Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 6: mises en ordre, revues et annotées d'après les manuscrits de l'auteur
Prenons un exemple. La violence a des conséquences funestes: chez les sauvages la répression est abandonnée au cours naturel des choses; qu'arrive-t-il? C'est qu'elle provoque une réaction terrible. Quand un homme a commis un acte de violence contre un autre homme, une soif inextinguible de vengeance s'allume dans la famille du dernier et se transmet de génération en génération. Intervient la loi; que doit-elle faire? Se bornera-t-elle à étouffer l'esprit de vengeance, à le réprimer, à le punir? Il est clair que ce serait encourager la violence en la mettant à l'abri de toutes représailles. Ce n'est donc pas ce que doit faire la loi. Elle doit se substituer, pour ainsi dire, à l'esprit de vengeance en organisant à sa place la réaction contre la violence; elle doit dire à la famille lésée: Je me charge de la répression de l'acte dont vous avez à vous plaindre.—Alors la tribu tout entière se considère comme lésée et menacée. Elle examine le grief, elle interroge le coupable, elle s'assure qu'il n'y a pas erreur de fait ou de personne, et réprime ainsi avec régularité, certitude, un acte qui aurait été puni irrégulièrement[66]...
XXII
MOTEUR SOCIAL
Il n'appartient à aucune science humaine de donner la dernière raison des choses.
L'homme souffre; la société souffre. On demande pourquoi. C'est demander pourquoi il a plu à Dieu de donner à l'homme la sensibilité et le libre arbitre. Nul ne sait à cet égard que ce que lui enseigne la révélation en laquelle il a foi.
Mais, quels qu'aient été les desseins de Dieu, ce qui est un fait positif, que la science humaine peut prendre pour point de départ, c'est que l'homme a été créé sensible et libre.
Cela est si vrai, que je défie ceux que cela étonne de concevoir un être vivant, pensant, voulant, aimant, agissant, quelque chose enfin ressemblant à l'homme, et destitué de sensibilité ou de libre arbitre.
Dieu pouvait-il faire autrement? sans doute la raison nous dit oui, mais l'imagination nous dira éternellement non; tant il nous est radicalement impossible de séparer par la pensée l'humanité de ce double attribut. Or être sensible c'est être capable de recevoir des sensations discernables, c'est-à-dire agréables ou pénibles. De là le bien-être et le mal-être. Dès l'instant que Dieu a créé la sensibilité, il a donc permis le mal ou la possibilité du mal.
En nous donnant le libre arbitre, il nous a doués de la faculté, au moins dans une certaine mesure, de fuir le mal et de rechercher le bien. Le libre arbitre suppose et accompagne l'intelligence. Que signifierait la faculté de choisir, si elle n'était liée à la faculté d'examiner, de comparer, de juger? Ainsi tout homme venant au monde y porte un moteur et une lumière.
Le moteur, c'est cette impulsion intime, irrésistible, essence de toutes nos forces, qui nous porte à fuir le Mal et à rechercher le Bien. On le nomme instinct de conservation, intérêt personnel ou privé.
Ce sentiment a été tantôt décrié, tantôt méconnu, mais quant à son existence, elle est incontestable. Nous recherchons invinciblement tout ce qui selon nos idées peut améliorer notre destinée; nous évitons tout ce qui doit la détériorer. Cela est au moins aussi certain qu'il l'est que toute molécule matérielle renferme la force centripète et la force centrifuge. Et comme ce double mouvement d'attraction et de répulsion est le grand ressort du monde physique, on peut affirmer que la double force d'attraction humaine pour le bonheur, de répulsion humaine pour la douleur, est le grand ressort de la mécanique sociale.
Mais il ne suffit pas que l'homme soit invinciblement porté à préférer le bien au mal, il faut encore qu'il le discerne. Et c'est à quoi Dieu a pourvu en lui donnant cet appareil complexe et merveilleux appelé l'intelligence. Fixer son attention, comparer, juger, raisonner, enchaîner les effets aux causes, se souvenir, prévoir; tels sont, si j'ose m'exprimer ainsi, les rouages de cet instrument admirable.
La force impulsive, qui est en chacun de nous, se meut sous la direction de notre intelligence. Mais notre intelligence est imparfaite. Elle est sujette à l'erreur. Nous comparons, nous jugeons, nous agissons en conséquence; mais nous pouvons nous tromper, faire un mauvais choix, tendre vers le mal le prenant pour le bien, fuir le bien le prenant pour le mal. C'est la première source des dissonances sociales; elle est inévitable par cela même que le grand ressort de l'humanité, l'intérêt personnel, n'est pas, comme l'attraction matérielle, une force aveugle, mais une force guidée par une intelligence imparfaite. Sachons donc bien que nous ne verrons l'Harmonie que sous cette restriction. Dieu n'a pas jugé à propos d'établir l'ordre social ou l'Harmonie sur la perfection, mais sur la perfectibilité humaine. Oui, si notre intelligence est imparfaite, elle est perfectible. Elle se développe, s'élargit, se rectifie; elle recommence et vérifie ses opérations; à chaque instant, l'expérience la redresse, et la Responsabilité suspend sur nos têtes tout un système de châtiments et de récompenses. Chaque pas que nous faisons dans la voie de l'erreur nous enfonce dans une douleur croissante, de telle sorte que l'avertissement ne peut manquer de se faire entendre, et que le redressement de nos déterminations, et par suite de nos actes, est tôt ou tard infaillible.
Sous l'impulsion qui le presse, ardent à poursuivre le bonheur, prompt à le saisir, l'homme peut chercher son bien dans le mal d'autrui. C'est une seconde et abondante source de combinaisons sociales discordantes. Mais le terme en est marqué; elles trouvent leur tombeau fatal dans la loi de la Solidarité. La force individuelle ainsi égarée provoque l'opposition de toutes les autres forces analogues, lesquelles, répugnant au mal par leur nature, repoussent l'injustice et la châtient.
C'est ainsi que se réalise le progrès, qui n'en est pas moins du progrès pour être chèrement acheté. Il résulte d'une impulsion native, universelle, inhérente à notre nature, dirigée par une intelligence souvent erronée et soumise à une volonté souvent dépravée. Arrêté dans sa marche par l'Erreur et l'Injustice, il rencontre pour surmonter ces obstacles l'assistance toute puissante de la Responsabilité et de la Solidarité, et ne peut manquer de la rencontrer, puisqu'elle surgit de ces obstacles mêmes.
Ce mobile interne, impérissable, universel, qui réside en toute individualité et la constitue être actif, cette tendance de tout homme à rechercher le bonheur, à éviter le malheur, ce produit, cet effet, ce complément nécessaire de la sensibilité, sans lequel elle ne serait qu'un inexplicable fléau, ce phénomène primordial qui est l'origine de toutes les actions humaines, cette force attractive et répulsive que nous avons nommée le grand ressort de la Mécanique sociale, a eu pour détracteurs la plupart des publicistes; et c'est certes une des plus étranges aberrations que puissent présenter les annales de la science.
Il est vrai que l'intérêt personnel est la cause de tous les maux comme de tous les biens imputables à l'homme. Cela ne peut manquer d'être ainsi, puisqu'il détermine tous nos actes. Ce que voyant certains publicistes, ils n'ont rien imaginé de mieux, pour couper le mal dans sa racine, que d'étouffer l'intérêt personnel. Mais comme par là ils auraient détruit le mobile même de notre activité, ils ont pensé à nous douer d'un mobile différent: le dévouement, le sacrifice. Ils ont espéré que désormais toutes les transactions et combinaisons sociales s'accompliraient, à leur voix, sur le principe du renoncement à soi-même. On ne recherchera plus son propre bonheur, mais le bonheur d'autrui; les avertissements de la sensibilité ne compteront plus pour rien, non plus que les peines et les récompenses de la responsabilité. Toutes les lois de la nature seront renversées; l'esprit de sacrifice sera substitué à l'esprit de conservation; en un mot, nul ne songera plus à sa propre personnalité que pour se hâter de la dévouer au bien commun. C'est de cette transformation universelle du cœur humain que certains publicistes, qui se croient très-religieux, attendent la parfaite harmonie sociale. Ils oublient de nous dire comment ils entendent opérer ce préliminaire indispensable, la transformation du cœur humain.
S'ils sont assez fous pour l'entreprendre, certes ils ne seront pas assez forts. En veulent-ils la preuve? Qu'ils essayent sur eux-mêmes; qu'ils s'efforcent d'étouffer dans leur cœur l'intérêt personnel, de telle sorte qu'il ne se montre plus dans les actes les plus ordinaires de la vie. Ils ne tarderont pas à reconnaître leur impuissance. Comment donc prétendent-ils imposer à tous les hommes sans exception une doctrine à laquelle eux-mêmes ne peuvent se soumettre?
J'avoue qu'il m'est impossible de voir quelque chose de religieux, si ce n'est l'apparence et tout au plus l'intention, dans ces théories affectées, dans ces maximes inexécutables qu'on prêche du bout des lèvres, sans cesser d'agir comme le vulgaire. Est-ce donc la vraie religion qui inspire à ces économistes catholiques cette pensée orgueilleuse, que Dieu a mal fait son œuvre, et qu'il leur appartient de la refaire? Bossuet ne pensait pas ainsi quand il disait: «L'homme aspire au bonheur, il ne peut pas ne pas y aspirer.»
Les déclamations contre l'intérêt personnel n'auront jamais une grande portée scientifique; car il est de sa nature indestructible, ou du moins on ne le peut détruire dans l'homme sans détruire l'homme lui-même. Tout ce que peuvent faire la religion, la morale, l'économie politique, c'est d'éclairer cette force impulsive, de lui montrer non-seulement les premières, mais encore les dernières conséquences des actes qu'elle détermine en nous. Une satisfaction supérieure et progressive derrière une douleur passagère, une souffrance longue et sans cesse aggravée après un plaisir d'un moment, voilà en définitive le bien et le mal moral. Ce qui détermine le choix de l'homme vers la vertu, ce sera l'intérêt élevé, éclairé, mais ce sera toujours au fond l'intérêt personnel.
S'il est étrange que l'on ait décrié l'intérêt privé, considéré non pas dans ses abus immoraux, mais comme mobile providentiel de toute activité humaine, il est bien plus étrange encore que l'on n'en tienne aucun compte, et qu'on croie pouvoir, sans compter avec lui, faire de la science sociale.
Par une inexplicable folie de l'orgueil, les publicistes, en général, se considèrent comme les dépositaires et les arbitres de ce moteur. Le point de départ de chacun d'eux est toujours celui-ci: Supposons que l'humanité est un troupeau, et que je suis le berger, comment dois-je m'y prendre pour rendre l'humanité heureuse?—Ou bien: Étant donné d'un côté une certaine quantité d'argile, et de l'autre un potier, que doit faire le potier pour tirer de l'argile tout le parti possible?
Nos publicistes peuvent différer quand il s'agit de savoir quel est le meilleur potier, celui qui pétrit le plus avantageusement l'argile; mais ils s'accordent en ceci, que leur fonction est de pétrir l'argile humaine, comme le rôle de l'argile est d'être pétrie par eux. Ils établissent entre eux, sous le titre de législateurs, et l'humanité, des rapports analogues à ceux de tuteur à pupille. Jamais l'idée ne leur vient que l'humanité est un corps vivant, sentant, voulant et agissant selon des lois qu'il ne s'agit pas d'inventer, puisqu'elles existent, et encore moins d'imposer, mais d'étudier; qu'elle est une agglomération d'êtres en tout semblables à eux-mêmes, qui ne leur sont nullement inférieurs ni subordonnés; qui sont doués, et d'impulsion pour agir, et d'intelligence pour choisir; qui sentent en eux, de toutes parts, les atteintes de la Responsabilité et de la Solidarité; et enfin, que de tous ces phénomènes, résulte un ensemble de rapports existants par eux-mêmes, que la science n'a pas à créer, comme ils l'imaginent, mais à observer.
Rousseau est, je crois, le publiciste qui a le plus naïvement exhumé de l'antiquité cette omnipotence du législateur renouvelée des Grecs. Convaincu que l'ordre social est une invention humaine, il le compare à une machine, les hommes en sont les rouages, le prince la fait fonctionner; le législateur l'invente sous l'impulsion du publiciste, qui se trouve être, en définitive, le moteur et le régulateur de l'espèce humaine. C'est pourquoi le publiciste ne manque jamais de s'adresser au législateur sous la forme impérative; il lui ordonne d'ordonner. «Fondez votre peuple sur tel principe; donnez-lui de bonnes mœurs; pliez-le au joug de la religion; dirigez-le vers les armes ou vers le commerce, ou vers l'agriculture, ou vers la vertu, etc., etc.» Les plus modestes se cachent sous l'anonyme des ON. «On ne souffrira pas d'oisifs dans la république; ON distribuera convenablement la population entre les villes et les campagnes; ON avisera à ce qu'il n'y ait ni des riches ni des pauvres, etc., etc.»
Ces formules attestent chez ceux qui les emploient un orgueil incommensurable. Elles impliquent une doctrine qui ne laisse pas au genre humain un atome de dignité.
Je n'en connais pas de plus fausse en théorie et de plus funeste en pratique. Sous l'un et l'autre rapport, elle conduit à des conséquences déplorables.
Elle donne à croire que l'économie sociale est un arrangement artificiel, qui naît dans la tête d'un inventeur. Dès lors, tout publiciste se fait inventeur. Son plus grand désir est de faire accepter son mécanisme; sa plus grande préoccupation est de faire détester tous les autres, et principalement celui qui naît spontanément de l'organisation de l'homme et de la nature des choses. Les livres conçus sur ce plan ne sont et ne peuvent être qu'une longue déclamation contre la Société.
Cette fausse science n'étudie pas l'enchaînement des effets aux causes. Elle ne recherche pas le bien et le mal que produisent les actes, s'en rapportant ensuite, pour le choix de la route à suivre, à la force motrice de la Société. Non, elle enjoint, elle contraint, elle impose, et si elle ne le peut, du moins elle conseille; comme un physicien qui dirait à la pierre: «Tu n'es pas soutenue, je t'ordonne de tomber, ou du moins je te le conseille.» C'est sur cette donnée que M. Droz a dit: «Le but de l'économie politique est de rendre l'aisance aussi générale que possible;» définition qui a été accueillie avec une grande faveur par le Socialisme, parce qu'elle ouvre la porte à toutes les utopies et conduit à la réglementation. Que dirait-on de M. Arago s'il ouvrait ainsi son cours: «Le but de l'astronomie est de rendre la gravitation aussi générale que possible?» Il est vrai que les hommes sont des êtres animés, doués de volonté, et agissant sous l'influence du libre arbitre. Mais il y a aussi en eux une force interne, une sorte de gravitation; la question est de savoir vers quoi ils gravitent. Si c'est fatalement vers le mal, il n'y a pas de remède, et à coup sûr il ne nous viendra pas d'un publiciste soumis comme homme à la tendance commune. Si c'est vers le bien, voilà le moteur tout trouvé; la science n'a pas besoin d'y substituer la contrainte ou le conseil. Son rôle est d'éclairer le libre arbitre, de montrer les effets des causes, bien assurée que, sous l'influence de la vérité, «le bien-être tend à devenir aussi général que possible.»
Pratiquement, la doctrine qui place la force motrice de la Société non dans la généralité des hommes et dans leur organisation propre, mais dans les législateurs et les gouvernements, a des conséquences plus déplorables encore. Elle tend à faire peser sur le gouvernement une responsabilité écrasante qui ne lui revient pas. S'il y a des souffrances, c'est la faute du gouvernement; s'il y a des pauvres, c'est la faute du gouvernement. N'est-il pas le moteur universel? Si ce moteur n'est pas bon, il faut le briser, et en choisir un autre.—Ou bien, on s'en prend à la science elle-même, et dans ces derniers temps nous avons entendu répéter à satiété: «Toutes les souffrances sociales sont imputables à l'économie politique[67].» Pourquoi pas; quand elle se présente comme ayant pour but de réaliser le bonheur des hommes sans leur concours? Quand de telles idées prévalent, la dernière chose dont les hommes s'avisent, c'est de tourner un regard sur eux-mêmes, et de chercher si la vraie cause de leurs maux n'est pas dans leur ignorance et leur injustice; leur ignorance qui les place sous le coup de la Responsabilité, leur injustice qui attire sur eux les réactions de la solidarité. Comment l'humanité songerait-elle à chercher dans ses fautes la cause de ses maux, quand on lui persuade qu'elle est inerte par nature, que le principe de toute action, et par conséquent de toute responsabilité, est placé en dehors d'elle, dans la volonté du prince et du législateur?
Si j'avais à signaler le trait caractéristique qui différencie le Socialisme de la science économique, je le trouverais là. Le Socialisme compte une foule innombrable de sectes. Chacune d'elles a son utopie, et l'on peut dire qu'elles sont si loin de s'entendre, qu'elles se font une guerre acharnée. Entre l'atelier social organisé de M. Blanc, et l'anarchie de M. Proudhon, entre l'association de Fourier et le communisme de M. Cabet, il y a certes aussi loin que de la nuit au jour. Comment donc ces chefs d'école se rangent-ils sous la dénomination commune de Socialistes, et quel est le lien qui les unit contre la société naturelle ou providentielle? Il n'y en a pas d'autre que celui-là: Ils ne veulent pas la société naturelle. Ce qu'ils veulent, c'est une société artificielle, sortie toute faite du cerveau de l'inventeur. Il est vrai que chacun d'eux veut être le Jupiter de cette Minerve; il est vrai que chacun d'eux caresse son artifice et rêve son ordre social. Mais il y a entre eux cela de commun, qu'ils ne reconnaissent dans l'humanité ni la force motrice qui la porte vers le bien, ni la force curative qui la délivre du mal. Ils se battent pour savoir à qui pétrira l'argile humaine; mais ils sont d'accord que c'est une argile à pétrir. L'humanité n'est pas à leurs yeux un être vivant et harmonieux, que Dieu lui-même a pourvu de forces progressives et conservatrices; c'est une matière inerte qui les a attendus, pour recevoir d'eux le sentiment et la vie; ce n'est pas un sujet d'études, c'est une matière à expériences.
L'économie politique, au contraire, après avoir constaté dans chaque homme les forces d'impulsion et de répulsion, dont l'ensemble constitue le moteur social; après s'être assurée que ce moteur tend vers le bien, ne songe pas à l'anéantir pour lui en substituer un autre de sa création. Elle étudie les phénomènes sociaux si variés, si compliqués, auxquels il donne naissance.
Est-ce à dire que l'économie politique est aussi étrangère au progrès social que l'est l'astronomie à la marche des corps célestes? Non certes. L'économie politique s'occupe d'êtres intelligents et libres, et comme tels,—ne l'oublions jamais,—sujets à l'erreur. Leur tendance est vers le bien; mais ils peuvent se tromper. La science intervient donc utilement, non pour créer des causes et des effets, non pour changer les tendances de l'homme, non pour le soumettre à des organisations, à des injonctions, ni même à des conseils; mais pour lui montrer le bien et le mal qui résultent de ses déterminations.
Ainsi l'économie politique est une science toute d'observation et d'exposition. Elle ne dit pas aux hommes: «Je vous enjoins, je vous conseille de ne point vous trop approcher du feu;»—ou bien: «J'ai imaginé une organisation sociale, les dieux m'ont inspiré des institutions qui vous tiendront suffisamment éloignés du feu.» Non; elle constate que le feu brûle, elle le proclame, elle le prouve, et fait ainsi pour tous les autres phénomènes analogues de l'ordre économique ou moral, convaincue que cela suffit. La répugnance à mourir par le feu est considérée par elle comme un fait primordial, préexistant, qu'elle n'a pas créé, qu'elle ne saurait altérer.
Les économistes peuvent n'être pas toujours d'accord; mais il est aisé de voir que leurs dissidences sont d'une tout autre nature que celles qui divisent les socialistes. Deux hommes qui consacrent toute leur attention à observer un même phénomène et ses effets, comme, par exemple, la rente, l'échange, la concurrence,—peuvent ne pas arriver à la même conclusion; et cela ne prouve pas autre chose sinon que l'un des deux, au moins, a mal observé. C'est une opération à recommencer. D'autres investigateurs aidant, la probabilité est que la vérité finira par être découverte. C'est pourquoi,—à la seule condition que chaque économiste, comme chaque astronome, se tienne au courant du point où ses prédécesseurs sont parvenus,—la science ne peut être que progressive, et, partant, de plus en plus utile, rectifiant sans cesse les observations mal faites, et ajoutant indéfiniment des observations nouvelles aux observations antérieures.
Mais les socialistes,—s'isolant les uns des autres, pour chercher chacun de son côté, des combinaisons artificielles dans leur propre imagination,—pourraient s'enquérir ainsi pendant l'éternité sans s'entendre et sans que le travail de l'un servît de rien aux travaux de l'autre. Say a profité des recherches de Smith, Rossi de celles de Say, Blanqui et Joseph Garnier de celles de tous leurs devanciers. Mais Platon, Morus, Harrington, Fénelon, Fourier peuvent se complaire à organiser suivant leur fantaisie leur République, leur Utopie, leur Océana, leur Salente, leur Phalanstère, sans qu'il y ait aucune connexité entre leurs créations chimériques. Ces rêveurs tirent tout de leur tête, hommes et choses. Ils imaginent un ordre social en dehors du cœur humain, puis un cœur humain pour aller avec leur ordre social . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
XXIII
LE MAL
Dans ces derniers temps, on a fait reculer la science; on l'a faussée, en lui imposant pour ainsi dire l'obligation de nier le mal, sous peine d'être convaincue de nier Dieu.
Des écrivains qui tenaient sans doute à montrer une sensibilité exquise, une philanthropie sans bornes, et une religion incomparable, se sont mis à dire: «Le mal ne peut entrer dans le plan providentiel. La souffrance n'a été décrétée ni par Dieu ni par la nature, elle vient des institutions humaines.»
Comme cette doctrine abondait dans le sens des passions qu'on voulait caresser, elle est bientôt devenue populaire. Les livres, les journaux ont été remplis de déclamations contre la société. Il n'a plus été permis à la science d'étudier impartialement les faits. Quiconque a osé avertir l'humanité que tel vice, telle habitude entraînaient nécessairement telles conséquences funestes, a été signalé comme un homme sans entrailles, un impie, un athée, un malthusien, un économiste.
Cependant le socialisme a bien pu pousser la folie jusqu'à annoncer la fin de toute souffrance sociale, mais non de toute souffrance individuelle. Il n'a pas encore osé prédire que l'homme arriverait à ne plus souffrir, vieillir et mourir.
Or, je le demande, est-il plus facile de concilier avec l'idée de la bonté infinie de Dieu, le mal frappant individuellement tout homme venant au monde que le mal s'étendant sur la société tout entière? Et puis n'est-ce pas une contradiction si manifeste qu'elle en est puérile de nier la douleur dans les masses, quand on l'avoue dans les individus?
L'homme souffre et souffrira toujours. Donc la société souffre et souffrira toujours. Ceux qui lui parlent doivent avoir le courage de le lui dire. L'humanité n'est pas une petite-maîtresse, aux nerfs agacés, à qui il faut cacher la lutte qui l'attend, alors surtout qu'il lui importe de la prévoir pour en sortir triomphante. Sous ce rapport, tous les livres dont la France a été inondée à partir de Sismondi et de Buret, me paraissent manquer de virilité. Ils n'osent pas dire la vérité; que dis-je? ils n'osent pas l'étudier, de peur de découvrir que la misère absolue est le point de départ obligé du genre humain, et que, par conséquent, bien loin qu'on puisse l'attribuer à l'ordre social, c'est à l'ordre social qu'on doit toutes les conquêtes qui ont été faites sur elle. Mais, après un tel aveu, on ne pourrait pas se faire le tribun et le vengeur des masses opprimées par la civilisation.
Après tout, la science constate, enchaîne, déduit les faits; elle ne les crée pas; elle ne les produit pas; elle n'en est pas responsable. N'est-il pas étrange qu'on ait été jusqu'à émettre et même vulgariser ce paradoxe: Si l'humanité souffre, c'est la faute de l'économie politique? Ainsi, après l'avoir blâmée d'observer les maux de la société, on l'a accusée de les avoir engendrés en vertu de cette observation même.
Je dis que la science ne peut qu'observer et constater. Quand elle viendrait à reconnaître que l'humanité, au lieu d'être progressive, est rétrograde, que des lois insurmontables et fatales la poussent vers une détérioration irrémédiable; quand elle viendrait à s'assurer de la loi de Malthus, de celle de Ricardo, dans leur sens le plus funeste; quand elle ne pourrait nier ni la tyrannie du capital, ni l'incompatibilité des machines et du travail, ni aucune de ces alternatives contradictoires dans lesquelles Chateaubriand et Tocqueville placent l'espèce humaine,—encore la science, en soupirant, devrait le dire, et le dire bien haut.
Est-ce qu'il sert de rien de se voiler la face pour ne pas voir l'abîme, quand l'abîme est béant? Exige-t-on du naturaliste, du physiologiste, qu'ils raisonnent sur l'homme individuel comme si ses organes étaient à l'abri de la douleur ou de la destruction? «Pulvis es, et in pulverem reverteris.» Voilà ce que crie la science anatomique appuyée de l'expérience universelle. Certes, c'est là une vérité dure pour nos oreilles, aussi dure pour le moins que les douteuses propositions de Malthus et de Ricardo. Faudra-t-il donc, pour ménager cette sensibilité délicate qui s'est développée tout à coup parmi les publicistes modernes et a créé le socialisme, faudra-t-il aussi que les sciences médicales affirment audacieusement notre jeunesse sans cesse renaissante et notre immortalité? Que si elles refusent de s'abaisser à ces jongleries, faudra-t-il, comme on le fait pour les sciences sociales, s'écrier, l'écume à la bouche: «Les sciences médicales admettent la douleur et la mort; donc elles sont misanthropiques et sans entrailles, elles accusent Dieu de mauvaise volonté ou d'impuissance. Elles sont impies, elles sont athées. Bien plus, elles font tout le mal qu'elles s'obstinent à ne pas nier?»
Je n'ai jamais douté que les écoles socialistes n'eussent entraîné beaucoup de cœurs généreux et d'intelligences convaincues. À Dieu ne plaise que je veuille humilier qui que ce soit! Mais enfin le caractère général du socialisme est bien bizarre, et je me demande combien de temps la vogue peut soutenir un tel tissu de puérilités.
Tout en lui est affectation.
Il affecte des formes et un langage scientifiques, et nous avons vu où il en est de la science.
Il affecte dans ses écrits une délicatesse de nerfs si féminine qu'il ne peut entendre parler de souffrances sociales. En même temps qu'il a introduit dans la littérature la mode de cette fade sensiblerie, il a fait prévaloir dans les arts le goût du trivial et de l'horrible;—dans la tenue, la mode des épouvantails, la longue barbe, la physionomie refrognée, des airs de Titan ou de Prométhée bourgeois;—dans la politique (ce qui est un enfantillage moins innocent), c'est la doctrine des moyens énergiques de transition, les violences de la pratique révolutionnaire, la vie et les intérêts matériels sacrifiés en masse à l'idée. Mais ce que le socialisme affecte surtout, c'est la religiosité! Ce n'est qu'une tactique, il est vrai, mais une tactique est toujours honteuse pour une école quand elle l'entraîne vers l'hypocrisie.
Ils nous parlent toujours du Christ, de Christ; mais je leur demanderai pourquoi ils approuvent que Christ, l'innocent par excellence, ait pu souffrir et s'écrier dans son angoisse: «Dieu, détournez de moi le calice, mais que votre volonté soit faite;»—et pourquoi ils trouvent étrange que l'humanité tout entière ait aussi à faire le même acte de résignation.
Assurément, si Dieu eût eu d'autres desseins sur l'humanité, il aurait pu arranger les choses de telle sorte que, comme l'individu s'avance vers une mort inévitable, elle marchât vers une destruction fatale. Il faudrait bien se soumettre, et la science, la malédiction ou la bénédiction sur les lèvres, serait bien tenue de constater le sombre dénoûment social, comme elle constate le triste dénoûment individuel.
Heureusement il n'en est pas ainsi.
L'homme et l'humanité ont leur rédemption.
À lui une âme immortelle. À elle une perfectibilité indéfinie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
XXIV
PERFECTIBILITÉ
Que l'humanité soit perfectible; qu'elle progresse vers un niveau de plus en plus élevé; que sa richesse s'accroisse et s'égalise; que ses idées s'étendent et s'épurent; que ses erreurs disparaissent, et avec elles les oppressions auxquelles elles servent de support; que ses lumières brillent d'un éclat toujours plus vif; que sa moralité se perfectionne; qu'elle apprenne, par la raison ou par l'expérience, l'art de puiser, dans le domaine de la responsabilité, toujours plus de récompenses, toujours moins de châtiments; par conséquent, que le mal se restreigne sans cesse et que le bien se dilate toujours dans son sein, c'est ce dont on ne peut pas douter quand on a scruté la nature de l'homme et du principe intellectuel qui est son essence, qui lui fut soufflé sur la face avec la vie, et en vue duquel la révélation Mosaïque a pu dire l'homme fait à l'image de Dieu.
Car l'homme, nous ne le savons que trop, n'est pas parfait. S'il était parfait, il ne refléterait pas une vague ressemblance de Dieu, il serait Dieu lui-même. Il est donc imparfait, soumis à l'erreur et à la douleur; que si, de plus, il était stationnaire, à quel titre pourrait-il revendiquer l'ineffable privilége de porter en lui-même l'image de l'Être parfait?
D'ailleurs, si l'intelligence, qui est la faculté de comparer, de juger, de se rectifier, d'apprendre, ne constitue pas une perfectibilité individuelle, qu'est-ce qu'elle est?
Et si l'union de toutes les perfectibilités individuelles, surtout chez des êtres susceptibles de se transmettre leurs acquisitions, ne garantit pas la perfectibilité collective, il faut renoncer à toute philosophie, à toute science morale et politique.
Ce qui fait la perfectibilité de l'homme, c'est son intelligence ou la faculté qui lui est donnée de passer de l'erreur, mère du mal, à la vérité génératrice du bien.
Ce qui fait que l'homme abandonne, dans son esprit, l'erreur pour la vérité, et plus tard, dans sa conduite, le mal pour le bien, c'est la science et l'expérience; c'est la découverte qu'il fait, dans les phénomènes et dans les actes, d'effets qu'il n'y avait pas soupçonnés.
Mais, pour qu'il acquière cette science, il faut qu'il soit intéressé à l'acquérir. Pour qu'il profite de cette expérience, il faut qu'il soit intéressé à en profiter. C'est donc, en définitive, dans la loi de la responsabilité qu'il faut chercher le moyen de réalisation de la perfectibilité humaine.
Et comme la responsabilité ne se peut concevoir sans liberté; comme des actes qui ne seraient pas volontaires ne pourraient donner aucune instruction ni aucune expérience valable; comme des êtres qui se perfectionneraient ou se détérioreraient par l'action exclusive de causes extérieures, sans aucune participation de la volonté, de la réflexion, du libre arbitre, ainsi que cela arrive à la matière organique brute, ne pourraient pas être dits perfectibles, dans le sens moral du mot, il faut conclure que la liberté est l'essence même du progrès. Toucher à la liberté de l'homme, ce n'est pas seulement lui nuire, l'amoindrir, c'est changer sa nature; c'est le rendre, dans la mesure où l'oppression s'exerce, imperfectible; c'est le dépouiller de sa ressemblance avec le Créateur; c'est ternir, sur sa noble figure, le souffle de vie qui y resplendit depuis l'origine.
Mais de ce que nous proclamons bien haut, et comme notre article de foi le plus inébranlable, la perfectibilité humaine, le progrès nécessaire dans tous les sens, et par une merveilleuse correspondance, d'autant plus actif dans un sens qu'il l'est davantage dans tous les autres,—est-ce à dire que nous soyons utopistes, que nous soyons même optimistes, que nous croyions tout pour le mieux dans le meilleur des mondes, et que nous attendions, pour un des prochains levers du soleil, le règne du Millenium?
Hélas! quand nous venons à jeter un coup-d'œil sur le monde réel, où nous voyons se remuer dans l'abjection et dans la fange une masse encore si énorme de souffrances, de plaintes, de vices et de crimes; quand nous cherchons à nous rendre compte de l'action morale qu'exercent, sur la société, des classes qui devraient signaler, aux multitudes attardées les voies qui mènent à la Jérusalem nouvelle; quand nous nous demandons ce que font les riches de leur fortune, les poëtes de l'étincelle divine que la nature avait allumée dans leur génie, les philosophes de leurs élucubrations, les journalistes du sacerdoce dont ils se sont investis, les hauts fonctionnaires, les ministres, les représentants, les rois, de la puissance que le sort a placée dans leurs mains; quand nous sommes témoins de révolutions telles que celle qui a agité l'Europe dans ces derniers temps, et où chaque parti semble chercher ce qui, à la longue, doit être le plus funeste à lui-même et à l'humanité; quand nous voyons la cupidité sous toutes les formes et dans tous les rangs, le sacrifice constant des autres à soi et de l'avenir au présent, et ce grand et inévitable moteur du genre humain, l'intérêt personnel, n'apparaissant encore que par ses manifestations les plus matérielles et les plus imprévoyantes; quand nous voyons les classes laborieuses, rongées dans leur bien-être et leur dignité par le parasitisme des fonctions publiques, se tourner dans les convulsions révolutionnaires, non contre ce parasitisme desséchant, mais contre la richesse bien acquise, c'est-à-dire contre l'élément même de leur délivrance et le principe de leur propre droit et de leur propre force; quand de tels spectacles se déroulent sous nos yeux, en quelque pays du monde que nous portions nos pas, oh! nous avons peur de nous-mêmes, nous tremblons pour notre foi, il nous semble que cette lumière est vacillante, près de s'éteindre, nous laissant dans l'horrible nuit du Pessimisme.
Mais non, il n'y a pas lieu de désespérer. Quelles que soient les impressions que fassent sur nous des circonstances trop voisines, l'humanité marche et s'avance. Ce qui nous fait illusion, c'est que nous mesurons sa vie à la nôtre; et parce que quelques années sont beaucoup pour nous, il nous semble que c'est beaucoup pour elle. Eh bien, même à cette mesure, il me semble que le progrès de la société est visible par bien des côtés. J'ai à peine besoin de rappeler qu'il est merveilleux en ce qui concerne certains avantages matériels, la salubrité des villes, les moyens de locomotion et de communication, etc.
Au point de vue politique, la nation française n'a-t-elle acquis aucune expérience? quelqu'un oserait-il affirmer que si toutes les difficultés qu'elle vient de traverser s'étaient présentées il y a un demi-siècle, ou plus tôt, elle les aurait dénouées avec autant d'habileté, de prudence, de sagesse, avec aussi peu de sacrifices? J'écris ces lignes dans un pays qui a été fertile en révolutions. Tous les cinq ans, Florence était bouleversée, et à chaque fois la moitié des citoyens dépouillait et massacrait l'autre moitié. Oh! si nous avions un peu plus d'imagination, non de celle qui crée, invente et suppose des faits, mais de celle qui les fait revivre, nous serions plus justes envers notre temps et nos contemporains! Mais ce qui reste vrai, et d'une vérité dont personne peut-être ne se rend mieux compte que l'économiste,—c'est que le progrès humain, surtout à son aurore, est excessivement lent, d'une lenteur bien faite pour désespérer le cœur du philanthrope.....
Les hommes qui tiennent de leur génie le sacerdoce de la publicité devraient, ce me semble, y regarder de près avant de jeter, au sein de la fermentation sociale, une de ces décourageantes sentences qui impliquent pour l'humanité l'alternative entre deux modes de dégradation.
Nous en avons vu quelques exemples à propos de la population, de la rente, des machines, de la division des héritages, etc.
En voici un autre tiré de M. de Chateaubriand, qui ne fait, du reste, que formuler un conventionnalisme fort accrédité:
«La corruption des mœurs marche de front avec la civilisation des peuples. Si la dernière présente des moyens de liberté, la première est une source inépuisable d'esclavage.»
Il n'est pas douteux que la civilisation ne présente des moyens de liberté. Il ne l'est pas non plus que la corruption ne soit une source d'esclavage. Mais ce qui est douteux, plus que douteux,—et quant à moi, je le nie formellement,—c'est que la civilisation et la corruption marchent de front. Si cela était, un équilibre fatal s'établirait entre les moyens de liberté et les sources d'esclavage; l'immobilité serait le sort du genre humain.
En outre, je ne crois pas qu'il puisse entrer dans le cœur une pensée plus triste, plus décourageante, plus désolante, qui pousse plus au désespoir, à l'irréligion, à l'impiété, à la malédiction, au blasphème, que celle-ci: Toute créature humaine, qu'elle le veuille ou ne le veuille pas, qu'elle s'en doute ou ne s'en doute pas, agit dans le sens de la civilisation, et..... la civilisation c'est la corruption!
Ensuite, si toute civilisation est corruption, en quoi consistent donc ses avantages? Car prétendre que la civilisation n'a aucun avantage matériel, intellectuel et moral; cela ne se peut, ce ne serait plus de la civilisation. Dans la pensée de Chateaubriand, civilisation signifie progrès matériel, accroissement de population, de richesses, de bien-être, développement de l'intelligence, accroissement des sciences;—et tous ces progrès impliquent, selon lui, et déterminent une rétrogradation correspondante du sens moral.
Oh! il y aurait là de quoi entraîner l'humanité à un vaste suicide; car enfin, je le répète, le progrès matériel et intellectuel n'a pas été préparé et ordonné par nous. Dieu même l'a décrété en nous donnant des désirs expansibles et des facultés perfectibles. Nous y poussons tous sans le vouloir, sans le savoir; Chateaubriand avec ses pareils, s'il en a, plus que personne.—Et ce progrès nous enfoncerait de plus en plus dans l'immoralité et l'esclavage par la corruption!...
J'ai cru d'abord que Chateaubriand avait, comme font souvent les poëtes, lâché une phrase sans trop l'examiner. Pour cette classe d'écrivains, la forme emporte le fond. Pourvu que l'antithèse soit bien symétrique, qu'importe que la pensée soit fausse et abominable? Pourvu que la métaphore fasse de l'effet, qu'elle ait un air d'inspiration et de profondeur, qu'elle arrache les applaudissements du public, qu'elle donne à l'auteur une tournure d'oracle, que lui importe l'exactitude, la vérité?
Je croyais donc que Chateaubriand, cédant à un accès momentané de misanthropie, s'était laissé aller à formuler un conventionnalisme, un vulgarisme qui traîne les ruisseaux. «Civilisation et corruption marchent de front;» cela se répète depuis Héraclite, et n'en est pas plus vrai.
Mais, à bien des années de distance, le même grand écrivain a reproduit la même pensée sous une forme à prétention didactique; ce qui prouve que c'était chez lui une opinion bien arrêtée. Il est bon de la combattre, non parce qu'elle vient de Chateaubriand, mais parce qu'elle est très-répandue.
«L'état matériel s'améliore (dit-il), le progrès intellectuel s'accroît, et les nations, au lieu de profiter, s'amoindrissent.—Voici comment s'expliquent le dépérissement de la société et l'accroissement de l'individu. Si le sens moral se développait en raison du développement de l'intelligence, il y aurait contre-poids, et l'humanité grandirait sans danger. Mais il arrive tout le contraire. La perception du bien et du mal s'obscurcit à mesure que l'intelligence s'éclaire; la conscience se rétrécit à mesure que les idées s'élargissent.» (Mémoires d'Outre-Tombe, vol. XI.)
....................
XXV
RAPPORTS DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE
AVEC LA MORALE, AVEC LA POLITIQUE, AVEC LA LÉGISLATION, AVEC LA
RELIGION[68]
Un phénomène se trouve toujours placé entre deux autres phénomènes, dont l'un est sa cause efficiente et l'autre sa cause finale; et la science n'en a pas fini avec lui tant que l'un ou l'autre de ces rapports lui reste caché.
Je crois que l'esprit humain commence généralement par découvrir les causes finales, parce qu'elles nous intéressent d'une manière plus immédiate. Il n'est pas d'ailleurs de connaissance qui nous porte avec plus de force vers les idées religieuses, et soit plus propre à faire éprouver, à toutes les fibres du cœur humain, un vif sentiment de gratitude envers l'inépuisable bonté de Dieu.
L'habitude, il est vrai, nous familiarise tellement avec un grand nombre de ces intentions providentielles que nous en jouissons sans y penser. Nous voyons, nous entendons, sans songer au mécanisme ingénieux de l'oreille et de l'œil; les rayons du soleil, les gouttes de rosée ou de pluie nous prodiguent leurs effets utiles ou leurs douces sensations, sans éveiller notre surprise et notre reconnaissance. Cela tient uniquement à l'action continue sur nous de ces admirables phénomènes. Car qu'une cause finale, comparativement insignifiante, vienne à nous être révélée, que le botaniste nous enseigne pourquoi cette plante affecte telle forme, pourquoi cette autre revêt telle couleur, aussitôt nous sentons dans notre cœur l'enchantement ineffable que ne manquent jamais d'y faire pénétrer les preuves nouvelles de la puissance de Dieu, de sa bonté et de sa sagesse.
La région des intentions finales est donc, pour l'imagination de l'homme, comme une atmosphère imprégnée d'idées religieuses.
Mais, après avoir aperçu ou entrevu cet aspect du phénomène, il nous reste à l'étudier sous l'autre rapport, c'est-à-dire à rechercher sa cause efficiente.
Chose étrange! il nous arrive quelquefois, après avoir pris pleine connaissance de cette cause, de trouver qu'elle entraîne si nécessairement l'effet que nous avions d'abord admiré, que nous refusons de lui reconnaître plus longtemps le caractère d'une cause finale; et nous disons: J'étais bien naïf de croire que Dieu avait pourvu à tel arrangement dans tel dessein; je vois maintenant que la cause que j'ai découverte étant donnée (et elle est inévitable), cet arrangement devait s'ensuivre de toute nécessité, abstraction faite d'une prétendue intention providentielle.
C'est ainsi que là science incomplète, avec son scalpel et ses analyses, vient parfois détruire dans nos âmes le sentiment religieux qu'y avait fait naître le simple spectacle de la nature.
Cela se voit souvent chez l'anatomiste ou l'astronome. Quelle chose merveilleuse, dit l'ignorant, que, lorsqu'un corps étranger pénètre dans notre tissu, où sa présence ferait de grands ravages, il s'établisse une inflammation et une suppuration qui tendent à l'expulser!—Non, dit l'anatomiste, cette expulsion n'a rien d'intentionnel. Elle est un effet nécessaire de la suppuration, et la suppuration est elle-même un effet nécessaire de la présence d'un corps étranger dans nos tissus. Si vous voulez, je vais vous expliquer le mécanisme, et vous reconnaîtrez vous-même que l'effet suit la cause, mais que la cause n'a pas été arrangée intentionnellement pour produire l'effet, puisqu'elle est elle-même un effet nécessaire d'une cause antérieure.
Combien j'admire, dit l'ignorant, la prévoyance de Dieu, qui a voulu que la pluie ne s'épanchât pas en nappe sur le sol, mais tombât en gouttes, comme si elle venait de l'arrosoir du jardinier! Sans cela toute végétation serait impossible.—Vous faites une vaine dépense d'admiration, répond le savant physicien. Le nuage n'est pas une nappe d'eau; elle ne pourrait être supportée par l'atmosphère. C'est un amas de vésicules microscopiques semblables aux bulles de savon. Quand leur épaisseur s'augmente ou qu'elles crèvent, sous une compression, ces milliards de gouttelettes tombent, s'accroissent en route de la vapeur d'eau qu'elles précipitent, etc... Si la végétation s'en trouve bien, c'est par accident; mais il ne faut pas croire que Dieu s'amuse à vous envoyer de l'eau par le crible d'un immense arrosoir.
Ce qui peut donner quelque plausibilité à la science, lorsqu'elle considère ainsi l'enchaînement des causes et des effets, c'est que l'ignorance, il faut l'avouer, attribue très-souvent un phénomène à une intention finale qui n'existe pas et qui se dissipe devant la lumière.
Ainsi, au commencement, avant qu'on eût aucune connaissance de l'électricité, les peuples, effrayés par le bruit du tonnerre, ne pouvaient guère reconnaître, dans cette voix imposante retentissant au milieu des orages, qu'un symptôme du courroux céleste. C'est une association d'idées qui, non plus que bien d'autres, n'a pu résister aux progrès de la physique.
L'homme est ainsi fait. Quand un phénomène l'affecte, il en cherche la cause, et s'il la trouve, il la nomme. Puis il se met à chercher la cause de cette cause, et ainsi de suite jusqu'à ce que, ne pouvant plus remonter, il s'arrête et dise: C'est Dieu, c'est la volonté de Dieu. Voilà notre ultima ratio. Cependant le temps d'arrêt de l'homme n'est jamais que momentané. La science progresse, et bientôt, cette seconde, ou troisième, ou quatrième cause, qui était restée inaperçue, se révèle à ses yeux. Alors la science dit: Cet effet n'est pas dû, comme on le croyait, à la volonté immédiate de Dieu, mais à cette cause naturelle que je viens de découvrir.—Et l'humanité, après avoir pris possession de cette découverte, se contentant, pour ainsi parler, de déplacer d'un cran la limite de sa foi, se demande: Quelle est la cause de cette cause?—Et ne la voyant pas, elle persiste dans son universelle explication: C'est la volonté de Dieu.—Et ainsi pendant des siècles indéfinis, dans une succession innombrable de révélations scientifiques et d'actes de foi.
Cette marche de l'humanité doit paraître aux esprits superficiels destructive de toute idée religieuse; car n'en résulte-t-il pas qu'à mesure que la science avance, Dieu recule? Et ne voit-on pas clairement que le domaine des intentions finales se rétrécit à mesure que s'agrandit celui des causes naturelles?
Malheureux sont ceux qui donnent à ce beau problème une solution si étroite. Non, il n'est pas vrai qu'à mesure que la science avance, l'idée de Dieu recule; bien au contraire, ce qui est vrai, c'est que cette idée grandit, s'étend et s'élève dans notre intelligence. Quand nous découvrons une cause naturelle là où nous avions cru voir un acte immédiat, spontané, surnaturel, de la volonté divine, est-ce à dire que cette volonté est absente ou indifférente? Non, certes; tout ce que cela prouve, c'est qu'elle agit par des procédés différents de ceux qu'il nous avait plu d'imaginer. Tout ce que cela prouve, c'est que le phénomène que nous regardions comme un accident dans la création, occupe sa place dans l'universel arrangement des choses, et que tout, jusqu'aux effets les plus spéciaux, a été prévu de toute éternité dans la pensée divine. Eh quoi! l'idée que nous nous faisons de la puissance de Dieu est-elle amoindrie quand nous venons à découvrir que chacun des résultats innombrables, que nous voyons ou qui échappe à nos investigations, non-seulement a sa cause naturelle, mais se rattache au cercle infini des causes; de telle sorte qu'il n'est pas un détail de mouvement, de force, de forme, de vie, qui ne soit le produit de l'ensemble et se puisse expliquer en dehors du tout?
Et maintenant pourquoi cette dissertation étrangère, à ce qu'il semble, à l'objet de nos recherches? C'est que les phénomènes de l'économie sociale ont aussi leur cause efficiente et leur intention providentielle. C'est que, dans cet ordre d'idées, comme en physique, comme en anatomie, ou en astronomie, on a souvent nié la cause finale précisément parce que la cause efficiente apparaissait avec le caractère d'une nécessité absolue.
Le monde social est fécond en harmonies dont on n'a la perception complète que lorsque l'intelligence a remonté aux causes, pour y chercher l'explication, et est descendue aux effets, pour savoir la destination des phénomènes...
FIN
TABLE DES MATIÈRES
DU SIXIÈME VOLUME
- À la jeunesse française 1
- Chap. Ier. Organisation naturelle, Organisation artificielle 23
- — II. Besoins, Efforts, Satisfactions 45
- — III. Des besoins de l'homme 62
- — IV. Échange 93
- — V. De la Valeur 140
- — VI. Richesse 207
- — VII. Capital 228
- — VIII. Propriété, Communauté 256
- — IX. Propriété foncière 297
- — X. Concurrence 349
- — XI. Producteur, Consommateur 398
- — XII. Les deux devises 419
- — XIII. De la Rente 430
- — XIV. Des Salaires 437
- — XV. De l'Épargne 492
- — XVI. De la Population 497
- — XVII. Services privés, Services publics 535
- — XVIII. Causes perturbatrices 563
- — XIX. Guerre 574
- — XX. Responsabilité 588
- — XXI. Solidarité 618
- — XXII. Moteur social 627
- — XXIII. Le mal 639
- — XXIV. Perfectibilité 644
- — XXV. Rapports de l'économie politique avec la morale, avec la politique, avec la législation, avec la religion 651
FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES.
Corbeil.—Typ. et stér. de Crété.
Notes
1: Je rendrai cette loi sensible par des chiffres. Soient trois époques pendant lesquelles le capital s'est accru, le travail restant le même. Soit la production totale aux trois époques, comme: 80—100—120. Le partage se fera ainsi:
| Part du capital. | Part du travail. | Total. | ||||
| Première époque: | 45 | 35 | 80 | |||
| Deuxième époque: | 50 | 50 | 100 | |||
| Troisième époque: | 55 | 65 | 120 | |||
Bien entendu, ces proportions n'ont d'autre but que d'élucider la pensée.
2: Ce chapitre fut publié pour la première fois dans le Journal des Économistes, numéro de janvier 1848.
3: «Il est avéré que notre régime de libre concurrence, réclamé par une Économie politique ignorante, et décrété pour abolir les monopoles, n'aboutit qu'à l'organisation générale des grands monopoles en toutes branches.» (Principes du socialisme, par M. Considérant, page 15.)
4: Ce chapitre et le suivant furent insérés en septembre et décembre 1848 dans le Journal des Économistes.
5: «Notre régime industriel, formé sur la concurrence sans garantie et sans organisation, n'est donc qu'un enfer social, une vaste réalisation de tous les tourments et de tous les supplices de l'antique Ténare. Il y a une différence pourtant: les victimes.»
6: V. au tome IV, le chap. II de la seconde série des Sophismes.
7: Loi mathématique très-fréquente et très-méconnue en économie politique.
8: Un des objets indirects de ce livre est de combattre des écoles sentimentalistes modernes qui, malgré les faits, n'admettent pas que la souffrance, à un degré quelconque, ait un but providentiel. Comme ces écoles disent procéder de Rousseau, je dois leur citer ce passage du maître: «Le mal que nous voyons n'est pas un mal absolu; et, loin de combattre directement le bien, il concourt avec lui à l'harmonie universelle.»
9: Bien plus, cet esclave-là, à cause de sa supériorité, finit à la longue par déprécier et affranchir tous les autres. C'est une harmonie dont je laisse à la sagacité du lecteur de suivre les conséquences.
10: Voir au tome II, Funestes illusions, et au tome IV, la fin du chapitre I de la seconde sérié des Sophismes.
11: Ce qui va suivre est la reproduction d'une note trouvée dans les papiers de l'auteur. S'il eût vécu, il en eût lié la substance au corps de sa doctrine sur l'échange. Notre mission doit se borner à placer cette note à la fin du présent chapitre.
12: Voir, pour la réfutation de cette erreur, le chapitre Producteur et Consommateur, ci-après, ainsi que les chapitres II et III des Sophismes économiques, première série, tome IV, pages 15 et 19.
13: Ajoute! Le sujet avait donc de la valeur par lui-même, antérieurement au travail. Il ne pouvait la tenir que de la nature. L'action naturelle n'est donc pas gratuite. Qui donc a l'audace de se faire payer cette portion de valeur extra-humaine?
14: C'est parce que, sous l'empire de la liberté, les efforts se font concurrence entre eux qu'ils obtiennent cette rémunération à peu près proportionnelle à leur intensité. Mais, je le répète, cette proportionnalité n'est pas inhérente à la notion de valeur.
Et la preuve, c'est que là où la concurrence n'existe pas, la proportionnalité n'existe pas davantage. On ne remarque, en ce cas, aucun rapport entre les travaux de diverse nature et leur rémunération.
L'absence de concurrence peut provenir de la nature des choses ou de la perversité des hommes.
Si elle vient de la nature des choses, on verra un travail comparativement très-faible donner lieu à une grande valeur, sans que personne ait raisonnablement à se plaindre. C'est le cas de la personne qui trouve un diamant; c'est le cas de Rubini, de Malibran, de Taglioni, du tailleur en vogue, du propriétaire du Clos-Vougeot, etc., etc. Les circonstances les ont mis en possession d'un moyen extraordinaire de rendre service; ils n'ont pas de rivaux et se font payer cher. Le service lui-même étant d'une rareté excessive, cela prouve qu'il n'est pas essentiel au bien-être et au progrès de l'humanité. Donc c'est un objet de luxe, d'ostentation: que les riches se le procurent. N'est-il pas naturel que tout homme attende, avant d'aborder ce genre de satisfactions, qu'il se soit mis à même de pourvoir à des besoins plus impérieux et plus raisonnables?
Si la concurrence est absente par suite de quelque violence humaine, alors les mêmes effets se produisent, mais avec cette différence énorme qu'ils se produisent où et quand ils n'auraient pas dû se produire. Alors on voit aussi un travail comparativement faible donner lieu à une grande valeur; mais comment? En interdisant violemment cette concurrence qui a pour mission de proportionner les rémunérations aux services. Alors, du même que Rubini peut dire à un dilettante: «Je veux une très-grande récompense, ou je ne chante pas à votre soirée,» se fondant sur ce qu'il s'agit là d'un service que lui seul peut rendre,—de même un boulanger, un boucher, un propriétaire, un banquier peut dire: «Je veux une récompense extravagante, ou vous n'aurez pas mon blé, mon pain, ma viande, mon or; et j'ai pris des précautions, j'ai organisé des baïonnettes pour que vous ne puissiez pas vous pourvoir ailleurs, pour que nul ne puisse vous rendre des services analogues aux miens.»
Les personnes qui assimilent le monopole artificiel et ce qu'elles appellent le monopole naturel, parce que l'un et l'autre ont cela de commun, qu'ils accroissent la valeur du travail, ces personnes dis-je, sont bien aveugles et bien superficielles.
Le monopole artificiel est une spoliation véritable. Il produit des maux qui n'existeraient pas sans lui. Il inflige des privations à une portion considérable de la société, souvent à l'égard des objets les plus nécessaires. En outre, il fait naître l'irritation, la haine, les représailles, fruits de l'injustice.
Les avantages naturels ne font aucun mal à l'humanité. Tout au plus pourrait-on dire qu'ils constatent un mal préexistant et qui ne leur est pas imputable. Il est fâcheux, peut-être, que le tokay ne soit pas aussi abondante et à aussi bas prix que la piquette. Mais ce n'est pas là un fait social; il nous a été imposé par la nature.
Il y a donc entre l'avantage naturel et le monopole artificiel cette différence profonde:
L'un est la conséquence d'une rareté, préexistante, inévitable;
L'autre est la cause d'une rareté factice, contre nature.
Dans le premier cas, ce n'est pas l'absence de concurrence qui fait la rareté, c'est la rareté qui explique l'absence de concurrence. L'humanité serait puérile, si elle se tourmentait, se révolutionnait, parce qu'il n'y a, dans le monde, qu'une Jenny Lind, un Clos-Vougeot et un Régent.
Dans le second cas, c'est tout le contraire: Ce n'est pas à cause d'une rareté providentielle que la concurrence est impossible, mais c'est parce que la force a étouffé la concurrence qu'il s'est produit parmi les hommes une rareté qui ne devait pas être.
L'accumulation est une circonstance de nulle considération en économie politique.
Que la satisfaction soit immédiate ou retardée, qu'elle puisse être ajournée ou ne se puisse séparer de l'effort, en quoi cela change-t-il la nature des choses?
Je suis disposé à faire un sacrifice pour me donner le plaisir d'entendre une belle voix, je vais au théâtre et je paye; la satisfaction est immédiate. Si j'avais consacré mon argent à acheter un plat de fraises, j'aurais pu renvoyer la satisfaction à demain; voilà tout.
On dira sans doute que les fraises sont de la richesse, parce que je puis les échanger encore. Cela est vrai. Tant que l'effort ayant eu lieu la satisfaction n'est pas accomplie, la richesse subsiste. C'est la satisfaction qui la détruit. Quand le plat de fraises sera mangé, cette satisfaction ira rejoindre celle que m'a procurée la voix d'Alboni.
Service reçu, service rendu: voilà l'économie politique.
16: Ce qui suit était destiné par l'auteur à trouver place dans le présent chapitre.
17: Traité d'Écon. pol., p. 1.
18: «Prenez parti pour la concurrence, vous aurez tort; prenez parti contre la concurrence, vous aurez encore tort: ce qui signifie que vous aurez toujours raison.» (P.-J. Proudhon, Contradictions économiques, p. 182.)
19: Toujours cette perpétuelle et maudite confusion entre la Valeur et l'Utilité. Je puis bien vous montrer des utilités non appropriées, mais je vous défie de me montrer dans le monde entier une seule valeur qui n'ait pas de propriétaire.
20: Ce qui suit est un commencement de note complémentaire trouvé dans les papiers de l'auteur.
21: Cette dernière indication de l'auteur n'est accompagnée d'aucun développement. Mais divers chapitres de ce volume y suppléent. Voir notamment Propriété et Communauté, Rapport de l'économie politique avec la morale, et Solidarité.
22: Voir ma brochure intitulée Capital et Rente.
23: Les mots en italiques et capitales sont ainsi imprimés dans le texte original.
24: Ricardo.
25: Ici se terminaient les Harmonies économiques, à leur première édition.
26: Nous reproduisons ici cette liste écrite de la main de l'auteur. Elle indique les travaux qu'il avait projetés, et en même temps l'ordre que nous avons suivi pour le classement des chapitres, fragments et ébauches dont nous étions dépositaire.—Les astérisques désignent les sujets sur lesquels nous n'avons trouvé aucun commencement de travail.
27: Sophismes économiques, chapitre I, tome IV, page 5.
28: Voir le discours de l'auteur sur l'impôt des boissons, tome V, p. 468.
29: V. au tome IV la note de la page 72.
30: Quand l'avant-garde icarienne partit du Havre, j'interrogeai plusieurs de ces insensés, et cherchai à connaître le fond de leur pensée. Un facile bien-être, tel était leur espoir et leur mobile. L'un d'eux me dit: «Je pars, et mon frère est de la seconde expédition. Il a huit enfants: et vous sentez quel grand avantage ce sera pour lui de n'avoir plus à les élever et à les nourrir.»—«Je le comprends aisément, dis-je; mais il faudra que cette lourde charge retombe sur d'autres.»—Se débarrasser sur autrui de ce qui nous gêne, voilà la façon fraternitaire dont ces malheureux entendaient la devise tous pour chacun.
31: Voir le pamphlet Spoliation et Loi, tome V, pag. 2 et suiv.
32: Deux ou trois courts fragments, voilà tout ce que l'auteur a laissé sur cet important chapitre. Cela s'explique: il se proposait, ainsi qu'il l'a déclaré, de s'appuyer principalement sur les travaux de M. Carey de Philadelphie pour combattre la théorie de Ricardo.
33: La même idée a été présentée à la fin du complément ajouté au chapitre V, p. 202 et suiv.
34: De ces développements projetés, aucun n'existe; mais voici sommairement les deux principales conséquences du fait cité par l'auteur:
1o Deux terres, l'une cultivée A, l'autre inculte B, étant supposées de nature identique, la mesure du travail autrefois sacrifié au défrichement de A est donnée par le travail nécessaire au défrichement de B. On peut dire même qu'à cause de la supériorité de nos connaissances, de nos instruments, de nos moyens de communication, etc., il faudrait moins de journées pour mettre B en culture qu'il n'en a fallu pour A. Si la terre avait une valeur par elle-même, A vaudrait tout ce qu'a coûté sa mise en culture, plus quelque chose pour ses facultés productives naturelles; c'est-à-dire beaucoup plus que la somme nécessaire actuellement pour mettre B en rapport. Or, c'est tout le contraire: la terre A vaut moins, puisqu'on l'achète plutôt que de défricher B. En achetant A, on ne paye donc rien pour la force naturelle, puisqu'on ne paye pas même le travail de défrichement ce qu'il a primitivement coûté.
2o Si le champ A rapporte par an 1,000 mesures de blé, la terre B défrichée en rapporterait autant. Puisqu'on a cultivé A, c'est qu'autrefois 1,000 mesures de blé rémunéraient amplement tout le travail exigé, soit par le défrichement, soit par la culture annuelle. Puisqu'on ne cultive pas B, c'est que maintenant 1,000 mesures de blé ne payeraient pas un travail identique,—ou même moindre, comme nous le remarquions plus haut.
Qu'est-ce que cela veut dire? Évidemment c'est que la valeur du travail humain a haussé par rapport à celle du blé; c'est que la journée d'un ouvrier vaut et obtient plus de blé pour salaire. En d'autres termes, le blé s'obtient par un moindre effort, s'échange contre un moindre travail; et la théorie de la cherté progressive des subsistances est fausse.—V. au tome I, le post-scriptum de la lettre adressée au Journal des économistes, en date du 8 décembre 1850.—V. aussi, sur ce sujet, l'ouvrage d'un disciple de Bastiat: Du revenu foncier, par R. de Fontenay.
35: Voir Maudit argent! tome V, page 64.
36: Voir Gratuité du crédit, tome V, page 94.
37: Chap. Ier, pages 30 et 31, et chap. II, page 45 et suiv.
38: Voir ci-après le chapitre Responsabilité.
39: Voir, au tome IV, le pamphlet la Loi, et notamment page 360 et suiv.
40: Il est à remarquer que M. Roebuck est, à la Chambre des communes, un député de l'extrême gauche. À ce titre, il est l'adversaire né de tous les gouvernements imaginables; et en même temps il pousse à l'absorption de tous les droits, de toutes les facultés par le gouvernement. Le proverbe est donc faux qui dit que les montagnes ne se rencontrent pas.
41: Extrait de la Presse du 22 juin 1850.
42: Voir tome III, pages 442 à 446.
43: Journées de juin 1848.
44: Voyez chapitre IV.
45: Ici s'arrête le manuscrit rapporté de Rome. La courte note qui suit, nous l'avons trouvée dans les papiers de l'auteur restés à Paris. Elle nous apprend comment il se proposait de terminer et de résumer ce chapitre.
46: Tout ce qui suit était écrit en 1846.
47: Il est juste de dire que J.-B. Say a fait remarquer que les moyens d'existence étaient une quantité variable.
48: Il existe peu de pays dont les populations n'aient une tendance à se multiplier au delà des moyens de subsistance. Une tendance aussi constante que celle-là, doit nécessairement engendrer la misère des classes inférieures, et empêcher toute amélioration durable dans leur condition... Le principe de la population... accroîtra le nombre des individus avant qu'un accroissement dans les moyens de subsistance n'ait eu lieu, etc.
49: Voyez chapitre XI, pages 405 et suiv.
50: Qui nécessite la classe des journaliers.
51: «Du moment que cette valeur est payée par le contribuable, elle est perdue pour lui; du moment qu'elle est consommée par le gouvernement, elle est perdue pour tout le monde et ne se reverse point dans la société.»
Sans doute; mais la société gagne en retour le service qui lui est rendu, la sécurité, par exemple. Du reste, Say rétablit, quelques lignes plus bas, la vraie doctrine en ces termes:
«Lever un impôt, c'est faire tort à la société, tort qui n'est compensé par aucun avantage, toutes les fois qu'on ne lui rend aucun service en échange.»
52: «Les contributions publiques, même lorsqu'elles sont consenties par la nation, sont une violation des propriétés, puisqu'on ne peut prélever des valeurs que sur celles qu'ont produites les terres, les capitaux et l'industrie des particuliers. Aussi, toutes les fois qu'elles excèdent la somme indispensable pour la conservation de la société, il est permis de les considérer comme une spoliation.»
Ici encore la proposition incidente corrige ce que le jugement aurait de trop absolu. La doctrine que les services s'échangent contre les services, simplifie beaucoup le problème et la solution.
53: Les effets de cette transformation ont été rendus sensibles par un exemple que citait M. le ministre de la guerre d'Hautpoul. «Il revient à chaque soldat, disait-il, 16 centimes pour son alimentation. Le gouvernement leur prend ces 16 centimes, et se charge de les nourrir. Il en résulte que tous ont la même ration, composée de même manière, qu'elle leur convienne ou non. L'un a trop de pain et le jette. L'autre n'a pas assez de viande, etc. Nous avons fait un essai: nous laissons aux soldats la libre disposition de ces 16 centimes, et nous sommes heureux de constater une amélioration sensible sur leur sort. Chacun consulte ses goûts, son tempérament, le prix des marchés. Généralement ils ont d'eux-mêmes substitué en partie la viande au pain. Ils achètent ici plus de pain, là plus de viande, ailleurs plus de légumes, ailleurs plus de poisson. Leur santé s'en trouve bien; ils sont plus contents et l'État est délivré d'une grande responsabilité.»
Le lecteur comprend qu'il n'est pas ici question de juger cette expérience au point de vue militaire. Je la cite comme propre à marquer une première différence entre le service public et le service privé, entre la réglementation et la liberté. Vaut-il mieux que l'État nous prenne les ressources au moyen desquelles nous nous alimentons et se charge de nous nourrir, ou bien qu'il nous laisse à la fois et ces ressources et le soin de pourvoir à notre subsistance? La même question se présente à propos de chacun de nos besoins.
54: Voir le pamphlet intitulé Baccalauréat et Socialisme, tome IV, p. 442.
55: L'auteur, dans un de ses précédents écrits, s'est proposé de résoudre la même question. Il a recherché quel était le légitime domaine de la loi. Tous les développements que contient le pamphlet intitulé la Loi s'appliquent à sa thèse actuelle. Nous renvoyons le lecteur au tome IV, page 342.
56: Ici s'arrête le manuscrit. Nous renvoyons les lecteurs au pamphlet intitulé Spoliation et loi, dans la seconde partie duquel l'auteur a fait justice des sophismes émis à cette séance du conseil général. (Tome V, pages 1 et suiv.)
À l'égard des six chapitres qui devaient suivre, sous les titres d'Impôts,—Machines,—Liberté des échangés,—Intermédiaires,—Matières premières,—Luxe, nous renvoyons: 1o au discours sur l'impôt des boissons inséré dans la seconde édition du pamphlet Incompatibilités parlementaires (tome V, page 468); 2o au pamphlet intitulé Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas (tome V, page 336); 3o aux Sophismes économiques (tome IV, page 1).
57: L'auteur n'a pu continuer cet examen des erreurs qui sont, pour ceux qu'elles égarent, une cause presque immédiate de souffrance, ni décrire une autre classe d'erreurs, manifestées par la violence et la ruse, dont les premiers effets s'appesantissent sur autrui. Ses notes ne contiennent rien d'applicable aux Causes perturbatrices, si ce n'est le fragment qui précède et celui qui va suivre. Nous renvoyons pour le surplus au chapitre Ier de la seconde série des Sophismes, intitulé Physiologie de la Spoliation (tome IV, page 127).
58: Voir la fin du chapitre XI.
59: On l'oublie quand on pose cette question: Le travail des esclaves revient-il plus cher ou meilleur marché que le travail salarié?
60: Voyez Baccalauréat et Socialisme, tome IV, page 442.
61:... parce que je crois qu'une impulsion supérieure la dirige, parce que Dieu ne pouvant agir dans l'ordre moral que par l'intermédiaire des intérêts et des volontés, il est impossible que la résultante naturelle de ces intérêts, que la tendance commune de ces volontés, aboutisse au mal définitif:—car alors ce ne serait pas seulement l'homme ou l'humanité qui marcherait à l'erreur; c'est Dieu lui-même, impuissant ou mauvais, qui pousserait au mal sa créature avortée.
Nous croyons donc à la liberté, parce que nous croyons à l'harmonie universelle, c'est-à-dire à Dieu. Proclamant au nom de la foi, formulant au nom de la science les lois divines, souples et vivantes, du mouvement moral, nous repoussons du pied ces institutions étroites, gauches, immobiles, que des aveugles jettent tout à travers l'admirable mécanisme. Du point de vue de l'athée, il serait absurde de dire: laissez faire le hasard! Mais nous, croyants, nous avons le droit de crier: laissez passer l'ordre et la justice de Dieu! Laissez marcher librement cet agent du moteur infaillible, ce rouage de transmission qu'on appelle l'initiative humaine!—Et la liberté ainsi comprise n'est plus l'anarchique déification de l'individualisme; ce que nous adorons, par delà l'homme qui s'agite, c'est Dieu qui le mène.
Nous savons bien que l'esprit humain peut s'égarer: oui, sans doute, de tout l'intervalle qui sépare une vérité acquise d'une vérité qu'il pressent. Mais puisque sa nature est de chercher, sa destinée est de trouver. Le vrai, remarquons-le, a des rapports harmoniques, des affinités nécessaires non-seulement avec la forme de notre entendement et les instincts de notre cœur, mais aussi avec toutes les conditions physiques et morales de notre existence; en sorte que, lors même qu'il échapperait à l'intelligence de l'homme comme vrai absolu, à ses sympathies innées comme juste, ou comme beau à ses aspirations idéales, il finirait encore par se faire accepter sous son aspect pratique et irrécusable d'utile.
Nous savons que la liberté peut mener au Mal.—Mais le Mal a lui-même sa mission. Dieu ne l'a certes pas jeté au hasard devant nos pas pour nous faire tomber; il l'a placé en quelque sorte de chaque côté du chemin que nous devions suivre, afin qu'en s'y heurtant l'homme fût ramené au bien par le mal même.
Les volontés, comme les molécules inertes, ont leur loi de gravitation. Mais,—tandis que les êtres inanimés obéissent à des tendances préexistantes et fatales,—pour les intelligences libres, la force d'attraction et de répulsion ne précède pas le mouvement; elle naît de la détermination volontaire qu'elle semble attendre, elle se développe en vertu de l'acte même, et réagit alors pour ou contre l'agent, par un effort progressif de concours ou de résistance qu'on appelle récompense ou châtiment, plaisir ou douleur. Si la direction de la volonté est dans le sens des lois générales, si l'acte est bon, le mouvement est secondé, le bien-être en résulte pour l'homme.—S'il s'écarte au contraire, s'il est mauvais, quelque chose le repousse; de l'erreur naît la souffrance, qui en est le remède et le terme. Ainsi le Mal s'oppose constamment au Mal, comme le Bien provoque incessamment le Bien. Et l'on pourrait dire que, vus d'un peu haut, les écarts du libre arbitre se bornent à quelques oscillations, d'une amplitude déterminée, autour d'une direction supérieure et nécessaire; toute rébellion persistante qui voudrait forcer cette limite n'aboutissant qu'à se détruire elle-même, sans parvenir à troubler en rien l'ordre de sa sphère.
Cette force réactive de concours ou de répulsion, qui par la récompense et la peine régit l'orbite à la fois volontaire et fatale de l'humanité, cette loi de gravitation des êtres libres (dont le Mal n'est que la moitié nécessaire), se manifeste par deux grandes expressions,—la Responsabilité et la Solidarité: l'une qui fait retomber sur l'individu,—l'autre qui répercute sur le corps social les conséquences bonnes ou mauvaises de l'acte: l'une qui s'adresse à l'homme comme à un tout solitaire et autonome,—l'autre qui l'enveloppe dans une inévitable communauté de biens et de maux, comme élément partiel et membre dépendant d'un être collectif et impérissable, l'Humanité,—Responsabilité, sanction de la liberté individuelle, raison des droits de l'homme,—Solidarité, preuve de sa subordination sociale et principe de ses devoirs...
(Un feuillet manquait au manuscrit de Bastiat. On me pardonnera d'avoir essayé de continuer la pensée de cette religieuse introduction.) R. F.
62: Religion (religare, relier), ce qui rattache la vie actuelle à la vie future, les vivants aux morts, le temps à l'éternité, le fini à l'infini, l'homme à Dieu.
63: Ne dirait-on pas que la justice divine, si incompréhensible quand on considère le sort des individus, devient éclatante quand on réfléchit sur les destinées des nations? La vie de chaque homme est un drame qui se noue sur un théâtre et se dénoue sur un autre; mais il n'en est pas ainsi, de la vie des nations. Cette instructive tragédie commence et finit sur la terre. Voilà pourquoi l'histoire est une lecture sainte; c'est la justice de la Providence.
64: Les développements intéressants que l'auteur voulait présenter ici, par voie d'exemples, et dont il indiquait d'avance le caractère, il ne les a malheureusement pas écrits. Le lecteur pourra y suppléer en se reportant au chapitre XVI de ce livre, ainsi qu'aux chapitres VII et XI du pamphlet Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas, t. V, pages 363 et 383.
65: La fin de ce chapitre n'est plus guère qu'une suite de notes jetées sur le papier sans transitions ni développements.
66: Cette ébauche se termine ici brusquement; le côté économique de la loi de solidarité n'est pas indiqué. On peut renvoyer le lecteur aux chap. X et XI, Concurrence, Producteur et Consommateur.
Au reste, qu'est-ce au fond que l'ouvrage entier des Harmonies; qu'est-ce que la concordance des intérêts, et les grandes maximes: La prospérité de chacun est la prospérité de tous,—La prospérité de tous est la prospérité de chacun, etc.;—qu'est-ce que l'accord de la propriété et de la communauté, les services du capital, l'extension de la gratuité, etc.;—sinon le développement au point de vue utilitaire du titre même de ce chapitre: Solidarité?
67: La misère est le fait de l'économie politique... l'économie politique a besoin que la mort lui vienne en aide... c'est la théorie de l'instabilité et du vol. (Proudhon, Contradictions économiques, t. II, p. 214.)
Si les subsistances manquent au peuple... c'est la faute de l'économie politique. (Ibidem, p. 430.)
68: L'auteur n'a malheureusement rien laissé sur les quatre chapitres qui viennent d'être indiqués (et qu'il avait compris dans le plan de ses travaux), sauf une introduction pour le dernier.