Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome II
CHAPITRE III.
Système de Manéthon.
MANÉTHON, comme nous l’avons dit, fut postérieur, de près de deux siècles, à Hérodote; le roi Ptolomée-Philadelphe ayant mis à sa disposition toutes les archives des temples, ce prêtre indigène eut de grands moyens d’instruction: quel parti sut-il en tirer? voilà pour nous la question. Il prétendit qu’Hérodote avait menti[247] ou erré en beaucoup de choses; mais lui-même a été inculpé d’erreurs et de peu de jugement: son ouvrage étant perdu, il nous reste peu de moyens de prononcer sur son caractère; seulement nous pouvons dire que, si les anciens en général ont eu assez peu de ce que nous appelons esprit de critique, il est bien probable qu’un prêtre égyptien n’en aura pas été doué plus particulièrement.
Il faut néanmoins regretter la perte des trois volumes qu’il dédia au roi Ptolomée. Que de faits curieux n’y eussions-nous pas trouvés, ainsi que dans les livres de Bérose et de Ktésias? Ces trois auteurs nous eussent dévoilé l’ancien Orient; par cette raison même, l’ignorance fanatique s’est efforcée de les détruire, et elle y a réussi.
Un premier pas à cette destruction fut l’abrégé que Julius Africanus fit de l’ouvrage de Manéthon, vers l’an 230 après J.-C. Ce prêtre chrétien, d’origine juive, scandalisé de ce que la chronologie égyptienne faisait le monde plus vieux de quelques milliers d’années que les livres juifs, entreprit une refonte générale de toutes les chronologies profanes, et posant pour régulateur de tout calcul celui de la traduction grecque, il tailla et trancha tous les autres, jusqu’à ce qu’il les y eût adaptés. Dans cette opération mécanique on sent combien le système de Manéthon fut défiguré. Ce n’est pas tout: le livre d’Africanus s’est perdu à son tour; nous ne le connaissons que par les extraits qu’en fit, au 9e siècle, le moine Georges, dit le Syncelle; et ce copiste avoue s’être permis de tailler encore et de changer.[248] Qu’on juge en quel état est l’original! Le lecteur équitable n’exigera donc pas de nous les démonstrations; il se contentera de probabilités, et notre espoir est de lui en offrir d’assez grandes.
L’étendue de la liste d’Africanus nous a obligé d’en renvoyer la portion supérieure à la fin de ce volume: nous y avons joint en regard la liste d’Eusèbe, telle que la donne le Syncelle; et le lecteur remarquera, à la honte des copistes, que cette dernière diffère non-seulement de celle d’Africanus, quoique devant venir l’une et l’autre de Manéthon, mais qu’elle diffère encore de celle du Chronicon publiée par Scaliger comme ouvrage direct du même Eusèbe; il remarquera encore que dans la période la mieux connue, celle des rois compris entre Psammitichus et Kambyses, les listes ne sont point d’accord sur les durées de règne, et qu’en différant d’Hérodote, elles pèchent aussi contre les calculs des Juifs.
| Liste de Manéthon selon Africanus. |
Selon Eusèbe en Syncelle. | |||
| 24e Dynastie ou famille originaire de Saïs. | Années av. not. ère. | Années av. not. ère. | ||
| Bocchoris régna | 6 ans. | 721 | 44 ans. | 781 |
| 25e Dynastie. Rois Éthiopiens. | Éthiopiens. | |||
| Sabako régna | 8 | 715 | 12 | 737 |
| (Il prit Bocchoris et le | ||||
| brûla vif.) | ||||
| Sevechus (son fils) | 14 | 707 | 12 | 725 |
| Tarkus | 18 | 693 | 20 | 713 |
| 26e Dynastie. Princes Saïtes. | Amméris éthiopien | 12 ans. | 693 | |
| Stephinates | 7 | 675 | 7 | 681 |
| Nekepsos | 6 | 668 | 6 | 674 |
| Nekao I | 8 | 662 | 8 | 668 |
| Psammitichus | 54 | 654 | 45 | 660 |
| Nekao II, il prit Jérusalem | 6 | 600 | 6 | 615 |
| Psammutis | 6 | 594 | 17 | 609 |
| Uaphris | 19 | 588 | 25 | 592 |
| Amosis | 44 | 569 | 42 | 567 |
| Psammacherites | " 6 m. | |||
| 27e Dynastie. Rois Perses. | ||||
| Kambyses envahit et règne | 525 | 525 | ||
En effet, selon Africanus, Nekao, fils de Psammitichus, ne règne qu’en l’an 600 avant J.-C.; et selon les Juifs, il avait pris Jérusalem 9 ans auparavant (609)—Selon l’Eusèbe du Syncelle,
| VIEILLE CHRONIQUE EN SYNCELLE | |||||||||
| Numéros des Dynasties. | Noms des Dynasties. | Nombre des Rois. | Durée du temps. | Avant J.-C. | SELON EUSÈBE DE SCALIGER. | SELON AFRICANUS. | |||
| Noms des Dynasties. | Durée des Règnes. | Avant J.-C. | Rois. | Somme des Années. | |||||
| XVI. | Rois Tanites | 8 | 190 ans. | 2041 | sur toute l’Égypte depuis Ninus | 190 ans. | 2003 | 32 | 518 |
| XVII. | —Memphites | 4 | 103 | 1851 | 5 Rois pasteurs | 103 | 1813 | 86 | 153 |
| XVIII. | —Memphites | 14 | 348 | 1748 | 16 Rois Thébains | 348 | 1710 | 16 | 284 |
| 5 Rois: Iers indigènes | |||||||||
| XIX. | —Thébains | 5 | 194 | 1400 | sur toute l’Égypte | 178 | 1360 | 6 | 204 |
| XX. | —Thébains | 8 | 228 | 1206 | Rois Thébains | 178 | 1184 | 12 | 135 |
| XXI. | —Tanites | 6 géné. | 121 | 978 | 8 Rois Tanites | 129 | 1006 | 7 | 130 |
| XXII. | —Tanites | 3 | 48 | 857 | 3 Rois Bubastites | 49 | 877 | 9 | 116 |
| XXIII. | Diospolites ou Thébains | 2 | 19 | 809 | 3 Rois Tanites | 44 | 828 | 4 | 89 |
| XXIV. | —Saïtes | 3 géné. | 44 | 790 | 1 Roi Saïte, Bocchoris. | 46 | 784 | 1 | 6 |
| 3 Roi Éthiopiens, dont | |||||||||
| XXV. | —Éthiopiens | 3 géné. | 44 | 746 | le premier est Sabako. | 44 | 738 | 3 | 40 |
| XXVI. | —Memphites | 7 géné. | 177 | 702 | 9 Rois Saïtes | 169 | 694 | 9 | 150. 6m. |
| 63 | 1516 | Total | 1488 ans. | 185 | 1707. 6m. | ||||
| XXVII. | Le roi perse Kambyses | ... | ... | 525 | Kambyses. | ... | 525 | ... | 525 |
| 2232. 6m. | |||||||||
ce Nekao serait mort en 610, et cependant des Juifs attestent qu’il faisait la guerre en Syrie en 604. D’autre part, l’Eusèbe du Chronicon a des variantes notables sur plusieurs règnes, et l’erreur choquante de faire arriver et régner Kambyses à Memphis, l’an 530 (an 3 de l’olympiade 626), au lieu de l’an 525, qui est la date avouée de tous les auteurs. Si l’on ajoute que dans ce même Chronicon, des événements marquants, tels que la fondation de Carthage, la législation de Lycurgue, la naissance de Pythagore, etc., etc., sont portés chacun à deux ou trois dates différentes, de 20, 40 ou 50 ans, on conviendra que les anciens auteurs ecclésiastiques, malgré tout leur zèle, ont été plus audacieux qu’aucun des modernes, et que ce qu’ils méritent de notre part est bien moins le respect que la sévérité.
L’ancienne Chronique égyptienne, produite par le Syncelle (voyez le tableau ci-contre), ne fournit point les détails des règnes, mais seulement les sommes de chaque dynastie: il est digne de remarque qu’elle ouvre la 25e et la 26e à des dates tout-à-fait concordantes avec les calculs des Juifs et des prêtres d’Hérodote: ce premier trait d’exactitude appelle notre confiance, ou du moins notre attention pour d’autres cas.
Au-dessus de Psammitichus les listes d’Africanus et d’Eusèbe diffèrent totalement du récit d’Hérodote: elles ne parlent point des 12 rois dont ce prince fut l’un; elles font régner son père et amènent Tarakus trop tard pour cadrer avec les livres juifs. Tout accuse leurs dévots auteurs d’une inexactitude involontaire ou préméditée. Comment expliquer leur discordance sur le règne de Bocchoris, porté par l’une à 44 ans, par l’autre, seulement à 6? Ce Bocchoris, détrôné et brûlé vif par Sabako, devrait être le roi aveugle de la ville d’Anysis, dont parle Hérodote. Continuons l’examen de ces listes.
Au-dessus de la 24e dynastie nous avons le tableau suivant:
Si nous jetons un regard attentif sur ces dynasties, en remontant de la 23e, nous trouvons encore des différences notables entre Africanus et Eusèbe, quoique tous deux se disent copistes de Manéthon; rien de leur part ne ressemble à Hérodote. Nous ne voyons point les deux tyrans Cheops et Chephren, avec leurs 106 ans; mais le 1er roi de la dynastie 22e nous frappe, en ce que son nom de Sesogchis ressemble beaucoup à Sesoch ou Sesach, roi d’Égypte, qui, selon les Juifs, vint l’an 5 de Roboam, fils de Salomon (974 avant J.-C.), attaquer et rançonner Jérusalem. Sesoch est trop tardif dans les listes: celle d’Africanus seulement le place au siècle qui convient (926), et comme nous sommes sûrs de la date des Juifs, nous pouvons accuser d’erreur toutes ces listes.
Un autre prince remarquable est le 1er de la dynastie 19e, nommé Séthos, et Sethos-is. Eusèbe lui donne 55 ans de règne, avec cette variante, que sa liste en Syncelle le place à 1376, et celle en Scaliger, à l’an 1356. C’est vers cette hauteur qu’Hérodote place Sésostris, et nous savons par Manéthon, en Josèphe, que Sethos-is, dit aussi Ramessès et Égyptus, est le même que Sésostris. Il est fâcheux de voir Africanus et la vieille Chronique s’écarter beaucoup de ces données, en reportant Séthos jusqu’aux années 1394 et 1400, sans nous donner aucun éclaircissement sur lequel nous puissions raisonner.
Au-dessus de Séthos la dynastie 18e est digne d’attention, en ce qu’elle nous offre trois princes qui jouent un rôle marquant dans un passage de Manéthon, conservé par Josèphe: ces princes sont le cinquième, le sixième et le dernier. (Misphragmutos, Tethmos et Amehoph. (Voyez la liste ci-contre.)
Au-dessus de cette dynastie Eusèbe place immédiatement celle des rois pasteurs, dont l’invasion et la tyrannie furent un des grands événements de l’histoire d’Égypte. Africanus au contraire, les rejette 2 dynasties plus haut (à la 15e): cette différence a suscité de vifs débats entre les commentateurs. Le Syncelle a prétendu qu’Eusèbe avait commis un faux matériel pour satisfaire à des convenances systématiques, et Scaliger a admis cette inculpation. Mais que répondront le Syncelle et Scaliger, si nous prouvons que la disposition d’Africanus est absurde en elle-même; qu’elle
| DIX-HUITIÉME DYNASTIE. | ||||||||
| SELON MANÉTHON DANS AFRICANUS | Avant J.-C. | SELON EUSÈBE EN SYNCELLE | Avant J.-C. | SELON EUSÈBE EN SCALIGER | Avant J.-C. | |||
| Amosis (omis le temps) | Amosis | 25 | 1740 | Idem. | 1704 | |||
| Chebros règne | 13 | 1653 | Chebron | 13 | 1715 | Idem. | 1679 | |
| Amenophtis | 21 | 1640 | Ammenophis | 21 | 1702 | Idem. | 1666 | |
| Amersis | 22 | 1619 | ||||||
| Misaphris | 13 | 1597 | Miphris | 12 | 1681 | Nephrès | Id. | 1645 |
| Misphragmutos-is | 26 | 1584 | Misphragmutos-is | 26 | 1669 | Idem. | 1633 | |
| Tuthmos-is | 9 | 1558 | Tuthmosis | 9 | 1643 | Idem. | 1607 | |
| Amenophis | 31 | 1549 | Amenophis | 31 | 1634 | Idem. | 1598 | |
| Horus | 37 | 1518 | Orus | 38 ou 36 | 1603 | Orus | 38 | 1567 |
| Acherrès | 32 | 1481 | Achencherses | 12 | 1577 | Acencherrès | 1529 | |
| Rathos | 6 | 1449 | Athoris | 39 | 1565 | Achoris | 7 | 1517 |
| Chebres | 12 | 1443 | Chencheres | 16 | 1526 | Cencherrès | 18 | 1510 |
| Acherrès | 12 | 1431 | Acherrès | 8 | 1512 | Idem. | 1492 | |
| Armeses | 5 | 1419 | Cherrès | 15 | 1504 | Idem. | 1484 | |
| Ramessès | 1 | 1414 | Armès | 5 | 1489 | Armais | Id. | 1469 |
| Amenoph | 19 | 1413 | Ammeses | 68 | 1484 | Rameses | Id. | 1464 |
| Total | 259 | Memophis | 40 | 1416 | Menophis | Id. | 1396 | |
| Total | 376 | Total | 348 | |||||
| Seize rois qui selon l’auteur donnent 263 années, et le total apparent est |
259 | Seize rois selon l’auteur, donnant | 348 | |||||
| 19e Dynastie. Sethos | 51 | 1394 | 19e Dynastie. Sethos | 55 | 1376 | 19e Dynastie. Sethos | 55 | 1356 |
| Les Égyptiens commencent d’avoir un roi de leur nation | ||||||||
est démentie par un texte positif de Manéthon que cite Josèphe; et qu’ici Eusèbe est autorisé par l’ancienne Chronique, dont il paraît suivre de préférence le système depuis la 16e dynastie? Commençons par examiner le fragment de Manéthon, que Josèphe prétend avoir transcrit littéralement.
§ I.
Texte de Manéthon en son second volume.
«Nous eûmes jadis un roi nommé Timaos, au temps duquel Dieu étant irrité contre nous, je ne sais par quelle cause, il vint du côté d’orient une race d’hommes de condition ignoble, mais remplie d’audace, laquelle fit une irruption soudaine en ce pays (d’Égypte), qu’elle soumit sans combat et avec la plus grande facilité. D’abord, ayant saisi les chefs ou princes, ces étrangers traitèrent de la manière la plus cruelle les villes et les habitants, et ils renversèrent les temples des dieux. Leur conduite envers les Égyptiens fut la plus barbare, tuant les uns, et réduisant à une dure servitude les enfants et les femmes des autres. Ils se donnèrent ensuite un roi nommé Salatis, qui résida dans Memphis, et qui, plaçant des garnisons dans les lieux les plus convenables, soumit au tribut la province supérieure et la province inférieure; il fortifia surtout la frontière orientale, se défiant de quelque invasion de la part des Assyriens, alors tout-puissants; et parce qu’il remarqua dans le nome de Saïs, à l’orient de la branche (du Nil nommée) Bubastite, une ville avantageusement située, qui, dans notre ancienne théologie, s’appelle Avar, il l’entoura de fortes murailles, et il y plaça une garnison de 240,000 hommes armés: chaque été il y venait (de Memphis) tant pour faire les moissons et payer les soldes et salaires, que pour exercer cette multitude et inspirer l’effroi aux étrangers. Après 19 ans de règne, il mourut; son successeur, nommé Bêon, régna 44 ans; puis Apachnas 36 ans et 7 mois; puis, Apophis 61 ans; puis Yanias 50 ans, puis Assis 48 ans et 2 mois.
«Ces six premiers rois firent constamment aux Égyptiens une guerre d’extermination. Toute cette race portait le nom de Yksos, c’est-à-dire rois pasteurs; car, dans la langue sacrée, yk signifie roi, et, dans le dialecte commun, sos signifie pasteur.
«Selon quelques auteurs, ce peuple était arabe, cependant Manéthon dit en un autre ouvrage que, selon certains livres qu’il avait consultés, le mot hyksos signifiait pasteur captif; hyk, en langue égyptienne, et hak avec une aspiration, signifiant captif: et cela, dit-il, me paraît plus vraisemblable et plus conforme à l’ancienne histoire.» (Josèphe continue).
Manéthon dit encore que ces pasteurs rois et que leurs successeurs possédèrent l’Égypte environ 511 ans; mais les rois de la Thébaïde et ceux du reste de l’Égypte ayant entrepris contre eux une guerre longue et violente, ils la continuèrent jusqu’à ce que sous l’un de ces rois nommé Alisphragmutos (lisez Misphragmutos), les pasteurs, vaincus et repoussés du pays, se renfermèrent en un local nommé Avar, dont le circuit était de 10,000 arpents; Manéthon dit que les pasteurs entourèrent ce local d’une forte et immense muraille, pour la défense et la conservation de leurs personnes et de leur butin. Après Alisphragmutos, son fils, nommé Thummosis, vint avec 480,000 hommes assiéger cette place; mais n’ayant pu réussir à la prendre de force, il fit avec les pasteurs un traite dont la condition fut qu’ils pourraient quitter l’Égypte sains et saufs: à ce moyen ils emmenèrent leurs familles et tout leur butin, etc., etc., et sortirent au nombre de 240 mille par le désert qui mène en Syrie; mais parce qu’ils craignirent les Assyriens, qui alors dominaient en Asie, ils s’arrêtèrent dans la contrée qu’on appelle Judée, et ils y bâtirent une ville nommée Jérusalem, capable du contenir toute leur multitude.
Ici Josèphe veut se prévaloir du sens de pasteur captif donné par quelques livres au mot yksos, pour en inférer qu’il s’agit du peuple hébreu emmène par Moïse. Laissons cette fausse hypothèse où s’égare l’écrivain juif, pour ne nous occuper que du récit du prêtre égyptien.
Dans ce récit plusieurs fautes se révèlent à un examen attentif.
1° Si, comme il est vrai, le nom du père de Thummos se lit constamment Misphragmutos dans Africanus et dans les deux listes d’Eusèbe, il est évident que l’Alisphragmutos de Josèphe est une erreur de copiste, venue de ce que l’M grec mal conformé a pris l’apparence d’ΑΛ dont la réunion a quelque ressemblance: les manuscrits de Josèphe sont pleins de ces fautes. La correction de celle-ci met en évidence la liaison intime de la dynastie 18e avec celle des pasteurs, tant par l’identité des noms et qualités des 2 rois cotés 5 et 6 dans les listes, que par leur titre de rois thébains. Amenoph, le dernier, est cité dans un récit subséquent.
2° Il résulte de ce premier point que l’expulsion des pasteurs eut lieu dans le cours de cette dynastie 18e, un peu plus de 100 ans après son ouverture, et dès lors Africanus est atteint et convaincu d’erreur; car, puisque l’expulseur fut Thummos, il est clair que les premières années de sa dynastie jusqu’à lui ont été parallèles aux dernières années des pasteurs: or de là il résulte un double emploi de cent années, pour le moins, qu’il faut retirer sur l’une des 2 dynasties; il est clair en outre qu’Eusèbe a eu raison de joindre immédiatement la dynastie expulsée à la dynastie expulsante, tandis que leur séparation dans Africanus forme un hiatus inconcevable et réellement absurde, que bientôt nous verrons condamné par Manéthon même..... Il est encore à remarquer qu’Eusèbe, dans son Chronicon, ne donne aux pasteurs que 103 ans de durée, ce qui est la somme exacte de leur dynastie dans l’ancienne Chronique, où ils sont appelés rois memphites, à raison de leur chef-lieu. Il semblerait ici que cette ancienne Chronique a évité le double emploi dont nous venons de parler; car, si aux 103 ans qu’elle compte nous ajoutons les 100 quelques années écoulées depuis Amos-is jusqu’à Thummos, nous avons un total de 200 quelques années qui se rapproche de celui donné par Josèphe. D’autre part, Eusèbe, en plaçant l’ouverture de cette dynastie 18e à l’an 1740, imite encore sensiblement l’ancienne Chronique, qui l’assigne à l’an 1748; et cette imitation, qui le disculpe de l’accusation de faux, donnerait à penser qu’il s’est aperçu des incohérences choquantes d’Africanus, et qu’il a eu le bon sens de lui préférer l’ancienne Chronique, dont l’autorité nous paraît s’accroître à chaque pas.
Mais comment expliquer les 511 ans que Josèphe dit s’être écoulés depuis l’entrée des pasteurs jusqu’à l’expulsion de leurs successeurs? qui sont-ils, ces successeurs? Nous voyons dans Africanus une dynastie de pasteurs grecs, au nombre de 32 rois, succéder aux rois pasteurs pendant 518 ans: voilà presque les 511 de Josèphe, et même voilà juste les 518 ans qu’il reproduit dans sa controverse contre Manéthon; mais le prêtre égyptien semble avoir compris dans les 511 toute la durée des 6 rois pasteurs, qu’Africanus place en dehors. Ce dernier aurait donc encore fait ici un double emploi ou bien serait-ce le texte de Manéthon qui, par une équivoque, aurait causé méprise et confusion? Cet embarras est sensible dans le paragraphe de Josèphe que nous discutons et qui commence par ces mots: «Manéthon dit encore que les pasteurs rois» Ici Josèphe cesse de copier son original; il parle de son chef, et résumant un article du texte qui nous manque, il en déduit les sommes totale de 511, sans nous faire connaître les sommes partielles qui la composent. Pour nous figurer ce qu’a pu contenir ce texte, il faut se rappeler que dans l’article antérieur, Manéthon a dit que les pasteurs rois étaient nommés Yksos, que ce nom était composé de deux mots égyptiens, yk signifiant roi, et sos pasteur, mais que dans d’autres livres il avait trouvé le mot hyk et hak avec aspiration signifiant captif en ce dernier cas, il paraît que Manéthon aurait eu en vue les Hébreux, qui de leur aveu furent à la fois captifs ou prisonniers des Égyptiens, et pasteurs d’origine chaldéene, c’est-à-dire Arabes; comme les pasteurs rois. Cette dernière circonstance a pu contribuer à quelque confusion; et parce qu’ensuite Manéthon, lorsqu’il explique l’origine des Hébreux et leur sortie d’Égypte sous Moïse, qu’il nomme Osarsiph[249], prétend qu’ils furent une tourbe populaire composée de lépreux et de gens impurs de toute espèce au nombre de 80,000, chassés par le roi Amenoph père de Sethos, sur l’ordre d’un oracle, le juif Josèphe, indigné de la comparaison, quitte son texte pour argumenter contre lui et prouver que ses ancêtres furent les pasteurs rois: cette prétention est inadmissible; mais il est probable que Manéthon, après avoir parlé des pasteurs captifs, avait résumé en masse tout le temps écoulé depuis leur expulsion par Aménoph jusqu’à l’entrée des pasteurs rois sous Timaos, et qu’il avait évalué ce temps à la somme de 511 ans. Voilà sans doute ce qu’a voulu dire Josèphe; et en effet, si l’on part de l’an 1400, où régnait le roi Aménoph, selon les listes, ces 511 ans remontent à l’an 1911, comme date originelle de l’invasion des pasteurs; mais parce qu’il y a eu double emploi des cent premières années de la dynastie de Tethmosis, il ne faut compter que 1811, et l’Eusèbe du Syncelle donne 1830 pour date de l’entrée des pasteurs rois. L’Eusèbe du Chronicon donne 1807, ce qui se rapproche suffisamment. D’ailleurs plus nous scruterons Manéthon, plus nous verrons qu’il n’a point eu d’idées nettes sur son sujet en général, ni en particulier sur celui que nous traitons. Les erreurs, les contradictions, les discordances de ses copistes en font foi, et Diodore complétera la preuve.
L’historien Josèphe, dans son argumentation contre ce prêtre, nous fournit d’autres preuves d’erreur pour leur compte commun. Mais on a peine à concevoir l’excès de sa distraction dans la liste des rois qu’il dit avoir succédé à Tethmos, expulseur des rois pasteurs. «Après cette expulsion[250], dit-il, Tethmos régna 25 ans, puis après lui régna son fils Chebron, etc.» Suivez la liste, qu’il dit copiée de Manéthon:
LISTE DE JOSÈPHE (DYNASTIE 18e).
Après avoir chassé les pasteurs rois,
| Tethmos-is règne | 25 | ans | 4 | mois. |
| Son fils Chebron | 13 | |||
| Aménoph (I) | 20 | 7 | ||
| Sa sœur Amess-is. | 21 | 9 | ||
| Mephris | 12 | 9 | ||
| Mephramutos | 25 | 10 | ||
| Tmos-is | 9 | 8 | ||
| Aménoph (II) | 30 | 5 | Total partiel, 128ª. 11m. | |
| Orus | 36 | 5 | ||
| Sa fille Acencher-es | 12 | 1 | ||
| Son frère Rhatot-is | 9 | |||
| Acencheres | 12 | 5 | ||
| Acencheres | 20 | 3 | ||
| Armaïs | 4 | 1 | ||
| Ramessès | 1 | 4 | ||
| Amessès Miâmi | 46 | 2 | ||
| Aménoph(III) | 19 | 6 | ||
| Total général | 320 | 7 | Total partiel, 191ª. 8m. | |
| Sethos-is, appelé aussi Ramesès (Sésostris)..... |
«Or, dit-il en se résumant, comment Manéthon peut-il placer sous Aménoph la sortie des pasteurs vers Hiérusalem, quand il a placé cette sortie 518 ans plus haut sous Tethmos?»
Nous trouvons ici deux fautes: 1° Josèphe nous a dit 511 ans, et maintenant il nous dit 518; mais ce qui est bien plus grave, il a dit, ou fait dire à son auteur «que les pasteurs et leurs successeurs possédèrent l’Égypte pendant 511 ans:» lesquels par conséquent doivent se compter depuis leur entrée (en possession), et maintenant il veut les compter depuis leur sortie ou expulsion. Ce n’est pas tout: il accuse Manéthon d’introduire un faux Aménoph sans date connue; et cependant Manéthon exprime qu’Aménoph fut père de Séthos (Sésostris) qui à l’époque de l’expulsion était âgé de 5 ans, ce qui le classe suffisamment.
«Or, ajoute-t-il, depuis Tethmos jusqu’à Séthos, les années intermédiaires sont au nombre de 393.»
Ce n’est donc plus 511 ni 518, ce n’est pas même le nombre donné par la liste, lequel est 320, portant un déficit de 73 ans; mais ce qui est pis, c’est que cette liste, comparée à ses analogues dans Africanus et Eusèbe, accuse et convainc Josèphe d’une méprise inconcevable, en ce qu’il place à la tête de la dynastie le roi expulseur qui n’en fut que le 7e; qu’il le confond sous le nom de Tethmosis, avec Amosis, vrai roi 1er régnant 25 ans; et qu’il ne le reconnaît point dans Tmosis, fils de Misphragmutos, écrit par lui plus haut, Alisphragmutos. Attribuera-t-on de telles erreurs à des copistes? quel fonds faire sur les manuscrits ou sur l’auteur? combien le juif Josèphe, avec quelque esprit de critique, nous eût-il évité d’embarras! Il nous y laisse entièrement pour les dates d’entrée et de sortie des pasteurs. Voyons si dans le texte qu’il a cité de Manéthon quelques circonstances peuvent nous diriger à cet égard.
§ II.
Analyse du texte cité par Josèphe.
«Jadis nous eûmes un roi nommé Timaos.»
Pourquoi ce nom ne paraît-il sur aucune liste? ne serait-ce pas que les pasteurs ayant tout saccagé, les archives de Memphis auraient été détruites? cela trouverait sa preuve dans le désordre et la nullité des listes antérieures, comme nous le verrons.
«Et du temps de Timaos il vint du côté d’orient (par l’isthme de Suez) une race d’hommes de condition ignoble (des pâtres très-méprisés par les laboureurs d’Égypte), et ces hommes remplis d’audace soumirent le pays sans combat et avec la plus grande facilité.»
(Donc les Égyptiens, isolés du monde et entièrement livrés à l’agriculture, avaient jusque-là vécu dans une paix profonde. Donc ils étaient encore en ces siècles d’obscurité dont parle Hérodote, avant qu’aucun roi se fût rendu célèbre par de grands ouvrages ou par des guerres au dedans ou au dehors.)
«Et ce peuple étranger, que quelques auteurs disent Arabe, traita les Égyptiens avec la plus grande cruauté, tuant les chefs, détruisant les villes, renversant les temples, réduisant le peuple en servitude.»
Nous demandons ce que devinrent les monuments historiques pendant deux siècles que dura cette tyrannie.
«Après les premiers désordres, les pasteurs se nommèrent un roi.»
[Ils n’en avaient donc pas auparavant; ils vivaient donc par tribus indépendantes (quoique associées), à la manière des Arabes.]
«Et ce roi, nommé Salatis, résida dans Memphis.»
Dans laquelle? car il y eut deux Memphis: l’une ancienne et première, située à l’orient du Nil, et du côté d’Arabie, selon l’aveu d’Hérodote et de Diodore; l’autre, de fondation postérieure et de plein jet, par un monarque puissant que Diodore nomme Uchoreus, qui fit le grand travail qu’Hérodote attribue mal à propos à Menés. Salatis dut résider dans l’ancienne et première Mèmphis, qui, par sa position, fut plus exposée aux pasteurs. La seconde Memphis eût été plus résistante à cause de ses fossés et de ses remparts; sans compter que ces fossés et ces remparts ne durent pas encore exister à cette époque d’état pacifique, négligent, anti-militaire. Leur idée ne fut probablement suggérée que par ce malheur et par ses suites.
Mais pourquoi ne nous dit-on pas un mot d’Héliopolis, ville non moins importante, et qui étant sur la route de Memphis, eût dû être attaquée et prise avant celle-ci? Ne doit-on pas conclure qu’elle n’existait pas encore? alors ne seraient-ce pas ces pasteurs qui, fortifiant la frontière orientale, auraient bâti cette ville dédiée à leur dieu Soleil? Cette hypothèse cadrerait avec un passage de Pline[251], qui dit qu’Héliopolis fut fondée par les Arabes, tels qu’ont dit ceux-ci: alors encore, si les Juifs placent à Héliopolis (qu’ils nomment On) le roi égyptien lors de leur entrée en Égypte, cette entrée est donc postérieure aux pasteurs; et si le conquérant Sésostris, lorsqu’il éleva une muraille sur cette frontière, prit pour point d’appui Péluse d’un côté, et Héliopolis de l’autre, il trouva donc cette dernière ville existante; son règne fut donc postérieur à la fondation d’Héliopolis et au règne des pasteurs comme à leur expulsion..... Notons ce fait.
«Or Salatis placé à Memphis, soumit au tribut la province supérieure et la province inférieurs.»
Si Salatis, après avoir pris Memphis, y fit sa résidence, il y a apparence que cette ville était déjà la capitale du pays... Alors on entend sans peine que la province inférieure fut la Basse-Égypte, le Delta. Mais que signifie la province supérieure? entendrons-nous toute la Haute-Égypte et le royaume de Thèbes? cela ne se doit pas; car si une ville de l’importance et de la célébrité de Thèbes eût été prise, Manéthon n’eût pas manqué d’en faire mention; et de plus on ne verrait pas dans son récit subséquent, les rois de Thèbes figurer comme chefs de la ligue qui se forma contre les pasteurs, et de la guerre opiniâtre qui les expulsa. La province supérieure fut donc seulement l’Heptanomis, cette portion de l’Égypte qui de tout temps a formé l’une de ces 3 grandes divisions, et nous avons droit de penser que les pasteurs furent arrêtés vers Osiout par l’opposition des rois de Thèbes et par les obstacles naturels du sol, qui de tout temps ont formé une ligne de séparation entre la Haute et la Basse-Égypte, et défendu la frontière du Saïd contre les attaques venues d’en bas.
«Et les rois de la Tbébaïde s’étant ligués avec ceux du reste de l’Égypte, ils entreprirent une guerre longue et violente.»
Voici bien clairement exprimés d’autres rois d’Égypte que ceux de Memphis et de Thèbes; il y avait donc au temps des pasteurs, plusieurs royaumes grands ou petits en Égypte. Nos érudits veulent nier le fait; mais leurs arguments démentis par le raisonnement, par la nature des choses et par des témoignages positifs, ne méritent point que l’on s’y arrête. Il suffit d’observer que dans un temps postérieur le petit pays de Kanaan comptait 30 à 32 rois ou roitelets, qui furent soumis par Josué, pour concevoir qu’un pays tel que le Delta, plus étendu que la Palestine, et morcelé par des bras de fleuve, par des marais et par des déserts, a dû avoir et conserver long-temps des chefs ou rois qui; soit indépendants, soit vassaux du roi de Memphis, auront échappé ou résisté aux pasteurs, auront invoqué le secours des rois de Thèbes, demeurés puissants, et les auront secondés contre l’ennemi commun de la nation.
L’on voit que dans cette anecdote des rois pasteurs, l’Égypte nous est représentée dans l’état de faiblesse et d’inexpérience dont Hérodote parle, comme ayant précédé les temps où des rois égyptiens se rendirent célèbres par de grands ouvrages et par des guerres étrangères.—Par conséquent Mœris n’avait point encore creusé son immense lac; Sésostris n’avait point fait ses immenses conquêtes, et c’est l’indication positive de Manéthon, en Josèphe, lorsque celui-ci, copiant sa liste des successeurs de Tethmos, nomme Ramessés dit Miami, puis son fils Amenoph, puis ses enfants Armaïs et Sethos-is, dit aussi Ramessés (comme son aïeul), lequel eut de puissantes et nombreuses armées de terre et de mer. Tout ce que Josèphe dit de ce Sethos-is démontre qu’il fut Sésostris lui-même, comme nous l’avons déjà dit.
Mais quel fut précisément le siècle des pasteurs? un mot de Manéthon nous donne à cet égard plutôt une lueur qu’une lumière: «Salatis, dit-il, fortifia surtout la frontière d’Orient, dans la crainte des Assyriens alors tout-puissants en Asie...» D’où Manéthon a-t-il tiré ce motif? il n’a pas eu en main les archives de Salatis; les Égyptiens n’auront pas écrit de mémoires à cette époque de persécution... C’est donc une idée de Manéthon lui-même, qui, disciple des Grecs, voulant leur plaire et ayant en main l’histoire des Assyriens, par Ktésias, a cru faire ici acte d’érudition et de discernement, en comparant les temps obscurs de son pays à une époque étrangère plus connue... Cela ne nous donne pas de date précise, mais nous y trouvons une limite au-dessus de laquelle l’invasion des pasteurs ne peut plus se placer...; cette limite est la fondation de l’empire assyrien par Ninus: selon Ktésias, ce prince aurait régné vers les années 2000 à 2100 avant J.-C.[252] L’invasion des pasteurs, selon Manéthon, est donc postérieure à cette date, et elle peut l’être de beaucoup d’années; mais qui de Josèphe, ou de l’ancienne chronique, ou des listes d’Eusèbe et d’Africanus, est l’interprète de Manéthon? toutes leurs données diffèrent entre elles: selon la chronique, ce fut l’an 1851; selon Eusèbe en son Chronicon, ce fut l’an 1807, et 1830 en sa liste du Syncelle; selon Africanus, ce serait en 2612. (Voyez la liste.)
Ici ce copiste est encore une fois atteint et convaincu d’erreur et d’infidélité, si Manéthon lui-même ne l’est de contradiction: car cette date de 2612 excède de plus de cinq siècles le règne de Ninus; par conséquent elle anticipe de toute cette somme sur l’extrême limite donnée par le prêtre égyptien; et de près de 800 ans sur les dates d’Eusèbe et de l’ancienne chronique. Il en résulte incontestablement que les dynasties 16e et 17e de prétendus pasteurs grecs et anonymes, sont démontrées fausses par témoignage positif, comme nous les avions démontrées absurdes par simple raisonnement: ainsi les 153 ans de la 17e dynastie et les 518 de la 16e, ne sont que du remplissage dont Africanus pourrait avoir pris l’idée en Josèphe, à l’article que nous avons censuré, s’il ne l’a prise dans Manéthon même. Quelle confiance pouvons-nous désormais avoir en ce copiste? et cependant nous ne sommes pas à la dernière erreur ou contradiction démontrable.
En remontant dans sa liste à la dynastie 12e, nous sommes choqué d’y trouver le célèbre conquérant Sésostris cité comme 3e prince, avec des circonstances qui viennent plutôt d’Hérodote que de Manéthon. Nous avons vu ce dernier auteur le placer sous le nom de Sethos au même rang, et par conséquent à la même époque que les listes d’Eusèbe et d’Africanus, en tête de la dynastie 19e: nous avons vu Hérodote s’accorder avec ces témoignages en le plaçant dans le même siècle. Nous remarquons qu’il y aurait une contradiction, un chaos inexplicable à supposer que l’Égypte, élevée au plus haut degré de puissance politique et d’art militaire sous Sésostris, fût retombée au degré de faiblesse et d’ignorance où la trouvèrent les pasteurs. Comment un tel anachronisme peut-il donc se présenter dans la liste d’Africanus[253], copiste de Manéthon, et, ce qui est plus étrange, dans celle de Diodore son successeur, ainsi que nous le verrons? ceci est un vrai problème littéraire qui nous a long-temps embarrassé: quelle qu’ait pu être sa cause originelle, il en eut une, et il est intéressant de la trouver; après bien des indications, principalement sur la moralité et les moyens d’instruction de nos auteurs, il nous a semblé découvrir le mot de l’énigme dans la confiance accordée par Manéthon à Ktésias, et dans les circonstances politiques et littéraires où les Égyptiens et les Perses se sont respectivement trouvés au temps de cet auteur.
Nous avons considéré que lorsque les Égyptiens, en l’an 413 avant J.-C., secouèrent le joug des Perses, il ne put manquer d’y avoir récrimination de la part du grand roi et de ses diplomates qui, selon l’usage de tous les temps et de tous les puissants, ne manquèrent pas de crier à la rébellion contre l’autorité légitime. Les Égyptiens durent opposer à cette inculpation deux réponses solides: 1° leur état d’indépendance naturelle avant que Kambyses les eût injustement subjugués; 2° leur état même de suprématie avant l’existence de l’empire perse, puisqu’il était prouvé par leurs annales, que le conquérant Sésostris avait soumis au tribut tous les peuples de cette partie de l’Asie avant l’existence de l’empire assyrien même.—Cet ordre de faits était vrai dans le sens où l’a présenté Hérodote qui, comme nous l’avons vu, a placé Sésostris au-delà de l’an 1300, et Ninus vers l’an 1230 ou 36 seulement: en faveur de cette opinion était le silence même des monuments et des traditions qui jamais n’avaient dit ou insinué que Sésostris eût pris les imprenables cités de Ninive et de Babylone, ou qu’elles eussent résisté à cet invincible guerrier, alternative, également remarquable, dont le souvenir eût été conservé: ils durent même ajouter ce que nous lisons en Cedrenus,[254] savoir, que Sésostris laissa une colonie de 15,000 Scythes dans le pays des Perses qui s’y mêlèrent. L’orgueil de la cour du grand roi dut être infiniment choqué de ces allégations; mais comme de tout temps la diplomatie eut des ressources, principalement dans les gouvernements despotiques, quelque courtisan délié imagina un moyen efficace de démentir ou d’éluder ces faits, en élevant le règne de Ninus au-delà du temps de Sésostris, à une époque obscure et inattaquable. Cela se pouvait d’autant plus aisément, que la chancellerie perse, que nous avons vue en activité sous Kyrus, sous Kambyses et sous Darius[255], possédait seule les archives des Mèdes et des Assyriens. Elle put donc fabriquer des listes de rois et des durées de règnes, selon son besoin et son gré. C’est cette fraude que nous avons indiquée en notre 1er volume (pag 484), quand nous avons démontré le doublement des rois mèdes par Ktésias, et que nous avons fortement inculpé cet auteur, d’une opération semblable sur la liste des rois d’Assyrie; nous eûmes dès-lors le soupçon que nous renouvelons ici; mais en réfléchissant sur ces expressions de Diodore, «que Ktésias, particulièrement favorisé des bonnes grâces d’Artaxercès, eut en main les archives royales, et après avoir recherché avec soin tous les faits, les mit en ordre, etc.;» nous sommes maintenant porté à croire que ce Grec, adroit et souple mercenaire, a lui-même été le conseiller et l’auteur de la fraude: quoi qu’il en soit, elle nous paraît positive; son époque a dû être entre les années 380 et 390, où Ktésias fut en faveur, par conséquent une vingtaine d’années après l’insurrection des Égyptiens. Ceux-ci ayant connu cet argument inopiné, durent éprouver de l’embarras; mais parce que l’esprit des anciens cabinets se ressemblait (ainsi que celui des temples), les diplomates du Pharaon régnant (probablement Nectanebus Ier.) s’avisèrent du même expédient, et ils combinèrent à leur tour cet échafaudage de listes qui rejette Sésostris plusieurs siècles avant Ninus: de là ces deux systèmes de chronologie qui ont divisé les auteurs anciens et déconcerté les modernes: l’un, que nous appelons l’ancien, que nous trouvons dans Hérodote, et même dans l’ancienne Chronique; l’autre, le système nouveau, qui nous est présenté par Diodore et par Africanus, copistes de Manéthon. Nous ne saurions regarder le prêtre égyptien comme son inventeur; mais il nous semble que, doué de peu de critique, il l’a compilé sans le comprendre, et que c’est de lui que Diodore l’a emprunté.
Il nous semble encore que Manéthon lui-même appuie notre conjecture sur sa nouveauté, en donnant l’épithète d’ancienne à la Chronique anonyme jointe par lui à son livre d’où le Syncelle l’a tirée par l’entremise d’Africanus[256]. Quelques érudits ont voulu qu’elle fût de composition tardive et postérieure à Nectanebus II, c’est-à-dire à l’an 350, où se terminait aussi l’ouvrage de Manéthon; mais il est prouvé par nombre d’exemples, que les manuscrits anciens de chroniques pareilles ont reçu des additions et des continuations posthumes à leur premier auteur, et cela de la main des savants qui les possédèrent ou qui en donnèrent des copies... Ainsi la mention de Nectanebus II ne prouve rien; et si l’on considère, d’une part, que Manéthon dut avoir ses raisons d’appeler ancienne la chronique dont nous parlons, et d’autre part, qu’elle diffère essentiellement du plan de cet écrivain, en ce qu’au-dessus de la seizième dynastie, c’est-à-dire, un peu au-dessus des pasteurs, elle n’admet ou ne connaît aucun fait historique (comme pour indiquer que la persécution de ces tyrans en aurait effacé la trace); que, de plus, dans les dynasties inférieures, elle se rapproche du plan d’Hérodote; l’on sera porté à croire qu’elle a été rédigée un peu après Kambyses, lorsque le règne tolérant de Darius Hystasp permit aux savants Égyptiens de recueillir les débris de leurs monuments, brûlés ou dispersés par le féroce fils de Kyrus. De telles idées viennent en de telles circonstances: alors elle a précédé Manéthon de près de 240 ans, et par-là elle a mérité, relativement à lui, le titre d’ancienne, surtout s’il a eu, comme nous le croyons, quelque indice que le système signalé par nous n’existait pas auparavant; Quoi qu’il en soit de nos conjectures, en revenant au point primitif de notre discussion, il reste prouvé par les témoignages combinés de tous les anciens, que le règne de Sésostris, antérieur à celui de Ninus, n’a pu être que postérieur à l’invasion des pasteurs.—Ce second chef se démontre par le raisonnement. En effet, d’après le tableau du règne de ce conquérant, il est impossible, comme nous l’avons déjà dit, de concevoir comment l’Égypte serait retombée dans l’état de faiblesse, d’avilissement où la trouvèrent les pasteurs..... Tout, dans cette hypothèse, marche en sens inverse du cours naturel des choses politiques; tout suit, au contraire, un cours naturel, en admettant que l’époque d’ignorance et d’esclavage précéda et même prépara l’époque de l’affranchissement et de l’énergie militaire qui, depuis, alla croissant et se développant.
Au moment où arrivent les pasteurs, nous voyons l’Égypte, par suite de son état primitif de morcellement en peuplades sauvages, divisée encore en plusieurs états, et certainement en deux royaumes principaux ayant pour capitales Thèbes et Memphis l’ancienne. La population, toute agricole, est, comme celle de la Chaldée au temps de Ninus, inexpérimentée à l’art de la guerre: l’étranger aguerri soumet sans peine celle du Delta et l’accable de cruautés. Il est probable que cette persécution fut une époque d’émigration à laquelle se rapporteraient certaines colonies égyptiennes en Grèce, en Italie, en Babylonie, mentionnées par les monuments et par les historiens.—Thèbes résista par sa position topographique, et par la puissance de ses rois, qui déjà paraissent avoir élevé les masses gigantesques de ses temples et de ses palais: c’est l’indication de Diodore. La Basse-Égypte saccagée, asservie, privée de tous ses chefs, dut tourner ses regards vers les rois Thébains qui étaient de sa langue et même de son sang. Ils devinrent ses protecteurs naturels, ses rois nationaux.—Leur pays fut le lieu de refuge; leur puissance fut le moyen libérateur qu’on invoqua.—Il dut exister une guerre sourde et constante.—Les bras s’aguerrirent, les courages se formèrent; de premiers succès élevèrent l’espérance; une guerre ouverte éclata: sa longueur, son opiniâtreté donnèrent aux Memphites les habitudes militaires qui leur manquaient; toute l’Égypte devint guerrière. De son côté, la race hardie des pasteurs dut défendre sa proie pied à pied. Un premier effort l’ayant chassée de Memphis, ils purent se défendre dans Héliopolis, puis dans Peluse où ils résistèrent à d’immenses efforts. Pendant ce temps les rois de Thèbes prenaient possession, d’abord de l’Heptanomis, puis du Delta, par droit de conquête et par assentiment national. Lorsqu’enfin ils eurent totalement chassé l’étranger, ils furent, de droit et de fait, considérés comme les maîtres légitimes de tout le pays, comme les successeurs naturels des anciens rois dont la race était extirpée: c’est donc à cette époque, c’est-à-dire, à dater du régne de Tethmos, que l’Égypte a commencé de former un seul et même empire, dont l’unité n’a plus été rompue que temporairement.—Alors ces monarques, investis d’une masse triple et quadruple de puissance, par la réunion de 7 à 8,000,000 de bras sous un même sceptre,[257] et de tous les tributs du sol le plus fécond sur une étendue de 3,500 lieues carrées; ces monarques eurent les moyens et bientôt conçurent les idées de ces ouvrages, d’abord utiles et grands, puis gigantesques et extravagants, dont Hérodote trace l’ordre successif, et dont l’exécution n’eût pas été possible auparavant.
Le premier de ces travaux relativement aux Égyptiens de Memphis, fut la fondation de leur ville, qui dut avoir deux versions à raison de l’équivoque de l’ancienne et de la nouvelle ville: l’ancienne dut naturellement être attribuée au rois Menès, plutôt dieu qu’homme, que nous verrons aussi premier roi à Thèbes, et qui paraît n’avoir été qu’un synonyme d’Osiris. La seconde, qui fut la nouvelle Memphis, nous est déclarée par Diodore avoir été l’ouvrage d’un roi puissant nommé Uchoreus, dont les listes nous présentent un synonyme dans le roi Achoris,[258] successeur de Tethmos. Il appartint à un tel prince de déplacer un fleuve, tel que le Nil, pour élever une ville entière sur son lit comblé. L’expérience, qui avait fait connaître la faiblesse de l’ancienne Memphis, suggéra l’idée de cette nouvelle création, où de puissants moyens défensifs furent réunis à la commodité. Diodore nous apprend que bientôt le «séjour de Memphis la neuve parut si délicieux aux rois, qu’ils abannèrent celui de Thèbes, dont la splendeur ne fit plus que décliner.» Voilà donc Thèbes devenue vassale sans secousse, sans révolution, et le silence de l’histoire est expliqué sur la confusion souvent faite des rois des deux métropoles.
Après la création de Memphis par Uchoreus, le premier ouvrage, grand et digne d’admiration, fut, selon Hérodote, le lac de Mœris, ce roi dont le règne précéda de peu celui de Sésostris. Si ce dernier se place vers les années 1360 à 1365, comme nous l’avons dit, Mœris ne doit pas être éloigné; et si nous n’apercevons pas son nom entre Uchoreus et Sésostris, c’est par la raison que beaucoup de ces princes ont eu divers noms. Nous en connaissons au moins 4 à Sésostris. Dans ce nouvel ouvrage nous voyons une marche croissante de la puissance: les conquêtes de Sésostris ne sont qu’un autre genre du développement, une autre conséquence de l’accumulation progressive des moyens depuis le règne de Tethmos. La guerre contre les pasteurs avait forcé ce prince de lever un grand état militaire; il put le réduire, mais non l’annuler. Ses successeurs, selon le penchant de tous ceux qui gouvernent, durent trouver commode et utile d’entretenir cette forte armée, tant pour résister au dehors que pour maintenir l’obéissance au dedans; les habitudes guerrières étaient contractées, on les conserva. La tactique fût cultivée, et ce fut de cette source que Sésostris tira les instruments de conquête que son génie mit en action. Ainsi c’est du règne des pasteurs que nous voyons dériver, comme conséquences naturelles, tous les événements postérieurs.
Si après Sésostris, son troisième successeur, Rhampsinit, nous montre la plus grande masse d’or et d’argent que l’on eût encore vue, c’est qu’elle provint des conquêtes de Sésostris et des tributs de toute l’Asie[259]; si après Rhampsinit, les tyrans Cheops et Chephren bâtissent leurs extravagantes pyramides, c’est parce que le despotisme ignorant ne sait comment employer ses trésors accumulés, etc., etc.
Mais c’en est assez sur ce sujet: nous avons à répondre à deux questions que déjà se sera faites le lecteur.
En quel temps précis arriva l’invasion des pasteurs, et quelle fut cette race d’étrangers?
Ici le défaut de documents positifs nous réduit à des calculs de probabilités que nous tâcherons de rendre raisonnables.
Aucune des listes ne s’accorde sur la date de l’invasion des pasteurs: l’ancienne Chronique donne l’an 1851; l’Eusèbe du Syncelle, 1830; l’Eusèbe du Chronicon, 1807; Josèphe, dégagé de ses erreurs, se rapproche infiniment de ce dernier; car, en plaçant le règne de Sethos-is, qui est Sésostris, vers 1360 ou 1365, nous trouvons dans les rois qui remontent jusqu’à Tmos-is, fils de Mefragmutos, c’est-à-dire jusqu’au véritable expulseur, une somme de 191 années, qui nous porte à l’an 1556. De là, jusqu’à l’entrée des pasteurs sous Salatis, Josèphe compte 239, ce qui la place en 1795, différence, 12 ans de 1807, et il nous appartient 4 ou 5 années sur le règne de Tmos. D’autre part, si nous prenons les 128 ans que nous donne sa liste depuis Tmosis jusqu’au chef de la dynastie (Amosis, qu’il nomme Tethmosis), et que nous y joignions les 103 ans qu’Eusèbe et l’ancienne Chronique donnent aux pasteurs, nous avons 331 ans; plus, 4 ou 3 ans du règne de Tmosis. Nous sommes bien voisins des 239 de Josèphe. L’analogie de ces deux produits, et leur ressemblance avec les 1807 d’Eusèbe, nous font donc regarder comme la plus probable des dates, celle de 1800 à 1810 pour l’arrivée des pasteurs.—Maintenant quelle race d’hommes furent-ils? Voici nos conjectures.
Manéthon nous a dit que, selon quelques auteurs, ils furent des Arabes; son copiste Africanus les appelle Phéniciens, et cela présente peu de différence, parce que les Phéniciens sont reconnus pour être d’origine arabe. Maintenant pesons toutes les circonstances de Manéthon. Il nous dit que cette horde, en quittant l’Égypte, comptait 240,000 hommes armés: on doit croire que pendant une résidence de deux siècles, cette population, nourrie dans l’abondance, s’était beaucoup multipliée, et qu’en arrivant elle peut n’avoir pas eu plus de 100,000 combattants; c’était assez pour vaincre. Cela suppose 400,000 têtes au moins: c’est beaucoup de monde pour les Arabes. Cette multitude entre par l’isthme de Suez: des Arabes seulement peuvent entrer par-là. Elle n’a point de roi suprême: elle est donc divisée en tribus comme les Arabes, ayant chacune son chef ou ses chefs, égaux entre eux, sauf la prépondérance du plus fort. Cette multitude ne marche pas droit sur Memphis; Africanus indique qu’elle s’arrête dans la Basse-Égypte (pays de pâturages pour ses troupeaux), et qu’elle y bâtit une ville, c’est-à-dire un camp retranché: ces hommes-là veulent mettre en sûreté leurs familles et leurs biens.[260] Ce n’est qu’ensuite qu’ils attaquent les Égyptiens doux, timides, et qu’ils s’emparent de Memphis: toutes ces circonstances n’annoncent pas une invasion préméditée, ni un peuple armé pour conquérir; elles indiquent, au contraire, un peuple chassé de son pays, cherchant refuge ailleurs: qui fut ce peuple à cette époque? En méditant cette question, nous nous sommes rappelé que dans les monuments arabes de l’ancien Iémen il est fait mention d’une grande révolution arrivée dans toute la presqu’île à une époque très-reculée. Nous avons vu (tome 1er des Recherches nouvelles, pages 278 et 498) que Masèoudi, Hamza, Aboulfeda et Noueïri nous ont dit «que les plus anciens peuples de l’Arabie furent quatre tribus appelées Aâd, Tarnoud, Tasm et Djodaï; qu’ Aâd habita le Hadramaut; Tamoud, le Hedjâz et le rivage oriental de la mer Rouge (le Tehama) etc.; que ces Arabes furent attaqués par une autre confédération d’origine différente, composée de 10 tribus; qu’il y eut entre elles des guerres violentes qui se terminèrent par la défaite et l’expulsion des quatre tribus, etc.»
Dans notre opinion ce seraient les débris de ces quatre tribus qui se seraient écoulés vers l’Égypte, et nous en trouverions les restes dans les Thamudeni et dans les Madianites et les Amalekites leurs parents: quant à la date de cet événement, ce que les auteurs musulmans nous indiquent ne laisse pas que de se rapprocher. «Le prince qui vainquit ces Arabes, ajoutent-ils, s’appelait Abdel-Chems; il prit le surnom de Saba (le victorieux); son fils (ou descendant) Homeir, fut l’auteur du nom de Hemiarites ou Homérites, donné aux tribus victorieuses. Celui-ci chassa les Arabes Tamoud de l’Iémen dans le Hedjâz. Son 15e dèscendant fut Haret-el-Raïes» (que nous avons prouvé être contemporain de Ninus et associé à ses conquêtes).
Or Ninus ayant régné en 1230, les 15 générations, si on les évaluait à la manière égyptienne, nous porteraient au-delà de 1700 ans avant J.-C. Mais de plus, il est constant que dans cette antiquité, et même assez généralement dans des temps moins reculés, les Arabes omettent ou suppriment des degrés de filiation; que par le nom de fils ils entendent très-souvent un simple descendant, en sorte qu’il n’est pas du tout prouvé que Homeir ait été le fils immédiat de Saba: d’autre part, l’historien Nouéïri ajoute que Homeir fut contemporain d’Ismael, fils d’Abraham: ce qui veut dire que Nouéïri comparant les calculs arabes aux calculs juifs, a trouvé l’analogie citée. Or dans les calculs des Juifs, Abraham se place entre 1900 et 2000, et cela cadre singulièrement avec nos données. Ce n’est donc pas sans quelque vraisemblance que nous regardons les pasteurs de Manéthon comme étant les anciens Arabes chassés par Saba et Homeir, et que nous plaçons l’époque de cet événement vers les années 1800 à 1810.
Nous trouvons d’autres probabilités dans le caractère hardi et féroce de ces expulsés, aigris par leurs malheurs, dans les idées militaires qu’ils montrent et que leur avaient enseignées des guerres longues et sanglantes; enfin même dans la persécution religieuse qu’ils exercent, attendu qu’étant élevés dans le culte simple du soleil et des astres, ils durent prendre en haine les idoles bizarres des Égyptiens dont ils ne conçurent point le sens allégorique. Ces pasteurs étant de la branche des Arabes noirs, ils furent, en style oriental, des enfants de Kush, en style grec, des Éthiopiens; à ce titre ils étaient parents des Phéniciens, dont Africanus leur applique le nom. Ce nom de Kush serait-il la base de celui d’Y-ks-os que leur donnèrent les Égyptiens? Cela n’est pas impossible; mais ce qui est presque certain, c’est que sous le nom d’Éthiopiens, leurs rois sont du nombre des 18 de ce sang, qu’Hérodote dit avoir régné en Égypte. Il serait étonnant que les prêtres eussent omis cette dynastie qui posséda la Basse-Égypte pendant plus de 200 ans; elle dut même y laisser quelques traces de son langage: malheureusement nous n’avons presque rien de l’ancien égyptien[261]. Peut-être la pratique de l’Arabe en cette contrée fut-elle un des moyens qui en ouvrit aux Phéniciens le commerce, et leur procura la connaissance des idées théologiques et scientifiques de l’Égypte, qu’ils répandirent dans la Grèce plus de 1600 ans avant notre ère; enfin les pasteurs chassés se perdirent dans le désert sans laisser de trace sensible, et il semble qu’il n’y a que des Arabes qui puissent paraître, vivre, et disparaître ainsi.
Un dernier moyen de nous éclairer pourra se trouver dans les monuments pittoresques apportés d’Égypte par les savants français: nous y voyons des scènes de combats qui représentent, d’une part, des Égyptiens reconnaissables à leur physionomie et à leurs costumes; d’autre part, des étrangers dont la tête est ornée de couronnes de plumes en forme de diadèmes. Il s’agit de savoir si ces physionomies, très-bien exprimées, trouvent leur ressemblance sur quelques médailles ou autres monuments phéniciens ou arabes. Le vainqueur ayant été roi de Thèbes, il serait naturel que le tableau de son triomphe eût été gravé sur les murs de son palais en cette ville. Les savants descripteurs de ces tableaux ont voulu y voir des Indiens; cela ne réfuterait pas notre conjecture, puisque les habitants de l’Arabie, et surtout de l’Iémen, ont été, comme ceux de l’Éthiopie, désignés en plusieurs occasions par les Grecs et par les Latins, sous le nom d’Indi; voilà tout ce que nous pouvons dire sur ce sujet. Il nous reste un mot à joindre sur les Juifs, d’après les idées de Manéthon et de quelques autres anciens historiens.
§ III.
Époque de l’entrée et de la sortie des Juifs, selon Manéthon.
Nous avons prouvé dans le tome Ier de cet ouvrage, ch. 2, 3 et 4, que les livres juifs ne nous donnent aucune idée claire et précise du temps où se fit la sortie d’Égypte, et cela parce que la période anarchique des Juges présente un vide absolu d’archives et d’annales régulières. Il semble que l’historien Josèphe, muni de celles des Phéniciens et des Égyptiens, publiées par Ménandre l’Éphésien, par Manéthon, Lysimaque, Cheremon et d’autres auteurs, eût pu éclaircir cette difficulté; mais ce prêtre juif, fortement imbu de ses préjugés religieux, s’est plutôt occupé de disputer que d’instruire, et ce sont moins des résultats qu’on obtient de lui, que des matériaux. Voyons quel parti l’on peut tirer de ce qu’il nous dit être l’opinion de Manéthon dans la question dont il s’agit. [262] Selon Manéthon, «les ancêtres du peuple juif furent un mélange d’hommes de diverses castes, même de celles des prêtres égyptiens qui, pour cause d’impuretés, de souillures canoniques, et spécialement pour la lèpre, furent, sur l’ordre d’un oracle, expulsés d’Égypte par un roi nommé Aménoph.....» Les livres juifs ne s’éloignent pas de ce récit, lorsqu’ils disent (dans l’Exode) que beaucoup de menu peuple et d’étrangers suivirent la maison d’Israël[263]; les ordonnances répétées du Lévitique contre la lèpre prouvent que toutes ces maladies furent dominantes. Un autre reproche d’impureté de la part d’un Égyptien, est la vie pastorale; et les juifs conviennent qu’ils furent pasteurs. Manéthon évalue leur nombre à 80,000, lesquels des environs de Peluse se rendirent en Judée à Hiérusalem. Nous avons démontré[264] l’impossibilité physique des 600,000 hommes armés de l’Exode, lesquels supposeraient une masse totale de 2,400,000 âmes; et nous avons tiré des livres juifs eux-mêmes des indices qui se rapprochent beaucoup de Manéthon: il n’a point été aussi ignorant en tout ceci que veut le dire Josèphe..... Celui-ci lui reproche d’introduire un faux Aménoph sans date connue; mais puisque cet Aménoph est dit père de Séthos, qui (lors de la guerre de 13 ans occasionée par les lépreux) était âgé de 5 ans, Manéthon a suffisamment désigné l’homme et le temps: il y ajoute un nouvel indice, lorsqu’il nomme en sa liste un roi Ramessés, père d’Aménoph; car ce Ramessés qui effectivement précède Aménoph dans la 18e dynastie, correspond très-bien à celui par l’ordre duquel les Juifs bâtirent la ville de Ramessés. En tout ceci Josèphe est le plus répréhensible de ne nous avoir pas donné la date du règne de Séthos-Sésostris, prise sur l’échelle chronologique des Juifs..... Ce règne est, comme nous l’avons dit plus haut, le point de départ d’où tout dépend: selon l’ancienne chronique il aurait commencé en l’an 1400 avec la dynastie 19e, dont Séthos fait l’ouverture: selon Africanus c’eût été en 1394: ces deux dates se ressemblent, et elles justifieraient nos calculs dans l’article des Juifs[265], lorsque nous y avons dit que la sortie d’Égypte sous Moïse dut arriver avant l’an 1420: cela cadre singulièrement avec le récit de Manéthon, qui nous représente Séthos âgé de 13 ans à l’époque de la guerre pour l’expulsion des lépreux.
D’autre part, selon l’Eusèbe du Syncelle, le règne de Séthos ne daterait que de l’an 1376, et selon l’Eusèbe de Scaliger, il se retarderait jusqu’à l’an 1356. La 1re de ces dates, en raisonnant toujours d’après Manéthon, placerait la sortie vers 1390; ce qui s’accorde avec notre calcul généalogique des grands-prêtres cités par Josèphe..... La 2e réclame en sa faveur l’autorité d’Hérodote; mais elle nous laisse contre elle le soupçon d’avoir été dressée par Eusèbe dans cette expresse intention: en résultat, il paraît certain que la sortie d’Égypte n’a pu précéder les années 1410 à 1420, ni se retarder au-dessous de 1390 avant J.-C. Posons pour terme moyen 1400, et disons que si Séthos-Sésostris, dans le début de sa grande expédition, n’attaqua point les Hébreux, ce fut par suite de l’aversion et du mépris que lui inspirait leur récente origine.
Maintenant combien dura réellement le séjour des Juifs en Égypte? Leurs livres ne sont pas d’accord..... Le texte samaritain dit 215 ans; l’hébreu et le grec disent 430.
Si nous appliquons ces 215 au calcul d’Hérodote et d’Eusèbe (1355), l’entrée aura eu lieu vers 1570.[266] Si nous les appliquons au calcul d’Africanus et de la Chronique, elle aura eu lieu vers 1610. Dans l’un et l’autre cas, elle tombe dans la période de nos pasteurs, expulsés en 1556.
Si au contraire nous employons les 430 ans du texte hébreu, l’entrée remontera vers les années 1790 ou 1820, et ici elle coïncide presque à l’entrée des rois pasteurs.
Pourquoi cette différence si forte d’un texte à l’autre? Ne pourrait-on pas dire que l’un représente l’opinion du rédacteur du Pentateuque, le grand-prêtre Helqiah, tandis que l’autre serait l’opinion des docteurs d’Alexandrie, qui, au temps de la traduction, ayant eu connaissance des livres égyptiens, auraient voulu, comme le fit Josèphe, que les pasteurs rois fussent les pasteurs hébreux. L’autre hypothèse ne laisse pas que d’avoir plusieurs convenances. Par exemple, la Genèse parle des relations orales de la famille d’Abraham et de Jacob avec les Égyptiens, comme d’une chose simple et naturelle; cependant nous savons que la langue de ce peuple différait essentiellement de l’hébreu; et dans ces siècles barbares une langue n’était pas connue hors de son territoire: si donc nous supposons que ces relations aient eu lieu avec les rois pasteurs, il n’y a plus de difficulté, parce que leur langue fut un dialecte arabique comme l’est l’hébreu.
D’autre part, les Égyptiens haïssaient les pâtres comme gens impurs devant la loi: et les rois et prêtres d’Égypte n’eussent pas dû accueillir si bien les Hébreux; les rois pasteurs l’ont pu; leur prêtre Putiphar a pu même recevoir Joseph en sa maison, et une femme de cette race recueillir Moïse flottant sur les eaux.
Selon les livres chaldéens cités par Bérose, et selon les livres égyptiens cités par le Persan Artapanus,[267] Abraham enseigna l’astrologie ou astronomie aux Égyptiens; comment croire que les Égyptiens, inventeurs du zodiaque, et de tout temps célèbres par leur science astronomique, aient reçu des leçons d’un étranger vagabond; mais cela peut se croire des pasteurs arabes d’Égypte qui arrivèrent et purent rester ignorants en cette science. Artapanus ajoute que Joseph établit le mesurage des terres et autres institutions utiles, lesquelles n’ont pu être ignorées que des pasteurs qui avaient tout bouleversé.—Quant à l’accaparement de toutes les terres dont parle la Genèse, comme conseillé par Joseph en temps de famine, cela convient encore à l’esprit des rois pasteurs, spoliateurs et tyrans: ce livre d’Artapanus, qui sous quelque rapport diffère des récits de la Genèse et de Manéthon, a, sous d’autres rapports, des analogies marquées... Il fait élever Moïse par la fille du roi de Memphis, en disant qu’il y avait en ce temps-là un autre roi dans le pays au-dessus et divers rois en Égypte. Il fait de Moïse un ministre et un général du roi qui l’aime d’abord, puis qui redoute son grand crédit et veut le faire périr dans une guerre d’Éthiopie. Moïse part pour ce pays, s’arrête en chemin pendant 10 ans, et avec les seuls bras de sa famille ou de ses nationaux, il bâtit une ville appelée Hermopolis... Tout cela pêche par invraisemblance; mais si l’on se rappelle que l’Éthiopie des Grecs est le pays de Kush des Orientaux; que le pays de Madian, où se retira Moïse, était une dépendance, une terre de Kush, comme nous l’avons prouvé,[268] et que près de ce pays, sur la frontière d’Égypte, est la ville d’Héroopolis, tout près de celle de Phitom (Patumos d’Hérodote), bâtie par les Hébreux, on sera porté à croire qu’Artapanus ou ses copistes ont commis l’altération d’Héroopolis en Hermopolis. Du reste, Artapanus parle des miracles opérés par Moïse et de la sortie de son peuple, presque comme l’Exode, excepté qu’il les répartit sur une durée de temps plus ou moins longue, pendant laquelle Moïse se serait prévalu des accidents et phénomènes naturels. On veut aujourd’hui traiter Artapanus de romancier; mais Josephe et Alexandre Polyhistor l’ont regardé comme un homme savant, nourri de la lecture des livres égyptiens. De tout ce mélange de variantes[269], d’analogies, d’invraisemblances, que conclure, sinon qu’il a réellement existé des faits qui ont été la base de l’histoire, mais qui, vu leur antiquité, vu la négligence des écrivains à les recueillir près de leur source, ont été altérés par les récits populaires d’une génération à l’autre, et se sont présentés sous cette forme aux historiens tardifs? Il est probable que la nation juive doit son origine à un premier noyau de peuple d’origine chaldéenne, puisque l’idiome chaldéen est resté sa langue. Il est probable encore qu’il y a quelque chose de vrai dans ce que Manéthon dit de sa sortie, puisque les livres hébreux, et Artapanus, et Tacite même[270], citent des circonstances très-ressemblantes.
Quant aux dates fixes, puisque les Juifs même n’ont pu nous les donner, qu’ils se montrent au contraire tout-à-fait ignorants sur la période entière du séjour et sur l’état de l’Égypte lors de la sortie, il faut nous contenter de celles qu’indique le raisonnement; mais n’omettons pas de remarquer, en finissant cet article, qu’il sera toujours étrange de voir l’auteur quelconque de la Genèse se prétendre si bien instruit de tant de détails minutieux sur Abraham, Jacob et Joseph, quand il l’est si peu de tout ce qui concerne le séjour en Égypte, et la sortie sous Moïse, et la vie errante du désert jusqu’au moment de passer le Jourdain. Cela est contre tout état probable de monuments; et cela nous confirme dans l’opinion émise ailleurs, savoir que les matériaux de la Genèse sont totalement étrangers aux Juifs, et qu’ils sont un composé artificiel de légendes chaldéennes dans lesquelles l’esprit allégorique des Arabes a représenté l’histoire des personnages astronomiques du calendrier sous les formes anthropomorphiques. Mais rentrons dans notre domaine chronologique, et voyons quels secours ajoute Diodore de Sicile aux cadres tronqués de Manéthon et d’Hérodote.
CHAPITRE IV.
Récit de Diodore.
D’après tout ce que nous avons vu du désordre et des contradictions de la liste d’Africanus, copiste apparent de Manéthon, nous avons droit de croire que la dynastie des pasteurs a été la borne historique des savants de Memphis, et cela par la double raison que ces étrangers auront détruit les archives nationales, et que l’école de Memphis, ne trouvant au-delà de leur époque que des rois thébains, les aura négligés par esprit de parti pour sa métropole. Si nous avions la liste complète de ces rois, trouvée par Ératosthènes, et copiée par Apollodore, peut-être y trouverions-nous le moyen de renouer le fil de succession par l’entremise de la 18e dynastie: à son défaut, il faut nous adresser à Diodore.
Cet auteur, qui lût et compulsa un grand nombre de livres sur ces matières, dans la bibliothèque d’Alexandrie, eut de grands moyens de s’instruire et de nous instruire avec lui: malheureusement il s’est moins appliqué à la précision qu’à l’étendue.—Cet historien nous donne comme résultat de ses recherches, et comme un fait non contesté de son temps, «que le royaume de Thèbes fut le premier civilisé et le plus célèbre de toute l’Égypte. La ville de Thèbes, dit-il[271], fut fondée, selon quelques-uns, par le dieu Osiris même, qui lui donna le nom de sa mère; mais ni les auteurs ni les prêtres ne sont d’accord à ce sujet, plusieurs assurant que cette ville a été bâtie bien plus tard, par un roi nommé Busiris.»
Nous laissons à part ce que Diodore dit avec Hérodote, Manéthon et la vielle chronique, du règne des dieux, qui dura des milliers d’années, 10,000, selon les uns, 18,000 et même 23,000 selon d’autres, depuis Osiris ou le soleil, jusqu’à Alexandre... Ce sont là des allégories astrologiques, de même que l’invention prétendue de toutes les sciences, par un dieu ou homme nommé Hermès.—Mais Diodore parle historiquement, lorsqu’il peint l’état primitif des anciens habitants de l’Égypte, et leur vie sauvage entièrement semblable à celle des nègres et des Caraïbes des temps modernes[272]. «Alors, dit-il, ceux-là étaient rois qui inventaient les choses et les moyens utiles aux besoins de la vie: le sceptre ne passait pas au fils du régnant, mais à celui qui avait rendu le plus de services (comme dans l’ancienne Chine).
«Parmi les rois d’Égypte, la plupart ont été indigènes, quelques-uns furent étrangers: on compte, entre autres, quatre Éthiopiens qui ont régné 36 ans, non pas de suite, mais par intervalles.»
Nous avons vu Hérodote en compter 18: il semble que Diodore n’aurait connu que ceux postérieurs à Sabako.
«Les rois, avant Kambyses, ont été au nombre de 470, et 5 reines.»
Voici une grave différence, puisque ce serait au-delà de cent plus qu’Hérodote. Diodore suit Manéthon ou s’en rapproche.
«Après les dieux, le premier roi fut Menas», que Diodore fait régner à Thèbes et non à Memphis (qui en effet ne dut pas exister). Il est singulier que ce Menas ou Menès se retrouve premier homme-roi à Memphis, à Thèbes, en Crète, sous le nom de Minos, dans l’Inde sous celui de Ménou. Il est singulier encore que Manéthon, dans Africanus, ait noté qu’il fut tué par un cheval de rivière (hippopotamos) nomme Isp. Comment une bête sauvage a-t-elle eu un nom propre? Il y a ici de l’allégorie: l’hippopotame fut l’emblème de Typhon, ce génie du mal, qui tua Osiris, génie du bien; Menès doit être un nom d’Osiris, peut-être même le nom le plus ancien. Osiris fut, comme Bacchus, le dieu de l’abondance et de la joie; «Menès, comme Osiris, enseigna aux hommes toutes les commodités, tout le luxe de la vie, la bonne chère, les beaux meubles, les bonnes étoffes, etc.:» l’identité est sensible. Quant au nom du cheval, Isp, comment se fait-il qu’il soit le mot persan asp, un cheval? Manéthon aurait-il copié un auteur perse, qui, après Kambyses, aurait traduit un livre égyptien?
Le nom de Menas fut aboli, nous dit Diodore, par un roi d’Égypte qui, pendant une guerre qu’il fit aux Arabes du désert, trouva de si grands inconvénients dans le luxe et l’épicurisme inventé par Menas, qu’il maudit son nom, et fit inscrire cette malédiction en lettres sacrées dans le temple de Ioupiter à Thèbes. Ne serait-ce pas à dater de cette époque que le nom d’Osiris aurait prévalu? Mais pourquoi man en langue sanscrite signifie-t-il homme, et en chaldæo-hébreu, intelligence?
«Après Ménas, d’autres rois, dit Diodore, se succédèrent pendant 1,400 ans, sans rien faire de remarquable; puis régna Busiris, premier du nom; puis son 8e successeur, nommé aussi Busiris, bâtit la grande ville de Thèbes avec cette magnificence qui l’a rendue la plus célèbre des temps anciens.»
Faire bâtir Thèbes quand on dit qu’elle existait depuis 1,400 ans, est une contradiction manifeste; mais aujourd’hui que les savants français de l’expédition d’Égypte nous ont fait connaître géométriquement le local de Thèbes; qu’ils nous y font distinguer 4 et même 5 enceintes différentes, où la nature et l’emploi des matériaux, les uns de briques, les autres de pierre, le style et l’art des constructions, les unes petites et simples, les autres grandes et compliquées, attestent des époques diverses, nous concevons que là, plus qu’ailleurs, il a existé une gradation d’industrie et de puissance qui, selon les besoins ou les fantaisies du temps, a plusieurs fois déplacé l’habitation des rois et de leur cour, et qui, par l’agglomération qui se fait toujours autour de ces foyers d’activité, a formé plusieurs cités que leur voisinage réciproque a fait comprendre sous le même nom... D’après ce que Diodore dit de la grandeur des temples, des palais et autres ouvrages de Bousiris, l’on pourrait lui attribuer l’enceinte dite Karnâq[273], mais ne quittons pas notre fil chronologique.
Après Busiris II, plusieurs de ses successeurs embellirent la ville de Thèbes. Ici Diodore place d’intéressants détails sur un roi Osymandua, dont il ne détermine point l’époque.
Le huitième successeur d’Osymandua porta le nom d’Uchoreus comme son père: ce fut lui qui bâtit Memphis.
Diodore entre dans des détails qui diffèrent peu de ceux d’Hérodote... «Uchoreus rendit le séjour de cette nouvelle ville si commode, si délicieux, que presque tous ses successeurs le préférèrent à celui de Thèbes, dont la splendeur baissa de jour en jour, tandis que celle de Memphis ne cessa de croître jusqu’à la fondation d’Alexandrie.
«Douze générations après Uchoreus, régna Moïris qui construisit le lac célèbre dont parle Hérodote; 7 générations après Moïris, régna Sésoosis (le Sésostris d’Hérodote), devenu si célébre par ses conquêtes.»
Nous voici arrivés à un point à peu près connu, et nous pourrions nous en servir pour calculer et mettre en ordre les faits cités par Diodore; mais parce qu’il nous importe de savoir quel degré de confiance mérite ce compilateur souvent négligent et superficiel, nous préférons de descendre à une époque plus tardive et plus sûre qui nous fournisse des moyens positifs d’apprécier son degré d’instruction et d’exactitude.
Diodore parlant de la conquête de l’Égypte par Kambyse, fils de Kyrus, assigne cet événement à l’an 3 de la 63e olympiade, ce qui répond à l’an 526 avant J.-C. Il y a ici erreur apparente d’une année, puisque tous les critiques modernes sont d’accord que Kambyse n’entra qu’en l’an 525; mais parce que l’année olympique s’ouvrait au solstice d’été, et que Kambyses put n’entrer que dans le mois de février subséquent, c’est-à-dire après le commencement de l’année romaine et de l’année chaldéenne qui nous servent de guide, l’erreur n’est ni réelle, ni grave: admettons l’an 526, et voyons comment Diodore dispose les faits antérieurs.
SELON DIODORE,
Il y a eu 470 rois en Égypte, depuis Menas jusqu’à Kambyses. Quatre de ces rois furent Éthiopiens, et régnèrent, non de suite, mais par intervalles.
1 Menas, premier roi homme et non dieu, régna à Thèbes (et non à Memphis).
2 Après Menas, des rois obscurs se succédèrent pendant 1400 ans............................... ci 1400 ans;
3 Busiris I succède.
4 Busiris II, son 8e successeur, bâtit Thèbes et y élève les grands monuments qui subsistent encore.
5 Après Busiris II, règne une série de rois non définie.
6 Puis Osymandua.
7 Le 8e successeur, nommé Uchoreus, fonde Memphis à l’ouest du Nil.
12 générations après Uchoreus, règne Moïris, qui construit le lac.
7 générations après Moïris règne Sésoosis [Sésostris][274], qui conquiert l’Asie............................. 33 ans.
Son fils Sésoosis II.
Nombre indéfini de successeurs obscurs.
Après eux vient Amosis, tyran.
Amosis, tyran, chassé par
Actisanes, éthiopien.
Mendès ou Marrus bâtit le labyrinthe.
Interrègne de 5 générations.
Protée ou Ketés est élu roi.
Remphis, le riche en or.
7 générations.
Nileus fait de très-grands ouvrages au fleuve qui prend son nom.
8 générations.
Chembès bâtit la grande pyramide.
Chephren, son frère.
Mykerinus, fils de Chembès.
Bocchoris le sage.
Plusieurs générations.
Sabako, éthiopien.
Interrègne.......................................... 2 ans
12 rois, dont Psammétik est un.
Ils font un grand ouvrage, et régnent............... 15
1 Psammétik (règne omis).
2
3
4 génération. Apriès.......... 22
Amasis.......... 55 av. J.-C.
Kambyses, perse, l’an......... 526
«Avant Kambyses, dit-il[275], avait régné Amasis pendant 55 ans.»
Il y a ici omission totale du fils d’Amasis, Psamménit, qui lui succéda, régna 6 mois et périt, avec des détails intéressants mentionnés par Hérodote.
Ensuite pourquoi Diodore porte-t-il à 55 ans le règne d’Amasis qui, selon Hérodote, ne fut que de 44? Notez que Diodore paraît n’être que le copiste d’Hérodote depuis le règne de Protée: Amasis aurait donc commencé en 581.
Avant Amasis avait régné Apriès pendant 22 ans (il aurait commencé en l’an 603).
«Quatre générations avant Apriès avait régné Psammitichus[276].»
Pourquoi Diodore omet-il encore ici la durée de ce règne important? et de plus, pourquoi cette expression vague quatre générations? Ne dirait-on pas qu’il y eut 4 règnes entre les 2 rois nommés, et qu’à raison de 30 ans par génération, selon le système de Diodore, on dut compter 120 ans? En ce cas Psammitichus serait rejeté à l’an 723; mais cette année sera-t-elle le commencement ou la fin de son règne? Notre embarras serait grand si Hérodote ne nous eût décrit les règnes d’Apriès, fils de Psammis; de Psammis, fils de Nékos; de Nékos, fils de Psammétik, avec toutes leurs circonstances d’action et de durée: on voit bien ici quatre générations, mais qui eût deviné que Diodore y comprenait les deux termes qu’il donne pour limites? Cette négligence rompt déjà le fil chronologique que nous attendions de lui; mais supposons que pour ses quatre générations, il ait compté 120 ans, selon sa méthode, le règne de Psammitichus aura commencé l’an 701.
«Avant lui, avait eu lieu pendant 15 ans[277], une oligarchie de 12 régents ou rois dont il avait été l’un.»
Cette oligarchie avait donc commencé en l’an 716, et elle avait succédé à une anarchie de 2 ans, qui elle-même succéda au règne de l’Éthiopien Sabako. Ce règne aurait donc fini en l’an 718. Nous avons contre cette date les témoignages des Juifs et des listes copiées de Manéthon: encore si Diodore nous donnait la durée du règne de Sabako; mais il l’omet nettement, et se contente de dire qu’il était venu régner en Égypte plusieurs temps après Bocchoris (le sage). Voilà notre fil de dates encore interrompu.
«Or Bocchoris avait succédé[278] à Mykerin, dit aussi Mecherin (règne omis), lequel avait succédé à son oncle Chephren, qui régna 56 ans et bâtit l’une des grandes pyramides; et Chephren avait succédé à son frère Chembès, lequel régna 50 ans, et bâtit la plus grande de toutes les pyramides connues.»
Nous avons ici les rois Mykerin, Chephren et Cheops d’Hérodote, et dans les détails que récite Diodore, il se montre purement l’écho de cet auteur; mais il ne nous donne aucun moyen de rétablir la série chronologique rompue depuis Psammitichus: seulement il observe que depuis l’érection de la grande pyramide (de Chembès ou Cheops), jusqu’à l’année où il écrivait, plusieurs savants égyptiens comptaient une durée de 1,000 ans, ce qui correspond à l’année 1056 avant J.-C.; et cependant, dit-il, d’autres prétendent qu’il s’est écoulé 3,400 ans.
Nous pensons que cette seconde opinion doit s’entendre de quelque pyramide bien plus ancienne, et dont l’érection eut un but réellement astronomique, ainsi que la pyramide de Bel, érigée à Babyl-on vers cette époque.
Antérieurement à Chembès, Diodore place le roi Remphis, «lequel n’eut d’autres soins que d’amasser d’immenses trésors. On prétend qu’il entassa jusqu’à 400,000 talents, tant en or qu’en argent (à 3,000 fr. le talent, c’est 1,200,000,000 francs).»
Ce Remphis est évidemment le Rampsinit d’Hérodote. «Après Remphis, pendant 7 générations, régnèrent des rois fainéants, livrés aux voluptés... Il faut cependant en excepter Nileus, qui, selon les annales sacerdotales, fit creuser des canaux, élever des digues, et exécuter une foule d’autres ouvrages tellement utiles à la navigation, qu’alors le fleuve reçut le nom de Nil, au lieu du nom d’Ægyptus qu’il portait auparavant.»
«Le huitième roi fut Chembès....»
(Il nous semble qu’ici Chembès est le huitième depuis Remphis et non depuis Nileus, comme le veulent quelques traducteurs: ce terme 8 est une suite, un complément des 7 générations mentionnées auparavant.
«Or Remphis avait été le successeur et le fils d’un roi que les Égyptiens nomment Ketès, et les grecs Protée, qui fut contemporain de la guerre de Troie» (dont l’époque est fixée par Diodore à l’an 1188 avant notre ère, c’est-à-dire 1138 ans avant lui-même). Diodore est encore ici copiste d’Hérodote. Il semblerait, d’après cela, que peu de règnes avant Protée devrait venir Sésostris; point du tout: Diodore recourant à quelque autre historien, soit Manéthon, soit Hécatée, introduit une série de rois, dont il ne cite que 4 ou 5, avec des détails qui éveillent contre lui nos soupçons.
«Le fils de Sésoosis (il nomme ainsi Sésostris), en lui succédant, prit le nom de son père..... Il devint aveugle, etc. Il eut pour successeurs une immense série de rois qui ne firent rien de remarquable. Enfin, après plusieurs siècles, le pouvoir passa aux mains d’Amasis qui en usa tyranniquement: il fit mourir les uns, confisqua le bien des autres, traita tout le monde avec insolence..... Le peuple supporta l’oppression qu’il ne pouvait empêcher; mais un roi des Éthiopiens, nommé Actisanes, étant venu attaquer Amasis, les Égyptiens saisirent l’occasion de lui montrer leur haine, et se soumirent sans combat à l’étranger. Actisanes usa de la victoire avec douceur et bonté. Il ne voulut pas même que l’on punît de mort les criminels (en justice); et cependant, comme il ne voulut pas les laisser impunis, il fit couper le nez à ceux qui furent légalement convaincus, et il les envoya habiter et coloniser un lieu désert, que pour cette raison l’on a nommé rhinocolure (narines coupées).
«Après la mort d’Actisanes, les Égyptiens, devenus libres, se nommèrent un roi, appelé Mendès par les uns, et Marras par les autres. Ce prince ne s’illustra point par la guerre, mais il fit construire un ouvrage aussi admirable pour l’art que pour la masse: cet ouvrage fut le labyrinthe devenu si célèbre, même parmi les Grecs.
«Après la mort de Mendès, 5 générations s’étant écoulées dans l’anarchie, un homme des basses classes du peuple fut élu roi. Les Égypttiens le nomment Ketès, et les Grecs Protée, qui fut contemporain de la guerre de Troie, etc.» (comme nous l’avons dit plus haut).
Remarquez que Diodore place la guerre de Troie vers l’an 1188. Comment compte-t-il une immense série de rois entre cette guerre et le règne de Sésostris, quand Hérodote, Porphyre, Strabon et plusieurs autres anciens nous indiquent ces deux époques comme assez rapprochées? En examinant son récit, nous pensons découvrir la source de son erreur dans un défaut de jugement et dans la négligence habituelle de cet auteur qui, empruntant ses récits de diverses mains, en a fait de vicieuses combinaisons, et qui, dans le cas présent, ne s’est pas aperçu qu’il employait deux fois des temps et des rois qui sont en partie les mêmes.
En effet, si l’on compare les deux parties de sa liste, qui sont, l’une entre Bocchoris et Psammétik, l’autre entre Amasis et Mendès, on verra que les personnages et les faits sont absolument les mêmes, quoique sous des noms différents. Le tableau ci-après rend cette identité sensible.
| RÉCIT Ier. | RÉCIT IIe. | |
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Amasis(ou Amosis), tyran détesté; ses sujets se livrent de plein gré à Acyisanes, roi des Éthiopiens, lequel gouverne avec douceur: il abolit la peine de mort, et se contente d’envoyer les criminels habiter un lieu désert. Après Actisanes, le peuple égyptien devenu libre, élit un roi appelé Mendès, qui construisit le labyrinthe. Après Mendès, anarchie ou interrègne. |
DIODORE Bocchoris (selon les listes) fut brûlé vif au bout de 6 ans de règne (sans doute pour cause de tyrannie), Par Sabako, roi d’Éthiopie que sa douceur et sa piété distinguent d’ailleurs des rois précédents; il abolit la peine de mort, même pour les criminels, et il la commua en travaux publics de canaux, de chaussées, etc., utiles au pays. Il se retira, sur un avis qu’il reçut en songe. Après Sabako, anarchie de 2 ans. Douze grands se lignent et se font rois: ils construisent ensemble le labyrinthe. Puis la guerre éclate entre eux: Psammitichus reste seul. |
HÉRODOTE Anusis (prononcé Anousis par les Grecs lequel se rapproche beaucoup d’Amasis), après un court règne est détrôné par Sabako, roi d’Éthiopie, qui régna avec douceur pendant 50 ans; il ne fait mourir personne; mais, selon la qualité du crime, il condamnait le coupable à travailler aux canaux et aux chaussées. Il se retira sur un avis qu’il reçut en songe. (Diodore a copié le reste). Après Sabako revient Anusis, puis Séthon, prêtre de Phtha. Puis les Égyptiens devenus libres, et ne pouvant vivre sans roi, en élisent douze, etc. |
Il est sensible dans ce tableau, qu’Actisanes et Sabako sont un seul et même personnage, cité par des auteurs divers, sous deux noms différents. Sabako peut être son nom éthiopien, et l’autre, un nom égyptien ou composé grec: non-seulement ses actions caractéristiques sont les mêmes, les faits antécédents et les subséquents sont encore identiques. «Il règne avec douceur et justice; il «abolit la peine de mort; il se retire volontairement; les Égyptiens restent libres; ils se font un roi ou un gouvernement spontané sous lequel est bâti le labyrinthe, etc.....» Avant l’invasion de l’Éthiopien régnait un tyran. Hérodote ne le dit pas positivement d’Anusis, mais il ne dit rien de contraire; et entre ce nom d’Anousis, et celui d’Amosis ou Amasis, il y a tant d’analogie, que l’on a droit de supposer l’altération d’une lettre par les copistes: il est vrai que Diodore représente Bocchoris comme un sage[279] et un législateur, antérieur de plusieurs temps à Sabako; tandis que les listes font brûler vif Bocchoris, sans doute pour cause de tyrannie; mais, outre que ce nom a pu être commun à plusieurs princes, les dissonances des auteurs sur cette circonstance prouvent seulement leur peu de soin et d’instruction. C’est un reproche dont ne peut se laver le compilateur Diodore; il est clair qu’il a composé son récit de morceaux tirés de divers historiens, l’un évidemment Hérodote, et l’autre Manéthon, comme nous allons le voir, et peut-être Hécatée, ou quelque Grec du temps des Ptolomées; malheureusement pour lui et pour nous, n’ayant pas pris le temps, ou n’ayant pas eu l’art d’analyser et de comparer, il a commis ici les mêmes fautes que dans sa Chronologie des Mèdes et des Assyriens, en doublant des faits et des personnages qui essentiellement sont les mêmes: il faut donc supprimer de sa liste tout ce qu’il dit des successeurs du fils de Sésostris ou Sésoosis, jusqu’à Protée, et alors on voit qu’il reste purement copiste d’Hérodote en cette période.....
Mais où a-t-il pris cette immense série de rois entre Sésostris et l’Amosis ou Anousis de Sabako? Nous trouvons la solution de cette énigme dans la liste qu’Africanus nous présente comme copiée de Manéthon.
En effet, après y avoir supposé que Sésostris fut le 3e prince de la 12e dynastie, cet auteur lui donne pour successeurs, d’abord 50 rois diospolites ou thébains (dynastie 13e), puis un nombre indéfini de rois xoithes (dynastie 14e), plus les 6 rois pasteurs arabes qui envahirent l’Égypte (dynastie 15e), plus les pasteurs grecs au nombre de 32 (dynastie 16e), et encore d’autres rois pasteurs et thébains, au nombre de 43 (dynastie 17e); enfin les 16 rois connus de la dynastie 18e, laquelle précéda le vrai Sésostris, Séthos de Manéthon, etc.
Ainsi voilà bien plus de 157 règnes cités, sans compter les inconnus de la dynastie 14e, et tous ceux qui se placent entre Sésostris-Séthos et Sabako: nous ne pouvons douter que ce ne soit ici la source où a puisé Diodore, et alors il est démontré, 1° qu’il a partagé l’erreur dont nous avons convaincu Africanus par le propre texte de Manéthon en Josèphe, au sujet de l’époque de Sésostris, rejetée par-delà l’an 2600 avant J.-C.; 2° que Manéthon lui-même est atteint et convaincu de cette erreur, puisque Diodore qui a écrit 280 ans avant Africanus, nous retrace le même système que ce prêtre. Nous devons donc regarder Manéthon, non pas comme l’auteur premier, comme l’inventeur prémédité de tout ce système de confusion, mais comme le compilateur malhabile et ignorant qui ayant eu en sa possession des archives de diverses villes, des chroniques de diverses mains, rédigées peut-être en idiomes divers, n’a pas eu le tact d’y reconnaître des faits foncièrement les mêmes, présentés sous des formes un peu différentes. De telles méprises sont grossières, sans doute; mais si l’on considère que les manuscrits anciens furent souvent écrits énigmatiquement, par suite de l’esprit mystérieux et jaloux des prêtres et des gouvernants; que, bornés à très-peu de copies, ils n’étaient soumis à aucun contrôle; que plus tard les copistes les altérèrent habituellement et impunément; que tout travail de collation et de correction devint d’une grande difficulté; qu’à des époques tardives, des compilateurs, tels que Ktésias et Manéthon, se prévalant des notions presque exclusives qu’ils eurent chacun en leur genre, s’en firent un moyen de faveur et de fortune près des princes, on concevra, comment et jusqu’à quel point de tels abus ont été faciles. Maintenant que celui de notre sujet est signalé et reconnu, revenons au point d’où nous sommes partis, au règne de Sésostris, considéré comme moyen de calculer et de mettre en ordre les règnes antérieurs mentionnés par Diodore.
Cet auteur nous a dit (ci-devant, pag. 378) que le roi Moïris, qui creusa le célèbre lac de son nom, avait vécu 7 générations avant Sésostris; c’est-à-dire, selon sa méthode, qu’il y aurait eu cinq règnes entre ces deux princes: s’il était exact en ce récit, Moïris serait le 12e roi de la dynastie 18e, nommé Acherrès; la différence de nom ne serait pas une difficulté, puisqu’il est constant que la plupart des rois eurent plusieurs noms, ou surnoms épithétiques provenants de leurs actions ou de leur caractère; mais parce que Diodore ajoute que 12 générations avant Moïris le roi Uchoreus avait bâti de fond en comble Memphis la neuve, en détournant le Nil, en comblant son lit, etc., nous avons le droit de lui opposer un de ses propres guides, Manéthon, qui, dans le passage très-détaillé que cite Josèphe, et dans toutes les listes de ses copistes, établit toujours la dynastie 18e comme ayant précédé immédiatement le règne de Séthos bien indiqué par Josèphe et par Manéthon, pour être Sésostris, chef de la dynastie 19e..... Or, s’il est prouvé, comme nous le croyons, qu’avant le sixième roi de la dynastie 18e, c’est-à-dire avant Tethmos, les rois de Thèbes ne régnèrent point sur l’ancienne Memphis; que cette capitale et toute la Basse-Égypte furent alors sous la domination des pasteurs, et précédemment sous celle des rois indigènes: s’il est prouvé que c’est Tethmos, qui, le premier des rois de Thèbes, régna sur l’ancienne Memphis, et cela, douze générations avant Sésostris (en style de Diodore); il s’ensuit que Memphis-la-Neuve n’a pu être bâtie que par l’un des successeurs de Tethmos; que par conséquent Uchoreus et Moïris doivent se trouver dans les dix princes qui séparent Tethmos de Sésostris, et que les dix-sept générations entre ce dernier et Uchoreus, rentrent dans la classe de celles dont nous avons vu Diodore être si prodigue dans tout son récit. Nous répéterons donc ce que nous avons dit plus haut, «que Uchoreus a dû être Achoris, 10e roi de la dynastie 18e, et que Moïris doit avoir été Acherrès, et peut-être encore mieux Ramessès, aïeul de Sésostris[280], lequel, par la longueur de son règne, offre le temps nécessaire à de grands ouvrages, tandis que par son rapprochement de Sésostris, il remplit l’indication d’Hérodote sur la contiguïté de ce dernier prince et de Moïris.»
Maintenant si nous partons de cette hypothèse, et que nous disions avec Diodore, que «huit générations avant Uchoreus-Achoris, avait régné à Thèbes un prince nommé par les Thébains Osymandua,» ce roi se trouvera être ou Chebron ou Amenoph I (2e ou 3e rois de la dynastie 18e), lesquels régnèrent à Thèbes, tandis que les pasteurs régnaient dans l’ancienne Memphis.
Cet Osymandua dut être un prince riche, puissant et ami des arts, puisqu’il fit construire à Thèbes un zodiaque de 360 coudées de circonférence sur une coudée de largeur ou hauteur, tout en or massif, et qu’il eut une bibliothèque nombreuse, à laquelle il fit mettre pour inscription: Médecine ou Pharmacie de l’âme. Il fit aussi bâtir un palais dont les ruines viennent d’être splendidement ressuscitées par les savants français de l’expédition d’Égypte. Sur les murs de ce palais «les prêtres thébains, au temps de Ptolomée Lagus[281]; montraient aux voyageurs grecs des sculptures d’un travail exquis, qui, entre autres scènes, représentaient une guerre mémorable que fit (ou soutint) Osymandua contre des étrangers révoltés. Sur un premier mur on voyait ce roi attaquant une muraille baignée par un fleuve, et combattant à la tête de ses troupes, escorté d’un lion terrible qui le défend: les uns disent que ce fut réellement un lion privé que posséda le prince; d’autres soutiennent que ce n’est qu’un emblème par lequel Osymandua, qui fut aussi vaniteux que brave, a voulu figurer son propre caractère. Sur un second mur, on lui présente des prisonniers qui n’ont ni mains ni parties génitales, pour signifier, dit-on, que dans le danger, ces hommes n’ont eu que des cœurs de femmes et des mains faibles et incapables.—Les prêtres disaient encore que l’armée d’Osymandua, dans cette expédition, avait été composée de 400,000 piétons et de 20,000 cavaliers; qu’il l’avait divisée en quatre corps, commandés par ses fils; enfin ils ajoutaient que ces étrangers révoltés furent les Bactriens.»
Si ce dernier mot ne résout pas l’énigme, il va la compliquer beaucoup... En effet, d’après l’autorité d’Hérodote et des prêtres de son temps, il était de foi historique en Égypte, qu’aucun roi du pays ne s’était illustré par des guerres étrangères avant Sésostris, et cependant ici Diodore nous présente un roi qui, dans son système généalogique, aurait précédé Sésostris de 27 générations, et ce roi aurait fait contre un pays aussi lointain que la Bactriane, deux expéditions, deux guerres! Car dès-lors que les Bactriens sont des révoltés, il faut admettre qu’antécédemment il a fallu les attaquer, les soumettre: comment un fait si marquant eût-il été totalement oublié? et à quelle époque, en quel temps avant Sésostris a-t-il pu arriver? Aurait-il précédé l’invasion des pasteurs? cela choque toute vraisemblance. Aurait-il été subséquent? il tombe dans une période connue qui ne saurait l’admettre. D’après ces préliminaires, méditant notre texte, voici ce qui nous a paru être, sinon la vérité, du moins la vraisemblance.
D’abord nous remarquons ces mots: un roi que les habitants de Thèbes nomment Osymandua. Les Thébains ou Hauts-Égyptiens, en beaucoup de choses, et notamment en dialecte, différèrent des Memphites ou Bas-Égyptiens[282]. Ils auront pu donner un nom différent à un roi qui leur aurait été commun, et qui serait foncièrement le même. Voyons si les circonstances citées ne nous le feraient pas reconnaître.
«Osymandua fait la guerre aux Bactriens.»
Sésostris la fit aux Mèdes et aux Perses, qui furent leurs voisins.
«L’armée d’Osymandua est de 400,000 piétons et de 20,000 cavaliers.»
L’armée de Sésostris fut de 600,000.
«Les prisonniers sont présentés à Osymandua, privés de leurs mains et de l’organe viril, pour désigner leur faiblesse, leur incapacité.»
Sur les monuments de Sésostris on voyait l’image sculptée de l’organe viril, pour désigner les peuples qui s’étaient bravement défendus, et celui du sexe féminin, pour désigner ceux qui s’étaient d’abord soumis.
«L’un des traits caractéristiques d’Osymandua fut l’orgueil, la vanité.»
Pline a dit de Sésostris, tanta superbia elatus, roi bouffi de tant d’orgueil.
«Osymandua avait fait faire sa statue dans l’attitude d’un homme assis, et cela d’une seule pierre si grande, que le pied avait sept coudées de longueur. C’était la plus grande de toutes celles d’Égypte..... Les statues de sa mère et de sa fille, aussi d’un seul morceau, mais moins grandes, étaient appuyées contre ses genoux, l’une à droite, l’autre à gauche.»
Sésostris fit placer à Memphis, dans le temple de Phtha, sa statue et celle de sa femme, l’une et l’autre de 30 coudées de hauteur, et d’un seul bloc de pierre; il y joignit celles de ses fils, hautes de 20 coudées.
Sur la statue d’Osymandua était cette inscription:
«Je suis Osymandua, roi des rois: si quelqu’un veut connaître ma puissance et où je repose, qu’il démolisse quelqu’un de mes ouvrages!»
Sur les monuments militaires de Sésostris on lisait:
«Sésostris, roi des rois, seigneur des seigneurs, a subjugué ce pays par la force de ses armes.»
Pourquoi tant d’analogie d’actions et de caractère? N’indiquent-elles pas un seul et même personnage? La différence de nom n’y fait rien: nous avons vu nombre de ces rois anciens en avoir plusieurs: nous savons que Sésostris lui-même en porte cinq, et entre autres celui de Ramessés ou Ramsis, qui diffère de celui-là autant qu’Osymandua? Ce nom de Ramessés, nous devient même la preuve positive que Sésostris régna dans Thèbes, y habita temporairement, et y fit construire de ces grands ouvrages destinés à immortaliser son nom. Écoutons Tacite[283] lorsque, parlant du voyage que Germanicus fit dans la Haute-Égypte, il décrit l’étonnement de ce prince à la vue «des prodigieux monuments de Thèbes, et entre autres, des immenses obélisques, chargés d’inscriptions qui exprimaient son ancienne puissance. Le plus ancien des prêtres, interrogé par Germanicus sur le sens littéral des mots égyptiens, interpréta que, jadis le pays eut 700,000 hommes portant les armes; qu’avec cette armée Rhamsés subjugua la Libye, l’Éthiopie, les Mèdes, les Perses, les Bactriens et les Scythes; qu’il conquit également la Syrie, l’Arménie, la Cappàdoce, la Bithynie et la Lycie jusqu’à la mer[284]. Le prêtre lut ensuite quels tributs (annuels) avaient été imposés aux peuples vaincus, tant en or qu’en argent; le nombre des armes, des chevaux et des offrandes faites aux dieux, en ivoire et en aromates; enfin les quantités de blé et de denrées fournies, qui égalaient tout ce que lèvent les Romains et les Parthes au faîte de leur puissance.»
Voilà trait pour trait le conquérant Sésostris, tel que nous le peignent tous les historiens: ainsi nous avons la certitude que, dans la répartition de ses monuments, il n’oublia pas Thèbes, qui, à raison de son antique suprématie et de la beauté des carrières voisines, dut avoir un attrait particulier pour lui. Dans cette inscription nous avons une mention spéciale des Bactriens cités dans l’histoire d’Osymandua: l’armée de celui-ci n’est que de 400,000 hommes; mais il peut avoir existé ce cas où les Bactriens s’étant révoltés, Sésostris, irrité, aura porté sur eux 400,000 hommes, avec une rapidité qui n’aura exigé que quelques mois de campagne. D’ailleurs, comment imaginer qu’un homme du caractère de Sésostris eût souffert sous ses yeux une statue, la plus finie, la plus grande de toutes celles de l’Égypte, si elle n’eût été la sienne? Nous sommes donc portés à penser que tout ce palais, vu par les voyageurs grecs du temps de Ptolémée Lagus, et restauré en ce moment sous nos yeux par les savants voyageurs français, a été un ouvrage spécial de Sésostris, qui lui a donné cette forme singulière dont ils font la remarque, et que l’on ne trouve dans aucune autre construction. Ce prince régnant à la fois sur Memphis et Thèbes, aura partagé ses faveurs entre ces deux métropoles, et nous avons tout droit d’attribuer à sa magnificence les 100 écuries royales distribuées par relais égaux entre ces deux cités, et fournies chacune de 200 chevaux toujours prêts à partir, et formant ensemble le nombre des 20,000 chevaux de l’expédition d’Osymandua: notez que Memphis n’étant pas encore bâtie, selon Diodore, au temps de ce dernier, il n’a pu établir ces relais, qui eussent été sans objet. Concluons qu’Osymandua n’a dû être qu’un nom épithétique donné à Sésostris par les Thébains, à raison de quelque qualité ou action de ce prince, qui les aura plus frappés. En pareil cas les Arabes l’eussent appelé le père du cercle d’or; et puisque le mot mand, mund et mandala a signifié dans beaucoup de langues anciennes le cercle céleste et zodiacal, peut-être en langage thébain Osymandua a-t-il signifié quelque chose de semblable à roi du monde.
Maintenant, si Diodore a commis, à l’égard de ce prince, une de ces confusions dont il nous a fourni plusieurs exemples, quelle confiance lui accorderons-nous pour les temps qu’il dit avoir précédé, surtout lorsqu’il ne nous dit rien de précis sur le nombre et la durée des règnes remontant d’Osymandua à Busiris II? Tout ce que nous pouvons inférer de son récit, c’est que réellement ce dernier prince ajouta des embellissements considérables à la ville de Thèbes, et cela à une époque reculée, que les anciens n’ont pu fixer. Aujourd’hui que les savants français, dans leur description pittoresque de cette cité, nous fournissent de nouveaux moyens de raisonnement, nous remarquerons, dans la totalité des monuments, une circonstance qui donne quelque lumière..... Cette circonstance est que l’image du taureau ou bœuf Apis ne se montre presque nulle part, tandis que partout on trouve prodiguée celle du belier, emblème du soleil, parcourant le signe de ce nom, sous le nom et la forme de Jupiter Ammon: c’est évidemment en l’honneur de cette constellation qu’a été dressée la ligne étonnante des beliers colossaux de Karnak, laquelle se prolonge sur deux rangs, pendant une demi-lieue. Or, puisque le soleil ne commença de quitter le signe du taureau que dans le 26e siècle avant notre ère, pour entrer en celui du belier; et puisque sa présence en ce dernier signe ne devint bien sensible que vers l’an 2450, ou 2400, n’est-il pas naturel d’en inférer que ce fut seulement à cette époque et après cette date, que fut bâtie cette portion de Thèbes qui porte le nom de Karnak, et qui, par les soins de Busiris et de ses successeurs, atteignit ce degré de magnificence dont la renommée remplit l’ancien monde, et dont les ruines restaurées étonnent notre imagination?... Dans cette hypothèse nous dirons que Thèbes, dès-lors ancienne, dès-lors puissante, prit un nouveau degré d’activité par suite, soit d’accroissement de territoire, soit d’exploitation d’une nouvelle branche de commerce qui aurait procuré plus de richesses et plus de bras. Six siècles se seraient écoulés dans une paix industrieuse, jusqu’à ce que les pasteurs arabes eussent envahi la Basse-Égypte (vers l’an 1800). Le voisinage de ces étrangers aurait occasioné d’abord un régime défensif, puis un système d’agression et d’habitudes militaires, qui, en délivrant l’Égypte de ses oppresseurs, y opéra le double changement très-important de réunir toutes ses parties en une monarchie unique, et de constituer cette monarchie sous des auspices militaires... Les rois de Thèbes, devenus libérateurs et possesseurs de Memphis, dans le 16e siècle, furent obligés de se rapprocher souvent du Delta, où se trouvait la plus grande masse de population et le plus pressant besoin d’administration, à raison des mouvements du fleuve. L’un d’eux bâtit une ville neuve qui devint rivale de l’antique métropole; mais cette dernière, toujours riche de son territoire, de son commerce, de ses carrières, de ses monuments, et de la présence des anciennes familles opulentes, perdit peu de son activité et rien de sa magnificence. Sésostris trouva Thèbes en cette situation à l’époque de 1370 à 1360. Loin d’y rien soustraire, il y ajouta: aussi voyons-nous que cinq siècles après lui, l’Asie occidentale et la Grèce parlaient de Thèbes avec cette admiration dont Homère nous a transmis le témoignage, et avec cette circonstance remarquable, que de ses 100 portes il fait sortir précisément le même nombre de 20,000[285] cavaliers mentionnés dans l’armée d’Osymandua, et dans les 100 écuries royales de Memphis à Thèbes. Après cette époque, il paraît qu’un premier et grave revers fut essuyé par cette métropole, selon le témoignage d’Ammien Marcellin, lorsqu’il nous dit[286]: «que vers le temps où les Carthaginois commencèrent d’étendre au loin leur puissance, une armée conduite par leurs généraux fondit à l’improviste sur Thèbes et la saccagea.»
Selon Josèphe, Carthage fut fondée par Didon, l’an 889 av. J.-C., selon Solin (chap. 30), ce fut l’an 894; mais la plupart des historiens assurent que Didon n’y conduisit qu’un nouveau supplément de colons. Quoi qu’il en soit, nous avons un moyen de préciser le temps indiqué par Ammien Marcellin, et ce moyen nous est fourni par des écrivains juifs, contemporains de l’événement.
Le docte Bochard a démontré que dans les livres juifs le nom de No-amon est celui de la ville appelée Thèbes par les Grecs: or, vers la fin du règne de Jéroboam II sur les dix tribus, c’est-à-dire un peu avant l’an 780, nous trouvons un prophète qui, menaçant Ninive d’une grande catastrophe, lui cite l’exemple récent d’une cité qui l’aurait égalée en splendeur et en puissance.
(Ville superbe) dit Nahum,[287] «es-tu meilleure que No-ammon, assise entre les fleuves (ou canaux), entourée d’eau de tous côtés, qui pour rempart a les eaux des eaux, qui pour ses défenseurs a l’Éthiopien (Kush), et les Égyptiens, et le sans-bornes[288] Phut, et les Lybiens;... et cependant elle a été déportée et emmenée captive.... Ses enfants ont été brisés dans ses places publiques, et ses riches ont été tirés au sort (par le vainqueur), et liés de chaînes de fer.»
Quelques savants critiques ont prétendu voir dans l’expression du texte, les eaux des eaux, une mention expresse de la mer, et par cette raison ils ont prétendu que No-ammon devait se trouver dans la Basse-Égypte; mais dans l’idiome hébreu, la mer n’a pas d’autre nom que les eaux des eaux, c’est-à-dire une grande étendue d’eau: or, cette circonstance avait lieu pour Thèbes pendant les deux mois de l’inondation, qui donnait au pays l’apparence d’une mer... Une seule expression eût pu constater le voisinage réel de la vraie mer, c’eût été de dire l’eau salée.... On peut donc assurer que le prophète a eu en vue Thèbes, demeure du dieu Amon (na amoun), et qu’il a fait allusion à son pillage par les Carthaginois. Or, comme Ninive n’offre aucun indice de secousse et de danger depuis Phul, qui paraît avoir commencé de régner vers 770; comme l’époque de cette secousse ou danger paraît avoir précédé et même préparé le règne de ce prince; et comme le règne de Jéroboam II se trouve finir à l’an 780, nous pensons que le sac de Thèbes eut lieu entre les années 700 à 790, environ 30 ou 40 ans avant la fondation de Rome, et à une époque où réellement Carthage commença de développer sa puissance en Afrique.
Un second revers dut avoir lieu du temps de Sabako, lorsque, vers l’an 750, ce roi éthiopien vint s’emparer de l’Égypte; il est de toute vraisemblance que Thèbes fut encore pillée ou rançonnée: d’après ces atteintes portées à sa sécurité et à sa richesse, cette ville dut décliner de jour en jour; le fanatisme insensé de Kambyses lui porta un dernier coup lorsque ce tyran la fit incendier et saccager pendant plusieurs jours, en 525. Enfin la création d’Alexandrie, en attirant au bord de la mer tout le commerce et toute l’industrie du pays, acheva d’éteindre la vie et la splendeur de cette cité.
Voilà en peu de mots l’histoire du royaume de Thèbes, depuis le XXVe siècle avant notre ère: dans cette période de 2,000 ans vaguement décrite par Diodore, ce compilateur mérite deux nouveaux reproches; l’un d’avoir omis l’invasion et le régne des pasteurs arabes qui eurent une influence si marquée sur le sort et la direction des affaires de toute l’Égypte; l’autre de n’avoir fait aucune mention de la liste des rois thébains, découverte par Ératosthènes[289]. S’il eût lié cette liste à quelque époque connue, nous eussions pu tirer parti de la série des règnes qu’elle présente, quoique le Syncelle qui nous l’a transmise, l’ait beaucoup altérée: tout ce que nous y pouvons voir, c’est que ces rois régnèrent uniquement sur la Haute-Égypte, et non sur Memphis et sur le Delta, mais en quel siècle, c’est ce que rien n’indique, aucun d’eux n’ayant de ressemblance avec ceux des listes. Il est bien vrai qu’entre Menès et Busiris I Diodore compte 1,400 ans répartis sur 52 règnes successifs (27 ans par règne); puis entre Busiris I et Busiris II, 7 règnes complets, c’est-à-dire près de 200 ans: comptons pour le tout, 1,600 ans: d’où les ferons-nous partir? La date de Busiris II n’est pas connue: seulement nous voyons que ce roi n’a pu précéder le XXVe siècle avant notre ère, puisque tous ses monuments sont marqués du signe d’Aries: si nous partons de ce XXVe siècle, les 1,600 ans nous mènent au siècle XLe; mais alors Menés sera postérieur de 600 ans au zodiaque d’Esneh, qui date de 4600: et Diodore lui-même (page 186) dit que les lois des Égyptiens florissaient selon eux depuis 4,700 ans.... Il faut donc convenir que l’antiquité de Thèbes remonte par-delà tout ce qui nous est connu, et que les savants égyptiens avaient de bonnes raisons pour parler de 9,000 ans à Solon, et de 13,000 à Pomponius Mela. Nous autres modernes nous sommes devenus si habiles, que nous avons trouvé le secret de bâillonner la nature et les monuments.
Ici se présente une objection contre l’antiquité du royaume de Thèbes, admise comme plus grande que celle du royaume de Memphis. Pourquoi, dira-t-on, le culte du Taureau se trouve-t-il conservé presque exclusivement en cette dernière ville, quand le culte plus récent du Belier se montre presque exclusivement dans les ruines de Thèbes? Nous trouvons à cette singularité une réponse qui nous semble naturelle. Les Égyptiens de Memphis ayant été subjugués au XIXe siècle avant notre ère, par les pasteurs arabes, le cours des observations astronomiques et du culte religieux fut arrêté; la doctrine et les usages restèrent où ils étaient; et si l’on observe que les Grecs et les Latins parlaient encore du Taureau comme constellation dominante au printemps, quand le Belier était déja très-avancé, l’on sera porté à croire que les Égyptiens de Memphis n’avaient pas encore, au XIXe siècle avant notre ère, changé leurs habitudes à cet égard: les Thébains, au contraire, n’ayant subi aucune interruption, ni de gouvernement civil, ni d’observations astronomiques, ont suivi le cours du ciel, la marche du zodiaque, et lorsqu’ils ont vu le soleil entré d’un degré dans le signe du Belier, ils ont délaissé le Taureau que délaissait l’astre dominateur et régulateur.
En terminant ici nos recherches, nous voulons présenter quelques idées que nous croyons justes, sur le foyer originel d’un système mythologique devenu célèbre dans l’ancien occident. Quelques auteurs, Diodore entre autres, nous parlant des usages singuliers que les Égyptiens, encore au temps de César, pratiquaient pour la sépulture des morts, nous avertissent que l’invention de ces usages, comme de la plupart de ceux de ce peuple, remontait à une antiquité très-reculée. «Aussitôt qu’un homme meurt, nous disent-ils, les préposé à l’ensevelissement se présentent;[290] un marché volontaire se conclut; on leur livre le corps; ils l’emportent, le vident de ses parties molles, le salent, l’embaument, le sèchent, et au bout de 30 jours ils le rendent dans un état de momie si parfait, qu’il semble encore vivre. Il s’agit de le porter au tombeau: on ne le peut sans prévenir les juges et la famille, du jour fixé pour cet acte: le corps doit traverser le lac; une barque est construite; un pilote, nommé Karon en langue égyptienne, la dirige..... Avant d’y poser le corps, la loi permet à tout citoyen de venir porter sa plainte contre le mort. Les juges réunis au nombre de 40, écoutent l’accusation. Si le mort est convaincu d’avoir été vicieux, injuste, ils portent une sentence qui le prive de la sépulture..... Si l’accusateur est dans son tort, il subit lui-même une peine grave. Si le mort est absous, et demeure pur, ses parens quittent leurs habits de deuil, font son éloge..... et il est porté au tombeau avec tous les honneurs, au milieu des félicitations qui lui sont adressées sur l’éternité de bonheur où il entre, etc.»
Nos auteurs conviennent que ce sont ces usages qui, portés en Grèce, y répandirent les idées du Tartare, de l’Élysée et de toute la fable de Karon et de l’Achéron; mais leur récit nous conduit à d’autres notions plus instructives.
1° Nous remarquons que la circonstance de passer un lac, ne convient qu’à très-peu de localités en Égypte, et que primitivement ce fut le fleuve qu’on traversa.
2° Traverser le fleuve ne peut s’appliquer à Memphis la neuve, attendu que tous les tombeaux se trouvent à l’ouest du Nil, où elle-même fut située, et qu’il n’existe aucun cimetière à son est, dans le mont Moqattam, ou dans la plaine contiguë.
3° Traverser le Nil convient mieux à l’ancienne Memphis bâtie à l’est du fleuve; mais la plaine à l’ouest offre trop peu de tombeaux, vu la proportion que dut exiger cette capitale; et de plus, l’usage dut être aboli par les 200 ans de tyrannie des Pasteurs-Arabes: cette localité n’offre donc point le concours de circonstances requis. Pour le trouver, il nous faut remonter à Thèbes. Là, sur la rive orientale du Nil, nous avons une cité antique et immense; sur la rive occidentale nous trouvons d’abord une plaine cultivable, jadis traversée de canaux d’arrosement, qui furent les neuf branches du Styx; puis des bois de palmiers, dont l’ombrage, en ce climat brûlant, procurait le bien-être des Champs Élysées; puis enfin un escarpement de montagne calcaire qui, sur une hauteur de quatre ou cinq cents pieds et plus d’une lieue de longueur, est percé d’une innombrable quantité de trous semblables à des fenêtres de maisons ou à des sabords de vaisseau; chacun de ces trous formant l’ouverture d’un long boyau ou galerie, ramifié dans l’intérieur de la montagne, et rempli jadis d’une si prodigieuse quantité de momies, qu’aujourd’hui, après plusieurs siècles de spoliations, les voyageurs français en portent le nombre à plusieurs millions. Ce furent là les tombeaux des habitants de Thèbes, qui ne pouvaient y arriver qu’en traversant le Nil dans la barque de Karon, et qui, devenus les libérateurs de Memphis et de la Basse-Égypte par l’expulsion des pasteurs Arabes, vers l’an 1550, y introduisirent ces usages, peut-être inconnus: peut-être encore fut-ce à raison de ce voisinage que les Grecs en eurent connaissance, soit par leurs propres navigateurs, soit par les Phéniciens: toujours paraît-il vrai que c’est vers cette époque qu’on aperçoit l’aurore de ces idées dans l’Occident. Il faut savoir gré aux législateurs de la Grèce d’avoir voulu les employer à épurer des mœurs de leurs peuples féroces; mais faute de les avoir mises en action positive, ils manquèrent une partie de leur but, et n’atteignirent que les esprits timorés. Quelle admirable institution que cette coutume égyptienne! quelle haute idée elle donne de leurs moralistes!
L’aspect des momies nous suggère une conjecture sur l’intention de leurs physiciens: quand on examine attentivement ces poupées, on est frappé de leur ressemblance avec la chrysalide qui fait passer le ver rampant à l’état d’être volatile. Nous savons que très-anciennement les prêtres Thébains se livrèrent à l’étude des choses naturelles; qu’ils connurent l’organisation, les mœurs, les caractères spéciaux des plantes, des animaux, ainsi que l’influence exercée par la chaleur solaire sur le mouvement et la vie des êtres terrestres. Alors qu’ils eurent posé en principe que le mouvement vital (animus) venait d’un fluide igné, incorruptible en lui-même et indestructible; que cette portion de fluide igné, lorsqu’elle abandonnait un corps, retournait au grand réservoir d’où elle venait, et pouvait revenir encore, ils n’eurent plus qu’un pas à faire pour établir la métempsycose, l’immortalité de l’animus et la revivification du corps ci-devant animé: or comme d’autre part, dans leur système astronomique ou astrologique, au bout de certaines révolutions ou périodes, il se faisait une restitution ou rétablissement de toutes choses dans l’état antérieur, il devint facile et comme naturel d’en inférer que l’homme si avide de la vie, participerait à cette faveur: de ce moment ce fut un soin de la plus haute importance de conserver dans le meilleur état possible, l’ancienne habitation de l’âme, ce corps qu’elle devait revenir animer: enfin, parce que dans une certaine classe d’êtres, dans celle des vers à papillon, la nature présente un exemple et un procédé vraiment singulier de changement et de métempsycose, l’homme imitateur y crut voir l’avis et le modèle de ce qui lui restait à faire, et il tâcha de se faire chrysalide pour devenir papillon.
C’est encore par une conséquence de ces idées que les anciens Égyptiens attachèrent à la constitution de leurs tombeaux cette haute importance dont parle Diodore. «Ils ne regardent,» dit-il, «les maisons qu’ils habitent que comme des auberges, des lieux de passage, et ils mettent peu d’intérêt à les entretenir; mais leurs tombeaux, qui sont leurs demeures éternelles, ils portent le plus grand soin à les bâtir; ils y emploient une partie de leur vie et de leur fortune, et c’est de cette idée qu’a procédé la magnificence déployée par les rois de Thèbes en ces sortes de monuments.»
Ainsi donc il ne faut plus s’étonner de voir que des tyrans, tels que Cheops et Chephren, aient tourmenté pendant 20 ans toute une nation pour construire à leur squelette l’énorme tombeau des pyramides; et lorsque des esprits bénins objectent que cela ne se peut croire, parce que cela est barbare et absurde, on est obligé de leur répondre que malheureusement dans le cours des choses politiques cela doit se croire par ce motif-là-même. Au reste, tous les monuments gigantesques de Thèbes, en prouvant une population nombreuse et industrieuse, prouvent aussi l’existence d’un gouvernement despotique, soit royal, soit sacerdotal, qui eut en mains les moyens coactifs de soumettre toute une nation à de telles corvées; et cela devient une nouvelle preuve d’antiquité pour la nation même, en ce qu’elle a dû parcourir les diverses périodes d’anarchie et de civilisation qui précèdent cet état avant-coureur de la décadence et de la ruine.
En considérant le fardeau habituel de ces accablantes corvées, nous sommes conduits à cette autre idée, que si jamais il a existé un pays où il fût nécessaire d’accorder au peuple un repos légal, celui de chaque septième jour, ce fut l’Égypte; et puisque notre conjecture est appuyée du témoignage positif d’Hérodote et de la pratique de Moïse, élève des prêtres égyptiens, nous posons en fait que le cycle hebdomadaire est une invention des Thébains, laquelle se lia à tout leur système astrologique et civil.
Résumons-nous, et disons, 1° que ce fut seulement vers le milieu du 16e siècle avant notre ère (1556.), que les habitants de la grande et longue vallée de l’Égypte furent réunis en un seul corps de monarchie et sous un même sceptre;
2° Que ce fut de cette concentration de puissance et de moyens que dérivèrent ensuite, dans un ordre progressif de besoins ou de convenances, les conceptions et opérations gigantesques que l’histoire nous montre dans la Basse-Égypte.
D’abord la création de Memphis la neuve, bâtie sur le lit du Nil, comblé de main d’homme, et recreusé à l’est pour servir de fossé.
Ensuite la construction du lac Mœris, laquelle consista, non pas à creuser un pays entier, comme l’a cru Hérodote, mais à percer un isthme ou langue de terre, pour jeter tout le surplus du Nil dans le bassin concave du Faïoum, ainsi que l’a démontré un savant distingué de l’expédition française en Égypte, (Voyez le mémoire de M. Jomart.)
Puis l’établissement et le perfectionnement de l’immense état militaire dont Sësostris profita pour exécuter ses conquêtes.
Puis la masse prodigieuse de richesses de tous genres, attirées sur les bords du Nil, à titre de dépouilles et tribut de l’Asie occidentale subjuguée. (Diodore évalue à 1,200,000,000 le trésor de Rhamsinit, second successeur de Sésostris.)
Puis le changement matériel opéré sur la contexture du pays, à raison de la quantité de digues que fit élever, et de canaux que fit creuser Sésostris.
Enfin l’érection des deux montagnes-pyramides de Cheops et de Chephren, qui furent l’effort suprême d’un despotisme ignorant et grossier embarrassé, de ses richesses.
3e Avant cette concentration monarchique, nous trouvons l’Égypte divisée en deux royaumes distincts, dont les traces ne se sont jamais entièrement effacées. L’un, le royaume de Thèbes, comprenant la Haute-Égypte ou Said; l’autre, le royaume du Delta, Égypte-Inférieure, ayant pour capitale l’ancienne Memphis, située à l’orient du Nil.
Deux siècles et demi avant cette réunion, c’est-à-dire vers l’an 1800 avant notre ère, une irruption de barbares nomades, telle qu’en a éprouvé la Chine, avait subjugué ce royaume de Memphis, qui à cette époque semblerait avoir été sous-divisé en d’autres états soit tributaires, soit indépendants: tout indique que ces barbares furent des hordes arabes, et spécialement les débris des anciennes tribus Kushites, Aâd Tamoud, auxquelles il faut joindre les Madianites et les Amalékites, que les auteurs musulmans nous signalent comme leurs branches et leur parenté, et que l’on retrouve ensuite fixés aux portes de l’Égypte. Le royaume de Thèbes ayant résisté à cette invasion, il s’ensuivit un état habituel de guerre dont l’effet fut de réunir tous les nationaux sous un même étendard, et d’expulser finalement les étrangers. La formation du peuple juif appartient à cette période.
Avant cette invasion des Arabes, c’est-à-dire avant l’an 1800, une profonde obscurité règne sur l’histoire de Memphis et de la Basse-Égypte, sans doute parce que la longue et violente tyrannie des Arabes fit disparaître les monuments, et aussi parce que la constitution géographique du pays, divisé en îles, est favorable au désordre et à l’anarchie. Le royaume de Thèbes, au contraire, homogène en son territoire, et favorisé de ses granits impérissables, nous a transmis, en ses temples, en ses palais, en ses tombeaux, d’innombrables monuments d’une civilisation dont l’origine remonte à une antiquité indéfinie. Malheureusement les secrets en sont exprimés par des figures hiéroglyphiques que l’on sait rarement expliquer. Leur sens, néanmoins, en quelques tableaux astronomiques, s’est montré assez clair pour en déduire des résultats peu contestables... Ainsi, dans le zodiaque du temple de Dendéra (jadis Tentyr) la disposition des signes et constellations est tellement combinée, que l’on s’accorde à y voir l’état du ciel au moment de la fondation du temple ou de la peinture; et parce que le mouvement annuel de précession que les astres observent relativement au soleil, semble être un cadran séculaire inventé par la Providence pour révéler ses mystères à l’homme studieux, d’habiles astronomes ont regardé comme certain que la position du soleil dans le signe du Bélier, telle que la donne le zodiaque de Dendéra, exprimait l’an 2056 avant notre ère, de même qu’une autre disposition des signes dans le zodiaque du temple d’Esneh (Latopolis) exprime l’an 4600. Sans doute beaucoup de lecteurs verront avec plaisir les preuves de ces assertions détaillées par l’un des témoins des monumens et l’un des maîtres de l’art; à cet effet nous joignons ici un Mémoire de feu M. Nouet, astronome de l’expédition d’Égypte, dont la copie nous est venue d’une main amie. Ce Mémoire suppose la connaissance de celui publié par Dupuis (dans la Revue philosophique, mai 1806), lequel n’est pas l’un des moindres produits de la sagacité et de l’érudition de cet homme, dont le plus grand tort est de n’être pas entendu par les beaux esprits qui le censurent.
RECHERCHES
Sur les antiquités du temple de Dendéra, dans la Haute-Égypte, d’après
la construction du zodiaque au plafond de son péristyle.
PAR M. NOUET.
LE plafond du péristyle du temple de Dendéra est soutenu par vingt-quatre colonnes sur six rangs qui divisent le plafond en sept plates-bandes parallèles à l’axe du temple; la plate-bande du milieu, beaucoup plus large, comprend dans sa longueur des globes ailés qui en occupent toute la largeur; les six autres plates-bandes, dont trois de chaque côté, contiennent chacune deux rangs de figures sculptées en relief et peintes; elles ont environ trois pieds de hauteur[291].
Les constellations du zodiaque se trouvent dans une moitié de chaque plate-bande extrême à droite et à gauche du péristyle: les espaces entre chaque constellation, sont occupés par des personnages dont plusieurs, avec les attributs des divinités, doivent avoir avec les constellations des relations qui ne peuvent être données que par l’auteur de l’Origine des Cultes, lorsqu’il aura sous les yeux le dessin exact et plus en grand de ce péristyle, que la Commission des sciences et arts d’Égypte doit mettre au jour.
La plate-bande extrême à gauche, en entrant sous le péristyle, comprend dans sa demi-largeur, qui se trouve du côté du milieu de ce péristyle, les constellations ascendantes dans l’ordre suivant, à partir du mur du temple: le Verseau, les Poissons, le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer. La seconde partie de cette plate-bande est occupée par dix-huit bateaux conduits par des figures emblématiques qui représentent les dix-huit décans, et doivent avoir des relations directes avec chaque constellation. Ce sont ces bateaux qui ont servi de comparaison aux dessinateurs pour placer fidèlement chaque constellation au lieu correspondant sur le plafond.
La dernière plate-bande à droite en entrant sous le péristyle, comprend dans sa demi-largeur, du côté du milieu de ce péristyle, les six constellations descendantes dans l’ordre suivant, à partir du côté de la cour au mur du temple: le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne. L’autre demi-plate-bande renferme dix-huit bateaux qui représentent dix-huit décans.
J’ai remarqué une disposition particulière dans la manière de distribuer les constellations ascendantes et descendantes: le Lion, première constellation descendante, se trouve plus avancé qu’il ne devrait être s’il occupait le milieu de l’espace d’un signe; le Capricorne, dernière constellation descendante, se trouve contiguë au mur du temple; l’espace qui devrait être entre cette constellation et le temple se trouve transposé dans la plate-bande des constellations ascendantes; où le Verseau est trop distant du mur du temple. L’espace de la constellation du Cancer est plus petit que celui de l’espace d’un signe. La constellation du Cancer est transposée à l’extrémité de la plate-bande et dans le milieu de sa largeur. Un buste d’Isis, placé au-dessus d’un portique, se trouve occuper la place du Cancer; au bas de ce portique s’élève une fleur de lotus, du milieu de laquelle sort un serpent. Un soleil placé au solstice, sur le prolongement de la ligne des bateaux, envoie un faisceau de rayons divergens sur le buste d’Isis: emblème du lever héliaque de Sirius, gardien d’Isis, et placé à la porte du jour.
Ce langage astronomique indique clairement que le soleil, parvenu au solstice, fait, par la force de ses rayons, disparaître Sirius à son lever héliaque; la fleur de lotus annonce le débordement du Nil qui arrive toujours au solstice.
Dans une chambre supérieure du temple on trouve sculpté au plafond un petit planisphère tracé sur le plan de l’écliptique; les douze constellations y forment une ligne circulaire rentrante, de manière que la dernière constellation se trouve, après sa révolution, passer en partie au-dessus de la première. Ce zodiaque commence par le Lion; chaque constellation semble aller dans le même sens, et, la constellation du Cancer empiète au-dessus du Lion, par l’effet de la courbe en portion de spirale.
Cette disposition, d’après les données du zodiaque du péristyle, indique le mouvement d’une période qui a commencé au Lion, et qui doit se terminer dans le Cancer.
On peut conclure de cet exposé et du déplacement sensible et assez reconnaissable aux extrémités des constellations ascendantes et descendantes du zodiaque du péristyle, l’époque approchée de la construction de ce zodiaque. J’exposerai les résultats des calculs qui conduisent à cette époque, après avoir donné les éclaircissements suivants.
Les Égyptiens avaient leur année civile de 365 jours, sans aucune intercalation, en sorte que le lever héliaque de Sirius qui répondait à une époque donnée de leur calendrier, ne pouvait revenir à la même époque qu’après une période de 1461 de leurs années civiles (ces 1461 années égyptiennes répondaient à 1460 années cyniques ou sothiaques. C’est la grande année caniculaire, ainsi nommée, parce qu’elle commence au lever héliaque de Sirius ou du grand Chien, gardien des portes du jour et de la nuit.
De Lalande nous dit, en son Astronomie, que l’an 138 de l’ère vulgaire correspondait à la fin d’une période sothiaque, qui, d’après cette donnée, a dû commencer 3122 ans avant l’an 1800 de notre ère (1322 av. J.-C.), et la précédente, 4582 ans avant l’an 1800 (2782 av. J.-C.). Pour trouver les différences entre le solstice et le lever héliaque de Sirius pour le commencement de chacune de ces périodes, j’ai fait les calculs suivants pour la latitude du temple de Dendéra, 26° 9´.
On a pour la période qui a commencé l’an 1322 avant J.-C., les données suivantes:
| Ascension droite de Syrius | 57° | 44´ | 53´´ |
| Déclinaison australe | 18 | 34 | 18 |
| Obliquité de l’écliptique | 23 | 52 | 24 |
On trouve pour longitude du soleil, le jour du lever héliaque de Sirius, 90° 28´ 0´´: c’est-à-dire que le lever héliaque de Sirius a eu lieu 10 jours après le solstice.
En remontant à la période précédente qui a commencé l’an 2782 avant J.-C., on a pour la coïncidence du lever héliaque de Sirius avec le solstice, les données suivantes:
| Ascension droite | 48° | 15´ | 40´´ |
| Déclinaison australe | 23 | 2 | 20 |
| Obliquité de l’écliptique | 24 | 1 | 50 |
Les résultats des calculs donnent pour longitude du soleil, 90° 0′ 0″: c’est-à-dire que le lever héliaque de Syrius se fit au solstice, l’an 2782 av. J.-C., à’ l’époque de la grande année caniculaire des Égyptiens.
Ces résultats qui établissent la correspondance entre le solstice et le lever héliaque de Sirius, supposent une dépression du soleil de 12° 9′ sous l’horizon, pour faire disparaître Sirius à son lever; cette supposition est d’autant plus admissible, que le tour de l’horizon en Égypte est tellement chargé de vapeurs, que dans les belles nuits, si communes en ce pays fait pour l’astronomie, on ne voit jamais d’étoiles à quelques degrés au-dessus de l’horizon dans les secondes et troisièmes grandeurs; le soleil même à son lever et à son coucher se trouve entièrement déformé.
Les Égyptiens, peuple religieux et reconnaissant envers les dieux, des faveurs de leur fleuve, ont, sur ses bords, élevé des temples couverts intérieurement de tableaux, d’offrandes à Osiris et à Isis, pour obtenir l’ouverture des riches réservoirs des eaux qui à des époques fixes viennent fertiliser leurs terres.
Or c’est l’époque célèbre de la période sothiaque dont le commencement a concouru avec le solstice que les Égyptiens ont consacré dans leur zodiaque du temple de Dendéra, pour la date de l’inondation du Nil qui arrive au solstice.
D’après la longitude de γ du Belier en 1800 et le mouvement rétrograde des points solsticiaux, on trouve que, l’an 1322 avant J.-C., commencement de la dernière période, le solstice a eu lieu dans 13° 23′ de la constellation du Cancer, et l’an 2782 avant J.-C.; le solstice a eu lieu dans 3° 48′ de la constellation du Lion; le mouvement du solstice a été d’une période à l’autre, de 20° 23′, dont la moitié 10° 11′, étant ajoutée à 13° 23′ du Cancer, où finit la première période, on aura le milieu de la période précédente représenté par le zodiaque de Dendéra; le Cancer transposé et mis en évidence au delà des constellations ascendantes indique que cette période doit s’écouler dans cette constellation. Le buste d’Isis mis en place de la constellation du Cancer à 12° du soleil, représente Sirius lorsqu’à son lever il disparaît dans les rayons de cet astre. Ce zodiaque a donc été construit pour représenter le milieu de cette période (état du ciel lors de sa construction), quand le solstice arrivait vers 24° du Cancer, c’est-à-dire 3852 ans avant l’an 1800 de notre ère (2052 avant J.-C.)
On peut déterminer, d’une manière conforme à celle qui vient d’être exposée, l’époque du zodiaque du temple de Dendéra, en faisant usage d’un symbole hiéroglyphique de ce zodiaque, dont nous connaissons la signification.
Entre la constellation de la Balance et du Scorpion, nous trouvons dans ce zodiaque une figure assise qui a une tête de chien; cette figure est incontestablement celle du Cynocéphale des Égyptiens. Mais le Cynocéphale assis signifie les équinoxes, selon les Égyptiens, ainsi que nous l’apprend Horapollo (Hiéroglyph., liv. I, ch. 16, pag. 31 et 32 de l’édition de Paw). Donc dans le zodiaque de Dendéra l’équinoxe d’automne (c’est celui qu’il faut prendre ici, de l’aveu de ceux qui ont écrit sur ce zodiaque) est placé entre la Balance et le Scorpion: le Cynocéphale étant assez éloigné de la constellation de la Balance, et assez rapproché de la constellation du Scorpion, il faut, pour fixer les idées, prendre pour le point équinoxial la longitude d’une étoile zodiacale qui soit assez éloignée des étoiles principales de la Balance, et assez rapprochée des étoiles du front du Scorpion: cette étoile est celle de χ de la Balance, de quatrième grandeur, qui, dans le Catalogue de Mayer pour 1756, avait en longitude 7s 24° 21′ 12″ (Connaissance des temps, 1788). L’excès de sa longitude sur 6s est de 1s 24° 21′ 12″, ou 195672″. Par la précession annuelle des équinoxes de 50″ 1, admise assez généralement par les astronomes, on trouve que cette étoile était à l’équinoxe d’automne 3905 ans avant le commencement de 1756 de notre ère (2149 avant J.-C.) En fixant le point équinoxial à une bien petite distance de la longitude de cette étoile, on trouve facilement les 2052 ans avant J.-C., ou les 3852 ans avant 1800 établis précédemment.
Il s’agit maintenant de répondre à une difficulté qui se présente: c’est qu’en plaçant le point équinoxial d’automne aux environs de l’étoile κ de la Balance, il arrive que la constellation du Lion se trouve en grande partie dans celle du Cancer avant le point solsticial d’été, tandis que dans le zodiaque de Dendérah, partagé en deux par les solstices, le Lion est placé tout entier dans le commencement des constellations descendantes.
Cette difficulté disparaît si on remonte aux plus anciens zodiaques des Grecs qu’on sait devoir leurs connaissances astronomiques aux Égyptiens. Ptolémée, au commencement de son Catalogue d’étoiles, dit qu’il a fait des changements aux constellations qui avaient été en usage avant lui. Il faut donc recourir à des zodiaques plus anciens: nous en trouvons un qui l’est incontestablement, c’est celui de l’Atlas de Farnèse (ainsi appelé de son possesseur), dont Passeri a donné la figure et l’explication dans le troisième volume de ses Gemmœ astriferœ, et dont Bentley a inséré la figure dans son Manilius. Le zodiaque de cet Atlas appartient à des temps antérieurs à Ptolémée, puisque le colure des équinoxes du printemps passe par la corne précédente du Bélier. Dans ce zodiaque le Lion n’est point figuré la tête avancée sur le Cancer, comme dans le zodiaque moderne; au contraire, elle est retirée très en arrière de ses pattes de devant; de sorte qu’une ligne droite, menée de l’extrémité d’une des serres du Cancer à l’autre, passe par les pattes antérieures du Lion et que la tête du Lion suit d’assez loin cette ligne.
Il résulte de là que les étoiles qui forment la tête du Lion dans le zodiaque de Ptolémée suivi par les modernes, appartiennent au Cancer dans cet ancien zodiaque de l’Atlas de Farnèse, et que la tête du Lion de cet ancien zodiaque est toute entière dans cette partie du Lion que nous appelons sa crinière.
Dans la position que le zodiaque de Dendéra donne à l’équinoxe d’automne, le colure du solstice passe par les étoiles les moins avancées en longitude de la crinière du Lion. C’est tout ce qu’il faut ici pour faire voir que le colure du solstice ne coupe pas le Lion dans le zodiaque de Dendéra, et laisse le Lion tout entier dans les constellations descendantes.
De même, dans la position que le zodiaque de Dendéra assigne à l’équinoxe d’automne, la constellation du Capricorne se trouve toute entière dans les constellations descendantes. On pourrait dire qu’une partie du Verseau, son bras précédent, se trouve dans les constellations descendantes, tandis que la figure entière du Verseau est dans les constellations ascendantes du zodiaque de Dendéra; mais on peut répondre ici que dans l’ancien Atlas de Farnèse, le bras du Verseau n’est point avancé par-dessus le Capricorne, et qu’il est ramené vers la poitrine même du Verseau.
Les Égyptiens, avant cette époque, connaissaient le mouvement rétrograde des solstices, comme on peut s’en convaincre en consultant le zodiaque du temple d’Esneh (latitude 25° 18). Ce zodiaque est placé aux deux extrémités du plafond du péristyle, comme celui de Dendéra. Les constellations ascendantes sont à gauche en entrant, et les constellations descendantes sont à droite. Ces constellations paraissent espacées également dans leurs plates-bandes respectives et se correspondre exactement. Les constellations ascendantes sont, à partir du mur du temple, les Poissons, le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion; les constellations descendantes sont, à partir de l’entrée du péristyle au mur du temple, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, Le Capricorne, le Verseau.
D’après cette disposition, le solstice se trouve exactement entre les constellations du Lion et de la Vierge. Le mouvement rétrograde des solstices depuis cette époque jusqu’en 1800 de notre ère, correspond à 6400 ans (4600 avant J.-C.), époque de la construction de ce temple, qui se trouve entièrement sous la ville, par l’amas successif des débris des maisons qui se sont succédées pendant une longue suite de siècles; il ne reste plus qu’une ouverture en avant du péristyle par laquelle on descend les décombres des environs; et dans quelques siècles on perdra le souvenir de l’existence d’un temple entièrement conservé, enseveli sous terre.
Au reste, avant nous, et avant nos raisonnements actuels, Edouard Bernard avait déjà découvert et prononcé d’après d’anciens monuments, que les prêtres égyptiens faisaient, comme nous, le mouvement de précession de 50″ 9‴ ¾ par an[292]; par conséquent qu’ils le connaissaient avec autant de précision que nous prétendons le faire aujourd’hui. Il serait singulier que nous prissions notre ignorance de leurs mystères pour un argument de la leur.
NOUET.
D’après ces principes, qui sont ceux de tous les astronomes, nous voyons que la précession annuelle étant de 50″ et d’une fraction d’environ ¼ ou ⅓, il en résulte qu’un degré entier est déplacé en 71 ans 8 ou 9 mois, et un signe entier en 2152 ou 53 ans.
Or si, comme il est de fait en astronomie, le point équinoxial du printemps se trouvait au premier degré du Bélier en l’an 388 avant J.-C.[293], il en résulte qu’il était au premier degré du Taureau environ 2152 ans auparavant, c’est-à-dire vers l’an 2540 avant J.-C.; et ainsi remontant de signe en signe, le premier degré du Bélier se trouva être le point équinoxial d’automne, environ 12,921 ans avant l’an 388, c’est-à-dire 13,300 ans avant notre ère: ne serait-ce pas ce qu’a voulu dire Pomponius Mela, lorsqu’il rapporte que, selon les Égyptiens, l’origine du monde (c’est-à-dire du grand cercle céleste), remonte à 13,000 ans? notre surplus de 300 ans ne serait pas une difficulté, parce que Pomponius a pu citer un calcul savant fait vers le temps de Ptolémée ou d’Alexandre[294].
Il est d’ailleurs digne de remarque que jamais les Égyptiens n’ont admis ou reconnu dans leur chronologie le déluge des Chaldéens dans le sens où nous le prenons; et cela, sans doute, parce que chez les Chaldéens eux-mêmes il n’était qu’une manière allégorique d’exprimer la présence du Verseau au point solsticial d’hiver, laquelle présence eut réellement lieu à l’époque où le point équinoxial du printemps se trouvait dans le Taureau, ce qui nous reporte vers le 31 ou 32e siècle avant notre ère, c’est-à-dire précisément aux dates établies par les Indiens et par les Juifs copistes des Chaldéens. Une belle carrière est ouverte en ce genre de recherches, aux savants qui y porteront le désir impartial de la vérité uni aux connaissances scientifiques de l’astronomie. Sans ces deux conditions il n’est plus possible de pénétrer dans l’antiquité. Notre tâche est finie...
Époques et dates principales de la chronologie d’Égypte, éclaircies et appuyées par des dates parallèles, étrangères.
1° Règnes des Dieux, c’est-à-dire des astres et des constellations personnifiés par suite de l’emploi des figures hiéroglyphiques qui servirent à exprimer leurs attributs, leurs influences, leurs rapports avec les êtres terrestres. | |
Leurs prétendus âges ne sont que des périodes vraies ou fictives, simples ou composées. | |
2° Première époque historique où l’Égypte fut habitée par des peuplades diverses à la manière des sauvages. Durée indéfinie. Le Delta put alors être dans l’état de golfe dont parle Hérodote. | |
3° Deuxième époque, où commencèrent de se former de petits états ou royaumes dont il put y avoir 30, 40 ou davantage. L’astronomie fit des progrès par l’établissement des colléges de prêtres: l’invention du zodiaque a pu avoir lieu dans cette époque, conformément à l’indication de Pomponius Mela | 13,300 ans av. J.-C. |
4° Troisième époque, où les petits états furent peu à peu fondus en trois grands; savoir, la Haute-Égypte ou Thébaïde, la Basse-Égypte ou Delta, et l’Égypte moyenne ou Heptanomis. | |
A cette époque appartiennent le temple d’Esneh, dont le zodiaque date de l’an 4600 avant notre ère, ci | 4600 ans. avant J.-C. |
et l’établissement du culte du Taureau ou Bœuf Apis, symbole du Taureau céleste, où le soleil commença de marquer l’équinoxe du printemps. | |
Le zodiaque Indien se rapporte aussi aux dates de 4700 à | 4600 |
Observation de l’étoile Aldébaram, par Hermès, citée à la date de | 3362 |
En Chaldée, fondation de la pyramide de Bélus | 3191 |
Déluge, selon le texte grec | 3195 |
Époque indienne de l’âge actuel | 3101 |
État du ciel, indiqué dans le livre perse intitulé Ioub, vers l’an.......(Voyez Bailly.) | 3000 |
Départ d’un cycle sothiaque, et du cycle callipique de 76 ans, à la date de | 2782 |
Fondation du temple d’Hercule à Tyr. | 27 |
Calendrier de Hoang-ti, en Chine | 2686 |
Monuments de Mithra, et travaux d’Hercule selon les Grecs............(Voyez Dupuis.) | 2550 |
Entrée du soleil au Belier | 2428 |
Commencement du culte, du Belier......... | |
Fondation du temple d’Ammon dans l’Oasis; construction des monuments de Karnak et de l’avenue des Beliers, vers | 2400 à 2300 |
Déluge selon Varron et Censorin | 2376 |
Déluge selon le texte hébreu, calcul de Petau | 2329 |
Le cycle chinois prend son départ à l’an | 2277 |
Le calendrier d’Hésiode y correspond. | |
Observation chaldéennes de Kallisthènes | 2234 |
Observations des Pléiades en Égypte, citée par Ptolomée | 2200 |
Observation des colures, citée dans le Sourya Sidhanta | 2068 |
Date du zodiaque de Dendéra | 2056 |
Invasion du royaume de Memphis par les pasteurs arabes, présumés être les tribus de Tamoud Aâd, Madian, Amalek, etc....... vers | 1810 |
Par suite de cet événement l’on présume à cette époque plusieurs migrations et colonies des Égyptiens en Grèce, en Étrurie, en Asie. | |
Fondation d’Héliopolis par les pasteurs arabes | 1800 |
Expulsion des Arabes par Tethmos... vers | 1556 |
Réunion de toute l’Égypte en une seule monarchie. | |
Fondation de Memphis la neuve, vers l’an | 1500 |
Lac de Mœris, vers l’an | 1430 |
Construction des villes de Heroopolis ou Phitom et de Ramessés par les Juifs, vers | 1420 |
Les Égyptiens, sous le roi Amenoph, chassent d’Égypte les Juifs et une quantité de menu peuple que Moïse organise en corps de nation et partage en 12 tribus, selon les 12 signes célestes | 1410 |
Règne et conquêtes de Sésostris entre les années | 1350 et 1390 |
Rhampsinit le Riche, indiqué par Pline sous le nom de Rhamsès, comme auteur du grand obélisque d’Héliopolis, et contemporain de Troie, a dû régner vers | 1080 |
parce que son successeur Chéops a élevé la grande pyramide vers | 1050 |
Sesach, roi d’Égypte, rançonne Jérusalem en | 974 |
(Il est possible que ce roi soit l’Asuchis d’Hérodote). | |
Des rois obscurs, tels qu’ils sont mentionnés par les listes, se succèdent plus ou moins régulièrement, et affaiblissent l’Égypte par leur mauvaise administration. | |
Les Carthaginois, profitant de cet état de choses, dirigent sur l’opulente ville de Thèbes une armée qui la prend par surprise, la saccage, et emporte un immense butin, vers l’an | 790 |
Bouchoris, dit le Sage, arrive au trône, et s’efforce de rétablir l’ordre par des lois qui l’ont fait placer au rang des législateurs du pays ...... vers | 781 |
Un aveugle de la ville d’Anysis, appelé par Diodore, Amasis, ou Amosis, règne tyranniquement pendant 6 ans ... vers | 755 |
Seva le Kusithe ou l’Éthiopien, dit aussi Sevechus, Sabakos et Actisanes, envahit l’Égypte et règne avec justice et sagesse environ 25 ans depuis | 750 |
Séthon, prêtre de Vulcain, gouverne l’Égypte, tombée dans l’anarchie, à l’époque où Sennachérib vient en Palestine, vers | 722 |
(Pour la suite, voyez le tableau d’Hérodote, à la fin de ce volume.)
Note sur le système des générations.
DANS[295] sa Chronologie (tome VII), chapitre des Héraclides, page 474, M. Larcher nous dit:
«La règle des générations n’est pas la même chez les Lacédémoniens que chez les autres nations. Ce peuple, comme je l’ai observé dans le chapitre XIV de la prise de Troie, avait défendu de se marier avant l’âge de 36 ans ou même 37... Les générations étaient donc de 37 ans à Lacédémone, tandis qu’elles n’étaient que de 33 ans dans le reste de la Grèce.»
On croirait, d’après ce texte, que réellement Larcher a prouvé ce fait étrange, qu’un peuple entier ne se mariait qu’à 36 ou 37 ans: nous avions lu une première fois le ch. XIV, sans apercevoir cette démonstration; nous l’avons relu une seconde fois avec une scrupuleuse attention, et voici les seuls raisonnements que nous y trouvons (pag. 398 et suiv.): «C’était une maxime universellement reçue dans les premiers temps de la Grèce, qu’on ne se mariait qu’à 33 ans, et ensuite à 30.»
(Nous nions à L*** cette prétendue maxime, ou plutôt ce fait bizarre, incroyable: qu’il nous le prouve d’abord et par des témoignages et par des exemples.)
«De là les générations étaient évaluées à 33 ans et quelque chose, et dans la suite elles le furent a 30 ans.»
Nous disons qu’elles furent évaluées systématiquement par les Égyptiens, puis par les Grecs, pour avoir un moyen quelconque d’estimer des temps incertains. Mais nous nions qu’elles fussent civilement évaluées par les peuples, même dans les temps dont il s’agit.
«Les Lacédémoniens faisaient une exception à la règle générale: Lycurgue, dont toutes les institutions tendaient à former des soldats vigoureux,—voulant empêcher ses concitoyens de prendre femme quand ils le jugeraient à propos, ordonna qu’ils ne se marieraient que lorsque le corps aurait acquis toute sa vigueur, regardant ce réglement comme très-utile pour se procurer des enfants robustes.» (Xénophon, de Republicâ Lacedæm., cap. I § VI.)
Raisonnons sur ce passage de Xénophon:—Si Lycurgue fit une telle loi, ce ne put être que parce que l’on avait senti l’abus de se marier trop jeune: l’abus existait, il le réprima; et cet abus devait d’autant mieux exister dans toute l’ancienne Grèce, qu’on le trouve chez tous les peuples anciens et modernes, en raison de ce que leurs mœurs domestiques sont plus simples, sont moins contraintes par des réglements de police et de civilisation. Larcher a senti cette objection, car il reprend (page 400):
«On peut m’objecter que ce réglement n’étant pas antérieur à Lycurgue, les générations qui ont précédé ce législateur ne doivent être évaluées qu’à 33 ans, comme dans le reste de la Grèce... Cette objection aurait quelque force, si l’on pouvait prouver qu’avant la législation de Lycurgue les usages reçus à Sparte fussent absolument contraires à ceux adoptés par ce législateur... Si tel eût été le cas, comment se persuader qu’il eût réussi à réformer l’État.... On connaît l’attachement des peuples à leurs usages... Il eût certainement révolté toutes les classes de citoyens... Il y avait sans doute alors à Lacédémone des coutumes que l’on suivait ou que l’on négligeait impunément, parce que la loi n’avait point prononcé: Lycurgue choisit parmi ces usages ceux qui lui parurent les plus raisonnables.... Il est donc vraisemblable que Lycurgue trouva établie avant lui la coutume de ne se marier qu’à 36 ans.»
N’est-ce pas là une logique vraiment curieuse? Larcher a d’abord posé en fait que «c’était une maxime des anciens Grecs de ne se marier qu’à 33 ans, et même à 37...» Il dit avoir prouvé ce fait relativement aux Lacédémoniens, dans son chapitre XIV. Ses preuves consistent dans une loi de Lycurgue qui défend de se marier avant que le corps ait atteint toute sa vigueur: il s’aperçoit que cette défense indique comme existant, l’abus de se marier trop jeune. Pour esquiver la conséquence, il a recours à des suppositions, à des vraisemblances; Lycurgue n’eût ôsé faire cette loi, si l’usage n’eût déjà existé: le peuple se fût certainement révolté... C’est-à-dire que, selon Larcher, toutes les lois de Lycurgue existaient déjà avant d’être mises en vigueur par ce prince; car le raisonnement de notre logicien peut s’appliquer à toutes. On peut dire de chacune: le peuple se fût révolté... il est attaché à ses usages... il y avait sans doute une coutume..... il est vraisemblable que Lycurgue... etc.; certainement, sans doute, vraisemblable; telle est la gradation de Larcher. «Il faudrait prouver, dit-il, qu’avant Lycurgue, les usages de Sparte fussent contraires à ses lois.»—Mais c’est à vous, Monsieur, de prouver qu’ils furent les mêmes; et vous avez d’abord contre vous le cri de toute l’antiquité, qui atteste que la législation de Lycurgue fut un phénomène d’innovation contre les usages reçus; un système spéculatif et philosophique qui heurta tellement les esprits que le peuple de Sparte s’ameuta; que dans cette émeute Lycurgue perdit un œil[296]; et que pour arriver à son but, cet homme sévère et opiniâtre fut obligé d’user de supercherie en faisant espérer qu’il modifierait ses lois après un voyage entrepris pour consulter les oracles, et en faisant promettre au peuple, par serment, de les exécuter provisoirement jusqu’à son retour, qui n’eut point lieu, puisqu’il préféra de mourir...
Vous avez ensuite contre vous cet axiome, «que toute loi prohibitive prouve par son fait l’existence de l’acte qu’elle change ou supprime...»—Lycurgue voulut empêcher que l’on prit femme à volonté.—Donc l’on en usait ainsi.—Il ordonna de ne se marier (expression impropre); il défendit de se marier avant d’avoir acquis toute la vigueur;—donc l’on se mariait ainsi; donc l’usage dominant était de marier les enfants trop jeunes; et cet usage devait exister, parce qu’il avait pour cause deux puissants motifs, l’un physique, l’autre politique, que nous retrouvons dans tous les temps et dans tous les pays.
Le premier de ces motifs est la passion naturelle commune à tous les parents de marier leurs enfants de bonne heure, afin de se voir revivre dans leur postérité.
De nos jours nous voyons encore cette passion avec ses effets subsister dans cette même Grèce dont on nous parle, dans l’ancienne Asie mineure, dans la Syrie, l’Égypte, la Perse, dans tout l’Orient. Tous les voyageurs modernes qui ont parcouru la Turkie, l’Inde, la Chine, attestent que dans ces pays les mariages sont généralement précoces; d’abord par le développement précoce de la puberté dans l’un et l’autre sexe; ensuite, et plus spécialement, par le désir qu’ont les parents de marier leurs enfants qui, sans cela et de leur propre volonté, ne pourraient contracter l’acte civil appelé mariage. L’abus est porté au point qu’il n’est pas rare de voir des enfants de 12 ans qui cohabitent avant 15; et cet abus existe chez les Grecs de Morée comme chez ceux de l’Asie mineure; en général les filles y sont mariées avant 15 et 18 ans, et les hommes avant 20. Direz-vous que c’est un effet de la religion chrétienne afin de prévenir le libertinage? Pourquoi cet effet a-t-il également lieu dans la religion musulmane, dans celle de Brahma, et dans celle de Foë? Les anciens païens, adorateurs du libertin Jupiter, étaient donc plus continens, et plus chastes? Direz-vous que c’est un effet du climat? Pourquoi, dans toute l’Amérique septentrionale, même au Canada, les mariages se font-ils généralement avant 20 ans pour les femmes, et avant 24 pour les hommes; et cela chez un peuple de sang anglais, écossais, allemand? Pourquoi, dans notre Europe même, les mariages se font-ils généralement à ce même âge dans certaines classes du peuple, telles que les gens de la campagne et les ouvriers de tout genre, tandis qu’ils sont généralement plus tardifs dans d’autres classés, et spécialement dans les classes bourgeoises vivant de leurs rentes? Pourquoi sont-ils généralement plus tardifs dans les villes que dans les campagnes, dans les capitales que dans les provinces? La vraie raison se fait sentir par ces contrastes. On se marie plus tôt partout où l’on peut élever des enfants sans trop de gêne, partout où la subsistance est facile, abondante. Dans de tels pays et dans un tel ordre social, on obéit de bonne heure aux penchants de la nature, au plus impérieux de ses désirs. On se marie plus tard là où la subsistance est difficile, où les enfants deviennent un fardeau dès le bas âge, où l’on ne sait comment les placer quand ils sont grands... Et parce que chez certains peuples et dans certaines organisations politiques, il y a plus ou moins de facilité à éluder le fardeau du mariage sans se priver de ses douceurs; parce que dans les villes, et surtout dans les grandes villes, cette facilité existe, surtout pour les classes riches ou aisées; les mariages y sont soumis à des calculs de convenances de société et de luxe, qui intervertissent ou modifient l’ordre naturel... En sorte que le régulateur le plus général des mariages est, d’une part, la simplicité, la grossièreté même des besoins et des mœurs (et de là les mariages plus faciles et plus précoces dans les classes pauvres); d’autre part, le luxe, c’est-à-dire l’extension des besoins factices et conventionnels (et de là les mariages plus onéreux, plus difficiles, plus tardifs et moins féconds dans les classes d’une aisance précaire et moyenne). Ici j’ai le bonheur d’être d’accord avec Montesquieu.
Le second motif qui dut rendre les mariages précoces et faciles chez les anciens Grecs, fut le besoin politique qu’éprouvaient les familles d’avoir beaucoup de bras pour leurs travaux agricoles, et surtout pour leur défense et pour leur sûreté. Ces peuples, comme l’on sait, composant chacun une société de 50 à 60,000; tout au plus de 100,000 citoyens, resserrés au nombre de 15 ou 20 sociétés, dans un espace borné de mers et de montagnes, vivaient entre eux dans un état habituel de jalousie et de guerre, et par cela même faisaient une grande consommation d’hommes. La chose publique, la société avait besoin de défenseurs, avait intérêt que l’on se mariât: aussi voit-on que le célibat y était décrié dans l’opinion, qu’il fut même puni par les lois quand il y eut des lois; mais de plus, avant ces lois, dans l’état de liberté ou d’anarchie qui fut celui dont nous traitons, aucune police intérieure ne réprimant les délits, la sûreté de chaque famille dépendait de ses propres moyens, de ses seules forces... Était-elle faible, on la vexait, elle était pillée, et pouvait être détruite; était-elle forte, c’est-à-dire nombreuse, on la respectait: elle armait tous ses membres pour réprimer un empiétement, pour punir un meurtre. C’était exactement l’état civil des Hébreux, des Arabes anciens et modernes, et de nos jours celui des Druses, des Maïnotes et des Corses sous les Génois. Chaque famille avait donc, à être nombreuse, le même intérêt, les mêmes motifs qu’avait la nation; et imaginer que, dans un tel état de choses, des peuples en guerre et en anarchie constantes fussent convenus de la maxime de ne se marier qu’à 33 ans, est une chimère, un vrai rêve de cabinet.
La loi de Lycurgue, citée par Xénophon, n’exprime pas l’âge où il devint licite de se marier: pour le fixer, voici comme Larcher raisonne (page 474, 475): Aristote a connu, a eu en main les lois de Lycurgue: or Aristote (dans son plan systématique de république) dit qu’il ne faut point se marier tant que le corps prend de l’accroissement, et que les hommes ne doivent prendre une compagne que vers leurs 37e année: donc Aristote fait ici allusion à la loi de Lycurgue; donc Lycurgue a établi l’âge de 37 ans; donc les Lacédémoniens, dès avant Lycurgue, ne se mariaient qu’à 37 ans; car, sans cela, Lycurgue les eût révoltés... Et page 40: Il est bien vrai que Platon, qui en cent endroits fait l’éloge des lois de Lycurgue, prescrit pour se marier l’âge de 30 à 35 ans; en sorte que l’on pourrait croire qu’il a imité celle-ci, et que le terme fixé à Sparte eût été de 30 à 35 ans. Mais, etc.
Laissons Larcher à ses raisonnements et à ses conjectures sur Platon et sur Aristote: il est évident, par la diversité des trois termes 30, 35, 37, que Lycurgue fut plus sage que ces rêveurs, et qu’il n’exprima point un âge fixe: l’établir à 37 ou même à 30 ans, eût été priver l’état de 8 ou 10 ans d’une fécondité ordonnée par la nature, et dissiper en libertinage des forces utiles à la nation. Aristote et Platon, pleins, comme l’on sait, des idées systématiques d’une physique erronée et originairement astrologique, ont dit: «La vie ordinaire de l’homme sain est de 70 à 75 ans. Tout ce qui ne croît pas, décroît: la moitié de la vie doit se passer à croître, l’autre à décroître... 33 à 37 sont le terme mitoyen entre zéro et 70 ou 75. Donc le corps n’est parfait qu’à 35 ou à 37.»—L’erreur de ces systèmes est démontrée par les faits et par la science physiologique. En résultat, il n’existe pas la plus légère preuve que les Grecs anciens, modernes ou mitoyens, se soient mariés au terme général de 30 ni de 35 ans; il est au contraire prouvé par la nature de la question et par les généalogies d’époque certaine, qu’ils se sont mariés plus tôt; et tout prouve que l’évaluation de trois générations par siècle a été un moyen purement idéal et systématique dont d’usage ne peut qu’induire en erreur.
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS CE VOLUME.
| SUITE DE LA CHRONOLOGIE D’HÉRODOTE. | |
|---|---|
| Chronologie des rois de Perse, cités par les Orientaux modernes, sous le nom de dynastie Pishad et Kéan.—Époques de Zohak, de Féridoun et du législateur Zerdoust, dit Zoroastre. | Page 1 |
| § I. Époque du législateur Zoroastre | 2 |
| § II. Récit des Parsis sur Zoroastre | 14 |
| § III. Vie de Zoroastre | 50 |
| § IV. Des anciens rois de Perse, selon les Orientaux modernes | 69 |
| § V. Dynastie Kéan ou Kaian | 74 |
| § VI. Dynastie Piche-Dad | 87 |
| Liste chronologique des rois de Juda | 105 |
| Idem des rois Chaldéens de Babylone | 106 |
| CHRONOLOGIE DES BABYLONIENS | 107 |
| Chapitre Ier.—Fondation de Babylone | 108 |
| Chap. II.—Récit de Ktésias, système assyrien | 114 |
| Chap. III.—Récit de Bérose et de Mégasthènes—Système chaldéen | 121 |
| Chap. IV.—Autorités respectives de Bérose et de Ktésias, comparées et appréciées | 132 |
| Chap. V.—Récit d’Hérodote | 137 |
| Chap. VI.—Résultat | 141 |
| Chap. VII.—Dimension des principaux ouvrages de Babylone | 159 |
| Chap. VIII.—Histoire probable de Sémiramis | 181 |
| Chap. IX.—Récit de Conon et roman d’Esther | 193 |
| Chap. X.—Babylone depuis Sémiramis | 200 |
| Chap. XI.—Kanon astronomique de Ptolomée | 211 |
| Chap. XII.—Rois de Babylone jusqu’à Nabukodonosor | 219 |
| Chap. XIII.—Règne de Nabopolasar, dit Nabukodonosor | 230 |
| Chap. XIV.—Siége de Tyr | 239 |
| Chap. XV.—Prétendue expédition en Égypte, en Libye, en Ibérie, sans preuves et sans vraisemblance | 246 |
| Chap. XVI.—Derniers rois de Babylone jusqu’à Kyrus | 253 |
| Chap. XVII.—Du livre intitulé Cyropédie de Xénophon | 260 |
| Chap. XVIII.—Du livre intitulé Daniel | 266 |
| Chap. XIX.—Résumé | 278 |
| CHRONOLOGIE DES ÉGYPTIENS. | |
| Chap. Ier | 281 |
| Chap. II. Exposé d’Hérodote | 289 |
| Chap. III.—Système de Manéthon | 319 |
| § I. Texte de Manéthon en son second volume | 331 |
| § II. Analyse du texte cité par Josèphe | 341 |
| § III. Époque de l’entrée et de la sortie des Juifs selon Manéthon | 364 |
| Chap. IV. Récit de Diodore | 373 |
| Recherches sur les antiquités du temple de Dendéra, dans la Haute-Égypte, d’après la construction du zodiaque au plafond de son péristyle; par M. Nouet | 418 |
| Époques et dates principales de la chronologie d’Égypte, éclaircies et appuyées par des dates parallèles et étrangères | 431 |
| Note sur le système, des générations | 436 |
| FIN DE LA TABLE. | |