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Poèmes et Poésies: Traduction précédée d'une étude par Paul Gallimard

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The Project Gutenberg eBook of Poèmes et Poésies

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Title: Poèmes et Poésies

Author: John Keats

Translator: Paul Gallimard

Release date: February 3, 2016 [eBook #51120]
Most recently updated: October 22, 2024

Language: French

Credits: Produced by Madeleine Fournier. Images from The Internet Archive.

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK POÈMES ET POÉSIES ***

 

POÈMES ET POÉSIES

 

JOHN KEATS

Poèmes et Poésies

TRADUCTION PRÉCÉDÉE D'UNE ÉTUDE

PAR

PAUL GALLIMARD

... C'est une loi éternelle que celui qui l'emporte en beauté doit l'emporter en puissance.

(Hypérion).

PARIS

MERCVRE DE FRANGE

XXVI, RUE DE CONDÉ, XXVI

MCMX


TABLE DES MATIÈRES


 

Ceci n'est pas une Préface, ni même une Introduction, mais plutôt l'ouverture d'un vaste Poème symphonique, composé de nombreux morceaux distincts les uns des autres, présentant toutefois un ensemble très cohérent. Celui qui l'écrit n'a d'autres prétentions que de grouper les principales mélodies de ce Poème, et de les coordonner de façon à en démontrer l'idée générale, à en prouver l'unité. Il a cherché à disparaître le plus possible, à rendre aussi ténus et aussi inapercevables que possible, les liens qui rattachent entre eux ces leitmotiv, mais il n'a pas osé, et il s'en excuse, les supprimer complètement, craignant que, sans ces modulations transitoires les changements de tons ne parussent trop brusques[1]. Le thème principal, celui vers lequel convergent tous les autres, c'est la personnalité du Poète, ou plutôt sa sensibilité: car leur union était tellement intime qu'elles ne faisaient qu'un tout harmonieux.

Or, cette sensibilité a peu varié: Keats a produit sa première œuvre connue en 1813, l'Imitation de Spenser[2] et son dernier Sonnet[3] en 1820. Le proverbe latin est parfois véridique: les dieux païens qu'il avait tant aimés, le lui rendirent et le rappelèrent auprès d'eux avec une hâte qui semble plutôt la caractéristique du xixe siècle, dans lequel vécut leur chantre que l'apanage des époques reculées où ils régissaient l'univers. Entre 18 et 25 ans, la qualité des sensations ne se modifie guère, à moins d'une maladie; et celle qui étreignit l'infortuné l'emporta si rapidement qu'elle lui laissa à peine le temps d'écrire quelques pièces, parmi lesquelles trois ou quatre Sonnets, au plus, sont remarquables.

John Keats, né le 29 ou le 31 octobre 1795 à Moorfields, Finsbury Pavement, au cœur de Londres, est mort le 23 février 1821 à Rome, Piazza di Spagna. Aucun fait mémorable entre ces deux dates! Aucun du moins qui aurait pu exercer une influence quelconque sur son esprit ou changer le cours de ses idées!

On chercherait vainement à retrouver, chez ses parents, l'origine d'une disposition artistique: il connut à peine son père qui tenait une remise de voitures en location et mourut jeune; sa mère intelligente et très ardente pour le plaisir, se remaria presque aussitôt et mourut six ans après (1810). Jusque là il avait étudié à l'école d'Enfield; une fois orphelin, ses tuteurs le placèrent immédiatement en apprentissage chez un médecin. Quand on aura appris, en outre, qu'il eut deux frères[4] et une sœur, que ses amis furent le peintre Haydon[5], Leigh Hunt[6] directeur de l'Examiner, Mathew[7], Cowden Clarke[8], Hamilton Reynolds[9], tous les trois littérateurs, on saura ce que sa vie offre de saillant avant sa crise amoureuse.

Toujours et sans relâche le tantalisa la même passion pour la Poésie et pour la Beauté, son unique passion, pourrait-on affirmer, si tout à la fin de son existence il n'avait subi la dite crise, et ne s'était épris d'une jeune fille, d'ailleurs absolument incapable de le comprendre. Il faut même se hâter d'ajouter qu'aucune œuvre importante ne lui a été suggérée par cette Fanny, qui écrivait à un ami, M. Dilke, dix ans après la mort de son fiancé: «L'acte le plus charitable serait de le laisser reposer à jamais dans l'obscurité à laquelle l'avaient condamné les circonstances.»

Telle est, à peu près, la seule expérience personnelle qu'il ait pu faire de l'humanité; car si les articles injurieux, que lui décochèrent les critiques patentés, l'émurent un instant, il avait heureusement, quoi qu'ait dit Byron[10], trop de lucidité et de clairvoyance, malgré sa jeunesse, pour ne pas se rendre compte des défectuosités que pouvaient contenir les œuvres incriminées, défectuosités qu'il a confessées lui-même, à plusieurs reprises avec la plus entière bonne foi.

Il vécut donc exclusivement une vie d'artiste écartant résolument de sa pensée tout ce qui pouvait en amoindrir la souplesse, contaminer l'innocence des organes récepteurs et disséminer son énergie cérébrale. Ainsi il s'exaspérait contre les savants, les philosophes et les historiens:

... Tous les charmes ne sont-ils pas rompus
Au simple contact de la froide philosophie?
Il y avait un arc-en-ciel que nous vénérions autrefois;
Nous connaissons sa trame, sa contexture; elle est donnée
Platement dans le catalogue des choses communes.
Le philosophe rognera les ailes de l'ange,
Conquerra les mystères à l'aide de règles et de lignes.
Videra l'atmosphère hanté, la mine qu'habitent les gnomes[11]...

Hors d'ici! histoire pompeuse! hors! fourberie dorée!
Sombre planète dans l'univers des faits!
Vaste mer qui élève un murmure sans fin
Sur les rivages caillouteux de la mémoire[12]...

De même, alors que la plupart des écrivains de son temps, en réaction contre les opinions sceptiques du xviiie siècle et de la Révolution française vitupéraient les Républicains et prenaient la défense du Christianisme, alors que Byron procurait à la religion une vigueur nouvelle par l'excès même de ses insultes, et que Shelley la discutait de toute la force de son génie et de sa dialectique, ce qui était encore une manière d'en reconnaître la vitalité, Keats, plus radical et plus orgueilleux, la négligeait. Quand, par exception, il y faisait allusion, c'était avec un dédain marqué:

Toujours, toujours les cloches sonnent, et j'en sentirais un froid humide,
Un frisson comme celui qui émane de la tombe, si je ne savais
Qu'elles vont mourir, comme une lampe dont l'huile est consumée,
Que c'est leur dernier soupir, leur lamentation, avant de rentrer
Dans l'oubli[13].................

Sa profonde admiration pour la splendeur des images, pour le diapason sourd et puissant qui le ravissaient en Milton, ne l'empêchait pas de se révolter contre son austérité de sectaire. Il s'intéressait encore moins à la lutte gigantesque que soutenait sa patrie contre Napoléon. Que lui importent les dissensions des hommes et des nations! Que lui importe l'action brutale! C'est devant les conflits des éléments[14] que vibrent ses sens, que s'échauffe sa verve, que s'exalte son inspiration. La pression des événements ne pèse pas sur lui. De là, du reste, un défaut assez frappant que ses ennemis n'ont pas manqué de faire ressortir: ses personnages sont comme lui, ils éprouvent des accès de joies, de colères, de jouissances et de douleurs de toutes sortes, ils se taisent, ils vocifèrent: ils n'agissent que rarement.

Dans la Veille de sainte Agnès, Porphyro entasse les sucreries et les fruits:

....... De sa cachette il rapporta un monceau
De pommes candies, de coings, de prunes, de courges
Puis des gelées plus savoureuses que le lait caillé.
Et des sirops rutilants, colorés avec de la canelle;
De la manne et des dattes, transportées par mer,
Cueillies à Fez; et des friandises aromatisées...[15]

Mais ni le héros ni son amante n'y goûteront; le poète s'est simplement laissé emporter par le chatoiement et la musique des mots.

Peut-être des éplucheurs hargneux et moroses seraient-ils en droit de lui reprocher une certaine exubérance irraisonnée en même temps qu'une étroitesse voulue, conséquences inévitables de pareils partis pris? Peut-être des défenseurs, trop favorables, auraient-ils, à leur tour, le droit d'invoquer la brièveté de sa vie qui ne lui permit pas de faire saillir tout ce qui était en germe dans son cerveau?

Quoiqu'il en soit, ce regret une fois discrètement exprimé, il faut, sans plus, constater que, dans un si court laps de temps, il n'a pu avoir qu'une manière. Evidemment—et il n'est pas téméraire de le supposer—s'il eût atteint sa pleine maturité, il eût élargi son champ d'activité intellectuelle, eût concentré davantage les sujets de ses poèmes et les eût mieux composés; mais, qui osera soutenir qu'il aurait rendu plus parfaits ses chefs-d'œuvre: la classique Ode sur l'Urne grecque[16] par exemple, ou l'admirable fragment de l'Ode à Maïa[17] ou même une œuvre de jeunesse écrite lorsqu'il n'avait que vingt ans, le Sonnet: «En ouvrant pour la première fois l'Homère de Chapman[18]», etc...

Cet amour de la forme et de sa perfection était tellement inné en lui que dès ses débuts, on ne sent presque aucune hésitation, aucun tâtonnement. Son éducation première n'ayant pas été très poussée, son seul instinct l'avait incité à lire Virgile et à s'enivrer d'Homère, lorsqu'un ami lui avait prêté la traduction du vieux Chapman. A cette époque (1816) Lord Elgin rapportait à Londres les métopes du Parthénon; immédiatement les plus grands sculpteurs anglais, Flaxman, Nollekens et Chantrey s'imprégnaient de la tradition grecque. Très impressionné lui-même, il écrit aussitôt:

Ainsi causent une vertigineuse souffrance ces merveilles
Dans lesquelles on trouve mélangée la grandeur grecque avec la rude
Destruction du vieux temps[19]......

Ce fut donc tout d'abord la grâce idéale de la Beauté hellénique qui s'empara de sa jeune âme bien disposée à subir une pareille invasion. Presque simultanément, certains savoureux poètes de l'Italie, de la France et de l'Angleterre, l'Arioste et le Dante[20], Ronsard[21], Chaucer, Drayton et Fletcher[22], Spenser[23], Shakspeare[24], Milton[25], Coleridge[26] l'enthousiasmèrent par leur harmonieuse richesse et lui inculquèrent un goût parfois excessif pour le luxe et l'abondance des descriptions.

... Pâles étaient les douces lèvres que je vis,
Pâles les lèvres que je baisai, et enchanteresse la forme
Que j'étreignis en flottant au milieu de cette lugubre tempête[27]

Les voyelles Spensériennes qui prennent leur essor en toute aisance
Et flottent comme les oiseaux sur la mer estivale;
Les tempêtes Miltoniennes et plus encore la tendresse Miltonienne...

Adieu! une fois encore la lutte farouche
Entre le Tourment de l'Enfer et l'argile impassible
M'enflammera; une fois encore j'expérimenterai
L'amère suavité de ce fruit Shakspearien.

L'influence de Chatterton[28] très perceptible chez lui, surtout à la fin de sa vie, doit être classée à part: était-elle le prodrome d'une nouvelle orientation de son génie, d'une évolution vers des sujets moins sensuels et plus empreints de sentimentalité? La venue de sa maladie le rendit-elle plus accessible à l'incurable mélancolie du poète qu'il admirait? La mort prématurée de Keats nous met dans l'impossibilité d'élucider ce problème.

Pendant ses années de pleine activité productrice, son art avait été éminemment impersonnel; il jugeait mélodramatique de crier, comme Byron, ses propres douleurs à la foule. Pour lui, la Muse ne devait, à aucun prix, se faire la confidente des joies ou des affres du poète, et s'il fût resté, dans son intégralité absolue, lui-même, incontestablement certaines de ses poésies des dernières années n'eûssent pas vu le jour.

Il est en effet, de tous les écrivains de sa génération, le plus purement poète: la conception de la Beauté constitue l'axe intime de son Etre, et son imagination tressaille au moindre appel de cette Beauté. Plus qu'aucun autre, il éprouve les tortures de la lutte avec le style, avec l'épithète utile, avec le mot qui fait éviter une périphrase, avec la période bien équilibrée. Pour aucun de ses émules ce n'était l'unique préoccupation.

Crabbe, observateur consciencieux et pitoyable des classes pauvres, émeut bien davantage par la peinture énergique de leurs misères que par le rythme de ses vers.

Landor, réputé comme le fondateur de «l'Art pour l'Art», s'est tellement enflammé pour les théories libérales qu'après avoir soutenu de ses deniers la Révolution française, il avait, plus tard, pour lutter contre l'asservissement de l'Europe par Napoléon, entretenu à ses frais et commandé comme colonel un régiment en Espagne sous les ordres de Wellington.

Campbell l'Ecossais et Moore l'Irlandais, peu érudits, et documentés sur l'Art Grec par de simples traductions, revêtent leurs chant nationaux d'uniformes classiques.

Walter Scott s'attarde dans la narration pittoresque, imite de vieilles ballades, décrit de vieux châteaux, de vieilles amours et de vieux combats.

Southey dans sa jeunesse, un des plus chauds partisans des idées nouvelles, s'incorpore ensuite dans le parti conservateur.

Coleridge laisse évaporer son inspiration dans les nuages de la métaphysique allemande.

Le délicieux humoriste Lamb veille avec une adorable sollicitude sur sa sœur, pauvre folle qui avait tué sa mère dans un accès de délire.

L'opulent Lord Byron, si merveilleusement doué pour chanter toutes les véhémences, mésuse de son talent en diatribes contre la société et en injures contre la vie qui l'avait comblé. Il a tout épuisé, tout ce qui eût contenté l'ambition d'un autre homme: passion du jeu, des femmes, de la gloire. Son dévouement pour une noble cause et sa vaillance pendant les derniers mois de son existence ont plus servi sa renommée que ses meilleurs poèmes.

Wordsworth compose des vers exquis sur des thèmes souvent par trop insignifiants, fastidieusement et invariablement édifiants.

Le généreux Shelley, le plus génial de tous, plus génial que Keats lui-même, considère la poésie comme l'expression la plus haute de la philosophie, «comme une sorte d'ascension indéfinie vers le bien de l'humanité», rêve des réformes sociales, et parfois se perd dans l'infini, ainsi qu'il était arrivé, dans le second Faust, à son seul rival, le grand Gœthe.

«C'est une sensation désagréable, a écrit Novalis, le plus proche de l'auteur d'Endymion parmi les écrivains allemands, d'entendre des mots superflus lorsqu'il y a un but déterminé à atteindre, et comme la poésie n'est autre chose qu'un superflu cultivé, une chose qui se développe elle-même, elle devient absolument répugnante lorsqu'elle n'est pas à sa place, lorsqu'elle veut raisonner et argumenter, et, en général, lorsqu'elle assume un air sérieux: elle n'est plus poésie.»

Pour Keats, l'Art est une entéléchie, une fin en soi. Et comme il n'a jamais admis qu'une sensation fût une chose moins relevée qu'une idée ou un sentiment, il lui suffit que la poésie concrétise avec intensité l'extase que font naître les impressions innombrables qu'il reçoit du dehors.

Des phénomènes insignifiants, qui passeraient inaperçus pour tout être moins perméable, développent en lui une activité sensorielle qui met en jeu les uns ou les autres de ses sens, ou tous à la fois. Une fermentation, un travail exclusivement interne, se produisent alors, lents, inconscients, qui surexcitent certaines de ses facultés et paralysent les autres. Nulle inquiétude, nulle curiosité ne le poussent plus vers un non-moi quelconque. Ce qu'il a emmagasiné dans la fièvre l'absorbe uniquement, et, pendant cette incubation, le merveilleux spectacle de l'univers ne l'émeut plus assez pour qu'il daigne en prendre sa part. Un seul désir le hante désormais, égoïste, farouche: décomposer et analyser les principes premiers de la sensation répercutée en son tréfonds, ressusciter la naïveté et la simplicité primordiale de toutes choses, découvrir leur entité pour s'expliquer à soi-même leur profonde, leur véritable signification, pour, en son propre moi, comme en un creuset, reconstituer et recombiner ces éléments épars, les fondre, les modeler de façon à leur donner, sous une forme nouvelle, l'expression la plus définitive.

«Les hommes de génie, a-t-il dit en manière de boutade, n'ont pas d'individualité propre... Le poète n'est pas lui-même, il n'a point de moi, il est tout et il n'est rien... Quand je suis dans une chambre avec d'autres personnes, l'identité de chacune d'elles exerce immédiatement une pression sur moi, si bien que je suis, en très peu de temps, annihilé.» Comme conséquence de cette extériorisation, constante sauf pendant les heures d'élaboration, si, par suite de son obstination à négliger et à mépriser la science et l'histoire, son érudition est par instants en défaut, son observation directe est toujours scrupuleusement exacte; les mœurs et les instincts de tous les êtres vivants de la création ne méritent-ils pas son attention au même titre? Tous ne sont-ils pas, à son égal, Citoyens de la Nature?

Le poète .......... a entendu
Le rugissement du lion et peut dire
Ce qu'exprime sa gorge rugueuse;
Et, pour lui, le hurlement du tigre
A une signification, et frappe
Son oreille comme une langue maternelle[29].

De même, il avait atteint un degré de porosité tel qu'il faisait pour ainsi dire, partie des éléments. Devant un rayon de soleil il ne se possédait plus, il s'enivrait des transparences de l'atmosphère, de la course incessante des nuages pourpres, gris d'or ou argentés, des miroitements du flot irisé, de la fluidité et de la diaphanéité apparente des objets sous les reflets du ciel bleu. Le cri du grillon[30], le bourdonnement d'une abeille, la senteur d'une fleur, la vue de la mer faisaient frémir tout son être: ses yeux étincelaient et ses lèvres tremblaient.

Oh! combien j'aime, par un beau soir d'été,
Lorsque des torrents de lumière déversent l'or à l'Occident
Et que, sur les zéphyrs embaumés, reposent immobiles
Les nuages argentés[31].........

Les zéphyrs étaient éthérés et purs
Et s'insinuaient à travers les croisées mi-closes pour guérir
Les malades languissants, rafraîchissant leur fiévreux assoupissement[32].

Les nuages étaient purs et blancs, comme des troupeaux fraîchement tondus.
Et sortant d'un clair ruisseau; paisiblement ils reposaient
Sur les champs azurés du ciel[33].......

O vous! qui avez les prunelles meurtries et lassées,
Régalez les devant l'immensité de la mer!
O vous! dont les oreilles sont assourdies de rudes vacarmes
Ou sursaturées de fades mélodies,
Asseyez-vous à l'entrée de quelque vieille caverne, et méditez[34].

Chacun de ses sens est en un éveil perpétuel! Avant Huysmans, il sait dissocier les différentes odeurs; il sait aussi de leur association composer une sorte de symphonie:

Dans la nuit embaumée je devine la senteur spéciale
Dont chaque mois parfume
Le gazon, le hallier, le fruit de l'arbre sauvage,
La blanche aubépine, et l'églantine des champs[35]...

Voici une remarque précieuse qui atteste la sincérité de son art; un idéaliste aurait glissé sur ce détail. Seul un précurseur du naturalisme[36] pouvait le noter:

Au lieu de saveurs agréables son énorme palais ne percevait
Que le goût empoisonné du cuivre ou d'un métal corrompu[37].

Personne n'a défini mieux que lui, avec une prédilection plus marquée, les sensations du goût:

Oh! qui me donnera une gorgée d'un vin
Longtemps refroidi dans la terre profonde,
D'un vin qui sente Flora et la campagne verte[38].

Il est tellement peintre que pas une finesse du ton qu'il décrit ne lui échappe:

Le bleu! c'est la vie du firmament, le domaine
De Cynthia—le vaste palais du Soleil!
C'est la tente d'Hespérus et de toute sa suite,
Le cœur même des nuages, or, gris et brun;
Le bleu! c'est la vie des eaux[39]...

Nuance tout ce qui a une teinte vermillon.
Que la rose s'épanouisse et réchauffe l'atmosphère,
Que le vin écarlate écume dans le gobelet
Frais comme une source bouillonnante, que les coquilles aux bords décolorés,
Sur le sable, ou sous les insondables profondeurs, deviennent pourpres
Dans tous leurs circuits, que la jeune fille
Rougisse vivement, comme surprise par quelqu'ardent baiser[40]!

Quelle richesse de palette! Est-il possible d'exprimer plus picturalement avec des mots les somptuosités et les variétés d'une même tonalité? Chaque mot est lui-même une teinte dont Keats par une juxtaposition calculée atténue ou vivifie les différentes nuances avec un raffinement inouï. Si ce n'était paraître jouer trop facilement sur les vocables, les termes concernant la peinture et la musique ayant une excessive identité, on pourrait se croire autorisé, après avoir lu ce morceau à haute voix dans l'original, à soutenir qu'on a entendu une gamme, à spécifier où se trouvent les tons et les demi-tons, à vérifier et à justifier cette assertion, un peu audacieuse, en constatant, qu'images, harmonie, et pensées sont ici concomitantes.

Nulle confusion suspecte, cependant, nulle interversion n'est perceptible entre les différents arts. Constellations d'un même orbe, ils cheminent sans se choquer ni s'entraver, bien que leurs routes ne soient qu'entrelacements continuels. Chacun use de ses moyens propres: il y a simplement émulation, superposition. Quel que soit celui auquel il défère momentanément la prédominance, le poète, quand il conçoit et élabore une œuvre, les subordonne invariablement tous à la poésie. Il n'hésite d'ailleurs pas à emprunter leurs procédés au peintre, au sculpteur, au musicien, soit pendant la préparation, soit pendant l'exécution, selon qu'ils lui semblent mieux convenir au sujet qu'il aura à traiter.

Après avoir, en une esquisse très largement brossée, établi d'abord ses grandes lignes, le peintre[41] choisit une couleur, une clé, devant servir d'assiette normale à son tableau et constituer la base solide sur laquelle s'appuiera l'infinité des plans formés par les dégradations successives de cette unique couleur; ensuite, ses effets de lumière et d'ombre, toujours en camaïeu, judicieusement distribués, il fait chanter çà et là, non la note banale des tons complémentaires, mais la fanfare plus tapageuse de tons très distants s'harmonisant sans heurts. Keats, lui aussi, avant d'accorder entre elles ses colorations ou ses sonorités et de faire retentir leur puissante polyphonie, prend minutieusement soin de trouver, en premier lieu, le point de départ, la clé.

Il excelle à créer cette ambiance: parfois le vague et l'incertain planent autour de ses personnages, entretenus par des imprécisions voulues de termes[42] et d'images[43]:

.. Des vitres en losange d'une bizarre invention,
Riche en couleurs et en teintes splendides,
Comme sont les ailes sombres et damasquinées du papillon de nuit
Et au milieu entre mille figures héraldiques...

Une idée lui vint comme une rose épanouie..

Parfois l'immobilité et le silence figent toute sa description:

Bel éphèbe, sous ces arbres, tu ne peux quitter
Ta chanson, pas plus que les arbres ne quittent leurs feuilles,
Audacieux amoureux, jamais, jamais tu n'obtiens les baisers
Quoique tu sois proche du but[44]......

Ici, c'est l'art du statuaire qui lui inspire cet effet de plastique insurpassable. Il semble impossible de rassembler avec plus d'à propos les mots et les tours de phrase qui suggéreront la vision de gestes subitement arrêtés en leur élan, comme dans une photographie instantanée.

Si, au contraire, il veut rendre la succession et la plus ou moins grande rapidité des mouvements, il va de soi qu'il s'adressera au compositeur. C'est à l'école de celui-ci qu'il apprendra en quelque sorte, l'usage du métronome, c'est-à-dire qu'il prescrira, dès le début de chacune de ses pièces par le choix de sa stance et de la mesure de son vers, quel rythme devra adopter celui qui récitera son œuvre, de même que par la position de la pause (ou césure) il le contraindra de reprendre haleine à tel endroit, de façon à précipiter ensuite ou à ralentir son débit, suivant qu'après cet arrêt de respiration il y aura plus ou moins de syllabes à prononcer.

Il fera preuve, pour diversifier rythmes et pauses, d'une imperturbable sagacité et d'une science impeccable puisée chez chacun des poètes qui avaient été «la nourriture de son imagination[45]»; il en approfondit la maîtrise et se l'approprie avec un bonheur inouï.

Pour Isabelle[46], ou le Pot de Basilic, dont le canevas est emprunté à Boccace, il se sert, après Chaucer[47], de la désinvolte Ottava Rima si chère aux poètes italiens.

Pour la Veille de Sainte Agnès[48], la Stance Spensérienne avec ses neuf vers, dont le dernier est un alexandrin, lui a semblé par cet allongement fournir une chute plus majestueuse à sa strophe.

Avant de commencer Lamia[49], il étudie Dryden, dont il s'assimile l'aisance dans la facture du même alexandrin, assoupli et libéré cette fois: alternativement alerte et pompeux, ce mètre avait toute la variété qui convenait pour dépeindre, soit la démarche sinueuse de la femme-serpent, soit la grandiose fantasmagorie de l'orgie qu'elle préside en son palais.

S'il veut représenter, dans Hypérion[50] la lutte des forces cosmiques, il prendra pour modèle l'ampleur et l'envergure de la période Miltonienne: qu'on lise dans le texte anglais ce passage d'une quiétude déjà Olympienne—bien avant que l'Olympe fût consacré;—est-il possible de concevoir un adagio plus solennel et d'une sérénité plus imposante:

... Dans l'extase d'une nuit d'été
Ces sénateurs des bois puissants, en leur verte parure,
Les chênes élevés, aux branches enchantées par l'ardeur des étoiles.
Rêvent, et rêvent ainsi, toute la nuit, sans autre frémissement
Que celui de la brise qui s'enfle graduellement dans la solitude,
Domine le silence, puis s'évanouit,
Comme une marée montante qui n'aurait qu'une vague[51]...

D'autrefois la diction sera haletante et fébrile, en allure de scherzo:

Que toujours la Fantaisie puisse vagabonder,
Le plaisir n'est jamais au logis:
Au plus doux contact le plaisir s'évapore,
Telles les bulles d'air assaillies par la pluie;
Que la Fantaisie erre donc[52].......

Certains de ces morceaux, par contre, sont célèbres pour la multiplicité de leurs mouvements et l'ingéniosité de leurs innombrables modulations que pacifient par échappées de furtifs retours au ton initial; celui qui commence ainsi, entre autres, dont la traduction ne donne, hélas! aucune idée sous ce rapport:

Sur les flancs du Latmos s'étendait
Une puissante forêt[53].....

Le musicien lui expliquera encore quelle est l'importance d'un ton plus haut ou plus bas, quelles lettres enflent ou assourdissent la voix, la rendent plus grave ou plus aiguë, lui dira qu'il faut être ménager de ses timbres, ne pas, à moins de chercher un effet, fatiguer son auditeur en faisant sonner indéfiniment les mêmes, préparer au contraire leur rentrée de manière à lui procurer une surprise, une sensation d'inattendu:

Inspectons la lyre, calculons la résonnance
De chaque corde, et voyons ce qui peut être gagné
Par une oreille industrieuse et une patiente attention,
Avare du son et de la syllabe[54]......

Aucun poète a-t-il possédé à un degré supérieur l'instinct du vers plein et vibrant? Aucun s'est-il enivré davantage du charme du son et des rimes, du rappel des assonnances amené par un luxe incroyable de répétitions savamment disposées[55]. Tantôt les unissons lui semblent préférables, et tantôt il joue sur les différentes prononciations d'une même voyelle, cas assez fréquent dans la langue anglaise.

Tour à tour il sait reposer l'oreille par des cadences alanguies, puis la réveiller soudain avec le fier cliquetis des consonnes métalliques. S'il a besoin de nouvelles cordes à sa lyre, comme Berlioz faisant plus tard le désespoir de ses artistes et les forçant d'attaquer sur leurs cors des notes inemployées auparavant, il invente des accords qui indignent les pusillanimes et les officiels. Quels étranges adjectifs attirent tout à coup notre attention? Effarés de les entendre, les puristes d'Outre-Manche crient au scandale en invoquant grammaire et dictionnaires. Keats s'inquiète peu de leur colère: pour rendre son orchestration plus aérienne, sa fantaisie a forgé des mots «psalterian»[56] et «piazzian» dont la première syllabe ressemble au pincement de la harpe et dont la terminaison rappelle sa résonnance nasillarde.

Maintes fois cependant, grisé par le susurrement des s et des z, par l'élancement des h et le balancement des allitérations, il se laisse aller à ne plus donner de sens à la musique de ses paroles; il lui arrive encore d'atténuer outre mesure les contours sous l'amoncellement des empâtements, de diluer les couleurs, tant il en force l'éclat. Alors, comme chez son compatriote Turner, idée et image, tout disparaît dans un poudroiement d'or au milieu d'un prestigieux flamboiement: il ne peint plus que la lumière! La poésie est une pluie sans fin de lumière[57].

C'est un vertige presque irrésistible qui l'entraîne! Combien il lui est, la plupart du temps difficile de réfréner cette fougueuse, cette impérieuse imagination! Il faut reconnaître, pour être équitable, que dans ses chefs-d'œuvre—et ils sont nombreux,—il est resté maître de lui-même: aussitôt, les nuances et les harmonies et ses phrases en doublent la signification, et il lui a suffi de s'en tenir au diapason et au rythme qu'il avait adoptés avec tant de discernement.

La belle Dame sans Mercy est peut-être, de toute l'œuvre du maître écrivain, la pièce capitale en laquelle idée, image et musique s'équilibrent dans les proportions les plus justes avec la perfection la plus inattaquable[58].

Un poète aussi exclusivement sensuel, qui n'écrivait que sous la fascination et la domination de ses sens, qui s'écriait: «O vivre d'une vie de sensations plutôt que de pensées!» devait surtout choisir comme types d'humanité des personnages animés de passions violentes, de la passion surtout la plus insurmontable de toutes, de l'amour. C'est avec l'amitié le sentiment qu'il a le mieux interprété:

............... leur couronne
Est tressée d'amour et d'amitié, et siège haut
Sur le front de l'humanité;
Sa valeur la plus pesante et la plus volumineuse
Est l'amitié d'où émane sans cesse
Une splendeur persistante; mais au sommet
Est suspendue, par d'invisibles fils, une sphère
De lumière, c'est l'amour: son influence
Frappant nos yeux, engendre un sens nouveau[59]..

Encore doit-on constater qu'il a plutôt chanté la Volupté que l'Amour pur:

Elle pleure solitaire ses plaisirs perdus,
Douloureusement elle pleure jusqu'à la venue de la nuit,
Puis alors, au lieu d'amour, o Misère!
Elle médita solitaire sur la Volupté.....
Mais l'égoïsme, cousin de l'amour n'imposa pas longtemps
La brûlante insomnie en son sein seulement:
Elle se consuma dans l'attente de l'heure fortunée et compta
Les instants fiévreusement, haletante, sans relâche[60].

De même, dans la pièce adressée à Fanny, la fiancée dont il a été parlé plus haut, qui partait pour un bal auquel le poète jaloux ne pouvait pas assister, ce sont surtout des émotions physiques qu'il traduit:

Ah! que du moins ta main ne soit saisie par personne!
Laisse, laisse les amoureux se consumer—
Mais, je t'en supplie, ne détourne pas
Sitôt de moi, l'élan de ton cœur;
Oh! conserve, par charité.
Les pulsations les plus vives pour moi[61]!

En réalité, il ne se trouve pas à l'aise avec les femmes, les jugeant trop peu homogènes. Il reproche à ses contemporaines de ne pas assez ressembler aux Nymphes de l'Ilyssus. Aucune, d'ailleurs ne fit faire de folies à ce sensuel qui ne l'était que par la pensée. C'est encore la Beauté qu'il poursuit en elles; et rapidement désillusionné, il leur témoigne un mépris formel:

Femme, lorsque je te vois bavarde, vaine
Inconstante, puérile, orgueilleuse et pleine de caprices..
Aussitôt mon âme tressaute et se réjouit
De ce que, si longtemps, je sois resté fermé à l'amour[62].

«Je sens, écrit-il à Bayley, que je ne suis pas juste envers les femmes. J'essaie, en ce moment, de leur rendre justice; je ne puis. Est-ce parce qu'elles sont tellement au-dessous de mes imaginations d'adolescent? Quand j'étais écolier, je considérais une belle femme comme une déesse.»

Et, comme sa fiancée semble se plaindre qu'il s'adresse plutôt à sa beauté qu'à elle-même, par divination sans doute, et pressentant intuitivement une rivalité qu'elle se définissait mal à elle-même, il lui répond:

«Pourquoi ne puis-je parler de votre beauté? Aurais-je pu vous aimer sans cela? Je ne puis concevoir d'autre origine à mon amour pour vous que votre beauté.»

Dans l'amitié même, il ne sépare pas ses amis de son art:

Douces sont les joies que procure la poésie,
Et doublement douces quand elle chante une fraternité!
Et aucun souvenir, Matthew, ne peut évoquer à nos yeux
Un destin plus plaisant, une jouissance plus vraie
Que celui dans lesquels s'ébattent deux poètes[63]..

Poésie! Beauté! voilà donc les deux mots qui se trouvent à tout propos sous sa plume, quel que soit le thème qui l'inspire: émotion des sens, amour, amitié, etc... C'est son Credo, c'est l'unité profonde de sa pensée:

Une chose de Beauté est une joie éternelle[64]...

L'art suffit à tout, l'art purifie tout, ennoblit tout:
........... Le véritable but
De la poésie, c'est qu'elle doit être une amie
Qui allège les soucis et élève les pensées des hommes[65].

C'est-à-dire que, s'il n'est ni chauvin, ni religieux, s'il juge sévèrement la science et l'histoire qui dépoétisent son domaine, il n'est pas indifférent, ni égoïste. Car la poésie lui fait aimer la nature et chacun des phénomènes qui embrasent son imagination, elle lui fait chérir tout ce qui palpite sous le soleil,

ses frères:

Bien des veillées semblables de doux chuchotement
Puissions-nous passer ensemble, et ressentir dans le calme
Ce que sont les vraies joies d'ici bas—avant que la grande voix.
De la céleste bouche ordonne à nos esprits de prendre notre vol[66].

ses amis:

......... et sûrement ce doit être
A peu près la plus haute félicité humaine
Lorsque, dans tes retraites, se réfugient deux âmes sœurs[67]!

l'humanité entière sans distinction de castes ni de nations, tous les êtres qui bondissent, rampent, volent, nagent, sur terre, dans les airs ou sous les eaux; mais la poésie lui fait aussi haïr sa férocité; et plus d'une fois, cette férocité mêle d'amertume l'ivresse qui l'envahit en face des spectacles les plus enchanteurs de cette marâtre:

......... La vaste mer roulait
Sans fracas une frange d'écume argentée...
Et mon bonheur eût été complet!—mais je voyais
Trop profondément dans les espaces sous-marins, où chaque estomac,
S'il est le plus fort, se nourrit du plus faible, éternellement[68]!

C'est dans un pareil état d'âme qu'on discerne l'influence de Chatterton auquel il dédiait ces vers:

........ Aux sphères qui tourbillonnent
Tu chantes harmonieusement; rien ne gâte tes hymnes
Au-dessus du monde ingrat et des humaines épouvantes[69].

Ces crises de découragement prouvent que, s'il avait vécu plus longtemps, ce païen endurci aurait probablement fini par partager l'angoisse moderne. Depuis son plus jeune âge, une surexcitation nerveuse d'une prodigieuse intensité enfiévrait, sans lui laisser de repos, toutes les fibres de son être: il était miné. Aussi, qu'un accident survienne et l'influence du suicidé de 17 ans prédominera de plus en plus! Une maladie l'atteint dont les germes avaient été contractés pendant une tournée en Ecosse; c'en est fait, l'infortuné sera vite abattu. Déjà s'étaient trahis quelques symptômes de dépression, qui désormais iront s'aggravant sans relâche; en visitant la tombe de Burns, notamment:


Tout est froide Beauté; le chagrin ne passe jamais[70].....

Qu'elle est loin la hautaine ironie du sonnet dans le dernier vers duquel il avait précédemment fait allusion à la mort du poète qu'il préférait maintenant:

Les pensées les plus calmes flottent autour de nous, celles des feuilles.
Qui bourgeonnent.—le fruit mûrissant en silence.....
Un ruisselet sous bois—une mort de Poète[71].

Oui, c'en est fait! Keats n'est plus Keats! et l'inexorable destin lui refuse les années qu'il avait réclamées autrefois pour se manifester dans son entière éclosion:

Oh! pour dix ans que je puisse m'abîmer
Dans la poésie, que je puisse accomplir la tâche
Que mon âme s'est imposée[72].....

Ce vœu, formulé en 1817, ne sera pas réalisé. Les médecins lui conseillant de chercher en Italie une température plus clémente, il se décide à quitter l'Angleterre avec son ami, le peintre Severn, qui sera dorénavant son unique confident et le soutiendra fidèlement pendant ses dernières agonies. Il s'embarque, désespéré de ne plus voir Fanny, angoissé à l'idée de laisser son œuvre inachevée, torturé par la pensée que la gloire lui échappe; et, sur le bateau, une fois encore, une seule, une dernière fois il redevient Keats:

... Puissé-je, toujours immobile, toujours immuable,
Elire comme oreiller le sein naissant[73] de ma bien-aimée
Pour le sentir à jamais doucement se soulever, puis s'abaisser,
Eveillé à jamais en une délicieuse insomnie,
Pour entendre encore, et encore, sa tendre respiration
Et vivre ainsi toujours—ou sinon m'évanouir dans la mort[74].

Après un court séjour à Naples, il vient s'installer à Rome, où tout de suite «il sent les marguerites pousser sur lui», puis il termine en retrouvant pendant les derniers jours une sérénité païenne, ce qu'il appelait sa «vie posthume».

Les zoïles d'Edimbourg n'avaient cessé de lui reprocher son affectation archaïque, son obscurité, sa téméraire absence de tout sentiment chrétien aggravée par l'imprudente évocation d'une religion disparue sans retour; et, finalement, lui avaient bienveillamment conseillé de renoncer à la littérature pour reprendre son ancien métier de pharmacien. Jeffrey, plus juste, avait reconnu en lui le don merveilleux de faire revivre le monde symbolique avec une stupéfiante réalité.

Byron, atteint d'un accès de fureur effrénée en lisant cet éloge, avait écrit à son éditeur Murray:

«Plus de Keats, s'il vous plaît! Ecorchez-le moi tout vif, ou je me chargerai moi-même de lui ôter la peau. Je ne peux supporter l'idiotie ni le rabachage de ce petit singe. J'étais fier des éloges comme des blâmes de Messieurs les critiques d'Edimbourg. Maintenant qu'ils ont bien parlé de Keats, tous ceux qu'ils ont vantés sont déshonorés par cet article insensé».

Le pauvre poète une fois mort, le généreux Lord s'écriera frénétiquement en parlant d'Hypérion: «Ce fragment Titanique, sublime comme Eschyle!» et s'excusera de ses invectives d'antan, en alléguant qu'il avait défendu la mémoire de Pope que l'auteur de «Sommeil et Poésie» s'était permis de flageller.

Tardive, exagérément tardive, se produisit la réaction, puisque le malheureux méconnu ne la connut pas. Des rivaux littéraires—il y a, par chance, des exceptions—plutôt que de témoigner, eux-mêmes, pendant leur vie de simples regrets pour une injustice commise à l'égard d'un vivant, préféreront toujours laisser à leurs successeurs le soin de prodiguer à un mort les honneurs de l'apothéose! Et cette apothéose fut complète: peintres, poètes, musiciens, critiques des générations suivantes, Hood, Tennyson, Morris, Rossetti, O'Shaugnessy, Marzials, Payne, Swinburne, Burne Jones, Millais, en Angleterre et chez nous Mallarmé, Mœterlinck, Debussy entre autres, recueillirent l'héritage du jeune maître.

La Veille de Saint-Marc[75] surtout devint l'Evangile des Symbolistes. Chez la plupart il est facile de reconnaître les traces de cette fervente admiration dont les conséquences furent le plus souvent heureuses, mais parfois néfastes, il faut l'avouer.

Le grand poète n'avait jamais emprunté leurs sensations à ceux mêmes qui le séduisaient le plus; il s'était, sans exception aucune, adressé invariablement à la nature. Si les sujets antiques l'avaient attiré de préférence, c'est qu'instinctivement il avait deviné que les peuples, dans leur enfance, ont, de toute évidence, et pour cause, des impressions fraîches, que leurs sens ne sont pas émoussés, ni leurs façons de les exprimer tombées dans la banalité. De plus, étant très peu livresque, son amour exclusif de la Forme et de la Beauté lui fournissait une solution satisfaisante pour toutes les énigmes de l'univers. Pour lui, comme pour les Grecs, voir les choses dans leur Beauté c'était les considérer dans leur Vérité:

Beauté, c'est Vérité. Vérité c'est Beauté; voilà tout
Ce que vous savez sur terre, et tout ce qu'il faut savoir[76].

Du moment qu'on possède en toute assurance son point fixe, son étoile polaire, pourquoi se lancer dans l'inconnu des troubles et des incertitudes?

Tel est le véritable fond de son hellénisme. Par contre, il abomine ceux qu'il intitule les faux classiques, Pope[77] et ses fades imitateurs, auxquels il reproche d'être des artisans de vers, et surtout de pasticher les poètes du xviie siècle français. Il le proclame dès sa première pièce importante, celle qui est, en quelque sorte, sa profession de foi, sa préface de Cromwell:

............ Un schisme
Entretenu par la frivolité et la barbarie
Fut cause que le grand Apollon rougit pour son pays.
Un millier d'artisans portaient le masque
De poètes. Race déshéritée! Race impie!
Qui blasphémaient le brillant lyrique
Et ne s'en apercevaient pas,—non, ils marchaient
Brandissant un misérable étendard décrépit
Sur lequel étaient inscrites les plus falotes devises et en gros caractères.
Le nom d'un certain Boileau[78].......

Il prétend être, lui, un vrai classique, non celui qui se borne à représenter l'idée aussi nue et aussi nette que possible, mais celui qui—outre ces qualités, apanage de la statuaire—à l'égal des romantiques ses contemporains, continue la tradition de leurs illustres devanciers, les Arioste, les Spenser, les Burns, et, comme les peintres de son pays, montre les objets à travers une atmosphère colorée et irradiante, au milieu d'un halo et d'un vague émouvants.

Beers[79] voit en lui le poète de l'émotion romantique, de même qu'en Scott celui de l'action romantique. C'est le diminuer, les émotions ainsi que les actions romantiques étant en général dénuées de sincérité, parce que, leur amour du Beau ne trouvant pas sa satisfaction dans la vie ordinaire, ils la requéraient dans les événements du passé ou les cataclysmes de la Nature.

Il faut donc aller plus loin que Beers et que Keats lui-même, et dire que, classique par le choix de ses sujets—du moins les plus développés—il s'est montré romantique dans sa forme et naturaliste par la franchise de son impressionnabilité. Voilà sa grande originalité, sur laquelle on ne saurait trop insister, celle qui constitue sa personnalité novatrice à cette date de son siècle: ne traduisant que des sensations directes, il demeure, quand même, actuel, et ne tend jamais à se créer une âme grecque, ni une âme gothique, ni une âme de néo-latin.

Ce n'est pas ce que comprirent les poètes qui vinrent après lui, lorsque sa gloire fut devenue incontestée. Géographiquement ses principaux poèmes, Endymion, Lamia, Hypérion étaient grecs; son ardent amour pour le paganisme l'avait forcé de se tenir à l'écart de l'évolution scientifique, politique et religieuse qui remplissait d'orgueil ses compatriotes. Ils n'analysèrent pas davantage et estimèrent logique d'en conclure qu'il trouvait son Idéal uniquement dans le passé.

Et cependant, n'avait-il pas, à plusieurs reprises, nettement formulé ses idées sur l'évolution persistante et inéluctable de toutes choses?

Dans Hypérion, au milieu du conseil tenu par les dieux désespérés d'avoir été vaincus par Jupiter, «un enfant», un dieu nouveau, Neptune s'adressant à Saturne lui dit:

De même que le Ciel et la Terre sont plus beaux, beaucoup plus beaux.
Que le Chaos et les Ténèbres vides, quoique rois autrefois,
De même que nous montrons, supérieurs à eux le Ciel et la Terre,
Par la forme, la cohésion et la beauté,
Par la volonté, la liberté, la fraternité,
Et par des milliers d'autres signes d'une vie plus pure;
De même sur nos talons marche une perfection nouvelle,
Un pouvoir d'une beauté plus mâle, né de nous
Et destiné à nous surpasser, autant que nous surpassons
En gloire les antiques Ténèbres; et nous ne sommes pas
Plus vaincus par eux que ne l'a été par nous la domination
Du Chaos sans forme[80]..........

Etait-ce la théorie d'un artiste s'hypnotisant sur un stade de cette évolution et s'y ankylosant de propos délibéré?

......... De fraîches fleurs écloront
Et de nombreuses gloires marquées au sceau de l'immortalité[81]!
D'autres esprits se tiennent ici à l'écart
Sur le seuil de l'âge qui vient.
Ceux-là, ceux-là donneront au monde un autre cœur
Et d'autres pulsations. N'entends-tu pas le ahan
De puissants travaux dans les humaines entreprises!
Ecoutez un instant, nations, et soyez muettes[82]!

Il espérait donc que la postérité verrait régner le bonheur universel ... ou à peu près.

Les architectes anglais, Inigo Jones et Wren avaient rédigé une sorte de code qui réglementait en principes fixes et arides la riche et indépendante imagination des Hellènes: ils mesuraient, pour chaque ordre, la proportion exacte de la colonne par rapport à son chapiteau, l'élévation de l'entablement par rapport à celle de la colonne; les sculpteurs calculaient quelle dimension précise devait avoir chaque trait de la figure, combien de fois la hauteur de la tête était contenue dans celle du corps, ils comptaient les plis de chaque Cariatide; tout était ramené à des lois mathématiques et intangibles. Les poètes n'agirent pas autrement et suivirent aveuglément la même fausse route, pensant, très sincèrement, marcher sur les traces de Keats.

Byron, malgré qu'il eût, sans discontinuer, battu en brèche le vieil édifice social et criblé de ses sarcasmes les dévotions désuètes et hypocrites, restait l'idole du gros public.

Wordsworth, qui avait d'abord—et ce fut son grand mérite—protesté éloquemment contre la préférence que les pseudo-classiques professaient pour le général, et remis le concret en honneur, finissait par prêcher sempiternellement; et, s'il restait l'éducateur moral de l'Angleterre puritaine et bourgeoise, il était peu à peu délaissé par le clan des délicats qui lui reprochaient d'être terre à terre.

Shelley, de son côté, admiré surtout, dans la suite, par Tennyson, et une petite élite, était trop grand et dépassait trop ses contemporains pour qu'ils pussent se rendre compte de sa supériorité: tout en s'imprégnant des éléments, au même degré que Keats, il savait, de plus, rajeunir les thèmes antiques, Prométhée par exemple. Enfin Shelley était un philosophe doublé d'un socialiste qui cherchait son Idéal dans l'Avenir.

Keats qui n'avait cure ni de guider les hommes dans le Présent, ni de les améliorer dans l'Avenir, qui ne s'était jamais soucié que de se poser en champion de la Forme pure, se désignait, en apparence, comme le visionnaire imaginant les rêves les plus éthérés et les plus éloignés des réalités quotidiennes. Par la magie de son style, la nature entière avait resplendi d'un éclat de pierres précieuses et des créatures immatérielles d'une impeccable Beauté avaient été ressuscitées.

Les Préraphaélites ne discernèrent que cette face de son talent; mais n'étant pas doués de la même porosité, ils utilisaient ses sensations parce qu'ils n'en éprouvaient pas de véritablement personnelles. Les maîtres seuls se dégagèrent de cette influence, Swinburne et Browning surtout; les autres, qu'ils prissent leurs sujets chez les classiques Grecs, qu'ils les situassent au Moyen-Age, pendant la Renaissance ou même dans une phase plus récente, demeurent condamnés à n'être jamais considérés que comme des virtuoses, comme des techniciens incomparables, qui, n'infusant dans leurs poèmes ni étincelle, ni vie, exerçaient industrieusement un merveilleux métier.

Grands artistes ils se prouvaient, assurément, et passionnés pour la Beauté, mais artistes dont la volonté de se manifester artistes devenait par trop perceptible! Ils divinisaient les émotions, mais n'étant pas émus eux-mêmes, ils ne frissonnaient pas à l'unisson avec ceux qu'ils côtoyaient chaque jour, d'où un désaccord flagrant entre leur génie et celui de leur époque. Ils étaient des déracinés!

Au milieu de parcs féériques, ombragés d'arbres laissant retomber sur des pelouses d'émeraude des frondaisons aux reflets métalliques, ils érigent des palais de marbre couronnés de toitures irisées. Les fleurs et les fruits des parterres semblent des améthystes, des topazes, des rubis; les ruisseaux, miroitant comme des saphirs, apportent leur tribut à des bassins du milieu desquels s'élève à des hauteurs prodigieuses une floraison de gerbes d'eau formées du cristal le plus pur. Sur ce décor se profile une profusion de Lucius Vérus avec trop de cheveux en volutes et de barbes en spirales, d'élégantes dames avec trop de corps en ivoire, trop de joues de corail, trop d'yeux de diamant et de dents de perles. Où est l'atmosphère dans ce paysage métallisé et pétrifié? Chaque détail a une égale importance, brille d'un éclat uniforme.

Sans doute les héros de Keats n'agissent pas, mais au moins leur extériorité se transforme-t-elle:

Laissée à elle-même la forme serpentine....
.... se tordit convulsée en des souffrances écarlates
Le jaune safran foncé remplaça
La couleur plus tendre de la lune qui ornait son corps gracieux.
Et, telle la lave dévastant une prairie,
Ternit ses écailles d'argent et ses tresses d'or,
Obscurcit ses taches fauves, ses stries et ses rayures,
Eclipsa ses croissants, éteignit ses étoiles[83]...

Ses métaux fusent, ses marbres deviennent malléables, ses ondes, comme dans Endymion, prennent tour à tour l'aspect d'un saule pleureur, puis d'un cygne, d'un chêne, d'une cathédrale gothique. Sa Lamia, son Isabelle ne se satisferaient pas de n'avoir en perspective que des enfants sidéraux! Ce n'est pas un évocateur d'âmes dont les essences se modifient, c'est un créateur de formes dont la transmutation et la mobilité sont incessantes. Chez lui, tout est vivant, même le:

Bouclier rougissant du sang des reines et des rois[84].

L'atmosphère est fluide et transparente, et chacun des détails concourt à l'effet d'ensemble.

Pour résumer: ce qu'il a de primesautier et d'inimitable, c'est la subtilité de son odorat, la finesse de son goût, l'acuité de son ouïe, la netteté de sa vision; ce qui est indiscutablement à lui, c'est la qualité de sa sensibilité, sa sincérité en l'enregistrant et sa franchise en l'exprimant. Voilà pourquoi les critiques, se piquant d'idéalisme, ne pouvaient lui pardonner son sensualisme; voilà pourquoi il était moderne et pourquoi il devançait son époque.

Shelley, qui, dès le début, l'avait jugé à sa valeur, Shelley qu'il avait méconnu en refusant l'hospitalité que le poète lui offrait avec insistance à Pise, eut juste le temps d'écrire sur lui Adonaïs, son ouvrage le plus parfait peut-être, puis mourut on sait de quelle tragique façon. Par une touchante inspiration, bien digne de son grand cœur, il avait choisi pour ce poème la Stance spensérienne que Keats affectionnait particulièrement et dont il s'était servi pour construire la Veille de Sainte Agnès.

Enfin, dernier hommage du poète panthéiste au poète païen, il avait emporté un Eschyle et un Keats pour faire en mer l'excursion dans laquelle il trouva la mort. On eût dit qu'il s'était muni à dessein de ces deux compagnons d'élite en ce moment suprême où il allait entreprendre son voyage à travers cet infini qui l'avait tant hanté, et les avoir toujours avec lui pendant l'Eternité des siècles.

Et, pieusement, ses compatriotes avaient suivi cette indication: les deux jeunes gens morts, Keats à 26 ans, Shelley à 30 ans, reposaient fraternellement, tout près l'un de l'autre, dans le cimetière protestant de Rome, le long des murs Honoriens, à l'ombre de la pyramide de Cestius. Des acanthes et des digitales poussent çà et là; les silhouettes opaques des pins parasols se découpent sur le bleu velouté des montagnes de la Sabine qui barrent l'horizon; à de rares intervalles, vers le soir, les grêles clochettes de chèvres qu'appelle dans le lointain un pâtre, en sayon de laine et en sandales de drap brun, lancent leurs notes cristallines vers un ciel teinté d'orange et de vermillon; voilà le paysage au milieu duquel se dressaient les deux tombes, séparées par quelques pouces de terrain[85].

Sur celle de Keats est gravée cette inscription composée par le poète lui-même:

«Ci-gît un dont la gloire était écrite sur l'eau».

Infortunée Angleterre, dont les trois plus grands poètes au xixe siècle sont morts en terre étrangère et méridionale! Est-ce simple caprice du hasard? Inconsciemment ou non, ont-ils fui les climats brumeux, et, semblables à Gœthe, ont-ils voulu finir dans la lumière[86]?

[1] Il prépare en ce moment une étude beaucoup plus développée sur le génie de Keats et sur le mouvement littéraire de l'Angleterre entre 1800 et 1820.

[2] Page 53.

[3] Page 181.

[4] A mon frère George. Epître. Page 66. A mes frères. Sonnet. Page 73.

[5] A Haydon. Sonnet. Page 77.

[6] A Leigh Hunt. Dédicace de son premier volume. Page 51.

[7] A Felton Mathew. Epître. Page 61.

[8] A Cowden Clarke. Epître. Page 69.

[9] Reynolds. Réponse à un sonnet. Page 101.

[10] A Byron. Sonnet. Page 56. Quelles que fussent leurs divergences, il savait, lui, apprécier Byron.

[11] Lamia. Page 318.

[12] Endymion. Page 221.

[13] Sonnet. Page 67. On supprime parfois ce sonnet dans des éditions récentes! Pour quelle cause?

[14] Hypérion. Page 323.

[15] Page 281.

[16] Page 148.

[17] Page 113.

[18] Page 58.

[19] Sur les marbres d'Elgin. Sonnet. Page 87.

[20] Après une lecture de l'Episode de Paolo et Francesca, Sonnet. Page 164.

[21] D'après Ronsard. Fragment d'un sonnet. Page 123.

[22] Le premier a écrit: «L'homme dans la lune» et le second «Le berger fidèle», deux poèmes que Keats avait étudiés de près avant de commencer Endymion.

[23] Imitation de Spenser. Page 53. Sonnet à Spenser. Page 59.

[24] Avant de relire le roi Lear. Sonnet. Page 100.

[25] Dans Hypérion Keats a réussi à s'assimiler le style de l'auteur du Paradis perdu.

[26] La veille de Sainte Agnès a plus d'une ressemblance avec le Christabel de Coleridge, mais l'art de ce dernier est plus suggestif, celui de Keats plus pictural et plus plastique.

[27] Dante. Page 164.

[28] A Chatterton. Sonnet. Page 57. Il lui a dédié Endymion.

[29] Où est le poète? Page 106.

[30] Sur la sauterelle et le grillon. Sonnet. Page 80.

[31] Sonnet. Page 59.

[32] Je me haussais sur la pointe du pied. Page 98.

[33] Id. Page 92.

[34] Sur la mer. Page 89.

[35] Ode à un Rossignol. Page 142.

[36] Pour n'effaroucher personne, il est urgent de constater qu'il n'est naturaliste ni par ses sujets, ni par sa forme—mais sans alléguer l'impersonnalité de son art,—surtout pour la franchise de ses impressions.

[37] Hypérion. Page 332.

[38] Ode à un Rossignol. Page 142.

[39] Réponse à un sonnet de Reynolds. Page 101.

[40] Hypérion. Page 359.

[41] Ceci était plutôt la pratique des peintres d'autrefois, Rembrandt par exemple. De nos jours, Carrière employa principalement la méthode du ton fondamental, et finit même par négliger tous les autres.

[42] La veille de Sainte Agnès. Page 299. Deep-damasked, littéralement damassées en creux, incisées. Le poète veut évoquer à chaque vers l'idée de blason.

[43] La veille de Sainte Agnès. Page 279. Le substantif Pensée eût été préférable, mais eût semblé un jeu de mots.

[44] Ode sur une Urne grecque. Page 148.

[45] Sonnet. Page 62.

[46] Page 235.

[47] Les rimes ne sont pas combinées de la même façon chez Chaucer et chez Keats. Le premier fait rimer ensemble les lignes 1 et 3, les 2, 4, 5, 7, les 6, 8, et Keats les 1, 3, 5, les 2, 4, 6, les 7, 8.

[48] Page 265.

[49] Page 288.

[50] Page 323.

[51] Hypérion. Page 327.

[52] Fantaisie. Page 126.

[53] Endymion. Page 206.

[54] Sonnet. Page 171.

[55] Rappels de phrases: pages 126 et 129; 166 et 168; 187; 227 et 228; 239; 261 et 263; 332.

[56] Dans Lamia.

[57] Endymion, Chant I.

[58] Keats avait trouvé cette ballade dans les œuvres de Chaucer auquel en est attribuée la traduction anglaise, et il s'imaginait que c'était une ballade provençale (voir la Veille de Sainte-Agnès). Elle a été composée par Alain Chartier, secrétaire de Charles VI. Page 164.

[59] Endymion. Pages 218, 219 et suivantes. Strophe XXXI.

[60] Isabelle ou le Pot de basilic. Page 249.

[61] A Fanny. Page 135.

[62] Page 83.

[63] A George Felton Matthew. Page 61.

[64] Premier vers d'Endymion.

[65] Sommeil et poésie. Page 196.

[66] A mes frères. Sonnet. Page 73.

[67] O Solitude. Sonnet. Page 65.

[68] Teignmouth. Page 121.

[69] A Chatterton. Sonnet. Page 189.

[70] Sonnet. Page 114.

[71] Sonnet. Page 31.

[72] Sommeil et Poésie. Page 189.

[73] Littéralement, mûrissant.

[74] Son dernier sonnet. Page 181.

[75] Page 130.

[76] Ode à une urne grecque. Page 148.

[77] C'est ce qui lui attira la haine de Byron, féru d'admiration pour l'auteur de l'Essai sur l'homme.

[78] Sommeil et Poésie. Page 194.

[79] Voir l'Appendice bibliographique.

[80] Hypérion. Page 350.

[81] Sonnet. Page 68.

[82] Adressé à Haydon. Sonnet. Page 78.

[83] Lamia. Page 295.

[84] La Veille de Sainte Agnès. Page 278. Remarquer qu'il ne joue pas sur le double sens du mot, comme l'auteur français connu. Le mot anglais, blush, signifie que la couleur semble aller et venir.

[85] Depuis quelques années les édiles romains ont entrepris de changer de place le cimetière protestant; Shelley a été transporté dans une nouvelle sépulture loin de son ami et Keats n'a plus pour compagnon dans la mort que son fidèle Severn qui avait assisté à ses derniers moments.

[86] Voir la bibliographie à l'appendice.

 


POÉSIES DIVERSES

 

 

DÉDICACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION

A Leigh Hunt.

Gloire et Beauté ont disparu;
Car si nous errons aux premières heures du matin,
Nous ne voyons aucun encens en spirales s'élever
Vers l'Est au devant du jour qui sourit:
Aucune troupe de nymphes à la douce voix, jeunes et gaies,
Apportant des épis de froment en des couronnes tressées,
Des roses, des œillets et des violettes, pour orner
L'autel de Flora au début de son mois de Mai.
Mais il reste encore d'autres joies aussi hautes,
Et je bénirai éternellement ma destinée,
De ce qu'à une époque où sous les arbres plaisants
Pan n'est plus imploré, je ressente un plaisir libre,
Un plaisir touffu, en constatant que je pourrais plaire,
Avec cette pauvre offrande, à un homme tel que toi.

Mars 1817.

 


 

IMITATION DE SPENSER

I

Maintenant le matin émergeant de son oriental séjour,
Dès ses premiers pas rencontra une verdoyante colline;
Il couronna de flammes ambrées sa crête dénudée,
Puis argenta les limpides cascatelles de son ruisseau;
Oui, jaillissant pur de sa source moussue, suintait goutte à goutte,
Et après un adieu à son lit de fleurs des champs,
Divisé en maints ruisselets, formait un petit lac;
Celui-ci, le long de ses rives, reflétait des berceaux de ramures entrelacées,
Et dans l'espace central, un ciel qui jamais ne s'abaisse.

II

Là le martin-pêcheur voyait son éclatant plumage
Rivaliser avec les brillantes colorations du poisson,
Dont les soyeuses nageoires et les légères écailles d'or
Dardaient au-dessus de lui, à travers les ondes, un rayon vermeil;
Là le cygne voyait la courbe neigeuse de son cou
Et majestueusement se promenait en ramant;
Ses yeux de jais étincelaient; ses pattes se montraient
Sous les vagues, semblables à l'ébène d'Afrique,
Et sur son dos une fée reposait voluptueusement.

III

Ah! comment décrire les enchantements d'une île
Placée au centre de ce merveilleux lac;
Je pourrais plutôt distraire Didon de sa douleur,
Ou chasser du vieux Lear son amère tristesse:
Certes on ne vit jamais plus admirable site
Parmi tous ceux qui charmèrent les yeux romantiques;
L'île semblait une émeraude scintillant dans l'argent
Des eaux éblouissantes; de même au plus haut de l'éther,
Transperçant les nuées d'un blanc floconneux, rit le ciel céruléen.

IV

Tout autour, le lac baignait luxurieusement
Des pentes de verdure à travers ses vagues miroitantes,
Qui, ainsi qu'en une gentille amitié
Se ridaient avec délices sur le bord fleuri,
Comme si elles s'efforçaient de recueillir les rougeoyantes larmes
Qui tombaient en profusion des tiges de rosiers!
Peut-être était-ce l'œuvre de son orgueil
Luttant pour jeter sur la grève un joyau
Qui surpassât tous les bourgeons sertis dans le diadème de Flora.

1813–14.


 

A BYRON

Byron que ta mélodie est suave et triste!
Prêtant à l'âme des accords de tendresse,
Comme si la douce Pitié, avec une force inaccoutumée,
Avait touché son luth plaintif, et que toi à ses côtés,
Tu eusses saisi les sons et ne leur eusses pas permis de mourir.
La douleur qui couvre tout ne te rend pas moins
Séduisant: bien que tes chagrins soient revêtus
D'un brillant halo, d'un éblouissant éclat,
Comme lorsqu'un nuage voile la lune dorée,
Et que ses bords sont colorés d'une lumière resplendissante;
A travers la sombre robe, souvent percent des rayons transparents
Qui s'infiltrent comme de jolies veines dans le marbre noir.
Chante encore, cygne agonisant! refais encore le récit,
Le récit enchanteur, le récit du plaisant pitoyable.

1815.


 

A CHATTERTON

O Chatterton! que ton destin fut triste!
Cher enfant du chagrin—fils de la misère!
Combien prématurément les ténèbres de la mort ont éteint tes yeux,
Où le génie mettait une douce lueur et un haut dessein!
Combien prématurément ta voix, majestueuse et inspirée,
Se dissolvait en vers mourants! Oh! combien proche
Fut la nuit de ton admirable matin. Tu mourus
Fleurette à demi épanouie frappée par les souffles glacés.
Mais c'est le passé: te voilà parmi les astres
Au plus haut du ciel: aux sphères qui tourbillonnent
Tu chantes harmonieusement; rien ne gâte tes hymnes,
Au-dessus du monde ingrat et des humaines épouvantes.
Sur terre, l'homme juste défend contre les vils détracteurs
Ton illustre nom et l'abreuve de larmes.

1815.


 

EN OUVRANT POUR LA PREMIÈRE FOIS L'HOMÈRE DE CHAPMANN

J'ai beaucoup voyagé à travers les royaumes dorés,
Et vu maints florissants états et maintes nations;
Autour de maintes îles occidentales j'ai vogué
Dont les bardes restent fidèles au culte d'Apollon.
Souvent on m'avait parlé de la vaste étendue
Qu'Homère au front ridé gouvernait comme son domaine;
Mais jamais encore je n'avais respiré son souffle pur
Avant que Chapman fît résonner son haut et fier langage:
Alors, je me sentis comme un veilleur des cieux
Lorsqu'une nouvelle planète surgit à portée de sa vue,
Ou comme le vaillant Cortez, quand de ses yeux d'aigle
Il fixait le Pacifique—alors que tous ses hommes
Se regardaient avec un étrange soupçon—
Silencieux, du haut d'un pic du Darien.

Août 1815.


 

SONNET

O combien j'aime, par un beau soir d'été
Lorsque des torrents de lumière déversent l'or à l'Occident
Et que sur les zéphyrs embaumés reposent immobiles
Les nuages argentés, loin, très loin, laisser
Les pensées vulgaires, et m'accorder un doux répit
Contre les menus soucis; découvrir après une paisible recherche,
Une solitude parfumée, parée des beautés de la Nature,
Et là, faire délicieusement illusion à mon âme:
Là m'échauffer le cœur avec des chansons de ma patrie,
Méditant sur le sort de Milton—sur le cercueil de Sidney—
Jusqu'à ce que leurs formes austères se dressent devant moi:
Peut-être prendre mon essor sur l'aile de la Poésie,
Très souvent verser une larme délicieuse
Lorsque quelque mélodieuse tristesse enchante mes yeux.


 

A SPENSER

Spenser, un de tes fervents admirateurs,
Qui a pénétré au plus profond des arbres de ta forêt,
Me fit promettre, l'autre soir, de ciseler
Quelques vers dont le charme pût séduire ton oreille.
Mais, Poète Elfe! il est impossible
A un habitant de cette terre hivernale
De s'élever, tel Phœbus, muni d'une plume d'or,
Avec des ailes de flamme et de faire surgir une aube en sa joie.
Il est impossible d'échapper au labeur
Tout d'un coup, et de recevoir ton inspiration;
La fleur doit absorber la nature du sol
Avant de pouvoir s'épanouir:
Sois avec moi dans les jours d'été, et je
Ferai une tentative en ton honneur et pour plaire à cet ami.


 

ÉPITRE A GEORGES FELTON MATTHEW

Douces sont les joies que procure la poésie,
Et doublement douces quand elle chante une fraternité;
Aucun souvenir, Matthew, ne peut évoquer à nos yeux
Un destin plus plaisant, une jouissance plus vraie
Que celui dans lesquels s'ébattent deux Poètes frères,
Qui, en combinant leurs inspirations, emploient leur talent
A élever un trophée aux muses du drame.
La pensée de cette grande association infuse
Dans le cœur aimant du génie, la divination
De tout ce qui est haut, grand, bon et calmant.
.    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .
Novembre 1815.


 

SONNET

Combien de bardes dorent le cours du temps!
Quelques uns d'entre eux furent toujours la nourriture
De mon imagination charmée—Je pouvais longuement méditer
Sur leurs beautés, terrestres ou célestes:
Et souvent, lorsque je m'asseois pour rimer,
Elles font en foule irruption dans mon cerveau:
Mais ni confusion, ni trouble grossier
Elles n'apportent; c'est un harmonieux accord.
Ainsi les innombrables sonorités qui sont l'apanage du soir;
Les chants des oiseaux—le bruissement des feuilles—
La voix des eaux—la grande cloche qui se balance
En résonnant solennellement—et des milliers d'autres encore,
Que la distance empêche de reconnaître,
Forment non un vacarme incohérent, mais une délicieuse symphonie.

Avril 1816.


 

A G. A. W.

Nymphe du sourire en dessous et du coup d'œil de côté,
Dans quels plus divins moments de la journée
Es-tu la plus séduisante? Est-ce lorsque, t'écartant des droits chemins,
Tu t'engages dans les labyrinthes des douces paroles?
Ou lorsque avec sérénité tu vagabondes en un ravissement
De pensée plus raisonnable? Ou lorsque, partant au loin
En costume désordonné pour affronter les rayons du matin,
Tu jettes les fleurs éparses dans ta danse vertigineuse?
Peut-être est-ce lorsque tes lèvres de rubis s'entrouvrent délicieusement,
Et restent ainsi parce que tu écoutes:
Mais tu as été éduquée si exclusivement en vue de plaire
Qu'il m'est impossible de dire jamais quelle disposition est la meilleure.
J'aurai aussi vite jugé quelle Grâce plus élégamment
Danse devant Apollon, que résolu cette question.

Avril 1816.


 

O SOLITUDE

O Solitude! si je dois habiter avec toi,
Que ce ne soit pas parmi les entassements confus
De sombres masures! Gravis avec moi le pic escarpé,—
Observatoire de la nature,—d'où le vallon
Avec ses pentes fleuries et le gazouillis cristallin de sa rivière,
Puisse sembler un empan[1]; que je passe tes veillées
Sous des voûtes de branches où le daim, par ses bonds rapides,
Ecarte l'abeille sauvage de la digitale à clochettes.
Mais, quoique je sois heureux d'assister à ces scènes en ta compagnie,
Pourtant, l'aimable causerie avec un esprit naïf,
Dont les propos sont des images de pensées délicates
Est la joie de mon âme; et, sûrement ce doit être
A peu près la plus haute félicité de la race humaine,
Lorsque dans tes retraites se réfugient deux âmes sœurs.

Mai 1816.

[1] C'est-à-dire puisse sembler de la taille de la main.


 

ÉPITRE A MON FRÈRE GEORGES

.    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .    .
Tels sont les plaisirs qui échoient au poète vivant:
Mais plus riche est la récompense de la postérité.
Que murmurera-t-il dans son dernier soupir,
Lorsque ses fiers regards perceront les ténèbres de la mort?
.    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .    .
Quant à mes sonnets, quoique personne n'y ait fait attention,
Je me réjouis, cependant, à l'idée que vous les lirez.
Depuis peu, aussi, j'ai éprouvé un grand et paisible plaisir,
Etendu sur le gazon, occupé à ce que j'aime par dessus tout:
A griffonner ces lignes pour vous. Voilà ce que je pensais
Tandis que sur mon visage je sentais la brise la plus fraîche.
En ce moment, je repose sur un lit de fleurs
Qui couronne une falaise élevée; et celle-ci domine fièrement
Les vagues de l'Océan. Les pédoncules, les brins d'herbe
Strient ma table de leurs ombres tremblotantes.
D'un côté est un champ d'avoines penchées,
Que les coquelicots émaillent de leurs folioles écarlates.
Si choquantes et si inutiles, puisqu'elles rappellent à l'esprit
Les vêtements rouges que déteste l'humanité,
Et de l'autre côté, se déploie devant mes yeux
Le manteau bleu de l'Océan avec des raies pourpres et vertes.
Tantôt j'aperçois un navire avec ses voiles, et tantôt
Je remarque le remous, brillant comme de l'argent, qui enveloppe sa proue.
Je vois l'alouette redescendant vers son nid,
Et la mouette, aux vastes ailes, qui jamais ne se repose;
Car, lorsqu'elle n'étale plus largement ses ailes,
Sa poitrine danse sur la mer inlassablement agitée
.    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .    .

Août 1816.


 

ÉCRIT PENDANT UNE SOIRÉE D'ÉTÉ

Les cloches de l'église font résonner les alentours de leur mélancolie,
Elles invitent les fidèles à prier encore,
A se plonger encore dans le noir, dans de plus redoutables soucis,
A écouter plus souvent l'affreuse éloquence d'un prédicateur.
A coup sûr l'esprit de l'homme est étroitement envoûté
Par quelque sombre ensorcellement; on voit chacun fuir
Les joies du foyer, et les airs Lydiens,
Et les entretiens élevés avec ceux que la gloire a couronnés.
Toujours, toujours les cloches sonnent, et j'en sentirais un froid humide
Un frisson comme celui qui émane de la tombe, si je ne savais
Qu'elles vont mourir, comme une lampe dont l'huile est consumée,
Que c'est leur dernier soupir, leur lamentation avant de rentrer
Dans l'oubli—si je ne savais que de fraîches fleurs écloront
Et de nombreuses gloires marquées au sceau de l'immortalité.

1816.


 

ÉPITRE A CHARLES COWELEN CLARKE

.    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .    .
D'après ce qui précède, ami Charles, vous pouvez clairement concevoir
Pourquoi je ne vous ai jamais adressé de vers:
Parce que mes pensées n'étaient jamais nettes ni précises,
Et qu'elles étaient peu dignes de plaire à une oreille classique;
.    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .    .
Aussi ne le ferais-je pas maintenant si je ne vous connaissais depuis longtemps;
Si vous ne m'aviez le premier appris tous les charmes du chant:
Le grand, le doux, l'élégant, le libre, le délicat;
Celui qui s'enfle pathétiquement et celui qui va divinement droit;
Les voyelles Spensériennes qui prennent leur essor en toute aisance,
Et flottent comme les oiseaux sur les mers estivales;
Les tempêtes Miltoniennes, et plus encore, la tendresse Miltonienne;
Michel en armes, et plus encore la charmante gracilité de la tendre Eve.
Qui a lu pour moi le sonnet s'enflant bruyamment
Jusqu'à son apogée, puis mourant fièrement?
Qui a exalté pour moi la grandeur de l'ode,
Tirant, comme Atlas, sa vigueur de son propre poids?
Qui m'a fait goûter plus qu'une liqueur forte
La tranchante épigramme à la pointe aiguisée?
Et m'a prouvé que, de tous, l'épique était le roi,
Sphérique, grandiose, enserrant tout comme l'anneau de Saturne?
.    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .    .

Septembre 1816.


 

SONNET

Piquantes, tumultueuses, les raffales sifflent çà et là
A travers les buissons desséchés, à demi dénudés;
Les étoiles semblent gelées, suspendues dans le ciel,
Et j'ai de nombreux milles à parcourir à pied.
Cependant je m'inquiète peu du froid de la bise glacée,
Ou du lugubre frémissement des feuilles mortes,
Ou de ces lampes d'argent allumées au-dessus de moi,
Ou de la distance qui me sépare du doux repos du home;
Car je suis tout imprégné de l'amitié
Que j'ai trouvée dans le petit cottage,
De l'éloquente détresse de Milton aux cheveux si beaux,
Et de toute son affection pour le gentil Lycidas noyé,
De la charmante Laura dans sa légère robe verte,
Et du fidèle Pétrarque couronné par la gloire.


 

MÊME SONNET TRADUIT PAR SAINTE-BEUVE

Piquante est la bouffée à travers la nuit claire;
Dans les buissons séchés la bise va sifflant;
Les étoiles au ciel font froid en scintillant,
Et j'ai, pour arriver, bien du chemin à faire.
Pourtant je n'ai souci ni de la bise amère,
Ni des lampes d'argent dans le blanc firmament,
Ni de la feuille morte à l'affreux sifflement,
Ni même du bon gîte où tu m'attends, mon frère!
Car je suis tout rempli de l'accueil de ce soir,
Sous un modeste toit où je viens de m'asseoir,
Devisant de Milton, l'aveugle au beau visage,
De son doux Lycidas par l'orage entraîné,
De Laure en robe verte en l'avril de son âge,
Et du féal Pétrarque en pompe couronné.


 

A MES FRÈRES

De petites flammes agitées traversent le charbon dont on vient d'emplir l'âtre,
Et leur léger pétillement se fait entendre au milieu de notre solitude,
Tels des chuchotements de dieux familiers qui gardent
Un affectueux empire sur nos fraternelles âmes.
Et pendant qu'à la recherche de rimes je voyage jusqu'aux pôles,
Vos regards sont fixés, comme en un sommeil poétique,
Sur la légende si abondante et si profonde
Qui toujours, à la tombée de la nuit, apaise nos soucis.
C'est votre jour de naissance, Tom, et je me réjouis
Qu'il se passe ainsi en une reposante quiétude.
Bien des veillées semblables de doux chuchotement
Puissions-nous passer ensemble, et ressentir dans le calme
Ce que sont les vraies joies d'ici-bas—avant que la grande voix
De la céleste bouche, ordonne à nos esprits de prendre notre vol.

18 novembre 1816.


 

SONNET

Pour celui qui a longtemps été parqué dans la ville,
Quelle joie de promener ses regards sur la sereine
Et libre étendue du ciel,—d'exhaler une prière
Sous le plein sourire du firmament azuré!
Qui peut être plus heureux que lui, lorsque d'un cœur satisfait
Il enfonce ses membres lassés dans quelque moelleux tapis
D'herbe drue, et lit une débonnaire
Et poétique histoire d'amour et de langueur?
Quand il rentre chez lui, le soir, son oreille
Perçoit les plaintes de Philomèle, ses yeux
Surveillent la brillante course des nuées qui voguent dans l'espace;
Il se lamente de ce que ce jour se soit si vite écoulé:
Comme la chute d'une larme d'ange
Qui tombe dans le lumineux éther, silencieusement.

1816.


 

EN QUITTANT QUELQUES AMIS DE BONNE HEURE

Qu'on me donne une plume en or, et qu'il me soit permis de m'appuyer
Sur un monceau de fleurs, en des régions claires et lointaines;
Qu'on m'apporte une tablette plus blanche qu'une étoile,
Ou la main d'un ange chantant un hymne, lorsqu'on l'aperçoit
Entre les cordes d'argent d'une harpe céleste;
Qu'ici s'avancent sur de nombreux chars ornés de perles,
Des robes roses, des cheveux flottants, des corbeilles de diamants,
Des ailes à demi découvertes, et des regards perçants.
En même temps, que la musique bourdonne autour de mes oreilles,
Et chaque fois qu'arrivera quelque délicieuse Coda,
Que j'écrive un vers d'une somptueuse tonalité,
Plein des multiples émerveillements des sphères:
Jusqu'à quelle hauteur en effet mon esprit prétend-il s'élever!
Il n'est pas satisfait de demeurer si tôt seul.

1816.


 

ADRESSÉ A HAYDON

Hauteur d'esprit, jalousie pour tout ce qui est bien,
Une ardente tendresse pour la renommée d'un grand homme,
Habitent çà et là au milieu de cette foule sans nom,
Dans la ruelle infecte, dans le bois inextricable;
Et là où nous pensons que la vérité est la moins comprise,
Très souvent nous trouvons la «sincérité du but»
Qui devrait épouvanter jusqu'à se cacher de honte
Une pitoyable engeance, affamée d'argent.
Combien glorieuse est cette affection pour la cause
Du génie inébranlable, peinant vaillamment!
Qu'arrive-t-il lorsqu'un intrépide champion fait rentrer
L'Envie et la Malice dans leur taudis natal?
D'innombrables âmes font retentir de discrets applaudissements,
Fières de le contempler dans les yeux de sa patrie.

1816.


 

ADRESSÉ A HAYDON

De grands esprits habitent en ce moment sur terre;
Celui du nuage, de la cataracte, du lac,
Qui sur le sommet d'Helvellyn, les yeux ouverts,
Reçoit sa fraîcheur des ailes de l'Archange:
Celui de la rose, de la violette, du printemps,
Du sourire social, du lien pour le salut de la Liberté:
Et là!—de celui dont la fermeté jamais ne devrait prendre
Un son plus humble que le chuchotement de Raphaël.
D'autres esprits se tiennent ici à l'écart
Sur le seuil de l'âge qui vient;
Ceux-là, ceux-là donneront au monde un autre cœur
Et d'autres pulsations. N'entends-tu pas le ahan
De puissants travaux dans les humaines entreprises?
Ecoutez un instant, nations, et soyez muettes!

20 novembre 1816.


 

SONNET

Heureuse est l'Angleterre! je me contenterais
De ne pas voir d'autre verdure que la sienne;
De ne pas sentir d'autres brises que celles qui soufflent
A travers ses imposantes futaies confondues avec les grandioses légendes;
Et cependant, parfois, je sens que je languis
Pour le ciel Italien, que je gémis intérieurement
De ne pas prendre assiette sur une Alpe comme sur un trône,
Et que j'oublie à demi ce que signifient monde et mondanité.
Heureuse est l'Angleterre! suaves sont ses filles dénuées d'artifice;
Suffisant pour moi est leur simple charme,
Suffisants sont leurs bras blancs vous enlaçant en silence:
Et cependant, je brûle souvent, avec ardeur, de voir
Des beautés au regard énigmatique, d'entendre leurs chants,
Et de voguer avec elles sur les eaux estivales.

1816.


 

SUR LA SAUTERELLE ET LE GRILLON

La poésie de la terre ne meurt jamais:
Quand tous les oiseaux abattus par la chaleur du soleil
Se cachent sous la fraîcheur des arbres, une voix courra
De haie en haie le long des prés nouvellement fauchés;
C'est celle de la Sauterellle—qui conduit le concert
Dans la volupté de l'été; inépuisables
Sont ses délices; et, lorsqu'elle est lassée de ses jeux
Elle se repose à l'aise, abritée sous quelque roseau hospitalier.
La poésie de la terre ne cesse jamais:
Par une solitaire soirée hivernale, quand la gelée
A imposé un silence général, dans l'âtre grince
Le cri du Grillon, dont la chaleur augmente l'acuité;
Il semble au dormeur à moitié assoupi
La voix de la Sauterelle parmi les collines herbues.

30 décembre 1816.


 

SONNET

Après que de sombres vapeurs ont pesé sur nos montagnes
Pendant une longue et triste saison, survient un jour
Enfant de l'aimable Sud, qui purge
Les cieux malades de toutes malsaines souillures.
Le mois anxieux, délivré de ses tourments,
Prend comme un droit longtemps perdu le contact de Mai,
Les paupières se jouent avec la fraîcheur qui passe,
Comme les feuilles de rose avec les gouttes des pluies d'été.
Les pensées les plus calmes flottent autour de nous:—les feuilles
Qui bourgeonnent—le fruit mûrissant dans le silence—les soleils d'automne
Souriant le soir sur les paisibles javelles—
La joue duvetée de Sapho—la respiration d'un enfant endormi—
Le sable qui parcourt grain par grain une horloge—
Un ruisselet sous bois—une mort de Poète.

Janvier 1817.


 

CALIDORE

.    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .
Douces les brises arrivaient de la forêt,
Douces elles soufflaient de côté la flamme de la bougie;
Claire venait la chanson du berceau lointain de Philomèle;
Agréable l'encens de la fleur du tilleul;
Mystérieux, farouche le son de la trompette résonnant au loin;
Adorable la lune dans l'éther, toute seule;
.    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .     .    .    .    .

1817.


 

FEMME! LORSQUE JE TE VOIS

Femme! lorsque je te vois bavarde, vaine,
Inconstante, puérile, orgueilleuse et pleine de caprices;
Dénuée de cette modeste langueur qui rehausse le charme
Des yeux baissés, repentants des blessures
Causées par leur douce lueur et les guérissant aussitôt:
Aussitôt mon esprit enfiévré s'exalte et bondit,
Aussitôt mon âme tressaute et se réjouit
De ce que si longtemps je sois resté fermé à l'amour.
Mais quand je te discerne bonne, charitable et tendre,
O ciel! avec quel acharnement j'adore
Ta grâce enchanteresse;—je brûle d'être
Ton défenseur—d'être ton Calidore—
Un vrai Chevalier de la Croix Rouge—un vaillant Léandre—
Pourvu que je sois aimé de toi comme ces héros de jadis!
Pieds agiles, yeux violet foncé, cheveux bien séparés.
Mains potelées, cou de neige, poitrine blanche,
Sont choses qui stupéfient les sens éblouis
Au point que les yeux fascinés, fixes, oublient qu'ils regardent.
D'un tel spectacle, o Ciel! je n'ai pas le courage
De détourner mon admiration, si dépourvu
Soit-il de ce qui mérite le respect, si dépouillé
De l'adorable modestie et des rares vertus.
Cependant, aussi insouciant que l'alouette, je me dégage
De ces leurres et les oublie immédiatement—même avant d'y avoir goûté
Ou d'avoir trois fois humecté mon palais; mais lorsque je remarque
Que de pareils charmes unissent leur éclat avec celui d'une bienveillante intelligence,
Mon oreille s'entrouvre, telle la gueule rapace d'un requin,
Pour se repaître des accents d'une voix divine.

Ah! qui peut oublier jamais une créature si parfaite?
Qui peut oublier ses attraits à demi dissimulés?
Dieu! elle est comme l'agneau d'un blanc de lait, qui bêle
Pour que l'homme le protège. Assurément Celui qui voit tout,
Qui est heureux de nous savoir satisfaits de ses dons,
Ne donnera jamais d'ailes au criminel qui entraîne
Tant d'innocence à sa ruine—qui vilement dupe
Un cœur naïf de colombe. Pour dire vrai, rien ne peut libérer
Nos pensées d'une telle beauté: lorsque j'entends
Un lai dont j'ai vu une fois sa main évoquer le rythme,
Son contour me semble flotter palpable et proche;
L'eussé-je jamais vue cueillir d'un berceau
Une fleur trempée de rosée, souvent cette main m'apparaîtrait,
Et sur mes yeux secouerait les perles tremblotantes de l'humidité.


 

A UN AMI QUI M'AVAIT ENVOYÉ DES ROSES

Comme j'errais à travers les champs en liesse,
Alors que l'alouette secoue la tremblante rosée
Qui perle sur le trèfle, son abri—quand à nouveau
Les chevaliers d'aventure se saisissent de leurs boucliers bossués:—
Je vis la fleur la plus délicate que produise la sauvage nature,
Une rose musquée fraîchement épanouie; c'était la première qui distillât
Son parfum sur l'été: gracieuse elle croissait
Semblable à la baguette que manie la reine Titania.
Et comme je me régalais de son odeur,
Je pensais qu'elle surpassait de beaucoup la rose des jardins:
Mais quand, o Wells! tes roses me parvinrent
Mes sens furent délicieusement charmés:
Elles avaient de douces voix, qui plaidaient tendrement
Murmurant les mots de paix, de sincérité et d'amitié indomptable.


 

SUR LES MARBRES D'ELGIN

Mon esprit est trop faible; la hantise de la mort
Pèse lourdement sur moi comme un invincible sommeil,
Et tout pinacle que j'imagine, tout abîme
De divine souffrance me dit que je dois mourir,
Tel un aigle blessé qui regarde le ciel.
Cependant c'est une exquise jouissance de pleurer
De ce que je n'ai pas les vents des nuées à maintenir
Frais pour les yeux qui s'ouvrent au matin.
De telles gloires vaguement conçues dans le cerveau
Font affluer au cœur une ineffable haine.
Ainsi causent une vertigineuse souffrance ces merveilles
Dans lesquelles on trouve mélangée la grandeur Grecque avec la rude
Destruction du vieux Temps—avec une masse agitée
Un soleil, une ombre d'une magnitude.

1817.


 

CONCLUSION DU PRÉCÉDENT SONNET

Haydon! pardonne-moi de ne pouvoir parler
En termes définitifs de ces hauts chefs-d'œuvre.
Pardonne-moi de ne pas avoir les ailes de l'aigle,
De ne pas savoir où je dois chercher ce qui me fait défaut;
Et pense que je ne voudrais pas être par trop naïf
En faisant résonner des roulements de tonnerre répétés
Jusque sur les escarpements d'où jaillissent les sources de l'Hélicon.
Eussé-je un souffle assez puissant pour une tâche aussi fantastique.
Pense aussi que toutes ces harmonies seraient tiennes;
A quel autre seraient-elles? Qui, sur ce sujet, atteint le bord de ton manteau?
Car lorsque les hommes regardaient ce qu'il y a de plus divin
Avec une idiotie écervelée et une suffisance phlegmatique,
Tu avais déjà contemplé le plein éclat Hespérien
De leur splendeur orientale, et tu étais allé les adorer!


 

SUR LA MER

Elle entretient d'éternels murmures autour
De ses rivages désolés, et de son puissant gonflement
Engloutit deux fois dix mille cavernes, jusqu'à ce que le charme
D'Hécate leur abandonne leurs sonores et antiques ténèbres.
Souvent on la trouve d'humeur si paisible,
Que c'est à peine si la plus petite écaille
Sera remuée, pour des jours, de la place où elle est une fois tombée,
Lorsque, la dernière fois, les vents du ciel étaient déchaînés.
O vous! qui avez les prunelles des yeux meurtries et lassées,
Régalez-les devant l'immensité de la mer;
O vous! dont les oreilles sont rassasiées de rudes vacarmes
Ou repues jusqu'à indigestion de fades mélodies,
Asseyez-vous à l'entrée de quelque vieille caverne, et méditez
Jusqu'à ce que vous tressailliez, comme si les nymphes de la mer chantaient!

18 avril 1817.


 

SONNET

Quand je crains de cesser d'être
Avant que ma plume ait glané mon fertile cerveau,
Avant qu'une pile élevée de livres, dans leurs caractères imprimés,
Renferme, comme de pleins greniers, une moisson bien mûre;
Quand j'étudie sur la face étoilée de la nuit,
Les vastes symboles nuageux d'un haut poème,
Et sens que je ne vivrai jamais pour retracer
Leurs ombres, avec la main magique de la chance;
Et quand je sens, exquise créature d'une heure!
Que je ne te verrai jamais plus devant moi,
Que je ne savourerai plus l'enchanteur pouvoir
De l'inconscient amour! alors sur la grève
Du vaste monde, je me tiens seul, et je médite,
Jusqu'à ce qu'Amour et Gloire plongent dans le néant.

1817.


 

JE ME HAUSSAIS SUR LA POINTE DES PIEDS[1]

Je me haussais sur la pointe des pieds au sommet d'un côteau.
L'air était rafraîchissant et tellement tranquille
Que les tendres fleurs en bouton qui avec une modeste fierté
Ployaient languissamment, en une courbe infléchie,
Leurs tiges peu garnies de feuilles et coquettement élancées,
N'avaient pas encore perdu leurs diadèmes étoilés
Dérobés aux premiers sanglots du matin.
Les nuages étaient purs et blancs comme des troupeaux nouvellement tondus,
Et sortant d'un clair ruisseau; paisiblement ils reposaient
Sur les champs azurés du ciel; alors se glissa
Un imperceptible frémissement parmi la feuillée,
Produit par le soupir même qu'exhale le silence;
Car on ne pouvait discerner le plus faible mouvement
De toutes les ombres qui s'allongeaient sur la pelouse.
L'œil le plus glouton pouvait vagabonder au large
Pour regarder la variété de ce qui l'entourait;
Sonder la transparence jusqu'au tréfonds de l'horizon
Et suivre les lignes presque effacées de ses contours;
S'imaginer les bizarres et capricieux méandres
D'une fraîche allée de bois qui ne finit jamais;
Ou d'après les ombreuses crevasses et les pentes feuillues
Deviner où les gracieux ruisseaux se rafraîchissent.
Un instant je regardai, et me sentis aussi léger, aussi libre
Que si d'un mouvement d'éventail les ailes de Mercure
Avaient joué sous mes talons: mon cœur était léger,
Et de nombreuses jouissances surgissaient à mes yeux;
De sorte qu'aussitôt je me mis à composer un bouquet
De splendeurs brillantes, laiteuses, harmonieuses et rosées.

Un buisson de fleurs de Mai avec des abeilles les butinant;
Ah certes! nul recoin plaisant n'en serait dépourvu!
Que le cytise juteux fasse couler sur elles ses grappes,
Que les hautes herbes croissent autour des racines pour les garder
Humides, fraîches et vertes; et ombragent les violettes
Pour qu'elles enlacent la mousse dans le réseau de leurs feuilles.


Qui est là proche? une touffe d'onagres,
Au-dessus desquelles peut voltiger l'esprit jusqu'à ce qu'il s'engourdisse;
Au-dessus desquelles il lui est loisible de faire un somme délicieux,
Quoique sans cesse troublé par le jaillissement
De boutons en fleurs mûres, ou par le vol rapide
De diverses phalènes qui abandonnent sans relâche leur lieu de repos,
Ou par la lune élevant son cercle argenté
Au-dessus d'un nuage, et, d'un mouvement graduel,
Plongeant dans le bleu avec tout son éclat.


Au-dessus de nos têtes, nous apercevons le jasmin et l'églantier odorants,
Et les vignes en fleurs se riant de leur verte parure;
Tandis qu'à nos pieds la chanson des bouillonnements de l'eau cristalline
Par son charme nous enlève aussitôt loin de tous nos soucis;
De sorte que nous nous sentons planant au-dessus du monde,
Marchant sur les nuées blanches entrelacées et enroulées.
Ainsi le sentit le premier qui raconta comment Psyché vint
Poussée par une brise caressante vers des royaumes merveilleux;
Ce que Psyché éprouva, ainsi que l'Amour, lorsque leurs pleines lèvres
Se rencontrèrent pour la première fois; de quelles amoureuses et folles morsures
Ils se meurtrirent les joues; et leurs innombrables soupirs,
Et comment ils baisèrent leurs yeux frémissants:
La lampe d'argent—le ravissement—la surprise—
L'obscurité—la solitude—le redoutable tonnerre;
Leurs épreuves terminées, et l'envolée aux cieux
Où ils s'inclinèrent reconnaissants devant le trône de Jupiter.
C'est ce que sentit celui qui écarta les ramures
Pour nous permettre de sonder la vaste forêt,
D'entrevoir les Faunes et les Dryades
Venant avec le plus doux bruissement au milieu des arbres;
Et des guirlandes tressées de fleurs sauvages et délicates,
Soulevées par les poignets ivoirins ou les pieds agiles:
Il disait comment la belle, la tremblante Syrinx échappa
Au Pan Arcadien, en une mortelle épouvante.
Pauvre Nymphe—pauvre Pan—comment il pleura de ne retrouver
Que l'adorable soupir du vent
Dans les roseaux de la rivière! murmure à peine entendu,
Plein de douce désolation—douleur embaumée.
Par quelle inspiration le barde des anciens âges chanta-t-il d'abord
Narcisse languissant au-dessus de la source pure?
En quelque délicieux vagabondage, il avait découvert
Une petite clairière entourée de branches entrelacées;
Et, au centre un étang si clair
Que jamais plus clair n'a reflété dans sa plaisante fraîcheur
Le ciel bleu, çà et là tamisant sa sérénité
A travers les pampres grimpants et leurs fantasques festons.
Puis sur la rive il surprit une fleur solitaire,
Une modeste fleur abandonnée, sans aucune fierté,
Penchant sa beauté sur le miroir de l'onde
Pour s'approcher amoureusement de sa propre image attristée.
Sourde au léger Zéphyr, elle restait immobile;
Mais semblait insatiable de se pencher, languir, aimer.
Ainsi tandis que le Poète était fasciné en ce site charmant,
Quelques indistinctes lueurs glissèrent sur sa fantaisie;
Peu de temps après il conta l'aventure
Du jeune Narcisse et l'infortune de la triste Echo.

D'où venait-il celui dont l'esprit ardent exhala
Le plus harmonieux des chants, éternellement nouveau,
Toujours rafraîchissant, pures délices,
Ne cessant de réjouir
Le voyageur au clair de lune? lui apportant
Des formes du monde invisible et des mélodies surhumaines
Jaillies de l'espace éthéré, des nids fleuris,
Et du soyeux capiton des nuages suspendus
Là où l'on contemple les étoiles.
Oh! sûrement il a brisé nos barrières humaines;
Dans quelque merveilleuse région il a pénétré,
Pour te rechercher, toi, divin Endymion!
C'était un Poète, à coup sûr un amant aussi,
Celui qui hantait le sommet du Latmos, alors qu'y soufflaient
Des émanations parfumées montant des myrtes de la vallée,
Apportant en une pâmoison solennelle, douce et lente,
Un hymne du temple de Diane! pendant que le tourbillon
De l'encens s'enlevait vers sa demeure étoilée.
Mais bien que son visage fût clair comme un regard d'enfant
Bien qu'au-dessus de l'autel elle sourît au sacrifice,
Le Poète pleurait sur sa douloureuse destinée,
Pleurait de ce qu'une telle beauté fût condamnée à la désespérance:
C'est ainsi que son sublime courroux lui inspira des harmonies dorées,
Et qu'il donna la tendre Cynthie à son Endymion.

Reine du vaste espace, ô souveraine la plus charmante
Entre toutes les splendeurs que mes yeux aient vues!
De même que ton éclat surpasse toutes choses,
De même aucun conte n'atteint la douceur du tien.
Oh! pour trois paroles suaves comme le miel, puissé-je
Raconter une seule merveille de ta nuit nuptiale!

Là où de lointains navires semblent montrer leurs quilles,
Phébus pour un instant arrêta ses puissantes roues
Et se retourna pour sourire à tes yeux timides,
Avant de vouloir solenniser son invisible magnificence.
L'air du soir était si vif, et si transparent,
Que les hommes de bonne santé étaient d'une gaîté inaccoutumée;
S'avançant comme Homère au son de la trompette
Ou le jeune Apollon sur son piédestal;
Et les séduisantes femmes étaient aussi belles et chaudes,
Que Vénus en alarme jetant ses regards de tous côtés.
Les zéphirs étaient purs et éthérés,
Et s'insinuaient à travers les croisées mi-closes pour guérir
Les malades languissants, rafraîchissant leur fiévreux assoupissement
Et les berçant dans un sommeil complet et profond.
Bientôt ils s'éveillaient les yeux clairs: la soif ne les incendiait plus,
Leurs doigts ne brûlaient plus, et leurs tempes n'éclataient plus.
Alors ils se levaient, leur vue causait l'étonnement
De leurs chers amis, presque fous de joie;
Ceux-ci tâtaient leurs bras et leurs poitrines, les embrassaient et les regardaient fixement,
Et sur leurs fronts calmes séparaient les cheveux.
Jeunes hommes et jeunes filles se regardaient curieusement les uns les autres,
Les mains derrière leurs dos, immobiles, stupéfaits
De voir la lueur réciproque de leurs yeux;
Ainsi ils se tenaient, remplis d'une douce surprise
Jusqu'à ce que leurs langues se déliassent en essor poétique.
Dès lors aucun amoureux ne mourut d'angoisse:
Mais les vers mélodieux prononcés en ce moment
Nouèrent des liens de soie qui ne pussent jamais être brisés.
Cynthia! Je ne peux énumérer les félicités plus grandes
Qui suivirent la tienne, ni les baisers de ton cher berger:
Un poète est-il né alors?—n'ajoutons rien pour l'instant—
Mon esprit vagabond ne doit plus errer davantage.

1817.

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