Œuvres de Napoléon Bonaparte, Tome V.
Borowsk, 23 octobre 1812.
Vingt-sixième bulletin de la grande armée.
Après la bataille de la Moskwa, le général Kutusow prit position à une lieue en avant de Moscou; il avait établi plusieurs redoutes pour défendre la ville; il s'y tint, espérant sans doute en imposer jusqu'au dernier moment. Le 14 septembre, ayant vu l'armée française marcher à lui, il prit son parti, et évacua la position en passant par Moscou. Il traversa cette ville avec son quartier-général à neuf heures du matin. Notre avant-garde la traversa à une heure après midi.
Le commandant de l'arrière-garde russe fit demander qu'on le laissât défiler dans la ville sans tirer: on y consentit; mais au Kremlin, la canaille armée par le gouverneur, fit résistance et fut sur-le-champ dispersée. Dix mille soldats russes furent, le lendemain et les jours suivans, ramassés dans la ville, où ils s'étaient éparpillés par l'appât du pillage: c'étaient d'anciens et bons soldats; ils ont augmenté le nombre des prisonniers.
Les 15, 16 et 17 septembre, le général d'arrière-garde russe dit que l'on ne tirerait plus, et que l'on ne devait plus se battre, et parla beaucoup de paix. Il se porta sur la route de Kolomna, et notre avant-garde se plaça à cinq lieues de Moscou, au pont de la Moskwa. Pendant ce temps, l'armée russe quitta la route de Kolomna et prit celle de Kalouga par la traverse. Elle fit ainsi la moitié du tour de la ville, à six lieues de distance. Le vent y portait des tourbillons de flammes et de fumée. Cette marche, au dire des officiers russes, était sombre et religieuse. La consternation était dans les âmes: on assure qu'officiers et soldats étaient si pénétrés, que le plus profond silence régnait dans toute l'armée comme dans la prière.
On s'aperçut bientôt de la marche de l'ennemi. Le duc d'Istrie se porta à Desna avec un corps d'observation.
Le roi de Naples suivit l'ennemi d'abord sur Podol, et ensuite se porta sur ses derrières, menaçant de lui couper la route de Kalouga. Quoique le roi n'eût avec lui que l'avant-garde, l'ennemi ne se donna que le temps d'évacuer les retranchemens qu'il avait faits, et se porta six lieues en arrière, après un combat glorieux pour l'avant-garde. Le prince Poniatowski prit position derrière la Nara, au confluent de l'Istia.
Le général Lauriston ayant dû aller au quartier-général russe le 5 octobre, les communications se rétablirent entre nos avant-postes et ceux de l'ennemi, qui convinrent entre eux de ne pas s'attaquer sans se prévenir trois heures d'avance; mais le 18, à sept heures du matin, quatre mille cosaques sortirent d'un bois situé à demi-portée de canon du général Sébastiani, formant l'extrême gauche de l'avant-garde, qui n'avait été ni occupé ni éclairé ce jour-là. Ils firent un houra sur cette cavalerie légère dans le temps qu'elle était à pied à la distribution de farine. Cette cavalerie légère ne put se former qu'à un quart de lieue plus loin. Cependant l'ennemi pénétrant par cette trouée, un parc de douze pièces de canon et de vingt caissons du général Sébastiani fut pris dans un ravin, avec des voitures de bagages, au nombre de trente; en tout soixante-cinq voitures, au lieu de cent que l'on avait portées dans le dernier bulletin.
Dans le même temps, la cavalerie régulière de l'ennemi et deux colonnes d'infanterie pénétraient dans la trouée. Elles espéraient gagner le bois et le défilé de Voconosvo avant nous; mais le roi de Naples était là: il était à cheval. Il marcha, et enfonça la cavalerie de ligne russe dans dix ou douze charges différentes. Il aperçut la division de six bataillons ennemis commandée par le lieutenant-général Muller, la chargea et l'enfonça. Cette division a été massacrée. Le lieutenant-général Muller a été tué.
Pendant que ceci se passait, le prince Poniatowski repoussait une division russe avec succès. Le général polonais Fischer a été tué d'un boulet.
L'ennemi a non-seulement éprouvé une perte supérieure à la nôtre; mais il a la honte d'avoir violé une trêve d'avant-garde, ce qu'on ne vit presque jamais. Notre perte se monte à huit cents hommes tués, blessés ou pris; celle de l'ennemi est double. Plusieurs officiers russes ont été pris: deux de leurs généraux ont été tués. Le roi de Naples, dans cette journée, a montré ce que peuvent la présence d'esprit, la valeur et l'habitude de la guerre. En général, dans toute la campagne, ce prince s'est montré digne du rang suprême où il est.
Cependant, l'empereur voulant obliger l'ennemi à évacuer son camp retranché, et le rejeter à plusieurs marches en arrière, pour pouvoir tranquillement se porter sur les pays choisis pour ses quartiers-d'hiver, et nécessaires à occuper actuellement pour l'exécution de ses projets ultérieurs, avait ordonné, le 17, par le général Lauriston, à son avant-garde, de se placer derrière le défilé de Winkowo, afin que ses mouvemens ne pussent pas être aperçus. Depuis que Moscou avait cessé d'exister, l'empereur avait projeté ou d'abandonner cet amas de décombres, ou d'occuper seulement le Kremlin avec trois mille hommes; mais le Kremlin, après quinze jours de travaux, ne fut pas jugé assez fort pour être abandonné vingt ou trente jours à ses propres forces; il aurait affaibli et gêné l'armée dans ses mouvemens, sans donner un grand avantage. Si l'on eût voulu garder Moscou contre les mendians et les pillards, il fallait vingt mille hommes. Moscou est aujourd'hui un vrai cloaque malsain et impur. Une population de deux cent mille âmes, errant dans les bois voisins, mourant de faim, vient sur ses décombres chercher quelques débris et quelques légumes de jardins pour vivre. Il parut inutile de compromettre quoi que ce soit pour un objet qui n'était d'aucune importance militaire, et qui est aujourd'hui devenu sans importance politique.
Tous les magasins qui étaient dans la ville ayant été découverts avec soin, les autres évacués, l'empereur fit miner le Kremlin. Le duc de Trévise le fit sauter le 23, à deux heures du matin: l'arsenal, les casernes, les magasins, tout a été détruit. Cette ancienne citadelle, qui date de la fondation de la monarchie, ce premier palais des czars, ont été! Le duc de Trévise s'est mis en marche pour Vereja. L'aide-de-camp de l'empereur de Russie, Winzingerode, ayant voulu percer, le 22, à la tête de cinq cents cosaques, fut repoussé et fait prisonnier avec un jeune officier russe nommé Nariskin.
Le quartier-général fut porté le 19 au château de Troitskoe; il y séjourna le 20: le 21, il était à Ignatiew, le 22, à Fominskoi, toute l'armée ayant fait deux marches de flanc, et le 21 à Borowsk.
L'empereur compte se mettre en marche le 24, pour gagner la Dwina, et prendre une position qui le rapproche de quatre-vingts lieues de Pétersbourg et de Wilna, double avantage, c'est-à-dire plus près de vingt marches des moyens et du but.
De quatre mille maisons de pierre qui existaient à Moscou, il n'en restait plus que deux cents. On a dit qu'il en restait le quart, parce qu'on y a compris huit cents églises, encore une partie en est endommagée. De huit mille maisons de bois, il en restait à peu près cinq cents. On proposa à l'empereur de faire brûler le reste de la ville pour servir les Russes comme ils le veulent, et d'étendre cette mesure autour de Moscou. Il y a deux mille villages et autant de maisons de campagne ou de châteaux. On proposa de former quatre colonnes de deux cents hommes chacune, et de les charger d'incendier tout à vingt lieues à la ronde. Cela apprendra aux Russes, disait-on, à faire la guerre en règle et non en Tartares. S'ils brûlent un village, une maison, il faut leur répondre en leur en brûlant cent.
L'empereur s'est refusé à ces mesures qui auraient tant aggravé les malheurs de cette population. Sur neuf mille propriétaires dont on aurait brûlé les châteaux, cent peut-être sont des sectateurs du Marat de la Russie; mais huit mille neuf cents sont de braves gens déjà trop victimes de l'intrigue de quelques misérables. Pour punir cent coupables, on en aurait ruiné huit mille neuf cents. Il faut ajouter que l'on aurait mis absolument sans ressources deux cent mille pauvres serfs innocens de tout cela. L'empereur s'est donc contenté d'ordonner la destruction des citadelles et établissemens militaires, selon les usages de la guerre, sans rien faire perdre aux particuliers, déjà trop malheureux par les suites de cette guerre.
Les habitans de la Russie ne reviennent pas du temps qu'il fait depuis vingt jours. C'est le soleil et les belles journées du voyage de Fontainebleau. L'armée est dans un pays extrêmement riche, et qui peut se comparer aux meilleurs de la France et de l'Allemagne.
Vereia, le 27 octobre 1812.
Vingt-septième bulletin de la grande armée.
Le 22, le prince Poniatowski se porta sur Vereia. Le 23, l'armée allait suivre ce mouvement, lorsque, dans l'après-midi, on apprit que l'ennemi avait quitté son camp retranché, et se portait sur la petite ville de Maloiaroslawetz. On jugea nécessaire de marcher à lui pour l'en chasser.
Le vice-roi reçut l'ordre de s'y porter. La division Delzons arriva le 23, à six heures du soir, sur la rive gauche, s'empara du pont, et le fit rétablir.
Dans la nuit du 23 au 24, deux divisions russes arrivèrent dans la ville et s'emparèrent des hauteurs sur la rive droite, qui sont extrêmement favorables.
Le 24, à la pointe du jour, le combat s'engagea. Pendant ce temps, l'armée ennemie parut tout entière, et vint prendre position derrière la ville: les divisions Delzons, Broussier et Pino, et la garde italienne furent successivement engagées. Ce combat fait le plus grand honneur au vice-roi et au quatrième corps d'armée. L'ennemi engagea les deux tiers de son armée pour soutenir la position; ce fut en vain: la ville fut enlevée, ainsi que les hauteurs. La retraite de l'ennemi fut si précipitée, qu'il fut obligé de jeter vingt pièces de canon dans la rivière.
Vers le soir, le maréchal prince d'Eckmülh déboucha avec son corps; et toute l'armée se trouva en bataille avec son artillerie, le 25, sur la position que l'ennemi occupait la veille.
L'empereur porta son quartier-général le 24 au village de Ghorodnia. A sept heures du matin, six mille cosaques, qui s'étaient glissés dans les bois, firent un houra général sur les derrières de la position, et enlevèrent six pièces de canon qui étaient parquées. Le duc d'Istrie se porta au galop avec toute la garde à cheval: cette horde fut sabrée, ramenée et jetée dans la rivière; on lui reprit l'artillerie qu'elle avait prise, et plusieurs voitures qui lui appartenaient; six cents de ces cosaques ont été tués, blessés ou pris; trente hommes de la garde ont été blessés, et trois tués. Le général de division comte Rapp a eu un cheval tué sous lui: l'intrépidité dont ce général a donné tant de preuves, se montre dans toutes les occasions. Au commencement de la charge, les officiers de cosaques appelaient la garde, qu'ils reconnaissaient, muscadins de Paris. Le major des dragons Letort s'était fait remarquer. A huit heures, l'ordre était rétabli.
L'empereur se porta à Maloiaroslawetz, reconnut la position de l'ennemi, et ordonna l'attaque pour le lendemain; mais dans la nuit l'ennemi a battu en retraite. Le prince d'Eckmülh l'a poursuivi pendant six lieues; l'empereur alors l'a laissé aller, et a ordonné le mouvement sur Vereia.
Le 26, le quartier-général était à Borowsk, et le 25 à Vereia. Le prince d'Eckmülh est ce soir à Borowsk; le maréchal duc d'Elchingen à Mojaïsk.
Le temps est superbe, les chemins sont beaux: c'est le reste de l'automne: ce temps durera encore huit jours, et à cette époque nous serons rendus dans nos nouvelles positions.
Dans le combat de Maloiaroslawetz, la garde italienne s'est distinguée; elle a pris la position et s'y est maintenue. Le général baron Delzons, officier distingué, a été tué de trois balles. Notre perte est de quinze cents hommes tués ou blessés; celle des ennemis est de six à sept mille. On a trouvé sur le champ de bataille dix-sept cents Russes, parmi lesquels onze cents recrues habillées de vestes grises, ayant à peine deux mois de service.
L'ancienne infanterie russe est détruite; l'armée russe n'a quelque consistance que par les nombreux renforts de cosaques récemment arrivés du Don. Des gens instruits assurent qu'il n'y a dans l'infanterie russe que le premier rang composé de soldats, et que les deuxième et troisième rangs sont remplis par des recrues et des milices, que, malgré la parole qu'on leur avait donnée, on y a incorporées. Les Russes ont eu trois généraux tués. Le général comte Pino a été légèrement blessé.
Smolensk, le 11 novembre 1812.
Vingt-huitième bulletin de la grande armée.
Le quartier-général impérial était, le 1er novembre, à Viazma, et le 9 à Smolensk. Le temps a été très beau jusqu'au 6; mais, le 7, l'hiver a commencé, la terre s'est couverte de neige. Les chemins sont devenus très-glissans et très-difficiles pour les chevaux de trait. Nous en avons perdu beaucoup par le froid et les fatigues; les bivouacs de la nuit leur nuisent beaucoup.
Depuis le combat de Maloiaroslawetz, l'avant-garde n'avait pas vu l'ennemi, si ce n'est les cosaques qui, comme les Arabes, rôdent sur les flancs et voltigent pour inquiéter.
Le 2, à deux heures après-midi, douze mille hommes d'infanterie russe, couverts par une nuée de cosaques, coupèrent la route, à une lieue de Viasma, entre le prince d'Eckmülh et le vice-roi. Le prince d'Eckmülh et le vice-roi firent marcher sur cette colonne, la chassèrent du chemin, la culbutèrent dans les bois, lui prirent un général-major avec bon nombre de prisonniers, et lui enlevèrent six pièces de canon; depuis on n'a plus vu l'infanterie russe, mais seulement des cosaques.
Depuis le mauvais temps du 6, nous avons perdu plus de trois mille chevaux de trait, et près de cent de nos caissons ont été détruits.
Le général Wittgenstein ayant été renforcé par les divisions russes de Finlande et par un grand nombre de troupes de milice, a attaqua le 18 octobre, le maréchal Gouvion-Saint-Cyr; il a été repoussé par ce maréchal et par le général de Wrede, qui lui ont fait trois mille prisonniers, et ont couvert le champ de bataille de ses morts.
Le 20, le maréchal Gouvion-Saint-Cyr, ayant appris que le maréchal duc de Bellune, avec le neuvième corps, marchait pour le renforcer, repassa la Dwina, et se porta à sa rencontre pour, sa jonction opérée avec lui, battre Wittgenstein et lui faire repasser la Dwina. Le maréchal Gouvion-Saint-Cyr fait le plus grand éloge de ses troupes. La division suisse s'est fait remarquer par son sang-froid et sa bravoure. Le colonel Guéhéneuc, du vingt-sixième régiment d'infanterie légère a été blessé. Le maréchal Saint-Cyr a eu une balle au pied. Le maréchal duc de Reggio est venu le remplacer, et a repris le commandement du deuxième corps.
La santé de l'empereur n'a jamais été meilleure.
Molodetschino, le 3 décembre 1812.
Vingt-neuvième bulletin de la grande armée.
Jusqu'au 6 novembre, le temps a été parfait, et le mouvement de l'armée s'est exécuté avec le plus grand succès. Le froid a commencé le 9; dès ce moment, chaque nuit nous avons perdu plusieurs centaines de chevaux, qui mouraient au bivouac. Arrivés à Smolensk, nous avions déjà perdu bien des chevaux de cavalerie et d'artillerie.
L'armée russe de Volhynie était opposée à notre droite. Notre droite quitta la ligne d'opération de Minsk, et prit pour pivot de ses opérations la ligne de Varsovie. L'empereur apprit à Smolensk, le 9, ce changement de ligne d'opérations, et présuma ce que ferait l'ennemi. Quelque dur qu'il lui parût de se mettre en mouvement dans une si cruelle saison, le nouvel état des choses le nécessitait; il espérait arriver à Minsk, ou du moins sur la Bérésina, avant l'ennemi; il partit le 13 de Smolensk; le 16, il coucha à Krasnoi. Le froid, qui avait commencé le 7, s'accrut subitement, et, du 14 au 15 et au 16, le thermomètre marqua seize et dix-huit degrés au-dessous de glace. Les chemins furent couverts de verglas; les chevaux de cavalerie, d'artillerie, de train périssaient toutes les nuits, non par centaines, mais par milliers, surtout les chevaux de France et d'Allemagne: plus de trente mille chevaux périrent en peu de jours; notre cavalerie se trouva toute à pied; notre artillerie et nos transports se trouvaient sans attelage. Il fallut abandonner et détruire une bonne partie de nos pièces et de nos munitions de guerre et de bouche.
Cette armée, si belle le 6, était bien différente dès le 14, presque sans cavalerie, sans artillerie, sans transports. Sans cavalerie, nous ne pouvions pas nous éclairer à un quart de lieue; cependant, sans artillerie, nous ne pouvions pas risquer une bataille et attendre de pied ferme; il fallait marcher pour ne pas être contraint à une bataille, que le défaut de munitions nous empêchait de désirer; il fallait occuper un certain espace pour ne pas être tournés, et cela sans cavalerie qui éclairât et liât les colonnes. Cette difficulté, jointe à un froid excessif subitement venu, rendit notre situation fâcheuse. Les hommes que la nature n'a pas trempés assez fortement pour être au-dessus de toutes les chances du sort et de la fortune, parurent ébranlés, perdirent leur gaîté, leur bonne humeur, et ne révèrent que malheurs et catastrophes; ceux qu'elle a créés supérieurs à tout, conservèrent leur gaîté, leurs manières ordinaires, et virent une nouvelle gloire dans des difficultés différentes à surmonter.
L'ennemi, qui voyait sur les chemins les traces de cette affreuse calamité qui frappait l'armée française, chercha à en profiter. Il enveloppait toutes les colonnes par ses cosaques, qui enlevaient, comme les Arabes dans les déserts, les trains et les voitures qui s'écartaient. Cette méprisable cavalerie, qui ne fait que du bruit, et n'est pas capable d'enfoncer une compagnie de voltigeurs, se rendit redoutable à la faveur des circonstances. Cependant l'ennemi eut à se repentir de toutes les tentatives sérieuses qu'il voulut entreprendre; il fut culbuté par le vice-roi au-devant duquel il s'était placé, et y perdit beaucoup de monde.
Le duc d'Elchingen qui, avec trois mille hommes, faisait l'arrière-garde, avait fait sauter les remparts de Smolensk. Il fut cerné et se trouva dans une position critique: il s'en tira avec cette intrépidité qui le distingue. Après avoir tenu l'ennemi éloigné de lui pendant toute la journée du 18, et l'avoir constamment repoussé, à la nuit, il fit un mouvement par le flanc droit, passa le Borysthène, et déjoua tous les calculs de l'ennemi. Le 19, l'armée passa le Borysthène à Orza, et l'armée russe fatiguée, ayant perdu beaucoup de monde, cessa là ses tentatives.
L'armée de Volhynie s'était portée dès le 16 sur Minsk, et marchait sur Borisow. Le général Dombrowski défendit la tête de pont de Borisow avec trois mille hommes. Le 23, il fut forcé, et obligé d'évacuer cette position. L'ennemi passa alors la Bérésina, marchant sur Bobr; la division Lambert faisait l'avant-garde. Le deuxième corps, commandé par le duc de Reggio, qui était à Tscherein, avait reçu l'ordre de se porter sur Borisow pour assurer à l'armée le passage de la Bérésina. Le 24, le duc de Reggio rencontra la division Lambert à quatre lieues de Borisow, l'attaqua, la battit, lui fit deux mille prisonniers, lui prit six pièces de canon, cinq cents voitures de bagages de l'armée de Volhynie, et rejeta l'ennemi sur la rive droite de la Bérésina. Le générai Berkeim, avec le quatrième de cuirassiers, se distingua par une belle charge. L'ennemi ne trouva son salut qu'on brûlant le pont, qui a plus de trois cents toises.
Cependant l'ennemi occupait tous les passages de la Bérésina; cette rivière est large de quarante toises; elle charriait assez de glaces; mais ses bords sont couverts de marais de trois cents toises de long, ce qui la rend un obstacle difficile à franchir.
Le général ennemi avait placé ses quatre divisions dans différens débouchés où il présumait que l'armée française voudrait passer.
Le 26, à la pointe du jour, l'empereur, après avoir trompé l'ennemi par divers mouvemens faits dans la journée du 25, se porta sur le village de Studzianca, et fit aussitôt, malgré une division ennemie, et en sa présence, jeter deux ponts sur la rivière. Le duc de Reggio passa, attaqua l'ennemi, et le mena battant deux heures; l'ennemi se retira sur la tête de pont de Borisow. Le général Legrand, officier du premier mérite, fut blessé grièvement, mais non dangereusement. Toute la journée du 26 et du 27 l'armée passa.
Le duc de Bellune, commandant le neuvième corps, avait reçu ordre de suivre le mouvement du duc de Reggio, de faire l'arrière-garde, et de contenir l'armée russe de la Dwina qui le suivait. La division Partouneaux faisait l'arrière-garde de ce corps. Le 27 à midi, le duc de Bellune arriva avec deux divisions au pont de Studzianca.
La division Partouneaux partit à la nuit de Borisow. Une brigade de cette division qui formait l'arrière-garde, et qui était chargée de brûler les ponts, partit à sept heures du soir; elle arriva entre dix et onze heures; elle chercha sa première brigade et son général de division qui étaient partis deux heures avant, et qu'elle n'avait pas rencontrés en route. Ses recherches furent vaines; on conçut alors des inquiétudes. Tout ce qu'on a pu connaître depuis, c'est que cette première brigade, partie à cinq heures, s'est égarée à six, a pris à droite au lieu de prendre à gauche, et a fait deux ou trois lieues dans cette direction; que dans la nuit, et transie de froid, elle s'est ralliée aux feux de l'ennemi, qu'elle a pris pour ceux de l'armée française; entourée ainsi, elle aura été enlevée. Cette cruelle méprise doit nous avoir fait perdre deux mille hommes d'infanterie, trois cents chevaux et trois pièces d'artillerie. Des bruits couraient que le général de division n'était pas avec sa colonne, et avait marché isolément.
Toute l'armée ayant passé le 28 au matin, le duc de Bellune gardait la tête de pont sur la rive gauche; le duc de Reggio, et derrière lui toute l'armée, était sur la rive droite.
Borisow ayant été évacué, les armées de la Dwina et de Volhynie communiquèrent; elles concertèrent une attaque. Le 28, à la pointe du jour, le duc de Reggio fit prévenir l'empereur qu'il était attaqué; une demi-heure après, le duc de Bellune le fut sur la rive gauche; l'armée prit les armes. Le duc d'Elchingen se porta à la suite du duc de Reggio, et le duc de Trévise derrière le duc d'Elchingen. Le combat devint vif; l'ennemi voulut déborder notre droite; le général Doumerc, commandant la cinquième division de cuirassiers, et qui faisait partie du deuxième corps resté sur la Dwina, ordonna une charge de cavalerie aux quatrième et cinquième régimens de cuirassiers, au moment où la légion de la Vistule s'engageait dans les bois pour percer le centre de l'ennemi, qui fut culbuté et mis en déroute. Ces braves cuirassiers enfoncèrent successivement six carrés d'infanterie, et mirent en déroute la cavalerie ennemie qui venait au secours de son infanterie: six mille prisonniers, deux drapeaux et six pièces de canon tombèrent en notre pouvoir.
De son côté, le duc de Bellune fit charger vigoureusement l'ennemi, le battit, lui fit cinq à six cents prisonniers, et le tint hors la portée du canon du pont. Le général Fournier fit une belle charge de cavalerie.
Dans le combat de la Bérésina, l'armée de Volhynie a beaucoup souffert. Le duc de Reggio a été blessé; sa blessure n'est pas dangereuse; c'est une balle qu'il a reçue dans le côté.
Le lendemain 29, nous restâmes sur le champ de bataille. Nous avions à choisir entre deux routes, celle de Minsk et celle de Wilna. La route de Minsk passe au milieu d'une forêt et de marais incultes, et il eût été impossible à l'armée de s'y nourrir. La route de Wilna, au contraire, passe dans de très-bons pays; l'armée, sans cavalerie, faible en munitions, horriblement fatiguée de cinquante jours de marche, traînant à sa suite ses malades et les blessés de tant de combats, avait besoin d'arriver à ses magasins. Le 30, le quartier-général fut à Plechnitsi; le 1er décembre à Slaiki, et le 3 à Molodetschino, où l'armée a reçu les premiers convois de Wilna.
Tous les officiers et soldats blessés, et tout ce qui est embarras, bagages, etc., ont été dirigés sur Wilna.
Dire que l'armée a besoin de rétablir sa discipline, de se refaire, de remonter sa cavalerie, son artillerie et son matériel, c'est le résultat de l'exposé qui vient d'être fait. Le repos est son premier besoin. Le matériel et les chevaux arrivent. Le général Bourcier a déjà plus de vingt mille chevaux de remonte dans différens dépôts. L'artillerie a déjà réparé ses pertes; les généraux, les officiers et les soldats ont beaucoup souffert de la fatigue et de la disette. Beaucoup ont perdu leurs bagages par suite de la perte de leurs chevaux; quelques-uns par le fait des embuscades des cosaques. Les cosaques ont pris nombre d'hommes isolés, d'ingénieurs-géographes qui levaient les positions, et d'officiers blessés qui marchaient sans précaution, préférant courir des risques plutôt que de marcher posément et dans les convois.
Les rapports des officiers-généraux commandant les corps feront connaître les officiers et soldats qui se sont le plus distingués, et les détails de tous ces mémorables événemens.
Dans tous ces mouvemens, l'empereur a toujours marché au milieu de sa garde, la cavalerie, commandée par le maréchal duc d'Istrie, et l'infanterie, commandée par le duc de Dantzick. S. M. a été satisfaite du bon esprit que sa garde a montré; elle a toujours été prête à se porter partout où les circonstances l'auraient exigé; mais les circonstances ont toujours été telles que sa simple présence a suffi, et qu'elle n'a pas été dans le cas de donner.
Le prince de Neufchâtel, le grand-maréchal, le grand-écuyer et tous les aides-de-camp et les officiers militaires de la maison de l'empereur, ont toujours accompagné sa Majesté.
Notre cavalerie était tellement démontée, que l'on a dû réunir les officiers auxquels il restait un cheval, pour en former quatre compagnies de cent cinquante hommes chacune. Les généraux y faisaient les fonctions de capitaines, et les colonels celles de sous-officiers. Cet escadron sacré, commandé par le général Grouchy, et sous les ordres du roi de Naples, ne perdait pas de vue l'empereur dans tous ses mouvemens.
La santé de Sa Majesté n'a jamais été meilleure.
Paris, 18 décembre 1812.
Note publiée dans le Moniteur au retour de l'empereur à Paris.
Le 5 décembre, l'empereur réunit au quartier-général de Smorgony, le roi de Naples, le vice-roi, le prince de Neufchâtel, et les maréchaux ducs d'Elchingen, de Dantzick, de Trévise, le prince d'Eckmülh, le duc d'Istrie, et leur fit connaître qu'il avait nommé le roi de Naples son lieutenant-général pour commander l'armée pendant la rigoureuse saison.
S. M. passant à Wilna accorda un travail de plusieurs heures à M. le duc de Bassano.
S. M. voyagea incognito dans un seul traîneau, avec et sous le nom du duc de Vicence. Elle visita les fortifications de Praga, parcourut Varsovie, et y passa plusieurs heures inconnue. Deux heures avant son départ, elle fit chercher le comte Potocki et le ministre des finances du grand-duché, qu'elle entretint long-temps.
S. M. arriva le 14, à une heure après minuit à Dresde, et descendit chez le comte Serra, son ministre. Elle s'entretint long-temps avec le roi de Saxe, et repartit immédiatement, prenant la route de Leipsick et de Mayence.
Paris, 20 décembre 1812.
Réponse de l'empereur aux députations du sénat et du conseil d'état, envoyées pour le féliciter sur son retour de Russie.
Au Sénat.
«Sénateurs,
«Ce que vous me dites m'est fort agréable. J'ai à coeur la gloire et la puissance de la France; mais mes premières pensées sont pour tout ce qui peut perpétuer la tranquillité intérieure, et mettre à jamais mes peuples à l'abri des déchiremens des factions et des horreurs de l'anarchie. C'est sur ces ennemies du bonheur des peuples que j'ai fondé, avec la volonté et l'amour des Français, ce trône auquel sont attachées désormais les destinées de la patrie.
«Des soldats timides et lâches perdent l'indépendance des nations; mais des magistrats pusillanimes détruisent l'empire des lois, les droits du trône, et l'ordre social lui-même.
«La plus belle mort serait celle d'un soldat qui périt au champ d'honneur, si la mort d'un magistrat périssant en défendant le souverain, le trône et les lois, n'était plus glorieuse encore.
«Lorsque j'ai entrepris la régénération de la France, j'ai demandé à la Providence un nombre d'années déterminé. On détruit dans un moment, mais on ne peut réédifier sans le secours du temps. Le plus grand besoin de l'état est celui de magistrats courageux.
«Nos pères avaient pour cri de ralliement: Le roi est mort, vive le roi! Ce peu de mots contient les principaux avantages de la monarchie. Je crois avoir bien étudié l'esprit que mes peuples ont montré dans les différens siècles; j'ai réfléchi à ce qui a été fait aux différentes époques de notre histoire: j'y penserai encore.
«La guerre que je soutiens contre la Russie est une guerre politique. Je l'ai faite sans animosité: j'eusse voulu lui épargner les maux qu'elle-même s'est faits. J'aurais pu armer la plus grande partie de sa population contre elle-même, en proclamant la liberté des esclaves: un grand nombre de villages me l'ont demandé; mais lorsque j'ai connu l'abrutissement de cette classe nombreuse du peuple russe, je me suis refusé à cette mesure qui aurait voué à la mort et aux plus horribles supplices bien des familles. Mon armée a essuyé des pertes, mais c'est par la rigueur prématurée de la saison.
«J'agrée les sentimens que vous m'exprimez.»
Au conseil d'état.
«Conseillers d'état,
«Toutes les fois que j'entre en France, mon coeur éprouve une bien vive satisfaction. Si le peuple montre tant d'amour pour mon fils, c'est qu'il est convaincu, par sentiment, des bienfaits de la monarchie.
«C'est à l'idéologie, à cette ténébreuse métaphysique, qui, en recherchant avec subtilité les causes premières, veut sur ses bases fonder la législation des peuples, au lieu d'approprier les lois à la connaissance du coeur humain et aux leçons de l'histoire, qu'il faut attribuer tous les malheurs qu'a éprouvés notre belle France. Ces erreurs devaient et ont effectivement amené le régime des hommes de sang. En effet, qui a proclamé le principe d'insurrection comme un devoir? qui a adulé le peuple en le proclamant à une souveraineté qu'il était incapable d'exercer? qui a détruit la sainteté et le respect des lois, en les faisant dépendre, non des principes sacrés de la justice, de la nature des choses et de la justice civile, mais seulement de la volonté d'une assemblée composée d'hommes étrangers à la connaissance des lois civiles, criminelles, administratives, politiques et militaires? Lorsqu'on est appelé à régénérer un état, ce sont des principes constamment opposés qu'il faut suivre. L'histoire peint le coeur humain; c'est dans l'histoire qu'il faut chercher les avantages et les inconvéniens des différentes législations. Voilà les principes que le conseil d'état d'un grand empire ne doit jamais perdre de vue; il doit y joindre un courage à toute épreuve; et, à l'exemple des présidens Harlay et Molé, être prêt à périr en défendant le souverain, le trône et les lois.
«J'apprécie les preuves d'attachement que le conseil-d'état m'a données dans toutes les circonstances. J'agrée ses sentimens.»
Au palais des Tuileries, 8 janvier 1813.
Lettre de l'empereur au Sénat.
«Sénateurs,
«Nous avons jugé utile de reconnaître par des récompenses éclatantes les services qui nous ont été rendus, spécialement dans cette dernière campagne, par notre cousin le maréchal duc d'Elchingen.
«Nous avons pensé d'ailleurs qu'il convenait de consacrer le souvenir honorable pour nos peuples, de ces grandes circonstances où nos armées nous ont donné tant de preuves signalées de leur bravoure et de leur dévouement, et que tout ce qui tendrait à en perpétuer la mémoire dans la postérité était conforme à la gloire et aux intérêts de notre couronne.
«Nous avons en conséquence érigé en principauté, sous le titre de principauté de la Moskwa, le château de Rivoli, département du Pô, et les terres qui en dépendent, pour être possédés par notre cousin le maréchal duc d'Elchingen et ses descendans, aux closes et conditions portées aux lettres patentes que nous avons ordonné à notre cousin le prince archi-chancelier de l'empire de faire expédier par le conseil du sceau des titres.
«Nous avons pris des mesures pour que les domaines de la-dite principauté soient augmentés de manière à ce que le titulaire et ses descendans puissent soutenir dignement le nouveau titre que nous conférons, et ce, au moyen des dispositions qui nous sont compétentes.
«Notre intention est, ainsi qu'il est spécifié dans nos lettres-patentes, que la principauté que nous avons érigée en faveur de notre dit cousin le maréchal duc d'Elchingen, ne donne à lui et à ses descendans d'autres rang et prérogatives que ceux dont jouissent les ducs parmi lesquels ils prendront rang selon la date de l'érection du titre.»
NAPOLÉON.
Paris, 14 février 1813.
Discours de l'empereur à l'ouverture du corps-législatif.
«Messieurs les députés des départemens au corps-législatif,
«La guerre rallumée dans le nord de l'Europe offrait une occasion favorable aux projets des Anglais sur la péninsule. Ils ont fait de grands efforts. Toutes leurs espérances ont été déçues.... Leur armée a échoué devant la citadelle de Burgos, et a dû, après avoir essuyé de grandes pertes, évacuer le territoire de toutes les Espagnes.
«Je suis moi-même entré en Russie. Les armes françaises ont été constamment victorieuses aux champs d'Ostrowno, de Polotsk, de Mohilow, de Smolensk, de la Moskwa, de Maloiaroslawetz. Nulle part les armées russes n'ont pu tenir devant nos aigles; Moscou est tombé en notre pouvoir.
«Lorsque les barrières de la Russie ont été forcées, et que l'impuissance de ses armes a été reconnue, un essaim de Tartares ont tourné leurs mains parricides contre les plus belles provinces de ce vaste empire qu'ils avaient été appelés à défendre. Ils ont, en peu de semaines, malgré les larmes et le désespoir des infortunés Moscovites, incendié plus de quatre mille de leurs plus beau villages, plus de cinquante de leurs plus belles villes, assouvissant ainsi leur ancienne haine, et sous le prétexte de retarder notre marche en nous environnant d'un désert. Nous avons triomphé de tous ces obstacles! L'incendie même de Moscou où, en quatre jours, ils ont anéanti le fruit des travaux et des épargnes de quarante générations, n'avait rien changé à l'état prospère de mes affaires..... Mais la rigueur excessive et prématurée de l'hiver a fait peser sur mon armée une affreuse calamité. En peu de nuits, j'ai vu tout changer. J'ai fait de grandes pertes. Elles auraient brisé mon âme si, dans ces grandes circonstances, j'avais dû être accessible à d'autres sentimens qu'à l'intérêt, à la gloire et à l'avenir de mes peuples.
«A la vue des maux qui ont pesé sur nous, la joie de l'Angleterre a été grande, ses espérances n'ont pas eu de bornes. Elle offrait nos plus belles provinces pour récompense à la trahison. Elle mettait pour condition à la paix le déchirement de ce bel empire: c'était, sous d'autres termes, proclamer la guerre perpétuelle.
«L'énergie de mes peuples, dans ces grandes circonstances, leur attachement à l'intégrité de l'empire, qu'ils m'ont montré, ont dissipé toutes ces chimères, et ramené nos ennemis à un sentiment plus juste des choses.
«Les malheurs qu'a produits la rigueur des climats ont fait ressortir dans toute leur étendue la grandeur et la solidité de cet empire, fondé sur les efforts et l'amour de cinquante millions de citoyens, et sur les ressources territoriales des plus belles contrées du monde.
«C'est avec une vive satisfaction que nous avons vu nos peuples du royaume d'Italie, ceux de l'ancienne Hollande et des départemens réunis, rivaliser avec les anciens Français, et sentir qu'il n'y a pour eux d'espérance, d'avenir et de bien, que dans la consolidation et le triomphe du grand empire.
«Les agens de l'Angleterre propagent chez tous nos voisins l'esprit de révolte contre les souverains. L'Angleterre voudrait voir le continent entier en proie à la guerre civile et à toutes les fureurs de l'anarchie; mais la Providence l'a elle-même désignée pour être la première victime de l'anarchie et de la guerre civile.
«J'ai signé directement avec le pape un concordat qui termine tous les différens qui s'étaient malheureusement élevés dans l'église. La dynastie française règne et régnera en Espagne. Je suis satisfait de la conduite de tous mes alliés. Je n'en abandonnerai aucun; je maintiendrai l'intégrité de leurs états. Les Russes rentreront dans leur affreux climat.
«Je désire la paix; elle est nécessaire au monde. Quatre fois, depuis la rupture qui a suivi le traité d'Amiens, je l'ai proposée dans des démarches solennelles. Je ne ferai jamais qu'une paix honorable et conforme aux intérêts et à la grandeur de mon empire. Ma politique n'est point mystérieuse; j'ai fait connaître les sacrifices que je pouvais faire.
«Tant que cette guerre maritime durera, mes peuples doivent se tenir prêts à toute espèce de sacrifices; car une mauvaise paix ferait tout perdre, jusqu'à l'espérance, et tout serait compromis, même la prospérité de nos neveux.
«L'Amérique a recouru aux armes pour faire respecter la souveraineté de son pavillon; les voeux du monde l'accompagnent dans cette glorieuse lutte. Si elle la termine en obligeant les ennemis du continent à reconnaître le principe que le pavillon couvre la marchandise et l'équipage, et que les neutres ne doivent pas être soumis à des blocus sur le papier, le tout conformément aux stipulations du traité d'Utrecht, l'Amérique aura mérité de tous les peuples. La postérité dira que l'ancien monde avait perdu ses droits, et que le nouveau les a reconquis.
«Mon ministre de l'intérieur vous fera connaître, dans l'exposé de la situation de l'empire, l'état prospère de l'agriculture, des manufactures et de notre commerce intérieur, ainsi que l'accroissement toujours constant de notre population. Dans aucun siècle l'agriculture et les manufactures n'ont été en France à un plus haut degré de prospérité.
«J'ai besoin de grandes ressources pour faire face à toutes les dépenses qu'exigent les circonstances; mais moyennant différentes mesures que vous proposera mon ministre des finances, je ne devrai imposer aucune nouvelle charge à mes peuples.»
De notre palais de l'Elysée, le 30 mars 1813.
Lettres-patentes.
Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions, empereur des Français, roi d'Italie; protecteur de la confédération du Rhin, médiateur de la confédération suisse, etc., etc;
A tous ceux qui ces présentes verront, salut.
Voulant donner à notre bien-aimée épouse l'impératrice et reine Marie-Louise, des marques de la haute confiance que nous avons en elle, nous avons résolu de l'investir, comme nous l'investissons par ces présentes, du droit d'assister aux conseils du cabinet, lorsqu'il en sera convoqué pendant la durée de mon règne, pour l'examen des affaires les plus importantes de l'état; et attendu que nous sommes dans l'intention d'aller incessamment nous mettre à la tête de nos armées, pour délivrer le territoire de nos alliés, nous avons également résolu de conférer, comme nous conférons par ces présentes, à notre bien-aimée épouse l'impératrice et reine, le titre de régente, pour en exercer les fonctions, en conformité de nos intentions et de nos ordres, tels que nous les aurons fait transcrire sur le livre de l'état; entendant qu'il soit donné connaissance aux princes grands dignitaires et à nos ministres, desdits ordres et instructions, et qu'en aucun cas, l'impératrice ne puisse s'écarter de leur teneur, dans l'exercice des fonctions de régente.
Voulons que l'impératrice-régente préside, en notre nom, le sénat, le conseil-d'état, le conseil des ministres et le conseil privé, notamment pour l'examen des recours en grâce, sur lesquels nous l'autorisons à prononcer, après avoir entendu les membres dudit conseil privé. Toutefois notre intention n'est point que par suite de la présidence conférée à l'impératrice-régente, elle puisse autoriser par sa signature, la présentation d'aucun sénatus-consulte, ou proclamer aucune loi de l'état; nous référant à cet égard au contenu des ordres et instructions mentionnées ci-dessus.
Mandons à notre cousin le prince archi-chancelier de l'empire, de donner communication des présentes lettres-patentes au sénat, qui les fera transcrire sur ses registres, et à notre grand-juge ministre de la justice, de les faire publier au bulletin des lois, et de les adresser à nos cours impériales, pour y être lues, publiées et transcrites sur les registres d'icelles.
NAPOLÉON.
En notre palais de l'Elysée-Napoléon, le 3 avril 1813.
Message de l'empereur et roi au Sénat.
Sénateurs,
Conformément aux constitutions de l'empire, nous vous présentons comme candidats pour la place vacante au sénat par la mort du comte de Bougainville, le baron Lacuée, premier président de la cour impériale d'Agen, présenté par le collège électoral du département de Lot-et-Garonne; le baron d'Haubersaert, premier président de la cour impériale de Douai, présenté par le collège électoral du département du Nord; le président Berthereau, présenté par le collège électoral du département de la Seine.
Nous sommes bien aise que nos cours impériales voient dans le choix de ces trois magistrats notre satisfaction de la manière dont elles remplissent nos voeux pour l'administration de la justice.
NAPOLÉON.
En notre palais de l'Elysée-Napoléon, le 5 avril 1813.
Message de l'empereur et roi au Sénat.
Sénateurs,
Nous avons nommé pour remplir les treize places vacantes au sénat:
Le cardinal Bayane, prélat distingué par ses vertus religieuses, l'étendue de ses lumières et les services qu'il a rendus à la patrie; il a travaillé au concordat de Fontainebleau, qui complète les libertés de nos églises; oeuvre commencée par saint Louis, continuée par Louis XIV, et achevée par nous; le baron Bourlier, évêque d'Evreux, le doyen de nos évêques, l'un des docteurs les plus distingués de la Sorbonne de Paris, société qui a rendu de si importans services à l'état, en démêlant, au milieu des ténèbres des siècles, les vrais principes de notre religion, d'avec les prétentions subversives de l'indépendance des couronnes. Nous désirons que le clergé de notre empire voie dans ces choix un témoignage de la satisfaction que nous avons de sa fidélité, de ses lumières et de son attachement à notre personne.
Le comte Legrand, général de division, couvert d'honorables blessures, et auquel nous avons les plus grandes obligations pour les services qu'il nous a rendus dans les circonstances les plus importantes.
Le comte Chasseloup-Laubat, le comte Gassendi, et le comte Saint-Marsan, conseillers en notre conseil-d'état. Nous désirons que notre conseil voie dans cette distinction accordée à trois de ses membres, le contentement que nous avons de ses services;
Le comte Barbé-Marnois, premier président de notre cour des comptes: en peu d'années et par un travail assidu, notre cour des comptes a liquidé tout l'arriéré, et atteint le but pour lequel nous l'avions instituée.
Le comte De Crois, l'un de nos chambellans, présenté par le collège électoral du département de Sambre et Meuse: les officiers de notre maison verront dans cette distinction accordée à l'un d'eux, la satisfaction que nous avons de la fidélité et de l'attachement qu'ils nous montrent dans toutes les circonstances.
Le duc de Cadore, ministre d'état, intendant-général de notre maison; le duc de Frioul, notre grand-maréchal; le comte de Montesquiou, notre grand-chambellan; le duc de Vicence, notre grand-écuyer; le comte de Ségur, notre grand-maître des cérémonies.
Nous voyons de l'utilité à faire siéger au sénat les grands-officiers de notre couronne; nous sommes bien aise de leur donner cette preuve de notre satisfaction.
NAPOLÉON.
CAMPAGNE DE SAXE.
LIVRE HUITIÈME.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.1
SITUATION DES ARMÉES FRANÇAISES DARS LE NORD, AU 30 MARS.
Note 1: (retour) Dans cette campagne et dans la suivante, Napoléon, comme s'il eût prévu que la victoire allait l'abandonner pour toujours, cessa d'envoyer dans sa capitale ces bulletins guerriers, fidèles témoignages de ses succès sur les champs de bataille. Les nouvelles des armées étaient adressées à l'impératrice, et Publiées par extrait dans le Moniteur. Mais la rédaction n'en appartenait pas moins à l'empereur, et c'est à ce titre que nous les publions. Il sera curieux de comparer la peinture de nos revers tracée de la même main qui avait improvisé les brillans bulletins d'Austerlitz, de Iéna et de Friedland.]
La garnison de Dantzick avait éloigné l'ennemi de toutes les hauteurs d'Oliva, dans les premiers jours de mars.
Les garnisons de Thorn et de Modlin étaient dans le meilleur état. Le corps qui bloquait Zamosc s'en était éloigné.
Sur l'Oder, les places de Stettin, Custrin et Glogau n'étaient pas assiégées. L'ennemi se tenait hors de la portée du canon de ces forteresses. La garnison de Stettin avait brûlé tous les faubourgs et préparé tout le terrain autour de la place.
La garnison de Spandau avait également brûlé tout ce qui pouvait gêner la défense de la place.
Sur l'Elbe, le 17, on avait fait sauter une arche du pont de Dresde, et le général Durutte avait pris position sur la rive gauche. Les Saxons s'étaient portés autour de Torgau.
Le vice-roi était parti de Leipsick, et avait porté, le 21, son quartier-général à Magdebourg.
Le général Lapoype commandait à Wittenberg le pont et la place, qui étaient armés et approvisionnés pour plusieurs mois. On l'avait remise en bon état.
Arrivé à Magdebourg, le vice-roi avait envoyé le 22 le général Lauriston sur la rive droite de l'Elbe. Le général Maison s'était porté à Mockern et avait poussé des postes sur Burg et Ziczar; il n'a trouvé que quelques pulks de troupes légères, qu'il a culbutés et sur lesquels il a pris ou tué une soixantaine d'hommes.
Le 12, le général Carra-Saint-Cyr, commandant la trente-deuxième division militaire, avait jugé convenable de repasser sur la rive gauche de l'Elbe, et de laisser Hambourg à la garde des autorités et des gardes nationales. Du 15 au 20, différentes insurrections se manifestèrent dans les départemens des Bouches-de-l'Elbe et de l'Ems.
Le général Morand, qui occupait la Poméranie suédoise, ayant appris l'évacuation de Berlin, faisait sa retraite sur Hambourg. Il passa l'Elbe à Zollenpischer, et le 17, il fit sa jonction avec le général Carra-Saint-Cyr. Deux cents hommes de troupes légères ennemies ayant atteint son arrière-garde, il les fit charger et leur tua quelques hommes. Le général Morand se porta sur la rive gauche, et le général Saint-Cyr se dirigea sur Brème.
Le 24, le général Saint-Cyr fit partir deux colonnes mobiles, pour se porter sur les batteries de Calsbourg et de Blexen, que des contrebandiers aidés des paysans et de quelques débarquemens anglais avaient enlevées. Ces colonnes ont mis les insurgés en déroute et repris les batteries. Les chefs ont été pris et fusillés. Les Anglais débarqués n'étaient qu'une centaine; on n'a pu leur faire que quarante prisonniers.
Le vice-roi avait réuni toute son armée, forte de cent mille hommes et de trois cents pièces de canon, autour de Magdebourg, manoeuvrant sur les deux rives.
Le général de brigade Montbrun, qui, avec une brigade de cavalerie, occupait Steindal, ayant appris que l'ennemi avait passé le bas Elbe dans des bateaux près de Werden, s'y porta le 28, chassa les troupes légères de l'ennemi, et entra dans Werden au galop. Le quatrième de lanciers exécuta une charge à fond, dans laquelle il tua une cinquantaine de cosaques et en prit douze. L'ennemi se hâta de regagner la rive droite de l'Elbe. Trois gros bateaux furent coulés bas, et quelques barques chavirèrent; elles pouvaient être chargées de soixante chevaux et d'un pareil nombre d'hommes. On a pu sauver dix-sept cavaliers, parmi lesquels se sont trouvés deux officiers, dont un aide-de-camp du général Dornberg, qui commandait cette colonne.
Il paraît qu'un corps de troupes légères, d'un millier de chevaux, de deux mille hommes d'infanterie et de six pièces de canon, est parvenu à se diriger du côté de Brunswick, pour exciter à la révolte le Hanovre et le royaume de Westphalie. Le roi de Westphalie s'est mis à la poursuite de ce corps, et d'autres colonnes envoyées par le vice-roi arrivent sur ses derrières.
Quinze cents hommes de troupes légères ennemies ont passé l'Elbe le 27, près de Dresde, sur des batelets. Le général Durutte marche sur eux. Les Saxons avaient laissé ce point dégarni, en se groupant autour de Torgau.
Le prince de la Moskwa était arrivé le 26 avec son quartier-général et son corps d'armée à Wurtzbourg; son avant-garde débouchait des montagnes de la Thuringe.
Le duc de Raguse a porté le 22 mars son quartier-général à Hanau; ses divisions s'y réunissaient.
Au 30 mars, l'avant-garde du corps d'observation d'Italie était arrivée à Augsbourg. Tout le corps traversait le Tyrol.
Le 27, le général Vandamme arrivait de sa personne à Brème. Les divisions Dumonceau et Dufour avaient déjà dépassé Wesel.
Indépendamment de l'armée du vice-roi, des armées du Mein et du corps du roi de Westphalie, il y aura dans la première quinzaine d'avril, près de cinquante mille hommes dans la trente-deuxième division militaire, afin de faire un exemple sévère des insurrections qui ont troublé cette division. Le comte de Bentink, maire de Varel, a eu l'infamie de se mettre à la tête des révoltés. Ses propriétés seront confisquées, et il aura, par sa trahison, consommé à jamais la ruine de sa famille.
Pendant tout le mois de mars, il n'y a eu aucune affaire. Dans toutes les escarmouches, dont celle du 28 (à Werden) est, de beaucoup, la plus considérable, l'armée française a toujours eu le dessus.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
SITUATION DES ARMÉES FRANÇAISES DANS LE NORD, AU 5 AVRIL.
Les nouvelles de Dantzick étaient satisfaisantes. La nombreuse garnison a formé des camps en dehors. L'ennemi se tenait éloigné de la place, et ne paraissait pas en disposition de rien tenter. Deux frégates anglaises s'étaient fait voir devant la place.
A Thorn, il n'y avait rien de nouveau. On y avait mis le temps à profit pour améliorer les fortifications.
L'ennemi n'avait que très-peu de forces devant Modlin; le général Daendels en a profité pour faire une sortie, a repoussé le corps ennemi, et s'est emparé d'un gros convoi, où il y avait entre autres cinq cents boeufs.
La garnison de Zamosc est maîtresse du pays à six lieues à la ronde, l'ennemi n'observant cette place qu'avec quelque cavalerie légère.
Le général Frimont et le prince Poniatowski étaient toujours dans la même position sur la Pilica.
Stettin, Custrin et Glogau étaient dans le même état. L'ennemi paraissait avoir des projets sur Glogau dont le blocus était resserré.
Le corps ennemi qui, le 27 mars, a passé l'Elbe à Werden, et dont l'arrière-garde a été défaite le 28 par le général Montbrun, et jetée dans la rivière, s'était dirigé sur Luxembourg.
Le 29, le général Morand partit de Brême, et se porta sur Lunebourg, où il arriva le premier avril. Les habitans, soutenus par quelques troupes légères de l'ennemi, voulurent faire résistance; les portes furent enfoncées à coups de canon, une trentaine de ces rebelles passés par les armes, et la ville fut soumise.
Le 2, le corps ennemi qu'on supposait de trois à quatre mille hommes, cavalerie, infanterie et artillerie, se présenta devant Lunebourg. Le général Morand marcha à sa rencontre avec sa colonne, composée de huit cents Saxons, et de deux cents Français, avec une trentaine de cavaliers et quatre pièces de canon. La canonnade s'engagea. L'ennemi avait été forcé de quitter plusieurs positions, lorsque le général Morand fut tué par un boulet. Le commandement passa à un colonel saxon. Les troupes, étonnées de la perte de leur chef, se replièrent dans la ville; et après s'y être défendues pendant une demi-journée, elles capitulèrent le soir. L'ennemi fit ainsi prisonniers sept cents Saxons et deux cents Français. Une partie des prisonniers ont été repris.
Le lendemain, le général Montbrun, commandant l'avant-garde du corps du prince d'Eckmühl, arriva à Lunebourg. L'ennemi, instruit de son approche, avait évacué la ville en toute hâte et repassé l'Elbe. Le prince d'Eckmühl, arrivé le 4, a forcé l'ennemi à retirer tous ses partis de la rive gauche de l'Elbe, et a fait occuper Stade.
Le 5, le général Vandamme avait réuni à Brême les divisions Saint-Cyr et Dufour. Le général Dumonceau, avec sa division, était à Minden.
Le vice-roi a rencontré, le 2 avril, une division prussienne en avant de Magdebourg sur la rive droite de l'Elbe, l'a culbutée, l'a poursuivie l'espace de plusieurs lieues, et lui a fait quelques centaines de prisonniers.
La brigade bavaroise, qui fait partie de la division du général Durutte, a eu, le 29 mars, une affaire à Coldiz avec la cavalerie ennemie. Cette infanterie a repoussé toutes les charges que l'ennemi a tentées sur elle, et lui a tué plus de cent hommes, parmi lesquels on a reconnu un colonel et plusieurs officiers. La perte des Bavarois n'a été que de seize hommes blessés. Depuis lors le général Durutte a continué son mouvement sans être inquiété, pour se porter sur la Saale à Bernbourg.
Un détachement de cavalerie ennemie était entré le 5 dans Leipsick.
Le duc de Bellune était en observation à Calbe et Bernbourg sur la Saale.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
SITUATION DES ARMÉES FRANÇAISES DANS LE NORD, AU 10 AVRIL
Le 5, la trente-cinquième division, commandée par le général Grenier, a eu une affaire d'avant-postes sur la rive droite de l'Elbe, à quatre lieues de Magdebourg. Quatre bataillons de cette division seulement ont été engagés. L'infanterie a montré son intrépidité ordinaire, et l'ennemi a été repoussé.
Le 7, le vice-roi étant instruit que l'ennemi avait passé l'Elbe à Dessau, a envoyé le cinquième corps et une partie du onzième pour appuyer le deuxième corps, commandé par le duc de Bellune. Lui-même il s'est porté à Stassfurt, où son quartier-général était le 9, et il a réuni son armée sur la Saale, la gauche à l'Elbe, la droite appuyée aux montagnes du Hartz, et la réserve à Magdebourg.
Le prince d'Eckmühl, qui le 8 avait son quartier-général à Lunebourg, se mettait en marche pour se rapprocher de Magdebourg.
L'artillerie des divisions du général Vandamme arrivait à Brême et à Minden.
La tête d'un corps composé de deux divisions, qui doit prendre position à Wesel, sous les ordres du général Lemarrois, commençait à arriver.
Le 10, le général Souham avait envoyé un régiment à Erfurt, où on n'avait pas encore de nouvelles des troupes légères de l'ennemi.
Le duc de Raguse prenait position sur les hauteurs d'Eisenach.
L'armée française du Mein paraissait en mouvement dans différentes directions.
Le prince de Neufchâtel était attendu à Mayence.
Une partie de l'état-major de l'empereur y était arrivée, ce qui faisait présumer l'arrivée prochaine de ce souverain.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
SITUATION DES ARMÉES FRANÇAISES DANS LE NORD, AU 20 AVRIL.
Dantzick, Thorn, Modlin, Zamosc, étaient dans le même état.
Stettin, Custrin, Glogau, Spandau, n'étaient que faiblement bloqués.
Magdebourg était le point de réserve du vice-roi.
Wittemberg et Torgau étaient en bon état. La garnison de Wittemberg avait repoussé l'attaque de vive force.
Le général Vandamme était en avant de Brême; le général Sébastiani entre Celle et le Weser; le vice-roi dans la même position, la gauche sur l'Elbe, à l'embouchure de la Saale, et la droite au Hartz, occupant Bernbourg, sa réserve à Magdebourg.
Le prince de la Moskwa était à Erfurt; le duc de Raguse à Gotha, occupant Langen-Saltza; le duc d'Istrie à Eisenach; le comte Bertrand à Cobourg.
Le général Souham était à Weymar. La ville avait été occupée par trois cents hussards prussiens, qui furent éparpillés dans la journée du 19 par un escadron du dixième de hussards, et un escadron badois, sous les ordres du général Laboissière. On leur a pris soixante hussards et quatre officiers, parmi lesquels se trouve un aide-de-camp du général Blucher.
Mayence, le 24 avril 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
S. M. l'empereur a passé, le 22 du mois, la revue de quatre beaux régimens de la vieille garde; il a témoigné sa satisfaction du bel état des ces troupes; elles sont arrivées à Mayence en poste, et n'ont mis que six jours pour faire la route; elles étaient si peu fatiguées, qu'elles ont passé le Rhin sur-le-champ. Le général Curial est arrivé à Mayence avec les cadres des douze nouveaux régimens de la jeune garde qui s'organisent en cette ville. Toutes les fournitures destinées à l'équipement de ces troupes sont arrivées à Mayence par les transports accélérés.
Le duc de Castiglione a été nommé gouverneur militaire des grands-duchés de Francfort et de Wurtzbourg. La citadelle de Wurtzbourg a été armée et approvisionnée.
Les bruits qui avaient été répandus sur une prétendue défaite du général Sébastiani et sur la mort de ses aides-de-camp sont faux et controuvés; au contraire, se proposant d'attirer l'ennemi à lui, il ordonna au général Maurin d'évacuer Celle; douze cents cosaques s'y jetèrent sur-le-champ. Le 28, le général Maurin rentra précipitamment dans Celle, pêle-mêle avec l'ennemi, qui fut mis dans une déroute complète, et perdit une cinquantaine de tués, grand nombre de blessés et une centaine de prisonniers.
Pendant ce temps, le général Sébastiani se portait sur Ueltzen; il chassa de Gros-OEsingen un parti de six cents cosaques, qui se reploya sur Sprakensehl, où l'ennemi avait réuni quinze cents cavaliers. Le général Sébastiani les fit aussitôt charger et enfoncer; on leur a tué vingt-cinq hommes, blessé beaucoup plus, et pris une vingtaine de cosaques; les fuyards ont été poursuivis jusque près d'Ueltzen.
Le général Vandamme commande à Brême; il a sous ses ordres les trois divisions Dufour, Saint-Cyr et Dumonceau.
L'effervescence des esprits se calme dans la trente-deuxième division militaire; la quantité de forces qu'on voit arriver de tous côtés, les exemples sévères qu'on a faits sur les chefs des complots, mais surtout le peu de monde que l'ennemi a pu montrer sur ce point, ont comprimé la malveillance.
Le duc de Reggio est parti le 23 de Mayence pour prendre le commandement du douzième corps de la grande-armée.
Au 24, la plus grande partie de l'armée avait passé les montagnes de la Thuringe.
Le roi de Saxe ayant jugé convenable de s'approcher le plus possible de Dresde, s'est porté sur Prague.
S. M. l'empereur est parti le 24, à huit heures du soir, de Mayence.
Le duc de Dalmatie a repris les fonctions de colonel-général de la garde. S. M. a envoyé à Wetzlar le duc de Trévise pour organiser le corps polonais du général Dombrowski, et en former deux régimens d'infanterie, deux régimens de cavalerie et deux batteries d'artillerie. S. M. a pris ce corps à sa solde depuis le premier janvier.
Le prince d'Eckmühl s'est rendu dans la trente-deuxième division militaire, pour y exercer, vu les circonstances, les pouvoirs extraordinaires délégués par le sénatus-consulte du 3 avril.
Le 25 avril 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
La place de Thorn a capitulé; la garnison retourne en Bavière; elle était composée de six cents Français et de deux mille sept cents Bavarois: dans ce nombre de trois mille trois cents hommes, douze cents étaient aux hôpitaux. Aucun préparatif n'annonçait encore le commencement du siége de Dantzick: la garnison était en bon état et maîtresse des dehors. Modlin et Zamosk n'étaient point sérieusement inquiétés. A Stettin, un combat très-vif avait eu lieu. L'ennemi, ayant voulu s'introduire entre Stettin et Dam, avait été culbuté dans les marais, et quinze cents Prussiens y avaient été tués ou pris.
Une lettre reçue de Glogau faisait connaître que cette place, au 12 avril, était dans le meilleur état. Il n'y avait rien de nouveau à Custrin. Spandau était assiégé: un magasin à poudre y avait sauté, et l'ennemi ayant cru pouvoir profiter de cette circonstance pour donner l'assaut, avait été repoussé après avoir perdu mille hommes tués ou blessés. On n'a point fait de prisonniers, parce qu'on était séparé par des marais.
Les Russes ont jeté des obus dans Wittenberg, et brûlé une partie de la ville. Ils ont voulu tenter une attaque de vive force qui ne leur a point réussi. Ils y ont perdu cinq à six cents hommes.
La position de l'armée russe paraissait être la suivante: un corps de partisans, commandé par un nommé Dornberg qui, en 1809, était capitaine des gardes du roi de Westphalie, et qui le trahit lâchement, était à Hambourg et faisait des courses entre l'Elbe et le Weser. Le général Sébastiani était parti pour lui couper l'Elbe.
Les deux corps prussiens des généraux Lecoq et Blucher paraissaient occuper, le premier, la rive droite de la Basse-Saale; le second, la rive droite de la Haute-Saale.
Les généraux russes Wintzingerode et Wittgenstein occupaient Leipsick; le général Barclay de Tolly était sur la Vistule, observant Dantzick; le général Saken était devant le corps autrichien, dans la direction de Cracovie, sur la Pilica.
L'empereur Alexandre avec la garde russe, et le général Kutusow ayant une vingtaine de mille hommes, paraissaient être sur l'Oder; ils s'étaient fait annoncer à Dresde pour le 12 avril, ils s'y étaient fait depuis annoncer pour le 20: aucune de ces annonces ne s'est réalisée.
L'ennemi paraissait vouloir se maintenir sur la Saale.
Les Saxons étaient dans Torgau.
Voici la position de l'armée française:
Le vice-roi avait son quartier-général à Mansfeld, la gauche appuyée à l'embouchure de la Saale, occupant Calbe et Bernbourg, où est le duc de Bellune. Le général Lauriston, avec le cinquième corps, occupait Asleben, Sondersleben et Gerbstet. La trente-unième division était sur Eisleben, la trente-sixième et la trente-cinquième étaient en arrière en réserve. Le prince de la Moskwa avait son corps en avant de Weymar. Le duc de Raguse était à Gotha; le quatrième corps, commandé par le général Bertrand, était à Saalfeld; le douzième corps, sous les ordres du duc de Reggio, arrivant à Cobourg.
La garde est à Erfurt, où l'empereur est arrivé le 25 à onze heures du soir. Le 26, S. M. a passé la revue de la garde, et a visité les fortifications de la ville et de la citadelle. Elle a fait désigner des locaux pour y établir des hôpitaux qui pussent contenir six mille malades ou blessés, ayant ordonné qu'Erfurt serait la dernière ligne d'évacuation.
Le 27, l'empereur a passé en revue la division Bonnet, faisant partie du sixième corps aux ordres du duc de Raguse.
Toute l'armée paraissait en mouvement: déjà tous les partis que l'ennemi avait sur la rive gauche de la Saale se sont déployés. Trois mille hommes de cavalerie s'étaient portés sur Nordhausen pour pénétrer dans le Hartz, et un autre parti sur Heiligenstadt pour menacer Cassel: tout cela s'est reployé avec précipitation, en laissant des malades, des blessés, et des traînards qui ont été faits prisonniers. Depuis les hauteurs d'Ebersdorf jusqu'à l'embouchure de la Saale, il n'y a plus d'ennemis sur la rive gauche.
La jonction entre l'armée de l'Elbe et l'armée du Mein doit s'opérer le 27 entre Naumbourg et Mersebourg.
Le 28 avril 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le quartier-général de l'empereur était le 28 à Naumbourg: le prince de la Moskwa avait passé la Saale. Le général Souham avait culbuté une avant-garde de deux mille hommes qui avait voulu s'opposer au passage de la rivière. Tout le corps du prince de la Moskwa était en bataille au-delà de Naumbourg.
Le général Bertrand occupait Jéna et avait son corps rangé sur le fameux champ de bataille d'Jéna.
Le duc de Reggio, avec le douzième corps, arrivait à Saalfeld.
Le vice-roi débouchait par Halle et Mersebourg.
Le général Sébastiani s'était porté, le 24, sur Velzen; il avait culbuté un corps de quatre mille aventuriers, commandés par le général russe Czenicheff; il avait dispersé son infanterie; il avait pris une partie de ses bagages et de son artillerie, et le poursuivait l'épée dans les reins sur Lunebourg.
Le 30 avril 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le 29, l'empereur avait porté son quartier général à Naumbourg.
Le prince de la Moskwa s'était porté sur Weissenfels. Son avant-garde, commandée par le général Souham, arriva près de cette ville à deux heures après midi, et se trouva en présence du général russe Lanskoi, commandant une division de six à sept mille hommes de cavalerie, d'infanterie et d'artillerie. Le général Souham n'avait pas de cavalerie; mais, sans en attendre, il marcha à l'ennemi et le culbuta de ses différentes positions. L'ennemi démasqua douze pièces de canon; le général Souham en fit mettre un pareil nombre en batterie. La canonnade devint vive et fit des ravages dans les rangs russes qui étaient à cheval et à découvert, tandis que nos pièces étaient soutenues par des tirailleurs placés dans des ravins et dans des villages. Le général de brigade Chemineau s'est fait remarquer. L'ennemi essaya plusieurs charges de cavalerie: notre infanterie le reçut en carré et par un feu de file qui couvrit le champ de bataille de cadavres russes et de chevaux. Le prince de la Moskwa dit qu'il n'a jamais vu à la fois plus d'enthousiasme et de sang-froid dans l'infanterie. Nous entrâmes dans Weissenfels; mais voyant que l'ennemi voulait tenir près de la ville, l'infanterie marcha à lui au pas de charge, les schakos au bout des fusils et aux cris de vive l'empereur! La division ennemie se mit en retraite. Notre perte en tués et blessés a été d'une centaine d'hommes.
Le 27, le comte Lauriston s'était porté sur Wettin, où l'ennemi avait un pont. Le général Maison fit placer une batterie qui obligea l'ennemi à brûler le pont, et il s'empara de la tête de pont, que l'ennemi avait construite.
Le 28, le comte Lauriston se porta vis-à-vis Hall, où un corps prussien occupait une tête de pont, culbuta l'ennemi et l'obligea d'évacuer cette tête de pont et de couper le pont. Une canonnade très-vive s'en était suivie d'une rive à l'autre. Notre perte a été de soixante-sept hommes; celle de l'ennemi a été bien plus considérable.
Le vice-roi avait ordonné au maréchal duc de Tarente de se porter sur Mersebourg. Le 29, à quatre heures après midi, ce maréchal arriva devant cette ville; il y trouva deux mille Prussiens qui voulurent s'y défendre; ces Prussiens étaient du corps d'Yorck, de ceux mêmes que le maréchal commandait en chef et qui l'avaient abandonné sur le Niémen. Le maréchal entra de vive force, leur tua du monde, leur fit deux cents prisonniers, parmi lesquels se trouve un major, et s'empara de la ville et du pont.
Le comte Bertrand avait, le 29, son quartier-général à Dornburg, sur la Saale, occupant par une de ses divisions le pont d'Jéna.
Le duc de Raguse avait son quartier-général à Koesen sur la Saale; le duc de Reggio avait son quartier-général à Saalfeld sur la Saale.
Ce combat de Weissenfels est remarquable parce que c'est une lutte d'infanterie et de cavalerie en égal nombre et en rase plaine, et que l'avantage y est resté à notre infanterie. On a vu de jeunes bataillons se comporter avec autant de sang-froid et d'impétuosité que les vieilles troupes.
Ainsi, pour le début de cette campagne, l'ennemi est chassé de tout ce qu'il occupait sur la rive gauche de la Saale; nous sommes maîtres de tous les débouchés de cette rivière; la jonction entre les armées de l'Elbe et du Mein est opérée, et les villes importantes de Naumbourg, de Weissenfels et de Mersebourg ont été occupées de vive force.
Weymar, le 30 avril 1813.
S. M. l'empereur et roi a passé ici le 28 à deux heures après midi. Le duc de Weymar et le prince Bernard avaient été à sa rencontre jusqu'aux limites du territoire. S. M. est descendue au palais et s'est entretenue près de deux heures avec la duchesse; après quoi S. M. est montée à cheval pour se rendre à six lieues d'ici, à Eckarsberg, où était son quartier-général. Les princes ayant reconduit S. M. jusque-là, ont eu l'honneur d'y dîner le soir avec elle à son quartier-général.
La quantité de troupes qui passe ici est innombrable. Jamais on n'a vu de plus beaux trains d'artillerie ni de convois d'équipages militaires en meilleur état.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
SITUATION DES ARMÉES FRANÇAISES DANS LE NORD, AU PREMIER MAI.
L'empereur avait porté son quartier-général à Weissenfels; le vice-roi avait porté le sien à Mersebourg; le général Maison était entré à Halle; le duc de Raguse avait son quartier-général à Naumbourg; le comte Bertrand était à Stohssen; le duc de Reggio avait son quartier-général à Jéna.
Il a beaucoup plu dans la journée de 30: le premier mai, le temps était meilleur.
Trois ponts avaient été jetés sur la Saale, à Weissenfels: des ouvrages de campagne avaient été commencés à Naumbourg, et trois ponts jetés sur la Saale.
Quinze grenadiers du treizième de ligne se trouvant entre Saalfeld et Jéna, furent entourés par quatre-vingt-quinze hussards prussiens. Le commandant, qui était un colonel, s'avança en disant: Français, rendez-vous! Le sergent l'ajusta et le jeta par terre roide mort. Les autres grenadiers se pelotonnèrent, tuèrent sept Prussiens, et les hussards s'en allèrent plus vite qu'ils n'étaient venus.
Les différens partis de la vieille garde se sont réunis à Weissenfels; le général de division Roguet les commande.
L'empereur a visité tous les avant-postes: malgré le mauvais temps, S. M. jouit d'une très-bonne santé.
Le premier coup de sabre qui a été donné à ce renouvellement de campagne, a coupé l'oreille au fils du général Blucher, général-major. C'est par un maréchal-des-logis du dixième de hussards que ce coup de sabre a été donné. Les habitans de Weymar ont remarqué que le premier coup de sabre donné dans la campagne de 1806 à Saalfeld, et qui a tué le prince Louis de Prusse, a été donné aussi par un maréchal-des-logis de ce même régiment.
Le 2 mai, à neuf heures du matin.
A. S. l'impératrice-reine et régente.
Le premier mai, l'empereur monta à cheval à neuf heures du matin, avec le prince de la Moskwa et le général Souham. La division Souham se mit en mouvement vers la belle plaine qui commence sur les hauteurs de Weissenfels et s'étend jusqu'à l'Elbe. Cette division se forma en quatre carrés de quatre bataillons chacun, chaque carré à cinq cents toises l'un de l'autre, et ayant quatre pièces de canon. Derrière les carrés se plaça la brigade de cavalerie du général Laboissière, sous les ordres du comte de Valmy qui venait d'arriver. Les divisions Gérard et Marchand venaient d'arriver en échelons et formées de la même manière que la division Souham. Le maréchal duc d'Istrie tenait la droite avec toute la cavalerie de la garde.
A onze heures, ces dispositions faites, le prince de la Moskwa, en présence d'une nuée de cavalerie ennemie qui couvrait la plaine, se mit en mouvement sur le défilé de Poserna. On s'empara de différens villages sans coup férir. L'ennemi occupait, sur les hauteurs du défilé, une de plus belles positions qu'on puisse avoir; il avait six pièces de canon, et présentait trois lignes de cavalerie.
Le premier carré passa le défilé au pas de charge et aux cris de vive l'empereur long-temps prolongés sur toute la ligne. On s'empara de la hauteur. Les quatre carrés de la division Souham dépassèrent le défilé.
Deux autres divisions de cavalerie vinrent alors renforcer l'ennemi avec vingt pièces de canon. La canonnade devint vive; l'ennemi ploya partout: la division Souham se dirigea sur Lutzen; la division Gérard prit la direction de la route de Pegau. L'empereur voulant renforcer les batteries de cette dernière division, envoya douze pièces de la garde, sous les ordres de son aide-de-camp le général Drouot, et ce renfort fit merveille. Les rangs de la cavalerie ennemie furent culbutés par la mitraille.
Au même moment, le vice-roi débouchait de Mersebourg, avec le onzième corps, commandé par le duc de Tarente, et le cinquième, commandé par le général Lauriston: le corps du général Lauriston tenait la gauche sur la grande route de Mersebourg à Leipsick; celui du duc de Tarente, où était le vice-roi, tenait la droite. Le vice-roi ayant entendu la vive canonnade qui avait lieu près de Lutzen, fit un mouvement à droite, et l'empereur se trouva presqu'au même moment au village de Lutzen.
La division Marchand, et successivement les divisions Brenier et Ricard passèrent le défilé; mais l'affaire était décidée quand elles entrèrent en ligne.
Quinze mille hommes de cavalerie ont donc été chassés de ces belles plaines, à peu près par un pareil nombre d'infanterie. C'est le général Wintzingerode qui commandait ces trois divisions, dont une était celle du général Lanskoi; l'ennemi n'a montré qu'une division d'infanterie. Devenu plus prudent par le combat de Weissenfels, et étonné du bel ordre et du sang-froid de notre marche, l'ennemi n'a osé aborder d'aucune part l'infanterie, et il a été écrasé par notre mitraille. Notre perte se monte à trente-trois hommes tués et cinquante-cinq blessés, dont un chef de bataillon. Cette perte pourrait être considérée comme extrêmement légère, en comparaison de celle de l'ennemi qui a eu trois colonels, trente officiers et quatre cents hommes tués ou blessés, outre un grand nombre de chevaux; mais par une de ces fatalités dont l'histoire de la guerre est pleine, le premier coup de canon qui fut tiré dans cette journée, coupa le poignet au duc d'Istrie, lui perça la poitrine, et le jeta roide mort. Il s'était avancé à cinq cents pas du côté des tirailleurs pour bien reconnaître la plaine. Ce maréchal qu'on peut à juste titre nommer brave et juste, était recommandable autant par son coup-d'oeil militaire, par sa grande expérience de l'arme de la cavalerie, que par ses qualités civiles et son attachement à l'empereur. Sa mort sur le champ d'honneur est la plus digne d'envie; elle a été si rapide qu'elle a dû être sans douleur. Il est peu de pertes qui pussent être plus sensibles au coeur de l'empereur; l'armée et la France entière partageront la douleur que S. M. a ressentie.
Le duc d'Istrie, depuis les premières campagnes d'Italie, c'est-à-dire, depuis seize ans, avait toujours, dans différens grades, commandé la garde de l'empereur qu'il avait suivi dans toutes ses campagnes et à toutes ses batailles.
Le sang-froid, la bonne volonté et l'intrépidité des jeunes soldats étonne les vétérans et tous les officiers: c'est le cas de dire qu'aux âmes bien nées, la valeur n'attend pas le nombre des années.
S. M. a eu dans la nuit du 1er au 2 mai son quartier-général à Lutzen; le vice-roi avait son quartier-général à Markrandstedt; le général Lauriston était à Kiebersdorf; le prince de la Moskwa avait son quartier-général à Kaya, et le duc de Raguse avait le sien à Poserna. Le général Bertrand était à Stohssen; le duc de Reggio en marche sur Naumbourg.
A Dantzick la garnison a obtenu de grands avantages et fait une sortie si heureuse qu'elle a fait prisonnier un corps de trois mille Russes.
La garnison de Wittemberg paraît aussi s'être distinguée et avoir fait, dans une sortie, beaucoup de mal à l'ennemi.
Le 2 mai 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Les combats de Weissenfels et de Lutzen n'étaient que le prélude d'événemens de la plus haute importance. L'empereur Alexandre et le roi de Prusse qui étaient arrivés à Dresde avec toutes leurs forces dans les derniers jours d'avril, apprenant que l'armée française avait débouché de la Thuringe, adoptèrent le plan de lui livrer bataille dans les plaines de Lutzen, et se mirent en marche pour en occuper la position; mais ils furent prévenus par la rapidité des mouvemens de l'armée française; ils persistèrent cependant dans leurs projets, et résolurent d'attaquer l'armée pour la déposter des positions qu'elle avait prises.
La position de l'armée française au 2 mai, à neuf heures du matin, était la suivante:
La gauche de l'armée s'appuyait à l'Elster; elle était formée par le vice-roi, ayant sous ses ordres les cinquième et onzième corps. Le centre était commandé par le prince de la Moskwa, au village de Kaia. L'empereur avec la jeune et la vieille garde était à Lutzen.
Le duc de Raguse était au défilé de Poserna, et formait la droite avec ses trois divisions. Enfin le général Bertrand, commandant le quatrième corps, marchait pour se rendre à ce défilé. L'ennemi débouchait et passait l'Elster aux ponts de Zwenkau, Pegau et Zeist. S. M. ayant l'espérance de le prévenir dans son mouvement, et pensant qu'il ne pourrait attaquer que le 3, ordonna au général Lauriston, dont le corps formait l'extrémité de la gauche, de se porter sur Leipsick, afin de déconcerter les projets de l'ennemi, et de placer l'armée française, pour la journée du 3, dans une position toute différente de celle où les ennemis avaient compté la trouver et où elle était effectivement le 2, et de porter ainsi de la confusion et du désordre dans leurs colonnes.
À neuf heures du matin, S. M. ayant entendu une canonnade du côté de Leipsick, s'y porta au galop. L'ennemi défendait le petit village de Listenau et les ponts en avant de Leipsick. S. M. n'attendait que le moment où ces dernières positions seraient enlevées, pour mettre en mouvement toute son armée dans cette direction, la faire pivoter sur Leipsick, passer sur la droite de l'Elster, et prendre l'ennemi à revers; mais à dix heures, l'armée ennemie déboucha vers Kaïa, sur plusieurs colonnes d'une noire profondeur; l'horizon en était obscurci. L'ennemi présentait des forces qui paraissaient immenses. L'empereur fit sur-le-champ ses dispositions. Le vice-roi reçut l'ordre de se porter sur la gauche du prince de la Moskwa; mais il lui fallait trois heures pour exécuter ce mouvement. Le prince de la Moskwa prit les armes, et avec ses cinq divisions soutint le combat, qui au bout d'une demi-heure devint terrible. S. M. se porta elle-même à la tête de la garde derrière le centre de l'armée, soutenant la droite du prince de la Moskwa. Le duc de Raguse, avec ses trois divisions, occupait l'extrême droite. Le général Bertrand eut ordre de déboucher sur les derrières de l'armée ennemie, au moment où la ligne se trouverait le plus fortement engagée. La fortune se plut à couronner du plus brillant succès toutes ces dispositions. L'ennemi, qui paraissait certain de la réussite de son entreprise, marchait pour déborder notre droite et gagner le chemin de Weissenfels. Le général Compans, général de bataille du premier mérite, à la tête de la première division du duc de Raguse, l'arrêta tout court. Les régimens de marine soutinrent plusieurs charges avec sang-froid, et couvrirent le champ de bataille de l'élite de la cavalerie ennemie. Mais les grands efforts d'infanterie, d'artillerie et de cavalerie, étaient sur le centre. Quatre des cinq divisions du prince de la Moskwa étaient déjà engagées. Le village de Kaia fut pris et repris plusieurs fois. Ce village était resté au pouvoir de l'ennemi: le comte de Lobau dirigea le général Ricard pour reprendre le village; il fut repris.
La bataille embrassait une ligne de deux lieues couvertes de feu, de fumée et de tourbillons de poussière. Le prince de la Moskwa, le général Souham, le général Girard, étaient partout, faisaient face à tout. Blessé de plusieurs balles, le général Girard voulut rester sur le champ de bataille. Il déclara vouloir mourir en commandant et dirigeant ses troupes, puisque le moment était arrivé pour tous les Français qui avaient du coeur, de vaincre ou de mourir.
Cependant, on commençait à apercevoir dans le lointain la poussière et les premiers feux du corps du général Bertrand. Au même moment le vice-roi entrait en ligne sur la gauche, et le duc de Tarente attaquait la réserve de l'ennemi, et abordait au village où l'ennemi appuyait sa droite. Dans ce moment, l'ennemi redoubla ses efforts sur le centre; le village de Kaïa fut emporté de nouveau; notre centre fléchit; quelques bataillons se débandèrent; mais cette valeureuse jeunesse, à la vue de l'empereur, se rallia en criant vive l'empereur! S. M. jugea que le moment de crise qui décide du gain ou de la perte des batailles était arrivé: il n'y avait plus un moment à perdre. L'empereur ordonna au duc de Trévise de se porter avec seize bataillons de la jeune garde au village de Kaia, de donner tête baissée, de culbuter l'ennemi, de reprendre le village et de faire main basse sur tout ce qui s'y trouvait. Au même moment, S. M. ordonna à son aide-de-camp le général Drouot, officier d'artillerie de la plus grande distinction, de réunir une batterie de quatre-vingts pièces, et de la placer en avant de la vieille garde, qui fut disposée en échelons comme quatre redoutes, pour soutenir le centre, toute notre cavalerie rangée en bataille derrière. Les généraux Dulauloy, Drouot et Devaux partirent au galop avec leurs quatre-vingts bouches à feu placées en un même groupe. Le feu devint épouvantable. L'ennemi fléchit de tous côtés. Le duc de Trévise emporta sans coup férir le village de Kaia, culbuta l'ennemi et continua à se porter en avant en battant la charge. Cavalerie, infanterie, artillerie de l'ennemi, tout se mit en retraite.
Le général Bonnet, commandant une division du duc de Raguse, reçut ordre de faire un mouvement par sa gauche sur Kaïa, pour appuyer les succès du centre. Il soutint plusieurs charges de cavalerie dans lesquelles l'ennemi éprouva de grandes pertes.
Cependant le général comte Bertrand s'avançait et entrait en ligne. C'est en vain que la cavalerie ennemie caracola autour de ses carrés; sa marche n'en fut pas ralentie. Pour le rejoindre plus promptement, l'empereur ordonna un changement de direction en pivotant sur Kaïa. Toute la droite fit un changement de front, la droite en avant.
L'ennemi ne fit plus que fuir; nous le poursuivîmes une lieue et demie. Nous arrivâmes bientôt sur la hauteur que l'empereur Alexandre, le roi de Prusse et la famille de Brandebourg occupaient pendant la bataille. Un officier prisonnier qui se trouvait là, nous apprit cette circonstance.
Nous avons fait plusieurs milliers de prisonniers. Le nombre n'en a pu être considérable, vu l'infériorité de notre cavalerie et le désir que l'empereur avait montré de l'épargner.
Au commencement de la bataille, l'empereur avait dit aux troupes: C'est une bataille d'Égypte. Une bonne infanterie doit savoir se suffire.
Le général Gouré, chef d'état-major du prince de la Moskwa a été tué, mort digne d'un si bon soldat! Notre perte se monte à dix mille hommes tués ou blessés; celle de l'ennemi peut être évaluée de vingt-cinq à trente mille hommes. La garde royale de Prusse a été détruite. Les gardes de l'empereur de Russie ont considérablement souffert; les deux divisions de dix régimens de cuirassiers russes ont été écrasées.
S. M. ne saurait trop faire l'éloge de la bonne volonté, du courage et de l'intrépidité de l'armée. Nos jeunes soldats ne considéraient pas le danger. Ils ont dans cette circonstance relevé toute la noblesse du sang français.
L'état-major-général, dans sa relation, fera connaître les belles actions qui ont illustré cette brillante journée, qui, comme un coup de tonnerre, a pulvérisé les chimériques espérances et tous les calculs de destruction et de démembrement de l'empire. Les trames ténébreuses ourdies par le cabinet de Saint-James pendant tout un hiver, se trouvent en un instant dénouées comme le noeud gordien par l'épée d'Alexandre.
Le prince de Hesse-Hombourg a été tué. Les prisonniers disent que le jeune prince royal de Prusse a été blessé, que le prince de Mecklenbourg-Strelitz a été tué.
L'infanterie de la vieille garde, dont six bataillons étaient seulement arrivés, a soutenu par sa présence l'affaire avec ce sang-froid qui la caractérise. Elle n'a pas tiré un seul coup de fusil. La moitié de l'armée n'a pas donné, car les quatre divisions du corps du général Lauriston n'ont fait qu'occuper Leipsick; les trois divisions du duc de Reggio étaient encore à deux journées du champ de bataille: le comte Bertrand n'a donné qu'avec une de ses divisions, et si légèrement, qu'elle n'a pas perdu cinquante hommes; ses seconde et troisième divisions n'ont pas donné. La seconde division de la jeune garde, commandée par le général Barrois, était encore à cinq journées; il en est de même de la moitié de la vieille garde, commandée par le général Decouz, qui n'était encore qu'à Erfurth: des batteries de réserve formant plus de cent bouches à feu n'avaient pas rejoint, et elles sont encore en marche depuis Mayence jusqu'à Erfurth: le corps du duc de Bellune était aussi à trois jours du champ de bataille. Le corps de cavalerie du général Sébastiani, avec les trois divisions du prince d'Eckmühl, étaient du côté du Bas-Elbe. L'armée alliée forte de cent cinquante à deux cent mille hommes, commandée par les deux souverains, ayant un grand nombre de princes de la maison de Prusse à sa tête, a donc été défaite et mise en déroute par moins de la moitié de l'armée française.
Les ambulances et le champ de bataille offraient le spectacle le plus touchant: les jeunes soldats, a la vue de l'empereur, faisaient trêve à leur douleur, en criant: vive l'empereur!—Il y a-vingt ans, a dit l'empereur, que je commande des armées françaises; je n'ai pas encore vu autant de bravoure et de dévouement.
L'Europe serait enfin tranquille, si les souverains et les ministres qui dirigent leurs cabinets, pouvaient avoir été présens sur ce champ de bataille. Ils renonceraient à l'espérance de faire rétrograder l'étoile de la France; ils verraient que les conseillers qui veulent démembrer l'empire français et humilier l'empereur, préparent la perte de leurs souverains.
Le 3 mai, à neuf heures du soir.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
L'empereur, à la pointe du jour du 3, avait parcouru le champ de bataille. A dix heures, il s'est mis en marche pour suivre l'ennemi. Son quartier-général, le 3 au soir, était à Pegau. Le vice-roi avait son quartier-général à Wichstanden, à mi-chemin de Pegau à Borna. Le comte Lauriston, dont le corps n'avait pas pris part à la bataille, était parti de Leipsick, pour se porter sur Zwemkau où il était arrivé. Le duc de Raguse avait passé l'Elster au village de Lietzkowitz, et la comte Bertrand l'avait passé au village de Gredel. Le prince de la Moskwa était resté en position sur le champ de bataille. Le duc de Reggio, de Naumbourg devait se porter sur Zeist.
L'empereur de Russie et le roi de Prusse avaient passé par Pegau dans la soirée du 2, et étaient arrivés au village de Loberstedt à onze heures du soir; ils s'y étaient reposés quatre heures, et en étaient partis le 3, à trois heures du matin, se dirigeant sur Borna.
L'ennemi ne revenait pas de son étonnement de se trouver battu dans une si grande plaine, par une armée ayant une si grande infériorité de cavalerie. Plusieurs colonels et officiers supérieurs faits prisonniers, assurent qu'au quartier-général ennemi, on n'avait appris la présence de l'empereur à l'armée, que lorsque la bataille était engagée; ils croyaient tous l'empereur à Erfurt.
Comme cela arrive toujours dans de pareilles circonstances, les Prussiens accusent les Russes de ne pas les avoir soutenus; les Russes accusent les Prussiens de ne s'être pas bien battus. La plus grande confusion règne dans leur retraite. Plusieurs de ces prétendus volontaires qu'on lève en Prusse, ont été faits prisonniers; ils font pitié. Tous déclarent qu'ils ont été enrôlés de force, et sous peine de voir les biens de leur famille confisqués.
Les gens du pays disent que le prince de Hesse-Hombourg a été tué: que plusieurs généraux russes et prussiens ont été tués ou blessés; le prince de Mecklenbourg-Strelitz aurait également été tué; mais toutes ces nouvelles ne sont encore que des bruits du pays.
La joie de ces contrées d'être délivrées des cosaques ne peut se décrire. Les habitans parlent avec mépris de toutes les proclamations et de toutes les tentatives qu'on a faites pour les engager à s'insurger.
L'armée russe et prussienne était composée du corps des généraux prussiens York, Blucher et Bulow; de ceux des généraux russes Wittgenstein, Wintzingerode, Miloradowitch et Tormazow. Les gardes russes et prussiennes y étaient. L'empereur de Russie, le roi de Prusse, le prince-royal de Prusse, tous les princes de la maison de Prusse étaient à la bataille.
L'armée combinée russe et prussienne est évaluée de cent cinquante à deux cent mille hommes. Tous les cuirassiers russes y étaient, et ont beaucoup souffert.
Le 4 mai au soir.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le quartier-général de l'empereur était le 4 au soir à Borna;
Celui du vice-roi à Kolditz;
Celui du général comte Bertrand à Frohbourg;
Celui du général comte Lauriston à Moeelbus;
Celui du prince de la Moskwa à Leipsick;
Celui du duc de Reggio à Zeitz.
L'ennemi se retire sur Dresde dans le plus grand désordre et par toutes les routes.
Tous les villages qu'on trouve sur la route de l'armée sont pleins de blessés russes et prussiens.
Le prince de Neufchâtel, major-général, a ordonné que l'on enterrât, le 4 au matin, à Pegau, le prince de Mecklenbourg-Strelitz avec tous les honneurs dus à son grade.
A la bataille du 2, le général Dumontier, qui commande la division de la jeune garde, a soutenu la réputation qu'il avait déjà acquise dans les précédentes campagnes. Il se loue beaucoup de sa division.
Le général de division Brenier a été blessé. Les généraux de brigade Chemineau et Grillot ont été blessés et amputés.
Recensement fait des coups de canon tirés à la bataille, le nombre s'en est trouvé moins considérable qu'on avait cru d'abord: on n'a tiré que trente-neuf mille cinq cents coups de canon. A la bataille de la Moskwa on en avait tiré cinquante et quelques mille.
Le 5 mai au soir.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le quartier-général de l'empereur était à Colditz, celui du vice-roi à Harta, celui du duc de Raguse derrière Colditz, celui du général Lauriston à Wurtzen, du prince de la Moskwa à Leipsick, du duc de Reggio à Altenbourg, et du général Bertrand à Rochlitz.
Le vice-roi arriva devant Colditz le 5 à neuf heures du matin. Le pont était coupé, et des colonnes d'infanterie et de cavalerie avec de l'artillerie défendaient le passage. Le vice-roi se porta avec une division à un gué qui est sur la gauche, passa la rivière, et gagna le village de Komichau, où il fit placer une batterie de vingt pièces de canon: l'ennemi évacua alors la ville de Colditz dans le plus grand désordre, et en défilant sous la mitraille de nos vingt pièces.
Le vice-roi poursuivit vivement l'ennemi; c'était le reste de l'armée prussienne, fort de vingt à vingt-cinq mille hommes, qui se dirigea, partie sur Leissnig, et partie sur Gersdorff.
Arrivées à Gersdorff, les troupes prussiennes passèrent à travers une réserve qui occupait cette position: c'était le corps russe de Miloradowitch, composé de deux divisions formant à peu près huit mille hommes sous les armes; les régimens russes, n'étant que de deux bataillons de quatre compagnies chaque, et les compagnies n'étant que de cent cinquante hommes, mais n'ayant que cent hommes présens sous les armes, ce qui ne fait que sept à huit cents hommes par régiment: ces deux divisions de Miloradowitch étaient arrivées à la bataille au moment où elle finissait, et n'avaient pas pu y prendre part.
Aussitôt que la trente-sixième division eut rejoint la trente-cinquième, le vice-roi donna l'ordre au duc de Tarente de former les deux divisions en trois colonnes, et de déposter l'ennemi. L'attaque fut vive: nos braves se précipitèrent sur les Russes, les enfoncèrent et les poussèrent sur Harta. Dans ce combat nous avons eu cinq à six cents blessés, et nous avons fait mille prisonniers: l'ennemi a perdu dans cette journée deux mille hommes.
Le général Bertrand arrivé à Rochlitz, y a pris quelques convois de blessés, de malades et de bagages, et a fait des prisonniers; plus de douze cents voitures de blessés avaient passé par cette route.
Le roi de Prusse et l'empereur Alexandre avaient couché à Rochlitz.
Un adjudant-sous-officier du dix-septième provisoire, qui avait été fait prisonnier à la bataille du 2, s'est échappé et a raconté que l'ennemi a fait de grandes pertes et se retire dans le plus grand désordre; que pendant la bataille les Russes et les Prussiens tenaient leur drapeaux en réserve, ce qui fait que nous n'en avons pas pu prendre; qu'ils nous ont fait cent deux prisonniers, dont quatre officiers; que ces prisonniers étaient conduits en arrière sous la garde du détachement laissé aux drapeaux; que les Prussiens ont fait de mauvais traitemens aux prisonniers; que deux prisonniers ne pouvant pas marcher par extrême fatigue, ils leur ont passé le sabre au travers du corps; que l'étonnement des Prussiens et des Russes d'avoir trouvé une armée si nombreuse, aussi bien exercée et munie de tout, était à son comble; qu'il y avait de la mésintelligence entre eux, et qu'ils s'accusaient respectivement de leurs pertes.
Le général comte Lauriston, de Wurtzen, s'est mis en marche sur la grande route de Dresde.
Le prince de la Moskwa s'est porté sur l'Elbe pour débloquer le général Thielmann qui commande à Torgau, prendre position sur ce point et débloquer Wittemberg: il paraît que cette dernière place a fait une belle défense et repoussa plusieurs attaques qui ont coûté fort cher à l'ennemi.
Des prisonniers racontent que l'empereur Alexandre, voyant la bataille perdue, parcourait la ligne russe pour animer le soldat, en disant: «Courage, Dieu est pour nous.»
Ils ajoutent que le général prussien Blucher est blessé, et qu'il y a cinq généraux de division et de brigade prussiens tués ou blessés.
Le 6 mai au soir.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le quartier-général de S. M. l'empereur et roi était à Waldheim; celui du vice-roi, à Ertzdorf; celui du général Lauriston était à Oschatz; celui du prince de la Moskwa, entre Leipsick et Torgau; celui du comte Bertrand, à Mittweyda; celui du duc de Reggio, à Penig.
L'ennemi avait brûlé à Waldheim un très-beau pont en bois d'une seule arche; ce qui nous avait retardé de quelques heures. Son arrière-garde avait voulu défendre le passage, mais s'était déployée sur Ertzdorf: la position de ce dernier point est fort belle; l'ennemi a voulu la tenir. Le pont étant brûlé, le vice-roi fit tourner le village par la droite et par la gauche. L'ennemi était placé derrière des ravins. Une fusillade et une canonnade assez vives s'engagèrent; aussitôt on marcha droit à l'ennemi, et la position fut enlevée: l'ennemi a laissé deux cents morts sur le champ de bataille.
Le général Vandamme avait, le 1er mai, son quartier-général à Harbourg. Nos troupes ont pris un cutter de guerre russe armée de vingt pièces de canon. L'ennemi a repassé l'Elbe avec tant de précipitation, qu'il a laissé sur la rive gauche une infinité de barques propres au passage et beaucoup de bagages. Les mouvemens de la grande armée étaient déjà connus, et causaient une grande consternation à Hambourg. Les traîtres de Hambourg voyaient que le jour de la vengeance était près d'arriver.
Le général Dumonceau était à Lunebourg.
A la bataille du 2, les officiers d'ordonnance Bérenger et Pretel ont été blessés, mais peu dangereusement.
En notre camp impérial de Goldit, le 6 mai 1813.
Lettre de l'empereur à la maréchale duchesse d'Istrie.
«Ma cousine, votre mari est mort au champ d'honneur. La perte que vous faites et celle de vos enfans est grande sans doute, mais la mienne l'est davantage encore. Le duc d'Istrie est mort de la plus belle mort et sans souffrir. Il laisse une réputation sans tache; c'est le plus bel héritage qu'il ait pu léguer à ses enfans. Ma protection leur est acquise; ils hériteront aussi de l'affection que je portais à leur père. Trouvez dans toutes ces considérations des motifs de consolation pour alléger vos peines, et ne doutez jamais de mes sentimens pour vous. Cette lettre n'étant à autre fin, je prie Dieu qu'il vous ait, ma chère cousine, en sa sainte et digne garde.»
NAPOLÉON.
Le 9 mai au matin.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le 7, le quartier-général de S. M. l'empereur et roi était à Nossen.
Entre Nossen et Wilsdruf, le vice-roi a rencontré l'ennemi placé derrière un torrent et dans une belle position. Il l'en a déposté, lui a tué un millier d'hommes et fait cinq cents prisonniers.
Un cosaque qui a été arrêté, était porteur de l'ordre de brûler les bagages de l'arrière-garde russe. Effectivement, huit cents voitures russes ont été brûlées, des bagages et vingt pièces de canon ont été ramassés par nous sur les routes; plusieurs colonnes de cosaques sont coupées: on les poursuit.
Le 8, à midi, le vice-roi est entré à Dresde. L'ennemi, indépendamment du grand pont qu'il avait rétabli, avait jeté trois ponts sur l'Elbe. Le vice-roi ayant fait marcher des troupes dans la direction de ces ponts, l'ennemi y a mis le feu sur-le-champ; les trois têtes de pont qui les couvraient ont été enlevées.
Le même jour 8, à neuf heures du matin, le comte Lauriston était arrivé à Meissen. Il y a trouvé trois redoutes avec des blockhaus que les Prussiens y avaient construites: ils avaient brûlé le pont.
Toute la rive de l'Elbe est libre de l'ennemi.
S. M. l'empereur est arrivé à Dresde le 8, à une heure après-midi. L'empereur, en faisant le tour de la ville, s'est porté sur-le-champ au chantier de construction à la porte de Pirna, et de là au village de Prielsnitz, où S. M. a ordonné qu'on jetât un pont. S. M. est revenue à sept heures du soir de sa reconnaissance, au palais où elle est logée.
La vieille garde a fait son entrée à Dresde à huit heures du soir.
Le 9, à trois heures du matin, l'empereur a fait placer lui-même sur un des bastions qui domine la rive droite, une batterie qui a chassé l'ennemi de la position qu'il occupait de ce côté.
Le prince de la Moskwa marche sur Torgau.
La relation que l'ennemi a faite de la bataille de Lutzen n'est qu'une série de faussetés. On assure ici que l'ordre avait été donné de chanter un Te Deum, mais que des gens du pays qui leur étaient affidés ont fait sentir que ce serait ridicule; que ce qui pouvait être bon en Russie, serait par trop absurde en Allemagne.
L'empereur de Russie a quitté Dresde hier matin.
Le fameux Stein est l'objet du mépris de tous les honnêtes gens. Il voulait révolter la canaille contre les propriétaires. On ne revenait pas de surprise de voir des souverains comme le roi de Prusse, et surtout comme l'empereur Alexandre, que la nature a doués de belles qualités, prêter l'appui de leurs noms à des menées aussi criminelles qu'atroces.
Indépendamment des canons et des bagages pris à la poursuite de l'ennemi, nous avons fait à la bataille cinq mille prisonniers, et pris dix pièces de canon. L'ennemi ne nous a pris aucun canon; mais il a fait cent onze prisonniers. Le général en chef Koutouzow est mort à Bautzen, de la fièvre nerveuse, il y a quinze jours. Il a été remplacé dans le commandement en chef par le général Wittgenstein, qui a débuté par la perte de la bataille de Lutzen.
Le 10 mai au soir.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le 9, le colonel Lasalle, directeur des équipages de pont, a commencé à faire établir des radeaux pour le pont qu'on jette au village de Prielsnitz. On y a établi également un va-et-vient. Trois cents voltigeurs ont été jetés sur la rive droite, sous la protection de vingt pièces de canon placées sur une hauteur.
A dix heures du matin, l'ennemi s'est avancé pour culbuter ces tirailleurs dans l'eau. Il a pensé qu'une batterie de douze pièces serait suffisante pour faire taire les nôtres; la canonnade s'est engagée: les pièces de l'ennemi ont été démontées; trois bataillons qu'il avait fait avancer en tirailleurs ont été écrasés sous notre mitraille: l'empereur s'y est porté; le général Dulauloy s'est placé avec le général Devaux et dix-huit pièces d'artillerie légère sur la gauche du village de Prielsnitz, position qui prend à revers toute la plaine de la rive droite: le général Drouet s'est porté avec seize pièces sur la droite: l'ennemi a fait avancer quarante pièces de canon; nous en avons mis jusqu'à quatre-vingts en batterie.
Pendant ce temps, on traçait un boyau sur la rive droite, en forme de tête de pont, où nos tirailleurs s'établissaient à couvert. Après avoir eu douze à quinze pièces démontées, et quinze à dix-huit cents hommes tués ou blessés, l'ennemi comprit la folie de son entreprise, et à trois heures de l'après-midi il s'éloigna.
On a travaillé toute la nuit au pont; mais l'Elbe a crû; quelques ancres ont dérivé; le pont ne sera terminé que ce soir.
Aujourd'hui 10, l'empereur a fait passer dans la ville neuve, en profitant du pont de Dresde, la division Charpentier. Ce soir, ce pont se trouve rétabli; toute l'armée y passe pour se porter sur la rive droite. Il paraît que l'ennemi se retire sur l'Oder.
Le prince de la Moskwa est à Wittemberg; le général Lauriston est à Torgau; le général Reynier a repris le commandement du septième corps, composé du contingent saxon et de la division Durutte.
Les quatrième, sixième, onzième et douzième corps passeront sur le pont de Dresde demain à la pointe du jour. La garde, jeune et vieille, est autour de Dresde. La deuxième division de la garde, commandée par le général Barrois, arrive aujourd'hui à Altenbourg.
Le roi de Saxe, qui s'était dirigé sur Prague, pour être plus près de sa capitale, sera rendu à Dresde dans la journée de demain. L'empereur a envoyé une escorte de cinq cents hommes de sa garde, avec son aide de camp le général Flahaut pour le recevoir et l'accompagner.
Deux mille hommes de cavalerie ennemie ont été coupés de l'Elbe, ainsi qu'un grand nombre de bagages, de patrouilles de troupes légères et de cosaques. Il paraît qu'ils se sont réfugiés en Bohême.
Le 11 mai au soir.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le vice-roi s'était porté, avec le onzième corps, à Bischoffswerda; le général Bertrand, avec le quatrième corps, à Koenigsbruck; le duc de Raguse, avec le sixième corps, à Reichenbach; le duc de Reggio, à Dresde; la jeune et la vieille garde, à Dresde.
Le prince de la Moskwa est entré le 11 au matin à Torgau, et a pris position sur la rive droite, à une journée de cette place; le général Lauriston est arrivé le même jour à Torgau avec son corps, à trois heures de l'après-midi.
Le duc de Bellune, avec le deuxième corps, s'est mis en marche sur Wittemberg, ainsi que le corps de cavalerie du général Sébastiani.
Le corps de cavalerie commandé par le général Latour-Maubourg a passé le 11 sur le pont de Dresde, à trois heures après-midi.
Le roi de Saxe a couché à Sedlitz. Toute la cavalerie saxonne doit rejoindre dans la journée du 13 à Dresde. Le général Reynier a repris le commandement du septième corps à Torgau: ce corps est composé de deux divisions saxonnes, formant douze mille hommes.
S. M. a passé toute la journée sur le pont, à voir défiler ses troupes.
Le colonel du génie Bernard, aide-de-camp de l'empereur, a mis une grande activité dans la réparation du pont de Dresde.
Le général Rogniat, commandant en chef le génie de l'armée, a tracé les ouvrages qui vont couvrir la ville neuve, et servir de tête de pont.
On a intercepté un courrier du comte de Stackelberg, ex-ambassadeur de Russie à Vienne, au comte de Nesselrode, secrétaire d'état, accompagnant l'empereur de Russie à Dresde. On a aussi intercepté plusieurs estafettes venant de Berlin et de Prague.
Le 12 mai au soir.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le 12, à dix heures du matin, la garde impériale a pris les armes, et s'est mise en bataille sur le chemin de Pirna jusqu'au Gross-Garten. L'empereur en a passé la revue. Le roi de Saxe, qui avait couché la veille à Sedlitz, est arrivé à midi. Les deux souverains sont descendus de cheval, et se sont embrassés, et ensuite sont entrés à la tête de la garde, dans Dresde, aux acclamations d'une immense population. Cela formait un très-beau spectacle.
A trois heures, l'empereur a passé la revue de la division de cavalerie du général Fresia, composée de trois mille chevaux, venant d'Italie. S. M. a été extrêmement satisfaite de cette cavalerie, dont la bonne tenue est due aux soins et à l'activité du ministre de la guerre du royaume d'Italie, Fontanelli, qui n'a rien épargné pour la mettre en bon état.
L'empereur a donné ordre au vice-roi de se rendre à Milan pour y remplir une mission spéciale. S. M. a été extrêmement satisfaite de la conduite que ce prince a tenue pendant toute la campagne: cette conduite a acquis au vice-roi un nouveau titre à la confiance de l'empereur.
Proclamation de l'empereur à l'armée.
«Soldats,
Je suis content de vous! vous avez rempli mon attente! vous avez suppléé à tout par votre bonne volonté et par votre bravoure. Vous avez, dans la célèbre journée du 2 mai, défait et mis en déroute l'armée russe et prussienne commandée par l'empereur Alexandre et le roi de Prusse. Vous avez ajouté un nouveau lustre à la gloire de mes aigles; vous avez montré tout ce dont est capable le sang français. La bataille de Lutzen sera mise au-dessus des batailles d'Austerlitz, d'Jéna, de Friedland et de la Moskwa! Dans la campagne passée, l'ennemi n'a trouvé de refuge contre nos armes qu'en suivant la méthode féroce des barbares ses ancêtres. Des armées de Tartares ont incendié ses campagnes, ses villes, la sainte Moscou elle-même. Aujourd'hui ils arrivaient dans nos contrées, précédés de tout ce que l'Allemagne, la France et l'Italie ont de mauvais sujets et de déserteurs, pour y prêcher la révolte, l'anarchie, la guerre civile, le meurtre. Ils se sont faits les apôtres de tous les crimes. C'est un incendie moral qu'ils voulaient allumer entre la Vistule et le Rhin, pour, selon l'usage des gouvernemens despotiques, mettre des déserts entre nous et eux. Les insensés! ils connaissaient peu l'attachement à leurs souverains, la sagesse, l'esprit d'ordre et le bon sens des Allemands. Ils connaissaient peu la puissance et la bravoure des Français!
«Dans une seule journée, vous avez déjoué tous les complots parricides ... Nous rejetterons ces Tartares dans leurs affreux climats qu'ils ne doivent pas franchir. Qu'ils restent dans leurs déserts glacés, séjour d'esclavage, de barbarie et de corruption, où l'homme est ravalé à l'égal de la brute. Vous avez bien mérité de l'Europe civilisée; soldats! l'Italie, la France, l'Allemagne vous rendent des actions de grâces!
«De notre camp impérial de Lutzen, le 3 mai 1813.»
NAPOLÉON.
Le 13 mai au matin.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
La place de Spandau a capitulé. Cet événement étonne tous les militaires. S. M. a ordonné que le général Bruny, le commandant de l'artillerie et le commandant du génie de la place, ainsi que les membres du conseil de défense qui n'auraient pas protesté, fussent arrêtés et traduits devant une commission de maréchaux, présidée par le prince vice-connétable.
S. M. a également ordonné que la capitulation de Thorn fût l'objet d'une enquête.
Si la garnison de Spandau a rendu sans siège une place forte environnée de marais, et a souscrit à une capitulation qui doit être l'objet d'une enquête et d'un jugement, la conduite qu'a tenue la garnison de Wittemberg a été bien différente. Le général Lapoype s'est parfaitement conduit, et a soutenu l'honneur des armes dans la défense de ce point important, qui du reste est une mauvaise place, n'ayant qu'une enceinte à moitié détruite, et qui ne pouvait devoir sa resistance qu'au courage de ses défenseurs.
Le baron de Montaran, écuyer de l'empereur, suivi d'un homme des écuries, s'était égaré le 6 mai, deux jours avant d'arriver à Dresde. Il est tombé dans une patrouille de cavalerie légère de trente hommes, et a été pris par l'ennemi.
Un nouveau courrier adressé de Vienne par M. de Stackelberg à M. de Nesselrode à Dresde, vient d'être intercepté. Ce qui est singulier, c'est que les dépêches sont datées du 8 au soir, et que pourtant elles contiennent des félicitations de M. Stackelberg à l'empereur Alexandre sur la victoire éclatante qu'il vient de remporter, et sur la retraite des Français au-delà de la Saale.
La grande-duchesse Catherine a reçu à Toeplitz une lettre de son frère l'empereur Alexandre, qui lui apprend cette grande victoire du 2. La grande duchesse, comme de raison, a donné lecture, de cette lettre à tous les buveurs d'eau de Toeplitz. Cependant le lendemain elle a appris que l'empereur Alexandre était revenu sur Dresde, et qu'elle-même devait se rendre à Prague. Tout cela a paru extrêmement ridicule en Bohême. On y a vu le nom d'un souverain compromis sans aucun motif que la politique pût justifier. Tout cela ne peut s'expliquer que comme une habitude russe, résultant de la nécessité qu'il y a en Russie d'en imposer à une populace ignorante, et de la facilité qu'on trouve à lui faire tout accroire. On aurait bien dû adopter un autre usage dans un pays civilisé comme l'Allemagne.
Le 14 mai au matin.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
L'armée de l'Elbe a été dissoute, et les deux armées de l'Elbe et du Mein n'en font plus qu'une seule.
Le duc de Bellune était le 13 au soir sur Wittemberg.
Le prince de la Moskwa partait de Torgau pour se porter sur Lukau.
Le comte Lauriston marchait de Torgau sur Dobrilugk.
Le comte Bertrand était à Koenigsbruck.
Le duc de Tarente, avec le onzième corps, était campé entre Bischoffswerda et Bautzen. Il avait dans les journées du 11 et du 12, poursuivi vivement l'armée ennemie. Le général Miloradowitch avec une arrière-garde de vingt mille hommes et quarante pièces de canon, a voulu, le 12, tenir les positions de Fischbach, de Capellenberg, et celle de Bischoffswerda, ce qui a donné lieu à trois combats successifs, dans lesquels nos troupes se sont conduites avec la plus grande intrépidité; la division Charpentier s'est distinguée à l'attaque de droite; l'ennemi a été tourné dans ses positions et débusqué sur tous les points; une de ses colonnes a été coupée. Nous lui avons fait cinq cents prisonniers. Il a eu plus de quinze cents hommes tués ou blessés. L'artillerie du onzième corps a tiré deux mille coups de canon dans ce combat.
Les débris de l'armée prussienne, conduite par le roi de Prusse, qui avaient passé à Meissen, se sont dirigés par Koenigsbruck sur Bautzen pour se réunir à l'armée russe.
Le corps du duc de Reggio a passé hier à midi le pont de Dresde.
L'empereur a passé la revue du corps de cavalerie et des beaux cuirassiers du général Latour-Maubourg.
On dit que les Russes conseillent aux Prussiens de brûler Potsdam et Berlin, et de dévaster toute la Prusse. Ils commencent eux-mêmes à donner l'exemple; ils ont brûlé de gaîté de coeur la petite ville de Bischoffswerda.
Le roi de Saxe a dîné le 13 chez l'empereur.
La deuxième division de la jeune garde, commandée par le général Barrois, est attendue demain 15 à Dresde.
Le 16 mai au soir.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le 15, S. M. l'empereur et S. M. le roi de Saxe ont passé la revue de quatre régimens de cavalerie saxons (un de hussards, un de lanciers, et deux régimens de cuirassiers), qui font partie du corps du général Latour-Maubourg. Ensuite LL. MM. ont visité le champ de bataille et la tête de pont de Prielnitz.
Le duc de Tarente s'était mis en mouvement le 15, à cinq heures du matin, pour se porter vis-à-vis Bautzen.
Il a rencontré au débouché du bois l'arrière-garde ennemie; quelques charges de cavalerie ont été essayées contre notre infanterie, mais sans succès. L'ennemi ayant voulu tenir dans cette position, la fusillade s'est engagée, et il a été déposté.
Nous avons eu deux cent cinquante hommes tués ou blessés dans cette affaire d'arrière-garde. On estime la perte de l'ennemi de sept à huit cents hommes, dont deux cents prisonniers.
La deuxième division de la jeune garde, commandée par le général Barrois, est arrivée hier à Dresde.
Toute l'armée a passé l'Elbe.
Indépendamment du grand pont de Dresde, il a été établi un pont de bateaux en aval, et un autre en amont de la ville. Trois mille ouvriers travaillent à couvrir la nouvelle ville par une tête de pont.
La gazette de Berlin, du 8 mai, contenait le règlement de la landsturm. On ne peut pousser la folie plus loin; mais il est à prévoir que les habitans de la Prusse ont trop de sens, et sont trop attachés aux vrais principes de la propriété, pour imiter des barbares qui n'ont rien de sacré.
A la bataille de Lutzen, un régiment composé de l'élite de la noblesse prussienne, et qui se faisait appeler cosaques prussiens, a été presque entièrement détruit; il n'en reste pas quinze hommes; ce qui a mis en deuil toutes les familles.
Ces cosaques singeaient réellement les cosaques du Don. De pauvres jeunes gens délicats avaient à la main la lance, qu'ils soutenaient à peine, et étaient costumés comme de vrais cosaques.
Que dirait Frédéric, dont les ouvrages sont pleins d'expressions de mépris pour ces hideuses milices, s'il voyait que son petit-neveu y cherche aujourd'hui des modèles d'uniforme et de tenue!
Les cosaques sont mal vêtus; ils sont sur de petits chevaux presque sans selle et sans harnachement, parce que ce sont des milices irrégulières que les peuplades du Don fournissent, et qui s'établissent à leurs frais. Aller chercher là un modèle pour la noblesse de Prusse, c'est montrer à quel point est porté l'esprit de déraison et d'inconséquence qui dirige les affaires de ce royaume.
Le 18 mai 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
L'empereur était toujours à Dresde. Le 15, le duc de Trévise était parti avec le corps de cavalerie du général Latour-Maubourg et la division d'infanterie de la jeune garde du général Dumoutier.
Le 16, la division de la jeune garde commandée par le général Barrois partait également de Dresde.
Le duc de Reggio, le duc de Tarente, le duc de Raguse et le comte Bertrand étaient en ligne vis-à-vis Bautzen.
Le prince de la Moskwa et le général Lauriston arrivaient à Hoyers-Verda.
Le duc de Bellune, le général Sébastiani et le général Reynier marchaient sur Berlin. Ce qu'on avait prévu est arrivé: à l'approche du danger, les Prussiens se sont moqués du règlement du landsturm; une proclamation a fait connaître aux habitans de Berlin qu'ils étaient couverts par le corps de Bulow; mais que, dans tous les cas, si les Français arrivaient, il ne fallait pas prendre les armes, mais les recevoir suivant les principes de la guerre. Il n'est aucun Allemand qui veuille brûler ses maisons ou qui veuille assassiner personne. Cette circonstance fait l'éloge du peuple allemand. Lorsque des furibonds, sans honneur et sans principes, prêchent le désordre et l'assassinat, le caractère de ce bon peuple les repousse avec indignation. Les Schlegel, les Kotzbue et autres folliculaires aussi coupables, voudraient transformer en empoisonneurs et en assassins les loyaux Germains; mais la postérité remarquera qu'ils n'ont pu entraîner un seul individu, une seule autorité, hors de la ligne du devoir et de la probité.
Le comte Bubna est arrivé le 16 à Dresde. Il était porteur d'une lettre de l'empereur d'Autriche pour l'empereur Napoléon. Il est reparti le 17 pour Vienne.
L'empereur Napoléon a offert la réunion d'un congrès à Prague, pour une paix générale. Du côté de la France, arriveraient à ce congrès les plénipotentiaires de la France, ceux des États-Unis d'Amérique, du Danemarck, du roi d'Espagne, et de tous les princes alliés; et du côté opposé, ceux de l'Angleterre, de la Russie, de la Prusse, des insurgés espagnols et des autres alliés de cette masse belligérante. Dans ce congrès seraient posées les bases d'une longue paix. Mais il est douteux que l'Angleterre veuille soumettre ses principes égoïstes et injustes à la censure et à l'opinion de l'univers; car il n'est aucune puissance, si petite qu'elle soit, qui ne réclame au préalable les privilèges adhérens à sa souveraineté, et qui sont consacrés par les articles du traité d'Utrecht, sur la navigation maritime.
Si l'Angleterre, par ce sentiment d'égoïsme sur lequel est fondée sa politique, refuse de coopérer à ce grand oeuvre de la paix du monde, parce qu'elle veut exclure l'univers de l'élément qui forme les trois quarts de notre globe, l'empereur n'en propose pas moins la réunion à Prague de tous les plénipotentiaires des puissances belligérantes, pour régler la paix du continent. S. M. offre même de stipuler, au moment où le congrès sera formé, un armistice entre les différentes armées, afin de faire cesser l'effusion du sang humain.
Ces principes sont conformes aux vues de l'Autriche. Reste à voir actuellement ce que feront les cours d'Angleterre, de Russie et de Prusse.
L'éloignement des États-Unis d'Amérique ne doit pas être une raison pour les exclure; le congrès pourrait toujours s'ouvrir, et les députés des États-Unis auraient le temps d'arriver avant la conclusion des affaires, peur stipuler leurs droits et leurs intérêts.
Le 22 mai 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
L'empereur Alexandre et le roi de Prusse attribuaient la perte de la bataille de Lutzen à des fautes que leurs généraux avaient commises dans la direction des forces combinées, et surtout aux difficultés attachées à un mouvement offensif de cent cinquante à cent quatre-vingt mille hommes. Ils résolurent de prendre la position de Bautzen et de Hochkirch, déjà célèbre dans l'histoire de la guerre de sept ans; d'y réunir tous les renforts qu'ils attendaient de la Vistule et d'autres points en arrière; d'ajouter à celle position tout ce que l'art pourrait fournir de moyens, et là, de courir les chances d'une nouvelle bataille, dont toutes les probabilités paraissaient être en leur faveur.
Le duc de Tarente, commandant le onzième corps, était parti de Bischoffswerda, le 15, et se trouvait, le 15 au soir, à une portée de canon de Bautzen, où il reconnut toute l'armée ennemie. Il prit position.
Dès ce moment, les corps de l'armée française furent dirigés sur champ de Bautzen.
L'empereur partit de Dresde le 18; il coucha à Harta, et le 19, il arriva, à dix heures du matin, devant Bautzen. Il employa toute la journée à reconnaître les positions de l'ennemi.
On apprit que les corps russes de Barclai de Tolly, de Langeron et de Sass, et le corps prussien de Kleist avaient rejoint l'armée combinée, et que sa force pouvait être évaluée de cent cinquante à cent soixante mille hommes.
Le 19 au soir, la position de l'ennemi était la suivante: sa gauche était appuyée à des montagnes couvertes de bois, et perpendiculaires au cours de la Sprée, à peu près à une lieue de Bautzen. Bautzen soutenait son centre. Cette ville avait été crénelée, retranchée et couverte par des redoutes. La droite de l'ennemi s'appuyait sur des mamelons fortifiés qui défendent les débouchés de la Sprée, du côté du village de Nimschütz: tout son front était couvert sur la Sprée. Cette position très-forte n'était qu'une première position.
On apercevait distinctement, à trois mille toises en arrière, de la terre fraîchement remuée, et des travaux qui marquaient leur seconde position. La gauche était encore appuyée, aux mêmes montagnes, à deux mille toises en arrière de celles de la première position, et fort en avant du village de Hochkirch. Le centre était appuyé à trois villages retranchés, où l'on avait fait tant de travaux, qu'on pouvait les considérer comme des places fortes. Un terrain marécageux et difficile couvrait les trois quarts du centre. Enfin leur droite s'appuyait en arrière de la première position, à des villages et à des mamelons également retranchés.
Le front de l'armée ennemie, soit dans la première, soit dans la seconde position, pouvait avoir une lieue et demie.
D'après cette reconnaissance, il était facile de concevoir comment, malgré une bataille perdue comme celle de Lutzen, et huit jours de retraite, l'ennemi pouvait encore avoir des espérances dans les chances de la fortune. Selon l'expression d'un officier russe à qui on demandait ce qu'ils voulaient faire: Nous ne voulons, disait-il, ni avancer, ni reculer.—Vous êtes maîtres du premier point, répondit un officier français; dans peu de jours, l'événement prouvera si vous êtes maîtres de l'autre. Le quartier-général des deux souverains était au village de Natchen.
Au 19, la position de l'armée française était la suivante:
Sur la droite était le duc de Reggio, s'appuyant aux montagnes sur la rive gauche de la Sprée, et séparé de la gauche de l'ennemi par cette vallée. Le duc de Tarente était devant Bautzen, à cheval sur la route de Dresde. Le duc de Raguse était sur la gauche de Bautzen, vis-à-vis le village de Niemenschütz. Le général Bertrand était sur la gauche du duc de Raguse, appuyé à un moulin à vent et à un bois, et faisant mine de déboucher de Jaselitz sur la droite de l'ennemi.
Le prince de la Moskwa, le général Lauriston et le général Reynier étaient à Hoyerswerda, sur la route de Berlin, hors de ligne et en arrière de notre gauche.
L'ennemi ayant appris qu'un corps considérable arrivait par Hoyerswerda, se douta que les projets de l'empereur étaient de tourner la position par la droite, de changer le champ de bataille, de faire tomber tous ses retranchemens élevés avec tant de peine, et l'objet de tant d'espérances. N'étant encore instruits que de l'arrivée du général Lauriston, il ne supposait pas que cette colonne fût de plus de dix-huit à vingt mille hommes. Il détacha donc contre elle, le 19 à quatre heures du matin, le général York, avec douze mille Prussiens, et le général Barclay de Tolly, avec dix-huit mille Russes. Les Russes se placèrent au village de Klix, et les Prussiens au village de Weissig.
Cependant le comte Bertrand avait envoyé le général Pery, avec la division italienne, à Koenigswartha, pour maintenir notre communication avec les corps détachés. Arrivé à midi, le général Pery fit de mauvaises dispositions; il ne fit pas fouiller la forêt voisine. Il plaça mal ses postes, et à quatre heures il fut assailli par un hourra qui mit du désordre dans quelques bataillons. Il perdit six cents hommes, parmi lesquels se trouve le général de brigade italien Balathier, blessé; deux canons et trois caissons; mais la division ayant pris les armes, s'appuya au bois, et fit face à l'ennemi.
Le comte de Valmy étant arrivé avec de la cavalerie, se mit à tête de la division italienne, et reprit le village de Koenigswartha. Dans ce même moment, le corps du comte Lauriston, qui marchait en tête du prince de la Moskwa pour tourner la position de l'ennemi, parti de Hoyerswerda, arriva sur Weissig. Le combat s'engagea, et le corps d'York aurait été écrasé, sans la circonstance d'un défilé à passer, qui fit que nos troupes ne purent arriver que successivement. Après trois heures de combat, le village de Weissig fut emporté, le corps d'York, culbuté fut rejeté sur l'autre côté de la Sprée.
Le combat de Weissig serait seul un événement important. Un rapport détaillé en fera connaître les circonstances.
Le 19, le comte Lauriston coucha donc sur la position de Weissig; le prince de la Moskwa à Mankersdorf, et le comte Reynier à une lieue en arrière. La droite de la position de l'ennemi se trouvait évidemment débordée.
Le 20, à huit heures de matin l'empereur se porta sur la hauteur en arrière de Bautzen. Il donna ordre au duc de Reggio de passer la Sprée, et d'attaquer les montagnes qui appuyaient la gauche de l'ennemi; au duc de Tarente de jeter un pont sur chevalets sur la Sprée, entre Bautzen et les montagnes; au duc de Raguse de jeter un autre pont sur chevalets sur la Sprée, dans l'enfoncement que ferme cette rivière sur la gauche, à une demi-lieue de Bautzen; au duc de Dalmatie, auquel S. M. avait donné le commandement supérieur du centre, de passer la Sprée pour inquiéter la droite de l'ennemi; enfin, au prince de la Moskwa, sous les ordres duquel étaient le troisième corps, le comte Lauriston et le général Reynier, de s'approcher sur Klix, de passer la Sprée, de tourner la droite de l'ennemi, et de se porter sur son quartier-général de Wurtchen, et de là sur Weissemberg.
A midi, la canonnade s'engagea. Le duc de Tarente n'eut pas besoin de jeter son pont sur chevalets: il trouva devant lui un pont de pierre, dont il força le passage. Le duc de Raguse jeta son pont; tout son corps d'armée passa sur l'autre rive de la Sprée. Après six heures d'une vive canonnade et plusieurs charges que l'ennemi fit sans succès, le général Compans fit occuper Bautzen; le général Bonnet fit occuper le village de Niedkayn, et enleva au pas de charge un plateau qui le rendit maître de tout le centre de la position de l'ennemi; le duc de Reggio s'empara des hauteurs, et à sept heures du soir, l'ennemi fut rejeté sur sa seconde position. Le général Bertrand passa un des bras de la Sprée; mais l'ennemi conserva les hauteurs qui appuyaient sa droite, et par ce moyen se maintint entre le corps du prince de la Moskwa et notre armée.
L'empereur entra à huit heures du soir à Bautzen, et fut accueilli par les habitans et les autorités avec les sentimens que devaient avoir des alliés, heureux de se voir délivrés des Stein, des Kotzbue et des cosaques. Cette journée qu'on pourrait appeler, si elle était isolée, la bataille de Bautzen, n'était que le prélude de la bataille de Wurtchen.
Cependant l'ennemi commençait à comprendre la possibilité d'être forcé dans sa position. Ses espérances n'étaient plus les mêmes, et il devait avoir dès ce moment le présage de sa défaite. Déjà toutes ses dispositions étaient changées. Le destin de la bataille ne devait plus se décider derrière ses retranchemens. Ses immenses travaux, et trois cents redoutes devenaient inutiles. La droite de sa position, qui était opposée au quatrième corps, devenait son centre, et il était obligé de jeter sa droite, qui formait une bonne partie de son armée, pour l'opposer au prince de la Moskwa, dans un lieu qu'il n'avait pas étudié et qu'il croyait hors de sa position.
Le 21, à cinq heures du matin, l'empereur se porta sur les hauteurs, à trois quarts de lieue en avant de Bautzen.
Le duc de Reggio soutenait une vive fusillade sur les hauteurs que défendait la gauche de l'ennemi. Les Russes qui sentaient l'importance de cette position, avaient placé là une forte partie de leur armée, afin que leur gauche ne fût pas tournée. L'empereur ordonna aux ducs de Reggio et de Tarente d'entretenir le combat, afin d'empêcher la gauche de l'ennemi de se dégarnir et de lui masquer la véritable attaque dont le résultat ne pouvait pas se faire sentir avant midi ou une heure.
A onze heures, le duc de Raguse marcha à mille toises en avant de sa position, et engagea une épouvantable canonnade devant les redoutes et tous les retranchemens ennemis.
La garde et la réserve de l'armée, infanterie et cavalerie, masqués par un rideau, avaient des débouchés faciles pour se porter en avant par la gauche ou par la droite, selon les vicissitudes que présenterait la journée. L'ennemi fut tenu ainsi incertain sur le véritable point d'attaque.
Pendant ce temps, le prince de la Moskwa culbutait l'ennemi au village de Klix, passait la Sprée, et menait battant ce qu'il avait devant lui jusqu'au village de Preilitz. A dix heures il enleva le village; mais les réserves de l'ennemi s'étant avancées pour couvrit le quartier-général, le prince de la Moskwa fut ramené et perdit le village de Preilitz. Le duc de Dalmatie commença à déboucher à une heure après-midi. L'ennemi qui avait compris tout le danger dont il était menacé par la direction qu'avait prise la bataille, sentit que le seul moyen de soutenir avec avantage le combat contre le prince de la Moskwa, était de nous empêcher de déboucher. Il voulut s'opposer à l'attaque du duc de Dalmatie. Le moment de décider la bataille se trouvait dès-lors bien indiqué. L'empereur, par un mouvement à gauche, se porta, en vingt minutes, avec la garde, les quatre divisions du général Latour-Maubourg et une grande quantité d'artillerie, sur le flanc de la droite de la position de l'ennemi, qui était devenue le centre de l'armée russe.
La division Morand et la division wurtembergeoise enlevèrent le mamelon dont l'ennemi avait fait son point d'appui. Le général Devaux établit une batterie dont il dirigea le feu sur les masses qui voulaient reprendre la position. Les généraux Dulauloy et Drouot, avec soixante pièces de batterie de réserve, se portèrent en avant. Enfin, le duc de Trévise, avec les divisions Dumoutier et Barrois de la jeune garde, se dirigea sur l'auberge de Klein-Baschwitz, coupant le chemin de Wurtchen à Baugen.
L'ennemi fut obligé de dégarnir sa droite pour parer à cette nouvelle attaque. Le prince de la Moskwa en profita et marcha en avant. Il prit le village de Preisig, et s'avança, ayant débordé l'armée ennemie, sur Wurtchen. Il était trois heures après midi, et lorsque l'armée était dans la plus grande incertitude du succès, et qu'un feu épouvantable se faisait entendre sur une ligne de trois lieues, l'empereur annonça que la bataille était gagnée.
L'ennemi voyant sa droite tournée se mit en retraite, et bientôt sa retraite devint une fuite.
A sept heures du soir, le prince de la Moskwa et le général Lauriston arrivèrent à Wurtchen. Le duc de Raguse reçut alors l'ordre de faire un mouvement inverse de celui que venait de faire la garde, occupa tous les villages retranchés, et toutes les redoutes que l'ennemi était obligé d'évacuer, s'avança dans la direction d'Hochkirch, et prit ainsi en flanc toute la gauche de l'ennemi, qui se mit alors dans une épouvantable déroute. Le duc de Tarente, de son côté, poussa vivement cette gauche et lui fit beaucoup de mal.
L'empereur coucha sur la route au milieu de sa garde à l'auberge de Klein-Baschwitz. Ainsi, l'ennemi, forcé dans toutes ses positions, laissa en notre pouvoir le champ de bataille couvert de ses morts et de ses blessés, et plusieurs milliers de prisonniers.
Le 22, à quatre heures du matin, l'armée française se mit en mouvement. L'ennemi avait fui toute la nuit par tous les chemins et par toutes les directions. On ne trouva ses premiers postes qu'au-delà de Weissemberg, et il n'opposa de résistance que sur les hauteurs en arrière de Reichenbach. L'ennemi n'avait pas encore vu notre cavalerie.
Le général Lefèvre-Desnouettes, à la tête de quinze cents chevaux lanciers polonais et des lanciers rouges de la garde, chargea, dans la plaine de Reichenbach, la cavalerie ennemie, et la culbuta. L'ennemi, croyant qu'ils étaient seuls, fit avancer une division de cavalerie, et plusieurs divisions s'engagèrent successivement. Le général Latour-Maubourg, avec ses quatorze mille chevaux et les cuirassiers français et saxons, arriva à leur secours, et plusieurs charges de cavalerie eurent lieu. L'ennemi, tout surpris de trouver devant lui quinze à seize mille hommes de cavalerie, quand il nous en croyait dépourvus, se retira en désordre. Les lanciers rouges de la garde se composent en grande partie des volontaires de Paris et des environs. Le général Lefèvre-Desnouettes et le général Colbert, leur colonel, en font le plus grand éloge.
Dans cette affaire de cavalerie, le général Bruyères, général de cavalerie légère de la plus haute distinction, a eu la jambe emportée par un boulet.
Le général Reynier se porta avec le corps saxon sur les hauteurs au-delà de la Reichenbach, et poursuivit l'ennemi jusqu'au village de Hotterndorf. La nuit nous prit à une lieue de Goerlitz. Quoique la journée eût été extrêmement longue, puisque nous nous trouvions à huit lieues du champ de bataille, et que les troupes eussent éprouvé tant de fatigues, l'armée française aurait couché à Goerlitz; mais l'ennemi avait placé un corps d'arrière-garde sur la hauteur en avant de cette ville, et il aurait fallu une demi-heure de jour de plus pour la tourner par la gauche. L'empereur ordonna donc qu'on prît position.
Dans les batailles des 20 et 21, le général wurtembergeois Franquemont et le général Lorencez ont été blessés. Notre perte dans ces journées peut s'évaluer à onze ou douze mille hommes tués ou blessés. Le soir de la journée du 22, à sept heures, le grand-maréchal duc de Frioul, étant sur une petite éminence à causer avec le duc de Trévise et le général Kirgener, tous les trois pied à terre et assez éloignés du feu, un des derniers boulets de l'ennemi rasa de près le duc de Trévise, ouvrit le bas-ventre au grand-maréchal, et jeta roide mort le général Kirgener. Le duc de Frioul se sentit aussitôt frappé à mort; il expira douze heures après.
Dès que les postes furent placés et que l'armée eut pris ses bivouacs, l'empereur alla voir le duc de Frioul. Il le trouva avec toute sa connaissance, et montrant le plus grand sang-froid. Le duc serra la main de l'empereur, qu'il porta sur ses lèvres. Toute ma vie, lui dit-il, a été consacrée à votre service, et je ne la regrette que par l'utilité dont elle pouvait vous être encore!—Duroc, lui dit l'empereur, il est une autre vie! C'est là que vous irez m'attendre, et que nous nous retrouverons un jour!—Oui, sire; mais ce sera dans trente ans, quand vous aurez triomphé de vos ennemis, et réalisé toutes les espérances de notre patrie.......J'ai vécu en honnête homme; je ne me reproche rien. Je laisse une fille, V. M. lui servira de père.
L'empereur serrant de la main droite le grand-maréchal, resta un quart-d'heure la tête appuyée sur la main gauche dans le plus profond silence. Le grand-maréchal rompit le premier ce silence. Ah! sire, allez-vous-en! ce spectacle vous peine! L'empereur, s'appuyant sur le duc de Dalmatie et sur le grand-écuyer, quitta le duc de Frioul sans pouvoir lui dire autre chose que ces mots, adieu donc, mon ami! S. M. rentra dans sa tente, et ne reçut personne pendant toute la nuit.
Le 23, à neuf heures du matin, le général Régnier entra dans Goerlitz. Des ponts furent jetés sur la Neiss, et l'armée se porta au-delà de cette rivière.
Au 23, au soir, le duc de Bellune était sur Botzemberg; le comte Lauriston avait son quartier-général à Hochkirch, le comte Reynier en avant de Trotskendorf sur le chemin de Lauban, et le comte Bertrand en arrière du même village; le duc de Tarente était sur Schoenberg; l'empereur était à Goerlitz.
Un parlementaire, envoyé par l'ennemi, portait plusieurs lettres, où l'on croit qu'il est question de négocier un armistice.
L'armée ennemie s'est retirée, par Banalau et Laubau, en Silésie. Toute la Saxe est délivrée de ses ennemis, et dès demain 24, l'armée française sera en Silésie.
L'ennemi a brûlé beaucoup de bagages, fait sauter beaucoup de parcs, disséminé dans les villages une grande quantité de blessés. Ceux qu'il a pu emmener sur des charrettes n'étaient pas pansés; les habitans en portent le nombre à dix-huit mille. Il en est resté plus de dix mille en notre pouvoir.
La ville de Goerlitz, qui compte huit à dix mille habitans, a reçu les Français comme des libérateurs.
La ville de Dresde et le ministère saxon ont mis la plus grande activité à approvisionner l'armée, qui jamais n'a été dans une plus grande abondance.
Quoiqu'une grande quantité de munitions ait été consommée, les ateliers de Torgau et de Dresde, et les convois qui arrivent, par les soins du général Sorbier, tiennent notre artillerie bien approvisionnée.
On a des nouvelles de Glogau, Custrin et Stettin. Toutes ces places étaient dans un bon état.
Ce récit de la bataille de Wurtchen ne peut être considéré que comme une esquisse. L'état-major-général recueillera les rapports qui feront connaître les officiers, soldats et les corps qui se sont distingués.
Dans le petit combat du 22, à Reichenbach, nous avons acquis la certitude que notre jeune cavalerie est, à nombre égal, supérieure à celle de l'ennemi.
Nous n'avons pu prendre de drapeaux; l'ennemi les retire toujours du champ de bataille. Nous n'avons pris que dix-neuf canons, l'ennemi ayant fait sauter ses parcs et ses caissons. D'ailleurs l'empereur tient sa cavalerie en réserve; et jusqu'à ce qu'elle soit assez nombreuse, il veut la ménager.