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Souvenirs militaires de 1804 à 1814

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DEUXIÈME PARTIE.

CHAPITRE PREMIER.
COMPOSITION DU PREMIER CORPS.—CANTONNEMENTS PENDANT L'ARMISTICE.—DÉCLARATION DE GUERRE.

J'étais arrivé à Magdebourg le 8 juillet 1813, et je n'y passai que quelques heures. Un ordre du général Vandamme me prescrivit de me rendre précipitamment à Dessau; l'Empereur allait passer la revue du 1er corps qui s'y trouvait réuni.

Cette revue eut lieu le 11 juillet. Je ne connaissais pas ma nouvelle brigade, et j'en pris le commandement sur le terrain. Les régiments étaient nombreux et la tenue aussi belle que possible. L'Empereur nous traita fort bien et nous accorda tout ce que nous lui demandions. Sa bienveillance était telle que le général Vandamme me reprocha depuis de n'en avoir point profité pour faire donner la croix à mon aide de camp Chabrand. Je n'aurais jamais osé faire une pareille demande pour un officier qui sortait de Saint-Cyr, et qui n'avait d'autre titre à cette faveur qu'une campagne de quelques mois et une légère blessure. Quant à moi, je n'étais encore que légionnaire. Le prince de Neufchâtel voulut bien le remarquer, et, dès le lendemain, il fit signer par l'Empereur, à Magdebourg, une nomination d'officier de la Légion. L'oubli d'une si petite affaire, au milieu de celles dont il était accablé, eût été pardonnable. J'aime à ajouter dans ma reconnaissance cette dernière marque d'intérêt à toutes celles que j'ai reçues de lui.

Je commandais la 2e brigade de la 1re division[58]. Le général Philippon s'était acquis une belle réputation à l'armée d'Espagne par sa défense de Badajoz; je m'estimai heureux de servir sous ses ordres. Dès les premiers moments, je le trouvai inférieur à sa renommée, je crus me tromper; je me reprochais de le juger trop sévèrement, et je m'attendais du moins à le trouver sur le champ de bataille digne de la renommée qu'il avait rapportée d'Espagne. On verra qu'il n'en fut rien. La vérité est que le général Philippon avait près de lui à Badajoz un officier du génie fort distingué, qui dirigea la défense, et dont il eut au moins la sagesse de suivre les conseils; voilà comment se font les réputations!

Le colonel Préchamps, chef d'état-major, avait fait les guerres de la République, et, dix ans auparavant, il était premier aide de camp du maréchal Ney. Il avait de l'instruction, de la capacité, un caractère indépendant et frondeur, un esprit épigrammatique. Plus tard, il fut envoyé en Italie, où il resta jusqu'en 1813. Lorsque je m'engageai neuf ans auparavant dans un des régiments du corps d'armée du maréchal Ney, à Montreuil, le colonel Préchamps était son premier aide de camp. Je me retrouvais avec lui à Dessau, en 1813, dans des situations bien différentes. Le premier aide de camp du commandant en chef était toujours colonel; le jeune soldat était devenu général. Préchamps en riait le premier.

Ma brigade se composait des 17e et 36e de ligne; le premier de quatre bataillons, le second de deux seulement; le 17e commandé par le colonel Susbielle, le 36e par le major Sicard. Locqueneux et Feisthamel, tous deux devenus généraux de brigade, étaient capitaines au 17e.

Parmi les généraux des autres divisions se trouvaient Dumonceau, dont j'ai parlé; O'Méara, beau-frère du duc de Feltre; Doucet, colonel attaché à la place de Paris, qui devait son avancement à sa belle conduite à l'époque du complot de Mallet; Chartran, une des victimes de nos discordes civiles.

Je passai deux jours à Dessau; je logeais au palais avec le général Philippon. Le duc régnant était fort âgé; le prince héréditaire avait épousé une princesse de Hesse-Hombourg, dont il vivait séparé. C'était une personne agréable et gracieuse; je l'ai vue plusieurs fois ainsi que ses deux filles; elles portaient le deuil du frère de la princesse, tué à la bataille de Lutzen.

Au bout de quelques jours, nous prîmes des cantonnements dans les environs de Dessau, sur la rive gauche de l'Elbe. Je logeai au château de Radis, à deux milles de Wittemberg. Le maître du château et sa femme étaient de braves gens assez maussades. Une jeune nièce leur tenait lieu d'enfant; elle n'avait ni beauté, ni esprit, ni grâce. C'était jouer de malheur, car nous avions souvent rencontré des cantonnements bien différents. On a en Allemagne beaucoup de goût pour les Français; ils plaisent aux femmes et ne déplaisent point aux hommes. La vivacité de leur esprit, leurs manières galantes sont d'autant mieux appréciées qu'elles sont inconnues dans le pays. Bientôt les officiers, les soldats eux-mêmes, semblaient faire partie de la famille de leurs hôtes. Aussi, quoique nous fussions nourris aux frais du pays et qu'il en résultât des abus de tout genre, souvent notre départ a causé des regrets; mais il n'y avait rien de séduisant au château de Radis, et je n'ai pas eu le moindre mérite à consacrer tout mon temps aux deux régiments de ma brigade.

L'armée se composait de jeunes soldats auxquels il fallait tout apprendre, et de sous-officiers qui n'en savaient pas davantage. Les officiers valaient mieux; c'étaient les anciens cadres, dont la destruction avait été beaucoup moins complète en Russie que celle des sous-officiers. Une pareille armée, au moment d'entrer en campagne, aurait eu besoin de la surveillance continuelle de ses chefs, et, pour ménager le pays, on avait tellement étendu les cantonnements que l'on pouvait à peine réunir même les régiments. Les généraux cherchaient à remédier à cet inconvénient en visitant souvent les troupes, en donnant aux officiers supérieurs l'exemple de l'activité, en exigeant des rapports détaillés sur toutes les parties du service. Quand les exercices de détail furent terminés, je réunis plusieurs fois ma brigade, et elle ne manœuvra pas mal. Il fallait de plus apprendre aux sous-officiers à se garder militairement, à commander une patrouille, à faire un rapport; en un mot, nous nous préparions à lutter contre l'Europe entière, et jamais l'armée n'avait été plus novice, plus inexpérimentée.

On sait à quelles vexations étaient exposés les pays que nous occupions. À cet égard, du moins, les anciens errements s'étaient conservés, et la jeune armée de 1813 en savait autant que toutes celles qui l'avaient précédée. Malgré les ordres des chefs, nous n'entendions parler que de réquisitions de vivres, de fourrages, d'objets de toute nature. Il ne s'agissait, disait-on, que du bien-être des soldats; mais plusieurs officiers se servaient de ce prétexte pour rançonner les villes et les campagnes. Après avoir imposé d'énormes réquisitions, ils y renonçaient à prix d'argent. Je fus même obligé de porter plainte contre le troisième corps de cavalerie, qui prétendait mettre à contribution les cantonnements que j'occupais. Le général Vandamme se montrait sévère à cet égard. Aujourd'hui comte de l'Empire, général en chef, presque maréchal, le maintien d'une exacte discipline convenait à sa haute position. Il y eut donc peu d'abus au premier corps. Deux officiers de ma brigade voulurent se faire donner de l'argent dans leurs logements; je les punis, je les réprimandai plus fortement encore, et pour couper court à de pareils désordres, je donnai à ma brigade l'ordre du jour suivant:

Radis le 20 juillet 1813.

«Le général croit devoir rappeler à MM. les officiers que les habitants ne doivent aux troupes que la nourriture et le logement. Il défend, sous quelque prétexte que ce soit, que l'on fasse dans le pays la moindre réquisition.

«Le général rend trop de justice à la délicatesse de MM. les officiers pour les croire capables de prendre de pareilles mesures par aucun motif personnel; mais l'intérêt des régiments ne serait point une excuse qui pût les justifier, et elles seraient sévèrement punies.»

La dispersion des cantonnements ne nous permettait pas de nous voir souvent. Je l'ai toujours regretté. Il est important à la guerre que les généraux, les officiers d'état-major, les officiers supérieurs des corps, se connaissent, qu'ils soient ensemble dans de bons rapports, qu'ils puissent apprécier les qualités, les défauts de chacun, juger le degré de confiance que méritent leurs inférieurs, leurs camarades et même leurs chefs. Nous eûmes cependant quelques réunions pendant la durée de l'armistice. Chacun de nous donna dans son cantonnement de grands déjeuners, où nous invitions les autres généraux de la division, les aides de camp, les principaux officiers supérieurs. Nous passions ensuite le reste de la journée ensemble. Comme ces différents corps d'armée devaient se mettre en marche, on célébra cette année la fête de l'Empereur le 10 août au lieu du 15; et, à cette occasion, le général Lapoype[59], gouverneur de Wittemberg, donna un fort beau bal, qui se prolongea jusqu'au jour. Toute l'armée, toute la société de la ville et des environs s'y trouvaient réunis. On s'amusa beaucoup, et néanmoins ce ne fut pas un plaisir sans mélange. Ce même jour, 10 août, expirait l'armistice. Les négociations n'avaient pas réussi; la guerre allait recommencer; nous partions dans deux jours. Bientôt, toute la jeunesse, qui se livrait avec l'insouciance de son âge à l'enivrement de cette fête, allait être exposée à la mort, à des blessures cruelles, à la captivité. Qu'allait devenir cette armée si animée, si ardente, mais si jeune, si peu endurcie aux fatigues? Que deviendrait la France elle-même, affaiblie par ses derniers revers, et attaquée pour la première fois par l'Europe entière!

Ces graves réflexions troublèrent un peu la joie du bal.

Le 12 août, le 1er corps commença son mouvement pour se rapprocher de
Dresde. Les cantonnements avaient à peine duré un mois.

Avant de commencer l'histoire de cette seconde campagne, je dois dire un mot de l'armistice, de la position des deux armées, des projets de l'Empereur. On verra ensuite quelle fatalité paralysa ses efforts, et causa une fois encore la destruction de notre armée.

CHAPITRE II.

POSITION PENDANT L'ARMISTICE.—COMPOSITION DES DEUX ARMÉES.—PREMIÈRES OPÉRATIONS EN SILÉSIE.—PLAN DE NAPOLÉON.—BATAILLE DE DRESDE.

Je n'ai point parlé de la campagne de la Grande Armée pendant la reprise de Hambourg. On sait que l'Empereur ayant battu les alliés le 2 mai à Lutzen, près de Leipzick, sur la rive gauche de l'Elbe, les força de repasser cette rivière, d'évacuer Dresde et de se retirer en Silésie. On sait encore que les coalisés furent vaincus de nouveau à Bautzen et à Wurschen les 20 et 21 mai, et qu'un armistice fut conclu le 4 juin. Il n'est pas non plus de mon sujet de raconter les négociations qui eurent lieu à Prague pour la conclusion de la paix, sous la médiation de l'Autriche. Je dirai seulement que l'on ne put parvenir à s'entendre. L'Autriche avait déclaré qu'elle ne resterait pas neutre et qu'elle ferait cause commune avec la Russie et la Prusse, si les conditions qu'elle offrait n'étaient pas acceptées. Le 10 août était le terme fatal, et Napoléon n'ayant pas répondu aux propositions qui lui étaient adressées, les trois puissances lui déclarèrent la guerre.

La ligne de démarcation entre les armées belligérantes avait été fixée ainsi qu'il suit:

En Silésie, la ligne de l'armée française partait de la frontière de Bohême, suivait le cours de la Katzbach jusqu'à l'Oder; la ligne de l'armée coalisée atteignait ce fleuve au-dessus de Breslau. Un territoire neutre s'étendait entre les deux armées; la ville de Breslau en faisait partie. La ligne de démarcation suivait ensuite le cours de l'Oder jusqu'à la frontière de Saxe, puis la frontière de la Prusse jusqu'à l'Elbe, et le cours de l'Elbe jusqu'à la mer. Par ce moyen, tout le territoire saxon était occupé par l'armée française, et tout le territoire prussien par l'armée alliée. Les garnisons des places situées sur l'Oder et la Vistule, telles que Dantzick, Stettin et Custrin, devaient être ravitaillées tous les cinq jours.

On avait employé de part et d'autre le temps de l'armistice à se préparer à la guerre, à compléter, organiser, instruire les troupes. La Grande Armée française se composait de quatorze corps d'infanterie et quatre de cavalerie, ayant pour réserve la garde impériale[60]: environ 300,000 combattants.

L'armée coalisée se divisait en armée du Nord, armée de Silésie et armée de Bohême[61]. Avant l'accession de l'Autriche, elle réunissait environ 360,000 combattants.

Voici notre position à la fin de l'armistice: le 12e corps à Dahme, menaçant Berlin; le 3e corps de cavalerie à Leipzick; Napoléon à Dresde avec la garde; le 1er corps en route pour s'y rendre; le 14e à Pirna gardait la frontière de Bohême et la rive gauche de l'Elbe; enfin, le reste de la Grande Armée occupait la Silésie, et principalement les bords de la Katzbach, savoir: les 2e, 3e, 4e, 5e, 6e, 7e et 11e corps—1er, 2e et 4e de cavalerie. L'armée coalisée nous faisait face dans ces différentes positions. Le prince royal de Suède, avec 90,000 hommes, défendait Berlin; la grande armée russe et prussienne se concentrait en Silésie; les souverains alliés résidaient à Reichenbach.

On voit que la ligne d'opérations de l'armée française s'étendait de Dresde à l'Oder par Liegnitz. Les forteresses de l'Elbe et de l'Oder couvraient les deux ailes de cette ligne, et la neutralité de l'Autriche empêchait de la tourner par la Bohême. Dresde était le centre des opérations; les ponts de Meissen, au nord de cette ville, et de Kœnigstein, à quelques lieues au sud, nous permettaient de manœuvrer sur les deux rives de l'Elbe. Ainsi l'armée alliée de Silésie était coupée de l'armée du Nord, qui défendait Berlin. Pour se réunir à celle-ci, elle aurait été obligée de battre l'armée française sur les rives de la Katzbach et du Bober, ou bien de passer l'Oder et de faire un long détour par Kalitz et Posen. Napoléon n'avait rien négligé pour fortifier sa position, pour établir convenablement les magasins et les hôpitaux, et pour lier par des routes praticables les lignes ainsi que les ouvrages.

Tels étaient nos avantages au moment de la reprise des hostilités; mais l'accession de l'Autriche à la coalition y apporta de grands changements. Les forces des deux armées auparavant étaient presque égales, et maintenant l'Autriche mettait dans la balance un poids de 130,000 hommes. Dresde pouvait être attaquée par la Bohême, et cependant Napoléon résolut de conserver sa position. Il était important de maintenir la guerre au centre de l'Allemagne. Plus les forces de l'ennemi étaient redoutables, plus il fallait les éloigner de nos frontières. D'ailleurs, notre présence en Saxe empêchait les princes de la confédération du Rhin de se joindre à la coalition, et l'on peut comprendre que leur fidélité envers nous était déjà fort ébranlée.

En présence d'un ennemi si formidable, Napoléon s'appliqua d'abord à la défensive. Si l'armée autrichienne de Bohême marchait sur Dresde, elle serait contenue momentanément par les 1er et 14e corps (Vandamme et Gouvion Saint-Cyr), et l'Empereur accourrait à leur secours. Si cette armée autrichienne se portait en Silésie, soit par Zittau, soit par Josephstadt, toute l'armée française se réunirait à Gœrlitz ou à Buntzlau. Dans tous les cas, Dresde était la base du système. Cette ville fut mise en état de se défendre pendant huit jours. Le 14e corps, ainsi que je l'ai dit, en couvrait les approches. Ces dispositions étant prises, l'Empereur ordonna le 13 août au duc de Reggio de marcher sur Berlin.

Le 12e corps qu'il commandait était réuni à Dehme; on espérait qu'il pourrait entrer à Berlin le 24. Le général Girard, sortant de Magdebourg, appuyait son mouvement, et se liait par la gauche avec le maréchal Davout, qui se portait à Schwerin. La prise de Berlin, au début de la campagne, eût été d'un effet moral immense. Par ce moyen, les landwehrs étaient dispersées, Stettin et Custrin débloquées, les Suédois rejetés dans la Poméranie. Ainsi la guerre pouvait être transportée sur la rive droite de l'Oder, et s'approcher de la Vistule. Déjà les Polonais se préparaient à se joindre à nous. Pendant l'attaque de Berlin, Napoléon se chargeait de contenir l'armée autrichienne et russe.

Cependant Blücher avait pris l'offensive en Silésie. On lui a reproché d'avoir occupé le territoire neutre et commencé ses opérations avant les délais fixés par l'armistice. Les maréchaux Ney et Marmont, ainsi que le général Lauriston, se retirèrent le 19 derrière le Bober; mais à l'approche de Napoléon, qui s'était déjà porté en Silésie, Blücher, à son tour, se retira dans le camp retranché de Schweidnitz. Napoléon retourna le 23 à Gœzlitz, d'où il surveillait également Dresde et la Silésie. Avant d'aller plus loin, je dois dire la part que le 1er corps a prise à ces différents mouvements.

Nous partîmes de nos cantonnements de Wittemberg le 13 août, et nous arrivâmes à Dresde le 16, en passant par Düben et Meissen. J'appris dans cette ville la déclaration de guerre de l'Autriche. Le 18, nous entrâmes en Silésie par Stolpen. Le 20, la 1re division occupa Georgenthal, et la 2e Zittau, pour observer les débouchés de la Bohême et être prêts, soit à soutenir l'armée de Silésie, soit à entrer en Bohême, soit enfin à marcher sur Dresde. Les officiers, étaient pleins de zèle; les soldats soumis, disciplinés, et ne demandant qu'à se battre.

Cependant les mouvements de l'armée ennemie indiquaient l'intention de marcher sur Dresde par la rive gauche de l'Elbe. Les corps de Wittgenstein et de Kleist avaient joint l'armée autrichienne en Bohême; les souverains étaient à Prague, et, dès le 20 août, le prince de Schwartzemberg, qui commandait en chef, marcha sur quatre colonnes par Pirna, Altenberg, Dippodiswalde et Freyberg. Cette opération était importante. Par la prise de Dresde, l'armée française se trouvait coupée de ses communications; mais il fallait se hâter, car Napoléon allait sans doute se porter au secours de cette place. Cependant le prince de Schwartzemberg marchait avec lenteur. Voulait-il vraiment attaquer Dresde, ou bien se mettre en communication par la gauche avec le prince royal de Suède, qui défendait Berlin? On l'ignorait encore. Enfin, le 25, l'armée ennemie arriva devant Dresde, et l'on dut s'attendre à être attaqué le lendemain. Napoléon voulait laisser l'initiative aux ennemis, et se porter sur eux en un seul point et en force au moment où ils prendraient l'offensive. Il donna au maréchal Macdonald le commandement de toute l'armée de Silésie; elle se composait de 100,000 hommes (les 3e 5e, 8e et 11e corps). Macdonald devait tenir en échec le général Blücher et l'empêcher de se porter, soit sur Berlin, contre le maréchal Oudinot, soit sur Zittau, pour se lier à l'armée de Bohême: Il suffisait, pour contenir Blücher, que Macdonald occupât la ligne du Bober et la fît retrancher.

Napoléon vint de sa personne, le 24, à Bautzen, et le 25, à Stolpen. Le mouvement de l'ennemi sur Dresde était alors bien décidé, et offrait l'occasion de livrer une grande bataille. Napoléon, persuadé que Dresde pouvait se défendre, avait le projet de passer l'Elbe à Kœnigstein, sous les derrières de l'armée ennemie; mais le 28, à onze heures du soir, on apprit que Dresde serait enlevée dans la journée du lendemain, si elle n'était pas secourue. Il ne suffit pas en effet de donner des ordres et de prendre toutes les mesures nécessaires, il faut que les ordres puissent être exécutés, et le maréchal Gouvion Saint-Cyr, qui, avec le 14e corps, défendait la place, écrivait: «qu'il ne pouvait résister plus longtemps avec une armée composée d'enfants, et qu'il allait être obligé de se retirer sur la rive droite de l'Elbe.» Il n'y avait pas un instant à perdre, et Napoléon prit sur-le-champ son parti. Il accourut à la défense de Dresde avec toute la garde, les 2e et 6e corps, et livra cette bataille que je vais raconter en peu de mots, bataille glorieuse et dont pourtant les suites ont été si funestes.

Il était sept heures du matin quand Napoléon, descendant des hauteurs de Weisse-Kirsch par la rive droite de l'Elbe, aperçut la position. Le 14e corps ne défendait plus les ouvrages que faiblement sur la droite. La redoute de Dippodiswalde avait été enlevée; celle de Freyberg allait avoir le même sort. L'ennemi se préparait à attaquer l'enceinte des faubourgs, et s'approchait déjà des palissades; sa ligne resserrait la place de tous côtés. La droite de l'Elbe, près du moulin de Striessen, se prolongeait sur la pente des hauteurs de Strehlen à Wolfuitz; la gauche devait s'étendre jusqu'à l'Elbe, à Priestnitz, poste confié au général Klenau, qui heureusement n'arriva pas. Les réserves occupaient les hauteurs de Lochwitz à Nœtnitz, entre l'Elbe et la Weisseritz, à moins d'un mille de la ville.

Napoléon entra seul à Dresde, et sa présence produisit un effet magique. Il alla visiter à pied toute la ligne des palissades. Le 14e corps le reçut avec acclamation. Sans perdre un moment, l'Empereur fit entrer la garde impériale. Le roi de Naples prit le commandement de l'aile droite, le maréchal Ney[62] celui de l'aile gauche. À deux heures, l'attaque commença sur toute la ligne. À gauche, la jeune garde enleva le mamelon des moulins de Striessen; au centre, la redoute de Dippodiswalde fut reprise; à droite, l'infanterie de Teste et la cavalerie de Latour-Maubourg obtinrent le même avantage. Le combat ne dura que quelques heures, et le succès fut complet. Dans la nuit, Schwartzemberg reprit la position qu'il occupait avant l'attaque des faubourgs. Il n'avait tiré aucun parti de ses forces, et un corps considérable fut laissé sans motifs en avant de Dippodiswalde. Dans cette même nuit, les maréchaux Victor et Marmont entrèrent à Dresde. Le 27 au matin, l'Empereur ordonna un grand mouvement sur la route de Freyberg, à notre droite; son but était d'empêcher l'ennemi de s'étendre à gauche pour se lier avec le prince royal de Suède, qui, s'il obtenait l'avantage sur le maréchal Oudinot, pouvait passer l'Elbe à Torgau. Il voulait en même temps enlever à l'ennemi la retraite sur Freyberg, pendant qu'à l'extrémité opposée le 1er corps s'avançait par la route de Pirna. Ainsi l'armée alliée aurait été rejetée dans les affreux chemins des montagnes qui conduisent à Tœplitz par Dippodiswalde et Altenberg.

La pluie, qui avait tombé par torrents pendant la nuit, dura toute la journée. Le combat commença au point du jour. À la gauche, la jeune garde enleva Grüne et disputa à l'ennemi le village de Reich pendant le reste du jour. Au centre, l'ennemi maintint sa position sur les hauteurs. On entretint une forte canonnade, afin de l'inquiéter et de l'empêcher de dégarnir son centre pour porter à sa gauche, qui, d'ailleurs, en était séparée par une vallée d'un difficile accès. Le véritable combat, comme je l'ai indiqué, eut lieu sur ce point. Le roi de Naples dirigea cette attaque avec son ardeur ordinaire. Lobda fut enlevé par le général Teste; les batteries des villages de Wolfuitz et Nustitz emportées par le 2e corps; l'infanterie enfoncée par les généraux Bordesoulle et d'Audenarde; la cavalerie dispersée par le général Doumerc. L'ennemi se retira précipitamment en nous abandonnant la route de Freyberg.

Ces deux journées sont au nombre de celles qui Honorent le plus l'armée française. Jamais elle ne montra plus d'ardeur et de dévouement. La jeune garde avait engagé le combat le 26; elle fut admirable, et son exemple électrisa le reste de l'armée. Le roi de Naples disait dans son rapport: «La cavalerie se couvre de gloire; les masses sont rompues à coups de sabre malgré la résistance la plus opiniâtre. L'infanterie aborde l'ennemi à la baïonnette; les généraux dirigent dans ces attaques difficiles la bravoure encore inexpérimentée des jeunes soldats.» Il n'oubliait que lui-même dans un éloge si bien mérité car on le vit charger en personne les carrés à la tête de nos premiers escadrons.

L'ennemi eut 20,000 hommes tués ou blessés. 10,000 prisonniers; on lui prit aussi 26 pièces de canon, des caissons, des drapeaux; quatre généraux furent tués ou blessés, deux faits prisonniers.

De notre côté, nous eûmes sept généraux blessés.

Pendant la bataille, un boulet de canon emporta les deux jambes du général Moreau, qui venait d'arriver et se trouvait en ce moment près de l'empereur Alexandre. Il mourut peu de jours après, à Laun, en Bohême. Nous admirions, comme tout le monde, l'ancienne gloire de Moreau; mais il était dans les rangs de nos ennemis, et c'est ce que les militaires ne pardonnent jamais.

Napoléon rentra le soir à Dresde, et sans penser à la fatigue de ces deux journées, sans prendre à peine le temps de sécher ses vêtements trempés de pluie, il fit ses préparatifs pour livrer une troisième bataille. Malgré les pertes des deux journées précédentes, l'armée alliée était nombreuse, et l'Empereur ne pouvait croire qu'elle songeât à la retraite. Ce fut cependant ce qui arriva. Dans la nuit du 27, Schwartzemberg prit la route de Bohême. La victoire était remportée, et, pour la compléter, Napoléon dirigea les différents corps d'armée à la poursuite de l'ennemi dans toutes les directions.

Je dois maintenant reprendre l'histoire du 1er corps jusqu'au 28 août, lendemain de la bataille de Dresde.

CHAPITRE III.

OPÉRATIONS DU 1er CORPS.—PASSAGE DE L'ELBE À KŒNIGSTEIN.—MARCHE SUR
TŒPLITZ.—BATAILLE DE KULM.—DÉROUTE DU 1er CORPS.—RÉFLEXIONS SUR CETTE
BATAILLE.

J'ai dit plus haut que Napoléon, en quittant la Silésie, avait eu d'abord le projet de passer l'Elbe à Kœnigstein, pour déboucher sur les derrières de l'armée alliée, mais que de nouveaux rapports lui ayant donné lieu de craindre que Dresde ne fût enlevée avant son arrivée, il s'était décidé à marcher lui-même au secours de cette place, et à charger le général Vandamme seul de passer l'Elbe à Kœnigstein et de s'emparer du camp de Pirna.

L'opération était importante. Si la bataille de Dresde durait encore, nous prenions l'ennemi à dos et sa défaite était certaine. Si, comme il arriva, l'armée ennemie était battue et déjà en retraite, nous coupions les communications, nous lui interceptions la route de Peterswalde, et nous pouvions même le prévenir à Tœplitz.

J'ai mis en note la composition du 1er corps. L'Empereur y ajouta plusieurs brigades d'infanterie et de cavalerie, et voici l'état général des troupes que l'on donna au général Vandamme pour cette expédition:

+——————————————————————————————+——+——+ | |BAT.|ESC.| +——————————————————————————————+————-+ | 1° la 42e division (Mouton-Duvernet). | +——————————————————————————————+————-+ | |10e et 21e légers |2 bataillons.| | | | +—————————————+——————-+ | | | 1re brigade |96e de ligne |2 — | 6 | | | +—————————————+——————-+ | | | |40e et 43e de ligne |2 — | | | +——————————————————————————————+——+——+ | |4e et 12e légers |2 bataillons.| | | | +—————————————+——————-+ | | | 2e brigade. |9e et 28e légers |2 — | 6 | | |Général KREUTZER. +—————————————+——————-+ | | | |27e de ligne |2 — | | | +——————————————————————————————+——+——+ | Cavalerie légère. | +——————————————————————————————+————-+ |Colonel Rousseau. |3e de hussards |2 escadrons. | | | | +—————————————+——————-+ | 4 | | |27e chasseurs |2 — | | | +———————————————————————————————————+ | 2° La brigade du Général Quiot (23e DIVISION). | +——————————————————————————————+————-+ | |55e de ligne |2 bataillons.| | | | +—————————————+——————-+ 6 | | | |85e de ligne |4 — | | | +——————————————————————————————+————-+ | 3° Le 1er corps, commandé par le Général Vandamme, savoir: | +———————————————————————————————————+ | 1re division. Général Philippon. | +——————————————————————————————+————-+ |1re brigade. |7e léger |4 bataillons.| | | |Général Pouchelon. +—————————————+——————-+ 8 | | | |12e de ligne |4 — | | | +——————————————————————————————+——+——+ |2e brigade. |17e de ligne |4 bataillons.| | | |Général Fezensac. +—————————————+——————-+ 6 | | | |36e de ligne |2 — | | | +——————————————————————————————+——+——+ | 2e division. Général Dumonceau. | +——————————————————————————————+——+——+ |1re brigade. |13e léger |4 bataillons.| | | |Général Dunesme. +—————————————+——————-+ 8 | | | |25e de ligne |4 — | | | +——————————————————————————————+——+——+ |2e brigade. |51e de ligne |2 bataillons.| | | |Général Doucet. +—————————————+——————-+ 6 | | | |57e de ligne |4 — | | | +——————————————————————————————+——+——+ | Cavalerie légère. | +——————————————————————————————+——+——+ |21e brigade. |9e de lanciers français |4 escadrons. | | | |Général Gobrecht. +—————————————+——————-+ | 8 | | |Chasseurs d'Anhalt. |4 — | | | +——————————————————————————————+——+——+ | 4° la brigade du prince de Reuss. | +——————————————————————————————+————-+ | (5e division.—2e corps.) | +——————————————————————————————+——+——+ |Général Vial. |46e de ligne. |3 bataillons.| 6 | | | |72e de ligne |3 — | | | +——————————————————————————————+——+——+ | 5° DIVISION DE CAVALERIE LÉGÈRE (Corbineau). | +——————————————————————————————+——+——+ |Général Montmarie. |1er de lanciers français. |4 escadrons. | | 8 | | |3e de lanciers français. |4 — | | | +——————————————————————————————+——+——+ |Général Heimrodt. |16e chasseurs. |4 escadrons. | | 9 | | |Chasseurs italiens. |5 escadrons. | | | +——————————————————————————————+——+——+ |Total. | 52 | 29 | +——————————————————————————————+————-+

ARTILLERIE.

12 pièces de 6 et obusiers, à la division MOUTON-DUVERNET.

12 pièces de 6 et obusiers, à la division PHILIPPON.

12 pièces de 6 et obusiers, à la division DUMONCEAU.

12 pièces de réserve de 12 et obusiers.

12 pièces de 6 et obusiers, servis par 2 compagnies de canonniers à cheval.

Total. 60 pièces, plus 60 caissons du parc de réserve.

GÉNIE.

La 5e compagnie du 3e bataillon de sapeurs.
La 7e compagnie du 3e bataillon de sapeurs.
Une compagnie de mineurs.

Je crois que le nombre des présents était de 5 à 600 hommes par bataillon; environ 30,000 hommes d'infanterie.

En comptant 5,000 hommes de cavalerie (c'est beaucoup pour 29 escadrons); en y joignant l'artillerie et le génie, le total n'allait pas à 40,000 hommes.

Dans ma brigade, les quatre bataillons du 17e s'élevaient à 2,500 hommes; les deux bataillons du 36e à 1,000; moins de 600 hommes par bataillon.

Le 1er corps gardait en Silésie les débouchés de la Bohême, par Raumburg et Georgenthal; il importait de cacher à l'ennemi l'expédition que nous allions faire, et nous ne partîmes, le 24, qu'après avoir été relevés par le 8e corps et par la cavalerie de Kellermann. La 1re division fit l'arrière-garde; elle arriva à Hainsbach le soir; elle en repartit la nuit pour Neustadt, où elle passa toute la journée du 25. La 42e division était en tête, puisque auparavant elle occupait le camp de Lilienstein, et gardait le pont de l'Elbe à Kœnigstein. Pendant la nuit du 25 au 26 elle passa sur la rive gauche, et le 26 à la pointe du jour elle repoussa les Russes sur la route de Pirna, et s'établit dans le bois près de la forteresse de Kœnigstein. Vers quatre heures après-midi, la division Dumonceau et la division de cavalerie Corbineau passèrent l'Elbe, et vinrent se placer en avant de Leopoldshyn; la brigade Quiot suivit ce mouvement. Les Russes se retirèrent et prirent position, sous la protection d'une forte batterie, la droite à Kritzwitz, sur la route de Pirna, la gauche à l'Elbe, près de Naundorff. La 1re division et toute l'artillerie du 1er corps étaient encore en arrière. Cependant le général Vandamme se décida à attaquer cette position.

Ce fut une imprudence, car l'infanterie et la cavalerie souffrirent également du feu de l'artillerie auquel on ne pouvait répondre. Dans la soirée, les Russes se replièrent sur Pirna. Ce même jour 26, le général Philippon partit de Neustadt, passa l'Elbe, et vint bivouaquer au pied de la forteresse de Kœnigstein. Je fermai la marche après l'artillerie des deux divisions. Cette marche fut bien pénible, parce que les chemins étaient gâtés et que la pluie tombait par torrents. Il fallait donc s'arrêter à chaque pas pour retirer de la boue les canons et les caissons. Nous marchâmes toute la journée et toute la nuit du 26 en prenant à peine quelques instants de repos. Je ne voulais rien laisser en arrière, et je sentais la nécessité de conduire le plus tôt possible sur le terrain l'artillerie dont le général Vandamme avait manqué la veille. Nous passâmes l'Elbe avant le jour, et je me réunis d'assez bonne heure à la division, à Langenhennersdorf, entre Kœnigstein et Gieshübel. Le général Philippon, qui ne m'attendait pas encore, loua fort ma diligence. La 1re division resta ce jour-là à Langenhennersdorf avec la division Corbineau. Ma brigade avait besoin de repos.

Seulement le 7e léger, de la brigade Pouchelon, fut assez maladroitement engagé dans les bois qui conduisent à Gieshübel; le mauvais temps et les grandes eaux d'un torrent arrêtèrent la marche de ce régiment, qui vint reprendre sa place dans nos bivouacs. Il n'y a rien de pire que de fatiguer ainsi les troupes par des attaques partielles et décousues. Pendant ce temps, la 42e division était à Pirna, et la brigade de cavalerie Gobrecht tiraillait en avant sur la route de Dresde. La division Dumonceau, un peu en arrière, occupait le Kohlberg; c'était le jour de la bataille de Dresde.

Voici donc la situation le 28 au matin, lendemain de la bataille: la grande armée ennemie se retirait précipitamment en Bohême; la route de Freyberg, à notre droite, était occupée par le roi de Naples, celle de Peterswalde, à gauche, menacée par le général Vandamme. Toutes les colonnes ennemies suivaient les routes de Marienberg, Dippodiswalde, Altenberg, Furstenwald et Peterswalde. Ces différentes directions conduisaient à Tœplitz, à travers les montagnes. Les chemins étaient affreux; déjà cette retraite ressemblait à une fuite. La présence des souverains augmentait l'inquiétude et la confusion. Tout dépendait de la marche des différents corps de notre armée, qui allaient poursuivre l'ennemi. Le 28, le roi de Naples occupa Freyberg à l'extrême droite, et prit plusieurs convois. Le 2e corps l'appuya. Le 6e suivit la route de Dippodiswalde, s'empara de Keisslich, un peu en arrière de cette ville, et fit 3,000 prisonniers. La jeune garde devait occuper Pirna. Le 14e (et ceci est bien important) marchait sur Dohna et devait se réunir au général Vandamme. «Aussitôt la réunion faite, écrivait l'Empereur, les 1er et 14e corps se porteront à Gieshübel et se formeront sur les hauteurs de Gieshübel et de Hellendorf.» Ce premier jour pourtant, le maréchal Gouvion Saint-Cyr s'arrêta à Maxen, à la hauteur de Dohna.

Dans cette même matinée du 28, le général Vandamme prit position sur le plateau de Pirna, la droite à cette ville, couvrant le pont sur l'Elbe, et la gauche dans la direction de Cotta. Les généraux Corbineau et Philippon occupaient toujours Langenhennersdorf Le général Vandamme écrivait au major général «que l'ennemi était en force à Hellendorf et à Gieshübel; qu'il avait 25,000 hommes devant lui, et que ce nombre s'augmentait à chaque instant.» Il se plaignait: «de manquer de pièces de 12; son parc de réserve était à Dresde avec le général Baltus, commandant l'artillerie. Il n'avait donc point toutes les forces qui lui avaient été désignées.» Peu de temps après, il reçut du major général une lettre qui lui annonçait la bataille de Dresde, la retraite de l'ennemi, les pertes qu'il avait faites, l'ordre donné de le poursuivre dans toutes les directions. La lettre ajoutait que le duc de Trévise allait occuper Pirna, et que le maréchal Gouvion Saint-Cyr, suivant la direction de Donna, viendrait se joindre au 1er corps pour occuper Gieshübel et poursuivre l'ennemi sur la route de Peterswalde. Il n'en fallait pas tant pour enflammer un caractère aussi ardent que celui de Vandamme. Toute l'armée venait de se couvrir de gloire, et lui n'avait rien fait encore! Il venait même d'écrire une lettre, où il se plaignait du peu de moyens mis à sa disposition et du nombre d'ennemis qu'il avait devant lui! Il recevait l'ordre d'agir de concert avec le maréchal Gouvion Saint-Cyr; mais, s'il attendait le maréchal, ce dernier aurait tout l'honneur de la victoire. Il résolut donc de le prévenir et de s'emparer de Gieshübel.

Le général Philippon fut chargé de l'attaque, pendant que le général Corbineau partait également de Langenhennersdorf, en se dirigeant sur Barah. Ce général, qui commandait momentanément la division Philippon et la sienne, voulut faire attaquer Gottleube par ma brigade. Je ne m'en souciai point; les chemins étaient impraticables, et je n'avais nulle envie de recommencer la fausse manœuvre du général Pouchelon de la veille. Sur mes observations, le général Corbineau me réunit à la 1re brigade, pour concourir à l'attaque de Gieshübel. Vers trois heures, nous arrivions à l'entrée du bois de sapins qui conduit à ce village. Le général Vandamme accourut au galop; il était d'une grande animation; il reprocha au général Philippon de perdre son temps. «L'Empereur allait arriver, disait-il; toute l'armée poursuivait l'ennemi; c'était à nous de compléter sa défaite.» À l'instant, il lança la 1re division dans le bois, en dirigeant lui-même l'attaque. Gieshübel fut enlevé par le 7e léger, après une vive résistance. J'envoyai de là le 36e occuper Gottleube. Le général Vandamme alla jusqu'à Hellendorf; on fit plusieurs prisonniers. Les jeunes gens se conduisirent à merveille.

Voici la position des troupes dans la nuit du 28 au 29:

La brigade de Reuss en avant de Hellendorf; les Russes occupant
Peterswalde.

La division Corbineau et la brigade Gobrecht près de Hellendorf.

La première brigade de la 42e division entre Hellendorf et Gottleube, à la droite et hors de la grande route.

La division Philippon à Gieshübel, le 36e occupant Gottleube.

La division Dumonceau à Gieshübel, ayant sa 2e brigade dans la direction de Langenhennersdorf.

La brigade Kreutzer, de la 42e division, avec sa cavalerie vers Gabel, à la droite de Gieshübel.

La brigade Quiot, en arrière, près de Langenhennersdorf.

La batterie de pièces de 12, avec le parc de réserve, partie le matin de Dresde, marcha toute la nuit et rejoignit les troupes à Peterswalde. Le parc de réserve suivait à distance.

Le général Vandamme mandait le soir du 28 au major général qu'il marcherait le lendemain sur Tœplitz, à moins d'ordres contraires. Ce même soir, le major général lui écrivait de se diriger sur Peterswalde avec toutes ses troupes, et de pénétrer en Bohême. «L'ennemi, disait-il, paraît se retirer sur Annaberg (dans la direction d'Egra, ce qui l'éloignait beaucoup de Tœplitz et de Prague). L'Empereur pense que vous pourriez arriver avant l'ennemi sur la communication de Teschen, et prendre ses équipages, ses ambulances et ses bagages.» C'est là le dernier ordre que Vandamme ait reçu.

Dans cette même journée du 28, il était arrivé un événement bien funeste, et qui fut la première cause de tous nos malheurs. L'Empereur s'était porté à Pirna pour y établir son quartier général. Il avait déjeuné comme à l'ordinaire, et il regardait défiler les troupes, lorsqu'il fut saisi de violentes douleurs d'entrailles. On le crut empoisonné. Il retourna à Dresde, soit par suite de son indisposition, soit à cause des mauvaises nouvelles qu'il avait reçues de la Silésie et des environs de Berlin; ce dernier motif ne me semble pas suffisant. Quelque fâcheux que fussent nos revers, quelque avantage qu'offrît la prise de Berlin, le point important était l'armée de Bohême, où se trouvaient les souverains alliés. C'est là que le sort de la guerre devait se décider. Sans doute, Napoléon avait prescrit les mesures nécessaires pour poursuivre l'ennemi dans toutes les directions, et compléter ainsi le succès de la bataille de Dresde; mais il savait par expérience combien en son absence les commandants des différents corps d'armée étaient peu disposés à s'entendre; s'il fût resté à Pirna, il eût pu recevoir plus tôt les rapports, donner les ordres nécessaires, diriger ses lieutenants et les faire obéir. On va voir les déplorables conséquences de son éloignement de l'armée.

Le 29 au matin, Vandamme continua son mouvement avec toutes ses troupes. La brigade de Reuss marchait en tête. On enleva Peterswalde, où l'on prit 800 hommes. La résistance fut plus vive à Hellendorf; l'arrière-garde russe était en position, protégée par son artillerie. Le prince de Reuss fut tué d'un coup de canon. Vandamme, qui ne quittait pas l'avant-garde, reçut son dernier soupir et lui donna des larmes. J'aimais aussi et j'appréciais le prince de Reuss; mais je dois avouer qu'il est mort à propos, car la coalition victorieuse ne lui aurait jamais pardonné sa fidélité à notre cause.

Les Russes continuèrent leur retraite; ils se placèrent en arrière de Priesten, occupant Kulm et Straden. Le général Revest, chef d'état-major, qui remplaçait le général de Reuss, les chassa de deux villages et se porta sur leur position; mais alors la défense devint sérieuse. Il n'y avait plus à reculer; nous étions à deux lieues de Tœplitz. C'est sur ce point qu'aboutissaient tous les chemins venant de Dresde, et par lesquels se dirigeaient les différents corps de l'armée combinée. Déjà l'alarme était répandue dans la ville; les équipages, les non-combattants et toute la suite de l'armée se sauvaient par divers chemins. Il était midi. Ostermann, qui commandait l'arrière-garde ennemie, déclara qu'il s'arrêterait là, et que le moment était venu de vaincre ou de périr. Pour la première fois, la brigade de Reuss fut repoussée. Vandamme, accoutumé à chasser devant lui l'arrière-garde, crut vaincre facilement cette résistance. Il engagea successivement les brigades de la 42e division, à mesure qu'elles arrivaient. Ces attaques décousues n'eurent aucun succès. Le 12e régiment, détaché de notre division pour soutenir la 42e ne réussit pas davantage. La ténacité du général Ostermann avait donné au prince Constantin le temps de lui amener 40 escadrons. La tête de ma brigade arrivait sur le terrain. Le général Philippon m'ordonna d'attaquer avec le 1er bataillon du 17e. Je le conjurai d'attendre au moins le reste de ma brigade. Engager un seul bataillon composé de soldats qui n'avaient point vu le feu, attaquer ainsi un ennemi bien posté et encouragé par le succès de sa résistance, c'était se faire battre de gaieté de cœur. Il ne m'écouta pas; le général en chef l'avait dit, et Philippon n'osait lui faire aucune observation. Ce que j'avais prévu arriva; le 17e ne soutint pas le feu de l'ennemi. Ses quatre bataillons, engagés successivement, se retirèrent en désordre. Le 36e eut le même sort. Je ralliai ma brigade le plus promptement possible, et encore très-près de l'ennemi, qui reprenait l'offensive. Déjà la cavalerie russe, faiblement contenue par la nôtre, se déployait dans la plaine. Vandamme tenta un dernier effort avec le 7e léger, seul régiment de la 1re division qui fût encore intact. Je l'appuyai à droite avec toute ma brigade; mais ce régiment put à peine se déployer; parvenu au bord d'un ravin, il plia sous le feu de la mitraille et de l'infanterie. La cavalerie le chargea. Heureusement il se retira sous l'appui de ma brigade, que je parvins à maintenir. La cavalerie du général Gobrecht favorisa notre retraite, et 24 pièces de canon, établies sur la hauteur entre Kulm et Straden, arrêtèrent l'ennemi.

Le major Duportal du 7e léger fut tué près de moi. Il était capitaine des grenadiers au 59e en 1804, lorsque je m'engageai dans ce régiment. Personne ne m'avait témoigné autant de bienveillance et n'avait plus encouragé mon début dans la carrière.

Le 17e perdit 600 hommes et le 36e 200. La brigade Pouchelon fut au moins aussi maltraitée.

Vandamme, voyant que l'ennemi recevait de nouveaux renforts, ne songea plus qu'à conserver sa position en attendant le reste de ses troupes. Il avait 30 bataillons en face de l'ennemi et 22 en arrière. Dans la soirée et dans la nuit arrivèrent successivement la division Dumonceau, la brigade Quiot, le reste de l'artillerie et le parc de réserve. On bivouaqua sur le terrain.

Les ordres de Napoléon pour cette même journée prescrivaient au roi de Naples de marcher sur Frauenstein; au maréchal Marmont de suivre la direction de Dippodiswalde; au maréchal Gouvion Saint-Cyr, celle de Maxen. Le maréchal Marmont eut une fort belle affaire en avant de Dippodiswalde; mais le général Gouvion Saint-Cyr s'arrêta à Reinhardsgrimma entre Dippodiswalde et Dohna. Il avait laissé passer le maréchal Marmont, disait-il, parce que deux corps d'armée ne pouvaient pas traverser ensemble le même défilé. Il était donc en arrière de Marmont, et bien plus encore en arrière de Vandamme, avec lequel il aurait dû se lier.

Vandamme ignorait ces détails; mais il savait que les hauteurs du Geyersberg à sa droite et de Mollendorf sur ses derrières n'étaient point occupées. Cependant il s'obstinait à compter sur l'arrivée du maréchal Mortier ou du maréchal Gouvion Saint-Cyr, et il résolut de combattre encore le 30 en avant de Kulm. Personne ne partageait ses illusions. Les généraux, les officiers et les soldats manquaient également de confiance. C'est une disposition fâcheuse au commencement d'une bataille. Chacun de nous ne répondait que de sa bravoure personnelle, et quand les mesures sont mal prises, ce n'est pas assez pour réussir.

Le 30 au matin nous formâmes notre ligne de bataille sans être inquiétés. La 42e division, à la droite de Straden, appuyant au bois qui domine le Geyersberg; la 1re division à sa gauche; la brigade Quiot à cheval sur la grande route de Kulm; la brigade de Reuss derrière celle-ci; la brigade Doucet en arrière de Kulm; la brigade Dunesme à la gauche de la grande route; la cavalerie à l'extrême gauche vers Neudorf. Elle aurait dû appuyer à l'Elbe, à Aussig, mais notre armée n'était pas assez nombreuse pour occuper une ligne aussi étendue. On s'était contenté d'envoyer à Aussig le général Kreutzer de la 42e division avec deux bataillons et 400 chevaux; il avait l'ordre de communiquer par sa cavalerie avec le général Dumonceau, et d'empêcher que la gauche de ce général ne fût tournée; ce qui était difficile, à cause de la distance qui sépare Aussig de Kulm, et de notre infériorité numérique.

L'armée russe, commandée par le général Barclay de Tolly, prit position en face de nous. Sa droite débordait notre gauche, que le projet du général était de tourner et de rejeter sur le centre. L'action s'engagea de ce côté. L'attaque fut soutenue avec vigueur par le général Dunesme. Les brigades Gobrecht et Heimrodt exécutèrent de belles charges; mais l'ennemi gagnait du terrain et se prolongeait dans la direction d'Arbesau. Le général Vandamme détacha la brigade Quiot pour soutenir la gauche. Pendant ce temps, le centre et la droite étaient fortement canonnés par l'ennemi. On avait formé la 1re division en échelons, par bataillon, à d'assez grandes distances. Les troupes étaient bien disposées malgré l'échec de la veille; mais un événement funeste rendit toute résistance impossible. Le corps prussien de Kleist, qui se retirait en désordre par Glasshüte et Schonenwald, était arrivé sur les hauteurs de Nollendorf. Ce général, apercevant la position de notre armée, reprit courage, descendit de Nollendorf et se forma au pied de la colline. Ainsi, notre armée, menacée de front par des forces supérieures et débordée sur son flanc gauche, trouvait le défilé par lequel seul elle pouvait opérer sa retraite occupé par l'ennemi. Une retraite régulière devenait impossible; il fallait passer sur le corps des Prussiens et regagner les hauteurs de Nollendorf en abandonnant l'artillerie. Les brigades Quiot et Reuss firent volte-face pour attaquer Kleist. J'eus l'ordre de les appuyer. Je me trouvais alors avec le 36e que je ne voulais pas quitter. Il formait la gauche de la division, et cette gauche était fort en l'air depuis le départ du général Quiot. L'attaque devenait plus vive; déjà la droite de la division commençait à plier. J'envoyai chercher le 17e; il ne vint pas. Pressé par le général Vandamme, je lui amenai le 36e qu'il dirigea lui-même contre les Prussiens. Le 36e était si affaibli que j'avais réuni les deux bataillons en un seul. À cette époque il n'y avait que six compagnies par bataillon. En traversant le village de Kulm, trois compagnies furent détachées à l'artillerie; il me resta donc trois compagnies. Je ne pus que les envoyer en tirailleurs, et marcher moi-même à leur tête avec le major Sicart. La première ligne des Prussiens fut rompue et leurs canons enlevés; mais la seconde ligne nous arrêta et nous ramena bientôt en désordre. Si les généraux Philippon et Mouton-Duvernet avaient pu nous seconder, cette seconde ligne eût été enfoncée comme la première. Ces deux généraux commencèrent en effet leur retraite entre Kulm et le Geyersberg, et les colonnes russes les serraient de près. Notre cavalerie de l'aile gauche, entièrement débordée, vint se jeter dans leurs rangs; le désordre se mit parmi les équipages; on détela les chevaux. Une masse de fuyards se précipita dans le bois de Geyersberg, et y entraîna les deux divisions. Toute la cavalerie ennemie se répandit alors dans la plaine; les brigades Quiot, Reuss et Dunesme furent rompues à leur tour et se sauvèrent dans les bois. J'errais dans la plaine au milieu de cette inexprimable confusion; je n'avais plus un seul homme de ma brigade; mon aide de camp, blessé la veille, n'avait pu m'accompagner. Les ennemis m'entouraient, et j'aurais été pris cent fois, si je n'avais pas eu la volonté bien arrêtée de ne pas me rendre, «à moins, comme disait le maréchal Ney, qu'on ne me tînt par la cravate.» C'est ce qui pensa m'arriver; je me trouvai face à face avec des tirailleurs prussiens, qui me parlèrent comme à un des leurs, et ne s'aperçurent de leur méprise que quand je fus éloigné. Ils me tirèrent des coups de fusil, et ne réussirent pas plus à me tuer qu'à me prendre. Quelques pelotons d'infanterie marchaient encore en ordre, je me mis à leur tête; ils furent écrasés en un instant. Je me réunis enfin au 16e de chasseurs, qui, par un effort désespéré, cherchait à se faire jour sur la grande route. Bientôt le feu de l'artillerie prussienne renversa les hommes et les chevaux, et le régiment se dispersa. Je ne songeai plus alors qu'à ma retraite personnelle, en emportant du moins la consolation d'avoir quitté le dernier ce funeste champ de bataille. Je gagnai les bois du Geyersberg; un escadron de Cosaques me poursuivait; je leur abandonnai mon cheval, et j'entrai dans un fourré où ils ne pouvaient me suivre. Je trouvai le bois encombré de fuyards de tous les corps et de toutes les armes. Un soldat conduisait un cheval en main; je le lui pris. Après une heure de marche, j'arrivai sur un plateau à l'autre extrémité du bois; un officier de la 2e division, égaré comme moi, m'accompagnait. On voyait de loin des troupes sur la hauteur; cela nous causa quelque inquiétude. Nous entendîmes des commandements en français; c'étaient les généraux Philippon et Mouton-Duvernet, qui se ralliaient à la sortie du bois pour continuer leur retraite. Je me trouvais ainsi réuni à ce qui restait de ma brigade. Je fus reçu avec de grands transports de surprise et de joie; on me croyait perdu. Je n'ai jamais en effet couru tant de dangers, et je ne comprends pas que je n'aie pas même été blessé. Nous nous arrêtâmes le soir à Liebenau, où le maréchal Gouvion Saint-Cyr venait d'arriver de son côté.

Le général Montmarie, avec une partie de sa brigade de cavalerie légère, parvint à se faire jour sur la grande route et rejoignit le maréchal Mortier à Pirna.

Le général Kreutzer, détaché à Aussig, ainsi que je l'ai déjà dit, ne fut que faiblement attaqué. Il se retira le soir en bon ordre par Biéta, et ramena le lendemain à Kœnigstein ses deux bataillons et le 3e de hussards, en conduisant même quelques prisonniers.

Les pertes du 1er corps furent immenses. Dans ma brigade, le 17e perdit pendant les deux journées 1500 hommes sur 2,600; le 36e, 750 sur 1,000. Ainsi, au 31 août, la situation du 17e était de 1,100 hommes, et celle du 36e de 250. Le 36e avait 40 officiers présents; 6 furent tués ou blessés, 14 prisonniers, en y comprenant le major Sicart. Un assez grand nombre d'hommes blessés ou égarés rentrèrent plus tard, mais je pense que le personnel du 1er corps fut réduit de moitié, ce qui fait une perte de 20,000 hommes. Le général Vandamme fut pris dans la plaine au moment où je venais de le quitter[63].

Les généraux Haxo et Quiot blessés et pris, le général Pouchelon blessé légèrement, le général Heimrodt tué. Les rapports des Prussiens me portent aussi au nombre des morts; 60 pièces de canon, 18 obusiers, tous les caissons, y compris ceux du parc de réserve, tous les bagages enfin tombèrent entre les mains de l'ennemi. Nous arrivâmes à Liebenau en ne possédant que ce que nous avions sur le corps.

L'effet moral de cette défaite fut bien plus fâcheux encore. Il en résulta un découragement qui dura jusqu'à la fin de la campagne. Les jeunes soldats ont besoin de succès, les anciens seuls savent supporter les revers. Nous ne reconnaissions plus les hommes qui, la veille encore, abordaient l'ennemi avec tant d'audace. Le 29 au matin, le 1er corps se composait de 40,000 braves; le 30 au soir, il ne comptait plus que 20,000 soldats découragés.

Quant aux conséquences politiques de l'affaire de Kulm, elles furent désastreuses. Notre victoire de Dresde avait frappé de terreur les souverains alliés; tout leur désir était de rouvrir des négociations qui, cette fois, auraient été suivies de la paix. Le succès releva leur courage. L'effet en fut si prompt, que le colonel Galbois, envoyé le 31 pour traiter d'un échange de prisonniers, ne fut pas même reçu. Deux jours plus tôt, il eût été accueilli avec empressement.

Mais, qui doit-on accuser de ce désastre? Vandamme avait-il ou non l'ordre de marcher sur Tœplitz? Les autres corps étaient-ils en mesure de le seconder? Les ordres ont-ils été mal donnés ou mal exécutés? À cet égard, il y a plus d'un coupable. D'abord, et qu'on me permette de le dire, il est à regretter que Napoléon lui-même n'ait pas surveillé davantage l'exécution de ses ordres. Le 28, il écrivait à Gouvion Saint-Cyr de se joindre à Vandamme et de placer les deux corps à Gieshübel. Cependant la réunion n'eut pas lieu. Gouvion Saint-Cyr resta le 29 à Reinhardsgrimma, à la hauteur de Dohna. Vandamme attaqua seul, et le 29 il écrivait de Hellendorf qu'il marcherait le lendemain sur Tœplitz, à moins d'ordre contraire. L'ordre n'arriva pas, et Napoléon le savait, car le 30 il écrivait au major général que Vandamme marchait sur Tœplitz. Or, comme ce jour même Gouvion Saint-Cyr partait seulement de Reinhardsgrimma, Vandamme se trouvait isolé.

Quant au maréchal Gouvion Saint-Cyr, sa conduite mérite de grands reproches. Le 28, il recevait l'ordre de se joindre au général Vandamme pour marcher sur Gieshübel; cependant il n'alla que jusqu'à Maxen, et le lendemain 29, il s'arrêta à Reinhardsgrimma, après avoir fait une lieue et demie, tandis qu'il pouvait prendre à gauche la route de Glasshüte à Fürstenwald, qui ne fut point occupée pendant la journée du 30. Cette route conduisait également à Tœplitz. En la suivant, Gouvion Saint-Cyr se mettait en communication par sa droite avec Marmont, qui arrivait le 30 à Zinvald, et par sa gauche avec Vandamme. Assurément, avec un peu d'activité, il eût été en mesure de prendre part à l'affaire du 30, ou au moins de protéger notre retraite.

Enfin le maréchal Mortier fut informé à Pirna que le général prussien Kleist se dirigeait de Liebstadt sur Nollendorf, et se trouvait par conséquent entre lui et nous. Il le poursuivit, mais fort lentement. Ainsi, par le concours de toutes ces circonstances, le 1er corps se trouva seul en présence de toute l'armée ennemie.

Mais la faute la plus impardonnable fut celle du général Vandamme. On comprend qu'il ait été tenté de faire une pointe sur Tœplitz; il en avait prévenu l'Empereur, qui l'avait autorisé par son silence. Il avait même reçu l'avis que les principales forces de l'ennemi se retiraient sur Annaberg, dans une direction tout opposée; cependant la résistance que son avant-garde éprouva le 29, dans la plaine de Kulm, et les forces toujours croissantes de l'ennemi durent lui apprendre qu'il avait été mal informé et qu'il allait avoir affaire à l'armée coalisée tout entière. Dans cette situation, au lieu de réunir ses troupes pour faire une attaque sérieuse, il passa la journée à user la 42e et la 1re division dans des attaques partielles où nous eûmes toujours le désavantage. Le soir il ne reçut aucun avis de la marche des autres corps; il n'envoya point d'officier pour lui en rapporter des nouvelles. Bien plus, dans la nuit il apprit par l'arrivée de la brigade Doucet, que le maréchal Mortier se trouvait toujours dans les environs de Pirna, et que les hauteurs de Nollendorf n'étaient point occupées. Le général Haxo, que l'Empereur avait envoyé près de lui, le conjura alors de se retirer pour prendre la position de Nollendorf. S'il eût suivi ce conseil, nous faisions prisonnière la division du général Kleist, qui nous a été si fatale. Ainsi, non-seulement la retraite eût été prudente, mais encore il en serait résulté un beau fait d'armes. Nous rentrions en communication avec les maréchaux Marmont et Gouvion Saint-Cyr; les opérations mieux combinées de tous les corps d'armée auraient complété la victoire de Dresde et sans doute amené la paix. Vandamme ne voulut rien entendre; son obstination causa sa perte et la nôtre. Il était l'auteur de ce désastre; il en fut aussi la première victime, et l'on dirait qu'il ait voulu justifier par son exemple la maxime qu'il répétait souvent: «Il n'y a point de petite faute à la guerre; un seul instant suffit pour faire perdre le fruit de plusieurs années d'utiles et glorieux services.»

CHAPITRE IV.

RÉORGANISATION DU 1er CORPS.—OPÉRATIONS EN SAXE ET EN SILÉSIE.—DÉFAITE
DU MARÉCHAL MACDONALD À LA KATZBACH, EN SILÉSIE.—DÉFAITE DU MARÉCHAL
OUDINOT À GROSBEEREN, DEVANT BERLIN.—DÉFAITE DU MARÉCHAL NEY À
JUTERBOCH, SUR LA ROUTE DE BERLIN.—RÉFLEXIONS SUR LES ÉVÉNEMENTS DU
MOIS D'AOÛT.—POSITION DES ARMÉES AU 15 SEPTEMBRE.

Le 1er corps, arrivé au camp de Liebenau le 30 août au soir, y passa toute la journée du 31 réuni au 14e. Les généraux Mouton-Duvernet et Philippon allèrent voir le maréchal Gouvion Saint-Cyr, qui accueillit avec sa froideur accoutumée le récit du désastre de Kulm, auquel la lenteur de sa marche n'avait que trop contribué. Je ne crus pas devoir me présenter chez lui; je n'étais que général de brigade; je ne l'avais jamais vu, et le moment était mal choisi pour faire connaissance. Nous passâmes la journée du 31 à prendre quelque repos, et à nous raconter mutuellement ce qui nous était arrivé dans la triste journée de la veille. Plusieurs hommes isolés nous rejoignirent. Le général Pouchelon, blessé le 29, s'était rendu directement à Dresde et ne reparut plus. Je reprochai au colonel Susbielle du 17e de n'être point venu se joindre au 36e, ainsi que je lui en avais envoyé l'ordre au moment où ma brigade fit volte-face pour marcher contre les Prussiens. Il recevait en ce moment, dit-il, des ordres contraires du général Philippon, qui resserrait ses échelons vers la droite. Il suivit donc la 1re brigade et fut entraîné avec elle dans la déroute générale. J'admis l'excuse, et pourtant j'ai toujours regretté d'avoir eu ma brigade morcelée dans une aussi grave circonstance. Sans garder rancune au 17e, je ne puis oublier que le 36e seul m'a suivi, et que le petit nombre d'hommes de ce régiment qui m'entouraient ont tous été tués, blessés ou faits prisonniers à mes côtés. Aussi, après le 59e, où j'ai fait mes premières armes, et le 4e, que j'ai eu l'honneur de commander, le 36e est de tous les régiments de l'ancienne armée celui dont le souvenir m'a toujours été le plus cher.

Le 1er corps fut envoyé à Dresde le 1er septembre pour s'occuper de sa réorganisation. Nous campâmes en avant de la ville, sur la route de Pirna. J'ai dit que ce 1er corps avait perdu la moitié de son personnel: aussi les régiments de quatre bataillons furent réorganisés à deux, et les régiments de deux bataillons réduits à un seul. On plaça à la suite les officiers qui excédaient le nombre nécessaire à la composition de ces nouveaux bataillons. Quant aux sous-officiers et caporaux, il y en eut peu d'excédants; la moitié des cadres comme la moitié des soldats avait disparu dans la tempête. Ma brigade se trouva donc réduite à trois bataillons et la 1re à quatre. Le 17e avait 1450 hommes présents et 73 officiers, dont 26 à la suite; cela faisait 700 hommes par bataillon. Le 36e, qui avait été le plus maltraité, ne comptait que 530 hommes et 23 officiers. Le bataillon du 36e était sous les ordres du commandant Froidure, officier plein de zèle et de dévouement. La 23e division (général Teste) fut réunie tout entière au 1er corps.

Le comte de Lobau remplaça le général Vandamme comme commandant en chef, et conserva le général Revest pour chef d'état-major.

L'Empereur nous passa en revue le 7 septembre, à Dresde; il accorda quelques grâces et pourvut aux emplois vacants. Il nomma général le colonel Chartran, du 25e de ligne (2e division Dumonceau), et lui confia le commandement de la brigade dont ce régiment faisait partie. Le major Fantin des Odoarts, excellent officier, le remplaça comme colonel du 25e. M. Locqueneux, capitaine au 17e, passa chef de bataillon dans son régiment.

Chacun de nous mit à profit le séjour de Dresde pour réparer un peu les pertes qu'il avait faites. Il ne nous restait plus rien, et la plupart des officiers manquaient d'argent. Cependant, à l'aide de l'activité et de l'intelligence si naturelles aux Français, nous vînmes à bout, en peu de jours, de nous procurer du moins le nécessaire. J'éprouvai un grand plaisir à revoir mes anciens amis du quartier impérial et à causer avec eux de notre situation. Je ne trouvai partout que découragement et tristesse. M. de Narbonne m'assura que sans l'affaire de Kulm la paix allait se conclure, mais qu'à présent personne ne pouvait prévoir le terme et le résultat de la lutte où nous étions si imprudemment engagés. Le maréchal Ney venait de quitter Dresde, et j'appris par ses aides de camp qu'il partageait l'inquiétude générale.

Le 1er corps, étant entièrement réorganisé, partit ensuite de Dresde pour prendre part aux opérations de la Grande Armée. Avant d'en faire le récit, je dois revenir sur mes pas et raconter sommairement l'historique des autres corps d'armée pendant la fin d'août et le commencement de septembre.

La défaite du 1er corps à Kulm n'est pas le seul revers qu'aient éprouvé nos armes dans cette première période de la campagne. Aux deux extrémités du théâtre de la guerre, en Silésie et devant Berlin, la fortune nous trahit encore.

J'ai dit que Napoléon avait laissé en Silésie le maréchal Macdonald à la tête de 80,000 hommes, avec la mission de contenir Blücher. Ce dernier avait concentré son armée à Jauer, derrière la Wüthende-Neisse, qui se jette dans la Katzbach au-dessous de Liegnitz. Macdonald voulut l'attaquer dans cette position; mais Blücher, de son côté, avait pris l'offensive. Macdonald fut obligé de changer ses dispositions. Le 26 août, il fit passer sur la rive droite de la Katzbach, à Somochowitz et Niedergrayn, les 11e, 3e corps et 2e de cavalerie, pendant que le 8e corps restait sur la rive gauche de la Wüthende-Neisse. Le 11e corps arriva seul; le 3e corps et la cavalerie, égarés par de fausses directions, se rencontrèrent au défilé de Niedergrayn, qu'ils traversèrent pêle-mêle. Les bataillons et les escadrons, entrant en ligne successivement et à peine ralliés, ne purent porter qu'un faible secours au 11e corps, qui soutenait une lutte inégale. À l'entrée de la nuit, nos troupes furent acculées à la Katzbach et la repassèrent en désordre. Sur l'autre rive, le 5e corps fit sa retraite par Golberg en abandonnant son artillerie. La division Puthod de ce corps d'armée fut prise après s'être vaillamment défendue. Macdonald se retira à Gorlitz, derrière la Neisse. Nous perdîmes 10,000 hommes tués ou blessés, 1,500 prisonniers, l'artillerie des 5e et 11e corps et presque tous les bagages. La pluie tombait sans discontinuer; les torrents étaient grossis, les gués impraticables. Cet accident fut une des principales causes du désastre de l'armée de Silésie.

Pendant ce temps, le maréchal Oudinot devait marcher sur Berlin à la tête des 4e 7e et 12e corps, et 3e de cavalerie. Il avait environ 65,000 hommes, et le prince royal de Suède 90,000. Le 18 août, l'armée française était réunie à Dahne, route de Torgau à Berlin. Oudinot marcha par Baruth et manœuvra ensuite entre la route de Torgau et celle de Wittemberg. Il manquait de renseignements précis sur la situation de l'ennemi. Après plusieurs combats d'avant-garde, il arriva le 22 en arrière des défilés de Blankenfeld, Groosbeeren et Arensdorf. Le 4e corps formait la droite, le 7e le centre, le 12e la gauche. Le 23 août, le 7e corps rencontra à Groosbeeren le gros de l'armée ennemie, et malheureusement ce corps était en grande partie composé de Saxons qui se battirent mollement et finirent par perdre la position de Groosbeeren, en abandonnant à l'ennemi 13 pièces de canon et 1,500 prisonniers. Le 24, le maréchal Oudinot commença sa retraite, que protégea le 7e corps. Elle se fit en bon ordre jusque sous les murs de Wittemberg. L'ennemi nous poursuivit lentement.

Le prince d'Eckmühl était sorti de Hambourg pour appuyer le mouvement du maréchal Oudinot. Il poussa devant lui le général Walmoden, et entra, le 24 août, à Schwerin; il y resta jusqu'au 2 septembre, et se retira ensuite derrière la Stecknitz, vers Ratzebourg. En même temps, le général Girard, venant de Magdebourg, s'avançait sur Belzic avec 5,000 hommes, pour lier le maréchal Oudinot au prince d'Eckmühl. Il resta en position à Liebnitz, en attendant des nouvelles du maréchal Oudinot. Le 27, quatre jours après le combat de Groosbeeren dont il ignorait le résultat, il fut attaqué, et rentra avec peine à Magdebourg, en perdant 1,000 prisonniers et 6 pièces de canon.

Malgré ces trois échecs successifs, Napoléon n'en poursuivit pas moins l'exécution de ses plans. Macdonald et Poniatowski, derrière la Neisse, à Gorlitz et à Zittau, pouvaient encore contenir Blücher. Les 1er, 2e et 14e corps gardaient les défilés des montagnes de la Bohême contre Schwartzemberg. L'Empereur, à Dresde, avait l'œil sur la Bohême et sur la Silésie. Pendant ce temps, il songeait à réunir sous un chef habile les corps d'armée qui venaient d'échouer devant Berlin et qui avaient fort peu souffert, et il espérait tenter avec plus de succès une nouvelle expédition contre la capitale.

Mais déjà Macdonald abandonnait la ligne de la Neisse et se retirait derrière la Sprée; son armée était affaiblie, découragée, et l'ennemi venait de s'emparer d'un convoi considérable qui devait réparer ses pertes.

Napoléon y courut et reprit l'offensive. Le 4 septembre, Blücher, dont le but n'était que de gagner du temps, se retira derrière la Queisse. L'Empereur ne voulut point le poursuivre, afin de ne pas trop s'éloigner de Dresde, centre de ses opérations. Déjà le maréchal Saint-Cyr écrivait, les 3 et 6 septembre, qu'il allait être attaqué. Napoléon, dont la présence était partout nécessaire, reparut, le 6, à Dresde, et nous passa en revue le 7, ainsi que je l'ai dit. L'armée ennemie s'avançait par les routes de Fürstenwald et de Pirna. Déjà Donna était occupé par l'avant-garde.

Le 8, Napoléon marcha en avant avec les 1er, 2e et 14e corps, soutenus par la garde impériale. L'ennemi, fidèle à son système, se retirait devant lui. Le 9, nous étions à Dohna, le 10 à Liebstadt, Barenstein et Ebersdorf, au pied du Geyersberg, qui nous séparait seul de la plaine de Kulm, où l'on apercevait l'armée ennemie rangée en bataille; mais le passage des montagnes était impraticable pour l'artillerie, et la 43e division (général Bonnet), qui avait occupé le Geyersberg, fut obligée, après un long combat, de regagner Ebersdorf[64].

Napoléon se borna alors à garder les débouchés des montagnes, pour tenir l'ennemi éloigné de Dresde. Le duc de Bellune (2e corps) se porta à Altenberg, pour observer les routes de Dippodiswalde et Freyberg. Le maréchal Saint-Cyr, investi du commandement des 1er et 14e corps, surveillait les débouchés de Borna et de Nollendorf; en conséquence, le 12 septembre, le 1er corps s'échelonna sur la route de Kulm, la 2e division en tête de Nollendorf, la 1er à Peterswalde, la 23e en arrière, à Hellendorf, et le maréchal à Liebstadt, sur la route de Furstenwalde.

Mais, pendant que Napoléon s'occupait ainsi de contenir les armées de Bohême et de Silésie, nous recevions sur la route de Berlin un nouvel échec plus grave que le précédent.

Le 1er septembre, l'Empereur avait remis au maréchal Ney le commandement de l'armée du Nord, composée, comme précédemment, des 4e corps (général Bertrand), 7e (général Reynier) et 12e (maréchal Oudinot). J'ai déjà dit que le maréchal Oudinot avait replié l'armée en avant de Wittemberg. Napoléon s'en plaignit ouvertement, car ce mouvement avait permis à l'ennemi de se porter sur Luckau et d'inquiéter les communications de Macdonald. C'était le moment où l'Empereur, à Hoyerswerda, allait attaquer Blücher. Il prescrivait donc au maréchal Ney de partir le 4, pour être le 6 à Baruth (route de Torgau, à trois journées de marche de Berlin). Le même jour, un corps de troupes occuperait Luckau, pour faire la jonction entre l'Empereur et le maréchal. L'attaque de Berlin pouvait ainsi avoir lieu du 9 au 10.

Le maréchal Ney entreprit à regret une expédition qui ne lui inspirait point de confiance. Cette impression était de mauvais augure de la part d'un homme aussi entreprenant et que je n'avais jamais vu douter de sa fortune. Il arriva le 4 à Wittemberg; le 5, après avoir chassé l'ennemi de Zalma et de Seyda, il prit position à gauche de cette dernière ville, à cheval sur la route de Jüterbogt. Le général Tauenzien occupait Jüterbogt. Le 8 seulement, Bülow arrivait à Kunz-Lippsdorf, à trois lieues, et le prince royal de Suède à Lobessen, à sept lieues sur la droite. Le maréchal Ney avait l'ordre de se porter à Baruth, et l'occupation de Seyda lui en donnait le moyen. Il fallait, le 6, avant le jour, prendre la route de Dahne par Maxdorf, avec les 7e et 12e corps, en tournant Jüterbogt, et laisser le 4e à Gohlsdorf, pour masquer le mouvement. L'ennemi n'était point réuni et ne pouvait connaître notre direction. Le maréchal, placé à Dahne, se trouvait en communication avec l'Empereur et en mesure de marcher sur Berlin.

Au lieu de cela, le 4e corps fut dirigé, le 6 au matin, sur la route de Jüterbogt, et rencontra près de Dennewitz le général Tauenzien, qui lui opposa une vive résistance. Par une incroyable fatalité, les 7e et 12e corps ne parurent sur le terrain qu'à trois et quatre heures[65]. Pendant ce temps, le général Bülow arrivait au secours de Tauenzien, et le 4e corps soutenait seul les efforts de l'ennemi. Le plateau de Dennewitz, le village de Gohlsdorf, furent pris et repris. Le maréchal Ney donna comme toujours l'exemple de la plus brillante valeur.

Mais, au milieu de l'affaire, le 12e corps fit un mouvement de flanc que l'on prit pour une retraite. L'ennemi redoubla d'efforts. Le 4e corps, fatigué d'un combat inégal, perdit la position de Dennewitz. Le prince royal de Suède, arrivant de Lobessen sur notre gauche, menaçait de nous envelopper. Le maréchal Ney prit le parti de la retraite, que déjà peut-être il ne pouvait plus empêcher. Elle se fit d'abord en bon ordre. Bientôt, deux divisions saxonnes du 7e corps ayant lâché pied, l'ennemi lança sa cavalerie et ses masses d'infanterie entre les 4e et 12e corps. La cavalerie du duc de Padoue essaya en vain de les arrêter: les deux corps d'infanterie furent séparés et se retirèrent précipitamment jusqu'à Torgau, le 4e par Dahne, le 12e ainsi que le 7e par Schweidnitz. Le 8, le maréchal Ney réunit son armée sous les murs de Torgau.

Nous perdîmes 10,000 hommes et 26 pièces de canon. L'effet moral fut plus déplorable encore. Trois corps d'armée étaient vaincus pour la seconde fois par des Prussiens; il est vrai que ces trois corps se composaient en partie d'Allemands et d'Italiens, mais ils n'en portaient pas moins le nom d'armée française.

Arrêtons-nous ici un moment pour rechercher les causes de tant de désastres. Comment cette belle armée, dirigée par Napoléon, était-elle ainsi détruite? Comment tant de généraux expérimentés, tant d'illustres maréchaux ne paraissaient-ils plus devant l'ennemi que pour éprouver des revers? C'est que d'abord les alliés s'étaient fait un principe de ne jamais combattre Napoléon en personne. Se retirer devant lui, attaquer ses lieutenants en son absence, était leur seule tactique. On dit que Moreau et Jomini leur avaient donné ce conseil. Ainsi, en Silésie, à la reprise des hostilités, Blücher rejeta les Français de l'autre côté du Bober; à l'approche de Napoléon, il se retira lui-même dans le camp retranché de Schweidnitz. Napoléon partit pour Dresde; Blücher prit l'offensive et gagna la bataille de la Katzbach. Napoléon reparut; Blücher se retira encore derrière la Queisse. Il repoussa une troisième fois Macdonald jusqu'aux environs de Dresde, puis il revint à Bautzen, réglant toujours ses mouvements sur ceux de Napoléon.

Schwartzemberg se conduisit de même. Il marcha sur Dresde à la fin d'août, croyant Napoléon occupé en Silésie. Napoléon arriva, gagna la bataille, et cet événement confirma bien les alliés dans la pensée d'éviter de le combattre en personne. Trois fois Schwartzemberg fit une nouvelle tentative, et trois fois il se replia à la seule approche de l'Empereur. C'était un jeu joué entre Blücher et lui d'attirer tour à tour Napoléon en Bohême et en Silésie, de fuir le combat, et chercher ensuite à profiter de son absence.

Mais enfin comment suffisait-il aux alliés d'éviter Napoléon? N'avions-nous pas d'autres généraux distingués? Et ne pouvait-on plus espérer de vaincre avec des hommes tels que Macdonald, Ney, Oudinot, Vandamme? Je pense que leurs défaites successives doivent être attribuées à deux principales causes: la composition des généraux et celle des soldats.

Les généraux avaient vu avec inquiétude commencer cette campagne; tous blâmaient l'Empereur de n'avoir pas fait la paix à Prague. Plusieurs avaient acquis des richesses et de hautes positions qu'ils regrettaient de compromettre. Chacun voulait faire à sa tête, et l'on sait qu'au moment du péril, les plus illustres ne se pressaient pas de porter secours à leurs camarades. Dès le début de la campagne, Napoléon se plaignait du peu de confiance que les généraux avaient en eux-mêmes. «Les forces de l'ennemi, disait-il, leur paraissent considérables partout où je ne suis pas.» En effet, leur correspondance ne contenait que des plaintes et des accusations mutuelles.

Après la défaite de Katzbach, Macdonald écrivait au major général:

«Sa Majesté doit rapprocher d'Elle cette armée, à l'effet de lui donner une plus forte constitution et de retremper tous les esprits. Je suis indigné du peu de zèle et d'intérêt que l'on met à La servir. J'y mets toute l'énergie, toute la force de caractère dont je suis capable, et il en a fallu dans la très-pénible circonstance dans laquelle je me suis trouvé. Je ne suis ni secondé ni imité.»

On pense bien que plus les généraux étaient élevés en grade où distingués par leur réputation, moins on les trouvait disposés à l'obéissance. Ainsi, comme je l'ai dit, les trois corps qui composaient l'armée du Nord étaient commandés par le général Bertrand (4e corps), le général Reynier (7e), le maréchal Oudinot (12e); le commandement en chef de cette armée fut confié d'abord au maréchal Oudinot, puis au maréchal Ney. Ni l'un ni l'autre n'eurent à se plaindre de Bertrand. Cet officier général était d'un caractère doux; ancien officier du génie, il débutait dans le commandement des troupes. Personnellement dévoué à l'Empereur, qui venait de le nommer grand maréchal du palais, il mettait toute sa gloire à le bien servir; mais Reynier, officier d'un rare mérite, se croyait bien l'égal de tous les maréchaux et n'aimait pas à servir sous leurs ordres. Quant à Oudinot, qui avait d'abord commandé en chef les trois corps, il dut être vivement blessé de voir donner ce commandement au maréchal Ney; c'était lui dire clairement que Napoléon était mécontent de lui et ne le croyait pas capable de réparer la faute qu'il avait commise à Groosbeeren. Il en résulta de l'inexécution dans les ordres, des froissements, des conflits d'autorité[66].

Le maréchal Ney s'en plaignit avec son énergie et sa rudesse accoutumées. Il écrivait au major général, le 10 septembre, après l'affaire de Jüterbogt:

«Le moral des généraux, et en général des officiers, est singulièrement ébranlé. Commander ainsi n'est commander qu'à demi, et j'aimerais mieux être grenadier. Je vous prie d'obtenir de l'Empereur, ou que je sois seul général en chef, ayant sous mes ordres des généraux de division d'aile, ou que Sa Majesté veuille bien me retirer de cet enfer. Je n'ai pas besoin, je pense, de parler de mon dévouement. Je suis prêt à verser tout mon sang, mais je désire que ce soit utilement. Dans l'état actuel, la présence de l'Empereur pourrait seule rétablir l'ensemble.»—Et le 23 septembre: «Je ne me lasse point de répéter qu'il est absolument impossible de faire obéir le général Reynier; il n'exécute jamais les ordres qu'il reçoit. Je demande que ce général ou moi reçoive une autre destination…»

La seconde cause de nos revers venait de la composition de l'armée. Déjà à Wagram, Napoléon se plaignait de ne plus avoir les soldats d'Austerlitz. Assurément, à cette époque, nous n'avions pas les soldats de Wagram. Il y eut sans doute des moments d'élan, de beaux traits de bravoure. Quand les généraux marchaient au premier rang, les soldats se laissaient entraîner par leur exemple; mais cet enthousiasme durait peu, et les héros de la veille ne témoignaient le lendemain que de l'abattement et de la faiblesse. Ce n'est point sur les champs de bataille que les soldats subissent leurs épreuves les plus rudes; la jeunesse française a l'instinct de la bravoure. Mais un soldat doit savoir supporter la faim, la fatigue, l'inclémence des temps; il doit marcher jour et nuit avec des souliers usés, braver le froid ou la pluie avec des vêtements en lambeaux, et tout cela sans murmurer et même en conservant sa bonne humeur. Nous avons connu de pareils hommes; mais alors c'était trop demander à des jeunes gens dont la constitution était à peine formée et qui, à leur début, ne pouvaient pas avoir l'esprit militaire, la religion du drapeau et cette énergie morale qui double les forces en doublant le courage. Dès les premiers jours, le maréchal Gouvion Saint-Cyr craignait de ne pouvoir défendre Dresde avec de pareils régiments, et, le 3 septembre, il écrivait:

«La grande supériorité des forces de l'ennemi nous laisse à craindre des résultats fâcheux; d'abord, par rapport à cette infériorité si disproportionnée dans toutes les armes, et plus encore par le découragement occasionné surtout par le manque de subsistances. On ne peut tenir les soldats dans les camps; la faim les chasse au loin. Il est à craindre sous peu de jours une désorganisation complète, si on ne peut leur fournir des subsistances.»

À la même époque (après l'affaire de la Katzbach) Macdonald répétait que: «son armée n'avait ni force, ni consistance, ni organisation, et que si dans ce moment on l'exposait à un échec, il y aurait dissolution totale.»

Enfin, le maréchal Ney, qui avait reçu l'ordre de passer l'Elbe à Torgau, afin de concourir au mouvement offensif que l'Empereur préparait contre Berlin, répondait, le 12 septembre: «que, dans ce cas, il fallait s'attendre à une bataille, et que, si son armée devait y prendre part, on devait la rapprocher des autres corps vers Meissen; car, si nous voulions forcer l'Elster, l'abattement de ses troupes était tel que l'on devait craindre un nouvel échec.»

La mauvaise conduite, ou même la désertion de quelques troupes de la Confédération du Rhin, augmentait encore le mal. C'était à la fois un affaiblissement numérique et un motif de découragement pour nos soldats.

Par toutes ces causes, la désorganisation de la Grande Armée faisait de rapides progrès. J'ai dit que le 1er corps fut réduit de moitié après l'affaire de Kulm; le 13 septembre, le maréchal Ney portait la force réelle des 4e, 7e et 12e corps à 28,000 hommes, et le 24, à 22,000 seulement.

Ces trois corps, au commencement de la campagne, présentaient un total de 65,000 hommes; le 3e corps de cavalerie, de 6,000 chevaux, était réduit à 4,000: on peut juger par là des pertes des autres corps, et particulièrement à l'armée de Silésie.

Napoléon supportait tant de revers avec une patience, un courage, une grandeur d'âme vraiment dignes d'admiration. Les maréchaux Ney, Oudinot, Macdonald, qui n'avaient pas pu seconder ses projets, ne reçurent de lui aucun reproche; il faisait la part de la mauvaise fortune, il excusait les erreurs, il pardonnait même les fautes. Si des querelles survenaient entre les généraux, son autorité intervenait paternellement, sans blesser leurs susceptibilités réciproques. Il calmait l'irritation de l'un, ranimait le courage de l'autre, rappelait à celui-ci les principes de la subordination, à celui-là les égards que nous devons à nos inférieurs. Les maréchaux Macdonald et Ney conservèrent leurs commandements, malgré l'abattement du premier et les plaintes continuelles du second. Le 12e corps fut dissous, et le maréchal Oudinot appelé au commandement de la jeune garde. Cet emploi convenait à sa téméraire valeur.

Ainsi, le 10 septembre, presque tous les corps qui composaient l'armée française avaient été vaincus en détail et dans toutes les directions. Le nombre des présents sous les armes était réduit à près de moitié. L'armée ennemie de Silésie sur la rive droite de l'Elbe; celle de Bohême sur la rive gauche, cherchaient à nous resserrer dans Dresde. L'armée du Nord allait passer l'Elbe entre Wittemberg et Magdebourg. Nos communications avec la France étaient inquiétées par de nombreux partisans. Chaque jour rendait plus douteuse la fidélité des princes de la Confédération du Rhin. Tout cela était le résultat d'un mois de campagne. Les coalisés avaient au moins 100,000 hommes de plus que nous; et pourtant la présence de Napoléon leur inspirait une telle crainte qu'avant de tenter un effort général, ils attendaient encore la réserve de 50,000 hommes qu'amenait Benningsen, et qui s'approchait de la Silésie.

CHAPITRE V.

PROJETS DE NAPOLÉON.—OPÉRATIONS DU 1er CORPS SUR LA FRONTIÈRE DE
BOHÊME.—POSITIONS DES ARMÉES À LA FIN DE SEPTEMBRE.—MOUVEMENT GÉNÉRAL
DES ARMÉES ALLIÉES.—NAPOLÉON QUITTE DRESDE POUR LES ATTAQUER.—BATAILLE
DE LEIPSICK.—RETRAITE.—BATAILLE DE HANAU.—NAPOLÉON PASSE LE
RHIN.—LES 1er ET 14e CORPS RESTENT ENFERMÉS DANS DRESDE.

Plus nos revers se multipliaient, plus il devenait difficile de conserver la ligne de l'Elbe, et surtout de continuer à faire de Dresde le centre des opérations. Nous avons déjà dit que la déclaration de guerre de l'Autriche compromettait cette ligne, en permettant à l'ennemi de la tourner par la Bohême, et depuis un mois, nos défaites successives, le nombre toujours croissant des ennemis, rendaient nécessaire l'adoption d'un nouveau système. Pourtant Napoléon ne pouvait consentir à abandonner l'Elbe. En se maintenant ainsi au centre de l'Allemagne, il rassurait les princes de la Confédération du Rhin; il menaçait également Berlin, la Silésie et la Bohême. Une victoire pouvait le ramener sur l'Oder et dissoudre la coalition. Il forma seulement le projet de porter le centre de ses opérations à Torgau et de manœuvrer sur les deux rives de l'Elbe, depuis Berlin jusqu'à la Bohême, depuis l'Oder jusqu'à la Westphalie. Le point de Torgau était en effet plus central; sur la droite de Wittemberg et Magdebourg, sur la gauche Meissen et Dresde lui servaient de point d'appui. Pendant que Napoléon méditait ce plan et en préparait l'exécution, il restait de sa personne à Dresde, surveillant également les opérations de l'armée de Silésie et de l'armée de Bohême, et toujours prêt, soit à profiter des fautes de l'ennemi, soit à réparer celles de ses lieutenants.

Nous avons laissé les 1er et 14e corps gardant les débouchés des montagnes de la Bohême; la 2e division du 1er corps d'avant-garde à Nollendorf, la 1re à Peterswalde, la 23e à Hellendorf. Le 14 au matin, l'avant-garde ennemie prit l'offensive. Collorédo attaqua le 14e corps par la route de Breitenau, et Wittgenstein le 1er corps par la route de Peterswalde. La division Dumonceau se retira précipitamment sur Peterswalde; la 1re division, prévenue un peu tard, prit les armes à son tour. J'ai dit que cette division ne se composait plus que de sept bataillons au lieu de quatorze. Le général Philippon les plaça en bataille en avant de Peterswalde. Il ne forma point de réserve, n'envoya point de tirailleurs, et semblait remettre au hasard le résultat de cette journée. Ce résultat ne se fit pas longtemps attendre. À peine la 2e division eut-elle dépassé Peterswalde que les soldats de la 1re voyant l'ennemi s'approcher par la grande route, et d'autres colonnes manœuvrer sur leur flanc droit, furent saisis d'une terreur panique. Ils se précipitèrent pêle-mêle dans Peterswalde, dont les premières maisons étaient déjà occupées par les tirailleurs ennemis. Les officiers, les généraux eux-mêmes furent entraînés dans cette déroute. Heureusement l'ennemi, qui n'avait pas de cavalerie, ne nous poursuivit pas très-vivement. Nous nous ralliâmes à moitié chemin de Hellendorf, à la lisière des bois qui s'étendent le long de la route, et sous l'appui de la 23e division. On perdit peu de monde, et proportionnellement plus d'officiers que de soldats. Le 17e eut trois officiers tués, trois blessés; le 36e deux officiers de tués. Dans des circonstances aussi malheureuses, il appartient aux officiers de donner l'exemple, et ce sont toujours eux qui doivent se retirer les derniers. Je fis peu de reproches aux soldats, il fallait éviter de les dégrader à leurs propres yeux; c'était achever de les perdre que de leur enlever l'estime d'eux-mêmes. Le comte de Lobau, qui ne nous quitta pas un instant, paraissait calme; sa physionomie seule exprimait le mécontentement et l'irritation que lui causait cette débandade. Le général Philippon paya pour tout le monde, comme on va le voir.

À peine étions-nous ralliés et formés en bataille le long du bois de Hellendorf, que je vis sortir de ce bois un chirurgien-major traînant par le collet un conscrit qui se débattait en jetant de grands cris. Il me l'amena en m'assurant qu'il l'avait vu se mutiler; ce soldat en effet avait un doigt emporté et la main toute noire de poudre. Le chirurgien-major me conjura de le faire fusiller; heureusement, il n'était pas de ma brigade, et je me contentai de le chasser honteusement. D'autres peut-être auraient agi autrement, et après ce qui venait de se passer, un exemple leur eût paru nécessaire. J'avoue que si quelque chose peut excuser une exécution arbitraire, c'est une lâcheté pareille en présence de l'ennemi. Un soldat qui se mutile pour ne pas s'exposer à une mort glorieuse, mérite de mourir d'une mort infâme.

Le soir, tout le corps d'armée reprit position sur les hauteurs de
Gieshübel. Le 14e corps se retira également à Liebstadt.

Le 15, Napoléon partit de Dresde avec la garde; il se rendit à Gieshübel et reprit sur-le-champ l'offensive. Il ne voulait pas envahir la Bohême, mais rejeter l'ennemi au delà des montagnes, le forcer de déployer son armée tout entière, reconnaître sa force et sa position. Le 1er corps, formant l'avant-garde de la garde impériale, suivit la route de Peterswalde. La 42e division l'appuya à gauche par Bahra; le reste du 14e corps à droite par Fürstenwald. L'ennemi se retira, et nous campâmes à Hellendorf. Le lendemain matin, au moment où nous allions partir, le général Philippon reçut une lettre du major général, qui lui annonçait sa mise à la retraite. Cette sévérité frappa beaucoup les officiers et même les soldats; peut-être était-elle trop rigoureuse. Il n'y avait à lui reprocher que son peu d'intelligence, et ce n'était pas une raison pour briser ainsi sa carrière en lui enlevant son commandement au moment où l'on marchait à l'ennemi. Le général Cassagne arriva en même temps pour le remplacer. Le mouvement continua; l'ennemi prit position dans la plaine de Kulm, et nous campâmes sur les hauteurs de Nollendorf. Le 17, la 23e division resta en position à Nollendorf; les autres divisions du 1er corps descendirent dans la plaine, précédées par la cavalerie du général Ornano, et toujours appuyées à gauche par la 42e division.

L'Empereur, placé sur les hauteurs de Nollendorf, observait et dirigeait ce mouvement. Au moment où ma brigade passa près de lui, il me fit appeler pour me donner un ordre insignifiant. Cela voulait dire seulement qu'il savait que j'étais là et qu'il pensait à moi. C'était assez son usage quand il voulait témoigner une distinction à l'un des officiers de son armée. Depuis ce moment, je n'ai jamais revu l'Empereur. Je conserve du moins avec intérêt et reconnaissance ce dernier souvenir.

La cavalerie et la 42e division engagèrent le combat dans la plaine, les 1re et 2e divisions en réserve. L'affaire fut brillante et sans résultats. La cavalerie prit une batterie autrichienne, qui fut bientôt reprise. La 42e division enleva le village d'Arbesau; le général autrichien Collorédo l'en chassa, et fit prisonniers 1,000 hommes de la jeune garde avec le général Kreitzer, qui les commandait. La 42e division se retira à Tellnitz; la 1re se rallia à elle, en traversant des bois fourrés et presque impraticables. Le maréchal Gouvion Saint-Cyr, arrivé un peu tard, se plaça à notre hauteur. Le général Teste, qui était descendu de Nollendorf dans la soirée, s'arrêta à Knienitz.

Le lendemain 18, l'ennemi attaqua le général Teste; la 1re division se plaça à sa droite. L'attaque fut repoussée, et nous maintînmes notre position.

Ce fut le dernier mouvement offensif que l'Empereur opéra contre Schwartzemberg. Il n'avait point de forces assez nombreuses pour pénétrer en Bohême, ce qui d'ailleurs l'aurait entraîné trop loin du centre de ses opérations. Mais il voulait garder fortement les débouchés des montagnes, et ne plus permettre à l'ennemi de s'approcher si facilement de Dresde: «Mon intention, écrivait-il, est qu'on tienne ferme à Borna et à Gieshübel, et que je n'aie aucune inquiétude pour ces deux positions. Il faut que l'ennemi ne puisse nous en débusquer que par un mouvement général de son armée, qui justifierait alors le mouvement que je ferais contre lui; mais il ne faut pas qu'il m'oblige à ce mouvement avec de simples divisions légères, comme cela vient d'avoir lieu.»

En conséquence, le 1er corps devait garder la route de Peterswald, le 14e celle de Fürstenwald. Le 19, le 1er corps prit position à Giesshübel, en laissant la 23e division en avant-garde à Hellendorf. L'Empereur donna lui-même les instructions les plus précises et les plus détaillées pour la retraite. Il recommandait avec raison de ne faire de jour aucun mouvement rétrograde.

Le 1er corps garda cette position jusqu'au 7 octobre. Notre petite campagne n'avait pas duré quinze jours; c'était beaucoup dans l'état d'épuisement où se trouvaient les soldats. Le plus grand embarras venait du manque de vivres. Napoléon y donnait tout le soin possible. On avait réuni de grands magasins de farine à Torgau; plusieurs convois furent envoyés à Dresde. Le 18 septembre, l'Empereur écrivait au maréchal Gouvion Saint-Cyr pour l'en informer; il désirait porter la ration journalière à 4 onces de riz et 16 onces de pain; cependant les distributions se faisaient rarement et d'une manière fort irrégulière. C'était une des grandes causes de l'affaiblissement physique et moral de nos soldats. Pendant l'expédition que je viens de raconter, le temps avait presque toujours été mauvais, les chemins impraticables. L'aspect des lieux où nous avions éprouvé tant de revers frappait l'imagination des soldats. Nous n'aurions dû revoir la route de Peterswalde et la plaine de Kulm que pour prendre une revanche éclatante. Au lieu de cela, tout s'était passé en marches et contre-marches, et, après une affaire douteuse, nous nous retirions pour reprendre nos positions. Les soldats, qui n'étaient point dans le secret des manœuvres de Napoléon, en concluaient que l'armée de Bohême était invincible et que nous étions réduits devant elle à nous tenir sur la défensive. La désorganisation faisait de si rapides progrès qu'un ordre du jour prescrivit de décimer les soldats qui quittaient leurs drapeaux. Ainsi les hommes isolés devaient être arrêtés, et lorsque l'on en aurait réuni dix, les généraux les feraient tirer au sort pour en fusiller un en présence de la division. La même peine fut ordonnée contre tous ceux qui seraient assez lâches pour se mutiler. Ces ordres rigoureux n'étaient sans doute que comminatoires, mais ils témoignaient de l'affaiblissement moral de nos troupes.

Nous cherchâmes du moins à utiliser le temps de repos qui nous fut accordé au camp de Gieshübel. On construisit d'assez bonnes baraques pour mettre les soldats à l'abri. Quelques distributions de vivres furent faites, et l'on mit à profit les faibles ressources qu'offraient encore les villages environnants. Rien ne pouvait empêcher les soldats de dévorer tout ce qui leur tombait sous la main, et plus de 80 hommes du 12e s'empoisonnèrent pour avoir mangé le fruit d'un arbuste nommé rhamnus alaternus.

Le général Cassagne, notre nouveau général de division, avait du zèle, des manières aimables, un caractère facile. Je n'ai pas pu le juger militairement, parce que depuis sa nomination nous n'avions eu presque rien à faire, mais j'ai été fort content de mes rapports avec lui. Il dirigeait particulièrement la 1re brigade, que le départ du général Pouchelon laissait un peu à l'abandon. Pour moi, je m'occupais constamment de la mienne. Le colonel Susbielle du 17e me secondait. J'étais assez content des chefs de bataillon, surtout de M. Locqueneux, nouvellement nommé. Les officiers inférieurs des deux régiments faisaient de leur mieux et donnaient aux soldats de bons exemples souvent bien mal suivis.

Le 29 septembre, la 1re division alla relever la 23e à Hollendorf, pour y faire l'avant-garde avec la cavalerie légère. Ce service fut pénible, car la surveillance de tous les instants était aussi nécessaire que difficile à obtenir. Cependant, à force de soin, le service des grand'gardes, des patrouilles et des reconnaissances se fit aussi bien que possible. La plus grande difficulté était toujours d'empêcher les soldats de quitter le camp pour chercher des vivres aux environs, même au risque d'être enlevés par les patrouilles ennemies.

Nous ne fûmes point attaqués et nous restâmes dans cette position jusqu'au 7 octobre, ainsi que je le dirai quand j'aurai parlé des opérations des autres corps de la Grande Armée.

Après avoir éloigné de Dresde l'armée de Bohême, Napoléon voulut aussi en éloigner l'armée de Silésie. Le maréchal Macdonald était à Hartau et à Stolpen, presque entouré par Blücher, qui occupait Burka, Bischofwerda, Neustadt et Barkersdorf. Macdonald reçut l'ordre d'attaquer, le 22, et de pousser l'ennemi jusqu'à ce qu'il le trouvât en position, prêt à recevoir la bataille. L'Empereur devait rester en arrière; mais il rejoignit Macdonald le 22, et dirigea lui-même le mouvement. Il savait par expérience que tout allait mal en son absence. L'attaque eut lieu; Blücher se retira sur la position de Burka et y concentra son armée. Cette position était avantageuse, et, en cas de revers, la retraite assurée par les ponts de la Sprée.

Ainsi l'armée coalisée ne voulait rien entreprendre de sérieux avant l'arrivée du général Benningsen; elle évitait seulement de se laisser entamer, et se bornait à nous harceler et à nous faire tout le mal possible dans des combats partiels. Voici quelle était à la fin de septembre la position des armées belligérantes:

Le 1er et le 14e corps gardaient les environs de Dresde, sur la rive gauche de l'Elbe, aux environs de Pirna; le 2e corps, à Freyberg, surveillait la route de Chemnitz; les 3e, 5e et 11e corps, avec les 2e et 4e de cavalerie, sur la rive droite de l'Elbe, étaient opposés à l'armée de Silésie dans les environs de Weisig; le roi de Naples, avec le 6e corps et le 1er de cavalerie, à Meissen et Grossenhayn, maintenait la communication avec Torgau, et surveillait le cours de l'Elbe jusqu'à cette place; le maréchal Ney, sur la rive gauche à Dessau, observait les mouvements de l'armée du Nord placée de l'autre côté du fleuve; le prince Poniatowski avec le 8e corps et la cavalerie légère du général Lefebvre-Desnouettes, était à Altenbourg, se liant avec le 2e corps et le 3e de cavalerie qui occupaient Leipzick; le duc de Castiglione, qui avait quitté Würtzbourg, avec son corps d'armée nouvellement organisé, s'approchait d'Iéna.

Du côté des coalisés, l'armée de Bohême occupait la plaine de Kulm, ayant sa gauche dans la direction de Chemnitz; l'armée de Silésie, placée à Bautzen, se liait à l'armée de Bohême par Stolpen, et à l'armée du Nord par Elsterwerda; l'armée du Nord occupait les bords de l'Elster depuis Herzeberg jusqu'au confluent de l'Elbe; elle assiégeait Wittemberg et s'étendait ensuite le long de l'Elbe jusqu'au confluent de la Saale.

On était dans cette position, lorsque le général Benningsen arriva à Leutmeritz le 26 septembre, et fit sa jonction avec l'armée de Bohême. Alors, le mouvement offensif des alliés fut décidé; l'armée de Bohême, marchant par son flanc gauche, devait se porter sur Leipzick; l'armée du Nord et celle de Silésie suivraient la même direction, après avoir passé l'Elbe. Ainsi Napoléon allait être enveloppé par trois armées ennemies.

L'armée de Bohême marcha lentement; le 5 octobre elle occupait Zwickau et Chemnitz. En Silésie, le général Blücher masqua habilement son mouvement; il laissa deux corps de troupes à Stolpen et Bischofwerda; il fit des démonstrations de passage à Meissen pendant qu'il portait rapidement son armée à Wartenburg, au confluent de l'Elster et de l'Elbe, où il effectua son passage les 3 et 4 octobre, malgré l'opposition du 7e corps. Le 4, l'armée du Nord, commandée par le prince royal de Suède, passa également l'Elbe à Roslau. À cette nouvelle, l'Empereur partit de Dresde le 7 octobre pour se porter au-devant de Blücher, qui était le plus rapproché de lui. Il espérait, par une de ces manœuvres qui lui étaient si familières, surprendre les armées ennemies au milieu de leur marche et les vaincre ainsi séparément. Le maréchal Gouvion Saint-Cyr, avec les 1er et 14e corps, resta chargé de la défense de Dresde, et se trouva dès ce moment isolé du reste de l'armée. Je n'ai donc point à écrire en détail les opérations de la Grande Armée, puisqu'elles n'ont plus aucun rapport avec le 1er corps; je vais seulement, en terminant ce chapitre, les raconter très-sommairement, pour reprendre ensuite l'histoire du 1er corps jusqu'à la fin de cette malheureuse campagne.

Le roi de Naples reçut le commandement des troupes qui étaient en présence de l'armée de Bohême, et qui se composaient des 2e, 5e et 8e corps et du 4e de cavalerie. De son côté, Napoléon arriva le 9 à Eilenburg sur la Mülde; il avait avec lui la garde impériale et les 3e, 4e, 6e, 7e et 11e corps. La garde avait peu souffert, et, malgré toutes les pertes des différents corps d'armée, il est difficile d'évaluer la force totale à moins de 125,000 hommes. Blücher était à Düben et le prince de Suède à Dessau. L'Empereur marcha à leur rencontre, pour les rejeter sur la rive droite de l'Elbe; mais, contre son attente, ils se retirèrent sur la rive gauche de la Mülde, et bientôt même derrière la Saale, à Bernburg, Rothenburg et Halle, découvrant ainsi Berlin et toute la Prusse. On assure que Napoléon forma alors le projet d'une contre-marche bien hardie. Nous avons vu avec quelle opiniâtreté il avait défendu la ligne de l'Elbe, en ayant sa droite à Dresde et sa gauche à Magdebourg. Il se proposa alors de conserver la même ligne en faisant volte-face, la gauche à Dresde et la droite à Magdebourg, où l'on avait réuni d'immenses approvisionnements. Dans cette position, on aurait occupé Berlin et dégagé nos garnisons des places de l'Oder, en se liant avec le prince d'Eckmühl, resté à Hambourg; mais l'armée était trop affaiblie au physique et au moral pour risquer sans témérité une entreprise aussi hardie. L'armée alliée se serait trouvée placée entre nous et la frontière du Rhin. Dans de pareilles circonstances, l'interruption des communications avec la France était chose bien grave. L'habileté de l'Empereur pouvait lui procurer quelques avantages partiels sur des corps détachés de l'armée coalisée; mais, tôt ou tard, il eût été écrasé par leur supériorité numérique, et les conséquences d'une manœuvre aussi téméraire auraient peut-être été plus désastreuses encore que ne furent celles de la bataille de Leipzick.

Quoi qu'il en soit, la défection de la Bavière rendit impossible l'exécution de ce plan. Napoléon l'apprit, le 14, à Düben. Il n'était pas douteux que le royaume de Wurtemberg et le grand-duché de Bade ne suivissent cet exemple. Alors les frontières de la France se trouvaient découvertes depuis Huningue jusqu'à Mayence, et sans doute les armées autrichienne et bavaroise réunies allaient s'y porter pour nous couper la retraite. Dans cette extrémité, il fallait arriver au plus vite à Leipzick, rouvrir les communications avec la France et éviter d'être entièrement enveloppés. Napoléon concentra son armée à Leipzick le 15. Le même jour, les ennemis furent en présence. On rangea l'armée française autour de la ville, et deux sanglantes batailles eurent lieu les 16 et 18; 130,000 Français combattirent contre 250,000 ennemis. L'habileté et la bravoure finirent par céder à la supériorité du nombre; les Saxons désertèrent sur le champ de bataille; la retraite commença dans la nuit du 18 au 19; toute l'armée devait défiler sur le pont de l'Elster, et par une incroyable fatalité, un officier du génie fit sauter ce pont avant le passage de l'arrière-garde, qui fut prise dans Leipzick. Nous perdîmes 30,000 hommes tués ou blessés, 20,000 prisonniers et 150 pièces de canon. L'armée suivit la route de Weissenfels, Erfurt, Gotha, Fulde, jusqu'à Hanau, où l'armée autrichienne et bavaroise voulut lui barrer le chemin. L'armée française, si affaiblie, si épuisée, retrouva son énergie pour combattre d'anciens alliés devenus bien inopinément nos ennemis. On leur passa sur le corps; ils perdirent 6,000 hommes tués ou blessés, et 4,000 prisonniers. Notre perte totale fut d'environ 5,000. Ce dernier effort termina les opérations de la Grande Armée en Allemagne. L'Empereur passa le Rhin à Mayence le 2 novembre, et ne songea plus qu'à défendre la France.

Je reprends maintenant l'histoire du 1er corps, abandonné dans Dresde avec le 14e.

CHAPITRE VI.

COMPOSITION DU 14e CORPS.—PLAN DE LA DÉFENSE DE DRESDE.—SORTIE DU 17
OCTOBRE.—OPINIONS DU CONSEIL DE DÉFENSE.—SORTIE DU 6 NOVEMBRE.

Au commencement d'octobre, le 14e corps occupait encore Liebstadt, et le 1er corps le camp de Gieshübel, la 1re division d'avant-garde à Hellendorf, à environ 6 lieues de Dresde. Le 7 octobre, Napoléon, au moment de son départ, ordonna de replier les deux corps d'armée sur les positions de Pirna et de Dohna, en tenant la cavalerie et l'arrière-garde le plus loin possible. Si ce mouvement n'eût pas été prescrit, nous y aurions été forcés deux jours plus tard, et même il ne fut pas possible de conserver Pirna. Le général Benningsen avait relevé l'armée autrichienne devant Dresde; il commença ses opérations par une reconnaissance générale qu'il voulait pousser jusque sous les murs de la ville. Ma brigade, restée seule à Hellendorf, en partit la nuit pour se retirer à Pirna; la cavalerie légère suivit ce mouvement dans la matinée du 8, toujours harcelée par la cavalerie ennemie. Le 8 matin, soixante hommes de la 23e division furent pris dans une redoute en avant de Pirna. Les jours suivants, nous continuâmes notre retraite en tenant toujours tête à l'avant-garde ennemie. Le 10, le comte de Lobau eut un cheval tué sous lui, et ce fut bien sa faute; il s'était placé sur une chaussée fort élevée près de Grünewiese; les troupes étaient en bataille des deux côtés de la route; la chaussée servait de point de mire à l'artillerie ennemie, et il était impossible que, dans le groupe de son état-major, personne ne fût atteint. Le 11, nous rentrâmes dans Dresde, ainsi que le 14e corps, qui avait suivi notre mouvement de retraite par la droite. Le 1er corps fut placé dans le faubourg de Pirna, la 1re division en tête au Grossgarten.

Le 14e corps, réuni ainsi au 1er pour la défense de Dresde, se composait de 4 divisions; la 42e (Mouton-Duvernet), la 43e (Claparède), la 44e (Berthezène) et la 45e (Razout). On a vu plus haut que la 42e avait été souvent détachée avec nous. Mouton-Duvernet, ancien militaire, sage et expérimenté, devint plus tard une des victimes de nos dissensions politiques; on l'a fusillé en 1815 pour avoir pris le parti de Napoléon pendant les Cent-jours. Claparède, brave militaire, couvert de blessures, bon camarade et généralement aimé; il fut nommé depuis pair de France, gouverneur du palais de Strasbourg et inspecteur général permanent des troupes de la 1re division. Berthezène a fait partie, depuis, de l'expédition d'Alger, en 1830. J'ai parlé de Razout dans la campagne de Russie; il avait été bon colonel d'infanterie; malheureusement, sa vue excessivement basse l'empêchait de rien juger sur le terrain, et il ne pouvait que s'en rapporter à tous ceux qui l'entouraient. On avait à l'armée impériale l'incroyable manie de ne jamais se servir de lorgnons ni de bésicles; on ne voulait pas convenir qu'on eût la vue basse. Je n'ai connu que le maréchal Davout qui fît exception à cette règle. Parmi les généraux de brigade se trouvait Letellier, l'un des jeunes généraux de l'armée, ainsi que moi. On citait sa bravoure brillante, son caractère bizarre et susceptible, sa tenue originale comme sa conduite. Plusieurs chagrins domestiques ont depuis altéré son cerveau déjà trop disposé à l'exaltation, et sous la Restauration il a fini par un suicide. Les talents militaires du maréchal Saint-Cyr sont trop connus pour que j'aie besoin d'en faire l'éloge. Je me permettrai seulement d'ajouter qu'il avait deux inconvénients bien graves: le premier de ne point porter secours aux autres généraux dans l'occasion, ainsi qu'on l'a vu à la bataille de Kulm; le second de faire la guerre comme on joue aux échecs, en négligeant entièrement la partie morale si importante surtout pour commander à des Français. Pendant cette campagne, nous ne l'avons pas vu une fois. Il ne montait pas à cheval, ne se présentait point aux troupes, ne recevait personne. Il envoyait ses ordres, on les exécutait; c'était tout ce qu'il lui fallait, et nous ne connaissions de lui que sa signature. Le comte de Lobau ne lui ressemblait guère. Ce n'est pas qu'il fût d'un caractère aimable; ses manières étaient brusques, son écorce rude. Mais du moins on le voyait toujours à cheval à la tête des troupes. Il était ardent, un peu irascible, d'un esprit juste, d'un caractère ferme et droit. Deux pareils généraux n'étaient pas faits pour s'entendre.

Les 1er et 14e corps réunis pouvaient se monter, à cette époque, à 25,000 hommes. Il y avait à Dresde 30 généraux, des administrateurs, des employés de toute nature, des magasins de toute espèce.

On a reproché au maréchal Gouvion Saint-Cyr de n'avoir pas quitté Dresde au moment où toutes les armées coalisées marchaient sur Leipzick. Il aurait pu faire en effet une diversion utile en manœuvrant derrière l'ennemi, ou bien en descendant l'Elbe dans la direction de Torgau. Pour décider cette question, il faut d'abord voir quels ordres il avait reçus de Napoléon. L'Empereur en quittant Dresde, le 7 octobre, avait bien prévu le cas de l'évacuation de cette place. Voici l'ordre qu'il avait laissé à ce sujet: «Le maréchal Saint-Cyr fera filer sur Torgau, dans la nuit du 7 au 8 et dans la journée du 8, tous les bateaux qu'on aura chargés de blessés. Il sera prêt dans la nuit du 8 au 9, à évacuer, s'il y a lieu, la ville de Dresde, après avoir fait sauter les blockhaus, brûlé tous les affûts des pièces qui servent à la défense de la place, et avoir encloué ces pièces, brûlé tous les caissons et toutes les voitures qui seraient restés et fait distribuer tous les effets d'habillement à ses troupes, ne laissant ici que 5 à 6,000 malades trop faibles pour pouvoir être transportés. Il sera nécessaire que les deux divisions qui passeront la journée du 7 à Dresde puissent occuper en force Meissen et Nossen. Le maréchal Saint-Cyr fera garder Sonnenstein jusqu'au dernier moment. Il est convenable de laisser subsister le pont de Meissen jusqu'à ce que l'arrière-garde ait passé Meissen, puisqu'à tout événement ce pont pourra devenir utile.»

Mais le 10 octobre, à Düben, au moment où Napoléon espérait battre isolément l'armée de Silésie et l'armée de Berlin, le major général écrivait au maréchal Gouvion Saint-Cyr:

«L'Empereur compte qu'à tout événement vous garderez Dresde. Si cependant, par suite des événements, vous ne pouviez pas conserver cette place (et l'Empereur espère que cela n'aura pas lieu), vous pourrez vous retirer sur Torgau par l'une ou l'autre rive. S'il y a ici une bataille et que l'ennemi soit vaincu, les Autrichiens rentreront dans leurs frontières, et l'Empereur se rapprochera de Torgau par la rive droite pour se mettre en communication avec vous. Si, au contraire, il n'y a pas de bataille, il est possible que l'Empereur manœuvre sur la rive droite de l'Elbe, pour tomber sur la ligne d'opération de l'ennemi. En somme, la suite des événements d'aujourd'hui et de demain peut être incalculable. L'Empereur compte sur votre fermeté et votre prudence.»

Enfin, le 14 octobre, près de Leipzick, Napoléon lui écrivait encore que tout allait être décidé le 15 et le 16, et qu'il pouvait calculer qu'il serait promptement dégagé.

Ainsi l'intention de l'Empereur était bien certainement que l'on défendît Dresde le plus possible. Il avait seulement indiqué la direction à suivre dans le cas où l'on serait forcé de l'abandonner. Il est vrai que le 23 octobre, après la bataille de Leipzick, l'Empereur envoya d'Erfurt au maréchal Saint-Cyr et au maréchal Davout, à Hambourg, des agents déguisés portant des instructions ainsi conçues:

«Les maréchaux Saint-Cyr et Davout, les garnisons des places se feront jour d'un côté ou de l'autre… S'ils s'entendent, s'ils sortent de leurs murailles, ils sont sauvés; 80,000 Français passent partout…» Mais aucune de ces lettres ne parvint. Le devoir du maréchal Saint-Cyr était donc de rester dans Dresde et de le défendre. Cependant il ne pouvait pas être question de se renfermer dans la place. L'enceinte de Dresde n'est pas susceptible de défense; c'est un pentagone sans ouvrages extérieurs et qui, à cette époque, était en mauvais état. Sur la rive droite de l'Elbe, un simple ouvrage de campagne entourait le faubourg de Neustadt; d'ailleurs, pour défendre le corps de place il eût fallu détruire les faubourgs, et Napoléon n'avait pu se résoudre à traiter si cruellement la capitale d'un roi allié, du seul qui lui fût resté fidèle. Si Dresde eût été dans les conditions d'une place de guerre ordinaire, l'Empereur se fût contenté d'y laisser une garnison, comme à Torgau et à Wittemberg.

Le second système, le seul praticable, était de défendre le camp retranché en avant de Dresde. Il se composait d'un ensemble de redoutes sur les deux rives de l'Elbe, construites avec art et qui venaient d'être complètement réparées. Nos 25,000 hommes n'étaient pas trop pour remplir une semblable tâche. Le 1er corps fut placé sur la rive gauche de l'Elbe, la gauche appuyant au fleuve et la droite à la route de Dippodiswalde. Les divisions du 14e corps défendaient le reste de l'enceinte, et le faubourg de Neustadt sur la rive droite. Les divisions du 1er corps occupaient à tour de rôle le Grossgarten. C'est un parc en forme de carré long, situé en avant de la porte de Pirna, que l'on avait mis en état de défense et qui se liait avec le système des redoutes. Nous faisions également le service de ces redoutes, et le reste des divisions était logé dans le faubourg de Pirna.

Le général Benningsen avait laissé devant Dresde le général Tolstoy avec 2,000 hommes de ses moins bonnes troupes; lui-même avait continué sa marche sur Leipzick. Au bout de quelques jours, le maréchal Saint-Cyr trouva le moment favorable pour tenter une sortie; nos ennemis étaient peu nombreux et obligés de former un long cercle autour de la place. Le manque de vivres allait commencer à se faire sentir, et cette sortie avait pour but de nous en procurer. D'ailleurs, l'ennemi construisait des redoutes devant Racknitz, et il était important de les détruire. La sortie fut annoncée trois jours d'avance; on reconnaissait dans les dispositions l'ensemble et la précision qui distinguaient les ordres du maréchal Gouvion Saint-Cyr. J'en attendais le résultat avec une impatience qui n'était pas exempte d'inquiétude. Il ne s'agissait pas seulement d'éloigner l'ennemi et de nous procurer des vivres; nous avions à rétablir l'honneur de nos armes, à prendre notre revanche, à nous relever à nos propres yeux. Je réunis les officiers supérieurs de ma brigade, qui seuls étaient dans le secret. Je leur parlai de l'importance de profiter d'une occasion, peut-être la dernière, de terminer la campagne avec gloire: tous me promirent de joindre leurs efforts aux miens, et ils ont tenu parole.

Le 17 à midi précis la division Razout marcha sur Plaüen, la division Claparède sur Racknitz, les divisions Cassagne et Dumonceau (1re et 2e) sur Zchernitz. L'attaque fut vive et couronnée de succès. Les tirailleurs ennemis voulurent défendre Zchernitz; on incendia le village pour les en chasser. Les Russes ne purent résister à la vigueur et à l'ensemble de nos trois attaques. Ils furent renversés et se replièrent sur Dohna en nous abandonnant 1,200 prisonniers, 10 canons, des caissons et un équipage de ponts. M. Locqueneux, chef de bataillon au 17e qui commandait les tirailleurs de la division, les enleva admirablement et leur communiqua sa brillante valeur. Il contribua beaucoup au succès de cette journée. Les officiers du 17e le secondèrent; deux furent blessés, plusieurs méritèrent l'honneur d'être proposés pour la croix de la Légion. J'eus besoin de mon autorité pour empêcher le colonel Susbielle de se mêler aux tirailleurs, comme un caporal de voltigeurs, au lieu de rester à son régiment.

Le général Tolstoy se retira dans la direction de Gieshübel. La 2e division, qui faisait notre avant-garde, occupa Dohna, la 1re Sporwitz et Lochwitz, la division Duvernet à notre droite. Quatre jours passés dans cette position furent utilement employés. On réunit les bestiaux, les farines, les fourrages que le pays put procurer, dans un rayon de quatre lieues en tous sens, depuis l'Elbe jusqu'à Weisseritz; on détruisit les ouvrages de l'ennemi; on prit enfin tous les moyens possibles pour prolonger la défense de la place qui nous était confiée.

Bientôt le général Chasteler, resté à Tœplitz pour couvrir la Bohême, vint au secours du général Tolstoy; tous deux reprirent l'offensive. Le 22, le général Dumonceau fut attaqué à Dohna et se retira sur Lochwitz; les deux divisions prirent position sur les hauteurs situées derrière ce village. Le 24, nous continuâmes notre retraite jusqu'à Racknitz, Zchernitz et Strehlen. Le 26, nous rentrâmes dans les faubourgs de Dresde, en laissant en avant quelques bataillons que l'ennemi fit replier le 28. La sortie du 7 octobre avait complétement réussi: c'était un fourrage général auquel l'ennemi n'avait pu s'opposer. Nous nous bornâmes alors à l'occupation des faubourgs et des redoutes qui en couvraient les approches.

Nous menions à Dresde une vie fort triste. La situation d'une ville assiégée, la misère générale qui en est la suite, ne sont pas favorables aux grandes réunions et aux plaisirs. Cependant on aurait pu entretenir des relations avec quelques personnes de la ville, et la moindre distraction nous eût été d'un grand secours. Je ne voulus m'en permettre aucune. La garde des faubourgs et des redoutes qui leur servaient d'avant-postes nous était confiée. Une attaque de vive force était peu vraisemblable; cependant nous ne devions rien négliger. Je n'ai déjà eu que trop l'occasion de montrer combien nos troupes avaient besoin de surveillance. Il est permis à la guerre d'être vaincu; il n'est jamais permis d'être surpris. Je mettais beaucoup de prix pour ma part à terminer avec honneur la tâche qui nous avait été imposée et dont le triste dénoûment ne pouvait pas se faire longtemps attendre.

Une grande question s'agitait en ce moment au conseil de défense, composé des généraux de division et de l'intendant général réunis chez le maréchal Saint-Cyr. Le résultat de la bataille de Leipzick était connu; la Grande Armée se retirait au delà du Rhin, et nous étions abandonnés. Le général autrichien Klenau venait d'arriver devant Dresde, pour prendre le commandement des troupes qui formaient le blocus. Il annonçait hautement l'intention de ne point nous attaquer. Il savait que les vivres allaient manquer, et il calculait d'avance le jour où nous serions forcés de nous rendre; mais, avant d'en venir là, n'avions-nous rien à tenter? Les instructions de l'Empereur prescrivaient de garder Dresde le plus longtemps possible et d'attendre que l'on vînt nous dégager. Aujourd'hui, la Grande Armée avait quitté l'Allemagne, et nous n'attendions plus de secours. Le seul moyen de conserver à la France la garnison de Dresde était de sortir et de tâcher de gagner Torgau par une des rives de l'Elbe. On se rappelle que l'Empereur avait indiqué ce mouvement dans le cas où nous serions forcés d'abandonner la ville. Prolonger la défense était impossible; il fallait choisir entre la sortie ou la capitulation. Les opinions furent partagées. Le comte de Lobau et le général Cassagne insistèrent beaucoup pour que l'on tentât une sortie. Ils avaient l'espoir de réussir. L'armée assiégeante était fort disséminée, car elle avait un grand cercle à former autour de la place. Nous comptions près de 25,000 hommes et beaucoup d'artillerie. En se portant en masse sur la route de Torgau, on pouvait se flatter de percer la ligne ennemie et d'arriver à Torgau, dont nous n'étions qu'à 18 lieues. D'ailleurs, ce parti était plus honorable, plus digne de l'armée française; et telle eût été sans doute mon opinion personnelle, si mon grade m'eût permis d'être appelé au conseil.

Le maréchal Gouvion Saint-Cyr pensa tout autrement. Il ne voyait aucun espoir de réussir. Sans doute l'armée ennemie était disséminée autour de Dresde, mais le général Klenau savait très-bien que nous ne pourrions tenter une sortie qu'en descendant l'Elbe, et c'est précisément de ce côté qu'il avait réuni ses principales forces. Il s'en fallait bien que les deux corps réunis présentassent 25,000 combattants. L'affaiblissement de nos soldats, leur découragement, dont nous nous plaignions depuis si longtemps, ne permettaient pas de risquer une tentative aussi hardie. D'ailleurs, ainsi que je l'ai dit, la guerre, aux yeux du maréchal Saint-Cyr, n'était qu'un jeu d'échecs; la partie avait été perdue à Leipzick, et il ne comprenait pas l'avantage de compromettre inutilement des soldats, de nombreux cadres d'officiers et 30 généraux, dont les services pouvaient un jour être encore si utiles. La discussion fut vive et plus d'une fois renouvelée, surtout entre le maréchal et le comte de Lobau. Les conseils de la prudence s'accordent peu avec ceux de la valeur téméraire; les uns sont accusés de déraison, les autres de faiblesse, et, quand il s'agit d'honneur militaire, la susceptibilité est permise. Cependant le temps s'avançait. Nous étions aux premiers jours de novembre et nous allions manquer entièrement de vivres. Il fallait prendre un parti. Le maréchal Saint-Cyr s'arrêta à un singulier terme moyen entre les deux opinions qui avaient partagé le conseil; ce fut de faire sortir les trois divisions du 1er corps, ainsi que les divisions Razout et Duvernet, commandées par le comte de Lobau, pendant que lui-même resterait à Dresde avec les divisions Berthezène et Claparède. Ce n'était point ainsi que nous l'entendions. Nous désirions sortir tous ensemble; nous demandions au maréchal de se mettre à notre tête, de partager notre bonne ou mauvaise fortune. Quelques jours auparavant il nous trouvait trop faibles pour percer la ligne ennemie. Prétendait-il que l'on réussirait mieux aujourd'hui avec deux divisions de moins? Je sais bien quelle était la pensée du maréchal Saint-Cyr: Le comte de Lobau, aurait-il dit, a fortement exprimé le désir de sortir de Dresde, je n'ai point voulu m'y opposer; je lui ai donné toutes les troupes dont j'ai pu disposer; mais comme ce n'est point mon avis, je suis resté dans la place, et me trouvant réduit à deux divisions, j'ai bien été forcé de capituler. Ainsi nous nous serions sacrifiés pour expliquer et justifier une capitulation que nous n'approuvions pas. Cela n'était ni juste ni raisonnable. Sortir tous ensemble ou capituler tous ensemble, il n'y avait pas d'autre parti à prendre. Aussi nous entreprenions cette expédition fort à contre-cœur, mais il n'en fallait pas moins obéir.

Le 6 novembre avant le jour, les cinq divisions sortirent du faubourg de Neustadt par le route de Grossenhayn; la 1re division marchait en tête, le général Cassagne conduisant la 1re brigade et moi la seconde. L'avant-garde ennemie opposa de la résistance, et nos soldats montraient quelque hésitation. Nous les enlevâmes au pas de charge, au milieu d'une grêle de balles. L'ennemi fut renversé; une vive fusillade s'établit dans le bois que traverse la route. Nous arrivâmes au pied du Drachemberg, en avant du village de Boxdorf, et nous trouvâmes la division du prince Wied-Rünkel tout entière occupant cette hauteur.

Le comte de Lobau fit reconnaître la position; elle ne pouvait être enlevée qu'avec une perte énorme. Ainsi, même en admettant le succès, nous aurions été trop affaiblis pour nous flatter de gagner Torgau. Le comte de Lobau voulut bien consulter les officiers généraux, et, d'après notre avis unanime, il se décida à attendre la nuit pour rentrer dans Dresde.

Nous perdîmes en tout près de 1,000 hommes tués ou blessés; le 36e, deux officiers tués et un blessé. Ce fut là notre dernier effort, l'hommage suprême rendu à l'honneur de nos armes. Nous manquions entièrement de vivres; prolonger plus longtemps la résistance eût été sacrifier des hommes inutilement, et exposer une ville alliée à la disette et aux dangers d'une attaque de vive force. Nous n'avions de ressource que dans la capitulation, et la nécessité en faisait un devoir.

CHAPITRE VII

CAPITULATION DE DRESDE.—DÉPART DE LA GARNISON POUR LA FRANCE.—LES SOUVERAINS ALLIÉS REFUSENT DE RATIFIER LA CAPITULATION ET DÉCLARENT LA GARNISON PRISONNIÈRE DE GUERRE.—DÉPART DES OFFICIERS POUR LA HONGRIE.—SÉJOUR À PRESBOURG.—CONQUÊTE DE LA FRANCE.—RESTAURATION.—TRAITÉ DE PAIX.—RETOUR À PARIS.

Notre dernière tentative de sortie avait eu lieu le 6 novembre, et dès le lendemain les négociations pour la capitulation commencèrent. J'ai appris plus tard que le maréchal Saint-Cyr avait eu l'idée de m'en charger. Le comte de Lobau lui représenta que c'était une triste commission à donner au plus jeune des généraux de la garnison, et j'en fus heureusement dispensé. Rien au monde ne m'eût été plus pénible que d'avoir à traiter d'une capitulation. Elle fut bientôt conclue; on était de part et d'autre pressé d'en finir. Trente-trois généraux, dont plusieurs blessés et malades, et 33,000 hommes figurent dans la capitulation de Dresde. Parmi les premiers, se trouvent, avec le maréchal Gouvion Saint-Cyr et le comte de Lobau, les généraux Borelli et Revest, chefs d'état-major, Mathieu Dumas, intendant général, Durosnel, aide de camp de l'Empereur. Dans ma brigade, le 17e ne comptait que 43 officiers et 527 hommes; le 36e, 16 officiers et 200 hommes. Cette brigade se composait de 6 bataillons au commencement de la campagne, et au bout de 3 mois, il ne restait que 120 hommes par bataillon. En calculant ainsi pour les autres brigades des 1re, 2e et 23e divisions qui composaient le 1er corps d'armée, on ne trouve pas plus de 3,500 hommes présents. La 14e avait été moins maltraitée. Je n'ai pas les états de situation, mais c'est beaucoup de porter à 300 hommes par bataillon le nombre d'hommes présents à cette époque dans les 53 bataillons qui composaient primitivement ce corps d'armée. Il n'y avait donc pas alors au 14e corps 12,000 hommes d'infanterie présents, ce qui fait moins de 15,000 pour les deux corps d'armée. Assurément les 2 brigades de cavalerie légère ne s'élevaient pas à 1,000 hommes. Et, en ajoutant également 1,000 hommes présents pour l'artillerie et le génie, on n'arriverait pas à 17,000 hommes. Il y a loin de ce chiffre à celui de 33,000. On peut donc porter à plus de 16,000 le nombre d'hommes isolés des différents corps, ainsi que des malades et blessés.

On convint que la garnison mettrait bas les armes et rentrerait en France en passant par la Suisse, sous la promesse de ne pas servir avant d'être échangée. Les officiers conservaient leurs armes, leurs chevaux et leurs propriétés particulières. Le départ devait avoir lieu en 6 colonnes; chaque colonne ayant avec elle 50 hommes armés et une pièce de canon. Les colonels cachèrent les aigles dans les fourgons; les Autrichiens les demandèrent; on répondit que la garnison se composait de bataillons détachés de divers régiments et que les aigles n'y étaient pas. Je n'ai jamais approuvé ces escamotages. C'est fort bien de défendre sur le champ de bataille le drapeau de son régiment, mais il n'y a aucun déshonneur à le rendre par capitulation, et cela vaut mieux que de le sauver à l'aide d'un subterfuge.

La capitulation fut signée le 11, et la première colonne, composée des 1re et 2e divisions, commandées par le général Dumonceau, se mit en marche le 12. Quelle triste journée! Pour la première fois nous mettions bas les armes. J'avais vu capituler Ulm en 1805, Magdebourg en 1806, Vienne en 1809; j'avais vu les garnisons ennemies défiler devant nous et déposer les armes. Qui m'aurait dit que nous serions un jour réduits au même sort, et que ma carrière d'activité, commencée par la capitulation d'Ulm, finirait par celle de Dresde? Au moins le temps était sombre, le soleil n'éclaira pas cette journée, et la tristesse du ciel semblait s'unir à la nôtre. Les généraux s'étaient donné le mot pour rester enveloppés dans leurs manteaux sans marques distinctives de leurs grades. Un général autrichien vint à notre rencontre avec quelques troupes: Je dois dire que nous fûmes comblés d'égards et qu'on ne négligea rien pour adoucir l'amertume de notre situation. Le général en chef ne parut point. Un général de brigade fut chargé de recevoir les armes et de surveiller le départ. Il n'y eut aucune pompe, point de tambours, point de musique, point de défilé. Les bataillons, formés en avant des redoutes sur la route de Freyberg, marchaient en colonne sans rendre d'honneurs, formaient les armes en faisceaux à un endroit convenu, et continuaient leur marche. Les voitures, les fourgons, les chevaux que l'on déclarait appartenir à un général ou à un colonel, passaient sans aucune difficulté. Plusieurs s'approprièrent par ce moyen des chevaux et des voitures d'artillerie.

La marche se fit avec ordre, escortée par quelques détachements d'infanterie autrichienne. Les 50 hommes armés que nous conservions dans chaque colonne servaient à la garde des généraux et fournissaient également un poste à la pièce de canon qui nous était accordée comme honneur. Le soir je visitais les logements et je ne négligeais rien de ce qui pouvait contribuer au bien-être de nos pauvres soldats désarmés.

Nous arrivâmes à Altenbourg le 17 novembre, après 6 jours de marche. La dernière colonne avait quitté Dresde le matin. Ce même jour, le général russe qui commandait Altenbourg parut fort surpris de notre arrivée, dont il n'avait, disait-il, reçu aucun avis. Il suspendit la marche des colonnes, en attendant des ordres. Bientôt une nouvelle étrange circula; personne ne voulait y croire. Le prince de Schwartzenberg refusait de ratifier la capitulation et nous déclarait prisonniers de guerre. Le maréchal Saint-Cyr invoqua la foi des traités, la parole jurée, l'honneur militaire qui devait la garantir. On répondit que le général Klenau avait outre-passé ses pouvoirs, qu'il en serait puni, mais que les souverains alliés ne pouvaient pas être liés par l'engagement indiscret pris par un de leurs généraux. Au surplus, ajoutait Schwartzenberg, comme le maréchal Gouvion Saint-Cyr a agi de bonne foi, on lui offre de rentrer dans Dresde, on lui rendra ses armes, ses moyens de défense, et le siége commencera. Le maréchal répondit que cette proposition était dérisoire. Pouvait-on sérieusement nous offrir de rentrer dans une place que l'ennemi occupait depuis plusieurs jours, dont il connaissait le fort et le faible, dont il avait sans doute commencé à détruire les ouvrages? Nous manquions de vivres 15 jours auparavant; en aurions-nous eu davantage alors? Nos soldats étaient affaiblis, découragés. Étaient-ce la capitulation, le désarmement, la certitude d'être bientôt prisonniers à discrétion, qui leur rendraient beaucoup d'énergie? Notre rentrée dans Dresde n'était avantageuse qu'aux alliés. Ils se seraient fait honneur d'avoir respecté la parole du général Klenau; il valait mieux leur laisser l'odieux de la violer.

Pendant cette négociation nous restâmes en cantonnement dans les environs d'Altenbourg et de Géra. Le 1er décembre on reçut l'avis officiel que, sur le refus du maréchal Saint-Cyr de rentrer dans Dresde, nous allions être conduits en Hongrie comme prisonniers de guerre.

Nous fûmes justement indignés d'un pareil manque de foi. Rien ne devrait être aussi sacré qu'une capitulation militaire. On ne consent à rendre une place qu'avec des conditions qui paraissent acceptables; autrement la défense continuerait. Comment donc qualifier la conduite de l'ennemi qui entre en possession d'une place à certaines conditions, et qui ensuite refuse d'exécuter ces mêmes conditions, sans lesquelles la place ne lui aurait pas été rendue? Cependant il y avait pour nous un grand motif de consolation. Les militaires n'aiment point à capituler; ils craignent toujours le reproche de n'avoir pas tiré tout le parti possible de leur situation, de n'avoir pas défendu assez longtemps la place qui leur était confiée, ou d'avoir traité à des conditions plus désavantageuses que celles qu'ils auraient pu obtenir. L'Empereur était sévère à cet égard; mais la violation de la capitulation prouvait assez qu'elle nous était favorable. L'injustice de l'ennemi justifiait la garnison de Dresde, et personne ne nous a blâmés d'avoir traité à des conditions que l'ennemi refusait d'accomplir. Au commencement de 1814, M. de Fontanes, dans un discours à l'Empereur, à l'occasion des négociations qui avaient lieu pour la paix, se plaignait de la mauvaise foi des alliés, qui prolongeaient les conférences pour gagner du temps. S'ils étaient sincères, disait-il, s'ils voulaient sérieusement la paix, auraient-ils violé la capitulation de Dresde et fermé l'oreille aux nobles plaintes du guerrier qui commandait la garnison?

L'ordre du prince Schwartzenberg était d'envoyer les soldats en Bohême et les officiers en Hongrie. Cette séparation me fut très-sensible. J'ai dit qu'il ne restait que 700 hommes de ma brigade; mais c'étaient les compagnons de nos dangers et de nos fatigues; tous m'avaient suivi sur le champ de bataille, plusieurs avaient été blessés. Dans les guerres désastreuses, les plus courageux résistent toujours le plus longtemps. L'énergie morale donne ou du moins remplace la force physique; et si à la fin d'une campagne un régiment se trouve réduit à 100 hommes, soyez sûr que ces 100 hommes sont de bons soldats. Leur départ m'affligea d'autant plus que je ne devais plus les revoir. Les soldats étaient usés malgré leur jeunesse, ou peut-être à cause de leur jeunesse. La rigueur de la saison, la fatigue des marches, la mauvaise nourriture, le manque de soins, en firent périr un grand nombre, et des 33,000 hommes qui figurent dans la capitulation de Dresde, bien peu rentrèrent en France à la paix.

Trois semaines s'étaient ainsi écoulées, et le 3 décembre, les officiers partirent en une seule colonne pour Presbourg. Je crois que le maréchal Saint-Cyr resta à Tœplitz. Le comte de Lobau et tous les généraux marchèrent avec les officiers du 1er corps. Le mois de décembre fut consacré à ce triste voyage. Nous arrivâmes à Presbourg le 6 janvier. Ce voyage n'eut rien de remarquable. On avait eu grand soin de nous faire éviter les grandes villes telles que Prague et Brün en Moravie. La guerre avait épargné les pays que nous parcourions, et nous fûmes assez bien accueillis. Malgré la rancune que nous gardions à la mémoire du général Moreau, je ne pus revoir à Laun sans quelque émotion la maison où il fut transporté, le lit où il rendit le dernier soupir. Je logeai dans une autre ville de Bohême chez la veuve du marquis de Favras, l'une des premières victimes de la Révolution. Sa fille avait épousé un homme de qualité du pays et fort riche. Toutes deux ne rêvaient déjà que Restauration. Elles donnèrent cependant à dîner à quelques officiers généraux présents, auxquels elles voulaient bien pardonner leur uniforme depuis qu'ils étaient vaincus.

Pendant cette marche, le comte de Lobau, qui ne nous quittait pas, observait attentivement la tenue des officiers et surtout des chefs de corps. Plusieurs ne s'occupaient que d'eux-mêmes, et mettaient à profit l'argent provenant de la vente des chevaux et des voitures qu'ils avaient pu se procurer à la sortie de Dresde. Ils voyageaient en voiture et faisaient bonne chère; d'autres partageaient avec les officiers de leur corps le peu dont ils pouvaient disposer.

On remarquait particulièrement le colonel Lafond, du 51e (division Teste), qui fit toute la route à pied, à la tête des officiers de son régiment. Le comte de Lobau notait tout cela pour en rendre compte à l'Empereur, qui, sans doute, en aurait tiré parti dans des moments plus heureux. Ce n'est point du temps perdu que celui qu'on passe avec des prisonniers de guerre. Les hommes qui ne sont plus retenus par leurs devoirs militaires se livrent davantage à leurs bons ou mauvais penchants. La distance entre les grades se rapproche; les qualités, les défauts se montrent plus à découvert; il y a des traits de courage, de faiblesse, de désintéressement, d'égoïsme; c'est une épreuve pour les autres et c'en est une pour soi-même. J'ai eu le malheur de faire deux fois partie d'une colonne de prisonniers de guerre, dans des âges divers, avec des grades bien différents, et en 1807 comme en 1813, j'ai fait de bien curieuses et quelquefois de bien tristes observations.

On assigna autour de Presbourg des cantonnements aux officiers du 1er corps. Le comte de Lobau et le général Cassagne allèrent à Œdembourg; plusieurs obtinrent la permission de rester à Presbourg, entre autres les généraux O'Méara, Chartran et moi. Mon premier soin fut de faire mon établissement dans ce lieu d'exil, car l'exil pouvait être long. J'avais pour officier d'ordonnance depuis quelque temps M. Petit, adjudant-major au 7e léger; je ne voulus abandonner ni lui ni même le soldat qui lui servait de domestique. J'avais toujours mon aide de camp Chabrand, un cuisinier et un valet de chambre. Cela faisait six personnes à nourrir; c'est beaucoup pour un prisonnier de guerre. Heureusement que tout était bon marché en Hongrie. Je trouvai un logement fort convenable pour nous tous dans une maison occupée par la haute bourgeoisie. Quant à la dépense, elle fut réglée avec la plus stricte économie, et j'espérais que mes ressources me permettraient de continuer ce genre de vie aussi longtemps que durerait notre captivité.

Mes compagnons m'offrant peu de ressource, je fis connaissance avec quelques personnes de la ville qui me plurent beaucoup, entre autres avec le baron de Braunecker, directeur de la poste, que je voyais presque tous les jours. Cette relation m'était d'autant plus précieuse que je savais exactement par lui des nouvelles de l'armée, qui chaque jour devenaient plus intéressantes et plus affligeantes. C'était un fort bon homme, aimable, obligeant. J'eus occasion de voir aussi un homme de la conduite la plus légère que j'aie jamais connu. Il avait à cette époque près de soixante ans. Séparé de sa femme depuis longtemps, il s'était fait un autre ménage à son choix, et il avait plusieurs enfants de la personne qui était établie chez lui comme femme légitime. Il avait eu de plus toutes les intrigues du monde avec beaucoup de femmes de Presbourg et des environs, et il en contait des détails incroyables. Il donna un jour une grande soirée dont sa maîtresse faisait les honneurs. Je ne fus pas peu surpris d'y voir le vicaire apostolique, la première autorité religieuse de la ville, ainsi que des personnes d'un rang élevé, des femmes d'une conduite respectable.

Le général autrichien Haddick, commandant à Presbourg, avait épousé une femme fort bien élevée. Je les voyais quelquefois; mais les autorités de la ville étaient si mal disposées pour nous qu'ils n'osaient me faire aucune politesse; on se serait compromis en donnant à dîner à un Français. Tous les huit jours, la municipalité de la ville, qu'on appelle le comitat, venait demander au général pourquoi je n'étais pas au village de Somerein, qui m'avait été assigné pour cantonnement. Il demandait si l'on avait à se plaindre de moi; on répondait que non, et il les renvoyait en leur disant: «qu'il n'y avait donc pas d'inconvénient à ce que je restasse à Presbourg.» Le général lui-même, à la paix, m'a raconté ces détails.

Il ne faut pas demander à Presbourg la tenue, la distinction, la conversation des salons de Paris; cependant on y trouve une société douce et agréable, des mœurs faciles, des hommes sans prétention, des femmes légères. On est reçu partout à toute heure sans toilette et sans cérémonie. La conversation m'amusait assez par le mélange du latin, du français, de l'allemand et quelquefois du hongrois, qui se croisaient et se répliquaient l'un à l'autre, selon que chacun de ces idiomes répondait mieux à la pensée de l'interlocuteur. J'aurais pu mieux passer mon temps. Nous étions à 12 lieues de Vienne; il y avait dans cette ville des anciens amis de ma famille, qui m'auraient obtenu facilement la permission d'y venir. Je ne m'adressai à aucun d'eux, trouvant plus convenable à ma dignité de prisonnier de guerre de rester avec mes camarades, et surtout de ne solliciter en rien nos vainqueurs, ni les émigrés, que nous appelions encore nos ennemis.

Le moment approchait où ces tristes qualifications allaient disparaître, et où tous les Français se trouveraient réunis sous la même bannière; mais auparavant il fallut passer par bien des angoisses. Nous apprenions successivement le passage du Rhin, l'invasion de la France, les progrès toujours croissants des armées alliées. Il faut être militaire pour comprendre notre irritation et notre douleur. Il y avait peu de mois que nous étions encore les maîtres de l'Europe, et déjà notre patrie était envahie. Elle allait être entièrement conquise; l'Empereur perdait sa couronne, la France son indépendance, et nous ne pouvions plus défendre des intérêts aussi chers. Désarmés, retenus loin de la France, nous étions réduits à lire ces tristes récits dans des journaux allemands, dont les mensonges et la jactance augmentaient encore notre affliction. Les inquiétudes particulières se joignaient aux calamités publiques. Nous n'avions pas de nouvelles de nos familles, et dans de pareilles circonstances, tous les malheurs étaient à craindre. Les négociations de Châtillon ne nous donnaient qu'un faible espoir. Pour traiter avec Napoléon, les alliés voulaient détruire sa puissance, et nous savions qu'il n'y consentirait pas. Cependant son génie pouvait encore surmonter tant d'obstacles. Malgré tous les déguisements des journaux étrangers, nous admirions l'énergie de sa défense. Les jeunes officiers surtout, dans l'enthousiasme des victoires de Brienne et de Champeaubert, voyaient l'Empereur chasser les alliés de l'autre côté du Rhin. L'expérience de mes trente ans ne me permettait déjà plus de partager cette illusion. Les alliés voulaient en finir; les souverains avaient abandonné leurs capitales et le soin de leurs États pour marcher contre l'ennemi commun. La France, usée et affaiblie par ses victoires mêmes, ne pouvait résister longtemps à l'Europe entière; mais qu'arriverait-il quand l'Empereur aurait succombé? On parlait de la Régence, d'un autre général français, d'un prince étranger. Les deux derniers partis n'étaient pas possibles. Quel autre général aurait osé se mettre à la place de Napoléon et détrôner le fils de son souverain? Et comment un prince étranger aurait-il été assez téméraire pour braver l'irritation que son gouvernement eût causée à la France entière? On désirait donc et l'on espérait encore dans les chances les plus favorables l'établissement de la Régence. Au milieu de ces perplexités, un autre parti témoignait ouvertement ses espérances. Des princes, proscrits depuis vingt-cinq ans, reparaissaient sur le sol de la France. M. le comte d'Artois à Langres, M. le duc d'Angoulême à Bordeaux, ne venaient point, comme Henri IV, reconquérir leur royaume; ils n'étaient point rappelés par le vœu du pays; ils marchaient derrière les baïonnettes étrangères. Ils n'avaient d'espoir que dans la conquête de la France; ils triomphaient de nos revers, ils s'affligeaient de nos succès[67]. Et c'étaient des princes français, des princes dont les ancêtres avaient si glorieusement régné sur les nôtres, des princes que nous étions habitués à respecter, et qui alors, par la fatalité de leur situation, ne nous inspiraient plus que de l'éloignement, de la tristesse et de l'amertume. Une petite coterie d'émigrés, à Presbourg, accueillait au contraire avec des transports de joie cette espérance encore éloignée et qui, pour eux, était déjà une certitude. À leurs yeux, le rétablissement du roi ramènerait le rétablissement de l'ancien régime; car l'ignorance et la folle confiance ont toujours caractérisé les émigrés. Un ancien président du parlement disait: «Le roi va revenir, j'aurai ma présidence.» On pense bien que nous ne recherchions pas une société pareille; aussi je n'en parle que par ouï-dire.

Enfin arriva la nouvelle de la prise de Paris; ce fut pour nous une horrible journée. Le baron de Braunecker me donna au moins des détails rassurants. Je me renfermai ensuite dans ma chambre, pour ne pas être témoin de l'odieux triomphe des habitants de la ville. Les nouvelles se succédaient avec rapidité; nous apprîmes successivement l'abdication de l'Empereur, l'exclusion de la Régence et le rétablissement des Bourbons. L'irritation des officiers fut portée au comble; ils ne connaissaient point les princes, dont ils n'avaient jamais entendu parler; ils n'avaient aucune idée de l'ancien régime, et leur ignorance était telle, qu'un jeune officier à qui l'on dit que le roi allait revenir, répondit avec surprise: «Cela est singulier, je croyais que le roi avait péri dans la Révolution.»

Pour moi, qui prévoyais depuis longtemps ce résultat, j'étais fort disposé à m'y soumettre. Je cherchais à oublier les fatals auspices sous lesquels nos princes revenaient parmi nous, leur funeste entourage, le lien qui les attachait à nos ennemis. Je m'efforçais de ne voir en eux que les descendants de nos anciens rois, que les représentants de cette race auguste qui a fait pendant tant de siècles la gloire et le bonheur de la France; je songeais à leurs bonnes intentions, à leurs vertus, à leurs malheurs; en un mot, je tâchais d'oublier le présent pour ne songer qu'au passé et à l'avenir. Mais je demandais qu'ils se conformassent franchement et complétement aux idées de notre siècle. Point de cocarde blanche, point de réminiscence de l'ancien régime. Enfin que le nouveau règne date de 1814, non 1795. Ce fut mon premier mot, ma première pensée; je sentais que le mal était là, et, sans m'en rendre compte, je devinais la crise des Cent-jours.

Les officiers, qui ne connaissaient que le temps présent, allaient plus loin encore, et les concessions que je demandais ne les auraient nullement satisfaits. Ils ne voulaient que la Régence et qualifiaient d'usurpation le gouvernement qui se mettrait à la place du fils de leur Empereur.

Je causai beaucoup avec eux; je cherchai à leur inspirer des sentiments plus raisonnables et plus patriotiques. Sans doute l'héritier de l'Empereur était son fils, mais les alliés déclaraient qu'ils ne traiteraient ni avec Napoléon, ni avec aucun membre de sa famille. Le roi de Rome partait avec sa mère; la France reconnaissait le nouveau gouvernement. Fallait-il donc sacrifier à une fidélité chimérique nos devoirs envers le pays? La révolution qui venait de s'accomplir avait eu lieu malgré nous; nous avions mille fois exposé notre vie pour éloigner de la patrie les armées étrangères, pour sauver la couronne de l'Empereur. La destinée ne l'avait pas voulu; aujourd'hui nous devions nous rappeler seulement que nous étions citoyens de la France. Les Bourbons ne méritaient pas tous les reproches de leurs ennemis. Pendant leur long exil, ils étaient restés Français au fond du cœur; ils gémissaient les premiers de ne pouvoir rentrer et remonter sur le trône qu'à la suite des armées étrangères. Leur premier devoir comme leur premier intérêt allait être sans doute de chercher à effacer cette tache originelle en se montrant jaloux de l'honneur du pays, en gouvernant selon ses intérêts. Il fallait avant tout obtenir une paix avantageuse; il fallait être délivré de la présence des armées étrangères. Le nouveau gouvernement n'aurait que trop d'embarras, et, pour les vaincre, il avait besoin de l'union de tous les Français.

Telles étaient mes raisons; elles frappèrent les officiers et j'en ramenai quelques-uns, mais l'impression fut de peu de durée. Les premiers actes du nouveau gouvernement n'ont pas été de nature à gagner l'affection de l'armée, et l'on sait que l'année suivante, à la première apparition de l'Empereur, elle passa à lui tout entière.

L'ordre pour la rentrée des troupes arriva. Je pris congé, non sans regret, de quelques amis dont les soins avaient un peu consolé notre tristesse.

Je passai deux jours à Vienne pour acheter une voiture et faire mes préparatifs de voyage; mon aide de camp et mes deux domestiques m'accompagnaient. Le comte de Palfy, que j'avais connu à Paris, me donna l'hospitalité. Au moment de mon départ, il me remit pour la route les trois derniers mois du Journal des Débats, et jamais je ne fis de lecture aussi attachante. Je ne connaissais plus les journaux français; j'ignorais le détail de tout ce qui s'était passé en France. Je trouvai dans ce recueil le récit des derniers efforts de l'Empereur, l'entrée des alliés à Paris, les actes du gouvernement provisoire, l'arrivée de Monsieur, les commencements de la Monarchie, tant et de si graves événements, tant de circonstances particulières qui intéressaient mes compagnons d'armes, mes amis, ma famille elle-même. À peine pouvais-je suffire à tant d'émotions, aux regrets du passé, aux inquiétudes mêlées de quelques espérances qu'offrait l'avenir. Je traversai sans presque m'arrêter Munich, Ulm, Strasbourg, la France aujourd'hui conquise et asservie. Soldat de l'Empire jusqu'au dernier jour, je ne voulus rendre visite à aucune des nouvelles autorités royales. Mes yeux se détournaient quand ils rencontraient un uniforme étranger. Je conservais ma cocarde tricolore, symbole des sentiments que je renfermais dans mon cœur. J'arrivai ainsi à Paris au mois de mai; je retrouvai ma famille. Alors, et seulement alors, je pris sérieusement mon parti. Sans avoir contribué à la Restauration, sans l'avoir même désirée tant qu'a duré l'Empire, j'étais maintenant décidé à la servir aussi sincèrement, aussi loyalement que j'avais servi l'Empire lui-même. On m'avait réservé le commandement d'une brigade de la garnison de Paris, et j'ôtai de mon chapeau cette cocarde qui déjà n'était plus la mienne, mais que j'ai toujours conservée depuis comme un précieux souvenir.

NOTES DU LIVRE III.

NOTE A.

PREMIER CORPS D'ARMÉE.

LE COMTE VANDAMME, PUIS LE COMTE DE LOBAU.

CHEF D'ÉTAT-MAJOR.—LE GÉNÉRAL DE BRIGADE REVEST. ARTILLERIE.—LE GÉNÉRAL DE BRIGADE BALTUS. GÉNIE.—MORAS, CHEF DE BATAILLON.

+——————+——————+——————+——————+——-+——-+ |DIVISIONS |BRIGADES |RÉGIMENTS |COLONELS |BAT. |ESC. | +——————+——————+——————+——————+——-+——-+ |1re | |7e léger | | 4 | | |Philippon |POUCHELON | | | | | |puis | |12e de ligne|Baudinot | 4 | | |Cassagne |——————+——————+——————|——-+——-| | | |17e de ligne|Susbielle | 4 | | | |Fezensac | | | | | | | |36e de ligne|Sicart, maj.| 2 | | +——————+——————+——————+——————+——-+——-+ |2e Dumonceau|Dunesme |13e léger | | 4 | | | |puis | |Chartran | | | | |Chartran |25e de ligne|puis Fantin | | | | | | |des Odoarts | 4 | | | |——————+——————+——————|——-+——-| | | |51e de ligne| | 4 | | | |Doucet | | | | | | | |57e de ligne| | 2 | | +——————+——————+——————+——————+——-+——-+ |23e Teste | |24e de ligne| | 4 | | | |O'Méara | | | | | | | |33e de ligne| | 4 | | | |——————+——————+——————|——-+——-| | | |55e de ligne| | 4 | | | |Quiot | | | | | | | |85e de ligne| | 2 | | +——————+——————+——————+——————+——-+——-+ |Brigade de | |9e chev. | | | 2 | |cavalerie |Gobrecht |légers | | | | |légère | |Chass. | | | 2 | | | |d'Anhalt | | | | +——————+——————+——————+——————+——-+——-+ |Réserve |2 compagnies d'artillerie à pied |Choisi, | |et |2 compagnies d'artillerie à cheval |chef de | |parc |3 détachements de bat. du train |bataillon | |d'artillerie|2 compagnies de sapeurs | | | |2 compagnies d'équipages milit. | | +——————+——————+——————+——————+——-+——-+ Infanterie 17,000 hommes. | Cavalerie 1,000 hommes.

NOTE B.

ARMÉE FRANÇAISE.

+————————-+———————————-+—————-+—————+ |DIVISIONS. |NOMS DES GÉNÉRAUX. |INFANTERIE.|CAVALERIE.| +————————-+———————————-+—————-+—————+ | 1er CORPS | | GÉNÉRAL VANDAMME | | | | | | | 1re. | PHILIPPON | | | | 2e. | DUMONCEAU | | | | 3e. | TESTE | 17,000 | 1,000 | |Brigade de | GOBRECHT | | | |cavalerie légère.| | | | | | | | | | 2e CORPS | | MARÉCHAL DE BELLUNE | | | | | | | 4e. | DUBRETON | | | | 5e. | DUFOUR | | | | 6e. | VIAL | 22,400 | | |Brigade de | BRUNO | | | |cavalerie légère.| | | | | | | | | | 3e CORPS | | MARÉCHAL DE LA MOSKOVA | | | | | | | 8e. | SOUHAM | | | | 9e. | DELMAS | | | | 11e. | RICARD | 37,800 | 1,000 | |Brigade de | BEURMANN | | | |cavalerie légère.| | | | | | | | | | 4e CORPS. | | GÉNÉRAL BERTRAND. | | | | | | | 12e. | MORAND | | | | 15e. | FONTANELLI | | | | 38e. | FRANQUEMAN | 20,000 | | |Division de | BEAUMON | | | |cavalerie légère.| | | | | | | | | | 5e CORPS. | | GÉNÉRAL LAURISTON. | | | | | | | 10e. | ALBERT | | | | 16e. | MAISON | | | | 17e. | PUTHOD | 23,800 | | | 19e. | ROCHAMBEAU | | | |Brigade de | DERMONCOURT | | | |cavalerie légère.| | | | | | | | | | 6e CORPS. | | MARÉCHAL DE RAGUSE. | | | | | | | 20e. | COMPANS | | | | 21e. | LAGRANGE | | | | 22e. | FRIEDERICHS | 18,200 | | |Brigade de | NORMANN | | | |cavalerie légère.| | | | | | | | | | 7e CORPS. | | GÉNÉRAL REYNIER. | | | | | | | 37e. | GUILLEMINOT | | | | 32e. | DURUTTE | | | | 24e (saxonne). | DE SAHR | 24,000 | | |Brigade de | DE GAEBLENS | | | |cavalerie légère.| | | | | | | | | | 8e CORPS (POLONAIS) | | MARÉCHAL PONIATOWSKI | | | | | | | 26e. | KAMINIECKI | | | | 27e (détachée). | DABROWSKI | 12,000 | 800 | |Brigade de | | | | |cavalerie légère.| UMINSKI | | | | | | | | | 11e CORPS | | MARÉCHAL DE TARENTE | | | | | | | 31e. | LEDRU | | | | 35e. | GERARD | | | | 36e. | CHARPENTIER | 18,200 | 1,000 | | 39e. | MARCHAND | | | | Brigade de | | | | |cavalerie légère.| MONTBRUN | | | | | | | | | 12e CORPS | | MARÉCHAL DE REGGIO | | | | | | | 13e. | PACTHOD | | | | 14e. | GUILLEMINOT | 21,000 | 800 | | 29e (bavarois). | RAGLOWICK | | | | | | | | | 13e CORPS | | MARÉCHAL GOUVION SAINT-CYR | | | | | | | 42e. | MOUTON-DUVERNET | | | | 43e. | CLAPARÈDE | | | | 44e. | BERTHEZÈNE | 17,500 | 1,000 | | 46e. | RAZOUT | | | | Brigade de | | | | |cavalerie légère.| JACQUET | | | +————————-+———————————-+—————-+—————+

+————————-+——————————————+————————+ |DIVISIONS |NOMS DES GÉNÉRAUX |CAVALERIE | +————————-+——————————————+————————+ | | | 2° CORPS DE CAVALERIE. | | GÉNÉRAL SÉBASTIANI. | | | |Cavalerie légère.|Roussel-Durbal | | |Idem. |Excelmans | 8,300 | |Cuirassiers. |Saint-Germain | | | | | 3° CORPS. | | GÉNÉRAL DUC DE PADOUE. | | | |Cavalerie légère.|Lorge | | |Idem. |Fournier | 7,000 | |Dragons. |De France | | | | | 4° CORPS (POLONAIS). | | GÉNÉRAL VALMY. | | | |Cavalerie légère.|Sokolnitzki | | |Idem. |Sultouski | 6,000 | | | | GARDE IMPÉRIALE. | | (VIEILLE GARDE). | | | | |Friant | | | |Curial | 6,000 | | | | JEUNE GARDE (1er CORPS). | | MARÉCHAL DE REGGIO | | APRÈS LA DISSOLUTION DU 42e CORPS. | | | | |Pactrod | | | |Decoux | 11,400 | | | | JEUNE GARDE (2e CORPS). | | MARÉCHAL DE TRÉVISE. | | | | |Barrois | | | |Roguet | 11,000 | | | | CAVALERIE. | | GÉNÉRAL NANSOUTY. | | | | |Ornano | | | |Lefebvre-Desnouettes | 5,000 | | |Walter | | +————————-+——————————————+————————+

+————————-+——————————————+———+————-+ |DIVISIONS |NOMS DES GÉNÉRAUX |CORPS |CAVALERIE| +————————-+——————————————+———+————-+ | RÉSERVE DE CAVALERIE. | | LE ROI DE NAPLES, COMMANDANT EN CHEF. | | GÉNÉRAL LATOUR-MAUBOURG. | +————————-+——————————————+———+————-+ |Division de |Corbineau | | | |cavalerie légère.| | | | | Idem. |Chastel | 1er | 12,000 | |Division de |Bordesoulle | | | |cuirassiers. | | | | | Idem. |Doumergue | | | +————————-+——————————————+———+————-+

Nota. Chaque corps d'armée avait une réserve et un parc, indépendamment de deux compagnies d'artillerie et du train attachées à chaque division. Les corps de cavalerie n'avaient que de l'artillerie à cheval, sans équipages ni sapeurs. Au 1er octobre, le total des bouches à feu s'élevait à 864, et avait été plus considérable au commencement de la campagne.

Le total, pour l'infanterie, est de 260,300 hommes.
Et pour la cavalerie 43,200
                                         ———-
Total général 303,500

Non compris le 13° corps, que le maréchal prince d'Eckmühl commandait à
Hambourg, et le corps d'observation de Bavière, que le maréchal duc de
Castiglione organisait, et qui n'entra en ligne qu'à Leipzick, ainsi que
le 5° corps de cavalerie.

NOTE C.

ARMÉE COALISÉE.
LE PRINCE DE SCHWARTZENBERG, GÉNÉRALISSIME.

+————————————————————+—————-+—————+ | |INFANTERIE.|CAVALERIE.| +————————————————————+—————-+—————+ | GRANDE ARMÉE DE BOHÈME. | +————————————————————+—————-+—————+ |4 corps autrichiens.—Avant-garde et | 110,000 | 21,800 | |réserve | | | +————————————————————+—————-+—————+ | GÉNÉRAL BARKLAY DE TOLLY. | +————————————————————+—————-+—————+ |2 corps russes | | | | | 52,600 | 11,550 | |1 —— prussien | | | +————————————————————+—————-+—————+ | RÉSERVES. | | | | LE GRAND-DUC CONSTANTIN. | +————————————————————+—————-+—————+ |Gardes russe et prussienne | 26,400 | 10,800 | +————————————————————+—————-+—————+ |Total de la grande armée | 189,000 | 44,150 | +————————————————————+—————-+—————+ | ARMÉE DE SILÉSIE. | | | | GÉNÉRAL BLUCHER. | +————————————————————+—————-+—————+ |6 corps russes | 72,000 | 14,700 | |1 —— prussien | 36,000 | 6,600 | +————————————————————+—————-+—————+ |Total | 108,000 | 21,300 | +————————————————————+—————-+—————+ | ARMÉE DU NORD. | | | | LE PRINCE DE SUÈDE. | +————————————————————+—————-+—————+ |2 corps prussiens | 78,000 | 14,700 | |Corps suédois | 19,800 | 4,800 | |—— russe | 11,400 | 15,300 | +————————————————————+—————-+—————+ |Total | 109,200 | 34,800 | +————————————————————+—————-+—————+

RÉCAPITULATION DE LA FORCE DES 4 ARMÉES ENTRE LES PUISSANCES COALISÉES.

+—————————————————————+—————+————-+ | |INFANTERIE|CAVALERIE| +—————————————————————+—————+————-+ |Autrichiens | 110,000 | 21,800 | +—————————————————————+—————+————-+ |Russes | 123,600 | 44,450 | +—————————————————————+—————+————-+ |Prussiens | 152,800 | 29,100 | +—————————————————————+—————+————-+ |Suédois | 19,800 | 4,800 | +—————————————————————+—————+————-+ |Total | 406,200 | 100,250 | +—————————————————————+—————+————-+ | | 506,450 | +—————————————————————+—————+————-+

Non compris le corps de l'Elbe inférieur et l'armée de Pologne, commandée par le général Benningsen, qui s'élevait à plus de 50,000 hommes.

NOTE D.

Itinéraire du 1er corps de la Grande Armée.

17 août. Réunion du corps d'armée à Dresde.

18. — Marche en Silésie.—Stolpen.

19. — 1re division à Neustadt.—Quartier général à Lobendau.

20 et jours 1re division à Georgenthal.—2e division à suiv. Zittau.—Quartier général à Rumburg.

24. — Marche en Bohême.—La 1re division le soir à Hainsbac, marche la nuit.—2e division marche sur Kœnigstein.

25 — La 1re division arrive le matin à Neustadt et y reste.

26 — La 1re division part le soir, marche la nuit.—La 2e
             division passe l'Elbe à Kœnigstein et bivouaque en avant.

             La 1re division passe l'Elbe à Kœnigstein, reste à
             Langenhennersdorf.

27 — La 2e division à Kohlberg, en arrière de Pirna.—La 42e division à Pirna.—La brigade de cavalerie Gobrecht en avant.

28 — La 1re et la 2e division à Gieshübel, l'avant-garde à Hellendorf.

29 — Au bivouac en avant de Kulm.

30 — Bataille de Kulm.—Bivouac à Liebenau.

31 — Bivouac à Liebenau.

1er sept, et suiv. Dresde.

7 — Revue de l'Empereur à Dresde.

8 — Marche sur la Bohême.—Menscha, près Dohna.

9 — Bernersdorf.

10 — Furstenwald.

11 — Séjour pour la 1re division.—La 2e division à Peterswald.

12 — La 2e division à Nollendorf.—La 1re à Peterswald.—La 23e à Hellendorf.

14 — Retraite.—Gieshübel.

15 — Offensive.—Hellendorf.

16 — Nollendorf.

17 — Tellnitz.

19 et suiv. Gieshübel.

30 et suiv. 1e division et cavalerie légère à Hellendorf.—23e
             division à Gieshübel.

7 octobre. Retraite.—Pirna.—La 2e brigade de la 1re division part le
             soir de Hellendorf pour Pirna.

8 — Cavalerie légère à Pirna.

9 — Échelonné de Pirna à Dresde.—1e division, Sportwitz.

10 — Seidnitz et Grünewiese.

11 et jours suiv. Faubourg de Dresde.—1re division, Grossgarten.

14 et suiv. 1re division, faubourg de Dresde.—2e division,
             Grossgarten.

17 — Sortie de Dresde.—1re division à Goslitz.—Les autres aux
             environs.

19 et jours 1re division, Lockwitz.—2e division, Dohna. suiv.

22 — Retraite derrière Lockwitz.—Quartier général, Sobrigen.

24 — 1re division, Zschecnitz.—2e division, Strehlen.

26 et jours suiv. Faubourg de Dresde.—2e division, Grossgarten.

30 et jours suiv. 23e division, Grossgarten.

6 novembre. Sortie de Dresde jusqu'auprès de Boxtorf.—On rentre le soir.

11 — Capitulation de Dresde.

12 — 1re colonne à Wilsdruf.

13 — 1re colonne à Nossen.

14 — 1re colonne à Etzdorf.

15 — 1re colonne à Woltheim.

16 — 1re colonne à Geringswald.

17 — 1re colonne à Gettayn.

18 — 1re colonne à Altenbourg.

19 et jours suiv. Séjour.

29 et suiv. Changement de cantonnements.—Géra.

La capitulation n'étant point exécutée, la garnison de Dresde est conduite en Hongrie comme prisonnière de guerre, et les officiers séparés des soldats.

NOTES

[1: NOTA. On peut consulter l'atlas de l'Histoire du Consulat et de l'Empire.]

[2: On avait commencé la réforme de la coiffure par une division de grenadiers réunie à Arras; ils portaient des shakos et des cheveux courts.]

[3: L'exercice est féminin dans le langage du soldat.]

[4: Il faut revoir la composition du camp de Montreuil (Journal de cette époque, Chapitre Premier du Livre Premier).

Les troupes qui y sont désignées formaient alors le 6e corps, commandé par le maréchal Ney.

On ne doit pas oublier que le 59e régiment, dont j'ai donné l'histoire, faisait partie de la 3e division, commandée par le général Malher.]

[5: Il y a quatre ponts aux environs de Guntzbourg le pont de Leipheim, celui de Guntzbourg même, un pont au-dessous de Guntzbourg, et enfin le pont de Reinsbourg (Histoire du Consulat et de l'Empire, t. VI, p. 92). Ce n'est pas ce dernier pont que le 59e fut chargé d'enlever, mais le pont intermédiaire entre Guntzbourg et Reinsbourg.]

[6: Les bataillons se composaient alors d'une compagnie de grenadiers et de huit de fusiliers.]

[7: Je ne veux pas dire du mal de Lefèvre, excellent homme et bon militaire. Je saisis plutôt l'occasion de raconter à son sujet un événement peut-être sans exemple. En 1813, étant lieutenant, il quitta le régiment pour passer avec avancement dans un autre corps. Arrivé à Paris, il apprit qu'il était nommé chef de bataillon et non capitaine, sans doute par une erreur de travail de bureau. On refusa d'entendre ses explications; il rejoignit son nouveau régiment avec un grade si singulièrement acquis, et il fut tué à la première affaire à la tête de son bataillon.]

[8: Ce sergent, devenu un excellent officier, a été tué étant capitaine.]

[9: Je raconterai plus tard la mort du capitaine Mazure, mort glorieuse, et dont pourtant son imprudence fut cause.]

[10: Voir Chapitre Premier du Livre Premier, Camp de Montreuil.]

[11: Colonel de gendarmerie à Paris sous la Restauration, ministère Decaze.]

[12: Général de brigade, mort de maladie en Espagne pendant la campagne de 1823.]

[13: Le 2e corps, commandé par le maréchal Marmont, était en Dalmatie.]

[14: 9 octobre.]

[15: 10 octobre.]

[16: Aide de camp titulaire du maréchal, souvent détaché auprès de l'Empereur.]

[17: 25 octobre.]

[18: Jomini, Génevois au service de France, avait été premier aide de camp du maréchal Ney; il se trouvait en ce moment au quartier impérial.]

[19: Ce n'est point le général de division Gardanne qui commanda une division du corps d'armée; celui-ci était général de brigade et attaché au quartier impérial. Il a été gouverneur des pages et ambassadeur en Perse.]

[20: T. VII, p. 372.]

[21: Le 7e corps, à moitié détruit, avait été dissout, et ce qu'il en restait, réparti entre les autres.]

[22: Indépendamment de l'atlas de l'Histoire du Consulat et de l'Empire, on peut, pour cette campagne et pour celle de 1813, consulter l'atlas du général Guillaume de Vaudoncourt.]

[23: La note A en donne le détail. Le total de l'armée, au moment du passage du Niémen, était de 414,000 hommes; mais en ajoutant le 9e corps et la division Loison, qui n'entrèrent en ligne que plus tard, les nombreux détachements qui vinrent successivement rejoindre les différents corps, les administrateurs, les employés, les non-combattants, on arrive facilement au chiffre de 500,000 hommes qui ont fait tout ou partie de cette campagne.]

[24: Ces trois derniers corps, placés sous le commandement du prince Jérôme, roi de Westphalie, formaient ainsi l'extrême droite de l'armée.]

[25: Je ne parle point des régiments, mais des traînards marchant isolément, et dont le nombre était déjà grand à cette époque.]

[26: Le désordre était porté si loin que le sous-préfet de Newtroki (près de Wilna), se rendant à son poste, fut pillé par nos soldats et arriva presque nu dans la ville qu'il venait administrer.]

[27: Par Lavarischki, Mikailtchi, Cheki et Daniélowitsi.]

[28: Les combats d'Ostrowno et de Witepsk furent livrés aux Russes par la cavalerie du roi de Naples et par le 4e corps. Dans l'un de ces combats, deux compagnies de voltigeurs du 9e régiment (4e corps), s'étant engagées fort avant dans la plaine, furent chargées par toute la cavalerie russe. Ces deux compagnies, serrées en masse, repoussèrent cette attaque, et vinrent rejoindre l'armée française qui, réunie sur les hauteurs environnantes, comme sur sa amphithéâtre, contemplait cette belle action et encourageait les soldats par ses applaudissements.]

[29: Voici le détail exact des pertes de l'armée française: 10 généraux tués, 39 blessés, total, 49; 10 colonels tués, 27 blessés, total 37; 6,547 officiers et soldats tués, et 21,453 blessés, total, 28,090. Pendant la journée, l'armée française a tiré 60,000 coups de canon et brûlé 1,400,000 cartouches.]

[30: On se souviendra toujours du singulier coup d'œil qu'offrait le camp de Pétrofski. On y voyait les différents états-majors qui composaient le quartier général campés dans des jardins anglais, les généraux logés dans des fabriques, les chevaux bivouaqués dans les allées. À chaque instant des soldats revenaient du pillage de Moscou, dont ils vendaient les dépouilles; et, pour comble de bizarrerie, ils étaient revêtus de tous les costumes tartares ou chinois qu'ils avaient trouvés.]

[31: M. d'Arcine, adjudant-major, fut nommé chef de bataillon. Il a depuis fait partie de l'expédition d'Alger, en 1830, comme maréchal de camp.]

[32: C'est-à-dire dans le faubourg de Viasma situé sur la route de Moscou. J'indique une fois pour toutes cette manière de m'exprimer; ainsi, à Smolensk, les faubourgs de Moscou, de Pétersbourg, de Wilna, désigneront les routes sur lesquelles les trois faubourgs de Smolensk sont placés, et ainsi des autres villes.]

[33: C'était le 7 novembre. Le général Berthezène se trompe en disant dans ses Mémoires que le froid a commencé le 4.]

[34: Déjà l'armée avait fait des pertes énormes en arrivant à Smolensk, et cette partie seule de la campagne passerait dans tout autre temps pour une retraite bien pénible.

Le 4e corps fut un des plus maltraités; les gardes d'honneur, composées de jeunes gens des meilleures familles du royaume d'Italie, furent réduits de 350 à 5. Au reste, le général Kutusow assure, dans un de ses rapports, que beaucoup d'officiers de la garde royale italienne prisonniers ont demandé à servir, disant qu'ils ne connaissaient rien de plus honorable que de porter l'uniforme russe. Il est permis de douter de l'exactitude de ce fait.]

[35: Le capitaine de ce militaire, en me priant de lui rendre son grade, m'avait dit qu'il désirerait bien mourir sergent. Je ne m'attendais pas à voir ce souhait si promptement exaucé. Aussi, au moment où il fut frappé, le capitaine, à qui je demandai son nom, se contenta de me répondre: Il est mort sergent.]

[36: Dans ce moment critique, je marchais à pied, tenant mon cheval par la bride pour éviter de servir de point de mire; je le lâchai plus tard, craignant qu'il ne m'embarrassât. Quand nous fûmes remis en ordre, ce cheval me fut rendu par le capitaine Tierce, qui voulut s'en charger pour me le conserver. Comme je le remerciais de ce soin, en me félicitant qu'il se fût trouvé là par hasard, il me répondit: Ce n'est jamais par hasard que je suis auprès de vous.

Rien n'était plus vrai, car le capitaine Tierce, un des officiers les plus distingués du régiment, était aussi celui qui m'a toujours témoigné le plus d'attachement. Il me reprochait même quelquefois de trop m'exposer, oubliant qu'en cela je ne faisais que suivre son exemple.

Cet officier est mort d'une manière bien digne de lui. Capitaine de grenadiers à la bataille de Leipzig, il fut blessé au bras droit et refusa de s'en aller, disant qu'il tenait aussi bien son sabre de la main gauche; bientôt après, une nouvelle balle le tua. Un adjudant du régiment ramassa ce sabre et m'en a fait présent.]

[37: Danikowa.]

[38: Aide de camp du duc de Plaisance.]

[39: Gusinoé.]

[40: Ainsi nommé dans le rapport de Platow. Ce doit être Teolino.]

[41: Le colonel Pelleport, du 18e, et moi.]

[42: Vers le soir on aperçut des rayons de miel attachés à un arbre et fort élevés. Il était difficile et dangereux d'y atteindre. Cependant quelques soldats pensant qu'il valait autant mourir d'une chute que de mourir de faim, vinrent à bout, à l'aide d'une perche, de grimper jusque-là. Ils jetèrent par morceaux ce miel sur lequel leurs camarades se précipitaient comme des chiens affamés.]

[43: Le 2 décembre.]

[44: M. Delachau, capitaine au 4e régiment, depuis colonel du 29e.]

[45: On a peine à comprendre l'illusion de l'Empereur. Les 3 et 4 décembre, il indiquait dans ses ordres l'intention de faire reposer l'armée à Molodetschno ou à Smorghoni. Il parlait de distributions de vivres. Le 5, au moment de son départ, il ordonnait encore au roi de Naples de garder Wilna, ou du moins Kowno, comme tête de pont.]

[46: On ne finirait pas, si l'on voulait raconter toutes les anecdotes horribles, touchantes, et souvent incroyables, qui signalèrent cette funeste époque.

Un général, épuisé de fatigue, était tombé sur la route. Un soldat, en passant, commença à lui ôter ses bottes; celui-ci, se soulevant avec peine, le pria d'attendre au moins qu'il fût mort pour le dépouiller: Mon général, répondit le soldat, je ne demanderais pas mieux; mais un autre va les prendre; il vaut autant que ce soit moi; et il continua.

Un soldat était dépouillé par un autre; il lui demanda de le laisser mourir en paix. Excusez, camarade, répondit l'autre, j'ai cru que vous étiez mort; et il passa son chemin.

Quelquefois même une affreuse ironie se joignait à l'égoïsme ou à la cruauté. Deux soldais entendirent un officier, malade et étendu par terre, qui les appelait à son secours, et qui se disait officier du génie. Comment! c'est un officier du génie? dirent-ils en s'arrêtant. Oui, mes amis, dit l'officier. Eh bien! tire ton plan, reprit l'un des soldats; et ils le laissèrent.

Cependant, pour la consolation de l'humanité, quelques traits sublimes de dévouement venaient contraster avec tant d'égoïsme et d'insensibilité. On a cité surtout celui d'un tambour du 7e régiment d'infanterie légère; sa femme, cantinière au régiment, tomba malade au commencement de la retraite; le tambour la conduisit tant qu'ils eurent une charrette et un cheval. À Smolensk, le cheval mourut: alors il s'attela lui-même à la charrette, et traîna sa femme jusqu'à Wilna. En arrivant dans cette ville, elle était trop malade pour aller plus loin, et son mari resta prisonnier avec elle.

Une cantinière du 33e régiment était accouchée en Prusse, avant le commencement de la campagne; elle suivit jusqu'à Moscou son régiment, avec sa petite fille, qui avait six mois au moment du départ de Moscou. Cette enfant vécut pendant la retraite d'une manière miraculeuse; sa mère ne la nourrissait qu'avec du boudin de sang de cheval; elle était enveloppée d'une fourrure prise à Moscou, et souvent nu-tête. Deux fois elle fut perdue; et on la retrouva, d'abord dans un champ, puis dans un village brûlé, couchée sur des matelas. Sa mère passa la Bérézina à cheval, ayant de l'eau jusqu'au cou, tenant d'une main la bride, et de l'autre son enfant sur sa tête. Ainsi, par une suite de prodiges, cette petite fille acheva la retraite sans accident, et ne fut pas même enrhumée.]

[48: Par Biénitza et Smorghoni.]

[49: En passant par Neustadt, Pillkahlen et Saliau.]

[50: Par Heiligenbeil et Elbing.]

[51: Par Stargard, Driessen et Landsberg.]

[52: M. Goudonville.]

[53: M. Boni.]

[54: J'ai dit que 300,000 hommes ont fait la campagne en tout ou en partie. En déduisant 80,000 hommes pour les trois corps qui formaient les deux ailes (7e et Autrichiens à l'aile droite; 10e à l'aile gauche), il reste 420,000 pour la Grande Armée. De ces 420,000 hommes, il y en eut tout au plus 10,000, presque tous malades ou écloppés, qui repassèrent la Vistule. On en perdit donc 410,000. Quant aux trois corps détachés, qui eurent moins à souffrir, leurs pertes ne peuvent pas s'élever à moins de 20,000 hommes, ce qui fait une perte totale de 430,000 hommes. (Voir le détail des pertes du 4e régiment, note B.)]

[55: NOTA. On peut, comme pour la campagne de 1812, consulter l'atlas de M. Thiers ou celui du général G. de Vaudoncourt.]

[56: Il est devenu général de division, aide de camp du roi Louis-Philippe.]

[57: M. de Breteuil, depuis pair de France.]

[58: Je donne par appendice (note n° A) la composition du 1er corps. On voit qu'il se composait de trois divisions d'infanterie: 1er, Philippon, 2e Dumonceau, 3e Teste; en tout 17,000 hommes et 1,000 chevaux.]

[59: Le plus ancien lieutenant général de l'armée; il l'était de 1799 et vivait encore en 1848.]

[60: Voir le détail, Appendice (note B).]

[61: Idem, idem, (note C).]

[62: Napoléon avait mandé près de lui le maréchal Ney, qui avait laissé en Silésie le 3e corps qu'il commandait.]

[63: Je ne pense pas qu'il ait été blessé.]

[64: Le maréchal Saint-Cyr reproche à Napoléon de n'avoir pas tenté le passage de Geyersberg. Il observe que les Autrichiens ayant passé sur la rive droite de l'Elbe après la bataille de Dresde, nous n'avions à combattre que l'armée russe et prussienne; qu'il fallait se hâter de battre les ennemis avant la réunion de toutes leurs forces, qu'allait encore augmenter la prochaine arrivée de l'armée russe de Pologne. Il ajoute que l'occasion de livrer bataille était favorable, puisque l'ennemi se trouvait échelonné sur la grande route de Tœplitz par Pirna et Peterswalde, tandis que nous occupions l'autre route par Dohna, Fürstenwald et la montagne du Geyersberg; que cette route, plus courte que l'autre, nous permettait d'arriver en Bohême avant l'ennemi et de l'attaquer à revers.

Quant à la difficulté de franchir le Geyersberg, le maréchal Saint-Cyr croit qu'on l'exagérait; les sapeurs, en quelques heures, auraient rendu la route praticable.

C'est le 10 septembre que Napoléon arrêta le mouvement qu'il avait ordonné et prit le parti de la retraite. Le maréchal Saint-Cyr s'étonne de le voir reculer devant un obstacle qui lui paraissait peu sérieux, et perdre ainsi une occasion qu'il ne devait plus retrouver.]

[65: Voir la note 66.]

[66: Le maréchal Ney dit dans son rapport que la ligne de bataille pouvait être formée à Jüterbogt avant dix heures du matin; et le maréchal Oudinot assure qu'il a reçu de lui l'ordre de partir à dix heures de Seyda pour Jüterbogt, qui en est à plus de quatre lieues. Voici l'explication de cette contradiction; elle m'a été donnée par un homme bien à portée de la connaître.

Le 5 septembre, le maréchal Oudinot avait reçu l'ordre à Seyda d'en partir le matin aven le 12e corps, pour se diriger sur Œhna, mais seulement après que le 7e corps (Reynier) aurait passé devant le 12e. Reynier ayant pris un autre chemin, Oudinot, qui attendait ce passage, ne partit de Seyda qu'entre 9 et 10 heures du matin, et, arrivé à environ une lieue du champ de bataille, vers Œhna, il fit une halte d'une grande heure avant d'avoir reçu du maréchal Ney une direction finale vers ce champ de bataille.]

[67: Ce n'est pas assurément que les alliés combattissent pour le rétablissement de la maison de Bourbon. Ils ne voulaient que la chute de Napoléon, en laissant la France libre de se choisir un gouvernement. Mais ils permettaient à nos anciens princes de s'établir en France dans les provinces occupées par eux, de chercher à leurs risques et périls à s'y faire des partisans. Ainsi les Bourbons ne pouvaient attendre leur retour que de la chute de Napoléon; l'armée française, en combattant les alliés, combattait donc indirectement contre eux.]

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