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Traité élémentaire de la peinture,: avec 58 figures d'après les dessins originaux de Le Poussin, dont 34 en taille-douce

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CHAPITRE CLXV.

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CHAPITRE CLXVI.

Des mouvemens du corps de l'homme, des changemens qui y arrivent, et des proportions des membres.

Les mesures du corps de l'homme se changent en chaque membre, selon qu'on le plie plus ou moins; et par les divers aspects d'un côté elles diminuent ou croissent plus ou moins, à proportion qu'elles croissent ou diminuent de l'autre côté.

CHAPITRE CLXVII.

Des changemens de mesures qui arrivent au corps de l'homme, depuis sa naissance jusqu'à ce qu'il ait la hauteur naturelle qu'elle doit avoir.

L'homme, dans sa première enfance, a la largeur des épaules égale à la longueur du visage, et à l'espace du bras qui est depuis l'épaule jusqu'au coude lorsque le bras est plié: elle est encore pareille à l'espace qui est depuis le gros doigt de la main jusqu'au pli du coude, et pareille encore à l'intervalle qu'il y a de la jointure du genou à celle du pied; mais quand l'homme est parvenu à sa dernière hauteur, toutes ces mesures doublent en longueur, hormis le visage, lequel, aussi bien que toute la tête, reçoit peu de changement; et ainsi l'homme qui, après être arrivé à son dernier accroissement est d'une taille bien proportionnée, doit avoir en hauteur dix faces, et la largeur des épaules a deux de ces mêmes faces; et ainsi, toutes les autres parties dont j'ai parlé sont pareillement de deux faces. Pour le reste, nous en traiterons en parlant de toutes les mesures du corps de l'homme.

CHAPITRE CLXVIII.

Que les petits enfans ont les jointures des membres toutes contraires à celles des hommes, en ce qui regarde la grosseur.

Les petits enfans ont tous les jointures déliées, et les espaces qui sont entre-deux plus gros; cela arrive parce qu'ils n'ont sur les jointures que la peau seule et quelques membranes nerveuses qui attachent et lient les os ensemble, et toute la chair qui est molle, tendre, et pleine de suc, se trouve enfermée sous la peau entre deux jointures; mais parce que dans les jointures les os sont plus gros qu'ils ne le sont dans l'espace qui est entre les jointures, la chair se décharge de beaucoup des superfluités tandis que l'homme croît, et ses membres deviennent à proportion plus déliés qu'auparavant; mais il ne se fait point de diminution dans les jointures, parce qu'il n'y a que des os et des cartilages; de sorte que, par ces raisons, les petits enfans sont gras entre les jointures, foibles et décharnés aux jointures, comme il paroît à celles de leurs doigts, de leurs bras, de leurs épaules, qu'ils ont déliées et menues; au contraire, un homme fait est gros et noué par-tout, aux jointures des bras et des jambes; et au lieu que les enfans les ont creuses, les hommes les ont relevées.

CHAPITRE CLXIX.

De la différence des mesures entre les petits enfans et les hommes faits.

Entre les hommes et les enfans je trouve une grande différence de longueur de l'une à l'autre jointure; car l'homme a depuis la jointure des épaules jusqu'au coude, et du coude au bout du pouce, et de l'extrémité d'une épaule à l'autre, une mesure de deux têtes, et à l'enfant, cette mesure n'est que d'une tête: cela vient apparemment de ce que la nature travaille d'abord à la tête, qui est la principale partie et le siége de l'entendement, et ensuite aux parties moins considérables et moins nécessaires.

CHAPITRE CLXX.

Des jointures des doigts.

Les doigts de la main grossissent dans leurs jointures de tous les côtés lorsqu'ils se plient, et plus ils se plient, plus ils paroissent; de même aussi ils diminuent à mesure qu'ils se redressent: la même chose arrive aux doigts des pieds, et il y aura un changement d'autant plus visible, qu'ils seront plus gros et plus charnus.

CHAPITRE CLXXI.

De l'emboîtement des épaules, et de leurs jointures.

Les jointures des épaules et des autres membres qui se plient, seront expliquées en leur lieu dans le Traité de l'Anatomie, où je ferai voir les causes des mouvemens de chaque partie dont le corps de l'homme est composé.

CHAPITRE CLXXII.

Des mouvemens des épaules.

Les mouvemens simples sont les principaux de ceux qui se font à la jointure des épaules: ces mouvemens sont ceux par lesquels le bras se porte en haut et en bas, en devant ou en arrière: on pourroit dire que ces quatre mouvemens sont en quelque sorte infinis; car si on fait avec le bras une figure circulaire sur un mur, on aura fait tous les mouvemens que l'épaule peut faire, parce que toute quantité continue se peut diviser à l'infini, et ce cercle est une quantité continue qui a été faite par le mouvement du bras, qui en a tracé et parcouru la circonférence: donc ce cercle étant divisible à l'infini, les mouvemens des épaules sont aussi en quelque sorte infinis.

CHAPITRE CLXXIII.

Des mesures universelles des corps.

Je dis que les mesures universelles des corps doivent s'observer dans les longueurs des figures seulement; et non pas dans les largeurs; parce que c'est une chose merveilleuse dans la nature, que de toutes ses productions on n'en voit aucune de quelque espèce que ce soit, laquelle considérée en particulier, soit précisément semblable à une autre: c'est pourquoi, vous qui êtes imitateur de la nature, considérez attentivement la variété des contours; néanmoins je suis d'avis que vous évitiez les choses qui sont monstrueuses, comme des jambes trop longues, des corps trop courts, des poitrines étroites et des bras longs: observez donc les mesures des jointures, et les grosseurs dans lesquelles la nature se plaît à faire paroître de la variété, pour faire de même à son exemple.

CHAPITRE CLXXIV.

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CHAPITRE CLXXIV.

Des mesures du corps humain, et des plis des membres.

Les Peintres sont obligés d'avoir connoissance de l'Ostéologie, c'est-à-dire, des ossemens du corps, qui servent de soutien à la chair dont ils sont couverts, et des jointures, qui font que les membres croissent et diminuent quand ils se plient; car la mesure du bras étendu ne se trouve pas égale à celle du même bras retiré, puisqu'il croît ou décroît en s'étendant et en se pliant, avec la différence d'une huitième partie de sa longueur; l'accroissement et le décroissement du bras par l'effet de l'os qui sort de son emboîture, est tel que vous le voyez représenté en cette figure A B; son accroissement se fait dans la partie qui vient de l'épaule au coude, lorsque l'angle du coude est plus aigu qu'un angle droit, et l'accroissement augmente à mesure que cet angle diminue; comme au contraire la longueur diminue selon que cet angle devient plus ouvert; l'espace qui est entre l'épaule et le coude, s'accroît d'autant plus, que l'angle du pli du coude se fait plus petit qu'un angle droit, et décroît à proportion que l'angle est plus grand qu'un droit.

CHAPITRE CLXXV.

De la proportion des membres.

Toutes les parties de l'animal doivent avoir du rapport à leur tout; c'est-à-dire, que celui dont la forme totale est courte et grosse, doit avoir aussi chaque membre en particulier court et gros, et celui qui sera long et délié, doit avoir les membres longs et menus; et celui qui est d'une taille médiocre les aura pareillement médiocres. Ce que je dis ne doit point s'entendre des plantes, parce qu'elles se renouvellent elles-mêmes par les rejetons qu'elles poussent sur leur tronc, et ainsi leur première forme et leur proportion naturelle est altérée et changée.

CHAPITRE CLXXVI.

De la jointure des mains avec les bras.

Le poignet ou la jointure du bras avec la main devient plus menu, lorsque la main serre quelque chose, et il se grossit lorsqu'on ouvre la main: mais le bras fait tout le contraire de tous les côtés, entre le coude et la main; cela vient de ce qu'en ouvrant la main, les muscles qui servent à cet effet s'étendent et rendent le bras plus délié entre le coude et la main; et lorsque la main tient quelque chose serrée, les muscles se retirent, se grossissent et s'éloignent de l'os, étant tirés par le serrement et par la compression de la main.

CHAPITRE CLXXVII.

Des jointures des pieds, de leur renflement et de leur diminution.

La diminution et l'accroissement de la jointure du pied se fait seulement du côté de sa partie nerveuse D E F, laquelle croît lorsque l'angle de cette jointure devient plus aigu, et diminue à proportion que cet angle devient plus ouvert: ce qui doit être entendu de la jointure du devant du pied A C B, dont je veux parler.

CHAPITRE CLXXVIII.

Des membres qui diminuent quand ils se plient, et qui croissent quand ils s'étendent.

Entre tous les membres qui se plient à leur jointure, il n'y a que le genou qui, en se pliant, perd de sa grosseur, et qui devient plus gros étant étendu.

CHAPITRE CLXXIX.

Des membres qui grossissent dans leurs jointures, quand ils sont pliés.

Tous les membres du corps de l'homme grossissent dans leurs jointures quand ils se plient, hormis en celle de la jambe.

CHAPITRE CLXXX.

Des membres nuds des hommes.

Quand des hommes nus travaillent et font quelque mouvement violent, ceux-là seuls de leurs membres doivent avoir des muscles bien marqués, du côté desquels ces muscles font mouvoir le membre qui est en action, et les autres membres feront paroître plus ou moins leurs muscles à proportion de l'effort et du travail qu'ils font.

CHAPITRE CLXXXI.

Des mouvemens violens des membres de l'homme.

Des deux bras celui là sera poussé par un mouvement plus grand et plus violent, lequel s'étant écarté de sa situation naturelle, sera plus puissamment assisté des autres membres, pour les ramener au lieu où il veut aller; comme la figure A, qui étend le bras avec la massue E, et le porte en un sens contraire pour l'en retirer après, aidé et fortifié de tout le corps, et se porter avec plus de violence en B.

CHAPITRE CLXXXII.

Du mouvement de l'homme.

Dans la Peinture, la principale partie consiste à former des compositions heureuses dans quelque sujet que ce puisse être; et la seconde partie qui concerne l'expression et les actions des figures, consiste à leur donner de l'attention à ce qu'elles font, et à faire qu'elles agissent avec promptitude et avec vivacité, selon le degré d'expression qui leur convient, aussi bien dans les actions lentes et paresseuses, que dans celles qui demandent beaucoup d'activité et de feu, et que la promptitude et la fierté soient autant exprimées que le demande la disposition présente de celui qui est en action; comme quand quelqu'un doit jeter un dard, ou des pierres, ou d'autres choses semblables, qu'il paroisse dans son attitude et dans la disposition de tous ses membres, quelle est son intention; voici deux figures dont la différente attitude montre qu'elles font un effort bien différent: la figure A est celle qui fait paroître plus de vigueur et de force, et la figure B en fait paroître moins; mais la figure A jettera plus loin le dard qu'elle lance, que la figure B ne jettera la pierre qu'elle tient; parce qu'encore bien que les deux figures paroissent vouloir jeter du même côté et arriver au même but, la figure A fait un plus grand effort: car elle a les pieds tournés du côté opposé à celui vers où elle veut porter ce coup; ce qui fait qu'elle le porte en effet avec beaucoup de force, en pliant et remuant le corps fort vîte et fort commodément pour le ramener vers le but où elle veut tirer. Au contraire, la figure B ayant le corps et les pieds dans une situation naturelle, elle n'agit pas avec tant de facilité, et elle ne fait pas tant d'efforts, par conséquent l'effet est foible, et le mouvement peu violent; parce qu'en général tout effort, pour avoir un grand effet, doit commencer par des contorsions violentes, et finir par des mouvemens libres, aisés et commodes; de même que si une arbalète n'est pas bandée avec force, le mouvement de la chose qu'elle doit tirer n'aura pas grand effet, parce qu'où il n'y a point d'effort et de violence, il n'y a qu'un mouvement foible; ainsi un arc qui n'est point bandé ne peut produire de mouvement; et s'il est bandé, il ne se débandera pas de lui-même sans une force étrangère, par le moyen de laquelle il décochera sa flèche: tout de même l'homme qui ne fait aucun effort et aucune contorsion, demeure sans force; quand donc celui qui est représenté par la figure A aura jeté son dard, et qu'il aura épuisé toute sa force dans sa contorsion de corps vers le côté où il a lancé son dard, en même temps il aura acquis une autre nouvelle puissance, mais qui ne lui peut servir qu'à retourner de l'autre côté, et à faire un mouvement contraire à celui qu'il a fait.

CHAPITRE CLXXXII.

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CHAPITRE CLXXXII.

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CHAPITRE CLXXXIII.

Des attitudes et des mouvemens du corps, et de ses membres.

Qu'on ne voie point la même action répétée dans une même figure, soit dans ses principaux membres, soit dans les petits, comme les mains ou les doigts: il ne faut point aussi répéter plusieurs fois la même attitude dans une histoire; et si le sujet de l'histoire demande un grand nombre de figures, comme une bataille ou un combat de gladiateurs, parce qu'il n'y a que trois manières de frapper, qui sont d'estoc, de taille et de revers, il faut varier autant qu'on peut ces trois manières de porter des coups; par exemple, si l'un se tourne en arrière, faites qu'un autre soit vu de côté, et un autre par-devant, et ainsi diversifiez les mêmes actions par divers aspects, et que tous les mouvemens se rapportent à ces trois principaux dont j'ai parlé: mais dans les batailles, les mouvemens composés marquent beaucoup d'art, animent pour ainsi dire le sujet, et y répandent un grand feu. On nomme mouvement composé, celui d'une figure qui fait en même temps des mouvemens qui paroissent opposés, comme lorsque la même figure montre le devant des jambes, et une partie du corps par le profil des épaules. Je parlerai en son lieu de cette espèce de mouvement composé.

CHAPITRE CLXXXIV.

Des jointures des membres.

Dans les jointures des membres et dans leurs différens mouvemens, on doit prendre garde de quelle sorte les muscles s'enflent d'un côté, s'abaissent et s'allongent de l'autre; et cela se doit observer dans le col des animaux, parce que là les mouvemens sont de trois espèces; deux desquels sont simples, et le troisième est composé, puisqu'il tient quelque chose de l'un et de l'autre des simples, l'un desquels se fait quand l'animal plie le col vers quelqu'une des épaules, ou lorsqu'il hausse ou baisse la tête; le second se fait quand le col se tourne à droite ou à gauche sans se courber, mais reste tout droit, et que la tête est tournée vers l'une des épaules; le troisième mouvement que nous appelons composé, est lorsque le pli est mêlé de contorsion, comme quand l'oreille se baisse vers quelqu'une des épaules, et que le front est tourné au même endroit ou vers l'autre épaule, et la tête élevée vers le ciel.

CHAPITRE CLXXXV.

De la proportion des membres de l'homme.

Prenez sur vous-même les mesures de vos membres; et si vous rencontrez quelque partie qui n'ait pas une belle proportion, marquez là, et prenez bien garde en dessinant des figures de ne pas tomber dans le même défaut, parce qu'ordinairement un Peintre se peint lui-même, et se plaît aux choses qui lui ressemblent.

CHAPITRE CLXXXVI.

Des mouvemens des membres de l'homme.

Tous les membres doivent exercer la fonction à laquelle ils ont été destinés; par exemple, il faut que dans les corps morts, ou dans ceux qui dorment, aucun membre ne paroisse vif ou éveillé; de même le pied qui porte le poids du corps, doit paroître comme affaissé, et non pas avec des doigts qui paroissent en mouvement ou libres, si ce n'est qu'il s'appuyât seulement sur le talon.

CHAPITRE CLXXXVII.

Du mouvement des parties du visage.

Les mouvemens des parties du visage, causés par les agitations subites de l'esprit, sont en grand nombre; les principaux sont, de rire, de pleurer, de crier, de chanter sur les différens tons que la voix peut prendre, de faire paroître de l'étonnement, de la colère, de la joie, de la tristesse, de la peur, du chagrin, de la douleur, et d'autres semblables mouvemens dont nous parlerons. Premièrement, les mouvemens qu'on fait quand on rit et quand on pleure, sont fort semblables dans les caractères qu'ils impriment sur la bouche, sur les joues, et aux paupières des yeux; mais ils diffèrent seulement dans les sourcils, et à l'intervalle qui les sépare, dont nous traiterons plus amplement en son lieu, lorsque nous parlerons des mouvemens qui arrivent au visage, aux mains, et aux autres membres, dans les accidens qui surprennent tout d'un coup: la connoissance de ces mouvemens est fort nécessaire à un Peintre, et sans elle il ne représenteroit que des figures doublement mortes; mais il faut encore qu'il prenne garde que leurs actions et leurs mouvemens ne soient pas si extraordinairement et si bizarrement animés, que dans un sujet tranquille il semble peindre quelque bataille, ou bien une bacchanale; et sur-tout que ceux qu'il introduira présens au sujet qu'il traite soient attentifs à ce qui se passe, avec des actions et des contenances d'admiration, de respect, de douleur, de compassion, de défiance, de crainte ou de joie, selon qu'il est à propos et convenable au sujet qui a formé l'assemblée ou le concours de ces figures, et qu'il fasse ensorte que ses histoires ne soient point l'une sur l'autre sur une même muraille, avec divers points de vue, comme si c'étoit la boutique d'un marchand qui étale ses marchandises.

CHAPITRE CLXXXVIII.

Observations pour dessiner les portraits.

L'os et le cartilage qui composent le nez qui est élevé au milieu du visage, peuvent avoir huit formes différentes, qui donnent huit différentes figures de nez; car ou ils sont également droits, ou également concaves, ou également convexes, et c'est la première; ou bien ils sont droits ou concaves, ou convexes inégalement, et c'est la seconde; ou bien leurs parties d'en haut sont droites, et celle d'en bas concaves, qui est la troisième sorte; ou celles d'en haut sont droites, et celles de dessous convexes, c'est la quatrième; ou bien, dessus elles sont concaves, et au-dessous droites, c'est la cinquième; ou concaves au-dessus et convexes au-dessous, qui est la sixième; ou convexes au-dessus et droites au-dessous, c'est la septième; ou enfin, convexes au-dessus et concaves au-dessous, qui est la huitième et la dernière. La jonction du nez avec le sourcil a deux formes différentes; elle est toujours ou creuse, ou concave, ou droite. Le front a trois formes différentes; car, ou il est tout uni, ou il est concave, ou bien il est relevé. La forme pleine et unie se divise encore en plusieurs manières; car, ou elle est creuse vers le haut, ou vers la partie d'en bas, ou elle l'est en haut et en bas, ou bien elle est toute pleine et toute unie en haut et en bas.

CHAPITRE CLXXXIX.

Moyen de retenir les traits d'un homme, et de faire son portrait, quoiqu'on ne l'ait vu qu'une seule fois.

Il faut, pour cela, se bien souvenir des quatre principales parties du visage, qui sont le menton, la bouche, le front et le nez et premièrement, à l'égard du nez, il s'en trouve de trois différentes sortes; de droits, de concaves ou d'enfoncés, et de convexes ou de relevés. De ceux qui sont droits, il n'y en a que de quatre différentes formes; savoir de longs, de courts, de relevés par le bout, et de rabattus; les nez concaves ou camus sont de trois sortes, dont les uns ont leur concavité ou leur enfoncement au haut, d'autres au milieu, et quelques-uns tout au bas; les nez convexes ou aquilins, sont encore de trois sortes, les uns sont relevés vers le haut, quelques autres au milieu, et d'autres en bas: enfin ceux dont la partie relevée est au milieu, peuvent l'avoir droite, ou convexe, ou plate.

CHAPITRE CXC.

Moyen pour se souvenir de la forme d'un visage.

Si vous voulez retenir sans peine l'air d'un visage, apprenez premièrement à bien dessiner plusieurs têtes, et les parties qui distinguent le plus les hommes dans toutes les formes qu'elles peuvent avoir: ces parties sont la bouche, les yeux, le nez, le menton, le col et les épaules. Par exemple, les nez ont dix figures ou formes différentes; il y en a de droits, de bossus, de creux ou d'enfoncés, de relevés plus haut ou plus bas que le milieu, d'aquilins, d'égaux, de plats ou d'écrasés, de ronds et d'aigus, qui sont tous propres à être vus de profil. Des nez qui sont propres à être vus de front, il s'en trouve d'onze formes différentes; d'égaux, de gros au milieu, de gros par le bout, et déliés proche des sourcils, de déliés par en bas, et gros par le haut. Les narines et les ouvertures du nez font encore des différences qu'il faut remarquer: il y a des narines larges, d'autres étroites, de hautes, de basses, des ouvertures retroussées, d'autres rabattues et couvertes du bout du nez; et ainsi vous trouverez quelques particularités dans les moindres parties, qu'il faudra que vous observiez sur le naturel pour en remplir votre imagination; ou bien lorsque vous aurez à peindre un visage, ou quelqu'une de ses parties, portez des tablettes avec vous, où vous ayez dessiné les différentes parties dont je viens de parler, et après avoir jeté un coup-d'œil sur le visage de la personne que vous voulez peindre, vous examinerez dans votre recueil à quelle sorte de nez ou de bouche celle que vous voyez ressemble, et vous ferez quelque marque pour le reconnoître, et le mettre en œuvre quand vous serez au logis.

CHAPITRE CXCI.

De la beauté des visages.

Il ne faut point faire au visage de muscles trop marqués et terminés durement; mais les lumières se doivent perdre insensiblement, et se noyer dans des ombres tendres et douces à l'œil; car de-là dépend toute la grace et la beauté d'un visage.

CHAPITRE CXCII.

De la position et de l'équilibre des figures.

Le creux de la gorge qui est entre les deux clavicules, doit tomber à-plomb sur le pied qui porte le corps; si on étend un bras en devant, le creux sort de la ligne perpendiculaire au pied; et si la jambe se jette en arrière, le creux de la gorge avance en devant, si bien qu'en chaque attitude il change de situation.

CHAPITRE CXCIII.

Que les mouvemens qu'on attribue aux figures, doivent exprimer leurs actions, et les sentimens qu'on suppose qu'elles ont.

Une figure dont les mouvemens n'expriment pas les passions et les sentimens qu'elle a, n'agit point naturellement, et ces mouvemens qui ne sont point réglés par la raison, ni conduits avec jugement, font voir que le Peintre n'est pas fort habile. Une figure doit donc, pour agir naturellement, faire paroître beaucoup d'attention et d'application à ce qu'elle fait, et avoir des mouvemens si propres à ce qu'ils représentent, qu'on ne puisse les faire servir ni les accommoder à aucun autre sujet.

CHAPITRE CXCIV.

De la manière de toucher les muscles sur les membres nus.

Aux figures nues les muscles des membres doivent être ou plus ou moins découverts, et marqués selon qu'ils font plus ou moins d'effort; et pour faire plus d'impression sur l'esprit de ceux qui voient votre tableau, et partager moins leur attention, ne faites voir que ceux des membres qui ont le plus de mouvement, et qui sont le plus employés à l'action que vous représentez, et que les muscles de ces membres soient mieux prononcés que ceux des autres membres, et touchés plus fort à proportion qu'ils travaillent davantage; au contraire, les autres qui n'agissent point doivent être lents et mols.

CHAPITRE CXCV.

Du mouvement et de la course de l'homme, et des autres animaux.

Quand l'homme se meut avec vîtesse ou lentement, la partie qui se trouve sur la jambe qui soutient le corps, doit toujours être plus basse que l'autre.

CHAPITRE CXCVI.

De la différence de hauteur d'épaules qui se remarque dans les figures dans les différentes actions qu'elles font.

Les épaules ou les côtés de l'homme, ou des autres animaux, auront entre eux une plus grande différence de hauteur, lorsque tout le corps aura un mouvement plus lent; et, au contraire, les parties de l'animal auront moins de différence en leur hauteur, quand le mouvement du corps entier sera plus prompt. Je l'ai prouvé dans mon Traité du mouvement local par ce principe, que tout grave pèse par la ligne de son mouvement; de sorte qu'un Tout se mouvant vers quelque lieu, la partie qui lui est unie, suit la ligne la plus courte du mouvement de son tout, sans charger en aucune manière de son poids les parties collatérales de ce Tout.

CHAPITRE CXCVII.

Objection.

On objecte contre la première partie de ce que j'ai dit, qu'il ne s'ensuit pas nécessairement qu'un homme arrêté ou qui marche à pas lents, se trouve toujours dans un continuel équilibre de ses membres sur le centre de la gravité qui soutient le poids du corps entier, parce qu'il arrive souvent que l'homme fait tout le contraire, et qu'il se penche quelquefois sur le côté, quoique son corps ne porte que sur un pied, et quelquefois il décharge une partie de son poids sur la jambe qui n'est pas droite, c'est-à-dire, celle dont le genou est plié, comme il est représenté dans les figures B C. Je réponds à cela que ce qui n'a pas été fait par les épaules dans la figure C, se trouve fait par les hanches. Ainsi l'équilibre est toujours gardé de quelque manière que ce soit, et mon principe est vrai.

CHAPITRE CXCVII.

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CHAPITRE CXCVII.

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CHAPITRE CXCVIII.

Comment un homme qui retire son bras étendu, change l'équilibre qu'il avoit quand son bras étoit étendu.

Un bras étendu envoie le centre de l'équilibre du corps de l'homme sur le pied qui porte le poids entier du corps, comme il paroît dans ceux qui, avec les bras étendus, marchent sur la corde sans autre bâton qui leur serve de contrepoids.

CHAPITRE CXCIX.

De l'homme et des autres animaux, lesquels dans leurs mouvemens lents n'ont pas le centre de gravité beaucoup éloigné du centre de leur soutien.

Tout animal aura le centre des jambes sur lesquelles il se soutient, d'autant plus proche de la perpendiculaire du centre de sa gravité, qu'il sera plus lent dans son mouvement; et, au contraire, celui-là aura le centre de son soutien plus éloigné de la perpendiculaire du centre de sa gravité, qui sera plus prompt dans ses mouvemens.

CHAPITRE CC.

De l'homme qui porte un fardeau sur ses épaules.

L'épaule d'un homme qui porte un fardeau est toujours plus haute que l'autre épaule qui n'est point chargée; cela se voit en la figure suivante, dans laquelle la ligne centrale de toute la pesanteur du corps de l'homme et de son fardeau, passe par la jambe qui soutient tout le poids. Si cela n'étoit ainsi, et si le poids du corps et du fardeau n'étoit partagé pour faire l'équilibre, il faudroit nécessairement que l'homme tombât à terre; mais la nature dans ces occasions pourvoit à ce qu'une égale partie de la pesanteur du corps de l'homme, se jette de l'autre côté opposé à celui qui porte le fardeau étranger, pour lui donner l'équilibre et le contrepoids; et cela ne se peut faire sans que l'homme se courbe du côté qui n'est pas chargé, jusques à ce que, par ce mouvement, il le fasse participer à ce poids accidentel dont il est chargé; et cela ne se peut faire, si l'épaule qui soutient le poids ne se hausse, et si l'épaule qui n'est point chargée ne s'abaisse: et c'est le moyen que la nature fournit à l'homme pour se soulager dans ces occasions.

CHAPITRE CC.

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CHAPITRE CCI.

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CHAPITRE CCI.

De l'équilibre du corps de l'homme, lorsqu'il est sur ses pieds.

Le poids de l'homme qui se tient appuyé sur une des jambes seulement, sera toujours également partagé des deux côtés de la ligne perpendiculaire ou centrale qui le soutient.

CHAPITRE CCII.

De l'homme qui marche.

L'homme qui marche aura le centre de sa pesanteur sur le centre de la jambe qui pose à terre.

CHAPITRE CCIII.

De l'équilibre du poids de quelque animal que ce soit, pendant qu'il demeure arrêté sur ses jambes.

Le repos ou la cessation du mouvement dans un animal, lequel se tient sur ses pieds, vient de l'égalité ou de la privation d'inégalité qu'ont entre eux les poids opposés, lesquels le faisoient avancer par leur inégalité, et le tiennent en repos par leur égalité.

CHAPITRE CCIV.

Des plis et des détours que fait l'homme dans les mouvemens de ses membres.

La partie du corps sur laquelle l'homme se courbe, reçoit autant de diminution que l'autre partie opposée prend d'accroissement, et cette courbure peut enfin venir à être en proportion double à la partie qui s'étend. Je ferai un Traité particulier sur ce sujet.

CHAPITRE CCII.

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CHAPITRE CCIII.

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CHAPITRE CCV.

Des plis des membres.

Autant qu'un des côtés des membres qui se plient, s'allonge, autant la partie opposée se raccourcit; mais la ligne centrale extérieure des côtés qui ne se peuvent plier aux membres qui se plient, ne se diminue ni ne s'augmente jamais dans sa longueur.

CHAPITRE CCVI.

De l'équilibre, ou du contrepoids du corps.

Toute figure qui soutient sur soi et sur la ligne centrale de la masse de son corps, le poids de son corps, ou quelqu'autre poids étranger, doit jeter autant du poids naturel ou accidentel de l'autre côté opposé, qu'il en faudra pour faire un équilibre parfait autour de la ligne centrale qui part du centre de la partie du pied qui porte la charge, laquelle passe au travers de la masse entière du poids, et tombe sur cette partie des pieds qui pose à terre. On voit ordinairement qu'un homme qui lève un fardeau avec un des bras, étend naturellement au-delà de soi l'autre bras, et si cela ne suffit pas pour faire le contrepoids, il y met encore de son propre poids, en courbant le corps autant qu'il faut pour pouvoir soutenir le fardeau dont il est chargé. On voit encore que celui qui va tomber à la renverse étend toujours un des bras, et le porte vers la partie opposée.

CHAPITRE CCVII.

Du mouvement de l'homme.

Quand vous voulez faire qu'un homme remue quelque fardeau, considérez que les mouvemens doivent être faits par diverses lignes; c'est-à-dire, ou de bas en haut, avec un mouvement simple, tel que fait celui qui s'étant baissé prend un fardeau qu'il veut hausser en se relevant, ou bien, quand il veut traîner quelque chose derrière lui ou le pousser en devant, ou bien pour tirer en bas avec une corde qui soit passée dans une poulie. Il faut ici remarquer que le poids du corps de l'homme tire d'autant plus, que le centre de sa pesanteur est éloigné du centre de l'axe qui le soutient: il faut encore ajouter à cela l'effort que font les jambes et les reins courbés pour se redresser. Jamais on ne marche, soit en montant, soit en descendant, que le talon du pied de derrière ne se hausse.

CHAPITRE CCIX.

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CHAPITRE CCVIII.

Du mouvement qui est produit par la perte de l'équilibre.

Tout mouvement est produit par la perte de l'équilibre, c'est-à-dire, de l'égalité, parce qu'il n'y a aucune chose qui se meuve d'elle-même, sans qu'elle sorte de son équilibre, et le mouvement est d'autant plus prompt et plus violent, que la chose s'éloigne davantage de son équilibre.

CHAPITRE CCIX.

De l'équilibre des figures.

Si la figure est appuyée sur un de ses pieds, l'épaule de ce côté là sera toujours plus basse que l'autre, et le creux de la gorge sera perpendiculairement sur le milieu de la jambe qui soutient le corps: il en arrivera de même en toute autre ligne, où nous verrons cette figure lorsqu'elle est sans avoir le bras beaucoup en saillie en dehors, ou sans quelque charge sur le dos, ou dans la main, ou sur l'épaule, ou sans écarter la jambe qui ne soutient pas le corps, ou en devant ou en arrière.

CHAPITRE CCX.

De la bonne grace des membres.

Il faut que les membres soient proportionnés au corps avec une grace qui puisse exprimer ce que vous voulez représenter par votre figure; et si elle doit paroître agréable et noble, vous lui donnerez des membres sveltes et nobles, qui n'aient point de muscles trop marqués; vous toucherez même légèrement et d'une manière douce, ceux qu'il est nécessaire de faire paroître, et que les membres, principalement les bras, ne soient point noués et roides, c'est-à-dire, qu'aucun membre ne soit étendu en ligne droite avec le membre qui lui est joint; et s'il se trouve qu'à cause de la position de la figure, la hanche droite soit plus haute que la gauche, vous ferez tomber à-plomb la jointure de l'épaule qui est la plus haute, sur la partie la plus élevée du côté gauche, et que cette épaule droite soit plus basse que la gauche; que le creux de la gorge soit toujours directement sur le milieu de la jointure du pied qui porte la figure; que la jambe qui ne soutient pas le corps ait son genou plus bas que l'autre genou, et proche de l'autre jambe. Pour ce qui est des attitudes de la tête et des deux bras, elles sont presque infinies, c'est pourquoi je ne veux point en donner des règles particulières; j'avertirai seulement qu'elles doivent être libres, aisées, gracieuses, variées de plusieurs manières, de peur que les membres ne paroissent roides, comme s'ils étoient de bois.

CHAPITRE CCXI.

De la liberté des membres, et de leur facilité à se mouvoir.

Pour ce qui concerne la liberté des membres, il faut prendre garde qu'ayant à représenter quelqu'un, qui, par hasard, soit obligé de se tourner en arrière ou de côté, vous ne lui fassiez point poser les pieds et tous les membres vers le même endroit où il tournera la tête, mais il sera mieux de partager cette action avec quelque sorte de contraste et de diversité dans les quatre jointures, qui sont celles des pieds, celles des genoux, celles des flancs, celles du col; et si la figure étoit appuyée sur la jambe droite, le genou gauche sera plié et retiré en arrière, et son pied un peu élevé en dehors, et l'épaule gauche un peu plus haute que la droite, et la nuque du col se rencontrera au même lieu où la cheville extérieure du pied gauche sera tournée, l'épaule gauche sur la pointe du pied droit en ligne perpendiculaire: tenez aussi pour une maxime générale, que la tête de vos figures ne soit point tournée du même côté que la poitrine, puisque la nature a fait pour notre commodité que le col se tourne facilement pour porter les yeux de différens côtés, lorsque nous voulons regarder autour de nous: il en est à-peu-près de même des autres jointures, qui sont mobiles pour le service et pour les besoins de l'homme; et si vous représentez un homme assis, qui ait besoin de travailler de ses bras à quelque chose qui soit à côté de lui, il doit avoir l'estomac tourné sur la jointure du flanc.

CHAPITRE CCXII.

D'une figure seule hors de la composition d'une histoire.

Il ne faut point encore voir un même mouvement de membre répété dans une figure que vous feignez être seule: par exemple, si elle court seule, qu'elle n'ait pas les deux mains jetées en devant, mais si l'une est devant, que l'autre soit derrière, parce qu'autrement elle ne pourroit courir; et si le pied droit avance en devant, que le bras droit reste derrière, et que le gauche se trouve devant; car sans ce contraste des membres, et cette contrariété de leurs mouvemens, il n'est pas possible de bien courir; si quelque autre figure suit celle-ci, et qu'elle porte une des jambes un peu en devant, faites que l'autre jambe se trouve sous la tête, et que le bras du même côté fasse un mouvement contraire, et passe devant. Je parlerai plus amplement de cette matière dans le livre des Mouvemens.

CHAPITRE CCXIII.

Quelles sont les principales et les plus importantes choses qu'il faut observer dans une figure.

En dessinant des figures, il faut avoir principalement attention à bien asseoir la tête sur les épaules, le buste sur les hanches, et les hanches et les épaules sur les pieds.

CHAPITRE CCXIV.

Que l'équilibre d'un poids doit se trouver sur le centre, ou plutôt autour du centre de la gravité des corps.

La figure qui demeure ferme sur ses pieds sans se mouvoir, fera un équilibre de tous ses membres autour de la ligne centrale sur laquelle elle se soutient, c'est-à-dire, que si la figure qui est sans mouvement, étant appuyée sur ses pieds, vient à jeter en devant un de ses bras, elle doit porter en même temps vers le côté opposé un autre membre, ou une partie de son poids qui soit égale à ce qu'elle a porté en devant; et cela se doit entendre généralement de chaque partie qui saillira hors de son Tout contre l'ordinaire.

CHAPITRE CCXV.

De la figure qui doit remuer ou élever quelque poids.

Jamais un homme ne pourra remuer ou soulever un fardeau, qu'il ne tire de soi-même un poids plus qu'égal à celui qu'il veut lever, et qu'il ne le porte de l'autre côté opposé à celui où est le fardeau qu'il veut lever.

CHAPITRE CCXVI.

De l'attitude des hommes.

Il faut que les attitudes des figures dans tous les membres soient tellement disposées, et aient une telle expression, que par elles on puisse connoître ce qu'elles veulent représenter.

CHAPITRE CCXVII.

Différences d'attitudes.

On exprime les actions dans les figures d'hommes, d'une manière conforme à leur âge et à leur qualité, et on fait les figures différentes selon l'espèce ou le sexe de mâle ou de femelle.

CHAPITRE CCXVIII.

Des attitudes des figures.

Un Peintre doit remarquer les attitudes et les mouvemens des hommes immédiatement après qu'ils viennent d'être produits par quelque accident subit, et il doit les observer sur le champ, et les esquisser sur ses tablettes pour s'en souvenir, et n'attendre pas, par exemple, que l'action de pleurer soit contrefaite par quelqu'un qui n'auroit point sujet de pleurer, pour en étudier l'expression sur ce modèle, parce qu'une telle action n'ayant point une véritable cause, elle ne sera ni prompte ni naturelle; mais il est fort avantageux d'avoir auparavant remarqué chaque action dans la nature même, et ensuite de faire tenir un modèle dans cette même disposition, pour s'aider un peu l'imagination, et tâcher d'y découvrir encore quelque chose qui fasse au sujet, et puis peindre d'après.

CHAPITRE CCXIX.

Des actions de ceux qui se trouvent présens à quelque accident considérable.

Tous ceux qui se trouvent présens à quelque accident digne d'être remarqué, font diverses expressions d'admiration, en considérant ce qui se passe, comme lorsque la justice fait punir les criminels; ou, si le sujet est de piété, tous les assistans lèvent les yeux avec différentes marques de dévotion vers cet objet, comme à l'élévation de l'hostie pendant la messe, et en d'autres semblables cérémonies; ou si c'est quelque extravagance qui fasse rire, ou qui donne de la compassion, en ce cas il n'est pas nécessaire que les spectateurs aient tous les yeux tournés vers cet objet, mais ils peuvent faire divers mouvemens; et il est bon de les partager en différens groupes de personnes qui s'assemblent pour marquer leur joie ou leur tristesse. Si c'est quelque sujet terrible qui inspire de la frayeur, il faut faire à ceux qui fuient, des visages pâles et étonnés avec une grande démonstration de peur, et que la fuite soit diversement exprimée par leurs mouvemens, comme nous dirons au livre des Mouvemens.

CHAPITRE CCXX.

De la manière de peindre le nu.

Ne faites jamais une figure délicate et d'une taille svelte avec des muscles trop relevés et trop marqués, parce que les hommes de cette taille n'ont jamais beaucoup de chair sur les os; mais ils sont sveltes et légers faute de chair; et où il n'y a guère de chair les muscles ne peuvent avoir beaucoup de relief.

CHAPITRE CCXXI.

D'où vient que les muscles sont gros et courts.

Les hommes musculeux ont les os épais et sont d'une taille grosse et courte, et ont peu de graisse, parce que les muscles charnus en croissant se resserrent l'un avec l'autre, et la graisse qui se glisse ordinairement entre eux n'y a point de place; et les muscles dans ces corps qui ont peu de graisse, étant contigus, et ne se pouvant étendre, ils prennent leur accroissement en grosseur, et ils croissent et se fortifient davantage dans la partie qui est la plus éloignée des extrémités, c'est-à-dire, vers le milieu de leur largeur et de leur longueur.

CHAPITRE CCXXII.

Que les personnes grasses n'ont pas de gros muscles.

Encore que les hommes gras soient quelquefois courts et gros, aussi bien que les musculeux, desquels nous venons de parler, ils ont néanmoins les muscles petits, mais leur peau couvre beaucoup de chair spongieuse et molle, c'est-à-dire, pleine d'air, c'est pourquoi ces hommes gras nagent mieux, et se soutiennent plus facilement sur l'eau que ceux qui ont le corps musculeux, lesquels ont moins d'air entre la peau.

CHAPITRE CCXXIII.

Quels sont les muscles qui disparoissent selon les divers mouvemens de l'homme.

En haussant les bras ou les baissant, les muscles de l'estomac, ou disparoissent, ou prennent un plus grand relief; les hanches aussi font le même effet quand on les plie en dehors ou en dedans, et il se fait plus de variété aux épaules, aux flancs et au col, qu'en aucune autre jointure du corps, parce que leurs mouvemens sont en plus grand nombre que ceux des autres parties. J'en ferai un Traité particulier.

CHAPITRE CCXXIV.

Des muscles.

Les membres des jeunes gens ne doivent pas être marqués de muscles forts et relevés, parce qu'ils marquent une vigueur d'homme fait et tout formé, et la jeunesse n'est pas encore arrivée à cette maturité et à cette dernière perfection; mais il faut toucher les muscles avec plus ou moins de force, selon qu'ils travaillent plus ou moins: car ceux qui font quelque effort paroissent toujours plus gros et plus relevés que ceux qui demeurent en repos, et jamais les lignes centrales du dedans des membres qui sont pliés ne demeurent dans la situation en long qu'elles ont naturellement.

CHAPITRE CCXXV.

Que le nu où l'on verra distinctement tous les muscles ne doit point faire de mouvement.

Le nu où tous les muscles sont marqués avec un grand relief, doit demeurer ferme sans se mouvoir; parce qu'il n'est pas possible que le corps se remue, si une partie des muscles ne se relâche quand les muscles antagonistes qui leur sont opposés sont en action, et ceux qui sont en repos cessent de paroître, à mesure que ceux qui travaillent se découvrent davantage, et sont plus enflés.

CHAPITRE CCXXVI.

Que dans les figures nues il ne faut pas que tous les muscles soient entièrement et également marqués.

Les figures nues ne doivent pas avoir les muscles trop marqués, ou prononcés trop exactement, parce que cette expression est désagréable à l'œil, et difficile à exécuter; mais il faut que les muscles soient beaucoup plus marqués du côté que les membres se porteront à leur action: car la nature des muscles dans l'opération est de ramasser leurs parties ensemble, et de les fortifier en les unissant, de sorte que plusieurs de celles qui auparavant ne paroissoient point, se découvrent en se réunissant pour agir ensemble.

CHAPITRE CCXXVII.

De l'extension et du raccourcissement des muscles.

Le muscle qui est derrière la cuisse fait une plus grande variété dans son extension et dans sa contraction, qu'aucun autre muscle qui soit dans l'homme; le second muscle est celui qui forme les fesses; le troisième celui de l'échine; le quatrième celui de la gorge; le cinquième celui des épaules; le sixième celui de l'estomac: ce muscle prend sa naissance sous les mamelles, et se va rendre sous le petit ventre, comme je l'expliquerai dans le Traité général des Muscles.

CHAPITRE CCXXVIII.

En quelle partie du corps de l'homme se trouve un ligament sans muscle.

Au poignet du bras, environ à quatre doigts de la paume de la main, on trouve un ligament, le plus grand qui soit dans le corps de l'homme; il est sans muscle, et a sa naissance dans le milieu d'un des fuciles du bras, et va finir au milieu de l'autre fucile: sa forme est quarrée, il est large d'environ trois doigts, et épais d'un demi-doigt: ce ligament sert seulement à tenir serrés ensemble les deux fuciles des bras, et empêcher qu'ils ne se dilatent.

CHAPITRE CCXXIX.

Des huit osselets qui sont au milieu des ligamens, en diverses jointures du corps de l'homme.

Il se forme dans les jointures du corps de l'homme de petits os, qui sont stables au milieu des ligamens qui attachent quelques-unes des jointures, comme les rotules des genoux, les jointures des épaules, de la poitrine et des pieds, lesquelles sont au nombre de huit: il n'y en a qu'une à chaque épaule et à chaque genou; mais chaque pied en a deux, sous la première jointure des gros orteils, et vers le talon, et ceux-ci deviennent fort durs quand l'homme approche de la vieillesse.

CHAPITRE CCXXX.

Du muscle qui est entre les mamelles et le petit ventre.

Il y a un certain muscle qui naît entre les mamelles et le petit ventre, ou plutôt qui aboutit au petit ventre: ce muscle a trois facultés, parce qu'il est divisé dans sa largeur par trois ligamens; savoir, le muscle supérieur, qui est le premier, ensuite duquel est un des ligamens aussi large que ce muscle; puis en descendant on trouve le second muscle joint au second ligament; enfin suit le troisième muscle, avec le troisième ligament, qui est uni et adhérent à l'os pubis du petit ventre; et ces trois muscles avec ces trois ligamens ont été faits par la nature, à cause du grand mouvement qui arrive au corps de l'homme lorsqu'il se courbe et qu'il se renverse, par le moyen de ce muscle, lequel, s'il n'eût point été ainsi partagé, auroit produit un trop grand effet par son extension et sa contraction; et lorsque ce muscle aura le moins de variété dans ses mouvemens, le corps en sera plus beau: car si ce muscle se doit étendre de neuf doigts, et se retirer après d'autant, chaque partie de ce muscle n'aura pas plus de trois doigts, si bien que leur forme en sera fort peu changée, aussi bien que la beauté générale de tout le corps.

CHAPITRE CCXXXI.

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CHAPITRE CCXXXII.

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CHAPITRE CCXXXII.

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no 17

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CHAPITRE CCXXXI.

De la plus grande contorsion que le corps de l'homme puisse faire en se tournant en arrière.

Le terme de la contorsion que l'homme peut faire en tournant la tête en arrière, est de tourner le corps de telle sorte que le visage soit en face, vis-à-vis des talons, en ligne perpendiculaire, et cela ne se fait pas sans peine; il faut même pour cela, outre la flexion du col, plier encore la jambe, et baisser l'épaule du côté que la tête est tournée: la cause de ce détour sera expliquée dans mon Traité d'Anatomie, où je marquerai quels muscles servent les premiers et les derniers à cette action.

CHAPITRE CCXXXII.

Combien un bras se peut approcher de l'autre bras derrière le dos.

Des bras qu'on porte derrière le dos, les coudes ne peuvent jamais s'approcher plus près que de la longueur qu'il y a depuis le coude jusqu'au bout des plus longs doigts; c'est-à-dire, que la plus grande proximité que peuvent avoir les deux coudes en cet état, ne sauroit être que de l'étendue qu'il y a du coude à l'extrémité du plus grand doigt de la main, et les bras ainsi placés forment un quarré parfait; la plus grande extension du bras dessus l'estomac, est de pouvoir porter le coude jusques au milieu de l'estomac, et alors le coude avec les épaules et les deux parties du bras forment ensemble un triangle équilatéral.

CHAPITRE CCXXXIII.

De la disposition des membres de l'homme qui se prépare à frapper de toute sa force.

Lorsqu'un homme se dispose à donner un coup avec violence, il se plie et se détourne autant qu'il peut du côté contraire à celui où il a dessein de frapper, et là il ramasse toute la force qu'il a, il la porte et la décharge ensuite sur la chose qu'il atteint par le mouvement composé; c'est-à-dire, par exemple, de son bras et du bâton dont il est armé.

CHAPITRE CCXXXIII.

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CHAPITRE CCXXXIV et CCXXXV.

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no 19

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CHAPITRE CCXXXIV.

De la force composée de l'homme, et premièrement de celle des bras.

Les deux muscles qui servent au mouvement du grand fucile du bras, pour l'étendre et le retirer, prennent leur naissance vers le milieu de l'os nommé Adjutorium, l'un derrière l'autre; celui de derrière étend le bras, et l'autre qui est devant le plie. Or, pour savoir si l'homme aura plus de force en tirant à soi ou en poussant, je l'ai prouvé dans mon Traité des Poids par ce principe, qu'entre les poids d'égale pesanteur, celui-là doit être plus fort qui sera plus éloigné du milieu de leur balance; d'où il s'ensuit que N B et N C étant deux muscles d'égale force, celui de devant qui est N C sera plus fort que le muscle N B, qui est derrière, parce qu'il est attaché au bras en C, lieu plus éloigné du milieu du bras ou du coude A, que ne l'est B, lequel est au-delà du milieu, mais cette force est simple, et j'ai dû en parler d'abord devant que de rien dire de la force composée, dont il faut maintenant que je parle. J'appelle force composée, lorsqu'en faisant quelque action avec les bras, on y ajoute une seconde puissance, telle que la pesanteur du corps, l'effort des jambes et des reins, pour tirer ou pour pousser. L'usage de cette force composée consiste à faire effort des bras et du dos, et à bien étendre le corps et les jambes, comme on le voit faire à deux hommes qui veulent abattre une colonne, et dont l'un la pousse et l'autre la tire.

CHAPITRE CCXXXV.

En quelle action l'homme a plus de force ou lorsqu'il tire à soi, ou lorsqu'il pousse.

L'homme a beaucoup plus de force lorsqu'il tire à soi que quand il pousse, parce qu'en tirant, les muscles des bras, qui ne servent qu'à tirer, se joignent à ceux qui servent à pousser, agissent avec eux et augmentent leur force; mais lorsque le bras est étendu tout droit pour pousser, les muscles qui donnent au coude son mouvement ne servent de rien à cette action, et ils ne l'ont pas plus d'effort que si l'homme tenoit l'épaule appuyée contre la chose qu'il veut remuer du lieu où elle est: or il n'y a point de nerfs ni de muscles qui contribuent à cet effet, que ceux qui servent à redresser les reins courbés, et ceux qui redressent la jambe pliée, qui sont sous la cuisse et au gras de la jambe; d'où il s'ensuit que pour tirer à soi plusieurs forces, savoir celles des bras, des jambes, du dos et même de l'estomac, selon que le corps est plus ou moins courbé, s'unissent et agissent ensemble; mais quand il faut pousser, quoique les mêmes parties y concourent, néanmoins la force des bras y est sans effet; parce qu'à pousser avec un bras étendu tout droit et sans mouvement, elles n'aident guère davantage que si on avoit un morceau de bois entre l'épaule et la chose que l'on pousse.

CHAPITRE CCXXXVI.

Des membres plians, et de ce que fait la chair autour de la jointure où ils se plient.

La chair dont la jointure des os est revêtue, et les autres choses qui l'environnent et qui sont adhérentes à ces mêmes os, s'enflent et diminuent en grosseur, selon le pli ou l'extension des membres dont nous parlons; c'est-à-dire, qu'elles croissent et s'enflent par le côté intérieur de l'angle formé par le pli des membres, et qu'elles s'allongent et s'étendent par le dehors de l'angle extérieur, et ce qui se trouve au milieu du pli de ces membres participe à l'accroissement et à la diminution, mais plus ou moins, selon que ces angles sont plus proches ou plus éloignés de la jointure.

CHAPITRE CCXXXVII.

Si l'on peut tourner la jambe sans tourner aussi la cuisse.

Il est impossible de tourner la jambe depuis le genou jusqu'en bas, sans tourner aussi la cuisse par le même mouvement; cela vient de ce que la jointure de l'os du genou est emboîtée dans l'os de la cuisse et assemblée avec celui de la jambe, et cette jointure ne se peut mouvoir en avant ni en arrière, qu'autant qu'il faut pour marcher et pour se mettre à genoux; mais elle ne peut jamais se mouvoir par le côté, parce que les assemblages qui composent la jointure du genou ne s'y trouvent pas disposés: car si cet emboîtement étoit pliable en tout sens, comme celui de l'os adjutoire qui est à l'épaule, ou comme celui de la cuisse qui joint la hanche, l'homme auroit le plus souvent les jambes pliées aussi bien par les côtés qu'en devant et en arrière, et elles seroient presque toujours de travers; de plus cette jointure est seulement pliable en devant et non en arrière, et par son mouvement en devant, elle ne peut que rendre la jambe droite, parce que si elle plioit en arrière, l'homme ne pourroit se lever en pied quand il seroit une fois à genoux; car pour se relever quand il est à genoux, il jette premièrement tout le poids du corps sur un des genoux en déchargeant l'autre, et au même temps l'autre jambe qui ne sent plus d'autre charge que son propre poids, lève aisément le genou et pose à terre toute la plante du pied; après quoi il fait retourner tout le poids sur ce pied, appuyant la main sur son genou; et en même temps allongeant le bras qui soutient le corps, il hausse la tête, il étend et dresse la cuisse avec l'estomac, et se lève droit sur ce pied qui pose à terre, jusqu'à ce qu'il ait aussi levé l'autre jambe.

CHAPITRE CCXXXVIII.

Des plis de la chair.

La chair aux plis des jointures est toujours ridée par le côté opposé à celui où elle est tendue.

CHAPITRE CCXXXIX.

Du mouvement simple de l'homme.

On appelle mouvement simple, celui qu'il fait en se pliant simplement, en devant ou en arrière.

CHAPITRE CCXL.

Du mouvement composé.

Le mouvement composé est celui qui, pour produire quelque action, oblige de plier le corps en bas et de travers en même temps; ainsi un Peintre doit prendre garde à faire les mouvemens composés, de telle sorte qu'ils soient entièrement observés en toute l'étendue du sujet qu'il traite, c'est-à-dire, qu'ayant fait une figure dans une attitude composée, selon qu'il est nécessaire à son histoire, il n'en affoiblisse point l'expression en l'accompagnant d'une autre, qui, tout au contraire, fasse une action simple et sans aucun rapport au sujet.

CHAPITRE CCXLI.

Des mouvemens propres du sujet, et qui conviennent à l'intention et aux actions des figures.

Il faut que les mouvemens de vos figures montrent la quantité de force qu'elles doivent raisonnablement employer, selon la différence des actions qu'elles font; c'est-à-dire, que vous ne fassiez pas faire le même effort à celui qui ne lèveroit qu'un bâton, que vous feriez faire à un autre qui voudroit lever une grosse poutre: ayez donc soin que l'expression de leur effort soit proportionnée à la qualité de leur travail et au fardeau qu'ils remuent.

CHAPITRE CCXLII.

Du mouvement des figures.

Ne faites jamais les têtes droites sur le milieu des épaules, mais toujours un peu tournée à droite ou à gauche, quand même elles regarderoient en haut ou en bas, ou même tout droit à la hauteur des yeux, parce qu'il est nécessaire de leur donner quelque attitude qui fasse paroître du mouvement et de la vie; et ne dessinez jamais une figure toute de profil, ou toute de front, ou par le dos, en sorte qu'on voye les parties qui sont situées au milieu du corps tomber à-plomb, comme par alignement les unes sur les autres; et si quelque circonstance particulière vous oblige de le faire, faites-le aux figures des vieillards, auxquels cela convient mieux qu'aux autres, à cause de leur lenteur naturelle, et ne répétez jamais les mêmes actions des bras ou des jambes, non-seulement dans une même figure, mais encore dans toutes celles qui sont proches ou autour de cette figure, pourvu toutefois que le sujet que vous traiterez n'oblige point à faire autrement.

CHAPITRE CCXLIII.

Des actions et des gestes qu'on fait quand on montre quelque chose.

Dans les actions où l'on montre de la main quelque chose proche, ou par l'intervalle du temps, ou par l'espace du lieu, il faut que la main qui nous la montre ne soit pas trop éloignée de celui qui montre, lequel ne doit pas avoir le bras trop étendu; mais si cette même chose est éloignée, il faut aussi que le bras soit fort étendu et la main fort éloignée de celui qui montre, et que le visage de celui qui montre soit tourné vers celui auquel il parle.

CHAPITRE CCXLIV.

De la variété des visages.

L'air des visages doit être varié selon la diversité des accidens qui surviennent à l'homme pendant qu'il travaille ou qu'il est en repos, lorsqu'il pleure, qu'il rit, qu'il crie, qu'il est saisi de crainte, ou ému de quelque autre passion; il faut encore que chaque membre de la figure, et toute son attitude, aient un rapport naturel à la passion qui est exprimée sur le visage.

CHAPITRE CCXLV.

Des mouvemens convenables à l'intention de la figure qui agit.

Il y a des mouvemens de l'ame qui s'expriment sans action du corps, et d'autres qui sont accompagnées de l'action du corps; les mouvemens de l'ame sans l'action du corps, laissent tomber les bras, les mains et toutes les autres parties qui sont plus agissantes, et ordinairement plus en mouvement que les autres: mais les mouvemens de l'ame qui sont accompagnés de l'action du corps, tiennent les membres en des attitudes convenables à l'intention de l'esprit et au mouvement de l'ame; et il y a beaucoup de choses à dire sur ce sujet. Il se trouve encore un troisième mouvement qui participe de l'un et de l'autre; et un quatrième tout particulier, lequel ne tient d'aucun d'eux: ces deux dernières sortes de mouvemens sont ceux d'un insensé ou d'un furieux: on doit les rapporter au Chapitre de la folie et des grotesques, dont les moresques sont composées.

CHAPITRE CCXLVI.

Comment les actions de l'esprit et les sentimens de l'ame font agir le corps par des mouvemens faciles et commodes au premier degré.

Le mouvement de l'esprit fait mouvoir le corps par des actions simples et faciles, sans le porter d'aucun côté, parce que son objet est dans l'esprit, lequel n'émeut point les sens quand il est occupé en lui-même.

CHAPITRE CCXLVII.

Du mouvement qui part de l'esprit à la vue d'un objet qu'on a devant les yeux.

Le mouvement qui est excité dans l'homme par la présence d'un objet, peut être produit immédiatement ou médiatement; s'il est produit immédiatement, celui qui se meut tourne d'abord vers l'objet les yeux, c'est-à-dire, le sens qui lui est le plus nécessaire pour le reconnoître et l'observer; en même temps cet homme tient les pieds immobiles en leur place, et détourne seulement les cuisses, les hanches et les genoux vers le côté où se portent les yeux: et ainsi en de semblables rencontres, il faudra faire des observations exactes sur tous les mouvemens qui s'y remarquent.

CHAPITRE CCXLVIII.

Des mouvemens communs.

La variété des mouvemens dans les hommes est pareille à celle des accidens qui leur arrivent et des fantaisies qui leur passent par l'esprit, et chaque accident fait plus ou moins d'impression sur eux, selon leur tempérament, leur âge et le caractère de leurs passions; parce que, dans la même occasion, les mouvemens d'un jeune homme sont tout autres que ceux d'un vieillard, et ils doivent être exprimés tout autrement.

CHAPITRE CCXLIX.

Du mouvement des animaux.

Tout animal à deux pieds, dans son mouvement, baisse plus la partie qui est sur le pied qu'il lève, que celle qui est sur le pied qu'il pose à terre, et sa partie la plus haute fait le contraire; ce qui se remarque aux hanches et aux épaules de l'homme pendant qu'il marche: et la même chose arrive aux oiseaux dans leur tête et leur croupion.

CHAPITRE CCL.

Que chaque membre doit être proportionné à tout le corps, dont il fait partie.

Faites que chaque partie d'un tout soit proportionnée à son tout; comme si un homme est d'une taille grosse et courte, faites que la même forme se remarque en chacun de ses membres, c'est-à-dire, qu'il ait les bras courts et gros, les mains de même larges et grosses, les doigts courts avec leurs jointures pareilles, et ainsi du reste.

CHAPITRE CCLI.

De l'observation des bienséances.

Observez la bienséance en vos figures; c'est-à-dire, dans leurs actions, leur démarche, leur situation et les circonstances de la dignité ou peu de valeur des choses, selon le sujet que vous voulez représenter. Par exemple, dans la personne d'un roi, il faut que la barbe, l'air du visage, et l'habillement soient graves et majestueux; que le lieu soit bien paré; que ceux de sa suite fassent paroître du respect, de l'admiration; qu'ils aient un air noble; qu'ils soient richement vêtus d'habits sortables à la grandeur et à la magnificence de la cour d'un roi. Au contraire, dans la représentation de quelque sujet bas, les personnes paroîtront méprisables, mal vêtues, de mauvaise mine, et ceux qui sont autour auront le même air, et des manières basses, libres et peu réglées, et que chaque membre ait du rapport à la composition générale du sujet et au caractère particulier de chaque figure; que les actions d'un vieillard ne ressemblent point à celles d'un jeune homme, ni celles d'une femme à celles d'un homme, ni celles d'un homme fait à celles d'un petit enfant.

CHAPITRE CCLII.

Du mélange des figures, selon leur âge et leur condition.

Ne mêlez point une certaine quantité de petits enfans avec pareil nombre de vieillards, ni de jeunes hommes de condition avec des valets, ni des femmes parmi des hommes, si le sujet que vous voulez représenter ne le demande absolument.

CHAPITRE CCLIII.

Du caractère des hommes qui doivent entrer dans la composition de chaque histoire.

Pour l'ordinaire, faites entrer peu de vieillards dans les compositions d'histoires, et qu'ils soient encore séparés des jeunes gens, parce qu'en général il y a peu de vieilles gens, et que leur humeur n'a point de rapport avec celle de la jeunesse; et où il n'y a point de conformité d'humeur, il ne peut y avoir d'amitié, et sans l'amitié une compagnie est bientôt séparée: de même aussi,dans les compositions d'histoires graves et sérieuses, où l'on représente des assemblées qui se tiennent pour des affaires d'importance, que l'on y voye peu de jeunes gens, parce qu'ordinairement les jeunes gens ne sont pas chargés de ces sortes d'affaires, ils ne prennent pas volontiers conseil, et ils n'aiment pas se trouver à de pareilles assemblées.

CHAPITRE CCLIV.

Comment il faut représenter une personne qui parle à plusieurs autres.

Avant que de faire une figure qui ait à parler à plusieurs personnes, il faudra considérer la matière dont elle doit les entretenir, pour lui donner une action conforme au sujet; c'est-à-dire, s'il est question de les persuader, qu'on le reconnoisse par ses gestes; et si la matière consiste à déduire diverses raisons, faites que celui qui parle prenne, avec deux doigts de la main droite, un des doigts de sa main gauche, tenant serrés les deux autres de la même main, qu'il ait le visage tourné vers l'assemblée, avec la bouche à demi-ouverte, en sorte qu'on voie qu'il parle; et s'il est assis, qu'il semble se vouloir lever debout, portant la tête un peu en avant; et si vous le représentez debout, faites qu'il se courbe un peu, ayant le corps et le visage tournés vers l'assemblée, laquelle doit paroître attentive et dans un grand silence: que tous aient les yeux attachés sur celui qui parle, et qu'ils fassent paroître qu'ils l'admirent. On peut représenter quelque vieillard qui fasse connoître qu'il admire ce qu'il entend, en tenant la bouche fermée et les lèvres serrées, et se formant des rides aux coins de la bouche, au bas des joues et au front, par les sourcils, qu'il élèvera vers le milieu du visage du côté du nez. Que d'autres se tiennent assis, et qu'ayant les doigts des mains entrelacés, ils embrassent leur genou gauche. Que quelque vieillard ait un genou croisé sur l'autre, et que le coude s'appuyant sur le genou, la main soutienne le menton, qui sera couvert d'une barbe vénérable.

CHAPITRE CCLV.

Comment il faut représenter une personne qui est fort en colère.

Si vous représentez quelqu'un qui soit fort en colère, faites-lui prendre quelqu'un aux cheveux, et que lui pressant le côté avec le genou, il lui tourne la tête contre terre, et paroisse prêt à le frapper, en tenant le bras droit haut et le poing fermé: il faut que ce furieux grince des dents, qu'il ait les cheveux hérissés, les sourcils bas et serrés, et les côtés de la bouche courbés en arc, le col gros, enflé, et tout sillonné de plis par-devant vers le côté qu'il se penche sur son ennemi.

CHAPITRE CCLVI.

Comment on peut peindre un désespéré.

Un désespéré peut être représenté avec un couteau à la main, dont il se perce, après avoir déchiré ses habits, et s'être arraché les cheveux. Que d'une main il ouvre et augmente sa plaie; il sera debout, ayant les pieds écartés, et les jambes un peu pliées, le corps penché et comme tombant par terre.

CHAPITRE CCLVII.

Des mouvemens qu'on fait en riant et en pleurant, et de leur différence.

Entre celui qui rit et celui qui pleure, il n'y a guère de différence aux yeux, à la bouche, ni aux joues; mais il y en a dans l'enflure et la roideur des sourcils, qui se joignent dans celui qui pleure, et qui sont plus hauts et plus étendus dans celui qui rit. On peut faire encore que celui qui pleure déchire ses habits, et fasse d'autres actions semblables ou différentes, selon les divers sujets de son affliction; parce que quelqu'un pourroit pleurer de colère, un autre d'appréhension; l'un de tendresse et de joie, l'autre par soupçon; quelqu'un de douleur et par le sentiment de quelque mal, un autre par compassion et de regret d'avoir perdu ses parens ou ses amis: les expressions de douleur, de tristesse, de chagrin, sont fort différentes quand on pleure; ainsi, faites que l'un paroisse entièrement désespéré, que l'autre montre plus de modération, qu'un autre se contente de pleurer et de verser des larmes, tandis qu'un autre fait des cris; que quelques-uns lèvent les yeux vers le ciel, ayant les bras pendans avec les mains jointes et les doigts entrelacés, et que d'autres pleins d'appréhension haussent les épaules jusqu'aux oreilles: c'est ainsi qu'il faut varier l'expression de la même passion, suivant les différens sujets que vous avez à traiter. Celui qui verse des larmes hausse les sourcils vers leur jointure, et les approche l'un de l'autre, et forme des rides sur les côtés et au milieu de la bouche en bas; mais celui qui rit, a les côtés de la bouche élevés, et les sourcils droits et bien étendus.

CHAPITRE CCLVIII.

De la position des figures d'enfans et de vieillards.

La disposition des jambes dans les enfans et dans les vieillards, ne doit point marquer ordinairement des mouvemens prompts et des actions trop vives.

CHAPITRE CCLIX.

De la position des figures de femmes et de jeunes gens.

Il ne sied pas bien aux femmes et aux jeunes gens d'être dans des attitudes où les jambes soient écartées, parce que cette contenance paroît trop libre; mais au contraire les jambes serrées sont une marque de modestie.

CHAPITRE CCLX.

De ceux qui sautent.

La nature apprend d'elle-même sans aucun raisonnement à ceux qui sautent, que quand ils veulent s'élever, il faut qu'ils haussent les bras et les épaules avec impétuosité; ces parties suivant cet effort se meuvent ensemble avec une grande partie du corps pour le soulever et les porter en haut, jusqu'à ce que leur effort ait cessé: cet effort est accompagné d'une prompte extension du corps qui s'étoit tendu comme un ressort le long des reins, en se courbant par le moyen des jointures des cuisses, des genoux et des pieds; le corps en s'étendant ainsi avec effort, décrit une ligne oblique, c'est-à-dire, inclinée en devant et tirant en haut; et ainsi le mouvement destiné à faire aller en avant, porte en avant le corps de celui qui saute, et le mouvement qui doit l'élever, hausse le corps et lui fait former comme un grand arc, qui est le mouvement qu'on fait en sautant.

CHAPITRE CCLXI.

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CHAPITRE CCLXI.

De l'homme qui veut jeter quelque chose bien loin avec beaucoup d'impétuosité.

L'homme qui veut lancer un dard, ou jeter une pierre, ou quelqu'autre chose avec violence, peut être représenté en deux manières, ou lorsqu'il se prépare à l'exécution de ce dessein, ou lorsqu'il l'a exécuté. Si vous le représentez lorsqu'il se prépare à cette action, observez ce qui suit. 1o. Que la hanche du côté du pied qui porte le corps doit être à-plomb avec la ligne centrale, ou le creux de l'estomac. 2o. Que l'épaule du côté opposé doit s'avancer en devant et passer au-dessus de ce pied qui porte le corps, pour former une ligne droite et perpendiculaire avec lui; c'est-à-dire, que si c'est le pied droit qui porte, l'épaule gauche sera perpendiculairement sur la pointe du même pied droit.

CHAPITRE CCLXII.

Pourquoi celui qui veut tirer quelque chose de terre, en se retirant, ou l'y ficher, hausse la jambe opposée à la main qui agit, et la tient pliée.

Celui qui veut en se retirant ficher quelque pieu en terre ou l'arracher, hausse la jambe opposée au bras qui tire, et la plie par le genou; ce qu'il fait pour prendre son contrepoids sur le pied qui porte à terre: car sans ce pli il ne pourroit agir, et s'il n'étendoit la jambe, il ne pourroit se retirer.

CHAPITRE CCLXIII.

De l'équilibre des corps qui se tiennent en repos sans se mouvoir.

L'équilibre du corps des hommes se divise en deux: savoir, en simple et en composé; l'équilibre simple est celui que l'homme fait lorsqu'il demeure debout sur ses pieds sans se remuer. Dans cette situation, si l'homme étend les bras, et les éloigne de leur milieu de quelque manière que ce soit, ou s'il se baisse étant sur ses pieds, le centre de sa pesanteur se trouve toujours perpendiculairement sur la ligne centrale du pied qui porte le corps; et s'il se soutient également sur ses deux pieds, pour lors l'estomac de l'homme aura son centre perpendiculaire sur le milieu de la ligne, qui mesure l'espace qui est entre les centres des pieds. Par l'équilibre composé on entend celui que fait un homme lorsqu'il a sur lui quelque fardeau, et qu'il le soutient par des mouvemens différens, comme on le voit dans la figure suivante d'Hercule, qui étouffe Anthée, en le serrant avec les bras contre sa poitrine, après l'avoir élevé de terre; il faut lui donner en contrepoids autant de charge de ses propres membres derrière la ligne centrale de ses deux pieds, que la pesanteur d'Anthée lui en donne au-devant de la même ligne centrale des pieds.

CHAPITRE CCLXIII.

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CHAPITRE CCLXIV.

De l'homme qui est debout sur ses pieds, et qui se soutient davantage sur l'un que sur l'autre.

Quand après être demeuré long-temps en pied, un homme s'est lassé la jambe sur laquelle il s'appuie, il renvoie une partie de sa pesanteur sur l'autre jambe; mais cette sorte de position ne doit être pratiqué qu'aux figures des vieillards, ou à celles des petits enfans, ou bien en ceux qui doivent paroître fatigués, car cela témoigne une lassitude et une foiblesse de membres: c'est pourquoi il faut toujours qu'un jeune homme sain et robuste soit appuyé sur l'une des jambes, et s'il appuie quelque peu sur l'autre, il ne le fait que comme une disposition nécessaire à son mouvement, sans laquelle il est impossible de se mouvoir, parce que le mouvement ne vient que de l'inégalité.

CHAPITRE CCLXV.

De la position des figures.

Les figures qui sont dans une attitude stable et ferme, doivent avoir dans leurs membres quelque variété qui fasse un contraste; c'est-à-dire, que si un des bras se porte en devant, il faut que l'autre demeure ferme ou se retire en arrière; et si la figure est appuyée sur une jambe, que l'épaule qui porte sur cette jambe soit plus basse que l'autre épaule: cela s'observe par les personnes de jugement, qui ont toujours soin de donner le contrepoids naturel à la figure qui est sur ses pieds, de peur qu'elle ne vienne à tomber, parce que s'appuyant sur un des pieds, la jambe opposée qui est un peu pliée, ne soutient point le corps, et demeure comme morte et sans action; de sorte qu'il faut nécessairement que le poids d'en haut qui se rencontre sur cette jambe, envoie le centre de sa pesanteur sur la jointure de l'autre jambe qui porte le corps.

CHAPITRE CCLXVI.

De l'équilibre de l'homme qui s'arrête sur ses pieds.

L'homme qui s'arrête sur ses pieds, ou il s'appuie également sur ses deux pieds, ou bien il en charge un plus que l'autre; s'il s'appuie également sur ses deux pieds, il les charge du poids naturel de son corps et de quelqu'autre poids accidentel, ou bien il les charge seulement du seul poids naturel de son corps: s'il les charge du poids naturel et accidentel tout ensemble, alors les extrémités opposées de ses membres ne sont pas également éloignées de la jointure des pieds; mais s'il les charge simplement de son poids naturel, pour lors ces extrémités des membres opposés seront également éloignées de la jointure des pieds. Je ferai un Livre particulier de cette sorte d'équilibre.

CHAPITRE CCLXVII.

Du mouvement local plus ou moins vîte.

Le mouvement que fait l'homme ou quelqu'autre animal que ce soit qui va d'un lieu à un autre, sera d'autant plus ou moins vîte, que le centre de gravité sera plus loin ou plus près du centre du pied sur lequel il se soutient.

CHAPITRE CCLXVIII.

Des animaux à quatre pieds, et comment ils marchent.

La partie la plus élevée du corps des animaux à quatre pieds, reçoit plus de changement dans ceux qui marchent que dans ceux qui demeurent arrêtés, et cette variété est encore plus ou moins grande, selon que ces animaux sont plus grands ou plus petits; cela vient de l'obliquité des jambes qui touchent à terre, lesquelles haussent la figure de l'animal quand elles se redressent, et qu'elles appuient perpendiculairement sur la terre.

CHAPITRE CCLXIX.

Du rapport et de la correspondance qui est entre une moitié de la grosseur du corps de l'homme et l'autre moitié.

Jamais la moitié de la grosseur et de la largeur de l'homme ne sera égale à l'autre, si les membres réciproques ne se remuent conjointement par des mouvemens égaux et semblables.

CHAPITRE CCLXX.

Comment il se trouve trois mouvemens dans les sauts que l'homme fait en haut.

Quand l'homme s'élève en sautant, le mouvement de la tête est trois fois plus vîte que celui que fait le talon du pied qui s'élève avant que le bout du pied parte de terre, et deux fois plus vîte que celui des flancs: cela arrive, parce qu'en même temps il se forme trois angles qui s'ouvrent et s'étendent; le plus haut de ces angles est celui que fait le corps par devant aux hanches dans sa jointure avec les cuisses; le second, celui de la jointure des cuisses avec les jambes par derrière, et le troisième, celui que forment les jambes par devant avec l'os du pied.

CHAPITRE CCLXXI.

Qu'il est impossible de retenir tous les aspects et tous les changemens des membres qui sont en mouvement.

Il est impossible qu'aucune mémoire puisse conserver toutes les vues et les changemens de certains membres de quelque animal que ce soit. Je vais le démontrer par l'exemple d'une main qui est en mouvement, et parce que toute quantité continue est divisible à l'infini, le mouvement que fait l'œil qui regarde la main, et se meut de A en B, peut être aussi divisé en une infinité de parties: or, la main qui fait ce mouvement change à tous momens de situation et d'aspect, et on peut distinguer autant d'aspects différens dans la main, que de parties dans le mouvement: donc il y a dans la main des aspects à l'infini; ce qu'il est impossible qu'aucune imagination puisse retenir. La même chose arrivera, si la main au lieu de baisser d'A en B, s'élève de B en A.

CHAPITRE CCLXXII.

De la bonne pratique qu'un Peintre doit tâcher d'acquérir.

Si vous voulez acquérir une grande pratique, je vous avertis que si les études que vous ferez pour y parvenir ne sont fondées sur la connoissance du naturel, vos ouvrages vous feront peu d'honneur, et ne vous apporteront point de profit; mais si vous suivez la route que je vous ai marquée, vous ferez quantité de beaux ouvrages, qui vous gagneront l'estime des hommes, et beaucoup de bien.

CHAPITRE CCLXXIII.

Du jugement qu'un Peintre fait de ses ouvrages, et de ceux des autres.

Quand les connoissances d'un Peintre ne vont pas au-delà de son ouvrage, c'est un mauvais signe pour le Peintre; et quand l'ouvrage surpasse les connoissances et les lumières de l'ouvrier, comme il arrive à ceux qui s'étonnent d'avoir si bien réussi dans l'exécution de leur dessin, c'est encore pis; mais lorsque les lumières d'un Peintre vont au-delà de son ouvrage, et qu'il n'est pas content de lui-même, c'est une très-bonne marque, et un jeune Peintre qui a ce rare talent d'esprit, deviendra sans doute un excellent ouvrier: il est vrai qu'il fera peu d'ouvrages, mais ils seront excellens, ils donneront de l'admiration, et, comme on dit, ils attireront.

CHAPITRE CCLXXIV.

Comment un Peintre doit examiner lui-même son propre ouvrage, et en porter son jugement.

Il est certain qu'on remarque mieux les fautes d'autrui que les siennes propres; c'est pourquoi un Peintre doit commencer par se rendre habile dans la perspective, puis acquérir une connoissance parfaite des mesures du corps humain: il doit être encore bon architecte, pour le moins en ce qui concerne la régularité extérieure d'un édifice et de toutes ses parties. Pour ce qui est des choses dont il n'a pas la pratique, il ne faut point qu'il néglige d'aller voir et dessiner d'après le naturel, et qu'il ait soin en travaillant d'avoir toujours auprès de lui un miroir plat, et de considérer souvent son ouvrage dans ce miroir, qui le lui représentera tout à rebours, comme s'il étoit de la main d'un autre maître; par ce moyen il pourra bien mieux remarquer ses fautes: encore il sera fort utile de quitter souvent son travail, et de s'aller divertir un peu, parce qu'au retour il aura l'esprit plus libre; au contraire, une application trop grande et trop assidue appesantit l'esprit, et lui fait faire de grosses fautes.

CHAPITRE CCLXXV.

De l'usage qu'on doit faire d'un miroir en peignant.

Quand vous voulez voir si votre tableau pris tout ensemble ressemble aux choses que vous avez imitées d'après le naturel, prenez un miroir, et présentez le à l'objet que vous avez imité, puis comparez à votre peinture l'image qui paroît dans le miroir, considérez-les attentivement, et comparez-les ensemble; vous voyez sur un miroir plat des représentations qui paroissent avoir du relief: la peinture fait la même chose; la peinture n'est qu'une simple superficie, et le miroir de même; le miroir et la peinture font la même représentation des choses environnées d'ombres et de lumières, et l'une et l'autre paroît fort éloignée au-delà de sa superficie, du miroir et de la toile; et puisque vous reconnoissez que le miroir, par le moyen des traits et des ombres, vous fait paroître les choses comme si elles avoient du relief, il est certain que si vous savez employer selon les règles de l'art les couleurs dont les lumières et les ombres ont plus de force que celle d'un miroir, votre peinture paroîtra aussi une chose naturelle, représentée dans un grand miroir: votre Maître (qui est ce miroir) vous montrera le clair et l'obscur de quelque objet que ce soit, et parmi vos couleurs il y en a de plus claires que les parties les plus éclairées de votre modèle, et pareillement il y en a d'autres plus obscures que les ombres les plus fortes du même modèle: enfin, parce que les deux yeux voient davantage de l'objet, et l'environnent, lorsqu'il est moindre que la distance d'un œil à l'autre, vous ferez vos peintures semblables aux représentations de ce miroir, lorsqu'on le regarde avec un œil seulement.

CHAPITRE CCLXXVI.

Quelle peinture est la plus parfaite.

La plus excellente manière de peindre est celle qui imite mieux, et qui rend le tableau plus semblable à l'objet naturel qu'on représente: cette comparaison du tableau avec les objets naturels, fait souvent honte à certains Peintres qui semblent vouloir réformer les ouvrages de la nature, comme font ceux qui représentent un enfant d'un an, dont la tête n'est qu'un cinquième de sa hauteur, et eux ils la font d'une huitième partie, et la largeur des épaules qui est égale à la longueur de la tête, ils la font deux fois plus grande, réduisant ainsi la proportion d'un petit enfant d'un an à celle d'un homme qui en a trente. Ces ignorans ont tant de fois pratiqué et vu pratiquer ces fautes, qu'ils se sont fait une habitude de les faire eux-mêmes, et cette habitude s'est tellement fortifiée, qu'ils se persuadent que la nature, ou ceux qui l'imitent, se trompent en suivant un autre chemin.

CHAPITRE CCLXXVII.

Quel doit être le premier objet et la principale intention d'un Peintre.

La première intention du Peintre, est de faire que sur la superficie plate de son tableau, il paroisse un corps relevé et détaché de son fond; et celui qui en ce point surpasse les autres, mérite d'être estimé plus habile qu'eux dans sa profession. Or, cette perfection de l'art vient de la dispensation juste et naturelle des lumières et des ombres; ce qu'on appelle le clair et l'obscur: de sorte que si un Peintre épargne les ombres où elles sont nécessaires, il se fait tort à lui-même, et rend son ouvrage méprisable aux connoisseurs, pour s'acquérir une fausse estime du vulgaire et des ignorans, qui ne considèrent dans un tableau que l'éclat et le fard du coloris, sans prendre garde au relief.

CHAPITRE CCLXVIII.

Quel est le plus important dans la peinture, de savoir donner les ombres à propos, ou de savoir dessiner correctement.

Dans la peinture, il est bien plus difficile de donner les ombres à une figure, et il faut pour cela bien plus d'étude et de réflexions que pour en dessiner les contours. La preuve de ce que je dis est claire, car on peut dessiner toutes sortes de traits au travers d'un verre plat placé entre l'œil et la chose qu'on veut imiter; mais cette invention est inutile à l'égard des ombres, à cause de leur diminution et de l'insensibilité de leurs termes, qui le plus souvent sont mêlés entre eux, comme je l'ai démontré dans mon livre des Ombres et des Lumières.

CHAPITRE CCLXXIX.

Comme on doit donner le jour aux figures.

Le jour doit être donné d'une manière convenable au lieu naturel où vous feignez qu'est votre figure, c'est-à-dire, que si le soleil l'éclaire, il lui faut donner des ombres fortes et des lumières très-étendues, et que l'ombre de tous les corps d'alentour soit marquée sur le terrein; mais si la figure est dans un air sombre, mettez peu de différence entre la partie qui est éclairée et celle qui est dans l'ombre, et qu'il n'y ait aucune ombre aux pieds de la figure. Si la figure est dans un logis, les lumières et les ombres seront fort tranchées, et la projection de son ombre sera marquée sur le plan; mais si vous feignez que la fenêtre ait un chassis, et que les murailles soient blanches, il faudra mettre peu de différence entre les ombres et les lumières, et si elle prend sa lumière du feu, faites les lumières rougeâtres et vives, et les ombres fort obscures, et la projection des ombres contre les murs et sur le pavé fort terminée, et que les ombres croissent à proportion qu'elles s'éloignent du corps. Et si un côté de la figure étoit éclairé de l'air et l'autre côté du feu, faites le côté de l'air plus clair, et celui du feu tirant sur le rouge presque de couleur de feu: faites, en général, que les figures que vous peignez soient éclairées d'un grand jour qui vienne d'en haut, principalement lorsque vous ferez quelque portrait; parce que les personnes que vous voyez dans les rues reçoivent toutes leur jour d'en haut; et sachez qu'il n'y a point d'homme dont vous connoissiez si bien les traits et le visage, que vous n'eussiez peine à le reconnoître si on lui donnoit la lumière par-dessous.

CHAPITRE CCLXXX.

En quel lieu doit être placé celui qui regarde une peinture.

Supposons que A B soient le tableau, et que D soit le côté d'où lui vient le jour: je dis que celui qui se mettra entre C et E verra très-mal le tableau, principalement s'il est peint à l'huile, ou qu'on lui ait donné une couche de vernis, parce qu'il sera lustré, et aura presque l'effet d'un miroir: c'est pourquoi plus on sera près du rayon C, moins on le verra, parce que c'est là que portent les reflets du jour qui est envoyé de la fenêtre sur le tableau; mais entre E et D, on pourra voir commodément le tableau, et on le verra mieux à mesure qu'on approchera plus près du point D, parce que ce lieu est moins sujet à la réverbération des rayons réfléchis.

CHAPITRE CCLXXXI.

A quelle hauteur on doit mettre le point de vue.

Le point de vue doit être mis au niveau de l'œil d'un homme de taille ordinaire, sur la ligne qui fait confiner le plan avec l'horizon; la hauteur de cette ligne doit être égale à celle de l'extrémité du plan joignant l'horizon, sans néanmoins y comprendre les montagnes, que le Peintre fera aussi hautes que le demande son sujet, ou qu'il le jugera à propos.

CHAPITRE CCLXXXII.

Qu'il est contre la raison de faire les petites figures trop finies.

Les choses ne paroissent plus petites qu'elles le sont en effet, que parce qu'elles sont éloignées de l'œil, et qu'il y a entre elles et l'œil beaucoup d'air qui affoiblit la lumière, et, par une suite naturelle, empêche qu'on ne distingue exactement les petites parties qu'elles ont. Il faut donc qu'un Peintre ne touche que légèrement ces figures, comme s'il vouloit seulement en esquisser l'idée; s'il fait autrement, ce sera contre l'exemple de la Nature, qui doit être son guide: car, comme je viens de dire, une chose ne paroît petite qu'à cause de la grande distance qui est entre l'œil et elle; la grande distance suppose beaucoup d'air entre deux, et la grande quantité d'air cause une grande diminution de lumière, qui ôte à l'œil le moyen de distinguer les plus petites parties de son objet.

CHAPITRE CCLXXXIII.

Quel champ un Peintre doit donner à ses figures.

Puisque nous voyons par expérience que tous les corps sont entourés d'ombres et de lumières, je conseille au Peintre de faire en sorte que la partie éclairée de sa figure se rencontre sur un fond obscur, et que la partie qui est dans l'ombre soit sur un champ clair: l'observation de cette règle contribuera fort au relief de ses figures.

CHAPITRE CCLXXXIV.

Des ombres et des jours, et en particulier des ombres des carnations.

Pour distribuer les jours et les ombres avec jugement, considérez bien en quel endroit la lumière est plus claire et plus éclatante, et en quel endroit l'ombre est plus forte et plus obscure. Pour ce qui est des carnations des jeunes gens, je vous avertis sur-tout de ne leur point donner d'ombres qui soient tranchées, parce que leur chair qui n'est point ferme et dure, mais molle et tendre, a quelque chose de transparent, ce qu'on reconnoît en regardant sa main, après l'avoir mise entre le soleil et l'œil; car elle paroît rougeâtre, avec une certaine transparence lumineuse; et si vous voulez savoir quelle sorte d'ombre convient à la carnation que vous peignez, faites-en l'étude et l'expérience sur l'ombre même de votre doigt; et selon que vous la voudrez plus claire ou plus obscure, tenez le doigt plus près ou plus loin de votre tableau, et l'imitez.

CHAPITRE CCLXXXV.

De la représentation d'un lieu champêtre.

Les arbres et toutes les herbes qui sont plus chargés de petites branches, doivent avoir moins de tendresse en leurs ombres, et les autres dont les feuilles seront plus grandes et plus larges, causeront de plus grandes ombres.

CHAPITRE CCLXXXVI.

Comment on doit composer un animal feint et chimérique.

Vous savez qu'on ne peut représenter un animal s'il n'a des membres, et il faut que chacun de ses membres ressemble en quelque chose à ceux d'un véritable animal; si vous voulez donc faire qu'un animal feint paroisse être un animal véritable et naturel, par exemple, un serpent, prenez pour la tête celle d'un mâtin, ou de quelque autre chien, et donnez-lui les yeux d'un chat, les oreilles d'un porc-épic, le museau d'un lévrier, les sourcils d'un lion, les côtés des tempes de quelque vieux coq, et le col d'une tortue d'eau.

CHAPITRE CCLXXXVII.

Ce qu'il faut faire pour que les visages aient du relief et de la grace.

Dans les rues qui sont tournées au couchant, le soleil étant à son midi, et les murailles des maisons élevées à telle hauteur, que celles qui sont tournées au soleil ne réfléchissent point la lumière sur les parties des corps, lesquelles sont dans l'ombre, si l'air n'est point trop éclairé, on trouve la disposition la plus avantageuse pour donner du relief et de la grace aux figures: car on verra les deux côtés des visages participer à l'ombre des murs qui leur sont opposés; et ainsi les carnes du nez et toute la face tournée à l'occident sera éclairée, et l'œil qu'on suppose au bout de la rue placé au milieu, verra ce visage bien éclairé dans toutes les parties qu'il a devant lui, et les côtés vers les murs couverts d'ombres; et ce qui donnera de la grace, c'est que ces ombres ne sont point tranchées d'une manière dure et sèche, mais noyées insensiblement. La raison de ceci est que la lumière répandue par-tout dans l'air, vient frapper le pavé de la rue, d'où étant réfléchie vers les parties de la tête qui sont dans l'ombre, elle les teint légèrement de quelque lumière, et la grande lumière qui est répandue sur le bord des toîts et au bout de la rue, éclaire presque jusqu'à la naissance des ombres qui sont sous la face, et elle diminue les ombres par degrés, et augmente peu à peu la clarté, jusqu'à ce qu'elle soit arrivée sur le menton avec une ombre insensible de tous côtés. Par exemple, si cette lumière étoit A E, elle voit la ligne F E de la lumière qui éclaire jusques sous le nez, et la ligne C F éclaire seulement jusques sous la lèvre, et la ligne A H s'étend sous le menton, et en ce lieu-là le nez est fort éclairé, parce qu'il est vu de toute la lumière A B C D E.

CHAPITRE CCLXXXVII.

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CHAPITRE CCLXXXVIII.

Ce qu'il faut faire pour détacher et faire sortir les figures hors de leur champ.

Vous devez placer votre figure dans un champ clair si elle est obscure; et si elle est claire, mettez-la dans un champ obscur; et si elle est claire et obscure, faites rencontrer la partie obscure sur un champ clair, et la partie claire sur un champ obscur.

CHAPITRE CCLXXXIX.

De la différence des lumières selon leur diverse position.

Une petite lumière fait de grandes ombres, et terminées sur les corps du côté qu'ils ne sont pas éclairés; au contraire, les grandes lumières font sur les mêmes corps du côté qu'ils ne sont pas éclairés, des ombres petites et confuses dans leurs termes. Quand une petite lumière, mais forte, sera enfermée et comprise dans une plus grande et moins forte, comme le soleil dans l'air, la plus foible ne tiendra lieu que d'une ombre sur les corps qui en seront éclairés.

CHAPITRE CCXC.

Qu'il faut garder les proportions jusques dans les moindres parties d'un tableau.

C'est une faute ridicule, et dans laquelle cependant plusieurs Peintres ont coutume de tomber, de donner avec si peu de jugement les proportions aux parties de leurs tableaux, qu'un bâtiment, par exemple, ou une ville a des parties si basses, qu'elles n'arrivent pas seulement à la hauteur du genou d'un homme, quoique selon la disposition du plan elles soient plus près de l'œil de celui qui regarde le tableau, qu'elles ne le sont de celui qui paroît vouloir y entrer. Nous avons vu quelquefois dans des tableaux des portiques peints, tous chargés de figures d'hommes, et les colonnes qui soutenoient ces portiques étoient empoignées par un de ces hommes, qui s'appuyoit dessus comme sur un bâton: il se fait beaucoup d'autres fautes semblables qu'il faut éviter avec soin.

CHAPITRE CCXCI.

Des termes ou des extrémités des corps, qu'on appelle profilures ou contours.

Les contours des corps sont si peu sensibles à l'œil, que pour la moindre distance qu'il y a entre l'œil et son objet, il ne sauroit discerner le visage de son ami ou de son parent, qu'il ne reconnoît guère qu'à leur habit et à leur contenance: de sorte que par la connoissance du Tout, il vient à celle de la partie.

CHAPITRE CCXCII.

Effet de l'éloignement des objets par rapport au dessin.

Les premières choses qui disparoissent en s'éloignant dans les corps qui sont dans l'ombre, et même dans ceux qui sont éclairés, ce sont les contours; et après, en un peu plus de distance, on cesse de voir les termes qui divisent les parties des corps contigus, quand ces corps sont dans l'ombre: ensuite la grosseur des jambes par le pied, puis les moindres parties se perdent peu à peu, tellement qu'à la fin, par un grand éloignement, l'objet ne paroît plus que comme une masse confuse, où l'on ne distingue point de parties.

CHAPITRE CCXCIV.

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CHAPITRE CCXCIII.

Effet de l'éloignement des objets, par rapport au coloris.

La première chose que l'éloignement fait disparoître dans les couleurs, c'est le lustre qui est leur plus subtile partie, et comme l'éclat dans les lumières; la seconde chose qui disparoît, ou plutôt qui diminue et qui s'affoiblit en s'éloignant davantage, est la lumière, parce qu'elle est moindre en quantité que n'est l'ombre; la troisième sont les ombres principales; et enfin dans un grand éloignement il ne reste plus qu'une obscurité médiocre, mais générale et confuse.

CHAPITRE CCXCIV.

De la nature des contours des corps sur les autres corps.

Quand les corps dont la superficie est convexe, vont terminer sur d'autres corps de même couleur, le terme ou le contour du corps convexe paroîtra plus obscur que le corps qui lui sert de champ, et qui confine avec le corps convexe. A l'égard des superficies plates, leur terme paroîtra fort obscur sur un fond blanc; et sur un fond obscur, il paroîtra plus clair qu'en aucune autre de ses parties, quoique la lumière qui éclaire les autres parties ait par-tout la même force.

CHAPITRE CCXCV.

Des figures qui marchent contre le vent.

Un homme qui marche contre le vent, quand il est violent, ne garde pas la ligne qui passe par le centre de sa pesanteur avec l'équilibre parfait qui se fait par la distribution égale du poids du corps autour du pied qui le soutient.

CHAPITRE CCXCVI.

De la fenêtre par où vient le jour sur la figure.

Il faut que la fenêtre d'un Peintre, au jour de laquelle il peint, ait des chassis de papier huilé, sans menaux et sans traverses de bois au chassis; ils ne feroient qu'ôter une partie du jour, et faire des ombres qui nuiroient à l'exécution de l'ouvrage.

CHAPITRE CCXCVII.

Pourquoi après avoir mesuré un visage et l'avoir peint de la grandeur même de sa mesure, il paroît plus grand que le naturel.

A B est la largeur de l'espace où est la tête, laquelle est mise à la distance marquée C F, où sont les joues, et il faudroit qu'elle demeurât en arrière de toute la longueur A C, et pour lors les tempes seroient portées à la distance O R des lignes A F B F, de sorte qu'elles seroient plus étroites que le naturel, de la différence C O et R D d'où il s'ensuit que les deux lignes C F et D F pour être plus courtes, doivent aller rencontrer le plan, sur lequel toute la hauteur est dessinée, qui sont les lignes A F et B F où est la véritable grandeur; de sorte que, comme j'ai dit, il s'y trouve de différence, les lignes C O et R D.

CHAPITRE CCXCVIII.

Si la superficie de tout corps opaque participe à la couleur de son objet.

Vous devez savoir que si on met un objet blanc entre deux murailles, dont l'une soit blanche et l'autre noire, il se trouvera entre la partie de cet objet qui est dans l'ombre et celle qui est éclairée, une proportion pareille à celle qui est entre les murailles; et si l'objet est de couleur d'azur, il aura le même effet: c'est pourquoi si vous avez à le peindre, vous ferez ce qui suit. Pour donner les ombres à l'objet qui est de couleur d'azur, prenez du noir semblable au noir ou à l'ombre de la muraille que vous supposez devoir réfléchir sur l'objet que vous voulez peindre; et pour agir par des principes sûrs, observez ce que je vais marquer. Lorsque vous peignez une muraille, de quelque couleur que ce soit, prenez une petite cuiller, qui soit plus ou moins grande, selon que sera l'ouvrage que vous devez peindre, et qu'elle ait les bords d'égale hauteur, afin que vous mesuriez plus justement la quantité des couleurs que vous emploierez au mélange de vos teintes: par exemple, si vous avez donné aux premières ombres de la muraille trois degrés d'obscurité et un de clarté, c'est-à-dire, trois cuillerées pleines, et que ces trois cuillerées fussent d'un noir simple, avec une cuillerée de blanc, vous aurez sans doute fait un mélange d'une qualité certaine et précise. Après avoir donc fait une muraille blanche et une obscure, si vous avez à placer entre elles un objet de couleur d'azur, auquel vous voulez donner la vraie teinte d'ombre et de clair qui convient à cet azur, mettez d'un côté la couleur d'azur que vous voulez qui reste sans ombre, et placez le noir auprès, puis prenez trois cuillerées de noir, et les mêlez avec une cuillerée d'azur clair, et leur donnez l'ombre la plus forte: cela fait, voyez si la forme de l'objet est ronde, ou en croissant, ou carrée, ou autrement; et si elle est ronde, tirez des lignes des extrémités des murailles obscures au centre de cet objet rond, et mettez les ombres les plus fortes entre des angles égaux, au lieu où ces lignes se coupent sur la superficie de cet objet, puis éclaircissez peu à peu les ombres, en vous éloignant du point où elles sont fortes, par exemple, en N O, et diminuez autant de l'ombre que cet endroit participe à la lumière de la muraille supérieure A D, et vous mêlerez cette couleur dans la première ombre de A B avec les mêmes proportions.

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