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Œuvres complètes de Chamfort (Tome 4): Recueillies et publiées, avec une notice historique sur la vie et les écrits de l'auteur.

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KALED, aux esclaves.

Eh bien! vous autres, vous voyez combien on a de peine à vous vendre. Quel diable d'homme! il m'a mis hors de moi. Il n'y a pas d'apparence qu'il me vienne d'acheteurs aujourd'hui; rentrons. Qui est-ce que j'entends? est-ce un charlatan?

SCÈNE VIII.

UN VIEILLARD TURC, LES PRÉCÉDENS.

KALED.

Bon, ce n'est rien. C'est un esclave d'ici près.

LE VIEILLARD.

Bonjour, voisin: est-ce là votre reste?

KALED.

Ne m'arrête pas, tu ne m'acheteras rien.

LE VIEILLARD.

Je n'acheterai rien! Oh! vous allez voir.

KALED.

Que veut-il dire?

DORNAL, à part.

Je tremble.

LE VIEILLARD.

Avez-vous bien des femmes? c'est une femme que je veux.

KALED.

Quel gaillard, à son âge!

LE VIEILLARD.

Eh! il n'y en a qu'une?

KALED.

Encore n'est-elle pas pour toi.

LE VIEILLARD.

Pourquoi donc cela?

KALED.

Je l'ai refusée à de plus riches.

LE VIEILLARD.

Vous me la vendrez.

KALED.

Oui! oui!

DORNAL.

Serait-il possible? Quoi! ce misérable...

LE VIEILLARD.

Combien vaut-elle?

KALED.

Quatre cents sequins.

LE VIEILLARD.

Quatre cents sequins! c'est bien cher.

KALED.

Ah dame! c'est une Française: cela se vend bien; tout le monde m'en demande.

LE VIEILLARD.

Voyons-la.

KALED.

Oh! elle est bien.

LE VIEILLARD.

Elle baisse les yeux; elle pleure; elle me touche. C'est pourtant une chrétienne: cela est singulier. Trois cent cinquante.

KALED.

Pas un de moins.

LE VIEILLARD.

Les voilà.

KALED.

Emmenez.

DORNAL.

Arrêtez... O ma chère Amélie!... Arrêtez.

KALED.

Ne vas-tu pas m'empêcher de vendre? vraiment, je n'aurai pas assez de peine à me défaire de toi. Vous autres Français, les maris de ce pays-ci ne vous achètent point. Vous êtes toujours à rôder autour des sérails, à risquer le tout pour le tout.

DORNAL.

Vieillard, vous ne paraissez pas tout à fait insensible, laissez-vous toucher. Peut-être avez-vous une femme, des enfans?

LE VIEILLARD.

Non, non.

DORNAL.

Par tout ce que vous avez de plus cher, ne nous séparez pas! C'est ma femme.

LE VIEILLARD.

Sa femme? cela est fort différent: mais, vraiment Kaled, si c'est sa femme, vous me surfaites.

DORNAL.

Pour toute grâce, achetez-moi du moins avec elle.

LE VIEILLARD.

Hélas! mon ami, je le voudrais bien; mais je n'ai besoin que d'une femme.

DORNAL.

Je vous servirai fidèlement,

LE VIEILLARD.

Tu me serviras! Je suis esclave.

KALED.

Est-ce que tu les écoutes?

ANDRÉ.

Mes pauvres maîtres!

AMÉLIE.

O! mon ami, quel sort!

DORNAL.

Ne l'achetez pas. Quelque homme riche nous achètera peut-être ensemble.

LE VIEILLARD.

C'est bien ce qui pourrait t'arriver de pis: il t'en ferait le gardien.

DORNAL, à Kaled.

Ne pouvez-vous différer de quelques jours?

KALED.

Différer! on voit bien que tu n'entends rien au commerce. Est-ce que je le puis? Je trouve mon profit; je le prends.

DORNAL.

O ciel! se peut-il?... Mais que dirai-je pour attendrir un pareil homme? Quel métier! quelles âmes! trafiquer de ses semblables!

KALED.

Que veut-il donc dire? ne vendez-vous pas des nègres? Eh bien! moi, je vous vends.... N'est-ce pas la même chose? Il n'y a jamais que la différence du blanc au noir.

LE VIEILLARD.

En vérité, je n'ai pas le courage...

KALED.

Allons, toi, ne vas-tu pas pleurer aussi? Je garde ton argent; emmène ta marchandise, si tu veux. Il se fait tard.

AMÉLIE.

Adieu, mon cher Dornal!

DORNAL.

Chère Amélie!

AMÉLIE.

Je n'y survivrai pas!

KALED.

Cela ne me regarde plus.

DORNAL.

J'en mourrai.

KALED.

Tout doucement, toi, je t'en prie; ce n'est pas là mon compte. Ne vas-tu pas faire comme l'Anglais (repoussant Dornal)?

DORNAL.

Ah Dieu! faut-il que je sois enchaîné!...

ANDRÉ.

O ma chère maîtresse!

SCÈNE IX.

KALED, DORNAL, ANDRÉ, L'ESPAGNOL, L'ITALIEN.

KALED.

M'en voilà quitte pourtant. Je suis bien heureux d'avoir un cœur dur: j'aurais succombé. Ma foi, sans son argent comptant, il ne l'aurait jamais emmenée, tant je m'en sentais ému. Diable! si je m'étais attendri, j'aurais perdu quatre cents sequins. (Il compte ses esclaves.) Un, deux.... Il n'y en a plus que quatre. Oh! je m'en déferai bien, je m'en déferai bien.

SCÈNE X.

Les Précédens, HASSAN.

HASSAN, à Kaled.

Eh bien, voisin, comment va le commerce?

KALED.

Fort mal, le temps est dur. (à part) Il faut toujours se plaindre.

HASSAN.

Voilà donc ces pauvres malheureux! Je ne puis les délivrer tous; j'en suis bien fâché. Tâchons au moins de bien placer notre bonne action. C'est un devoir que cela; c'est un devoir. (à l'Espagnol.) De quel pays es-tu, toi? parle. Tu as l'air bien haut... parle donc...

L'ESPAGNOL.

Je suis gentilhomme espagnol.

HASSAN.

Espagnols! braves gens! Un peu fiers, à ce qu'on m'a dit en France... Ton état?

L'ESPAGNOL.

Je vous l'ai déjà dit: gentilhomme.

HASSAN.

Gentilhomme! je ne sais pas ce que c'est. Que fais-tu?

L'ESPAGNOL.

Rien.

HASSAN.

Tant pis pour toi, mon ami; tu vas bien t'ennuyer. (à Kaled.) Vous n'avez pas fait une trop bonne emplette.

KALED.

Ne voilà-t-il pas que je suis encore attrapé?... Gentilhomme, c'est sans doute comme qui dirait baron allemand. C'est ta faute aussi: pourquoi vas-tu dire que tu es gentilhomme? je ne pourrai jamais me défaire de toi.

HASSAN, à l'Italien.

Et toi, qui es-tu avec ta jaquette noire? Ton pays?

L'ITALIEN.

Je suis de Padoue.

HASSAN.

Padoue? Je ne connais pas ce pays-là... Ton métier?

L'ITALIEN.

Homme de loi.

HASSAN.

Fort bien. Mais quelle est ta fonction particulière?

L'ITALIEN.

De me mêler des affaires d'autrui pour de l'argent, de faire souvent réussir les plus désespérées, ou du moins de les faire durer dix ans, quinze ans, vingt ans.

HASSAN.

Bon métier! et dis-moi, rends-tu ce beau service à ceux qui ont tort, à ceux qui ont raison indifféremment?

L'ITALIEN.

Sans doute: la justice est pour tout le monde.

HASSAN, riant.

Et on souffre cela à Padoue!

L'ITALIEN.

Assurément.

HASSAN.

Le drôle de pays que Padoue! Il se passera bien de toi, je m'imagine. (à André.) Et toi, qui es-tu?

ANDRÉ.

Moins que rien. Je suis un pauvre homme.

HASSAN.

Tu es pauvre? tu ne fais donc rien?

ANDRÉ.

Hélas! je suis fils d'un paysan: je l'ai été moi-même.

KALED.

Bon! c'est sur ceux-là que je me sauve.

ANDRÉ.

Je me suis ensuite attaché au service d'un bon maître, mais qui est plus malheureux que moi.

HASSAN.

Cela se peut bien; il ne sait peut-être pas labourer la terre. Mais c'est l'habit français que tu as là?

ANDRÉ.

Je le suis aussi.

HASSAN.

Tu es Français! bonnes gens que les Français! ils ne haïssent personne. Tu es Français, mon ami! il suffit, c'est toi qu'il faut que je délivre.

ANDRÉ.

Généreux musulman, si c'est un Français que vous voulez délivrer, choisissez quelqu'autre que moi. Je n'ai ni père, ni mère, ni femme, ni enfans; j'ai l'habitude du malheur: ce n'est pas moi qui suis le plus à plaindre. Délivrez mon pauvre maître.

HASSAN.

Ton maître! qu'est-ce que j'entends? Quelle générosité! Quoi!... Ces Français... Mais est-ce qu'ils sont tous comme cela?... Et où est-il ton maître?

ANDRÉ, lui montrant Dornal.

Le voilà; il est abîmé dans sa douleur.

HASSAN.

Qu'il parle donc! Il se cache, il détourne la vue, il garde le silence. (Hassan avance, le considère malgré lui.) Que vois-je! est-il possible! je ne me trompe pas. C'est lui, c'est lui-même; c'est mon libérateur! (Il l'embrasse avec transport.)

DORNAL.

O bonheur! ô rencontre imprévue!

KALED.

Comme ils s'embrassent! Il l'aime; bon! il le paiera.

HASSAN.

Je n'en reviens point. Mon ami! mon bienfaiteur!

HASSAN.

Peste! un ami! un bienfaiteur! cela doit bien se vendre; cela doit bien se vendre.

HASSAN.

Mais, dites-moi donc, comment se fait-il?... par quel bonheur?... Qu'est-ce que je dis? la tête me tourne. Quoi! c'est envers vous-même que je puis m'acquitter! J'ai fait vœu de délivrer tous les ans un esclave chrétien; je venais pour remplir mon vœu; et c'est vous...

DORNAL.

O mon ami! connaissez tout mon malheur.

HASSAN.

Du malheur! il n'y en a plus pour vous. (Se tournant du côté de Kaled.) Kaled, combien vous dois-je pour l'emmener?

KALED.

Cinq cents sequins.

HASSAN.

Cinq cents sequins... Kaled, je ne marchande point mon ami; tenez.

DORNAL.

Quelle générosité!

HASSAN, à Kaled.

Je vous dois ma fortuné; car vous pouviez me la demander.

KALED.

Que je suis une grande bête! bonne leçon.

HASSAN.

Laissez-nous seulement, je vous prie: que je jouisse des embrassemens de mon bienfaiteur.

KALED.

Oh! cela est juste, cela est juste. Il est bien à vous. Allons, vous autres, suivez-moi.

ANDRÉ, à Dornal.

Adieu, mon cher maître.

DORNAL, à Hassan.

Que dis-tu? Peux-tu penser?... Mon cher ami, ce pauvre malheureux, vous avez vu s'il m'est attaché, s'il est fidèle, s'il a un cœur sensible!

HASSAN.

Sans doute, sans doute, il faut le racheter.

KALED.

Quel homme! comme il prodigue l'or! Si je profitais de cette occasion pour faire délivrer mon baron allemand.... Mais il ne voudra pas.

HASSAN.

Tenez, Kaled.

KALED, regardant les sequins.

En vérité, voisin, cela ne suffit pas.

HASSAN.

Comment! cent sequins ne suffisent pas! Un domestique....

KALED.

Eh! mais... un domestique... Après tout, c'est un homme comme un autre.

HASSAN.

Bon! voilà de la morale à présent.

KALED.

Et puis un valet fidèle, qui a un cœur sensible, qui travaille, qui laboure la terre, qui n'est pas gentilhomme.... En conscience...

HASSAN, donnant quelques sequins.

Allons, laisse-nous. Qu'entendez-vous? qu'est-ce que Vous voulez?

KALED.

Voisin, c'est que j'ai chez moi un pauvre malheureux, un brave homme, qui est au pain et à l'eau depuis trois ans; cela fend le cœur: cela s'appelle un baron allemand. Vous qui êtes si bon, vous devriez bien...

HASSAN.

Je ne puis pas délivrer tout le monde.

KALED.

A moitié perte.

HASSAN.

Cela est impossible.

KALED.

Quand je disais que cet homme-là me resterait! Oh! si jamais on m'y rattrappe... Allons, homme de loi, gentilhomme, rentrez-là dedans; allez vous coucher, il faut que je soupe.

SCÈNE XI.

HASSAN, DORNAL.

HASSAN.

Mon cher ami, que je vous présente à ma femme. Savez-vous que je suis marié? C'est à vous que je le dois. Et vous, cette jeune personne que vous deviez aller chercher à Malte?

DORNAL.

Je l'ai perdue.

HASSAN.

Que dites-vous?

DORNAL.

Je l'emmenais à Marseille pour l'épouser: elle a été prise avec moi.

HASSAN.

Eh bien! est-ce l'Arménien qui l'a achetée?

DORNAL.

Oui.

HASSAN.

Courons donc vite.

DORNAL.

Il n'est plus temps: le barbare l'a vendue.

HASSAN.

A qui?

DORNAL.

Je l'ignore. Un esclave de quelque homme riche l'a arrachée de mes bras.

HASSAN.

Ah, malheureux! c'est peut-être pour quelque pacha. Est-elle belle?

DORNAL.

Si elle est belle!

SCÈNE XII.

Les Précédens, ZAYDE.

ZAYDE.

Mon ami, vous me laissez bien long-temps seule. Et votre esclave chrétien?

HASSAN.

Mon esclave! c'est mon ami, c'est mon libérateur que je vous présente. J'ai eu le bonheur de le délivrer à mon tour.

ZAYDE.

Etranger, je vous dois le bonheur de ma vie.

SCÈNE XIII.

Les Précédens, FATMÉ.

FATMÉ.

Est-il temps? Ferai-je entrer?

ZAYDE.

Oui, tu le peux...

SCÈNE XIV.

ZAYDE, HASSAN, DORNAL.

HASSAN.

Quel est ce mystère?

ZAYDE.

Mon ami, vous m'avez tantôt soupçonnée de jalousie; je vais vous prouver ma confiance. Je me suis servi de vos bienfaits pour acheter un esclave chrétienne, je venais vous la présenter, afin qu'elle tînt sa liberté de vos mains.

SCÈNE XV ET DERNIÈRE.

HASSAN, ZAYDE, DORNAL, FATMÉ, UNE ESCLAVE
chrétienne, vêtue en musulmane, avec un voile sur la tête.

ZAYDE.

La voici: voyez le spectacle le plus intéressant, la beauté dans la douleur.

HASSAN s'approche et lève le voile.

Qu'elle est touchante et belle!

DORNAL.

Amélie! Ciel! (Il vole dans ses bras.)

AMÉLIE, avec joie.

Que vois-je? mon cher Dornal!

DORNAL.

Ma chère Amélie, vous êtes libre! je le suis aussi. Vous êtes auprès de votre bienfaitrice, de mon libérateur. (Il saute au cou de Hassan, et veut ensuite embrasser Zayde, qui recule avec modestie.)

HASSAN, à Dornal.

Embrassez! embrassez! il est honnête ce transport-là. (A Zayde qui reste confuse.) Ma chère amie, c'est la coutume de France.

AMÉLIE, à Zayde.

Madame, je vous dois tout! Que ne puis-je vous donner ma vie!

ZAYDE.

C'est à moi de vous rendre grâces. Vous ne me devez que votre liberté, et je dois à votre époux la liberté du mien.

AMÉLIE.

Quoi? c'est lui...

HASSAN.

Oh! cela est incroyable! A propos, vous n'êtes point mariés?

DORNAL.

Vraiment non: nous ne le serons qu'à notre retour. Une de ses tantes nous accompagnait: elle est morte dans la traversée.

HASSAN.

Vite, vite, un cadi, un cadi... Ah! mais à propos, on ne peut pas... c'est cet habit qui me trompe.

DORNAL.

Ma chère petite musulmane, quand serons-nous en terre chrétienne? Ah! mon Dieu! nos pauvres compagnons d'infortune!

HASSAN.

Si j'étais assez riche... Mais, après tout, l'homme de loi, et cet autre, cela ne doit pas coûter cher, n'est-ce pas?

DORNAL.

Ah! mon Dieu, non. Nous les aurons à bon marché.

FATMÉ.

Ah! c'est bien vrai. Je viens de rencontrer l'Arménien; tout ce qu'il demande, c'est de les vendre au prix coûtant.

DORNAL.

D'ailleurs, moi, je suis riche, et je prétends bien...

HASSAN.

Allons, délivrons-les. (A Fatmé.) Va les chercher; qu'ils partagent notre joie, qu'ils soient heureux, et qu'ils nous pardonnent de porter un doliman au lieu d'un juste-au-corps.

(Fatmé amène l'Arménien suivi des esclaves qui ont paru dans la pièce, et de ceux dont il y est parlé. Ils forment un ballet, et témoignent leur reconnaissance à Zayde, à Hassan et à Dornal.)

FIN DU MARCHAND DE SMYRNE.

384

ZÉNIS ET ALMASIE,

BALLET HÉROIQUE.

REPRÉSENTÉ DEVANT SA MAJESTÉ, A CHOISY, EN SEPTEMBRE 1773.

PERSONNAGES.

  • ZÉNIS.
  • ALMASIE.
  • LE GÉNIE.
  • Une voix.
  • Une personne de la fête.
  • Chœur de génies et de fées.

ZÉNIS ET ALMASIE,
BALLET HÉROIQUE.

Le Théâtre représente un désert hérissé de rochers, et l'on voit au fond un volcan qui jette des feux.

SCÈNE PREMIÈRE.

ZÉNIS, seul.

C'est toi, cruel Amour, qui déchires mon cœur.

Malgré le voile épais, qui couvre ma naissance,

La reine de Memphis partageait mon ardeur.

J'avais sauvé ses jours; et sa reconnaissance,

En me donnant la main, couronnait ma valeur;

Mais une barbare puissance

M'a ravi cet objet si cher à mon bonheur.

Je cherche en vain l'ennemi qui m'outrage:

Mille obstacles affreux, mille dangers divers,

S'offrent sans cesse à mon passage.

Cependant une voix m'arrête en ces déserts,

Et d'un sort moins cruel m'annonce le présage.

C'est un piége fatal, peut-être, où l'on m'engage.

N'importe. Fallût-il combattre les enfers,

L'excès de mon amour servira mon courage.

Que vois-je! contre moi déchaînent-ils leur rage?

(Des monstres sortent des rochers.)

UNE VOIX.

Zénis, d'aucun danger ne sois épouvanté,

Si tu veux être instruit de ta naissance.

ZÉNIS, en mettant le sabre à la main.

Je t'obéis, et ma constance

Me fera triompher de mon adversité.

(Il combat les monstres et les fait fuir. Un aigle paraît, et vole autour du théâtre.)

LA MÊME VOIX.

Zénis, suis cet aigle rapide,

Et tu pourras revoir l'objet qui t'a charmé.

ZÉNIS.

Dieu des amans, c'est toi, c'est ta voix qui me guide;

Par l'espoir le plus doux je me sens animé.

Que vois-je?... ô fortune perfide!

L'aigle s'est abîmé dans ces torrens de feux...

(L'aigle s'abîme dans le volcan.)

J'y vole, je m'expose au sort le plus affreux.

Un cœur qui sait aimer est toujours intrépide.

(Zénis se jette dans le volcan.)

SCÈNE II.

Le théâtre change, et représente un palais superbe. La princesse Almasie paraît endormie, au fond du théâtre, sous un pavillon magnifique. On voit, à côté d'elle, sur un riche carreau, un sceptre d'or.

ZÉNIS, ALMASIE.

ZÉNIS.

Quel changement! où suis-je?... Et quel palais pompeux!

Que vois-je?... Est-ce l'objet de l'amour le plus tendre?

Aux transports que je sens pouvais-je me méprendre?

C'est elle que le sort rend enfin à mes vœux.

ALMASIE.

Ciel! Zénis!... en quels lieux l'offrez-vous à ma vue?

Ah! dissipez l'effroi de mon âme éperdue.

Quel pouvoir vous a fait découvrir ce séjour?

ZÉNIS.

Puisque j'y revois Almasie,

Je dois ce miracle à l'Amour.

ALMASIE.

Auriez-vous pu fléchir le souverain génie

Qui commande en ces lieux, qui m'y tient asservie?

ZÉNIS.

Dieux! qu'entends-je?... Un génie est maître en ce palais?

ALMASIE.

O ciel! vous l'ignorez... quel orage s'apprête!

Zénis, craignez-en les effets,

Dérobez-vous à la tempête.

ZÉNIS.

Vous tremblez, il vous aime...

ALMASIE.

Et mon cœur en gémit.

Il peut vous réduire en poudre;

Il veut, et tout obéit;

Sur les ailes des vents il fait voler la foudre;

Il regarde la terre, et la terre frémit.

De ses soupçons craignez la violence.

ZÉNIS.

Je ne crains que votre inconstance,

Et je méprise son courroux.

ALMASIE.

Que dis-tu?... Fuis, Zénis, fuis ses transports jaloux.

Il y va de tes jours, fuis des momens terribles.

Le pouvoir du génie est prêt de t'accabler.

Dans ce palais, des esprits invisibles

Veillent sans cesse et peuvent t'immoler.

S'ils touchaient seulement ce sceptre redoutable,

Tu le verrais lui-même, au milieu des éclairs,

Sur un char enflammé paraître dans les airs,

Et tu serais l'objet de sa haine implacable.

ZÉNIS.

Vous cherchez vainement à me faire trembler.

Je vous adore et brave sa puissance.

ALMASIE.

Je sens, à chaque instant, mes craintes redoubler...

Tout semble s'animer pour venger son offense....

Ces colonnes, ces murs paraissent s'ébranler...

Peut-être il n'est plus temps d'éviter sa vengeance.

ZÉNIS.

Non, je ne le crains point.

(en brisant le sceptre.) Qu'il paraisse.

(Dès que le sceptre est brisé, on entend une tempête affreuse; le théâtre s'obscurcit, le tonnerre gronde.)

ALMASIE.

Ah! grands dieux!

ZÉNIS.

Je veux en triompher, ou périr à vos yeux.

CHŒUR D'ESPRITS INVISIBLES.

O crime épouvantable!

O jour funeste! jour affreux!

Tu vas périr, mortel audacieux!

La foudre va partir, et punir le coupable;

Tu vas périr, mortel audacieux!

SCÈNE III.

LE GÉNIE, paraissant dans les airs, sur un char de feu,

ALMASIE, ZÉNIS.

ALMASIE.

Je me meurs.

LE GÉNIE.

Quel spectacle à mes yeux se présente?

Almasie éperdue et mon sceptre brisé!

Punissons, punissons une audace insolente:

Vengeons mon pouvoir méprisé.

Ministres de mes lois, venez, servez ma rage;

Paraisses, enchaînez l'ennemi qui m'outrage.

SCÈNE IV.

TROUPE DE GÉNIES, LE GÉNIE, ALMASIE, ZÉNIS.

CHŒUR DE GÉNIES.

Nous t'obéissons,

Tu connais le crime.

Nous en frémissons,

Frappe ta victime.

ALMASIE.

Juste ciel!

LE GÉNIE.

Tu devrais mieux cacher ta douleur,

Voilà donc le rival qui règne dans ton âme?

C'est lui qui m'enlève ton cœur,

Et qui fait mépriser mes bienfaits et ma flâme.

ALMASIE.

Ah! seigneur, écartez des soupçons odieux.

LE GÉNIE.

Quel est donc son projet? et quel pouvoir suprême

L'a fait pénétrer en ces lieux?

ALMASIE.

Hélas! je l'ignore moi-même.

LE GÉNIE.

Je te soupçonne, j'en gémis;

Mais s'il n'est pas l'objet de ton amour extrême,

Prends ce fer; frappes... tu frémis!

(Il lui donne un poignard.)

Ah! perfide, tu me trahis.

ALMASIE.

M'oses-tu proposer un forfait que j'abhorre?

Pour calmer ta fureur, j'immolerais Zénis!...

J'immolerais ce que j'adore!

ZÉNIS.

Ah! cet aveu me venge, et je brave le sort.

LE GÉNIE.

Et toi, tu m'offenses encore:

C'est donc à moi de te donner la mort.

ALMASIE.

Barbare... arrête:

S'il faut du sang pour t'appaiser,

Donne; ma main est toute prête:

(Elle veut arracher le poignard, pour s'en frapper.)

C'est le mien que je vais verser.

LE GÉNIE, faisant signe aux Génies de se retirer.

C'est assez. Il est temps de me faire connaître.

Tendres amans, vos tourmens sont finis.

J'ai su vous éprouver. Ton courage, Zénis,

Annonce à l'univers le sang qui l'a fait naître.

(à Almasie.)

Et vous, de votre cœur je connais tout le prix;

Soyez heureuse enfin, vous méritez de l'être;

Pardonnez-moi vos maux, je vous donne mon fils.

ALMASIE.

Votre fils!...

ZÉNIS.

Vous mon père!

Ah! pourquoi si long-temps m'en avoir fait mystère!

LE GÉNIE.

Ma tendresse, mon fils, m'en imposa la loi.

La nature toujours rend la naissance égale.

Ce n'est qu'en s'illustrant qu'on met un intervale

Entre tous les mortels et soi.

S'ils ne gravent leur nom au temple de mémoire,

Les enfans des héros sont dans l'obscurité;

C'est par sa propre gloire

Que l'on détruit l'égalité.

ZÉNIS.

Amour, voilà l'effet de tes divins oracles.

LE GÉNIE.

Ils n'étaient dictés que par moi.

J'ai voulu t'opposer des dangers, des obstacles;

J'ai vu ton âme incapable d'effroi,

Et je viens partager mon empire avec toi.

ZÉNIS.

A vos bienfaits déjà mon cœur ne peut suffire.

Almasie est à moi. Puis-je former des vœux?

Mon père, en couronnant mes feux,

Vous avez fait bien plus que me donner l'empire.

LE GÉNIE.

Votre bonheur, mon fils, est tout ce que je veux.

ALMASIE, ZÉNIS.

Triomphe, Amour, règne sur nous sans cesse,

Dans nos cœurs lance tous tes traits;

Que chaque jour notre bonheur renaisse,

Nous le devons à tes bienfaits.

LE GÉNIE.

(La fête commence.)

Chantez l'Amour; célébrez sa victoire;

Il est le plus charmant des dieux:

Il soutient son empire, en comblant tous vos vœux,

C'est le plaisir qui prend soin de sa gloire.

LE CHŒUR.

Chantons l'amour, etc.

LE GÉNIE.

Esprits sous mes lois réunis,

Pour votre roi, reconnaissez mon fils.

Qu'il déchaîne les vents, qu'il lance le tonnerre,

Qu'il soulève et calme les mers,

Qu'il règne sur tout l'univers,

Et soit l'arbitre de la terre.

ZÉNIS.

Mon pouvoir va me rendre heureux.

Devenez immortelle, adorable Almasie;

Que vos attraits, que votre vie

Durent autant que l'excès de mes feux.

ALMASIE.

Si vous m'êtes fidèle,

Que mon bonheur sera parfait!

Mon immortalité ne peut être un bienfait,

Qu'en vous voyant brûler d'une amour éternelle.

ZÉNIS.

Partagez mes suprêmes droits,

Et régnez dans les Cieux, sur la terre et sur l'onde.

Il est plus doux d'obéir à vos lois,

Que d'en pouvoir donner au monde.

ALMASIE.

(On danse.)

Les traits que l'amour lance

Sont toujours des traits vainqueurs;

Il règne sur tous les cœurs,

Pourquoi lui faire résistance?

Cédons au plus charmant des dieux;

L'effort qu'on fait pour se défendre

Ne sert qu'à rendre

Son triomphe plus glorieux.

Les traits, etc.

ALMASIE, alternativement avec le chœur.

Est-il sans aimer,

Des biens qu'un cœur désire?

Non: l'amour seul peut charmer;

Doit-on s'alarmer

Des transports qu'il inspire?

Non, laissons-nous enflammer.

CHŒUR.

Est-il sans aimer, etc.

ALMASIE.

Dans ces lieux il choisit son empire;

L'air qu'on y respire

Est rempli de ses feux;

Au tendre délire,

Aux soins amoureux,

Cédons, ici tout conspire

Pour nous rendre heureux.

CHŒUR.

Est-il sans aimer, etc.

ALMASIE.

Dans ses chaînes,

S'il est quelques peines,

Les soupirs

Font naître les plaisirs.

Aimons, sans nous contraindre;

Doit-on craindre,

Sous ses lois,

Quand on fait un bon choix?

Que nos voix

Célèbrent son empire;

Qu'on entende dire

Mille et mille fois:

CHŒUR.

Est-il sans aimer,

Des biens qu'un cœur désire?

Non, l'amour seul peut charmer;

Doit-on s'alarmer

Des transports qu'il inspire?

Non, laissons-nous enflammer.

(Ballet général.)

FIN DE ZÉNIS ET ALMASIE.

PALMIRE,

BALLET HÉROIQUE EN UN ACTE,

REPRÉSENTÉ DEVANT LEURS MAJESTÉS, A FONTAINEBLEAU,
LE 24 OCTOBRE 1755.

PERSONNAGES.

  • Le grand-prêtre de l'Amour.
  • ZÉLÉNOR, Prince de Chypre.
  • PALMIRE, Reine d'Amathonte.
  • L'AMOUR.
  • L'oracle.
  • Chœur.
  • Peuples.
  • Bergers et bergères.

La scène est à Amathonte.

PALMIRE,
BALLET HÉROIQUE.

On voit au fond du théâtre les portes du temple de l'Amour.

SCÈNE PREMIÈRE.

LE GRAND PRÊTRE, seul.

Zélénor va paraître annoncé par la gloire,

Sa valeur a sauvé le temple de l'Amour.

Hélas! faut-il voir, en ce jour,

La reine devenir le prix de sa victoire?

CHŒUR DE PEUPLE, derrière le théâtre.

Régnez, aimez, jeune vainqueur,

Que la gloire et l'amour partagent votre cœur!

LE GRAND PRÊTRE.

Ces chants redoublent mes alarmes.

Dieux! que c'est un destin fatal

D'être forcé d'admirer son rival!

Mais de son sort je troublerai les charmes.

Fatal hymen! funeste jour!

Pour mon cœur déchiré, ta pompe est un outrage!

J'éteindrai tes flambeaux dans les mains de l'amour!

Ils ne s'allumeront que du feu de ma rage!

SCÈNE II.

LE GRAND PRÊTRE, ZÉLÉNOR, PALMIRE, PEUPLES.

CHŒUR.

Régnez, aimez, jeune vainqueur,

Que la gloire et l'amour partagent votre cœur!

ZÉLÉNOR.

Ministre du dieu dont l'empire

S'étend sur tout ce qui respire,

Présentez-lui deux cœurs qui chérissent ses fers.

Quels hommages lui sont plus chers

Que les sentimens qu'il inspire!

PALMIRE.

L'oracle de l'Amour doit approuver mon choix;

Daignez l'interroger, qu'il nous dicte ses lois.

ZÉLÉNOR.

Si j'en crois les transports de mon âme ravie,

Déjà j'entends ce dieu vous consacrer ma vie.

Quel sera mon bonheur,

Si j'en crois les transports de mon âme ravie!

PALMIRE.

L'oracle de l'Amour est écrit dans mon cœur.

CHŒUR.

Que leurs chaînes soient éternelles!

Puissant Amour! remplis leurs vœux:

Rends ces amans heureux

Autant qu'ils sont fidelles.

LE GRAND PRÊTRE.

Allons prier ce dieu d'approuver leur ardeur;

Qu'il les unisse l'un et l'autre;

Lui demander de faire leur bonheur,

C'est former des vœux pour le vôtre.

SCÈNE III.

ZÉLÉNOR, PALMIRE.

ZÉLÉNOR.

L'excès de ma félicité

Répand l'ivresse dans mon âme;

Mes yeux vous expriment ma flâme,

Les vôtres sont garans de ma fidélité.

PALMIRE.

Au plus tendre penchant je me laissai conduire;

Quand je vous vis, je commençai d'aimer:

J'ignorais le bonheur; mais mon cœur sut m'instruire:

Vous avez le don de charmer,

Et les autres mortels n'ont que l'art de séduire.

Ah! l'Amour me devait un si parfait amant.

ZÉLÉNOR.

Que l'Amour est un dieu charmant,

Quand il fait partager les transports qu'il inspire!

PALMIRE.

Cher Zélénor!

ZÉLÉNOR.

Adorable Palmire

ENSEMBLE.

Je vous aimerai toujours,

Je veux passer tous mes jours

A répéter l'aveu du serment qui nous lie,

Et vous redire encore, en terminant ma vie:

Je vous adorerai toujours.

(On entend un bruit de symphonie champêtre.)

PALMIRE.

Le son charmant de ces musettes

Annonce ici les bergers de ces lieux.

ZÉLÉNOR.

Ils quittent leurs retraites,

Pour offrir à vos yeux

L'hommage le plus pur et le plus précieux.

PALMIRE.

L'Amour se plaît à les entendre;

Pour notre hymen c'est un présage heureux.

ZÉLÉNOR.

Pour un cœur embrasé de l'ardeur la plus tendre,

Le vrai présage est celui de ses feux.

SCÈNE IV.

Les Précédens, BERGERS, BERGÈRES.

(On danse.)

ZÉLÉNOR.

Bergers, chantez une reine si belle.

PALMIRE.

Bergers, chantez la gloire de mon choix.

CHŒUR.

Chantons une reine si belle;

Chantons la gloire de son choix.

PALMIRE.

Vous chérirez ses loix.

ZÉLÉNOR.

Je les recevrai d'elle.

CHŒUR.

Chantons, etc.

(On danse.)

ZÉLÉNOR.

Éclatez, transports d'allégresse,

Consacrez l'ardeur de mes feux;

Témoins de toute ma tendresse,

Chantez l'amant le plus heureux.

Éclatez, transports d'allégresse,

Consacrez l'ardeur de mes feux;

Ah! qu'il est doux de lire,

Dans tous les yeux,

Le souverain empire

De l'objet de ses feux.

Éclatez, transports d'allégresse,

Consacrez l'ardeur de mes feux.

(On danse.)

SCÈNE V.

Les Précédens, LE GRAND PRÊTRE.

LE GRAND PRÊTRE.

Viens, Amour, dicte tes arrêts,

Fais le bonheur d'un amant qui t'implore:

Ne triomphe d'un cœur, et n'y lance tes traits

Que pour l'unir à l'objet qu'il adore!

LE CHŒUR.

Viens, Amour, dicte tes arrêts;

Triomphe, prononce tes décrets.

LE GRAND PRÊTRE.

Le dieu m'entend, il va prononcer ses décrets;

Que du plus saint respect votre âme soit saisie!

L'ORACLE.

Palmire, ce n'est pas aux profanes mortels

Que l'Amour destine ta vie:

Tu ne dois être unie

Qu'au ministre de ses autels.

PALMIRE.

Quel oracle fatal!

ZÉLÉNOR.

Quel désespoir extrême!

L'Amour lui-même, hélas! veut donc nous séparer?

LE GRAND PRÊTRE.

Le dieu vient de se déclarer;

Vous devez respecter sa volonté suprême:

C'est un crime d'en murmurer.

PALMIRE.

Dieu barbare! quelle est la rigueur de tes chaînes?

Tu ne te plais qu'à voir couler nos pleurs.

Si pour les tendres cœurs tu réserves les peines,

Sur moi seule du moins épuise tes rigueurs.

LE GRAND PRÊTRE.

Chaque instant vous rend plus coupables,

L'Amour condamne votre ardeur;

Ses arrêts sont irrévocables:

Venez à ses autels, prévenez sa fureur.

ZÉLÉNOR.

Peuples, opposez-vous à cette barbarie.

ZÉLÉNOR AVEC LE CHŒUR.

Non, non, { je ne souffrirai } pas

{ nous ne souffrirons }

Qu'elle { me } soit ravie.

{ te }

Frémissez, ministres ingrats;

Et craignez les transports de ma juste furie.

Non, non, etc.

LE GRAND PRÊTRE ET SA SUITE.

Amour, on méprise tes lois;

Viens effrayer la terre;

Soutiens ta puissance et { mes } droits,

  { ses }

Du souverain des dieux emprunte le tonnerre.

(On entend le tonnerre.)

PALMIRE ET ZÉLÉNOR.

Hélas! nous nous voyons pour la dernière fois.

SCÈNE VI.

Les Précédens, L'AMOUR.

L'AMOUR.

En vain à mes projets, voulez-vous mettre obstacle;

Pour les faire accomplir, je descends en ces lieux.

Tremblez, mortels audacieux!

Et soumettez-vous à l'oracle.

LE GRAND PRÊTRE.

Qu'entends-je?

PALMIRE ET ZÉLÉNOR.

Juste Ciel!

L'AMOUR.

Et toi, de mes autels

Ministre coupable et parjure,

Je vais faire éclater tes complots criminels,

Je vais punir ton imposture:

Tu trompas ces amans par un oracle faux;

Il va servir à faire ton supplice.

Pour augmenter ta honte et terminer leurs maux,

Je veux que l'hymen les unisse.

Zélénor, présidez dans ce temple sacré;

L'oracle est accompli, je vous joins à Palmire.

LE GRAND PRÊTRE.

O rage! ô désespoir! quel rigoureux martyre!

PALMIRE ET ZÉLÉNOR, ensemble et alternativement.

Quelle félicité!

Nos chaînes seront éternelles.

Pour te servir avec sincérité,

Tu ne pouvais choisir deux amans plus fidelles,

Ni plus remplis de ta divinité.

Quelle félicité!

Nos chaînes seront éternelles;

L'amour vient de combler nos vœux;

C'est l'amour qui nous rend heureux.

Quelle félicité!

Nos chaînes seront éternelles.

SCÈNE VII ET DERNIÈRE.

LE GRAND PRÊTRE, ZÉLÉNOR, PALMIRE,

L'AMOUR, Suite de l'Amour.

L'AMOUR.

Vous qui brûlez d'une si belle flâme,

Tendres amans, livrez-vous aux désirs;

Vous ressentirez dans votre âme

Que je suis le Dieu des plaisirs;

Le bonheur vous rendra fidelles;

Formez des vœux, je les remplirai tous;

Je suis le tyran des jaloux;

Mais je suis l'esclave des belles.

Volez, plaisirs, rassemblez-vous;

Dans vos jeux retracez l'histoire

De la déesse des forêts:

Célébrez à jamais

Ma plus éclatante victoire.

(Le théâtre change et les plaisirs exécutent un ballet pantomime.)

412

LA VENGEANCE DE L AMOUR,
OU
DIANE ET ENDIMION,

PANTOMIME HÉROÏQUE, EN TROIS ACTES,

EXÉCUTÉE DEVANT LEURS MAJESTÉS, A FONTAINEBLEAU, A LA SUITE DE PALMIRE.

414

LA VENGEANCE DE L'AMOUR,
OU
DIANE ET ENDIMION,
PANTOMIME HÉROÏQUE.

ACTE PREMIER.

Le théâtre représente une forêt. Plusieurs forges, galamment ornées, sont placées dans des buissons.

Une troupe d'Amours entre sur la scène sous la conduite de leur chef. Les uns travaillent, sur des enclumes, à forger des fers et des flèches; d'autres les aiguisent; d'autres arrondissent des arcs; quelques-uns les tendent, et essaient leurs traits en tirant à des blancs suspendus aux arbres. La fatigue assoupit successivement les Amours. Ils tombent, les uns après les autres, sur le gazon, pour y prendre du repos. Lorsqu'ils sont endormis, on voit paraître quelques Nymphes de Diane. Elle marquent de la crainte en apercevant les Amours. Quelques-unes avancent avec timidité; elles fuyent au moindre bruit qu'elles croient entendre, au moindre mouvement que font quelques Amours en dormant.

Enfin, elles font signe à leurs compagnes d'approcher; elles vont au-devant d'elles, et reviennent toutes ensemble pour s'encourager mutuellement. Peu à peu elles s'enhardissent; elles approchent, et profitent du sommeil des Amours pour les désarmer et pour briser leurs arcs et leurs flèches. Devenues encore plus hardies par ce succès, une d'entre elles va allumer une torche de branchages au feu des forges, tandis que les autres, font un monceau des armes brisées auquel elles mettent le feu, et se retirent précipitamment.

Les Amours se réveillent. Ils voient avec douleur le ravage que les Nymphes ont fait. Un d'entre eux trouve un trait échappé à leur fureur; il s'en saisit; il le remet à l'Amour principal qui le montre à la troupe comme l'instrument d'une vengeance prochaine. Ils sortent tous de la scène, pour se mettre en embuscade dans différens endroits de la forêt.

Diane vient avec ses Nymphes, qui lui font remarquer les débris des armes qu'elles ont brisées. La déesse leur ordonne d'aller tendre des filets aux environs. Les Nymphes s'éloignent pour exécuter ses ordres. Quelques-unes restent auprès de Diane, pour la féliciter de l'avantage qu'on vient de remporter sur les Amours.

On aperçoit un grand mouvement dans les filets; toutes les Nymphes y courent. Diane attend avec impatience qu'on lui amène sa proie. Les nymphes retiennent et conduisent Endimion enchaîné avec des guirlandes de feuilles. Il paraît leur demander grâce. Il sollicite en vain leur pitié; ses prières ne font qu'irriter leur barbarie. Une d'entr'elles veut le percer de son javelot; Diane le saisit et fait entendre qu'elle veut elle-même punir le téméraire. Les Nymphes se retirent.

Diane se dispose à immoler la victime; Endimion implore sa clémence. La déesse paraît inexorable. Il se jette à ses pieds; elle détourne ses regards, et cependant suspend le coup fatal. Enfin, elle fixe les yeux sur Endimion, et lui tend la main pour le relever; il lui témoigne sa reconnaissance; elle paraît le voir avec plaisir; ils dansent un pas de deux, et les regards de la déesse expriment au jeune berger les sentimens les plus flatteurs.

Les Nymphes reviennent; elles paraissent surprises de la clémence de Diane. Un nuage dérobe Endimion à leur colère.

FIN DU PREMIER ACTE.

ACTE II.

Le théâtre représente une grotte, au fond de la forêt.

L'Amour, porté par des Faunes sur un trône de fleurs, entre en triomphe sur la scène, accompagné d'une troupe d'amours, de bergers et de bergères, qui célèbrent, par leurs danses, la victoire de ce dieu.

La grotte s'ouvre aux ordres de l'Amour. On y voit Endimion endormi. Le silence, le mystère et les songes l'environnent.

Les songes forment des danses d'enchantement. Un pas de deux amans que l'Amour enchaîne et que le mystère couronne, peint à Endimion la gloire qui lui est destinée.

Diane survient à son approche: toute la troupe se retire; et les amours se cachent dans les environs. Diane touche Endimion de son arc; il s'éveille; il court avec empressement à la déesse, qui, dans un pas de deux, exprime toute sa tendresse et annonce le rang glorieux auquel elle va l'élever.

FIN DU SECOND ACTE.

ACTE III.

Le théâtre représente le palais de la Lune, préparé pour célébrer l'hymen de Diane et d'Endimion.

La déesse est sur son trône brillant avec Endimion, et environnée de toute sa cour, à laquelle s'est jointe la troupe des amours et les suivans d'Endimion, unis aux Nymphes de Diane. Tous ensemble célèbrent, par leurs danses, la victoire de l'Amour et le bonheur d'Endimion; ce qui forme le divertissement général, à la fin duquel la déesse vient elle-même se joindre, pour danser avec Endimion, qu'elle couronne d'une guirlande d'étoiles brillantes.

FIN DU TROISIÈME ACTE.

420

TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS LE QUATRIÈME VOLUME.

  pages.
Ébauches d'une poétique dramatique 1
— De la Tragédie chez les anciens 1
— Chœur 20
— De la Comédie chez les anciens 24
— Théâtre français 29
— Mystères 35
— Sotties 37
Observations générales sur l'art dramatique 39
— Salle de spectacle 40
— Action théâtrale 41
— Poème dramatique 50
— Pièces de théâtre 53
— Plan 53
— Canevas 54
— Sujet 58
— Roman 59
— Fable 59
Division dramatique 63
— Prologue 63
— Protase 66
— Épitase, Exposition 69
— Épisode 76
— Catastase 81 422
— Épilogue 81
— Récit dramatique 82
— Monologue, et monodie 86
— Dialogue 96
— Aparté 107
Conduite de l'action dramatique 110
— Intérêt 110
— Unité d'Intérêt 116
— De l'Intérêt propre à la Comédie 118
— Gradation d'Intérêt 119
— Nœud 121
— Développemens 127
— Coups de théâtre 135
— Délibération 143
— Tirades 148
— Caractères 149
— Amour 164
— Amour conjugal 173
— Amitié 176
— Combats du cœur 178
— Nuances 185
— Terreur 190
— Pitié 194
— Horreur 196
— Admiration 198
— Personnages principaux dans la Tragédie 200
— Confidens et subalternes 201
— Genre comique 204
— Ridicule 210
— Opéra 214
— Poème lyrique 219 423
— Opéra italien 231
Mustapha et Zéangir, tragédie 235
La Jeune Indienne, comédie 317
Le Marchand de Smyrne, comédie 353
Zénis et Almazis, ballet héroïque 385
Palmire, ballet héroïque 399
La Vengeance de l'Amour, pantomime héroïque 413

FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES DU QUATRIÈME VOLUME.

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