Poésies de Charles d'Orléans
Jusques vers Karesme prenant
Que jeusne les gens amaigrie,
Et la saison est admortie,
Ne vous monstrez ne tant, ne quant.
Allez vous, etc.
RONDEL.
(Orléans.)
Qui est cellui qui d'amer se tendroit,
Quant beaulté fait de morisque l'entrée,
De plaisance si richement parée,
Qu'à l'amender jamais nul ne vendroit.
Cueur demy mort, les yeulx en ouvreroit,
Disant: C'est cy raige desesperée.
Qui est cellui, etc.
Quant, etc.
Je vous entens à regarder,
Et part de voz penser congnois,
Essayé vous ay trop de fois,
De moy ne vous povez garder.
Cuidez vous, par voz motz farder.
Mener les gens de deux en trois.
Je vous, etc.
Et part, etc.
Il est si plain de mesprison,
De rien ne le faut requerir,
N'essayer de le conquerir,
Tousjours tient sa vieille aprison.
Pour mon, etc.
De quoy vous sert cela? Fortune,
Voz propos sont, puis longs, puis cours,
Une foiz estes en decours,
L'autre plaine comme la lune;
On ne vous trouve jamais une,
Nouvelletez sont en voz cours.
De quoy, etc.
Voz propos, etc.
Du tout retrait en hermitage
De Nonchaloir, laissant folie.
Desormais veult user sa vie,
Mon cueur, que j'ay veu trop volage.
Et savez vous qui son courage
A changié? s'a fait maladie.
Du tout, etc.
De Nonchaloir, etc.
Nulle rien ne me rapportez,
Fors bona dies en latin,
Vieille relique en viel satin;
De telz presens vous deportez.
Est ce tout, etc.
Lors les marchans de longue actente,
Pour gaigner, et corps, et rente,
En ont ce qu'en pevent avoir;
D'en acheter font leur povoir;
Tant que chascun cueur s'en contente.
Quant pleur, etc.
Quant je congnois que vous estes tant mien,
Et que m'aymez de cueur, si loyaument,
Je feroye vers vous trop faulcement
Se, sans faindre, ne vous amoye bien;
Essayez moy se vous fauldray en rien,
Gardant tousjours mon honneur seulement.
Quant, etc.
Et que, etc.
Qu'est cela? c'est Merencolie.
Vous n'entrerez ja; pourquoy? pour ce
Que vostre compaignie acourse
Mes jours, dont je foys grant folie.
Se me chassez par chiere lie,
Brief revendray de plaine course.
Qu'est cela, etc.
Vous, etc.
Devenons saiges desormais,
Mon cueur, vous et moy, pour le mieulx,
Noz oreilles, aussi noz yeulx,
Ne croyons de legier jamais.
Passer fault nostre temps en paix,
Veu que sommes du renc des vieulx.
Devenons, etc.
Mon cueur, etc.
D'Espoir, il n'en est nouvelles,
Qui le dit? Merencolie,
Elle ment, je le vous nye;
A! a! vous tenez ses querelles.
Non faiz, mais parolles telles
Courent, je vous certiffie.
D'Espoir, etc.
Qui le dit, etc.
Par Dieu, ainsi que je suppose,
Il fait quelque roman, ou glose;
Moy mesmes suis esmerveillé
De le veoir si ensommeillé,
Ne m'en direz vous autre chose?
Espoir, etc.
Qu'esse la? qui vient si matin?
Se suis je, vous, saint Valentin,
Qui vous amaine maintenant,
Ce jour de Karesme prenant,
Venez vous departir butin?
A present nulluy ne demande,
Fors bon vin et bonne viande,
Banquetz, et faire bonne chiere;
Car Karesme vient et commande
A charnaige, tant qu'on le mande,
Que pour ung temps se tire arriere.
Ce nous est ung mauvais tatin,
Je n'y entens nul bon latin,
Il nous fauldra dorenavant
Confesser, penance faisant,
Fermons lui l'uys à tel hutin.
Qu'esse la, etc.
Comme parent et alyé
Du duc Bourbonnois à present,
Par ung rondeau nouvellement
Me tiens pour requis et payé;
Par une, gist malade, mis
Ou lit d'amertume et grevance,
Requerant tous ses bons amis,
S'il meurt, qu'on demande vengance.
Quant à moy, j'ay ja deffie
Celle qui le tient en tourment,
Et apres son trespassement,
Par moy sera bien hault crié.
Comme parent, etc.
Ma fille de confession,
Vueillez avoir compassion
De cellui qui sert loyaument,
Et qui est vostre entierement,
Sans point faire de fiction.
Selon raison et conscience,
Tort lui tendrez, c'est ma creance,
S'il n'a bien brief ce que tant vault.
Je vous charge par penitence,
Q'ayez en lui toute fiance,
Sans plus respondre: Ne m'en chault.
Cellui qui souffrist passion,
Vous doint bonne contriction;
Au chois de mon entendement,
Plus eureux soubz le firmament
N'auroit, dont il soit mencion.
Ma fille, etc.
Ma tres belle, plaisante seur,
Confiteor du bon cueur
Dictes, par grant devocion,
Sans plus avoir intencion
De maintenir vostre folleur.
Car tost apres, de ma puissance
Vous absouldray, en esperance
Que doulce serez envers tous.
Et vous enjoings, par penitance,
De donner demain allegance
A cellui qui se meurt par vous;
Lequel, par vostre grant rigueur,
Seuffre, comme j'entens, doleur,
Et sans cause pugnicion;
Dont ja n'aurez remission,
Tant qu'il en soit hors, j'en suis seur.
Ma très belle, etc.
S'il est jangleur qui soctement maintiengne
Que Bourbonnois ont souvent legier cueur,
Je ne respons, fors que pour vostre honneur,
Esperance convient que vous soustiengne.
A voz amours, etc.
Adieu vous dy, toute nymphe actrapée
Aux laqs, Venus com oyseau a pipée,
Plus avecques vous je ne me deduiray,
Mais à gémir du tout me reduiray,
Ou m'occiray, com Piramus, d'espée.
Puisque, etc.
J'en baille le denombrement
Que je tiens soubz vous loyaument.
Loyal desir et bon vouloir;
Mais j'ay trop engagé povoir,
Se je n'en ay relèvement.
Je vous ay servi longuement,
En y despendant largement
Des biens que j'ay peu recevoir.
J'en baille, etc.
Que je tiens, etc.
Fyez vous y, se vous voulez,
En Espoir qui tant promet bien;
Mais souventeffoiz n'en fait rien,
Dont mains cueurs se sentent foulez.
Quant Desir les a affolez,
Au grant besoing leur fault du sien.
Fyez vous y, etc.
En Espoir, etc.
Jaulier des prisons de Pensée,
Qui tenez tant de gens de bien,
Ouvrez leur, ilz paieront bien
Le droit de l'yssue, et l'entrée.
Ilz m'ont commission baillée
D'appointer, dictes moi combien?
Jaulier, etc.
Qui tenez, etc.
Jaulier des prisons de Pensée,
Ouvrez à Reconfort la porte,
Car à mon cueur l'aumosne porte,
Que mes yeulx lui ont pourchassée;
Tenu l'avez, mainte journée,
Ou cep d'anuy, et prison forte.
Jaulier, etc.
Ouvrez, etc.
Escollier de Merencolie,
Par Soussy qui est le recteur,
A l'estude est tenu mon cueur;
Et Dieu scet comme on le chastie.
De s'y mectre fist grant folie,
Car on le tient à la rigueur.
Escollier, etc.
Par Soussy, etc.
Allez vous en dont vous venez,
Ennuyeuse Merencolie,
Certes on ne vous mande mye.
Trop privée vous devenez.
Soussy avecques vous menez,
Mon huis ne vous ouvreray mye.
Allez vous en, etc.
Ennuyeuse, etc.
Le cueur, dont vous avez la foy,
Se recommande à vous, ma Dame,
Vous faisant savoir qu'il vous ame,
Mais pensez que ce n'est pas poy.
Il parle nuyt et jour à moy,
En vous louant, belle, plus que ame.
Le cueur, etc.
Se recommande, etc.
Mon oueil, je te pry et requier
Que tu n'ayes plus en pensée
D'aler veoir ma tant desirée.
Ou tu me metz en grant dangier:
Et si te dy, pour abregier,
Que c'est ma mort toute jurée.
Mon oueil, etc.
Que tu n'ayes, etc.
Oncques ne fut Tantalus
En si tres peneuse vie,
Ne, quelque chose qu'on die,
Chartreux, hermite, ou reclus.
C'est la prison, etc.
Par bien celer mains tours divers,
Monstrant de son vueil le revers,
Soubz ung peu de maniere fainte.
Avec abstinence contrainte,
Sont les secrez d'Amours ouvers.
Refus les deffent à travers,
Et ne sont à nulz descouvers,
Que ce ne soit en tres grant crainte.
Par bien celer, etc.
A! que vous m'anuyez, Vieillesse!
Que me grevez plus que oncques mes,
Me voulez vous à tousjours mes
Tenir en courroux et rudesse;
Je vous fais loyalle promesse
Que ne vous aymeray james.
A! que vous, etc.
Que me, etc.
Je vous sans, et congnois venir,
Ennuyeuse Merencolie,
Mainteffoiz, quant je ne vueil mye,
L'uys de mon cueur vous fault ouvrir;
Point ne vous envoye querir,
Assez hay vostre compaignie.
Je vous sans, etc.
Ennuyeuse, etc.
Tais toy, cueur, pourquoy parles tu?
C'est folie de trop parler
De ce que ne puis amender,
Ton jangler ne vault ung festu;
Tu pers temps, d'espoir devestu.
Pense de toy reconforter.
Tais toy, etc.
C'est folie, etc.
M'appelez vous cela jeu?
En froit d'aler par pays;
Or pleust à Dieu qu'à Paris
Nous feussions empres le feu.
Nostre prouffit veulent peu,
Qui en ce point nous ont mis.
M'appelez, etc.
En froit, etc.
Ce mois de May, ne joyeulx, ne dolent
Estre ne puis; au fort, vaille que vaille,
C'est le meilleur que de riens ne me chaille,
Soit bien ou mal, tenir m'en fault content:
Je laisse tout courir à val le vent,
Sans regarder lequel bout devant aille.
Ce mois, etc.
Estre ne, etc.
Quant j'oy ung amant qui souspire,
A, ha! dis je, vela des tours
Dont usay en mes jeunes jours.
Plus n'en vueil, bien me doit souffire.
Mais que, etc.
J'ay peu science, moins faconde,
Et encore prudence mineur,
Et vous me clamez serviteur
Digne pour estre en table ronde.
Vous l'ung, etc.
Je suis de ceste entencion,
Et seray quelque part que soye;
Mais Pieu me gart de la prison
Qu'Amours souventeffoyz m'envoye,
Par mes yeulx qui trop vont en voye,
Combien que souvent je leur die
Qu'ilz font mal, dont je leur desplais;
Pour ce, pour avoir d'eulx maistrie,
Il me vault mieulx tenir en paix.
Guerrissez moy du mal d'Amours,
Et me donnez du bien de vous;
Reconfort tel plus ne m'en chaille,
Mon bien, m'amour, mon fin cueur doulx,
A vous me rens, à vous suis tous.
Faictes pour moy, etc.
Et est vray qu'oncques crestien
En amours n'eust autant de bien,
Gardant vostre honneur et le mien,
Que j'ay eu, et sans avoir blasme,
Vo doulx acueil, vo doulx maintien.
Vostre plaisir, que fust le mien,
Car sans cellui, ne m'estoit rien,
Je le jure sur Dieu, sur m'ame.
Et quant venir n'y povoye,
Entre deux lui rescripvoye,
Son nom et le mien mectoye
Escript bien estrangement;
Et puis quant je la veoye,
Dieu scet quel chiere j'avoye
Recueilly joyeusement.
Dont ensiues grant querelle;
Moy et elle,
Advint qu'en une chappelle
Nous nous trouvasmes tous deux,
Et je lui dis: Bonne et belle,
Ne me soiez si cruelle,
Puisque nous sommes tous seulz.
Dictes moy vostre vouloir,
Ne me vueillez decevoir,
Ne mectre à nonchaloir;
Car, vers vous, n'ay rien forfait.
Cecy nous dura long temps,
On dit qu'au bout de sept ans,
Revient voulentiers mal ans
Ainsi m'est il advenu,
Dont je vis piteusement,
En tourment,
Las! je suis pis que perdu.
Helas! tres cruelle mort,
Tu me fais crier à tort
A la mort,
Que ma mort
Bonnement ne l'ose dire
Mon confort,
Ma joye et mon deport.
Veoir ce qu'avoir souloye,
Helas! car mieulx ameroye
M'enfouir où que que soit,
Disant adieu tres douloureux,
Adieu, adieu tous amoureux,
Adieu le plaisir de mes yeulx,
Adieu, sans plus estre joyeulx.
Et saichiez certainemment
Trestous li leal amant,
J'en dis tant,
Sans nulle dame blasmer,
Que c'estoit la plus plaisant
Des belles, et avenant,
Com peut des yeulz regarder.
C'est le reconfortement
Que j'ay en mes jours finant,
En priant humblement
A Dieu, tres devotement,
Qu'en son Paradis briefment
Son ame puisse trouver.