Souvenirs et correspondance tirés des papiers de Mme Récamier (1/2)
M. DE CHATEAUBRIAND À Mme RÉCAMIER.
«Vérone, ce 3 décembre 1822.
«Le moment de quitter Vérone approche et je n'ai point de lettre de vous. Il faut donc aller à vous, puisque vous ne voulez pas venir à moi. M. de Bourgoing, dont j'ai été charmé, vous remettra cette lettre. Il vous dira que je compte partir du 10 au 12, et être vers le 20 à Paris. Au milieu des grands événements de l'Europe, je n'ai qu'une pensée; il faudra pourtant que nous prenions une résolution à Paris. Il est impossible de vivre comme cela. Vous aurez vu M. de Montmorency. J'ai hérité de ses succès ici. On dit qu'il se prépare des orages pour le ministère, mais ce sera des orages royalistes, car les élections ont tué vos amis les libéraux.
«À bientôt. Ce mot me console de tout.»
LE MÊME.
«Vérone, jeudi soir 12 décembre 1822.
«Je vais enfin vous revoir. Je pars demain par le désir de M. de Metternich et de l'empereur Alexandre. Celui-ci est convenu d'établir une correspondance avec moi. Vous voyez que j'ai regagné le temps qu'on a voulu me faire perdre. J'ai bien des choses à vous dire, et je ne suis pas aussi content que vous de votre ami. Que vais-je trouver à Paris? Mais surtout comment serez-vous pour moi? On vient me demander mon billet. À bientôt. Je serai à Paris vers le 20; à bientôt! le coeur me bat de joie. J'ai bien souffert ici, mais j'ai triomphé. L'Italie sera libre et j'ai pour l'Espagne une idée qui peut tout arranger, si elle est suivie.»
M. de Montmorency, revenu à Paris le 1er décembre, reçut du roi Louis XVIII, le titre de duc en témoignage de sa satisfaction. Le roi avait voulu donner au ministre des affaires étrangères revenant du congrès le titre de duc de Vérone. Mais M. de Montmorency ne consentit pas à quitter son nom, même pour accepter une faveur royale, et on le fit duc Mathieu de Montmorency. Le chef de l'illustre maison à laquelle il appartenait, portait déjà le titre de duc de Montmorency.
LE DUC MATHIEU DE MONTMORENCY À Mme RÉCAMIER.
«Lundi matin, 2 décembre 1822.
«J'ai voulu aller vous voir toute la journée d'hier, aimable amie, ce qui m'a empêché de vous écrire, et de vous apprendre moi-même ce que je n'aurais pas voulu que vous apprissiez par les journaux. Toute ma journée a été successivement absorbée. Celle-ci sera certainement plus heureuse. Ah! mon Dieu, que je le serai de vous revoir! Vous ne pouvez pas en douter, et que nous aurons de choses à nous dire! Serez-vous seule ou à peu près, à sept heures et demie ou huit heures? J'irai chez vous après avoir dîné à l'hôtel de Luynes. Tendres, bien tendres hommages.
«Je ne vous parle de mon nouveau titre que parce que vous vous intéressez à tout ce qui me regarde.
«Duc Mathieu de Montmorency.»
FIN DU TOME PREMIER
NOTES
[1: Article Devonshire, par M. Artaud de Montor, dans la Biographie universelle. M. Artaud, premier secrétaire de l'ambassade de France à Rome, avait longtemps vécu dans l'intimité de la duchesse.]
[2: Anne-Adrien de Montmorency, duc de Laval, chevalier des Ordres du roi et de la Toison d'or, grand d'Espagne de première classe, né à Paris le 19 Octobre 1707. Marié à Charlotte de Luxembourg, dont il eut trois enfants, deux filles et un fils, Henri de Montmorency. Ce fils lui fut enlevé à l'âge de vingt-trois ans, au mois de juin 1819.
Adrien de Montmorency fut successivement ambassadeur de France en Espagne en 1814, à Rome en 1821, à Vienne en 1828. Il fut nommé ministre des affaires étrangères en 1829, et refusa ce poste éminent. Le 4 septembre de la même année, il passa de l'ambassade de Vienne à celle de Londres.
Il mourut le 16 juin 1837.]
[3: L'abbé Legris-Duval, avec lequel il avait mis Mme Récamier en relation.]
[4: Elle était dans l'alcôve.]
[5: Le divorce civil était prononcé, Mlle de Longuerue ne s'en contentait pas et voulait faire casser on plutôt annuler son mariage devant l'autorité religieuse.]
[6: À l'Athénée.]
[7: C'était, je crois, l'abbé Guillon qui était l'agent de ces distributions.]
[8: J'ignore quelles furent les raisons qui firent, pour cette année, abandonner à Mme Récamier le château de Clichy pour celui de Saint-Brice, qu'elle habita en location cet été-là. L'année suivante elle était de nouveau établie à Clichy.]
[9: Le prince Auguste était mort au mois de juillet 1843, et, par son testament, avait ordonné que le portrait de Mme Récamier, peint par Gérard, et qu'il avait reçu de son amitié, lui fût rendu.]
[10: Le valet de chambre de Mme de Staël.]
[11: Cette lettre a été déjà publiée dans les Mémoires d'Outre-Tombe.]
[12: La mémoire du maréchal le trompe: c'est d'Auerstadt qu'il voulait parler].
[13: Le roi de Prusse.]
[14: La reine Louise.]
[15: La princesse Radziwill.]
[16: Adrien de Montmorency.]
[17: Le comte de Salaberry.]
[18: Le second fils de Mme de Staël, tué en duel dans l'année 1813.]
[19: C'est-à-dire la reine Hortense. La Hollande venait d'être réunie à la France.]
[20: Esménard (Joseph-Alphonse), de l'Académie française, auteur du Poëme de la Navigation. Il était censeur des théâtres, censeur de la librairie et chef de la troisième division de la police générale.
La voiture dans laquelle il voyageait en Italie ayant versé dans un précipice, il eut la tête fracassée contre un rocher, et périt ainsi en 1811.
Il écrivait à Mme Récamier, qui avait désiré, à son retour de Fossé, le voir et l'entretenir des intérêts de Mme de Staël, le billet que voici:
«Samedi matin.
«Madame,
«Je serais allé moi-même chercher le volume que vous avez eu la bonté de m'envoyer, si je n'avais craint, presque autant que je le désire, de vous trouver seule: il y a, dans l'union de la douleur et de la beauté, mille fois plus de charme que dans la vue d'un bonheur sans orages; et quoique je n'aie pas appris la sensibilité en Allemagne, je ne me défends pas bien d'un intérêt et d'un sentiment que vous m'avez défendus. Mais il serait trop héroïque de résister au plaisir que vous m'offrez de vous voir un moment, et je vous prie de permettre que ce soit dans la soirée. Je me présenterai chez vous à huit heures. Vous seriez trop aimable de recevoir sans distraction de société l'hommage respectueux de tout ce que vous m'inspirez.
«ALF. ESMÉNARD.»
]
[21: Sa gouvernante, dont l'humeur n'était pas facile].
[22: Mme la comtesse Charles d'Hautefeuille, auteur de l'Ame exilée, du Lys d'Israël, des Cathelineau, etc.]
[23: Dampierre, terre appartenant au duc de Luynes, beau-père de M. de Montmorency, dans le département de Seine-et-Oise.]
[24: Il s'agissait de son départ pour la Suède.]
[25: Les livres et les recueils imprimés par la duchesse de Luynes sont encore aujourd'hui recherchés des bibliophiles.]
[26: Le baron de Vogt.]
[27: Pierre-Simon Ballanche, membre de l'Académie française et de l'Académie de Lyon, né dans cette dernière ville, le 4 août 1770, mort à Paris le 12 juin 1847.
Philosophe profond et philosophe chrétien, Ballanche est en même temps un des prosateurs les plus éminents et les plus classiques de ce siècle. Son âme angélique, sa rêveuse imagination, la candeur et la vivacité de ses enthousiasmes ne le rendaient pas propre à l'action; aussi ne se mêla-t-il point aux événements du temps, bien qu'il fût lié d'intime amitié avec la plupart des hommes qui, sous la Restauration, eurent part aux affaires publiques.
Il fut un des plus constants amis de M. de Chateaubriand, qu'il avait connu en 1803, et il avait donné, avec son père, imprimeur à Lyon, la 2e et la 3e édition du Génie du Christianisme.
M. Ballanche avait publié, en 1800, un volume qui est devenu extrêmement rare et qu'il n'a point réimprimé dans ses oeuvres complètes: Du Sentiment considéré dans ses rapports avec la littérature et les arts. Ce livre, incomplet, sans doute, renferme pourtant des beautés du premier ordre, et fut comme le précurseur de l'ouvrage éclatant qui marqua la renaissance chrétienne en France.
On a de M. Ballanche:
Fragments, 1808, recueillis en 1 v. en 1819;
Antigone, 1814;
Essai sur les Institutions sociales, 1818;
Le Vieillard et le Jeune Homme, 1819;
L'Homme sans nom, 1830;
Palingénésie sociale, 1830;
Orphée, même année;
Vision d'Hébal, 1834;
Formule générale de l'Histoire romaine, ouvrage dont quelques extraits seulement ont paru dans la Revue de Paris.]
[28: Mme Mathieu de Montmorency.]
[29: Une réduction du buste de Mme Récamier, par Chinard.]
[30: Les Vases peints de la collection de Sir J. Coghill ont été publiés par J. Milingen en 1817.]
[31: On lui offrait de grands avantages pécuniaires qu'il refusa, ainsi que la mission secrète.]
[32: Mme de Staël.]
[33: Curé de Clichy.]
[34: De l'Académie française, auteur d'un poëme de Philippe-Auguste.]
[35: De l'Académie française, auteur d'une traduction du Tasse.]
[36: M. de Chateaubriand.]
[37: Le prince de Polignac.]
[38: Monsieur le comte d'Artois.]
[39: L'Infirmerie de Marie-Thérèse, qu'elle avait fondée.]
[40: Ambassadeur de Russie à Berlin, que Mme Récamier avait connu en 1818, à Aix-la-Chapelle, lors du congrès.]
[41: Hyacinthe Pilorge, son secrétaire, dont le dévouement était absolu.]
[42: M. Lemoine était un ancien secrétaire de M. de Montmorin, légué par Mme de Beaumont à M. de Chateaubriand, et qui chaque soir venait passer quelques heures avec M. et Mme de Chateaubriand. Leur affection pour lui ne se démentit pas jusqu'à sa mort.]
[43: Il s'agit de l'acquittement du colonel Fabvier.]
[44: Avec le ministère.]
[45: Conspiration des carbonari piémontais, en février 1821.]
[46: Ministre des affaires étrangères.]
[47: Louis de Fontanes était né à Niort, le 6 mars 1757, d'une famille protestante ruinée par la révocation de l'édit de Nantes. Sa mère était catholique et avait élevé ses enfants dans sa religion.
Par ses opinions toutes monarchiques, par les qualités de son esprit que distinguaient et le bon sens et un goût exquis, M. de Fontanes, poëte d'un ordre élevé et prosateur élégant, appartenait au parti qui, au sortir de la révolution, s'efforça de relever en France les saines traditions sociales et littéraires. Condamné à la déportation au 18 fructidor, il chercha un asile en Angleterre où il retrouva M. de Chateaubriand émigré; ils s'étaient connus précédemment à Paris, en 1790.
Rentré en France, M. de Fontanes fut chargé par Bonaparte, premier consul, de l'éloge de Washington que le jeune et illustre général voulut faire prononcer dans le temple de Mars (chapelle des Invalides), le 20 pluviôse an VIII, février 1800. Cette fantaisie libérale du héros qui devait si peu imiter Washington fut l'origine de la fortune politique de M. de Fontanes.
L'amitié de M. de Fontanes et de M. de Chateaubriand formée dans l'exil ne se démentit et ne se refroidit pas un seul jour, quelle que fût leur diverse fortune. M. de Fontanes avait le premier deviné le génie de son ami. Sa muse pleine d'un dévouement étonné, c'est M. de Chateaubriand qui l'a dit, le dirigea dans les voies nouvelles où il s'était précipité.
Au moment où M. de Chateaubriand, nommé ambassadeur à Berlin, partait pour son poste, après avoir formé avec le duc de Richelieu le premier ministère royaliste où étaient entrés MM. de Villèle et de Corbière, il avait voulu faire rétablir, pour M. de Fontanes, la grande maîtrise de l'Université: la chose ne s'était pas arrangée à cause des combinaisons politiques qu'il avait fallu satisfaire, et M. de Fontanes lui écrivait ce dernier billet:
«Je vous le répète, je n'ai rien espéré, ni rien désiré. Ainsi, je n'éprouve aucun désappointement, mais je n'en suis pas moins sensible aux témoignages de votre amitié; ils me rendent plus heureux que toutes les places du monde.»
M. de Fontanes mourut le 17 mars 1821. Il a été remplacé à l'Académie française par M. Villemain.]
[48: Le prince de Polignac.]
[49: Il s'agit très-probablement ici de la duchesse de Cumberland. V. les Mémoires d'Outre-Tombe, t. VII, p. 321.]
[50: Benjamin Constant.]
[51: Le marquis de Catellan.]
[52: De Suède.]
[53: Mlle de Villeneufre, plus tard Mme Clary.]
[54: Sirejean.]
[55: Le duc de Blacas, ambassadeur de France à Rome, donna sa démission et fut remplacé dans ce poste par Adrien de Montmorency, duc de Laval.]
[56: La mort de lord Castlereagh, marquis de Londonderry, ministre des affaires étrangères d'Angleterre qui, le 12 août 1822, se coupa la gorge dans un accès de fièvre chaude. Voici le récit que le journal ministériel du temps, the Courier, donnait de ce funeste événement: «Les fatigues extraordinaires de la dernière session du parlement et les négociations importantes avec les différentes cours de l'Europe occupaient tellement le temps de lord Londonderry, que ses amis remarquaient avec une vive inquiétude que son esprit n'avait aucun intervalle de repos, et que l'effet d'une tension aussi continuelle commençait à opérer sur ses facultés morales et physiques. Vers la fin de la session, et alors que les occupations vinrent à diminuer, son esprit, qui avait été maintenu en haleine par le travail même, laissa apercevoir des symptômes de cette lassitude qui suit toujours les efforts trop prolongés. On désira pour lui un changement de scène et d'occupations, et il fut décidé qu'il représenterait l'Angleterre au congrès de Vérone; son départ avait même été fixé à la fin de la semaine. Lord Castlereagh espérait lui-même que le voyage lui procurerait de la distraction et quelque soulagement.
«Vendredi dernier, 9 août, en prenant congé de S. M., un tremblement nerveux et une extrême anxiété répandue sur la personne du noble lord frappèrent les yeux de tous ceux qui l'entouraient. Le docteur Bankhead, appelé le soir, trouva le marquis dans un état qui exigeait des soins; il y avait beaucoup de fièvre et la tête ne paraissait pas libre; il ordonna l'application de ventouses. Cependant lord Londonderry partit le même soir, accompagné de sa femme, pour sa maison de campagne de North-Cray. Le médecin alla le voir le samedi, et le trouva mieux, quoique obligé de garder le lit. Le dimanche, il paraît que les symptômes furent plus apparents, et que l'aliénation mentale, dont il avait été atteint par moments depuis le vendredi, devint plus caractérisée. On présume cependant qu'il se trouva mieux le soir, car il dormit dans sa chambre à coucher sans qu'on eût pris d'autres précautions que d'enlever ses pistolets, ses rasoirs et tous les instruments avec lesquels il aurait pu chercher à attenter à sa vie. Le médecin s'était retiré tard et reposait dans la chambre voisine. La nuit paraît avoir été calme. Vers sept heures du matin, un domestique appela M. Bankhead, et lui dit que le marquis désirait le voir. Le médecin se rendit aussitôt dans le cabinet de toilette où il trouva le marquis debout, en robe de chambre; il dit quelques mots, et au bout d'une seconde, tomba dans les bras de M. Bankhead. On s'aperçut alors qu'il s'était ouvert l'artère carotide avec un petit couteau. Cet instrument se trouvait dans un porte-lettre qui avait échappé aux recherches des domestiques.
«Le marquis de Londonderry était né le 18 juin 1769.»]
[57: Premier secrétaire de l'ambassade de France à Londres.]
[58: Celles de lord Castlereagh.]
[59: Probablement: de M. de Villèle. Il y a des mots oubliés dans l'original.]
[60: Les plénipotentiaires désignés par la France pour assister au congrès de Vérone étaient le vicomte Mathieu de Montmorency, ministre des affaires étrangères, le vicomte de Chateaubriand, le comte de La Ferronnays et le duc de Caraman, ambassadeurs de S. M. à Londres, à Saint-Pétersbourg et à Vienne.]
[61: L'empereur Alexandre.]
[62: Mme Récamier était avec sa nièce et M. Ballanche à la Vallée-aux-Loups.]
[63: Premier secrétaire de l'ambassade de France à Berlin.]