Poésies de Charles d'Orléans
BALADE.
Escollier de merancolie,
A l'estude je suis venu,
Lectres de mondaine clergie
Espelant atout ung festu,
Et moult fort m'y trouve esperdu;
Lire, n'escripre, ne scay mye,
Des verges de Soussy batu,
Es derreniers jours de ma vie.
L'autre jour tenoit son conseil,
En la chambre de ma pensée,
Mon cueur, qui faisoit appareil
De deffence contre l'armée
De Fortune mal advisée,
Qui guerrier vouloit Espoir;
Se sagement n'est reboutée,
Par Bon eur et Loyal vouloir.
Car Desplaisance maleurée
Essaye souvent ses effors,
Pour la conquester par emblée,
Et nous bouter tous deux dehors;
Se Dieu plaist, assez sommes fors
Pour bientost rompre son armée,
Se d'Espoir bannyere est portée
Contre tous envieux rappors.
Guerdonné suis de malheureuse estraine,
En combatant, je me rens courageux,
Joye et Soussy m'ont mis en leur demaine,
Tout desconfit, me tiens au renc des preux;
Qui ne sauroit desnoer tous ses neux,
Teste d'acier y fauldroit fort armée,
Ne bien, ne mal, d'avanture menée.
Dire ne sauroye combien
Dedens mon cueur mal je retien,
Serré d'une vieille sainture,
Puisque c'est le cours de nature.
Ce saint Martin presentement,
Qu'avocas font commencement
De plaidier les faiz de la loy,
Prenez bon conseil, je vous prie,
Ne faictes debat ne partie,
Sans savoir la cause pourquoy.
Plus vivre ainsi ne m'est pas chose bonne,
Plus vueil mourir, et raison si assent;
Plus qu'à nully, Amours de maulx m'ordonne;
Plus n'a ma voix, bon accort, ne assent;
Plus fait on jeux, mieux desire estre absent;
Plus force n'ay d'endurer tel martire,
Plus n'est vivant, homme qui tel mal tire;
Plus ne congnois bonnement où je suis,
Plus ne scay brief que pencer, faire ou dire,
Puisque de vous approcher je ne puis.
Paix crie, Dieu la nous octroye.
C'est ung tresor qu'on doit cherir,
Tous biens s'en pevent ensuir,
Se faulceté ne s'y employe.
En l'amour et crainte de Dieu,
Es nobles flans Cesar conceue,
Des petitz et grans, en tout lieu,
A tres grande joye receue,
De l'amour Dieu traicte, tissue
Pour les discordez ralier,
Et aux enclos donner yssue,
Leurs lians et fers delier.
Envoyée de Jhesucrist,
Rappelez sa jus par deca
Les povres que rigueur proscript,
Et que fortune betourna;
Cy scay bien comment y m'en va,
De Dieu, de vous, vie je tien,
Benoist celle qui vous porta;
On doit dire du bien le bien.
Princesse, ce loz je vous porte,
Que sans vous je ne feusse rien;
A vous et à vous m'en rapporte,
On doit dire du bien le bien.
Euvre de Dieu, digne, louée,
Autant que nulle créature,
De tous biens et vertuz douée,
Tant d'esperit, que de nature,
Que de ceulx qu'on dit d'aventure;
Plus que rubis noble, ou balais,
Selon de Caton l'escripture,
Patrem insequitur proles.
En priant Dieu, digne Pucelle,
Qui vous doint longue et bonne vie,
Qui vous ayme, ma Damoiselle,
Ja ne coure sur lui envie;
Entiere Dame, et assouvie,
J'espoir de vous servir aincoys,
Certes, se Dieu plaist que devie
Vostre povre escolier francoys.
Je meurs de soif aupres de la fontaine;
Tant plus mengue, et tant plus je me affame;
Povre d'argent, ou ma bourse en est plaine;
Marié suis, et si n'ay point de fame;
Qui me honnore, grandement me diffame;
Quant je vois droit, lors est que me devoye;
Pour loz et pris, je tiltre de diffame;
Grief desplaisir m'est excessive joye.
Je n'ai plus soif, tarie est la fontaine,
Repeu je suis de competent viande,
J'ai pris treves affin que on ne me actaine,
Dissimulant, fault que le hurt actende;
Adjoing des deux, sans que nul vilipende,
Je festie l'un, à l'austre fois la moue;
En ce faisant, pour éviter escande,
Entre deux eaues, comme le poisson, noue.
Je meurs de soif aupres de la fontaine;
Chault comme feu, et tremble dent à dent;
En mon pays, suis en terre loingtaine;
Lez ung brasier, friconne tout ardent;
Nu comme ung ver, vestu en president;
Je ris en pleurs, et actens sans espoir;
Confors reprens, en triste desespoir;
Je m'esjouys, et n'ay plaisir aucun;
Puissant, je suis sans force et sans povoir;
Bien recueilly, débouté de chascun.
Rien ne m'est seur, que la chose incertaine;
Obscur, fors ce qui est tout evident;
Doubte ne fais, fors en chose certaine;
Science tiens à soudain accident;
Je gaigne tout, et demeure perdent;
Au point du jour diz: Dieu vous doint bon soir;
Gisant envers, j'ai grant paour de cheoir;
J'ai bien de quoy, et si n'en ay pas ung;
Eschoite actens, et d'omme ne suis hoir;
Bien recueilly, debouté de chascun.
Et constat, par ceste leccon,
Pour conserver vim et robur,
Prestat ne faire mot, ne son,
Souffrir et escouter murmur;
Si conjunx clamat ad ce mur,
Fingat que pas ne le concoit,
Fol non credit tant qu'il recoit.
Fortior multo que Sanson,
En cest assault conjuncitur
Contra de Venus l'escusson,
Le plus fort bourdon plicatur;
. . . . . . . . . . . . . . . . . .64
Sed quisquis pas ne le concoit,
Fol non credit tant qu'il recoit.
L'ENVOY.
Prince très saige, legitur
Quod astucior si decoit,
Le mieulx nagent y mergitur;
Fol non credit tant qu'il recoit.