Molière - Œuvres complètes, Tome 3
MARTINE, bas, à part.
Ah! que le ciel m'inspire une admirable invention pour me venger de mon pendard! (Haut.) Vous ne pouviez jamais vous mieux adresser pour rencontrer ce que vous cherchez; et nous avons un homme, le plus merveilleux homme du monde pour les maladies désespérées.
VALÈRE.
Eh! de grâce, où pouvons-nous le rencontrer?
MARTINE.
Vous le trouverez maintenant vers ce petit lieu que voilà qui s'amuse à couper du bois.
LUCAS.
Un médecin qui coupe du bois!
VALÈRE.
Qui s'amuse à cueillir des simples, voulez-vous dire?
MARTINE.
Non; c'est un homme extraordinaire qui se plaît à cela, fantasque, bizarre, quinteux, et que vous ne prendriez jamais pour ce qu'il est. Il va vêtu d'une façon extravagante, affecte quelquefois de paroître ignorant, tient sa science renfermée, et ne fuit rien tant tous les jours que d'exercer les merveilleux talens qu'il a eus du ciel pour la médecine.
VALÈRE.
C'est une chose admirable, que tous les grands hommes ont toujours du caprice, quelque petit grain de folie mêlé à leur science.
MARTINE.
La folie de celui-ci est plus grande qu'on ne peut croire, car elle va parfois jusqu'à vouloir être battu pour demeurer d'accord de sa capacité; et je vous donne avis que vous n'en viendrez pas à bout, qu'il n'avouera jamais qu'il est médecin, s'il se le met en fantaisie, que vous ne preniez chacun un bâton, et ne le réduisiez, à force de coups, à vous confesser à la fin ce qu'il vous cachera d'abord. C'est ainsi que nous en usons quand nous avons besoin de lui.
VALÈRE.
Voilà une étrange folie!
MARTINE.
Il est vrai; mais, après cela, vous verrez qu'il fait des merveilles.
VALÈRE.
Comment s'appelle-t-il?
MARTINE.
Il s'appelle Sganarelle. Mais il est aisé à connoître. C'est un homme qui a une large barbe noire, et qui porte une fraise, avec un habit jaune et vert.
LUCAS.
Un habit jaune et vart! C'est donc le médecin des parroquets?
VALÈRE.
Mais est-il bien vrai qu'il soit si habile que vous le dites?
MARTINE.
Comment! c'est un homme qui fait des miracles. Il y a six mois qu'une femme fut abandonnée de tous les autres médecins: on la tenoit morte il y avait déjà six heures, et l'on se disposoit à l'ensevelir, lorsqu'on y fit venir de force l'homme dont nous parlons. Il lui mit, l'ayant vue, une petite goutte de je ne sais quoi dans la bouche, et, dans le même instant, elle se leva de son lit, et se mit aussitôt à se promener dans sa chambre, comme si de rien n'eût été.
LUCAS.
Ah!
VALÈRE.
Il falloit que ce fût quelque goutte d'or potable.
MARTINE.
Cela pourroit bien être. Il n'y a pas trois semaines encore qu'un jeune enfant de douze ans tomba du haut du clocher en bas, et se brisa sur le pavé la tête, les bras, et les jambes. On n'y eut pas plutôt amené notre homme, qu'il le frotta par tout le corps d'un certain onguent qu'il sait faire; et l'enfant aussitôt se leva sur ses pieds, et courut jouer à la fossette.
LUCAS.
Ah!
VALÈRE.
Il faut que cet homme-là ait la médecine universelle.
MARTINE.
Qui en doute?
LUCAS.
Tétigué! v'là justement l'homme qu'il nous faut. Allons vite le chercher.
VALÈRE.
Nous vous remercions du plaisir que vous nous faites.
MARTINE.
Mais souvenez-vous bien au moins de l'avertissement que je vous ai donné.
LUCAS.
Eh! morguenne! laissez-nous faire: s'il ne tient qu'à battre, la vache est à nous.
VALÈRE, à Lucas.
Nous sommes bien heureux d'avoir fait cette rencontre, et j'en conçois, pour moi, la meilleure espérance du monde.
SCÈNE VI.—SGANARELLE, VALÈRE, LUCAS.
SGANARELLE, chantant derrière le théâtre.
La, la, la...
VALÈRE.
J'entends quelqu'un qui chante et qui coupe du bois.
SGANARELLE, entrant sur le théâtre avec une bouteille à sa main, sans apercevoir Valère ni Lucas.
La, la, la... Ma foi, c'est assez travaillé pour boire un coup. Prenons un peu d'haleine. (Après avoir bu.) Voilà du bois qui est salé comme tous les diables.
Il chante.
Bouteille jolie,
Qu'ils sont doux,
Vos petits glougloux!
Mais mon sort feroit bien des jaloux,
Si vous étiez toujours remplie.
Ah! bouteille, ma mie,
Pourquoi vous videz-vous?
Allons, morbleu! il ne faut point engendrer de mélancolie.
VALÈRE, bas, à Lucas.
Le voilà lui-même.
LUCAS, bas, à Valère.
Je pense que vous dites vrai, et que j'avons bouté le nez dessus.
VALÈRE.
Voyons de près.
SGANARELLE, embrassant sa bouteille.
Ah! ma petite friponne! que je t'aime, mon petit bouchon!
Il chante. Apercevant Valère et Lucas qui l'examinent, il baisse la voix.
Si...
Voyant qu'on l'examine de plus près.
Que diable! à qui en veulent ces gens-là?
VALÈRE, à Lucas.
C'est lui assurément.
LUCAS, à Valère.
Le v'là tout craché comme on nous l'a défiguré.
Sganarelle pose la bouteille à terre, et Valère se baissant pour le saluer, comme il croit que c'est à dessein de la prendre, il la met de l'autre côté; Lucas faisant la même chose que Valère, Sganarelle reprend sa bouteille, et la tient contre son estomac, avec divers gestes qui font un jeu de théâtre.
SGANARELLE, à part.
Ils consultent en me regardant. Quel dessein auroient-ils?
VALÈRE.
Monsieur, n'est-ce pas vous qui vous appelez Sganarelle?
SGANARELLE.
Eh! quoi?
VALÈRE.
Je vous demande si ce n'est pas vous qui se nomme Sganarelle?
SGANARELLE, se tournant vers Valère, puis vers Lucas.
Oui et non, selon ce que vous lui voulez.
VALÈRE.
Nous ne voulons que lui faire toutes les civilités que nous pourrons.
SGANARELLE.
En ce cas, c'est moi qui se nomme Sganarelle.
VALÈRE.
Monsieur, nous sommes ravis de vous voir. On nous a adressés à vous pour ce que nous cherchons; et nous venons implorer votre aide, dont nous avons besoin.
SGANARELLE.
Si c'est quelque chose, messieurs, qui dépende de mon petit négoce, je suis tout prêt à vous rendre service.
VALÈRE.
Monsieur, c'est trop de grâce que vous nous faites. Mais, monsieur, couvrez-vous, s'il vous plaît; le soleil pourroit vous incommoder.
LUCAS.
Monsieur, boutez dessus.
SGANARELLE, à part.
Voici des gens bien pleins de cérémonies. (Il se couvre.)
VALÈRE.
Monsieur, il ne faut pas trouver étrange que nous venions à vous; les habiles gens sont toujours recherchés, et nous sommes instruits de votre capacité.
SGANARELLE.
Il est vrai, messieurs, que je suis le premier homme de monde pour faire des fagots.
VALÈRE.
Ah! monsieur!...
SGANARELLE.
Je n'y épargne aucune chose, et les fais d'une façon qu'il n'y a rien à dire.
VALÈRE.
Monsieur, ce n'est pas cela dont il est question.
SGANARELLE.
Mais aussi je les vends cent dix sous le cent.
VALÈRE.
Ne parlons point de cela, s'il vous plaît.
SGANARELLE.
Je vous promets que je ne saurois les donner à moins.
VALÈRE.
Monsieur, nous savons les choses.
SGANARELLE.
Si vous savez les choses, vous savez que je les vends cela.
VALÈRE.
Monsieur, c'est se moquer que...
SGANARELLE.
Je ne me moque point, je n'en puis rien rabattre.
VALÈRE.
Parlons d'autre façon, de grâce.
SGANARELLE.
Vous en pourrez trouver autre part à moins; il y a fagots et fagots; mais pour ceux que je fais...
VALÈRE.
Eh! monsieur, laissons là ce discours.
SGANARELLE.
Je vous jure que vous ne les auriez pas, s'il s'en falloit un double.
VALÈRE.
Eh! fi!
SGANARELLE.
Non, en conscience; vous en payerez[100] cela. Je vous parle sincèrement, et ne suis pas homme à surfaire.
VALÈRE.
Faut-il, monsieur, qu'une personne comme vous s'amuse à ces grossières feintes, s'abaisse à parler de la sorte! qu'un homme si savant, un fameux médecin comme vous êtes veuille se déguiser aux yeux du monde, et tenir enterrés les beaux talens qu'il a!
SGANARELLE, à part.
Il est fou.
VALÈRE.
De grâce, monsieur, ne dissimulez point avec nous.
SGANARELLE.
Comment?
LUCAS.
Tout ce tripotage ne sert de rian; je savons ceu que je savons.
SGANARELLE.
Quoi donc? Que me voulez-vous dire? Pour qui me prenez-vous?
VALÈRE.
Pour ce que vous êtes, pour un grand médecin.
SGANARELLE.
Médecin vous-même! je ne le suis point, et je ne l'ai jamais été.
VALÈRE, bas.
Voilà sa folie qui le tient. (Haut.) Monsieur, ne veuillez point nier les choses davantage, et n'en venons point, s'il vous plaît, à de fâcheuses extrémités.
SGANARELLE.
A quoi donc?
VALÈRE.
A de certaines choses dont nous serions marris[101].
SGANARELLE.
Parbleu! venez-en à tout ce qu'il vous plaira; je ne suis point médecin, et ne sais ce que vous me voulez dire.
VALÈRE, bas.
Je vois bien qu'il faut se servir de remède. (Haut.) Monsieur, encore un coup, je vous prie d'avouer ce que vous êtes.
LUCAS.
Eh! tétigué! ne lantiponez[102] point davantage, et confessez à la franquette que v's êtes médecin.
SGANARELLE, à part.
J'enrage!
VALÈRE.
A quoi bon nier ce qu'on sait?
LUCAS.
Pourquoi toutes ces fredaines-là? A quoi est-ce que ça vous sart?
SGANARELLE.
Messieurs, en un mot autant qu'en deux mille, je vous dis que je ne suis point médecin.
VALÈRE.
Vous n'êtes point médecin?
SGANARELLE.
Non.
LUCAS.
V' n'êtes point médecin?
SGANARELLE.
Non, vous dis-je.
VALÈRE.
Puisque vous le voulez, il faut s'y résoudre.
Ils prennent chacun un bâton et le frappent.
SGANARELLE.
Ah! ah! ah! messieurs, je suis tout ce qu'il vous plaira.
VALÈRE.
Pourquoi, monsieur, nous obligez-vous à cette violence?
LUCAS.
A quoi bon nous bailler la peine de vous battre?
VALÈRE.
Je vous assure que j'en ai tous les regrets du monde.
LUCAS.
Par ma figué! j'en sis fâché, franchement.
SGANARELLE.
Que diable est ceci, messieurs? De grâce, est-ce pour rire, ou si tous deux vous extravaguez, de vouloir que je sois médecin?
VALÈRE.
Quoi! vous ne vous rendez pas encore, et vous vous défendez d'être médecin.
SGANARELLE.
Diable emporte si je le suis!
LUCAS.
Il n'est pas vrai qu'ous sayez médecin?
SGANARELLE.
Non, la peste m'étouffe! (Ils recommencent à le battre.) Ah! ah! Eh bien, messieurs, oui, puisque vous le voulez, je suis médecin, je suis médecin; apothicaire encore, si vous le trouvez bon. J'aime mieux consentir à tout que de me faire assommer.
VALÈRE.
Ah! voilà qui va bien, monsieur; je suis ravi de vous voir raisonnable.
LUCAS.
Vous me boutez la joie au cœur, quand je vous vois parler comme ça.
VALÈRE.
Je vous demande pardon de toute mon âme.
LUCAS.
Je vous demandons excuse de la libarté que j'avons prise.
SGANARELLE, à part.
Ouais, seroit-ce bien moi qui me tromperois, et serois-je devenu médecin sans m'en être aperçu?
VALÈRE.
Monsieur, vous ne vous repentirez pas de nous montrer ce que vous êtes, et vous verrez assurément que vous en serez satisfait.
SGANARELLE.
Mais, messieurs, dites-moi, ne vous trompez-vous point vous-mêmes? Est-il bien assuré que je sois médecin?
LUCAS.
Oui, par ma figué!
SGANARELLE.
Tout de bon?
VALÈRE.
Sans doute.
SGANARELLE.
Diable emporte si je le savois!
VALÈRE.
Comment! vous êtes le plus habile médecin du monde.
SGANARELLE.
Ah! ah!
LUCAS.
Un médecin qui a gari je ne sais combien de maladies.
SGANARELLE.
Tudieu!
VALÈRE.
Une femme étoit tenue pour morte il y avoit six heures; elle étoit prête à ensevelir, lorsque avec une goutte de quelque chose vous la fîtes revenir et marcher d'abord par la chambre.
SGANARELLE.
Peste!
LUCAS.
Un petit enfant de douze ans se laissit choir du haut d'un clocher, de quoi il eut la tête, les jambes et les bras cassés; et vous, avec je ne sais quel onguent, vous fîtes qu'aussitôt il se relevit sur ses pieds, et s'en fut jouer à la fossette.
SGANARELLE.
Diantre!
VALÈRE.
Enfin, monsieur, vous aurez contentement avec nous, et vous gagnerez ce que vous voudrez, en vous laissant conduire où nous prétendons vous mener.
SGANARELLE.
Je gagnerai ce que je voudrai?
VALÈRE.
Oui.
SGANARELLE.
Ah! je suis médecin, sans contredit. Je l'avois oublié; mais je m'en ressouviens. De quoi est-il question? où faut-il se transporter?
VALÈRE.
Nous vous conduirons. Il est question d'aller voir une fille qui a perdu la parole.
SGANARELLE.
Ma foi! je ne l'ai pas trouvée.
VALÈRE, bas à Lucas.
Il aime à rire. (A Sganarelle.) Allons, monsieur.
SGANARELLE.
Sans une robe de médecin?
VALÈRE.
Nous en prendrons une.
SGANARELLE, présentant sa bouteille à Valère.
Tenez cela, vous; voilà où je mets mes juleps. (Puis se tournant vers Lucas en crachant.) Vous, marchez là-dessus, par ordonnance du médecin.
LUCAS.
Palsanguenne; v'là un médecin qui me plaît; je pense qu'il réussira, car il est bouffon.
ACTE II
Le théâtre représente une chambre de la maison de Géronte.
SCÈNE I.—GÉRONTE, VALÈRE, LUCAS, JACQUELINE.
VALÈRE.
Oui, monsieur, je crois que vous serez satisfait; et nous vous avons amené le plus grand médecin du monde.
LUCAS.
Oh! morguenne! il faut tirer l'échelle après ceti-là; et tous les autres ne sont pas daignes de li déchausser ses souliers.
VALÈRE.
C'est un homme qui a fait des cures merveilleuses.
LUCAS.
Qui a gari des gens qui étiant morts.
VALÈRE.
Il est un peu capricieux, comme je vous ai dit; et parfois il a des momens où son esprit s'échappe, et ne paroît pas ce qu'il est.
LUCAS.
Oui, il aime à bouffonner; et l'an diroit parfois, ne v's en déplaise, qu'il a quelque petit coup de hache à la tête.
VALÈRE.
Mais, dans le fond, il est toute science, et bien souvent il dit des choses tout à fait relevées.
LUCAS.
Quand il s'y boute, il parle tout fin drait comme s'il lisoit dans un livre.
VALÈRE.
Sa réputation s'est déjà répandue ici, et tout le monde vient à lui.
GÉRONTE.
Je me meurs d'envie de le voir; faites-le-moi vite venir.
VALÈRE.
Je le vais querir.
SCÈNE II.—GÉRONTE, JACQUELINE, LUCAS.
JACQUELINE.
Par ma fi, monsieu, ceti-ci fera justement ce qu'ant fait les autres. Je pense que ce sera queussi queumi[103]; et la meilleure médeçaine que l'an pourroit bailler à votre fille, ce seroit, selon moi, un biau et bon mari, pour qui alle eût de l'amiquié.
GÉRONTE.
Ouais! nourrice, ma mie, vous vous mêlez de bien des choses!
LUCAS.
Taisez-vous, notre minagère Jacquelaine; ce n'est pas à vous à bouter là votre nez.
JACQUELINE.
Je vous dis et vous douze que tous ces médecins n'y feront rian que de l'iau claire; que votre fille a besoin d'autre chose que de rhibarbe et de séné, et qu'un mari est un emplâtre qui garit tous les maux des filles.
GÉRONTE.
Est-elle en état maintenant qu'on s'en voulût charger avec l'infirmité qu'elle a? Et, lorsque j'ai été dans le dessein de la marier, ne s'est-elle pas opposée à mes volontés?
JACQUELINE.
Je le crois bian: vous li vouliez bailler eun homme qu'alle n'aime point. Que ne preniais-vous ce monsieur Liandre, qui li touchoit au cœur? Alle auroit été fort obéissante; et je m'en vas gager qu'il la prendroit, li, comme alle est, si vous la li vouillais donner.
GÉRONTE.
Ce Léandre n'est pas ce qu'il lui faut; il n'a pas du bien comme l'autre.
JACQUELINE.
Il a eun oncle qui est si riche, dont il est hériquié!
GÉRONTE.
Tous ces biens à venir me semblent autant de chansons. Il n'est rien tel que ce qu'on tient, et l'on court grand risque de s'abuser lorsque l'on compte sur le bien qu'un autre vous garde. La mort n'a pas toujours les oreilles ouvertes aux vœux et aux prières de messieurs les héritiers, et l'on a le temps d'avoir les dents longues lorsqu'on attend pour vivre le trépas de quelqu'un.
JACQUELINE.
Enfin, j'ai toujours ouï dire qu'en mariage, comme ailleurs, contentement passe richesse. Les pères et les mères ant cette maudite couteume de demander toujours: Qu'a-t-il? et Qu'a-t-elle? et le compère Piarre a marié sa fille Simonette au gros Thomas pour un quarquié de vaigne qu'il avoit davantage que le jeune Robin, où alle avoit bouté son amiquié; et v'là que la pauvre criature en est devenue jaune comme un coing, et n'a point profité tout depuis ce temps-là. C'est un bel exemple pour vous, monsieu. On n'a que son plaisir en ce monde, et j'aimerois mieux bailler à ma fille eun bon mari qui li fût agréable, que toutes les rentes de la Biausse.
GÉRONTE.
Peste! madame la nourrice, comme vous dégoisez! Taisez-vous, je vous prie; vous prenez trop de soin, et vous échauffez votre lait.
LUCAS, frappant, à chaque phrase qu'il dit, sur l'épaule de Géronte.
Morguié! tais-toi, t'es eune impertinente. Monsieu n'a que faire de tes discours, et il sait ce qu'il a à faire. Mêle-toi de donner à teter à ton enfant, sans tant faire la raisonneuse. Monsieu est le père de sa fille, et il est bon et sage pour voir ce qu'il li faut.
GÉRONTE.
Tout doux! Oh! tout doux!
LUCAS, frappant encore sur l'épaule de Géronte.
Monsieu, je veux un peu la mortifier, et li apprendre le respect qu'alle vous doit.
GÉRONTE.
Oui. Mais ces gestes ne sont pas nécessaires.
SCÈNE III.—VALÈRE, SGANARELLE, GÉRONTE, LUCAS, JACQUELINE.
VALÈRE.
Monsieur, préparez-vous. Voici notre médecin qui entre.
GÉRONTE, à Sganarelle.
Monsieur, je suis ravi de vous voir chez moi, et nous avons grand besoin de vous.
SGANARELLE, en robe de médecin avec un chapeau des plus pointus.
Hippocrate dit... que nous nous couvrions tous deux.
GÉRONTE.
Hippocrate dit cela?
SGANARELLE.
Oui.
GÉRONTE.
Dans quel chapitre, s'il vous plaît?
SGANARELLE.
Dans son chapitre... des chapeaux[104].
GÉRONTE.
Puisque Hippocrate le dit, il le faut faire.
SGANARELLE.
Monsieur le médecin, ayant appris les merveilleuses choses...
GÉRONTE.
A qui parlez-vous, de grâce?
SGANARELLE.
A vous.
GÉRONTE.
Je ne suis pas médecin.
SGANARELLE.
Vous n'êtes pas médecin?
GÉRONTE.
Non, vraiment.
SGANARELLE.
Tout de bon?
GÉRONTE.
Tout de bon. (Sganarelle prend un bâton et frappe Géronte.) Ah! ah! ah!
SGANARELLE.
Vous êtes médecin maintenant: je n'ai jamais eu d'autres licences.
GÉRONTE, à Valère.
Quel diable d'homme m'avez-vous là amené?
VALÈRE.
Je vous ai bien dit que c'étoit un médecin goguenard.
GÉRONTE.
Oui; mais je l'enverrois promener avec ses goguenarderies.
LUCAS.
Ne prenez pas garde à ça, monsieu, ce n'est que pour rire.
GÉRONTE.
Cette raillerie ne me plaît pas.
SGANARELLE.
Monsieur, je vous demande pardon de la liberté que j'ai prise.
GÉRONTE.
Monsieur, je suis votre serviteur.
SGANARELLE.
Je suis fâché...
GÉRONTE.
Cela n'est rien.
SGANARELLE.
Des coups de bâton...
GÉRONTE.
Il n'y a pas de mal.
SGANARELLE.
Que j'ai eu l'honneur de vous donner.
GÉRONTE.
Ne parlons plus de cela. Monsieur, j'ai une fille qui est tombée dans une étrange maladie.
SGANARELLE.
Je suis ravi, monsieur, que votre fille ait besoin de moi, et je souhaiterois de tout mon cœur que vous en eussiez besoin aussi, vous et toute votre famille, pour vous témoigner l'envie que j'ai de vous servir.
GÉRONTE.
Je vous suis obligé de ces sentimens.
SGANARELLE.
Je vous assure que c'est du meilleur de mon âme que je vous parle.
GÉRONTE.
C'est trop d'honneur que vous me faites.
SGANARELLE.
Comment s'appelle votre fille?
GÉRONTE.
Lucinde.
SGANARELLE.
Lucinde! Ah! beau nom à médicamenter! Lucinde!
GÉRONTE.
Je m'en vais voir un peu ce qu'elle fait.
SGANARELLE.
Qui est cette grande femme-là?
GÉRONTE.
C'est la nourrice d'un petit enfant que j'ai.
SCÈNE IV.—SGANARELLE, JACQUELINE, LUCAS.
SGANARELLE, à part.
Peste! le joli meuble que voilà! (Haut.) Ah! nourrice! charmante nourrice, ma médecine est la très-humble esclave de votre nourricerie, et je voudrois bien être le petit poupon fortuné qui tetât le lait de vos bonnes grâces. (Il lui porte la main sur le sein.) Tous mes remèdes, toute ma science, toute ma capacité est à votre service, et...
LUCAS.
Avec votre permission monsieu le médecin, laissez là ma femme, je vous prie.
SGANARELLE.
Quoi! elle est votre femme?
LUCAS.
Oui.
SGANARELLE.
Ah! vraiment je ne savois pas cela, et je m'en réjouis pour l'amour de l'un et de l'autre.
Il fait semblant de vouloir embrasser Lucas, et embrasse la nourrice.
LUCAS, tirant Sganarelle, et se remettant entre lui et sa femme.
Tout doucement, s'il vous plaît.
SGANARELLE.
Je vous assure que je suis ravi que vous soyez unis ensemble: et la félicite d'avoir un mari comme vous; et je vous félicite, vous, d'avoir une femme si belle, si sage, et si bien faite comme elle est.
Faisant encore semblant d'embrasser Lucas, qui lui tend les bras, il passe dessous, et embrasse encore la nourrice.
LUCAS, le tirant encore.
Eh! tétigué! point tant de complimens, je vous supplie.
SGANARELLE.
Ne voulez-vous pas que je me réjouisse avec vous d'un si bel assemblage?
LUCAS.
Avec moi tant qu'il vous plaira; mais, avec ma femme, trêve de sarimonie.
SGANARELLE.
Je prends part également au bonheur de tous deux: et, si je vous embrasse pour vous témoigner ma joie, je l'embrasse de même pour lui en témoigner aussi.
Il continue le même jeu.
LUCAS, le tirant pour la troisième fois.
Ah! vartigué, monsieu le médecin, que de lantiponage[105]!
SCÈNE V.—GÉRONTE, SGANARELLE, LUCAS, JACQUELINE.
GÉRONTE.
Monsieur, voici tout à l'heure ma fille qu'on va vous amener.
SGANARELLE.
Je l'attends, monsieur, avec toute la médecine.
GÉRONTE.
Où est-elle?
SGANARELLE, se touchant le front.
Là dedans.
GÉRONTE.
Fort bien.
SGANARELLE.
Mais, comme je m'intéresse à toute votre famille, il faut que j'essaye un peu le lait de votre nourrice, et que je visite son sein.
Il s'approche de Jacqueline.
LUCAS, le tirant et lui faisant faire la pirouette.
Nannain, nannain; je n'avons que faire de ça.
SGANARELLE.
C'est l'office du médecin de voir les tetons des nourrices.
LUCAS.
Il gnia office qui quienne, je sis votre serviteur.
SGANARELLE.
As-tu bien la hardiesse de t'opposer au médecin? Hors de là!
LUCAS.
Je me moque de ça!
SGANARELLE, en le regardant de travers.
Je te donnarai la fièvre.
JACQUELINE, prenant Lucas par le bras, et lui faisant faire aussi la pirouette.
Ote-toi de là aussi; est-ce que je ne sis pas assez grande pour me défendre moi-même, s'il me fait queuque chose qui ne soit pas à faire?
LUCAS.
Je ne veux pas qu'il te tâte, moi.
SGANARELLE.
Fi! le vilain, qui est jaloux de sa femme!
GÉRONTE.
Voici ma fille.
SCÈNE VI.—LUCINDE, GÉRONTE, SGANARELLE, VALÈRE, LUCAS, JACQUELINE.
SGANARELLE.
Est-ce là la malade?
GÉRONTE.
Oui. Je n'ai qu'elle de fille; et j'aurois tous les regrets du monde si elle venoit à mourir.
SGANARELLE.
Qu'elle s'en garde bien! Il ne faut pas qu'elle meure sans l'ordonnance du médecin.
GÉRONTE.
Allons, un siége.
SGANARELLE, assis entre Géronte et Lucinde.
Voilà une malade qui n'est pas tant dégoûtante, et je tiens qu'un homme bien sain s'en accommoderoit assez.
GÉRONTE.
Vous l'avez fait rire, monsieur.
SGANARELLE.
Tant mieux: lorsque le médecin fait rire le malade, c'est le meilleur signe du monde. (A Lucinde.) Eh bien, de quoi est-il question? Qu'avez-vous? Quel est le mal que vous sentez?
LUCINDE, portant sa main à sa bouche, à sa tête et sous son menton.
Han, hi, hon, han.
SGANARELLE.
Hé! que dites-vous?
LUCINDE, continue les mêmes gestes.
Han, hi, hon, hon, han, hi, hon.
SGANARELLE.
Quoi?
LUCINDE.
Han, hi, hon.
SGANARELLE.
Han, hi, hon, han, ha. Je ne vous entends point. Quel diable de langage est-ce là?
GÉRONTE.
Monsieur, c'est là sa maladie, elle est devenue muette, sans que jusques ici on en ait pu savoir la cause; et c'est un accident qui a fait reculer son mariage.
SGANARELLE.
Et pourquoi?
GÉRONTE.
Celui qu'elle doit épouser veut attendre sa guérison pour conclure les choses.
SGANARELLE.
Et qui est ce sot-là, qui ne veut pas que sa femme soit muette? Plût à Dieu que la mienne eût cette maladie! je me garderois bien de la vouloir guérir.
GÉRONTE.
Enfin, monsieur, nous vous prions d'employer tous vos soins pour la soulager de son mal.
SGANARELLE.
Ah! ne vous mettez pas en peine. Dites-moi un peu: ce mal l'oppresse-t-il beaucoup?
GÉRONTE.
Oui, monsieur.
SGANARELLE.
Tant mieux. Sent-elle de grandes douleurs?
GÉRONTE.
Fort grandes.
SGANARELLE.
C'est fort bien fait. Va-t-elle où vous savez?
GÉRONTE.
Oui.
SGANARELLE.
Copieusement?
GÉRONTE.
Je n'entends rien à cela.
SGANARELLE.
La matière est-elle louable?
GÉRONTE.
Je ne me connois pas à ces choses.
SGANARELLE, à Lucinde.
Donnez-moi votre bras. (A Géronte.) Voilà un pouls qui marque que votre fille est muette.
GÉRONTE.
Eh! oui, monsieur, c'est là son mal; vous l'avez trouvé tout du premier coup.
SGANARELLE.
Ah! ah!
JACQUELINE.
Voyez comme il a deviné sa maladie!
SGANARELLE.
Nous autres grands médecins, nous connoissons d'abord les choses. Un ignorant auroit été embarrassé, et vous eût été dire: C'est ceci, c'est cela; mais moi, je touche au but du premier coup, et je vous apprends que votre fille est muette.
GÉRONTE.
Oui; mais je voudrois bien que vous me puissiez dire d'où cela vient.
SGANARELLE.
Il n'est rien de plus aisé: cela vient de ce qu'elle a perdu la parole.
GÉRONTE.
Fort bien. Mais la cause, s'il vous plaît, qui fait qu'elle a perdu la parole?
SGANARELLE.
Tous nos meilleurs auteurs vous diront que c'est l'empêchement de l'action de sa langue.
GÉRONTE.
Mais encore, vos sentimens sur cet empêchement de l'action de sa langue?
SGANARELLE.
Aristote, là-dessus, dit... de fort belles choses.
GÉRONTE.
Je le crois.
SGANARELLE.
Ah! c'étoit un grand homme!
GÉRONTE.
Sans doute.
SGANARELLE.
Grand homme tout à fait... (Levant le bras depuis le coude.) un homme qui étoit plus grand que moi de tout cela. Pour revenir donc à notre raisonnement, je tiens que cet empêchement de l'action de sa langue est causé par de certaines humeurs, qu'entre nous autres savans nous appelons humeurs peccantes; c'est-à-dire... humeurs peccantes, d'autant que les vapeurs formées par les exhalaisons des influences qui s'élèvent dans la région des maladies, venant... pour ainsi dire... à... Entendez-vous le latin?
GÉRONTE.
En aucune façon.
SGANARELLE, se levant brusquement.
Vous n'entendez point le latin?
GÉRONTE.
Non.
SGANARELLE, avec enthousiasme.
Cabricias, arci thuram, catalamus, singulariter, nominativo, hæc musa, la muse, bonus, bona, bonum. Deus sanctus, est-ne oratio latinas? Etiam, oui. Quare, pourquoi? Quia substantivo, et adjectivum, concordat in generi, numerum, et casus.
GÉRONTE.
Ah! que n'ai-je étudié!
JACQUELINE.
L'habile homme que v'là!
LUCAS.
Oui, ça est si biau, que je n'y entends goutte.
SGANARELLE.
Or ces vapeurs dont je vous parle venant à passer, du côté gauche où est le foie, au côté droit où est le cœur, il se trouve que le poumon, que nous appelons en latin armyan, ayant communication avec le cerveau, que nous nommons en grec nasmus, par le moyen de la veine cave, que nous appelons en hébreu cubile, rencontre en son chemin lesdites vapeurs qui remplissent les ventricules de l'omoplate; et parce que lesdites vapeurs... comprenez bien ce raisonnement, je vous prie...; et parce que lesdites vapeurs ont certaine malignité... écoutez bien ceci, je vous conjure.
GÉRONTE.
Oui.
SGANARELLE.
Ont une certaine malignité qui est causée... soyez attentif, s'il vous plaît.
GÉRONTE.
Je le suis.
SGANARELLE.
Qui est causée par l'âcreté des humeurs engendrées dans la concavité du diaphragme, il arrive que ces vapeurs... Ossabundus, nequeis, nequer, potarinum, quipsa milus. Voilà justement ce qui fait que votre fille est muette.
JACQUELINE.
Ah! que ça est bian dit, notre homme!
LUCAS.
Que n'ai-je la langue aussi bian pendue!
GÉRONTE.
On ne peut pas mieux raisonner, sans doute. Il n'y a qu'une seule chose qui m'a choqué: c'est l'endroit du foie et du cœur. Il me semble que vous les placez autrement qu'ils ne sont; que le cœur est du côté gauche, et le foie du côté droit.
SGANARELLE.
Oui, cela étoit autrefois ainsi; mais nous avons changé tout cela, et nous faisons maintenant la médecine d'une méthode toute nouvelle.
GÉRONTE.
C'est ce que je ne savois pas, et je vous demande pardon de mon ignorance.
SGANARELLE.
Il n'y a point de mal; et vous n'êtes pas obligé d'être aussi habile que nous.
GÉRONTE.
Assurément. Mais, monsieur, que croyez-vous qu'il faille faire à cette maladie?
SGANARELLE.
Ce que je crois qu'il faille faire?
GÉRONTE.
Oui.
SGANARELLE.
Mon avis est qu'on la remette sur son lit, et qu'on lui fasse prendre pour remède quantité de pain trempé dans du vin.
GÉRONTE.
Pourquoi cela, monsieur?
SGANARELLE.
Parce qu'il y a dans le vin et le pain, mêlés ensemble, une vertu sympathique qui fait parler. Ne voyez-vous pas bien qu'on ne donne autre chose aux perroquets, et qu'ils apprennent à parler en mangeant de cela?
GÉRONTE.
Cela est vrai. Ah! le grand homme! Vite, quantité de pain et de vin.
SGANARELLE.
Je reviendrai voir sur le soir en quel état elle sera.
SCÈNE VII.—GÉRONTE, SGANARELLE, JACQUELINE.
SGANARELLE, à Jacqueline.
Doucement, vous. (A Géronte.) Monsieur, voilà une nourrice à laquelle il faut que je fasse quelques petits remèdes.
JACQUELINE.
Qui? moi? Je me porte le mieux du monde!
SGANARELLE.
Tant pis, nourrice, tant pis! Cette grande santé est à craindre, et il ne sera pas mauvais de vous faire quelque petite saignée amiable, de vous donner quelque petit clystère dulcifiant.
GÉRONTE
Mais, monsieur, voilà une mode que je ne comprends point. Pourquoi s'aller faire saigner quand on n'a point de maladie?
SGANARELLE.
Il n'importe, la mode en est salutaire; et, comme on boit pour la soif à venir, il faut aussi se faire saigner pour la maladie à venir.
JACQUELINE, en s'en allant.
Ma fi, je me moque de ça, et je ne veux point faire de mon corps une boutique d'apothicaire.
SGANARELLE.
Vous êtes rétive aux remèdes, mais nous saurons vous soumettre à la raison.
SCÈNE VIII[106].—GÉRONTE, SGANARELLE.
SGANARELLE.
Je vous donne le bonjour.
GÉRONTE.
Attendez un peu, s'il vous plaît.
SGANARELLE.
Que voulez-vous faire?
GÉRONTE.
Vous donner de l'argent, monsieur.
SGANARELLE, tendant sa main par derrière, tandis que Géronte ouvre sa bourse.
Je n'en prendrai pas, monsieur.
GÉRONTE.
Monsieur.
SGANARELLE.
Point du tout.
GÉRONTE.
Un petit moment.
SGANARELLE.
En aucune façon.
GÉRONTE.
De grâce!
SGANARELLE.
Vous vous moquez.
GÉRONTE.
Voilà qui est fort.
SGANARELLE.
Je n'en ferai rien.
GÉRONTE.
Eh!
SGANARELLE.
Ce n'est pas l'argent qui me fait agir.
GÉRONTE.
Je le crois.
SGANARELLE, après avoir pris l'argent.
Cela est-il de poids?
GÉRONTE.
Oui, monsieur.
SGANARELLE.
Je ne suis pas un médecin mercenaire.
GÉRONTE.
Je le sais bien.
SGANARELLE.
L'intérêt ne me gouverne point.
GÉRONTE.
Je n'ai pas cette pensée.
SGANARELLE, seul, regardant l'argent qu'il a reçu.
Ma foi, cela ne va pas mal, et pourvu que...
SCÈNE IX.—LÉANDRE, SGANARELLE.
LÉANDRE.
Monsieur, il y a longtemps que je vous attends; et je viens implorer votre assistance.
SGANARELLE, lui tâtant le pouls.
Voilà un pouls qui est fort mauvais.
LÉANDRE.
Je ne suis point malade, monsieur, et ce n'est pas pour cela que je viens à vous.
SGANARELLE.
Si vous n'êtes pas malade, que diable ne le dites-vous donc?
LÉANDRE.
Non. Pour vous dire la chose en deux mots, je m'appelle Léandre, qui suis amoureux de Lucinde, que vous venez de visiter; et comme, par la mauvaise humeur de son père, toute sorte d'accès m'est fermé auprès d'elle, je me hasarde à vous prier de vouloir servir mon amour et de me donner lieu d'exécuter un stratagème que j'ai trouvé pour lui pouvoir dire deux mots d'où dépendent absolument mon bonheur et ma vie.
SGANARELLE.
Pour qui me prenez-vous? Comment! oser vous adresser à moi pour vous servir dans votre amour, et vouloir ravaler la dignité de médecin à des emplois de cette nature!
LÉANDRE.
Monsieur, ne faites point de bruit.
SGANARELLE, en le faisant reculer.
J'en veux faire, moi! Vous êtes un impertinent!
LÉANDRE.
Eh! monsieur, doucement!
SGANARELLE.
Un malavisé!
LÉANDRE.
De grâce!
SGANARELLE.
Je vous apprendrai que je ne suis point homme à cela, et que c'est une insolence extrême...
LÉANDRE, tirant une bourse.
Monsieur...
SGANARELLE.
De vouloir m'employer... (Recevant la bourse.) Je ne parle pas pour vous, car vous êtes honnête homme, et je serois ravi de vous rendre service: mais il y a de certains impertinens au monde qui viennent prendre les gens pour ce qu'ils ne sont pas, et je vous avoue que cela me met en colère.
LÉANDRE.
Je vous demande pardon, monsieur, de la liberté que...
SGANARELLE.
Vous vous moquez. De quoi est-il question?
LÉANDRE.
Vous saurez donc, monsieur, que cette maladie que vous voulez guérir est une feinte maladie. Les médecins ont raisonné là-dessus comme il faut; et ils n'ont pas manqué de dire que cela procédoit, qui[107] du cerveau, qui des entrailles, qui de la rate, qui du foie; mais il est certain que l'amour en est la véritable cause, et que Lucinde n'a trouvé cette maladie que pour se délivrer d'un mariage dont elle étoit importunée. Mais, de crainte qu'on ne nous voie ensemble retirons-nous d'ici, et je vous dirai en marchant ce que je souhaite de vous.
SGANARELLE.
Allons, monsieur; vous m'avez donné pour votre amour une tendresse qui n'est pas concevable, et j'y perdrai toute ma médecine, ou la malade crèvera, ou bien elle sera à vous.
ACTE III
Le théâtre représente un lieu voisin de la maison de Géronte.
SCÈNE I.—LÉANDRE, SGANARELLE.
LÉANDRE.
Il me semble que je ne suis pas mal ainsi pour un apothicaire; et, comme le père ne m'a guère vu, ce changement d'habit et de perruque est assez capable, je crois, de me déguiser à ses yeux.
SGANARELLE.
Sans doute.
LÉANDRE.
Tout ce que je souhaiterois seroit de savoir cinq ou six grands mots de médecine pour parer mon discours et me donner l'air d'habile homme.
SGANARELLE.
Allez, allez, tout cela n'est pas nécessaire; il suffit de l'habit, et je n'en sais pas plus que vous.
LÉANDRE.
Comment!
SGANARELLE.
Diable emporte si j'entends rien en médecine! Vous êtes honnête homme, et je veux bien me confier à vous comme vous vous confiez à moi.
LÉANDRE.
Quoi! vous n'êtes pas effectivement...
SGANARELLE.
Non, vous dis-je; ils m'ont fait médecin malgré mes dents. Je ne m'étois jamais mêlé d'être si savant que cela; et toutes mes études n'ont été que jusqu'en sixième. Je ne sais point sur quoi cette imagination leur est venue; mais, quand j'ai vu qu'à toute force ils vouloient que je fusse médecin, je me suis résolu de l'être aux dépens de qui il appartiendra. Cependant vous ne sauriez croire comment l'erreur s'est répandue, et de quelle façon chacun est endiablé à me croire habile homme. On me vient chercher de tous côtés; et, si les choses vont toujours de même, je suis d'avis de m'en tenir toute ma vie à la médecine. Je trouve que c'est le métier le meilleur de tous; car, soit qu'on fasse bien, ou soit qu'on fasse mal, on est toujours payé de même sorte. La méchante besogne ne retombe jamais sur notre dos, et nous taillons comme il nous plaît sur l'étoffe où nous travaillons. Un cordonnier, en faisant des souliers, ne sauroit gâter un morceau de cuir qu'il n'en paye les pots cassés; mais ici l'on peut gâter un homme sans qu'il en coûte rien. Les bévues ne sont point pour nous, et c'est toujours la faute de celui qui meurt. Enfin le bon de cette profession est qu'il y a parmi les morts une honnêteté, une discrétion la plus grande du monde, et jamais on n'en voit se plaindre du médecin qui l'a tué[108].
LÉANDRE.
Il est vrai que les morts sont fort honnêtes gens sur cette matière.
SGANARELLE, voyant des hommes qui viennent à lui.
Voilà des gens qui ont la mine de me venir consulter. (A Léandre.) Allez toujours m'attendre auprès du logis de votre maîtresse.
SCÈNE II.—THIBAUT, PERRIN, SGANARELLE.
THIBAUT.
Monsieur, je venons vous chercher, mon fils Perrin et moi.
SGANARELLE.
Qu'y a-t-il?
THIBAUT.
Sa pauvre mère, qui a nom Parrette, est dans un lit malade il y a six mois.
SGANARELLE, tendant la main comme pour recevoir de l'argent.
Que voulez-vous que j'y fasse?
THIBAUT.
Je voudrions, monsieur, que vous nous baillissiez queuque petite drôlerie pour la garir.
SGANARELLE.
Il faut voir de quoi est-ce qu'elle est malade.
THIBAUT.
Alle est malade d'hypocrisie, monsieu.
SGANARELLE.
D'hypocrisie?
THIBAUT.
Oui, c'est-à-dire qu'alle est enflée partout; et l'an dit que c'est quantité de sériosités qu'alle a dans le corps, et que son foie, son ventre, ou sa rate, comme vous voudrais l'appeler, au glieu de faire du sang, ne fait plus que l'iau. Alle a, de deux jours l'un, la fièvre quotiguienne, avec des lassitudes et des douleurs dans les mufles des jambes. On entend dans sa gorge des fleumes qui sont tout prêts à l'étouffer; et parfois il li prend des syncoles et des conversions, que je crayons qu'alle est passée. J'avons dans notre village un apothicaire, révérence parler, qui li a donné je ne sais combien d'histoires; et il m'en coûte plus d'eune douzaine de bons écus en lavements, ne v's en déplaise, en aposthumes qu'on li a fait prendre, en infection de jacinthe et en portions cordales. Mais tout ça, comme dit l'autre, n'a été que de l'onguent miton-mitaine. Il veloit li bailler d'eune certaine drogue qu'on appelle du vin amétile, mais j'ai-z-eu peur franchement que ça l'envoyit a patres; et l'an dit que ces gros médecins tuont je ne sais combien de monde avec cette invention-là.
SGANARELLE, tendant toujours la main.
Venons au fait, mon ami, venons au fait.
THIBAUT.
Le fait est, monsieu, que je venons vous prier de nous dire ce qu'il faut que je fassions.
SGANARELLE.
Je ne vous entends point du tout.
PERRIN.
Monsieu, ma mère est malade; et v'là deux écus que je vous apportons pour nous bailler queuque remède.
SGANARELLE.
Ah! je vous entends, vous. Voilà un garçon qui parle clairement, et qui s'explique comme il faut. Vous dites que votre mère est malade d'hydropisie, qu'elle est enflée par tout le corps, qu'elle a la fièvre, avec des douleurs dans les jambes, et qu'il lui prend parfois des syncopes et des convulsions, c'est-à-dire, des évanouissements?
PERRIN.
Eh! oui, monsieu, c'est justement ça.
SGANARELLE.
J'ai compris d'abord vos paroles. Vous avez un père qui ne sait ce qu'il dit. Maintenant, vous me demandez un remède?
PERRIN.
Oui, monsieu.
SGANARELLE.
Un remède pour la guérir?
PERRIN.
C'est comme je l'entendons.
SGANARELLE.
Tenez, voilà un morceau de fromage qu'il faut que vous lui fassiez prendre.
PERRIN.
Du fromage, monsieu?
SGANARELLE.
Oui; c'est un fromage préparé, où il entre de l'or, du corail et des perles, et quantité d'autres choses précieuses.
PERRIN.
Monsieu, je vous sommes bien obligé, et j'allons li faire prendre ça tout à l'heure.
SGANARELLE.
Allez. Si elle meurt, ne manquez pas de la faire enterrer du mieux que vous pourrez.
SCÈNE III.—JACQUELINE, SGANARELLE, LUCAS, dans le fond du théâtre.
Le théâtre change, et représente, comme au second acte, une chambre de
la maison de Géronte.
SGANARELLE.
Voici la belle nourrice. Ah! nourrice de mon cœur, je suis ravi de cette rencontre, et votre vue est la rhubarbe, la casse et le séné, qui purgent toute la mélancolie de mon âme.
JACQUELINE.
Par ma figué! monsieu le médecin, ça est trop bian dit pour moi, et je n'entends rian à tout votre latin.
SGANARELLE.
Devenez malade, nourrice, je vous prie; devenez malade pour l'amour de moi. J'aurois toutes les joies du monde de vous guérir.
JACQUELINE.
Je sis votre servante; j'aime bian mieux qu'an ne me garisse pas.
SGANARELLE.
Que je vous plains, belle nourrice, d'avoir un mari jaloux et fâcheux comme celui que vous avez!
JACQUELINE.
Que velez-vous, monsieu? C'est pour la pénitence de mes fautes; et là où la chèvre est liée, il faut bian qu'alle y broute.
SGANARELLE.
Comment! un rustre comme cela! un homme qui vous observe toujours, et ne veut pas que personne vous parle!
JACQUELINE.
Hélas! vous n'avez rian vu encore, et ce n'est qu'un petit échantillon de sa mauvaise himeur.
SGANARELLE.
Est-il possible! et qu'un homme ait l'âme assez basse pour maltraiter une personne comme vous! Ah! que j'en sais, belle nourrice, et qui ne sont pas loin d'ici, qui se tiendroient heureux de baiser seulement les petits bouts de vos petons! Pourquoi faut-il qu'une personne si bien faite soit tombée en de pareilles mains? et qu'un franc animal, un brutal, un stupide, un sot... Pardonnez-moi, nourrice, si je parle ainsi de votre mari...
JACQUELINE.
Eh! monsieu, je sais bian qu'il mérite tous ces noms-là.
SGANARELLE.
Oui, sans doute, nourrice, il les mérite; et il mériteroit encore que vous lui missiez quelque chose sur la tête, pour le punir des soupçons qu'il a.
JACQUELINE.
Il est bian vrai que si je n'avois devant les yeux que son intérêt, il pourroit m'obliger à queuque étrange chose.
SGANARELLE.
Ma foi, vous ne feriez pas mal de vous venger de lui avec quelqu'un; c'est un homme, je vous le dis, qui mérite bien cela; et, si j'étois assez heureux, belle nourrice, pour être choisi pour...
Dans le temps que Sganarelle tend les bras pour embrasser Jacqueline, Lucas passe sa tête par-dessous, et se met entre eux deux. Sganarelle et Jacqueline regardent Lucas, et sortent chacun de leur côté.
SCÈNE IV.—GÉRONTE, LUCAS.
GÉRONTE.
Holà! Lucas, n'as-tu point vu ici notre médecin?
LUCAS.
Eh oui, de par tous les diantres, je l'ai vu, et ma femme aussi.
GÉRONTE.
Où est-ce donc qu'il peut être?
LUCAS.
Je ne sais; mais je voudrois qu'il fût à tous les guébles.
GÉRONTE.
Va-t'en voir un peu ce que fait ma fille.
SCÈNE V.—SGANARELLE, LÉANDRE, GÉRONTE.
GÉRONTE.
Ah! monsieur, je demandois où vous étiez.
SGANARELLE.
Je m'étois amusé dans votre cour à expulser le superflu de la boisson. Comment se porte la malade?
GÉRONTE.
Un peu plus mal depuis votre remède.
SGANARELLE.
Tant mieux, c'est signe qu'il opère.
GÉRONTE.
Oui; mais en opérant je crains qu'il ne l'étouffe.
SGANARELLE.
Ne vous mettez pas en peine, j'ai des remèdes qui se moquent de tout, et je l'attends à l'agonie.
GÉRONTE, montrant Léandre.
Qui est cet homme-là que vous amenez?
SGANARELLE, faisant des signes avec la main pour montrer que c'est un apothicaire.
C'est...
GÉRONTE.
Quoi?
SGANARELLE.
Celui...
GÉRONTE.
Eh?
SGANARELLE.
Qui...
GÉRONTE.
Je vous entends.
SGANARELLE.
Votre fille en aura besoin.
SCÈNE VI.—LUCINDE, GÉRONTE, LÉANDRE, JACQUELINE, SGANARELLE.
JACQUELINE.
Monsieu, v'là votre fille qui veut un peu marcher.
SGANARELLE.
Cela lui fera du bien. Allez-vous-en, monsieur l'apothicaire, tâter un peu son pouls, afin que je raisonne tantôt avec vous de sa maladie. (Sganarelle tire Géronte dans un coin du théâtre, et lui passe un bras sur les épaules pour l'empêcher de tourner la tête du côté où sont Léandre et Lucinde.) Monsieur, c'est une grande et subtile question, entre les docteurs, de savoir si les femmes sont plus faciles à guérir que les hommes. Je vous prie d'écouter ceci, s'il vous plaît. Les uns disent que non, les autres disent que oui: et moi je dis que oui et non; d'autant que l'incongruité des humeurs opaques, qui se rencontrent au tempérament naturel des femmes, étant cause que la partie brutale veut toujours prendre empire sur la sensitive, on voit que l'inégalité de leurs opinions dépend du mouvement oblique du cercle de la lune; et, comme le soleil, qui darde ses rayons sur la concavité de la terre, trouve...
LUCINDE, à Léandre.
Non, je ne suis point du tout capable de changer de sentiment.
GÉRONTE.
Voilà ma fille qui parle! O grande vertu du remède! ô admirable médecin! Que je vous suis obligé, monsieur, de cette guérison merveilleuse! et que puis-je faire pour vous après un tel service?
SGANARELLE, se promenant sur le théâtre et s'éventant avec son chapeau.
Voilà une maladie qui m'a bien donné de la peine!
LUCINDE.
Oui, mon père, j'ai recouvré la parole; mais je l'ai recouvrée pour vous dire que je n'aurai jamais d'autre époux que Léandre, et que c'est inutilement que vous voulez me donner Horace.
GÉRONTE.
Mais...
LUCINDE.
Rien n'est capable d'ébranler la résolution que j'ai prise.
GÉRONTE.
Quoi!...
LUCINDE.
Vous m'opposerez en vain de belles raisons.
GÉRONTE.
Si...
LUCINDE.
Tous vos discours ne serviront de rien.
GÉRONTE.
Je...
LUCINDE.
C'est une chose où je suis déterminée.
GÉRONTE.
Mais...
LUCINDE.
Il n'est puissance paternelle qui me puisse obliger à me marier malgré moi.
GÉRONTE.
J'ai....
LUCINDE.
Vous avez beau faire tous vos efforts.
GÉRONTE.
Il...
LUCINDE.
Mon cœur ne sauroit se soumettre à cette tyrannie.
GÉRONTE.
La...
LUCINDE.
Et je me jetterai plutôt dans un couvent que d'épouser un homme que je n'aime point.
GÉRONTE.
Mais...
LUCINDE, avec vivacité.
Non. En aucune façon. Point d'affaires. Vous perdez le temps. Je n'en ferai rien. Cela est résolu.
GÉRONTE.
Ah! quelle impétuosité de paroles! Il n'y a pas moyen d'y résister. (A Sganarelle.) Monsieur, je vous prie de la faire redevenir muette.
SGANARELLE.
C'est une chose qui m'est impossible. Tout ce que je puis faire pour votre service est de vous rendre sourd, si vous voulez[109].
GÉRONTE.
Je vous remercie. (A Lucinde.) Penses-tu donc...
LUCINDE.
Non, toutes vos raisons ne gagneront rien sur mon âme.
GÉRONTE.
Tu épouseras Horace dès ce soir.
LUCINDE.
J'épouserai plutôt la mort.
SGANARELLE, à Géronte.
Mon Dieu! arrêtez-vous, laissez-moi médicamenter cette affaire; c'est une maladie qui la tient, et je sais le remède qu'il y faut apporter.
GÉRONTE.
Seroit-il possible, monsieur, que vous pussiez aussi guérir cette maladie d'esprit?
SGANARELLE.
Oui; laissez-moi faire, j'ai des remèdes pour tout, et notre apothicaire nous servira pour cette cure. (A Léandre.) Un mot. Vous voyez que l'ardeur qu'elle a pour ce Léandre est tout à fait contraire aux volontés du père; qu'il n'y a point de temps à perdre; que les humeurs sont fort aigries; et qu'il est nécessaire de trouver promptement un remède à ce mal, qui pourroit empirer par le retardement. Pour moi, je n'y en vois qu'un seul, qui est une prise de fuite purgative, que vous mêlerez comme il faut avec deux dragmes de matrimonium en pilules. Peut-être fera-t-elle quelque difficulté à prendre ce remède; mais, comme vous êtes habile homme dans votre métier, c'est à vous de l'y résoudre, et de lui faire avaler la chose du mieux que vous pourrez. Allez-vous-en lui faire faire un petit tour de jardin, afin de préparer les humeurs, tandis que j'entretiendrai ici son père; mais surtout ne perdez point de temps. Au remède, vite, au remède spécifique!
SCÈNE VII[110].—GÉRONTE, SGANARELLE.
GÉRONTE.
Quelles drogues, monsieur, sont celles que vous venez de dire? Il me semble que je ne les ai jamais ouï nommer.
SGANARELLE.
Ce sont drogues dont on se sert dans les nécessités urgentes.
GÉRONTE.
Avez-vous jamais vu une insolence pareille à la sienne?
SGANARELLE.
Les filles sont quelquefois un peu têtues.
GÉRONTE.
Vous ne sauriez croire comme elle est affolée de ce Léandre.
SGANARELLE.
La chaleur du sang fait cela dans les jeunes esprits.
GÉRONTE.
Pour moi, dès que j'ai eu découvert la violence de cet amour, j'ai su tenir toujours ma fille renfermée.
SGANARELLE.
Vous avez fait sagement.
GÉRONTE.
Et j'ai bien empêché qu'ils n'aient eu communication ensemble.
SGANARELLE.
Fort bien.
GÉRONTE.
Il seroit arrivé quelque folie, si j'avois souffert qu'ils se fussent vus.
SGANARELLE.
Sans doute.
GÉRONTE.
Et je crois qu'elle auroit été fille à s'en aller avec lui.
SGANARELLE.
C'est prudemment raisonné.
GÉRONTE.
On m'avertit qu'il fait tous ses efforts pour lui parler.
SGANARELLE.
Quel drôle!
GÉRONTE.
Mais il perdra son temps.
SGANARELLE.
Ah! ah!
GÉRONTE.
Et j'empêcherai bien qu'il ne la voie.
SGANARELLE.
Il n'a pas affaire à un sot, et vous savez des rubriques qu'il ne sait pas. Plus fin que vous n'est pas bête.
SCÈNE VIII.—LUCAS, GÉRONTE, SGANARELLE.
LUCAS.
Ah! palsanguenne, monsieu, vaici bian du tintamarre; votre fille s'en est enfuie avec son Liandre. C'étoit lui qui étoit l'apothicaire, et v'là monsieu le médecin qui a fait cette belle opération-là.
GÉRONTE.
Comment! m'assassiner de la façon! Allons, un commissaire et qu'on empêche qu'il ne sorte. Ah! traître, je vous ferai punir par la justice!
LUCAS.
Ah! par ma fi, monsieu le médecin, vous serez pendu, ne bougez de là seulement.
SCÈNE IX.—MARTINE, SGANARELLE, LUCAS.
MARTINE, à Lucas.
Ah! mon Dieu! que j'ai eu de la peine à trouver ce logis! Dites-moi un peu des nouvelles du médecin que je vous ai donné.
LUCAS.
Le v'là qui va être pendu.
MARTINE.
Quoi! mon mari pendu! Hélas! et qu'a-t-il fait pour cela?
LUCAS.
Il a fait enlever la fille de notre maître.
MARTINE.
Hélas! mon cher mari, est-il bien vrai qu'on te va pendre?
SGANARELLE.
Tu vois. Ah!
MARTINE.
Faut-il que tu te laisses mourir en présence de tant de gens?
SGANARELLE.
Que veux-tu que j'y fasse?
MARTINE.
Encore, si tu avois achevé de couper notre bois, je prendrois quelque consolation.
SGANARELLE.
Retire-toi de là; tu me fends le cœur!
MARTINE.
Non, je veux demeurer pour t'encourager à la mort, et je ne te quitterai point que je ne t'aie vu pendu.
SGANARELLE.
Ah!
SCÈNE X.—GÉRONTE, SGANARELLE, MARTINE.
GÉRONTE, à Sganarelle.
Le commissaire viendra bientôt, et l'on s'en va vous mettre en lieu où l'on me répondra de vous.
SGANARELLE, à genoux.
Hélas! cela ne se peut-il point changer en quelques coups de bâton?
GÉRONTE.
Non, non; la justice en ordonnera. Mais que vois-je?
SCÈNE XI.—GÉRONTE, LÉANDRE, LUCINDE, SGANARELLE, LUCAS, MARTINE.
LÉANDRE.
Monsieur, je viens faire paroître Léandre à vos yeux, et remettre Lucinde en votre pouvoir. Nous avons eu dessein de prendre la fuite nous deux, et de nous aller marier ensemble; mais cette entreprise a fait place à un procédé plus honnête. Je ne prétends point vous voler votre fille, et ce n'est que de votre main que je veux la recevoir. Ce que je vous dirai, monsieur, c'est que je viens tout à l'heure de recevoir des lettres par où j'apprends que mon oncle est mort, et que je suis héritier de tous ses biens[111].
GÉRONTE.
Monsieur, votre vertu m'est tout à fait considérable, et je vous donne ma fille avec la plus grande joie du monde.
SGANARELLE, à part.
La médecine l'a échappé belle!
MARTINE.
Puisque tu ne seras point pendu, rends-moi grâce d'être médecin; car c'est moi qui t'ai procuré cet honneur.
SGANARELLE.
Oui! c'est toi qui m'as procuré je ne sais combien de coups de bâton!
LÉANDRE, à Sganarelle.
L'effet en est trop beau pour en garder du ressentiment.
SGANARELLE.
Soit. (A Martine.) Je te pardonne ces coups de bâton en faveur de la dignité où tu m'as élevé: mais prépare-toi désormais à vivre dans un grand respect avec un homme de ma conséquence, et songe que la colère d'un médecin est plus à craindre qu'on ne peut croire.
FIN DU MEDECIN MALGRE LUI.
MÉLICERTE
ET
LA PASTORALE COMIQUE
BALLETS
REPRÉSENTÉS POUR LA PREMIÈRE FOIS, A SAINT-GERMAIN EN LAYE DEVANT LA COUR, DANS LE BALLET DES MUSES, LE 2 DÉCEMBRE 1666.
Fatigué de sa vie conjugale, Molière, qui avait écrit le Tartuffe sans pouvoir le jouer, et fait représenter le Misanthrope, jouissait, à Auteuil, dans une maison qu'il louait à très-haut prix, d'une aisance considérable et de l'amitié de Boileau, de Chapelle, de la Fontaine. Il faisait du bien, disposait généreusement de sa fortune, protégeait les jeunes talents et se consolait ainsi. Le hasard lui envoya un jeune enfant en haillons, fils de comédien, né parmi les bohèmes, d'une beauté rare, d'une vive intelligence, d'une grande aptitude à tout comprendre et à tout imiter. Molière le retira chez lui, lui apprit l'histoire, cultiva ses qualités d'esprit, l'adopta et le produisit auprès de ses amis. Baron (c'était son nom) devait traverser la fin du dix-septième et la première moitié du dix-huitième siècle en triomphateur, adoré des femmes, le premier comédien de son siècle. Molière l'avait formé de ses propres mains.
Lorsqu'il reçut du roi l'ordre de composer une pastorale et une comédie nouvelle pour le Ballet des Muses, que disposait Benserade, et où devait danser le roi lui-même à Saint-Germain, le 2 décembre 1666, le rôle principal fut réservé au jeune enfant que le poëte protégeait. Objet des innocentes caresses et des préférences de trois ou quatre jeunes femmes de la troupe de Molière, cet enfant, d'une beauté rare et d'une grâce parfaite, placé comme l'Indien Crichna au milieu des bergères ou gopis, offrait un spectacle neuf, charmant, naïf, intéressant, digne de la Pastorale, et dont le tact pittoresque de l'artiste se plut à s'emparer pour orner de ses couleurs les plus fraîches les contours délicats du tableau. Mademoiselle Duparc, mademoiselle Debrie, avaient rivalisé de complaisances et d'amabilités pour l'enfant choisi, et Molière mit en scène ce riant ensemble. C'est Mélicerte.
Mais depuis longtemps Armande, perle étincelante, étoile adorée de ce petit monde, concentrait tous les hommages. Elle trouva mauvais que ce jeune enfant l'éclipsât. Sa vanité de femme et d'actrice en fut blessée. S'il faut en croire la tradition, elle prodigua les mauvais traitements à l'enfant et le mit en fuite. En vain Molière essaya de le retenir. Baron osa se présenter lui-même à Louis XIV, et lui demander de quitter la troupe de son bienfaiteur, permission que le roi lui accorda. Baron consentit seulement à jouer son rôle dans Mélicerte, dont Molière, arrêté sans doute par tant de contrariétés irritantes, ne termina que les deux premiers actes.
Fraîcheur de sentiment, grâce de détail, un ton élégiaque et lyrique, rare chez Molière, distinguent ce charmant débris, ce fragment précieux et léger, imitation souvent heureuse de la pastorale italienne et espagnole, qui ne trouva place que dans la troisième entrée du Ballet des Muses. De la Pastorale comique, qui suivait Mélicerte, il ne nous reste que les paroles, les airs mis en musique par Lulli, airs que rien ne rattache l'un à l'autre; amas confus de ruines poétiques à travers lesquelles on entrevoit quelques traces des inventions pittoresques et la profonde perturbation d'esprit que ressentit Molière, privé de tout ce que son cœur aimait, désirait ou protégeait. Ces fragments, qui sont dans le goût du Pastor fido et des Loas, de Calderon, ou lui parurent indignes d'être conservés, ou lui rappelèrent de trop douloureux souvenirs de cette époque de sa vie, car il les brûla de sa main.
| PERSONNAGES. | ACTEURS. |
| MÉLICERTE, bergère. | MlleDuparc. |
| DAPHNÉ, bergère. | MlleDebrie. |
| ÉROXÈNE, bergère. | MlleMolière. |
| MYRTIL, amant de Mélicerte. | Baron. |
| ACANTHE, amant de Daphné. | La Grange. |
| TYRÈNE, amant d'Éroxène. | Du Croisy. |
| LYCARSIS, pâtre, cru père de Myrtil. | Molière. |
| CORINNE, confidente de Mélicerte. | Mad.Béjart. |
| NICANDRE, berger. | |
| MOPSE, berger, cru oncle de Mélicerte. | |
| La scène est en Thessalie, dans la vallée de Tempé. | |
ACTE PREMIER
SCÈNE I.—DAPHNÉ, ÉROXÈNE, ACANTHE, TYRÈNE.
ACANTHE.
TYRÈNE.
DAPHNÉ.
ÉROXÈNE.
ACANTHE, à Daphné.
TYRÈNE, à Éroxène.
DAPHNÉ, à Acanthe.
ÉROXÈNE, à Tyrène.
ACANTHE.
TYRÈNE.
DAPHNÉ.
ÉROXÈNE.
ACANTHE.
TYRÈNE.
DAPHNÉ.
ÉROXÈNE.
ACANTHE.
TYRÈNE.
ACANTHE.
Daigne au moins, par pitié, lui dire un mot ou deux.
TYRÈNE.
Et sache d'où pour moi procède tant de haine.
SCÈNE II.—DAPHNÉ, ÉROXÈNE.
ÉROXÈNE.
D'où vient que tu lui fais un si dur traitement?
DAPHNÉ.
D'où vient que sans pitié tu vois couler ses larmes?
ÉROXÈNE.
La raison te condamne à répondre avant moi.
DAPHNÉ.
Parce qu'à d'autres vœux je me trouve sensible.
ÉROXÈNE.
Parce qu'un autre choix est maître de mon cœur.
DAPHNÉ.
ÉROXÈNE.
DAPHNÉ.
Je puis facilement contenter ton désir;
Et de la main d'Atis, ce peintre inimitable,
J'en garde dans ma poche un portrait admirable
Qui, jusqu'au moindre trait lui ressemble si fort,
Qu'il est sûr que tes yeux le connoîtront d'abord.
ÉROXÈNE.
Et payer ton secret en pareille monnoie[112].
J'ai de la main aussi de ce peintre fameux
Un aimable portrait de l'objet de mes vœux,
Si plein de tous ses traits et de sa grâce extrême
Que tu pourras d'abord te le nommer toi-même.
DAPHNÉ.
Est tout à fait semblable à celle que je voi.
ÉROXÈNE.
Et, certe, il faut qu'Atis les ait fait faire ensemble.
DAPHNÉ.
Confidence à nos yeux du secret de nos cœurs.
ÉROXÈNE.
Et qui parle le mieux, de l'un ou l'autre ouvrage.
DAPHNÉ.
Au lieu de ton portrait, tu m'as rendu le mien.
ÉROXÈNE.
DAPHNÉ.
ÉROXÈNE.
Tu fais de ces portraits même chose que moi.
DAPHNÉ.
ÉROXÈNE, mettant les deux portraits l'un à côté de l'autre.
DAPHNÉ.
ÉROXÈNE.
DAPHNÉ.
ÉROXÈNE.
DAPHNÉ.
ÉROXÈNE.
DAPHNÉ.
Les soins que pour son sort son mérite m'inspire.
ÉROXÈNE.
Dans le dessein que j'ai de m'assurer son cœur.
DAPHNÉ.
ÉROXÈNE.
DAPHNÉ.
Et sa grâce naissante a de quoi tout charmer.
ÉROXÈNE.
Et Diane, sans honte, en seroit amoureuse.
DAPHNÉ.
Et, si j'avois cent cœurs, ils seroient tous pour lui.
ÉROXÈNE.
Et, si j'avois un spectre, il en seroit le maître.
DAPHNÉ.
On nous voudroit du sein arracher cet amour:
Nos âmes dans leurs vœux sont trop bien affermies.
Ne tâchons, s'il se peut, qu'à demeurer amies;
Et, puisqu'en même temps, pour le même sujet,
Nous avons toutes deux formé même projet,
Mettons dans ce débat la franchise en usage,
Ne prenons l'une et l'autre aucun lâche avantage,
Et courons nous ouvrir ensemble à Lycarsis
Des tendres sentimens où nous jette son fils.
ÉROXÈNE.
Comme un tel fils est né d'un père de la sorte;
Et sa taille, son air, sa parole, et ses yeux,
Feroient croire qu'il est issu du sang des dieux.
Mais enfin j'y souscris, courons trouver ce père,
Allons-lui de nos cœurs découvrir le mystère;
Et consentons qu'après, Myrtil entre nous deux
Décide par son choix ce combat de nos vœux.
DAPHNÉ.
Ils pourront le quitter, cachons-nous pour attendre.
SCÈNE III.—LYCARSIS, MOPSE, NICANDRE.
NICANDRE, à Lycarsis.
LYCARSIS.
Cela ne se dit pas comme vous le pensez.
MOPSE.
Ménalque, pour chanter, n'en fait pas davantage.
LYCARSIS.
Une nouvelle à dire est d'un puissant éclat.
Je me veux mettre un peu sur[113] l'homme d'importance,
Et jouir quelque temps de votre impatience.
NICANDRE.
MOPSE.
NICANDRE.
LYCARSIS.
Et me dites chacun quel don vous me ferez
Pour obtenir de moi ce que vous désirez.
MOPSE.
Il brûle de parler, bien plus que nous d'entendre.
Sa nouvelle lui pèse, il veut s'en décharger;
Et ne l'écouter pas est le faire enrager.
LYCARSIS.
NICANDRE.
LYCARSIS.
MOPSE.
LYCARSIS.
NICANDRE.
LYCARSIS.
Je ne dirai donc mot, et vous ne saurez rien.
MOPSE.
LYCARSIS.
Le roi vient honorer Tempé de sa présence;
Qu'il entra dans Larisse hier sur le haut du jour;
Qu'à l'aise je l'y vis avec toute sa cour;
Que ces bois vont jouir aujourd'hui de sa vue,
Et qu'on raisonne fort touchant cette venue.
NICANDRE.
LYCARSIS.
Ce ne sont que seigneurs, qui, des pieds à la tête,
Sont brillans et parés comme au jour d'une fête;
Ils surprennent la vue; et nos prés au printemps,
Avec toutes leurs fleurs, sont bien moins éclatans.
Pour le prince, entre tous, sans peine on le remarque,
Et d'une stade[114] loin il sent son grand monarque:
Dans toute sa personne il a je ne sais quoi
Qui d'abord fait juger que c'est un maître roi.
Il le fait d'une grâce à nulle autre seconde;
Et cela, sans mentir, lui sied le mieux du monde.
On ne croiroit jamais comme de toutes parts
Toute sa cour s'empresse à chercher ses regards:
Ce sont autour de lui confusions plaisantes;
Et l'on diroit d'un tas de mouches reluisantes
Qui suivent en tous lieux un doux rayon de miel.
Enfin l'on ne voit rien de si beau sous le ciel;
Et la fête de Pan, parmi nous si chérie,
Auprès de ce spectacle est une gueuserie.
Mais, puisque sur le fier vous vous tenez si bien,
Je garde ma nouvelle, et ne veux dire rien.
MOPSE.
LYCARSIS.
MOPSE.
SCÈNE IV.—ÉROXENE, DAPHNÉ, LYCARSIS.
LYCARSIS, se croyant seul.
Quand ils font les benêts et les impertinens.
DAPHNÉ.
ÉROXÈNE.
LYCARSIS.
Qui vous aime beaucoup et soit digne de vous!
DAPHNÉ.
ÉROXÈNE.
DAPHNÉ.
A pris chez vous le trait dont il blesse nos cœurs.
ÉROXÈNE.
Et voir qui de nous deux aura la préférence.
LYCARSIS.
DAPHNÉ.
LYCARSIS.
ÉROXÈNE.
DAPHNÉ.
LYCARSIS.
ÉROXÈNE.
LYCARSIS.
DAPHNÉ.
On peut, sans nulle honte, en faire un libre aveu.
LYCARSIS.
ÉROXÈNE.
Et du choix de nos cœurs la beauté l'autorise.
LYCARSIS.
ÉROXÈNE.
DAPHNÉ.
ÉROXÈNE.
DAPHNÉ.
LYCARSIS.
ÉROXÈNE.
LYCARSIS.
Je tiens de feu ma femme; et je me sens, comme elle,
Pour les désirs d'autrui beaucoup d'humanité,
Et je ne suis point homme à garder de fierté[115].
DAPHNÉ.
ÉROXÈNE.
LYCARSIS.
DAPHNÉ.
ÉROXÈNE.
LYCARSIS.
Qui soit propre à ranger au joug du mariage.
DAPHNÉ.
Et l'on veut s'engager un bien si précieux,
Prévenir d'autres cœurs, et braver la fortune
Sous les fermes liens d'une chaîne commune.
ÉROXÈNE.
Il rompt l'ordre commun et devance le temps,
Notre flamme pour lui veut en faire de même,
Et régler tous ses vœux sur son mérite extrême.
LYCARSIS.
Et cet Athénien qui fut chez moi vingt mois,
Qui, le trouvant joli, se mit en fantaisie
De lui remplir l'esprit de sa philosophie,
Sur de certains discours l'a rendu si profond,
Que, tout grand que je suis, souvent il me confond.
Mais, avec tout cela, ce n'est encor qu'enfance,
Et son fait est mêlé de beaucoup d'innocence.
DAPHNÉ.
Je ne le croie atteint déjà d'un peu d'amour;
Et plus d'une aventure à mes yeux s'est offerte
Où j'ai connu qu'il suit la jeune Mélicerte.
ÉROXÈNE.
LYCARSIS.
Pour elle, passe encore! elle a deux ans de plus;
Et deux ans, dans son sexe est une grande avance.
Mais, pour lui, le jeu seul l'occupe tout, je pense,
Et les petits désirs de se voir ajusté
Ainsi que les bergers de haute qualité.
DAPHNÉ.
Attacher sa fortune à notre destinée.
ÉROXÈNE.
Nous assurer de loin l'empire de son cœur.
LYCARSIS.
Je suis un pauvre pâtre; et ce m'est trop de gloire
Que deux nymphes d'un rang le plus haut du pays
Disputent à se faire un époux de mon fils.
Puisqu'il vous plaît qu'ainsi la chose s'exécute,
Je consens que son choix règle votre dispute;
Et celle qu'à l'écart laissera cet arrêt
Pourra, pour son recours, m'épouser s'il lui plaît.
C'est toujours même sang, et presque même chose.
Mais le voici. Souffrez qu'un peu je le dispose,
Il tient quelque moineau qu'il a pris fraîchement
Et voilà ses amours et son attachement.
SCÈNE V.—ÉROXÈNE, DAPHNÉ et LYCARSIS, dans le fond du théâtre, MYRTIL.
MYRTIL, se croyant seul, et tenant un moineau dans une cage.
Qui contre ce qui vous arrête
Vous débattez tant à mes yeux,
De votre liberté ne plaignez point la perte:
Votre destin est glorieux,
Je vous ai pris pour Mélicerte.
Elle vous baisera, vous prenant dans sa main,
Et de vous mettre en son sein
Elle vous fera la grâce.
Est-il un sort au monde et plus doux et plus beau?
Et qui des rois, hélas! heureux petit moineau!
Ne voudroit être en votre place?
LYCARSIS.
Il s'agit d'autre chose ici que de moineau.
Ces deux nymphes, Myrtil, à la fois te prétendent.
Et tout jeune, déjà pour époux te demandent.
Je dois, par un hymen, t'engager à leurs vœux,
Et c'est toi que l'on veut qui choisisses des deux.
MYRTIL.
LYCARSIS.
Vois quel est ton bonheur, et bénis la fortune.
MYRTIL.
S'il n'est aucunement souhaité de mon cœur?
LYCARSIS.
A l'honneur qu'elles font on songe à bien répondre.
ÉROXÈNE.
Deux nymphes, ô Myrtil! viennent s'offrir à vous;
Et de vos qualités les merveilles écloses
Font que nous renversons ici l'ordre des choses.
DAPHNÉ.
Consulter, sur ce choix, vos yeux et votre cœur;
Et nous n'en voulons point prévenir les suffrages
Par un récit paré de tous nos avantages.
MYRTIL.
Mais cet honneur, pour moi, je l'avoue, est trop grand.
A vos rares bontés il faut que je m'oppose;
Pour mériter ce sort, je suis trop peu de chose;
Et je serois fâché, quels qu'en soient les appas,
Qu'on vous blâmât pour moi de faire un choix trop bas.
ÉROXÈNE.
Et ne vous chargez point du soin de notre gloire.
DAPHNÉ.
Et laissez-nous juger ce que vous méritez.
MYRTIL.
Et peut seul empêcher que mon cœur vous contente.
Le moyen de choisir de deux grandes beautés,
Égales en naissance et rares qualités?
Rejeter l'une ou l'autre est un crime effroyable,
Et n'en choisir aucune est bien plus raisonnable.
ÉROXÈNE.
Au lieu d'une, Myrtil, vous en outragez deux.
DAPHNÉ.
Ces raisons ne font rien à vouloir s'en défendre.
MYRTIL.
Celle-ci le fera: j'aime d'autres appas;
Et je sens bien qu'un cœur qu'un bel objet engage
Est insensible et sourd à tout autre avantage.
LYCARSIS.
Et savez-vous, morveux! ce que c'est que d'aimer?
MYRTIL.
LYCARSIS.
MYRTIL.
Me faire un cœur sensible et tendre comme il est.
LYCARSIS.
MYRTIL.
LYCARSIS.
MYRTIL.
LYCARSIS.
MYRTIL.
LYCARSIS.
MYRTIL.
LYCARSIS.
Me...
DAPHNÉ.
LYCARSIS.
Ou je vais lui donner le fouet tout devant vous.
Ah! ah! je vous ferai sentir que je suis père!
DAPHNÉ.
ÉROXÈNE.
Dont la beauté, Myrtil, vous a fait son amant?
MYRTIL.
ÉROXÈNE.
DAPHNÉ.
MYRTIL.
Daignez considérer, de grâce, que je l'aime,
Et ne me jetez point dans un désordre extrême.
Si j'outrage, en l'aimant, vos célestes attraits,
Elle n'a point de part au crime que je fais;
C'est de moi, s'il vous plaît, que vient toute l'offense.
Il est vrai, d'elle à vous, je sais la différence;
Mais par sa destinée on se trouve enchaîné;
Et je sens bien enfin que le ciel m'a donné
Pour vous tout le respect, nymphes, imaginable,
Pour elle tout l'amour dont une âme est capable.
Je vois, à la rougeur qui vient de vous saisir,
Que ce que je vous dis ne vous fait pas plaisir.
Si vous parlez, mon cœur appréhende d'entendre
Ce qui peut le blesser par l'endroit le plus tendre;
Et, pour me dérober à de semblables coups,
Nymphes, j'aime bien mieux prendre congé de vous.
LYCARSIS.
Il fuit; mais on verra qui de nous est le maître.
Ne vous effrayez point de tous ces vains transports;
Vous l'aurez pour époux, j'en réponds corps pour corps.
ACTE II
SCÈNE I.—MÉLICERTE, CORINNE.
MÉLICERTE.
Et c'est de Lycarsis qu'elle tient la nouvelle?
CORINNE.
MÉLICERTE.
Ont su toucher d'amour Éroxène et Daphné?
CORINNE.
MÉLICERTE.
Qu'ensemble elles en ont déjà fait la demande?
Et que, dans ce débat, elles ont fait dessein
De passer, dès cette heure, à recevoir sa main?
Ah! que tes mots ont peine à sortir de ta bouche!
Et que c'est foiblement que mon souci te touche!
CORINNE.
MÉLICERTE.
CORINNE.
MÉLICERTE.
Qu'avec ces mots, hélas! tu me perces le cœur?
CORINNE.
MÉLICERTE.
Auprès d'elles me rend trop peu considérable,
Et qu'à moi, par leur rang, on les va préférer,
N'est-ce pas une idée à me désespérer?
CORINNE.
MÉLICERTE.
Mais, dis, quels sentimens Myrtil a-t-il fait voir?
CORINNE.
MÉLICERTE.
Cruelle!
CORINNE.
Et de tous les côtés, je trouve à vous déplaire.
MÉLICERTE.
D'un cœur, hélas! rempli de tendres sentimens;
Va-t'en: laisse-moi seule, en cette solitude,
Passer quelques momens de mon inquiétude.
SCÈNE II.—MÉLICERTE
Et Bélise avoit su trop bien m'en informer.
Cette charmante mère, avant sa destinée,
Me disoit une fois, sur le bord du Pénée:
«Ma fille, songe à toi; l'amour aux jeunes cœurs
»Se présente toujours entouré de douceurs.
»D'abord il n'offre aux yeux que choses agréables;
»Mais il traîne après lui des troubles effroyables;
»Et, si tu veux passer tes jours dans quelque paix,
»Toujours, comme d'un mal, défends-toi de ses traits.»
De ces leçons, mon cœur, je m'étois souvenue;
Et, quand Myrtil venoit à s'offrir à ma vue,
Qu'il jouoit avec moi, qu'il me rendoit des soins,
Je vous disois toujours de vous y plaire moins:
Vous ne me crûtes point; et votre complaisance
Se vit bientôt changée en trop de bienveillance.
Dans ce naissant amour qui flattoit vos désirs.
Vous ne vous figuriez que joie et que plaisirs;
Cependant vous voyez la cruelle disgrâce
Dont en ce triste jour le destin vous menace,
Et la peine mortelle où vous voilà réduit.
Ah! mon cœur! ah! mon cœur! je vous l'avois bien dit.
Mais tenons, s'il se peut, notre douleur couverte.
Voici...
SCÈNE III.—MYRTIL, MÉLICERTE.
MYRTIL.
Un petit prisonnier que je garde pour vous,
Et dont peut-être un jour je deviendrai jaloux.
C'est un jeune moineau, qu'avec un soin extrême
Je veux, pour vous l'offrir, apprivoiser moi-même.
Le présent n'est pas grand; mais les divinités
Ne jettent leurs regards que sur les volontés.
C'est le cœur qui fait tout; et jamais la richesse
Des présents que... Mais, ciel! d'où vient cette tristesse?
Qu'avez-vous, Mélicerte, et quel sombre chagrin
Se voit dans vos beaux yeux répandu ce matin?
Vous ne répondez point; et ce morne silence
Redouble encor ma peine et mon impatience.
Parlez. De quel ennui ressentez-vous les coups?
Qu'est-ce donc?
MÉLICERTE.
MYRTIL.
Et je vois cependant vos yeux couverts de larmes.
Cela s'accorde-t-il, beauté pleine de charmes?
Ah! ne me faites point un secret dont je meurs,
Et m'expliquez, hélas! ce que disent ces pleurs.
MÉLICERTE.
MYRTIL.
Et ne blessez-vous pas notre amour aujourd'hui,
De vouloir me voler ma part de votre ennui[117]?
Ah! ne le cachez point à l'ardeur qui m'inspire.
MÉLICERTE.
J'ai su que, par un choix plein de gloire pour vous,
Éroxène et Daphné vous veulent pour époux;
Et je vous avouerai que j'ai cette foiblesse,
De n'avoir pu, Myrtil, le savoir sans tristesse,
Sans accuser du sort la rigoureuse loi,
Qui les rend, dans leurs vœux, préférables à moi.
MYRTIL.
Vous pouvez soupçonner mon amour de foiblesse,
Et croire qu'engagé par des charmes si doux,
Je puisse être jamais à quelque autre qu'à vous!
Que je puisse accepter une autre main offerte!
Eh! que vous ai-je fait, cruelle Mélicerte!
Pour traiter ma tendresse avec tant de rigueur,
Et faire un jugement si mauvais de mon cœur?
Quoi! faut-il que de lui vous ayez quelque crainte?
Je suis bien malheureux de souffrir cette atteinte:
Et que me sert d'aimer comme je fais, hélas!
Si vous êtes si prête à ne le croire pas?
MÉLICERTE.
Si les choses étoient de part et d'autre égales;
Et, dans un rang pareil, j'oserois espérer
Que peut-être l'amour me feroit préférer;
Mais l'inégalité de bien et de naissance
Qui peut, d'elles à moi, faire la différence...
MYRTIL.
Et vos divins appas vous tiennent lieu de tout.
Je vous aime: il suffit; et, dans votre personne,
Je vois rang, biens, trésors, États, sceptre, couronne;
Et des rois les plus grands m'offrît-on le pouvoir,
Je n'y changerois pas le bien de vous avoir.
C'est une vérité toute sincère et pure;
Et pouvoir en douter est me faire une injure.
MÉLICERTE.
Que vos vœux, par leur rang, ne sont point ébranlés;
Et que, bien qu'elles soient nobles, riches et belles,
Votre cœur m'aime assez pour me mieux aimer qu'elles.
Mais ce n'est pas l'amour dont vous suivrez la voix:
Votre père, Myrtil, réglera votre choix;
Et de même qu'à vous je ne lui suis pas chère,
Pour préférer à tout une simple bergère.
MYRTIL.
Qui me puissent forcer à quitter vos beaux yeux;
Et, toujours de mes vœux reine comme vous êtes...
MÉLICERTE.
N'allez point présenter un espoir à mon cœur
Qu'il recevroit peut-être avec trop de douceur,
Et qui, tombant après comme un éclair qui passe,
Me rendroit plus cruel le coup de ma disgrâce.
MYRTIL.
Lorsque l'on vous promet de vous aimer toujours?
Que vous vous faites tort par de telles alarmes,
Et connoissez bien peu le pouvoir de vos charmes!
Eh bien, puisqu'il le faut, je jure par les dieux,
Et, si ce n'est assez, je jure par vos yeux
Qu'on me tuera plutôt que je vous abandonne.
Recevez-en ici la foi que je vous donne,
Et souffrez que ma bouche, avec ravissement,
Sur cette belle main en signe le serment.
MÉLICERTE.
MYRTIL.
SCÈNE IV.—LYCARSIS, MYRTIL, MÉLICERTE.
LYCARSIS.
MÉLICERTE, à part.
LYCARSIS.
Peste! mon petit-fils, que vous avez l'air tendre,
Et qu'en maître déjà vous savez vous y prendre!
Vous a-t-il, ce savant qu'Athènes exila,
Dans sa philosophie appris ces choses-là?
Et vous, qui lui donnez de si douce manière
Votre main à baiser, la gentille bergère,
L'honneur vous apprend-il ces mignardes douceurs
Par qui vous débauchez ainsi les jeunes cœurs?
MYRTIL.
Et ne m'accablez point d'un discours qui la blesse.
LYCARSIS.
MYRTIL.
A du respect pour vous la naissance m'engage;
Mais je saurai, sur moi, vous punir de l'outrage.
Oui, j'atteste le ciel que si, contre mes vœux,
Vous lui dites encor le moindre mot fâcheux,
Je vais avec ce fer, qui m'en fera justice,
Au milieu de mon sein vous chercher un supplice;
Et, par mon sang versé, lui marquer promptement
L'éclatant désaveu de votre emportement.
MÉLICERTE.
Et que mon dessein soit de séduire son âme.
S'il s'attache à me voir, et me veut quelque bien,
C'est de son mouvement: je ne l'y force en rien.
Ce n'est pas que mon cœur veuille ici se défendre
De répondre à ses vœux d'une ardeur assez tendre;
Je l'aime, je l'avoue, autant qu'on puisse aimer:
Mais cet amour n'a rien qui vous doive alarmer;
Et, pour vous arracher toute injuste créance,
Je vous promets ici d'éviter sa présence,
De faire place au choix où vous vous résoudrez,
Et ne souffrir ses vœux que quand vous le voudrez.
SCÈNE V.—LYCARSIS, MYRTIL.
MYRTIL.
Et, dans ces mots, votre âme a ce qu'elle souhaite;
Mais apprenez qu'en vain vous vous réjouissez;
Que vous serez trompé dans ce que vous pensez,
Et qu'avec tous vos soins, toute votre puissance,
Vous ne gagnerez rien sur ma persévérance.
LYCARSIS.
Est-ce de la façon que l'on me doit parler?
MYRTIL.
Pour rentrer au devoir je change de langage,
Et je vous prie ici, mon père, au nom des dieux,
Et par tout ce qui peut vous être précieux,
De ne vous point servir, dans cette conjoncture,
Des fiers droits que sur moi vous donne la nature.
Ne m'empoisonnez point vos bienfaits les plus doux.
Le jour est un présent que j'ai reçu de vous:
Mais de quoi vous serai-je aujourd'hui redevable,
Si vous me l'allez rendre, hélas! insupportable?
Il est, sans Mélicerte, un supplice à mes yeux;
Sans ses divins appas rien ne m'est précieux;
Ils font tout mon bonheur et toute mon envie;
Et, si vous me l'ôtez, vous m'arrachez la vie.
LYCARSIS, à part.
Qui l'auroit jamais cru de ce petit pendard?
Quel amour! quels transports! quels discours pour son âge!
J'en suis confus, et sens que cet amour m'engage.
MYRTIL, se jetant aux genoux de Lycarsis.
Vous n'avez qu'à parler: je suis prêt d'obéir.
LYCARSIS, à part.
Et ses tendres propos me font rendre les armes.
MYRTIL.
Vous peut de mon destin donner quelque pitié,
Accordez Mélicerte à mon ardente envie,
Et vous ferez bien plus que me donner la vie.
LYCARSIS.
MYRTIL.
LYCARSIS.
MYRTIL.
LYCARSIS.
MYRTIL.
A me donner sa main?
LYCARSIS.
MYRTIL.
Que je baise vos mains après tant de bonté!
LYCARSIS.
Peut-on rien refuser à leurs mots de tendresse?
Et ne se sent-on pas certains mouvemens doux,
Quand on vient à songer que cela sort de vous?
MYRTIL.
Ne changerez-vous point, dites-moi, de pensée?
LYCARSIS.
MYRTIL.
Si de ces sentimens on vous fait revenir?
Prononcez le mot.
LYCARSIS.
Je m'en vais trouver Mopse, et lui faire ouverture
De l'amour que sa nièce et toi vous vous portez.
MYRTIL.
Seul.
Quelle heureuse nouvelle à dire à Mélicerte!
Je n'accepterois pas une couronne offerte,
Pour le plaisir que j'ai de courir lui porter
Ce merveilleux succès qui la doit contenter.
SCÈNE VI.—ACANTHE, TYRÈNE, MYRTIL.
ACANTHE.
Qui nous ont préparé des matières de larmes;
Et leur naissant éclat, fatal à nos ardeurs,
De ce que nous aimons nous enlève les cœurs.
TYRÈNE.
Vous tournerez ce choix dont courent les nouvelles?
Et sur qui doit de nous tomber ce coup affreux,
Dont se voit foudroyé tout l'espoir de nos vœux?
ACANTHE.
Et nous dites quel sort votre cœur nous partage.
TYRÈNE.
En mourir tout d'un coup que traîner si longtemps.
MYRTIL.
La belle Mélicerte a captivé mon âme.
Auprès de cet objet mon sort est assez doux,
Pour ne pas consentir à rien prendre sur vous;
Et, si vos vœux enfin n'ont que les miens à craindre,
Vous n'aurez, l'un ni l'autre, aucun lieu de vous plaindre.
ACANTHE.
TYRÈNE.
MYRTIL.
Je me suis excusé de ce choix plein de gloire:
J'ai de mon père encor changé les volontés,
Et l'ai fait consentir à mes félicités.
ACANTHE, à Tyrène.
Et qu'à notre poursuite elle ôte un grand obstacle!
TYRÈNE, à Acanthe.
Et nous donner moyen d'être contens tous deux.
SCÈNE VII.—NICANDRE, MYRTIL, ACANTHE, TYRÈNE.
NICANDRE.
MYRTIL.
NICANDRE.
MYRTIL.
NICANDRE.
C'est pour elle qu'ici le roi s'est transporté;
Avec un grand seigneur on dit qu'il la marie.
MYRTIL.
NICANDRE.
Oui, le roi vient chercher Mélicerte en ces lieux;
Et l'on dit qu'autrefois feu Bélise sa mère,
Dont tout Tempé croyoit que Mopse étoit le frère...
Mais je me suis chargé de la chercher partout:
Vous saurez tout cela tantôt de bout en bout.
MYRTIL.
ACANTHE.
FIN DE MÉLICERTE.
PASTORALE COMIQUE
| PERSONNAGES DE LA PASTORALE. | |
| IRIS, jeune bergère. | MlleDebrie. |
| LYCAS, riche pasteur, amant d'Iris. | Molière. |
| PHILÈNE, riche pasteur, amant d'Iris. | Estival. |
| CORYDON, jeune berger, confident de Lycas, amant d'Iris. | La Grange. |
| UN PATRE, ami de Philène. | |
| UN BERGER. | |
| PERSONNAGES DU BALLET. | |
| MAGICIENS dansans. | |
| MAGICIENS chantans. | |
| DÉMONS dansans. | |
| PAYSANS. | |
| UNE ÉGYPTIENNE chantante et dansante. | |
| ÉGYPTIENS dansans. | |
| La scène est en Thessalie, dans un hameau de la vallée de Tempé. | |