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Paris Anecdote: Avec une préface et des notes par Charles Monselet

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VI

LE GÉNÉRAL

Mais, place! place! voici venir le général, l’antagoniste du père Moscou, son rival, mais son meilleur ami; il est monté sur son grand cheval, la bataille sera rude.

Le général est un vieillard de soixante ans, grand, maigre, allongé, qui marche toujours pensif et la tête baissée, semblant se conformer à sa triste pensée; il parle peu parce qu’il réfléchit beaucoup, dit-il. Lorsqu’il fait seller son grand cheval pour partir au pays des chimères, c’est à peine s’il daigne adresser la parole aux valets qui lui offrent le coup de l’étrier.

Seller son cheval veut dire pour le général avaler quinze ou vingt grands verres d’eau-de-vie, qui vont joindre une dizaine de litres de vin qu’il a absorbés pendant sa journée en faisant ses courses avec les amis. Il ne boit jamais que debout, devant le comptoir; il n’y a que les ivrognes qui s’assoient au cabaret, dit-il; c’est un principe arrêté chez lui. Son heure arrivée, à la nuit close, il fait sa tournée de rogomiste en rogomiste; il arrive au pont de Venise du faubourg du Temple vers minuit et demi; c’est là qu’il livre ses batailles.

Avec une gravité imperturbable, il pose sa hotte contre une borne; il est absorbé; il ne voit plus les passants attardés qui le regardent avec curiosité; il se frappe le front, selon qu’il est mécontent ou satisfait de l’inspection qu’il vient de passer de son armée imaginaire; il s’écrie:

«Tant pis! nous attaquerons. Dieu protège nos armes! Tudieu! ils sont à nous. Soldats! imitez votre général et vous ferez votre devoir; l’affaire sera chaude, mais j’ai confiance en ce courage dont vous m’avez donné tant de preuves.»

Il compose son état-major avec tous les noms des boutiquiers qu’il lit sur les noms d’alentour, noms qu’il sait par cœur. D’ailleurs, les liquoristes, les marchands de vin qui lui font crédit sont toujours ses généraux de division et ses chefs de corps. Une heure sonne, la bataille commence, voilà notre chiffonnier général pour deux heures.

«Commandant Renard, prenez deux escadrons de hussards et allez faire une reconnaissance jusqu’à ce bouquet de chênes, qui domine cette colline à notre droite, tandis que vous, Général Briant, vous vous porterez avec toute votre division sur le village, vous n’attaquerez qu’après avoir reçu des ordres formels. D’ailleurs, vous serez soutenus par la brigade Germain, qui tiendra le ravin, et par le régiment léger du colonel Vessier, qui a dû s’emparer des hauteurs et dont j’attends des nouvelles.»

Puis il monte sur la passerelle, fait une lorgnette de sa main, regarde tout autour de lui:

«Rien, rien; le colonel aurait-il été prévenu par l’ennemi? Non, c’est impossible, nous aurions entendu sa fusillade!—Ah! voici la division Briant qui s’étend dans la plaine.—Braves enfants!—Votre général salue ceux d’entre vous qui ne répondront pas à l’appel de ce soir!—Oh! la gloire! la gloire!—Mais que vois-je? un aide de camp; il est blessé. Eh bien?—Le colonel Vessier a emporté la hauteur à la baïonnette.—C’est bien, je suis content. Où est donc mon porte-cartes? Firmin! Firmin! prends le nom du capitaine, je ne l’oublierai pas.—Le canon... (Il écoute.) Un, deux, trois, et un quatrième coup double.—Ceci m’annonce que le deuxième corps d’armée commandé par le général Boyer est en ligne devant l’ennemi.—Tout va bien.—Maintenant c’est à moi, qui réponds à la patrie de toutes ces têtes, de tous ces braves et beaux régiments, c’est à moi de faire mon devoir en ménageant la vie de tous.»

Une des horloges de l’hôpital Saint-Louis sonne. «C’est le moment, dit le général. Le signal donné d’un hôpital, mauvais présage, un Romain reculerait... Non, c’est que ce soir nos ennemis encombreront les vastes salles de douleurs.»

Il se recueille un moment comme pour prier, et il retourne prendre son poste d’observation sur le Rialto du faubourg Saint-Antoine; un moment après, il redescend, consulte une vieille carte géographique posée sur une borne; il prend son crochet d’une main ferme et s’écrie d’une voix puissante: «Vous, Monsieur, attaquez le bois; emparez-vous-en, coûte que coûte. Vous, Monsieur, vous soutiendrez le général Briant avec toutes vos forces, et vous, Colonel, à la tête du pont... Lieutenant, à cheval! portez ceci au général Briant... C’est l’ordre d’attaquer, Messieurs... A vos postes, et souvenez-vous que la patrie compte sur vous.»

Pendant quelques minutes, il parcourt les bords du canal, il descend sur la berge, il examine, remonte l’escalier de la passerelle, puis s’écrie:

«Deux régiments pour enlever cette redoute... Allons, enfants, je vous envoie à la gloire et à l’immortalité, car on saura que c’est vos invincibles drapeaux qui ont les premiers été plantés au milieu de ces bouches à feu meurtrières.—En avant, à la baïonnette!—Grand Dieu! ils sont repoussés! Général Roumy, assemblez toute votre cavalerie et jetez-la sur ces insolents; culbutez-moi ça... chargez.—Oh! nous n’en viendrons donc pas à bout?—Qu’on amène l’artillerie, et vous, Général Prévost, faites jeter un pont sur ce bras de rivière, je me charge de conduire toute ma réserve.»

Enfin la bataille est engagée sur toute la ligne, canons et caissons roulants font crier leurs essieux, cavalerie, infanterie et artillerie, tous se mêlent, se culbutent, se tuent, le général passe le pont du canal; il se remue, marche, court, avance, recule, puis il pousse un grand cri et s’assied sur une borne.

«Encore une victoire! dit-il; oh! la guerre, le sang! Demain, que de mères éplorées! que de familles en deuil! que d’amantes et de femmes veuves! Seigneur! Seigneur! que celui qui le premier a porté sur la terre ce terrible fléau soit maudit à jamais! Parcourons ce vaste champ de carnage et donnons à chacun les éloges qui lui sont dus.»

Il reprend tranquillement sa hotte et continue sa récolte de chiffonnier comme si de rien n’était. Il se croit sans doute revêtu de son brillant uniforme, distribuant ses récompenses et ses encouragements à ses troupes rangées sur le champ de bataille conquis par elles.

C’est là un fait psychologique bien curieux à observer. Voici un homme qui n’a jamais eu le bonheur d’avoir un mauvais numéro et de servir. Lorsqu’il est à jeun, il ne parle jamais ni de victoires ni de gloire; il ne pense même pas à l’état militaire, et, dès qu’il est ivre, il ne rêve que victoires et conquêtes, batailles et combats. Quelle révolution se fait-il donc dans son cerveau? Par quelles transitions ce bonhomme si pacifique arrive-t-il à ces idées de mort, de haine et de carnage? C’est là un problème que nous laissons à résoudre aux membres de l’Académie des sciences morales.

VII

LA PÉNITENCE

Le général ne se grise qu’à ses heures; depuis deux ans que nous habitons le faubourg du Temple, nous avons eu occasion d’assister à plus de vingt de ses victoires, soit au canal, soit au marché Saint-Martin. Enfin nous avons fini par causer avec lui quelques soirs où il n’était pas monté sur son grand cheval de bataille.

Un soir, nous le rencontrâmes; il était encore plus pensif que de coutume; il était tristement assis sur un des bancs du boulevard Saint-Martin.

«Eh bien, Général, quelles nouvelles? Il fait beau temps pour une bataille, ce soir, n’est-ce pas?

—Ne m’en parlez pas, j’ai mal agi aujourd’hui, je m’en veux.

—Grand Dieu! mais qu’avez-vous donc fait?

—Je me suis ivrogné hors de mes heures, dans la journée, c’est ignoble!

—Bah! bah! avec un verre de vin ça s’oubliera.

—Non, Monsieur; certes, je ne suis pas de ceux qui disent: «Je ne me soûlerai plus», ça me serait impossible; je manquerais à mon serment tous les jours; c’est absolument comme si je disais: «Je veux un autre nez.» Mais je croyais être arrivé à ne me griser qu’à mes heures, la nuit, quand les gamins sont couchés, qu’ils ne peuvent plus nous suivre. Aujourd’hui, je suis rentré chez moi avec tout un collège à ma suite: c’est niais, c’est ignoble; je me punirai, je ne boirai pas de huit jours.

—Comment ferez-vous?

—Oh! c’est facile, je n’ai pas de crédit, pas d’argent; je ne travaillerai pas, il ne m’en viendra pas: je serai sobre forcément.»

Ainsi le général s’imposait lui-même sa pénitence, et il l’exécutait jusqu’au bout.

VIII

L’ABSOLUTION

Il tint son serment; mais, le neuvième jour ou plutôt la neuvième nuit, il galopa tellement sur son grand cheval qu’à minuit on le trouva ivre, endormi au milieu de la rue du Faubourg-du-Temple; il n’avait pu regagner son domicile. Un acteur sortant de son théâtre le trouva là gisant. Il en eut pitié et le releva pour le mettre au coin d’une borne, de peur qu’il ne fût écrasé par les voitures. Le général, se sentant remuer, se réveilla tout à coup. «Que me veut-on? dit-il.

—On ne vous veut rien, mais vous pouvez être écrasé là où vous êtes.

—Tiens, c’est vrai! vous êtes un bon diable, vous. Nous allons prendre une goutte ensemble.

—Non, je n’ai pas soif; rentrez chez vous.

—Je tiens à vous remercier; vous boirez ce que vous voudrez.

—Je ne veux rien.

—Vous ne voulez rien? vous faites le fier!»

L’artiste s’éloignait à ces mots.

«Ah! vous me refusez! eh bien, je veux vous donner des remords; je me recouche là, on m’écrasera, et ce sera votre faute.»

Et il se recoucha; l’artiste revint le relever, et il fallut passer par où il voulait, c’est-à-dire entrer chez le marchand de vin avec lui, car il s’était déjà rendormi.

Voilà le général au moral et au physique. Quant à ses antécédents, personne ne les connaît; personne ne sait d’où il vient ni ce qu’il a fait jadis. Il n’est pas chiffonnier de naissance, il parle français avec pureté, il est poli, bien élevé; on voit que cet homme a dû avoir été autre chose que ce qu’il est. Quant aux mille histoires qu’on lui a fabriquées, nous n’en croyons pas un mot.

IX
PROBITÉ DES CHIFFONNIERS

Nous avons fini notre dernier article en parlant des secours que les chiffonniers se donnaient entre eux, en citant quelques traits de probité et d’orgueil de cette classe; mais nous ne nous sommes peut-être pas assez étendu sur l’article probité, car devant les tribunaux on ne rencontre jamais de chiffonniers proprement dits: ce sont des recéleurs, des marchands de bric-à-brac qui prennent ce titre, et non de véritables enfants de la chiffe.

Du reste, c’est une chose remarquable, en parcourant les statistiques des bagnes pendant les quinze dernières années, il n’est que trois professions qu’on n’y voie pas figurer; ce sont les huissiers, les comédiens et les chiffonniers: les trois professions les plus calomniées des temps modernes.

Le chiffonnier est l’ami de l’ordre; il respecte l’autorité qui du reste le tolère, et d’assez bonne grâce, et l’a souvent soutenu contre les projets de certains spéculateurs qui ne tendaient à rien moins qu’à anéantir cette intéressante profession bohémienne. Ce sentiment de soumission et ce respect apparent tiennent d’ailleurs à plusieurs causes. D’abord sa position vis-à-vis de l’administration de la police qui, pour lui accorder sa médaille, exige plus de garanties que pour un inspecteur général. Il lui faut des certificats de toutes sortes, de bonne vie et mœurs, de bonne conduite, des quittances de loyer et enfin des papiers. Ce mot de papier semble bien innocent au premier abord, mais il cache son jeu; il est terrible, gros de menaces et de difficultés; il est inexplicable, multiforme, multilogue; il ne veut rien dire, il signifie tout. Dans notre civilisation un homme qui n’a pas de papiers est un homme perdu.

Qu’est-ce que le papier? Personne ne l’a jamais su. C’est un des termes de cette terrible langue administrative que personne ne parle et ne comprend, et qui s’écrit sur de si vilaines petites feuilles de papier, entachées du timbre qui coûte si cher.

Enfin pour être chiffonnier reconnu, patenté, médaillé, il faut n’avoir jamais subi de condamnation, et presque fournir un examen de conscience, pour être digne d’entrer dans ce noble corps. Aussi vous disent-ils avec fierté:

«N’exerce pas notre métier qui veut! il faut être des bons.»

La probité de cette classe est proverbiale; chaque jour on voit de ces hommes en guenilles venir porter chez les commissaires de police des objets d’une grande valeur, des couverts d’argent, des montres, des bourses et des portefeuilles qu’ils trouvent dans leurs fouilles. Ces faits se renouvellent si fréquemment que l’Administration a décidé qu’une récompense, médaille ou argent, nous ne savons, serait accordée aux auteurs de ces actes de probité.

Toutes les semaines, depuis quelque temps, le Moniteur insère sous le titre d’Épaves parisiennes une longue liste d’objets trouvés dans les rues. Les cochers de voitures, les garçons de café et de restaurant et les chiffonniers sont ceux qui figurent le plus fréquemment parmi les personnes qui viennent faire la déclaration du dépôt.

Pour nous donner un exemple de la probité de ces industriels, le propriétaire d’un de ces immondes bouges connus à tort sous le nom de garnis nous racontait qu’un jour il s’était commis un vol dans son hôtel: on avait volé à un vieux mendiant deux paquets d’allumettes. On fit des recherches, on bouleversa la maison, on ne put découvrir le voleur; six mois se passèrent; on ne pensait plus à ce crime, lorsqu’un matin un jeune chiffonnier, qui n’était plus locataire de la maison depuis plus d’un terme, vint le trouver dans son cabinet et lui dit:

«Monsieur Jean, j’ai des remords; j’ai perdu le sommeil; je ne peux pas vivre ainsi. J’ai commis un crime; il faut que vous m’aidiez à réparer, autant que je puis, le mal que j’ai fait. C’est moi qui ai volé les allumettes de ce pauvre père X... Voici 5 francs que j’ai économisés: prenez-les; désintéressez la victime; mais, je vous en prie, ne me déshonorez pas; qu’on ne sache jamais que c’est moi qui suis le voleur.»

Le logeur fut très embarrassé à son tour; enfin, le soir, il assembla ses locataires et leur dit:

«Vous vous souvenez de Z...? Il a hérité; et, comme il n’a pas oublié les amis, voici 2 francs qu’il a remis pour qu’on boive à sa santé.»

Puis il glissa les trois autres francs dans la main du vieux mendiant. Il faut avouer que ce logeur était un homme bien ingénieux et surtout plein d’imagination. Il avait passé tout un jour à trouver ce subterfuge.

X

MONSIEUR BASTIEN.—SON ÉCOLE

Avant de quitter pour jamais la maison de la mère Marré, nous devons dire un mot de M. Bastien, l’instituteur sans diplôme.

Jadis le chiffonnier vivait dans une ignorance complète; le papier, pour lui, n’avait qu’une valeur mercantile. Aujourd’hui il s’est piqué d’honneur, il a voulu marcher avec le siècle des lumières. Il s’est senti le besoin de savoir ce que pouvaient dire ces loques qu’il entassait pêle-mêle dans sa hotte. Il a voulu faire comme tout le monde, il a envoyé ses enfants à l’école; et lui-même il a tâché, autant que faire se pouvait, de réparer la négligence de ses parents; il s’est mis à apprendre à lire, il suit la politique dans les journaux, il discute la question d’Orient et les opérations de la Baltique.

M. Bastien, qui est un homme d’intelligence et d’initiative, a vu tout le parti qu’il pouvait tirer de cette fureur de connaître et s’est établi maître d’école, sans brevet du gouvernement. A huit heures du soir, moment où les travaux du jour ont cessé, les magasins n’étant pas encore fermés, ceux de la soirée ne commençant qu’à dix heures, la nichée de la maison Marré est complète; M. Bastien descend dans la cour et fait entendre ce cri: «Les amis, les amis, à l’école, à l’école!»

Quelques instants après, jeunes filles, hommes, femmes, petits garçons et vieillards, viennent se mettre sur deux rangs en silence.

M. Bastien passe l’inspection de sa troupe, compte ses élèves, frappe deux coups dans ses mains, et l’on entre en classe. C’est un grand hangar, une sorte d’écurie. Au milieu de la salle il y a deux tonneaux sur lesquels est posée une grande planche qui sert de chaire au professeur. Les élèves sont assis qui sur de la paille, qui sur des escabeaux, d’autres sur des bancs formés de deux piquets fichés en terre et d’une barre transversale.

A un signal donné par le moniteur, tout le monde se lève, et M. Bastien fait son entrée triomphale. On se découvre, on salue; les dames font la révérence. Le professeur s’incline devant son auditoire et fait la prière en latin, ne vous en déplaise. Au signal du moniteur, tout le monde se rassied, et M. Bastien commence sa leçon par la lecture à haute voix en commun, puis chacun lit à son tour, et les élèves se reprennent entre eux, comme à la mutuelle.

C’est un spectacle curieux que de voir professer M. Bastien, avec quelle gravité il rappelle à l’ordre les insubordonnés, et combien il est pénétré de son importance. Une chose non moins curieuse, c’est le respect des disciples pour le maître. Tout ce qu’il dit est parole d’Évangile; M. Bastien est un savant; il y a soixante et dix ans qu’il sait lire; il n’a pas oublié! N’importe ce que vous lui présentez, livres, journaux, écriture, lettre, il lit tout couramment, sans tâtonner!

La bibliothèque de M. Bastien se compose d’une vieille grammaire de Lhomond mise à la réforme par quelque écolier mutin et tapageur, d’un almanach de Napoléon, par Marco de Saint-Hilaire, et du Guide de l’ouvrier, par Émile Jacglé, le législateur des carrefours. Après la leçon de lecture, M. Bastien commente ce code en miniature; il enseigne à chacun ses droits et ses devoirs envers la société, les patrons, le gouvernement et l’Église. Puis il finit par quelques petites anecdotes de troupiers. Lorsque la mère Marré n’a pas été sage, qu’elle a trop crié, qu’elle a tarabusté par trop ses locataires, M. Bastien égaye l’auditoire en lisant quelques articles du Code des portiers, du même législateur, précieux cadeau fait à l’école par le père Moscou, qui est inflexible sur ses droits, dont il veut jouir dans leur plénitude: il ne paye pas son loyer pour rien. M. Bastien ne manque jamais de terminer sa lecture comique par cette facétieuse observation:

«Messieurs, remercions M. Jacglé d’avoir composé cet ouvrage; il était bien nécessaire, il paraît, pour mettre un frein à la tyrannie de M. et de Mᵐᵉ Ducordon, puisqu’il a été vendu à cent mille exemplaires. Faut-il qu’il y ait du monde qui ait eu à se plaindre de cet aimable couple!»

Il se lève; il récite une prière en latin que je soupçonne être un distique emprunté à Horace. Mais le pauvre vieillard l’aura trouvé dans un livre en épigraphe; il a vu que c’était du latin: donc ce doit être une prière, se sera-t-il dit. Il frappe dans ses mains; on reprend les rangs, le moniteur en tête; on sort en silence et l’on ne se sépare que dans la cour, après une admonition et sur un signal du maître.

M. Bastien, ne voulant pas compromettre sa dignité de professeur, ne chiffonne plus depuis six ans; il est d’ailleurs vieux, infirme et presque aveugle. Son école et la lecture du journal de la veille, qu’il fait tous les jours à haute voix depuis le titre jusqu’au nom de l’imprimeur, lui rapportent à peu près de quoi vivre, deux francs par jour, sans compter les nombreuses gouttes qu’on lui offre à l’Abattoir. M. Bastien tient son public au courant de tout ce qui s’imprime pour ou contre les chiffonniers. Nous ne désespérons pas qu’un de ces soirs, cet article tombant de chez un abonné du Figaro dans la hotte d’un de ces philosophes nocturnes, M. Bastien n’en fasse la lecture à son auditoire. Ayant fait tous nos efforts pour être vrai, nous réclamons son indulgence.

TABLE DES MATIÈRES

 Pages
Alexandre Privat d’Anglemont1
 
 LES INDUSTRIES INCONNUES.
 
ILa Loueuse de voitures à bras et sa remise13
IILe Fabricant d’asticots23
IIIUn Mot sur les artistes populaires.—La Cuiseuse de légumes.—Un Rentier à cinq francs de capital.—Le Tzigan musicien26
IVL’Arlequin.—L’Employé aux yeux de bouillon.—Les Loueurs de viandes.—Le Peintre de pattes de dindons.—Le Boulanger en vieux, etc.42
VLe Marchand de feu.—Les Bricoleurs.—Les Réveilleurs.—L’Ange gardien.—Le Favori de la déesse.—Les Contremarques judiciaires58
VICorrespondance.—Les Fêtes et Foires.—Les Jeux.—Le 90.—Le Lapin immortel.—Le Pâtissier ambulant77
VIILe Père putatif.—Les Vieux Rubans.—L’Atelier des éclopées.—Le Berger en chambre.—Un Dernier Mot sur les anges gardiens90
VIIIFabrique de café à deux sous la tasse.—Manufacture de pipes culottées.—Le Devineur de rébus.—L’Éleveur de fourmis.—L’Exterminateur de chats.—Le Fabricant de crêtes de coq.—Le Pêcheur de buissons.—La Loueuse de sangsues.—Les Souris blanches et les Rats blancs107
IXLe Professeur d’oiseaux.—La Bouillie pour les chats.—La Famille Meurt-de-Soif.—La Mère Moskow.—Les Ribouis et les Dix-huit.—La Zesteuse.—Un Dernier Mot sur le berger en chambre.—Le Fabricant d’os de jambonneaux.—Le Marchand de fumée.—Allumettes chimiques deuxième qualité.—Le Canardier.—Le Fabricant de Codes.—Un Poète lyrique vivant de son état125
La Childebert141
Les Oiseaux de nuit163
La Villa des Chiffonniers173
Voyage de Découverte du boulevard à la Courtille par le faubourg du Temple185
 
    PARIS INCONNU241
 
La Mère Marré244
Le Père Moscou247
Tapis-francs252
L’Aristocratie de la chiffe255
Le Général259
La Pénitence263
L’Absolution266
Probité des chiffonniers268
Monsieur Bastien.—Son école272

 

PARIS

IMPRIMERIE JOUAUST ET SIGAUX

Rue Saint-Honoré, 338

Typ. A. Lahure. Paris.

NOTES:

[A] Mes Souvenirs, par Th. de Banville; 1 volume, 1882.

[B] La Lorgnette littéraire, dictionnaire des grands et des petits auteurs de mon temps. 1857.

[C] Aujourd’hui Lacépède.

[D] Maison de riches jouets d’enfants, aujourd’hui transplantée boulevard des Capucines. (C. M.)

[E] Suivra qui pourra Privat d’Anglemont dans ses calculs! Pour moi, je m’y suis cassé la tête. (C. M.)

[F] J’ai vainement cherché à savoir ce qu’étaient M. Morin et ce spectacle. (C. M.)

[G] La véritable orthographe serait triage. (C. M.)

[H] Louis Desnoyers. Article célèbre paru dans les Cent-et-un. (C. M.)

[I] Il faut faire bon marché des opinions artistiques de Privat.

[J] J’ai vainement interrogé les contemporains sur ce M. Fourreau. (C. M.)

[K] La rue Gozlin. (C. M.)

[L] Il a déjà été question des Badouillards au chapitre de la Childebert. Privat se répétait quelquefois. (C. M.)

[M] Eugène Guinot.

[N] Napoléon d’Abrantès.


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