Nouveau Code du Duel: Histoire, Législation, Droit Contemporain
«Vous me demanderez peut-être, pourquoi les auteurs du projet de loi n'ont pas désigné particulièrement un attentat aux personnes, trop malheureusement connu sous le nom de duel? C'est qu'il se trouve compris dans les dispositions générales qui vous sont soumises....... Si les duellistes ont agi dans l'ébullition de la colère, ils sont des meurtriers...
«S'ils ont prémédité, projeté, arrêté à l'avance cet étrange combat, si la raison n'a pu se faire entendre, s'ils ont méconnu sa voix et, au mépris de l'autorité, cherché dans une arme homicide la pénalité qu'ils ne devaient attendre que du glaive de la loi, ils sont des assassins!...» (!??!)
Le gouvernement impérial, dès l'origine, interpréta le silence de la loi dans le sens indiqué par M. de Monseignat. Un sieur Marais, accusé d'homicide commis en duel, fut acquitté par la Cour d'assises de la Seine (26 décembre 1811).
Le grand juge (Lettre au procureur général d'Amiens, 25 mai 1815) s'exprimait ainsi: «Le duel par lui-même n'est pas un délit dans l'état actuel de notre législation, mais les circonstances qui l'ont accompagné, les suites qu'il a eues peuvent donner lieu à des poursuites. Dans tous les cas d'homicides, par exemple, on ne peut se dispenser d'informer. C'est ensuite aux magistrats et aux jurés, si l'affaire est portée devant eux, à apprécier cet acte et à le qualifier d'après leurs lumières et leur conscience, suivant qu'ils estiment qu'il a été l'effet ou de la volonté, ou de la préméditation, ou de l'imprudence, ou d'une légitime défense. Tout homicide appartient à l'une de ces classes.»
Cette même année, l'illustre Merlin, procureur général à la Cour de cassation, nous apprend lui-même dans son recueil des questions de droit (Voir Duel, § 1) qu'il a adressé un avis tout contraire à un procureur général qui l'avait consulté sur ce sujet. Après avoir cherché à établir que le silence gardé sur le duel par l'Assemblée constituante, dans les lois pénales, équipollait à une prohibition expresse de punir les duellistes qui avaient loyalement observé dans le combat les règles qu'ils s'étaient réciproquement imposées par une convention préalable, il ajoute: «Le Code pénal de 1810 ne s'explique pas plus à cet égard que celui de 1791: on doit donc appliquer aujourd'hui au silence de l'un, la même intention que l'on avait précédemment induite du silence de l'autre; et c'est ce que j'ai répondu en 1812 à un procureur général qui m'avait consulté au sujet d'un duel dans lequel l'un des deux combattants avait perdu la vie.»
La Restauration mettait en présence, dans l'ordre civil comme dans l'armée, les serviteurs du régime déchu, et les partisans du régime nouveau: la noblesse de race et la noblesse créée par l'Empire. Ajoutons que les luttes de la tribune, de la presse, l'apprentissage laborieux (est-il terminé??) que la France faisait de ses libertés nouvelles, donnaient lieu à de nombreux conflits d'opinions, que les passions aveugles et intransigeantes de l'esprit de parti jugeaient ne pouvoir se terminer sans effusion du sang. Aussi remarque-t-on, à cette époque, une recrudescence dans les duels.
Et pourtant, dans cette période où la répression semblait si nécessaire, l'opinion qui prévalut dans la Cour de cassation, fut celle qui assurait au duel et à ses suites, quelles qu'elles fussent, le bénéfice de l'impunité légale.
Sur un pourvoi contre un arrêt d'une chambre de mises en accusation, qui avait renvoyé un duelliste devant la cour d'assises, sous la prévention d'homicide volontaire mais sans préméditation, cette cour jugea par un arrêt longuement et soigneusement motivé que: ni les articles 295 et 304 du Code pénal, ni aucun autre article de ce Code sur l'homicide, le meurtre et l'assassinat, ne pouvaient être appliqués à celui qui, dans les chances réciproques d'un duel, a donné la mort à son adversaire, sans déloyauté ni perfidie. (Arrêt du 18 avril 1819, aff. Cazelle.)
Nous devons remarquer que bien que cet arrêt ait été rendu par la chambre criminelle, il avait été concerté préalablement avec les autres chambres réunies de la Cour de cassation, et que la solution avait été adoptée à la presque unanimité des voix. (Voir Brillat-Savarin, Essai sur le duel, avertissement, page 8.)
Cet arrêt de la Cour de cassation ne justifie pas le duel en principe; il n'y est pas déclaré légitime en soi, mais la Cour pense que c'est au pouvoir législatif «à juger s'il convient de compléter notre législation par une loi répressive, que la religion, la morale, l'intérêt de la société et celui des familles paraissent réclamer, et régler par quelles mesures doivent être prévenus et punis des faits qui ont un caractère spécial par leur nature, leur principe et leur fin».
M. Cauchy (Du Duel, t. I, p. 309) fait judicieusement observer que la détermination de la Cour a pu être influencée par les raisons suivantes:
Avant la réforme du Code pénal opérée par loi du 28 avril 1832 et, notamment, avant que la faculté de modérer les peines, suivant qu'il existe des circonstances atténuantes, fût introduite dans notre droit criminel, l'assassinat entraînait nécessairement la peine de mort; le simple meurtre, les travaux forcés à perpétuité. Ces peines ne pouvaient être abaissées sous quelque prétexte que ce fût. Or, quel magistrat pouvait, sans répugnance, mettre sur la même ligne le voleur de grands chemins, qui assassine pour voler, et l'honnête homme qui cherche à venger son honneur dans un combat singulier?
L'arrêt du 8 avril fut le point de départ d'une jurisprudence à laquelle la Cour de cassation resta fidèle jusqu'en 1837.
Dans toutes les circonstances, elle jugea constamment que le duel n'étant qualifié crime par aucune loi, il résulte de là que le fait d'avoir, à la suite d'un rendez-vous et dans un duel, tué ou blessé son adversaire, sans qu'il y ait déloyauté ou perfidie, n'est passible d'aucune peine et, qu'en conséquence, l'individu qui donne la mort ou fait des blessures, ne peut être pour ce fait renvoyé devant les tribunaux. De nombreux arrêts de cours royales ont été cassés pour maintenir cette décision. Une lutte s'est établie à ce sujet entre les arrêts de la Cour de cassation et les arrêts de diverses cours royales. Toutes les sentences des chambres de mises en accusation, qui avaient renvoyé devant les cours d'assises des individus prévenus d'homicides commis en duel, ont été cassées, en conformité de cette jurisprudence.
Il est utile de remarquer qu'à cette époque, la Cour de cassation n'avait pas, comme aujourd'hui, le pouvoir d'imposer ses doctrines aux cours et tribunaux du royaume. Aussi une cour royale, saisie de la question sur un renvoi prononcé après deux cassations successives, décide contrairement à la Cour de cassation et conformément aux arrêts cassés, que: la législation pénale ayant déclaré que, lorsque l'homicide ou les blessures graves ne sont pas reconnus par la loi exempts de crimes ou de délits, aux termes du § 3, liv. III, tit. II du Code pénal, ils sont susceptibles d'être l'objet de la vindicte publique. Il suffit que le duel n'ait pas été rangé dans les exceptions, pour qu'alors le principe général lui devienne applicable. (Colmar, 20 novembre 1828, chambres réunies. Affaire Laberte.)
Tout en maintenant la jurisprudence qu'elle avait consacrée, la Cour de cassation, elle-même, reconnaissait que l'homicide commis en duel, les blessures faites, pouvaient, en raison des circonstances et, notamment, si le duel avait été entaché de perfidie et de déloyauté, être assimilés à l'homicide et aux blessures ordinaires, par suite punis de peines édictées par le Code pénal. Cela résulte par argument à contrario et de l'arrêt de 1819, et de tous ceux qui ont été rendus depuis en conformité.
Cela a été jugé expressément par deux arrêts:
1o Il a été jugé que devait être réputé coupable de meurtre avec préméditation et pouvait être poursuivi comme assassin, celui qui, dans un duel au pistolet, à six pas de distance, ayant obtenu du sort l'avantage de tirer le premier, avait persisté à vouloir user de son avantage et avait donné la mort à son adversaire, malgré les instances des témoins pour le décider à s'éloigner davantage; qu'il était coupable, surtout s'il avait été le provocateur du duel, et qu'il l'était encore, bien que son adversaire, blessé mortellement, eût eu la force de décharger son pistolet et lui eût fait une blessure (21 septembre 1821).
2o Il a été jugé également qu'il suffit qu'un arrêt de chambre de mise en accusation, qui a renvoyé devant la cour d'assises, comme prévenu de meurtre, un individu qui avait tué son adversaire en duel, se soit fondé sur des circonstances relevées dans son arrêt et constitutives du crime de meurtre, pour que l'application qu'elle a fait des articles 295 et 304 du Code pénal doive être maintenue, et que par suite cet accusé, qui avait déchargé son arme sur son adversaire après que celui-ci avait tiré, et qui, ainsi, ne se trouvait pas, à vrai dire, dans le cas d'une légitime défense, prétendrait en vain que l'arrêt de la chambre des mises en accusation contenait une fausse qualification des faits incriminés.
Lorsque les poursuites étaient exercées contre un homicide commis en duel, il appartenait aux chambres de mise en accusation d'apprécier si cet homicide avait été la suite d'un duel loyalement accompli, cette constance faisant disparaître la criminalité du fait, ou si, à raison des circonstances, il devait être considéré comme un meurtre ordinaire (Cour de cassation, 8 janvier 1819, affaire Durré, affaire Cazelle; rejet 19 septembre 1822, affaire Durré).
Tout en déclarant que les blessures qui étaient la suite d'un duel loyalement accompli ne rendraient leur auteur passible d'aucune peine, la Cour de cassation reconnaissait cependant, qu'à titre de fait préjudiciable, il pouvait devenir le principe d'une action en dommages et intérêts au profit de la famille de la victime.
Ainsi, elle avait jugé que bien que, à supposer que le consentement d'un duelliste à subir les chances du duel; la rendît non recevable à réclamer des dommages et intérêts pour les blessures qu'il pouvait avoir reçues, ce consentement ne pouvait priver sa femme et ses enfants des droits que la nature et la loi leur assurent, lorsqu'ils les réclament, directement et en leur nom, pour le préjudice personnel qu'ils en éprouvent, et qu'en leur accordant des dommages et intérêts, même lorsque l'accusé a été déclaré non coupable par le jury, la Cour d'assises ne viole aucune loi. (Rejet 29 juin 1827.)
Ce rejet eut lieu à l'occasion d'un pourvoi formé contre un arrêt de la cour d'assises des Ardennes qui avait accordé des dommages et intérêts à la famille de l'homicide, bien que l'accusé eût été acquitté par le jury.
La même doctrine a été consacrée par un arrêt de cour d'assises des Basses-Pyrénées, le 15 août 1837.
La Cour s'est encore conformée à la jurisprudence précitée, en rejetant le pouvoir formé contre un arrêt de la cour d'assises de Bordeaux en date du 15 avril 1845, au profit de la mère de celui qui avait succombé.
N'omettons pas de mentionner ici une disposition de la loi du 30 juillet 1828 sur l'interprétation des lois.
Lorsqu'après une première cassation, la Cour suprême, saisie de l'affaire par un nouveau pourvoi, persistait dans sa jurisprudence par une seconde cassation prononcée en assemblée solennelle, sa décision n'avait rien d'obligatoire pour la cour devant laquelle elle renvoyait l'affaire, cette cour jugeant alors d'une manière définitive sans être liée par l'opinion de la Cour de cassation; mais cette dernière, en même temps qu'elle prononçait le renvoi, devait en appeler au législateur pour qu'il fixât lui-même le sens de la loi, dont l'obscurité était suffisamment attestée par le dissentiment qui s'était manifesté entre elle et les cours d'appel.
C'est ainsi que l'arrêt du 8 août 1828, affaire Laberte, en même temps qu'il renvoyait la cause devant une troisième cour royale, arrêtait qu'il en serait référé au roi, pour être ultérieurement procédé par ses ordres à l'interprétation de la loi.
Déjà, après l'arrêt du 8 avril 1819, un projet de loi sur le duel avait été présenté par un député, M. Clausel de Coussergues, et malgré le remarquable rapport du baron Pasquier, il n'y fut point donné suite.
Un projet de M. Portalis, alors garde des sceaux, fut adopté par la Chambre des pairs, le 14 mars 1829; et, communiqué à la Chambre des députés, en fin de session, il ne put être l'objet d'aucun rapport.
L'année suivante, le 11 mars 1830, M. Clausel de Coussergues présente un nouveau projet qui reproduisait en partie les dispositions de celui de la Chambre des pairs. Les événements de 1830 empêchèrent de donner suite à aucun de ces essais législatifs.
La loi du 1er avril 1837 avait agrandi et fortifié les pouvoirs de la Cour suprême, en obligeant, après deux cassations successives dans la même affaire, la Cour saisie sur ce second renvoi à se conformer à la décision de la Cour de cassation.
Le 22 juin 1837, la Cour de cassation, saisie de nouveau d'une affaire de duel, décide, conformément au brillant réquisitoire de M. Dupin, procureur général, que si la législation spéciale sur les duels, antérieure à 1789, a été abolie par les lois de l'Assemblée constituante, on ne saurait induire de cette abolition une exception tacite pour le cas de duel, aux dispositions générales qui punissent le meurtre, les blessures et les coups; que ces dispositions sont absolues et ne comportent aucune exception; qu'on ne saurait, d'ailleurs, admettre que le meurtre commis, les blessures faites et les coups portés dans un combat singulier, résultat d'un concert préalable entre deux individus, aient été autorisés par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même, puisqu'en ce cas, le danger a été entièrement volontaire, la défense sans nécessité, le danger pouvant être évité sans combat; que le fait de la convention qui a précédé le duel ne peut être considéré comme une excuse légitime; que dans tous les cas, c'est au jury seul qu'il appartient de l'apprécier à ce point de vue; et qu'ainsi, toutes les fois qu'un meurtre a été commis, que des blessures ont été faites, que des coups ont été portés dans un duel, les juges appelés à prononcer sur la prévention ou l'accusation ne peuvent se dispenser de renvoyer l'accusé devant la cour d'assises ou le tribunal correctionnel (Cour de cassation, 22 juin 1837, affaire Pesson).
Dans cette même affaire Pesson, la cour de Bourges ayant jugé, contre l'arrêt précité, que le meurtre commis sans déloyauté dans un duel dont les conditions ont été réglées ne constitue ni crime ni délit, son arrêt, en date du 31 juillet 1837, fut annulé sur un nouveau réquisitoire du procureur général (Cassation, chambres réunies, 15 décembre 1837).
Dans ce réquisitoire, M. Dupin fit mention d'une lettre particulière du célèbre jurisconsulte Merlin qui se réunissait à sa doctrine.
Citons ici quelques arrêts:
1.—Les blessures ou l'homicide commis en duel tombent sous la répression de la loi pénale (4 janvier 1845, a. c. Servient, D. P., 45, 160).(Voir divers autres arrêts conformes dans Dalloz, Table des 22 années. V. Duel, p. 534, vol. I.)
2.—Encore que le duel n'ait été accompagné d'aucune circonstance de déloyauté (20 sept. 1853, a. c. Blot, D. E., 53, 5, 180).
3.—Le duel ne peut perdre le caractère de délit ni être soustrait à la vindicte publique à raison de la renonciation réciproque des parties à recourir à l'action répressive de la loi (4 janvier 1845, a. c. Servient, D. E., 45, 1, 60).
4.—Jugé dans les États Sardes dont la législation punit le duel, que les peines particulièrement édictées contre l'homicide commis en duel, sont applicables toutes les fois que l'un des combattants a été tué, lors même que ce malheur ne serait imputable qu'à sa propre imprudence, en ce que dans une attaque maladroitement dirigée il se serait enferré lui-même contre l'épée de l'adversaire, tandis que celui-ci aurait avec intention conservé durant le combat une attitude exclusivement défensive (22 mai 1852, c. c. sarde Dessaix, D. P., 53, 5, 181).
5.—Lorsque l'un des duellistes se trouve être un militaire, il y a lieu de le traduire comme son adversaire devant la cour d'assises, même pour des faits postérieurs au duel, mais s'y rattachant, qui lui seraient particulièrement reprochés, tel que celui d'avoir continué seul le combat, malgré le signal de cessation donné par les témoins (18 février 1854, Ch. réunies, c. Blot, D. P., 54, 5, 275).
6.—Quant à la provocation au duel, alors même qu'elle est suivie d'effet, elle ne constitue pas un délit; d'où il suit que celui qui, par provocation publique, a appelé au duel dans lequel il a reçu une blessure, ne peut être puni comme complice, pour provocation de la blessure à lui faite; en pareil cas la provocation ne constitue qu'un délit d'injure ou de menace que le ministère public n'a pas qualité pour poursuivre d'office (15 octobre 1844, a. r. de Melleveau, D. P., 45, 1, 50).
7.—Les témoins d'un duel qui ont fixé l'heure du combat, apporté et chargé les armes, mesuré la distance et donné le signal du feu, ne peuvent être déclarés non complices par cela seul qu'ils ont fait des efforts pour amener la réconciliation des adversaires (2 septembre 1847, Bocher, D. P., 47, 4, 179).
8.—Jugé, au contraire, que les témoins d'un duel qui ont été reconnus avoir fait jusqu'au dernier moment tous leurs efforts pour l'empêcher, ont pu, par appréciation souveraine de ce fait et bien qu'ils aient assisté au combat, être soustraits à la prévention de complicité du délit, sans que l'arrêt de la chambre des mises en accusation qui le décide ainsi encoure la cassation (4 janvier 1845, Ch. c. Servient, D. P., 45, 1, 60).
9.—Que le fait d'assister comme témoin à un duel dans lequel l'un des adversaires a succombé, a pu être déclaré ne pas constituer un délit, s'il résulte de l'appréciation des circonstances, laquelle rentre dans les attributions de la Cour suprême, que les témoins, après avoir épuisé tous les moyens de conciliation, ne se sont rendus sur le terrain que pour éloigner toutes les chances probables du malheur qui est arrivé (22 août 1848, Ch. réunies, Bocher, D. P., 48, 1, 164).
10.—En admettant l'assimilation du duel à un fait d'excuse, ce fait ne saurait être apprécié par les chambres du conseil et d'accusation, soit à l'égard du duelliste, soit à l'égard des témoins (25 mars 1845, Ch. réunies, c. Servient, D. P., 45, 1, 135).
11.—Ces chambres sont aussi incompétentes pour déclarer si le duel est une circonstance atténuante (Même arrêt).
12.—L'homicide commis en duel, dans le cas même où la déclaration du jury l'a dépouillé de tout caractère délictueux, n'en constitue pas moins un acte illicite engageant, vis-à-vis de la famille de la victime, la responsabilité de celui à la faute duquel il est imputable (25 novembre 1862, C. d'assises de Seine-et-Oise, Caderousse-Grammont, D. P., 64, 1, 99).
13.—Et spécialement, l'individu (un militaire) qui a tué en duel son adversaire peut, même en cas d'acquittement par le conseil de guerre et bien qu'il n'ait pas été le provocateur (??), être condamné à des dommages et intérêts envers la veuve et les enfants de la victime. Toutefois, il y a lieu de tenir compte dans la fixation en chiffres de ces dommages et intérêts, des circonstances qui peuvent atténuer ses torts (3 juin 1819, Tribunal de Marseille, d'Héran, D. P., 54, 5, 274).
Malgré les dissidences des diverses cours royales entre elles, malgré les divers arrêts qui en sont la suite, la Cour de cassation a toujours maintenu sa doctrine, laquelle, d'après les pouvoirs qui lui ont été conférés par la loi du 1er avril 1837, doit fixer définitivement la jurisprudence en matière de duel.
Or, quels résultats pratiques avons-nous à enregistrer? Dans une rencontre, si l'un des adversaires a succombé, le survivant est traduit devant la cour d'assises pour meurtre commis avec préméditation ou assassinat, et comme il est sous le coup d'une condamnation capitale ou, en cas de circonstances atténuantes, d'une condamnation aux travaux forcés à vie ou à temps, le jury l'acquitte infailliblement. Si, au contraire, il n'y a eu que de simples blessures, ces blessures, au lieu d'être considérées comme des tentatives d'assassinat, sont prises pour ce qu'elles sont matériellement, et considérées comme délit principal; l'accusé est alors traduit devant les tribunaux correctionnels; et ces tribunaux placés sous le contrôle de la Cour de cassation condamnent invariablement. Si bien que l'intérêt du duelliste est d'augmenter autant que possible les charges qui s'élèvent contre lui: son acquittement est à ce prix.
Une législation qui amène de semblables résultats n'est-elle pas une législation vicieuse?
La jurisprudence de la Cour de cassation a rencontré une résistance dont l'autorité morale de ses arrêts n'a pu triompher. Comment supposer que le jury ne proteste pas par l'acquittement des accusés contre l'assimilation qu'on prétendrait établir entre le duel et l'assassinat? Nous dirons avec M. Dalloz: «Aux hommes sensés qui ne sont pas légistes, les variations de la jurisprudence, la lutte qui aujourd'hui même existe encore entre la Cour de cassation et un certain nombre de cours d'appel, font de la question du duel, l'une des plus douteuses, l'une des plus difficiles que puisse agiter la science de l'interprétation des lois. Comment donc les jurés n'hésiteraient-ils pas à la trancher dans le sens le plus rigoureux? Comment ne reculeraient-ils pas, eux les interprètes du sentiment public, devant un système qui établit entre deux faits profondément distincts une confusion que repousse le sentiment public?
«Combien de temps encore se prolongera cette lutte?
«Le jury finira-t-il par céder?»
Pour ce qui nous regarde, nous n'en croyons rien. En effet, pourquoi le juge acquitte-t-il? C'est que le fait est trouvé par le jury français innocent des incriminations dont il est l'objet; et, s'il doit échapper nécessairement à toute répression, de quel droit poursuivez-vous le duel loyal, régulier, celui qui a eu lieu dans des conditions que la coutume et la conscience publique ont réglées? Pourquoi tout cet appareil judiciaire qui ne peut qu'aboutir à un acquittement, c'est-à-dire au discrédit des organes de la poursuite et de la répression judiciaire, à la constatation de l'imprévoyance, de l'inertie ou de l'impuissance du législateur?
Dans l'armée française, le duel n'est point défendu. Nous avons entendu bon nombre d'officiers de tous grades manifester le désir de voir revivre l'ancienne et belle institution du tribunal des maréchaux de France, et réclamer principalement l'institution des tribunaux d'honneur, réforme excellente mais qui, une fois admise, devrait fonctionner régulièrement.
Nous nous associons à ce désir sous le bénéfice des observations suivantes relatives à la compétence:
Selon nous, les tribunaux d'honneur devraient avoir pour but essentiel de sauvegarder l'honneur des corps d'officiers et des individus qui les composent.
Le droit de recours à leurs décisions serait égal tant pour les individus que pour les corps, et que pour l'autorité supérieure.
En ce qui touche les querelles et duels, nous rejetons toute compétence autoritaire préventive.
D'après ce, ces tribunaux ne deviendraient compétents:
1o En cas de duel.—Que pour examiner si la cause du duel ne renferme aucun fait scandaleux de nature à offenser la dignité de l'épaulette; et si tout, dans la rencontre, s'est passé suivant les lois de l'honneur;
2o En cas de querelle non suivie de duel.—Pour constater, après examen, que le différend a été apaisé sans aucun préjudice soit pour l'honneur individuel des parties, soit pour celui du corps d'officiers.
Pour l'arrangement des querelles et des duels, le recours aux tribunaux d'honneur devrait être entièrement facultatif et porté d'un commun accord par les parties.
La compétence du tribunal des maréchaux s'étendrait sur les officiers généraux et autres personnages élevés de la hiérarchie militaire ou assimilés.
N. B. On pourrait ajouter à la compétence du tribunal suprême des maréchaux le droit de réviser, en cas d'appel, les décisions du conseil de l'ordre de la Légion d'honneur, en fait de radiation. La sentence motivée ne serait rendue qu'après avoir ouï l'inculpé ou son mandataire (ceci pour éviter les influences politiques).
Les tribunaux d'honneur de corps d'armée auraient pour justiciables les officiers supérieurs et assimilés.
Les tribunaux d'honneur de division auraient pour justiciables, les capitaines, les autres officiers d'un grade inférieur et assimilés.
Pourquoi ne pas développer ces propositions?
Pourquoi ne pas établir comme chez d'autres puissances, les tribunaux d'honneur dans chaque régiment?
Et les sous-officiers, candidats nés pour l'épaulette, qui sont presque officiers, et dont avec juste raison on désire améliorer, relever la situation, peuvent-ils être oubliés dans les questions d'honneur?
Voilà bien des questions qui ont été l'objet de nos études, mais auxquelles nous ne saurions répondre ici pour les motifs suivants:
Nos réponses devraient être la conclusion d'un examen détaillé et approfondi sur la manière dont les questions relatives au point d'honneur et au duel ont été envisagées dans l'armée depuis 1789 jusqu'à nos jours. Cet examen devrait indispensablement côtoyer la politique... or, nous le déclarons, la politique est complètement exclue de cette étude.
Cet examen, enfin, pour atteindra un but d'utilité pratique, exigerait une complète indépendance d'appréciation, qui ne peut être le partage d'un officier supérieur ayant parcouru la majeure partie de sa carrière dans l'armée sarde et ne comptant que sept ans de services dans l'armée française. Un sentiment de respect pour les convenances justifie notre abstention.
En cas de rencontre entre des militaires et des individus appartenant à l'ordre civil, les affaires sont de la compétence des tribunaux ordinaires.
De ce simple aperçu historique, il ressort une vérité que nous nous croyons fondé à signaler, à savoir: le duel dans ses usages est le reflet des mœurs de son époque; il suit toujours fidèlement les diverses phases de la civilisation. Ainsi, au XVIe siècle, le duel est l'héritier naturel du combat judiciaire; aussi, Brantôme nous l'a-t-il montré sans pitié ni merci. Malheur au vaincu! il est la chose du vainqueur toujours impitoyable comme les hommes de ces temps.
Les armes en usage alors étaient: d'abord, une lourde épée plate et droite, affilée des deux côtés, mesurant un mètre de longueur et plus. Ensuite, chaque champion était pourvu d'une dague dans la main gauche, dont il pouvait se servir soit pour détourner les coups d'épée, soit en certains cas pour l'offensive. Avec le progrès, ces armes si pesantes tombèrent en désuétude et devinrent l'ornement de nos musées et des collections d'amateurs, où nous les rencontrons encore aujourd'hui.
Parmi les gentilhommes de la cour de France à cette époque, pas un nom illustre, nous disent les historiens, qui ne prétendît attacher quelque épisode de duel à la devise de son écusson.
Les Guise comptèrent parmi les plus intrépides ferrailleurs, puis les Bussy d'Amboise, baron de Vitaux, les Mignons déjà mentionnés plus haut.
La fin du XVIIIe siècle nous amène l'adoucissement des mœurs; c'est le règne de la frivolité et des aventures galantes. On se bat pour oui ou pour non, parce que l'on est un «beau» et parce que l'on veut paraître brave vis-à-vis des beaux yeux dont on ambitionne la conquête.
Les armes sont devenues moins pesantes, et avec radoucissement des mœurs s'introduit le duel au premier sang, objet d'attaques aussi virulentes qu'insensées de la part de quelques philosophes tels que Bernardin de Saint-Pierre et Jean-Jacques Rousseau, etc.
Jusque-là, le duel à l'épée était reconnu, personne n'étant censé ignorer l'usage de l'arme qu'il portait au côté. A cette époque, apparaît le duel au pistolet, lequel, selon des historiens, devint bientôt en vogue, par suite du changement introduit dans la manière de se vêtir.
La célébrité des duellistes de la Régence ne fut pas moindre que celle des duellistes du XVIe siècle. On a conservé les noms du duc de Richelieu, du marquis de Létorière, du comte de Turpin, de Sainte-Foy, du fameux chevalier d'Éon, du chevalier de Saint-Georges, de Saint-Évremond, créateur d'une botte rivale du coup de Jarnac, du duc de Lauzun, du comte de Tilly, du marquis de Tinteniac, etc.
Le plus fameux entre tous, le duc de Richelieu, eut son premier duel à vingt ans. Chez ce beau séducteur, les coups d'épée marchaient de conserve avec les aventures. Plus d'une fois, il côtoya très intimement la mort à laquelle il sut toujours échapper. Le jour ne lui suffisait pas, il lui fallait encore tirer l'épée pendant la nuit. En 1734, au siège de Philipsbourg, à minuit, sur la tranchée même, il tue le prince de Ligne, son parent. Et pourtant, ce duelliste émérite termine sa vie enferraillée fort tranquillement dans son lit, à l'âge de quatre-vingt-six ans, comme un bon chanoine de Notre-Dame de Paris.
Le marquis de Létorière n'eut pas la patience d'attendre l'âge de vingt ans. A seize ans, il franchit les murailles du collège pour aller se battre. Il ne manqua pas de recueillir diverses blessures plus ou moins graves dans ses nombreuses rencontres.
Sa fin fut moins tranquille, mais plus honorable que celle du duc de Richelieu. «Un jour, raconte la marquise de Créqui dans ses mémoires, on le trouva mort sur les dalles d'un cloître derrière lequel soupirait une très grande dame! ses blessures s'étaient rouvertes... le sang avait coulé pendant toute la nuit... et... il n'avait pas voulu appeler... Le «beau» sut au moins mourir en homme d'honneur!...»
Noble exemple, dont pourraient trop souvent tirer profit certains «beaux» de nos jours, lesquels jouent au gentilhomme ou au gentleman, ou portent l'épée au côté, et, néanmoins, ne se font point scrupule par leurs indiscrétions ou par leur vantardise, de compromettre la paix des familles, faisant ainsi litière de l'honneur des êtres faibles que la générosité du fort, le point d'honneur, les sentiments de l'homme comme il faut, leur imposent l'obligation de sauvegarder et de protéger!
Le duel le plus marquant sous le dernier règne, fut celui du comte d'Artois (depuis Charles X) avec le duc de Bourbon-Condé.
Avec la révolution commencèrent les duels politiques dont nous avons déjà cité le plus remarquable, celui de M. Charles de Lameth avec le duc de Castries.
Sous la Restauration, les débris des phalanges impériales gémissant de moisir dans le repos, au lieu de faire parler la poudre, cultivèrent le duel pour utiliser leurs loisirs; de 1816 date l'éclosion du bretteur, nouveau type de ferrailleur greffé sur les officiers en demi-solde et sur les gentilshommes émigrés faisant partie de la garde royale. Suivant avec acharnement les pas les uns des autres, ils se filaient partout, au café, dans les réunions, dans les promenades publiques; se coudoyaient, se marchaient sur les pieds; jusqu'à ce que ce manège habituel aboutît à une provocation.
Les romanciers de nos jours ont souvent décrit ce type d'une manière intéressante dans leurs publications; nos lecteurs pourront l'y rechercher.
Les duels d'alors reflétèrent le XVIe siècle par leurs allures impitoyables, sans quitter l'atmosphère du XVIIIe siècle, sous le rapport de la frivolité des motifs.
Le Palmarès de la Brette enregistre en première ligne le colonel en réforme Barbier-Dufay, terrible spadassin dont l'épée pouvait, assure-t-on, changer de convictions politiques au gré des plus offrants; Fayolle et Fayau et l'ex-garde du corps Choquart, toujours fidèle au drapeau blanc.
Ensuite le sport parisien compte à la tête de ses plus fines lames, le marquis de Hallay-Coëtquen, l'un des collaborateurs de M. de Chateauvillard.
Sur la fin de la Restauration, le bretteur tendit à disparaître, l'amour du bien-être, le désir d'acquérir des richesses et d'en jouir, se conciliant fort peu avec la manie de se trouer la peau.
Cependant au tiers du XIXe siècle le duel abandonne l'état fiévreux; il demeure une plaie sociale s'étendant ou se rétrécissant suivant la situation pléthorique du corps social. Ainsi, après 1830, les duels politiques ont continué suivant l'intensité plus ou moins grande des passions du moment.
Depuis cette époque les duels les plus célèbres sont ceux: du baron Durand de Mareuil avec le comte Dolgorouki, à Naples; du général Gourgaud avec le comte Paul de Ségur, à propos de l'Histoire de Russie de ce dernier; du colonel Pepe avec M. de Lamartine; de Bugeaud et de Dulong; du comte Léon, fils naturel de Napoléon Ier, avec M. Hesse, aide de camp de Wellington (1832); d'Armand Carrel et de M. de Girardin; de MM. Granier de Cassagnac et Lacrosse; Dujarrier et Rosemond de Beauvallon; Clément Thomas et Arthur Bertrand, au sujet de la Légion d'honneur; Thiers et Bixio; Proudhon et Félix Pyat, etc., etc.
Actuellement le duel n'est pas moins fréquent. Il constitue une manie fort en honneur dans la littérature; on compte peu de romans, de drames ou de comédies dans lesquels on soit privé du spectacle de quelque combat singulier. Les journalistes mettent leur amour-propre à soutenir leurs opinions ou leurs caprices de leur épée. La contagion a même entamé l'ordre des avocats; le duel enfin n'a-t-il pas osé faire étape jusque dans l'enceinte du palais législatif?
Parmi les duels qui ont fait quelque bruit sous le second Empire, nous rappellerons ceux: du journaliste Dillon avec le duc de Gramont-Caderousse; de M. de Pêne, autre journaliste, avec un officier de l'armée; de M. Rattazzi avec M. Minghetti; de M. de Bismarck avec M. Virchow; de M. Paul de Cassagnac, journaliste, avec Aurélien Scholl, Lissagaray, Rochefort, etc.; des avocats Laferrière et Maurice Joly; du duc de Montpensier avec l'infant Henri de Bourbon, etc., etc.
Voici les duels de l'année 1878:
Le 2 mars, duel entre MM. Paul de Cassagnac et Thomson, à l'épée, au Plessis-Piquet. M. Thomson a été blessé au menton.
Le 14 mars, entre MM. Paul de Cassagnac et Andrieux.
5 avril.—Un jeune sous-lieutenant du 97e de ligne est tué à Chambéry, dans un duel à l'épée, par un officier du 6e dragons.
17 avril.—Entre MM. Gabriel Coffinières de Nordeck et Gomez del Castagno. Les deux adversaires ont été blessés.
24 avril.—Entre M. Joncla, rédacteur en chef du journal l'Avenir de la Dordogne, et M. Paul Dupont, fils du sénateur bonapartiste. M. Joncla a eu le bras droit traversé.
2 juillet.—Entre deux membres du corps diplomatique représentant à Paris deux petites Républiques de l'Amérique centrale. Le combat a eu lieu à l'épée sur la frontière luxembourgeoise. M. Torre Caïcedo a été légèrement blessé à l'épaule.
3 août.—A Vintimille, rencontre à l'épée entre M. Charles Chataud, directeur de la Vedette, et M. Pasquier, dit Neuville, rédacteur de la Jeune République. Après quelques passes, M. Chataud a été légèrement blessé au bras.
M. Huc, directeur du Patriote, journal bonapartiste, et M. Etienne Laffon, républicain, se sont battus en duel. M. Hue a été blessé deux fois au bras.
Octobre.—Entre MM. Georges Duval, de l'Événement, et Jules Jouy, du Tintamarre.
Sur la frontière luxembourgeoise, entre MM. Rogat, du Pays, et Batiau, de l'Événement. A la troisième passe, M. Batiau a été blessé au bras, et le combat a dû être arrêté.
22 novembre.—Duel entre M. de Fourtou et M. Gambetta. Le duel a eu lieu au Plessis-Piquet, au pistolet de tir rayé, à trente-cinq pas et au commandement. Une seule balle a été échangée. Aucun des deux adversaires n'a été blessé.
28 novembre.—Aux environs d'Alger, duel au pistolet d'arçon, sans résultat, entre le chef d'escadron Bernard, officier du général Chanzy, et un rédacteur du Petit Colon Algérien.
Décembre.—A Cherbourg, duel au pistolet entre un capitaine adjudant-major et un autre capitaine d'infanterie de marine. Ce dernier est tué.
26 décembre.—A Châtillon, duel au pistolet entre M. le comte de Bouville, député de la Gironde, et M. Maigne, député de la Haute-Loire. Le combat a eu lieu au pistolet de tir rayé; aucun des adversaires n'a été touché.
Est-il possible de poursuivre le duel directement, ou bien est-il plus conforme aux conseils de l'esprit pratique de chercher à diminuer le nombre des duels, et d'atténuer leurs effets? Cette dernière pensée fut l'inspiratrice du présent travail; nous essaierons, suivant la limite de nos forces, de la faire ressortir dans notre conclusion.
CHAPITRE IV
CONCLUSION.
Tout a été dit sur le duel. On l'a attaqué avec les armes de la philosophie, de la raison et de l'éloquence; Rousseau a écrit sur lui quelques pages sublimes dans la Nouvelle Héloïse; et, comme l'a dit un spirituel écrivain, elles n'ont empêché de se battre que ceux qui, si Rousseau ne les avait pas écrites, ne se seraient pas battus davantage. En effet, aux yeux d'un grand nombre d'hommes, le duel loin d'être un fait odieux, un crime, est au contraire une chose nécessaire à l'existence des sociétés. Il y a, disent-ils, des injures que les tribunaux sont impuissants à réparer. Il y a des plaies de famille dont on ne peut demander satisfaction qu'en augmentant cent fois son déshonneur. Il est dès lors permis à chacun de faire justice à soi-même, puisque les voies ordinaires ne sauraient la donner.
Des hommes d'État, des écrivains distingués ont défendu le duel dans les assemblés législatives, entre autres Robert Peel, Guizot qui disait du haut de la tribune: «La société Française doit renoncer à empêcher un duel qui aura une juste cause;» Berryer (voir 2e partie, exemple no 3, procès Beauvallon, page 169); Lemontey; Brillat Savarin, etc.
Écoutons l'un de nos plus célèbres écrivains (Jules Janin): «Celui-là est perdu dans le monde des lâches, qui n'a pas le cœur de se battre; car alors les lâches qui sont sans nombre, font du courage sans danger à ses dépens; celui-là est perdu dans le monde où l'opinion est tout, qui ne saura pas acheter l'opinion d'un coup de feu ou d'un coup d'épée; celui-là est perdu dans ce monde d'hypocrites et de calomniateurs, qui ne saura pas se faire raison, l'épée au poing, des calomnies et surtout des médisances. La médisance assassine mieux qu'une épée nue; la calomnie vous brise bien plus à coup sûr que la balle d'un pistolet. Je ne voudrais pas vivre vingt-quatre heures dans la société telle qu'elle est établie et gouvernée, sans le duel.
«Le duel fait de chacun de nous un pouvoir indépendant et fort; il fait de chaque vie à part la vie de tout le monde; il prend la justice à l'instant où la loi l'abandonne; seul il punit ce que les lois ne peuvent pas punir, le mépris et l'insulte. Ceux qui ont parlé contre le duel étaient des poltrons ou des imbéciles; celui qui a parlé pour et contre était un sophiste et un menteur des deux parts. Nous ne sommes encore des peuples civilisés aujourd'hui que parce que nous avons conservé le duel.»
Nous citerons encore deux passages d'écrivains non moins distingués.
«Dans les questions qui se rattachent aux mœurs, il y a plus de sagesse dans les salons que dans les écoles. Les mains qui peuvent tenir une épée sont celles qui tiennent mieux la plume, lorsqu'il s'agit de cette terrible question du point d'honneur et du duel, qui a au moins coûté à la France autant d'encre que de sang.
«Son honneur de gentilhomme lui a dit qu'il ne fallait pas demander à une race d'épée une longanimité et une patience d'injure qui n'est pas dans son caractère. Les Francs reviennent toujours aux armes comme à leur origine. Quand on met le bourreau derrière leur adversaire, on les excite au lieu de les retenir, car il y a deux morts à braver.
«Et puis, si l'on allait au fond des choses ne trouverait-on pas qu'après tout le duel est un dernier vestige de cette magistrature personnelle que la magistrature sociale a peu à peu détruite, mais qu'elle reconnaît encore quelquefois. Le duel, déplorable sous tant de points de vue, a été au moins utile à notre époque, en ce qu'il a seul préservé notre civilisation de ce débordement de grossièreté sous lequel la révolution et la confusion des rangs menaçaient de l'engloutir. La main sur la conscience, voudriez-vous affirmer que la Chambre des députés n'eût pas rétabli le pugilat, si le duel, maître des cérémonies de la civilisation, n'avait point été là pour la protéger?»
(Walsh.)
«Il y a longtemps que la controverse sur le duel est épuisée, tout ce qui en est résulté jusqu'à présent, c'est que les adversaires du duel ont victorieusement démontré la barbarie de ce préjugé, et que le duel n'en a pas moins continué, comme par le passé, d'exercer son funeste empire et de lever sur la société un tribut annuel de sang et de larmes. La philosophie a fait tout ce qu'elle pouvait faire: elle a triomphé devant la raison; elle a échoué devant la tyrannie du préjugé et la force des habitudes; quelle ressource reste-t-il donc à celui qui veut tenter encore, en faveur de l'humanité, quelques efforts utiles? La force coercitive des lois ayant échoué, aussi bien que la force persuasive de la raison, quelle digue opposer à ce fléau qui se rit de tous les obstacles et poursuit fièrement sa carrière de meurtre et de destruction? Peut-être, etc., etc.
«Peut-être l'auteur a-t-il employé le seul moyen qui restât à tenter, peut-être a-t-il cherché le seul remède qu'on pût appliquer avec quelque efficacité? Il s'est dit: Le duel ne peut être empêché, voilà trois siècles que la législation et la philosophie sont impuissantes. Eh bien! acceptons le mal puisqu'il est inévitable, mais limitons son action; traçons-lui des règles qu'il ne puisse enfreindre; diminuons ses ravages, en définissant les exigences du point d'honneur, en prémunissant les hommes de bon sens contre les effets d'une susceptibilité exagérée, et surtout en traçant, d'une manière invariable, les devoirs des témoins, dont l'inexpérience, dans ces sortes d'affaires, peut être si funeste, et dont au contraire la sollicitude éclairée et la fermeté peuvent en beaucoup de cas prévenir de grands malheurs, etc., etc.»
(Chatelain.)
MM. Chatelain, Walsh et Jules Janin lui-même voudraient, nous en sommes sûrs, l'abolition du duel, si cela était possible. Ce brave et malheureux Carrel la voulait aussi; mais trop sensible au point d'honneur, il en sentait lui-même l'impossibilité, lorsqu'il écrivait à M. de Chatauvillard:
«J'admets avec vous la haute utilité de ce travail, et, comptez bien, Monsieur, que dans toutes les difficultés du point d'honneur où je pourrai me trouver engagé pour moi ou pour mes amis, je n'irai chercher que dans votre Code du duel mes règles de conduite. Vos préceptes conviendront, sans nul doute, aux gens de bien de toutes les opinions, etc., etc.» (Chatauvillard, page 212.)
Plût au ciel que M. Carrel se fût mieux pénétré des préceptes auxquels il donnait son approbation. Au lieu de marcher droit à son adversaire et d'attendre fièrement le feu sans s'effacer; il se fût conformé à la règle de ce duel, en marchant de côté et en s'effaçant; il eût peut-être épargné à sa famille et à ses amis des regrets partagés par son adversaire lui-même.
Dans cette première partie de notre travail, si nous avons recherché les origines du duel, si nous nous sommes livré à l'examen rapide de la jurisprudence qui l'a régi jusqu'à nos jours, en complétant cet examen par un coup d'œil analytique sur les législations étrangères contemporaines, nous ne nous sommes certainement pas laissé dominer par la prétention de faire un étalage d'érudition, d'empiéter en quelque sorte sur le domaine des écrivains éminents qui ont traité l'importante et difficile matière qui nous occupe avec l'escorte d'une intelligence supérieure et d'un profond savoir.
Mais de cette analyse très incomplète et pourtant suffisante, nous avions pour but de déduire les conséquences nécessaires pour motiver notre conclusion.
Que devons-nous penser des leçons de l'histoire? Et d'abord, qu'ont produit les lois si sévères contre le duel? Souvent d'affreuses catastrophes, d'iniques condamnations. L'esprit de tous les temps les a toujours repoussées. Le plus souvent même, le législateur se donnait à lui-même le plus sérieux démenti, consacrait sa propre impuissance, en absolvant le lendemain ce qu'il avait si rigoureusement condamné la veille.
«Ce n'est point par la rigueur des supplices, dit avec raison Beccaria (Traité des Délits et des Peines, § 27), qu'on prévient plus sûrement les crimes, c'est par la certitude de la punition..... La perspective d'un châtiment modéré, mais auquel on est sûr de ne pouvoir échapper, fera toujours une impression plus vive que la crainte vague d'un supplice terrible dont l'espoir de l'impunité anéantit presque toute l'horreur. L'homme tremble à l'aspect des plus petits maux lorsqu'il voit l'impossibilité de s'y soustraire, tandis que l'espérance, ce doux présent des cieux, qui souvent nous tient lieu de tout, éloigne sans cesse l'idée des tourments même les plus cruels, surtout quand cette espérance est encore fortifiée par l'exemple de l'impunité que la faiblesse ou l'avarice accorde souvent aux plus grands crimes.»
Montesquieu, le savant auteur de l'Esprit des lois ne nous désapprouverait pas, en nous voyant affirmer ici que les lois sont applicables et efficaces, à cette condition essentielle, qu'elles soient en rapport avec l'esprit public.
Louis XIII a inauguré le système des rigueurs en faisant tomber des têtes illustres. Louis XIV, avons-nous constaté, a combattu le duel avec une énergie et un succès dont aucun de ses prédécesseurs n'avait donné l'exemple. Il ne nous est pas défendu de croire que la sévérité de ce prince n'a abouti qu'à empêcher cette multitude de rencontres inutiles, mais que le duel accordant à l'honneur offensé les réparations que la société est impuissante à lui donner, n'a jamais cessé d'exister.
Ne quid nimis! dit le sage. Les cendres du grand roi n'étaient point encore refroidies que la réaction, cet éternel et inévitable «coadjuteur avec future succession» de l'imprévoyance et des mesures violentes, relevait la tête. Les duels ont recommencé et continué jusqu'à nos jours, en parcourant des étapes diverses suivant la situation plus ou moins tempérée de notre état social.
M. Dupin, procureur général à la Cour de cassation, a tenté de renouveler à notre époque les efforts de Louis XIV et d'imiter dans les limites tracées par notre droit pénal, la sévérité de ce prince contre les duels. Sans doute cet éminent jurisconsulte s'est abstenu de demander aux cours d'assises de vouloir bien octroyer le pourboire du fouet, de la fleur de lys et des galères à tout laquais convaincu d'avoir porté sciemment un cartel, mais, dans son mode de répression, il a assimilé l'honnête homme qui se bat en duel pour venger son honneur avec le voleur de grands chemins qui tue pour voler. Une telle doctrine, bien qu'admise et consacrée par la Cour suprême, est repoussée par le sentiment public dont le jury, interprète naturel et autorisé, reproduit journellement la protestation par des acquittements. A qui profite ce regrettable conflit, si ce n'est à la perfidie, à la déloyauté, qui n'obtiennent que trop souvent un bill d'indemnité par suite de la répulsion des juges du fait pour une pénalité trop rigoureuse et disproportionnée?
Aujourd'hui, nous devons encore le redire, l'opinion publique, en fait de duel, ne se trouve plus cantonnée dans deux classes: la noblesse et les gens d'épée; elle ne connaît plus de limites que celles de l'unité nationale. Tout citoyen, fût-il né sous le chaume, croit trouver dans l'instruction, dans l'éducation, dans le mérite personnel, le droit de faire profession expresse d'honneur, le droit de prétendre à la première noblesse, la noblesse des sentiments!
Que demande donc l'opinion publique? A l'époque actuelle, les spadassins, les duellistes de profession, les querelleurs et les traîneurs de sabre ont fait leur temps. Chaque citoyen comprend que si dans une circonstance exceptionnelle, il peut exposer sa vie pour la conservation de son honneur, il la doit toujours et principalement à la défense de sa patrie. Le sentiment public réclame la diminution des duels, sans porter atteinte au point d'honneur. Il tolère le duel nécessaire, mais il demande une répression sévère contre la déloyauté, tant contre les auteurs, que contre les complices.
Autant l'opinion publique honore le témoin honnête et loyal dont la coopération est secourable, pour apaiser les passions, pour favoriser les accommodements, pour diminuer les chances funestes des rencontres, autant elle réprouve les mauvais témoins, les déclare responsables et complices.
L'opinion publique, enfin, demande une répression sévère proportionnelle aux méfaits résultants du duel, et, par conséquent, d'une application certaine.
Trouver une combinaison qui mette la répression du duel d'accord avec les principes du droit commun, sans se mettre en lutte, en désaccord avec l'opinion publique, ce serait le chef-d'œuvre. Ce chef-d'œuvre, ni les législateurs anciens, ni les législateurs contemporains ne l'ont encore produit. Loin de nous la prétention d'être plus heureux! Toutefois, comme citoyen d'un État libre, nous nous croyons en droit d'exposer un modeste desideratum.
Ce desideratum le voici:
Une loi quelconque attaquant le duel directement nous paraît impossible. Il en est tout autrement, si la loi laissant à part le duel et l'appel, attaque le duel dans ses résultats et dans les faits et actes qui les ont produits.
Les dispositions de cette loi pourraient être ajoutées comme articles additionnels aux articles du Code pénal général, concernant l'homicide et les blessures.
Et d'abord, en ce qui touche la compétence:
Nous ne reconnaissons pas la qualité de duel, au duel sans témoins; nous abandonnons entièrement sa répression au droit commun.
Éliminons tout d'abord une immense absurdité, la qualification de délit et la pénalité infligées à la simple provocation.
Persévérer dans cette voie, serait perpétuer les rancunes, envenimer les querelles, augmenter les duels en les rendant inévitables, et enfin rendre les rencontres plus désastreuses.
En effet une querelle s'élève par suite d'un mot souvent échappé. Si la provocation s'ensuit immédiatement, la querelle est suspendue, elle appartient aux témoins qui peuvent essayer avec succès une réconciliation.
Si la provocation retarde, les injures se succèdent, la querelle s'envenime, la provocation arrive enfin, mais le duel est inévitable, et alors quelles conséquences peut-on prévoir!
L'injurié s'abstient-il de la provocation? les rancunes se perpétuent et s'étendent peut-être aux alliés et aux familles.
Pourquoi ne pas se battre, si l'on tombe également sous le coup de la loi?
Les théories sont excellentes, mais la pratique?
De même que l'homicide, les blessures, coups, dommages et faits quelconques, résultant d'un combat singulier, vulgairement appelé duel, sont réservés à l'appréciation du jury et de la cour d'assises.
Ceux qui ont pris part à un combat singulier ayant donné pour résultats, soit l'homicide, soit des blessures, seront punis suivant les circonstances plus ou moins aggravantes, telles que: irrégularités, oubli ou violation des conventions, perfidie, déloyauté. Il sera également tenu compte des circonstances atténuantes.
Les témoins ou seconds sont déclarés responsables ou complices des irrégularités. Ils seront punis comme les auteurs, et, dans certaines circonstances, plus sévèrement; à moins qu'ils ne dégagent leur responsabilité d'une manière évidente.
La mort ou la mauvaise chance subies par l'auteur de l'irrégularité ou du méfait ne peut innocenter les témoins, ni même leur servir de circonstance atténuante.
Nous ne saurions trop insister sur l'épigraphe du chapitre IV, consacré à établir les devoirs des témoins (2e partie, Code du duel):
«Ce ne sont ni les balles ni les épées qui tuent. Ce sont les témoins.»
Dans la répression du duel, les témoins constituent la clef de la position.
Le choix des témoins est d'une importance capitale. Les témoins réunis ne forment-ils pas, sous le point de vue de la discrétion, de la promptitude, de l'efficacité, le meilleur tribunal d'honneur?
Les juges sont choisis ad hoc par les intéressés eux-mêmes. Ils sont investis de leur confiance et de leur sympathie. Quelle autorité n'aura pas une décision à laquelle les antagonistes sont entièrement libres de se soumettre, car elle fait entendre, sans les imposer, les conseils de la raison et du point d'honneur?
Dès le début, en qualité de juges, les témoins, dont l'action secrète et instantanée n'a point à redouter les influences caustiques du qu'en-dira-t-on, écueil inévitable de la procédure officielle, des délais, et de la publicité, les témoins, disons-nous, apprécient les offenses, proposent des accommodements, et, en cas d'insuccès, fixent des conditions équitables, égalisent les chances pour le combat, auquel ils assistent ensuite comme tribunal de bataille, en veillant à ce que tout s'y passe conformément à l'honneur, à la justice, à l'humanité!
Gardons-nous, par une répression matérielle et malentendue, de détourner les honnêtes gens d'accepter le rôle de témoins. Avec de bons témoins, apaisement des passions, des haines et des querelles, diminution positive des duels, résultats moins funestes des duels nécessaires. Avec de mauvais témoins, résultats opposés, résultats souvent déplorables. Les exemples ne sont que trop nombreux pour le prouver.
Donc, la loi doit traiter avec sévérité les mauvais témoins, les rendre responsables et complices des méfaits commis, et ne les épargner jamais, quand bien même l'auteur de l'acte irrégulier ou du méfait eût encore la mort ou toute mauvaise chance dans le combat.
Les témoins sont «des héritiers du sang» habiles à recueillir la succession pénale sous bénéfice d'inventaire!
Nous croyons chose inutile de chercher à détourner le jury de prononcer un verdict d'acquittement lorsque tout, dans le duel, se sera passé avec une parfaite loyauté.
En fait de pénalité, quelques personnes pensent que l'homicide commis dans un duel entaché de déloyauté, doit être considéré comme un assassinat, et soumis en conséquence à la pénalité du droit commun. D'autres, ce sont les plus nombreux, repoussant quand même toute assimilation entre le duel et l'assassinat ordinaire, insistent pour que, dans le cas d'homicide commis en duel avec circonstances aggravantes, le maximum de la peine ne puisse être au delà de dix ans de réclusion et de 2,000 francs d'amende.
Entre ce maximum et le minimum, tel qu'un simple blâme ou une légère amende, nous croyons aussi imprévoyant qu'impossible de suggérer une gradation de peine. Nous supposons que la sagesse du législateur le déterminera à laissera la cour d'assises toute latitude à cet égard.
Comment définir et apprécier la criminalité, déterminer la répression pénale de cette multitude de circonstances qui précèdent, accompagnent un combat singulier, ont une influence plus ou moins immédiate sur ses résultats! N'est-il pas plus sage et plus conforme à l'esprit pratique, de laisser aux juges la faculté de prononcer des peines proportionnelles aux appréciations du jury, et basées sur ses réponses catégoriques aux questions posées comme résultantes des débats?
Nous pensons également qu'il doit appartenir à la cour d'assises de prononcer sur les dommages et intérêts à accorder à la partie civile, en examinant toutefois, si la demande ne vient pas du côté de l'agression.
Votre desideratum, nous disait l'un de nos amis, dénote de très bonnes intentions, on ne saurait lui dénier des côtés bien plausibles, mais ne craignez-vous pas de tomber dans un cercle vicieux?
La latitude que, suivant vos désirs, le législateur devrait laisser aux juges de prononcer sur la gradation des peines, ne leur donnera-t-elle pas toute facilité de faire droit à leur répulsion quand même contre le duel, en se rapprochant le plus possible et le plus souvent possible du maximum?
Dans ce cas, les peines paraîtraient trop rigoureuses, et vous verriez renaître le conflit que vos dispositions ont pour but d'éviter?
Voici notre réponse:
«Les successeurs des d'Aguesseau, des Séguier, des l'Hôpital, ne sont point dégénérés! Notre profond respect pour la magistrature de notre pays nous inspire la confiance que les juges du droit, si renommés par leur profond savoir, leur sagesse et leur prudence, ne manqueront pas de s'associer à la pensée conciliatrice du législateur et rendront des arrêts en parfait accord avec les décisions des juges du fait.»
Et, maintenant une dernière réflexion.
Souvent on reçoit une opinion toute faite sur une branche quelconque d'intérêt social, uniquement parce que l'on est d'un parti dont on croit devoir épouser toutes les idées, tous les préjugés même. Fort heureusement pour nous ici, la confusion n'est point possible; quelles que soient les destinées de la France, la question du duel sera toujours indépendante de la forme du gouvernement.
Les préceptes que nous avons conseillés et non imposés, conviendront, nous osons l'espérer; M. Carrel l'assurait, naguère, aux gens de bien de toutes les opinions.
Que si notre espoir était déçu, nous obtiendrons tout au moins l'estime toujours accordée à l'honnête homme désireux de se rendre utile au bien de l'humanité.
DEUXIÈME PARTIE
CODE DU DUEL
DÉFINITION DU DUEL
Duel, du mot latin duellum, fait lui-même de deux, duo: combat entre deux personnes.
Le duel est un combat singulier que se livrent volontairement deux ou plusieurs personnes pour un intérêt privé, d'après une convention antérieure et en suite d'un défi ou appel en forme de cartel, motivé par une offense.
Reprenons chacune de ces conditions en particulier:
Volontairement. Ceci n'a pas besoin d'être démontré. Si le combat n'était pas volontaire de part et d'autre, il y aurait attaque plus ou moins déloyale d'un côté, légitime défense de l'autre, mais il n'y aurait point de duel.
Pour un intérêt privé. Les temps anciens nous ont offert des exemples de combats singuliers, destinés à vider une querelle publique, mais ce n'étaient pas là des duels dans l'acception que l'on donne maintenant à ce mot.
Il faut que le duel ait été précédé d'une convention, c'est-à-dire que l'on soit convenu de se battre, et que le lieu, l'heure et les conditions du combat aient été déterminés d'un commun accord, et avec l'assistance de tiers appelés témoins.
Cet accord constitue l'un des éléments caractéristiques du duel. Ainsi: que dans une rixe deux personnes en viennent aux voies de fait, et que de la lutte il résulte la mort de l'un d'eux, ou des blessures plus ou moins graves, c'est là un délit ordinaire que répriment les lois pénales chez tous les peuples civilisés, mais ce n'est point un duel.
La convention procède de l'acceptation d'un défi, appel ou cartel. Le défi ou cartel est motivé par une offense.
Ces deux dernières conditions ne nécessitent pas d'explications.
Le duel sans témoins ne peut être considéré comme duel. Il est hors la loi du point d'honneur, et ne peut figurer dans le Code du duel.
Nous proscrivons d'une manière absolue le duel entre femmes, et cela, sans nous préoccuper de provoquer l'hilarité de nos lecteurs.
Sans remonter trop loin dans l'histoire des duels, nos lecteurs, tant sur les bords de la Tamise que sur ceux de la Seine, ne peuvent ignorer les exploits de la dame de Chatan Gay de Muret, qui finit dans une rencontre; de madame de Saint-Balmont et enfin, sous le dernier règne, de la danseuse Maupin? Ponson du Terrail, de regrettable mémoire, raconterait mieux que nous l'intéressante et romanesque rencontre qui eut lieu sous la Régence, entre mesdames de Polignac et de Nesle. Irritée de l'abandon du bel et volage duc de Richelieu, madame de Polignac s'en prend à madame de Nesle, et la provoque en combat singulier.
Arrivées dans une clairière du bois de Boulogne, les deux amazones descendent de leurs carrosses, et après s'être courtoisement adressé le salut d'usage dans la bonne compagnie, échangent un coup de pistolet. Blessée à la poitrine, madame de Nesle, pendant qu'on la pansait sur le terrain même, s'écrie que celui qu'elle aimait «était digne qu'on versât pour lui un sang encore plus beau.»
Nous sommes d'avis que les dames ne sauraient mieux faire que de conserver le plus pur, le plus beau sang, pour inoculer à leurs fils ces nobles sentiments d'honneur, de délicatesse, de bravoure et de dévouement envers la patrie! Nous dirons donc:
Les femmes ne sont admissibles ni comme acteur, ni comme témoin, dans les rencontres.
Nous ne contestons point à tout témoin soupçonneux le droit d'employer les moyens ordinaires des commandants de recrutement pour s'assurer, avant d'accorder son assistance, que le champion «habet quod habere debet.»
Que si quelque amazone de la deuxième portion du XIXe siècle, parvenait à traverser tous les obstacles, nous l'adressons à M. le procureur général Dupin, dont l'inflexibilité ne pourra manquer de se laisser tant soit peu désarmer par les beaux yeux du plus gracieux, du plus charmant produit de la création!
CHAPITRE PREMIER
DE L'OFFENSE
Art. 1er.—Toute parole, tout écrit, dessin, geste, coup, blessant l'amour-propre, la délicatesse ou l'honneur d'un tiers constitue une offense.
Art. 2.—Dans les offenses, les degrés et les nuances se multiplient à l'infini. Pour plus de clarté, nous croyons devoir les classer sous trois degrés principaux:
- A. L'offense.
- B. L'offense avec insulte.
- C. L'offense avec coups ou blessures.
Art. 3.—L'offense est personnelle et ne peut être relevée que par celui qui l'a reçue. (Voir art. 22 du présent chapitre, art. 16 et 17 du chapitre III et les Observations.)
Art. 4.—Dans une querelle amenée par une discussion, celui qui le premier reçoit une injure est l'offensé.
Art. 5.—Toutefois, si à une impolitesse il est répondu par une injure, si, tant l'agresseur que celui qui a reçu l'injure se prétendent tous les deux offensés, les chances de la rencontre sont soumises au sort.
Art. 6.—Lorsqu'il n'est intervenu aucune injure et, qu'à la suite d'une discussion où les convenances ont été parfaitement observées, l'un des interlocuteurs demande raison, le demandeur ne prend pas pour cela le rang d'agresseur, ni le défendeur celui de l'offensé. Les chances de la rencontre sont également soumises au sort.
Art. 7.—Si l'injure est suivie d'une autre injure, c'est celui qui le premier a été injurié qui est l'offensé.
Art. 8.—Si celui qui a reçu la première offense répond par une injure grave attaquant l'honneur et la délicatesse, c'est celui qui a reçu cette dernière injure qui reste l'offensé.
Art. 9.—L'injure grave constitue positivement l'offense, et bien qu'il lui soit répondu par une autre injure, c'est le premier qui l'a reçue qui reste l'offensé.
Art. 10.—Si l'injure est suivie d'un coup, c'est celui qui a reçu le coup qui reste l'offensé.
Art. 11.—Si le coup provoque une riposte, c'est celui qui le premier a été touché, qui reste l'offensé.
Art. 12.—Une blessure ne constitue ni l'offense ni même une aggravation dans l'offense.
Art. 13.—La voie de fait constitue seule l'offense: ainsi, lorsqu'une voie de fait, soufflet ou autre, obtient pour riposte une autre voie de fait occasionnant une blessure, le droit de l'offensé appartient au premier touché.
Art. 14.—Dans les offenses par coups ou blessures, qui touche frappe; aucune différence n'est admissible.
Art. 15.—Il n'est dû qu'une seule réparation pour une même offense.
Art. 16.—Lorsqu'une même offense atteint plusieurs personnes, et que ces personnes demandent réparation, le sort désigne la personne à laquelle sera dévolu le droit de recevoir cette réparation.
Art. 17.—Lorsqu'une même offense est commise par diverses personnes envers un même individu, l'offensé a le droit de choisir la personne à laquelle il entend demander la réparation de cette offense.
Art. 18.—Lorsque dans diverses querelles successives, des offenses ont été commises par un même individu envers des personnes différentes, la primauté de réparation appartient à la première offense, si les offenses sont de même valeur; autrement, l'offense avec injure grave, et surtout la voie de fait, ont toujours droit à la primauté de réparation.
Art. 19.—Il existe certaines offenses tellement graves, que la coutume, malheureusement, en exige la vengeance par une représaille instantanée. Nous disons, malheureusement, parce que la violence conduit à une lutte, et la lutte au duel à outrance.
Quiconque dans ces circonstances difficiles sait garder son sang-froid, conserve tous les droits de l'offensé.
Art. 20.—Quiconque provoque ou adresse un appel sans raison suffisante, prend de plein droit le rang d'agresseur. Les témoins d'ailleurs, avant de permettre toute rencontre, doivent connaître et apprécier la valeur des motifs de l'appel. (Voir chapitre IV, page 208, art. 10, Devoirs des témoins.)
Art. 21.—Lorsque les deux adversaires refusent de faire connaître la raison de leur rencontre, les témoins, avant de permettre le combat, doivent exiger qu'ils déclarent sur l'honneur que cette raison ne peut être divulguée par un motif de délicatesse.
Art. 22.—Les offenses se vengent personnellement, avons-nous dit à l'article 3; toutefois:
Un fils peut prendre la défense de son père aux conditions suivantes:
1o Que le père soit déclaré trop faible pour venger son offense;
2o Que l'adversaire soit plus rapproché de l'âge du fils que de celui du père;
3o Que le père ait au moins dépassé l'âge de 60 ans;
4o Enfin, que le père ait le droit de l'offensé.
Dans ce cas, le fils se met aux lieu et place de son père, et prend le droit de l'offensé.
Art. 23.—Un neveu peut également demander à venger une offense supportée par son oncle.
A. Si ce dernier n'a point d'enfants parvenus à l'âge viril.
B. Si cet ascendant se trouve dans des conditions analogues à celles posées dans le précédent article. Dans ce cas le neveu se met aux lieu et place de son ascendant, et prend le droit de l'offensé.
Art. 24.—Le frère peut prendre la défense de son frère mineur, pourvu que l'agresseur soit majeur, et que le frère n'ait point la qualité d'agresseur.
Dans ce cas le frère se met aux lieu et place de son puîné et prend le droit de l'offensé.
Art. 25.—L'offense faite à une famille ne peut être vengée que par un seul membre de cette famille.
Art. 26.—Il en est de même de l'offense faite à une corporation quelconque, cette offense ne peut être vengée que par un seul membre de ladite corporation. (Voir chapitre III, art. 16.)
Art. 27.—Dans les trois degrés d'offenses, l'offensé n'a pas les mêmes prérogatives.
Art. 28.—L'offensé a le choix des armes.
Art. 29.—L'offensé avec insulte a le choix du duel et des armes.
Art. 30.—L'offensé avec coups ou blessures a le choix du duel, des armes, des distances.
Toutefois, si l'offensé entend exiger que son adversaire ne se serve pas de ses propres armes, il perd la prérogative de se servir des siennes.
Art. 31.—Le choix du duel ne peut être exercé que parmi les duels légaux.
Les duels exceptionnels peuvent toujours être refusés par l'agresseur. (Voir chapitre X, Duels exceptionnels, page 386.)
OBSERVATIONS
L'importance des offenses est assez difficile à établir.
L'offense est telle qu'on la sent, et on la sent de mille manières différentes; cela dépend de l'éducation, du milieu social dans lequel on vit encore.
Ainsi, chez un tel, une grossièreté passera complètement inaperçue; chez tel autre, une parole vive, une contradiction paraîtront une offense. Celui-ci regardera comme une insulte ce qui n'est tout au plus qu'une impolitesse. Celui-là au contraire, ayant frappé son interlocuteur au visage, prétend qu'il n'a donné que la représaille d'une grave insulte, et revendiquera le droit de l'offensé!
Dans une discussion irritante ayant amené une succession d'injures réciproques, tel homme à esprit très conciliant, prétendra que le solde débiteur et le solde créditeur, se balançant chez les deux adversaires, ils ne se doivent rien l'un à l'autre, et qu'ils n'ont en conséquence qu'à se serrer la main sans plus!
Dans tout autre milieu le même incident provoque une solution bien différente.
Il y est soutenu et admis, qu'une semblable discussion faisant litière des convenances usitées dans la bonne compagnie, devient nuisible à la considération des deux adversaires et qu'en conséquence, pour donner satisfaction à leur honneur réciproque, une rencontre sérieuse est de toute nécessité.
Nous avons donc cru devoir distinguer plusieurs degrés dans l'offense, pour servir de jalons principaux aux appréciations des témoins, car il fallait nécessairement distinguer au moins les offenses simples, l'injure grave qui attaque la délicatesse et l'honneur, et enfin, l'insulte la plus grave de toutes, la voie de fait, principalement un coup frappé au visage.
La représentation nationale est inviolable; sans nul doute la tribune comporte toute liberté pour traiter des grands intérêts de l'Etat. Mais ce droit absolu et incontestable de discussion ne saurait autoriser des représentants à compromettre la dignité de la tribune et leur dignité personnelle en injuriant des collègues qui soutiennent des opinions différentes des leurs, ou bien en critiquant d'une manière insultante des fonctionnaires ou d'autres citoyens. Les offenses ou attaques contre l'honorabilité lancées du haut de la tribune nationale, ont par cela même un grand retentissement, et ne peuvent manquer d'être ressenties plus vivement par ceux qui en sont l'objet.
Dans une séance récente du Sénat, M. Jules Simon prononçait ces paroles:
«Messieurs, il serait bon d'habituer le pays à comprendre qu'on peut ne pas siéger sur les mêmes bancs et avoir les uns pour les autres, estime et considération.» (Applaudissements unanimes.)
Dans un Etat régi par les institutions libérales, la presse est libre. Cette liberté a pour but d'éclairer et d'instruire les populations par une discussion approfondie des intérêts religieux, moraux et matériels de la société. Comprise ainsi, la presse est un véritable sacerdoce. Livrée à la licence des passions, la presse devient un poignard effilé, l'arme la plus dangereuse donnée à la méchanceté pour insulter les personnes et les familles. Les blessures de la presse sont d'autant plus dangereuses, qu'elles s'étendent par le fait d'une publicité que l'on ne peut ni arrêter, ni circonscrire, ce qui rend la réparation de ces offenses très difficile et même presque impossible à obtenir.
Il arrive quelquefois, assez rarement cependant, que des personnes, dans le but d'éviter toute collision scandaleuse de nature à provoquer des conséquences sociales et judiciaires, répondent à une insulte par ces seuls mots:
«Monsieur! tenez-vous pour souffleté!» Ce soufflet verbal n'équivaut pas absolument au soufflet réel et consommé, mais il lui est uni par une parenté tellement étroite, qu'il occupe la droite des injures graves classées dans la deuxième catégorie.
Cette sorte d'insulte demande une provocation immédiate, et, ensuite, l'envoi des témoins dans les délais prescrits.
L'affaire peut encore s'arranger, mais avec des conditions plus sérieuses dans la réparation. La difficulté d'obtenir cette réparation rend le plus souvent la rencontre inévitable.
Nous n'ignorons pas la vieille plaisanterie faite à ce sujet:
Deux Gascons s'étant pris de querelle, l'un d'eux dit à son antagoniste: «Monsieur! tenez-vous pour souffleté!»
L'autre réplique: «Monsieur! Je vous donne un coup d'épée, tenez-vous pour mort!»
Cette gasconnade peut être goûtée, peut même avoir du sel auprès de certaines personnes pour lesquelles nous n'écrivons pas...
SUR L'ARTICLE 5.
Le principe de donner le droit de l'offensé à la primauté d'offense doit être évidemment maintenu, si l'on veut avoir une base juste et rationnelle dans l'appréciation des offenses; dans certaines circonstances son application absolue peut donner lieu à une légitime hésitation. Celui qui reçoit le premier une impolitesse ou une malhonnêteté, est l'offensé, soit; mais s'il répond par une injure, laquelle ne peut être classée dans les injures graves, et paraît pourtant avoir une importance majeure relativement à l'impolitesse ou à la malhonnêteté subie par son adversaire, n'est-il pas évidemment plus sage de la part des témoins de n'accorder à personne le droit de l'offensé et de remettre ce droit à la décision du sort? Nous ajouterons que les exceptions aux principes essentiels ne doivent être admises que bien rarement et à bon escient.
SUR L'ARTICLE 13.
Il est de toute évidence que le coup ou voie de fait constitue seul l'offense. La blessure résultant du coup n'est qu'une conséquence purement matérielle qui n'a aucune importance réelle sur l'insulte qui a été subie, et par conséquent ne peut être considérée comme une aggravation de nature à être comptée dans l'appréciation du débat.
SUR L'ARTICLE 14.
Qui touche frappe est un principe établi pour écarter les équivoques et les différends produits par la méchanceté et par la mauvaise foi. Le frapper est regardé comme la dernière des offenses morales, il n'est point considéré sous le rapport matériel.
Le toucher comme sanction d'une insulte équivaut donc au frapper; s'il en était autrement, tel qui aurait jeté son gant à la figure de son interlocuteur en l'injuriant prétendrait qu'il ne l'a point frappé; tel qui aurait donné un soufflet, prétendrait qu'il a été frappé le premier, parce que son adversaire l'avait préalablement retenu par le revers de son habit ou par le bouton de son gilet! Mais, ce qui est encore plus fort, tel qui dans une altercation tire son revolver, le décharge, et trace avec la balle un chemin vicinal dans la chevelure de son antagoniste, prétendra qu'il ne l'a point frappé!
Evidemment l'interprétation de cet article exige de la part des témoins une parfaite loyauté, une entière bonne foi.
Ainsi, certaines personnes ont la mauvaise habitude de toucher la personne avec laquelle ils sont en conversation, soit en lui tirant le revers, le pan de l'habit, soit en saisissant le bouton du gilet, de la chaîne de montre, soit on les frappant légèrement sur l'épaule, sur la hanche, sur l'avant-bras, soit en les touchant sur le ventre ou même sur la figure.
Tous ces gestes sont réprouvés par les usages de la bonne compagnie, et surtout les derniers peuvent donner lieu à une admonition et par suite à une querelle.
Vous êtes en conversation, vous êtes en train de développer votre pensée, votre interlocuteur (ce qui est du reste impoli) n'attend pas la fin de votre phrase, s'éloigne. Tout entier à votre argumentation vous le saisissez par le revers de son habit pour qu'il entende la fin de la phrase commencée, il se choque, une querelle s'engage dans laquelle il vous donne un soufflet; sera-t-il en droit de prétendre, en vertu du principe qui touche frappe, qu'il est l'offensé, parce qu'il a été touché le premier? Non sans doute, car la bonne foi est évidente.
Dans une vive altercation vous lancez une injure à votre interlocuteur et vous le frappez en même temps sur l'épaule, sur le ventre ou même lui passez la main devant ou sur le visage. Tout naturellement, il riposte par un soufflet. Prétendrez-vous être l'offensé? ou bien, votre adversaire, en vertu du principe, qui touche frappe, n'aura-t-il pas le droit de soutenir avoir été frappé le premier, et en conséquence de revendiquer le droit de l'offensé? Dans ce cas l'affirmative n'est point douteuse.
SUR L'ARTICLE 15.
Si une seule personne devait répondre à un certain nombre d'offensés, il y aurait lieu, dans un principe d'honnêteté, de faire revivre en sa faveur l'usage des seconds, des tiers, des quarts, etc., de revenir aux luttes féroces du moyen âge.
Pour une seule et même offense, il est donc juste qu'une seule personne qui l'a commise, n'ait à fournir qu'une seule et même réparation.
Après la funeste rencontre dans laquelle l'infortuné Carrel laissa la vie, M. de Girardin, son adversaire, reçut une autre provocation pour le même objet.
Le général Excelmans (depuis maréchal) et M. Taxile Delord, journaliste (depuis député de Vaucluse à l'Assemblée nationale) déclarèrent qu'une réparation loyale et complète ayant été donnée pour cette offense, il n'y avait pas lieu à en donner une seconde. Le cartel fut refusé par M. de Girardin, avec verdict conforme de l'opinion publique.
SUR L'ARTICLE 17.
Cet article devrait sembler superflu, car on ne peut supposer que dans notre société moderne l'abaissement du sens moral et chevaleresque arrive au point de permettre que plusieurs personnes se concertent pour en insulter une seule. Cependant, l'exemple s'est malheureusement rencontré, or, ab actu ad posse valet consecutio, nous avons donc cru nécessaire de pourvoir à l'éventualité. Rien de plus juste que d'accorder à l'offensé toute compensation possible contre le nombre; nous lui avons, en conséquence, attribué le choix de la personne à laquelle il entend demander réparation.
En pareille circonstance, et selon la nature ou les motifs de l'agression, l'offensé est en droit de se demander si l'affaire ne doit point être remise dans les mains de la justice ordinaire. (Voir chap. IV, Observations sur l'art. 12.)
SUR L'ARTICLE 19.
Nous ne saurions l'ignorer, la coutume indique certaines offenses très graves comme devant être l'objet d'une représaille instantanée. Cette coutume paraît se justifier par la certitude qu'aura l'offensé d'obtenir ainsi plus facilement la réparation par les armes qu'il serait disposé à demander. Nous pensons en thèse générale, que tout homme de cœur n'a nul besoin de subir une violente représaille pour accorder la réparation d'une offense qu'il aurait faite. Une lutte devient la conséquence d'une pareille conduite, et cette lutte nécessite un duel à outrance.
Il est donc plus sage d'éviter de pareils excès. Sans doute il faut beaucoup de sang-froid pour résister à la tentation d'obtenir une vengeance éclatante et immédiate, mais le sang-froid trouve sa récompense dans le privilège du droit absolu de l'offensé, considération qui n'est pas sans importance dans un débat qui ne peut tout au moins se terminer que par une rencontre sérieuse.
Dans les affaires d'honneur, comme en jeu, heureux celui qui par une sage et adroite retenue, sait éviter les mauvaises chances de la carte forcée!
SUR L'ARTICLE 20.
Cette disposition est la conséquence naturelle des principes posés dans la première partie de cette étude. Par la réglementation du duel, nous poursuivons un double but: diminuer les rencontres motivées mais susceptibles d'être évitées par un accommodement honorable; atténuer les conséquences sanglantes des duels nécessaires. A fortiori, nous proscrivons complètement les duels sans motifs ou à prétextes futiles.
En attribuant aux témoins la responsabilité de toutes les rencontres, comme nous l'avons fait dans notre Conclusion, nous sommes persuadé qu'il sera impossible à quiconque de trouver des témoins qui consentent à permettre une rencontre dont la raison suffisante ne soit pas parfaitement établie.
SUR L'ARTICLE 21.
Souvent, trop souvent même dans la société, on entend parler de rencontres causées par des atteintes contre l'honneur des familles. Nos lecteurs ont compris qu'au devoir impérieux de l'article 20 on devait adjoindre une exception pour des faits que, tant la délicatesse de l'agresseur que celle de l'offensé, ne permettent point de divulguer. La parole d'honneur de tous les deux est le seul moyen de garantie que puissent obtenir les témoins; elle est d'autant plus nécessaire que cette seule parole indique la nécessité d'un duel à outrance.
SUR L'ARTICLE 22.
Nous n'entendons nullement porter atteinte au sentiment naturel qui engage un fils à défendre son père. Toutefois le droit d'un fils de venger toute offense faite à son père, ne saurait lui être accordé d'une manière absolue; il doit l'être conformément aux exigences de la justice et de l'humanité.
Un fils ne peut être juge impartial de la cause de son père.
La demande de réparation formulée par un fils, doit être appréciée par les témoins avec la sévérité et l'impartialité désirables. Il faut pour qu'elle puisse être accueillie, que le père ait été gravement insulté, que l'offense soit parfaitement établie, que le père n'ait point provoqué l'offense par une offense égale; qu'en conséquence le droit de l'offensé lui soit pleinement acquis.
En dehors de ces conditions essentielles, la demande du fils doit être péremptoirement rejetée par les témoins.
Les articles 23 et 24 sont interprétés par analogie avec l'article 22.
SUR L'ARTICLE 30.
Le choix de l'arme est déjà trop important, ce serait accorder un droit bien exorbitant à l'offensé, même se trouvant dans les conditions de l'article 30, que de lui permettre de se servir de ses propres armes, en privant l'agresseur de la faculté de se servir des siennes.
Ce que nous conseillerons toujours, c'est que les armes destinées à une rencontre soient inconnues aux deux adversaires.
SUR L'ARTICLE 31.
Nous commençons ici, contre les duels exceptionnels, une campagne que nous pousserons très vigoureusement plus tard, lorsqu'à notre grand regret, nous serons obligé de nous en occuper.
CHAPITRE II
DE LA NATURE DES ARMES
Art. 1er.—L'usage admet trois sortes d'armes légales:
- L'épée.
- Le sabre.
- Le pistolet.
Art. 2.—Toute autre arme est de convention, et peut être refusée même par l'agresseur comme appartenant à la catégorie des duels exceptionnels.
Art. 3.—Les armes doivent être déclarées propres à servir au duel. Les témoins ont l'attribution de leur reconnaître cette qualité.
OBSERVATIONS
SUR L'ARTICLE 1er.
Le duel étant hors la loi, aucune de ses règles ne peut avoir le caractère de légalité dans l'acception ordinaire de ce mot. L'usage, la coutume consacrés et acceptés par l'opinion publique donnent seuls force de loi aux prescriptions relatives au duel, c'est donc dans ce sens purement relatif et restreint que l'on doit interpréter la qualification donnée par l'article 1er.
SUR L'ARTICLE 2.
Certaines personnes voudraient accorder le droit de refuser le duel au sabre, à l'agresseur, à condition qu'il soit officier en retraite et qu'il ne soit pas propre à s'en servir. Pourquoi pas également l'épée? Pourquoi ce droit ne serait-il pas également accordé à un officier mutilé, blessé, ou même à un civil qui se trouveraient dans le même cas?
Nous n'avons pas cru devoir établir d'exception.
Les cas exceptionnels sont soumis à l'appréciation des témoins, lesquels, sous leur propre responsabilité, les jugent en conformité des lois de la justice et de l'humanité.
D'autres voudraient accorder le même droit à l'agresseur s'il est dans le civil. Cette proposition pouvait être plausible, il y a quelques années, mais, aujourd'hui toute la nation est armée. Les carrières administratives elles-mêmes et la magistrature fournissent des officiers à l'armée de réserve.
Il est évident que des individus appartenant soit à la réserve, soit à l'armée territoriale ne sauraient refuser le sabre qui est leur arme professionnelle lorsqu'ils sont sous les drapeaux, en alléguant qu'ils sont dans le civil.
CHAPITRE III
DE L'APPEL ET DU DUEL
Art. 1er.—L'appel ou le cartel se demande, soit instantanément, soit postérieurement à l'offense.
Art. 2.—Lorsque le cartel a été demandé, le demandeur, soit qu'il soit l'offensé ou l'agresseur, doit donner son nom et son adresse, ou sa carte; celui qui reçoit l'appel doit y répondre de la même manière.
Art. 3.—Dès ce moment toute discussion entre eux doit cesser, et le cas échéant, les assistants doivent s'y opposer. De plus, jusqu'au règlement définitif de l'affaire, les deux adversaires ne doivent plus avoir ni communication, ni rapport entre eux que par l'intermédiaire des témoins. Un témoin même, ne peut avoir d'entrevue directe ou particulière avec l'adversaire de celui qu'il assiste.
Art. 4.—Les deux adversaires doivent immédiatement chercher leurs témoins, et s'envoyer réciproquement les noms et l'adresse desdits témoins. Il est bien entendu que les deux adversaires doivent dès lors se mettre en mesure de pouvoir recevoir sans délai toutes les communications verbales ou écrites de leurs témoins respectifs.
Art. 5.—Lorsque l'appel a lieu postérieurement à l'offense, il se fait de deux manières, verbalement et par écrit. Il se fait plus souvent verbalement.
Dans les deux cas il est transmis par les témoins.
Art. 6.—L'appel verbal est porté par les témoins au nom de leur client. Il doit être bref et motiver purement et simplement la demande de satisfaction.
Art. 7.—L'appel écrit doit être rédigé sous forme de lettre, motiver brièvement et sans qualification aucune, la demande de satisfaction, et se terminer par la suscription en usage dans la bonne société.
Les témoins doivent en prendre connaissance et refuser péremptoirement de la porter ou transmettre, si cet appel n'est pas conforme aux prescriptions du précédent alinéa.
Art. 8.—Dans les deux cas, toute discussion avec l'adversaire de leur client est absolument interdite aux témoins, qui doivent recevoir une réponse immédiate; si celui qui reçoit l'appel tentait de provoquer une discussion, les témoins doivent se retirer sans plus et dresser procès-verbal.
Art. 9.—Les témoins chargés de porter un appel ne doivent jamais remplir leur mission étant armés.
Art. 10.—Quiconque reçoit un appel, doit accueillir les témoins avec courtoisie, écouter leur communication sans les interrompre et leur donner, sans plus, sa décision.
En cas de négative, ce refus peut être motivé brièvement, sans la moindre discussion, et encore moins avec une appréciation peu convenable pour l'adversaire.
Les témoins dressent procès-verbal du refus, soit péremptoire, soit motivé. (Voir 3e partie, pièce no VIII.)
Art. 11.—Sous aucun prétexte, il n'est permis à quiconque de se rendre au domicile de son adversaire pour lui porter un appel; de même, toute entrevue consentie pour ménager un rapprochement entre deux personnes divisées par un grief quelconque, ne doit avoir lieu qu'au domicile d'une tierce personne, et en présence de témoins.
Art. 12.—Si les adversaires se ménagent une entrevue, s'ils conviennent des conditions du duel (chap. IV, art. 20), c'est une précipitation blâmable, car ils se sont exposés à aggraver l'affaire par le danger d'un pareil rendez-vous, ou bien à la rendre dérisoire par suite d'un arrangement ultérieur provoqué par l'intervention nécessaire des témoins, qui ont toujours le droit de révision ou de contrôle, toute convention est nulle sans leur acceptation.
Art. 13.—La déclaration spontanée d'un tort par celui auquel il revient réellement, ne porte aucune atteinte à son honneur; si celui qui a commis une insulte en offre une réparation suffisante pour annuler l'offense de l'avis de ses propres témoins; si ces mêmes témoins déclarent que, dans un cas semblable, ils se tiendraient pour complètement satisfaits; s'ils sont prêts à insérer cette déclaration dans un procès-verbal appuyé par leur signature.
Si celui qui par écrit a injurié ou calomnié un tiers, en offre, également par écrit, une réparation suffisamment explicite, celui qui a offert la réparation, si elle n'est point acceptée, ne prend plus le rang de l'agresseur, ni par conséquent son adversaire, le droit de l'offensé.
Dans ce cas, le sort décide du choix des armes.
Mais, à un coup, il n'y a pas d'excuses possibles.
Les réparations ne sont valables que par-devant les témoins (Chap. IV art. 14).
Il faut toujours éviter que ces sortes d'arrangements aient lieu sur le terrain.
Art. 14.—Cependant, si sur le terrain l'un des combattants juge convenable de présenter des excuses que les témoins adversaires déclarent accepter comme valables et satisfaisantes, s'il y a blâme, il ne peut retomber que sur celui qui les a faites. Il en assume l'entière responsabilité, si les témoins qui l'assistent ne les lui ont point conseillées.
Art. 15.—Si des témoins sur le terrain présentent des excuses au nom du client qu'ils assistent, le blâme, s'il y a lieu, retomberait sur eux seuls, car le client est censé n'y avoir consenti que par déférence pour ceux qui ont assumé la responsabilité de son honneur.
Art. 16.—Tout cartel envoyé en nom collectif doit être refusé. Si une famille, un corps, une association, une réunion quelconque de plusieurs individus, a reçu une insulte, il n'appartient à la famille, au corps, à l'assemblée ou à l'association que le droit d'envoyer un seul de ses membres pour venger cette insulte.
Dans le cas ou plusieurs cartels seraient envoyés par divers membres de la famille ou de l'association intéressée, l'agresseur a le droit de choisir le premier appel qui lui a été présenté ou de soumettre au sort la désignation du cartel qu'il devra agréer.
Art. 17.—Un ami, un parent, un frère même ne peuvent prétendre venger par un nouvel appel lancé, le parent, le frère qui aurait laissé la vie dans une rencontre.
Tout ami ou parent qui, par la suite, provoquerait une discussion, une querelle pour insulter ou se faire insulter par l'adversaire de celui qui aurait succombé et éluder ainsi la prescription du 2e alinéa du présent article, prendrait le rang de l'agresseur, et l'adversaire jouirait de plein droit des prérogatives de l'offensé suivant l'article 29, ou même, s'il y a lieu, suivant l'article 30 du chapitre Ier.
Art. 18.—Est susceptible d'être récusé par la question préalable, l'appel adressé au nom de:
1o Toute personne notoirement connue pour avoir violé les règles et conditions du duel.
2o Tout témoin notoirement connu pour avoir été complice de ladite violation, ou pour l'avoir sciemment autorisée.
Art. 19.—Nul appel ne peut être envoyé ou accepté dans les plus proches degrés de parenté, c'est-à-dire de père à fils, de frère à frère et réciproquement.
Art. 20.—Quiconque ayant reçu une offense, porte plainte à l'autorité, perd le droit d'adresser un appel ou cartel pour obtenir la réparation de cette offense.
Même lorsque la plainte a été retirée, malgré les démarches faites pour empêcher que l'on y donne suite; dans ce cas, l'adversaire est entièrement libre d'accepter ou de refuser l'appel.
Art. 21.—Nul appel ne peut être adressé par un débiteur à son créancier, avant que la dette ne soit soldée, il n'en est pas de même lorsque le créancier adresse un appel à son débiteur.
Art. 22.—Tout appel doit être porté ou adressé avant l'expiration des vingt-quatre heures à dater de l'offense.
La réponse de l'appelé doit être donnée ou adressée dans le même délai à dater de la réception de l'appel.
Tout retard doit être justifié par une raison suffisante.
Art. 23.—Tout duel doit avoir lieu dans les quarante-huit heures après l'appel, à moins d'une convention contraire de la part des témoins.
OBSERVATIONS,
SUR L'ARTICLE 3.
Entre gens bien élevés, après un appel donné et accepté, toute discussion doit cesser. Une altercation prolongée peut aller très loin et par là même paralyser d'avance toute chance d'accommodement. Une altercation prolongée produit le scandale en augmentant la publicité des offenses et rend par ce fait seul, tout arrangement difficile et parfois impossible.
L'intervention des assistants doit être ferme, mais dirigée avec tact et mesure, et surtout avec impartialité. Montrer la moindre préférence pour l'un ou pour l'autre des antagonistes, serait provoquer les inconvénients que l'on a pour but d'éviter.
SUR L'ARTICLE 7.
Sans parler des conseils d'une bonne éducation, que celui surtout qui entend être réputé homme d'honneur, ne saurait oublier, toute lettre inconvenante ou injurieuse ne peut qu'envenimer et fermer la porte à tout arrangement honorable. (Voir chapitre V, exemple no 1.)
SUR LES ARTICLES 8, 9 ET 10.
Les témoins chargés de porter un appel soit verbal, soit écrit, ne sont que des parlementaires protégés aux yeux de tout homme d'honneur par la nature même de leur mandat, qui ne comporte qu'une simple communication.
Toute discussion serait tout au moins inutile, et pourrait devenir nuisible; on en a vu des exemples. Il est donc rationnel de prescrire aux témoins de refuser toute discussion, et de se retirer immédiatement, si celui auprès duquel ils remplissent leur mission tentait de la provoquer.
Sous aucun prétexte, les témoins porteurs d'un appel ne doivent remplir leur mission étant armés. En effet, on n'adresse un appel, on ne consent à porter un appel qu'à une personne que l'on réputé homme d'honneur. Se munir d'armes défensives ou agressives pour remplir une pareille mission peut donner à supposer, dans certaines circonstances, que l'on espère susciter, ou tout au moins profiter d'une altercation, pour s'en référer à la violence, et transformer ainsi le rôle de témoins en celui d'agresseurs.
Nous ne croyons pas devoir citer d'exemples pour justifier l'utilité de ces prescriptions.
Certains témoins se croient obligés de rechercher la personne à laquelle ils auraient porté un appel et qui se serait fait nier à plusieurs reprises. On a même vu des témoins prendre le train-poste pour chercher à atteindre celui qui se serait enfui pour éviter de les recevoir...
Ce mode de procéder est tout à fait incompatible avec la dignité des témoins et avec celle de leur client.
Les délégués du point d'honneur ne sont point faits pour se livrer à la chasse aux lapins!...
Les témoins, lorsqu'ils ne rencontrent point à son domicile la personne à laquelle ils sont chargés de porter un appel, doivent laisser leur carte en indiquant une heure précise à laquelle ils doivent renouveler leur visite.
A l'heure indiquée, s'ils ne sont point reçus, ils doivent immédiatement écrire à la personne en lui disant que si, dans les vingt-quatre heures, ils ne reçoivent point de réponse, ils considéreront cette façon d'agir comme un refus de toute explication, et par conséquent de duel, et qu'ils en dresseront procès-verbal.
La lettre chargée doit être remise à la poste, en exigeant le récépissé constatant qu'elle a été remise dans les mains du destinataire.
Ne recevant aucune réponse, les témoins dressent procès-verbal circonstancié, et le remettent à leur client.
C'est à la fois un manque de courtoisie aggravant l'offense, et une faute blâmable que de ne point recevoir les témoins, et surtout, de refuser de les recevoir.
Quand bien même on aurait l'intention de refuser le duel par l'allégation d'une question préalable, il est plus convenable et plus sage de recevoir les témoins, en leur annonçant une réponse dans les délais prescrits. On charge alors les témoins que l'on aura choisis de signifier son refus motivé par la question préalable, dans la réunion qui doit avoir lieu, suivant l'article 12 du chapitre IV.
En agissant d'une manière différente, on s'expose quelquefois à des représailles violentes que toute personne de bonne compagnie ne peut que déplorer.
SUR L'ARTICLE 11.
Il paraîtrait sans doute inutile d'insister sur l'opportunité de la prescription contenue dans l'article 11, et pourtant, la nécessité n'a été que trop démontrée de proscrire de semblables démarches, principalement lorsqu'elles deviennent des bravades entraînant les plus funestes conséquences. (Voir exemple no 8, page 311.)
Lorsque deux personnes parfois unies par les liens de l'amitié ou même de la parenté, se trouvent divisées par suite de dissidences politiques ou de racontars assez souvent faux ou le plus souvent exagérés, des amis bienveillants leur proposent une entrevue destinée à provoquer un échange de loyales explications, et par là même une réconciliation.
Qui peut prévoir l'issue d'une entrevue seul à seul? Le résultat ne peut-il pas être contraire au but proposé?
Sans avoir égard aux questions d'âge ou de position, les parties n'entendent se faire mutuellement aucune avance.
Une entrevue au domicile d'une tierce personne ou sur tout autre terrain neutre, coupe court à toute susceptibilité.
En second lieu, l'entrevue en présence de témoins assure la chance de parvenir au but désiré, les témoins étant à même de maintenir les explications échangées sur le terrain de la courtoisie, et d'éviter ainsi qu'elles ne dégénèrent en une discussion passionnée qui peut amener de si regrettables conséquences.
Les explications échangées, les réconciliations obtiennent un caractère sérieux et ne peuvent être déniées.
Enfin, la partie qui refuserait d'accepter une entrevue présentée d'une manière aussi convenable, assumerait une grande responsabilité, dans le cas d'une querelle subséquente, et pourrait passer aux yeux de tout homme impartial, comme nourrissant des sentiments de rancune et de passion inavouables.
SUR L'ARTICLE 12.
Cette conduite irrégulière ne saurait atténuer en rien le droit de révision qui appartient toujours aux témoins responsables et garants de l'honneur et des intérêts de leurs clients.
Sans leur acquiescement, tout accord est nul et de nul effet, et ne peut donc acquérir la valeur d'une convention.
SUR L'ARTICLE 13.
Un arrangement est toujours désirable, s'il peut s'effectuer honorablement pour les deux parties. Les témoins ont dû faire tous les efforts pour l'obtenir avant de convenir du duel.
Les adversaires ont eu le temps de réfléchir avant de refuser les propositions des témoins. Un arrangement, s'il a lieu sur le terrain avant le combat, peut donner prise à la médisance et à la malignité, inconvénients qu'il faut toujours éviter, principalement dans les affaires d'honneur. (Voir article 14, chapitre IV, Témoins.)
SUR L'ARTICLE 14.
Un honnête homme qui a commis une offense, ne refuse jamais de la réparer lorsque des témoins honorables, après discussion sérieuse, lui conseillent une réparation compatible avec son honneur.
S'il la refuse obstinément en moment opportun, c'est-à-dire au moment de la discussion de l'affaire, n'est-il pas inconséquent de le voir changer d'avis sur le terrain, si l'on veut tenir compte des réflexions présentées au sujet du précédent article? Il est donc évident que ses témoins qui lui ont en vain conseillé de s'excuser en temps utile, sont en droit, tout en le laissant libre, de dénier toute responsabilité pour une détermination qui lui appartient entièrement. Mais il y a plus. Dans certains cas, les excuses peuvent être refusées par l'offensé, lequel, supposant que l'agresseur ne l'a entraîné sur le terrain que pour mettre son courage à l'épreuve et obtenir ainsi un arrangement plus favorable, répond par l'organe de ses témoins qu'il est trop tard, et que l'on n'accepte pas d'arrangement sur le terrain.
Il en est tout autrement dans une affaire entre un homme ignorant des armes et du duel, et un adversaire d'une adresse éprouvée dans d'autres rencontres, ce dernier étant l'agresseur.
Désireux d'éviter une rencontre aussi inégale, les témoins, arrivés sur le terrain, font un suprême effort pour obtenir de l'agresseur une réparation convenable qu'il a refusée jusqu'alors.
Dans cette circonstance toute spéciale, si ce dernier se rend à leurs instances, non seulement son honneur ne peut souffrir aucune atteinte, mais sa conscience d'accord avec l'opinion des gens sensés, lui dira: Il n'est jamais trop tard de bien faire!
SUR L'ARTICLE 15.
Sans nul doute, toute déférence est due aux avis des témoins; cependant dans des circonstances, rares, il est vrai, il se rencontre des témoins qui ne prennent point assez au sérieux leur mission et se laissent guider par le désir de se débarrasser à tout prix d'une affaire dont ils appréhendent d'avoir à subir quelques conséquences désagréables. Dans ce cas, leur client est libre de refuser sur le terrain ce qu'il a dû nécessairement refuser préalablement.
SUR LES ARTICLES 16 ET 17.
Toute rencontre a pour but de venger une offense ou de donner réparation de l'offense. Comme nous l'avons déjà fait observer, il est plus sage, il est plus équitable de reconnaître ses torts, de les réparer; l'on s'épargne ainsi des regrets; car si l'on compromet sa vie pour expier un tort, on met également en jeu la vie d'un innocent.
Mais il est un tort bien plus grave, une injustice plus criante que celle d'invoquer les liens de parenté, d'amitié, de confraternité dans une association, pour prétendre tirer vengeance de l'homme d'honneur qui a donné satisfaction par les armes ou qui l'a reçue, si les chances du combat lui ont été favorables.
Beaucoup trop souvent, on a vu des parents, des amis, des collègues prétendre tirer vengeance immédiate du sang répandu, annoncer par avance leur prétention. N'a-t-on pas vu des témoins se porter une double provocation?
Quand bien même la force morale d'un homme ne se laisserait point abattre par de pareilles attaques, ne serait-il pas juste de lui accorder le droit de ressusciter l'ancien usage des seconds, des tiers, des quarts? Chacun pourrait compléter son monde, et combattre en nombre pair. Cette injuste prétention tendrait à perpétuer une querelle à l'infini, à régulariser la vendetta!!!
Ici les lois de l'honneur sont en parfait accord avec les lois civiles; le payement éteint la dette, la réparation éteint l'offense. Vouloir déroger à ces principes d'une justice reconnue, c'est demander la vie d'un homme honorable au nom des rancunes et des passions qui pouvaient commander naguère dans les mœurs des siècles de barbarie, mais qui, fort heureusement, ne sont plus en rapport avec la civilisation moderne. (Voir chapitre V, exemple no 2.)
Il est bien entendu qu'un père répond de sa fille, un frère de sa sœur, un mari de sa femme, etc., un cavalier répond également des dames qu'il accompagne.
Réciproquement, le droit leur est acquis de demander raison de toute injure ou même impolitesse qui pourrait être commise envers des femmes que le droit naturel ou social oblige à protéger.
La femme jouit d'une considération et de prérogatives très étendues dans notre société civilisée. Les plus nobles et les plus délicats sentiments du cœur, les conseils d'une éducation distinguée, le tact, obligent à n'en jamais abuser, afin d'éviter de compromettre les objets de sa tendresse, en se mettant elle-même sur la sellette.
Rien n'est plus vrai que le proverbe:
La femme la mieux louée est celle dont il n'est jamais parlé.
Nous avons été scandalisé d'un mot prononcé par un homme pourtant bien placé dans la société, en parlant de sa femme, très inconsidérée dans ses discours: «La femme ça ne compte pas! (sic)»
Celui qui prononçait de telles paroles ne s'exposait-il pas à la présomption de ne point compter lui-même pour beaucoup sur un terrain donné?
SUR L'ARTICLE 18.
Les dispositions contenues dans cet article paraîtront peut-être rigoureuses; cependant, est-il admissible qu'une personne ayant violé ou permis de violer le point d'honneur, puisse plus tard l'invoquer pour son propre compte?
N'est-il pas juste de chercher à obtenir la parfaite loyauté dans les rencontres?
Du reste, comme on l'a remarqué, cet article n'est point absolu, il doit être appliqué avec bonne foi, et peut être mitigé lorsque les irrégularités commises sont de peu de conséquence pour l'issue du combat, ou motivées par un simple oubli ou défaut d'attention.
SUR L'ARTICLE 19.
L'opinion publique réprouve avec juste raison l'appel ou le duel entre proches parents. Mais à quel degré faudrait-il s'arrêter?
Nous ne nous sommes pas cru autorisé à le préciser. Tout dépend des circonstances et des rapports d'affection qui se perpétuent dans les familles jusqu'à un degré plus ou moins éloigné.
Il est un fait certain, c'est que les offenses ou même les mauvais procédés se ressentent plus vivement entre personnes unies par les liens de parenté plus ou moins rapprochée; que les haines qui en résultent s'apaisent plus difficilement et entraînent des conséquences plus fâcheuses pour les intérêts et pour la paix des familles. Sous ce point de vue, nous préférons un bon appel qui soumette l'affaire à l'appréciation de témoins sérieux et bien intentionnés, lesquels invoqueront avant tout les liens de parenté, provoquant une bonne réconciliation, et mettront fin à une querelle qui pourrait produire des inconvénients séculaires.
«Mieux vaudrait sans doute reconnaître ses torts spontanément, car si les liens de parenté existent, me disait-on, ils sont réciproques et les procédés doivent l'être également. De quel droit alors me forcera-t-on à endurer un affront, à subir une offense de la part d'un parent, parce que, pourvu que l'on donne une extension exagérée à votre article, je ne trouverai aucun témoin pour transmettre une demande de satisfaction?»
L'opinion publique est seule en mesure de répondre. Il appartient à elle seule de déterminer l'extension que comporte la prescription de notre article.
Il est un axiome de jurisprudence bien connu qui dit:
Non bis in idem.
Celui qui reçoit une offense, doit avant tout se demander auprès de quelle juridiction il entend en poursuivre la réparation.
S'il s'adresse à la juridiction ordinaire, il doit, en vertu de l'axiome précité, perdre nécessairement le droit d'invoquer la juridiction du point d'honneur.
Le retrait de la plainte, les démarches même les plus pressantes pour en empêcher les suites, ne signifient rien. L'autorité n'en est pas moins avertie. Quel est le magistrat qui donnera par écrit la promesse de ne pas poursuivre une offense, quand il sait que cette promesse seule peut permettre le duel, délit réprimé par la loi? A supposer qu'il puisse donner cette promesse (car il a le ministre de la justice derrière lui), il ne s'engagera jamais à ne pas empêcher un duel dont l'éventualité lui est signalée.
Par suite, est-il digne d'hommes sérieux de se rendre sur le terrain quand ils sont sûrs d'y rencontrer les agents de l'autorité?
En résumé, rien ne pouvant arrêter le cours de la justice, dans le cas de retrait d'une plainte et d'un appel postérieur à ce retrait, les témoins de celui qui en est l'auteur doivent soumettre la question aux témoins de l'adversaire, lequel est dès lors en possession de toute liberté pour accepter ou pour refuser l'appel qui lui a été transmis. En cas de refus, les témoins dresseront procès-verbal motivé.
Suivre une voie nette dès le principe, est le meilleur moyen d'éviter les commentaires.
SUR L'ARTICLE 22.
Il est inutile de développer les nombreuses raisons qui exigent que toute demande de réparation ne soit point sujette à des retards dus aux caprices, et souvent même à des calculs plus ou moins honorables. Le délai de vingt-quatre heures que nous conseillons tant pour la demande que pour la réponse, est une base essentielle dont la limite ne doit être franchie que pour des motifs parfaitement justifiés.
Le retard non motivé, pourrait entraîner, de la part de l'adversaire, l'allégation de la question préalable.
SUR L'ARTICLE 23.
Les affaires d'honneur doivent être réglées le plus promptement possible pour éviter les inconvénients de la publicité. Sans doute, lorsque les adversaires sont plus ou moins éloignés, le délai peut être plus ou moins prolongé par raccord motivé des témoins; mais, tout retard doit être impérieusement justifié.
Généralement, sauf impossibilité réelle, quiconque reçoit une offense, doit envoyer ses témoins avant l'expiration des vingt-quatre heures. Réciproquement, à moins d'empêchement justifié, quiconque reçoit un appel, doit y répondre avant l'expiration des vingt-quatre heures. Ce temps paraît suffisant à tous les deux, pour désigner leurs témoins, et aux témoins pour convenir de leur entrevue.
CHAPITRE IV
DES TÉMOINS ET DE LEURS DEVOIRS
«Ce ne sont ni les balles
ni les épées qui tuent:
ce sont les témoins.»
Alphonse Karr.
Art. 1er.—Quiconque demande ou reçoit un cartel, doit immédiatement choisir ses témoins. (Voir art. 1, chap. III.)
Art. 2.—Le choix des témoins ne doit porter que sur des personnes reconnues parfaitement honorables dans la société.
Ne sont point admissibles à remplir le rôle de témoins:
1o Dans le cas prévu par l'article 16 du chapitre Ier, les personnes ayant demandé réparation;
2o Dans le cas prévu par l'article 17, même chapitre, ceux ayant participé à l'offense commise;
3o Dans le cas prévu par l'article 18, même chapitre, les personnes ayant demandé réparation;
4o Dans le cas prévu par l'article 16 du chapitre III, les membres de l'association ou corporation ayant envoyé individuellement des cartels à l'offensant;
5o Toute personne notoirement connue pour avoir violé les règles et conditions du duel;
6o Tout témoin notoirement connu pour avoir été complice de la violation précitée, ou pour l'avoir sciemment autorisée.
Art. 3.—Un père, un frère, un fils, enfin un parent au premier degré, ne peut être témoin de son parent ni contre son parent.
Art. 4.—Chacun a le droit de remercier ses témoins et d'en choisir d'autres avant le combat.
Art. 5.—Dans ce cas il doit immédiatement notifier aux témoins de son adversaire sa détermination; il doit leur notifier également son nouveau choix.
C'est alors aux nouveaux témoins choisis à se rendre chez les témoins de l'adversaire.
Art. 6.—Réciproquement, les témoins choisis peuvent se retirer avant le combat.
Art. 7.—Dans ce cas, ils doivent remettre leurs pouvoirs à leur client, lequel alors devra se conformer aux prescriptions de l'article 5.
Art. 8.—Les témoins doivent être au nombre de deux pour chacun des combattants dans tous les duels. (Voir les Observations, page 227.)
Art. 9.—Les témoins de celui qui demande le cartel doivent aller trouver ceux de l'adversaire ou leur écrire pour convenir d'un rendez-vous, procéder à l'examen de l'affaire, et régler, s'il y a lieu, les conditions de la rencontre.
Art. 10.—Les témoins doivent juger de la nécessité ou de l'inutilité de l'affaire, en dire leur avis à celui dont ils prennent la charge en se reportant à l'article 13 du chapitre III.
Art. 11.—Après avoir reçu les instructions du champion qu'ils assistent, afin de ne laisser échapper aucune chance qui lui soit avantageuse, ils doivent se réunir.
Art. 12.—Cette réunion a pour but d'étudier ensemble consciencieusement l'affaire.
Après avoir examiné les questions préalables afférentes: à l'identité, à l'âge, à la situation physique, à la moralité, tant sous le rapport des personnes que sous celui des motifs apparents ou réels de la querelle, ils doivent reconnaître les antécédents, s'il en existe; établir leur accord sur les faits; suspendre même la séance, quitte à la reprendre le plus vite possible, pour prendre de nouvelles informations; ne rien négliger pour que cette constatation des faits soit établie et admise partout. (Voir les Observations, page 228.)
Art. 13.—Les faits étant établis, il y a lieu à déterminer la nature et la valeur de l'offense ou des offenses, s'il en existe des deux côtés; à déterminer enfin quel est l'offensé, et dans quelle catégorie il peut se ranger.
Art. 14.—Les témoins doivent alors faire tous leurs efforts pour arranger l'affaire, si elle est arrangeable.
L'arrangement, convenu entre les témoins, doit être relaté en termes précis et explicites, dans un procès-verbal fait à double expédition, daté et signé par les quatre témoins.
Ce procès-verbal doit faire mention expresse de l'acceptation dudit arrangement par les parties, et certifie qu'il a été exécuté, dans sa teneur et sans plus, en présence des signataires.
Une expédition du procès-verbal est conservée par chacune des parties. (Voir Remarques sur l'art. 41, page 263.)
Art. 15.—Tout arrangement étant reconnu impossible, les témoins doivent discuter les armes, en attribuer le choix à celui auquel il appartient, décider des distances, établir les conditions du duel, fixer le lieu, le jour et l'heure du rendez-vous. Ils doivent aussi convenir, en se conformant aux règles établies, de tous les points essentiels, afin d'éviter toute difficulté sur le terrain.
Art. 16.—Les témoins doivent chercher à obtenir, dans les limites du possible, les conditions les moins désavantageuses pour celui qu'ils assistent. Le respect pour la vérité, la justice, les formes les plus courtoises doivent régner dans leurs conférences.
Art. 17.—S'il y a dissidence entre les témoins, ils peuvent, ils doivent dans cette occurrence, choisir parmi les hommes les plus honorables et expérimentés, un tiers arbitre, pour les départager.
Art. 18.—Les témoins doivent déclarer, en premier lieu, quelles sont les armes choisies par leur client, et se conformer aux articles 28, 29, 30 et 31 du chapitre Ier.
Art. 19.—Les témoins doivent aussitôt avertir les combattants des conditions qui ont été fixées dans leur conférence, les leur faire ratifier en leur faisant promettre de s'y conformer honorablement.
Art. 20.—Dans un cas grave, si l'insulte est patente, s'il ne peut y avoir de discussion sur les armes, si chacun des combattants est propre à s'en servir, que le rendez-vous donné ait été accepté, que le duel ait été choisi par les deux adversaires, les témoins appelés, après avoir usé de leur droit de contrôle, peuvent consentir aux conventions déjà faites, veiller à l'exécution loyale du combat qui a lieu selon les règles prescrites au Ier chapitre, de chaque arme.
Art. 21.—Les témoins d'un jeune homme doivent éviter de le laisser battre avec un homme âgé de plus de 60 ans, à moins que le jeune homme n'ait été gravement injurié ou frappé par celui qui a passé l'âge des combats. Ils doivent exiger que ce dernier lui envoie, par écrit, l'appel ou son acceptation de l'appel. Son refus d'écrire équivaut à un refus de duel. Dans ce cas, tous les témoins réunis en dressent un procès-verbal qui doit suffire à l'honneur offensé du jeune homme. (Voir Observations, page 251.)
Art. 22.—Aucun témoin ne doit, ni proposer, ni accepter la condition que le duel soit à mort. Toutefois les témoins peuvent convenir, s'il s'agit d'une affaire grave, que le duel est à outrance, c'est-à-dire qu'il doit continuer jusqu'à ce que l'un des champions soit déclaré hors de combat; ils peuvent même admettre la faculté de changer d'armes si l'offensé se trouve dans le cas du 30e article du chapitre Ier.
Art. 23.—Les témoins ne doivent jamais permettre à un maître d'armes de choisir son arme professionnelle, à moins qu'il ne se trouve dans le cas prévu par l'article 30 du chapitre Ier.
Dans ce cas exceptionnel, le maître d'armes doit abandonner le choix des armes à son adversaire; ce sacrifice est imposé aux professeurs d'escrime par la dignité même de leur profession.
Art. 24.—Les témoins peuvent refuser l'épée, s'il s'agit d'un homme estropié de manière à ne pouvoir s'en servir, à moins que l'insulté ne soit dans le cas de l'article 30 du Ier chapitre.
Art. 25.—Les témoins d'un borgne peuvent refuser le pistolet, à moins qu'il ne soit l'agresseur, et que l'insulté soit dans le cas des articles 29 et 30 du Ier chapitre.
Les témoins d'un homme ayant perdu le bras droit peuvent refuser le sabre ou l'épée, à moins qu'il ne soit l'agresseur et que l'insulté ne soit dans le cas de l'article 30 du Ier chapitre.
Art. 26.—Les témoins d'un homme ayant perdu une jambe peuvent refuser le sabre ou l'épée, à moins qu'il ne soit l'agresseur et que l'insulté ne soit dans le cas de l'article 30 du Ier chapitre. Mais si les témoins font ce refus, ceux de l'insulté, dans telle catégorie qu'il soit, choisissent parmi les duels au pistolet, son duel et ses distances.
Art. 27.—Les témoins ne doivent jamais permettre que le fer puisse être détourné, avec la main gauche, même par convention réciproque. Cette convention, du reste, peut toujours être refusée par l'agresseur.(Voir chap. VI, art. 16, Du duel à l'épee.)
Art. 28.—Les témoins sont déclarés responsables de tous les faits relatifs au duel auquel ils ont assisté, sous le bénéfice de se conformer aux prescriptions des art. 40, 41 et 42 du présent chapitre.
Art. 29.—Les témoins doivent convenir entre eux si l'on arrêtera les combattants, pour leur faire prendre haleine; bien entendu avec le consentement des champions sur le terrain.
Art. 30.—On doit éviter de prolonger le repos plus de dix minutes sans faire continuer le combat.
Art. 31.—Les témoins doivent convenir entre eux, sans en faire part à leur ami, si le combat finira à la première blessure donnée ou reçue. La gravité de l'affaire, ou son peu d'importance est en cela leur guide. Ils doivent obtenir l'assentiment des champions sur le terrain.
Art. 32.—Avant de se rendre sur le terrain, les témoins doivent visiter soigneusement les armes, afin de constater qu'elles sont en conformité de l'article 3 du chapitre II. Ils les remettent ensuite aux champions au moment du combat.
Art. 33.—Arrivés sur le terrain, les champions et leurs témoins doivent se saluer courtoisement. Les premiers gardant un silence absolu.
Art. 34.—Les témoins doivent s'assurer que les adversaires ne portent sur eux aucune espèce d'objet pouvant paralyser l'action des armes. Le refus d'un champion à se soumettre à cette visite équivaut à un refus de duel. (Voir exemple no 5, p. 306.)
Art. 35.—Cette visite terminée, le doyen d'âge ou le témoin que le sort a désigné pour diriger le combat, lit les conditions du duel, rappelle aux combattants qu'ils les ont ratifiées et que l'honneur les oblige à s'y conformer exactement. Les champions répondent à cette lecture par un signe d'acquiescement. On leur livre les armes.
Art. 36.—Les places étant tirées au sort et désignées, les champions y sont conduits par les témoins, et doivent attendre le signal.
Art. 37.—Les témoins se placent dans la position désignée par la nécessité de chaque espèce de combat.
Ils sont disposés intervertis, de manière à ce que chaque champion ait à sa proximité l'un des témoins de son adversaire.
S'ils ne sont point armés, ils doivent toujours être pourvus d'une forte canne. Bien entendu que l'usage des cannes à épée est complètement interdit.
Les témoins gardent le silence, s'abstiennent de tout geste et surveillent attentivement le combat.
Art. 38.—Dans le cas où le combat serait arrêté par quelque cause que ce fût, les deux témoins voisins des champions doivent se rapprocher d'eux, les faire rompre, se placer à leurs côtés et les surveiller jusqu'à ce que les deux autres témoins aient pu conférer entre eux et juger si le combat doit cesser ou recommencer.
Art. 39.—Les témoins peuvent parfois arrêter un combat, par consentement entre eux, lorsque les deux champions se sont battus bravement: cela dépend de la nature de l'affaire et des conventions qui ont été posées; ils doivent obtenir l'assentiment des champions. (Voir les Observations, page 260.)
Art. 40.—Les témoins doivent arrêter le combat, à leurs risques et périls, s'ils s'aperçoivent, soit qu'il y ait contravention aux règles établies, soit qu'il y ait blessure, désarmement ou chute.
Art. 41.—Les témoins doivent, si l'affaire se passe contre les règles, en dresser un procès-verbal et poursuivre l'auteur de l'infraction devant les tribunaux par toutes les voies de droit en leur pouvoir.
Art. 42.—Les témoins de la partie contre laquelle une plainte en contravention ou assassinat vient s'élever sont engagés d'honneur à déclarer la vérité. Cette faute, d'ailleurs, ne peut retomber sur eux, à moins qu'ils ne se soient montrés négligents, qu'ils ne soient complices ou même qu'ils n'aient prêté main forte, ce qui ne peut être jamais supposé sans de graves motifs.
Art. 43.—Les témoins ne sont pas des seconds; chaque second doit avoir ses témoins; si c'est à ce titre qu'ils ont été choisis par leur ami. (Voir les observations, p. 265.)
Art. 44.—Nul témoin ne peut accepter un duel immédiat. Cet appel est une affaire nouvelle d'une nature toute différente.
Art. 45.—Tous témoins recevant un appel d'autres témoins au sujet du duel où ils assistent, s'ils ont raison dans la discussion qui donne lieu à ce nouvel appel, prendront le rang de l'offensé, selon l'article 30 du Ier chapitre.
Art. 46.—Les témoins doivent s'abstenir de toute discussion et surtout de toute polémique par la voie de la presse, au sujet de l'affaire à laquelle ils ont assisté.
Art. 47.—Les témoins, lorsqu'ils reconnaissent la nécessité de donner satisfaction à l'opinion publique, peuvent s'entendre pour livrer à la publicité le procès-verbal.
Art. 48.—Il est formellement interdit aux témoins d'entamer aucune polémique au sujet de leur participation aux faits relatés sur le procès-verbal de duel signé par eux.
Ils ne doivent compte de leurs actes qu'à leur conscience et à la justice, lorsqu'ils sont légalement interpellés par elle.
OBSERVATIONS.
Nous ne saurions mettre trop d'insistance pour inviter nos lecteurs à concentrer leur attention sur le chapitre IV.
Dans un code du duel, nous l'avons précédemment noté, le chapitre consacré à établir les devoirs des témoins constitue la clef de la position.
Ces devoirs se multiplient suivant les circonstances, et, sur cette matière, on pourrait écrire de belles et nombreuses pages.
Nous avons essayé d'en parler plus brièvement, sans pourtant négliger d'insister sur les points les plus essentiels, à notre sens, dans les affaires d'honneur.
Le chapitre qui précède, Devoirs des témoins, est donc le plus important; aussi, nos lecteurs nous ont-ils vu, dans notre conclusion, faire peser entièrement sur eux la responsabilité des duels et de leurs conséquences.
SUR L'ARTICLE 2.
Dans le choix que l'on fait de ses témoins, si la bravoure est quelque chose, si la fermeté n'est pas moins appréciable, si l'expérience est beaucoup, la moralité est plus encore, car ils doivent loyalement apprécier les faits, chercher à arranger l'affaire. Une parole acerbe d'un témoin mal élevé ou mal intentionné peut empêcher, non seulement l'arrangement d'une affaire, mais encore en aggraver les conditions. Une imprévoyance, un oubli dans la discussion de l'affaire, peuvent compromettre la vie d'un honnête homme. Une négligence, une distraction de la part d'un témoin, pendant le combat, peuvent amener les mêmes conséquences. Il appartient aux témoins de fixer des conditions équitables pour le duel. Pendant le combat, ils doivent veiller à la stricte exécution des règles du duel et des conditions particulières qui ont été adoptées. Après le combat, ils deviennent juges impartiaux et sévères de l'honorabilité de la rencontre, et enfin, jurés vengeurs de la victime qui aurait succombé par suite de la violation des règles et des conventions établies.
Ces devoirs multiples ne sont pas toujours très faciles à remplir; aussi, nous sommes-nous cru autorisé à conseiller à tout homme sérieux de ne choisir comme témoins que des personnes d'une honorabilité reconnue, autant que possible expérimentées.
Les prescriptions de cet article sont donc pleinement justifiées par le rôle important et décisif que nous avons assigné aux témoins.
La première qualité du témoin, avons-nous dit, c'est l'honorabilité; vient ensuite l'impartialité, et enfin les autres qualités, telles que l'intelligence, la capacité, la fermeté, etc.
Or, des personnes intéressées peuvent-elles être impartiales?
Les personnes contemplées dans les deux derniers alinéas du présent article peuvent-elles inspirer plus de confiance?
L'évidence décidera; elle n'a parfois que trop décidé.
SUR L'ARTICLE 3.
Le rôle assigné aux témoins dans les affaires d'honneur, fait voir qu'ils ne peuvent être choisis parmi les parents du 1er degré.
Un parent proche peut-il juger avec impartialité et sang-froid les actes de son parent?
Peut-il connaître, évaluer et apprécier ses torts? Pourra-t-il se résoudre à dénoncer une irrégularité commise par son parent?
SUR LES ARTICLES 4, 5, 6 ET 7.
Une inviolable discrétion est le devoir le plus essentiel du témoin. En aucune circonstance, il ne peut violer le secret de son entretien confidentiel avec celui qui a réclamé son concours.
Ainsi, il peut arriver qu'un champion dise à son témoin: «J'ai des raisons particulières pour désirer que cette affaire aboutisse à une rencontre. Ces raisons naissent de précédents qu'il est impossible de faire connaître. Montrez-vous exigeant pour la satisfaction demandée, n'insistez pas trop pour l'obtenir, afin de ne pas me mettre dans l'obligation de l'accepter...»
Un autre dira aussi: «Montrez de la fermeté, mais faites tous vos efforts pour que l'affaire s'arrange. Je veux sauver mon honneur, mais j'ai des motifs pressants pour ne point me battre. Une rencontre, même me fût-elle favorable, porterait de très grands préjudices à mes intérêts. La plus petite satisfaction compatible avec mon honneur me suffit...»
Si les instructions données à un témoin ne lui paraissent pas devoir s'accorder avec sa délicatesse, son honneur ou même ses convictions, il doit, après avoir fait ses observations, se récuser en conservant, toutefois, le secret professionnel, sous peine d'être considéré lui-même comme manquant de délicatesse et d'honneur.
Si c'est un droit pour les témoins de juger de la nécessité ou de l'inutilité de l'affaire pour laquelle leur concours est demandé, réciproquement, si dans l'entrevue préliminaire et confidentielle qu'ils ont avec leur client, ils soutiennent une opinion différente de la sienne, ce dernier est en droit de les remercier.
Jusqu'au moment de la rencontre le droit de réparation appartient également au champion comme aux témoins. Ainsi, supposé que des témoins proposent à leur client un arrangement, qu'à tort ou à raison, il regarde comme incompatible avec son honneur, il ne doit point attendre le moment tardif de la rencontre pour refuser d'accepter cet arrangement. Il doit, à l'instant même, remercier ses témoins et en choisir d'autres immédiatement.
Sans doute, s'il est du devoir des témoins d'apporter dans les conférences, le calme et la conciliation, ils ne doivent pas moins considérer avant tout les exigences du point d'honneur, soutenir avec fermeté mais avec les formes les plus courtoises, les droits de leur client, suivre l'impulsion de leur cœur et n'accepter que les arrangements ou les conditions qu'ils seraient disposés à accepter pour eux-mêmes.
Ce serait un très grand tort pour un témoin que de paraître accepter les instructions de son client, de s'en écarter ensuite sans son aveu et, après des pourparlers trop longs et inutiles, de conclure un arrangement défectueux, sous prétexte que l'affaire n'en vaut pas la peine!
Si l'on pense que l'affaire n'en vaut pas la peine, pourquoi ne pas le faire observer et se récuser de prime-abord? La raison la voici: on ne croit pas devoir laisser passer une bonne occasion de se poser dans la société comme un esprit conciliateur, de s'attirer les sympathies de certaines douairières (qui, s'entend, pensent tout différemment que nos aïeules d'autrefois), de quelques jeunes femmes à têtes légères, des indifférents, voire même des intéressés qui, dans un moment donné, pourront s'en montrer reconnaissants!...
N'a-t-on pas vu, cela n'arrive pas souvent il est vrai, des témoins éloignés de leur client, écrire aux témoins adversaires qu'ils abandonnent l'affaire, et cela, sans en avoir conféré préalablement avec leur client et sans lui avoir remis leurs pouvoirs!
L'usage de recevoir les regrets ou excuses valables et suffisantes présentés soit par un champion, soit même par ses témoins, doit être conservé, mais seulement à titre de principe général.
Ici l'adage: Point de règle générale sans exception, peut rencontrer son application. Ce serait sans doute manifester un entêtement et une animosité regrettables que de ne point se contenter d'excuses déclarées bonnes et acceptables par tous les témoins. Mais ce principe ne peut être établi comme règle absolue. En effet, indépendamment des observations que nous avons faites plus haut au sujet des excuses présentées tardivement sur le terrain, il y aurait un grand inconvénient social à accorder ainsi aux querelleurs et aux méchantes langues toutes facilités d'offenser à volonté, quitte à donner cours au stock d'excuses et de regrets toujours préparé dans leur poche, dans le cas où on leur demanderait raison. Il faut aussi tenir compte d'une offense isolée et des offenses aggravées par des précédents. On comprend que dans ces cas particuliers l'offensé, craignant que la méchanceté ne suinte à travers le blindage des excuses, désire couper court à tout, au moyen d'une réparation plus sérieuse.
Il appartient donc aux témoins tenant compte du principe général, de juger et d'apprécier la situation et de se servir de l'arme mise à leur disposition par l'article 13 du chapitre III, en déclarant que le champion qui a refusé les excuses suffisantes, perd le droit de l'offensé et que les chances de la rencontre sont soumises à l'arbitrage du sort.
Ce serait commettre un acte d'injuste obstination et, de plus, un manque de tact que de refuser d'accepter des regrets ou excuses valables et suffisants présentés spontanément et en temps utile, par un homme qui se serait oublié envers vous et auquel ses convictions religieuses défendraient de vous offrir une réparation par les armes.
Bien que l'oubli d'un instant soit parfaitement compatible avec la faiblesse humaine, quiconque manifeste ainsi son respect pour les préceptes de notre sainte religion ne saurait négliger trop souvent la pratique de la charité chrétienne qui commandite merveilleusement les instincts de bonne compagnie, et prescrit essentiellement la tolérance, l'urbanité, la courtoisie soit dans les discussions politiques ou autres, soit dans tous les rapports avec le prochain.
Les convictions religieuses sont toujours respectables et doivent toujours être respectées. Nous ne mentionnerons donc pas ici un tort bien grave, frisant même la lâcheté, celui de chercher querelle, de commettre quelque malhonnêteté ou offense envers un homme que l'on saurait ne pouvoir en poursuivre la réparation par les armes. L'opinion publique et tous les gens sensés s'uniraient pour flétrir une pareille conduite.
Des témoins sérieux ne manquent pas de dépister les chercheurs d'affaires. Quelquefois un débutant dans la presse, un jeune homme désire se poser en gentleman aux yeux d'une famille, d'un cercle, d'une société. Pour ce faire, il lui faut un duel. A la première occasion, il s'accoste sous un léger prétexte à une personne qui lui plaît plus ou moins; il en reçoit une réponse plus ou moins sèche. Voilà l'affaire trouvée! Le lendemain, il s'empresse d'envoyer ses témoins. Il se peut même parfois qu'il rencontre un adversaire animé des mêmes intentions qui accepte purement et simplement la provocation. Tout va donc pour le mieux.
Mais des témoins sérieux et honorables ne se prêtent pas ainsi à une rencontre, sans examen préalable.
Ils éventent la mine, proposent un accommodement honorable pour les deux parties et, en cas de non-acceptation par l'une d'elles ou par toutes les deux, déclarent carrément que la cause est futile, qu'ils se récusent et ne peuvent les assister.
Quant aux batailleurs, aux querelleurs d'habitude, l'anathème prononcé contre eux par l'opinion publique, les empêche de trouver facilement des témoins. Encore faut-il, pour qu'ils en trouvent, que l'offense dont ils entendent demander la réparation soit parfaitement établie et n'ait été amenée par aucune provocation de leur part.
Disons un mot sur les lâcheurs.
Ces messieurs au verbe haut et aux allures dédaigneuses, entament une discussion dans un cercle ou dans une réunion quelconque; après quelques paroles échangées, leur interlocuteur leur signifie que s'ils ont quelque explication à lui demander, ils peuvent s'adresser à son domicile.
Au lieu d'accepter ou de s'incliner et de cesser l'entretien, ainsi que les bienséances les y convient, ces messieurs continuent l'altercation et bientôt reçoivent de leur interlocuteur impatienté quelques apostrophes vives et mêmes insultantes. Alors ils crient à l'offense, et le lendemain on apprend qu'ils se sont adressés à la justice pour obtenir réparation.
Sans nul doute, on ne peut leur contester le droit de s'adresser à la justice, quittes à s'exposer aux appréciations diverses de la société dans laquelle ils vivent.
Mais ils ne s'en tiennent pas là. Pour justifier leur conduite, ils racontent l'affaire à leurs amis et connaissances en disant: «Si nous avions affaire avec des personnes comme vous, nous nous battrions certainement, mais avec des gens tels que M. un tel on ne saurait se compromettre, etc., etc.»
De tels propos constituent une injure bien grave pour la personne qui en est l'objet et exposent ceux qui les tiennent à de vives représailles.
Personne n'est autorisé à décerner ainsi, ad hoc et dans sa propre cause, des brevets d'indignité.
La loi seule déclare l'indignité des citoyens contre lesquels elle a prononcé des peines infamantes.
Subsidiairement, la société déclare parfois notoirement indignes ceux qui ayant fraudé la loi ont commis des actes d'indélicatesse, réprouvés dans son sein. En dehors de cette notoriété admise, aucun individu n'est en droit de décerner un brevet d'indignité à qui que ce soit. Aussi l'opinion publique n'est-elle point dupe de ces fanfaronnades inconvenantes; elle décerne à son tour à leurs auteurs le brevet de lâcheurs (pour ne pas employer une expression plus énergique).
Il va sans dire que la juridiction du point d'honneur ne confirme en rien les brevets d'indignité que se distribuent journellement et réciproquement les hommes de parti dans leurs discussions politiques.
Aux yeux du point d'honneur, l'action qualifiée indélicate, seule, comporte l'indignité pour quiconque l'a commise, quel que soit le parti politique auquel il appartient.
Cet acte d'indélicatesse ne saurait être excusé par un motif dit «politique». Quiconque refuse un appel en opposant la question préalable de l'indignité de l'adversaire prend vis-à-vis de ce dernier le rang de demandeur.
C'est donc à lui qu'il appartient de prouver l'indignité qu'il allègue comme motif de son refus.
L'indignité acquise par une personne réputée possédant l'âge et l'état de discernement ne s'efface point par la prescription.
Dans une querelle motivée par une discussion d'intérêts pécuniaires, suscitée par un débiteur, les témoins ne doivent point autoriser la rencontre, à moins que le débiteur n'ait purgé sa dette.
Ce serait vraiment un trop beau privilège accordé aux spadassins et aux bretteurs que celui de pouvoir mener la vie à grandes guides aux dépens d'autrui, de posséder la facilité toute spéciale de purger leurs dettes au moyen de deux pouces de lame ou d'une balle de pistolet. En pareil cas, les témoins doivent rejeter énergiquement le cartel et signaler le motif de leur refus dans un procès-verbal qui suffit pour sauvegarder l'honneur du créancier.
Le cas est bien différent, si le cartel est envoyé au débiteur par le créancier. Nous pensons néanmoins que les témoins doivent blâmer une pareille rencontre et refuser d'y assister. Ce n'est point en plein XIXe siècle qu'il convient de revenir aux coutumes des siècles barbares, pour la décision des intérêts matériels en champ clos.
Aujourd'hui l'opinion publique regarde avec juste raison les intérêts matériels ou pécuniaires comme appartenant entièrement à la compétence de la juridiction civile.
La juridiction du point d'honneur ne peut, ne doit être invoquée que pour sauvegarder le bien moral le plus important pour l'honnête homme: l'honneur! Soit! nous dira-t-on, les dettes de jeu sont en dehors de la loi civile: ce sont des dettes d'honneur! Dans une querelle de jeu, ce n'est pas la quotité matérielle de la dette qui fait l'objet de la discussion; c'est l'honorabilité des contendants qui est en question, par le déni de l'un et par l'affirmation de l'autre. Notre réponse sera la demande suivante:
Quel est l'homme honorable, jaloux de conserver la considération dont il jouit, qui, en présence du déni d'une dette contractée envers lui sur le tapis vert, ne préfère pas abandonner son droit, admettre même, ce qui ne trompe personne, qu'il s'est trompé, qu'il a pu faire erreur, pour éviter une querelle ou une rencontre de jeu toujours blâmée dans la bonne société? Quel est le témoin sérieux qui n'approuvera pas cette conduite?
Le verdict sévère de opinion publique ne suffît-t-il pas pour faire justice du débiteur déloyal, peu soucieux du respect envers la foi jurée?
SUR L'ARTICLE 8.
Suivant l'opinion d'un certain nombre de personnes, un témoin de chaque côté suffirait à la rigueur pour le duel à l'épée. Il est plus difficile, disent-ils, d'obtenir une entente entre quatre témoins qu'entre deux... Le secret connu d'un moindre nombre de personnes est plus facile à garder. L'épée est l'arme la moins dangereuse et la plus connue... Il est plus difficile de trouver quatre témoins...
Nous regrettons de ne pouvoir nous rendre à ces raisons. Nous sommes bien loin de regarder l'épée comme une arme moins dangereuse que les autres armes, nous sommes encore plus loin d'être persuadé que le combat à l'épée soit plus facile à surveiller et à diriger que les autres combats.
Nous croyons donc quatre témoins aussi utiles dans les duels à l'épée que dans les autres combats.
Quatre témoins discutent l'affaire d'une manière plus approfondie et, par conséquent, peuvent plus facilement trouver le moyen de l'arranger; ils établissent les conditions d'une manière plus équitable.
Il est évident que dans le combat ils sont plus en force pour maintenir les conditions établies.
Il est plus difficile de les voir s'entendre tous, pour cacher les irrégularités qui pourraient s'y commettre.
Nous persisterons donc à conseiller de prendre quatre témoins dans toutes les rencontres.
Identité.—Il est de toute importance que MM. les témoins mettent toute leur sollicitude et leur intelligence dans l'examen de la question de l'identité.
Les offenses sont personnelles, et doivent être relevées par celui-là même qui les a reçues.
Sauf le cas prévu au chapitre Ier, articles 22, 23, 24, toute substitution de personne est absolument interdite; soit que cette substitution soit demandée officiellement, soit qu'elle ait été amenée d'elle-même ou avec intention.
L'action de requérir contre son ennemi personnel le bras d'un tiers, n'est-elle pas, avec juste raison, considérée comme le plus pervers, comme le plus sûr des guet-apens?
S'il est bien vrai que les champions, vicaires, bravi, sicaires ne soient plus de mode de nos jours, il est nécessaire de repousser par la question préalable toute substitution de personnes permettant de donner des successeurs contemporains à ces coupe-jarrets du moyen âge dans la personne de certains brigands en gants paille, de certains chevaliers d'industrie, toujours disposés à prostituer leurs bras aux caprices des passions du plus offrant.
Dans les offenses de personne à personne, la constatation de l'identité des adversaires ne présente généralement aucune difficulté. Il n'en est pas de même dans les offenses par le moyen de la presse.
La responsabilité d'un article offensant appartient de plein droit au signataire de l'article, soit qu'il signe de son propre nom, soit d'un pseudonyme connu, ce qui est facile à connaître.
Toutefois, ici, le duel par mandat, en vertu d'une substitution de personne, n'est point impossible. La fraude peut se glisser, car, moyennant finance, il n'est que trop facile de disposer d'une signature de complaisance. Si l'on en peut acquérir la preuve simplement morale, le véritable auteur de l'article peut être recherché.
En seconde ligne, vient le directeur ou rédacteur en chef du journal. Sans son visa, aucun article ne doit être inséré dans son journal; à défaut par lui de faire connaître le nom du véritable signataire, il est responsable.
En troisième ligne, enfin, faute du directeur ou de rédacteur en chef connu ou désigné par le public, vient le gérant, qui est ordinairement un homme de paille admis par la légalité pour répondre à la justice. La juridiction du point d'honneur n'admet point les hommes de paille; elle veut atteindre exclusivement l'auteur, aussi n'accepte-elle la responsabilité du gérant qu'en dernière ligne, et faute de mieux.
D'après ces réflexions, faute de signature, le directeur ou rédacteur en chef est responsable personnellement des offenses faites par son journal. Il ne peut déléguer cette responsabilité à un de ses amis ou collaborateur tant pour donner réparation d'une offense faite par son journal, que pour poursuivre la réparation d'une offense faite à lui-même ou à son journal.
Que si l'on voulait admettre la possibilité de cette substitution de personnes, alors, à la rédaction de chaque journal seraient bientôt attachés un ou plusieurs travailleurs du champ clos, payés et destinés à soutenir les offenses faites par le journal et à poursuivre les réparations des offenses qui pourraient être faites au journal et à son directeur.
Voici pour les principes généraux, cependant dans quelques petits journaux, de province surtout, chaque journal a bien un rédacteur, un gérant attitré. Ce personnel est suffisant pour répondre devant la loi; mais derrière ce personnel officiel se trouve parfois un directeur in partibus lequel est l'âme du journal: ce directeur occulte est bientôt connu et désigné par le public.
Voulez-vous obtenir une insertion quelconque, vous vous adressez au rédacteur. Il verra et vous rendra bientôt réponse, ou bien même il vous dira naïvement qu'il en parlera à M. R.... Enfin, vous êtes à votre cercle, vous montrez à vos amis une note intéressante sur le phylloxera, l'un d'eux vous la demande en vous disant qu'il la remettra à M. R..., pour être insérée dans son journal.
Un beau jour paraît un article blessant un de vos amis. Il est de suite attribué au directeur occulte dont nous venons de parler: il est facile de reconnaître son style et ses allures. Votre ami ne sera-t-il pas en droit de se prévaloir de la désignation du public, pour demander raison à M. le directeur occulte? Sans nul doute, les répondants officiels peuvent suffire vis-à-vis de la loi; mais la juridiction du point d'honneur recherche l'auteur réel de l'offense et l'atteint si elle peut le découvrir.
Ce serait sans doute bien commode de pouvoir frauder la loi et de se permettre, sans risques ni périls, de déverser le ridicule ou la méchanceté sur ses concitoyens.
Age.—En ce qui touche la question d'âge entre les adversaires, relativement à l'âge sénile, nous nous en référons aux articles 22 et 23, chapitre Ier; article 21, chapitre IV, et aux observations relatives aux articles précités.
Quant à la minorité, nous croyons devoir distinguer, vis-à-vis du point d'honneur. Il y a selon nous deux catégories de mineurs.
La première comprend les mineurs non seulement reconnus comme tels par la loi, mais même par la société. Cette classe d'adultes a donc la minorité légale et sociale, c'est-à-dire la minorité complète; elle comprend les jeunes gens qui sont encore sur les bancs du collège ou n'ont point encore fait leur entrée dans le monde; elle est encore entièrement sous la tutelle paternelle. C'est spécialement ceux qui appartiennent à cette catégorie que nous regardons comme des mineurs, jouissant du bénéfice de la protection de leurs ascendants ou de leurs frères majeurs, exclus par ce fait même ou par la question préalable de l'âge, du droit de figurer dans les rencontres tant comme acteurs que comme témoins.
La deuxième catégorie comprend les mineurs ayant la minorité légale, mais jouissant d'autre part d'une situation que nous appelons abusivement majorité sociale. Ce sont des jeunes gens ayant terminé leurs études, déjà admis dans la société. Tels que les élèves de nos universités, étudiants en droit, médecine; élèves de nos grandes écoles supérieures, engagés ordinaires, engagés volontaires, volontaires d'un an, dans l'armée; on ne saurait en pratique leur appliquer la question préalable de l'âge. Ils sont donc admissibles à adresser, à recevoir des appels et répondent personnellement de leurs actes.
Cette majorité sociale forme un temps de transition entre la minorité réelle, et la majorité légale fixée à 21 ans.
Point de doute que ce temps de transition entre la faiblesse et l'entière possession des forces physiques et morales, ne doive être considéré dans les discussions, dans les démarches conciliatrices des témoins.
Dans les cas de rencontre entre deux de ces jeunes gens et principalement dans le cas d'une rencontre entre l'un de ces mineurs avec un individu ayant la majorité complète, les témoins doivent nécessairement chercher à se prévaloir de cette situation particulière pour établir et mitiger les conditions du duel.
Condition physique.—La situation physique relative des adversaires doit être certainement prise en grande considération par MM. les témoins, mais nous ne saurions accorder à l'impotence le bénéfice de la question préalable. Certainement nos articles 24, 25 et 26 donnent lieu à des critiques et à des observations, nous ne nous le dissimulons pas, mais M. de Chateauvillard et ses collaborateurs ont surmonté les mêmes appréhensions. Leur œuvre a été approuvée par des signatures nombreuses et tellement autorisées que, pour notre part, nous ne nous sentons pas de force à établir une divergence sur un sujet de cette importance.
L'injure contre l'honneur, la calomnie contre un homme honorable et une famille, pénètrent-elles moins facilement dans la société; y rencontrent-elles moins de créance, sont-elles sous une influence moins pernicieuse, lorsqu'elles sont dues à un impotent que lorsqu'elles procèdent d'un homme valide?
Admettre la question préalable en faveur de l'impotent serait lui accorder par diplôme le droit d'outrage. Tout ce que nous croyons pouvoir accorder, c'est que la situation physique soit l'objet d'un sérieux examen de la part des témoins, qu'elle exige de leur part un redoublement d'énergie dans les démarches conciliatrices: mais nous leur demanderons en outre une louable fermeté, une sollicitude extrême pour chercher à atteindre, dans la limite du possible, une raisonnable égalité de chances et à mitiger les conditions de la rencontre, si la gravité de l'affaire la rend malheureusement inévitable.
Moralité des personnes et des querelles.
L'appel d'un homme honorable n'est admissible qu'avec un homme reconnu comme en possession d'une égale honorabilité. Toute personne contre laquelle l'opinion publique a prononcé l'indignité est exclue de la juridiction du point d'honneur. Le recours à la justice ordinaire lui est ouvert.
Lorsqu'une personne est poursuivie devant les tribunaux ordinaires pour un délit quelconque pouvant entacher son honorabilité, les témoins doivent tenir en suspens tout appel adressé ou reçu par cette personne jusqu'à ce que la sentence soit prononcée.
Une condamnation judiciaire n'entraîne pas toujours avec elle l'indignité; cela dépend de l'appréciation du motif sous le point de vue de l'honneur et de la délicatesse.
Par contre, un acquittement prononcé faute de preuves légales, n'exempte pas toujours de l'indignité, cela dépend du verdict prononcé par l'opinion publique sur les circonstances et preuves morales résultant des débats.
Un étranger, lequel n'a pas encore acquis une notoriété prouvée par suite d'un long séjour dans le pays, est naturellement sujet, en cas de querelle, à un examen de la part des témoins qui sont en droit de lui demander ses références auprès des agents diplomatiques de son pays. Il n'a aucun droit de s'étonner de leur démarche, et encore moins de se refuser à produire les justifications demandées. Son refus entraînerait la question préalable.
Nous avons été nous-même dans l'occasion de soulever cette question préalable en faveur de l'un de nos subordonnés.
En 185... nous commandions le 1er escadron de Savoie-cavalerie. Un flibustier contrefaisant à merveille le gentleman vint chercher d'abord à nuire à l'un de nos jeunes subordonnés dans l'esprit du colonel par une lettre dans laquelle, en demandant son intervention pour obtenir la réparation de torts qu'il reprochait au jeune homme, il laissait percer l'éventualité d'une demande en réparation par les armes, si le colonel n'accédait pas à ses désirs. Cette missive était accompagnée de diverses lettres de recommandation portant des signatures de personnes parfaitement connues par le colonel et par nous et d'une notoriété distinguée dans la société de Turin.
Le colonel, suivant son habitude, remit l'affaire entre les mains du capitaine commandant en lui demandant son avis.
Nous soulevâmes immédiatement cette objection: toutes ces recommandations qui peuvent être données par complaisance à un étranger que l'on a rencontré dans les cercles ou dans les établissements thermaux, ne présentent point une caution suffisante pour suppléer au défaut de références honorables auprès des agents diplomatiques de son pays.
Le flibustier vint en personne nous parler en nous apportant une recommandation d'une personne très distinguée de nos connaissances, adressée à nous-même.
Parfaitement autorisé à conduire cette affaire à notre guise, nous lui répondîmes simplement ceci: «Monsieur, en vous adressant au colonel, vous n'étiez point sans doute informé que les colonels de Sa Gracieuse Majesté le roi Victor-Emmanuel ignorent toujours les affaires d'honneur de leurs subordonnés jusques après les faits accomplis. A ce moment, commence seulement leur ingérence d'appréciation. Ainsi donc, si vous avez quelque compte à régler avec M. de X***, vous avez le champ libre, vous pouvez vous adresser directement à ce jeune homme dans les formes usitées entre gentlemen de votre sorte; sa réponse sera satisfaisante, comme il est d'usage dans notre régiment.»
Deux bons témoins, choisis par nous, devaient déclarer aux témoins adversaires que leur client était à la disposition de ce monsieur, mais à la condition sine quâ non qu'il témoignât de sa position d'honorabilité par le moyen de références positives, émanant du représentant diplomatique de son pays.
Notre bonhomie toute montagnarde donna-t-elle quelque soupçon? Aucun appel ne fut reçu. L'étranger quitta bientôt la capitale pour aller opérer ailleurs...
Bien des malheurs eussent été évités, s'il nous eût fourni le moyen de le démasquer par notre question préalable.
Ce gentleman accompli, qui avait su se procurer des recommandations de personnes distinguées, n'était qu'un chevalier d'industrie de la pire espèce, pouvant produire de très belles références..... de la Préfecture de police de Paris!
Un homme réputé indigne par l'opinion n'est point sujet à l'appel, même pour des offenses ordinaires commises au moyen de la presse. Sa personne est repoussée par la question préalable, soit par l'excommunication in odium auctoris.
Les appels incompatibles avec la loi naturelle et sociale ont été fixés par l'article 19 et les observations du chapitre III.
Suivant l'article 20 du même chapitre, toute personne ayant réclamé l'appui de l'autorité judiciaire, perd le droit d'adresser un appel pour demander réparation de la même offense (Voir les Observations).
L'appel d'un débiteur à son créancier n'est point admissible à moins que la dette ne soit soldée (Voir article 21, chapitre III, Observations et chapitre IV, Observations).
Dans ce cas, les témoins qui opposent la question préalable à ce cartel doivent consigner leur déclaration dans un procès-verbal qu'ils remettent à l'appelé comme garantie de son honneur.
Il est évident que la situation d'un créancier adressant un appel à son débiteur est complètement différente.
Motifs des querelles.—La tolérance accordée au duel dans la société est motivée par l'insuffisance de la législation ordinaire pour donner réparation satisfaisante à certaines attaques contre l'honneur des individus. Le duel ne peut, ne doit léser en rien la liberté ni les droits de chacun.
Ainsi: le banquier, le capitaliste, seront-ils sujets à recevoir un appel de la part d'une personne à laquelle ils auront refusé un prêt?
Le père de famille sera-t-il exposé à recevoir une demande de réparation de la part d'un prétendant éconduit par sa fille?
Un fonctionnaire civil ou militaire devra-t-il répondre à un cartel adressé par un subordonné qu'il aura réprimandé ou puni dans l'exercice légal de ses fonctions?
Tous les fruits-secs des cinq parties du monde se croiront-ils autorisés à envoyer leurs témoins aux professeurs qui les auront boulés aux examens?
Certes, la négative est évidente!
Toute querelle basée sur des motifs lésant la liberté ou les droits d'autrui ou tirant son origine de motifs vils ou déshonnêtes repoussés par l'opinion publique, est donc sujette à être repoussée par la question préalable. MM. les témoins doivent apporter la plus grande attention à remonter aux antécédents des querelles, à reconnaître les causes occasionnelles, sans s'arrêter à l'apparence, mais en se rendant un compte exact de la réalité.
Plus souvent que l'on ne croit, dans une querelle, le motif apparent n'est point le véritable; il est donc rationnel que les témoins, avant de permettre un duel en connaissent la raison suffisante, et s'enquièrent surtout que cette raison ne soit pas une violation de l'honneur et de la moralité. Toute négligence à cet égard donnerait lieu à l'abus des duels pour les causes les plus déloyales, aux duels par mandat ou par marché, etc., enfin, aux entreprises des spadassins ou chevaliers d'industrie dont nous avons déjà parlé plus haut.
Dans les grandes villes principalement, on rencontre une certaine classe d'individus menant la vie à grandes guides, habitués des tapis verts, ayant leurs entrées dans la bonne société comme dans la société interlope, jouissant d'une réputation d'adresse dans les salles d'escrime et dans les tirs au pistolet, sablant le champagne, souvent en bonne compagnie, dans les meilleurs restaurants. On ne leur connaît ni châteaux en Espagne ni oncles d'Amérique!
Quand dans un cercle ou au théâtre, l'on voit l'un de ces messieurs chercher querelle à un honnête homme pour des motifs assez futiles, n'est-on pas en droit de flairer l'anguille sous roche, et de deviner sous la couverture du viveur, l'un de ces spadassins toujours prêts à mettre leur épée à la disposition de quiconque veut contribuer à leur bien-être, voir même à s'en servir pour leur propre compte dans l'honorable but de chercher finance au dépens d'autrui?
Lorsque MM. les témoins parviennent à démasquer l'un de ces brigands en gants paille, ils doivent agir en conséquence.
Ayant rencontré l'un de nos anciens compagnons d'armes, de l'armée italienne, nous échangeâmes quelques idées sur le duel et précisément sur l'opportunité des réflexions qui précédent.
—Il y a quelques années, nous dit-il, j'ai lu dans un auteur estimé de notre pays, un exemple excellent pour justifier tes observations.
Dans un cercle de l'une de nos grandes villes d'Italie, un certain M. X*** insulte grossièrement au jeu un jeune homme appartenant à une très riche famille. Le jeune homme demande réparation par les armes, et, M. X*** qui ne cherchait pas mieux, accepte et choisit l'épée. La veille de la rencontre, il parvient à se ménager une entrevue avec la mère du jeune adversaire. Il est de première force, dit-il à cette mère éplorée... la vie de son fils est entre ses mains... cependant il y a un moyen certain de sauver cette vie si précieuse... il est jeune, il a la réputation de mener joyeuse vie, mais il n'est heureux qu'en apparence, cette vie dont il a besoin coûte cher à son cœur, car elle est utile à d'autres, à un père qu'il doit sauver du déshonneur... une famille qu'il doit protéger contre la misère, etc., etc... Après avoir piqué la curiosité et excité l'intérêt de la dame, il termine en lui disant qu'il dépend d'elle de sauver son fils, qu'il était de force à se faire blesser par lui à l'avant-bras dès la première passe, à condition qu'elle lui donnât une somme de 25,000 francs dont il avait besoin. Cette somme payable ainsi, savoir: 10,000 francs avant, et 15,000 francs après la rencontre.
Tout fut accepté, le chevalier d'industrie tint fidèlement sa parole, fut blessé au bras à l'endroit indiqué, toucha la somme aux termes fixés, et, pour sauver les apparences, après avoir gardé la chambre pendant quelques jours, il se promena quelque temps le bras en écharpe. Et veux-tu encore savoir quelque chose de mieux? Ce M. X*** eut l'effronterie de se faire présenter à la mère dans son propre salon et par son fils lui-même! Le lendemain, le pigeon reprochait à sa mère d'avoir accueilli trop froidement un adversaire qu'il avait blessé sans qu'il en conservât aucun ressentiment! As-tu entendu?
—Non seulement nous avons entendu, goûté et même retenu, tu en auras plus tard la preuve; mais cet exemple prouve en outre l'injustice d'un usage encore en vigueur en Italie, celui d'accorder le choix des armes à l'appelé, plutôt qu'à l'offensé. Cet usage détestable et contraire à la raison, n'a été introduit que par les adversaires intransigeants, dans le but de diminuer le nombre des provocations, et surtout celui des duels. Il conduit directement au but opposé, en envenimant les querelles. Chacun cherche à escamoter à son profit la provocation; ainsi, au lieu de relever la première offense, on répond par une offense égale ou plus forte, et ainsi de suite, jusqu'à ce que la querelle arrive à un point où la provocation devient indispensable, et le duel également.
Notons en passant que par suite de cet usage, des adversaires qui, moyennant le choix des armes accordé à l'offensé, auraient pu dès le principe consentir à un accommodement, ou tout au moins se rencontrer sans scandale ni ressentiment, se rendent sur le terrain dans de telles conditions de haine et de violence, que des conséquences d'une gravité proportionnelle deviennent inévitables, sous peine d'exciter la risée publique, et contre les champions, et contre les témoins, et contre le duel lui-même.
La solution ridicule doit être, comme tu le peux bien penser, très désirée par les intransigeants...
En résumé, accorder le choix des armes à l'appelé, c'est favoriser les plus lâches et les plus odieux calculs, c'est favoriser l'incivilisation, les querelles injustes et déshonnêtes, les duels par mandat, les marchés; donner le champ libre aux chevaliers d'industrie, aux spadassins toujours prêts à «chercher fortune,» à mettre leur épée à la disposition de tout bailleur de fonds disposé à soutenir leur existence de jouisseurs.
Nous comprenons qu'en Italie, l'unité morale n'étant point encore constituée, il ne s'est point encore formé une majorité sociale assez puissante pour mettre un frein à de pareils abus, mais cela viendra, nous l'espérons, en France...
—Ici, permets-moi de t'arrêter, en France tout comme ailleurs, ces abus peuvent exister également et existent en effet. En voici un exemple que j'ai lu dans le même auteur, si ma mémoire ne me fait point défaut. Ecoute cet exemple, il est di primo cartello ou de great attraction, comme tu aimeras mieux!
En France, sous la monarchie de Juillet, un comte ou baron de M*** se trouvait en mesure d'obtenir la main d'une demoiselle très distinguée et en même temps, le poste de premier secrétaire dans une légation très recherchée.
Au théâtre, il fut bousculé et insulté par un jeune homme, en présence de témoins.
Sa considération vis-à-vis le public, vis-à-vis même sa belle fiancée, tout lui indiquait la route à suivre. Cartel, duel à l'épée, blessure grave, et, tranquillité pendant une convalescence de plusieurs semaines.
Quelque temps après, à son cercle, au milieu d'une discussion sur les maladies de la race bovine, il reçoit tout à coup de l'un des interlocuteurs un démenti des mieux accentués. Nouveau duel, la mauvaise chance le poursuit, son bras droit est profondément labouré par une balle de pistolet.
Pendant sa convalescence, le malheureux comte recevait les visites d'amis ou de soi-disant amis. Un jour, resté seul avec l'un d'entre eux, cet ami plus empressé prend un air mystérieux, lui fait donner sa parole d'honneur de garder le secret le plus absolu sur la communication qu'il va lui faire.
Selon des conjectures basées sur divers indices, circonstances, ou demi-mots, les duels du comte étaient l'effet d'une coalition passée, dont le fil remontait à un seul bailleur de fonds. Ainsi son premier adversaire à l'épée avait touché pour récompense une somme de 2,500 francs environ. Le deuxième au pistolet avait reçu quelques centaines de francs, plus la quittance d'une somme de 3,000 francs et plus à valoir sur une dette de jeu contractée sur parole.
Avant peu de temps, le comte devait encore être exposé à subir une autre querelle basée sur des motifs plus plausibles... et, l'estimable ami prononçait le nom d'un mari...
Mais, objecta le comte, la dame en question l'avait remplacé depuis plusieurs mois; ensuite, le mari bien qu'informé, s'était montré complaisant...
Peu importe répliqua l'ami, le mari a tous les privilèges, il peut ignorer ou savoir comme bon lui semble, ou puiser à son temps et à son heure dans la boîte aux surprises! L'amant actuellement en titre, ancien soldat d'Afrique, notoirement connu par sa vivacité, pourrait revenir à la charge moyennant quelques mille francs, que son ennemi plus que millionnaire mettrait volontiers à sa disposition?... Là-dessus, l'ami se retire non sans avoir embrassé le comte sur les deux joues et lui avoir fait renouveler sa parole d'honneur.
Resté seul, le comte repasse les circonstances de ses deux précédents duels, il se rappelle ces agressions inattendues. S'agirait-il de sa fiancée? Non sans doute, on n'aurait point osé toucher ce chapitre. C'était à la légation que l'on en voulait, car il se rappelait certaines démarches, et certaines offres qui avaient été tentées auprès de lui...
Il valait mieux céder, pour obtenir la tranquillité... Quel meilleur et plus commode intermédiaire pour traiter, que l'officieux ami, qui savait plus qu'il n'en voulait dire, et avait sans doute reçu la mission honorable et confidentielle de venir lui mettre la puce à l'oreille?
Comme tu le penses, la visite de l'ami ne se fit point attendre. Après quelques difficultés inhérentes à la modestie pour accepter ce mandat, après avoir reçu les remerciements du comte pour son adhésion, leur accord fut conclu, par lequel, le comte de M*** moyennant le retrait de sa candidature au poste de premier secrétaire à la légation de X***, aurait à l'avenir sa parfaite tranquillité. Ainsi il advint. Quelques jours après en effet, la place fut donnée à un concurrent que l'on avait peut-être intérêt à éloigner de France, et qui n'y aurait vraisemblablement consenti qu'à la condition d'être appelé au poste qu'il ambitionnait.
L'un des parents très proches affirmait ne point connaître le nom du bailleur de fonds, mais prononçait tout haut le nom de celui qui tenait compagnie à la dame restée à Paris, pour raison de santé.
Ce qu'il y a de plus mauvais dans ces sortes de marchés, c'est que le pigeon lui-même a le plus grand intérêt à cacher sa mésaventure et sa faiblesse.—Est-ce bien clair?
—Sans doute, c'est aussi clair que c'est fâcheux.
Permets-moi de te servir deux autres exemples, lesquels, étant «dans des prix plus modérés», sont tout naturellement plus à la portée des consommateurs.
Ton neveu, Albert de C***, est un parfait gentleman, il parcourt avec succès une honorable carrière; c'est un jeune homme d'avenir. Aussi, as-tu obtenu pour lui la main d'une charmante demoiselle fille du baron de T***, ton copain. La jeune fiancée joint aux qualités physiques et morales une opulente situation et de belles espérances. Cette union ne peut manquer d'exciter la convoitise et la jalousie. Comment l'empêcher? Rien de plus facile. Un ami complaisant cherche querelle à Albert sous un prétexte quelconque, et l'insulte. Il envoie ses témoins, un duel a lieu dans lequel il se conduit honorablement. Pour toi comme pour moi, comme pour bien de nos amis, tout s'est passé à merveille, mais il n'en est pas ainsi de l'autre côté.
La chanoinesse de Sainte-Cunégonde, tante de la jeune fiancée, signifie carrément qu'elle n'entend pas que l'on accorde la main de sa nièce à un duelliste!
Et le tour est joué.
Ou bien, s'il n'envoie pas ses témoins, peut-on prévoir les conséquences?
En bon ami, je ne t'engage pas à plaider en séparation avec ta femme. La cause est inscrite au rôle, et le jour de l'audience est fixée: si tu ne le gardes pas à carreau les jours qui précéderont cette date, il peut t'arriver ceci: Un ami complaisant de la partie adverse (elle en trouve toujours) te rencontre par hasard au moment où tu débouches sur la place Chateau, à Turin, après avoir dégusté le Vermouth Marendazzo; il te croise en te bousculant avec une légèreté suffisante; tu t'impatientes et tu lui lances une apostrophe quelconque; il te répond sur le même ton en te disant que si tu n'es pas content, il est à ton service, et t'offre sa carte.
L'aventure fait bruit.
Enverras-tu tes témoins?
Dans ce cas, bonne aubaine pour l'avocat de ton estimable épouse. Nous voici à l'audience. Après avoir gonflé à vingt-cinq soupapes le ballon de tes «mœurs faciles» pour servir de repoussoir au panorama des vertus angéliques de sa cliente, exploitant la répulsion des magistrats pour le duel, l'orateur termine par un grand effet de manchettes, en s'écriant: «Non, Messieurs de la cour, vous ne comblerez pas la mesure des maux déjà soufferts par une femme infortunée, en la forçant à demeurer sous le toit d'un homme emporté, querelleur, d'un duelliste contre lequel tout honnête homme est exposé à risquer sa vie, et cela pour le motif le plus futile, par exemple parce qu'en le contre-passant, il aura, par un choc involontaire, troublé la sieste d'une puce en villégiature sur son avant-bras! Non, Messieurs de la cour, vous ne permettrez point une pareille énormité! Je m'en rapporte avec confiance à votre justice pour accorder aide et protection à la faiblesse et au bon droit!»
La séance est levée et la cour remet à quinzaine le prononcé du jugement.
Et le tour est joué!
N'enverras-tu pas tes témoins?
Alors, qu'en adviendra-t-il de ta considération?
Le tour est encore joué!
On t'a mis en demeure de choisir entre deux écueils presque également redoutables.
Je répéterai encore que des témoins solides et déterminés peuvent donner à ces épisodes une fin toute différente que celle attendue par ceux qui les ont provoqués.
—Eh bien! mon cher ami, je partage les idées que tu viens d'émettre, je comprends l'utilité et même la nécessité de la réglementation et du mode de répression que tu entends proposer dans ta prochaine publication sur le duel, mais il tempo è un gran maêstro! C'est au temps seul qu'il appartient d'amener la constitution d'une majorité sociale antipathique à de pareils abus.
Dans les agressions, nous avons pensé qu'il y avait lieu d'établir une distinction entre les offenses ordinaires échappées à la promptitude des caractères et des passions, et les agressions matérielles, violentes, sauvages, déloyales, avec ou sans guet-apens.
Les premières appartiennent à la juridiction du point d'honneur.
Aux dernières, on est en droit d'opposer la question préalable.
Elles sont de la compétence de la police correctionnelle ou de la cour d'assises.
Il doit en être de même par analogie, dans l'appréciation des offenses commises au moyen de la presse.
Les offenses inspirées par la passion, excédant les bornes des convenances, mais non celles de l'honnêteté, appartiennent à la juridiction du point d'honneur. Toute autre offense vile, déshonnête ou dégoûtante, repoussée par l'opinion publique comme indigne d'un galant homme, doit être renvoyée à la justice ordinaire.
L'interprétation équitable de l'article 12, constitue le témoin sérieux, intelligent et expérimenté, l'homme habitué à comprendre les usages de la bonne société, et à s'y conformer. Nous souhaitons à nos lecteurs, le cas échéant, d'en rencontrer toujours de semblables.
SUR L'ARTICLE 15.
Il appartient aux témoins de fixer le lieu, le jour et l'heure de la rencontre, et cela d'accord avec les parties et d'une manière précise. Il est d'une suprême inconvenance de se faire attendre sur le terrain. Le quart d'heure de grâce admis habituellement pour le rendez-vous dans la société, nous semble très suffisant pour faire la limite de l'attente. Ce temps largement écoulé, la partie adverse est en droit de se retirer, ses témoins bien entendu dressant procès-verbal. Le droit de se retirer après un retard prolongé au delà de la limite fixée ci-dessus, trouve son application plus ou moins sévère, suivant les conditions de l'atmosphère et l'intempérie des saisons. Dans ce dernier cas, lorsque les témoins sont convaincus que le retard prolongé peut amener des conséquences fâcheuses pour leur client, ils doivent non seulement lui conseiller de se retirer, mais l'exiger formellement en refusant de l'assister.
Lorsqu'un obstacle impossible à prévoir empêche l'une des parties d'arriver à l'heure précise, ses témoins doivent mettre toute la diligence possible à prévenir les témoins adversaires, et s'entendre avec eux pour remettre la rencontre quelques heures plus tard, ou même au lendemain, s'il y a lieu.
Si l'on doit voyager pour se rendre au lieu du rendez-vous, on ne doit négliger aucune des précautions nécessaires pour éviter de manquer le train
Nous ne parlons pas ici de ces retards calculés, dont les mobiles ne se rencontrent pas dans les plus nobles et généreuses inspirations de l'espèce humaine!
SUR LES ARTICLES DE 10 A 21.
On pourra peut-être nous trouver un peu prolixe dans l'établissement des articles composant ce chapitre. Nous acceptons volontiers le reproche s'il nous est adressé. Car nous pensons que lorsqu'il s'agit de la conservation de la vie humaine, on ne saurait être trop minutieux.
SUR L'ARTICLE 21.
Généralement on s'accorde à fixer, en moyenne, à 60 ans la limite d'âge pour les combats.
Sans doute les témoins doivent s'y référer en général, en tenant compte toutefois des circonstances; telle par exemple l'affaire d'un jeune homme avec un homme de 60 ans. Mais si l'insulté se trouve être d'un âge beaucoup plus rapproché, il y a évidemment lieu à une discussion.
L'âge de 60 ans est l'âge des cheveux blancs, l'âge de la diminution et de l'infériorité des forces physiques, il commande le respect et la déférence chez tous les gens bien élevés; mais aussi c'est l'âge de la sagesse et de la prudence, l'âge de l'observation de toutes les convenances sociales, l'âge de la modération.
Un homme de 60 ans, s'il prend part à une discussion, doit donner l'exemple de la modération et de l'esprit de convenance. Se croit-il obligé d'intervenir dans une discussion pour la modérer ou la faire cesser, il doit le faire avec tact et mesure, avec impartialité et en des termes de nature à ne blesser aucun des interlocuteurs. Dans le cas contraire, il peut s'exposer à de vives représailles, ou même à une provocation, qu'il pourra refuser selon les circonstances, mais à laquelle il se sera évidemment exposé, faute d'avoir conservé la dignité en rapport avec son âge.
En résumé, ce principe n'a rien d'absolu; son application dépend des circonstances. En effet, quelle ne serait pas l'hilarité des témoins si l'on venait exciper de l'article 21 en faveur d'un homme de 60 ans, habitué à se livrer aux fatigues de la chasse à tir ou de la chasse à courre, à consacrer les loisirs du chômage à suivre les excursions du club Alpin dans les belles montagnes de notre Savoie, afin de conserver la vigueur et l'élasticité de ses jarrets pour la prochaine ouverture??!
Les règles exceptionnelles n'ont rien d'absolu. Elles ne peuvent être invoquées qu'en faveur d'une situation exceptionnelle constatée par les témoins, juges compétents et responsables!
Les considérations qui précèdent acquièrent majeure importance, lorsqu'il s'agit d'une offense commise par la voie de la presse.
On comprend que dans une discussion entre un homme de soixante ans et divers interlocuteurs, des paroles vives et offensantes puissent s'échanger de part et d'autre.
Dans une offense commise par la voie de la presse, le cas est bien différent. Celui qui s'est permis cette offense, sans avoir été provoqué par une offense de même nature, a prémédité son article dans le silence du cabinet; il a calculé les conséquences de la publicité.
Prétendre lui accorder le bénéfice de l'immunité de l'âge paraît une opinion fausse et insoutenable; car il en arriverait que les hommes ayant dépassé la soixantaine auraient le monopole des candidatures pour les places de rédacteurs en chef ou de directeurs dans les journaux.
Les correspondants eux-mêmes, ne se feraient point faute de faire signer leurs articles par des vieillards.
Ainsi, l'âge des convenances et des respects serait transformé en un lieu d'asile privilégié en faveur de l'insulte et de l'agression.
Le rédacteur en chef d'un journal est soumis au secret professionnel. Il manquerait donc à l'honneur, si, malgré la convention consentie par lui, il divulguait le nom de ses correspondants.
Toutefois, le cas n'est pas rare surtout dans les journaux de province, où le rédacteur en chef, refusant l'insertion d'un article, le correspondant en sollicite la publication, déclarant qu'il en accepte entièrement la responsabilité. Dans ce cas exceptionnel, le rédacteur en chef est en droit de nommer l'auteur, et sa responsabilité serait dégagée.
La dignité d'un journal sérieux commande au rédacteur ou directeur de persévérer dans son refus d'insérer un article qu'il juge sujet à caution.
S'il croit devoir céder à des instances formelles, il sera bien conseillé d'exiger que la demande d'insertion lui soit produite par écrit et renferme la clause expresse que l'auteur en accepte entièrement la responsabilité, non seulement au point de vue légal, mais encore vis-à-vis toute demande de réparation formulée en conformité de l'honneur.
Avons-nous besoin d'ajouter que cette précaution, toujours utile, devient absolument nécessaire, lorsqu'il s'agit d'obtempérer au désir manifesté par un homme ayant passé la soixantaine.
SUR L'ARTICLE 24.
L'exception établie dans cet article peut être soutenue comme empreinte d'une espèce de sagesse et de justice. En effet, l'homme exaspéré qui reçoit une offense ou une insulte ne peut-il pas en demander et obtenir la réparation suffisante?
En interprétant cette exception dans un sens absolu, l'impotence, au lieu d'être un empêchement, deviendrait un avantage pour celui qui, tout naturellement, pour en jouir, passerait son temps dans les salles du tir au pistolet.
Dans tout autre degré d'offense (art. 28 et 29), la justice demande que le choix des armes lui soit attribué.
Quiconque peut frapper, n'est-il pas censé pouvoir se servir de toute arme pour donner satisfaction?
Des empêchements anodins, soit de minime conséquence, sont insuffisants pour être en droit d'alléguer l'impotence.
L'impotence, état exceptionnel, doit être prouvée, constatée et admise par les témoins, toujours sous leur responsabilité.
SUR L'ARTICLE 26.
Les droits accordés dans les situations exceptionnelles n'ont point pour but de créer des situations privilégiées, mais bien de remédier, dans les limites du juste et du possible, aux situations défectueuses, par des dispositions prises à titre de compensation, dispositions soumises, d'ailleurs, au contrôle et à l'appréciation des témoins.
Ceci dit, en thèse générale, et s'appliquent également aux articles 24 et 25, comme du reste à tous les articles d'exception, nous ne croyons pas devoir insister sur la justice de la règle établie dans l'article 26.
L'insulté qui se trouve dans la catégorie ordinaire désignée par les articles 28 et 29 du chapitre Ier choisit les armes ou bien ses armes et son duel.
Si l'agresseur a perdu une jambe, l'exception admise par l'article 26 lui donne le choix de l'arme. Il est de toute évidence qu'il a laissé de côté la salle d'escrime, pour fréquenter de préférence les tirs au pistolet.
Il devient donc favorisé aux dépens de l'ayant droit, de l'insulté. La seule compensation que l'on puisse accorder à ce dernier consiste à lui réserver le choix du duel et des autres conditions de la rencontre.
Cette compensation est motivée par l'esprit de justice, car elle est minime et ne peut paraître équivalente au choix de l'arme, auquel il a dû renoncer, à l'obligation qu'il a de se battre au pistolet.
SUR L'ARTICLE 27.
Au moyen âge, dans les combats singuliers, on avait pour arme offensive une longue, large et pesante épée que l'on maniait des deux mains (éternisée dans le langage de nos loustics, sous le nom de Durandale). Plus tard, l'épée fut allégée et put se manier d'une seule main, et la main gauche fut pourvue d'une dague ou poignard dont la principale destination était de détourner le fer, et qui, en certain moment servait d'arme offensive. Enfin, dans les temps modernes, la lourde épée fit place à la fine et gracieuse lame que nous possédons aujourd'hui; l'usage de la dague fut abandonné et fut remplacé par l'intervention de la main gauche pour détourner le fer. Cet usage a persévéré jusqu'à nos jours, principalement dans quelques salles d'armes d'Italie. Aujourd'hui, surtout en France, il est tombé en désuétude; il est proscrit de nos salles d'armes, et nous nous sommes cru autorisé à maintenir cette proscription dans l'article 27.
La faculté de détourner le fer avec la main donne un immense avantage à celui qui en a l'habitude, sur un adversaire, même plus adroit.
Cette faculté n'est qu'un accessoire du duel, admissible par convention réciproque; elle peut donc être refusée par les deux parties, même par l'agresseur; cela est incontestable, car le droit de l'offensé est de choisir armes, duel, conditions ordinaires, mais non pas d'établir des conditions extraordinaires ou aggravantes au duel en usage.
Ces principes établis, passons à la pratique:
N'est-il pas possible à l'un des champions, en détournant le fer avec la main, de saisir ce fer, ce qui lui permet de frapper sûrement son adversaire? Cet acte machinal ou involontaire, ou traître et déloyal qui, dans tous les cas, amène un meurtre par imprudence ou bien un assassinat, peut-il être facilement aperçu, prévu, empêché par la vigilance des témoins? Non sans doute. Les témoins peuvent-ils assumer la responsabilité d'un fait qui échappe nécessairement à leur surveillance? Que devient alors le Code du duel sur la responsabilité des témoins?
La faculté de détourner le fer avec la main est tombée en désuétude: il nous a paru convenable d'éviter de la faire revivre.
SUR L'ARTICLE 29.
Lorsque la convention énoncée dans cet article est admise, il est nécessaire, pour sa loyale exécution, d'obtenir sur le terrain le consentement des parties. Autrement, lorsqu'un témoin verrait son client faiblir ou hésiter dans son jeu, il pourrait s'en prévaloir pour arrêter le combat et faire perdre ainsi à l'adversaire un avantage légitimement acquis.
En général, sauf les circonstances où les témoins ont de plein droit le devoir d'arrêter immédiatement le combat, il est plus sage qu'ils ne se réfèrent à la convention précitée qu'après avoir laissé durer le combat un laps de temps suffisant pour pouvoir constater que les adversaires se sont battus bravement. Cette manière de procéder leur procure l'avantage de pouvoir se prévaloir, s'il y a lieu, de l'article 39, pour essayer de réconcilier les adversaires pendant le temps du repos. (Voir art. 29, page 212.)
SUR L'ARTICLE 31.
Nous ne nous sommes pas fait faute d'accorder aux témoins des pouvoirs discrétionnaires pour modérer les duels, pour en éloigner les mauvaises chances, mais à une condition, c'est que l'honneur et la considération des individus n'en puissent ressentir aucune atteinte.
Désormais, nous l'espérons, on n'acceptera une rencontre que pour des raisons plausibles, et après que tout arrangement aura été déclaré inacceptable.
Les conditions de la rencontre sont établies d'avance et ratifiées par les intéressés. On les relit sur le terrain pour leur donner une consécration solennelle, et constater leur acceptation par les champions.
Il est de toute justice que toute innovation, non prévue et proposée instantanément sur le terrain, soit consentie par les intéressés.
Un homme sérieux ne se retirera pas du champ clos, pour une égratignure, et, dans certains cas, s'il consent à se retirer, il ne le fera qu'après une blessure, sinon très grave, tout au moins d'une conséquence suffisante.
Nous nous proposons de réaliser de notables économies sur le budget des duels. N'est-il pas logique de commencer par refuser le bill d'indemnité à ces rencontres de parade qui provoquent le ridicule dans la société et fournissent aux auteurs dramatiques le sujet d'une scène d'hilarité pour charmer leurs auditeurs?
Toute personne occupant un rang élevé dans la société, et, principalement, toute grande illustration politique ou autre, préférera toujours accepter un arrangement convenable, que de se soumettre à une rencontre sans résultat... Qui ne sait que vis-à-vis la malignité du public la roche Tarpéienne est la commère la plus voisine du Capitole!
SUR LES ARTICLES 37 ET 38.
Ces articles semblent encore minutieux, mais on ne saurait trop prendre de précautions pour éviter soit la négligence, soit la déloyauté. Tout dans un duel doit être réglé de manière à ce que rien ne puisse échapper à la surveillance des témoins, qu'ils soient à même de faire respecter leur volonté et, par conséquent, de dégager leur responsabilité.
Un de nos amis nous fait l'observation suivante: Si les témoins sont armés ou même simplement pourvus d'une forte canne, comme vous le conseillez, ne peut-il point arriver que l'un d'eux ne se permette de parer les coups ou même de feindre de les parer, portant ainsi préjudice à l'adversaire?
Toute réglementation humaine doit toujours être basée sur la généralité des faits qui peuvent se produire; elle pourvoit au plus essentiel, c'est-à-dire, dans la question qui nous occupe, que son principal but est de fournir aux témoins le moyen le plus efficace de surveiller le combat et de faire respecter leur volonté.