← Retour

Nouveau Code du Duel: Histoire, Législation, Droit Contemporain

16px
100%

L'abus signalé par notre ami est réprouvé par les règles de l'honneur. Il est du reste interdit implicitement par le dernier paragraphe de l'article 37: «Les témoins gardent le silence, s'abstiennent de tout geste, etc.»

Parer un coup ou même faire le simple geste de le parer, serait de la part d'un témoin une grave infraction contre les règles du duel, un acte de traîtrise, tel que tous les témoins devraient arrêter immédiatement le combat, tancer vertement le témoin fautif et dresser procès-verbal en se conformant aux articles 40 et 41 du chapitre IV, présent Code.

L'adversaire est en droit de récuser le témoin fautif, et, dans le cas où l'affaire, vu sa gravité, ne serait point arrangeable, on devrait remettre la rencontre à un autre moment, de manière à permettre de pourvoir à son remplacement, à moins que l'adversaire intéressé ne déclare positivement vouloir continuer la rencontre avec un seul témoin de son côté.

Si cette déclaration est admise par les témoins, elle doit être relatée sur le procès-verbal.

Tout témoin ayant commis une pareille faute, constatée par procès-verbal, peut être récusé de plein droit dans toutes les rencontres, par application de l'article 2 du présent chapitre.

SUR L'ARTICLE 39.

Suivant les conseils de la sagesse, de l'humanité, nous n'avons pas cru devoir refuser aux témoins la prérogative de pouvoir, en certaines circonstances et lorsque les deux champions se sont bravement battus, arrêter un duel.

Tout en nous référant aux conditions présentées plus haut au sujet de l'article 31, nous dirons: Lorsque le duel s'est prolongé assez longtemps, l'insulté n'a-t-il pas donné la preuve qu'il est en mesure de venger son offense honorablement?

L'agresseur n'a-t-il pas prouvé également qu'il est en mesure de donner, par les armes, la réparation de l'offense qu'il a faite?

Si donc, l'affaire n'est pas très grave et qu'aucune condition contraire n'ait été posée, pourquoi refuser aux témoins le droit de persuader aux champions qu'ils doivent se réconcilier, qu'ils sont faits pour s'estimer réciproquement, car leur honneur est satisfait?

La délicatesse de MM. les témoins leur impose l'obligation de n'user de cette prérogative qu'à bon escient et avec pleine certitude de ne préjudicier à aucun droit, principalement à celui de l'offensé.

SUR L'ARTICLE 40.

Les témoins doivent à leurs risques et périls arrêter le combat, s'il y a contravention, blessures, désarmement ou chute.

Pour ce qui regarde la violation des conditions établies, non seulement ils doivent arrêter le combat, mais encore, s'il y a lieu, dresser procès-verbal et déclarer que la rencontre ne peut plus être tolérée.

Quant à la blessure, point de doute qu'il ne soit dans les règles de la courtoisie de s'arrêter, si l'on croit avoir blessé son adversaire ou qu'il vous avertit que vous êtes blessé et se tient naturellement moins en état de défense.

Mais la règle générale du duel donne l'entière direction de la rencontre aux témoins. Il en résulte que le combat ne doit être arrêté que par la voix des témoins ou par leur corps, si l'impétuosité des champions les empêche d'entendre ou d'obtempérer au commandement.

Un adversaire déloyal ne pourrait-il pas crier à son antagoniste qu'il est blessé, afin de profiter d'un moment d'hésitation ou de confiance pour lui porter plus facilement un coup mortel?

Un champion peut ne pas s'apercevoir de suite que son adversaire est désarmé, les témoins ont besoin de toute leur vigilance pour le remarquer en temps utile.

Une chute peut être regardée un instant comme une feinte. Dans tous les cas, il est un principe sûr et qui coupe court à toutes les méprises comme à tous les abus:

Les combattants dans telle situation qu'ils puissent se trouver, doivent s'arrêter à la voix des témoins.

Dans les duels à l'arme blanche ils doivent rompre en se tenant en garde et rester immobiles jusqu'à nouvel ordre.

Pour le duel au pistolet, ils doivent élever l'arme perpendiculairement à la hauteur du visage, en s'effaçant et rester également immobiles jusqu'à nouvel ordre.

Pour faire mieux respecter leurs volontés dans toutes les occasions et pouvoir mieux se jeter, le cas échéant, au milieu des combattants, il vaudrait mieux que les témoins fussent armés tous d'une épée ou d'un sabre. Dans le cas contraire nous leur avons conseillé et leurs conseillons encore l'usage d'une forte canne, qui n'est qu'une arme défensive, et nous semble suffisante pour parer à toutes les éventualités.

SUR L'ARTICLE 41.

Comment les témoins pourraient-ils dégager leur responsabilité, si ce n'est par le moyen d'une pièce authentique destinée à éclairer la justice ou bien à satisfaire l'opinion publique? Mais nous irons plus loin.

Non seulement si le duel se passe contre les règles, le procès-verbal est obligatoire pour certifier les conventions faites, en constater la violation et les irrégularités commises, mais nous en conseillerons encore l'usage dans toutes les rencontres.

S'agit-il d'une affaire arrangée honorablement; un procès-verbal signé par quatre témoins sérieux est une garantie contre la médisance et la malignité et souvent la mauvaise foi.

En effet, quiconque fait une offense s'expose à recevoir une demande en réparation. Les témoins réunis, si l'offense, quoique réelle, n'est point de majeure gravité, proposent un arrangement, lequel, après quelques pourparlers, est accepté par l'offensé, soit volontairement, soit par pure déférence pour ses témoins! Tout doit donc être fini.

Il n'en est malheureusement pas toujours ainsi.

Celui qui a dû témoigner ses regrets ou faire des excuses (principalement si le courage et la fermeté laissent à désirer) oubliant la discrétion recommandée par les convenances, ou même cherchant à se tailler une réputation de bravoure aux dépens d'un adversaire trop confiant, raconte l'affaire à ses amis, en déniant la portée des excuses et de la satisfaction qu'il a accordée. De là, une nouvelle affaire dont l'accommodement se trouve tout naturellement beaucoup plus difficile, et même souvent impossible à obtenir.

L'existence d'un procès-verbal qui engage parties et témoins devient une garantie contre l'inconvénient que nous venons de signaler, par le fait seul de la crainte d'une publication qui donnerait pleine satisfaction à qui de droit.

Il est du reste un principe dont MM. les témoins ne sauraient trop se pénétrer, c'est que les affaires superficiellement arrangées ne peuvent amener que les plus déplorables résultats.

Quelquefois, lorsque la notoriété des personnes et le retentissement de l'offense l'exigent, la publication du procès-verbal devient une nécessité.

Il est bien entendu que l'on doit éviter que le procès-verbal ne devienne un instrument de réclame pour certains témoins, entraînés par la gloriole de voir leurs noms jusqu'alors inconnus photographiés au bas d'un procès-verbal de rencontre.

Nos conseils n'ont certes point pour but d'établir un élément de publicité de nature à faire concurrence à l'administration des petites affiches...

Mais poursuivons: le duel a-t-il eu lieu d'une manière légale? Le duel a-t-il été arrêté par les témoins quand les champions se sont battus bravement? Le procès-verbal fixe l'opinion publique à cet égard et devient un rempart contre la malveillance. Enfin, comme dans l'article dont nous nous occupons, le procès-verbal est de toute nécessité pour constater les faits et servir de première base aux poursuites de la justice.

SUR L'ARTICLE 42.

Les témoins ont tout intérêt à dire la vérité, car la moindre réticence de leur part donnerait à penser qu'ils sont complices et par conséquent responsables des irrégularités commises et de leurs conséquences.

L'intérêt s'unit ici au point d'honneur pour les engager à dire la vérité.

SUR L'ARTICLE 43.

L'usage des seconds est fort heureusement aboli de nos jours; personne, nous le croyons, ne sera tenté de le faire revivre; aussi n'avons-nous cru devoir établir cet article qu'à toute bonne fin, et pour des raisons éventuelles motivées par des travers possibles de l'excentricité des passions humaines.

SUR L'ARTICLE 44.

Cet article est la conséquence du principe admis plus haut: Quiconque reçoit un appel, jouit d'un délai de vingt-quatre heures pour y répondre (Voir observations sur l'article 22, page 204); si l'on accorde ce délai à l'homme frais et dispos, combien de raisons à faire valoir pour l'accorder au témoin qui vient de subir les émotions d'une rencontre.

SUR L'ARTICLE 45.

Suivant les usages de la bonne compagnie, la justice, l'équité, les formes les plus courtoises sont les seules bases sur lesquelles doivent s'appuyer tous gentlemen réunis en qualité de témoins, pour discuter une affaire, régler les conditions d'une rencontre. Cette conduite d'ailleurs est la plus efficace pour atteindre promptement le résultat le plus équitable pour tous les intéressés. Du reste, en cas de contestation, ils doivent avoir recours à la faculté qui leur est laissée par l'article 17.

Le fait d'une provocation entre témoins se produit bien rarement; cependant nous devons noter un fait scandaleux: il arrive parfois que des témoins ayant acquis une célébrité sur le turf de la ferraille et ayant affaire à d'autres témoins moins expérimentés, abusent de leurs avantages en faisant les rodomonts, en suspendant sur la tête de leurs collègues, comme une épée de Damoclès, l'éventualité d'une provocation subséquente, et cela, pour imposer plus sûrement des conditions plus ou moins équitables. S'ils rencontrent dans leurs adversaires la fermeté de l'homme d'honneur, ils vont jusqu'à la provocation, soit immédiate, soit à propos d'une difficulté sur le terrain.

Sans doute, l'article 45 est sévère, mais on conviendra qu'il n'est que la réciproque d'un fait odieux et anormal, celui d'une injuste provocation entre les témoins; entre des hommes qui par la nature sérieuse de leur mandat, doivent être contenus par des sentiments de justice et de modération.

SUR LES ARTICLES 46, 47 ET 48.

Il est un abus tout à fait récent, ne datant même que de quelques années, et qui tend malheureusement à prendre racine dans la société d'aujourd'hui. Nous voulons parler des polémiques que certains témoins se permettent d'agiter entre eux par la voix des journaux, au sujet des affaires d'honneur auxquelles ils ont pris part.

Une affaire de duel donnera-t-elle lieu (ce qui d'ailleurs est inévitable) à quelques critiques plus ou moins fondées, à quelque cancans de ville ou de société; aussitôt, l'un des témoins blessé dans l'infaillibilité qu'il se persuade devoir lui être dévolue, lance une lettre dans un journal pour offrir au public le panégyrique de ses faits et gestes dans l'affaire en question. Un autre témoin intéressé répond et voilà la polémique engagée.

Dans les circonstances où, soit la notoriété des personnes, soit l'éclat de l'affaire, soit enfin une imputation fausse attaquant l'honneur des intéressés l'exigent, la publication du procès-verbal suffisant pour éclairer et satisfaire l'opinion publique, semble devoir couper court à tout débat ultérieur; mais on ne s'arrête pas là. La polémique s'entame ou se prolonge sur les actes et faits relatés dans le procès-verbal.

Sans doute, cette succession de scandales plus ou moins anodins donne naissance à une vache à lait très prolifique pour la caisse des journaux. La vente fructifie au moyen des aliments plus ou moins carabinés fournis à la curiosité du public. Les habitantes des kiosques, les crieurs de rues voient avec délices augmenter le chiffre de leurs remises.

Mais l'union dans la société, la tranquillité, la considération des familles, les sentiments élevés, les traditions du point d'honneur y trouvent-ils un égal profit? L'expérience démontre journellement le contraire.

N'est-on pas en droit de se demander comment il est possible que des témoins sérieux, ayant une position acquise dans la science, dans les lettres, dans la politique, enfin des hommes distingués dans la société, tombent dans une pareille souricière et se laissent entraîner, par un faux amour-propre, à se mettre eux-mêmes, à mettre tant de personnes sur la sellette, à se déclarer ainsi justiciables des oisifs, des indifférents, et ce qui est plus fort, de gens auxquels leur intelligence et leur éducation enlèvent toute compétence pour apprécier leurs actes?

Combien de rancunes, de haines n'ont pas fait éclore ou perpétué, combien d'affaires nouvelles n'ont point suscité, combien de germes, de discussion n'ont point jeté dans la société, de si regrettables débats? Pourquoi donc, dans les affaires d'honneur, le secret fut-il toujours regardé comme un dogme de «foi jurée,» si ce n'est pour protéger les intéressés dans leurs familles, etc., contre les inconvénients de la publicité? Cette dernière question suffit pour justifier les articles 46, 47 et 48; nous ne croyons point devoir insister davantage.

Loin de nous la prétention d'avoir présenté une complète analyse des devoirs des témoins, trop heureux si nous avons pu nous arrêter suffisamment sur les points principaux.

Dans le code du duel, le témoin, nous l'avons dit, nous le répétons encore, constitue la clef de la position.

Dans les affaires d'honneur, le rôle du témoin est le plus important, car il doit tour à tour remplir de sérieuses obligations. D'abord l'ami, le confident, le conseil de celui qui lui a confié son honneur et sa vie, puis juge du point d'honneur pour constater l'offense, en déterminer la valeur, ensuite conciliateur pour apaiser les rancunes; ensuite avocat chargé d'obtenir pour son client, soit une réparation honorable, soit des conditions favorables pour la rencontre. Il devient, enfin, juge du camp pour surveiller l'exécution loyale des règles du duel et des conventions adoptées. Sa délicatesse et son honneur lui imposent une discrétion à toute épreuve.

Un acte déloyal se produit-il dans le combat: juge impitoyable il doit poursuivre la vengeance de la victime qui a succombé. Vis-à-vis de la justice, plus de secret, point de réticences inspirées par des influences étrangères. Il doit parler, dire la vérité, rien que la vérité. L'organe de la loi revendique les droits sacrés de la société, de la famille, le témoin ne se montrera point rebelle à sa voix.

Malheur au témoin prévaricateur, car le verdict sévère du jury lui donnera un billet de logement pour le panthéon verrouillé.... où la félonie et la déloyauté peuvent rougir dans l'obscurité et le silence, mais où jamais honnête homme n'a retenu ni logis ni domicile!

Les dispositions contenues dans les deux derniers alinéas du présent article ne nous semblent demander aucune justification, nous nous en rapportons à l'évidence.

CHAPITRE V
EXEMPLES

Nous croyons devoir consacrer ce chapitre à la production de quelques exemples de nature à faire voir l'importance des prescriptions relatives aux devoirs des témoins.

1o

Le journaliste D... attaque dans un petit journal satirique l'ex-fonctionnaire M... pour des faits relatifs à l'exercice de ses fonctions.

Les critiques paraissent blessantes pour la famille. M..., le fils aîné, au lieu d'envoyer purement et simplement ses témoins à D... pour demander réparation, lui écrit une lettre insolente, dans laquelle après lui avoir reproché d'une manière injurieuse les offenses qu'il a faites à sa famille, il le menace de lui cracher au visage partout où il le rencontrera, s'il ne lui accorde pas satisfaction. Les témoins de M... ont connaissance d'une telle lettre et lui donnent cours! En l'état, il était impossible de songer à un accommodement. Le duel à l'épée est proposé par les témoins de M..., qui se prétend offensé. Il est accepté par D..., malgré qu'il n'ait jamais manié une épée et que son adversaire ait fréquenté les salles d'armes. Le combat commence. D... se tient sur la défensive; après plusieurs attaques infructueuses, l'épée de M... se casse à la pointe. Les armes ne sont donc plus de la même longueur; les témoins proposent de suspendre et de remettre le combat. M... s'y refuse, D... également. On recommence avec ardeur, M... se fend à fond, s'enferre et reste presque sur le coup.

L'affaire vient vis-à-vis la Cour, et la défense se prévaut naturellement de l'existence de la lettre injurieuse de M..., qui a empêché une réparation honorable que D... eût certainement accordée, n'ayant entendu user de son droit de critique que contre les actes du fonctionnaire, sans nulle intention de blesser une famille honorable... D'ailleurs D... a subi les désavantages... Il s'est purement tenu sur la défensive... En conséquence c'est sur M... seul qu'il est juste de faire retomber les funestes conséquences de cette affaire... donc condamnation légère.

2o

Les membres d'une corporation s'étant trouvés offensés par un article d'un homme de lettres, le signataire de l'article reçoit diverses provocations et se bat en duel à l'épée avec l'un des membres de la corporation précitée, lequel est assisté par un de ses collègues en qualité de témoin. L'homme de lettres blesse sérieusement son adversaire. Aussitôt, l'un des témoins prétend prendre la place de son collègue, et, sans s'inquiéter de l'opposition des témoins du journaliste, menace ce dernier de l'insulter gravement, s'il refuse de se battre immédiatement avec lui. Le combat a lieu, et l'homme de lettres est blessé grièvement.

Indépendamment du texte formel de l'article 43 du chapitre IV, des articles 16 et 17 des observations sur lesdits articles 16 et 17 du chapitre III, page 199, on remarquera que dans cette circonstance, les chances ne pouvaient plus être égales; l'homme de lettres était fatigué par un premier combat, son adversaire était frais et dispos et, de plus, ayant assisté au précédent combat en qualité de témoin, avait pu étudier et apprécier à loisir le jeu de son adversaire.

3o

La mystérieuse et célèbre affaire Dujarrier-Beauvallon, présente un intérêt puissant, non seulement par la notoriété des personnages qui en furent les auteurs et les témoins, parce qu'elle met dans tout son jour la vie de la bohème dorée, mais encore et surtout, parce que de la variété des incidents qui l'accompagnèrent ressort péremptoirement la nécessité de veiller à la stricte observance des règles du duel. Ce point de vue, si essentiel, nous engage à nous y arrêter quelques instants.

Le 7 mars 1845, une artiste du Vaudeville, mademoiselle Liévenne, réunissait à dîner aux Frères-Provençaux, à Paris, une vingtaine de personnes.

Mademoiselle Liévenne avait fait une seule invitation. Les autres payaient leur écot. L'invité, M. Dujarrier, était l'un des rois du journalisme, co-propriétaire de la Presse et directeur du feuilleton de ce journal.

Les dîneurs au pique-nique étaient: M. Roger de Beauvoir, romancier; M. Rosemond de Beauvallon, créole de la Guadeloupe, rédacteur du feuilleton du journal le Globe. Ajoutez à ces noms un certain nombre de fils de famille, viveurs émérites, sans oublier que mademoiselle Liévenne avait sous ses ordres un charmant bataillon d'actrices de son âge.

Le souper fini, on replia une cloison, et l'espace doublé permit d'organiser, d'un côté de la salle, le lansquenet obligé et de l'autre, un bal improvisé.

M. Roger de Beauvoir presse M. Dujarrier au sujet d'une nouvelle que Dujarrier ne se hâtait pas de publier. Ce dernier lui déclare qu'il fallait attendre. Piqué, M. Roger de Beauvoir eut des mots un peu vifs. «Ah çà! dit Dujarrier, cherchez-vous à avoir une affaire avec moi?—Je ne cherche pas les affaires, mais j'en trouve quelquefois,» répondit superbement le romancier.

Dans un coup de banque à laquelle Dujarrier et Beauvallon étaient associés, d'une manière proportionnelle, il y eut une difficulté; elle fut ajournée pour la fin.

A la fin de la nuit seulement, M. de Beauvallon vint reparler à M. Dujarrier de ce règlement de compte ajourné. Ce dernier répondit avec sécheresse qu'il ne devait rien et qu'il ne payerait rien. Cependant comme il se reconnaissait débiteur envers M. de Beauvallon de quatre-vingt-quatre louis à un autre titre, il le rappela et lui remit soixante-quinze louis, et les personnes présentes n'ayant pu lui fournir le restant de la somme, il l'emprunta au restaurateur pour s'acquitter entièrement envers M. de Beauvallon...

Qu'un duel à mort pût sortir de cet incident, personne ne le pensait. Cependant, le lendemain, Dujarrier vit se présenter chez lui, au nom de M. de Beauvallon, deux personnes, M. le comte de F... et M. le vicomte d'Ecquevilley. Ce dernier indique la nécessité d'une réparation, pour l'attitude prise, la veille, en face de M. de Beauvallon. Dujarrier répondit: «Beauvallon, Grandvallon... Je ne connais pas... Mes témoins sont MM. de B... et Arthur Bertrand.»

En se retirant M. d'Ecquevilley annonça qu'il représentait également M. Roger de Beauvoir, à qui était due une réparation du même genre. Cette complication ne parut sérieuse à personne. Mais il n'en fut pas de même pour l'affaire avec M. de Beauvallon.

Le Globe s'était attaqué à la Presse dirigée par M. de Girardin, qui avait payé ses succès et sa rapide fortune par des luttes incessantes. M. de Girardin avait eu quatre duels, dont le dernier avait coûté la vie au regrettable Armand Carrel. Depuis ce dernier duel, M. de Girardin ne se battait plus, ayant acheté bien cher le droit de ne laisser à personne un doute sur son courage.

Mais la Presse se battait toujours. Ces duels de journaux, d'ailleurs, étaient à la mode dans ce temps-là. Le Globe se battait avec la Réforme: M. Solar contre M. Ferdinand Flocon. Le Globe se battait avec le National: M. Granier de Cassagnac contre M. Lacrosse.

Aussi, à peine apprit-on les suites de la soirée des Frères-Provençaux, qu'il n'y eut qu'une voix pour dire: «C'est le Globe qui veut se battre avec la Presse

M. Dujarrier, on le savait du reste, avait eu avec la direction du Globe quelques difficultés d'intérêt, qui avaient été réglées par voie judiciaire.

M. Dujarrier crut-il devoir prêter le collet à une première provocation, pour être en droit de refuser à toutes les autres son temps et sa vie? Plus tard, le doute ne sera plus permis à cet égard.

Dans une conférence entre les témoins, le lundi 10 mars, on écarta tout d'abord l'affaire de M. Roger de Beauvoir, en laissant comprendre qu'il y avait irrégularité à se présenter, en un seul jour, devant un même individu au nom de deux adversaires. La prétention de M. de Beauvallon fut appuyée sur trois motifs:

Le ton pris par Dujarrier lors de la discussion du jeu;

L'empressement marqué de se libérer envers M. de Beauvallon;

Un propos d'une dame Albert, actrice, qui recevait Dujarrier depuis cinq ans. Au mois de décembre 1844, Beauvallon avait été présenté à cette dame, et quelque temps après, Dujarrier cessait ses visites.

Madame Albert aurait dit à M. de Beauvallon que Dujarrier ne venait plus chez elle pour ne point s'y rencontrer avec lui.

Ce propos rapporté à Dujarrier fut nié par lui, et les témoins de M. de Beauvallon eurent connaissance de cette dénégation.

«Nous voulons bien faire des excuses, disaient les témoins de Dujarrier, mais au moins dites-nous sur quoi?»

Les témoins de M. de Beauvallon n'en persistèrent pas moins à exiger des excuses et des explications, ajoutant que leur ami était disposé à se battre, et qu'on saurait contraindre Dujarrier à une rencontre...

Les témoins de Dujarrier exigèrent seulement des témoins de Beauvallon la déclaration suivante qui constatait la provocation:

«Nous soussignés déclarons qu'à la suite d'une discussion, M. de Beauvallon a provoqué M. Dujarrier en termes tels, qu'il n'a pas pu se refuser à une rencontre. Nous avons fait tous nos efforts pour concilier ces deux messieurs, et ce n'est que sur l'insistance de M. de Beauvallon que nous avons accepté la mission de les assister.»

Ayant vu M. Alexandre Dumas, son ami, M. Dujarrier lui parle de son duel. Il ne voulut pas le prendre pour témoin, parce que, disait-il: «Vous feriez tant que vous arrangeriez l'affaire. C'est mon premier duel: c'est une chose étonnante que je n'en aie pas eu encore. C'est un baptême qu'il faut que je subisse.»

Parlant des causes du duel: «Ce sont des choses futiles; mais il y a là-dessous une haine de journal; c'est une guerre du Globe avec la Presse, et non pas de M. Dujarrier avec M. de Beauvallon.»


M. Dumas qui connaissait la force de M. de Beauvallon à l'épée, conseillait néanmoins à Dujarrier d'éviter le pistolet, supposant que M. de Beauvallon, en vrai gentilhomme, remarquant l'ignorance de son adversaire en fait d'escrime, ne prolongerait point le duel ou le rendrait tout au moins sans conséquences funestes.

A cela Dujarrier avait répondu qu'au pistolet il avait tout au moins une chance d'échapper, tandis qu'à l'épée il n'en avait aucune.

Bien qu'animé des meilleures intentions, M. Alexandre Dumas avait-il suffisamment calculé l'effet produit par le conseil qu'il donnait à Dujarrier, tenant compte des mobiles qui dirigeaient ce dernier et de la situation d'esprit dans laquelle il se trouvait?

Le mardi 11, à 9 heures du matin, les témoins réglèrent par écrit les conditions de la rencontre.

(M. de F..., l'un des témoins de M. de Beauvallon, n'assistait pas à cette réunion!)

Les témoins de M. de Beauvallon avaient proposé l'épée; mais la provocation venant de leur côté, le choix des armes fut attribué à ceux de Dujarrier, lesquels, sur l'ordre exprès de leur client, et quoi qu'on eût pu lui dire sur la force de M. de Beauvallon, choisirent le pistolet.

Suivant les conventions:

Les combattants, placés à trente pas, pouvaient en faire cinq avant de tirer.

Chacun d'eux devait s'arrêter après avoir essuyé le feu de son adversaire.

Un coup tiré devait appeler l'autre à l'instant même.

La question de savoir par qui les armes seraient fournies fut laissée à la décision du hasard.

Les armes devaient être absolument inconnues aux deux combattants.

Le sort s'étant déclaré pour M. de Beauvallon, M. d'Ecquevilley présenta des pistolets d'arçon et des pistolets de précision.

Les témoins comprirent que les premières armes étaient la propriété particulière de M. d'Ecquevilley; les pistolets d'arçon furent donc rejetés.

On partit pour le bois de Boulogne, Dujarrier dans sa voiture était accompagné de ses deux témoins et de M. de Guise, médecin. Tous quatre arrivèrent à 10 heures à Madrid. La température était froide; il était tombé beaucoup de neige, et quelques rares flocons volaient encore dans le ciel; M. de Beauvallon se fit attendre pendant une heure et demie.

Dujarrier saisi par le froid, d'ailleurs toujours un peu souffrant le matin, comme un homme qui abuse du travail et du plaisir, était en proie à une surexcitation nerveuse qui fit craindre à ses témoins que l'issue d'un combat dans des conditions pareilles ne lui fût fatale. Ils insistèrent donc, ainsi que M. de Guise, pour que Dujarrier quittât le terrain, comme c'était son droit. Il s'y refusa.

Enfin, M. de Beauvallon et ses témoins arrivèrent dans un fiacre.

M. de B..., après une observation sur le retard, fit auprès de M. de Beauvallon une démarche suprême, le suppliant de ne pas pousser plus loin une rencontre sans motif. M. de Beauvallon répondit froidement qu'il y avait eu insulte et que l'on n'arrangeait pas une affaire sur le terrain.

MM. de B... et de F... furent chargés de choisir le terrain. Le premier avec l'autorisation tacite du second, mesura quarante-trois pas de distance, et les deux diminuèrent de chaque côté l'espace dont il serait permis aux combattants de se rapprocher.

M. d'Ecquevilley, cependant, avait tiré de son sein cette paire de pistolets de précision dont on a parlé, reconnaissable à la couleur bleue du canon. M. Bertrand qui en prit un pour le charger, introduisit son doigt dans le canon et le retira noirci jusqu'à la naissance de l'ongle. Il manifesta la crainte que les pistolets n'eussent été essayés; mais M. d'Ecquevilley le rassura en affirmant qu'il n'avait fait que les flamber; il jura d'ailleurs, sur l'honneur, que M. de Beauvallon ne connaissait point les armes dont il allait se servir.

Les deux adversaires furent placés sur le terrain. Dujarrier était un tireur tellement novice que, après avoir armé son pistolet, il en fit jouer involontairement la détente; si le coup n'eut point raté, M. de B... était atteint par la balle. Le signal donné, Dujarrier tira aussitôt: son adversaire n'était pas atteint. Dujarrier laissa tomber à terre son pistolet qu'il aurait dû réserver pour garantir sa tête, et, au lieu de s'effacer il présenta sa poitrine.

M. de Beauvallon releva lentement son arme, ajusta lentement. «Mais tirez donc, f...., tirez donc!» s'écria M. de B... traduisant ainsi l'anxiété des témoins. Le coup partit. Dujarrier resta debout; mais tout à coup s'affaissa et tomba comme une masse. Le projectile ayant frappé au-dessus de l'aile droite du nez, avait traversé l'os maxillaire supérieur jusque dans la partie la plus profonde de la face, avait brisé l'os occipital de manière à produire une commotion sur la moelle épinière.

On ramena chez lui Dujarrier, qui n'était plus qu'un cadavre.

MM. de Beauvallon et d'Ecquevilley s'étaient réfugiés en Espagne, pour se soustraire à l'action de la justice.

A la suite d'une première instruction, la chambre des mises en accusation de la cour royale de Paris avait déclaré qu'il n'y avait lieu à suivre, contre aucun des prévenus, se fondant, à l'égard des témoins sur des raisons de fait, à l'égard de Beauvallon sur des raisons de droit. La Cour de cassation cassa ses arrêts, en ce qui concernait Beauvallon seulement, et désigna pour connaître de l'affaire la cour royale de Rouen, qui adopta la décision de la Cour de cassation.

L'instruction s'était enquis de l'origine des pistolets. L'incident du doigt noirci fit présumer que les pistolets avaient été essayés. C'est dans ces circonstances que Beauvallon qui était venu se constituer prisonnier, comparaissait le 26 mars 1846, devant la cour d'assises de la Seine-Inférieure, comme accusé d'homicide volontaire avec préméditation.

MM. Berryer et Dain étaient au banc de la défense, au banc de la partie civile étaient M. François, beau-frère de Dujarrier, assisté par MM. Léon Duval et Romiguière.

M. de Beauvallon affirme qu'il ne s'est jamais servi des pistolets.

Il a tiré après le temps strictement nécessaire pour s'effacer et faire feu.

M. Alexandre Dumas raconte son entrevue avec Dujarrier, et dit que ce dernier était préoccupé de l'idée de passer pour un lâche aux yeux de M. de Beauvallon. Dujarrier aurait ajouté que l'un des témoins de M. de Beauvallon, M. d'Ecquevilley, lui avait dit: «Si vous n'acceptez pas le combat, vous serez bien forcé de vous battre pour une autre raison. On vous y forcera bien, votre figure déplaît.»

Ce propos fut tenu le samedi entre trois et quatre heures.

On se demande si cette entrevue de M. Dujarrier et de M. d'Ecquevilley était régulière?

On s'étonnera encore qu'une querelle qui a eu lieu dans la nuit du 7 au 8 mars, n'ait été réglée que le 11 au matin, les intéressés étant tous dans la même ville.

Ce temps était très suffisant pour permettre les cancans, embrouiller les affaires; aussi M. Alexandre Dumas raconte-t-il que son fils lui avait assuré que M. de Beauvallon désarmerait Dujarrier, le blesserait au bras. Ce propos répété à Dujarrier par des personnes officieuses, quel effet pouvait-il produire?

Le choix du pistolet!!!

Nous nous arrêterons ici sur l'incident suivant:

M. Berryer.—Que pense M. Dumas du renvoi de la réponse de M. Dujarrier par deux témoins?

M. Dumas.—Cela se fait toujours ainsi et arrive souvent lorsqu'on risque sa vie, un capital contre un autre capital, on prend des témoins pour faire des concessions que soi-même on ne voudrait pas faire.

Les témoins répondent pour vous; ce sont deux parrains qui sont chargés de votre vie, de votre honneur. Ils font des concessions en leur nom privé; ils font des choses que l'on ne ferait pas soi-même. La discussion entre les témoins est plus facile; ils n'ont pas le droit de se fâcher; ils peuvent se dire des choses qui, dites par les adversaires eux-mêmes, rendraient le duel inévitable. Quand on envoie des témoins, cela ne veut pas dire qu'on veut se battre; ce n'est pas placer la question sur le terrain du duel: c'est choisir un moyen d'arrangement. Cela est consigné dans le Code du duel, qui est signé par M. le comte de Chateauvillard et par des premiers noms de la littérature, de l'armée et de la noblesse. Vous l'avez ici, ce Code du duel, il doit être chez vos libraires.

En se divisant entre les adversaires et les témoins, le danger diminue.

M. l'avocat du roi.—D'après ce Code du duel, est-ce qu'il est loyal de provoquer à l'épée l'homme qui ne sait pas manier cette arme?

M. Dumas.—On ne sait presque jamais la force de son adversaire, c'est là un avantage de position pour chacun. Cela est si vrai que beaucoup de personnes s'exercent chez elles afin qu'on ne sache pas quel est leur fond; c'est là leur secret, c'est là un avantage.

M. l'avocat général.—Voilà qui n'est pas très loyal.

M. Dumas.—Dans un duel les questions de générosité et de délicatesse passent après la grande question d'existence.

M. l'avocat général.—Je ne trouve pas cela moral.

M. le Président.—Le Code du duel ne prendra pas place dans ma bibliothèque!

M. Dumas.—Cet ouvrage a empêché plus de duels qu'il n'en a causé.

Rien n'est plus vrai, aussi protestons-nous de toutes nos forces contre l'anathème sommaire et sans connaissance de cause dont M. le président des assises a prétendu frapper le Code du duel, œuvre excellente et philanthropique de M. le comte de Chateauvillard.

A notre sens, au contraire, le code Chateauvillard est fait pour figurer honorablement dans la bibliothèque des magistrats, des avocats, comme dans celle des militaires et des gens du monde.

Quel est donc le but du code Chateauvillard, de cette coutume écrite? Réglementer le duel en traçant les droits et les devoirs de tous ceux qui sont appelés à y prendre part, adversaires et témoins.

Cette réglementation empêche non seulement les duels inutiles, atténue les conséquences des duels inévitables, mais encore fournit une excellente base de répression pour les méfaits qui peuvent s'y commettre.

En effet, quand les duellistes sont traduits à la barre, ne présentent-ils pas, comme circonstance atténuante, la nécessité de se soumettre au point d'honneur admis dans la société?

N'est-ce point alors que M. l'avocat général peut leur répondre avec beaucoup plus d'à-propos que ci-dessus:

«Comment osez-vous invoquer les nécessités du point d'honneur! Ne les avez-vous pas oubliées? N'avez-vous pas dans telles et telles circonstances violé les règles énoncées dans la coutume écrite, dans le code Chateauvillard?... c'est donc par vos propres armes, c'est donc encore au nom du point d'honneur que vous invoquez, que nous sommes en droit de vous combattre, et d'appeler sur vos actes les rigueurs de la justice!»

M. d'Ecquevilley prétend que la déclaration constatant qu'une provocation irrémédiable était partie de Beauvallon, avait été convenue entre tous les témoins pour dégager leur responsabilité. Il avoue l'écrit extraordinaire; M. de Beauvallon lui a donné sa parole d'honneur qu'il ne s'était point servi des pistolets qu'il portait.

Quant au doigt noirci de M. Bertrand, il affirme sur sa parole d'honneur qu'il n'en avait aucune souvenance.

Après le coup tiré par Dujarrier il se passa à peine une ou deux secondes avant le coup de Beauvallon. Il est convaincu que ce dernier n'a pas visé!

M. de B..., outre les autres faits que l'on connaît, dit: Quand Dujarrier eut tiré, Beauvallon était encore l'arme basse, je trouvais l'intervalle de temps très long. Je l'avoue, j'ai pu dire une minute, puis quarante à cinquante secondes; mais je crois m'être exagéré la longueur de l'intervalle.

M. de Guise, médecin.—Après le coup tiré par Dujarrier, j'attendis le deuxième coup; le temps m'a paru long, très long, assez long pour que M. de B... ait dit: «Tirez donc, etc.» et a exagéré d'abord sur l'intervalle du temps en parlant de deux minutes. Pendant l'attente, Dujarrier lui a parlé des motifs du duel dans le même sens qu'à M. Dumas.

Nous demanderons ici, si quelques secondes seulement d'intervalle ne donnaient pas aux témoins le droit et le devoir d'empêcher M. de Beauvallon de tirer en retard?

M. Arthur Bertrand confirme l'épisode du doigt noirci. Il ne se rappelle nullement avoir vu flamber les pistolets sur le terrain. En sorte que la crosse du canon lui a fait supposer qu'ils avaient été essayés ailleurs. Il en fit l'observation. M. d'Ecquevilley déclara sur l'honneur qu'ils n'avaient été que flambés.

Selon M. Boutigny, chimiste expert, une détonation de capsule ne peut noircir l'intérieur du canon.

Quelques passages du plaidoyer de M. Léon Duval: «... Peut-être que cette mort prématurée, peut-être que les malédictions qui ont éclaté contre le duel sur cette tombe sitôt ouverte finiront par avertir les pouvoirs qui font les lois, et les pouvoirs qui les appliquent

C'est parler d'or! mais l'avertissement est inutile, preuve en est, l'anathème inconsidéré lancé à priori du haut de son siège par un magistrat contre le Code du duel, sans le connaître! Preuve en est encore la série des faits du même genre qui se succèdent de nos jours.

«M. de Beauvallon, continue l'avocat, a non seulement touché les pistolets, mais il les a essayés à poudre et à balles. Voyons l'emploi de son temps, depuis sa sortie de chez lui à six heures et demie du matin, jusqu'à neuf heures, moment où les pistolets ont été apportés chez M. de B... par M. d'Ecquevilley, etc., ..... Je ne sais, Messieurs, si je me trompe, mais il me semble qu'après un duel, la grande, la vraie compétence du jury, c'est l'appréciation de la cause qui a conduit un homme à en tuer un autre. Il n'est pas possible que, sur une terre chrétienne, le duel même loyal soit impuni s'il a été imposé au mort pour une cause frivole et non avouable.........

«.......Convenons-en, Messieurs, et que ce soit le trait le plus effrayant de nos mœurs, ces sortes de catastrophes ont un dénouement parfaitement simple. On tue un homme parce que sa figure vous déplaît, ou pour quelque autre raison de cette force..... on se cache, et au besoin même on donne le change à la justice par des articles de journaux destinés à lui persuader qu'on est à l'étranger, et l'on dépiste ainsi la police. La police n'est pas toujours aussi crédule..... mais elle a aussi son faible pour le duel, et elle se laisse mystifier...

«Cependant les débats judiciaires s'ouvrent; alors on revient et l'on est enfin le héros d'une grande et belle réunion judiciaire. On dit ses raisons: on a tué un homme parce qu'il refusait de payer 20 louis, parce qu'il avait tutoyé une femme de théâtre..... que sais-je moi? pour quelques graves raisons de cette espèce..... Sur quoi on est absous à l'unanimité et en cinq minutes..... absous à une condition, et à une condition indispensable: C'est qu'on ait tué son homme sans rémission ni miséricorde; car si l'on s'est borné à le blesser, c'est différent, on est jugé sérieusement par un tribunal correctionnel et l'on est infailliblement condamné.

«Infailliblement condamné, voilà l'excès pratique, voilà le mal! Oui, Messieurs, c'est là le beau spectacle que le jury donne à la France. Toutes les fois, sans exception, que le duel a produit ces blessures qui n'ont pu arrêter le patient pendant vingt jours, la justice fait son devoir et le duel a toujours été puni; au contraire, toutes les fois qu'il y a eu mort d'homme, le duel a été absous. Jetez les yeux sur les tables funéraires du duel: en 1837, trois morts, trois acquittements; en 1838, six morts, six acquittements (après l'introduction de la nouvelle jurisprudence Dupin?); en 1839, trois morts, trois acquittements; en 1840, un mort, un acquittement; en 1841, cinq morts, cinq acquittements.»

La cause de ces acquittements, nous l'avons indiquée dans la première partie de ce travail.

«Maintenant, Messieurs les jurés, vous avez en face de vous une mère à qui on a tué son fils unique. Entendez-vous cela? vous qui êtes heureux et qui en rentrant chez vous allez revoir vos enfants, recevoir et leur rendre leurs caresses. Celle-là n'a plus d'enfant; c'est à vous de voir si vous trouvez cela plaisant, et si vous êtes disposés à en rire!» (Sensation.)

L'auteur dit que la loi ne manque pas pour réprimer le duel. Il en trouve le texte, avec la Cour de cassation et l'élite des cours royales, dans l'article 295 du Code pénal, qui qualifie de meurtre tout homicide commis volontairement, dans l'article 64 qui interdit d'excuser un meurtre quand la loi ne permet pas de le déclarer excusable; enfin, dans le silence du Code pénal, qui n'admet pas le duel comme une excuse. Il termine par ces mots: «Si M. de Beauvallon sort absous de cette enceinte, le duel frauduleux, le duel sans motif aura gagné une partie, mais le duel sera déshonoré!...»

M. Berryer s'enquiert de la véritable cause du duel, en suivant pied à pied son adversaire. La véritable cause, il la signale dans les faits qui ont suivi le dîner et la partie de jeu; après avoir raconté la scène du coup douteux dans le dîner du 7 mars et avoir justifié la conduite de M. de Beauvallon dans cette circonstance, M. Berryer s'écrie:

«Eh! je l'avoue, je me serais cru flétri si, après le mot: «Prenez-le comme vous voudrez», on m'eût fait ce que Dujarrier a fait à M. de Beauvallon. Comment, Dujarrier veut payer M. de Beauvallon seul, il emprunte pour cela l'argent qu'il n'a pas, et à qui? au restaurateur! Oui, je vous le déclare, je me serais cru, il n'y a pas en France un homme qui ne se serait cru gravement offensé...

«Lisez les édits de Louis XIV, l'édit de 1679; en pareil cas, Louis XIV entendait que l'on demandât des éclaircissements; comment sont-ils reçus? «Je ne connais pas M. de Beauvallon, Duvellon, Grandvallon... dit Dujarrier; je ne sais pas ce que c'est que ce monsieur-là, au surplus, je vous enverrai mes témoins.» Cette réponse rapportée à M. de Beauvallon, lui a paru à bon droit une aggravation d'offense. Il demande des excuses ou une déclaration qu'on n'a pas voulu l'offenser. M. Dujarrier se contente de dire. «Je n'ai rien dit, je n'ai point offensé M. de Beauvallon.» Et il a pénétré ses témoins de cette idée. M. de Beauvallon est réduit à demander une réparation par les armes.»

«Ainsi, le premier jour, demande d'explications; le second demande d'excuses; le troisième demande de réparation.»

Trois jours pour régler cette affaire! nous avons remarqué plus haut que ce temps était bien long.

«On a dit: «la loi punit d'homicide.» Je dis oui, quand les circonstances qui l'accompagnent font de l'homicide un meurtre ou un assassinat; je dis: oui, la loi punit cet homicide qui est un meurtre ou un assassinat, mais la loi ne punit pas, ne doit pas punir l'homicide par le duel, elle ne le punit pas.

«L'homicide par le duel ne peut pas avoir le caractère du meurtre, de l'assassinat; cela est évident; aussi le duel, quand il était puni en France, l'était-il par des lois spéciales, par les édits sur le duel.

«On nous dit que le duel est entré dans le droit commun. Expliquez-vous; qu'entendez-vous par le droit commun? est-ce qu'il n'y avait pas de droit commun quand les édits des rois étaient rendus? Est-ce que sous Henri IV, est-ce que sous Louis XIII, sous Louis XIV, sous Louis XV, il n'y avait pas aussi un droit commun qui punissait le meurtre et l'assassinat? Oui, mais on ne recourait pas aux subtilités, on ne demandait pas la tête d'un homme par des assimilations, on n'avait pas la déloyauté de croire qu'on peut punir un fait par une loi qui ne le nomme même pas.

«Qu'en résulte-t-il, c'est que la prohibition de se battre en duel n'existe plus.

«Mais dites-vous, la religion, la morale s'opposent au duel..... Oui, les papes, les conciles, la religion catholique ont proscrit le duel, cela est vrai; mais il importe de ne pas confondre les lois faites dans ces temps de confusion d'idées avec celles faites sous l'autorité d'un principe. Ce n'est pas au nom du droit de l'homme sur l'homme que Henri IV, que Louis XIII, que Louis XIV, que Louis XV ont fait des édits contre le duel; ils ont agi, pour rappeler leurs expressions, contre les transgresseurs des commandements de Dieu.

«Il n'y a pas, sur la terre, il n'y a pas de roi, il n'y a pas de juge qui ait le droit de dire à l'homme qu'il ne peut pas disposer de ses jours; Dieu, la religion, l'Eglise ont seuls ce droit suprême; aussi, ce n'est pas comme législateurs humains que nos rois punissaient le duel, mais comme ministres de Dieu, chargés de faire respecter ses commandements.

«Voilà ce qu'on aurait dû comprendre. Et cela est si vrai qu'autrefois on faisait ainsi, après la mort, le procès à l'adversaire qui avait succombé; on le traînait sur la claie. C'était en vertu du même principe qu'on punissait la profanation, le sacrilège, l'apostasie. Est-ce que tout cela serait punissable en vertu du droit de l'homme sur l'homme? Non, mais en vertu de l'autorité sacrée de Dieu. Vous avez effacé le principe, les conséquences sont tombées avec lui.

«Est-ce que vous ne violeriez pas toutes les lois, est-ce que vous ne renverseriez pas toutes les bases de votre société, si vous vouliez prononcer une peine contre le suicide? Si vous ne pouvez pas poursuivre le suicide, comment pourriez-vous poursuivre le duel?

«Au point de vue moral, vous n'avez pas plus de raison......... Enfin l'adultère le plus public ne reste-t-il pas impuni si le mari, maître de son honneur, ne juge pas devoir poursuivre l'outrage qui lui a été fait; ce sont pourtant là de graves atteintes à la morale et vous êtes impuissants contre elles!

«Je me résume: on veut réprimer un duel, et l'on vous déterminerait, pour venger la morale, à prononcer une peine qui n'est pas inscrite, que n'a pas prévu le législateur, et qui n'est claire pour personne!

«Ne savez-vous pas que tout le monde a voulu faire une loi sur le duel? La Constituante, la Convention, l'Assemblée des Cinq-Cents, la Restauration en 1816, la Restauration en 1828, deux fois depuis 1830, on a voulu faire une loi sur le duel: en 1833 et ensuite en 1845 au sujet de la proposition de MM. Dozon et Taillandier.

«Il a plus: des chanceliers, des ministres, des cours royales ont déclaré et déclarent que le duel n'est pas puni.

«Que déclarait en 1838 la Cour de cassation? Qu'il n'y avait pas de loi contre le duel, et qu'il fallait en faire une, et cela est tellement clair, tellement évident, qu'il n'y a pas eu encore jusqu'ici une condamnation.

«Et remarquez-le bien, ce ne sont pas seulement les jurés qui désirent punir les duels suivis de mort, c'est la magistrature elle-même. Qu'avons-nous vu récemment? M. le duc d'Uzès s'est battu, et il n'a point été poursuivi. M. le maréchal Bugeaud a tué un de ses collègues, et il n'a point été poursuivi; dans d'autres duels encore, dans les duels les plus célèbres il n'y a point eu de poursuites.

«Serait-ce qu'il y a des degrés dans la répression? non évidemment. Ce qui a lieu prouve tout simplement qu'il n'y a point de loi. Et cela est tellement vrai, que vous n'avez pas traduit les témoins. Est-ce parce qu'il y avait des excuses en leur faveur? non, c'était au jury à décider ce point; si vous n'avez pas traduit les témoins, c'est que vous saviez bien que cette loi que vous alléguez n'existe pas.

«Au demeurant, quel est l'acte dont nous nous occupons? c'est un acte prévu par l'article 528, l'acte d'un homme qui répond à un coup par un coup, et qui n'est pas puni. Il n'y a ni crime ni délit. Mais, dit-on, il y a là un meurtre... il y a un homme qui a tué son semblable! La société est blessée, elle doit s'émouvoir! Soit je le veux bien; mais n'y a-t-il pas des effets déplorables dont la société s'émeut, et qui ne sont point punis?»

Cette magnifique plaidoirie fut suivie d'un verdict d'acquittement. Beauvallon fut seulement condamné à 20,000 francs de dommages et intérêts envers la partie civile.

Le président des assises dut être bien satisfait de ce résultat! MM. les jurés s'étaient conformés d'avance à son anathème contre le Code du duel de M. de Chateauvillard; à coup sûr aucun d'eux ne l'avait lu et encore moins, ne l'avait honoré d'une modeste place dans sa bibliothèque!

Cette fois, l'opinion publique était d'accord avec la magistrature! elle regrettait un acquittement produit par le fait d'une législation et d'une jurisprudence en opposition avec les mœurs et avec le sens pratique.

Mais ce drame n'était point terminé, on venait seulement de lever la toile après le premier acte.

Passons au 2e acte auquel nous assisterons sur une autre scène. Pendant le cours des débats de Rouen, il y avait dans la salle des assises un homme qui savait que chacune des paroles du témoin d'Ecquevilley était un mensonge. Cet homme, M. Charles de Meynard, n'avait pas été entendu dans l'instruction, ne figurant pas sur la liste des témoins. Dès le 11 mars 1845, M. de Meynard avait déclaré à un M. Augier, qu'il avait assisté dans le jardin d'Ecquevilley, le matin du duel, à l'essai des pistolets (dont il indiquait la provenance), fait par d'Ecquevilley et Beauvallon; d'un mot il pouvait confondre toutes ces dénégations. Ce mot, il ne le dit pas. Mais en revenant de Rouen, avec M. de Guise, il ne put contenir plus longtemps ce secret qui lui pesait. Parler alors, après l'acquittement, ce n'était plus dénoncer. Le propos fit son chemin, on le répéta au Jockey-Club, chez M. Alexandre Dumas et ailleurs. Tout ce bruit attira l'attention de la justice et celle de la famille Dujarrier. Sur une plainte de M. François, beau-frère de Dujarrier et tuteur de son fils mineur, Victor-Vincent d'Ecquevilley fut renvoyé devant la cour d'assises de la Seine sous l'accusation de faux témoignage en matière criminelle.

D'Ecquevilley se pourvut contre l'ordonnance de la chambre d'accusation de la cour royale. En vain son avocat soutint que la loi ne peut forcer le témoin à s'accuser lui-même; M. l'avocat général Nicias Gaillard repoussa cette théorie de l'impunité du mensonge, et le 22 avril 1847, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. L'instruction avait rassemblé sur d'Ecquevilley un faisceau de renseignements assez tristes.

A raison de sa position particulière, Beauvallon n'avait pas été entendu dans l'instruction; il se cachait pour se soustraire à l'exécution de la condamnation en dommages-intérêts prononcée contre lui, avec contrainte par corps au profit de la famille Dujarrier. Il fut assigné comme témoin à la requête de d'Ecquevilley, et obtint un sauf-conduit.

Il parut le 13 août 1847 devant la cour d'assises de la Seine.

D'Ecquevilley, Beauvallon, déclarent sur l'honneur, que les pistolets étaient inconnus à M. de Beauvallon. Mais M. de Meynard vient raconter très simplement que, la veille du duel, Beauvallon l'a prié de venir s'exercer au tir, avec lui, le lendemain vers six heures et demie, dans le jardin d'Ecquevilley; Beauvallon vint le chercher chez une demoiselle Valory; ils allèrent ensemble à Chaillot, et Beauvallon tira en effet, avec une remarquable adresse, une dizaine de coups sur le mur du jardin, avec les deux paires de pistolets, celle d'arçon et celle de précision, en lui indiquant la provenance de cette dernière. Cet exercice terminé, d'Ecquevilley partit pour aller au rendez-vous des témoins, et le témoin s'en alla à pied avec Beauvallon, etc.

A ces détails si précis d'Ecquevilley n'opposa que des dénégations faites avec hauteur et des lettres insignifiantes, anonymes, attribuées à une femme qui aurait été en relations intimes avec lui.

M. de Guise se rappelle parfaitement maintenant que les pistolets ont été flambés sur le terrain, mais seulement avec des capsules, un genou en terre et les armes basses, ce qui eût rendu impossible l'emploi de la poudre. Le témoin ajoute qu'à Rouen, dans la chambre des témoins, d'Ecquevilley «paraissait indiquer à chacun le rôle qu'il avait à jouer; à moi-même, il me dictait les paroles que je devais prononcer; comme elles étaient contraires à la vérité, je lui déclarai que je m'en rapporterais à ma seule mémoire. Il voulait entre autres choses, que je lui donnasse le beau rôle, en disant qu'il s'était précipité le premier au secours de Dujarrier, tandis que lui et Beauvallon s'étaient seulement avancés pour ramasser le pistolet; comme par voie d'intimidation, il parlait beaucoup de duels qu'il avait eus, de ceux que le procès occasionnerait encore. Telle fut sa jactance, que je déclarai que si une provocation m'était adressée je la voulais par écrit, pour l'envoyer au procureur du roi.»

M. Arthur Bertrand raconte à nouveau l'épisode du doigt noirci, et, comme Beauvallon l'accuse d'exploiter une fable, et que le président fait remarquer l'insistance de M. Bertrand. «Mais, monsieur le président..., s'écrie Beauvallon, enfin... c'est donc un duel avec M. Bertrand que vous demandez!...»

Et depuis quand le point d'honneur a-t-il empêché tout témoin de dire et de soutenir la vérité devant la justice?

La loi, d'accord avec le point d'honneur, ordonne aux témoins de dire et de soutenir la vérité. Ils ne peuvent donc être sujets à aucune provocation pour ce fait; et, dans le cas où l'on menacerait de leur en adresser, ou même on oserait leur en adresser, ils sont en droit d'en référer à la justice. Toutefois, le témoin déclaré inviolable quant à la recherche de la vérité, doit s'abstenir, en s'acquittant de son devoir, d'employer des épithètes, des termes injurieux contre l'accusé, ou contre sa famille.

La déposition de mademoiselle Valory amène un nouvel et suprême incident.

Le témoin déclare que, le matin du duel, Beauvallon est venu chercher chez elle M. de Meynard pour tirer le pistolet; Beauvallon nie.

La mesure est comble: en vertu de l'article 333 du Code d'instruction criminelle, le président usant de son pouvoir discrétionnaire, fait arrêter Beauvallon.

Un verdict de culpabilité, avec admission de circonstances atténuantes est rendu contre Vincent d'Ecquevilley, qui s'entend, avec le plus grand calme, condamner à dix ans de réclusion sans exposition.

Nous touchons enfin au 3e acte, au dénouement.

Le 31 août 1847, la chambre des mises en accusation maintient le mandat d'arrestation décerné contre Beauvallon et requiert une instruction nouvelle. Renvoyé devant la cour d'assises, comme accusé de faux témoignagnes en matière criminelle, Beauvallon y parut le 8 octobre.

Après la lecture de l'acte d'accusation dont on connaît suffisamment les éléments, Beauvallon se lève et répond d'une voix lente et ferme:

«Je déclare, de la manière la plus positive, que les pistolets qui ont servi au duel n'ont pas été essayés par moi; j'ignorais complètement les conditions du duel au moment du combat.»

Les conditions convenues n'auraient donc pas été signifiées aux deux adversaires et acceptées par eux???

M. de Meynard répète la déposition déjà connue. Il affirme sur l'honneur que lui-même a tracé avec un caillou une ligne sur la muraille du fond du jardin, que cette ligne a servi de point de mire, que plusieurs coups ont été tirés.

C'est après le procès de Rouen qu'il a confié le secret des pistolets essayés à M. de Guise. La chose s'ébruite, plus tard à un dîner chez Ledoyen, M. d'Ecquevilley le prie de n'en point parler. (Sensation.)

M. de Guise, docteur.—Monsieur de Meynard lui a raconté à Rouen que, dans cet essai du jardin, il avait admiré l'excessive précision du tir de Beauvallon; ce qui lui avait fait dire à celui-ci: «—Mais vous connaissez donc ces armes!»

Il raconte alors les manœuvres employées pour obtenir de lui une rétractation.

M. Arthur Bertrand reproduit de nouveau l'épisode oublié du doigt noirci.

M. Emile de Girardin.—Le jour du malheureux événement, de midi à deux heures, on a «annoncé chez moi M. Bertrand, que je n'avais pas jusque-là l'honneur de connaître. Je le reçus assez mal. Il s'est présenté à moi vivement ému, et m'a fait le récit de ce qui venait de se passer. A l'appui de ce récit, il me montra le bout de son doigt encore très noir.—Mais, lui dis-je, comment alors avez-vous pu laisser Dujarrier se battre, ayant dans l'esprit de tels soupçons?—Je l'ai laissé se battre parce que l'un des témoins de M. de Beauvallon m'a donné sa parole d'honneur que les armes n'avaient pas été essayées.»

J'ignorais ces conditions établies, mais il est généralement admis en France que les armes qui doivent servir à un duel ne doivent jamais avoir été essayées. On dit qu'aux colonies il en est autrement, je n'en sais rien; mais ce que je puis affirmer, c'est qu'en France, on ne se bat pas avec des armes essayées, d'ailleurs j'ajouterai que je n'étais pas seul, M. Lepelletier Saint-Rémy se trouvait avec moi. J'avoue du reste qu'en lisant les comptes rendus des journaux j'ai été étonné moi-même qu'un doigt noirci par la poudre restât noir, même après le lavage; cependant des renseignements que j'ai pris, il résulte que la tache résultant d'un corps gras, comme celui de la poudre mêlée à l'huile, a beaucoup de peine à disparaître.

Mademoiselle Valory confirme sa déposition précédente, et dépose que, le matin du duel, vers six heures, Beauvallon entra dans sa chambre à bas bruit; elle était encore au lit, il lui demanda si M. de Meynard était là, et dit qu'il venait le chercher pour tirer avec lui au pistolet. Beauvallon continue ses dénégations.

M. Devismes, armurier.—Le 18 août 1844, les pistolets en question ont été vendus, et le 17 septembre 1844, le propriétaire les a demandés pour les emporter à sa campagne. Il lui a fait demander en même temps 400 balles découpées pour pistolets et des poupées. Le 10 mars, le même propriétaire est venu chez lui; il lui a demandé ses pistolets et l'a prié de les envoyer chez M. de Beauvallon, rue de Notre-Dame-de-Lorette. Il a envoyé chez lui, et le lendemain le duel a eu lieu. Quand il a livré les pistolets ils étaient très propres, et quand le propriétaire les lui a rendus, ils étaient très sales.

Les débats sont clos; après le résumé du président, le jury au bout de dix minutes rapporte un verdict affirmatif mitigé par des circonstances atténuantes.

M. le président prononce un arrêt qui condamne M. de Beauvallon à huit années de réclusion, aux frais du procès, et le dispense de l'exposition.

Le dénouement des trois procès de l'affaire Dujarrier-Beauvallon a causé bien des étonnements que nous ne saurions partager. Il n'est que la conséquence du mode de répression actuellement en vigueur contre le duel, et dont nous nous sommes déclaré l'adversaire convaincu.

La procédure, comme l'issue en eussent été bien différentes suivant le mode de répression que nous avons proposé dans la conclusion de la première partie de cet ouvrage.

Discuter et apprécier, au point de vue du Code du duel, tous les faits et incidents du duel Dujarrier-Beauvallon, en même temps que les actes des personnes qui y ont pris part; résoudre les nombreuses questions à poser au jury comme résultantes des débats; formuler la sentence suivant la législation que nous avons préconisée dans notre desideratum (voir première partie, chapitre IV, conclusion, page 146) eût été un travail d'une trop grande étendue. L'analyse que nous avons donnée plus haut nous paraît suffisante pour y suppléer.

Toutefois, nous croyons devoir donner un aperçu des conséquences de notre desideratum, en retenant un seul incident essentiel, la violation d'une condition établie, l'essayage des pistolets.

D'après ce:

M. de Beauvallon était renvoyé devant la cour d'assises sous prévention d'homicide volontaire avec préméditation, commis en duel sur la personne de M. Dujarrier.

Les quatre témoins renvoyés devant la même cour, sous la prévention de complicité dans l'homicide précité.

M. de Beauvallon—à l'unanimité, déclaré coupable d'homicide volontaire avec préméditation, commis en duel, avec la circonstance aggravante de la violation d'une condition établie: l'essayage des pistolets.—Maximum: 10 ans de réclusion—2,000 francs d'amende—20,000 francs de dommages et intérêts, frais de procès.—A la majorité, refus de circonstances atténuantes.

Nous disons à la majorité, car il pouvait se trouver dans le jury une minorité opinant pour accorder à M. de Beauvallon le bénéfice des circonstances atténuantes, parce que son témoin eut et pu l'empêcher de violer la condition établie, et, pour ce, désirant réserver toute la sévérité de la loi pour le témoin prévaricateur. Cette minorité se fût peut-être transformée en majorité, si l'on eût voulu tenir compte de l'offense, laquelle, bien que légère et classée dans la première catégorie de l'article 2 du chapitre Ier du Code du duel, n'en existait pas moins; et enfin, de l'attitude de M. Dujarrier qui ne paraissait pas dénoter le désir d'un accommodement.

Dans ce cas, diminution de peine, d'amende et de dommages.

M. d'Ecquevilley—à l'unanimité—déclaré complice dudit meurtre, pour avoir connu la violation préméditée de la condition du duel, y avoir coopéré, au lieu de l'empêcher, comme il en avait le devoir.—Maximum: 10 ans de réclusion—2,000 francs d'amende—20,000 francs de dommages-intérêts.—Moitié des frais du procès.

M. Arthur Bertrand—absous sur le chef de complicité, avec blâme sévère du président, pour, ayant eu légitime soupçon de la violation de la condition essentielle du duel, n'en avoir point fait part à son collègue, n'avoir point protesté et exigé que l'on se servît d'autres armes.—500 francs d'amende.

Les autres témoins—absous sur le chef de la complicité—observations du président.—Amendes proportionnellement aux infractions au Code du duel, qu'ils ont pu commettre ou laisser commettre même involontairement ou par oubli dans la conduite de cette affaire.

Cette solution, crayonnée pour ainsi dire à vol d'oiseau, nous paraît suffisante pour signaler la différence entre le mode de répression directe du duel, et la répression indirecte objet de notre préférence, comme plus sévère et surtout plus efficace.

Nous rencontrons encore dans ce triste exemple la nécessité de la prescription insérée dans l'article 32, chapitre IV, Devoirs des témoins, à savoir:

Que les armes doivent être consignées par avance dans les mains des témoins, lesquels après les avoir visitées et acceptées d'un commun accord, les remettent aux champions au moment du combat. (Voir Observations sur les duels au pistolet, chapitre IX, page 375.)

4o

Au mois d... 185... un duel eut lieu entre deux honorables citoyens, MM. A*** et B***.

Suivant les conventions, M. B*** eut le choix des armes, et opta pour le pistolet. Par contre, le droit de tirer le premier fut dévolu à M. A***.

M. A*** fit feu, et manqua; M. B***, au lieu de riposter immédiatement, abaissa son arme, puis la releva, ajusta et tira.

Atteint près de la tempe, M. A*** tomba et resta mort sur place.

A qui la faute?

Sans doute personne n'est excusable d'oublier les règles et les conditions du duel, quoique, soit dit en passant, la surexcitation, l'émotion puissent permettre à un honnête homme de les oublier.

Les témoins ne sont-ils pas faits pour veiller à l'exécution des règles et des conventions?

Dans le cas présent, quand ils ont vu M. B*** baisser son arme et prêt à faire feu après l'expiration de la limite réglementaire (Voir le Duel au pistolet de pied ferme), ne devaient-ils pas non seulement crier d'arrêter, mais s'élancer pour obtenir l'exécution de leur commandement?

MM. les témoins demanderont-ils le bénéfice d'inventaire en alléguant que l'anxiété les a mis dans la situation de la femme de Loth, ou bien, que la fumée du pistolet de M. A*** les a empêché de bien voir?...

De pareils faits exciteront toujours les regrets des champions qui ont pu commettre un oubli, des témoins qui eussent pu et dû empêcher cet oubli, cause de conséquences aussi désastreuses, de tous les honnêtes gens enfin, que nous entendons journellement déplorer les irrégularités qui se commettent dans les rencontres.

Cette réflexion nous donne encore le droit de répéter notre «delenda Carthago» à savoir:

Toutes les irrégularités commises dans les duels doivent tomber,—sauf le bénéfice d'inventaire,—sous la responsabilité des témoins!

5o

Un duel à l'épée a lieu entre M. R... et M. X...; ce dernier y laisse la vie. On trouve sur lui une ceinture large et plus épaisse que les bandages herniaires habituels, ayant à l'intérieur une plaque métallique très forte qui en faisait une véritable armure évidemment destinée à protéger les parties inférieures du corps.

L'un des témoins prétend que M. X... était affligé d'une hernie, mais le médecin ne reconnaît aucune trace de cette prétendue infirmité.

L'information établit que M. X... avait coutume de mettre ce bandage toutes les fois qu'il se battait en duel.

En effet, peu de temps auparavant, dans une autre rencontre, son adversaire l'ayant touché vivement en se fendant, eut son épée faussée comme ayant heurté un corps qu'elle ne pouvait pénétrer, X... était assisté des mêmes témoins. Ils ne s'émurent point de cet incident ni les uns ni les autres et l'un d'eux se borna à redresser la lame pour que le combat pût continuer... X..., l'auteur de l'irrégularité était mort, le jury acquitta!...

6o

Au mois de novembre 1835, eut lieu une rencontre au sabre entre M. A. S..., fils d'un célèbre jurisconsulte, et l'un de ses parents par alliance, M. D...

Après quelques passes, nous apprend le procès-verbal, M. S... finit par fondre sur son adversaire. M. D... paraissait calme et de sang-froid; il reculait en présentant la pointe de son arme. Sa première botte ne put être parée, comme elle arrivait à la poitrine de M. S... Celui-ci la détourna avec le dos de la main gauche, dont l'épiderme fut légèrement écorché. En rompant, M. S... fit une chute; M. D... n'en profita pas. S... relevé, on revint sur le lieu où le combat avait commencé. On s'en était sensiblement écarté.

Au bout d'une dizaine de minutes, M. S... recevait dans le haut de la poitrine un coup de pointe sans gravité qui déterminait une effusion de sang, et presque au même moment, M. D... fut atteint d'un coup de pointe vivement porté qui lui traversa le foie. «Il ne survécut que vingt-deux heures à sa blessure.»

Cet exemple peut donner lieu aux réflexions suivantes:

Et d'abord la faculté de détourner le fer avec la main gauche avait-elle été accordée aux deux adversaires par une convention expresse?

Dans le cas contraire le devoir des témoins était d'arrêter le combat, d'avertir sévèrement M. S..., et de plus, les témoins de son adversaire étaient en droit d'exiger que sa main gauche fut fixée derrière le dos. (Voir art. 27, chap. IV, page 212; Remarques sur l'article 27, chap. IV, page 255; art. 16 et 17, chap. VI, page 338.)

M. S... ayant fait une chute, M. D... n'en profita pas; c'est très bien, mais dans l'entraînement du combat, il eut pu en profiter.

Ne peut-on pas se demander ici, si ce serait attribuer un sens trop étendu à l'article 40, chapitre IV et à l'article 18 du duel à l'épée, en observant que M. S... étant à terre, les témoins eussent pu se croire en droit d'arrêter le combat jusqu'à ce qu'il se fût relevé? Et, d'ailleurs, les témoins n'eussent-ils pas été fondés à se prévaloir de la faculté qui leur est attribuée par l'article 39, chapitre IV, page 214, pour arrêter les combattants, essayer de mettre fin au duel, en représentant que l'irrégularité commise au commencement par M. S..., avait pour corrélatif l'acte honorable que son adversaire venait d'accomplir envers lui, et que les deux champions s'étant d'ailleurs battus très bravement, il y avait lieu à réconciliation?

Enfin, quand M. S... reçut le coup de pointe sans gravité qui détermina l'effusion du sang, et que presque au même moment M. D... fut atteint, les témoins à la moindre apparence d'effusion de sang, ne devaient-ils point arrêter le combat, pour visiter la blessure, s'assurer de la gravité! (Art. 40, chap. IV, Devoirs des témoins.) Naturellement, l'opportunité de cette dernière réflexion dépend d'abord de la possibilité produite par l'intervalle qui s'est écoulé entre la lutte et la riposte, et aussi de la vigilance et de la promptitude des témoins.

7o

M. D..., étudiant en droit, rencontrant M. G..., étudiant en médecine, dans l'une des soirées ordinaires du quartier Latin, l'accoste et lui adresse quelques paroles offensantes sur un sujet assez divergent de l'interprétation des Pandectes de Justinien. Ce dernier, au lieu de relever l'offense, prononça quelques paroles dilatoires inoffensives, et laissa éloigner sans plus M. D...

Plus tard, M. G... raconte le fait à M. T..., son copain, autre étudiant en médecine.

Quelques instants après, M. T..., se trouvant en présence de M. D..., lui cherche querelle au sujet de l'incident qui vient de se passer entre lui et M. G... Des paroles vives et insultantes sont échangées, une provocation est lancée, et amène un duel dont le résultat fut fatal à M. D...

Comme de juste et de droit obligatoire, les témoins devaient examiner et reconnaître les précédents de cette affaire, les motifs ayant donné lieu à la provocation.

Cet examen attentif ne devait-il pas leur faire reconnaître une substitution de personne?

M. G... ayant été offensé le premier, ne lui appartenait-il pas de relever lui-même son offense?

L'acte d'indiscrétion commis par M. G... (nous disons indiscrétion, parce que, tant l'éloignement des faits que la charité évangélique nous le conseillent) n'a-t-il pas été la cause de la querelle subséquente entre M. T... et M. D...?

N'était-il pas impossible d'invoquer la primauté de réparation pour cette deuxième querelle ayant lieu pour le même motif et conduisant naturellement à la substitution de personne signalée?

D'après ce, les témoins de M. D... n'étaient-ils pas en droit de se rendre en son nom chez M. G... pour lui offrir réparation de l'offense qui lui avait été faite de prime-abord, et lui demander en même temps raison de la querelle qu'il avait suscitée par son indiscrétion, et en cas de fin de non-recevoir ou de refus, de dresser procès-verbal?

Les mêmes témoins n'étaient-ils pas en droit de déclarer aux témoins de M. T... qu'ils n'entendaient prendre en considération sa querelle avec M. D... que lorsque la querelle de ce dernier avec M. G... aurait été apurée?

Soit qu'il s'en suivît une ou deux rencontres (ce qui est encore à examiner), M. G... et M. T... pouvaient-ils être admis à se servir réciproquement de témoins? Non!

Évidemment, la question de substitution est prépondérante dans cette affaire.

La première querelle à vider, était celle entre MM. D... et G....

Celle entre MM. D... et T... ne venait qu'en seconde ligne, et bien que les insultes eussent été plus graves que dans la première querelle, elles ne pouvaient paralyser la substitution. A supposer même que l'on eût remis au sort la primauté de réparation, et que la deuxième querelle l'eût emporté, la première querelle venait ensuite; de là deux écueils. Le premier d'admettre deux rencontres pour la même querelle et pour les mêmes motifs. Le deuxième d'admettre la substitution de personnes en négligeant la primauté d'offense; c'est ce qui de fait a eu lieu.

Pour échapper à cette complication de principes, de droits et d'intérêts nous ne connaissons qu'une solution satisfaisante, et c'est la suivante:

En l'absence de toute voie de fait et de tout outrage attaquant directement l'honneur d'aucun des champions en cause, des témoins intelligents, fermes et expérimentés, s'appuyant énergiquement sur la complication de l'affaire, devaient opposer une vigoureuse martingale aux ardeurs juvéniles de leurs clients, et obtenir non seulement un arrangement honorable, mais encore une réconciliation complète de la part de tous les adversaires.

Telle est notre conclusion. Nous espérons que la brillante jeunesse de nos écoles nous pardonnera d'avoir employé le mot de «martingale». Un seul et vif désir inspire notre plume, celui de conserver de belles et généreuses intelligences pour la défense de la patrie, pour la gloire de la France, pour l'honneur et la consolation de chères et respectables familles!

8o

Un M. X..., dînant habituellement avec quelques-uns de ses collègues, détestait cordialement l'un d'eux, M. T... Déjà plus d'une fois des discussions orageuses s'étaient élevées entre eux, et ce dernier avait été très malmené par M. X... Un jour, au milieu d'une vive altercation, M. X... se permit de dire à M. T... «Je vous mets en défi de venir chez moi.»

Les assistants laissent passer sans protestation ni opposition, une façon d'agir aussi inconvenante.

Au lieu d'envoyer ses témoins chez M. X... pour se mettre à sa disposition ou bien demander satisfaction, un faux sentiment d'amour-propre porte M. T... à se rendre au domicile de ce dernier. Il n'en sortit point vivant, et la justice dut ensuite apprécier les funestes conséquences de cette rencontre.

9o

Un officier des plus braves s'étant involontairement rendu coupable d'une malhonnêteté envers des dames, reçoit un appel de la part du cavalier qui les accompagnait.

Désolé d'avoir commis un acte indigne d'un homme bien élevé et surtout ayant l'honneur de porter l'épaulette, il s'empresse de témoigner ses regrets à celui qui l'a provoqué en l'assurant qu'il est prêt à répondre à son appel et à lui donner toute satisfaction qu'il pourra désirer.

Le cavalier, touché d'une si noble conduite, lui répond courtoisement: «Non, monsieur, un homme honorable comme vous a le droit de présenter ses excuses à des dames, permettez-moi de vous serrer la main avant de vous y conduire.» Les excuses du brave officier reçoivent l'accueil gracieux et sympathique qu'elles méritaient. Il eut tout lieu de s'applaudir de cette belle action; car il en fut bientôt récompensé par d'excellentes relations. Dans une société civilisée, la bonne éducation, la noblesse des sentiments suffisent pour ouvrir toutes les portes.

10o

Dans un duel au pistolet entre un propriétaire et un banquier, le propriétaire, favorisé par le sort, tire le premier et manque; la balle du banquier rencontre un corps dur et dévie.

Les témoins dans leur visite avaient oublié d'inviter le champion à divorcer pendant quelques instants avec un porte-monnaie bien garni qu'il tenait dans son gousset.

Le banquier, homme d'esprit, s'incline devant son adversaire avec autant de sang-froid que de courtoisie, et lui dit: «Monsieur, je viens vous faire mon compliment, vous savez parfaitement placer votre argent!»

11o

M. de R..., dans un duel au commandement, tire au troisième coup suivant la règle; son adversaire continue à le viser; alors M. de R..., se tourne vers ses témoins et leur dit: «Ai-je tiré avant le troisième coup, Messieurs!» Réveillés et rappelés à leur devoir par cette apostrophe, les témoins se précipitent entre les deux, et arrêtent l'adversaire qui n'avait point tiré au signal uniquement parce qu'il avait oublié d'armer. Sans cet oubli qu'en serait-il résulté? un assassinat! A qui la responsabilité?

12o

Dans un duel au commandement, L... tire au 2e coup, tue son adversaire; il a commis un assassinat. Qu'en résulte-t-il pour lui? Néant! Voilà de la belle et bonne justice!

13o

D***, ancien militaire, privé d'une jambe par suite d'une blessure gagnée dans sa dernière campagne, reçoit une insulte très grave. Le choix des armes ne pouvait lui être contesté; mais il choisit des témoins faibles et ignorants. Les témoins adversaires s'en aperçoivent, en profitent pour imposer leurs conditions. D*** succombe nécessairement dans ce duel à l'épée accepté contre toute règle par ses témoins.

De pareils témoins ne mériteraient-ils pas une bonne leçon de la part d'un jury consciencieux?

14o

M. P..., dans une discussion, reçoit une insulte aussi grave qu'imméritée. Il en demande raison. Peut-on lui refuser le choix des armes? Non, sans doute.

Les témoins de l'adversaire proposent d'abord une arme, ensuite une autre, et finissent par demander le sabre sans pointe. Les témoins de M. P..., faibles et surtout ignorants, acceptent tout! Cependant M. P... avait servi autrefois, et sans avoir approfondi particulièrement les règles du duel comprenait qu'une pareille rencontre devenait dérisoire en proportion de l'offense qu'il avait reçue; cependant faute d'oser récuser ses témoins, il se soumet!

15o

M. de B... homme d'un âge mûr, dans une de ces discussions politiques qui empoisonnent la société, est frappé par un jeune homme. Un duel à outrance est la suite de cette insulte. Après plusieurs blessures échangées de part et d'autre, les témoins aussi enragés que les champions ordonnent d'arrêter pour permettre à ces derniers de reprendre des armes et de faire panser leurs blessures. Dans cette deuxième reprise, plusieurs blessures légères sont encore échangées entre les deux adversaires. Mais le jeune homme ayant par deux fois détourné le fer avec la main, on arrête chaque fois pour le réprimander. A la deuxième fois ce jeune homme demande lui-même que sa main gauche soit attachée. Bientôt il s'affaisse et tombe, frappé par un coup d'épée dans la poitrine.

A ce moment suprême les bons sentiments reprennent le dessus. «Monsieur, dit-il en s'adressant à M. de B..., maintenant il m'est permis d'avouer mes torts. Pardonnez-moi, donnez-moi votre main, je vais mourir!»

M. de B... ému se tourne vers ses témoins, qui tous lui disent: «Donnez la main, votre honneur est satisfait.» Il donne la main à ce brave jeune homme qui répond par un dernier soupir à ce signe de pardon.

16o

Dans une rencontre à l'épée entre M. le baron de Saint-Y... et M... de C..., ce dernier reçoit une blessure; les témoins ordonnent d'arrêter. M. de Saint-Y... rompt l'épée basse comme l'honneur lui en faisait un devoir. Il n'en est pas de même de M. de C... qui, emporté par la fureur de sa rancune, n'écoute point la voix des témoins, et se précipite sur M. de Saint-Y... lequel parant le coup avec adresse, riposte par un coup d'épée qui étend M. de C... sur le carreau; quelques instants après il avait cessé de vivre.

Ici, la fin donne raison à la justice et au droit; il pouvait et devait en être autrement, si M. de Saint-Y... n'eût paré avec agilité l'attaque déloyale de son adversaire.

En pareil cas, les témoins ne doivent point se borner à crier, ils doivent s'élancer et séparer les combattants.

17o

M. de N... assiste un de ses amis dans un duel. Il s'aperçoit que l'adversaire est blessé. N'écoutant que la voix du devoir, il se précipite sur son ami et reçoit lui-même un coup d'épée avant de parvenir à l'arrêter.

Voilà un témoin honorable qui ne craint pas de risquer sa vie pour dégager la responsabilité du mandat qui lui a été confié.

18o

Deux étudiants, A... et C..., font leur droit à Paris; A... vient de commencer sa première année; C... est un ancien, c'est un étudiant de 12e année, plus habile à culotter des pipes, à gobelotter, à courir les aventures et les querelles qu'à commenter le Digeste et les Donations de Demolombe. Bien que du même pays, A... cherche à éviter C..., leurs familles respectives ayant eu des différends pour une succession. La fatalité les réunit à la Chaumière. C... ne manque pas l'occasion si favorable de chercher querelle à son jeune camarade, et, dans la discussion, se permet de lui donner un soufflet. Les assistants interviennent; A... se retire aussitôt, court chez un parent ex-sous-officier de cavalerie, commis dans un des grands magasins de la capitale.

Ce dernier se rend en compagnie d'un autre étudiant chez C... et lui demande une réparation par les armes. Le duel est convenu avec les conditions suivantes: on se battra jusqu'à ce qu'une blessure sérieuse permette aux témoins de déclarer l'honneur satisfait.

Le combat commence; quelques instants après, dans une passe vivement engagée, l'ex sous-officier s'aperçoit que C... avait saisi le fer de son camarade et allait lui plonger l'épée dans le ventre. S'élancer sur le traître, la canne à la main, le terrasser, le menacer de l'assommer sur le coup s'il ne fait des excuses, ne fut que l'affaire d'un instant.

A... put continuer ses études en toute sécurité; on savait qu'il ne reculait pas devant la botte et qu'il avait un bon témoin!

Les dernier exemples qui précèdent, s'ils offrent une bonne leçon de nature à réveiller la vigilance et le zèle des témoins dans les combats, contiennent également un salutaire avertissement pour les champions, en leur démontrant la nécessité de se tenir toujours sur leurs gardes, lorsqu'ils entendent le commandement d'arrêter.

19o

Voici un duel à marche interrompue jusqu'à une ligne intermédiaire: L'un des adversaires marche, tire et manque. L'autre, au lieu de s'arrêter et de viser tout le temps prescrit par les articles 10 et 12 des règles du duel, arrive jusqu'à la ligne, vise longtemps et tue raide son antagoniste.

A qui donner la responsabilité d'un pareil assassinat, si ce n'est aux témoins? et pourtant tous continuèrent à se bien porter!

20o

Nous nous occuperons ici d'un exemple récent dont la discussion nous paraît utile et opportune.

M. C... père, propriétaire à..., injurié dans deux articles du journal de la localité notoirement connu comme appartenant à M. Z..., envoya à ce dernier deux de ses amis pour lui demander soit une rétractation de ses outrages, soit une réparation par les armes.

M. Z... mit deux de ses amis en rapport avec les témoins de M. C..., mais il leur avait donné pour mission de refuser et la rétractation et la réparation par les armes.

M. Z... se fondait, pour refuser la réparation demandée, sur ce que, n'étant pas le gérant du journal, il n'était pas légalement responsable des articles qui y étaient publiés.

A la suite de ce refus, M. C... désireux d'avoir une entrevue avec M. Z... pour l'amener à rétracter les injures qu'il disait lui avoir été prodiguées par le journal de ce dernier, se rendit plusieurs fois dans la même journée à l'hôtel où habitait M. Z..., mais il ne l'y trouva pas. Lorsque le soir, à six heures, en rentrant chez lui, M. C... le rencontra dans la rue, accompagné de deux personnes, il l'aborda et lui demanda d'avoir une entrevue avec lui à son hôtel.

M. Z... lui répondit qu'il ne voulait avoir aucune explication avec lui. M. C... insista; M. Z... refusa de nouveau.

Alors M. C..., outré des refus et de l'attitude de M. Z..., lui cracha au visage.

Ce dernier se rendit immédiatement chez le procureur de la République et déposa une plainte.

Ici, nous nous arrêterons, pour présenter quelques observations.

Nous nous étonnerons, en premier lieu, que M. Z... ait pu trouver des témoins disposés à transmettre sa communication et à soutenir son refus d'accorder la satisfaction demandée, sous prétexte que leur client n'étant pas le gérant du journal, il n'était pas légalement responsable des articles qui y étaient publiés.

Cette allégation légalement admissible vis-à-vis de la justice ordinaire, est complètement inadmissible par-devant la juridiction du point d'honneur.

La justice ordinaire s'appuie sur la loi et n'admet que les preuves légales. Ainsi, dans la presse, le gérant d'un journal est déclaré responsable de par la loi; c'est un homme de paille breveté pour répondre légalement des infractions qui peuvent être commises par d'autres.

Il n'en est pas de même dans la juridiction du point d'honneur. Cette juridiction est entièrement basée sur l'opinion publique; ses preuves sont fournies par la notoriété publique. Elle n'admet point d'hommes de paille, de bretteurs, ni de spadassins brevetés pour répondre des méfaits attribués à d'autres. Vis-à-vis d'elle, chacun est responsable des actes qu'il est réputé avoir accomplis ou qui ont été accomplis par son ordre.

Vis-à-vis le point d'honneur, le gérant ou le rédacteur en chef ne sont déclarés responsables que lorsque l'opinion publique ne désigne point l'auteur réel.

Dans bien des circonstances, et pour des motifs faciles à comprendre, on ne recherche pas même le gérant, quand bien même il se déclarerait responsable d'un article injurieux; ou l'on garde le silence du dédain, ou l'on s'adresse aux tribunaux ordinaires.

D'après ce, un ou même plusieurs hommes honorables étant réputés comme patrons d'un journal, peuvent être sujets à des demandes d'explications ou de réparations pour des articles injurieux envers les personnes et les familles, qui pourraient être insérés dans ce journal.

Un désaveu catégorique de leur part dans le journal même est le moyen de dégager leur responsabilité aux yeux de l'opinion publique et des intéressés.

M. Z..., à supposer qu'il ne fût point l'auteur de l'article offensant, qu'il n'ait point été inséré par son ordre, ou même (ce qui arrive quelquefois), que cet article ait été inséré à son insu, devait le désavouer. Ce désaveu pouvait s'effectuer par une simple lettre écrite et signée par lui, insérée dans le journal, ou bien par un procès-verbal signé par lui, par les témoins, et inséré également dans le journal.

Nous nous étonnons encore que les témoins de M. C... n'aient point protesté contre la fin de non-recevoir qui leur était alléguée par les témoins adverses, et ne leur aient point signifié que si leur client persévérait à s'en prévaloir et à refuser toute explication ou réparation ultérieurs, ils dresseraient un procès-verbal de son refus motivé, et le feraient insérer dans les journaux.

M. C... n'avait aucune raison ni obligation de chercher à rencontrer à son domicile M. Z... (Voir Code du duel, chap. III, art. 11, page 188 et Observations, page 195).

En refusant toute explication et réparation, sous un prétexte inadmissible, M. Z... s'est évidemment exposé à l'acte de violence commis envers lui par son adversaire.

Dans l'audience du tribunal, à laquelle toute la ville était venue assister, le procureur de la République soutint naturellement la prévention légale, et requit contre M. C... l'application de la loi, tout en laissant le tribunal juge de la mesure dans laquelle la peine devait être appliquée en présence des circonstances qui avaient amené M. C... à commettre le délit qui lui était reproché.

L'avocat du barreau de Paris avait la partie belle, il ne fut jamais mieux inspiré. Sa parole élevée et souvent dédaigneuse et sarcastique a fait une vive impression et a augmenté encore, s'il était possible, les sympathies qui entouraient M. C... père.

Après la plaidoirie, alors que le tribunal allait se retirer pour délibérer, l'avocat de M. Z... se lève et déclare que son client qui venait de déposer comme témoin, se porte partie civile et demande comme dommages-intérêts l'insertion dans dix journaux à son choix du jugement à intervenir aux frais de M. C...

La réplique du défenseur de M. C... a dû faire regretter à M. Z... le parti qu'il avait pris d'intervenir comme partie civile.

Après une courte délibération, le tribunal prononce un jugement où il déclare: «Que si les injures prodiguées à M. C... dans le journal précité, ne l'excusent pas entièrement de la voie de fait à laquelle il s'est laissé entraîner à l'égard de M. Z..., le refus de ce dernier de donner toute explication au sujet des articles injurieux publiés dans son journal, est une atténuation du fait pour lequel il a porté plainte; qu'aucun préjudice n'a été causé à Z...» En conséquence, il condamne M. C... à 200 francs d'amende et déclare M. Z... mal fondé en sa demande de dommages-intérêts et l'en déboute.

L'affaire paraissait terminée sur le terrain choisi par M. Z... lui-même, lorsqu'au grand étonnement de toute la ville, M. Z... envoya ses témoins à M. C... fils.

Ce dernier répondit: «Que, si M. Z... avait demandé au moment de l'injure une réparation à M. Édouard C... il la lui aurait sans nul doute accordée, quoique son père fût absolument disposé à la lui accorder lui-même, et que son âge, dont on s'était prévalu, ne pût être un obstacle; aujourd'hui, une réparation a été demandée aux tribunaux et accordée par eux: aucune raison d'honneur ne commande à M. C... fils d'en accorder une autre.»

La réponse de M. C... fils est en tout point correcte. Suivant le Code du duel, chapitre III, article 20, page 191, quiconque s'adresse à la justice ordinaire pour la réparation d'une injure, perd tout droit de s'adresser à la juridiction du point d'honneur pour la réparation de cette même offense, suivant l'axiome cité plus haut, non bis in idem.

M. C... était donc en droit de refuser toute réparation ultérieure, il en est à plus forte raison de même de son fils qui n'a lui-même, et que l'on n'a aucune raison de faire intervenir.

M. Z... en mettant ses témoins en rapport avec ceux de M. C... n'avait point excipé l'incompétence de ce dernier. Il l'avait donc virtuellement accepté comme adversaire. Il ne lui était plus permis d'en choisir un autre suivant son caprice.

En dernière analyse, à supposer que, dès le principe, M. Z... se fût adressé à M. Édouard C... fils, cette demande devait passer par la filière froide des témoins, lesquels, se rapportant par analogie au Code du duel, chapitre Ier, article 22, page 169, eussent dû examiner s'il y avait lieu de déclarer M. C... père capable et susceptible de fournir la réparation de l'injure qu'il avait faite, et par conséquent d'opposer une barrière à la louable accession de M. Édouard C... fils.

Nous reproduisons du reste les termes dans lesquels un organe accrédité de la presse parisienne apprécie la fin de cet incident:

«Nous ne saurions trop approuver, dans cette circonstance, la conduite de M. C... fils; il est bien évident que si M. Z... avait eu sérieusement une seule minute l'intention de se battre, il eût accepté, à l'origine, la rencontre qui lui était proposée, et plus tard, quand M. C... l'insulta en pleine rue, il lui eût envoyé tout de suite ses témoins, au lieu d'en appeler purement et simplement aux tribunaux.

«Ce n'est pas la faute de M. C... si le terrain sur lequel il voulait tant aller vider le différend a été changé par son adversaire; le terrain nouveau choisi par M. Z... a dû être subi par M. C... et nous ne comprendrions pas que ce dernier, ni son fils, consentît aujourd'hui à une rencontre, que les façons d'agir de M. Z... ont selon nous rendue impossible.

«Puis, ce serait vraiment commode de pouvoir à son gré choisir son adversaire et d'aller provoquer tel ou tel membre d'une famille, frère, fils, neveu ou cousin, sous prétexte qu'on ne veut pas se battre avec celui-là seul qui est en cause.

«En s'adressant aux tribunaux, M. Z... a défini lui-même la seule satisfaction qu'il désirait, ce n'est pas davantage la faute de M. C... si le tribunal lui a refusé cette satisfaction en le déboutant de sa demande en dommages-intérêts.»

21o

Un ami du Figaro, M. G..., le créateur et correspondant du Courrier des États-Unis, communique à ce journal les détails suivants sur un duel qui, il y a un an et demi environ, causa dans le public une certaine émotion.

Ce duel eut lieu par suite d'une offense avec coups et blessures, commise envers M. B... par M. M...

Laissons d'abord la parole à M. G....

«Les détails, jusqu'à ce jour enveloppés de mystère, du duel du mois de janvier 1877, entre MM. B... et M..., sont publiés par le Times, qui les tient de M. Georges W..., qui lui-même les tenait d'un chirurgien présent à la rencontre. Ce récit réduit à néant les hypothèses plus ou moins comiques et malveillantes qui avaient été faites au sujet du duel, et démontre que la conduite de M. B... a été celle d'un homme de cœur.

«Chacun des deux adversaires avait apporté ses pistolets, et il a été décidé de se servir de ceux de M. M..., qui étaient vieux, rouillés et très durs à la détente. Quand les duellistes ont été en position, les seconds ont donné leurs instructions comme il suit: on devait tirer pendant que le témoin chargé de donner le signal disait: «Feu! un, deux, trois!» Il n'était pas permis de tirer après ce dernier mot.

«Le coup de pistolet de M. M... a retenti en même temps que le commandement de feu. Mais M. B... a eu beau presser la détente de toute sa force pendant la période de temps convenu, le chien a refusé de s'abattre. Son second a fait observer alors que c'était par une circonstance indépendante de la volonté de M. B... que son pistolet n'était pas parti, et, qu'ayant essuyé le feu de son adversaire, il devait avoir le droit de riposter.

«L'observation ayant été reconnue juste, les duellistes ont repris leurs positions, le pistolet de M. B... étant tout chargé. Il a ajusté M. M..., mais, à la dernière seconde, la colère dont il avait évidemment été animé jusque-là a fait place à un sentiment plus noble. Il n'a pas voulu tuer l'homme qui maintenant était à sa merci, et, relevant son pistolet, il l'a déchargé en l'air. En se retirant, il a demandé au chirurgien: «N'ai-je pas bien fait, docteur?» Le docteur regarda alors la cicatrice que la brutalité de M. M... avait laissée sur le visage de M. B...—cicatrice qu'il gardera toujours—et répondit que, tout en rendant hommage à la générosité de sa conduite, il aurait éprouvé à sa place une terrible tentation d'assouvir la vengeance qui était entre ses mains.»

Comme on le voit, et comme tout le monde le savait d'avance, ajoute le Figaro, M. B... s'est conduit en véritable gentleman.

La conduite de MM. les témoins dans le duel dont nous venons de reproduire les curieux détails pourrait donner lieu à une discussion longue et approfondie de nature à soulever de nombreuses questions; nous croyons devoir nous borner à examiner deux points principaux et les plus essentiels.

En premier lieu, nous manifesterons le regret que les témoins aient cru pouvoir choisir des pistolets «vieux, rouillés et très durs à la détente

Suivant les prescriptions du chapitre II, Nature des armes (Voir Chateauvillard, même objet), le choix des témoins ne peut porter que sur des armes en parfait état, et de nature à pouvoir s'en servir en duel.

Serait-on fondé à alléguer que les témoins n'ont agi ainsi que dans l'intention de diminuer les chances funestes de la rencontre, en choisissant des armes moins dangereuses par suite de leur imperfection?

Nous ne saurions admettre une semblable excuse.

Et d'abord, l'imperfection des armes ne peut-elle pas causer de fâcheux accidents à ceux mêmes appelés à en faire usage?

Nous avons établi (chapitre IV, Devoirs des témoins) que: dans une affaire, le premier devoir des témoins est la conciliation, ensuite, tout arrangement étant impossible et la rencontre étant décidée, leur devoir est la modération, afin d'atténuer—dans les limites du juste et du possible—les conséquences funestes du duel, tout en se conformant strictement aux conditions acceptées par les parties.

Nous avons également établi que: ces devoirs des témoins doivent, en pratique, s'accomplir en conformité des règles du point d'honneur, que les témoins sont responsables, sur leur propre honneur, de la vie et de l'honneur de leur client; qu'enfin, dans un duel sérieux,—et nous proscrivons les duels de théâtre,—les conditions de la rencontre doivent être arrêtées d'une manière proportionnelle à l'offense, et rigoureusement accomplies.

Or, dans l'affaire qui nous occupe, où l'offense avec coups et blessures est de la dernière gravité, comment admettre que des témoins puissent «dans un but pacifique» choisir des armes «plus ou moins inoffensives», sans s'exposer, eux et leurs clients, aux commentaires plus ou moins comiques de la malveillance ou de la malignité?

Poser cette question, c'est la résoudre. Tout en maintenant nos regrets pour cette conduite irrégulière des témoins, nous saisissons l'occasion d'insister sur les prescriptions contenues dans les chapitres II et IV du présent Code, à savoir:

Que les armes doivent être en parfait état et de nature à pouvoir s'en servir en duel; qu'après avoir été scrupuleusement visitées et acceptées par les témoins, elles doivent être apportées par eux sur le terrain, et remises entre les mains des champions, seulement au moment du combat.

Lorsque les champions ont le droit de se servir de leurs propres armes, elles doivent être remises préalablement entre les mains des témoins qui les apportent sur le terrain après avoir satisfait aux prescriptions sus-énoncées.

Mais il est une irrégularité bien plus essentielle contre laquelle on ne saurait trop protester, irrégularité d'autant plus blâmable qu'elle constituait de la part des témoins, une aggravation du combat en dehors des règles du duel adopté, et en la défaveur totale de l'un des champions.

Nous demanderons en vertu de quel principe les témoins se sont arrogés le droit d'accorder à M. B... la faculté de riposter, à son adversaire après le mot «trois?»

Déblayons le terrain.

Dans les duels au pistolet, les conventions doivent décider: si le duel sera terminé après une seule reprise, c'est-à-dire, après un seul échange de feu entre les adversaires, quand bien même il n'en résulterait point de blessures; ou bien si le duel ne doit se terminer, quoiqu'il soit sans résultat, qu'après un nombre de reprises déterminé, à moins qu'une simple blessure ou une blessure grave (ce qui est encore à fixer) n'en vienne avancer le terme.

Ou bien enfin, si le duel aura lieu à outrance, c'est-à-dire, ne devra se terminer que lorsqu'un des antagonistes aura été reconnu hors de combat?

L'usage assez universellement admis réclame l'outrance dans les affaires motivées par l'insulte la plus grave, et avec coups et blessures.

Coup raté compte pour tiré, à moins d'une convention contraire, laquelle en peut être virtuellement posée, comme nous allons le voir, dans certaines espèces de duel.

Dans le duel au signal, au commandement tel que nous l'avons décrit (Voir chapitre VIII, Duel au signal), le témoin désigné frappe trois coups séparés par des intervalles égaux et déterminés. Personne ne peut tirer ni avant, ni après le troisième coup, on doit tirer simultanément. Les témoins sont en droit et en devoir d'empêcher quiconque de tirer après le troisième coup; car le duel est terminé, à moins qu'il ne soit à plusieurs reprises où à outrance. Dans ce cas le duel recommence comme si tous les deux avaient fait feu, c'est-à-dire, à chances égales comme dès le principe.

Comme on le voit, dans le duel au signal ou au commandement, les deux adversaires sont à chance égale, tous les deux sont sujets aux mêmes émotions; tous les deux ont la même préoccupation, celle de pouvoir être atteints; cette parité de préoccupation, d'appréhension influe tout naturellement sur la justesse du tir chez tous les deux.

D'après ce, l'on remarque que la faculté d'une riposte après le troisième coup est impossible, car elle vicie la base essentielle de ce duel.

Ainsi, celui qui riposterait après le troisième coup, jouirait, au détriment de son adversaire, de deux avantages d'une importance majeure.

Celui de pouvoir ajuster sans émotion, puisqu'il est exempt de l'appréhension de recevoir la balle de son adversaire.

Cette sécurité n'influe-t-elle pas sur la précision de son tir?

Ayant déjà ajusté son adversaire à la même place, ne lui est-il pas plus facile de régler son tir en recommençant?

D'après ce, sous quelque prétexte que ce soit, que le chien du pistolet soit paralytique, que la capsule soit anémique, que la gâchette soit tombée en léthargie, dans le duel au signal ou commandement, personne ne doit faire feu après le troisième coup. Le duel est terminé, et ne peut recommencer qu'à chances égales, si les conditions arrêtées en imposent l'obligation.

Dans la rencontre qui nous occupe, le narrateur omet de relater si le duel devait finir à la première reprise, où s'il devait continuer jusqu'à une reprise déterminée, ou s'il devait être à outrance.

Il nous fait connaître dans l'espèce, que c'était un duel au commandement, et qu'après le mot «trois» il n'était plus permis à personne de tirer.

Cela nous suffit pour soutenir, suivant les principes exprimés plus haut, que: malgré que le chien du pistolet de M. B... ait été rénitent, les témoins ont commis une blâmable irrégularité en accordant à ce dernier la faculté de riposter après le mot «trois»!

Quelle responsabilité pour les témoins, principalement pour ceux de M. M..., si M. B... n'eût pas généreusement renoncé au droit qui lui était injustement accordé, et qu'il en fût résulté une blessure grave ou même la mort?

De si graves irrégularités peuvent se mettre sur le compte de l'inexpérience des témoins, soit; mais n'eût-il pas été plus sage et plus prudent de leur part de consulter au préalable et confidentiellement des personnes plus expérimentées?

Dieu préserve nos lecteurs de se trouver dans l'obligation de réclamer l'assistance de pareils témoins!


Un mot sur l'acte de tirer en l'air.

Cet acte généreux termine naturellement le combat. Si le duel, suivant les conventions, doit se terminer après une seule reprise, rien de mieux. Mais si le duel, dans une affaire grave, doit continuer, trouvera-t-on toujours des témoins disposés à accepter ou à permettre que l'un des adversaires, tirant en l'air, mette ainsi fin au duel avant le terme fixé par les conditions arrêtées?

Cette question demanderait de trop longs développements; nos lecteurs voudront bien y suppléer.


La plupart du temps, ceux qui proposent un duel à bout portant avec une seule arme chargée ne sont que des lâches, cherchant à se bâtir une réputation de bravoure, sur le refus qu'un honnête homme est toujours en droit de leur opposer. C'est parfois un acte de courage, quand celui qui fait cette proposition se trouve dans l'impossibilité réelle de trouver une satisfaction équitable de la dernière des insultes dans les duels légaux; du reste nous aurons à revenir sur ce triste sujet dans les duels exceptionnels.

22o

Un jeune homme aventureux ayant entendu parler de la bravoure du comte K..., désire s'en assurer; il va lui proposer un duel à bout portant avec une seule arme chargée. Le comte K... lui répond: «Je ne pense pas avoir encore fait de folie dans ma vie, mais une fois n'est pas coutume, j'accepte votre proposition!»

Quelques heures après, l'écervelé avait eu la récompense de sa curiosité; ayant eu la mauvaise chance, il avait laissé sa vie dans le combat.

Quel mauvais génie l'avait poussé à solliciter un passeport pour aller étudier le Code du duel dans l'autre monde?

23o

Le même duel est proposé à M. V... «Soit, dit-il, j'accepte. L'administration des pompes funèbres enverra un corbillard sur le terrain pour emporter celui de nous deux qui aura succombé. Vous avez sans doute choisi vos témoins, je me hâte de sortir pour chercher les miens.»

Cela dit, il prend son chapeau et se dispose à sortir.

Le faux brave ne lui en laisse pas le temps, et le prie très sincèrement d'agréer ses regrets!

Les exemples variés que nous venons de présenter suffiraient sans nul doute pour justifier aux yeux de nos lecteurs, les articles établis dans les précédents chapitres.

Nous passerons donc aux règles spéciales des différents duels en commençant par le duel à l'épée.

CHAPITRE VI
DU DUEL A L'ÉPÉE

Art. 1.—Arrivés sur le terrain, les adversaires se saluent courtoisement ainsi que tous les témoins respectifs; ils ne doivent avoir entre eux aucune explication, toute décision quelconque qu'ils pourraient prendre peut être considérée comme nulle.

Art. 2.—Dans la généralité des duels, sauf les cas où une règle particulière remet ce droit à la désignation du sort, le doyen d'âge, parmi les témoins, dirige la rencontre assisté par le plus âgé de la partie adverse. Les deux témoins moins âgés les aident dans l'accomplissement de leur mission.

Art. 3.—Les témoins, après avoir reconnu le terrain le plus égal et le plus propre au combat, choisissent le plus également possible deux places à distances suffisantes pour que les adversaires étant fendus ne puissent avoir de contact par la pointe de leurs épées.

Art. 4.—Les places sont tirées au sort.

Art. 5.—Les champions sont invités à se dépouiller de leurs habits, et les témoins constatent qu'ils ne portent aucuns corps étrangers capables de parer un coup d'épée.

Le refus de leur part de se soumettre à cette visite équivaudrait à un refus de duel (Voir chap. IV, art. 34).

Art. 6.—Le témoin qui dirige le duel, invite celui qui l'assiste à lire aux combattants les conditions établies. Cette lecture terminée. Il leur dit: «Messieurs, vous avez entendu la lecture des conditions adoptées par vos témoins et ratifiées par vous. Promettez-vous de vous y conformer honorablement?»

Sur la réponse affirmative des deux adversaires, il continue:

«Je vous avertis que vous ne devez ni croiser le fer, ni avancer, avant le commandement: «Allez!» et que l'honneur vous oblige à vous arrêter immédiatement au commandement: «Arrêtez!» (Voir chap. IV, art. 35.)

Art. 7.—Cette formalité accomplie, les deux témoins les plus jeunes conduisent chacun leur client à la place qui lui est échue par le sort.

Art. 8.—Les témoins prennent les armes acceptées antérieurement et qu'ils ont apportés sur le terrain, ils les soumettent à une contre-visite pour constater définitivement qu'elles sont de même nature, parfaitement égales, très également équilibrées, également effilées, et que les épées ne sont ni tranchantes, ni ébréchées; les armes sont remises aux champions.

Art. 9.—L'insulté a le privilége de se servir de ses armes s'il est dans le cas de l'article 30 du Ier chapitre; toutefois ces armes doivent avoir été remises par avance aux témoins, reconnues propres au combat, acceptées et apportées par eux sur le terrain.

Art. 10.—Les gants d'armes sont de convention réciproque; nul ne peut prétendre imposer cette convention; un gant ordinaire ou un gant d'ordonnance est toujours permis.

Art. 11.—Chaque combattant a le droit d'entourer sa main par un mouchoir roulé ou par un cordon. Les bouts du mouchoir ne doivent pas pendre.

Dans le cas contraire, les témoins adversaires sont en droit d'exiger qu'il l'enlève et ne se serve que d'un simple cordon.

Art. 12.—Après la remise des armes, les témoins, armés chacun d'une épée ou d'une canne dont ils tiennent la pointe ou le bout baissé, se rangent de chaque côté des combattants, de manière à ce que chaque champion ait auprès de lui un témoin adversaire.

Ils doivent observer attentivement, et se tenir prêts à arrêter, s'ils remarquent la moindre irrégularité dans le combat. (Voir art. 40, chap. IV.)

Art. 13.—Tout le monde étant à son poste, le témoin désigné donne le signal: «Allez!»

Art. 14.—Si avant le commandement, les épées se sont rapprochées ou jointes par l'initiative des combattants, les témoins doivent les faire arrêter, les faire rompre, réprimander celui qui s'est avancé le premier et faire recommencer le combat suivant les règles.

Art. 15.—Les règles du combat permettent de se baisser, se soulever, se jeter à droite ou à gauche, en avant, rompre, en un mot toute évolution autour de l'adversaire.

Art. 16.—Dans le duel à l'épée, il est expressément défendu de détourner le fer avec la main gauche, à moins d'une convention expresse à cet égard.

Les témoins feront bien d'éviter d'accéder à une pareille convention laquelle pourra toujours être refusée par l'agresseur.

Art. 17.—En cas de contravention de la part d'un champion au précédent article, les témoins adversaires peuvent exiger que la main du contrevenant soit attachée de manière à ce que cette irrégularité ne puisse se renouveler.

Art. 18.—C'est une action blâmable, contraire aux règles de ce duel, de frapper son adversaire, s'il est désarmé, s'il a fait une chute, s'il est à terre; de lui saisir la main ou le corps.

Art. 19.—Un combattant est regardé comme désarmé, lorsque son épée est visiblement sortie de la main, ou s'en est échappée.

Art. 20.—Lorsqu'un des combattants se déclare blessé, ou qu'un témoin quelconque s'en aperçoit, il doit arrêter immédiatement le combat.

Le combat ne peut recommencer qu'avec le consentement du blessé. Ce consentement étant affirmé par les témoins, celui qui dirige le duel donne le commandement suivant: «Messieurs, en garde!» et ensuite, le commandement: «Allez!» (Voir chap. IV, Devoirs des témoins.)

Art. 21.—Si après le combat arrêté le blessé continuait à se battre ou se jetait sur son adversaire, tous les témoins doivent l'arrêter de nouveau, et ses témoins principalement doivent le réprimander.

Si après le combat arrêté, et une blessure déclarée, le champion non blessé se jetait sur son adversaire, tous les témoins doivent l'arrêter, dresser procès-verbal, car il est considéré comme ayant violé les règles du duel.

Art. 22.—Si dans les cas précités, ou voyant la fatigue des champions, l'un des témoins lève la canne ou l'épée, ce signe indique de sa part le désir d'arrêter. Dans ce cas, celui qui dirige le duel ou son collègue, si le signal ne vient pas de leur côté, ou s'il en est autrement, tous autres témoins de la partie adverse peuvent crier: «Arrêtez!»

Les combattants doivent rompre aussitôt et se tenir en garde, même si l'un d'eux croit avoir blessé son adversaire, jusqu'à l'avis contraire des témoins.

Art. 23.—Si l'un des combattants est tué ou blessé contrairement aux règles du duel ou aux conventions établies, les témoins doivent dresser procès-verbal et se conformer sans délai aux prescriptions des articles 40 et 41 du chapitre IV.

Cet article essentiel est obligatoire pour tous les duels.

OBSERVATIONS
SUR L'ARTICLE 1er.

Les conventions du duel ayant été établies de manière à éviter toutes difficultés sur le terrain, il est naturel d'interdire toute conversation entre les adversaires à ce moment suprême.

D'abord cette conversation est inutile et peut même amener de graves inconvénients.

Elle est inutile, car les champions, s'accorderaient-ils pour modifier les conventions, leur décision devrait être soumise à la discussion des témoins et regardée par eux comme nulle et non avenue.

Elle peut amener de graves inconvénients, celui par exemple d'une altercation qui serait, indépendamment de ses conséquences pour envenimer l'affaire, tout au moins, des plus inconvenantes.

Arrivés sur le terrain, les adversaires doivent se saluer courtoisement, ainsi que leurs témoins respectifs, garder le silence, et conserver toujours cette attitude pleine de dignité qui dénote l'homme aussi brave que bien élevé.

Nous disons toujours, car, pendant le combat, les adversaires doivent s'abstenir de cris, exclamations, etc., de mauvais goût.

Il est au contraire de suprême bon goût, de voir un champion interpellé par ses témoins s'il consent à s'arrêter, s'incliner et répondre qu'il est à la disposition de son adversaire.

La courtoisie est toujours de meilleure mise dans les affaires d'honneur.

SUR L'ARTICLE 2.

Dans les duels à l'arme blanche, comme dans tous les duels d'ailleurs, le choix du terrain est de grande importance.

Le terrain doit être choisi sur une surface plane, aussi égale que possible, assez spacieuse pour permettre aux combattants d'effectuer toutes les évolutions permises dans ce genre de combat.

On doit éviter tout terrain encaissé, borné par des élévations ou obstacles de nature à produire des chutes, des faux pas, ou à permettre aux adversaires de s'acculer mutuellement.

L'ampleur du terrain doit être telle, que les témoins placés sur une ligne et sur le côté, puissent se trouver toujours à une distance de deux mètres au moins des champions, afin de ne jamais les gêner dans leurs mouvements, sans pourtant cesser un seul instant de pouvoir surveiller le combat.

En aucune circonstance, et sous aucun prétexte, les témoins ne doivent se trouver derrière les combattants.

SUR L'ARTICLE 5.

Souvent des combattants portent sur eux, soit des médailles, soit de l'argent, soit des médaillons ou portraits. Une pièce dans le gousset peut sauver la vie, nous l'avons prouvé par l'exemple du porte-monnaie que nous avons cité au chapitre V. Toutes les chances, dans un duel, doivent être parfaitement égales. Il est donc de toute justice que chaque champion se dépouille de tout ce qui peut sauver sa vie au détriment de son adversaire, et les combattants doivent loyalement s'empresser de donner la preuve qu'ils ne portent sur eux aucun corps étranger capable de parer un coup d'épée.

D'après ce, tout champion obligé de porter par exemple une ceinture herniaire, dont il ne pourrait sans danger se passer pendant le combat, doit préalablement le déclarer à ses témoins, qui en font part immédiatement aux témoins de l'adversaire.

Cette déclaration doit être faite au moment où l'on établit les conventions du duel et par conséquent cette circonstance est connue par l'adversaire et par ses témoins avant d'aller sur le terrain.

Arrivés sur le terrain, les témoins de ce dernier sont en droit de vérifier la ceinture déclarée, afin de s'assurer si elle constitue simplement le bandage dont on use communément dans les affections herniaires. (Voir chap. V, exemple no 5.)

SUR L'ARTICLE 8.

Pour éviter tout inconvénient, nous avons établi que les témoins fussent chargés de porter les armes sur le terrain.

Quand bien même les champions auraient le droit de se servir des leurs, ils doivent les remettre aux témoins qui les déclarent admissibles après avoir procédé à leur visite, et ont soin qu'elles soient d'égale longueur, etc. L'usage de lier chaque paire d'épée choisie et de sceller les bouts sur un papier fort, en y apposant le cachet d'un témoin de chaque partie, nous paraît de très bon conseil.

Cependant au moment où les combattants sont conduits à leur place après la rupture des scellés, le mesurage se renouvelle pour la forme, et on donne les armes à choisir à celui qui en a le droit.

Les armes ne doivent point être ébréchées, parce que la brèche, accrochant le fer de l'adversaire, le détourne et rabat plus facilement, et que la blessure est nécessairement plus grave.

Nous conseillons aux témoins de veiller à ce que la garde soit de la même importance et que la poignée soit également équilibrée. Équilibrée dans la moyenne ordinaire: ceci, pour éviter qu'un homme fort fasse équilibrer d'une manière plus pesante les armes, afin d'avoir un avantage sur un antagoniste plus faible.

SUR L'ARTICLE 11.

Le mouchoir dont on s'entoure la main ne doit pas pendre parce que si, au commencement du combat, l'un des champions laissait avec ou sans intention voltiger les bouts ou même un seul bout de ce foulard, son mouvement continuel d'oscillation troublerait la vue de l'adversaire et diminuerait pour ce dernier l'égalité des chances. Nous avons eu nous-même l'occasion de constater de visu l'utilité de cet article. Aussi n'entendons-nous laisser pendre ni les bouts d'un cordon, ni même l'olive d'une dragonne.

SUR L'ARTICLE 16.

Pour ce qui regarde cet article nous n'avons rien à ajouter aux observations relatives à l'article 27 du chapitre IV.

SUR LES ARTICLES 18, 19, 20 ET 21.

Sur une riposte du tout au tout portée dans un combat mené avec une égale vigueur de part et d'autre, où les coups se succèdent avec une précipitation proportionnelle à l'ardeur croissante des combattants, ne peut-il point arriver, et n'arrive-t-il pas assez souvent qu'on n'ait pas eu le temps de s'apercevoir que son adversaire est désarmé? C'est dans le but d'éclairer cette situation que nous avons introduit dans l'article 19, le mot visiblement. Sans doute tout combattant pour lequel il a pu être visible que son adversaire est désarmé, doit, sans attendre la voix des témoins, rompre en garde et s'arrêter; si les témoins ont pu voir que l'épée était sortie de la main avant la riposte, le combattant armé est sensé s'en être aperçu, et s'il a touché son ennemi, il a commis une violation des règles du duel. Si l'on se refusait à admettre cette supposition, on arriverait à frapper son adversaire quand son épée serait à terre. Ici tout dépend de la vigilance et de la sûreté de coup d'œil des témoins, le temps et la position doivent leur fournir les bases nécessaires pour établir leur jugement sur cette importante question.

Nous le répétons, tout combattant qui a blessé son adversaire doit, selon les règles de la délicatesse du point d'honneur, rompre en restant en garde et s'arrêter; mais il arrive souvent que l'animation du combat empêche pendant quelques instants de sentir une blessure; d'ailleurs, le combat n'est réellement arrêté, selon les règles du duel, que par le commandement des témoins, ou en cas de désarmement. Ceci s'explique parfaitement. Emporté par l'amour-propre et par son ardeur, souvent le blessé continue peut-être avec plus de vigueur, au moins pour le moment, et celui qui a porté le coup croit n'avoir pas touché.

Il ne suffit pas que les témoins crient d'arrêter, mais il faut que leur voix soit toujours entendue et obéie, et qu'ils aient les moyens de dégager leur responsabilité à cet égard. C'est dans ce but que, dans le chapitre IV, nous avons établi les articles 38 et 39.

Au moment où les témoins crient d'arrêter, les deux témoins les plus proches s'avancent vers les combattants, les font rompre, et se tiennent à leur côté presque face à face, en baissant le bout de leur arme, et invitant les adversaires à baisser la pointe de leur épée. Pendant ce temps-là les deux autres témoins peuvent conférer et aviser sans craindre le moindre inconvénient.

Cette méthode que nous avons vu pratiquer dans différentes affaires auxquelles nous avons assisté, soit comme acteur, soit comme témoin, nous a paru excellente pour garantir de toute violation des conditions du duel.

Sauf la condition d'une blessure sérieuse, ou surtout d'un duel à outrance, le combattant blessé peut ne pas recommencer s'il le juge convenable; mais s'il y consent, ses témoins doivent juger s'il leur convient d'assumer la responsabilité de le lui permettre, et dans le cas de l'affirmative, ils doivent ne pas être plus de dix minutes avant de le faire mettre en garde.

CHAPITRE VII
DU DUEL AU SABRE

Art. 1er.—Comme article 1er, duel à l'épée.

Art. 2.—Comme article 2, duel à l'épée.

Art. 3.—Les témoins, après avoir reconnu le terrain le plus égal et le plus propre au combat, choisissent le plus également possible deux places à un mètre de distance des pointes des sabres, les deux adversaires étant fendus.

Art. 4.—Les places sont tirées au sort.

Art. 5.—Les champions sont invités à se dépouiller de leurs habits, et les témoins constatent qu'ils ne portent sûr eux aucuns corps étrangers capables de parer un coup de sabre.

Le refus de leur part de se soumettre à cette visite, équivaudrait à un refus de duel. (Voir chap. IV, art. 34.)

Art. 6.—Le témoin qui dirige le duel invite celui qui l'assiste à lire aux combattants les conditions établies. Cette lecture terminée, il leur dit: Messieurs, vous avez entendu la lecture des conditions adoptées par vos témoins et ratifiées par vous. Promettez-vous de vous y conformer honorablement? Sur la réponse affirmative des deux adversaires, il continue ainsi:

Je vous avertis que vous ne devez ni croiser le fer, ni avancer avant le commandement: Allez! et que l'honneur vous oblige à vous arrêter immédiatement au commandement: «Arrêtez!» (Voir chap. IV, art. 35.)

Art. 7.—Cette formalité accomplie, les deux témoins les plus jeunes conduisent chacun leur ami à la place qui lui a été désignée par le sort.

Art. 8.—Les témoins prennent les sabres acceptés antérieurement, et qu'ils ont apportés sur le terrain. Ils les soumettent à une contre-visite pour constater définitivement qu'ils sont de même monture, de même nature, parfaitement égaux, soit également équilibrés, soit également tranchants et effilés à la pointe, et que les lames ne sont point ébréchées.

Dans la même paire de sabres, le choix de l'arme se tire au sort.

Les armes sont remises aux champions.

Art. 9.—L'insulté a le privilége de se servir de ses armes, s'il est dans le cas de l'article 30 du chapitre Ier, à charge à lui d'en offrir une à son adversaire, qui peut le refuser et dans ce cas se servir des siennes.

Si les deux combattants sont du même régiment, chacun peut se servir de son propre sabre, pourvu qu'il soit de même monture et de même nature, conformément aux prescriptions de l'article 8.

Toujours et dans tous les cas, les armes doivent avoir été remises préalablement aux témoins, reconnues propres au combat, acceptées et apportées sur le terrain.

Art. 10.—Le gant crispin peut être permis en vertu d'une convention réciproque. Nul ne peut prétendre imposer cette convention.

Un gant ordinaire ou un gant d'ordonnance sont toujours permis.

Art. 11.—Chaque combattant a le droit de s'entourer la main d'un mouchoir roulé ou d'un cordon; les bouts du mouchoir ne doivent pas pendre.

Dans le cas contraire, les témoins adversaires sont en droit d'exiger qu'il enlève le mouchoir et ne se serve que d'un simple cordon.

Art. 12.—Après la remise des armes, les témoins, armés chacun d'un sabre ou d'une forte canne, dont ils tiennent la pointe ou le bout baissé vers la terre, se divisent et se rangent de chaque côté des combattants, de manière à ce chaque champion ait auprès de lui un témoin adversaire.

Ils doivent observer attentivement et se tenir prêts à arrêter s'ils remarquent la moindre irrégularité dans le combat. (Voir chap. IV, art. 40.)

Art. 13.—Tout le monde étant à son poste, le témoin désigné donne le signal: Allez!

Art. 14.—Si avant le commandement les sabres se sont rapprochés ou joints par l'initiative des combattants, les témoins doivent les faire arrêter, rompre, les réprimander (principalement celui qui s'est avancé le premier) et faire recommencer le combat suivant les règles.

Art. 15.—Les règles de ce duel permettent de porter des coups d'estoc et de taille, de se baisser, de se soulever, de sauter à droite et à gauche, de rompre, avancer, faire, en un mot, toute évolution autour de son adversaire.

Art. 16.—Dans ce duel, il est expressément défendu de détourner le fer avec la main gauche, à moins d'une convention expresse à cet égard. Les témoins feront bien d'éviter d'accéder à une pareille convention, laquelle peut toujours être refusée par l'agresseur.

Art. 17.—En cas de contravention au précédent article de la part du champion, les témoins adversaires peuvent exiger que la main du délinquant soit attachée de manière à ce que cette irrégularité ne puisse se renouveler.

Art. 18.—C'est une action blâmable, contraire aux règles de ce duel, de frapper son adversaire s'il est désarmé, s'il a fait une chute, s'il est à terre, de lui saisir la main ou le corps, de saisir son arme avec la main.

Art. 19.—Un combattant est regardé comme désarmé lorsque son sabre a visiblement abandonné la main, s'en est échappé.

Art. 20.—Lorsque l'un des combattants se déclare blessé, ou qu'un témoin quelconque s'en aperçoit, il doit arrêter immédiatement le combat.

Le combat ne peut recommencer qu'avec le consentement du blessé.

Ce consentement étant affirmé par les témoins, celui qui dirige le duel donne le commandement: «Messieurs, en garde!» et ensuite le commandement: «Allez!» (Voir chapitre IV, Devoirs des témoins.)

Art. 21.—Si, après le combat arrêté, le blessé continuait à se battre ou se jetait sur son adversaire, tous les témoins doivent l'arrêter de nouveau, et ses témoins principalement doivent le réprimander.

Si, après le combat arrêté et une blessure déclarée, le champion non blessé se jetait sur son adversaire, tous les témoins doivent l'arrêter, dresser procès-verbal, et il est considéré comme ayant manqué aux règles du duel.

Art. 22.—Si dans les cas précités, remarquant la fatigue des champions, l'un des témoins lève le sabre ou la canne, ce signe indique de sa part le désir d'arrêter. Dans ce cas, celui qui dirige le duel, si le signe ne vient pas de son côté, ou, s'il en est autrement, tout autre témoin de la partie adverse peut crier: Arrêtez!

Les combattants doivent rompre aussitôt en se tenant en garde, même si l'un d'eux croit avoir blessé son adversaire, jusqu'à l'avis contraire des témoins.

Art. 23.—Si l'un des combattants est tué ou blessé contrairement aux règles du duel ou aux conditions établies, les témoins doivent dresser procès-verbal et se conformer, sans délai, aux prescriptions des articles 40 et 41 du chapitre IV.

Du duel au sabre sans pointe.

Art. 1er.—Dans ce duel, on doit, autant que possible se servir du sabre sans pointe.

Art. 2.—Les armes sont tirées au sort.

Art. 3.—Il est expressément défendu aux adversaires de se porter des coups de pointe.

Toute contravention à cette disposition essentielle serait un assassinat, car l'adversaire, ne devant prévoir un tel coup, ne peut se tenir sur ses gardes et venir à la parade.

Art. 4.—Dans ce duel, les témoins peuvent convenir, par avance, que le combat finira à la première blessure. Cela dépend de la gravité de l'affaire et des conventions.

Il est même d'usage de l'arrêter à la première blessure; cela dépend encore des conventions et du consentement des adversaires sur le terrain.

Art. 5.—Sauf les dispositions particulières énoncées dans les quatre articles ci-dessus, toutes les prescriptions contenues dans les articles du duel précédent sont obligatoires dans le duel au sabre sans pointe.

OBSERVATIONS

Sur les duels au sabre (page 348).

SUR L'ARTICLE 5.

Les témoins peuvent toujours permettre que l'on garde la chemise ordinaire; dans les temps très froids, ils peuvent tolérer le gilet de laine, pourvu que les deux parties en fassent usage.

Quelques personnes désirent que l'on puisse préserver la figure par des masques d'armes. Nous ne connaissons point d'exemple d'une pareille tolérance. Du reste, tout est de convention réciproque. C'est encore une convention exceptionnelle qui n'est, en aucun cas, obligatoire pour aucun des combattants.

SUR L'ARTICLE 8.

Il serait à souhaiter que les témoins puissent spécifier l'usage des sabres courbes comme moins dangereux. Tant mieux, s'ils peuvent réussir à faire établir cette convention; mais elle ne peut être imposée par personne.

SUR L'ARTICLE 9.

Nous avons obvié à tout inconvénient en établissant que les armes doivent être visitées et acceptées par les témoins avant d'aller sur le terrain; et que lesdites armes doivent être apportées par eux. (Voir art. 32, chap. IV.)

SUR L'ARTICLE 10.

On se sert de gants à la crispin, suivant les conventions. Nous avons, nous-même, assisté à plusieurs duels où l'on se servait tout simplement d'un gant ordinaire, un peu fort, ou d'un gant d'ordonnance. Renseignements pris, cet usage est le plus commun. Même dans le cas de l'article 9, nous ne croyons pas que le gant crispin puisse être imposé; c'est une convention purement exceptionnelle.

SUR LES ARTICLES 17, 18 et 19.

En plaçant les témoins dans l'ordre prescrit par l'article 37 du chapitre IV, ils ont toute facilité pour veiller à l'exécution loyale des conditions du duel, soit en cas de désarmement, de blessure; soit même qu'il leur plaise d'arrêter le combat pour quelque motif que ce puisse être.

Sur le duel au sabre sans coups de pointe (page 353).

Le duel au sabre sans pointe, moins d'usage en France qu'à l'étranger, trouve néanmoins sa place parmi les duels légaux, parce que le duel au sabre sans pointe est un duel auquel, ordinairement, la moindre blessure doit mettre fin, un duel peu dangereux, un duel pour se laver d'une offense et non pour se venger, un duel au premier sang.

C'est donc combattre l'inhumanité du duel que de donner celui-ci comme légal.

Quelques personnes appréhendent ce duel dans la crainte que l'un des adversaires, dans l'ardeur du combat, ne soit assez oublieux pour porter un coup de pointe, et ne soit, par ce fait même, considéré comme étant dans le cas des articles 40 et 41 du chapitre IV; ce qui serait en effet s'il transgressait les conditions de ce combat que nous nous croyons autorisé à maintenir, d'autant plus que notre étude a pour but de satisfaire à un intérêt général.

Cependant, faisant droit à cette appréhension, si l'un des adversaires déclarait qu'il ne peut être assez maître de lui pour ne point porter des coups de pointe, qu'il craint de manquer aux lois du combat et de l'honneur, les témoins seraient tenus de se servir d'une paire de sabres sans pointe.

Dans les duels au sabre comme dans les autres, le combattant qui voit son adversaire désarmé doit, sans attendre la voix des témoins, rompre en garde et s'arrêter. La courtoisie et la délicatesse lui indiquent encore de rompre en garde lorsqu'il croit avoir blessé son adversaire. Les combattants et les témoins dans ces différents cas doivent suivre les mêmes errements que dans les observations sur les duels à l'épée.

Quelques amateurs se montrent très peu partisans du duel au sabre, dont ils allèguent l'infériorité sous le point de vue de l'art de l'escrime, et ensuite sous le rapport de la répulsion pour les blessures effroyables qui en sont parfois le résultat.

L'escrime du sabre moins compliquée, disent-ils, donne lieu à une largeur de mouvements qui laissent une vaste surface à découvert. Le tireur à l'épée a donc une supériorité positive sur son adversaire. Cette supériorité, il est vrai, n'est plus la même, lorsque la pointe est défendue.

C'est précisément le peu de complication de l'escrime au sabre qui engage à le conseiller à ceux dont l'ignorance est à peu près complète sur l'usage des armes.

Un poignet vigoureux, bon pied, bon œil, du cœur au ventre surtout, suffisent à un honnête homme, moyennant quelques séances chez un maître d'armes expérimenté, pour se trouver en mesure de défendre sa vie dans une rencontre au sabre.

De nombreux exemples prouvent que l'on y parvient facilement, si l'on a le sang-froid de garder la défensive, de tenir la pointe au corps et d'attendre pour riposter à son adversaire que l'impatience le porte à se découvrir. Dans certaines armées, on préconise le sabre, non seulement parce que cette arme est plus facile à manier, mais parce que l'on pense que nul n'est censé ignorer l'usage de l'arme qu'il emploie devant l'ennemi.

Du reste, chez les militaires comme chez tous, l'offensé qui se trouve dans le cas de l'article 30 du chapitre Ier a toujours le droit de choisir l'arme qui lui convient le mieux.

CHAPITRE VIII
DES DUELS AU PISTOLET

Il y a diverses sortes de duels au pistolet, il existe une règle généralement admise pour tous, savoir:

1o Que la distance la plus rapprochée entre les adversaires ne peut être inférieure à 12 mètres environ (15 pas).

2o Que les armes doivent être inconnues aux champions à moins de conventions contraires.

3o Que le guidon de ces armes soit parfaitement fixe.

4o Que l'on ne peut tolérer entre les armes une différence supérieure à 3 centimètres (15 lignes) de longueur pour le canon.

Duel au pistolet et de pied ferme.

Art. 1er.—Arrivés sur le terrain, les adversaires se saluent courtoisement ainsi que leurs témoins respectifs, et gardent le silence, ils ne doivent avoir entre eux aucune explication. Toute décision quelconque qu'ils pourraient prendre, peut être considérée comme nulle, par les témoins, qui sont leurs fondés de pouvoir.

Art. 2.—Dans ce duel, un témoin désigné par le sort dirige la rencontre assisté par le témoin le plus âgé de la partie adverse. Les autres témoins les aident dans l'accomplissement de leur mission.

Art. 3.—Les témoins, après avoir reconnu le terrain le plus propre au combat, marquent le plus également possible deux places séparées par une distance de 12 à 27 mètres (15 à 35 pas).

Art. 4.—Les places sont tirées au sort.

Art. 5.—Les armes doivent être égales et de la même paire de pistolets.

Elles doivent être absolument inconnues aux combattants. Cependant, par convention réciproque, dans certains cas, les témoins peuvent permettre à chacun de se servir des siennes.

Art. 6.—Il est permis à l'insulté, s'il se trouve dans la catégorie de l'article 30 du Ier chapitre, de se servir de ses propres armes, mais il doit en offrir une à son adversaire, lequel est libre de la refuser, d'en demander d'autres ou même, dans ce cas, de se servir des siennes.

Art. 7.—Dans les cas prévus par l'article 6, celui auquel appartiennent les armes, doit en abandonner le choix à l'adversaire, à moins que chacun ne soit autorisé à se servir des siennes. Dans tout autre cas, le choix des armes est tiré au sort.

Art. 8.—Dans tous les cas, les armes doivent avoir été remises, par avance, entre les mains des témoins, reconnues propres au combat, acceptées et apportées par eux sur le terrain.

Art. 9.—Si les témoins ont amené un chargeur (ce qui est une excellente précaution), ce dernier accomplit son office à l'écart, en présence, au moins, de l'un des témoins de chaque partie.

Art. 10.—Dans le cas contraire, les témoins doivent charger les armes, les uns devant les autres, sans précipitation, et avec la plus scrupuleuse attention.

Chacun d'eux, si c'est la même paire de pistolets qui sert au combat, doit faire connaître aux témoins adversaires la mesure de sa charge; ces derniers comparent avec la même baguette le contenu du pistolet.

Dans tout autre cas les témoins chargent les uns devant les autres, et l'un après l'autre, en présence de tous les quatre.

Art. 11.—Si la distance est fixée à 27 mètres, (35 pas) l'insulté, s'il est dans la situation prévue par les 29e et 30e articles du Ier chapitre, a le droit de tirer le premier.

Si les distances sont plus rapprochées, la primauté du tir est laissée à l'arbitrage du sort.

Art. 12.—Les champions sont invités à se dépouiller de leurs habits et les témoins constatent qu'ils ne portent sur leur personne aucun corps étranger susceptible d'amortir et de parer le choc de la balle.

Le refus de leur part de se soumettre à cette visite équivaudrait à un refus de duel. (Voir chap. IV, art. 34.)

Art. 13.—Le témoin qui dirige le duel invite celui qui l'assiste à lire aux combattants les conditions établies; cette lecture terminée, il leur dit:

«Messieurs, vous avez entendu la lecture des conditions adoptées par vos témoins et ratifiées par vous, promettez-vous de vous y conformer honorablement?»

Sur la réponse affirmative des deux adversaires il continue ainsi: «Je vous avertis qu'au commandement préparatoire: «Armez!» vous devez armer, et que l'honneur vous oblige à attendre avant de faire feu le 2e commandement: «Tirez!»

Art. 14.—Les témoins désignés conduisent chacun leur client à la place qui lui est échue par le sort.

Les armes sont livrées aux combattants.

Art. 15.—Les témoins se placent tous les quatre d'un même côté et sur la même ligne, en ayant soin que chaque champion ait pour voisin un témoin adversaire.

Art. 16.—Les témoins étant placés, celui qui dirige le duel, donne le commandement préparatoire: «Armez!» Quelques secondes après, il commande: «Tirez!»

Art. 17.—Tout coup raté compte pour tiré, sauf convention contraire.

Art. 18.—Après le signal donné, les deux adversaires doivent faire feu successivement, dans l'ordre de primauté convenu, et comme suit:

Art. 19.—Celui qui doit tirer le premier, n'a qu'une minute pour le faire, à dater du signal.

Art. 20.—Le champion qui tire le second, n'a qu'une minute pour riposter, à dater du feu de son adversaire. Passé ce temps, il ne peut plus le faire.

Art. 21.—Le blessé a le droit de tirer sur son adversaire, mais il n'a que deux minutes pour user de ce droit.

S'il tire après les deux minutes écoulées, il viole les conditions du duel.

Art. 22.—Si les deux adversaires ont fait feu sans qu'il en soit résulté aucune blessure, on recommence suivant les prescriptions énoncées dans les articles précédents.

Il en est de même si le combat devait recommencer après blessure insuffisante.

Art. 23.—Si l'un des deux combattants est tué ou blessé contrairement aux règles du duel ou aux conventions établies, les témoins doivent dresser procès-verbal et se conformer sans délai aux prescriptions des articles 40 et 41 du chapitre IV.

Cet article essentiel est obligatoire pour tous les duels.

Duel au pistolet à volonté.

Dans ce duel, on se conforme aux prescriptions relatives au duel de pied ferme, sauf les dérogations contenues dans les articles suivants.

Art. 1er.—La distance entre les champions est de 19 ou 20 mètres (25 pas).

Art. 2.—Ils sont placés dos à dos.

Art. 3.—Au seul commandement: «Tirez!» les champions se retournent face à face et tirent à volonté.

Du duel au pistolet, à marcher.

Dans ce duel on se conforme aux prescriptions relatives au duel de pied ferme, sauf les dispositions particulières contenues dans les articles suivants:

Art. 1er.—Les distances marquées doivent être de 30 à 27 mètres (40 à 35 pas) et deux lignes sont tracées également entre ces distances, lesquelles doivent être éloignées l'une de l'autre de 15 à 12 mètres (20 à 15 pas), de manière à ce que chaque champion ait la faculté de marcher 8 mètres; ces deux lignes sont marquées par une baguette ou par un mouchoir blanc.

Art. 2.—Par dérogation à l'article 6 du duel de pied ferme, l'insulté ne peut revendiquer le droit de se servir de ses propres armes que s'il se trouve dans la catégorie désignée par l'article 30 du chapitre Ier.

On se conforme pour le reste aux prescriptions des articles 6 et 7 du duel de pied ferme.

Art. 3.—Le témoin désigné par le sort pour diriger le duel donne le signal par ce seul commandement: «Marchez!»

Art. 4.—Les combattants marchent à volonté, en marchant droit l'un sur l'autre.

Ils doivent tenir le pistolet verticalement en marchant, il leur est facultatif de mettre en joue en s'arrêtant même sans tirer, de marcher après, s'avancer jusqu'à la ligne tracée par la baguette ou le mouchoir entre les distances, ayant soin de ne point la dépasser, faire feu sur place avant de marcher, faire feu après avoir marché, en un mot faire feu à volonté.

Art. 5.—Il est toujours permis de tirer sur son adversaire si l'on n'a pas encore fait feu; l'on peut également avancer jusqu'à la ligne tracée; en aucun cas, l'adversaire n'est tenu d'avancer.

Art. 6.—Le champion qui a fait feu doit attendre le feu de son antagoniste dans une parfaite immobilité, ce dernier n'a qu'une minute d'intervalle pour avancer et pour tirer.

En cas de contravention, les témoins doivent commander et faire mettre arme bas.

Art. 7.—Il est permis au blessé de riposter en face de son adversaire, mais dans l'espace d'une minute à dater du moment où il est frappé.

Il lui est accordé deux minutes s'il est à terre.

Art. 8.—Quelquefois dans ce duel l'insulté demande à ce que deux pistolets soient mis à la disposition de chacun des combattants.

S'il ne se trouve pas dans la catégorie de l'article 30 du chapitre Ier, les témoins doivent rejeter absolument cette demande.

Art. 9.—Dans le cas où cette demande serait admise, la même paire de pistolets ne peut servir à un seul des combattants, chacun doit se servir d'un pistolet de chaque paire.

Par extraordinaire et sur une demande formelle de leur part, les témoins peuvent leur accorder la faculté de se servir chacun de leurs propres armes.

Art. 10.—Dans le cas prévu par le précédent article 8, les témoins ne peuvent arrêter le duel qu'après les quatre coups tirés, à moins qu'il n'y ait un blessé.

Lorsqu'il y a blessure, le combat doit toujours être arrêté et le blessé, s'il n'a pas instantanément fait feu en recevant la blessure, ne doit plus le faire, parce que l'adversaire pouvant avoir gardé son second coup, conserverait, même en essuyant son feu, un trop grand avantage sur lui.

Art. 11.—Si le duel continue, on se conforme aux prescriptions précédentes.

Cependant s'il y a blessure, le duel ne peut continuer sur la demande même du champion blessé, si les témoins ne le déclarent point propre au combat.

Cette déclaration doit être spécifiée sur le procès-verbal.

Duel au pistolet, à marche interrompue.

Dans ce duel, on se conforme aux prescriptions rélatées au duel de pied ferme, sauf les dispositions particulières contenues dans les articles suivants.

Art. 1er.—Les distances marquées doivent être de 38 à 34 mètres (50 à 45 pas); deux lignes sont également tracées entre les distances, lesquelles doivent être éloignées l'une de l'autre de 15 à 12 mètres (20 à 15 pas), de manière à ce que chacun des champions ait la faculté de marcher 12 mètres environ (15 pas).

Art. 2.—Les armes doivent être inconnues aux combattants et de la même paire de pistolets.

Même par convention réciproque, il ne peut être dérogé à cette prescription.

Art. 3.—Le choix parmi les armes adoptées par les témoins appartient au sort.

Art. 4.—Le témoin désigné par le sort pour diriger le duel, donne le signal par le commandement: «Marchez!»

Art. 5.—Les champions marchent l'un sur l'autre; il leur est facultatif de marcher en lignes brisées ou tortueuses, autrement dit en zig-zag, pourvu qu'ils ne s'éloignent pas de deux mètres de chaque côté de la ligne qui les conduit à la ligne intermédiaire. Ils peuvent marcher droit à cette ligne, s'arrêter, rester en place, viser sans faire feu, même en marchant, s'arrêter et faire feu.

Au premier coup de feu, les deux champions doivent s'arrêter et rester en place.

Art. 6.—Celui des deux champions qui a conservé son coup, peut tirer, mais sur place.

Art. 7.—Celui qui a fait feu doit attendre la riposte de son adversaire en gardant l'immobilité absolue.

L'adversaire riposte dans l'espace d'une demi-minute.

A peine ce laps de temps passé, les témoins doivent commander et faire mettre arme bas.

Art. 8.—Le blessé peut riposter, mais seulement dans l'espace d'une minute à dater du moment où il est tombé, s'il laissait passer ce temps, les témoins doivent l'empêcher de tirer.

Art. 9.—Comme l'article 11 du précédent duel.

Duel au pistolet à ligne parallèle.

Dans ce duel on se conforme aux prescriptions relatives au duel de pied ferme, sauf les dispositions particulières contenues dans les articles suivants:

Art. 1er.—Après avoir choisi le terrain le plus propre an combat, les témoins tracent deux lignes parallèles, à 12 mètres (15 pas) l'une de l'autre, et chacune de la longueur de 27 à 19 mètres (35 à 25 pas).

Art. 2.—Ils marquent le plus également possible les places destinées aux combattants à l'extrémité de chaque ligne parallèle en regard l'une de l'autre.

Art. 3.—L'insulté a la faculté de se servir de ses armes, seulement s'il se trouve dans la catégorie du 23e article du chapitre Ier.

On se conforme du reste aux prescriptions des articles 6 et 7 du duel de pied ferme.

Art. 4.—Il est également facultatif aux témoins de permettre à chacun de se servir de ses propres armes.

Dans le cas contraire, les armes doivent être égales et de la même paire de pistolets.

Art. 5.—Après avoir remis les armes aux combattants, les témoins prennent leur place par couple, c'est-à-dire deux témoins adversaires derrière l'un des combattants, et les deux autres derrière l'autre. Ils se placent en ordre inverse de manière à être défilés contre le feu, et cependant à portée de surveiller le combat et de faire arrêter s'il y a lieu.

Art. 6.—Le témoin désigné par le sort pour diriger la rencontre donne le signal par le commandement: «Marchez!»

Art. 7.—Dans ce duel, les combattants marchent à volonté, chacun dans la direction de la ligne qui lui a été tracée, ce qui le rapproche nécessairement de son adversaire soit que ce dernier ait marché, soit qu'il ait cru devoir s'arrêter sur un point quelconque de la ligne qui lui a été tracée à lui-même.

Art. 8.—Celui des combattants qui veut faire feu doit s'arrêter, mais il peut s'arrêter sans faire feu, et marcher après avoir essuyé le feu de son adversaire; chacun des combattant peut tirer quand bon lui semble.

Art. 9.—Le blessé peut faire feu sur son adversaire, lequel n'est point obligé d'avancer. Il doit user de cette faculté dans l'espace de deux minutes à dater du moment où il est tombé.

Art. 10.—Celui qui a fait feu, doit attendre la riposte de son adversaire dans l'immobilité la plus absolue.

L'adversaire n'a qu'une demi-minute pour avancer et tirer.

En cas de contravention les témoins doivent commander et faire mettre arme bas!

Art. 11.—Si le duel n'a produit aucun résultat ou qu'il doive continuer, on recommence en suivant les mêmes errements que précédemment.

Art. 12.—En cas de blessure, le duel ne peut continuer que sur la demande expresse du blessé, approuvée par le consentement de ses propres témoins.

Duel au pistolet et au signal ou au commandement.

Dans ce duel, on se conforme aux prescriptions du duel de pied ferme, sauf les dispositions contenues dans les articles suivants:

Art. 1er.—Les distances sont marquées de 27 à 19 mètres (35 à 25 pas).

Art. 2.—Les places marquées le plus également possible, se tirent au sort.

Art. 3.—Les armes doivent être inconnues aux champions, mais de la même paire de pistolets.

Art. 4.—L'insulté classé dans la catégorie du 23e article du chapitre Ier peut se servir de ses armes, en se conformant aux articles 6 et 7 du duel de pied ferme.

Art. 5.—Sauf le cas où les combattants, par convention réciproque, obtiennent par le consentement unanime des témoins, de se servir de leurs propres armes, le choix des armes de la même paire de pistolets est soumis au sort.

Art. 6.—Le droit de donner le signal est dévolu à l'arbitrage du sort.

Art. 7.—Par dérogation au précédent article, le droit de donner le signal est dévolu à l'un des témoins de l'insulté, si ce dernier se trouve dans le cas du 30e article du chapitre Ier.

Art. 8.—Le signal se donne par trois coups frappés dans la main à égale distance les uns des autres.

Art. 9.—L'intervalle entre chaque coup frappé est fixé de deux manières différentes:

1o De 3 à 9 secondes: soit 9 secondes pour les trois coups;

2o de 2 à 6 secondes: soit 6 secondes pour les trois coups.

Le choix entre ces deux manières de donner le signal appartient au témoin désigné, sans qu'il soit tenu d'en aviser les témoins adversaires.

Art. 10.—Dans ce duel, le témoin désigné par le sort qui avait fait faire précédemment la lecture prescrite par l'article 3 du duel de pied ferme, rappelle encore les règles du duel aux combattants lorsqu'ils sont en place, et qu'on leur a donné les armes, par les mots suivants, prononcés à haute et intelligible voix: «Rappelez-vous, Messieurs! que sous peine de félonie les lois de l'honneur exigent que vous vous conformiez au signal qui est de trois coups; que chacun de vous tire au troisième coup frappé, ne lève pas l'arme avant le premier coup, et surtout ne tire pas avant le troisième. Messieurs! attention au signal!» et il donne le signal.

Art. 11.—Les champions ayant reçu leurs armes doivent armer, et tenir le bout du canon penché vers la terre, jusqu'à ce qu'ils entendent le signal.

Art. 12.—Au premier coup, les combattants doivent lever l'arme verticalement, viser jusqu'au troisième coup. Au troisième coup, faire feu instantanément et simultanément. (Voir les Observations, page 383.)

Art. 13.—Si l'un des combattants fait feu avant le troisième coup ou une demi-seconde après le troisième coup, il commet un acte de félonie, et s'il blesse ou tue son adversaire, il a commis un assassinat.

L'adversaire qui a essuyé le feu avant le troisième coup, a le droit de tirer à volonté.

Art. 14.—Si l'un des champions a fait feu au troisième coup, et que l'adversaire continue à viser, les témoins doivent s'élancer à leurs risques et périls entre les adversaires, commander et faire mettre arme bas!

Art. 15.—Dans ce cas les témoins du champion qui a combattu loyalement doivent refuser de laisser continuer ce duel, en demander un autre avec l'autorisation de leur client qui peut dès lors, s'il le juge convenable, se retirer et refuser toute espèce de rencontre.

Art. 16.—Les témoins du délinquant sont engagés d'honneur à le réprimander énergiquement et peuvent s'entendre avec les témoins adversaires pour choisir un autre duel; à supposer que dans certains cas, leurs convictions personnelles ne les invitent pas à signifier à leur client qu'ils considèrent leur mandat comme terminé.

Art. 17.—Dans le cas même d'une simple blessure, les témoins doivent se conformer aux prescriptions de l'article 20 du duel à pied ferme et des articles 40 et 41 du chapitre IV, Devoirs des témoins.

CHAPITRE IX
OBSERVATIONS SUR LES DUELS AU PISTOLET

De tous les duels, le plus dangereux et le plus difficile, est, sans contredit, le duel au pistolet.

En établissant les conditions de chacun de ces duels, il est sage et nécessaire de se préoccuper d'une question importante, celle de décider si les armes seront cannelées ou non cannelées. Il est de toute évidence qu'une blessure d'une arme cannelée produit plus de ravages, est plus difficile à guérir, que celle produite par une arme non cannelée; souvent la vie d'un homme dépendra du choix de l'une de ces armes.

Les règles du duel en permettent indifféremment l'usage. Toutefois, cédant aux considérations ci-dessus énoncées, dans un but d'humanité et de prudence, les témoins, lorsque l'insulte est peu grave et se trouve classée, par exemple, dans l'article 21 du chapitre Ier, doivent essayer d'obtenir l'usage de pistolets non cannelés. Mais, il est plus difficile pour eux de réaliser ce louable désir, si l'insulté se trouve dans le cas des articles 29 et 30 du chapitre Ier. Cela devient même impossible dans le cas prévu par l'article 23 du chapitre précité.

Le guidon des armes est souvent mobile, et doit être parfaitement fixe, parce qu'il serait possible que la méchanceté, la trahison qui forment l'avant-garde ordinaire des mauvaises passions, engageassent, soit un témoin prévaricateur, soit un combattant qui se servirait de ses armes, à déranger le guidon, soit par avance soit sur le terrain même en profitant avec adresse du moment où on lui donne son pistolet, pour pousser la mire et la régler ainsi approximativement, ce qui lui donnerait un perfide avantage sur son adversaire.

Suivant la règle, à moins d'une convention contraire que nous recommandons d'éviter, les armes doivent être complètement inconnues aux deux champions; il est nécessaire, pour que cette prescription essentielle soit loyalement observée, que les deux adversaires ne les aient jamais vues et encore moins touchées, car il n'en faut pas davantage à un tireur exercé pour adapter les pistolets à sa main, pour en étudier les ressorts, la couche et la détente.

Il vaut encore mieux que les combattants ne connaissent pas même la provenance des pistolets, s'ils ont été prêtés par quelque amateur au lieu d'avoir été achetés ad hoc chez un arquebusier.

Nous croyons devoir insister ici de nouveau pour que toutes les armes soient remises par avance entre les mains des témoins, lesquels après les avoir visitées, acceptées, les apportent sur le terrain et les remettent aux champions au moment même du combat.

Cette prescription est d'une importance capitale, dans les duels au pistolet, non seulement pour éviter toute fraude, mais plus encore sous le point de vue du changement des armes.

Suivant l'article 10 du chapitre VIII, page 361, les témoins doivent charger les armes les uns devant les autres. Quelquefois il arrive que les témoins, d'un commun accord, confient à un seul le soin de charger les armes, pensant obtenir ainsi l'unité de charge. Or, quelle mission plus difficile et plus délicate que celle de charger un pistolet de tir? Ainsi un coup de baguette donné en surplus sur une balle, ou même sans être donné en surplus, appuyé avec une puissance de main trop forte ou inégale, peut faire perdre au projectile sa forme sphérique, ou bien influer sur la précision du tir. Quel est le témoin assez sûr de lui-même pour répondre que l'émotion, un simple mouvement nerveux ne l'empêcheront pas de charger plusieurs pistolets d'une manière parfaitement égale, quand il n'en a pas l'habitude? Et en ce qui touche l'amorce, le même témoin pourra-t-il répondre que la précipitation du moment ne l'empêchera pas d'assujettir la capsule, afin d'éviter qu'en ne s'enflammant que mollement ou point du tout, elle ne donne pour résultat un long feu ou un raté?

Sera-t-il bien temps de faire ces réflexions, par exemple, après la funeste issue d'un duel au signal, après un meurtre involontaire, il est vrai, mais qui n'est pas moins dû à l'inégalité des chances?

La conviction de l'importance capitale du chargement des pistolets est tellement ancrée, tant chez MM. les arquebusiers que chez MM. les amateurs, que si les uns cherchent à former et à retenir le plus longtemps possible les bons chargeurs, les autres ne désirent pas moins que, dans leurs délassements, le soin d'apprêter leurs armes soit confié à un chargeur expérimenté.

D'après ce, nous insistons pour que dans les duels au pistolet, les armes, après avoir été visitées et acceptées par les témoins, soient réglées et chargées en leur présence par un arquebusier ou un chargeur.

Cette opération terminée, les armes sont renfermées dans leurs boîtes, sur les serrures desquelles seront apposés des scellés portant l'empreinte du cachet de l'un des témoins de chaque partie.

Au moment du combat, on procède à la rupture des scellés et à l'ouverture des boîtes, et les armes sont remises à chacun des combattants suivant les règles établies.

Quelquefois, lorsque les règles du duel au pistolet convenu permettent aux combattants de se servir de leurs propres armes, ils demandent à les charger eux-mêmes, les témoins peuvent leur accorder cette faculté aux conditions suivantes:

1o La mesure de la charge doit être déterminée entre les témoins;

2o Chacun des combattants doit charger devant les témoins adversaires. Cette faculté doit leur être refusée si les armes adoptées pour le duel leur sont étrangères.

Dans le cas où l'offensé ne jouirait pas du droit de choisir ses distances, ou si elles étaient soumises à discussion, on peut s'arrêter à la moyenne des distances prescrites pour chaque duel.

Toutefois les témoins ne doivent jamais consentir à ce qu'elles soient rapprochées de plus de 12 mètres (15 pas) dans les duels ordinaires, et de plus de 19 mètres (25 pas) dans le duel au signal. On doit en outre, dans les duels à marche, réserver à chacun des combattants la faculté d'avancer les 8 mètres (10 pas) prescrits dans ce genre de duel.

En cas de dissidence entre les témoins, le sort décide entre les distances choisies par chaque partie; les témoins peuvent convenir de partager par moitié la différence entre les distances préférées.

Cet accord établi et les places étant marquées sur le terrain le plus également uni et le plus favorable possible, les témoins doivent éviter avec soin que l'un des combattants soit placé devant un objet, arbre ou autre, qui l'encadre et aide à le viser, tandis que l'autre, isolé dans l'espace, aurait par là même une place beaucoup trop avantageuse. Inutile d'ajouter qu'aucun des combattants ne doit être placé en face du soleil ou du vent.

En édictant les règles de ces duels, bien que nous nous soyons scrupuleusement attaché à suivre les errements signalés par la pratique et par l'expérience, il nous a été impossible d'éviter certaines divergences d'opinion.

Dans certains cas, le droit de tirer le premier accordé à l'offensé est sujet à discussion. Et d'abord quelques personnes prétendent que ce droit de l'offensé est imprescriptible, quelle que soit la distance, fût-elle même au-dessous de 12 mètres (15 pas).

D'autres soutiennent l'opinion opposée; elles n'entendent accorder à l'offensé que le choix des armes, laissant à l'arbitrage du sort le soin de déterminer la primauté de tir. L'article 11 du duel de pied ferme peut se justifier par les considérations suivantes:

L'offensé classé dans le 1er degré (art. 28, chap. Ier) choisit surtout son arme.

L'offensé avec insulte grave (désigné Art. 29, chap. Ier) n'a droit à la primauté du tir que si les distances sont fixées à 27 mètres (35 pas).

Enfin l'offensé avec coups ou blessures (3e degré, art. 30, chap. Ier) n'ayant le droit de primauté de tir que dans le cas où il fixerait la distance à 19 mètres (25 pas).

L'article 11 du duel de pied ferme ne présente-t-il pas une moyenne raisonnable pour donner, dans la limite du possible, une satisfaction à ces opinions divergentes?

Dans le duel au pistolet à marcher, lorsqu'un des adversaires a fait feu, celui qui aurait conservé son pistolet chargé peut avancer pour riposter jusqu'à la limite tracée par le mouchoir; mais l'autre n'est plus obligé d'avancer et doit seulement attendre le feu, en cherchant à s'effacer le mieux possible.

La vitesse de la marche n'étant pas fixée, celui qui tire le premier tire sur un but mobile, par conséquent a moins de facilité pour ajuster. Ainsi, celui qui tire le dernier trouve sa compensation dans l'avantage de viser sur un but fixe.

Lorsqu'il a été établi que le feu d'un champion doive être immédiatement suivi du feu de son adversaire, les témoins ne doivent point souffrir le moindre retard.

Celui qui a subi le feu n'a que le temps strictement nécessaire pour armer et pour tirer, c'est-à-dire une demi-seconde ou une seconde (Voir art. 13, Duel au pistolet et au signal, page 373). Le moindre retard donne aux témoins le droit, leur impose même le devoir de faire mettre arme bas.

En pareille circonstance, l'usage d'une montre à précision et à secondes leur est absolument nécessaire.

Dans le duel à marcher, si par suite d'une convention réciproque, il a été admis que chacun des adversaires aurait une paire de pistolets à sa disposition, et qu'il y ait un blessé, il est absolument nécessaire pour égaliser la chance que le combat soit arrêté, car s'il en était autrement le blessé serait encore soumis à la chance d'essuyer le deuxième coup de feu de l'adversaire, à supposer qu'il l'ait conservé, et de plus cette chance serait, dans ce cas, des plus désavantageuses, puisque son adversaire, encore dans son état normal, jouirait de toute la plénitude de la vigueur et du sang-froid, dont la blessure aurait privé son adversaire.

L'égalité des chances se présente d'ailleurs, si le blessé a encore ses deux coups à tirer.

Si donc l'action d'arrêter le combat produit un désavantage pour l'un d'eux, c'est le fait du hasard, et cette règle établie n'en est pas moins égale, puisque les deux adversaires ont la même fortune au commencement du duel.

Au surplus, cette règle porte en elle-même un cachet d'honnêteté et de moralité incontestable. En effet, serait-il possible de voir sans indignation un homme intact faire feu sur un homme déjà mutilé par une balle, et serait-il admissible d'autre part que celui qui reste intact, reçût successivement, à une distance parfois très rapprochée, deux coups susceptibles de lui donner la mort sans qu'il lui fût possible d'éteindre ce feu avec l'arme qui lui resterait? En résumé, ce duel a l'avantage de ne présenter que l'éventualité d'une victime à regretter.


Dans le duel à lignes parallèles, quoique ce soit à marcher, il est impossible d'éloigner les distances de plus de 27 mètres (35 pas) parce que les témoins marchent presque toujours en face de leur ami, et le combat étant à feu croisé, ils seraient trop exposés. Ils doivent nécessairement se placer derrière et à la droite de leur partie adverse, afin d'être, autant que possible, défilés contre le feu de leur ami.

Ils se rapprochent en suivant progressivement la marche des combattants qui finissent en avançant par se trouver côte à côte à une distance de 19 mètres (25 pas), ou de 12 mètres (15 pas), suivant que les lignes ont été plus ou moins rapprochées.


Dans le duel au signal ou au commandement, l'intervalle des coups à frapper avant de commencer le feu doit être réglé; sans cette précaution le témoin d'un habile tireur donnerait ce signal très lentement afin de permettre à son client de profiter de ses avantages.

Par contre, le témoin du plus faible donnerait le signal très vite, afin de paralyser les moyens du plus adroit. Ce duel n'étant bon qu'à égaliser les chances entre l'adresse et l'inexpérience, il est aussi juste que nécessaire de régler les intervalles du signal.

Il est juste encore que le droit de le donner appartienne au témoin de l'insulté, comme il est dit à l'article 8 du présent duel.

La règle essentielle et inflexible est, nous le répétons, de tirer au troisième coup frappé et tirer simultanément! Simultanément! Oui! Ici la situation est de toute gravité. Pour tous les deux, elle décide de la vie et de l'honneur, et pour tirer avant, pour tirer après le signal, on n'admet ni l'excuse de l'émotion ni aucune excuse imaginable.

Dans ce duel, la responsabilité des témoins est des plus grave. Aussi exige-t-il de leur part la plus scrupuleuse attention. Heureux les témoins qui par leur vigilance et par leur fermeté, parviennent à obtenir la complète précision, la parfaite régularité d'exécution dans la conduite d'un duel au commandement.

Il est parfaitement logique que dans les règles des divers duels au pistolet, le blessé n'ait pas même limite de temps pour faire feu. La raison en est évidente; comme dans le duel de pied ferme par exemple, on tire l'un après l'autre, en prenant tout le temps nécessaire pour viser avant le premier feu; qu'on accorde une minute à celui qui n'aurait pas tiré, pour le faire, quand bien même il ne serait pas blessé; n'est-il pas on ne peut plus juste de lui accorder le double de temps, s'il est blessé?


Dans le duel à marcher, la marche n'étant pas interrompue, et celui qui est blessé et tombé perdant l'avantage de marcher jusqu'à la limite indiquée, il est donc aussi équitable que nécessaire de lui accorder une minute de plus pour compenser le dommage qu'il éprouve de ne pouvoir plus diminuer la distance qui le sépare de son adversaire.

Il n'en est plus de même dans le duel à marche interrompue, car au premier coup tiré le champion reste en place.

Le blessé ne perdant plus l'avantage d'avancer, il n'y a donc plus nécessité de lui accorder aucune compensation, et une minute doit paraître plus que suffisante pour tirer, s'il lui reste une force en mesure d'obéir à sa volonté.

Dans les duels au pistolet, nous conseillerons toujours aux témoins de s'arrêter aux plus simples, car il est beaucoup plus facile pour eux de les surveiller, d'obtenir la stricte exécution des conventions, et par là même de dégager leur responsabilité.

CHAPITRE X
DES DUELS EXCEPTIONNELS

En parlant avec le plus profond dégoût des duels exceptionnels, nous recommandons aux témoins de ne permettre d'y avoir recours que dans les circonstances absolument extraordinaires, absolument exceptionnelles et qui ne peuvent se présenter que très rarement.

Si dans les autres duels, les offenses et les griefs doivent passer par la filière froide des témoins, à fortiori, si l'un des intéressés ou même tous les deux demandent à des hommes sérieux de consentir à les assister dans ces sortes de rencontres, les témoins déjà animés, et c'est de justice naturelle, de sentiments hostiles contre une pareille requête, doivent en examiner les motifs avec la plus scrupuleuse attention, et saisir tous les prétextes possibles et imaginables pour se défendre d'y adhérer.

Signalons quelques différences avec les pratiques des duels ordinaires ou légaux.

Dans les duels légaux, on se base d'abord sur des règles écrites admises par l'usage et consacrées par l'opinion.

Ce sont des règles auxquelles on ajoute des conventions particulières, si la nécessité en est démontrée.

Ces conventions particulières sont consignées dans un procès-verbal portant la signature des témoins. Elles sont ratifiées par le consentement verbal des champions.

Dans les duels exceptionnels, au contraire, les règles ne sont données qu'à titre de simples renseignements. Le procès-verbal doit renfermer minutieusement toutes les conventions. Il doit porter la signature des champions, être en outre contresigné par les quatre témoins. Le procès-verbal doit être en double expédition.

Dans les duels légaux, il est d'usage d'accepter les conventions faites par ses propres témoins.

S'il s'agit d'un duel exceptionnel, c'est le contraire; on a toute liberté de refuser de les signer; il est bien entendu qu'aucun n'est obligé de signer sur la demande des témoins adversaires.

Dans les circonstances ordinaires, il est d'usage de ne point refuser d'adhérer à la requête d'une personne de votre société, d'un ami, qui vient vous demander de vouloir bien l'assister en qualité de témoin. Le duel exceptionnel provoque encore une dérogation à ce devoir de l'amitié; on est en droit de répondre à son ami, en l'assurant de son sincère dévouement: «Pour tout autre genre de rencontre, je suis à vos ordres, mais pour un duel exceptionnel, ma foi, je vous conseille fortement d'y renoncer, je renonce moi-même à vous assister, car, je ne veux pas me mettre dans le cas de transporter mon domicile dans le phalanstère de Charenton

Enfin, dans les rencontres ordinaires, lorsque les conditions proposés par les témoins ont été ratifiées par les champions, il serait d'un suprême mauvais goût d'élever quelque difficulté de nature à suspendre la rencontre sur le terrain.

Il en est tout autrement des duels exceptionnels. Bien que l'on doive réfléchir sérieusement avant de se décider à convenir de pareilles rencontres, on comprend par exception, que même arrivé sur le terrain un sentiment de raison et d'humanité induise n'importe lequel des intéressés à retirer sa signature et à demander un duel légal. L'homme de cœur, l'homme réellement brave ne peut-il pas souffrir le mal de mer au moment de s'embarquer sur la sinistre frégate «La Panthère

Dans les duels exceptionnels, on peut se battre à pied comme à cheval, de toutes les manières, en faisant usage de toutes les armes.

Comme nous l'avons dit, dans ces duels, la convention est tout, elle doit être écrite, signée par les champions, et contresignée par les témoins et faite en double expédition. Il reste bien entendu que dans les duels exceptionnels, à fortiori, les témoins ont la plus stricte obligation de se conformer, en cas de violation des conditions établies, aux articles 40 et 41 du chapitre IV.

Combat à cheval.

Dans un combat à cheval, les témoins sont montés comme les combattants.

Le choix du terrain et des armes s'opère suivant les règles ordinaires. Le champ clos doit être établi sur une surface plane aussi unie que possible et de la superficie au moins d'un manège ordinaire, favorable en un mot aux évolutions équestres.

Le duel peut avoir lieu avec une ou plusieurs armes.

Les combattants placés de prime-abord à 19 mètres (25 pas) de distance l'un de l'autre, marchent, tirent à volonté, après avoir entendu le signal qui se donne par le commandement suivant: «Allez!»

Combat à la carabine.

Les carabines doivent être de même calibre et de même nature.

Les places des combattants sont choisies et marquées le plus également possible par les témoins, en prenant toutes les précautions recommandées précédemment dans les duels au pistolet, pour que les champions se trouvent dans une situation parfaitement identique sous tous les rapports.

Les places sont marquées à 45 mètres (60 pas) de distance.

Lorsque les conventions admettent une primauté de tir, elle est donnée au sort.

S'il en est autrement, le témoin désigné donne le signal par trois coups frappés dans la main et après le troisième coup frappé, chacun tire à volonté.

Combat au fusil.

Dans ce duel, les places des combattants sont choisies et marquées par les témoins comme dans le précédent duel.

Le combat peut être de pied ferme ou à marche; dans le premier cas, les champions sont placés à 45 mètres (60 pas).

Dans le 2e cas, les champions sont placés à 75 mètres (100 pas). Une ligne intermédiaire est tracée et marquée par un mouchoir pour indiquer à chaque combattant la limite qu'il ne doit pas dépasser en marchant.

Les fusils doivent être du même système; une convention expresse doit déterminer s'il sera permis aux combattants de recharger eux-mêmes leurs armes après avoir fait feu.

Le signal se donne par le commandement: «Tirez!» et chacun tire à volonté.

Duel au pistolet.

Le procès-verbal décide seul des distances qui peuvent être très rapprochées, permettre même aux combattants de marcher l'un sur l'autre jusqu'à bout portant, en tirant quand bon leur semble.

Nous insisterons pour engager à ne jamais rapprocher les distances à moins de 8 mètres. Nous renouvelons ce conseil dans un but d'humanité, car dans les duels exceptionnels, les conseils sont de peu d'utilité, c'est la convention qui est souveraine et peut seule modérer la fureur!

Du duel au pistolet à des distances plus rapprochées.

Dans ce duel on observe les mêmes règles que dans les autres duels au pistolet, sauf les dispositions particulières contenues dans les articles suivants.

Art. 1.—Les distances peuvent être fixées à 8 mètres (10 pas); nous ne pouvons que conseiller aux témoins de ne pas accepter de distances plus rapprochées.

Art. 2.—Le choix de l'arme et celui des places sont laissés au sort.

Art. 3.—Il en est de même du droit de donner le signal et de diriger le duel.

Art. 4.—Dans ce duel les armes doivent être absolument inconnues aux combattants; elles doivent être de la même paire de pistolets.

Art. 5.—Les témoins ayant conduit les combattants aux places qui leur sont échues, les mettent dos à dos, leur remettent leurs armes, et ensuite vont prendre leur places.

Art. 6.—Le témoin désigné par le sort, dit aux combattants: «Messieurs, faites attention au signal que je vais donner, ne vous tournez face à face que lorsque vous l'entendrez», puis après un simple temps d'arrêt, il donne le signal par le commandement suivant: «Tirez!»

Art. 7.—Au commandement, les combattants se tournent face à face et font feu à volonté.

Art. 8.—Le duel devant continuer, on recommence en suivant les précédents errements.

Du duel exceptionnel au pistolet avec une seule arme chargée.

Art. 1er.—Les mêmes prescriptions que dans les autres duels au pistolet sont obligatoires dans ce duel, sauf les dispositions particulières indiquées dans les articles suivants.

Art. 2.—Ce duel est sans contredit le plus atroce, le plus dangereux des duels exceptionnels; il est donc le moins acceptable de tous, et même dans les circonstances spécialement extraordinaires, il engage tellement la responsabilité des témoins, qu'il est difficile d'en trouver qui consentent à y assister.

Art. 3.—On doit se servir de pistolets non cannelés.

Art. 4.—Pour procéder au chargement des armes, deux témoins adversaires s'écartent à 40 mètres au moins du terrain choisi pour le combat, à moins qu'à une distance plus rapprochée, ils ne trouvent un objet de nature à les dérober parfaitement à la vue des combattants. Ils mettent la charge dans une seule arme, se contentent d'amorcer l'autre. Cette opération terminée, ils font signe aux deux témoins restés près des combattants de venir prendre les armes. Le témoin désigné par le sort pour les remettre directement aux combattants reste à son poste, l'autre témoin les reçoit et les donne en silence à celui désigné par le sort pour les remettre aux combattants, lequel les remet à ces derniers, en observant également un silence absolu.

Art. 5.—Les témoins ont dû amener un chirurgien avec eux, il doit se tenir à quelques mètres seulement de distance derrière les deux témoins les plus éloignés, afin de pouvoir au premier signe accourir pour donner des soins à une blessure, qui, dans ce triste duel est toujours très grave.

Art. 6.—Les témoins doivent être plus scrupuleux dans leur visite des combattants, ils doivent exiger qu'ils ne conservent que la simple chemise ordinaire jusqu'à la ceinture.

Art. 7.—Le dernier témoin qui a reçu les armes, s'approche des champions en tenant les armes derrière le dos. Celui des deux auquel le sort en a attribué le choix, dit: droite ou gauche; et le témoin lui remet l'arme qu'il tient dans la main droite ou dans la main gauche.

Art. 8.—Les deux témoins chargés de prendre les armes sont eux-mêmes armés, et assistent seuls au combat. Ils se placent à 3 mètres des combattants, dans l'ordre habituel; les deux autres témoins se placent à 15 mètres environ derrière leurs collègues, afin d'être en mesure de surveiller et, le cas échéant, de leur venir en aide.

Art. 9.—Les témoins présentent aux combattants un mouchoir que chacun d'eux doit tenir par un bout.

Art. 10.—Le témoin désigné dit aux combattants:

«Messieurs, je vous le répète une dernière fois, l'honneur vous oblige à attendre le signal, qui consiste en un seul coup frappé dans la main, vous devez tirer simultanément, à peine vous l'entendrez!»

Art. 11.—Après un simple temps d'arrêt, il donne le signal par le seul coup frappé avec vigueur dans la main.

Art. 12.—Si l'un des champions, même pourvu de l'arme non chargée, tire avant le signal, son adversaire est en droit de lui brûler la cervelle à bout portant.

Art. 13.—Si c'est au contraire celui qui a tiré avant le signal qui tue son adversaire, les témoins de la victime sont obligés au nom de l'honneur de dresser immédiatement procès-verbal et de le transmettre sans le moindre délai au parquet du tribunal le plus voisin, ou en cas d'éloignement, au juge de paix du canton; en un mot de poursuivre par tous les moyens de justice et de droit.

Du duel au pistolet à marche non interrompue et à ligne parallèle.

A première vue, ce duel paraît le moins dangereux de tous les duels au pistolet, on peut même s'étonner qu'il ne soit pas classé dans les duels légaux. Toutefois en l'examinant de plus près et en détail, on ne tarde pas à se convaincre que dans telle circonstance donnée, il peut être tellement désavantageux pour l'un des champions, que le consentement unanime des témoins est absolument nécessaire pour en permettre l'usage. C'est pour cette raison qu'il est mis hors la loi, et peut être refusé comme tous les autres duels exceptionnels.

Dans ce duel, on observe les prescriptions des autres duels au pistolet, sauf les dispositions qui vont suivre.

Art. 1er.—On trace sur le terrain deux lignes de 27 mètres (35 pas) de longueur. Ces lignes tracées parallèlement à 19 mètres (25 pas) de distance l'une de l'autre.

Art. 2.—Les armes doivent être inconnues aux combattants. Le sort décide du choix des places et des armes.

Art. 3.—Après l'accomplissement des formalités usitées dans les autres duels au pistolet, les témoins remettent les armes aux champions, et se placent par couples, deux témoins adversaires derrière l'un des combattants, et les deux autres derrière l'autre. Ils ont soin de se placer de manière à être défilés du feu, c'est-à-dire à l'inverse, sans cesser d'être à portée d'arrêter le combat si les circonstances leur en imposent le devoir.

Art. 4.—Le témoin désigné par le sort donne le signal par ce seul commandement: «Marchez!»

Art. 5.—Les combattants marchent en avant, chacun dans la direction de la ligne qui lui a été tracée, de manière qu'en suivant la direction précitée ils se trouvent toujours séparés par une distance au moins de 19 mètres (25 pas).

Art. 6.—Les champions ne peuvent interrompre leur marche, ils doivent au signal marcher, simultanément, sans interruption. Il doivent faire feu en marchant, marcher après avoir fait feu jusqu'à l'extrémité de la ligne, marcher toujours en attendant le feu de leur adversaire.

Art. 7.—Le combattant blessé n'a pour faire feu que le temps employé par son adversaire pour parvenir à l'extrémité de la ligne. Ce dernier doit atteindre le but sans précipitation en continuant à marcher régulièrement comme auparavant, et le combat est terminé.

Art. 8.—Si aucun des champions n'est blessé on peut recommencer le combat suivant les mêmes errements; cependant il est d'usage d'arrêter ce duel après le coup de feu des deux adversaires; tout dépend des conventions.

Observations sur les duels exceptionnels.

Dans l'état de nos mœurs et de notre civilisation, le duel légal est plus que suffisant pour laver toute injure, même la dernière des insultes, donner toute réparation équitable et complète à l'honneur offensé.

Quel est donc le sentiment qui porte à vouloir recourir aux duels exceptionnels? Est-ce une situation extraordinaire et toute exceptionnelle, obligatoire, de la part de celui qui les invoque? Dans la presque totalité des cas, nous ne craignons pas d'affirmer le contraire.

Dans le sous-sol de cette demande, on reconnaît bien facilement et presque toujours, l'existence d'un stock de sentiments de rancune, de haine, de vengeance, enfin de passions aveugles et désordonnées. Le noble besoin de laver une insulte n'y entre pour rien.

Sans doute et bien rarement un homme impotent qui aurait subi une insulte lâche et imméritée se trouverait dans le cas d'en appeler à la délicatesse de quelques amis pour égaliser les chances en sa faveur, au moyen d'un duel exceptionnel.

Il appartient aux témoins seuls d'apprécier la nécessité de cet appel et de l'agréer; mais, dans cette circonstance toute spéciale, les témoins doivent avant tout consigner les motifs de leur adhésion dans le procès-verbal signé tant par les combattants que par eux-mêmes, car ils ne doivent jamais oublier leur entière responsabilité.

Nous réprouverons toujours les duels exceptionnels, parce qu'ils ne sont quelquefois qu'une sanglante excentricité, non seulement sous le rapport du dédain qu'ils semblent professer pour le sang humain, pour la vie humaine, mais encore parce que l'honnête homme y court parfois le double danger de venir se placer en face d'un traître.

Le duel avec une seule arme chargée n'est-il pas une sinistre parcelle de l'affreux héritage des temps de barbarie? Ne tend-il pas à ressusciter cet usage du champ gagé de bataille et du jugement que les hommes appelaient le jugement de Dieu? Et pourtant, dans le sanctuaire même de la loi, n'admet-on pas que le duel au signal avec une seule arme chargée soit le moyen unique d'équilibre et de chance égale entre l'homme qui éteint une bougie avec son pistolet, et l'homme inexpérimenté qui n'a jamais manié une arme à feu? (Voir Dalloz, Réquisitoires de M. le procureur général Dupin. Cour de cassation, 27 juin 15 décembre 1837.)

Les précautions minutieuses détaillées dans l'article 3, qui regarde ce duel, n'ont été prises que dans le but d'éviter toute occasion de traîtrise, pour avoir la certitude acquise qu'aucun signe ne puisse être indiqué à aucun des combattants ou simplement lui faire deviner quelle est l'arme chargée.

Chargement de la publicité...