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Œuvres Complètes de Chamfort (Tome 1): Recueillies et publiées avec une notice historique sur la vie et les écrits de l'auteur.

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V. 2. Celui-ci, glorieux d'une charge si belle,
N'eût voulu pour beaucoup en être soulagé.

Ce mulet-là fait songer à bien d'honnêtes gens.

FABLE V.

Cette fable du loup et du chien est parfaite d'un bout à l'autre; il n'y a à critiquer que l'avant-dernier vers.

Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor.

Un loup n'a que faire d'un trésor.

FABLE VI.

Voilà certainement une mauvaise fable que La Fontaine a mise en vers d'après Phèdre. L'association de ces quatre personnages est absurde et contre nature. Quel besoin le lion a-t-il d'eux pour chasser? ils sont eux-mêmes le gibier qu'il cherche. Si Phèdre a voulu faire voir qu'une association avec plus fort que soi est souvent dangereuse; il y avait une grande quantité d'images ou d'allégories qui auraient rendu cette vérité sensible. Voyez la fable du Pot de terre et du Pot de fer.

FABLE VII.

La Fontaine pour nous dédommager d'avoir fait une fable aussi mauvaise que l'est la précédente, lui fait succéder un apologue excellent, où il développe avec finesse et avec force le jeu de l'amour-propre de toutes les espèces d'animaux, c'est-à dire de l'homme, dont l'espèce réunit tous les genres d'amour-propre.

On ne finirait pas si on voulait noter tous les vers heureux de cette fable.

V. 23. Dame fourmi trouva le citron trop petit.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
V. 28. Lynx envers nos pareils et taupes envers nous.

Et les deux derniers vers.

C'est donc la faute à Jupiter si nous ne nous apercevons pas de nos propres défauts. Esope, que Phèdre a gâté en l'imitant, dit, et beaucoup mieux, chaque homme naît avec deux besaces, etc. De cette manière, la faute n'est point rejetée spécialement sur le fabricateur souverain. La Fontaine aurait mieux fait d'imiter Esope que Phèdre en cette occasion.

FABLE VIII.

Autre Apologue, excellent d'un bout à l'autre.

FABLE IX.

V. 27. Fi! Espèce d'interjection qu'on n'emploie que proverbialement et dans le style très-familier.

FABLE X.

Cette fable est connue de tout le monde, même de ceux qui ne connaissent que celle-là. Ce qui en fait la beauté, c'est la vérité du dialogue. Plusieurs personnes ne semblent voir dans cet Apologue qu'une vérité triviale, que le faible est opprimé par le fort. Ce ne serait pas la peine de faire une fable. Ce qui fait la beauté de celle-ci, c'est la prétention du loup qui veut avoir raison de son injustice, et qui ne supprime tout prétexte et tout raisonnement, que lorsqu'il est réduit à l'absurde par les réponses de l'agneau.

V. 19 et 20. Si je n'étais pas né ne rime pas avec l'an passé. Pure négligence.

FABLE XI.

Ce n'est point là une fable, quoiqu'en dise La Fontaine; c'est un compliment en vers adressé à M. le duc de la Rochefoucault sur son livre des Maximes. Un homme qui s'enfuit dans le désert pour éviter des miroirs: c'est là une idée assez bizarre, et une invention assez médiocre de La Fontaine.

V. 21. On voit bien où je veux venir.

On le voit à travers un nuage; cela est si vrai, que La Fontaine est obligé d'expliquer son idée toute entière, et de dire enfin:

Et quant au canal, c'est celui
Que chacun sait, le livre des Maximes.

Cela rappelle un peu le peintre qui mettait au bas de ses figures, d'un coq, par exemple, ceci est un coq.

FABLE XII.

La plupart des fables et des contes ont fait le tour du globe. La Fontaine met en Europe la scène où il suppose que fut fait le récit de cette aventure, récit que les Orientaux mettent dans la bouche du fameux Gengiskan, à l'occasion du Grand Mogol, prince qui dépendait en quelque sorte de ses grands vassaux. Au surplus, ce récit ne peut pas s'appeler une fable; c'est une petite histoire allégorique qui conduit à une vérité morale. Toute fable suppose une action.

FABLE XIII.

V. 10. Au lieu de deux, etc. Voilà deux traits de naturel qu'on ne trouve guère que dans La Fontaine, et qui charment par leur simplicité.

V. 12. De nul d'eux. Transposition que de nos jours on trouverait un peu forcée, mais qui se pardonnait alors dans le style familier.

V. 13. Un quart, un quatrième.

Un quart voleur survient, etc. Voilà les conquérans appelés voleurs, c'est-à dire par leur nom. Nous sommes bien loin de l'Epître dédicatoire, et de ce roi qui comptera ses jours par ses conquêtes.

FABLE XIV.

Encore de la mauvaise morale: on peut trop louer sa maîtresse, et tout éloge qui n'a pas l'air d'échapper à un sentiment vrai, ou d'être une galanterie aimable d'un esprit facile, déplaît souvent même à celle qui en est l'objet. On peut trop louer son roi, 1o quand on le loue et qu'il est blâmable; 2o quand on le loue démesurément pour une bagatelle, etc.

V. 4. Ce sont maximes toujours bonnes.

Au contraire presque toujours mauvaises.

Castor et Pollux ne font pas un beau rôle dans cette fable. Quel mal avaient fait ces pauvres conviés et ces échansons? Cela dut faire grand plaisir à ce Simonide, qui était fort avare.

Un jour un athlète qui avait remporté le prix aux courses de mules lui offrit une somme d'argent pour chanter sa victoire. Simonide, mécontent de la somme, répondit: Moi, faire des vers pour des animaux qui sont des demi-baudets! Le vainqueur tripla la somme offerte. Alors Simonide fit une pièce très-pompeuse qui commence par des vers dont voici le sens: «Nobles filles des coursiers qui devancent les aquilons.»

Le même Simonide fut avec Anacréon à la cour d'Hipparque, fils de Pisistrate. Le dernier ne voulut que des honneurs, il fallut des présens au premier.

V. 64. Melpomène. Tout cela signifie qu'un poète peut tirer quelqu'avantage de ses travaux.

FABLE XVII.

V. 4 et 5. Il avait du comptant,
Et partant.

Ce vers de six syllabes, suivi d'un autre de trois, si l'on peut appeler ce dernier un vers, ne me semble qu'une négligence et non une beauté. Quand cette hardiesse sera une beauté, je ne manquerai pas de l'observer.

A proprement parler, cette pièce n'est pas exactement une fable, c'est un récit allégorique; mais il est si joli et rend si sensible la vérité morale dont il s'agit, qu'il ne faut pas se rendre difficile.

FABLE XVIII.

V. 4 Besogne, (autrefois besongne) n'est pas le mot propre; mais, à cela près, la fable est charmante d'un bout à l'autre. Elle me rappelle le trait d'un riche particulier qui avait fait dîner ensemble un antiquaire, qui hors de là ne savait rien, et un physicien célèbre dénué de toute espèce d'érudition. Ces deux messieurs ne surent que se dire. Sur quoi on observa que le maître de la maison leur avait fait faire le repas du renard et de la cigogne.

FABLE XIX.

Dans ce récit, La Fontaine pouvait se dispenser d'annoncer son dessein. Cela diminue la curiosité, d'autant plus qu'il y revient à la fin de la fable, et même d'une manière trop longue et peu piquante.

FABLE XX.

Ces deux petits faits mis ainsi à côté l'un de l'autre, racontés dans le même nombre de vers et dans la même mesure, font un effet très-piquant. Les six derniers vers ne sont que l'explication des six premiers, mais le commentaire plaît autant que le texte.

V. 3. Le beau premier, le fin premier, mots reçus dans l'ancien style pour dire simplement le premier. On le disait encore de nos jours dans le style familier.

FABLE XXI.

V. 7. Les témoins déposaient. Cette formule de nos tribunaux est plaisante: elle nous transporte au milieu de la société. C'est le charme et le secret de La Fontaine; il nous montre ainsi qu'en parlant des animaux, il ne nous perd pas de vue un seul instant.

V. 31. Plût-à-Dieu, etc. Tous les procès ne sont pas de nature à être jugés ainsi; et quant a la méthode des Turcs, Dieu nous en préserve. La voici: Le juge, appelé Cadi, prend une connaissance succincte de l'affaire, fait donner la bastonnade à celui qui lui paraît avoir tort, et ce tort se réduit souvent à n'avoir pas donné de l'argent au juge comme a fait son adversaire: puis il renvoie les deux parties.

FABLE XXII.

Je ne connais rien de plus parfait que cet Apologue. Il faudrait insister sur chaque mot, pour en faire sentir les beautés. L'auteur entre en matière sans prologue, sans morale. Chaque mot que dit le chêne fait sentir au roseau sa faiblesse.

V. 5. Un roitelet pour vous est un pesant fardeau.
Le moindre vent qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau, etc.

Et puis tout d'un coup l'amour-propre lui fait prendre le style le plus pompeux et le plus poétique.

V. 8. Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content, etc.

Puis vient le tour de la pitié qui protège, et d'un orgueil mêlé de bonté.

V. 12. Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage.

Enfin il finit par s'arrêter sur l'idée la plus affligeante pour le roseau, et la plus flatteuse pour lui-même.

V. 18. La nature envers vous m'a semblé bien injuste.

Le roseau, dans sa réponse, rend d'abord justice à la bonté du cœur que le chêne a montrée. En effet, il n'a pas été trop impertinent, et il a rendu aimable le sentiment de sa supériorité. Enfin le roseau refuse sa protection, sans orgueil, seulement parce qu'il n'en a pas besoin.

V. 22. Je plie et ne romps pas.

Arrive le dénouement; La Fontaine décrit l'orage avec la pompe de style que le chêne a employée en parlant de lui-même.

V. 27. Le plus terrible des enfans
Que le Nord eût porté jusque-là dans ses flancs.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
V. 30. Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu'il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.

Remarquez que La Fontaine ne s'amuse pas plus à moraliser à la fin de sa fable qu'au commencement. La morale est toute entière dans le récit du fait. Cet Apologue est non-seulement le meilleur de ce premier livre, mais il n'y en a peut-être pas de plus achevé dans La Fontaine. Si l'on considère qu'il n'y a pas un mot de trop, pas un terme impropre, pas une négligence; que dans l'espace de trente vers, La Fontaine, en ne faisant que se livrer au courant de sa narration, à pris tous les tons, celui de la poésie la plus gracieuse, la plus élevée: on ne craindra pas d'affirmer qu'à l'époque où cette fable parut, il n'y avait rien de ce ton là dans notre langue. Quelques autres fables, comme celle des animaux malades de la peste, présentent peut-être des leçons plus importantes, offrent des vérités qui ont plus d'étendue, mais il n'y en a pas d'une exécution plus facile.

LIVRE DEUXIÈME.

FABLE IV.

V. 10. Il ne régnera plus, etc. Voici encore un exemple de l'artifice et du naturel avec lequel La Fontaine passe du ton le plus simple à celui de la haute poésie. Avec quelle grâce il revient au style familier, dans les vers suivans:

V. 13. ... Il faudra qu'on pâtisse
Du combat qu'a causé madame la génisse.

Madame: mot qui donne de l'importance à la génisse. Ce vers rappelle celui de Virgile (Géorg. liv. 3): Pascitur in magnâ silvâ formosa juvenca.

FABLE V.

Cette fable est très-jolie: on ne peut en blâmer que la morale.

V. 33. Le sage dit, selon les gens,
Vive le roi! vive la ligue!

Ce n'est point le sage qui dit cela: c'est le fourbe, et même le fourbe impudent. Quel parti devait donc prendre La Fontaine? Celui de ne pas donner de morale du tout.

Solon décerna des peines contre les citoyens qui, dans un temps de troubles, ne se déclareraient pas ouvertement pour un des partis: son objet était de tirer l'homme de bien d'une inaction funeste, de le jeter au milieu des factieux, et de sauver la république par l'ascendant de la vertu.

Il paraît bien dur de blâmer la chauve-souris de s'être tirée d'affaire par un trait d'esprit et d'habileté, qui même ne fait point de mal à son ennemie la belette; mais La Fontaine a tort d'en tirer la conclusion qu'il en tire.

Il y a des questions sur lesquelles la morale reste muette et ne peut rien décider. C'est ce que l'Aréopage donna bien à entendre dans une cause délicate et embarrassante dont le jugement lui fut renvoyé. Le tribunal ordonna, sans rien prononcer, que les deux parties eussent à comparaître de nouveau dans cent ans.

FABLE VI.

V. 1. Flèche empennée. Le mot empennée n'est point resté dans la langue; c'est que nous avons celui d'emplumée, que l'auteur aurait aussi bien fait d'employer.

V. 9. Des enfans de Japet, etc. La Fontaine se contente d'indiquer d'un seul mot le point d'où sont partis tous les maux de l'humanité.

FABLE VII.

Cette fable, très-remarquable par la leçon qu'elle donne, ne l'est, dans son exécution, que par son élégante simplicité.

La morale de cet Apologue est si évidente, que le goût ordonnait peut-être de ne pas y joindre d'affabulation; c'est le nom qu'on donne à l'explication que l'auteur fait de sa fable

FABLE VIII.

Cette fable est une des plus heureuses et des mieux tournées.

V. 19. Ses œufs, ses tendres œufs, etc. Il semble que l'âme de La Fontaine n'attend que les occasions de s'ouvrir à tout ce qui peut être intéressant. Ce vers est d'une sensibilité si douce, qu'il fait plaindre l'aigle, malgré le rôle odieux qu'il joue dans cette fable.

FABLE IX.

V. 36. J'en vois deux, etc. Tant pis; une bonne fable ne doit offrir qu'une seule moralité, et la mettre dans toute son évidence. Au reste, ce qui peut justifier La Fontaine, c'est que ces deux vérités sont si près l'une de l'autre, que l'esprit les réduit aisément à une moralité seule et unique.

FABLE X.

V. 1. Un ânier, son sceptre à la main,
Menait en empereur romain
Deux coursiers à longues oreilles.

Il y a bien de l'esprit et du goût à savoir tout anoblir sans donner aux petites choses une importance ridicule. C'est ce que fait La Fontaine en mêlant la plaisanterie à ses périphrases les plus poétiques ou à ses descriptions les plus pompeuses.

V. 21. Camarade épongier.

Épongier. Mot créé par La Fontaine, mais employé si heureusement, qu'on croirait qu'il existait avant lui.

FABLES XI ET XII.

Ces deux fables ne comportent aucune espèce de notes, n'étant remarquables ni par de grandes beautés, ni par aucun défaut. C'est la simplicité et la pureté de Phèdre, avec un peu plus d'élégance.

FABLE XIII.

Encore une fable qui n'est point fable. Un trait que La Fontaine raconte en quatre vers, lui donne lieu de causer avec son lecteur, mais pour le jeter dans des questions métaphysiques auxquelles il n'entendait pas grand'chose. De là il fait une sortie contre l'astrologie judiciaire, qui, de son temps, n'était pas encore tombée tout-à-fait.

V. 21. Aurait-il imprimé? etc.

Voilà deux vers qui ne dépareraient pas le poème écrit du style le plus haut et le plus soutenu.

V. 40. Emmenez avec vous les souffleurs tout d'un temps.

Les souffleurs, c'est-à dire les alchymistes, dont la science est à la chymie ce que l'astrologie judiciaire est à l'astronomie.

FABLE XIV.

V. 2. Car que faire en un gîte, à moins que l'on ne songe?

Ce vers est devenu proverbe à cause de son extrême naturel, sans qu'on puisse voir d'ailleurs ce qui a fait sa fortune.

V. 29. Et d'où me vient cette vaillance?

Il se croit déjà brave, et son amour-propre devient son consolateur. Voilà ce me semble la pensée dont il fallait achever le développement; et c'est ce que l'auteur ne fait pas. Au contraire, le lièvre qui vient de parler de sa vaillance, parle de sa poltronnerie dans les deux derniers vers. On pourrait, pour sauver cette faute et cette contradiction, supposer que le lièvre finit de parler après ce vers:

Je suis donc un foudre de guerre!

et que c'est La Fontaine qui dit en son propre nom les deux vers suivans; mais cette conjecture n'est pas assez fondée.

FABLE XV.

Il fallait ce me semble que le renard commençât par dire au coq: «Eh! mon ami, pourquoi n'étais-tu pas aux fêtes qu'on a données pour la paix qui vient de se conclure?» Dans ces vers, nous ne sommes plus en querelle, le renard n'a l'air que de proposer la paix.

V. 17. Que celle
De cette paix.

Ces deux petits vers inégaux ne sont qu'une pure négligence, et ne font nullement beauté.

V. 19. Et ce m'est une double joie
De la tenir de toi, etc.....

Les ressemblances de son déplaisent à l'oreille.

V. 32. Car c'est double plaisir de tromper le trompeur.

V. 29. Malcontent, etc. On dirait aujourd'hui mécontent.

Le coq ne trompe pas le renard, il le joue, il se moque de lui.

FABLE XVI.

V. 8. .... Pour la bouche des dieux.

Cette exposition montre la finesse d'esprit de La Fontaine. Les dieux étaient supposés respirer l'odeur des sacrifices, mais non pas manger les victimes. La Fontaine, par ce mot de la bouche des dieux, indique leurs représentans, qui avaient soin de choisir les victimes les plus belles et les plus grasses.

Les quatre derniers vers sont charmans; le second et le quatrième sont devenus proverbes. Ce rapport de sons répété deux fois entre la rime de eure et celle de eurs, les gâte un peu à la lecture.

FABLE XIX.

Cette fantaisie de chasser doit être trop fréquente chez le lion pour qu'il y ait de la justesse à employer cette expression, se mit en tête; ce mot semble indiquer une fantaisie nouvelle ou du moins assez rare.

Sanglier était autrefois de deux syllabes, ce qui était assez dur à l'oreille.

V. 12. Leur troupe n'était pas encore accoutumée, etc.

Il fallait donc que ce fut au commencement du monde. Cette circonstance paraît bizarre... dit l'âne en se donnant tout l'honneur de la chasse. Il fallait ce me semble que l'âne se rendît tout-à-fait insupportable au lion par ses fanfaronnades; cela eût rendu la moralité de la fable plus sensible et plus évidente.

FABLE XX.

Ce n'est point là une fable; c'est une anecdote dont il est assez difficile de tirer une moralité.

V. 5 Une histoire des plus gentilles.

Quoique ce soit d'Ésope que La Fontaine parle ici et non pas de lui-même, peut-être eût-il été mieux de ne pas promettre que l'histoire serait gentille: on le verra bien.

V. 22. .... Chacune sœur. C'est le style de la pratique; et ce mot de chacune, au lieu de chaque, fait très-bien en cet endroit.

LIVRE TROISIÈME.

FABLE I.

V. 4. Les derniers venus, etc., n'y ont presque rien trouvé.

V. 16. Et que rien ne doit fuir, etc. Locution empruntée de la langue latine.

V. 22. La guerre a ses douceurs, l'hymen a ses alarmes.

Vers charmant.

V. 23. ......... où buter. Ce mot de buter est sec et peu agréable à l'oreille.

V. 74. .... Car, quand il va voir Jeanne. La Fontaine, après nous avoir parlé de quolibets coup sur coup renvoyés, pouvait nous faire grâce de celui-là.

V. 81. Quant à vous, suivez Mars, etc. Ce n'est point La Fontaine qui parle à son lecteur, c'est Malherbe qui continue et qui s'adresse à Racan. Celui-ci ne prit ni femme, ni abbaye, ni emploi; il se livra, à son talent pour la poésie, qui lui fit une grande réputation.

FABLE II.

La Fontaine a pris ici le ton le plus simple, et ne paraît pas chercher le moindre embellissement. Il a craint sans doute qu'on ne le soupçonnât d'avoir voulu lutter contre Horace, qui, dans une de ses Épîtres, a mis en vers cet Apologue d'une manière beaucoup plus piquante et plus agréable.

V. 7. Chacun d'eux résolut de vivre en gentilhomme,
Sans rien faire...

Voilà un trait de satyre qui porte sur le fond de nos mœurs, mais d'une manière bien adoucie. C'est le ton et la coutume de La Fontaine de placer la morale dans le tissu de la narration, par l'art dont il fait son récit.

V. 25. .... Et la chose est égale. Pas si égale. Mais La Fontaine n'y regarde pas de si près. On verra ailleurs qu'il ne traite pas aussi bien l'autorité royale, et que même il se permet un trait de satyre qui passe le but.

FABLE III.

V. 5. Hoqueton. Ce mot se dit et d'une sorte de casaque que portent les archers, et des archers qui la portent.

V. 10. C'est moi qui suis Guillot, berger de ce troupeau.

Comme ce vers peint merveilleusement les fripons et les attentions superflues qu'ils prennent pour le succès de leurs fourberies; attentions qui bien souvent les font échouer!

V. 16. ... Comme aussi sa musette. Ce dernier hémistiche est d'une grâce charmante. Ce qu'il y a de hardi dans l'expression, d'une musette qui dort, devient simple et naturel, préparé par le sommeil du berger et du chien.

V. 22. Mais cela gâta son affaire.

C'est ce qui arrive. On reconnaît l'imposteur à la caricature: les fripons déliés l'évitent soigneusement: et voilà ce qui rend le monde si dangereux et si difficile à connaître.

V. 32. Quiconque est loup, etc.... Il fallait finir la fable au vers précédent, toujours par quelque endroit fourbes se laissent prendre. La Fontaine alors avait l'air de vouloir décourager les fripons, ce qui était travailler pour les honnêtes gens.

FABLE IV.

V. 14. Or c'était un soliveau... Il faut convenir que la conduite de Jupiter, dans cet Apologue, n'est point du tout raisonnable. Il est très-simple de désirer un autre roi qu'un soliveau, et très-naturel que les grenouilles ne veuillent pas d'une grue qui les croque.

FABLE V.

V. 22. Et vous lui fait un beau sermon.

La Fontaine se plaît toujours à développer le caractère du renard, et il le fait sans cesse d'une manière gaie et comique. Les autres fabulistes sont secs auprès de lui.

FABLE VI.

V. 5. Fourbe, moins commun que fourberie.

V. 8. Possible, guères.. Mot que Vaugelas, Ménage et Thomas Corneille ont condamné. L'usage a, depuis La Fontaine, confirmé leur arrêt.

V. 19. Gésine... Mot vieilli, qui ne s'emploie guère que dans les tribunaux.

V. 25. Obligez-moi de n'en rien dire.

C'est la première précaution du fourbe. La Fontaine ne manque pas ces nuances, qui marquent les caractères et les passions.

V. 29. Sottes de ne pas voir, etc... La Fontaine a bien fait de prévenir ses lecteurs sur cette invraisemblance avant qu'ils s'en apperçussent eux-mêmes. Mais elle n'en est pas moins une tache dans cette fable. Il n'est pas naturel que la faim ne force pas tous ces animaux à sortir.

FABLE VII.

V. 1. ... Où toujours il revient. , pour auquel. Selon d'Olivet, auquel ne peut se supporter en vers: pour auquel ne peut se dire. Voilà les poètes bien embarrassés. Racine n'a point reconnu cette règle de d'Olivet.

FABLE VIII.

Cette goutte que l'auteur personnifie pour la mettre en scène avec l'araignée, est une idée assez bizarre et peu digne de La Fontaine.

V. 11. ... Aragne, vieux mot conservé pour le besoin de la rime ou du vers.

FABLE IX.

V. 16. ... Vous êtes une ingrate. Mot qui exprime à merveille un des grands caractères de l'ingratitude, qui compte pour un bienfait le mal qu'elle ne fait pas.

FABLE X.

V. 1. On exposait en peinture. Une femme d'esprit, lasse de voir dans nos livres des peintures satyriques de son sexe, appliqua aux hommes qui font les livres, la remarque du lion de cette fable. Elle avait raison; mais les femmes ont mieux fait depuis: c'est de prendre leur revanche, de faire des livres, et de peindre les hommes à leur tour.

FABLE XI.

V. 1. ... Gascon, d'autres disent Normand. Cette incertitude, ce doute où La Fontaine s'enveloppe avec l'apparence naïve de la bonne foi historique, est bien plaisante et d'un goût exquis.

On a critiqué, et bons pour des goujats, et l'on a eu raison; les goujats n'ont que faire là.

FABLE XII.

V. 8. Tantôt on les eût vus côte à côte nager.

Ce vers et les deux suivans sont d'une vérité pittoresque qui met la chose sous les yeux.

FABLE XIII.

V. 13. ... Louvats. Mot de style burlesque, qui s'emploie, comme on le sait, pour louveteau.

V. 27. J'en conviens; mais de quoi sert-elle,
Avec des ennemis sans foi?

La Fontaine se met ici à côté d'une grande question, savoir jusqu'à quel point la morale peut s'associer avec la politique.

FABLE XIV.

V. 2. Prouesse, action de preux, vieux adjectif qui signifie, en style marotique, brave, vaillant.

FABLE XV.

V. 8. Depuis le temps de Thrace, etc., n'est pas une tournure bien poétique ni bien française: cependant elle ne déplaît pas, parce qu'elle évite cette phrase: depuis le temps où nous étions ensemble dans la Thrace.

FABLE XVI.

V. 25. .... Assez hors de saison. C'est mon avis, et je ne conçois pas pourquoi La Fontaine s'est donné la peine de rimer cette historiette assez médiocre.

FABLE XVII.

V. 19. Ce que je vous dis-là, on le dit à bien d'autres:

La Fontaine, avec sa délicatesse ordinaire, indique les traitans d'alors, tourne court bien vite, comme s'il se tirait d'un mauvais pas.

FABLE XVIII.

Cette fable est charmante d'un bout à l'autre pour le naturel, la gaîté, surtout pour la vérité des tableaux.

LIVRE QUATRIÈME.

FABLE I.

V. 5. Et qui naquîtes toute belle,
A votre indifférence près.

Ces deux vers sont d'une finesse peu connue jusqu'à La Fontaine, mais l'Apologue ne vaut rien. Quoi de plus ridicule que cette supposition d'un lion amoureux d'une jeune fille, de l'entrevue du lion et du beau-père de ce lion, qui se laisse limer les dents? Tranchons le mot, tout cela est misérable. Il était si aisé à La Fontaine de composer un Apologue dont la morale eût été comme dans celui-ci:

Amour! Amour! quand tu nous tiens,
On peut bien dire adieu prudence.

FABLE II.

Cette petite aventure n'est point une fable: La Fontaine l'avoue lui-même par ce vers:

Ceci n'est pas un conte à plaisir inventé.

Il s'en sert pour amener de la morale.

V. 24. ... Assuré. Mauvaise rime.

V. 27. Les conseils de la mer et de l'ambition.

Expression très-noble et rapprochement très-heureux, qui réveille dans l'esprit du lecteur l'idée du naufrage pour le marin et pour l'ambitieux.

FABLE III.

Le commencement de cette fable est charmant. L'indignation de la fourmi contre l'illusion de l'amour-propre, et l'aveuglement de la fourmi qui se compare à elle, peint merveilleusement le délire de la vanité; mais La Fontaine a eu tort d'ajouter

V. 17. Et la dernière main que met à sa beauté
Une femme allant en conquête,
C'est un ajustement des mouches emprunté.

D'abord ajustement n'est pas le mot propre. Ensuite le petit ornement s'appelle mouche en français, et autrement dans une autre langue. Cependant ce jeu de mots est plus supportable que tous ceux qui se trouvent dans la réponse de la fourmi.

V. 39. Les mouches de cour chassées:
Les mouchards sont pendus, etc.

Ce sont de mauvais quolibets qui déparent beaucoup cette fable, dont le commencement est parfait. On se passerait bien aussi du grenier et de l'armoire des deux derniers vers.

FABLE IV.

Voici une fable presque parfaite. La scène du déjeûné, les questions du seigneur, l'embarras de la jeune fille, l'étonnement respectueux du paysan affligé, tout cela est peint de main de maître. Molière n'aurait pas mieux fait.

FABLE V.

Jolie fable, parfaitement écrite d'un bout à l'autre; la seule négligence qu'on puisse lui reprocher est la rime toute usée, qui rime avec pensée.

FABLE VI.

V. 4. .... Étroites. La rime veut qu'on prononce étrettes, comme on le faisait autrefois, et comme on le fait encore en certaines provinces. C'est une indulgence que les poètes se permettent encore quelquefois.

V. 17. Plus d'un guéret s'engraissa.

Ce ton sérieux emprunté des récits de bataille d'Homère, est d'un effet piquant, appliqué aux rats et aux belettes.

V. 50. N'est pas petit embarras.

Il fallait s'arrêter à ces deux vers faits pour devenir proverbe. Les six derniers ne font qu'affaiblir la pensée de l'auteur.

FABLE VII.

Le fait est faux, mais c'est une tradition ancienne. D'ailleurs, La Fontaine évite plaisamment l'embarras d'une discussion; au surplus, on ne voit pas trop quelle est la moralité de cette prétendue fable, qui n'en est pas une.

FABLE VIII.

V. 18. Pline le dit: il faut le croire.

Même défaut dans cet Apologue. Qu'y a-t-il d'étonnant qu'une idole de bois ne réponde pas à nos vœux, et que, renfermant de l'or, l'or paraisse quand vous brisez la statue? Que conclure de tout cela? qu'il faut battre ceux qui sont d'un naturel stupide. Cela n'est pas vrai, et cette méthode ne produit rien de bon..

FABLE IX.

V. 1. Un paon muait, un geai prit son plumage, etc.

Esope met une corneille au lieu d'un geai: la corneille valait mieux, attendu qu'elle est toute noire; sa fantaisie de se parer des plumes du paon n'en était que plus ridicule, et sa prétention plus absurde. C'est Phèdre qui a substitué le geai à la corneille, et La Fontaine a suivi ce changement, qui ne me paraît pas heureux.

Lesseing, fabuliste allemand, a fait une fable où il suppose que les autres oiseaux, en ôtant au geai les plumes du paon, lui arrachent aussi les siennes: c'est ce qui arrive à tous les plagiaires. On finit par leur ôter même ce qui leur appartient.

FABLE X.

V. 1. Le premier, etc. La précision qui règne dans ces quatre premiers vers, exprime à merveille la facilité avec laquelle l'homme se familiarise avec les objets les plus nouveaux pour lui et les plus effrayans. Au reste, ce n'est pas là un Apologue.

FABLE XI.

V. 7. .... L'avent ni le carême, n'avaient que faire là.

V. 13. Elle allégua pourtant les délices du bain.

La Fontaine n'évite rien autant que d'être sec. Voilà pourquoi il ajoute ces vers qui sont charmans, quoiqu'il pût s'en dispenser après avoir dit: Il n'était pas besoin de plus longue harangue.

FABLE XII.

V. 2. Et la raison ne m'en est pas connue.

Ni à moi non plus, attendu que cette fable n'est pas bonne. Alexandre qui demande un tribut aux quadrupèdes, aux vermisseaux, ce lion porteur de cet argent, et qui veut le garder pour lui, tout cela pèche contre la sorte de vraisemblance qui convient à l'Apologue. Au reste, la moralité de cette mauvaise fable, si l'on peut l'appeler ainsi, retombe dans celle du loup et de l'agneau.

La raison du plus fort est toujours la meilleure.

FABLE XIII.

V. 10. Or un cheval eut alors différent.

Cette fable ancienne, l'une de celles qui renferment le plus grand sens, était une leçon bien instructive pour les républiques grecques.

Les trois derniers vers qui contiennent la moralité de la fable, n'en indiquent pas assez, ce me semble, toute la portée. C'est aussi le défaut que l'on peut reprocher au prologue.

FABLE XIV.

V. 1. Les grands, etc. La Fontaine ôte le piquant de ce mot, en commençant par en faire l'application aux grands. Il ne fallait que le dernier vers.

FABLES XV ET XVI.

Ces deux fables me paraissent assez médiocres, et on se passerait fort bien du dicton picard.

FABLE XVII.

Pourquoi mettre ce mot de Socrate dans un recueil d'Apologues?

FABLE XVIII.

V. 4. C'est peindre nos mœurs, etc.

Voilà le grand mérite des fables de La Fontaine, et personne ne l'avait eu avant lui.

Il était inutile d'ajouter et non pas par envie; le désir de surpasser un auteur mort il y a deux mille quatre cents ans, ne peut s'appeler envie. C'est une noble émulation qui ne peut être suspecte. Celui même de surpasser un auteur vivant, ne prend le nom d'envie que lorsque ce sentiment nous rend injuste envers un rival.

V. dernier. Profiter de ces dards unis et pris à part.

La consonnance de ce mot dards, placé à l'hémistiche avec la rime à part, offense l'oreille.

FABLE XIX.

V. 1. Vouloir tromper le ciel, etc.

Ces cinq premiers vers sont nobles et imposans, ils ont pourtant un défaut. Il s'agit d'un prêtre d'Apollon, par conséquent d'un fourbe, d'un payen incrédule, par conséquent d'un homme de bon sens; et La Fontaine se fâche et parle comme s'il s'agissait du vrai dieu, d'un prêtre du dieu suprême.

Ce ridicule se trouve dans les histoires ancienne et romaine de Rollin. Ce digne professeur s'emporte contre ceux qui ne croyaient pas à Jupiter, à Neptune. Il suppose, sans y songer, que ces gens-là, nés parmi nous, n'auraient pas cru à notre religion.

FABLE XX.

Cette petite pièce n'est point une fable; c'est une aventure très-bien contée, dont La Fontaine tire une moralité contre les avares. Le trait qui la termine, joint au piquant d'un saillie épigrammatique l'avantage de porter la conviction dans les esprits.

V. 13. Son cœur avec..... n'est ni harmonieux ni élégant; mais est d'une vivacité et d'une précision qui plaisent.

FABLE XXI.

V. 1. Un cerf s'étant sauvé.... Cette fable est un petit chef-d'œuvre. L'intention morale en est excellente, et les plus petites circonstances s'y rapportent avec une adresse ou un bonheur infini. Observons quelques détails.

V. 3. Qu'il cherchât un meilleur asyle.

Voilà le dénouement préparé dès les trois premiers vers.

V. 5. Mes frères... je vous enseignerai...

Il parle là comme s'il était de leur espèce.

V. 5. ... Les pâtis les plus gras.

Voyez avec quel esprit La Fontaine saisit le seul rapport d'utilité dont le cerf puisse être aux bœufs.

V. 12. ... Les valets font cent tours,
L'intendant même.

Maison très-bien tenue! tout le monde paraît à sa besogne et ne fait rien qui vaille.

V. 14. N'apperçut ni cor, ni ramure.

Cela ne paraît guère vraisemblable, et voilà pourquoi cela est excellent.

V. 20. ... L'homme aux cent yeux...

Cette courte périphrase exprime tout, et le discours du maître est excellent.... Je trouve bien peu d'herbe....... Cette litière est vieille...... Qu'ont fait les valets avec leurs cent tours?

V. 34. Ses larmes ne sauraient...

La Fontaine ne néglige pas la moindre circonstance capable de jeter de l'intérêt dans son récit.

V. dernier. Quant à moi, j'y mettrais encor l'œil de l'amant.

Ce dernier vers produit une surprise charmante. Voila de ces beautés que Phèdre ni Esope n'ont point connues.

FABLE XXII.

V. 2. Voici comme Esope le mit
En crédit.

Il fallait mettre ces deux vers en un, ce qui était facile, et ce qui sauvait en même temps les trois rimes consécutives en it.

V. 6. .... Environ le temps
Que tout aime....

Un mot suffit à La Fontaine pour réveiller son imagination mobile et sensible. Le voilà qui s'intéresse au sort de cette alouette, qui a passé la moitié d'un printemps sans aimer.

V. 13. A toute force enfin elle se résolut
D'imiter la nature et d'être mère encore.

L'importance que La Fontaine donne à cet oiseau est charmante.

V. 24. .... Avecque... Ce mot, dans La Fontaine, se trouve souvent de trois syllabes, ce qui rend le vers pesant. On ne supporte plus cette licence.

V. 34. ... Il a dit..... Avec quelle vivacité est peint l'empressement des enfans à rendre compte à leur mère.

Aider, écouter, manger, mauvaises rimes, c'est dommage. On voudrait que cette fable fût parfaite.

V. 36. S'il n'a dit que cela..... Peut-on mettre la morale en action d'une manière plus sensible et plus frappante?

V. 50. Il a dit ses parens, mère! c'est à cette heure...
Non......

Comme la leçon se fortifie par la sécurité de l'alouette.

V. 67. Voletans et se culbutans.

Ce vers de sept syllabes entre deux vers de huit syllabes donne du mouvement au tableau, et exprime le sens-dessus dessous avec lequel la petite famille déménage. La Fontaine ne pouvait guère finir par une plus jolie fable.

LIVRE CINQUIÈME.

FABLE I.

Vers 6. Un auteur gâte tout... On voit, par ce petit prologue, que La Fontaine méditait plus qu'on ne le croit communément sur son art et sur les moyens de plaire à ses lecteurs. Madame de la Sablière l'appelait un fablier, comme on dit un pommier; et d'après ce mot, on a cru que La Fontaine trouvait ses fables au bout de sa plume. La multitude de ses négligences a confirmé cette opinion; mais sa négligence n'était que la paresse d'un esprit aimable qui craint le travail de corriger, de changer une mauvaise rime, etc. Il y a quelques négligences même dans ce Prologue:

V. 11. Enfin si, dans mes vers, je ne plais et n'instruis,
Il ne tient pas à moi; c'est toujours quelque chose.

Cela est commun et ne valait pas trop la peine d'être dit; mais il y a plusieurs vers charmans, comme:

V. 6. Un auteur gâte tout quand il veut trop bien faire;
Non qu'il faille bannir certains traits délicats:
Vous les aimez ces traits, et je ne les hais pas.

V. 20. Deux pivots sur qui roule aujourd'hui notre vie.

Ce vers et cent autres prouvent que La Fontaine ne manque point de force, quoiqu'il ne s'en pique point; mais il la cache sous un air de bonhommie.

V. 27. Une ample comédie à cent actes divers.

C'est là le grand mérite de La Fontaine, et c'est son secret qu'il nous donne. Tous les fabulistes ont fait parler les animaux; mais La Fontaine entre, plus qu'eux tous, dans le secret de nos passions, quand il les fait parler.

V. 31. .... Aux belles la parole. Parole et rôle riment très-mal. La difficulté de la rime a fait pardonner cette faute à des poètes moins négligés que La Fontaine.

V. 33. Un bûcheron.... Cette fable, et les quatre suivantes, sont du ton le plus simple. Elles n'ont ni de grandes beautés, ni de grands défauts. Elles n'offrent rien de bien remarquable.

FABLE II.

V. 25. Au moindre hoquet qu'ils treuvent.

Treuvent... avecque... Ces mots-là, qu'on pardonnait autrefois, sont devenus barbares. Je l'ai déjà observé, et je n'y reviendrai plus.

FABLE III.

V. 26. Quelques gros partisans...

Voilà un bon trait de satyre, et il est plaisant de faire parler ainsi le petit poisson.

FABLE IV.

V. 11. N'allât interpréter à cornes leur longueur.

Ce tour n'est guère dans le génie de notre langue, et la grammaire trouverait à chicanner; mais le sens est si clair que ce vers ne déplaît pas.

V. 20. ... Et cornes de licornes.

Cette consonnance fait ici un très-bon effet, parce qu'elle arrête l'esprit sur l'idée de l'exagération qu'emploient les accusateurs.

FABLE V.

V. 15. Mais tournez-vous de grâce...

Molière n'aurait pas dit la chose d'une manière plus comique.

FABLE VI.

Voici une fable où La Fontaine retrouve ses pinceaux et sa poésie, ce mélange de tours et cette variété de style qui est propre. La peinture du travail des servantes, celle de l'instant de leur réveil, sont parfaites. Dans la plupart des éditions, il y a une faute qui défigure le sens, toutes entraient en jeu: il faut lire, vers 7, tourets entraient au jeu. Ce sont de petits tours à dévider le fil.

FABLE VII.

Cette fable est visiblement une des plus mauvaises de La Fontaine. On a déjà remarqué que le satyre, ou plutôt le passant, fait une chose très-sensée en se servant de son haleine pour réchauffer ses doigts, et en soufflant sur sa soupe afin de la refroidir; que la duplicité d'un homme qui dit tantôt une chose et tantôt l'autre n'a rien de commun avec cette conduite, et qu'ainsi il fallait trouver une autre emblême, une autre allégorie pour exprimer ce que la duplicité a de vil et d'odieux.

FABLE VIII.

V. 2. Que les tièdes zéphirs ont l'herbe rajeunie.

Cette transposition, au lieu de ont rajeuni l'herbe, était autrefois admise dans le style le plus noble; elle n'est plus reçue que dans le style familier, et encore faut-il en user sobrement. Elle vieillit tous les jours.

Prés... propriétés.... Mauvaises rimes.

V. 24. Mon fils... L'hypocrite redouble de tendresse au moment où il se croit sûr de réussir.

FABLE IX.

V. 10. ...Dès qu'on aura fait l'oût.

L'oût. Vieux mot qui veut dire la moisson, et dont on se sert encore en quelques provinces.

FABLE X.

V. 8. Dont le récit est menteur,
Et le sens est véritable.

Toutes les fables, quand elles sont bien faites, doivent être dans le même cas, et cacher un sens vrai sous le récit d'une action inventée. D'où vient donc La Fontaine n'applique-t-il cette réflexion qu'à l'Apologue actuel? Serait-ce qu'une montagne prête d'accoucher lui aurait paru plus contraire à la vraisemblance qu'une lime qui adresse la parole à un serpent? Cela serait une grande bonhommie.

V. 14. Du vent.

Ce vers de deux syllabes fait ici un effet très-agréable; et on ne peut exprimer mieux la nullité de la production annoncée avec faste.

FABLE XI.

Celte fable n'est guère remarquable que par la simplicité du ton et la pureté du style.

FABLE XII.

Cette fable est moins un apologue qu'une épigramme. Comme telle, elle est même parfaite, et elle figurerait très-bien parmi les épigrammes de Rousseau.

FABLE XIII.

Il crut que dans son corps elle avait un trésor.

Cette consonnance de l'hémistiche et de la rime est désagréable à l'oreille.

FABLE XIV.

Les deux derniers vers de cette petite fable sont devenus proverbe.

D'un magistrat ignorant,
C'est la robe qu'on salue.

FABLE XV.

V. 2. ... En de certains climats. En Italie, par exemple, où l'on marie la vigne à l'ormeau, au tilleul, etc.

V. 6. Broute sa bienfaitrice... Est une expression hardie, mais amenée si naturellement, qu'on ne songe point à cette hardiesse.

FABLE XVI.

V. 13. Je ne crains que celle du temps.

Cette idée très-philosophique, jetée dans le discours que La Fontaine prête à la lime, fait beaucoup d'effet, parce qu'elle est entièrement inattendue.

FABLE XVII.

V. 2. Car qui peut s'assurer d'être toujours heureux?

Cette raison de ne pas se moquer des misérables, a l'air d'être peu noble et peu généreuse. En effet, une âme honnête ne se moquerait pas des misérables, quand même elle serait assurée d'être toujours dans le bonheur. Mais La Fontaine se contente de nous renvoyer au simple bon sens, et fonde sa morale sur la nature commune et sur la raison vulgaire. On a remarqué qu'il n'était pas le poète de l'héroïsme, c'est assez pour lui d'être celui de la nature et de la raison.

V. 15. Sur leur odeur ayant philosophé,
Conclut.........
Et Rustaut qui n'a jamais menti.

La Fontaine se sert exprès de ces expressions qui appartiennent à l'art de raisonner, que l'homme dit être son seul partage, et que Descartes refuse aux animaux.

FABLE XVIII.

V. 9. Comme vous êtes roi, vous ne considérez
Qui ni quoi........

N'est-il pas plaisant de supposer que ce soit un effet nécessaire et une suite naturelle de la royauté, de n'avoir d'égard ni pour les choses ni pour les personnages? Ce tour est très-satyrique, et sa simplicité même ajoute à ce qu'il a de piquant.

V. 21. ... Dieu donna géniture.

Les cinq rimes en ure font un effet très-mauvais, et c'est pousser la négligence, c'est-à dire la paresse un peu trop loin. Il était bien aisé de corriger cela.

V. 37. Ou plutôt la commune loi.

Cela est vrai; mais s'il est ainsi, à quoi sert la morale en général, et où est la morale de cette fable en particulier? Pour donner une moralité à cet Apologue, il fallait faire entendre que l'esprit consiste à s'élever au-dessus des illusions de l'amour propre, et que notre véritable intérêt doit nous conseiller de nous défier sans cesse de notre vanité.

FABLE XIX.

La manière dont le roi distribue les emplois de son armée est très-ingénieuse; ces quatre vers qui expriment la moralité de cette fable sont excellens, et le dernier surtout est parfait.

Le monarque prudent et sage,
De ses moindres sujets sait tirer quelque usage,
Et connaît les divers talens.
Il n'est rien d'inutile aux personnes de sens

FABLE XX.

V. 4. ... Du moins à ce qu'ils dirent.

Cette suspension fait un effet charmant. Jusqu'à ce mot, on croirait que l'ours est mort, ou du moins pris et enchaîné.

V. 15. ... Il fallut le résoudre... se défaire.

Ce mot de résoudre se prenait autrefois dans le sens que lui donne La Fontaine.

V. 28. ... Otons-nous, car il sent.

Peut-on peindre mieux l'effet de la prévention? Cela me rappelle une farce dans laquelle Arlequin est représenté, couchant dans la rue. Il se plaint du froid. Scapin fait avec sa bouche le bruit d'un rideau qu'on tire le long de sa tringle. Il demande à Arlequin comment il se trouve à présent. Oh! dit celui-ci, il n'y a pas de comparaison.

V. 37. Il ma dit qu'il ne faut jamais
Vendre la peau de l'ours qu'on ne l'ait mis par terre.

La morale dans la bouche de celui qui vient d'être châtié, fait ici un effet d'autant meilleur que le trait est saillant et l'épigramme excellente.

FABLE XXI.

Cette petite fable, ainsi que plusieurs de ce cinquième livre, est du ton le plus simple: les deux meilleures sans contredit sont celles de l'ours et celle de la vieille et les deux servantes. Nous serons plus heureux dans le livre suivant.

LIVRE SIXIÈME.

FABLE I.

V. 1. Les fables ne sont pas, etc.

Voici encore un Prologue, mais moins piquant et moins agréable que celui du livre précédent; cependant on y reconnaît toujours La Fontaine, ne fût-ce qu'à ce joli vers:

V. 6. Et conter pour conter me semble peu d'affaires.

Ce vers devrait être la devise de tous ceux qui font des fables et même des contes.

V. 18. ... L'un amène un chasseur...

Cette fable et la suivante semblent être la même et n'offrir qu'une seule moralité. Il y a cependant des différences à observer. Dans la première, c'est un paysan qu'on ne peut accuser que d'imprudence, quand il suppose que sa brebis n'a pu être mangée que par un loup. Il se croit assez fort pour combattre cet animal, et trouve à décompter quand il voit qu'il a affaire à un lion. Il n'en est pas de même de la fable suivante. Celui qui en est le héros, sait très-bien qu'il va combattre un lion, et cependant il est saisi de frayeur quand il voit le lion paraître. C'est un fanfaron qui l'est, pour ainsi dire, de bonne foi, et en se trompant lui-même.

Il convenait, ce me semble, que La Fontaine exprimât cette différence et donnât deux moralités diverses. Le paysan n'est nullement ridicule et le chasseur l'est beaucoup. Je crois que la morale du premier Apologue aurait pu être: connaissez bien la nature du péril dans lequel vous allez vous engager. Et la morale du second: connaissez-vous vous-même, ne soyez pas votre dupe, et ne vous en rapportez pas au faux instinct d'un courage qui n'est qu'un premier mouvement. Au surplus, l'exécution de ces deux fables est agréable, sans avoir rien de bien saillant.

FABLE III.

V. 1. Borée et le soleil... Voici une des meilleures fables. L'auteur y est poète et grand poète, c'est-à dire grand peintre, comme sans dessein et en suivant le mouvement de son sujet. Les descriptions agréables et brillantes y sont nécessaires au récit du fait. Observons tous ce vers imitatif... siffle, souffle, tempête, etc. N'oublions par sur-tout ce trait qui donne tant à penser:

... Fait périr maint bateau;
Le tout au sujet d'un manteau.

Enfin la moralité de la fable exprimée en un seul vers:

Plus fait douceur que violence.

Je n'y vois à critiquer que les deux mauvaises rimes de paroles et d'épaules.

FABLE IV.

V. 9. ... Pourvu que Jupiter, etc.

L'idée de rendre sensible par une fable, que la Providence sait ce qu'il nous faut mieux que nous, est très-morale et très-philosophique; mais je ne sais si le fait par lequel La Fontaine veut la prouver est vraisemblable. Il paraît certain que le laboureur qui disposerait des saisons, aurait un grand avantage sur ceux qui sont obligés de les prendre comme elles viennent, et qu'il consentirait volontiers à laisser doubler ses baux à cette condition. A cela près, la fable est très-bonne, quoiqu'un goût sévère critiquât peut-être comme trop familiers et voisins du bas ces deux vers:

V. 13. Enfin du sec et du mouillé,
Aussi-tôt qu'il aurait baillé.

V. 16. Tranche du roi des airs, pleut, vente, etc.

Ces mots pleut, vente, pour dire, fait pleuvoir, fait venter, ne sont pas français en ce sens.

Ce sont de ces verbes que les grammairiens appellent impersonnels, parce que personne n'agit par eux; mais La Fontaine a si bien préparé ces deux expressions, par ce mot tranche de roi des airs; ces mots, pleut, vente, semblent en cette occasion si naturels et si nécessaires, qu'il y aurait de la pédanterie à les critiquer. L'auteur brave la langue française et a l'air de l'enrichir. Ce sont de ces fautes qui ne réussissent qu'aux maîtres.

FABLE V.

V. 1. Un souriceau tout jeune, etc....

Voici encore une de ces fables qui peuvent passer pour un chef-d'œuvre. La narration et la morale se trouvent dans le dialogue des personnages, et l'auteur s'y montre à peine, si ce n'est dans cinq ou six vers qui sont de la plus grande simplicité. Le discours du souriceau, la peinture qu'il fait du jeune coq, cette petite vanité,

V. 20. Que moi, qui, grâce aux dieux, de courage me pique.

Ce beau raisonnement, cette logique de l'enfance, il sympathise avec les rats.

V. 29. ... Car il a des oreilles
En figure aux nôtres pareilles.

Tout cela est excellent, et le discours de la mère est parfait: pas un mot de trop dans toute la fable, et pas une seule négligence.

FABLE VI.

V. 1. Les animaux au décès d'un lion.

Cette fable écrite purement et où le fait est bien raconté, a, ce me semble, le défaut de n'avoir qu'un but vague, incertain, et qu'on a de la peine à saisir.

V. dernier. A peu de gens convient le diadême,

dit La Fontaine; mais il y avait bien d'autres choses renfermées dans cet Apologue. La sottise des animaux qui décernent la couronne aux talens d'un bateleur, devrait être punie par quelque catastrophe, et il ne leur en arrive aucun mal. Les animaux restent sans roi. L'assemblée se sépare donc sans rien faire. Le lecteur ne sait où il en est, ainsi que les animaux que l'auteur introduit dans cette fable.

FABLE VII.

Fable très-bonne dans le genre le plus simple et presque sans ornemens.

FABLE VIII.

V. 1. Le mulet d'un prélat...

V. 15. Notre ennemi c'est notre maître.

On ne cesse de s'étonner de trouver un pareil vers dans La Fontaine, lui qui dit ailleurs:

On ne peut trop louer trois sortes de personnes,
Les dieux, sa maîtresse et son roi.

Lui qui a dit dans une autre fable:

Je devais par la royauté
Avoir commencé mon ouvrage.

On ne lui passerait pas maintenant un vers tel que celui-là, et on ne voit pas pourtant qu'on le lui ait reproché sous Louis XIV. Les écrivains de nos jours, qu'on a le plus accusés d'audace, n'ont pas poussé la hardiesse aussi loin. On pourrait observer à La Fontaine que notre maître n'est pas toujours notre ennemi, qu'il ne l'est pas lorsqu'il veut nous faire du bien et qu'il nous en fait; que Titus, Trajan furent les amis des Romains et non pas leurs ennemis; que l'ennemi de la France était Louis XI, et non pas Henri IV.

FABLE IX.

V. 21. Nous faisons cas du beau, nous méprisons l'utile.

C'est-là un des Apologues de La Fontaine dont la moralité a le plus d'applications, et qu'il faut le plus souvent répéter à notre vanité, qui est, comme il dit ailleurs,

Le pivot sur qui tourne aujourd'hui notre vie.

FABLE X.

V. 7. Avec quatre grains d'ellébore.

C'était l'herbe avec laquelle on traitait la folie. Cette plante a perdu chez nous cette propriété.

V. 25. Croit qu'il y va de son honneur
De partir tard....

Toujours la vanité.

V. 31. Furent vains... La coupe de ce vers et ce monosyllabe au troisième pied, expriment à merveille l'inutilité de l'effort que fait le lièvre.

V. 34. ... Et que serait-ce
Si vous portiez une maison?

Trait admirable; la tortue non contente d'être victorieuse, brave encore le vaincu. C'est dans la joie qui suit un avantage remporté, que l'amour-propre s'épanche plus librement. La nature est ainsi faite chez les tortues et chez les hommes. Louez une jolie pièce de vers, il est bien rare que l'auteur n'ajoute, je n'ai mis qu'une heure, un jour, plus ou moins; et s'il s'abstient de dire cette sottise, c'est qu'il y réfléchit, c'est qu'il remporte une victoire sur lui-même, c'est qu'il craint le ridicule.

FABLE XI.

V. 20. ... Quoi donc! dit le Sort en colère...

Il faut convenir que l'âne n'a pas tout-à fait tort de se plaindre. Le Destin, dans cette-fable-ci, a-presque autant d'humeur que Jupiter dans la fable des grenouilles, du soliveau et de l'hydre. Mais j'ai déjà observé que la morale de la résignation est toujours excellente à prêcher aux hommes, bien entendu que le mal est sans remède.

FABLE XII.

V. dernier. .... Pour un pauvre animal,
Grenouilles, à mon sens, ne raisonnaient pas mal.

Voici une de ces vérités épineuses qui ne veulent être dites qu'avec finesse et avec mesure. La Fontaine y en met beaucoup; et ce dernier vers, malgré son apparente simplicité, laisse entrevoir tout ce qu'il ne dit pas. Cela vaut mieux que, notre ennemi, c'est notre maître.

FABLE XIII.

V. 2. Charitable autant que peu sage;

Et à la fin,

Il est bon d'être charitable;
Mais envers qui? c'est là le point.

Voilà ce qu'il fallait peut-être développer. Il fallait faire voir que la bienfaisance qui peut tourner contre nous-mêmes, ou contre la société, est souvent un mal plutôt qu'un bien; que, pour être louable, elle a besoin d'être éclairée. C'est-là la matière d'un bon Prologue. La Fontaine en a fait de charmans sur des sujets moins heureux. Au reste, il n'y a rien à dire à l'exécution de cet Apologue. Le tableau du serpent qui se redresse, le vers

V. 25. Il fait trois serpens de deux coups,

mettent la chose sous les yeux. On pourrait peut-être critiquer, cherche à se réunir, pour dire à réunir les trois portions de son corps; mais La Fontaine a cherché la précision.

FABLE XVI.

V. 1. De par le roi des animaux,
. . . . . . . . . . . . . .
Fut fait savoir, etc.

J'ai déjà observé que ces formules, prises dans la société des hommes et transportées dans celle des bêtes, ont le double mérite d'être plaisantes et de nous rappeler sans cesse que c'est de nous qu'il s'agit dans les fables.

V. 18. Pas un ne marque de retour.

Peut-être était-il d'un goût plus sévère de s'arrêter là et de ne pas ajouter les vers suivans, qui n'enchérissent en rien sur la pensée. Cependant on a retenu les trois derniers vers de cet Apologue, et c'est ce qui justifie La Fontaine.

..... Mais dans cet antre,
Je vois fort bien comme l'on entre,
Et ne vois pas connue on en sort.

FABLE XV.

V. 9. Sur celle qui chantait quoique près du tombeau.

Voyez combien ce vers de sentiment jette d'intérêt sur le sort de cette pauvre allouette.

V. 12. Elle sent son ongle maligne.

Maligne rime très-mal avec machine. C'est ce qu'on appelle une rime provinciale.

V. 17. .... Ce petit animal
T'en avait-il fait davantage?

Le défaut de cet Apologue est de manquer d'une exacte justesse dans la morale qu'il veut insinuer. Ce défaut vient de ce qu'il est dans la nature qu'un autour mange une allouette, et qu'il n'est pas dans la nature bien ordonnée qu'un homme nuise à son semblable. De plus, l'autour aurait bien pu manger l'alouette, quand celle-ci n'aurait pas été prise dans le filet.

FABLE XVI.

Cette fable très-simple n'est susceptible d'aucune remarque intéressante.

FABLE XVII.

Un chien qui est dans l'eau trouble l'eau, et ne saurait y voir l'ombre de sa proie. Si ce chien était sur une planche ou dans un bateau, il fallait le dire.

FABLE XVIII.

V. 1. Le phaéton d'une voiture à foin.

Aucun poète français ne connaissait, avant La Fontaine, cet art plaisant d'employer des expressions nobles et prises de la haute poésie, pour exprimer des choses vulgaires ou même basses. C'est un des artifices qui jette le plus d'agrément dans le style.

V. 21. Hercule veut qu'on se remue.

Vers charmant qui méritait de devenir proverbe, comme l'est devenu le dernier vers:

Aide-toi, le ciel t'aidera.

Remarquons la vivacité du dialogue entre le charretier et la voix d'Hercule.

FABLE XIX.

V. 7. Un des derniers se vantait d'être......

Le fond de cette fable est un fait arrivé dans une petite ville d'Italie; mais le charlatan n'avait fait cette promesse qu'à l'égard d'un sot, d'un stupide, et non pas d'un âne: cela était moins invraisemblable, mais n'était pas si plaisant. Que fait La Fontaine? Il charge, pour rendre la chose plus comique; à la place du stupide, il met un âne, un âne véritable. Pour cela, il fait parler le charlatan même. Scène entre le charlatan, le prince et un plaisant de la cour. De ce fonds, qui était assez médiocre, La Fontaine sait tirer des détails plaisans; et le tout finit par une leçon excellente.

FABLE XX.

V. 4. Chez l'animal qu'on appelle homme,
On la reçut à bras ouverts.

Bonne satire de l'humanité en général; puis vient la satire de la société, de l'homme civilisé qui n'a fait, par les conventions sociales, que multiplier les sujets de discorde. La Fontaine ne sort pas du ton de la plus simple bonhommie, et c'est ce qui rend cette fable si piquante. La difficulté de loger la discorde, parce qu'il n'y avait point de couvent de filles, est un trait imité de l'Arioste, qui la loge chez les moines; mais La Fontaine qui voulait la loger chez les époux, a su tirer parti de cette imagination de l'Arioste.

FABLE XXI.

V. 1. La perte d'un époux ne va pas sans soupirs.

Le seul défaut de cette fable est de n'en être pas une. C'est une pièce de vers charmante. Le Prologue est plein de finesse, de naturel et de grâce. Tous ceux qui aiment les vers de La Fontaine, le savent presque par cœur.

Le discours du père à sa fille est à la fois plein de sentiment, de douceur et de raison. La réponse de la jeune veuve est un mot qui appartient encore à la passion ou du moins le paraît. La description de divers changemens que le temps amène dans la toilette de la veuve; ce vers:

Le deuil enfin sert de parure;

Et enfin le dernier trait:

Où donc est le jeune mari?

On ne sait ce qu'on doit admirer davantage. C'est la perfection d'un poète sévère avec la grâce d'un poète négligé.

ÉPILOGUE.

V. 1. Loin d'épuiser une matière,
On n'en doit prendre que la fleur.

On verra, par un grand nombre de fables du volume suivant, que La Fontaine aurait bien fait de prendra pour lui-même le conseil qu'il donne ici. On verra que plusieurs des fables qu'il fit dans sa vieillesse, déparent un peu son charmant recueil.

V. 5. Il s'en va temps.... Tournure un peu gauloise, mais qui n'est pas sans grâce, pour dire, il est bien temps.

V. 15. Heureux! On sait que l'époux de Psyché, c'est l'Amour.

LIVRE SEPTIÈME.

DÉDICACE A MADAME DE MONTESPAN.

V. 1. L'Apologue est un don qui vient des immortels.

Ce que dit La Fontaine est presque d'une vérité exacte, et est au moins d'une vérité poétique. On trouve des Apologues jusques dans les plus anciens livres de la bible. En voici un bien extraordinaire:

Les arbres voulurent un jour se choisir un Roi. Ils s'adressèrent d'abord à l'olivier et lui dirent: règne. L'olivier répondit: je ne quitterai pas le soin de mon huile pour régner sur vous. Le figuier dit qu'il aimait mieux ses figues que l'embarras du pouvoir suprême. La vigne donna la préférence à ses raisins. Enfin les arbres s'adressèrent au buisson; le buisson répondit: Je vous offre mon ombre.

On sent tout ce qu'il y a de hardi dans cette idée; et si on trouvait une telle fable dans les écrits de ceux qu'on nomme philosophes, on se récrierait contre cette audace. Heureusement le Saint-Esprit n'est pas exposé aux persécutions, et ne les craint pas plus qu'il ne les inspire ou ne les approuve.

V. 23. Paroles et regards, tout est charme dans vous.

Cet éloge est trop direct, et le goût délicat de madame de Montespan eût sans doute été plus flatté d'une louange plus fine. Tout ce que lui dit La Fontaine est assez commun; mais il y a deux vers bien singuliers:

V. 37. Et d'un plus grand maître que moi
Votre louange est le partage.

Ce grand maître était, comme on le sait, Louis XIV. Peut-être un autre que La Fontaine n'eut pas osé s'exprimer aussi simplement; mais la bonhommie a bien des droits.

FABLE I.

Ce second volume ouvre par le plus beau des Apologues de La Fontaine, et de tous ses Apologues. Outre le mérite de l'exécution, qui dans son genre est aussi parfaite que celle du chêne et du roseau, cette fable a l'avantage d'un fond beaucoup plus riche et plus étendu; et les applications morales en sont bien autrement importantes. C'est presque l'histoire de toute société humaine.

Le lieu de la scène est imposant; c'est l'assemblée générale des animaux. L'époque en est terrible, celle d'une peste universelle; l'intérêt aussi grand qu'il peut être dans un Apologue, celui de sauver presque tous les êtres; hôtes de l'univers sous le nom d'animaux, comme a dit La Fontaine dans un autre endroit. Les discours des trois principaux personnages, le lion, le renard et l'âne, sont d'une vérité telle que Molière lui-même n'eût pu aller plus loin. Le dénouement de la pièce a, comme celui d'une bonne comédie, le mérite d'être préparé sans être prévu, et donne lieu à une surprise agréable, après laquelle l'esprit est comme forcé de rêver à la leçon qu'il vient de recevoir, et aux conséquences qu'elle lui présente.

Passons au détail.

L'auteur commence par le plus grand ton... Un mal qui répand la terreur, etc... C'est qu'il veut remplir l'esprit du lecteur de l'importance de son sujet, et de plus il se prépare un contraste avec le ton qu'il va prendre dix vers plus bas.

V. 13. Les tourterelles se fuyaient;
Plus d'amour, partant plus de joie.

Quel vers que ce dernier! et peut-on mieux exprimer la désolation que par le vers précédent?... Les tourterelles se fuyaient. Ce sont de ces traits qui valent un tableau tout entier.

Il paraît, par le discours du lion, qu'il en agit de très-bonne foi, et qu'il se confesse très-complettement. Remarquons pourtant après ce grand vers:

V. 28. Même il m'est arrivé quelquefois de manger

Remarquons ce petit vers...

Le berger.

Il semble qu'il voudrait bien escamoter un péché aussi énorme. On se rappelle cet acteur qui, dans Dupuis et Desronais, escamote par sa prononciation le mot de cette petite, ste-p-tite fille.

Voyez ensuite ce scélérat de renard, ce maudit flatteur, qui ôte à son roi le remords des plus grands crimes.

V. 37. ... Vous leur fîtes, seigneur,
En les croquant beaucoup d'honneur.

Puis vient ce trait de satire contre l'homme et contre ses prétentions à l'empire sur les animaux, reproche qui est assez grave à leurs yeux pour justifier leur roi d'avoir mangé le berger même. Aussi le discours du renard a un grand succès.

Je ne dirai rien des grandes puissances qui se trouvent innocentes, mais pesons chaque circonstance de la confession de l'âne.

V. 49. .... J'ai souvenance....
Qu'en un pré de moines passant....

Il ne faisait que passer. L'intention de pécher n'y était pas. Et puis un pré de moines! la plaisante idée de La Fontaine d'avoir choisi des moines, au lieu d'une commune de paysans, afin que la faute de l'âne fût la plus petite possible, et la confession plus comique.

V. 56. Un loup quelque peu clerc.....

Voilà la science et la justice aux ordres du plus fort, comme il arrive, et n'épargnant pas les injures, ce pelé, ce galeux, etc.

Enfin vient la morale énoncée très-brièvement:

V. 63. Selon que vous serez heureux ou misérable,
Les jugemens de cour vous rendront blanc ou noir.

Non-seulement les jugemens de cour, mais les jugemens de ville et je crois ceux de village. Presque partout, l'opinion publique est aussi partiale que les lois. Partout on peut dire comme Sosie dans l'Amphytrion de Molière:

Selon ce que l'on peut être,
Les choses changent de nom.

FABLE II.

V. 6. Ne trouvez pas mauvais.....

Je ne sais pourquoi La Fontaine parle ainsi. On sait qu'il fut marié. Oublierait-il sa femme? Rien n'est plus vraisemblable; il vécut loin d'elle presque toute sa vie. Au surplus, après un Apologue excellent, voilà une fable fort médiocre, et même on peut dire que ce n'est pas une fable. C'est une aventure fort commune qui ne méritait guère la peine d'être rimée.

FABLE III.

V. 1. Les Lévantins, etc...

On verra à la fin pourquoi La Fontaine met le lieu de la scène dans le Levant.

V. 2. .... Las des soins d'ici bas,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Se retira, etc.....

Remarquez ces expressions qui appartiennent à la langue dévote. C'est ainsi que Molière met tous les termes de la mysticité dans la bouche de Tartuffe.

V. 5. La solitude était profonde.

Ces mots si simples, si usités, deviennent plaisans ici, parce que cette solitude était un vaste fromage.

V. 10. .... Que faut-il davantage?

Quelle modération!

V. 11. .... Dieu prodigue ses biens...

Allusion bien mesurée à la richesse de ceux qui ont renoncé aux biens du siècle.

V. 14. Des députés...

Otez des huit vers suivans ces mots de Rats, Chats, Ratopolis, vous croiriez qu'il s'agit d'une grande république, et que c'est ici une narration de Vertot ou de Rollin.

V. 25. Les choses d'ici bas ne me regardent plus.

Nous avons vu un peu plus haut le prétexte de la dévotion cacher le goût de toutes les jouissances. Nous voyons l'égoïsme et la dureté monacale, cachés sous l'air de la sainteté. C'est après avoir parlé du ciel, qu'il ferme sa porte a ces pauvres gens. L'auteur de Tartuffe dut être bien content de cette petite fable. C'est vraiment un chef-d'œuvre. Un goût sévère n'en effacerait qu'un seul mot, c'est celui d'argent dans le récit du voyage des députés. Il fallait un terme plus général, celui de provisions, par exemple.

V. 35. Je suppose qu'un moine....

C'est pour cela qu'il a mis la scène dans le Levant. Que de malice dans la prétendue bonhommie de ce vers! et c'est le même auteur qui vous a dit si crûment: votre ennemi, c'est votre maître. Craignait-il plus les moines que les rois? Peut-être n'avait-il pas tout-à fait tort.

FABLE IV.

V. 1. Un jour sur ses longs pieds....

M. de Voltaire critique ces deux vers comme d'un style ignoble et bas. Il me semble qu'ils ne sont que familiers, qu'ils mettent la chose sous les yeux, et que ce mot long répété trois fois exprime merveilleusement la conformation extraordinaire du héron.

A l'occasion de ce mot l'oiseau, qui finit le vers 12, et qui recommence une autre phrase, je ferai quelques remarques que j'ai omises jusqu'à présent sur la versification de La Fontaine. Nul poète n'a autant varié la sienne par la césure et le repos de ses vers, par la manière dont il entremêle les grands et les petits, par celle dont il croise ses rimes. Rien ne contribue autant à sauver la poésie française de l'espèce de monotonie qu'on lui reproche. Le genre dans lequel La Fontaine a écrit, est celui qui se prêtait le plus à cette variété de mesure, de rimes et de vers; mais il faut convenir qu'il a été merveilleusement aidé par son génie, par la finesse de son goût, et par la délicatesse de son oreille.

FABLE V.

V. 4. ... Notez ces deux points-ci.

La Fontaine a raison d'arrêter l'attention de son lecteur sur le bon esprit de cette jeune personne, qui a songé à tout; mais que de grâces dans cette précision: notez ces deux points-ci!

V. 25. Sans chagrin quoiqu'en solitude.

Pourquoi donc le dit-elle? Pourquoi y pense-t-elle? La Fontaine nous le dit plus bas.

V. 40. Le désir peut loger chez une précieuse.

Quelle finesse dans cette peinture du cœur!

V. 30. Déloger quelques jeux, quelques ris, puis l'amour.

Peut-on exprimer avec plus de grâces cette idée si peu agréable en elle-même?

Sa préciosité. Ce mot est employé si naturellement qu'on ne songe pas qu'il est nouveau, et peut-être de l'invention de La Fontaine. On sait que le mot précieuse se prenait d'abord en bonne part; il voulait dire simplement des femmes distinguées par l'agrément de leur conversation et par leurs connaissances. Et en effet, de telles femmes sont d'un grand prix. Mais ce mérite devint bientôt une prétention, et plusieurs se rendirent ridicules; on distingua alors différentes espèces de précieuses, mais le nom fut encore respecté. Molière même, pour ne pas se brouiller avec un corps si dangereux, appela précieuses ridicules celles qu'il mit sur la scène; depuis ce temps le mot précieuse se prit en mauvaise part, et c'est en ce sens que La Fontaine s'en sert dans cette petite historiette, qu'il lui plaît d'appeler une fable.

FABLE VI.

V. 11. Peuple ami du démon....

C'est-à-dire, ami de cet esprit, de ce folet.

V. 43. Les grands seigneurs leur empruntèrent.

Comme La Fontaine glisse cette circonstance avec une apparente naïveté!

V. 49. ... Trésor, fuyez: et toi, déesse,
Mère du bon esprit....

On voit que La Fontaine parle ici d'abondance de cœur. C'est ce sentiment qui anime ici son style, et lui inspire cette invocation.

V. 53. Avec elle ils rentrent en grâce.

Ne dirait-on pas que c'est une souveraine à la clémence de laquelle il faut recourir, quand on a fait l'imprudence de la quitter pour la fortune?

V. 58. Le follet en rit avec eux.

La Fontaine, au commencement de cette fable, a établi que le follet était l'ami de ces bonnes gens, et s'intéressait véritablement à eux. Cependant le follet n'a aucun regret qu'ils aient perdu cette abondance tant désirée. Il en est au contraire fort aise, parce qu'il voit qu'ils seront plus heureux dans la médiocrité. Peut-on rendre la morale plus aimable et plus naturelle?

FABLE VII.

V. 28. Fut parent de Caligula.

La note de Coste, qui est au bas de la page, n'explique rien. Caligula était non-seulement cruel, mais bizarre et capricieux; et on ne savait souvent comment échapper à sa férocité. En voici un exemple. Sa sœur Drusile étant morte, il la mit au rang des déesses. Il fit mourir ceux qui la pleuraient, et ceux qui ne la pleuraient pas: les premiers, parce qu'ils pleuraient une déesse; les autres, parce qu'ils étaient contens de sa mort. C'est à ce trait et à quelques autres de la même espèce que La Fontaine fait allusion en parlant du lion de cette fable. C'est ce qui n'est point indiqué par la note de Coste.

FABLE VIII.

V. 3. .... Non ceux que le printemps
Mène à sa cour.....

Tournure poétique qui a l'avantage de mettre en contraste, dans l'espace de dix vers, les idées charmantes qui réveillent le printems, les oiseaux de Vénus, etc... et les couleurs opposées dans la description du peuple vautour.

V. 27. Au col changeant....

Description charmante, qui a aussi l'avantage de contraster avec le ton grave que La Fontaine a pris dans les douze ou quinze vers précédens.

V. 41. Tenez toujours divisés les méchans.

Ceci n'est pas à la vérité une règle de morale: ce n'est qu'un conseil de prudence; mais il ne répugne pas à la morale.

FABLE IX.

V. 1. Dans un chemin montant.....

Ces cinq premiers vers n'ont rien de saillant; mais ils mettent la chose sous les yeux avec une précision bien remarquable. La Fontaine emploie près de vingt vers à peindre les travaux de la mouche, et son sérieux est très-plaisant; mais peut-être fallait-il être La Fontaine pour songer air moine qui dit son bréviaire.

Ce petit Apologue est un des plus parfaits: aussi a-t-il donné lieu au proverbe, la mouche du coche.

FABLE X.

Cette fable est charmante jusqu'à l'endroit adieu veau, vache, etc.

Ne passons pas à La Fontaine sa mauvaise rime de transportée et couvée.

Quelques gens de goût ont blâmé, avec raison, ce me semble, la femme en danger d'être battue; le récit qui en fut fait en une farce; tout cela est froid; mais La Fontaine, après cette petite chute, se relève bien vîte. Que de grâces et de naturel dans la peinture qu'il fait de cette faiblesse, si naturelle aux hommes, d'ouvrir leur âme à la moindre lueur d'espérance! Il se met lui-même en scène, car il ne se pique pas d'être plus sage que ses lecteurs; et voilà un des charmes de sa philosophie.

FABLE XI.

Nous ne ferons aucune remarque sur cette méchante petite historiette à qui La Fontaine a fait, on ne sait pourquoi, l'honneur de la mettre en vers. Elle a d'ailleurs l'inconvénient de retomber dans la moralité de la précédente, qui vaut cent fois mieux; aussi personne ne parle de Messire Jean Chouart, mais tout le monde sait le nom de la pauvre Perrette.

FABLE XII.

V. 9. Pauvres gens! je les plains; car on a pour les fous, etc.

C'était le caractère de La Fontaine; et c'est ce qui a rendu sa satire moins amère que celle de tant d'autres satiriques, qui ont pour les fous plus de colère que de pitié.

V. 17. Le repos? le repos, trésor si précieux,
Qu'on en faisait jadis le partage des dieux?

Tout le monde a retenu ces deux vers qui expriment si bien le vœu d'une âme douce et insouciante; mais ce sentiment est encore mieux exprimé dans le charmant morceau de la fin de cet Apologue: Heureux qui vit chez soi, etc.

V. 28. Cherchez, dit l'autre ami, etc.

Cette amitié là n'est pas bien vive, ce n'est pas comme celle des deux amis du Monomotapa, livre 8, fable II. Mais dans cette fable-ci, il y a un des deux amis qui est un avare ou un ambitieux; et ces gens-là sont aimés froidement et aiment encore moins.

V. 31. Vous reviendrez bientôt....

Celui-ci connaît le monde et a bien pris son parti.

V. 33. L'ambitieux, ou, si l'on veut, l'avare.....

Vers admirable. En effet, l'ambition dans nos états modernes n'est guère que de l'avarice. Cela est si vrai qu'on demande sur les places les plus honorables: combien cela vaut-il? quel en est le revenu?

V. 41. Bref, se trouvant à tout, et n'arrivant à rien...

Ce vers-là devrait être la devise de certains vieux courtisans que l'on connaît.

V. 5. ... Des temples à Surate.

Voilà qu'il se fait marchand.

V. 78. Il ne sait que par oui-dire.

La Fontaine est toujours animé, toujours plein de mouvement et d'abondance, lorsqu'il s'agit d'inspirer l'amour de la retraite, de la douce incurie, de la médiocrité dans les désirs. Voyez cette apostrophe: Et ton empire, Fortune! Et puis cette longue période qui semble se prolonger comme les fausses espérances que la fortune nous donne, et l'adresse avec laquelle il garde pour la fin: Sans que l'effet aux promesses réponde. Ce sont là de ces traits qui n'appartiennent qu'à un grand poète.

FABLE XIII.

V. 2. Et voilà la guerre allumée.
Amour, tu perdis Troie;...

Quelle rapidité! quel mouvement! quel rapprochement heureux des petites choses et des grands objets! c'est un des charmes du style de La Fontaine.

V. 5. Où du sang des dieux même on vit le Xanthe teint.

Ce beau vers est un peu gâté par la dureté des deux dernières syllabes Xanthe teint.

V. 9. Plus d'une Hélène, etc....

Rien de plus naturel que cette expression, après avoir parlé de la guerre de Troie.

V. 13. Ses amours, qu'un rival, etc....

Quel doux regret, quel sentiment dans cette répétition! Le reste du tableau est de la plus grande force et figurerait dans une ode.

V. 23. Tout cet orgueil périt, etc....

Ce vers est très-beau, mais il fallait s'arrêter là. La plaisanterie sur le caquet des femmes est usée et peu digne de La Fontaine; d'ailleurs ce caquet des poules n'avait rien de nouveau pour le coq.

FABLE XIV.

V. 3. ... N'exigea de péage.

Belle expression qui rajeunit une idée commune.

V. 12. Bref, il plut dans son escarcelle.

La Fontaine, en disant qu'il plut dans la bourse de ce marchand, a voulu exprimer avec force qu'il avait fait fortune, sans qu'il l'eût mérité par ses soins et par sa prévoyance; comme il a soin de dire ensuite que, s'il fut ruiné, ce fut par son imprudence, par sa faute, et même pour avoir trop dépensé. Mais, à la fin de son Apologue, il en exprime trop longuement la moralité. Il fallait passer bien vite à ces deux vers admirables:

Le bien nous le faisons: le mal c'est la Fortune.
On a toujours raison, le Destin toujours tort.

FABLE XV.

V. 6. C'est un torrent, qu'y faire? il faut qu'il ait son cours.
Cela fut et sera toujours.

Il est aisé de voir qu'il y a ici, dans les mots, une contradiction qui nuit à la liaison des idées. Un torrent réveille l'idée d'une chose qui passe, et cela fut et sera toujours, exprime précisément l'idée contraire.

V. 10. Perdait-on un chiffon, avait-on, etc.....

Ces cinq vers sont charmans. C'est une peinture de mœurs qui est encore fidèle de nos jours; et ce dernier trait: Pour se faire annoncer ce que l'on desirait, développe les derniers replis du cœur humain.

Il y a un mot d'omis dans l'imprimé, il faut lire:

Chez la devineresse aussitôt on courait.

Sans quoi il n'y a point de vers. Voyez le vers 13.

Fallut deviner.

Dans ce style familier, on peut supprimer il et dire fallut au lieu de il fallut.

Et gagner malgré soi...

C'est en partie ce qui arriva au Médecin malgré lui de Molière.

Force écoutans....

Le lecteur croit que La Fontaine va ajouter, parce que cet orateur est l'oracle du barreau. Point du tout; il ajoute, demandez-moi pourquoi, et se moque à la fois et du public et de l'avocat. C'est une épée à deux tranchans. C'est l'art des grands maîtres de savoir se jouer à propos de leur sujet.

FABLE XVI.

V. 6. ... Faire à l'Aurore sa cour,
Parmi le thym et la rosée.

La Fontaine possède cet art, qui dit sans s'avilir les plus petites choses, selon l'expression de Boileau; mais nous verrons cette idée exprimée encore bien plus poétiquement dans la fable quinzième du livre 10.

V. 19. .... Où lui-même il n'entrait qu'en rampant!

Elle voudrait en dégoûter Jeannot Lapin, car elle n'est pas elle-même bien sûre de ses droits.

V. 20. Et quand ce serait un royaume.

Il est plaisant de voir l'importante question de la propriété très-bien discutée à l'occasion d'un trou de lapin. Le dénouement de cette fable ressemble un peu à celui de l'huitre et des plaideurs, sauf qu'il est plus tragique pour les parties disputantes.

FABLE XVII.

V. 1. Le serpent a deux parties.

Cette fable écrite du style le plus simple, et bien moins ornée que les précédentes, n'est pas d'une grande application dans nos mœurs; mais elle en avait beaucoup dans nos anciennes démocraties.

Je n'aime pas ces petits vers,

V. 8. Pour le pas....
V. 11. Et lui dit:

Tout cela me paraît de pures négligences; mais il y en a deux très-bons.

V. 28. Le ciel eut pour ses vœux une bonté cruelle.
Souvent sa complaisance a de méchans effets.

FABLE XVIII.

La petite aventure que raconte ici La Fontaine, arriva à Londres vers ce temps-là, et donna lieu à cette pièce de vers, qu'il plaît à La Fontaine d'appeler une fable.

V. 14. J'en dirai quelque jour les raisons amplement.

Cela n'a l'air que d'une plaisanterie: cependant La Fontaine s'avisait quelquefois de traiter des sujets de philosophie et de physique, auxquels il n'entendait pas grand-chose. Il s'est donné la peine de faire un poème en quatre chants sur le quinquina. Au reste le Prologue de cette fable-ci serait excellent, si on faisait une coupure après le treizième vers; que l'on passât tout de suite au trentième, quand l'eau courbe un bâton. Tout ce que dit le poète, est exprimé avec autant d'exactitude que pourrait en avoir un philosophe qui écrirait en prose.

V. 47. Qui présageait sans doute un grand événement.

On croyait encore que les astres avaient de l'influence sur nos destinées.

V. 54. Peuple heureux! quand pourront les Français,
Se donner comme vous entiers à ces emplois?

Ne serait-il pas mieux de dire?

Unir, ainsi que vous, les arts avec la paix!

Car emplois ne rime même plus aux yeux, depuis qu'on a adopté l'orthographe de Voltaire pour le mot Français.

LIVRE HUITIÈME.

FABLE I.

Ce premier Apologue est parfait; non qu'il soit aussi brillant, aussi riche de poésie, aussi varié, que le sont quantité d'autres. Ce n'est que le ton d'une raison sage, simple et tranquille. On a dit que Boileau était le premier parmi nous qui eût mis la raison en vers. Il me semble qu'il est le premier qui ait mis en vers les préceptes de la raison, en matière de goût et de littérature; mais La Fontaine a mis en vers les préceptes de la raison universelle, comme Molière y a mis ceux qui sont relatifs à la société; et ces deux empires sont plus étendus que ceux du goût et de la littérature.

Le ton du Prologue est touchant comme il devait l'être sur un sujet qui intéresse tous les hommes. Quel vers que celui-ci!

V. 5. Ce temps, hélas! embrasse tous les temps.

Et à la fin de la pièce, quoi de plus admirable que cet autre:

V. dernier. Le plus semblable aux morts meurt le plus à regret.

FABLE II.

V. 1. Un savetier chantait, etc....

Voici un Apologue d'un ton propre à bannir le sérieux du précédent. C'est La Fontaine dans tout son talent, avec sa grâce, sa variété ordinaire. La conversation du savetier et du financier ne serait pas indigne de Molière lui-même; il dut être sur-tout frappé du trait:

V. 45. Si quelque chat faisait du bruit;
Le chat prenait l'argent, etc...

Et de cet autre:

V. 37. ... Dans sa cave il enserre
L'argent et sa joie à la fois.

Il y a un autre trait qui dut donner à rêver à Molière, c'est celui, plus content qu'aucun des sept Sages. Molière, si philosophe, et malgré sa philosophie, si malheureux, dut faire quelque attention à ce vers. Ne relevons pas quelques mauvaises rimes, comme celle de monsieur, qu'on pardonnait alors parce qu'elle rimait aux yeux; et cette autre, naïveté et curé.

FABLE III.

V. 5. .... Il en est de tous arts.

Je ne sais ce que cela veut dire. Veut-il dire que, dans toutes les professions, il y a des gens qui se mêlent de médecine? en ce cas, cela est mal exprimé. Ce n'est pas sa coutume.

V. 10. .... Daube, au coucher du roi,
Son camarade absent....

On dit, sur ce trait, dans l'éloge de La Fontaine: Suis-je dans l'antre du lion? suis-je à la cour? On pourrait presque ajouter que l'illusion se prolonge jusqu'à la fin de cette charmante fable.

FABLE IV.

V. 1. La qualité d'ambassadeur.

Ce M. de Barillon était l'un des plus aimables hommes du siècle de Louis XIV. Il était intime ami de madame de Sévigné, à qui il disait: En vérité, celui qui vous aime plus que moi vous aime trop. Il avait le plus grand talent pour les négociations, comme on le voit dans les mémoires de Dalrimple imprimés de nos jours; mais de son temps, il ne passait que pour un homme de beaucoup d'esprit et un homme de plaisir. C'est qu'il méprisait la charlatannerie de sa place, et qu'alors cette morgue faisait plus d'effet qu'à présent.

Au reste, le Prologue que lui adresse ici La Fontaine me paraît assez médiocre; mais la petite historiette qui fait le sujet de cette prétendue fable, est très-agréablement contée.

V. 65. Nous sommes tous d'Athènes en ce point...

Est une transition très-heureuse. Et quand La Fontaine ajoute qu'il s'amuserait du conte de Peau-d'âne, il peint les effets de son caractère. Il eut la constance d'aller voir, trois semaines de suite, un charlatan qui devait couper la tête à son coq, et la lui remettre sur le champ. Il est vrai qu'il trouvait toujours des prétextes de différer jusqu'au lendemain. On avertit La Fontaine que le lendemain n'arriverait pas. Il en fut d'une surprise extrême.

FABLE V.

V. 1. Par des vœux importuns, etc....

Cette distribution égale de huit vers pour le Prologue, et de huit autres pour la fable, rappelle ce que nous avons dit dans la note sur celle du coq et de la perle, liv. I, fable 20.

FABLE VI.

V. 1. Rien ne pèse autant qu'un secret:

Cette petite historiette, dont la moralité n'est pas neuve, est bien joliment contée. Renommée, journée, mauvaise rime. Le dialogue des deux femmes est très-naturel. C'est un des talens de La Fontaine, et voilà ce que n'ont pas les autres fabulistes.

FABLE VII.

V. 1. Nous n'avons pas les yeux à l'épreuve des belles.

Lamotte, fabuliste très-inférieur à La Fontaine, a rapproché ces deux idées dans un vers fort heureux. Il dit que les juges ont très-souvent,

Pour les présens des mains, pour les belles des yeux.

V. 6. S'était fait un collier, etc....

Précision très-heureuse et qui fait peinture.

V. 7. Il était tempérant plus qu'il n'eût voulu l'être.

Vers très-plaisant, qui exprime à merveille le combat entre l'appétit du chien, et la victoire que son éducation le force à remporter sur lui-même.

V. 25. .... Et, lui sage, il leur dit:

Il est difficile de blâmer la conduite de ce chien; cependant comme il est, dans cette fable, le représentant, d'un échevin ou d'un prévôt des marchands, La Fontaine n'aurait pas dû lui donner l'épithète de sage. Il a l'air d'approuver par ce mot ce voleur qui suit l'exemple des autres: proposition insoutenable en morale. Mais l'échevin doit dire: Messieurs, volez tant qu'il vous plaira, je ne puis l'empêcher, je me retire. Mais d'où vient le même fait offre-t-il un résultat moral si différent, quant au chien et quant à l'échevin? La cause de cette différence vient de ce que le chien n'étant pas obligé d'être moral, en admire son instinct dont il fait ici un très-bon usage. Mais l'homme étant oblige de mettre la moralité dans toutes ses actions, il cesse, lorsqu'elles n'en ont pas, de faire un bon usage de sa raison.

FABLE VIII.

V. 2. Cet art veut, sur tout autre, un suprême mérite.

Cela est vrai; et quand on le possède, on n'est pourtant qu'un rieur, un plaisant, et c'est un triste rôle. On dit avec raison: l'honnête homme ne met aucune affiche.

V. 26. J'en doute, etc....

Je ne sais pas pourquoi. La plaisanterie n'est point du tout mauvaise, surtout dans la bouche d'un de ces hommes que les anciens appelaient parasites.

FABLE IX.

V. 1. Un rat, hôte d'un champ, etc...

On reconnaît tout le talent de La Fontaine dans le discours du rat, dans la peinture de l'huitre bâillant au soleil, dans celle du rat surpris au moment où l'huitre se referme; et voyez comme ce dernier mot est rejeté au commencement du vers, par une suspension qui met la chose sous les yeux, et le naturel de la leçon qui termine la phrase.

On peut blâmer, dans le discours du rat, ce vers:

V. 16. J'ai passé les déserts; mais nous n'y bûmes point.

C'est quelque propos populaire et trivial dont on se passerait bien; mais il n'appartient qu'à La Fontaine de rendre cette sorte de naturel supportable aux honnêtes gens; nous en verrons plus bas un autre exemple dans la fable du singe et du léopard.

V. 34. Cette fable contient plus d'un enseignement.

Il n'en faut qu'un dans une fable bien faite. J'aurais voulu que La Fontaine exprimât l'idée suivante: Quand on est ignorant, il faut suppléer au défaut d'expérience par une sage réserve et par une défiance attentive.

FABLE X.

V. 4. Il fût devenu fou: la raison d'ordinaire....

Nul poète, nul auteur ne prêche plus souvent l'amour de la retraite, et ne la fait aimer davantage. Mais la retraite et la solitude absolue sont deux choses bien différentes. La première est le besoin du sage, et la seconde est la manie d'un fou insociable; c'est ce que La Fontaine exprime si bien dans ces vers charmans:

V. 14. Il aimait les jardins, était prêtre de Flore,
Il l'était de Pomone encore.
Ces deux emplois sont beaux: mais je voudrais parmi
Quelque doux et discret ami.

Nous verrons ce sentiment, développé avec plus de grâce et d'intérêt encore, dans la fable suivante et dans celle des deux pigeons.

FABLE XI.

V. 2. L'un ne possédait rien qui n'appartînt à l'autre.

Après ce vers qui dit tout, La Fontaine n'ajoute plus rien. Quelle grâce encore et quelle mesure dans ce mot, dit-on? Avec moins de goût, un autre poète aurait fait une sortie contre les amis de notre pays. C'est l'art de La Fontaine de faire entendre beaucoup plus qu'il ne dit.

V. 9. Morphée avait touché le seuil de ce palais.

Toujours quelque grand trait de poésie, sans jamais blesser le naturel.

V. 16. J'ai mon épée, allons....

Voici qui paraît bien français, et l'on croirait que nous ne sommes point au Monomotapa.

V. 18. .... Voulez-vous qu'on l'appelle?

Nous ne sommes plus en France; nous voilà dans le fond de l'Afrique.

V. 21. Vous m'êtes en dormant un peu triste apparu.

Quel sentiment dans ce mot, un peu. La fin de cet Apologue est au-dessus de tout éloge, tout le monde le sait par cœur.

FABLE XII.

V. 1. Une chèvre, un cochon, etc....

Cette fable est très-bien écrite et parfaitement contée; mais quelle morale, quelle règle de conduite peut-on en tirer? Aucune. La Fontaine l'a bien senti.

V. 29. Dom pourceau raisonnait en subtil personnage.
Mais que lui servait-il?...

Il en conclut, avec raison, que, dans les malheurs certains, le moins prévoyant est encore le plus sage. Mais peut-on se donner ou s'ôter la prévoyance? Dépend-il de nous de voir plus ou moins loin? Il ne faut pas conduire ses lecteurs dans une route sans issue.

FABLE XVIII.

V. 1. Un marchand grec, etc....

J'ai déjà observé que c'est la manière de Pilpai d'amener une fable à la suite d'une historiette; et on sent combien cette manière est défectueuse. La vérité que veut établir ici La Fontaine, n'avait nul besoin de cette espèce de Prologue: c'est ce qu'on verra aisément, en sautant le Prologue et en commençant à ces mots: Il était un berger, etc.....

FABLE XIX.

V. 4. L'autre riche, mais ignorant.

Il serait très-malheureux que l'utilité de la science ne pût se prouver que dans une circonstance aussi fâcheuse que la ruine d'une ville. La société ordinaire offre une multitude d'occasions, où ses avantages deviennent frappans; et l'Apologue de La Fontaine ne prouve pas assez en faveur de la science. Il laisse à l'ignorant trop de choses à répondre. Au surplus, il faut toujours supposer qu'il s'agit de la science unie au bon sens; car, comme a dit Molière:

Un sot savant est sot, plus qu'un sot ignorant.

FABLE XX.

V. 1. Jupiter voyant nos fautes....

Cette fable pouvait avoir plus d'intérêt et plus de vraisemblance chez les anciens, qui attribuaient à différens dieux différens départemens. Mais elle ne signifie pas grand chose pour nous qui admettons une providence, dispensatrice immédiate des biens et des maux.

N'oublions pas de remarquer un vers charmant:

V. 41. Tout père frappe à côté.

Mais La Fontaine a tort de revenir sur cette idée, et de dire huit vers après:

V. 49. On lui dit qu'il était père.

Ce dernier vers ne peut faire aucun effet après l'autre.

FABLE XXI.

V. 5. Un citoyen du Mans, etc....

Cette fable rentre un peu dans celle du mouton, du pourceau et de la chèvre, avec cette différence que le chapon est plus maître d'échapper à son sort. Il faut supposer que le chapon s'envole de la basse-cour pour n'y plus revenir, ce que pourtant La Fontaine ne dit pas. Au reste, elle est contée plus gaiment que l'autre.

V. 16. Les chapons ont en nous fort peu de confiance,
Soit instinct, soit expérience.

Cela est plaisant; et le chapon qui

V. 19. Devait le lendemain être d'un grand souper!

Je voudrais seulement que l'Apologue finît par un trait plus saillant.

FABLE XXII.

V. 9. Les derniers traits de l'ombre empêchent qu'il ne voie
Le filet....

Cette suspension est pleine de goût.... Le chat est pris.

V. 16. Sont communes en mon endroit.

Il veut dire, ont été fréquentes à mon égard. Cela n'est pas bien exprimé; mais remarquons qu'il feint d'avoir déjà reçu du rat plusieurs services. Il sait qu'on est porté à faire du bien à ceux auxquels on en a déjà fait.

Le résultat de cette fable n'est pas une leçon de morale, mais elle est un conseil de prudence; et cette prudence n'a rien dont la morale soit blessée. Ainsi l'Apologue est très-beau.

FABLE XXIII.

V. 1. Avec grand bruit et grand fracas.

Voyez comme La Fontaine varie ses tons; voyez comme il monte, comme il descend avec son sujet. Opposez à cette peinture du torrent, celle de la rivière, huit ou dix vers plus bas. Remarquons aussi ce trait de poésie du voyageur qui va traverser

V. 23. Bien d'autres fleuves que les nôtres.

On peut objecter que, dans cette fable, le marchand est forcé de passer la rivière, comme il a été forcé de passer le torrent, et que la fable serait meilleure, c'est-à-dire, la vérité que l'auteur veut établir mieux démontrée, si le marchand, ayant le choix de passer par la rivière, ou par le torrent, eût préféré la rivière. Cela peut être, mais il en résulterait que la fable est bonne et pourrait être meilleure.

FABLE XXIV.

V. 1. Laridon et César,....

Voici une fable qui, pour être courte, n'en est pas moins une des meilleures de La Fontaine. La morale surtout en est excellente. Sans croire, comme certains philosophes, que la nature partage également bien tous ses enfans, il est pourtant certain que c'est l'éducation qui met, entre un homme et un autre, l'énorme différence qui s'y trouve quelquefois: c'est d'ailleurs une opinion qu'on ne saurait trop répandre, parce qu'elle est le meilleur moyen d'encourager les réformes que l'on peut faire dans l'éducation, réformes sans lesquelles il est impossible de changer les fausses opinions et les mauvaises mœurs.

V. 4. Hantaient l'un les forêts, et l'autre la cuisine.

La naissance est la même, mais l'éducation est, comme on voit, bien différente.

V. 6. Mais la diverse nourriture...

Ce mot se prenait alors, même dans le style noble, pour synonyme d'éducation. Corneille l'emploie plusieurs fois en ce sens.

V. 18. Tourne-broches par lui, etc....

Il est plaisant d'avoir supposé que nos chiens appelés tourne-broches viennent de cette belle origine, comme d'avoir fait honneur au marmiton du surnom de son élève.

V. 19 ... A part.... hasards.

Cette consonnance déplaît à l'oreille.

Les quatre derniers vers sont parfaits.

FABLE XXV.

V. 1. Les vertus devraient être sœurs.

Ce petit Prologue est excellent; mais il amène une fable à mon gré bien médiocre. La Fontaine a beau dire que chacun est sot et gourmand, il ne l'est pas au point de donner la moindre vraisemblance à cet Apologue. Il était aisé d'établir la même morale sur une supposition moins absurde.

V. 38. Tout cela c'est la mer à boire.

M. de Voltaire critique ce vers comme plat et trivial. Il me semble que ce qui rend excusable ici cette expression populaire, c'est qu'elle fait allusion à une fable où il s'agit de boire une rivière.

FABLE XXVI.

V. 1. Que j'ai toujours haï les pensers du vulgaire!

Pensers; le penser est un mot poétique, pour la pensée.

V. 3. Mettant de faux milieux entre la chose et lui.

Vers très-heureux. En effet, une idée fausse qui nous empêche de porter sur une chose un jugement sain, est comme un voile interposé entre nous et l'objet que nous voulons juger.

V. 13. ..... Disaient-ils en pleurant.

Il faut supposer que ce sont les ambassadeurs qui pleurent; car on ne pleure pas en écrivant, en envoyant des ambassadeurs pour une affaire de cette espèce. Cependant ce qui ferait croire que c'est le peuple qui parle, ce sont les vers suivans:

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