et de porter le trouble dans la société.
«Pour assurer la régularité des opérations électorales, le comité a arrêté les dispositions suivantes:
«Le règlement veut que les élections soient faites en assemblée générale; mais tous les sectionnaires doivent reconnaître qu'il y a impossibilité matérielle d'exécuter cet article, puisque indépendamment de la difficulté qu'il y aurait à les réunir pendant toute une journée dans un lieu où ils ne pussent être inquiétés par les poursuites de l'autorité, le mauvais temps, que personne n'arrête, peut rendre impossible tout scrutin; qu'en outre, chacun doit comprendre combien il serait difficile de procéder, dans une si grande réunion et avec l'ordre nécessaire, à un scrutin qu'il serait ensuite impossible de dépouiller, puisque deux jours ne suffiraient peut-être pas pour terminer cette opération; que ces difficultés étant reconnues, et un précédent existant déjà avec l'approbation des sectionnaires, la société se trouve aujourd'hui placée dans cette position, ou de se dissoudre, ou de modifier de bonne foi un article de son règlement. Dans une pareille situation, il ne peut pas y avoir d'hésitation sur le choix; c'est pourquoi le comité arrête:
«1° Les élections seront faites par chaque section séparément réunie dans le lieu ordinaire de ses séances;
«2° Après l'ouverture des travaux, le chef donnera lecture de la présente circulaire;
«3° Les sept membres futurs du comité seront nommés à la majorité absolue des suffrages. Dans le cas où deux tours de scrutin n'auraient pas donné cette majorité à un ou plusieurs des membres à élire, l'élection aura lieu par un troisième tour de scrutin à la majorité relative;
«4° Procès-verbal sera dressé sur le champ du résultat des votes, certifié sincère par le chef, le sous-chef et le premier quinturion de la section, puis cacheté;
5° Tous les procès verbaux seront apportés lundi soir, à sept heures, extrêmement précises, par les chefs de l'arrondissement. Ils seront ensuite ouverts et lus dans une réunion qui aura lieu le même jour. Le résultat sera proclamé, puis annoncé ultérieurement aux sections par une nouvelle circulaire.
Salut et dévouement fraternel.
Les membres du comité: POUJOL, J. T. HUGON, P. A. MARTIN, E. BAUNE, ÉDOUARD ALBERT, SILVAIN COURT, BERTHOLON.»
Il y aurait beaucoup de remarques à faire sur cette pièce; je ne m'y arrêterai pas; je dirai seulement que le comité central a continué ses publications pendant la durée du combat; c'est ce que prouve l'ordre du jour que je vais transcrire, et qui est daté, comme la circulaire précédemment citée, de l'an 42 de la République. On voit qu'elle aussi a sa légitimité et ne tient pas compte du règne des usurpateurs.
«A Vienne, la garde nationale est maîtresse de la ville; elle a arrêté l'artillerie qui venait contre nous. Partout l'insurrection éclate. Patience et courage! La garnison ne peut que s'affaiblir et se démoraliser. Quand même elle conserverait sa position, il suffit de la tenir en échec jusqu'à l'arrivée de nos frères des départements; au premier jour nous recevrons des nouvelles favorables.
Lyon, le 22 germinal, an 42 de la République.»
A chacun donc la responsabilité de ses oeuvres; c'est aux partis politiques que Lyon doit ses derniers malheurs.
En vain dira-t-on que l'insurrection aurait éclaté ailleurs; à Paris d'abord par exemple, si elle avait été véritablement républicaine, tandis qu'en se montrant à Lyon elle a trahi une tout autre origine. Mais on oublie que le désordre, tant de fois comprimé à Paris, a déserté cette ville où une police active, une armée immense, une garde nationale unanime dans son dévouement ne lui laissaient plus aucune chance de succès. On oublie que les factions ont émigré à Lyon, qu'elles y ont établi le centre et le foyer de toutes leurs intrigues, qu'elles lui ont conféré le triste honneur d'être pour elles, non-seulement une capitale industrielle, mais une capitale politique. En effet, où trouver des éléments plus favorablement disposés pour le triomphe de l'anarchie? Où trouver ces débris d'associations d'ouvriers, dont on pourrait encore exploiter le mécontentement? Où trouver une cité plus grande, plus importante à tous égards, plus influente par sa position entre les républicains de la Bourgogne et les légitimistes du Midi? Où en trouver une qui soit plus abandonnée aux graves dangers qu'entraîne, toujours une industrie dominante? Il est évident que la révolte, quel qu'en fût le caractère, devait trouver ici son centre et son point d'appui principal.
D'ailleurs l'explosion ne devait point être locale; la promulgation de la loi sur les associations devait en donner le signal pour toute la France. Les anarchistes lyonnais ont cru devoir faire feu avant le signal. Ils ont pensé qu'en saisissant l'occasion du procès des Mutuellistes, ils trouveraient le moyen de rattacher à leur cause tous ces ouvriers en soie qui commençaient à renoncer au désordre. Par là ils ont pu accroître ici le nombre de leurs partisans; mais ils ont isolé leur mouvement, et ils en ont rendu la répression plus facile.
Puisque j'ai parlé de cette loi sur les associations dont la promulgation devait être le signal d'une protestation à coups de fusil, qu'il me soit permis de dire toute ma pensée sur les protestations écrites qui ont précédé et préparé celle-là. Je puis la dire sans hésiter, car, je le déclare en commençant, les intentions sont choses sacrées pour moi. Je crois qu'on peut avoir les vues les plus honorables quand on a embrassé le parti de la République ou celui de la légitimité; je crois même (et ceci scandalisera bien des gens) qu'on peut vouloir par patriotisme le soulèvement des rues et la violation des lois. Je déplore l'erreur de ceux qui prétendent arriver au bien par le mal; mais jusqu'à preuve contraire, je crois à leur désintéressement et à leur sincérité.
Ces réserves une fois faites, je déclare que, de toutes les tentatives anarchiques qui ont eu lieu depuis trois ans, je n'en connais pas de plus monstrueuse que le discours de, l'honorable M. Pagès (de l'Ariége) sur la loi des associations. Dans une nation civilisée et soumise au régime légal, un citoyen qui viole la loi, qui la viole à bon escient, qui proclame même hautement la nécessité de la violer, doit soulever contre lui l'animadversion de tous les partis, car tous sont intéressés au respect de la loi qui n'est la propriété exclusive de personne. Mais quand ce citoyen est lui-même législateur, quand il abuse de la tribune pour se poser, à la face du pays, comme adversaire de la loi qui vient d'être adoptée, quand il foule aux pieds ces deux grands principes de tout gouvernement représentatif, respect de la majorité et respect de la loi, quand il fait un appel à toutes les résistances pour s'y associer, quand il établit ce principe anti-social que chacun est juge en dernière analyse de la législation du pays, et peut choisir, pour les rejeter ou s'y soumettre, les dispositions qui lui conviennent et celles qui ne lui conviennent pas; c'est le comble du désordre moral; il n'y a pas de paroles assez énergiques pour repousser un système aussi dangereux.
Je crois que l'étonnement avait fermé la bouche à tous les collègues de M. Pagès, car personne ne prit la parole pour relever ses doctrines, et demander qu'on donnât à ce discours le commentaire indispensable d'un rappel à l'ordre: aussi d'autres députés ont-ils protesté à son exemple; aussi avons-nous vu, comme une chose toute simple, les journaux ouvrir leurs colonnes aux protestations de tous les mécontents de toutes les provinces; et puis sont venues les protestations à main armée, que M. Pagès ne souhaitait certainement pas, et qui ne sont pourtant qu'une déduction logique de ses paroles. Il y avait peut-être quelque exagération à prétendre que le 6 juin 1832 fût sorti du compte rendu; mais personne ne peut nier que les protestations des députés n'aient été traduites en coups de fusil le 9 avril 1834.
Parmi les journaux qui ont nié l'origine politique des derniers événements, le Précurseur mérite une mention spéciale. Il s'est fait un argument des articles qu'il a publiés quelques jours auparavant, et dans lesquels il prêchait, sinon la paix et la concorde, du moins la renonciation à tout projet d'agression armée.
Je ne suis pas de ceux qui pensent que, sous ces conseils pacifiques, le Précurseur cachait un désir secret de voir les hostilités commencer. Je crois, au contraire, qu'il appartient à cette fraction peu nombreuse du parti républicain qui redoute sincèrement les émeutes et qui ne croit pas le moment venu pour une révolution; mais ce qu'il ne voit pas ou ce qu'il fait semblant de ne pas voir, c'est qu'il est dépassé et absorbé depuis longtemps par les hommes d'action, par les impatients et les écervelés du parti; c'est qu'il ne représente plus l'opposition républicaine, et que, par conséquent, tous ses articles et ses conseils ne peuvent plus passer pour la véritable pensée de cette faction. D'ordinaire les partis attendent le moment du triomphe pour se décomposer; mais celui de la république a déjà dépossédé ses premiers chefs et a fait descendre rapidement le pouvoir des hommes du National et du Précurseur à ceux de la Tribune et de la Glaneuse. Qu'on juge par là des éléments de ce parti, et qu'on ne vienne plus dire qu'on ne se répète pas en politique, qu'on ne recommence pas deux fois, et de la même manière, les mêmes scènes. Non, sans doute, et la seconde république ne ressemblerait certainement pas à la première; elle serait moins glorieuse, moins longue. Vous n'auriez plus, comme la première fois, ces hommes généreux, patriotes, qui, pleins d'enthousiasme pour le mouvement de 89, ne s'en détachèrent qu'à la dernière extrémité. Dès le premier jour, vous n'auriez pour vous gouverner que des hommes de rebut qui se hâteraient d'étaler leurs rêves insensés pour compenser ce qui manquerait à leur règne en durée et en grandeur.
Espérons que ces dernières folies achèveront de détacher du parti anarchiste quelques hommes distingués qui lui prêtent le secours de leur nom, mais qui doivent s'y trouver mal à l'aise et y sont probablement peu appréciés. Qu'ils comparent, dans l'affaire de Lyon en 1834, la conduite de leurs partisans avec celle de l'autorité. D'un côté, toutes les provocations, toutes les violences; de l'autre, toute la patience et la modération que comporte la fermeté. Quelques personnes ont reproché à M. de Gasparin de n'avoir pas saisi toutes les occasions de sévir et de réprimer. C'est qu'il voulait laisser aux factions tout l'odieux d'une semblable lutte. Aussi pas une voix ne s'est élevée pour attribuer le conflit aux provocations de l'autorité; dans un temps où toutes les calomnies ont cours, on n'a pas encore inventé celle-là.
Personne n'a prétendu non plus qu'il fallût attribuer l'explosion à quelque circonstance particulière et inattendue; on y a généralement reconnu une entreprise préméditée et préparée de longue main. Depuis longtemps, des tentatives d'embauchage étaient faites auprès des soldats de la garnison. Dès la veille de l'insurrection, les maisons dont il fallait s'emparer, celles qui avaient des allées traversantes ou dont les fenêtres plongeaient sur plusieurs rues, avaient été marquées à la craie, et au moment où la lutte s'engageait sur la barricade de la place Saint-Jean, l'attaque de la Préfecture était déjà tentée, et des barricades s'élevaient sur tous les points de la ville et des faubourgs, dans les positions les plus fortes, dont le choix indiquait une étude sérieuse du terrain et une habileté stratégique à laquelle les militaires rendent hommage.
Ceci répond d'avance aux insinuations de ceux qui regardent les désordres de l'audience où devaient se juger les chefs Mutuellistes comme la cause de l'insurrection qui a éclaté quatre jours après, et attribuent d'ailleurs ces désordres à l'imprudence ou à la faiblesse de l'autorité administrative, donnant à entendre qu'elle est responsable du sang répandu. Il est évident qu'il n'était au pouvoir de personne ni de faire naître ni d'empêcher l'explosion.
Quelques mots d'explication suffiront pour éclairer la scène du
Palais-de-Justice.
Le président du tribunal et le procureur du roi avaient conféré la veille sur les mesures à prendre avec le général Aymard et avec le préfet; ils avaient insisté pour qu'aucun appareil militaire n'entourât l'audience; ils avaient cité tous les précédents qui autorisaient la confiance, et avaient dit que la justice devait puiser sa force dans sa propre dignité et non dans l'appui des baïonnettes. La noblesse de ces sentiments fut comprise et leur demande d'autant plus facilement accueillie que l'on connaissait les dispositions de la Société des Mutuellistes qui recommandait le calme à tous les ouvriers.
Cependant, malgré les conventions de la veille, le président crut devoir appeler des soldats pour arrêter le tumulte que produit toujours une foule nombreuse et agitée; il fit une réquisition pour une centaine d'hommes, force tout à fait insuffisante au milieu de cette multitude qui encombrait l'audience, la cour de l'hôtel Chevrière et la place Saint-Jean; il fit cette réquisition sans prévenir autrement les autorités militaires et administratives.
Le piquet appelé se trouva donc compromis et dans l'impossibilité presque absolue d'agir. Sa situation fut d'autant plus fâcheuse qu'un incident postérieur à la levée de l'audience, et relatif à un témoin à charge indignement attaqué, avait changé l'inquiétude et l'agitation de la foule en une hostilité véritable; de là des désordres et des excès que tout le monde déplore, mais que l'administration ne pouvait prévenir et qu'elle fit cesser très-promptement.
Ainsi, pour résumer en quelques mots ces considérations préliminaires, l'insurrection lyonnaise de 1834 a été politique. Elle devait éclater à la fois dans toute la France, et le désir seul de rattacher la cause des ouvriers en soie à celle de la Société des Droits de l'homme a fait devancer ici le moment fixé; on ne peut l'attribuer ni aux provocations de l'autorité locale, ni à l'effet produit par quelques circonstances particulières et inattendues.
J'entre maintenant dans l'histoire des six journées.
Le procès des Mutuellistes avait été renvoyé au mercredi 9 avril 1834. Il était évident pour tout le monde que, si l'insurrection devait avoir lieu, elle éclaterait ce jour-là. Aussi chacun s'y préparait à sa manière; les habitants paisibles émigraient en foule; les fiacres, les omnibus ne pouvaient suffire aux familles qui allaient chercher un asile à la campagne. Pendant ce temps, la Société des Droits de l'homme et l'autorité militaire faisaient leurs dispositions d'attaque et de défense.
Les sections étaient unanimes pour le soulèvement; elles croyaient le moment favorable; leurs membres ne doutaient pas que les affiliés de Mâcon, de Dijon, de Grenoble et de Saint-Étienne, auxquels on avait écrit de se tenir prêts, ne secondassent le mouvement. Ils se faisaient illusion sur l'esprit des départements; ils croyaient allumer une traînée de poudre qui porterait en quelques heures le feu de la sédition dans les provinces légitimistes et dans les provinces républicaines, et jusque dans les murs de la capitale. Mais leur plus grande erreur était de compter sur les soldats. La contenance de la compagnie du 7e léger, appelée le samedi à l'audience du tribunal, avait achevé de les confirmer dans cette idée; d'ailleurs, ils citaient avec complaisance le nom de quelques sous-officiers engagés dans la Société; ils parlaient de lettres écrites par des artilleurs; enfin, ils se berçaient d'une espérance qui reçut dès la première attaque un éclatant démenti.
Les plus prudents voulaient retarder cette attaque jusqu'au moment de la condamnation; mais on fit observer qu'en commençant aussi tard on s'exposerait à ne pas achever dans la journée le mouvement qui devait emprisonner chaque corps dans le quartier où il se trouvait, l'isoler du reste de la garnison, couper toutes les communications de la troupe et empêcher ainsi qu'une direction unique ne présidât à ses mouvements. La nuit venue, on ne pourrait plus retenir les combattants à leur poste, et les soldats profiteraient de cette circonstance pour regagner leurs positions et rétablir leurs communications interrompues.
Ces observations déterminèrent la majorité; il fut décidé qu'on engagerait l'affaire à onze heures, après que les juges seraient entrés en séance. Quant au plan des opérations, je viens déjà d'en donner un aperçu. Une première ligne de barricades devait s'élever à la fois dans toutes les parties de la ville; on devait en défendre les abords en tirant des fenêtres et des toits; et pendant ce temps, une seconde ligne mieux fortifiée, plus difficile à enlever, devait offrir un nouvel obstacle aux soldats, dans le cas où ils seraient parvenus à forcer la première.
On avait une assez grande quantité de poudre tirée de Suisse par contrebande; et d'ailleurs on devait en fabriquer dans plusieurs quartiers, d'après la recette que la Glaneuse avait publiée quelques jours auparavant. Les balles ne manquaient pas; mais les fusils n'étaient pas en très-grand nombre; plusieurs membres de la société furent chargés de parcourir les communes voisines et de désarmer les gardes nationales. Un poste fut assigné à chaque section, et la besogne étant ainsi distribuée, on attendit sans impatience le moment d'agir.
De son côté, le général Aymard faisait ses préparatifs; il donnait des instructions confidentielles aux généraux et aux chefs de corps; il chargeait les officiers de visiter avec soin les localités où ils pourraient être appelés à agir; il faisait approvisionner de vivres et de munitions les principaux forts et les casernes les plus importantes.
Son plan avait cela de commun avec celui des insurgés que lui aussi cherchait à les scinder, à les isoler, à empêcher tout ensemble dans leurs mouvements; de part et d'autre, on avait compris l'importance de cette opération, à laquelle la longueur de la ville se prêtait merveilleusement; on avait compris que celui-là devait l'emporter qui conserverait ses communications en interrompant celles de l'ennemi. Or, ce grand résultat fut obtenu dès le premier jour par les troupes, qui emportèrent les premières barricades et occupèrent sur-le-champ les positions que le général leur avait assignées.
Ces positions étaient les suivantes:
Le premier corps, commandé par le général Fleury, s'étendait de la barrière Saint-Clair jusqu'à la barrière de Serin, en suivant les remparts qui séparent Lyon de la Croix-Rousse, et occupait la caserne des Bernardines. Le second corps, établi à l'Hôtel-de-Ville, défendait la ligne du pont de la Feuillée, des Terreaux et du pont Morand; il était placé sous les ordres du colonel Dietmann, du 27e de ligne, remplissant les fonctions de commandant de la place.
Le général Buchet dirigeait le troisième corps, qui séparait Bellecour de Perrache et du reste de la ville, en s'étendant de Saint-Jean à la Guillotière par le pont de l'Archevêché et la place Bellecour. Le général Dejean commandait sur cette place une réserve qui, en parcourant sans cesse les larges et droites rues de Perrache, a maintenu la tranquillité dans ce quartier et assuré les derrières du général Aymard, dont le quartier-général était établi sur la place Bellecour.
Ainsi, trois lignes d'opérations, qui devaient couper les insurgés en quatre fractions, sans rapports et sans relations entre elles. Ce mouvement les a d'autant mieux déconcertés que la défense absolue de circulation, en consignant dans leurs demeures tous les citoyens inoffensifs, a complété l'isolement des bandes armées qu'on attaquait.
Telles étaient les dispositions de l'autorité militaire qui d'ailleurs devait occuper tous les ponts et communiquer par les quais. Elle était décidée à repousser énergiquement toute agression, mais l'ordre était donné d'essuyer le feu des révoltés avant de tirer sur eux; on voulait leur laisser jusqu'au bout l'odieux d'une provocation à la guerre civile. Du reste, on était sans crainte sérieuse sur le résultat; la garnison offrait un effectif de 6,500 hommes disponibles; les 3,400 hommes qui complétaient la garnison étaient absorbés par les hôpitaux ou par la garde de plusieurs postes qui les paralysaient entièrement; c'était assez pour vaincre, mais trop peu pour vaincre promptement. Il avait donc fallu prévoir toutes les chances, et l'on s'était assuré que les approvisionnements en farine suffiraient pour nourrir la population lyonnaise pendant dix-neuf joues, si la prolongation des hostilités et le soulèvement des départements voisins ne permettaient pas de se procurer de nouvelles subsistances.
Le 9 avril, au matin, les troupes de la garnison, le sac au dos, avec des provisions de guerre et de bouche, se rendent aux différents postes qui leur ont été assignés. Sur la place Bellecour stationnent plusieurs bataillons d'infanterie, massés vers le milieu de l'enceinte, du côté de la promenade des tilleuls; ils sont flanqués par de nombreux détachements de dragons et par deux batteries. Les principales têtes de pont sont occupées par des piquets d'infanterie et de cavalerie, et quelques-unes défendues par des bouches à feu. L'Hôtel-de-Ville est entouré d'une force imposante; les troupes de la caserne des Bernardines sont prêtes à marcher. Les abords du Palais-de-Justice sont gardés par le 7e régiment d'infanterie légère qui a demandé à être placé en première ligne pour se laver des soupçons qu'on avait émis sur sa fidélité. Il est posté en grande partie dans la cour de l'archevêché.
A Onze heures, le préfet était placé sur la galerie de l'église Saint-Jean, en face de l'hôtel de Chevrières, où le tribunal correctionnel jugeait les Mutuellistes; il était accompagné de MM. Faye, conseiller de préfecture; de Casenove, adjoint, et Chinart, conseiller municipal, qui ne l'ont pas quitté un moment pendant les six journées; il voulait juger lui-même de la nécessité et du moment de la répression. La place Saint-Jean était silencieuse, solitaire; il était évident que les assaillants voulaient se présenter en masse; les sections des Droits de l'homme étaient en permanence dans leurs locaux.
A onze heures et demie, une bande arrive, une proclamation est lue, des barricades sont formées aux différents angles de la place. Au même moment, elles s'élèvent dans toute la ville.
Aussitôt le préfet donne avis au général Buchet de ce qui se passe, et lui dit d'aborder les barricades. En effet, le général fait sortir ses troupes de l'archevêché et se porte à celle qui obstruait l'entrée de la rue Saint-Jean. Un coup de pistolet est tiré sur la troupe; le colonel de gendarmerie Camuset commande un feu de peloton à ses gendarmes; il est imité par le 7e léger; la barricade est emportée et les assaillants prennent la fuite.
Une nouvelle barricade s'élevait sur la place Montazet, à l'entrée de la rue des Prêtres. Le préfet s'y porte lui-même avec une section de voltigeurs; ils sont assaillis par une grêle de pierres, et un jeune homme bien mis, placé sur le perron qui domine la rue des Prêtres, reconnaissant M. de Gasparin pour le préfet, lui lance un énorme pavé qui ne manque son but que de quelques lignes. Cependant les soldats hésitaient à s'engager dans cet étroit défilé. Alors le lieutenant monte sur le perron avec quelques hommes, le débarrasse de ceux qui s'y trouvaient, et la barricade abandonnée est occupée par les troupes. En revanche des coups de feu partent des fenêtres et signalent la tactique des insurgés qui nulle part n'ont tenu dans la rue devant la troupe, et se sont contentés de lui faire une guerre de lucarnes et de cheminées.
Les assaillants, chassés de la place Saint-Jean, allaient se retirer au pont au Change, défendu des deux côtés par une forte barricade, et le général Buchet y marchait pour les enlever, quand il s'aperçut qu'en allant d'une barricade à l'autre, sa troupe se dispersait et que des feux s'établissaient sur ses derrières; il s'arrêta et se replia sur la rive droite de la Saône, à la hauteur de la prison de Roanne, où il se retrancha.
Mais avant même le premier engagement du quartier Saint-Jean, une tentative hardie, et qui faillit réussir, avait lieu sur la place Concert. Une foule immense, et dont l'hostilité ne put bientôt plus être mise en doute, s'était rassemblée devant l'hôtel de la préfecture; le secrétaire général, M. Alexandre, accourut au bruit et fit fermer les grilles; le piquet de vingt-cinq hommes qui gardait l'hôtel se rangea à quelques pas en arrière dans la cour. Bientôt des hommes armés s'emparèrent des planches du théâtre provisoire pour former des barricades et se mettre à l'abri si des troupes débouchaient sur la place; d'autres dressaient des échelles et commençaient à y monter; la préfecture allait être envahie quand le général Dejean, auprès duquel le fils du secrétaire général s'était rendu, à travers la fusillade, envoie sur la place une compagnie de grenadiers du 6e régiment. Les insurgés se réfugient dans le théâtre provisoire, où ils parviennent à se retrancher; un d'entre eux, moins prompt à prendre la fuite, est tué d'un coup de baïonnette sur l'échelle où il se trouvait encore.
En même temps de nouvelles troupes, dirigées par le général Aymard sur ce point important, débouchent sur la place; quelques coups de canon, tirés du quai par la rue Neuve-de-la-Préfecture, débusquent les hommes enfermés dans la salle de spectacle; il ne s'agit plus que de faire taire un feu assez vif qui part des croisées et surtout de la galerie de l'Orgue. Un canon est amené, il ouvre aux soldats l'entrée du passage, et des voltigeurs, lancés au pas de course, arrivent en même temps que la fumée vomie par la pièce; quelques hommes tombent dans ce périlleux trajet, mais le but est atteint: on est maître de la galerie.
Au delà se trouve un massif de rues étroites et tortueuses où il est dangereux et difficile de poursuivre les insurgés. Cependant le général Buchet y pénètre hardiment; un combat s'engage dans la rue de l'Hôpital et principalement auprès d'une maison toute remplie de tirailleurs. Pour y pénétrer, on fait placer un pétard sous la porte d'allée; mais en éclatant il met le feu à toute la maison, et comme un vent très-sec souffle du nord, tout fait craindre un embrasement général. En effet l'incendie se communique à la maison en face; mais les pompes de l'hôpital et de la préfecture arrivent à temps pour éviter de plus grands malheurs; les soldats et les insurgés travaillent ensemble à éteindre l'incendie. Une fois ce résultat obtenu, chacun reprend ses positions et le combat s'engage de nouveau.
La journée finit de ce côté par une fusillade très-nourrie sur le quai du Rhône. La tête du pont Concert est vivement attaquée; les soldats, retranchés dans les pavillons de ce pont du côté de la ville et répandus en tirailleurs le long du quai de Bon-Rencontre, font feu sur toutes les rues aboutissantes et refoulent dans l'intérieur les insurgés qui se présentent pour déboucher. Cependant, vers la nuit, ce poste avancé, et que son isolement à côté du quartier général des rebelles exposait à être enlevé par eux, se replie et abandonne sa position. Des pièces de canon placées sur l'autre rive foudroient cette partie du quai; mais les communications sur la rive droite du Rhône sont complètement interrompues.
Aux Terreaux, le colonel Dietmann n'était pas resté inactif; il avait enlevé une barricade dressée au coin de la place des Carmes et celle de la Boucherie. Poursuivant ses avantages, il s'avance jusqu'à la place de l'Herberie où un pétard, attaché à la porte d'une maison, détruit les devantures de tous les magasins environnants, et brise presque toutes les vitres du quartier. Mais obligé de faire face au nord, vers le quartier des côtes et la place Sathonay, le colonel Dietmann ne peut pousser au midi jusqu'au pont de pierre, et sa communication reste incertaine, avec la ligne de Bellecour par le quai de Saône, toute la nuit et une partie du jour suivant.
L'affaire s'est également engagée à la Croix-Rousse; une barricade formée en face la caserne des Bernardines, est prise à revers et enlevée par le général Fleury, qui tue un grand nombre d'insurgés; de ce moment, les attaques de vive force ont cessé de ce côté, la Croix-Rousse est restée silencieuse, mais occupée par l'ennemi. Le général Fleury emploie le reste de la journée à faire battre le quartier Saint-Paul par quelques pièces d'artillerie placées à la caserne des Chartreux.
Pendant tout ce temps, le son du tocsin se faisait entendre à tous les clochers. Des proclamations républicaines étaient lues et répandues dans les quartiers du théâtre de l'insurrection. Elles contenaient en substance la déchéance de Louis-Philippe, et la nomination de Lucien Bonaparte comme premier consul.
Partout les troupes ont montré une résolution vraiment admirable; partout elles ont attendu le feu des insurgés et y ont répondu sans hésiter. On cite ce propos d'un soldat du 6e léger, régiment composé en partie de Lyonnais, qui, arrivant sur la place de la préfecture, cria à sa mère: «Ma mère, fermez votre fenêtre; nous allons tirer;» et puis il fait feu comme les autres.
En récapitulant les résultats de cette première journée, nous trouverons que l'ennemi, coupé sur tous les points et resserré dans les quartiers où il tient encore, occupe Saint-George, où les premières attaques l'ont refoulé, le Change, le quai de Bondy et celui de Bourgneuf sur la rive droite de la Saône. Sur cette même rive, les troupes se maintiennent de Saint-Jean à la prison de Roanne.
Entre les fleuves, l'insurrection est coupée en quatre tronçons; à Perrache, la largeur des rues ne lui a pas permis de s'établir en force; elle occupe les environs de l'Hôpital et de la place des Cordeliers. Les maisons qui bordent le quai Saint-Vincent, Saint-Polycarpe et les Côtes, sont en son pouvoir. Enfin elle est prisonnière, mais armée dans la Croix-Rousse.
Les trois lignes du général Aymard conservent une communication parfaitement libre, par la rive gauche du Rhône, le pont de la Guillotière et le pont Morand.
Ces résultats n'ont pas été obtenus sans éprouver une perte considérable. Les soldats, peu accoutumés à ce genre de guerre, tirent à découvert contre des hommes cachés dans les maisons; il fallait changer de tactique et les imiter; il fallait en outre profiter des moyens que fournissait l'artillerie pour épargner le sang, en forçant les maisons qui faisaient le plus de résistance. C'est ce qu'on a fait les jours suivants, et les pertes de la troupe ont sensiblement diminué.
On avait espéré que le calme de la nuit et le succès des opérations de la veille feraient rentrer en elle-même cette partie de la population que les factieux avaient égarée; mais le 10, de grand matin, le tocsin sonnait déjà dans toutes les parties de la ville; évidemment la bataille n'était pas finie.
Cette seconde journée ne fut employée qu'à assurer et nettoyer les positions que dès la veille on avait conquises. Des succès partiels permirent de rétablir les communications avec l'Hôtel-de-Ville, du côté de la Saône. La grande communication, par la rive gauche du Rhône, un moment interceptée par l'insurrection de la Guillotière, fut également rétablie. Dans l'intérieur de la ville, les différentes lignes s'occupèrent à éteindre les feux qui les gênaient et à s'étendre plus à l'aise dans leurs quartiers; on évita, pour ces différentes opérations, d'exposer les soldats comme la veille, et l'on fit un usage presque constant de l'artillerie. Le son du canon retentit sans interruption, et l'action, moins sanglante que le premier jour, dut sembler plus terrible encore aux habitants enfermés dans leurs demeures.
De leur côté, les insurgés complétèrent leur mouvement par le soulèvement des quartiers qui jusqu'alors étaient restés calmes. Saint-Just, La Guillotière, Vaise, le quartier du Jardin-des-Plantes, celui de la Grande-Côte, se hérissèrent de barricades. La caserne du Bon-Pasteur, située au-dessus du Jardin-des-Plantes et abandonnée par les troupes, ainsi qu'il avait été convenu, fut occupée par les assaillants. Des drapeaux rouges ou noirs portant d'un côté: liberté, ordre public, et de l'autre: la République ou la mort, furent arborés ce jour-là ou le lendemain sur l'église de Saint-Polycarpe, sur Fourvières, sur l'Antiquaille, sur le clocher de Saint-Nizier et sur celui de Saint-Bonaventure.
Ainsi de part et d'autre on s'occupe d'asseoir, d'assurer, de dessiner ses positions.
Dès le matin, le général Aymard avait fait garnir de bouches à feu le pont Morand, le pont du Concert et celui de la Guillotière; ces précautions avaient pour but de maintenir la communication principale sur la rive gauche du Rhône, et de faciliter l'arrivée d'un convoi de munitions qu'on attend de Grenoble et des renforts qui doivent arriver du Midi.
Le retard de ces renforts et les mauvaises dispositions qui se manifestent déjà à la Guillotière, semblent nécessiter l'évacuation du quartier Saint-Jean, dont les troupes pourraient être employées si utilement ailleurs; mais la crainte de l'effet moral que produirait infailliblement tout mouvement rétrograde ne permet pas de s'arrêter à cette idée; on se contente de donner à la petite garnison du fort Saint-Irénée l'ordre de se replier sur Bellecour. La nuit venue, elle abandonne ce poste, en arrière de l'ennemi et où le succès possible du mouvement de Saint-Étienne peut la compromettre gravement, et, après avoir encloué ses pièces, elle se rend au quartier général, en passant par Saint-Foy et par le pont de la Mulatière.
Cependant le quartier Perrache tente aussi son insurrection; c'est aux environs de la manufacture de tabac que le mouvement paraît avoir le plus de gravité. Les dragons s'y portent en toute hâte et l'ordre est promptement rétabli.
Mais l'existence du Pont-Chajourne, à l'extrémité duquel les insurgés de Saint-George soutiennent avec les troupes une fusillade continuelle, est inquiétante pour le quartier de Perrache; c'est une fâcheuse diversion sur les derrières du quartier-général. Le soir, on amarre contre le pont un énorme bateau de foin, auquel on met le feu; après avoir brûlé pendant une heure, trois arches s'abîment dans la rivière.
Depuis le matin, les batteries placées sur les ponts du Rhône et le cours Bourbon criblent de boulets les maisons du quai de Retz et du quai de Bon-Rencontre, d'où partent des coups de fusil. Un obus lancé sur une de ces maisons, au coin de la rue Gentil, est cause d'un incendie qui a failli avoir des suites épouvantables. Un instant on a craint que le feu ne se communiquât aux bâtiments de la Bibliothèque et du Collège; l'anxiété et l'effroi ont été à leur comble; heureusement cette crainte ne s'est pas réalisée, et l'incendie a été restreint à son foyer primitif.
Pendant ce temps, on s'efforce de détruire les pavillons du pont du Concert que les soldats ont abandonnés et qui pourraient offrir un poste avancé aux séditieux. La construction solide de ces pavillons rend plus lente cette oeuvre de destruction qui occupe quatre pièces de huit jusqu'à la nuit.
Mais les craintes qu'inspirait la Guillotière se sont réalisées. Cette ville vient de s'insurger. Les maisons placées à la tête du pont font feu sur les soldats. La grande communication est coupée; il faut la rétablira tout prix. Pendant qu'on riposte aux insurgés placés aux fenêtres les plus avancées, des canons et des obusiers placés sur le cours de Bourbon lancent de nombreux projectiles sur la tête du faubourg. Une maison prend feu, et les flammes, poussées par le vent, se communiquent aux maisons voisines avec une effrayante rapidité. Alors la fusillade s'affaiblit et bientôt elle cesse complètement. Le général, qui n'a pas de troupes pour occuper le faubourg, est obligé de se contenter de la promesse faite par les habitants d'empêcher la reprise des hostilités.
Vers le soir, plusieurs détonations se font entendre au fort Lamothe qui, pendant ce jour et les suivants, s'occupe de débarrasser les grandes routes de Marseille et de Grenoble des pillards Dauphinois qui se rendent à Lyon. Il tire plusieurs coups de canon sur le clocher de la Guillotière où on sonne le tocsin.
Aux Terreaux, la première opération a été d'occuper le beffroi et les pavillons de l'Hôtel-de-ville et du palais Saint-Pierre; de là les tirailleurs de la ligne font cesser par leur feu celui qui part des toits situés à une certaine distance; plusieurs maisons remplies d'insurgés sont enlevées par les soldats. On s'occupe ensuite de déloger l'ennemi des environs de la boucherie des Terreaux et du quai Saint-Vincent; on parvient aussi à rétablir les communications interrompues avec la manutention et la poudrière.
Bientôt une expédition plus sérieuse encore est dirigée vers la place Sathonay, dont une forte barricade défend l'approche; il est important de reprendre cette place et le Jardin-des-Plantes. Une compagnie de grenadiers du 27e se porte vers cet emplacement. Le colonel Monnier du 28° la commande en personne. Déjà blessé au commencement de l'insurrection, il tombe percé d'un coup mortel au moment où la barricade est emportée par ses soldats.
Ce brave militaire était parti le 7 pour aller revoir sa famille; il apprit à Grenoble, le mardi, que son régiment pourrait être engagé le lendemain. Il revient aussitôt sur ses pas et trouve dans les rues de Lyon la fin d'une carrière glorieuse et consacrée jusqu'au bout à combattre les ennemis de la France.
A la Croix-Rousse, la caserne des Bernardines avait été attaquée de nouveau; le feu de l'artillerie et de la mousqueterie n'avait cessé de retentir de ce côté. Pendant la nuit, on envoie à la munitionnaire, à Serin. Des convois de vivres ravitaillent les troupes aux Bernardines, aux Terreaux, à Bellecour et dans les forts. Il a fallu se battre pour arriver aux magasins et en revenir; des officiers et des soldats sont blessés.
Pendant cette journée, si pleine de désordre, de mouvement et de bruit, des crieurs ont colporté à grand'peine la proclamation suivante dans les quartiers occupés par les troupes:
«Habitants de Lyon!
Nos efforts pour éviter la collision ont été vains; le siège de la justice a été attaqué par les factieux, et nous nous sommes vus réduits à la nécessité de le faire respecter par les armes.
«Partout nos troupes se sont montrées avec un calme et un dévouement admirables; partout les insurgés ont pris la fuite et n'ont su s'opposer à leur élan qu'en se cachant dans des maisons, d'où ils ont été débusqués toutes les fois qu'on a jugé convenable de l'entreprendre.
Resserrée dans un étroit espace, la révolte ne peut se maintenir; coupée sur tous les points de ses communications, espérant en vain des renforts des villes voisines dont la tranquillité n'a pu être altérée, elle sera bientôt réduite à céder.
Ayez confiance dans vos magistrats, dont la sollicitude ne tend qu'à vous adoucir des malheurs qu'elle n'a pu vous éviter; ayez confiance dans les talents, dans le zèle des généraux; dans la contenance et le courage de nos braves soldats, et votre ville sera bientôt délivrée des maux passagers qu'elle éprouve.
Lyon, 10 avril 1834.
Le conseiller d'État, préfet du Rhône,
GASPARIN.»
Le 10 avril, rien d'important ne fut tenté par les troupes; le général attendait des renforts pour s'étendre; d'ailleurs il fallait lancer des reconnaissances dans les quartiers insurgés et préparer ainsi l'attaque décisive et générale qui devait avoir lieu le lendemain.
Cependant la canonnade ne se ralentit pas, et les maisons du quai de Retz continuèrent à être battues par les pièces placées sur la rive gauche. Dans l'intérieur de la ville, les soldats firent taire tous les feux rapprochés qui les gênaient; les pétards continuèrent à leur servir pour pénétrer dans les maisons occupées; ils commençaient d'ailleurs à entendre cette guerre d'un nouveau genre; à l'exemple de leurs adversaires, ils montaient sur les toits, se cachaient derrière les cheminées, se postaient sur les points les plus élevés de la ville, sur le belvédère de la préfecture, et de là, ils nettoyaient les toits à une grande distance. Dans les rues, ils savaient aussi protéger leur marche par des barricades; on les voyait mettre en réquisition les charrettes et les matériaux qu'ils parvenaient à découvrir et qu'ils conduisaient jusqu'à leur destination, escortés par d'autres soldats, le fusil en joue.
C'est à deux heures du matin que le premier engagement a eu lieu. Les insurgés du quartier Saint-Bonaventure ont fait des tentatives pour se faire jour sur différents points; ils sont repoussés à coups de fusil et à coups de canon. Cette fusillade, ces décharges d'artillerie, dont le silence de la nuit augmente encore l'horreur, rappellent aux habitants des quartiers qui avoisinent les Terreaux la funeste nuit du 22 novembre 1831, où la troupe effectua sa retraite.
Quelques heures plus tard, le pont de la Mulatière est attaqué; et en même temps le quartier Perrache continue à se soulever, et les militaires isolés y sont désarmés par des groupes de rebelles. Tout porte à croire que les insurgés de Lyon attendent l'arrivée de ceux de Saint-Étienne pour tenter un effort plus général; en effet, les nouvelles qu'on reçoit de cette dernière ville ne sont pas rassurantes. L'escorte du bagage du 16e léger vient d'être désarmée sur la route qui y conduit.
J'ai dit que le fort Saint-Irénée avait été évacué dans la nuit du jeudi au vendredi; les révoltés de Saint-Just y ont pénétré depuis; ils sont parvenus à désenclouer une des pièces abandonnées; ils l'ont placée sur la terrasse de Fourvières, et de là ils essaient de lancer des boulets et des pierres sur le quartier-général de Bellecour. Mais leurs projectiles atteignent rarement leur but. On leur riposte avec deux pièces de 24, qui ont été amenées sur la place et qui criblent de boulets la terrasse où se tiennent les artilleurs improvisés de l'ennemi.
Cependant l'impatience des habitants est au comble; enfermés depuis trois jours dans leurs maisons, ils s'indignent de la timidité apparente du général, dont ils ne connaissent pas la véritable position; ils voudraient qu'on se portât en avant, et qu'on en finît avec la rébellion. Toutes les émeutes, toutes les révolutions ont duré trois jours; il leur semble qu'il n'est pas permis à l'insurrection nouvelle de se prolonger au delà.
Ces réclamations, ces plaintes ne changent rien et ne doivent rien changer aux plans de l'autorité militaire. Cependant on rétablit pendant deux heures la circulation, pour les femmes seulement; elles assiègent les boutiques de boulangers et de bouchers pour renouveler leurs provisions épuisées; les denrées de première nécessité sont encore abondantes, mais celles d'une utilité secondaire manquent déjà entièrement.
Quelques citoyens dévoués avaient offert de prendre les armes et de seconder l'effort des troupes; le général Buchet, auquel on avait communiqué leur proposition, s'était empressé de l'accueillir. Il avait promis des fusils et des capotes de soldats. Cette garde civique aurait été employée à maintenir la tranquillité dans les quartiers déjà occupés; elle aurait remplacé la ligne dans les postes les moins périlleux, et lui aurait permis de se porter tout entière en avant. Par malheur, il se trouva peu de personnes pour prendre part à cet enrôlement volontaire; c'est sans doute à l'isolement des habitants, sans communication entre eux, comme aussi sans rapports avec l'autorité, qu'il faut attribuer cette circonstance.
Vers trois heures, le préfet avait publié une proclamation:
«Habitants de Lyon,
La prolongation de l'état pénible où se trouve la ville de Lyon tient à un petit nombre de factieux qui pénètrent dans les maisons et recommencent à tirer dans quelques quartiers. Dans cet état de choses, permettre la circulation complète, ce serait leur donner la facilité de changer de position, de communiquer entre eux et de porter le désordre partout. Pour diminuer cependant cette gêne, qui ne dépend pas de l'autorité, mais qui est le résultat des désordres auxquels les habitants n'ont pas su s'opposer avec énergie, on vient d'autoriser, autant qu'il sera possible, la circulation des femmes.
La ville de la Guillotière a bien apprécié cette position, et les habitants qui ont tant eu à souffrir des mesures militaires qui ont été prises pour faire cesser l'agression, ont obligé les factieux à faire cesser le feu et ont reconquis leur repos.
Sachez les imiter; sachez, dans chaque rue, dans chaque quartier, vous entendre entre voisins pour qu'on ne viole pas vos domiciles et que l'on ne vous expose pas aux risques des mesures militaires et à la destruction qu'elles entraînent, et tout changera de face en un instant, et vous serez rendus à vos travaux et à vos habitudes.
Croyez la voix de l'autorité qui, après avoir si longtemps hésité à répondre aux provocations, vous indique les vrais moyens de faire cesser le désordre.
Lyon, le 11 avril 1834.
Le conseiller d'État, préfet du Rhône,
GASPARIN.»
Quoique relativement calme, cette journée du vendredi n'a pas cessé d'être troublée par le bruit de la mousqueterie et du canon; mais déjà l'on commence à se familiariser avec ces détonations continuelles; bravant la défense et le péril, des groupes de curieux se réunissent sur le quai Saint-Clair pour contempler la canonnade dirigée contre la place du Concert. Le soir, les soldats allument des feux de charbon et bivouaquent au coin des rues; quelques-uns construisent des baraques en planches, d'autres couchent en plein air; et toujours leur gaieté, leur patience sont admirables, malgré les dangers et les souffrances de tous genres dont ils ont été assaillis pendant ces déplorables journées et les longues nuits que le froid et la neige venaient encore attrister.
La journée du 12 avril devait être décisive pour le triomphe de l'ordre; la fusillade qui avait duré toute la nuit à de rares intervalles, reprend, vers le matin, une intensité nouvelle. Les troupes d'un côté, les insurgés de l'autre, conservent à peu près les mêmes positions que la veille; seulement, le nombre de ces derniers et la vivacité de leurs feux vont toujours en diminuant.
Mais un funeste incident semble détruire les espérances qu'on avait conçues. Pendant qu'un premier demi-bataillon de renfort, venu de la Drôme, arrive au fort Lamothe, la Guillotière, qui n'a pas cessé d'être suspecte, recommence à tirer. La grande communication est de nouveau compromise. D'ailleurs on n'est pas encore rassuré sur Grenoble, et principalement sur Saint-Étienne, où le succès des ouvriers peut fournir des armes à tous les mécontents qui en manquent, et décupler les forces de la sédition.
Dans cette position, une alternative déplorable était offerte à l'autorité militaire. Il fallait ou évacuer le quartier Saint-Jean, celui de Perrache et de Bellecour pour occuper le faubourg révolté, ou le détruire complètement. Entre ces deux extrémités, l'hésitation n'était pas permise; tout mouvement de retraite, même apparent, devait être rejeté, sous peine d'accroître à l'infini l'audace et le nombre des rebelles. Ces raisons sont appréciées à leur juste valeur par le général et par le préfet, qui adresse la sommation suivante aux habitants de la Guillotière:
«Lyon, le 12 avril 1834.—6 heures du matin.
A MM. les maires, adjoints, conseillers municipaux, habitants notables de la ville de la Guillotière.
Messieurs,
L'existence prolongée dans votre ville d'un noyau de rebelles, que vous y tolérez par faiblesse, ne permet plus au général d'hésiter sur les moyens à employer pour la prompte réduction de votre faubourg, et il me charge de vous déclarer que si, dans quatre heures, c'est-à-dire à dix heures précises, vous n'avez pas, par l'énergie de vos habitants, mis entre ses mains les principaux rebelles, le feu commencera immédiatement du fort du Colombier et de la ville, et ne s'arrêtera qu'après qu'il aura obtenu ce qu'il demande.
J'ai cru devoir vous avertir du danger qui vous menace; le général n'attend plus qu'une seule réponse: c'est l'exécution des conditions qu'il met à la suspension du feu. Il ne s'agit donc plus de négocier, mais d'agir promptement et vigoureusement, si vous voulez éviter la ruine de votre cité.
Recevez; etc.
Le Conseiller d'État, préfet du Rhône, GASPARIN.»
A cette sommation, M. de Gasparin avait joint une lettre pour le commissaire de police de la Guillotière, par laquelle il l'engageait à faire tous ses efforts pour inspirer aux habitants une sage résolution. Mais ces dépêches, qu'un agent dévoué eut le courage de porter dans le faubourg insurgé, ne purent être remises. La mairie était occupée par les insurgés et le commissaire de police n'était pas chez lui.
Cependant on répugnait à employer les moyens extrêmes avant d'avoir tenté tous les autres; peut-être la Guillotière serait-elle emportée sans sacrifier beaucoup de soldats. Le général Aymard se décide à lancer, dans ce faubourg, une reconnaissance hardie. Sous ses yeux, le 1er bataillon du 21e de ligne se précipite dans la grande rue avec une résolution et une impétuosité remarquables; il ne rencontre qu'une faible résistance, parvient rapidement à la place de l'église où il tue un certain nombre d'insurgés. En même temps, le demi-bataillon venant de la Drôme, fait son entrée dans la Guillotière, qu'il est chargé d'occuper. Cette grave affaire est terminée, et son succès a été plus prompt, plus complet, et surtout moins chèrement acheté qu'on ne l'avait espéré d'abord.
Aussitôt l'ordre est donné au général Buchet d'enlever le quartier-général de l'ennemi, situé à Saint-Nizier et à Saint-Bonaventure. Il faut connaître ce quartier de Lyon pour apprécier toute la difficulté de l'entreprise, et l'habileté avec laquelle avaient été choisies les positions des rebelles. Entre Saint-Bonaventure et Saint-Nizier, ce ne sont que rues étroites, tortueuses, où quelques hommes peuvent arrêter une armée, et en avant sur le quai du Rhône, se trouve la place du Concert, espèce d'entonnoir où des assaillants hésiteront toujours à s'engager. Mais l'attaque avait été préparée de longue main; la place du Concert avait été foudroyée par l'artillerie. Le général Buchet avait dressé lui-même les soldats à la guerre de lucarnes et d'embuscade qu'ils devaient faire. Présent partout, il postait l'un, donnait l'exemple à l'autre, encourageait tout le monde. Enfin, une barricade avait été établie par la troupe auprès de la place de la Fromagerie, qui, les jours précédents, avait été le théâtre de plusieurs combats.
Les insurgés sont embusqués dans l'Église Saint-Nizier, et retranchés dans une maison qui fait face à la rue Sirène. Ils ont leur retraite assurée, sur le derrière, par les petites rues qui aboutissent au quartier des Cordeliers, centre de l'insurrection; de là, ils font un feu assez vif sur l'entrée de la rue Sirène, pour empêcher les troupes de déboucher. Les soldats n'ont garde de prodiguer inutilement leur sang, en s'exposant à découvert aux coups de l'ennemi, toujours invisible, qui tire sur eux. Ils se glissent de maison en maison, se postent sur les toits, s'embusquent aux croisées, et de là dirigent un feu très-vif sur les bâtiments occupés par les insurgés. C'est ainsi que les troupes parviennent à s'établir dans l'église Saint-Nizier. Elles enlèvent le drapeau noir et le remplacent par un drapeau tricolore, qui se déploie sur la nef; à cette vue, les soldats font retentir le cri de Vive le Roi! et entonnent la Parisienne, ce chant consacré aux souvenirs de guerre civile et au triomphe de l'ordre légal.
L'attaque de la place des Cordeliers et de l'église Saint-Bonaventure est couronnée du même succès; on y pénètre à la fois de plusieurs côtés, et le nouveau cloître Saint-Méry est emporté au pas de course. Rien ne peut donner une idée de l'aspect bizarre et affreux que présentait l'église lorsque les portes en furent enfoncées. Cette foule éperdue, qui, cherchant une issue et n'en trouvant aucune, tourbillonnait sous le feu des soldats; ce sang, ces armes, ces fabriques de balles et de poudre, tout cet appareil guerrier sous les voûtes religieuses de l'église, et, au milieu, cet autel paré comme à l'ordinaire et respecté par les deux partis. Quel spectacle!
De son côté, le colonel Dietmann pousse vivement ses avantages dans le quartier qu'il occupe. Une barricade, placée dans la rue de la Grande-Côte, arrête quelque temps les soldats qui finissent par s'en rendre maîtres.
Ils se portent ensuite vers la boucherie des Terreaux et s'occupent de déloger les insurgés établis aux fenêtres du quai de Bondy, en face de l'église Saint-Louis, et qui, depuis deux jours, inquiétaient vivement le poste du pont de la Feuillée. Une compagnie se loge dans la maison en construction, en face de la passerelle Saint-Vincent; une autre se poste à l'angle de la place de la Boucherie; les tirailleurs protègent le feu de deux pièces d'artillerie. Les canons de la terrasse des Chartreux sont dirigés sur le même point; un feu soutenu de deux heures fait taire celui des insurgés; l'hôtel du Chapeau rouge, qui leur servait de redoute, est criblé de boulets et presque détruit.
Pendant que ces différentes affaires avaient lieu au centre de la ville, le faubourg de Vaise demandait au général de le délivrer des bandes dont il était infesté.
Dès la veille, les insurgés étaient venus tirailler contre l'École vétérinaire, occupée par un détachement d'infanterie et un piquet de dragons; d'autres, réunis dans les premières maisons du faubourg, cherchaient, par un feu continuel, à intercepter les communications avec la manutention et la poudrière. Dans ce quartier se trouvaient la plupart des disciplinaires d'Alger qui, ayant désarmé leur escorte, s'étaient joints aux rebelles, et dirigeaient leurs mouvements.
Le général Fleury se décide à enlever le faubourg de vive force; à cet effet, une première colonne, commandée par le capitaine Vien et composée de deux compagnies du 15e léger et d'une compagnie de sapeurs du génie, se forme devant la manutention, passe le pont de Serin, et se dirige par Pierre-Scize, sur les hauteurs qui couronnent l'École vétérinaire. Elle disperse dans ce mouvement une bande qui traînait une des pièces du fort Saint-Irénée, et la leur reprend. Arrivée au point le plus élevé de sa course, la tête de la colonne fait un signal convenu d'avance, et quelques minutes après, la seconde colonne, composée de deux compagnies du 15e léger, de quatre compagnies du 28e et d'un détachement de sapeurs du génie, part du même point, au pas de charge battu par tous les tambours, traverse le pont, pénètre dans Vaise, et enlève les cinq barricades élevées dans la grande rue. Pendant ce temps, deux pièces de six, placées sur les ruines du fort Saint-Jean, tiraient sur les maisons du faubourg, d'où l'on voyait partir des coups de fusil. Bientôt, ceux des révoltés qui se retiraient devant les soldats, en tiraillant des maisons ou des coins de rue, sont rencontrés par la première colonne, qui leur tue encore quelques hommes. Vingt minutes après le signal, les deux colonnes se réunissaient sur la place de la Pyramide. Cette opération, conduite avec une vigueur et une précision extraordinaires, a coûté la vie à un certain nombre de soldats et d'officiers. Presque tous les disciplinaires d'Alger ont péri; la perte des insurgés a été considérable.
Les résultats de cette quatrième journée sont immenses. En délivrant Vaise et la Guillotière, les généraux ont rouvert aux malles-postes la route de Paris et celle du Midi; toutes les populations inquiètes qui attendaient avec anxiété la malle de Lyon, comme le signe le plus certain du triomphe des lois, vont enfin être rassurées. Rien ne s'oppose plus à l'arrivée des renforts. La rébellion, on peut le dire, n'existe plus. Pendant que les nouvelles les plus favorables arrivent de Grenoble et de Saint-Étienne, l'insurrection est chassée de ses principales positions. Elle ne possède plus, dans les faubourgs, que la Croix-Rousse, et dans Lyon que la droite de la Saône, et une partie des côtes, entre les Terreaux et la Croix-Rousse.
Le 13, on essaya de rendre la circulation dans les quartiers occupés par les troupes. Le préfet l'annonça dans la proclamation suivante:
«Habitants de Lyon!
La sainte cause des lois, de l'ordre et de la vraie liberté vient de triompher dans les rues de Lyon. Quelques restes de rébellion existent encore dans quelques quartiers et seront soumis aujourd'hui. Cet heureux résultat a été acheté par un sang précieux; vous avez éprouvé de la gêne et des souffrances; mais, qui de vous s'en souvient encore en présence du grand résultat obtenu par la valeur, la constance et la discipline des troupes?
Pour mettre, aussitôt que possible, un terme à l'état de contrainte que l'action militaire nécessitait, il est arrêté aujourd'hui que la circulation des piétons sera rétablie en ville, mais que l'on ne souffrira pas de stationnement sur la voie publique, ni de réunion de plus de cinq personnes, et que le passage des ponts continuera à être interdit. Ces restrictions seront enlevées aussitôt qu'il sera possible sans compromettre les opérations militaires.
Le Conseiller d'État, préfet du Rhône, GASPARIN.
Lyon, 13 avril 1834.»
A peine connut-on la mesure nouvelle qu'une foule immense se précipita dans les rues; on s'aperçut bientôt qu'il y aurait danger à la laisser circuler autour des soldats; l'attitude menaçante des hommes du peuple pouvait faire craindre un conflit; d'ailleurs les hostilités n'étaient pas terminées; l'insurrection, quoique vaincue, et vaincue sans espoir, conservait encore ses positions; il importait de l'en déloger.
La première opération de la journée fut de reprendre Saint-Just. Un demi-bataillon, un détachement de sapeurs et cinquante dragons furent confiés au chef de bataillon du génie Million qui, par une marche rapide et audacieuse, se porta sur Fourvières, par la Mulatière et Sainte-Foy. Les insurgés furent expulsés après une faible engagement; Fourvières fut repris; le drapeau rouge fut remplacé sur la tour par le drapeau national. Au signal, le colonel du 7e léger, qui commandait à la place Saint-Jean, dirigea, par le Chemin-Neuf, deux compagnies qui enlevèrent une barricade, et allèrent se réunir au détachement qui, depuis le 9, occupait les Minimes.
De son côté, le général Fleury s'occupa de délivrer le quartier des Côtes et les environs de Saint-Polycarpe. Au moyen de la sape, et en perçant plusieurs maisons, il arriva sans bruit au milieu même des ennemis; quand ses soldats y furent parvenus, douze tambours commencèrent à battre la charge, et les insurgés surpris, effrayés, ne sachant à quelle cause attribuer cette invasion inattendue, prirent la fuite de toutes parts. Cependant il fallut encore livrer plusieurs combats extrêmement vifs pour compléter l'occupation de l'espace compris entre la Croix-Rousse et l'Hôtel-de-ville.
Dès lors, les trois lignes d'opérations dont j'ai expliqué la position respective au commencement de la lutte avaient opéré leur jonction sur tous les points. Celle de Bellecour avait pu joindre celle des Terreaux; après la prise de Saint-Nizier et de Saint-Bonaventure, cette dernière avait pu joindre celle de la Croix-Rousse; après la libération de Saint-Polycarpe, il n'y avait plus que des résistances excentriques, à la Croix-Rousse et dans les quartiers Saint-George et Saint-Paul, au nord et à l'ouest de tous les corps.
Saint-George était fortement barricadé; dans la nuit du 13 au 14, une colonne s'y dirige par la Mulatière et le chemin des Étroits; une autre par la montée du Gourguillon. Toutes les hauteurs sont couronnées; c'est le général Buchet qui dirige les attaques.
Le 14, au point du jour, les insurgés se dispersent; ils abandonnent une partie de leurs armes dans les rues où la troupe entre tambour battant. Elle détruit une barricade, et pénètre de la même manière dans le quartier Saint-Paul. Nulle part elle ne rencontre une résistance opiniâtre. Il ne reste plus que la Croix-Rousse à soumettre.
Des renforts en infanterie, artillerie et cavalerie, ont été envoyés au général Fleury qui cerne le faubourg insurgé, et veut l'affamer pour éviter l'effusion du sang. Cependant le général Aymard s'y transporte, et jugeant qu'il faut en finir, il ordonne une attaque de vive force; une affaire très-chaude a lieu près du clos Dumon, dont les troupes se rendent maîtresses. Mais il est tard, et l'on remet au lendemain l'entière occupation de la Croix-Rousse.
Pendant la nuit, le maire, M. Peyroche, réuni à MM. Laurent Dugas et Saudier, anciens maires, sentant que les plus grands efforts vont être faits le lendemain pour enlever la ville, s'attachent à persuader aux chefs des insurgés de renoncer à une résistance téméraire. C'est après une longue conférence et beaucoup d'efforts, après des tentatives pour obtenir une capitulation que le général Fleury ne veut ni ne peut admettre, que les insurgés se dispersent enfin dans toutes les directions. Les habitants détruisent eux-mêmes les barricades, et les troupes peuvent le lendemain matin pénétrer dans la ville sans coup férir.
Ainsi le 14 avril fut le dernier jour de l'insurrection républicaine de Lyon. Un almanach imprimé à Saint-Étienne, au commencement de l'année, porte à cette même date du 14 avril les lettres suivantes: Viv. la Rép. C'est une coïncidence bizarre et que je donne pour ce qu'elle vaut.
On a souvent demandé quel était le nombre des insurgés, et quelques journaux, dans une intention qu'il est facile de comprendre, ont prétendu que cinq ou six cents hommes avaient tenu en échec une armée, pendant cette longue semaine. J'ai déjà dit ce qu'était l'armée dont on fait tant de bruit; jamais, malgré les renforts arrivés les derniers jours, les généraux n'ont pu disposer de huit mille hommes. Quant aux révoltés, leur nombre a constamment décru depuis le commencement de l'affaire; mais il est certain qu'ils ont toujours compté trois mille combattants armés de fusils. Le jour où la Croix-Rousse s'est soumise, des rapports dignes de foi attestent que les insurgés y étaient au nombre de douze cents; sept cents seulement avaient des fusils en état de servir. Avec de telles forces, et dans une ville comme Lyon, on eût pu tenir plus longtemps encore qu'on ne l'a fait.
On estime que les insurgés ont dû perdre environ cinq cents hommes tués ou blessés; ces derniers n'ont guère été transportés dans les hôpitaux; on en conçoit le motif: l'Hôtel-Dieu n'en a pas reçu cent cinquante.
Quant à la troupe, ses pertes ont été évaluées ainsi qu'il suit:
Tués. Blessés. Total.
Officiers…. 5 19 24
Soldats…… 49 249 298
Voilà bien du sang versé sans doute. On pouvait craindre cependant qu'il n'y en eût eu beaucoup plus encore, car les soldats ont tiré 269,000 coups de fusil, et 1,729 coups de canon.
Quelques-uns de ces coups ont atteint, je le sais, des personnes qui n'étaient coupables que d'imprudence et d'autres qui n'avaient même pas ce tort à se reprocher; mais ces accidents ont été fort rares; ils sont la conséquence inévitable de l'état de guerre, et ne peuvent être attribués qu'à ceux qui ont appelé ce fléau sur notre pays. Permis aux hommes qui ont successivement calomnié tous les corps et toutes les classes dont ils se sont vus abandonnés, de s'attaquer aussi à l'armée qui les combat; à leurs yeux, le gouvernement trahit, les Chambres sont vendues, le corps électoral est stupide, la magistrature servile, la garde nationale ridicule; la France entière encourt leur dédain. Comment l'armée y échapperait-elle? On la cajolait encore il y a quelques mois; à présent on écrit que les soldats de Lyon se sont battus comme des tigres. On raconte des scènes de pillage, de massacre, de viol, que sais-je?
Qu'on produise ces accusations; qu'on précise les faits; qu'on désigne les magasins pillés; qu'on nomme les personnes égorgées de sang-froid, et certes les conseils de guerre feront justice de tous ces crimes. Mais on se retranche dans les généralités; on n'a pas oublié son Basile: Calomnions, calomnions; il en reste toujours quelque chose.
Non, la gloire de nos défenseurs est pure; aucun excès n'est venu la souiller; leur patience a été admirable comme leur courage. On a parlé de ces dragons qui, ayant blessé par accident un jeune homme à Perrache, se sont empressés d'abandonner une journée de solde, pour réparer, autant qu'il était en eux, le mal involontaire qu'ils avaient commis; il y aurait mille traits semblables à citer; et certes, s'il est un genre de guerre qui soit fait pour exaspérer les soldats, c'est cette guerre d'embuscade où l'on ne voit jamais l'ennemi.
Il est impossible de ne pas rendre aussi un éclatant témoignage à la conduite des généraux. Le plan d'opérations était excellent, et il a été exécuté avec un discernement, une sagesse et une constance admirables. Le général Aymard et les chefs qui commandaient sous ses ordres ont montré à la fois et le courage militaire et le courage civil qui sait prendre la responsabilité des événements, et cette patience qui, seule ici, pouvait assurer le succès.
Après avoir fait le procès de la troupe, on a fait l'apologie des insurgés; c'est tout simple; on a demandé si quelqu'un les accusait du moindre vol, du moindre désordre. Je répondrai d'abord qu'on les en a très-formellement accusés; on a prétendu que les troncs de l'église Saint-Bonaventure avaient été enfoncés et pillés, que plusieurs magasins d'habillement avaient été mis à contribution pour recomposer leur garde-robe, qu'un magasin de draps de la place de la Fromagerie avait éprouvé, par leur fait, une perte considérable, qu'un de leurs artilleurs de Fourvières avait dépouillé la statue de la Vierge de trois colliers en pierres précieuses et enlevé dans la sacristie une somme de 3,600 fr. Ces faits sont-ils tous exacts? Je l'ignore. J'ai voulu prouver seulement que la probité et le désintéressement des insurgés d'avril avaient été mis en doute par bien des personnes.
Au reste, je suis le premier à reconnaître qu'en général ils n'ont pas pillé; il y a plus, des citoyens paisibles, dont les opinions leur étaient bien connues, ont pu rester au milieu des quartiers soulevés sans éprouver le moindre dommage ni dans leurs personnes, ni dans leurs propriétés. Le maire de la Croix-Rousse a pu descendre dans la rue, haranguer ses administrés en armes et leur inspirer une résolution salutaire. Pourquoi cela? Parce que l'insurrection ne se sentait pas assez puissante pour se livrer à tous ses caprices. Elle occupait certains quartiers sans y être maîtresse pour cela; plutôt tolérée qu'obéie, elle sentait que ses excès pourraient tourner contre elle, qu'ils pourraient rendre de l'énergie à ceux qui restaient impassibles par timidité; elle éprouvait le besoin de n'avoir pas trop mauvaise réputation. Aussi ses chefs avaient-ils soin de maintenir partout une discipline assez sévère.
J'ai dit ses chefs; et cependant selon l'usage, les véritables chefs n'ont pas paru; l'action n'a été dirigée que par des hommes en sous-ordre. Parmi ceux qui sont en fuite ou arrêtés, on ne cite pas un seul personnage politique de quelque importance.
J'ai déjà donné une idée du genre de guerre adopté par les insurgés; il paraît que leurs positions n'étaient abandonnées ni le jour ni la nuit; on subvenait à la nourriture des combattants en mettant en réquisition tout le voisinage. Des fenêtres, on leur jetait assez d'argent, et plusieurs propriétaires ont même obtenu, en payant une certaine somme, qu'on ne monterait pas dans leurs maisons pour tirer. Les secours distribués étaient fort inégalement répartis; il y a telle barricade où l'on s'est plaint de n'avoir que 32 fr. pour dix-huit hommes, tandis qu'à telle autre, on a fait des prisonniers dont les poches étaient pleines d'argent.
Ces barricades ont été fort admirées, et le général Buchet est même allé en visiter une avec plusieurs officiers, auxquels il a recommandé de la prendre pour modèle; le fait est que celles des quartiers longtemps occupés par l'ennemi, celles qu'il a pu construire et perfectionner à son aise, étaient de véritables chefs-d'oeuvre; rien n'y manquait, pas même les fossés; que dis-je? à la Croix-Rousse, on a eu la patience de ramasser toute la neige qui tombait et de se procurer ainsi des fossés pleins d'eau sur une montagne desséchée! C'était le luxe de l'insurrection.
A ce propos, je citerai ici le bulletin d'une barricade tel qu'il a été publié par le Précurseur; on voit que la révolte a eu aussi ses rapports officiels. Quelle que soit la défiance que peut mériter un tel document, il m'a paru propre à compléter le tableau de l'insurrection lyonnaise.
«Mercredi, 9 avril, je fus forcé par les circonstances de me retirer à la côte des Carmélites; la consternation était sur tous les visages; néanmoins les ouvriers travaillaient avec activité à former des barricades; peu d'hommes armés protégeaient leurs travaux. A trois heures de l'après-midi, la grande côte, la côte des Carmélites, le bas de la rue de Flessolles, le clos Casoti et la rue Vieille-Monnaie furent en état de défense.
La caserne du Bon-Pasteur fut prise; Meunier, aide-major au 27e, fut arrêté par un poste au moment où il se rendait à ses fonctions. Il fut conduit chez lui, sur parole, et sommé de panser les blessés. Les ouvriers n'ont qu'à se louer de la conduite de cet officier; les matelas et les sommiers de la caserne furent portés aux barricades.
Le jeudi 10, à cinq heures du matin, la rue des Petits-Pères fut garnie d'une forte barricade; vers midi, la troupe fit mine de vouloir nous débusquer; mais nous nous portâmes en avant et nous nous emparâmes de la place Sathonay. Les hommes sans armes entrèrent dans différentes maisons et s'en munirent; peu après, il partit un feu roulant des croisées; nous n'eûmes que deux blessés. C'est alors que nos camarades montèrent aux barricades et s'y maintinrent d'une manière toute militaire. La caserne fut aussitôt crénelée, ce qui garantissait le Jardin-des-Plantes d'une invasion. Dès lors, on fit la cuisine dans les postes; dans l'après-midi, le courrier de la malle fut arrêté et conduit au grand poste; quatre autres personnes furent également arrêtées; tous les égards leur furent prodigués; elles peuvent en rendre témoignage.
Tout se passa ainsi, jusqu'au dimanche 12, en escarmouches de coups de fusil; c'est alors qu'on adressa aux habitants du quartier la demande suivante:
«Citoyens,
Vous êtes invités, par les amis de l'ordre et de la liberté, à coopérer à la subsistance des citoyens armés pour la cause publique. Divers individus sans qualité se sont permis de recueillir des dons en en faisant leur propre profit, et nous voulons prévenir de si lâches infamies. Les chefs de poste sont spécialement chargés de recevoir et de partager entre les postes de la division.»
Le lundi 13, après cinq jours de résistance, sans communications et presque sans armes, on assembla un conseil composé de vingt-cinq citoyens, où l'on délibéra sur les moyens de retraite. L'état des armes et des hommes y fut soumis.
En voici le résultat:
Soixante-dix mauvais fusils pour deux cents hommes, tels étaient les moyens de défense.
Celui qui présidait ce conseil fit l'allocution suivante:
«Citoyens, Dans la position où nous nous trouvons, en face d'une armée, la résistance est inutile; votre courage, loin de s'affaiblir, semble s'augmenter; vous ne voudriez pas être la cause de la destruction des familles qui vous entourent; ce serait du sang français qui coulerait de plus et inutilement. L'humanité nous commande de chercher les moyens d'une retraite honorable. On peut faire retraite, mais on n'est pas pour cela vaincu; nous pouvons encore être utiles au pays; nos efforts, j'en suis convaincu, feront ouvrir les yeux à ceux qui n'ont pas suivi notre exemple; mais il faut tout attendre du temps. Si cependant vous vouliez combattre encore, je serais le premier à vous en donner l'exemple, et si ma vie pouvait payer ce que nous demandons, je suis prêt à la livrer à la bouche du canon.»
«On délibéra pour que la retraite se fît dans la nuit du 13 au 14. On délibéra également pour renvoyer les prisonniers, et chacun d'eux put retourner chez lui. Après la délibération, on travailla aux barricades comme si l'on ne songeait qu'à la défense; on se dit adieu en s'embrassant; des larmes coulèrent sur le sort de nos frères morts pour la liberté, ce qui est pour l'histoire des peuples encore une leçon.
P. S. Dans cinq jours, nous avons eu un homme tué chez lui et cinq blessés.»
Voilà l'histoire d'une barricade racontée par un homme qui n'a rien épargné sans doute pour la rendre intéressante et pathétique. Par malheur, je n'aurai pas de peine à lui en opposer de plus intéressantes et de plus pathétiques encore. C'est dans les établissements consacrés à l'instruction de la jeunesse que j'irai chercher mes exemples, car il me semble que, dans ces asiles d'étude et de paix, l'apparition de la guerre civile est plus révoltante et plus terrible que partout ailleurs.
Le jeudi 10 avril, le feu devenait vif autour de l'École vétérinaire; des hauteurs qui la dominent et se prolongent à l'ouest de Vaise, on faisait feu sur les soldats qui étaient dans la caserne de Serin, sur la rive gauche de la Saône et sur ceux qui, sur la rive droite, étaient postés à la tête du pont de Serin, tout près de l'École. Les tirailleurs insurgés occupaient les clos Fessot et Bourget; des coups de fusil ne tardèrent pas à partir du bois qui couronne le jardin. On ne pouvait en douter: les révoltés avaient pénétré dans le parc.
Le directeur, M. Bredin, fait dire au commandant du poste voisin que ses blessés seront soignés à l'École. Ces blessés, quand on les transportait sur la rive opposée, étaient poursuivis de coups de fusil sur le pont Serin.
Bientôt après, des tirailleurs insurgés descendent dans le bois de l'École; deux d'entre eux, armés de carabines, grimpent dans les dortoirs des élèves. C'est alors que l'École semble menacée d'un grand danger. M. Bredin court à la fenêtre par laquelle ils s'introduisent, trouve les révoltés seuls (deux jeunes gens d'assez bonne tournure); mais les élèves accourent, et c'est en leur présence que les insurgés, après quelques contestations et quelques menaces, se décident à rejoindre leurs camarades en avertissant que cinquante des leurs, qui descendent du parc, vont enfoncer les portes. Pas un élève ne se permet de dire un mot. Un quart d'heure après, plusieurs de ces tirailleurs se présentent en effet, gens déguenillés, l'oeil hagard, le regard troublé par l'ivresse. L'un d'eux dit rudement au directeur: «faites-nous ouvrir cette porte;» un non sec est toute la réponse. «Eh bien, nous l'enfoncerons» reprend-il, et sans hésiter, il disparaît sous le passage. Un des ses compagnons crie, avant d'y entrer: «Ne nous forcez pas à attenter à votre vie et à celle de vos écoliers.» La porte ayant résisté, les révoltés font sauter la serrure en tirant un coup de fusil à bout portant. Les voilà donc dans la cour, d'où ils font feu sur les soldats.
Alors les militaires, qui jusque là avaient ménagé un établissement inoffensif, durent croire qu'il avait pris le parti de la révolte, et dirigèrent contre lui les balles, les boulets et les obus; un seul élève a été légèrement blessé dans l'escalier.
Les révoltés ne restèrent qu'environ une heure dans la cour; au bout de ce temps ils la quittent et reprennent leur premier poste dans le bois, d'où ils ont continué à tirailler jusqu'au soir. Alors M. Bredin écrit au général Aymard pour qu'il place des soldats dans l'École.
Le 11, au matin, un capitaine du 28e de ligne, M. Latour, arrive à la tête de trente grenadiers. A peine les soldats sont-ils placés aux fenêtres, derrière des matelas qu'on leur donne, que les élèves manifestent une grande inquiétude et renouvellent, d'une manière bien plus pressante encore que la veille, la demande de quitter l'École. M. le capitaine Latour, qui observait avec calme et fermeté l'état de cette jeunesse, ne trouvait pas ses soldats en sûreté, éparpillés au milieu de cent quarante jeunes têtes méridionales; à sa prière, le directeur écrivit la lettre suivante au général Aymard:
«Monsieur le général, je vous prie de donner des ordres soit pour que le poste de trente hommes qui s'est placé ce matin dans l'École soit posté d'une manière plus avantageuse, soit pour qu'il soit triplé, car notre maison est dominée par le bois qu'occupent les ouvriers et d'où il serait facile de les débusquer par Pierre-Scize. Monsieur le capitaine voit, comme moi, l'extrême inquiétude de nos cent quarante élèves qui, hier, ont empêché les ouvriers de monter dans leurs chambres, en leur promettant d'empêcher les soldats d'y entrer. Je vous prie aussi de permettre que l'on nous donne du pain de munition, que l'École paiera.»
La fusillade continue toute la journée et deux révoltés sont tués dans le parc.
Dans l'après-midi, un grand tumulte éclate tout à coup dans toute la maison; des cris perçants de colère et d'indignation partent à la fois de tous les points. M. Bredin court à la salle où il avait établi les grenadiers et les dragons; les élèves en masse voulaient y pénétrer. M. le capitaine Latour, à la tête d'une douzaine de soldats sous les armes, leur en interdit énergiquement l'entrée. «Monsieur le directeur, dit-il, si vous ne faites sur-le-champ retirer vos élèves, je fais faire faire feu sur eux; c'est indigne! Deux de leurs camarades viennent d'être arrêtés tirant sur nous, et les jeunes gens fraternisent avec eux, leur touchent la main et veulent les arracher à nos soldats.» Le directeur fait rentrer les élèves et leur demandent l'explication de cette altercation; des deux côtés il y a malentendu, les prisonniers ne sont point élèves de l'École. Il n'a point été question de les passer par les armes, comme les élèves avaient cru d'abord.
Dans l'après-midi les insurgés de Vaise jettent, du haut d'un vieux bastion de la maison Fessot, deux tonneaux remplis de matières combustibles enflammées qui mettent le feu à des broussailles dans le clos de M. Bourget, d'où ils espéraient, comme on l'a su depuis, que le vent du nord propagerait l'incendie jusqu'à l'École. Le feu s'est bientôt éteint, faute d'aliment.
Le commandant de service avait fait donner du pain de munition; on avait tué une vache; on fît préparer un repas pour les militaires; on leur donna du vin et ils soupèrent dans le réfectoire des élèves.
Enfin, le samedi 12, les insurgés qui occupaient le plateau du parc en furent débusqués par les dragons qui gravirent par les sentiers du bois et par d'autres soldats qui montèrent par Pierre-Scize. Dans leur retraite précipitée ils abandonnèrent une pièce de canon qui ne leur avait pas encore servi.
L'histoire du Collège-Royal, plus dramatique encore que celle de l'École vétérinaire, mérite d'être racontée avec quelques détails.
Le 10 avril, le feu a repris, des bruits divers circulent; ils affligent sans abattre; on y ajoute peu de foi. Les insurgés occupent la place du Collège et les rues aboutissantes, jusqu'à leur quartier-général, place des Cordeliers, très-près du Collège-Royal.
Le Collège est dans la direction et semble être un des buts de la fusillade et de la canonnade de la troupe, campée sur la rive gauche du Rhône, parce qu'elle est harcelée par le feu des insurgés qui occupent ce quartier de la ville.
Des balles, des biscaïens sont tombés dans les dortoirs, dans les quartiers, dans les cours des élèves et dans les logements des fonctionnaires du Collège et de l'Académie.
Des dispositions sont prises pour mettre les élèves à l'abri du danger. On écrit au général et au maire pour les prier de faire épargner cet établissement. Un des maîtres, malgré le danger, se charge de porter cette lettre.
Le feu prend à des maisons très-voisines du Collège, dans la rue Gentil: l'incendie menace de se propager, il gagne le Collège; les communications ne peuvent se faire qu'à travers les balles qui sifflent de toutes parts; mais, grâce au dévouement de deux professeurs, on parvient à requérir une pompe; la ville envoie la seule qui lui reste et que le secrétaire de la mairie conduit, non sans péril, avec trois ou quatre pompiers; les élèves, grands et petits, en font le service avec un zèle admirable, et c'est avec peine qu'on peut modérer leur ardeur. Les toits sont couverts de pompiers et d'élèves mêmes; les domestiques se dévouent; le feu devient menaçant; le bâtiment, la bibliothèque publique vont être la proie des flammes! Et pour comble de malheur, les balles, les biscaïens et les boulets sont lancés sur tout ce qui paraît sur les toits pour arrêter l'incendie. L'artillerie, toujours inquiétée par le feu des tirailleurs de ces quartiers et celui qui part des maisons incendiées, occupées, dit-on, à d'autres étages par des insurgés qui tirent sur elle, semble décidée à foudroyer tout ce qu'elle aperçoit; elle croit voir des ennemis dans les personnes mêmes qui travaillent à éteindre le feu. On écrit de nouveau à l'autorité pour arrêter les effets de cette méprise, et faire cesser la canonnade et la fusillade qui n'arrêtent pas le travail des fonctionnaires et des élèves.
Le feu des troupes semble se ralentir pendant quelque temps. L'incendie dure encore, la chaîne est toujours formée des trois cents élèves; la pompe est encore mise en jeu par eux; ils rivalisent tous de zèle et de courage. Le feu va gagner le bâtiment des professeurs, et les élèves, mus par un sentiment de dévouement honorable, s'empressent de déménager, non sans danger, les appartements; tout se fait avec célérité, mais sans désordre. L'incendie s'affaiblit; il est arrêté par l'ardeur et l'intrépidité des élèves, des fonctionnaires et des employés, et c'est à eux qu'on doit peut-être la conservation du collège et de la bibliothèque publique. La canonnade reprend et des projectiles tombent encore; la nuit arrive, le feu se ralentit de tous côtés. Les élèves, après une journée pénible mais honorable pour eux, rentrent dans leurs quartiers, contents d'un léger souper; ils vont bivouaquer dans leurs salles d'étude, parce que les dortoirs ne sont pas habitables; les balles et les biscaïens y ont plus d'une fois pénétré. Ils se couchent heureux d'avoir rempli une noble tâche.
Dans le cours de la journée, les insurgés tentent d'enfoncer les portes du collège; ils demandent les armes dont les élèves se servaient autrefois dans les exercices militaires. Pour prévenir une invasion qu'une résistance inutile pourrait rendre terrible, les fonctionnaires se présentent à eux; leur présence et leurs paroles imposent aux révoltés qui se retirent sans avoir pris aucune arme, et sans faire aucun mal.
Le 11, la nuit a été assez calme; la journée s'annonce devoir être vive; on ne circule plus dans les rues; les troupes conservent leurs postes; les ouvriers tâchent d'avancer sur quelques points.
La place du collège semble devoir être un lieu de retraite pour eux; des barricades s'y élèvent; le feu des maisons est éteint, mais la canonnade menace toujours le collège; les deux pavillons occupés par l'Académie et le collège sont percés de balles et de boulets; il en tombe aussi dans les dortoirs, dans les escaliers et dans le réfectoire. Aucun des élèves, personne de l'établissement n'est blessé.
Les insurgés se présentent de nouveau aux portes; ils veulent les enfoncer; on les ouvre et on se présente encore. Ils ne viennent pas cette fois pour demander des armes ou pour se réfugier; ils veulent les plus grands élèves pour entrer dans leurs rangs. La réponse unanime des fonctionnaires est que ces enfants ne peuvent ni ne veulent sortir, qu'ils sont un dépôt confié à leurs soins et qu'avant de les leur ôter, on leur arrachera la vie. Persuadés par leurs paroles énergiques ou contenus par leur présence, les révoltés se retirent sans coup férir.
Le 12, même nuit, même inquiétude dans ce quartier. Cependant les barricades sont presque abandonnées; dix à douze insurgés, quelquefois deux ou trois harcellent, derrière les barricades, les postes établis plus loin. Cette tactique est, dit-on, à peu près la même partout. A en juger par là, on peut assurer que le peuple marchand, les personnes aisées ne les secondent pas et ne prennent aucune part à l'insurrection; on en gémit et on laisse faire, parce que aucune force civile ne s'est organisée.
On ne connaît rien de ce qui se passe en dehors; cependant des bruits font appréhender que le collège ne soit l'objet de représailles, parce que de l'établissement on a, dit-on, tiré sur la troupe, qu'un artilleur a été tué, et que quelques élèves auraient secondé le mouvement.
Le recteur et le proviseur écrivent au général pour protester contre ces bruits funestes, auxquels a pu donner lieu la démarche des insurgés qui étaient venus demander des armes et des élèves pour renforcer leurs rangs.
L'autorité a été instamment priée une seconde fois de donner des ordres pour ne pas exposer des enfants et pour que, si les circonstances devenaient plus graves, il fût permis d'évacuer le collège et de conduire les élèves à la maison de campagne. Ce qui a pu faire naître ces bruits désastreux, c'est que le collège se trouve entouré d'un grand nombre de boutiques et magasins avec entre-sol au premier étage, habités par des fabricants et des ouvriers; si le fait d'hostilité était vrai, ce qu'on ignore, il serait parti de ces locations qui n'ont jamais été à la disposition du collège.
Des balles, des biscaïens, provoqués par le feu des insurgés, arrivent dans presque toutes les directions. On est inquiet pour mettre à l'abri les élèves; on les conduit des cours aux quartiers, et des quartiers dans les cours.
Un boulet tombe dans l'escalier du plus haut étage; la poussière qui s'élève ressemble à de la fumée et fait craindre le feu; tout le monde accourt pour l'éteindre; un second boulet tombe, un troisième, puis un quatrième; fort heureusement personne n'est atteint; mais des débris de murs frappent au dos un élève et un domestique; cette contusion n'a aucune suite. Les élèves, abandonnent les quartiers et n'ont d'asile que dans les classes où ils restent quelques heures. Il parait que ces boulets avaient pour but l'église des Cordeliers où les insurgés se sont retranchés; mais, s'il en était autrement, ce ne pourrait être que par suite des bruits dont on a parlé et de ce que les révoltés, ayant d'ailleurs voulu pénétrer dans le collège, on aurait pu croire qu'ils s'y étaient établis. La difficulté des communications ne permettait pas de faire connaître l'état des choses.
Vers les quatre heures du soir le feu se ralentit; les barricades sont abandonnées; un parlementaire des ouvriers se rend à l'Hôtel-de-ville; on parle de soumission; le feu a cessé; la place est évacuée. On annonce la fin d'un drame qui menaçait la France des plus grands malheurs. Le calme renaît au dehors et la sécurité dans le collège.
Tel est le résumé des événements qui ont eut lieu pendant les quatre journées que le voisinage du quartier-général des insurgés et la responsabilité envers les familles rendaient encore plus terribles pour les maîtres.
Les élèves ont mérité des éloges par leur bon esprit et leur conduite loyale et généreuse. Le recteur, M. Soulacroix, les fonctionnaires du collège et les employés ont montré toute la prudence, le courage et le dévouement que pouvait inspirer le sentiment profond de leur devoir dans une aussi grave circonstance.
J'ai choisi deux scènes entre mille que j'aurais pu citer. Partout, c'étaient les mêmes souffrances, la même agitation, la même terreur. Les citoyens, surpris loin de leur demeure par la défense de circuler, restaient prisonniers dans la maison la plus voisine; l'hospitalité était de droit, mais que d'angoisses dans ces séparations inattendues et si cruellement prolongées! A l'asile Saint-Paul, dont les soins charitables de plusieurs dames ont doté un des quartiers de Lyon, il a fallu recourir aux expédients pour nourrir, pendant cinq jours, une douzaine de petits enfants que leurs mères n'avaient pu venir chercher. On frémit en pensant aux vives alarmes de ces familles, en pensant à toutes les douleurs privées ou publiques qui ont pesé sur la population lyonnaise, pendant la lutte d'avril.
Au milieu du fracas des armes, les administrations civiles n'ont cessé de déployer la plus grande activité. M. Vachon-Imbert n'a pas quitté l'Hôtel-de-ville. M. Victor Arnaud, l'un des administrateurs de l'Hôtel-Dieu, s'est dévoué complètement à la tâche pénible et souvent périlleuse de diriger et de protéger cet établissement. Mais nulle part le mouvement n'a été plus vif, plus continu qu'à la préfecture. Là campaient pêle-mêle les autorités militaires, judiciaires et administratives. Le parquet de M. Chégaray, toujours encombré de prisonniers, l'état-major du général Buchet, le cabinet de M. de Gasparin, tout cela était réuni sous le même toit. Les cours, le jardin étaient encombrés de soldats, tandis que d'autres tiraient sur le belvédère. Les caves, les remises étaient pleines de prisonniers; et les aides-de-camp portant des ordres se croisaient dans les corridors avec les estafettes venant de Paris, ou les commissaires de police se rendant à leurs fonctions qu'ils ont remplies avec tant de zèle; il y avait un ordre réel dans cette apparente confusion.
Quant aux habitants, j'ai déjà fait sentir quelle était leur position; enfermés chez eux, ils étaient réduits à un rôle purement passif, et on leur a trop vivement reproché une apathie dont la cause principale était dans les ordres mêmes de l'autorité. Je sais qu'ils auraient pu montrer tous, contre les révoltés en armes, la fermeté dont quelques-uns d'entre eux ont donné la preuve et qui partout a été couronnée du succès. Avouons cependant qu'il n'était pas facile d'interdire l'accès des maisons lyonnaises, avec leurs allées toujours ouvertes et sans portiers, avec leurs six étages, peuplées en grande partie d'ouvriers fort enclins à aider leurs confrères. Ce qui était moins facile encore, c'était d'oublier le passé et d'avoir pleine confiance en l'avenir.
Au reste, la bourgeoisie de Lyon a bien prouvé que sa sympathie avait accompagné les efforts de l'armée. Elle a témoigné toute sa reconnaissance pour ses défenseurs: souscriptions abondantes en faveur des soldats blessés, applaudissements au théâtre, proclamations municipales, remercîments publics, rien n'a manqué à la manifestation de ses sentiments. Je vais transcrire ici les pièces officielles où respire la pensée véritable d'une ville à laquelle on a cherché depuis à prêter un langage tout différent.
Voici les proclamations qui ont été publiées:
«Mes chers concitoyens,
«Après les déplorables événements dont nous venons d'être les témoins et les victimes, votre premier magistrat éprouve le besoin de vous faire partager les sentiments de gratitude qui l'animent pour la brave garnison dont l'héroïsme a sauvé votre cité de sa ruine et préservé la France de la plus grande anarchie.
Vous l'avez vu, mes chers concitoyens; les hommes qui, depuis longtemps, rêvaient le renversement du gouvernement de Juillet n'ont pas reculé devant les conséquences de leurs criminels projets. Préparant la guerre civile, ils s'appliquaient à égarer, par de fausses théories, une population jusqu'alors laborieuse et paisible, et ils ont préludé à cette guerre civile par la suspension forcée du travail, par les menaces et par la violation du sanctuaire de la Justice. Pourquoi, jusqu'à ce jour, nos efforts n'ont-ils pas pu conjurer l'orage? C'est que la voix de l'autorité, ordinairement si bien comprise des Lyonnais, a été étouffée par les passions politiques.
Vaincus au sein de la capitale, dans les événements de Juin, c'est Lyon que les factieux de toutes les provinces ont pris pour point de ralliement. Ici, comme à Paris, leurs criminelles tentatives ont échoué. Le triomphe des amis des lois et de l'ordre n'a pas été un instant douteux; et la lutte eût été courte, si le besoin de ménager le sang de nos défenseurs n'eût nécessité l'emploi de l'artillerie.
«C'est pour la seconde fois que notre malheureuse cité est devenue le théâtre de sanglantes collisions; et la douloureuse expérience que nous venons de faire sera à l'avenir un grand enseignement pour nous et pour la France entière.
Que la population se rassure! Que chacun reprenne le cours de ses travaux habituels. Nous comptons sur le bon esprit de nos concitoyens pour hâter le retour de la paix et de l'ordre.
Fait à l'Hôtel de ville, Lyon, le 15 avril 1834.
Le maire de la ville de Lyon,
VACHON-IMBERT, adjoint.»
«Mes chers concitoyens,
Profondément affligé des malheurs qui ont affligé la cité, c'est pour moi un nouveau besoin de vous apporter des paroles de paix. J'espère que ma voix sera entendue par la population tout entière.
Les malheureux, que de perfides conseils ont si cruellement égarés, pourraient-ils aujourd'hui ne pas ouvrir les yeux à la lumière? Pourraient-ils ne pas voir par quelle voie les fauteurs de l'anarchie voulaient nous ramener à ces temps de calamité qui ont pesé, il y a quarante ans, sur notre belle patrie? Mais il faut le dire pour la justification de la cité lyonnaise; il faut le dire pour rendre hommage à la vérité: la masse de la population ouvrière est restée étrangère aux criminels efforts qui ont été faits pour renverser la monarchie constitutionnelle et substituer au régime des lois l'empire de la force aveugle et brutale. Pour une oeuvre si criminelle, les hommes qui, depuis longtemps, méditaient notre ruine, et qui pour la plupart sont étrangers à la ville de Lyon et même au sol de la France, ne pouvaient, malgré leurs hypocrites doléances, trouver des sympathies au milieu d'une population qui vit par le travail, et qui sait que le travail est inséparable de l'ordre. Ils sont bien coupables ceux qui n'ont pas craint d'attirer sur nous la guerre civile et les désastres qui la suivent! Abandonnons ces hommes à leurs remords et à la sagesse des lois.
«Lyonnais! nos malheurs sont bien grands, mais que la paix et l'union renaissent au milieu de nous, et le temps les aura bientôt réparés. C'est un terrible enseignement que celui qui doit ressortir pour tous de nos tristes journées. Les chefs d'atelier, les ouvriers de toutes les professions repousseront désormais avec horreur toutes ces idées politiques anti-sociales qui traînent après elles la misère et le désespoir, bouleversent toutes les existences et ont failli amener la destruction de la cité la plus industrieuse de France.
Lyon a souffert pour la cause de la civilisation; c'est l'ordre social tout entier qui a été attaqué au milieu de nous. L'anarchie a été vaincue et un gouvernement juste et réparateur ne peut manquer de reconnaître que la France est solidaire des dommages éprouvés par les Lyonnais dans l'intérêt de tous.
Que la confiance renaisse, que les habitants se rassurent, que chaque citoyen reprenne ses travaux habituels. Les négociants, nous en sommes certains, redoubleront de zèle et de soins, dans ces malheureuses circonstances, pour donner une activité nouvelle à leurs opérations commerciales et procurer ainsi du travail à ceux qui peuvent en manquer. Nous espérons enfin que chacun de nos concitoyens unira ses efforts aux nôtres pour adoucir, autant qu'il sera en son pouvoir, des maux qu'il n'a pas dépendu de nous de prévenir.
Le maire de la ville de Lyon,
VACHON-IMBERT, adjoint.»
Pendant que la mairie faisait afficher ces proclamations, le conseil municipal votait une épée d'honneur aux généraux Aymard, Buchet et Fleury, et au colonel Dietmann. Il votait une adresse aux troupes que le général a fait connaître dans un ordre du jour ainsi conçu:
«Au quartier-général de Lyon, le 16 avril 1834.
Ordre du jour de la 7e division militaire.
Le lieutenant-général, commandant la 7e division militaire, s'empresse de porter à la connaissance des troupes placées sous ses ordres l'adresse suivante votée à l'unanimité à la garnison par le conseil municipal de la ville de Lyon:
«Soldats!
La ville de Lyon, la France, la civilisation tout entière ont couru un immense danger que votre valeur a su repousser. Après une lutte prolongée, après les efforts si constants d'un courage dont chacun de ses membres a été témoin, le conseil municipal de cette grande et malheureuse cité éprouvait le besoin de vous payer le juste tribut de son admiration et de sa reconnaissance.
Vous avez vaincu l'anarchie. Vous avez repoussé loin du sol de la France les principes anti-sociaux qui déjà l'avaient envahie, mais qui ne sauraient jamais y pousser de profondes racines. Appuyée sur la monarchie constitutionnelle qu'elle-même a fondée, la liberté ne pourrait périr en France que par ses propres excès. C'est à ces excès que vous avez déclaré la guerre; c'est sur eux que vous avez remporté la plus glorieuse victoire, et vous avez ainsi bien mérité de la liberté de la France et en particulier de la ville de Lyon.
Pour le maire de la ville de Lyon,
Signé: VACHON-IMBERT.»
Acceptez ce témoignage de reconnaissance d'une grande cité; vous le méritez! Votre intrépidité, votre persévérance l'ont sauvée d'un affreux désastre, ont sauvé la France de l'anarchie, le plus épouvantable des fléaux.
«Armés pour le maintien des lois et la protection des citoyens, vous avez dignement rempli votre mandat. Au bruit de votre victoire, les factieux, naguère partout menaçants, aujourd'hui convaincus de leur impuissance contre votre valeur, ont, de toutes parts, cherché leur salut dans la fuite.
La France renaît au repos, à l'espérance. Soldats! vous avez bien mérité du Roi et de la patrie!
Signé: Baron AYMARD.»
Le même jour, la lettre suivante était adressée à M. de Gasparin:
«Lyon, le 16 avril 1834.
Monsieur le préfet,
Je remplis avec le plus vif empressement la mission dont m'a chargé le conseil municipal.
Il vient de s'assembler, et son premier sentiment a été celui de la reconnaissance envers ceux qui ont sauvé notre malheureuse ville des horreurs de l'anarchie.
Vous, monsieur le préfet, vous avez été un de ceux qui avez inspiré ce sentiment le plus profondément, et j'ai été chargé de vous exprimer combien mes concitoyens ont éprouvé d'admiration pour votre courage et votre dévouement.
Vous serez compté désormais par les Lyonnais au nombre de leurs bienfaiteurs, puisqu'ils vous doivent le raffermissement de leur existence, et que vous avez contribué si puissamment à les délivrer des maux incalculables qui les menaçaient.
Veuillez agréer, etc.
Le maire de Lyon.»
Voici la réponse du préfet:
«Monsieur le maire,
Après avoir cherché pendant plus de deux ans les moyens de rétablir la paix et la concorde dans Lyon, j'ai vu avec douleur s'éloigner chaque jour l'espoir que j'en avais un moment conçu. Les progrès de l'esprit de désordre, favorisés par ceux des associations politiques et des coalitions industrielles, ont été tels depuis un an qu'il fallait prévoir la triste issue que ces complots devaient avoir. Je ne m'en suis jamais dissimulé l'imminence, et j'ai constamment veillé avec sollicitude sur les moyens de sortir vainqueurs de cette lutte, si nous étions réduits à la triste nécessité de l'engager.
«Quand ensuite nous avons été obligés de résister à la plus odieuse des agressions, quand le siège de la justice s'est vu entouré tout à coup de barricades, qui, au même instant, se dressaient dans toute la ville, quand les troupes investies ont été obligées de se faire jour à travers les fusillades préparées traîtreusement et d'avance aux fenêtres et aux toits de la ville, nous avons eu de rigoureux devoirs à remplir. Il fallait sauver Lyon et la France; je m'y suis dévoué. Deux de vos adjoints, MM. Cazenove et Chinard, placés au même poste que moi, ont partagé mes dangers et mes sollicitudes. Ils ont dignement représenté l'autorité municipale dans le midi de la ville.
Il m'est bien doux, après ces pénibles moments, de recevoir du conseil municipal de la ville de Lyon le témoignage que mes efforts ont pu obtenir son approbation. Puissé-je maintenant contribuer à adoucir les maux qui n'ont pu être évités! Je me dévouerai à cette nouvelle tâche, et vous me trouverez toujours prêt à appuyer les intérêts de votre ville, avec le dévouement d'un homme qui est devenu votre concitoyen par le coeur et les sentiments.
Agréez, etc.
Le conseiller d'État, préfet du Rhône, GASPARIN.»
Il était impossible que le retentissement des événements de Lyon ne se fît pas sentir dans les campagnes environnantes. Les projets des insurgés y ont excité, on peut le dire, une réprobation universelle; mais cette réprobation ne s'est pas manifestée partout avec la même énergie. Par une faiblesse déplorable, un certain nombre de communes ont abandonné aux bandes révoltées les armes de leurs gardes nationales. Trois cents fusils environ sont venus ainsi grossir l'arsenal des rebelles. Je sais qu'il n'y a point d'excuse pour de tels faits. Je sais qu'aucun fusil n'aurait peut-être été enlevé si tout le monde avait montré le courage dont quelques personnes ont fait preuve. Cependant il est certain que le ton décidé des émissaires lyonnais, leur force énergique, enfin l'absence forcée de toute nouvelle et de tout ordre ont pu imposer, même à des hommes de coeur. Le désarmement ordonné par le préfet est déjà sans doute un châtiment assez grave. Je me tairai donc; seulement pour donner une idée de ces expéditions dont je déplore le succès, je raconterai ce qui s'est passé dans deux communes, où le cas de force majeure est trop évident pour que ma citation puisse ressembler à un blâme.
A Vaise, le 10 avril, un homme d'une haute stature, coiffé d'une casquette, ceint d'un sabre de cavalerie, suivi d'une soixantaine d'individus armés, et d'un même nombre sans armes, se présenta à l'Hôtel-de-ville, et s'adressant à l'un des secrétaires, il demanda si le maire était présent. Ayant reçu une réponse affirmative, il s'exprima à peu près en ces termes: «Je suis Français et propriétaire. Indigné des assassinats commis sur mes concitoyens par la garnison de Lyon, j'ai pris les armes pour les venger. Il ne s'agit point aujourd'hui d'une discussion de deux sous par aune, mais de la grande question d'existence entre Louis-Philippe et la République. Il faut que la République triomphe; c'est en son nom que je viens demander à la mairie de Vaise des armes et des munitions qui, au dire de citoyens dignes de foi, doivent s'y trouver. Je vous somme de nous les faire délivrer.»
Il est inutile d'aller plus loin. Quelques fusils furent livrés; il fallait céder à la violence.
Les événements d'Oullins méritent d'être rapportés ici dans tous leurs détails.
Le mercredi, le bruit du canon et celui de la fusillade mettent toute la commune d'Oullins en alarme; mais l'arrivée d'un bataillon d'infanterie calme les esprits, et la journée se passe tranquillement, malgré les récits les plus exagérés de succès de la part des révoltés et de pertes de la part de l'armée.
Ces récits sont sur-le-champ repoussés et démentis par les hommes attachés au gouvernement.
Dans la journée, le bataillon d'infanterie quitte Oullins et se porte sur Lyon en laissant à Oullins un poste de dix-huit hommes.
Dans la nuit, l'artillerie quitte Pierre-Bénite et se rend à Lyon sans laisser un seul homme.
Le jeudi, toute la journée, les révoltés chassés de la Guillotière et des Brotteaux, se portent sur la rive gauche du Rhône, en face de Pierre-Bénite, traversent le fleuve et se dirigent sur Saint-Just. Ils sont sans armes, mais leurs figures noircies par la poudre, leurs joues droites marquées par la crosse et leurs discours les font assez reconnaître. Partout ils annoncent qu'ils sont victorieux et jettent l'effroi dans la commune.
A midi, une bande armée en partie, composée d'une soixantaine d'hommes, attaque et désarme le poste d'infanterie.
Cet événement porte la terreur dans les esprits; ce désarmement audacieux de soldats, si près du pont de la Mulatière occupé par l'armée, paraît un signe certain que tout est perdu.
On s'efforce de ranimer les courages abattus; on veut faire prendre les armes à toute la garde nationale, prêter des fusils aux soldats désarmés, les placer dans ses rangs; les efforts les plus pénibles sont sans effet.
Des groupes d'hommes étrangers à la commune se forment partout; les cafés, les cabarets en sont pleins; leurs cris, leurs chants séditieux ne peuvent être réprimés; les honnêtes gens gémissent et se cachent. La nuit se passe dans l'anxiété la plus grande.
Le vendredi, les choses sont dans le même état; à une heure, une bande en partie armée se porte chez l'adjoint et demande les armes avec les menaces les plus atroces.
Le commandant de la garde nationale est averti que les révoltés ont bloqué le conseil municipal et menacent de le fusiller si les armes ne sont pas livrées; il accourt, entre seul sur la place où une soixantaine d'hommes l'entourent aussitôt; quatre seulement avaient des fusils, les autres avaient des pistolets, des poignards, des fleurets aiguisés.
D'autres hommes armés étaient dans la cour de la mairie, dans le corps-de-garde; ils avaient avec eux un soldat en uniforme qu'ils conduisaient de force pour faire croire que l'armée sympathisait avec la révolte.
Enfin, plusieurs individus de cette bande avaient déjà pénétré violemment dans les maisons et, en intimidant les femmes et les hommes faibles, ils s'étaient fait livrer les armes, les avaient chargées, et s'étaient embusqués dans les allées.
Aucun officier, sous-officier ou soldat de la garde nationale n'a paru sur la place; tout était déjà perdu.
Le chef de la bande demande le reste des armes au nom du gouvernement républicain provisoire, en annonçant que Louis-Philippe était partout renversé, que l'armée qui avait combattu pour lui dans Lyon et ses autorités étaient cernées et ne pouvaient correspondre avec personne, que les républicains étaient maîtres du télégraphe, de tous les forts, que leurs canons étaient braqués sur la place de Fourvières, que l'armée était prête à faire sa retraite par Oullins, et que la commune de Sainte-Foy avait livré ses armes. Il offrit de n'exiger le reste des fusils qu'après la vérification de tout ce qu'il avait annoncé. Le garde est envoyé à Sainte-Foy; il revient déclarer que le télégraphe est brisé, que le fort Sainte-Irénée est aux révoltés, que leurs canons sont sur la place de Fourvières, et enfin que Sainte-Foy a rendu les armes.
Le désarmement avait continué pendant ce temps-là; mais voulant le presser, le chef de la bande demande le contrôle et un tambour; on refuse; il envoie des hommes pour sonner le tocsin; le tocsin eût fait plus de mal que le roulement; on cède et on se retire.
Le samedi, de nouvelles bandes parcourent le Pérou et Pierre-Bénite; mais, peu nombreuses et mal armées, elles n'ont pas de succès. Les révoltés continuent à traverser le Rhône; ce n'est plus la même espèce d'homme; ceux-ci sont furieux, leurs menaces épouvantables; se venger des canonniers, incendier leurs casernes, piller leurs logements, massacrer leurs femmes, tels sont les projets sinistres qu'ils osent manifester, et que ces malheureuses, logées en partie dans des auberges, entendent elles-mêmes ou apprennent de toutes parts. L'horreur se répand par tout; mais le désespoir ranime les courages; on met les femmes et les objets précieux en sûreté; on s'arme en silence et on veille. Des ouvriers égarés mais honnêtes, auxquels on a recours, jurent de ne pas laisser, par des crimes aussi épouvantables, déshonorer leur victoire (ils se croyaient victorieux).
La nuit se passe sans événement; la fusillade continue à la Mulatière et dans les Saulées, mais elle est faible.
Le dimanche, rien de remarquable; la fusillade faiblit de plus en plus à la Mulatière.
Le lundi, des révoltés embusqués derrière le four à chaux d'Oullins font encore feu sur les soldats; mais, vers midi, ils se retirent; on commence à entrevoir le terme des malheurs. Le soir tout est calme.
Enfin, le mardi, la circulation et la tranquillité sont rétablies.
Pendant que ces scènes déplorables se passaient dans la commune d'Oullins, celle de Venissieux, qui fait partie de l'arrondissement de Vienne, approvisionnait le fort Lamothe et refusait ses armes aux insurgés; l'arrondissement de Vienne tout entier faisait proposer à M. de Gasparin ses 3,000 gardes nationaux qui, une fois déjà, avaient fait avec lui le voyage de Lyon; Neuville, Trevoux, toutes les communes environnantes rassemblaient leurs gardes nationales, et armaient de bâtons et de fourches le reste de leurs citoyens; l'arrondissement de Villefranche se levait tout entier à la voix de son sous-préfet, M. Silvain Blot, dont le courage et l'activité ont surmonté tous les obstacles; les gardes nationaux de Messimieux et de Thurins, encouragés par leur chef de bataillon, repoussaient les bandes ennemies. Le maire de Calmire approvisionnait le fort Montessuy. Les habitants de Brignais opposaient aux tentatives des insurgés une contenance pleine d'énergie, et ceux de Couson, sans armes, désarmaient les perturbateurs qui avaient osé les assaillir.
On le voit; l'insurrection lyonnaise a trouvé, dans les campagnes voisines, quelquefois de la faiblesse, jamais de la sympathie. Malheureusement il n'en a pas été partout ainsi; dans un certain nombre de villes, les affiliés des Droits de l'homme ont essayé de soutenir leurs amis de Lyon, et ont révélé ainsi le péril immense qu'un revers momentané dans cette ville pouvait faire courir. A Avignon, à Nîmes, à Marseille, une agitation sourde et menaçante annonçait une explosion terrible; et si la malle-poste avait manqué un jour de plus, la tranquillité publique était gravement compromise. A Clermont, à Grenoble, à Châlons, à Vienne, des émeutes ou des tentatives d'émeutes présagent de plus vastes soulèvements. L'émeute passe même la frontière, et Ferney sent le contre-coup de Lyon. A Arbois, la République est formellement proclamée. Enfin, à Paris et à Saint-Étienne, des scènes de sang viennent compléter ce drame lugubre, où Lyon joue le principal personnage, et où chaque ville de France semble s'apprêter à prendre un rôle.
A Paris, ce n'est qu'une tentative désespérée contre une garde nationale animée du meilleur esprit, contre des troupes nombreuses; la République ne peut rien; c'est une protestation en l'honneur de l'insurrection lyonnaise, rien de plus.
Mais, à Saint-Étienne, il n'en est pas de même. Là, les ouvriers sont nombreux et la force armée insignifiante. Là, les associations politiques et industrielles ont fait leur oeuvre; le danger est donc très-réel; et ce danger s'accroît de toute l'influence que les troubles de Saint-Étienne doivent exercer sur ceux de Lyon. Si la manufacture d'armes avait été emportée, la conséquence de ce désastre aurait été incalculable; et quand on songe que ce désastre a failli arriver, on éprouve le besoin d'exprimer au général Pegot et à sa petite garnison, au préfet de la Loire, M. Sers, et à M. Dugât, sous-préfet de Saint-Étienne, tous les sentiments qui sont dus à leur belle conduite et toute la reconnaissance que mérite un service aussi éminent.
J'ai raconté cette lutte sacrilège que l'esprit de désordre a provoquée et soutenue. Je veux réduire une dernière fois à leur véritable valeur les assertions de ceux qui, après avoir dénaturé les causes de nos catastrophes, cherchent à en exagérer les conséquences.
A les entendre, Lyon n'est plus qu'un monceau de ruines. Soixante millions, cent millions peut-être ne suffiront pas pour indemniser les propriétaires des pertes qu'ils ont essuyées. A les entendre, l'insurrection, un moment comprimée, est prête à reparaître plus menaçante et plus furieuse; les ouvriers et les fabricants, saisis d'une terreur légitime, abandonnent de tous côtés la cité qui ne peut leur offrir un asile paisible, et l'industrie lyonnaise doit émigrer ou périr.
Ces tableaux sont tracés par la malveillance et accueillis par la peur.
La vérité est que les désastres matériels ne sont pas aussi considérables qu'on le suppose. Dès le lundi, pendant que les derniers coups de fusil étaient échangés à la Croix-Rousse, j'ai parcouru ces rues encore hérissées de barricades, ces quais couverts de soldats, ces places gardées par des canons. Alors c'était l'état de guerre; les maisons occupées militairement, les bivouacs, la population prisonnière dans les maisons, le bruit lointain du combat, tout rappelait à l'esprit les idées sinistres qui depuis se sont effacées peu à peu. Alors je comparais Lyon, après les journées d'avril, avec Paris après les journées de juin, ou même après celles de juillet, et j'étais effrayé de la différence. En voyant, dans le quartier Saint-George et Saint-Jean, dans la grande rue de Vaise, dans la rue Mercière, dans les rues qui montent à la Croix-Rousse, dans la grande rue de la Guillotière, sur toutes les places du centre de la ville, des traces multipliées de la lutte, ces marques innombrables de balles et de boulets qui se détachent si bien sur les noires murailles de Lyon; en contemplant des ruines plus déplorables encore, les maisons ébranlées par les pétards dans tous les quartiers de la ville et des faubourgs, et celles qui ont été incendiées dans la rue de l'Hôpital, sur le quai du Rhône, à la tête du pont de la Guillotière, je n'ai pu m'empêcher, moi aussi, de croire le mal plus grand qu'il n'était. Il est vrai que dans ce moment je ne l'ai pas évalué en francs et centimes. A côté de la pensée grande et terrible de la guerre civile, il n'y a pas de place pour la mesquine idée des indemnités.
Mais depuis, les barricades se sont abaissées; les troupes sont rentrées dans leurs casernes et les canons à l'arsenal; le peuple est redescendu dans les rues; les magasins se sont ouverts; les métiers ont recommencé à battre; les traces des boulets et des balles ont disparu en grande partie; Lyon a repris sa physionomie ordinaire et, n'étaient les décombres des maisons incendiées, on se douterait à peine que la guerre a passé par là. En même temps on s'est livré à une appréciation plus exacte et moins passionnée du dommage, et l'on s'est accordé à regarder quatre ou cinq millions comme une suffisante indemnité.
Mon but n'est pas de discuter ici des questions de droit et de décider si cette somme doit être payée par l'État, ou si nous sommes dans le cas prévu par la loi de vendémiaire an IV, qui met cette dépense à la charge des communes. Je ne me permettrai qu'une seule observation, c'est que la querelle vidée à Lyon n'est point une querelle locale; c'est la grande querelle politique entre le gouvernement constitutionnel et les partis extrêmes qui l'ont constamment attaqué; c'est la querelle de juillet 1830 et de juin 1832. Or, à ces deux époques, les Chambres ont jugé avec beaucoup de sagesse que Paris ne devait pas payer pour la France entière, qu'il était assez malheureux déjà d'être le théâtre de la lutte sans qu'on en mit encore les frais à sa charge. J'invoque en faveur de Lyon l'autorité de ces précédents.
Un mot, avant de quitter ce sujet, sur les reproches qu'on adresse à nos généraux pour avoir fait usage de l'artillerie et des pétards. C'est une de ces déclamations banales qu'il faut réfuter une fois pour toutes. Oui, sans doute, on a employé le canon, les obus, les pétards, pour épargner le sang des soldats. Oui, les généraux ont eu le tort de penser que la vie de ces hommes, qui ont accompli avec tant de courage de si pénibles devoirs, valait bien quelques pans de muraille, valait même la vie des forcenés qui pensaient avoir trouvé dans ces murailles un inviolable rempart. Permis à ceux qui ne voient de Français en France que ce qui combat le gouvernement du pays, de refuser aux soldats qui le servent le titre de citoyens; mais nous, qui pensons que, pour avoir endossé un uniforme, on n'a pas perdu le droit de compter comme membre de la grande association nationale, si l'on nous parle de dix maisons brûlées, nous répondrons que cinquante braves ont été épargnés. Malheur à ceux qui ne sentent pas la force de cette réponse!
J'ai exposé l'état matériel où la révolte d'avril a laissé Lyon. La disposition des esprits est plus intéressante, mais aussi plus difficile à apprécier.
Si nous jetons les yeux d'abord sur cette classe fort nombreuse qui, sans prendre directement part au mouvement, y a prêté les mains, s'est intéressée au succès des insurgés, et n'attendait qu'une chance favorable pour s'associer à leurs efforts, nous la verrons plus furieuse qu'humiliée. Elle forme mille projets extravagants de vengeance. Les ouvriers mêmes, que l'expérience de février avait complètement dégoûtés des associations et des intrigues, se rallient momentanément à leurs frères, parce qu'il leur semble que la classe tout entière vient d'être vaincue, et leur orgueil de héros de novembre est blessé par cette idée. Il y a donc une fermentation très-grande dans cette partie de la population; fermentation inévitable après un tel échec. Ce sont des plaideurs qui maudissent leurs juges; on leur donne vingt-quatre heures au palais; à Lyon, ce n'est pas trop de leur donner un mois.
Il faut sans doute attribuer aux folles menaces de ces ouvriers les craintes non moins insensées auxquelles sont en proie un grand nombre de fabricants. Ils ne réfléchissent pas à l'impossibilité d'une tentative sérieuse, au moment où la garnison, est triplée, où, d'ailleurs, le parti est vaincu, la société dissoute, les chefs en fuite ou prisonniers, et une partie des armes enlevée. Malgré tous ces motifs de sécurité, ils ajoutent foi aux contes les plus ridicules: c'est un projet de désarmer tous les postes et d'enlever les autorités pendant la nuit; c'est un dépôt de fusils; c'est une fabrique de cartouches. L'exécution est fixée au 26, puis remise au 28, puis indéfiniment ajournée; et cependant beaucoup de personnes quittent la ville et vont attendre à la campagne, ou même à l'étranger, l'issue d'une crise qu'elles croient imminente au lieu de la regarder comme terminée.
Mais cet effet, comme le précédent, est peu durable de sa nature. Pour qui se rappelle les terreurs si vives et si prolongées qui suivirent la catastrophe de 1831, ces nouvelles terreurs ne paraîtront pas incurables. Je suis assuré qu'elles feront bientôt place au sentiment de sécurité que la prolongation de la paix publique amènera incessamment, et dont la défaite des partis violents, la dissolution définitive des coalitions industrielles ou politiques et la prospérité commerciale qui doit en résulter garantissent l'affermissement et la durée.
Plût au ciel que nos derniers troubles n'eussent pas eu d'autre conséquence fâcheuse que l'irritation des uns et la frayeur momentanée des autres! Ils ont donné une nouvelle force à ce besoin exclusif d'ordre et de repos qui doit surgir nécessairement de nos désordres et de nos souffrances sans fin. Peut-être s'étonnera-t-on que je signale ce sentiment si légitime comme un danger pour le pays. Mais, si je me fais gloire d'appartenir au parti du juste milieu, c'est pour avoir le droit de repousser tout principe exclusif, c'est pour voler au secours de l'ordre quand la liberté occupe seule tous les esprits, au secours de la liberté quand on ne pense plus qu'à l'ordre public; c'est pour ne pas scinder la devise de notre drapeau. Oui, je le répète, ceci est plus grave qu'on ne l'imagine: à chaque émeute, l'indifférence en matière politique, cette gangrène du corps social, fait quelques progrès nouveaux; les partisans de la répression à tout prix deviennent plus nombreux et plus menaçants. Il n'y a pas de violence de la presse, pas de désordre des rues qui n'enlève à la véritable liberté quelqu'un de ses anciens défenseurs. Encore une insurrection, et bien des gens seront prêts à sacrifier la liberté de la presse, la liberté individuelle. Encore une insurrection, et les coups d'État seront réclamés, el un 18 brumaire sera possible, et un gouvernement militaire pourra s'établir. Alors les modérés d'aujourd'hui se montreront peut-être plus fidèles à leurs principes, plus énergiques et plus passionnés pour la défense des libertés publiques, que ceux qui les accusent de tiédeur.
Il n'est pas probable que nous en venions jamais là; les factions, partout vaincues, ne tarderont pas à disparaître entièrement. J'en ai la ferme conviction: la bataille électorale sera gagnée comme la bataille des rues; l'opposition violente posera les armes et dès lors ce paroxisme d'ordre public qu'elle seule excite s'apaisera naturellement. Mais j'ai dû le signaler; je l'ai dû surtout en parlant d'une ville qui est livrée plus que toute autre à ce genre de préoccupations.
Pour ne parler que des conséquences qui intéressent spécialement la ville de Lyon, il est impossible de ne pas voir que les derniers événements l'ont enfin délivrée des souvenirs de novembre 1831, de cette menace perpétuelle, de cette épée de Damoclès qui, depuis deux années, lui interdisait le repos. Ils ont porté le coup mortel à la Société mutuelliste et à celle des Droits de l'homme, qui avaient mission de s'agiter tour à tour. Ils l'ont préparée à repousser avec plus d'énergie toute tentative nouvelle de soulèvement, parce qu'ils ont appris à tous les habitants paisibles ce qu'il en coûte de laisser envahir la maison qu'on habite par les bandes des révoltés.
Il y a plus: quoique la question industrielle n'ait pas été directement engagée dans la lutte, elle en a senti le contrecoup, et l'on doit s'en féliciter. Je m'explique le mal qui travaille la fabrique de Lyon; c'est la concurrence des fabriques étrangères qui produisent les tissus unis aussi bien qu'elle et à meilleur marché; pour résister, il fallait baisser le prix de la main-d'oeuvre. Mais cette baisse n'était guère conciliable avec l'existence des ouvriers dans une grande ville où les dépenses sont multipliées. Avant de se résoudre à s'établir dans les campagnes, les ouvriers ont essayé de défendre leurs salaires par le tarif. Nous avons suivi cette grande expérience dans ses trois crises principales, en novembre 1831, au conseil des Prud'hommes, et au mois de février 1834. La démonstration a été complète, et les dernières affaires l'ont encore confirmée en rendant désormais impraticables les coalitions politiques et industrielles. Aussi a-t-on décidément renoncé au tarif. Cela est si vrai que l'Écho de la fabrique, qui en était le champion, vient de lancer un prospectus tout rempli du sentiment de sa détresse; il a demandé à ses amis les quatre mille francs qui lui sont nécessaires pour fournir un cautionnement, et se donner ainsi le droit de traiter les questions politiques sans lesquelles il ne pourrait subsister quinze jours. Personne n'a répondu à cet appel; le tarif est bien mort; il ne peut ressusciter sous aucune forme.
Mais ce n'est là qu'une solution négative. Il faut encore trouver le moyen de diminuer les frais de fabrication. Déjà, avant les derniers événements, beaucoup d'ateliers s'étaient établis dans les communes rurales qui avoisinent Lyon; depuis, cette émigration est devenue plus générale; il est même question, à ce qu'on assure, de fonder hors des murs de Lyon des manufactures considérables. Voilà, j'ose le dire, la seule issue possible de ces interminables débats. A la campagne, la vie est moins chère, et les ouvriers trouveront d'ailleurs, dans quelques occupations agricoles, le supplément qui leur manque ici dans la saison du ralentissement des travaux. Dans les grandes manufactures, le chef d'atelier disparaîtra, et les frais généraux de fabrication seront diminués par la suppression de ce rouage inutile.
Je sais qu'à la tribune l'émigration des ouvriers en soie a été déclarée impossible. J'ai une excellente réponse à faire: c'est qu'elle a lieu; elle a lieu sans difficulté, parce que la division du travail, qu'on cite comme un obstacle, n'est nulle part moins grande que dans la fabrique de Lyon. Aussi tous les villages du département du Rhône retentissent du bruit des métiers; une grande partie des étoffes unies en sortent, et cette tendance, qui s'est manifestée depuis plus d'un an, a reçu, des troubles du mois d'avril, une nouvelle et salutaire impulsion.
Qu'on ne pense pas au reste que la ville de Lyon, ainsi abandonnée par une partie de ses habitants, doive perdre de son importance et céder à une autre cité le rang qu'elle occupe aujourd'hui; beaucoup de gens prédisent sa chute; moi, je lui prédis au contraire le plus brillant avenir.
Ceux de ses ouvriers qui s'établiront dans la campagne ne pourront s'éloigner beaucoup; leurs relations avec les fabricants sont trop multipliées pour permettre une longue séparation. Ainsi, les villages se peupleront d'ateliers, mais seulement les villages voisins, qui deviendront ainsi les faubourgs avancés de la grande métropole industrielle. Dans cette, nouvelle position, la fabrique des tissus unis pourra lutter avantageusement contre la concurrence étrangère et ramener à Lyon beaucoup de commandes qui l'abandonnaient. La sécurité produite par cette nouvelle prospérité réagira à son tour sur elle. Garantie par les mesures de l'administration, par le désarmement des communes qui ont livré des fusils aux rebelles, par l'expulsion des étrangers turbulents, par les renforts envoyés à la garnison, elle sera complétée par une organisation plus puissante de la police locale et par sa concentration aux mains du préfet.
Vienne alors le chemin de fer de Lyon à Marseille; viennent la réunion des Brotteaux et l'affranchissement du Pont-Morand, et un nouveau quartier plus important et plus riche viendra compenser amplement ce que d'autres quartiers de la ville pourront avoir perdu en population. Lyon descendra de Fourvières et de la Croix-Rousse; il sortira de ses rues noires et étroites pour s'étendre à l'aise dans la presqu'île de Perrache et dans la plaine des Brotteaux. A Perrache, le chemin de fer de Saint-Étienne continuera à apporter tout ce commerce de houilles, toutes ces industries qui travaillent le fer et emploient le charbon, toutes ces usines enfumées qui en ont déjà pris possession. Aux Brotteaux, le chemin de fer de Marseille achèvera de créer un immense commerce d'entrepôt. Voyez cette file non interrompue de charrettes provençales qui transportent à Lyon les produits qu'il doit distribuer dans toutes les directions; jetez ensuite les yeux sur la carte et cherchez une vallée qui, de la mer Méditerranée, pénètre dans le coeur de l'Europe; vous ne trouverez que la vallée du Rhône, et c'est à Lyon seulement qu'elle se bifurque; c'est à Lyon que la grande route européenne se divise en trois chemins, l'un gagnant Paris, l'autre l'Allemagne et le troisième la Suisse. Quel rôle joueraient Marseille et Lyon si le chemin de fer projeté faisait affluer sur cette ligne unique tout le commerce du nord avec le midi!
Là est la destinée de Lyon. L'industrie des soies ne l'abandonnera pas sans doute; mais, dût-elle l'abandonner, sa grandeur survivrait à cette perte; l'avenir lui destine des compensations immenses et sa prospérité ne périra pas.
FIN DES PIÈCES HISTORIQUES DU TOME TROISIÈME.
TABLE DES MATIÈRES DU TOME TROISIÈME.
CHAPITRE XV.
MON MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE. (1832-1837.)
Caractère et but du cabinet du 11 octobre 1832.—Difficultés de sa situation.—Avantages de sa composition.—D'où vient la popularité du ministère de l'instruction publique.—Son importance pour les familles;—pour l'État.—Des divers moyens de gouvernement des esprits selon les temps.—Caractère laïque de l'état actuel de l'intelligence et de la science.—Du système et de l'état des établissements d'instruction publique en Angleterre.—Mes conversations à Londres à ce sujet.—Unité nécessaire du système d'instruction publique en France.—Des essais d'organisation de l'instruction publique depuis 1789.—L'Assemblée constituante et M. de Talleyrand.—-L'Assemblée législative et M. de Condorcet.—La Convention nationale et M. Daunou.—Le Consulat et la loi du 1er mai 1802.—L'Empire et l'Université.—L'instruction publique et la Charte.—Vicissitudes de l'organisation du ministère de l'instruction publique.—Comment je le fis organiser en y entrant.—Débuts du cabinet.—Préparation du discours de la Couronne.—Ouverture de la session de 1832.—Tentative d'assassinat sur le Roi.—État des affaires au dedans et au dehors.—Je tombe malade.
CHAPITRE XVI.
INSTRUCTION PRIMAIRE.
Je suis malade pendant six semaines—Prise d'Anvers.—Arrestation de S.A.R. madame la duchesse de Berry.—De la politique du cabinet dans cette circonstance.—Je reprends les affaires.—Présentation à la Chambre des députés du projet de loi sur l'instruction primaire.—Ma vie domestique.—Des projets et des progrès en fait d'instruction primaire de 1789 à 1832.—Questions essentielles.—L'instruction primaire doit-elle être obligatoire?—Doit-elle être gratuite?—De la liberté dans l'instruction primaire.—Des objets et des limites de l'instruction primaire.—De l'éducation et du recrutement des instituteurs primaires.—De la surveillance des écoles primaires.—Concours nécessaire de l'État et de l'Église.—Que l'instruction primaire doit être essentiellement religieuse.—Mesures administratives pour assurer l'exécution et l'efficacité de la loi.—Mesures morales.—Promulgation de la loi du 28 juin 1833.—Ma circulaire à tous les instituteurs primaires.—Visite générale des écoles primaires.—Établissement des inspecteurs des écoles primaires.—Mes rapports avec les corporations religieuses vouées à l'instruction primaire.—Le frère Anaclet.—L'abbé J. M. de la Mennais.—L'abbé F. de la Mennais.—Mon rapport au Roi en avril 1834 sur l'exécution de la loi du 28 juin 1833.—De l'état actuel de l'instruction primaire.
CHAPITRE XVII.
INSTRUCTION SECONDAIRE.
Difficulté de l'introduction du principe de la liberté dans l'instruction secondaire.—Constitution originaire de l'Université.—Ses deux sortes d'ennemis.—Leur injustice.—Causes naturelles et légitimes de leur hostilité.—L'Université dans ses rapports avec l'Église.—État intérieur et situation sociale du catholicisme en 1830.—Réclamation de la liberté d'enseignement.—M. de Montalembert et l'abbé Lacordaire.—Tendances diverses dans le catholicisme.—Efforts pour le réconcilier avec la société moderne.—L'abbé F. de la Mennais.—L'Avenir.—Voyage de l'abbé de la Mennais, de l'abbé Lacordaire et de M. de Montalembert à Rome.—Le pape Grégoire XVI condamne l'Avenir.—L'Université dans ses rapports avec la société civile.—Quelle eût été la bonne solution du problème.—Pourquoi et par qui elle était alors repoussée.—Je prépare un projet de loi sur l'instruction secondaire.—Son caractère et ses limites.—Comment il fut accueilli.—Rapport de M. Saint-Marc Girardin à la Chambre des députés.—Discussion du projet.—M. de Lamartine.
CHAPITRE XVIII.
INSTRUCTION SUPÉRIEURE.
Disposition des esprits de 1832 à 1837, quant à l'instruction Supérieure.—Réformes et innovations nécessaires.—Comment je les entreprends.—Chaires vacantes au Collège de France.—Nomination de MM. Eugène Burnouf, Jouffroy, Ampère et Rossi.—Mes relations personnelles avec eux.—Création de la chaire de droit constitutionnel dans la Faculté de droit de Paris.—Nomination de M. Rossi.—Opposition à son cours.—M. Auguste Comte et la Philosophie positive.—Des procédés des Chambres envers les savants et les lettrés.—Du cumul des emplois.—Des logements.—Lettre de M. Geoffroy Saint-Hilaire.—Savants voyageurs.—MM. Victor Jacquemont et Champollion jeune.—De l'introduction du principe de la liberté dans l'instruction supérieure.—Des agrégés.—De la décentralisation dans l'instruction supérieure.—De l'absence de toute discipline morale dans l'instruction supérieure.—Moyen d'y porter remède.
CHAPITRE XIX.
ACADÉMIES ET ÉTABLISSEMENTS LITTÉRAIRES.
Rétablissement de l'Académie des sciences morales et politiques dans l'Institut.—Motifs et objections.—Lettre de M. Royer-Collard.—Je communique mon projet aux membres survivants de l'ancienne classe des sciences morales et politiques. L'abbé Sieyès.—Le comte Roederer.—M. Daunou.—Élections nouvelles.—M. Lakanal.—Des travaux de l'Académie des sciences morales et politiques et de l'utilité générale des académies.—Mes relations avec les sociétés savantes des départements.—De l'administration des établissements littéraires et scientifiques.—Idées fausses à ce sujet.—De la suppression des logements pour les conservateurs et employés dans l'intérieur de ces établissements.—Réformes dans l'administration de la Bibliothèque royale.—Augmentation du budget des établissements littéraires et scientifiques.—Constructions nouvelles au Muséum d'histoire naturelle.
CHAPITRE XX.
ÉTUDES HISTORIQUES.
Importance morale et politique des études historiques.—État des études historiques dans l'instruction publique avant 1818.—Introduction de l'enseignement spécial de l'histoire dans les colléges.—Du caractère et des limites de cet enseignement.—État des études historiques après la Révolution de 1830.—Lettre de M. Augustin Thierry à ce sujet—Fondation de la Société pour l'histoire de France.—Je propose la publication, par le ministère de l'Instruction publique, d'une grande collection des Documents inédits relatifs à l'histoire de France.—Débat Dans les Chambres à ce sujet.—Mon rapport au roi Louis-Philippe.—Lettre du Roi.—M. Michelet et M. Edgar Quinet.—De l'état actuel des études sur l'histoire générale et locale de la France, et de l'influence de ces études.
CHAPITRE XXI.
POLITIQUE INTÉRIEURE. (1832-1836.)
Vrai caractère de la politique de résistance de 1830 à 1836.—État des partis dans les chambres en 1832.—Nomination de pairs.—Naissance du tiers-parti dans la chambre des députés.—M. Dupin président.—Révocation de MM. Dubois, de Nantes, et Baude.—Débat à ce sujet.—Sessions de 1832 et 1833.—Bonne situation du cabinet.—Des sociétés secrètes à cette époque.—De l'appui qu'elles trouvaient dans la Chambre des députés.—Des journaux.—Quelle conduite doit tenir le pouvoir en présence de la liberté de la presse périodique.—Quelle fut, à cet égard, notre erreur.—Procès de la Tribune devant la Chambre des députés.—Concessions inutiles à l'esprit révolutionnaire.—Session de 1834.—Débat entre M. Dupin et moi; Parce que et Quoique Bourbon.—Explosion des attaques républicaines et anarchiques.—Loi sur les crieurs publics.—-Loi sur les associations.—Traité des 25 millions avec les États-Unis d'Amérique.—Échec et retraite du duc de Broglie.—Pourquoi je reste dans le cabinet.—Sa reconstitution.—Insurrections d'avril 1834 à Lyon et sur plusieurs autres points.—A Paris.—Leur défaite.—Procès déféré à la Cour des pairs;—Dissolution de la Chambre des députés.—Les élections nous sont favorables.—Péril de la situation.—Attitude du tiers-parti.—Embarras intérieurs du cabinet.—Question du gouvernement de l'Algérie.—Le maréchal Soult.—Sa retraite. Le maréchal Gérard, président du conseil.—Ouverture de la session de 1835.—Adresse de la Chambre des députés.—Question de l'amnistie.—Le maréchal Gérard se retire.—Démission de MM. Duchâtel, Humann, Rigny, Thiers et moi.—Ministère des trois jours.—Sa retraite soudaine.—Nous rentrons au pouvoir, avec le maréchal Mortier comme président du conseil.—M. de Talleyrand se retire de l'ambassade de Londres.—Mort et obsèques de M. de La Fayette.—Ma brouillerie avec M. Royer-Collard.—Affaiblissement et retraite du cabinet.—Crise ministérielle.—Le roi et le duc de Broglie.—M. Thiers.—Le duc de Broglie rentre comme président du conseil et ministre des affaires étrangères.—Travaux du cabinet reconstitué.—Procès des accusés d'avril devant la Cour des pairs.—Recrudescence anarchique.—Attentat Fieschi.—Lois de septembre.—Forte situation du cabinet.—Incident inattendu; M. Humann et la conversion des rentes.—Échec et dissolution du cabinet du 11 octobre 1832.
PIÈCES HISTORIQUES.
I.
Rapport au roi Louis-Philippe sur la publication d'un Manuel général de l'instruction primaire (19 octobre 1832).
II.
Circulaire adressée le 18 juillet 1833 à tous les instituteurs primaires en leur envoyant la loi du 28 juin 1833 (18 juillet 1833).
III.
Circulaire adressée le 13 août 1835 aux inspecteurs des écoles primaires institués par une ordonnance du roi du 26 février 1835.
IV.
Correspondance entre l'abbé J.-M. de la Mennais et M. Guizot sur les écoles primaires de la Congrégation de l'instruction chrétienne. 1° L'abbé J-M. de la Mennais à M. Guizot. 2° M. Guizot à l'abbé de la Mennais.
V.
1° M. Jouffroy à M. Guizot. 2° M. Jouffroy à M. Guizot.
VI.
Rapport au roi Louis-Philippe sur la création d'une chaire de droit constitutionnel dans la Faculté de droit de Paris.
VII.
M. Auguste Comte à M. Guizot (30 mars 1833).
VIII.
M. Lakanal à M. Guizot. (Mobile, État d'Alabama.—16 juillet 1835).
IX.
Rapports au roi Louis-Philippe sur la publication d'une Collection des documents inédits relatifs à l'histoire de France. 1° Extrait du rapport au Roi sur le budget du ministère de l'instruction publique pour l'exercice de 1835. 2° Rapport au Roi sur les mesures prescrites pour la recherche et la publication des documents inédits relatifs à l'histoire de France.
X.
Rapport à M. le comte Pelet de la Lozère, ministre de l'instruction publique, sur l'état des travaux relatifs à la Collection des documents inédits concernant l'histoire de France (23 mars 1836).
XI.
Tableau comparatif des lois rendues de 1830 à 1837, les unes pour la résistance au désordre et la défense du pouvoir, les autres pour l'extension et la garantie des libertés Publiques.
XII.
Récit de l'insurrection de Lyon, en avril 1834, écrit en mai 1834, par un témoin oculaire.
FIN DE LA TABLE DU TOME TROISIÈME.
ERRATUM. Page 287, ligne 6, supprimez les mots offensive et défensive.