Œuvres de Napoléon Bonaparte, Tome V.
Le 25 mai au soir.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le prince de la Moskwa, ayant sous ses ordres les corps du général Lauriston et du général Reynier, avait forcé, le 24 mai, le passage de la Neiss, et le 25 au matin, le passage de la Queiss, et était arrivé à Buntzlau. Le général Lauriston avait son quartier-général à mi-chemin de Buntzlau à Haynau.
Le quartier-général de l'empereur était, le 25 au soir, à Buntzlau.
Le duc de Bellune était à Wehrau, sur la Queiss.
Le général Bertrand était entré, le 24, à Lauban, et le 25 il avait suivi l'ennemi.
Le duc de Tarente, après avoir passé la Queiss, avait eu un combat avec l'arrière-garde ennemie. L'ennemi, encombré de charrettes de blessés et de bagages, voulut tenir. Le duc de Tarente eut ses trois divisions engagées. Le combat fut vif; l'ennemi souffrit beaucoup. Le duc de Tarente avait, le 25 au soir, son quartier-général à Stegkigt.
Le duc de Raguse était à Ottendorf.
Le duc de Reggio était parti de Bautzen, marchant sur Berlin par la route de Luckau.
Nos avant-postes n'étaient plus qu'à une marche de Glogau.
C'est à Buntzlau que le général russe Koutouzow est mort, il y a six semaines. Nos armées n'ont trouvé dans ce pays aucune exaltation. Les esprits y sont comme à l'ordinaire. La landwehr, la landsturm n'ont existé que dans les journaux, du moins dans ce pays-ci; et les habitans sont bien loin d'adhérer au conseil des Russes, de brûler leurs maisons et de dévaster leur pays.
Le général Durosnel est resté en qualité de gouverneur à Dresde. Il commande toutes les troupes et garnisons françaises en Saxe.
Plusieurs corps français se dirigent sur Berlin, où il paraît que l'on déménage, et où l'on s'attend depuis quelques jours à voir arriver l'armée.
Le 27 mai au soir.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le 26, le quartier-général du comte Lauriston était à Haynau. Un bataillon du général Maison a été chargé inopinément, à cinq heures du soir, par trois mille chevaux, et a été obligé de se reployer sur un village. Il a perdu deux pièces de canon et trois caissons qui étaient sous sa garde. La division a pris les armes. L'ennemi a voulu charger sur le cent cinquante-troisième régiment; mais il a été chassé du champ de bataille, qu'il a laissé couvert de morts. Parmi les tués, se trouvent le colonel et une douzaine d'officiers des gardes-du-corps de Prusse, dont on a apporté les décorations.
Le 27, le quartier-général de l'empereur était à Liegnitz, où se trouvaient la jeune et la vieille garde, et les corps du général Lauriston et du général Reynier. Le corps du prince de la Moskwa était à Haynau; celui du duc de Bellune manoeuvrait sur Glogau. Le duc de Tarente était à Goldberg. Le duc de Raguse et le comte Bertrand étaient sur la route de Goldberg à Liegnitz.
Il paraît que toute l'armée ennemie a pris la direction de Jauer et de Schweidnitz.
On ramasse bon nombre de prisonniers. Les villages sont pleins de blessés ennemis.
Liegnitz est une assez jolie ville, de dix mille habitans. Les autorités l'avaient quittée par ordres exprès; ce qui mécontente fort les habitans et les paysans du cercle. Le comte Daru a été en conséquence chargé de former de nouvelles magistratures.
Tous les gens de la cour et toute la noblesse qui avaient évacué Berlin, s'étaient retirés à Breslau; aujourd'hui ils évacuent Breslau, et une partie se retire en Bohême.
Les lettres interceptées ne parlent que de la consternation de l'ennemi et des pertes énormes qu'il a faites à la bataille de Wurtchen.
Le 29 mai au matin.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le duc de Bellune s'est porté sur Glogau. Le général Sébastiani a rencontré près de Sprottau un convoi ennemi, l'a chargé, lui a pris vingt-deux pièces de canon, quatre-vingts caissons et cinq cents prisonniers.
Le duc de Raguse est arrivé le 28 au soir à Jauer, poussant l'arrière-garde ennemie, dont il avait tourné la position sur ce point. Il lui a fait trois cents prisonniers. Le duc de Tarente et le comte Bertrand étaient arrivés à la hauteur de cette ville.
Le 28, à la pointe du jour, le prince de la Moskwa, avec les corps du comte Lauriston et du général Reynier, s'était porté sur Neumarck. Ainsi, notre avant-garde n'est plus qu'à sept lieues de Breslau.
Le 29 mai, à dix heures du matin, le comte Schouvaloff, aide-de-camp de l'empereur de Russie, et le général Kleist, général de division prussien, se sont présentés aux avant-postes. Le duc de Vicence a été parlementer avec eux. On croit que cette entrevue est relative à la négociation de l'armistice.
On a des nouvelles de nos places, qui sont toutes dans la meilleure situation.
Les ouvrages qui défendaient le champ de bataille de Wurtchen sont très-considérables; aussi l'ennemi avait-il dans ses retranchemens la plus grande confiance. On peut s'en faire une idée, quand on saura que c'était le travail de dix mille ouvriers pendant trois mois; car c'est depuis le mois de février que les Russes travaillaient à cette position qu'ils considéraient comme inexpugnable.
Il paraît que le général Wittgenstein a quitté le commandement de l'armée combinée: c'est le général Barclay de Tolly qui la commande.
L'armée est ici dans le plus beau pays possible; la Silésie est un jardin continu, où l'armée se trouve dans la plus grande abondance de tout.
Le 30 mai 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Un convoi d'artillerie d'une cinquantaine de voitures, parti d'Augsbourg, s'est éloigné de la route de l'armée, et s'est dirigé d'Augsbourg sur Bayreuth; les partisans ennemis ont attaqué ce convoi entre Zwickau et Chemnitz, ce qui a occasionné la perte de deux cents hommes et de trois cents chevaux qui ont été pris; de sept à huit pièces de canon, et de plusieurs voitures qui ont été détruites; les pièces ont été reprises. S. M. a ordonné de faire une enquête pour savoir qui a pris sur soi de changer la route de l'armée. Que ce soit un général ou un commissaire des guerres, il doit être puni selon la rigueur des lois militaires, la route de l'armée ayant été ordonnée d'Augsbourg par Wurtzbourg et Fulde.
Le général Poinsot, venant de Brunswick avec un régiment de marche de cavalerie, fort de quatre cents hommes, a été attaqué par sept à huit cents hommes de cavalerie ennemie près Halle; il a été fait prisonnier avec une centaine d'hommes; deux cents hommes sont revenus à Leipsick.
Le duc de Padoue est arrivé à Leipsick, où il réunit sa cavalerie pour balayer toute la rive gauche de l'Elbe.
Le 31 mai au soir.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le duc de Vicence, le comte de Schouvaloff et le général Kleist ont eu une conférence de dix-huit heures, au couvent de Watelstadt, près de Liegnitz. Ils se sont séparés hier 30, à cinq heures après-midi. Le résultat n'est pas encore connu. On est convenu, dit-on, du principe d'un armistice, mais on ne paraît pas d'accord sur les limites qui doivent former la ligne de démarcation. Le 31, à six heures du soir, les conférences ont recommencé du côté de Striegau.
Le quartier-général de l'empereur était à Neumarck; celui du prince de la Moskwa, ayant sous ses ordres le général Lauriston et le général Reynier, était à Lissa. Le duc de Tarente et le comte Bertrand étaient entre Jauer et Striegau. Le duc de Raguse était entre Moys et Neumarkt. Le duc de Bellune était à Steinau sur l'Oder. Glogau était entièrement débloqué. La garnison a eu constamment du succès dans ses sorties. Cette place a encore pour sept mois de vivres.
Le 28, le duc de Reggio ayant pris position à Hoyerswerda, fut attaqué par le corps du général Bulow, fort de quinze à dix-huit mille hommes. Le combat s'engagea; l'ennemi fut repoussé sur tous les points et poursuivi l'espace de deux lieues.
Le 22 mai, le lieutenant-général Vandamme s'est emparé de Wilhelmsburg, devant Hambourg.
Le 24, le quartier-général du prince d'Eckmülh était à Harbourg. Plusieurs bombes étaient tombées dans Hambourg, et les troupes russes paraissant évacuer cette ville, les négociations s'étaient ouvertes pour la reddition de cette place; les troupes danoises faisaient cause commune avec les troupes françaises.
Il devait y avoir, le 25, une conférence avec les généraux danois, pour régler le plan d'opérations. M. le comte de Kaas, ministre de l'intérieur du roi de Danemarck, et chargé d'une mission auprès de l'empereur, était parti pour se rendre au quartier-général.
Le 2 juin 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le quartier-général de l'empereur était toujours à Neumarkt; celui du prince de la Moskwa était à Lissa; le duc de Tarente et le comte Bertrand étaient entre Jauer et Striegau; le duc de Raguse au village d'Eisendorf; le troisième corps, au village de Titersdorf; le duc de Bellune entre Glogau et Liegnitz.
Le comte de Bubna était arrivé à Liegnitz, et avait des conférences avec le duc de Bassano.
Le général Lauriston est entré à Breslau le 1er juin, à six heures du matin. Une division prussienne de six à sept mille hommes qui couvrait cette ville en défendant le passage de la Lohe, a été enfoncée au village de Neukirchen.
Le bourgmestre et quatre députés de la ville de Breslau ont été présentés à l'empereur, à Neumarkt, le 1er juin, à deux heures après-midi.
S. M. leur a dit qu'ils pouvaient rassurer les habitans; que quelque chose qu'ils eussent faite pour seconder l'esprit d'anarchie que les Stein et les Scharnhorss voulaient exciter, elle pardonnait à tous.
La ville est parfaitement tranquille, et tous les habitans y sont restés. Breslau offre de très-grandes ressources.
Le duc de Vicence et les plénipotentiaires russe et prussien, le comte Schouvaloff et le général de Kleist, avaient échangé leurs pleins-pouvoirs, et avaient neutralisé le village de Peicherwitz. Quarante hommes d'infanterie et vingt hommes de cavalerie, fournis par l'armée française, et le même nombre d'hommes fournis par l'armée alliée, occupaient respectivement les deux entrées du village. Le 2 au matin, les plénipotentiaires étaient en conférence pour convenir de la ligne qui, pendant l'armistice, doit déterminer la position des deux armées. En attendant, des ordres ont été donnés des deux quartiers-généraux afin qu'aucunes hostilités n'eussent lieu. Ainsi, depuis le 1er juin, à deux heures de l'après-midi, il n'a été commis aucune hostilité de part ni d'autre.
Le 4 juin au soir.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
L'armistice a été signé le 4, à deux heures après midi.
S. M. l'empereur part le 5, à la pointe du jour, pour se rendre à Liegnitz. On croit que pendant la durée de l'armistice, S. M. se tiendra une partie du temps à Glogau, et la plus grande partie à Dresde, afin d'être plus près de ses états.
Glogau est approvisionné pour un an.
Le 6 juin 1813.
A. S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le quartier-général de l'empereur était, le 6, à Liegnitz.
Le prince de la Moskwa était toujours à Breslau.
Les commissaires nommés par l'empereur de Russie, pour l'exécution de l'armistice, étaient le comte de Schouvaloff, aide-de-camp de l'empereur, et M. de Koutousoff, major-général, aide-de-camp de l'empereur. Les commissaires nommés de la part de la France, sont le général de division Dumoutier, commandant une division de la garde, et le général de brigade Flahaut, aide-de-camp de l'empereur.—Ces commissaires se tiennent à Neumarkt.
Le duc de Trévise porte son quartier-général à Glogau, avec la jeune garde. La vieille garde retourne à Dresde, où l'on croit que S. M. va porter son quartier-général.
Les différens corps d'armée se sont mis en marche, pour former des camps dans les différentes positions de Goldberg, de Loewenberg, de Buntzlau, de Liegnitz, de Sprottau, de Sagan, etc.
Le corps polonais du prince Poniatowski, qui traverse la Bohême, est attendu à Zittau le 10 juin.
Le 7 juin 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le quartier-général de S. M. l'empereur était à Buntzlau. Tous les corps d'armée étaient en marche pour se rendre dans leurs cantonnemens. L'Oder était couvert de bateaux qui descendaient de Breslau à Glogau, chargés d'artillerie, d'outils, de farine et d'objets de toute espèce pris à l'ennemi.
La ville de Hambourg a été reprise le 30 mai, de vive force. Le prince d'Eckmülh se loue spécialement de la conduite du général Vandamme. Hambourg avait été perdu, pendant la campagne précédente, par la pusillanimité du général Saint-Cyr: c'est à la vigueur qu'a déployée le générai Vandamme, du moment de son arrivée dans la trente-deuxième division militaire, qu'on doit la conservation de Brême, et aujourd'hui la prise de Hambourg. On y a fait plusieurs centaines de prisonniers. On a trouvé dans la ville deux ou trois cents pièces de canon, dont quatre-vingts sur les remparts. On avait fait des travaux pour mettre la ville en état de défense.
Le Danemarck marche avec nous: le prince d'Eckmülh avait le projet de se porter sur Lubeck. Ainsi, la trente-deuxième division militaire et tout le territoire de l'empire sont entièrement délivrés de l'ennemi.
Des ordres ont été donnés pour faire de Hambourg une place forte: elle est environnée d'un rempart bastionné, ayant un large fossé plein d'eau, et pouvant être couvert en partie par des inondations. Les travaux sont dirigés de manière que la communication avec Hambourg se fasse par les îles, en tout temps.
L'empereur a ordonné la construction d'une autre place sur l'Elbe, à l'embouchure du Havel. Koenigstein, Torgau, Wittemberg, Magdebourg, la place du Havel et Hambourg, compléteront la défense de la ligne de l'Elbe.
Les ducs de Cambridge et de Brunswick, princes de la maison d'Angleterre, sont arrivés à temps à Hambourg, pour donner plus de relief au succès des Français. Leur voyage se réduit à ceci: ils sont arrivés, et se sont sauvés.
Les derniers bataillons des cinq divisions du prince d'Eckmülh, lesquelles sont composées de soixante-douze bataillons au grand complet, sont partis de Wesel.
Depuis le commencement de la campagne, l'armée française a délivré la Saxe, conquis la moitié de la Silésie, réoccupé la trente-deuxième division militaire, confondu les espérances de nos ennemis.
Le 10 juin 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
L'empereur était arrivé le 10, à quatre heures du matin, à Dresde. La garde à cheval y était arrivée à midi. La garde à pied y était attendue le lendemain 11.
S. M., arrivée au moment où on s'y attendait le moins, avait ainsi rendu inutiles les préparatifs faits pour sa réception.
A midi, le roi de Saxe est venu voir l'empereur, qu'on a logé au faubourg, dans la belle maison Marcolini, où il y a un grand appartement au rez-de-chaussée et un beau parc; le palais du roi, qu'habitait précédemment l'empereur, n'ayant pas de jardin.
A sept heures du soir, l'empereur a reçu M. de Kaas, ministre de l'intérieur et de la justice du roi de Danemarck.
Une brigade danoise de la division auxiliaire mise sous les ordres du prince d'Eckmülh, avait pris, le 2 juin, possession de Lubeck.
Le prince de la Moskwa était, le 10, à Breslau; le duc de Trévise, à Glogau; le duc de Bellune, à Crossen; le duc de Reggio, sur les frontières de la Prusse, du côté de Berlin. L'armistice avait été publié partout. Les troupes faisaient des préparatifs pour asseoir leurs baraques et camper dans leurs positions respectives, depuis Glogau et Liegnitz, jusqu'aux frontières de la Bohême et à Goerlitz.
Le 14 juin au soir.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Toutes les troupes sont arrivées dans leurs cantonnemens. On élève des baraques et l'on forme les camps.
L'empereur a paradé tous les jours à dix heures.
Quelques partisans ennemis sont encore sur les derrières. Il y en a qui font la guerre pour leur compte, à la manière de Schill, et qui refusent de reconnaître l'armistice. Plusieurs colonnes sont en mouvement pour les détruire.
Le 15 juin 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le baron de Kaas, ministre de l'intérieur de Danemarck, et envoyé avec des lettres du roi, a été présenté à l'empereur.
Après les affaires de Copenhague, un traité d'alliance fut conclu entre la France et le Danemarck: par ce traité, l'empereur garantissait l'intégrité du Danemarck.
Dans le courant de 1811, la cour de Suède fit connaître à Paris le désir qu'elle avait de réunir la Norwège à la Suède, et demanda l'assistance de la France. L'on répondit que, quelque désir qu'eût la France de faire une chose agréable à la Suède, un traité d'alliance ayant été conclu avec le Danemarck, et garantissant l'intégrité de cette puissance, S. M. ne pouvait jamais donner son consentement au démembrement du territoire de son allié.
Dès ce moment, la Suède s'éloigna de la France, et entra en négociation avec ses ennemis.
Depuis, la guerre devint imminente entre la France et la Russie. La cour de Suède proposa de faire cause commune avec la France, mais en renouvelant sa proposition relative à la Norwège. C'est en vain que la Suède fit entrevoir que des ports de Norwège une descente en Écosse était facile; c'est en vain que l'on fit valoir toutes les garanties que l'ancienne alliance de la Suède donnerait à la France de la conduite qu'on tiendrait avec l'Angleterre. La conduite du cabinet des Tuileries fut la même: on avait les mains liées par le traité avec le Danemarck.
Dès ce moment, la Suède ne garda plus de mesures; elle contracta une alliance avec l'Angleterre et la Russie; et la première stipulation de ce traité fut l'engagement commun de contraindre le Danemarck à céder la Norwège à la Suède.
Les batailles de Smolensk et de la Moskwa enchaînèrent l'activité de la Suède; elle reçut quelques subsides, fit quelques préparatifs, mais ne commença aucune hostilité. Les événemens de l'hiver de 1812 arrivèrent, les troupes françaises évacuèrent Hambourg. La situation du Danemarck devint périlleuse; en guerre avec l'Angleterre, menacée par la Suède et par la Russie, la France paraissait impuissante pour le soutenir. Le roi de Danemarck, avec cette loyauté qui le caractérise, s'adressa à l'empereur pour sortir de cette situation. L'empereur, qui veut que sa politique ne soit jamais à charge à ses alliés, répondit que le Danemarck était maître de traiter avec l'Angleterre pour sauver l'intégrité de son territoire, et que son estime et son amitié pour le roi ne recevraient aucun refroidissement des nouvelles liaisons que la force des circonstances obligeait le Danemarck à contracter. Le roi témoigna toute sa reconnaissance de ce procédé.
Quatre équipages de très-bons matelots avaient été fournis par le Danemarck, et montaient quatre vaisseaux de notre flotte de l'Escaut. Le roi de Danemarck ayant témoigné, sur ces entrefaites, le désir que ces marins lui fussent rendus, l'empereur les lui renvoya avec la plus scrupuleuse exactitude, en témoignant aux officiers et aux matelots la satisfaction qu'il avait de leurs bons services.
Cependant les événemens marchaient.
Les alliés pensaient que le rêve de Burke était réalisé. L'empire français, dans leur imagination, était déjà effacé du globe, et il faut que cette idée ait prédominé à un étrange point, puisqu'ils offraient au Danemarck, en indemnité de la Norwège, nos départemens de la trente-deuxième division militaire, et même toute la Hollande, afin de recomposer dans le Nord une puissance maritime qui fît système avec la Russie.
Le roi de Danemarck, loin de se laisser surprendre à ces appâts trompeurs, leur dit: «Vous voulez donc me donner des colonies en Europe, et cela au détriment de la France?»
Dans l'impossibilité de faire partager au roi de Danemarck une idée aussi folle, le prince Dolgorouki fut envoyé à Copenhague pour demander qu'on fit cause commune avec les alliés, et moyennant ce, les alliés garantissaient l'intégrité du Danemarck et même de la Norwège.
L'urgence des circonstances, les dangers imminens que courait le Danemarck, l'éloignement des armées françaises, son propre salut firent fléchir la politique du Danemarck. Le roi consentit, moyennant la garantie de l'intégrité de ses états, à couvrir Hambourg, et à tenir cette ville à l'abri même des armées françaises, pendant toute la guerre. Il comprit tout ce que cette stipulation pouvait avoir de désagréable pour l'empereur; il y fit toutes les modifications de rédaction qu'il était possible d'y faire, et même ne la signa qu'en cédant aux instances de tous ceux dont il était entouré, qui lui représentaient la nécessité de sauver ses états; mais il était loin dépenser que c'était un piège qu'on venait là de lui tendre. On voulait le mettre ainsi en guerre avec la France, et après lui avoir fait perdre de cette façon son appui naturel dans cette circonstance, on voulait lui manquer de parole; et l'obliger de souscrire à toutes les conditions honteuses qu'on voudrait lui imposer.
M. de Bernstorf se rendit à Londres; il croyait y être reçu avec empressement et n'avoir plus qu'à renouveler le traité consenti avec le prince Dolgorouki: mais quel fut son étonnement, lorsque le prince régent refusa de recevoir la lettre du roi, et que lord Castlereagh lui fit connaître qu'il ne pouvait y avoir de traité entre le Danemarck et l'Angleterre, si, au préalable, la Norwège n'était cédée à la Suède. Peu de jours après, le comte de Bernstorf reçut ordre de retourner en Danemarck.
Au même moment, on tint le même langage au comte de Moltke, envoyé de Danemarck auprès de l'empereur Alexandre. Le prince Dolgorouki fut désavoué comme ayant dépassé ses pouvoirs, et pendant ce temps les Danois faisaient leur notification à l'armée française, et quelques hostilités avaient lieu!
C'est en vain qu'on ouvrirait les annales des nations pour y voir une politique plus immorale. C'est au moment que le Danemarck se trouve ainsi engagé dans un état de guerre avec la France, que le traité auquel il croit se conformer est à la fois désavoué à Londres et en Russie, et qu'on profite de l'embarras où cette puissance est placée, pour lui présenter comme ultimatum, un traité qui l'engageait à reconnaître la cession de la Norwège!
Dans ces circonstances difficiles le roi montra la plus grande confiance dans l'empereur; il déclara le traité nul. Il rappela ses troupes de Hambourg, Il ordonna que son armée marcherait avec l'armée française, et enfin il déclara qu'il se considérait toujours comme allié de la France, et qu'il s'en reposait sur la magnanimité de l'empereur.
Le président de Kaas fut envoyé au quartier-général français avec des lettres du roi.
En même temps le roi fit partir pour la Norwège le prince héréditaire de Danemarck, jeune prince de la plus grande espérance, et particulièrement aimé des Norvégiens. Il partit déguisé en matelot, se jeta dans une barque de pêcheur et arriva en Norwège le 22 mai.
Le 30 mai les troupes françaises entrèrent à Hambourg, et une division danoise, qui marchait avec nos troupes, entra à Lubeck.
Le baron de Kaas se trouvant à Altona, eut à essuyer une autre scène de perfidie égale à la première.
Les envoyés des alliés vinrent à son logement et lui firent connaître que l'on renonçait à la cession de la Norwège, et que sous la condition que le Danemarck fit cause commune avec les alliés, il n'en serait plus question; qu'ils le conjuraient de retarder son départ. La réponse de M. de Kaas fut simple: «J'ai mes ordres, je dois les exécuter.» On lui dit que les armées françaises étaient défaites; cela ne l'ébranla pas davantage, et il continua sa route.
Cependant, le 31 mai une flotte anglaise parut dans la rade de Copenhague; un des vaisseaux de guerre mouilla devant la ville, et M. Thornton se présenta. Il fit connaître que les alliés allaient commencer les hostilités, si, dans quarante-huit heures, le Danemarck ne souscrivait à un traité, dont les principales conditions étaient de céder la Norwège à la Suède, en remettant sur-le-champ en dépôt la province de Drontheim, et de fournir vingt-cinq mille hommes pour marcher avec les alliés contre la France, et conquérir les indemnités qui devaient être la part du Danemarck. On déclarait en même temps que les ouvertures faites à M. de Kaas, à son passage à Altona, étaient désavouées et ne pouvaient être considérées que comme des pourparlers militaires. Le roi rejeta avec indignation cette injurieuse sommation.
Cependant le prince royal arrivé en Norvège, y avait publié la proclamation suivante:
«Norwégiens!
«Votre roi connaît et apprécié votre fidélité inébranlable pour lui et la dynastie des rois de Norwège et de Danemarck, qui, depuis des siècles, règne sur vos pères et sur vous. Son désir paternel est de resserrer encore davantage le lien indissoluble de l'amitié fraternelle et de l'union qui lie les peuples des deux royaumes. Le coeur de Frédéric VI est toujours avec vous, mais ses soins pour toutes les branches de l'administration de l'état le privent de se voir entouré de son peuple norwégien. C'est pour cela qu'il m'envoie près de vous, comme gouverneur, pour exécuter ses volontés comme s'il était présent; ses ordres seront mes lois. Mes efforts seront de gagner votre confiance. Votre estime et votre amitié seront ma récompense. Peut-être que des épreuves plus dures nous menacent ... Mais ayant confiance dans la Providence, j'irai sans crainte au-devant d'elles, et avec votre aide, fidèles Norwégiens; je vaincrai tous les obstacles. Je sais que je puis compter sur votre fidélité pour le roi, que vous voulez conserver l'ancienne indépendance de la Norwège, et que la devise qui nous réunit est: Pour Dieu, le roi et la patrie!
Signé CHRISTIAN-FRÉDÉRIC.
La confiance que le roi de Danemarck a eue dans l'empereur se trouve entièrement justifiée, et tous les liens entre les deux peuples ont été rétablis et resserrés.
L'armée française est à Hambourg: une division danoise en suit les mouvements, pour la soutenir. Les Anglais ne retirent de leur politique que honte et confusion; les voeux de tous les gens de bien accompagnent le prince héréditaire de Danemarck en Norwège. Ce qui rend critique la position de la Norwège, c'est le manque de subsistances; mais la Norwège restera danoise; l'intégrité du Danemarck est garantie par la France.
Le bombardement de Copenhague, pendant qu'un ministre anglais était encore auprès du roi, l'incendie de cette capitale et de la flotte sans déclaration de guerre, sans aucune hostilité préalable, paraissaient devoir être la scène la plus odieuse de l'histoire moderne; mais la politique tortueuse qui porte les Anglais à demander la cession d'une province, heureuse depuis tant d'années sous le sceptre de la maison de Holstein, et la série d'intrigues dans laquelle ils descendent pour arriver à cet odieux résultat, seront considérées comme plus immorales et plus outrageantes encore que l'incendie de Copenhague. Ou y reconnaîtra la politique dont les maisons de Timor et de Sicile ont été victimes, et qui les a dépouillées de leurs états. Les Anglais se sont accoutumés dans l'Inde à n'être jamais arrêtés par aucune idée de justice. Ils suivent cette politique en Europe.
Il paraît que dans tous les pourparlers que les alliés ont eus avec l'Angleterre, les puissances les plus ennemies de la France ont été soulevées par l'exagération des prétentions du gouvernement anglais. Les bases même de la paix de Lunéville, les Anglais les déclaraient inadmissibles comme trop favorables à la France. Les insensés! ils se trompent de latitude, et prennent les Français pour des Hindous!
Le 21 juin 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le huitième corps commandé par le prince Poniatowski, qui a traversé la Bohême, est arrivé à Zittau en Lusace. Ce corps est fort de dix-huit mille hommes, dont six mille de cavalerie. Tous les ordres ont été donnés pour compléter son habillement, et pour lui fournir tout ce qui pourrait lui manquer.
S. M. a été le 20 à Pirna et à Koenigstein.
Le président de Kaas, envoyé par le roi de Danemarck, a reçu son audience de congé, et est parti de Dresde.
Les corps francs prussiens levés à l'instar de celui de Schill, ont continué, depuis l'armistice, à mettre des contributions, et à arrêter les hommes isolés. On leur a fait signifier l'armistice dès le 8; mais ils ont déclaré faire la guerre pour leur compte; et comme ils continuaient la même conduite, on a fait marcher contre eux plusieurs colonnes. Le capitaine Lutzow, qui commandait une de ces bandes, a été tué; quatre cents des siens ont été tués ou pris, et le reste dispersé. On ne croit pas que cent de ces brigands soient parvenus à repasser l'Elbe. Une autre bande, commandée par un capitaine Colombe, est entièrement cernée, et on a l'espoir que sous peu de jours la rive gauche de l'Elbe sera tout-à-fait purgée de la présence de ces bandes, qui se portaient à toute espèce d'excès envers les malheureux habitans.
L'officier envoyé à Custrin est de retour. La garnison de cette place est d'environ cinq mille hommes, et n'a que cent cinquante malades. La place est dans le meilleur état, et est approvisionnée pour six mois en blé, riz, légume, viandes fraîches, et tous les objets nécessaires.
La garnison a toujours été maîtresse des dehors de la place jusqu'à mille toises. Pendant ces quatre mois, le commandant n'a pas cessé de travailler à augmenter les moyens de son artillerie et les fortifications de la place.
Toute l'armée est campée; ce repos fait le plus grand bien à nos troupes. Les distributions régulières de riz contribuent beaucoup à entretenir la santé du soldat.
Le 25 juin 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le 24, l'empereur a dîné chez le roi de Saxe. Le soir, la comédie française a donné sur le théâtre de la cour une représentation d'une pièce de Molière, à laquelle LL. MM. ont assisté.
Le roi de Westphalie est venu à Dresde, voir l'empereur.
Le 25, l'empereur a parcouru les différens débouchés des forêts de Dresde, et a fait une vingtaine de lieues. S. M., partie à cinq heures après midi, était de retour à dix heures du soir.
Deux ponts ont été jetés sur l'Elbe, vis-à-vis la forteresse de Koenigstein. Le rocher de Silienstein, qui est sur la rive droite, à une demi-portée de canon de Koenigstein, a été occupé et fortifié. Des magasins et autres établissemens militaires sont préparés dans cette intéressante position. Un camp de soixante mille hommes, appuyé ainsi à la forteresse de Koenigstein, et pouvant manoeuvrer sur les deux rives, serait inattaquable par quelque force que ce fût.
Le roi de Bavière a établi autour de Nymphenbourg, près de Munich, un camp de vingt-cinq mille hommes.
L'empereur a donné au duc de Castiglione le commandement du corps d'observation de Bavière. Cette armée se réunit à Wurtzbourg. Elle est composée de six divisions d'infanterie et de deux de cavalerie.
Le vice-roi réunit entre la Piave et l'Adige l'armée d'Italie, composée de trois corps. Le général Grenier en commande un.
Le nouveau corps qui vient d'être formé à Magdebourg, sous le commandement du général Vandamme, compte déjà quarante bataillons et quatre-vingt pièces d'artillerie.
Le prince d'Eckmühl est à Hambourg. Son corps a été renforcé par des troupes venant de France et de Hollande, de sorte que sur ce point il y plus de troupes qu'il n'y en a jamais eu. La division danoise qui est réunie au corps du prince d'Eckmühl est de quinze mille hommes.
Le deuxième corps, que commande le duc de Bellune, n'avait qu'une division pendant la campagne qui vient de finir; ce corps a été complété, et le duc de Bellune commande aujourd'hui les trois divisions.
Les circonstances étaient si urgentes au commencement de la campagne, que les bataillons d'un même régiment se trouvaient disséminés dans différens corps. Tout a été régularisé, et chaque régiment a réuni ses bataillons. Chaque jour il arrive une grande quantité de bataillons de marche qui passent l'Elbe à Magdebourg, à Wittemberg, à Torgau, à Dresde. S. M. passe tous les jours la revue de ceux qui arrivent par Dresde.
Les équipages militaires de l'armée ont aujourd'hui, soit en caissons d'ancien modèle, soit en caissons du nouveau modèle (dit no. 2), soit en voitures à la comtoise, de quoi transporter des vivres pour toute l'armée pour un mois. S. M. a reconnu que les voitures à la comtoise, ainsi que les caissons d'ancien modèle, ont des inconvéniens, et elle a prescrit que désormais les équipages, au fur et à mesure des remplacemens, fussent établis sur les modèles des caissons no. 2, attelés de quatre chevaux et qui portent facilement vingt quintaux.
L'armée est pourvue de moulins portatifs pesant seize livres, et faisant chaque jour cinq quintaux de farine. On a distribué trois de ces moulins par bataillon.
On travaille avec la plus grande activité à augmenter les fortifications de Glogau.
On travaille également à augmenter les fortifications de Wittemberg. S. M. veut faire de cette ville une place régulière; et comme le tracé en est défectueux, elle a ordonné qu'on la fit couvrir par trois couronnes en suivant à peu près la même méthode que le sénateur Chasseloup Laubat a mise en pratique à Alexandrie.
Torgau est en bon état.
On travaille aussi avec une grande activité à fortifier Hambourg. Le général du génie Haxo s'y est rendu pour tracer la citadelle et les ouvrages à établir dans les îles pour lier Harbourg avec Hambourg. Les ingénieurs des ponts et chaussées y construisent deux ponts volans dans le même système que ceux d'Anvers, un pour la marée montante, l'autre pour la marée descendante.
Une nouvelle place sur l'Elbe a été tracée par le général Haxo du côté de Verden, à l'embouchure de la Havel.
Les forts de Cuxhaven, qui étaient en état de soutenir un siége, mais qu'on avait abandonnés sans raison, et que l'ennemi avait rasés, se rétablissent. On y travaille avec activité; ce ne seront plus de simples batteries fermées, mais un fort qui, comme le fort impérial de l'Escaut, protégera l'arsenal de construction et le bassin, dont l'établissement est projeté sur l'Elbe, depuis que l'ingénieur Beaupré, qui a employé deux ans à sonder ce fleuve, a reconnu qu'il avait les mêmes propriétés que l'Escaut, et que les plus grandes escadres pouvaient y être construits et réunies dans ses rades.
La troisième division de la jeune garde, que commande le général Laborde, officier d'un mérite consommé, est campée dans les bois en avant de Dresde, sur la rive droite de l'Elbe.
La quatrième division de la jeune garde, que commande le général Friant, débouche par Wurtzbourg. Des régimens de cette division ont déjà dépassé cette ville, et se portent sur Dresde.
La cavalerie de la garde compte déjà plus de neuf mille chevaux. L'artillerie a déjà plus de deux cents pièces de canon. L'infanterie forme cinq divisions, dont quatre de la jeune garde et une de la vieille.
Le septième corps, que commande le général Reynier, composé de la division Durutte, qui est une division française, et de deux divisions saxonnes, reçoit son complément. Ce corps est campé en avant de Goerlitz. Toute la cavalerie légère saxonne y est réunie, et va être également complétée. Le roi de Saxe porte aussi ses deux beaux régimens de cuirassiers à leur complet.
S. M. a été extrêmement satisfaite des rois et des grands-ducs de la confédération. Le roi de Wurtemberg s'est particulièrement distingué. Il a fait, proportion gardée, des efforts égaux à ceux de la France, et son armée, infanterie, cavalerie et artillerie, a été portée au grand complet. Le prince Émile de Hesse-Darmstadt, qui commande le contingent de Hesse-Darmstadt, s'est constamment fait distinguer dans la campagne passée et dans celle-ci par beaucoup de sang-froid et beaucoup d'intrépidité. C'est un jeune prince d'espérance, que l'empereur, affectionne Beaucoup. Les seuls princes de Saxe sont en arrière pour le contingent.
Non-seulement la citadelle d'Erfurt est en bon état et parfaitement approvisionnée, mais les fortifications ont été relevées; elles sont couvertes par des ouvrages avancés, et désormais Erfurt sera une place forte de première importance.
Le congrès n'est pas encore réuni: on espère pourtant qu'il le sera sous quelques jours. Si on a perdu un mois, la faute n'en est pas a la France.
L'Angleterre, qui n'a pas d'argent, n'a pu en fournir aux coalisés; mais elle vient d'imaginer un expédient nouveau. Un traité a été conclu entre l'Angleterre, la Russie et la Prusse, moyenant lequel il sera créé pour plusieurs centaines de millions d'un nouveau papier garanti par les trois puissances. C'est sur cette ressource que l'on compte pour faire face aux frais de la guerre.
Dans les articles séparés, l'Angleterre garantit le tiers de ce papier, de sorte qu'en réalité, c'est une nouvelle dette ajoutée à la dette anglaise. Il reste à savoir dans quel pays on émettra ce nouveau papier. Lorsque cette idée lumineuse a été conçue, on espérait probablement que cette émission aurait lieu aux dépens de la confédération du Rhin et même de la France, notamment dans la Hollande, dans la Belgique et dans les départemens du Rhin. Cependant le traité n'en a pas moins été ratifié depuis l'armistice. La Russie fait la dépense de son armée avec du papier, que les habitans de la Prusse sont obligés de recevoir; la Prusse elle-même fait son service avec du papier: l'Angleterre aussi a son papier. Il paraît que chacun de ces papiers isolé n'a plus le crédit suffisant, puisque ces puissances prennent le parti d'en créer un en commun. C'est aux négocians et aux banquiers à nous faire connaître s'il faut multiplier le crédit du nouveau papier par le crédit des trois puissances, ou bien si ce crédit doit être le quotient.
La Suède seule paraît avoir reçu de l'argent de l'Angleterre, à peu près cinq à six cent mille livres sterling.
La garnison de Modlin est en bon état; les fortifications sont augmentées. On déchiffrait au quartier-général les rapports des gouverneurs de Modlin et de Zamosc. Les garnisons de ces deux places sont restées maîtresses du pays à une lieue autour d'elles, les troupes qui les bloquaient n'étant que des milices mal armées et mal équipées.
L'empereur a pris à sa solde l'armée du prince Poniatowski, et lui a donné une nouvelle organisation. Des ateliers sont établis pour fournir à ses besoins. Avant vingt jours, elle sera équipée à neuf et remise en bon état.
Quelque brillante que soit cette situation, et quoique S. M. ait réellement plus de puissance militaire que jamais, elle n'en désire la paix qu'avec plus d'ardeur.
L'administration a fait acheter une grande quantité de riz, afin que pendant toute la grande chaleur cette denrée entre pour un quart dans les rations du soldat.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le comte de Metternich, ministre d'état et des conférences de S. M. l'empereur d'Autriche, est arrivé à Dresde, et a déjà eu plusieurs conférences avec le duc de Bassano.
La Russie vient d'obtenir du roi de Prusse que le papier russe ait un cours forcé dans les états prussiens, et comme le papier prussien perd déjà soixante-dix pour cent, cette ordonnance ne semble pas propre à relever le crédit de la Prusse.
La ville de Berlin est tourmentée de toutes les manières, et chaque jour les vexations s'y font sentir davantage. Cette capitale compare déjà sa situation à celle de plusieurs villes de France en 1793.
S. M. l'empereur a fait le 28 une course de huit à dix heures aux environs de Dresde.
On a reçu des nouvelles de Modlin et de Zamosc. Ces places sont dans la meilleure situation, soit pour les vivres et les munitions de guerre, soit pour les fortifications.
Magdebourg, le 12 juillet 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
L'empereur est arrivé aujourd'hui ici à sept heures du matin. S. M. est aussitôt montée à cheval, et a visité les fortifications, qui rendent Magdebourg une des plus fortes places de l'Europe.
S. M. est partie de Dresde le 10, à trois heures du matin. Elle a déjeuné à Torgau, a visité les fortifications de cette place, et y a vu la brigade de troupes saxonnes commandée par le général Lecocq. A six du soir, elle est arrivée à Wittemberg, et en a visité les fortifications.
Le 11, à cinq heures du matin, S. M. a passé en revue trois divisions (les cinquième, sixième et sixième bis) arrivant de France; elle a nommé aux emplois vacans, et a accordé des récompenses à plusieurs officiers et soldats.
Parti de Wittemberg à trois heures après-midi, l'empereur est arrivé à six heures à Dessau, où S. M. a vu la division du général Philippon.
S. M. a quitté Dessau à deux heures du matin, et dès cinq heures elle se trouvait à Magdebourg, où sont campées les trois divisions du corps du général comte Vandamme.
Dresde, le 15 juillet 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
L'empereur est parti de Magdebourg le 13, après avoir vu les divisions du corps du général Vandamme, et s'est rendu à Leipsick.
Le 14, à cinq heures du matin, S. M. a vu le troisième corps de cavalerie, que commande le duc de Padoue.
Dans l'après-midi, S. M. a vu sur la grande place de Leipsick le reste des troupes du duc de Padoue, qu'elle n'avait pas pu voir le matin. Elle est montée ensuite en voiture, à cinq heures du soir, pour Dresde, où elle est arrivée à une heure après minuit.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le duc de Vicence, grand-écuyer, et le comte de Narbonne, ambassadeur de France à Vienne, ont été nommés par l'empereur ses ministres plénipotentiaires à Prague.
Le comte de Narbonne était parti le 9.
On croit que le duc de Vicence partira le 18.
Le conseiller intime d'Anstett, plénipotentiaire de l'empereur de Russie, était arrivé le 12 juillet à Prague.
Une convention avait été signée à Neumarkt pour la prolongation de l'armistice jusqu'à la mi-août.
De notre camp impérial de Dresde, le 14 août 1813.
Lettre de l'empereur au duc de Massa, grand-juge ministre de la justice.
«Monsieur le duc de Massa, notre grand-juge ministre de la justice,
«Nous avons appris avec la plus grande peine la scène scandaleuse qui vient de se passer à Bruxelles, aux assises de la cour impériale. Notre bonne ville d'Anvers, après avoir perdu plusieurs millions par la déprédation publique et avouée des agens de l'octroi, a perdu son procès et a été condamnée aux dépens. Le jury, dans cette circonstance, n'a pas répondu à la confiance de la loi, et plusieurs jurés, trahissant leur serment, se sont livrés publiquement à la plus honteuse corruption. Dans cette circonstance, quoiqu'il soit dans nos principes et dans notre volonté que nos tribunaux administrent la justice avec la plus grande indépendance, cependant, comme ils l'administrent en notre nom et à la décharge de notre conscience, nous ne pouvons pas ignorer et tolérer un pareil scandale, ni permettre que la corruption triomphe et marche tête levée dans nos bonnes villes de Bruxelles et d'Anvers.
«Notre intention est qu'à la réception de la présente lettre, vous ayez à ordonner à notre procureur impérial près la cour de Bruxelles de réunir les juges qui ont présidé la session des assises, et de dresser procès-verbal en forme d'enquête de ce qui est à leur connaissance, et de ce qu'ils pensent relativement à la scandaleuse déclaration du jury dans l'affaire dont il s'agit. Notre intention est que vous fassiez connaître à notre procureur impérial près la cour de Bruxelles, que le jugement de la cour rendu en conséquence de ladite déclaration du jury, doit être regardé comme suspendu; qu'en conséquence les prévenus doivent être remis sous la main de la justice, et le séquestre réapposé sur leurs biens. Enfin notre intention est qu'en vertu du paragraphe 4 de l'article 55 du titre 5 des constitutions de l'empire, vous nous présentiez, dans un conseil privé que nous autorisons à cet effet la régente, notre chère et bien-aimée épouse, à présider, un projet de sénatus-consulte pour annuler le jugement de la cour d'assises de Bruxelles y et envoyer cette affaire à notre cour de cassation qui désignera une cour impériale pardevant laquelle la procédure sera recommencée et jugée, les chambres réunies et sans jury. Nous désirons que si la corruption est active à éluder l'effet des lois, les corrupteurs sachent que les lois, dans leur sagesse, ont su pourvoir à tout. Notre intention est aussi que vous donniez des instructions à notre procureur impérial, qui sera à cet effet autorisé par un article du sénatus-consulte, pour qu'il poursuive ceux des jurés que la clameur publique accuse d'avoir cédé à la corruption dans cette affaire. Nous espérons que notre bonne ville d'Anvers sera consolée par cette juste décision souveraine, et qu'elle y verra la sollicitude que nous portons à nos peuples, même au milieu des camps et des circonstances de la guerre.
«Sur ce, nous prions Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.»
NAPOLÉON.
Le 20 août 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Les ennemis ont dénoncé l'armistice le 11, à midi, et ont fait connaître que les hostilités commenceraient le 19 après minuit.
En même temps, une note de M. le comte de Metternich, ministre des relations extérieures d'Autriche, adressée à M. le comte de Narbonne, lui fait connaître que l'Autriche déclarait la guerre à la France.
Le 17 au matin, les dispositions des deux armées étaient les suivantes:
Les quatrième, douzième et septième corps, sous les ordres du duc de Reggio, étaient à Dahme.
Le prince d'Eckmühl, avec son corps, auquel les Danois étaient réunis, campait devant Hambourg, son quartier-général étant à Bergedorf.
Le troisième corps était à Liegnitz, sous les ordres du prince de la Moskwa.
Le cinquième corps était à Goldberg, sous les ordres du général Lauriston.
Le onzième corps était à Loewenberg, sous les ordres du duc de Tarente.
Le sixième corps, commandé par le duc de Raguse, était à Bunzlau.
Le huitième corps, aux ordres du prince Poniatowski, était à Zittau.
Le maréchal Saint-Cyr était, avec le quatorzième corps, la gauche appuyée à l'Elbe, au camp de Koenigstein et à cheval sur la grande chaussée de Prague à Dresde, poussant des corps d'observation jusqu'aux débouchés de Marienberg.
Le premier corps arrivait à Dresde, et le deuxième corps à Zittau.
Dresde, Torgau, Wittemberg, Magdebourg et Hambourg avaient chacun leur garnison, et étaient armés et approvisionnés.
L'armée ennemie était, autant qu'on en peut juger, dans la position suivante:
Quatre-vingt mille Russes et Prussiens étaient entrés, dès le 10 au matin, en Bohême, et devaient arriver vers le 21 sur l'Elbe. Cette armée est commandée par l'empereur Alexandre et le roi de Prusse, les généraux russes Barclay de Tolly, Wittgenstein et Miloradowitch, et le général prussien Kleist. Les gardes russe et prussienne en font partie; ce qui, joint à l'armée du prince Schwartzenberg, formait la grande armée et une force de deux cent mille hommes. Cette armée devait opérer sur la rive gauche de l'Elbe, en passant ce fleuve en Bohême.
L'armée de Silésie, commandée par les généraux prussiens Blucher et Yorck, et par les généraux russes Sacken et Langeron, paraissait se réunir à Breslau; elle était forte de cent mille hommes.
Plusieurs corps prussiens, suédois et des troupes d'insurrection couvraient Berlin, et étaient opposés à Hambourg et au duc de Reggio. L'on portait la force de ces armées qui couvraient Berlin, à cent dix mille hommes.
Toutes les opérations de l'ennemi étaient faites dans l'idée que l'empereur repasserait sur la rive gauche de l'Elbe.
La garde impériale partie de Dresde, se porta le 15 à Bautzen, et le 18 à Goerlitz.
Le 19, l'empereur se porta à Zittau, fit marcher sur-le-champ les troupes du prince Poniatowski, força les débouchés de la Bohême, passa la grande chaîne des montagnes qui séparent la Bohême de la Lusace, et entra à Gobel, pendant le temps que le général Lefèvre-Desnouettes, avec une division d'infanterie et de cavalerie de la garde, s'emparait de Hambourg, franchissait le col des montagnes à Georgenthal, et que le général polonais Reminski s'emparait de Friedland et de Reichenberg.
Cette opération avait pour but d'inquiéter les alliés sur Prague, et d'acquérir des notions certaines sur leurs projets. On apprit là ce que nos espions avaient déjà fait connaître, que l'élite de l'armée russe et prussienne traversait la Bohême, se réunissant sur la rive gauche de l'Elbe.
Nos coureurs poussèrent jusqu'à seize lieues de Prague.
L'empereur était de retour de Bohême à Zittau le 20 à une heure du matin; il laissa le duc de Bellune avec le deuxième corps à Zittau, pour appuyer le corps du prince Poniatowski; il plaça le général Vandamme, avec le premier corps, à Rumbourg, pour appuyer le général Lefèvre-Desnouettes, ces deux généraux occupant en force le col, et faisant construire des redoutes sur le mamelon qui domine sur le col. L'empereur se porta par Lauban en Silésie, où il arriva le 20 avant sept heures du soir.
L'armée ennemie de Silésie avait violé l'armistice, traversé le territoire neutre dès le 12. Ils avaient le 15 insulté tous nos avant-postes, et enlevé quelques vedettes.
Le 16, un corps russe se plaça entre le Bober et le poste de Spiller, occupé par deux cents hommes de la division Charpentier. Ces braves qui se reposaient sur la foi des traités, coururent aux armes, passèrent sur le ventre des ennemis et les dispersèrent. Le chef de bataillon la Guillermie les commandait.
Le 18, le duc de Tarente donna l'ordre au général Zucchi de prendre la petite ville de Lahn; il s'y porta avec une brigade italienne; il exécuta bravement son ordre, et fit perdre à l'ennemi plus de cinq cents hommes: le général Zucchi est un officier d'un mérite distingué. Les troupes italiennes ont attaqué, à la baïonnette, les Russes, qui étaient en nombre supérieur.
Le 19, l'ennemi est venu camper à Zobten. Un corps de douze mille Russes a passé le Bober et a attaqué le poste de Siebenicken, défendu par trois compagnies légères. Le général Lauriston fait prendre les armes à une partie de son corps, part de Loewenberg, marche à l'ennemi et le culbute dans le Bober. La brigade du général Lafitte, de la division Rochambeau, s'est distinguée.
Cependant, l'empereur, arrivé le 20 à Lauban, était, le 21, à la pointe du jour, à Loewenberg, et faisait jeter des ponts sur le Bober. Le corps du général Lauriston passa à midi. Le général Maison culbuta, avec sa valeur accoutumée, tout ce qui voulut s'opposer à son passage, s'empara de toutes les positions, et mena l'ennemi battant jusqu'auprès de Goldberg. Le cinquième et le onzième corps l'appuyèrent. Sur la gauche, le prince de la Moskwa faisait attaquer le général Saken par le troisième corps, en avant de Bunzlau, le culbutait, le mettait en déroute, et lui faisait des prisonniers.
L'ennemi se mit en retraite.
Un combat eut lieu le 23 août devant Goldberg. Le général Lauriston s'y trouvait à la tête des cinquième et onzième corps. Il avait devant lui les Russes qui couvraient la position de Flensberg, et les Prussiens qui s'étendaient à droite sur la route de Liegnitz. Au moment où le général Gérard débouchait par la gauche sur Nieder-au, une colonne de vingt-cinq mille Prussiens parut sur ce point; il la fit attaquer au milieu des baraques de l'ancien camp; elle fut enfoncée de toutes parts; les Prussiens essayèrent plusieurs charges de cavalerie qui furent repoussées à bout-portant; ils furent chassés de toutes leurs positions, et laissèrent sur le champ de bataille près de cinq mille morts, des prisonniers, etc. A la droite, le Flensberg fut pris et repris plusieurs fois; enfin, le cent trente-cinquième régiment s'élança sur l'ennemi et le culbuta entièrement. L'ennemi a perdu sur ce point mille morts et quatre mille blessés.
L'armée des alliés se retira en désordre et en toute hâte sur Jauer.
L'ennemi ainsi battu en Silésie, l'empereur prit avec lui le prince de la Moskwa, laissa le commandement de l'armée de Silésie au duc de Tarente, et arriva le 25 à Stolpen. La garde vieille et jeune, infanterie, cavalerie et artillerie, fit ces quarante lieues en quatre jours.
Le 28 août 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le 26, à huit heures du matin, l'empereur entra dans Dresde. La grande armée russe, prussienne et autrichienne, commandée par les souverains, était en présence; elle couronnait toutes les collines qui environnent Dresde, à la distance d'une petite lieue par la rive gauche. Le maréchal Saint-Cyr, avec le quatorzième corps et la garnison de Dresde, occupait le camp retranché et bordait de tirailleurs les palanques qui environnaient les faubourgs. Tout était calme à midi; mais, pour l'oeil exercé, ce calme était le précurseur de l'orage: une attaque paraissait imminente.
A quatre heures après-midi, au signal de trois coups de canon, six colonnes ennemies, précédées chacune de cinquante bouches à feu, se formèrent, et peu de momens après descendirent dans la plaine; elles se dirigèrent sur les redoutes. En moins d'un quart-d'heure la canonnade devint terrible. Le feu d'une redoute étant éteint, les assiégeans l'avaient tournée et faisaient des efforts au pied de la palanque des faubourgs, où un bon nombre trouvèrent la mort.
Il était près de cinq heures: une partie des réserves du quatorzième corps était engagée. Quelques obus tombaient dans la ville; le moment paraissait pressant. L'empereur ordonna au roi de Naples de se porter avec le corps de cavalerie du général Latour-Maubourg sur le flanc droit de l'ennemi, et au duc de Trévise de se porter sur le flanc gauche. Les quatre divisions de la jeune garde, commandées par les généraux Dumoutier, Barrois, Decouz et Roguet, débouchèrent alors, deux par la porte de Pirna et deux par la porte de Plauen. Le prince de la Moskwa déboucha à la tête de la division Barrois. Ces divisions culbutèrent tout devant elles; le feu s'éloigna sur-le-champ du centre à la circonférence, et bientôt fut rejeté sur les collines. Le champ de bataille resta couvert de morts, de canons et de débris. Le général Dumoutier est blessé, ainsi que les généraux Boyeldieu, Tindal et Combelles. L'officier d'ordonnance Béranger est blessé à mort; c'était un jeune homme d'espérance. Le général Gros, de la garde, s'est jeté le premier dans le fossé d'une redoute où les sapeurs ennemis travaillaient déjà à couper des palissades: il est blessé d'un coup de baïonnette.
La nuit devint obscure et le feu cessa, l'ennemi ayant échoué dans son attaque et laissé plus de deux mille prisonniers sur le champ de bataille, couvert de blessés et de morts.
Le 27, le temps était affreux; la pluie tombait par torrens. Le soldat avait passé la nuit dans la boue et dans l'eau. A neuf heures du matin, l'on vit distinctement l'ennemi prolonger sa gauche et couvrir les collines qui étaient séparées de son centre par le vallon de Plauen.
Le roi de Naples partit avec le corps du duc de Bellune et les divisions de cuirassiers, et déboucha sur la route de Freyberg pour attaquer cette gauche. Il le fit avec le plus grand succès. Les six divisions qui composaient cette aile furent culbutées et éparpillées. La moitié, avec les drapeaux et les canons, fut faite prisonnière, et dans le nombre se trouvent plusieurs généraux.
Au centre, une vive canonnade soutenait l'attention de l'ennemi, et des colonnes se montraient prêtes à l'attaquer sur la gauche.
Le duc de Trévise, avec le général Nansouty, manoeuvrait dans la plaine, la gauche à la rivière et la droite aux collines.
Le maréchal Saint-Cyr liait notre gauche au centre, qui était formé par le corps du duc de Raguse.
Sur les deux heures après midi, l'ennemi se décida à la retraite, il avait perdu sa grande communication de Bohême par sa gauche et par sa droite.
Les résultats de cette journée sont vingt-cinq à trente mille prisonniers, quarante drapeaux et soixante pièces de canon.
On peut compter que l'ennemi a soixante mille hommes de moins. Notre perte se monte, en blessés, tués ou pris, à quatre mille hommes.
La cavalerie s'est couverte de gloire. L'état-major de la cavalerie fera connaître les détails et ceux qui se sont distingués.
La jeune garde a mérité les éloges de toute l'armée. La vieille garde a eu deux bataillons engagés; ses autres bataillons étaient dans la ville, disponibles en réserve. Les deux bataillons qui ont donné ont tout culbuté à l'arme blanche.
La ville de Dresde a été épouvantée et a couru de grands dangers.
La conduite des habitans a été ce qu'on devait attendre
d'un peuple allié. Le roi de Saxe et sa famille sont restés à
Dresde, et ont donné l'exemple de la confiance.
Le 30 août 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le 28, le 29 et le 30, nous avons poursuivi nos succès. Les généraux Gustex, Doumerc et d'Audenarde, du corps du général Latour-Maubourg, ont pris plus de mille caissons ou voitures de munitions, et ramassé beaucoup de prisonniers. Les villages sont pleins de blessés ennemis; on en compte plus de dix mille.
L'ennemi a perdu, suivant les rapports des prisonniers, huit généraux tués ou blessés.
Le duc de Raguse a eu plusieurs affaires d'avant-garde qui attestent l'intrépidité de ses troupes.
Le général Vandamme, commandant le premier corps, a débouché le 25 par Koenigstein, et s'est emparé, le 26, du camp de Pirna, de la ville et de Hohendorf. Il a intercepté la grande communication de Prague à Dresde. Le duc de Wurtemberg, avec quinze mille Russes, avait été chargé d'observer ce débouché. Le 28, le général Vandamme l'a attaqué, battu, lui a fait deux mille prisonniers, lui a pris six pièces de canon, et l'a poussé en Bohême. Le prince de Reuss, général de brigade, officier de mérite, a été tué.
Dans la journée du 29, le général Vandamme s'est placé sur les hauteurs de la Bohême, et s'y est établi. Il fait battre le pays par des coureurs et des partis, pour avoir des nouvelles de l'ennemi, l'inquiéter et s'emparer de ses magasins.
Le prince d'Eckmülh était, le 24, à Schwerin. Il n'avait encore eu aucune affaire majeure. Les Danois s'étaient distingués dans plusieurs petites affaires.
Ce début de la campagne est des plus brillans, et fait concevoir de grandes espérances. La qualité de notre infanterie est de beaucoup supérieure à celle de l'ennemi.
Le 1er septembre 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le 28 août, le roi de Naples a couché à Freyberg avec le duc de Bellune; le 29, à Lichtenberg; le 30, à Zetau; le 31, à Seyda.
Le duc de Raguse, avec le sixième corps, a couché le 28, à Dippoldiswalda, où l'ennemi a abandonné douze cents blessés; le 29, à Falkenhain; le 30, à Altenberg, et le 31, à Zinnwald.
Le quatorzième corps, sous les ordres du maréchal Saint-Cyr, était le 28 à Maxen; le 29, à Reinhards-Grimma; le 30, à Dittersdorff, et le 31, à Liebenau.
Le premier corps, sous les ordres du général Vandamme, était le 28 à Hollendorff, et le 29, à Peterswalde, occupant les montagnes.
Le duc de Trévise était en position, le 28 et le 29, à Pirna.
Le général Pajol, commandant la cavalerie du quatorzième corps, a fait des prisonniers.
L'ennemi se retira dans la position de Dippoldiswalda et Altenberg. Sa gauche suivit la route de Plauen, et se replia par Tharandt sur Dippoldiswalda, ne pouvant faire sa retraite par la route de Freyberg. Sa droite ne pouvant se retirer par la chaussée de Pirna, ni par celle de Dohna, se retira sur Maxen, et de là sur Dippoldiswalda. Tout ce qui était en partisan et détaché de Meissen, se trouva coupé. Les bagages russes, prussiens, autrichiens, s'étaient entassés sur la chaussée de Freyberg; on y prit plusieurs milliers de voitures.
Arrivé à Altenberg, où le chemin de Toeplitz à Dippoldiswalda devient impraticable, l'ennemi prit le parti de laisser plus de mille voitures de munitions et de bagages. Cette grande armée rentra en Bohême après avoir perdu partie de son artillerie et de ses bagages.
Le 29, le général Vandamme passa avec huit ou dix bataillons le col de la grande chaîne et se porta sur Kulm: il y rencontra l'ennemi, fort de huit à dix mille hommes; il s'engagea: ne se trouvant plus assez fort, il fit descendre tout son corps d'armée: il eut bientôt culbuté l'ennemi. Au lieu de rentrer et de se replacer sur la hauteur, il resta et prit position à Kulm, sans garder la montagne; cette montagne commande la seule chaussée; elle est haute. Ce n'était que le 30 au soir que le maréchal Saint-Cyr et le duc de Raguse arrivaient au débouché de Toeplitz. Le général Vandamme ne pensa qu'au résultat de barrer le chemin de l'ennemi, et de tout prendre. A une armée qui fuit, il faut faire un pont d'or, ou opposer une barrière d'acier: il n'était pas assez fort pour former cette barrière d'acier.
Cependant l'ennemi voyant que ce corps d'armée de dix-huit mille hommes, était seul en Bohème, séparé par de hautes montagnes, et que tout le reste était encore au pied en-deçà des monts, se vit perdu s'il ne le culbutait. Il conçut l'espoir de l'attaquer avec succès, sa position étant mauvaise. Les gardes russes étaient en tête de l'armée qui battait en retraite: on y joignit deux divisions autrichiennes fraîches; le reste de l'armée ennemie s'y réunit à mesure qu'elle débouchait, suivie par les deuxième, sixième et quatorzième corps. Ces troupes débordèrent le premier corps. Le général Vandamme fit bonne contenance, repoussa toutes les attaques, enfonça tout ce qui se présentait, et couvrit de morts le champ de bataille. Le désordre gagna l'armée ennemie, et l'on voyait avec admiration ce que peut un petit nombre de braves contre une multitude dont le moral est affaibli.
A deux heures après-midi, la colonne prussienne du général Kleist, coupée dans sa retraite, déboucha par Peterswalde pour tâcher de pénétrer en Bohême; elle ne rencontra aucun ennemi, arriva sur le haut de la montagne sans résistance, s'y plaça, et là, vit l'affaire qui était engagée. L'effet de cette colonne sur les derrières de l'armée, décida l'affaire.
Le général Vandamme se porta sur-le-champ contre cette colonne, qu'il repoussa: il fut obligé d'affaiblir sa ligne dans ce moment délicat. La chance tourna: il réussit cependant à culbuter la colonne du général Kleist, qui fut tué; les soldats prussiens jetaient leurs armes et se précipitaient dans les fossés et les bois. Dans cette bagarre, le général Vandamme a disparu; on le croit frappé à mort.
Les généraux Corbineau, Dumonceau et Philippon se déterminèrent à profiter du moment, et à se retirer partie par la grande route, et partie par d'es chemins de traverse, avec leur division, en abandonnant tout le matériel, qui consistait en trente pièces de canon et trois cents voitures de toute espèce, mais en ramenant tous les attelages. Dans la position où étaient les affaires, ils ne pouvaient pas prendre un meilleur parti. Les tués, blessés et prisonniers doivent porter notre perte dans cette affaire à six mille hommes. L'on croit que la perte de l'ennemi ne peut être moindre que de quatre à cinq mille hommes.
Le premier corps se rallia, à une lieue du champ de bataille, au quatorzième corps. On dresse l'état des pertes éprouvées dans cette catastrophe, due à une ardeur guerrière mal calculée.
Le général Vandamme mérite des regrets: il était d'une rare intrépidité. Il est mort sur le champ d'honneur, mort digne d'envie pour tout brave.
Le 2 septembre 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le 21 août, l'armée russe, prussienne et autrichienne, commandée par l'empereur Alexandre et le roi de Prusse, était entrée en Saxe, et s'était portée le 22 sur Dresde, forte de cent quatre-vingt à deux cent mille hommes, ayant un matériel immense, et pleine de l'espérance non-seulement de nous chasser de la rive droite de l'Elbe, mais encore de se porter sur le Rhin, et de nourrir la guerre entre le Rhin et l'Elbe. En cinq jours de temps, elle a vu ses espérances confondues: trente mille prisonniers, dix mille blessés tombés en notre pouvoir, ce qui fait quarante mille; vingt mille tués ou blessés, et autant de malades par l'effet de la fatigue et du défaut de vivres (elle a été cinq à six jours sans pain), l'ont affaiblie de près de quatre-vingt mille-hommes.
Elle ne compte pas aujourd'hui cent mille hommes sous les armes; elle a perdu plus de cent pièces canon, des parcs entiers, quinze cents charrettes de munitions d'artillerie, qu'elle a fait sauter ou qui sont tombées en notre pouvoir; plus de trois mille voitures de bagages, qu'elle a brûlées ou que nous avons prises. On avait quarante drapeaux ou étendards. Parmi les prisonniers, il y a quatre mille Russes. L'ardeur de l'armée française et le courage de l'infanterie fixent l'attention.
Le premier coup de canon tiré des batteries de la garde impériale dans la journée du 27 août, a blessé mortellement le général Moreau qui était revenu d'Amérique pour prendre du service en Russie.
Le 6 septembre au soir.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le 2 septembre, l'empereur a passé, à Dresde, la revue du premier corps, et en a conféré le commandement au comte de Lobau. Ce corps se compose des trois divisions Dumonceau, Philippon et Teste. Ce corps a moins perdu qu'on ne l'avait cru d'abord, beaucoup d'hommes étant rentrés.
Le général Vandamme n'a pas été tué; il a été fait prisonnier. Le général du génie Haxo, qui avait été envoyé en mission auprès du général Vandamme, se trouvant dans ce moment avec ce général, a été fait également prisonnier. L'élite de la garde russe a été tuée dans cette affaire.
Le 3, l'empereur a été coucher au château de Harta, sur la route de Silésie; et le 4, au village de Hochkirch (au-delà de Bautzen). Depuis le départ de S. M. de Loevenberg, des événemens importans s'étaient passés en Silésie.
Le duc de Tarente, à qui l'empereur avait laissé le commandement de l'armée de Silésie, avait fait de bonnes dispositions pour poursuivre les alliés, et les chasser de Jauer: l'ennemi était poussé de toutes ses positions; ses colonnes étaient en pleine retraite: le 26, le duc de Tarente avait pris toutes ses mesures pour le faire tourner; mais dans la nuit du 26 au 27, le Bober et tous les torrens qui y affluent débordèrent; en moins de sept à huit heures, les chemins furent couverts de trois à quatre pieds d'eau et tous les ponts emportés. Nos colonnes se trouvèrent isolées entre elles. Celle qui devait tourner l'ennemi ne put arriver. Les alliés s'aperçurent bientôt de ce changement de circonstances.
Le duc de Tarente employa les journées du 28 et du 29 à réunir ses colonnes séparées par l'inondation. Elles parvinrent à regagner Bunzlau, où se trouvait le seul pont qui n'eût pas été emporté par les eaux du Bober. Mais une brigade de la division Puthod ne put pas y arriver. Au lieu de chercher à se jeter du côté des montagnes, le général voulut revenir sur Loewenberg. Là, se trouvant entouré d'ennemis et la rivière à dos, après s'être défendu de tous ses moyens, il a dû céder au nombre. Tout ce qui savait nager dans ses deux régimens se sauva; on en compte environ sept à huit cents: le reste fut pris.
L'ennemi nous a fait dans ces différentes affaires trois à quatre mille prisonniers, et nous a pris deux aigles de deux régimens, avec les canons de la brigade.
Après ces circonstances qui avaient fatigué l'armée, elle repassa successivement le Bober, la Queiss et la Neiss. L'empereur la trouva le 4 sur les hauteurs de Hochkirch. Il fit, le soir même, réattaquer l'ennemi, le fit débusquer des hauteurs du Wohlenberg, et le poursuivit pendant toute la journée du 5, l'épée dans les reins, jusqu'à Goerlitz. Le général Sébastiani exécuta des charges de cavalerie a Reichenbach, et fit des prisonniers.
L'ennemi repassa en toute hâte la Neiss et la Queiss, et notre armée prit position sur les hauteurs de Goerlitz, au-delà de la Neiss.
Le 6, à sept heures du soir, l'empereur était de retour à Dresde.
Le conseil de guerre du troisième corps d'armée a condamné à la peine de mort le général de brigade Jomini, chef d'état-major de ce corps, qui, du quartier-général de Liegnitz, a déserté à l'ennemi au moment de la rupture de l'armistice.
Le 7 septembre 1813
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le duc de Reggio, avec les douzième, septième et quatrième corps, s'est porté le 23 août sur Berlin. Il a fait attaquer le village de Trebbin, défendu par l'armée ennemie, et l'a forcé. Il a continué son mouvement.
Le 24 août, le septième corps n'ayant pas réussi dans le combat de Gross-Beeren, le duc de Reggio s'est reporté sur Wittemberg.
Le 3 septembre, le prince de la Moskwa a pris le commandement de l'armée, et s'est porté sur Interbock. Le 5, il a attaqué et battu le général Tauensien; mais le 6, il a été attaqué en marche par l'armée ennemie, commandée par le général Bulow. Des charges de cavalerie sur ses derrières ont mis le désordre dans ses parcs. Il a dû se retirer sur Torgau. Il a perdu huit mille hommes tués, blessés ou prisonniers, et douze pièces de canon. La perte de l'ennemi doit avoir été aussi très forte.
Le 11 septembre 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
La grande armée ennemie, battue à Dresde, s'était réfugiée en Bohême. Instruits que l'empereur s'était porté en Silésie, les alliés ont réuni un corps de quatre-vingt mille hommes, composé de Russes, de Prussiens et d'Autrichiens, et se sont portés, le 5, sur Hottendorf; le 6, sur Gieshubel, et le 7, sur Pirna.
Le 9, l'armée française marcha sur Borna et Furstenwalde. Le quartier-général de l'empereur fut à Liebstadt.
Le 10, le maréchal Saint-Cyr se porta du village de Furstenwalde sur le Geyersberg, qui domine la plaine de la Bohême. Le général Bonnet, avec la quarante-troisième division, descendit dans la plaine près de Toeplitz. L'on aperçut l'armée ennemie qui cherchait à se rallier après avoir rappelé tous ses détachemens de la Saxe. Si le débouché du Geyersberg avait été praticable pour l'artillerie, cette armée aurait été attaquée en flanc pendant sa marche; mais tous les efforts faits pour descendre du canon furent inutiles.
Le général Ornano déboucha sur les hauteurs de Peterswalde, pendant que le général Dumonceau y arrivait par Hollendorff.
Nous avons fait quelques centaines de prisonniers, dont plusieurs officiers. L'ennemi a constamment évité la bataille, et s'est retiré précipitamment dans toutes les directions.
Le 11, l'empereur est retourné à Dresde.
Le 13 septembre 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le quartier-général de l'empereur était à Dresde.
Le duc de Tarente, avec les cinquième, onzième et troisième corps, s'était placé sur la rive gauche de la Sprée. Le prince Poniatowski, avec le huitième corps, était à Stolpen. Toutes ces forces étaient ainsi concentrées à une journée de Dresde, sur la rive droite de l'Elbe.
Le comte de Lobau, avec le premier corps, était à Hollendorff, en avant de Peterswalde; le duc de Trévise, à Pirna; le maréchal Saint-Cyr, sur les hauteurs de Borna, occupant les débouchés de Furstenwalde et du Geyersberg; le duc de Bellune, à Altenberg.
Le prince de la Moskwa était à Torgau avec les quatrième, septième et douzième corps.
Le duc de Raguse et le roi de Naples, avec la cavalerie du général Latour-Maubourg, se portaient sur Grossen-Hayn.
Le prince d'Eckmülh était sur Ratzeburg.
L'armée ennemie de Silésie était sur la droite de la Sprée. Celle de la Bohême était: les Russes et les Prussiens, dans la plaine de Toeplitz, et un corps autrichien à Marienberg. L'armée ennemie de Berlin était à Interbock.
Le général français Margaron, avec un corps d'observation, occupait Leipsick.
Le château de Sonnenstein, au-dessus de Pirna, avait été occupé, fortifié et armé.
S. M. avait donné le commandement de Torgau au comte de Narbonne.
Les quatre régimens des gardes-d'honneur avaient été attachés, le premier, aux chasseurs à cheval de la garde; le deuxième, aux dragons; le troisième, aux grenadiers à cheval; et le quatrième, au premier régiment de lanciers. Ces régimens de la garde leur fournissaient des instructeurs, et toutes les fois qu'on marchait au combat, y joignaient de vieux soldats pour renforcer leurs cadres et les guider. Un escadron de chaque régiment des gardes-d'honneur était toujours de service auprès de l'empereur, avec l'escadron que fournit chaque régiment de la garde; ce qui portait à huit le nombre des escadrons de service.
Le 17 septembre 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le 14, l'ennemi déboucha de Toeplitz sur Nollendorf, et menaça de tourner la division Dumonceau, qui était sur la hauteur. Cette division se retira en bon ordre sur Gushabel, où le comte de Lobau réunit son corps. L'ennemi ayant voulu attaquer le camp de Gushabel, fut repoussé et perdit beaucoup de monde.
Le 15, l'empereur partit de Dresde, et se porta au camp de Pirna. Il dirigea le général Mouton-Duvernet, commandant la quarante-deuxième division, par les villages de Langenhenersdorf et de Bera, tournant ainsi la droite de l'ennemi. En même temps, le comte de Lobau l'attaqua de front. L'ennemi fut mené l'épée dans les reins tout le reste de la journée.
Le 16, il occupait encore les hauteurs au-delà de Peterswalde. A midi, on se mit à sa poursuite, et il fut délogé de sa position. Le général Ornano fit faire de belles charges à sa division de cavalerie de la garde et à la brigade de chevau-légers polonais du prince Poniatowski. L'ennemi fut poussé et jeté en Bohême dans le plus grand désordre. Il a fait sa retraite avec tant d'activité, qu'on n'a pu lui prendre que quelques prisonniers, parmi lesquels se trouve le général Blucher, commandant l'avant-garde, et fils du général en chef prussien Blucher.
Notre perte a été peu considérable.
Le 16, l'empereur a couché à Péterswalde, et le 17, S. M. était de retour à Pirna.
Thielmann, général transfuge du service de Saxe, avec un corps de partisans et de transfuges, s'est porté sur la Saale. Un colonel autrichien s'est aussi porté en partisan sur Colditz.
Les généraux Margaron, Lefèvre-Desnouettes et Piré se sont mis avec des colonnes de cavalerie et d'infanterie à la poursuite de ces partis, espérant en avoir bon compte.
Le 19 septembre 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente
Le 17, à deux heures après-midi, l'empereur est monté à cheval, et au lieu de se rendre à Pirna, est allé aux avant-postes. Ayant aperçu que l'ennemi avait fait une grande quantité d'abattis pour défendre la descente de la montagne, S. M. le fit attaquer par le général Duvernet, qui, avec la quarante-deuxième division, s'empara du village d'Abessau et repoussa l'ennemi dans la plaine de Toeplitz. Il était chargé de manoeuvrer de manière à bien reconnaître la position de l'ennemi, et à l'obliger de démasquer ses forces. Ce général réussit parfaitement à exécuter ses instructions. Il s'engagea une vive canonnade hors de portée, et qui fit peu de mal; mais une batterie autrichienne de 24 pièces ayant quitté sa position pour se rapprocher de la division Duvernet, le général Ornano l'a fait charger par les lanciers rouges de la garde: ils ont enlevé ces vingt-quatre pièces, et sabré tous les canonniers, mais on n'a pu ramener que les chevaux, deux pièces de canon et un avant-train.
Le 18, le comte de Lobau était resté dans la même position, occupant le village d'Arbessau et tous les débouchés de la plaine. A quatre heures après-midi, l'ennemi envoya une division pour tâcher de surprendre la hauteur au village de Keinitz. Cette division fut repoussée l'épée dans les reins, et mitraillée pendant une heure.
Le 18, à neuf heures du soir, S. M. est arrivée à Pirna, et le 19, le comte de Lobau a repris ses positions en avant de Nollendorf et au camp de Gushabel.
La pluie tombait par torrent.
Le prince de Neufchâtel est un peu incommodé d'un accès de fièvre.
S. M. se porte très-bien.
Le 26 septembre 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
L'empereur a passé les journées du 19 et du 20 à Pirna, S. M. y a fait jeter un pont, et établir une tête de pont sur la rive droite.
Le 21, l'empereur est venu coucher à Dresde, et le 22, il s'est porté à Hartau: il a sur-le-champ fait déboucher au-delà de la forêt de Bischoffswerda, le onzième corps, commandé par le duc de Tarente, le cinquième corps, commandé par le général Lauriston, et le troisième corps, commandé par le général Souham.
L'armée ennemie de Silésie qui s'était portée, la droite, commandée par Sacken, sur Kamenz, la gauche, commandée par Langeron, sur Neustadt aux débouchés de Bohême, et le centre, commandé par Yorck, sur Bischoffswerda, se mit sur le champ en retraite de tous côtés. Le général Gérard, commandant notre avant-garde, la poussa vivement, et lui fit quelques prisonniers. L'ennemi fut mené battant jusqu'à la Sprée. Le général Lauriston entra dans Neustadt.
L'ennemi refusant ainsi la bataille, l'empereur est revenu le 24 à Dresde, et a ordonné au duc de Tarente de prendre position sur les hauteurs de Weissig.
Le huitième corps, commandé par le prince Poniatowski, a repassé sur la rive gauche.
Le comte de Lobau, avec le premier corps, occupe toujours Gushabel.
Le maréchal Saint-Cyr occupe Pirna et la position de Borna.
Le duc de Bellune occupe la position de Freyberg.
Le duc de Raguse, avec le sixième corps et la cavalerie du général Latour-Maubourg, était au-delà de Grossenhayn. Il avait repoussé l'ennemi sur la rive droite au-delà de Torgau, pour faciliter le passage d'un convoi de vingt mille quintaux de farine qui remontait l'Elbe sur des bateaux, et qui est arrivé à Dresde.
Le duc de Padoue est à Leipsick; le prince de la Moskwa entre Wittenberg et Torgau.
Le général comte Lefèvre-Desnouettes était, avec quatre mille chevaux, à la suite du transfuge Thielmann. Ce Thielmann est Saxon, et comblé des bienfaits du roi. Pour prix de tant de bienfaits, il s'est montré l'ennemi le plus irréconciliable de son roi et de son pays. A la tête de trois mille coureurs, partie Prussiens, partie cosaques et Autrichiens, il a pillé les haras du roi, levé partout des contributions à son profit, et traité ses compatriotes avec toute la haine d'un homme qui est tourmenté par le crime. Ce transfuge, décoré de l'uniforme de lieutenant-général russe, s'était porté à Naumbourg, où il n'y avait ni commandant ni garnison, mais où il avait surpris trois à quatre cents malades. Cependant le général Lefèvre-Desnouettes l'avait rencontré à Freybourg le 19, lui avait repris les trois ou quatre cents malades que ce misérable avait arrachés de leurs lits pour s'en faire un trophée; lui avait fait quelques centaines de prisonniers, pris quelques bagages, et repris quelques voitures dont il s'était emparé. Thielmann s'était alors réfugié sur Zeitz, où le colonel Munsdorff, partisan autrichien qui parcourait le pays, s'était réuni à lui: le général comte Lefèvre-Desnouettes les a attaqués le 24, à Altenbourg, les a rejetés en Bohême, leur a tué beaucoup de monde, entre autres un prince de Hohenzollernn et un colonel.
La marche de Thielmann avait apporté quelques retards dans les communications d'Erfurth et de Leipsick.
L'armée ennemie de Berlin paraissait faire des préparatifs pour jeter un pont à Dessau.
Le prince de Neufchâtel est malade d'une fièvre bilieuse; il garde le lit depuis plusieurs jours.
S. M. ne s'est jamais mieux portée.
Le 29 septembre 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
L'empereur a donné le commandement d'un corps de la jeune garde au duc de Reggio.
Le duc de Castiglione s'est mis en marche avec son corps pour venir prendre position sur les débouchés de la Saale.
Le prince Poniatowski s'est porté avec son corps sur Penig.
Le général comte Bertrand a attaqué, le 26, le corps de l'armée ennemie de Berlin qui couvrait le pont jeté sur Wartenbourg, l'a forcé, lui a fait des prisonniers, et l'a mené battant jusque sur la tête de pont. L'ennemi a évacué la rive gauche et a coupé son pont. Le général Bertrand a sur-le-champ fait détruire la tête de pont.
Le prince de la Moskwa s'est porté sur Oranienbaum, et le septième corps sur Dessau. Une division suédoise qui était à Dessau s'est empressée de repasser sur la rive droite. L'ennemi a été également obligé de couper son pont, et on a rasé sa tête de pont.
L'ennemi a jeté des obus sur Wittenberg par la rive droite.
Dans la journée du 28, l'empereur a passé la revue du deuxième corps de cavalerie sur les hauteurs de Weissig.
Le mois de septembre a été très-mauvais, très-pluvieux, contre l'ordinaire de ce pays. On espère que le mois d'octobre sera meilleur.
La fièvre bilieuse du prince de Neufchâtel a cessé: le prince est en convalescence.
Le 4 octobre 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le général comte Lefèvre-Desnouettes a été attaqué le 28 septembre, à sept heures du matin, à Altenbourg par dix mille hommes de cavalerie et trois mille hommes d'infanterie. Il a fait sa retraite devant des forces aussi supérieures; il a opéré de belles charges, et a fait beaucoup de mal à l'ennemi. Il a perdu trois cents hommes de son infanterie; il est arrivé sur la Saale. L'ennemi était commandé par l'hetman Platow et le général Thielmann. Le prince Poniatowski s'est porté le 2 sur Altenbourg, par Nossan, Waldheim et Colditz. Il a culbuté l'ennemi, lui a fait plus de quatre cents prisonniers et l'a chassé en Bohême.
Le 27, le prince de la Moskwa s'est emparé de Dessau, qu'occupait une division, et a rejeté cette division sur sa tête de pont. Le lendemain, les Suédois sont arrivés pour reprendre la ville. Le général Guilleminot les a laissés avancer à portée de mitraille, a démasqué alors ses batteries, et les a repoussés en leur faisant beaucoup de mal.
Le 3 octobre, l'armée ennemie de Silésie s'est portée par Koenigsbruck et Elterswerda, sur Elster, a jeté un pont au coude que forme l'Elbe à Wartembourg, et a passé le fleuve. Le général Bertrand était placé sur l'isthme, dans une fort belle position, environnée de digues et de marais. Depuis neuf heures du matin, jusqu'à cinq heures du soir, l'ennemi a faits sept attaques et a toujours été repoussé. Il a laissé six mille morts sur le champ de bataille; notre perte a été de cinq cents hommes tués ou blessés. Cette grande différence est due à la bonne position que les divisions Morand et Fontanelli occupaient. Le soir, le général Bertrand voyant déboucher de nouvelles forces, jugea devoir opérer sa retraite, et prit position sur la Mulde avec le prince de la Moskwa.
Le 4 le prince de la Moskwa était sur la rive gauche de la Mulde à Dalitzch. Le duc de Raguse et le corps de cavalerie du général Latour-Maubourg étaient à Eulenbourg, le troisième corps était sur Torgau.
Deux cent cinquante partisans commandés par un général-major russe, se sont portés sur Mulhausen, et apprenant que Cassel était dégarni de troupes, ils ont tenté une surprise sur les portes de Cassel. Ils ont été repoussés; mais le lendemain les troupes westphaliennes s'étant dissoutes, les partisans entrèrent dans Cassel, ils livrèrent au pillage tout ce qui leur tomba sous la main, et peu de jours après en sortirent. Le roi de Westphalie s'était retiré sur le Rhin.
Paris, 7 octobre 1813.
Discours de l'impératrice au sénat2.
«Sénateurs,
»Les principales puissances de l'Europe, révoltées des prétentions de l'Angleterre, avaient, l'année dernière, réuni leurs armées aux nôtres pour obtenir la paix du monde et le rétablissement des droits de tous les peuples. Aux premières chances de la guerre, des passions assoupies se réveillèrent. L'Angleterre et la Russie ont entraîné la Prusse et l'Autriche dans leur cause. Nos ennemis veulent détruire nos alliés, pour les punir de leur fidélité. Ils veulent porter la guerre au sein de notre belle patrie, pour se venger des triomphes qui ont conduit nos aigles victorieuses au milieu de leurs états. Je connais, mieux que personne, ce que nos peuples auraient à redouter, s'ils se laissaient jamais vaincre.
Avant de monter sur le trône où m'ont appelée le choix de mon auguste époux et la volonté de mon père, j'avais la plus grande opinion du courage et de l'énergie de ce grand peuple. Cette opinion s'est accrue tous les jours par tout ce que j'ai vu se passer sous mes yeux. Associée depuis quatre ans aux pensées les plus intimes de mon époux, je sais de quels sentimens il serait agité sur un trône flétri et sous une couronne sans gloire.
«Français! votre empereur, la patrie et l'honneur vous appellent!»
Le 15 octobre 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le 7, l'empereur est parti de Dresde. Le 8, il a couché à Wurzen; le 9, à Eulenbourg, et le 10, à Duben.
L'armée ennemie de Silésie, qui se portait sur Wurzen, a sur-le-champ battu en retraite et repassé sur la rive gauche de la Mulde; elle a eu quelques engagemens où nous lui avons fait des prisonniers et pris plusieurs centaines de voitures de bagages.
Le général Reynier s'est porté sur Wittenberg, a passé l'Elbe, a marché sur Roslau, a tourné le pont de Dessau, s'en est emparé, s'est ensuite porté sur Aken et s'est emparé du pont. Le général Bertrand s'est porté sur les ponts de Wartenbourg et s'en est emparé. Le prince de la Moskwa s'est porté sur la ville de Dessau; il a rencontré une division prussienne; le général Delmas l'a culbutée, et lui a pris trois mille hommes et six pièces de canon.
Plusieurs courriers du cabinet, entr'autres le sieur Kraft, avec des dépêches de haute importance, ont été pris.
Après s'être ainsi emparé de tous les ponts de l'ennemi, le projet de l'empereur était de passer l'Elbe, de manoeuvrer sur la rive droite, depuis Hambourg jusqu'à Dresde; de menacer Potsdam et Berlin, et de prendre pour centre d'opération Magdebourg, qui, dans ce dessein, avait été approvisionné en munitions de guerre et de bouche. Mais le 13, l'empereur apprit à Deiben que l'armée bavaroise était réunie à l'armée autrichienne et menaçait le Bas-Rhin. Cette inconcevable défection fit prévoir la défection d'autres princes, et fit prendre à l'empereur le parti de retourner sur le Rhin; changement fâcheux, puisque tout avait été préparé pour opérer sur Magdebourg; mais il aurait fallu rester séparé et sans communication avec la France pendant un mois; ce n'avait pas d'inconvénient au moment où l'empereur avait arrêté ses projets; il n'en était plus de même lorsque l'Autriche allait se trouver avoir deux nouvelles armées disponibles: l'armée bavaroise et l'armée opposée à la Bavière. L'empereur changea donc avec ces circonstances imprévues, et porta son quartier-général à Leipsick.
Cependant le roi de Naples, qui était resté en observation à Freyberg, avait reçu le 7 l'ordre de faire un changement de front, et de se porter sur Gernig et Frohbourg, opérant sur Wurzen et Vittenberg. Une division autrichienne, qui occupait Angustusbourg, rendant difficile ce mouvement, le roi reçut l'ordre de l'attaquer, la défit, lui prit plusieurs bataillons, et après cela opéra sa conversion à droite. Cependant la droite de l'armée ennemie de Bohème, composée du corps russe de Wittgenstein, s'était portée sur Altenbourg, à la nouvelle du changement de front du roi de Naples. Elle se porta sur Frohbourg, et ensuite par la gauche sur Borna, se plaçant entre le roi de Naples et Leipsick. Le roi n'hésita pas sur la manoeuvre qu'il devait faire; il fit volte face, marcha sur l'ennemi, le culbuta, lui prit neuf pièces de canon, un millier de prisonniers, et le jeta au-delà de l'Elster, après lui avoir fait éprouver une perte de quatre à cinq mille hommes. Le 15, la position de l'armée était la suivante:
Le quartier-général de l'empereur était à Reidnitz, à une demi-lieue de Leipsick.
Le quatrième corps, commandé par le général Bertrand, était au village de Lindenau.
Le sixième corps était à Libenthal.
Le roi de Naples, avec les deuxième, huitième et cinquième corps, avait sa droite à Doelitz et sa gauche à Liberwolkowitz.
Les troisième et septième corps étaient en marche d'Eulenbourg pour flanquer le sixième corps.
La grande armée autrichienne de Bohême avait le corps de Giulay vis-à-vis Lindenau; un corps à Zwenckau, et le reste de l'armée, la gauche appuyée à Grobern, et la droite à Neuendorf.
Les ponts de Wurzen et d'Eulenbourg sur la Mulde, et la position de Taucha sur la Partha, étaient occupés par nos troupes. Tout annonçait une grande bataille.
Le résultat de nos divers mouvemens dans ces six jours, a été cinq mille prisonniers, plusieurs pièces de canon, et beaucoup de mal fait à l'ennemi. Le prince Poniatowski s'est dans ces circonstances couvert de gloire.
Le 16 octobre au soir.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le 15, le prince de Schwartzenberg, commandant l'armée ennemie, annonça à l'ordre du jour, que le lendemain 16, il y aurait une bataille générale et décisive.
Effectivement le 16, à neuf heures du matin, la grande armée alliée déboucha sur nous. Elle opérait constamment pour s'étendre sur sa droite. On vit d'abord trois grosses colonnes se porter, l'une le long de la rivière de l'Elster, contre le village de Doelitz; la seconde contre le village de Wachau, et la troisième contre celui de Liberwolkowitz. Ces trois colonnes étaient précédées par deux cents pièces de canon.
L'empereur fit aussitôt ses dispositions.
A dix heures, la canonnade était des plus fortes, et à onze heures les deux armées étaient engagées aux villages de Doelitz, Wachau et Liberwolkowitz. Ces villages furent attaqués six à sept fois; l'ennemi fut constamment repoussé et couvrit les avenues de ses cadavres. Le comte Lauriston, avec le cinquième corps, défendait le village de gauche (Liberwolkowitz); le prince Poniatowski, avec ses braves Polonais, défendait le village de droite (Doelitz), et le duc de Bellune défendait Wachau.
A midi, la sixième attaque de l'ennemi avait été repoussée, nous étions maîtres des trois villages, et nous avions fait deux mille prisonniers.
A peu près au même moment, le duc de Tarente débouchait par Holzhausen, se portant sur une redoute de l'ennemi, que le général Charpentier enleva au pas de charge, en s'emparant de l'artillerie et faisant quelques prisonniers.
Le moment parut décisif.
L'empereur ordonna au duc de Reggio de se porter sur Wachau avec deux divisions de la jeune garde. Il ordonna également au duc de Trévise de se porter sur Liberwolkowitz avec deux autres divisions de la jeune garde, et de s'emparer d'un grand bois qui est sur la gauche du village. En même temps, il fit avancer sur le centre une batterie de cent cinquante pièces de canon, que dirigea le général Drouot.
L'ensemble de ces dispositions eut le succès qu'on en attendait. L'artillerie ennemie s'éloigna. L'ennemi se retira, et le champ de bataille nous resta en entier.
Il était trois heures après midi. Toutes les troupes de l'ennemi avaient été engagées. Il eut recours à sa réserve. Le comte de Merfeld qui commandait en chef la réserve autrichienne, releva avec six divisions toutes les troupes sur toutes les attaques, et la garde impériale russe, qui formait la réserve de l'armée russe, les releva au centre.
La cavalerie de la garde russe et les cuirassiers autrichiens se précipitèrent par leur gauche sur notre droite, s'emparèrent de Doelitz et vinrent caracoler autour des carrés du duc de Bellune.
Le roi de Naples marcha avec les cuirassiers de Latour-Maubourg, et chargea la cavalerie ennemie par la gauche de Wachau, dans le temps que la cavalerie polonaise et les dragons de la garde, commandés par le général Letort, chargeaient par la droite. La cavalerie ennemie fut défaite; deux régimens entiers restèrent sur le champ de bataille. Le général Letort fit trois cents prisonniers russes et autrichiens. Le général Latour-Maubourg prit quelques centaines d'hommes de la garde russe.
L'empereur fit sur-le-champ avancer la division Curial de la garde, pour renforcer le prince Poniatowski. Le général Curial se porta au village de Doelitz, l'attaqua à la baïonnette, le prit sans coup férir, et fit douze cents prisonniers, parmi lesquels s'est trouvé le général en chef Merfeld.
Les affaires ainsi rétablis à notre droite, l'ennemi se mit en retraite, et le champ de bataille ne nous fut pas disputé.
Les pièces de la réserve de la garde, que commandait le général Drouot, étaient avec les tirailleurs; la cavalerie ennemi vint les charger. Les canonniers rangèrent en carré leurs pièces, qu'ils avaient eu la précaution de charger à mitraille, et tirèrent avec tant d'agilité, qu'en un instant l'ennemi fut repoussé. Sur ces entrefaites, la cavalerie française s'avança pour soutenir ces batteries.
Le général Maison, commandant une division du cinquième corps, officier de la plus grande distinction, fut blessé. Le général Latour-Maubourg, commandant la cavalerie, eut la cuisse emportée d'un boulet. Notre perte, dans cette journée, a été de deux mille cinq cents hommes, tant tués que blessés. Ce n'est pas exagérer que de porter celle de l'ennemi à vingt-cinq mille hommes.
On ne saurait trop faire l'éloge de la conduite du comte Lauriston et du prince Poniatowski dans cette journée. Pour donner à ce dernier une preuve de sa satisfaction, l'empereur l'a nommé sur le champ de bataille maréchal de France, et a accordé un grand nombre de décorations aux régimens de son corps.
Le général Bertrand était en même temps attaqué au village de Lindenau par les généraux Giulay, Thielmann et Liechtenstein. On déploya de part et d'autre une cinquantaine de pièces de canon. Le combat dura six heures, sans que l'ennemi pût gagner un pouce de terrain. A cinq heures du soir, le général Bertrand décida la victoire en faisant une charge avec sa réserve, et non-seulement il rendit vains les projets de l'ennemi, qui voulait s'emparer des ponts de Lindenau et des faubourgs de Leipsick, mais encore il le contraignit à évacuer son champ de bataille.
Sur la droite de la Partha, à une lieue de Leipsick, et à peu près à quatre lieues du champ de bataille, où se trouvait l'empereur, le duc de Raguse fut engagé. Par une de ces circonstances fatales, qui influent souvent sur les affaires les plus importantes, le troisième corps, qui devait soutenir le duc de Raguse, n'entendant rien de ce côté, à dix heures du matin, et entendant au contraire une effroyable canonnade du côté où se trouvait l'empereur, crut bien faire de s'y porter, et perdit ainsi sa journée on marches. Le duc de Raguse, livré à ses propres forces, défendit Leipsick et soutint sa position pendant toute la journée, mais il éprouva des pertes qui n'ont point été compensées par celles qu'il a fait éprouver à l'ennemi, quelque grandes qu'elles fussent. Des bataillons de canonniers de la marine se sont faiblement comportés. Les généraux Compans et Frederichs ont été blessés. Le soir, le duc de Raguse, légèrement blessé lui-même, a été obligé de resserrer sa position sur la Partha. Il a dû abandonner dans ce mouvement plusieurs pièces démontées et plusieurs voitures.
Le 24 octobre 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
La bataille de Wachau avait déconcerté tous les projets de l'ennemi; mais son armée était tellement nombreuse, qu'il avait encore des ressources. Il rappela en toute hâte, dans la nuit, les corps qu'il avait laissés sur sa ligne d'opération et les divisions restées sur la Saale; et il pressa la marche du général Benigsen, gui arrivait avec quarante mille hommes.
Après le mouvement de retraite qu'il avait fait le 16 au soir et pendant la nuit, l'ennemi occupa une belle position à deux lieues en arrière. Il fallut employer la journée du 17 à le reconnaître et à bien déterminer le point d'attaque. Cette journée était d'ailleurs nécessaire pour faire venir les parcs de réserve et remplacer les quatre-vingt mille coups de canon qui avaient été consommés dans la bataille. L'ennemi eut donc le temps de rassembler ses troupes qu'il avait disséminées lorsqu'il se livrait à des projets chimériques, et de recevoir les renforts qu'il attendait.
Ayant eu avis de l'arrivée de ces renforts, et ayant reconnu que la position de l'ennemi était très-forte, l'empereur résolut de l'attirer sur un autre terrain. Le 18, à deux heures du matin, il se rapprocha de Leipsick de deux lieues, et plaça son armée, la droite à Connewitz, le centre à Probstheide, la gauche à Staetteritz, en se plaçant de sa personne au moulin de Ta. De son côté, le prince de la Moskwa avait placé ses troupes vis-à-vis l'armée de Silésie, sur la Partha; le sixième corps à Schoenfeld, et le troisième et le septième le long de la Partha à Neutsch et à Teckla. Le duc de Padoue avec le général Dombrowski, gardait la position et le faubourg de Leipsick, sur la route de Halle.
A trois heures du matin, l'empereur était au village de Lindenau. Il ordonna au général Bertrand de se porter sur Lutzen et Weissenfels, de balayer la plaine et de s'assurer des débouchés sur la Saale et de la communication avec Erfurt. Les troupes légères de l'ennemi se dispersèrent; et à midi, le général Bertrand était maître de Weissenfels et du pont sur la Saale.
Ayant ainsi assuré ses communications, l'empereur attendit de pied ferme l'ennemi.
A neuf heures, les coureurs annoncèrent qu'il marchait sur toute la ligne. A dix heures, la canonnade s'engagea.
Le prince Poniatowski et le général Lefol défendaient le pont de Connewitz. Le roi de Naples, avec le deuxième corps, était à Probstheide, et le duc de Tarente à Holzhausen.
Tous tes efforts de l'ennemi, pendant la journée, contre Connewitz et Probstheide, échouèrent. Le duc de Tarente fut débordé à Holzhausen. L'empereur ordonna qu'il se plaçât au village de Staetteritz. La canonnade fut terrible. Le duc de Castiglione qui défendait un bois sur le centre, s'y soutint toute la journée.
La vieille garde était rangée en réserve sur une élévation, formant quatre grosses colonnes dirigées sur les quatre principaux points d'attaque.
Le duc de Reggio fut envoyé pour soutenir le prince Poniatowski, et le duc de Trévise pour garder les débouchés de la ville de Leipsick.
Le succès de la bataille était dans le village de Probstheide. L'ennemi l'attaqua quatre fois avec des forces considérables, quatre fois il fut repoussé avec une grande perte.
A cinq heures du soir, l'empereur fit avancer ses réserves d'artillerie, et reploya tout le feu de l'ennemi, qui s'éloigna à une lieue du champ de bataille.
Pendant ce temps, l'armée de Silésie attaqua le faubourg de Halle. Ses attaques, renouvelées un grand nombre de fois dans la journée, échouèrent toutes. Elle essaya, avec la plus grande partie de ses forces, de passer la Partha à Schoenfeld et à Saint-Teekla. Trois fois elle parvint, à se placer sur la rive gauche, et trois fois le prince de la Moskwa la chassa et la culbuta à la baïonnette.
A trois heures après-midi, la victoire était pour nous de ce côté contre l'armée de Silésie, comme du côté où était l'empereur contre la grande armée. Mais en ce moment l'armée saxonne, infanterie, cavalerie et artillerie, et la cavalerie wurtembergeoise, passèrent toutes entières à l'ennemi. Il ne resta de l'armée saxonne que le général Zeschau, qui la commandait en chef, et cinq cents hommes. Cette trahison, non-seulement, mit le vide dans nos lignes, mais livra à l'ennemi le débouché important confié à l'armée saxonne, qui poussa l'infamie au point de tourner sur-le-champ ses quarante pièces de canon rentre la division Durutte. Un moment de désordre s'ensuivit; l'ennemi passa la Partha et marcha sur Reidnitz, dont il s'empara: il ne se trouvait plus qu'à une demi-lieue de Leipsick.
L'empereur envoya sa garde à cheval, commandée par le général Nansouty, avec vingt pièces d'artillerie, afin de prendre en flanc les troupes qui s'avançaient le long de la Partha pour attaquer Leipsick. Il se porta lui-même avec une division de la garde, au village de Reidnitz. La promptitude de ces mouvemens rétablit l'ordre, le village fut repris, et l'ennemi poussé fort loin.
Le champ de bataille resta en entier en notre pouvoir, et l'armée française resta victorieuse aux champs de Leipsick, comme elle l'avait été aux champs de Wachau.
A la nuit, le feu de nos canons avait, sur tous les points, repoussé à une lieue du champ de bataille le feu de l'ennemi.
Les généraux de division Vial et Rochambeau sont morts glorieusement. Notre perte dans cette journée peut s'évaluer à quatre mille tués ou blessés; celle de l'ennemi doit avoir été extrêmement considérable. Il ne nous a fait aucun prisonnier, et nous lui avons pris cinq cents hommes.
A six heures du soir, l'empereur ordonna les dispositions pour la journée du lendemain. Mais à sept heures, les généraux Sorbier et Dulauloy, commandant l'artillerie de l'armée et de la garde, vinrent à son bivouac lui rendre compte des consommations de la journée: on avait tiré quatre-vingt-quinze mille coups de canon: ils dirent que les réserves étaient épuisées, qu'il ne restait pas plus de seize mille coups de canon; que cela suffisait à peine pour entretenir le feu pendant deux heures, et qu'en suite on serait sans munitions pour les événemens ultérieurs; que l'armée, depuis cinq jours, avait tiré plus de deux cent vingt mille coups de canon, et qu'on ne pourrait se réapprovisionner qu'à Magdebourg ou à Erfurt.
Cet état de choses rendait nécessaire un prompt mouvement sur un de nos deux grands dépôts: l'empereur se décida pour Erfurt, par la même raison qui l'avait décidé à venir sur Leipsick, pour être à portée d'apprécier l'influence de la défection de la Bavière.
L'empereur donna sur-le-champ les ordres pour que les bagages, les parcs, l'artillerie, passassent les défilés de Lindenau; il donna le même ordre à la cavalerie et à différens corps d'armée; et il vint dans les faubourgs de Leipsick, à l'hôtel de Prusse, où il arriva à neuf heures du soir.
Cette circonstance obligea l'armée française à renoncer aux fruits des deux victoires où elle avait; avec tant de gloire, battu des troupes de beaucoup supérieures en nombre et les armées de tout le continent.
Mais ce mouvement n'était pas sans difficulté. De Leipsick à Lindenau, il y a un défilé de deux lieues, traversé par cinq ou six ponts. On proposa de mettre six mille hommes et soixante pièces de canon dans la ville de Leipsick, qui a des remparts, d'occuper cette ville comme tête de défilé, et d'incendier ses vastes faubourgs, afin d'empêcher l'ennemi de s'y loger, et de donner jeu à noire artillerie placée sur les remparts.
Quelque odieuse que fût la trahison de l'armée saxonne, l'empereur ne put se résoudre à détruire une des belles villes de l'Allemagne, à la livrer à tous les genres de désordre inséparables d'une telle défense, et cela sous les yeux du roi, qui, depuis Dresde, avait voulu accompagner l'empereur, et qui était si vivement affligé de la conduite de son armée. L'empereur aima mieux s'exposer à perdre quelques centaines de voitures que d'adopter ce parti barbare.
A la pointe du jour, tous les parcs, les bagages, toute l'artillerie, la cavalerie, la garde et les deux tiers de l'armée avaient passé le défilé.
Le duc de Tarente et le prince Poniatowski furent chargés de garder les faubourgs, de les défendre assez de temps pour laisser tout déboucher, et d'exécuter eux-mêmes le passage du défilé vers onze heures.
Le magistrat de Leipsick envoya, à six heures du matin, une députation au prince de Schwartzenberg, pour lui demander de ne pas rendre la ville le théâtre d'un combat qui entraînerait sa ruine.
A neuf heures, l'empereur monta à cheval, entra dans Leipsick et alla voir le roi. Il a laissé ce prince maître de faire ce qu'il voudrait, et de ne pas quitter ses états, en les laissant exposés à cet esprit de sédition qu'on avait fomenté parmi les soldats. Un bataillon saxon avait été formé à Dresde, et joint à la jeune garde. L'empereur le fit ranger à Leipsick, devant le palais du roi, pour lui servir de garde, et pour le mettre à l'abri du premier mouvement de l'ennemi.
Une demi-heure après, l'empereur se rendit à Lindenau, pour y attendre l'évacuation de Leipsick, et voir les dernières troupes passer les ponts avant de se mettre en marche.
Cependant l'ennemi ne tarda pas à apprendre que la plus grande partie de l'armée avait évacué Leipsick, et qu'il n'y restait qu'une forte arrière-garde. Il attaqua vivement le duc de Tarente et le prince Poniatowski; il fut plusieurs fois repoussé; et, tout en défendant les faubourgs, notre arrière-garde opéra sa retraite. Mais les Saxons restés dans la ville tirèrent sur nos troupes de dessus les remparts; ce qui obligea d'accélérer la retraite et mit un peu de désordre.
L'empereur avait ordonné au génie de pratiquer des fougasses sous le grand pont qui est entre Leipsick et Lindenau, afin de le faire sauter au dernier moment; de retarder ainsi la marche de l'ennemi, et de laisser le temps aux bagages de filer. Le général Dulauloy avait chargé le colonel Monfort de cette opération. Ce colonel, au lieu de rester sur les lieux pour la diriger et pour donner le signal, ordonna à un caporal et à quatre sapeurs de faire sauter le pont aussitôt que l'ennemi se présenterait. Le caporal, homme sans intelligence, et comprenant mal sa mission, entendant les premiers coups de fusil tirés des remparts de la ville, mit le feu aux fougasses, et fit sauter le pont: une partie de l'armée était encore de l'autre côté, avec un parc de quatre-vingt bouches à feu et de quelques centaines de voitures.
La tête de cette partie de l'armée, qui arrivait au pont, le voyant sauter, crut qu'il était au pouvoir de l'ennemi. Un cri d'épouvante se propagea de rang en rang: L'ennemi est sur nos derrières, et les ponts sont coupés!—Ces malheureux se débandèrent et cherchèrent à se sauver. Le duc de Tarente passa la rivière à la nage; le comte Lauriston moins heureux, se noya; le prince Poniatowski monté sur un cheval fougueux, s'élança dans l'eau et n'a plus reparu. L'empereur n'apprit ce désastre que lorsqu'il n'était plus temps d'y remédier; aucun remède même n'eût été possible. Le colonel Monfort et le caporal de sapeurs sont traduits à un conseil de guerre.
On ne peut encore évaluer les pertes occasionnées par ce malheureux événement; mais on les porte, par approximation, à douze mille hommes, et à plusieurs centaines de voitures. Les désordres qu'il a portés dans l'armée ont changé la situation des choses: l'armée française victorieuse arrive à Erfurt comme y arriverait une armée battue. Il est impossible de peindre les regrets que l'armée a donnés au prince Poniatowski, au comte Lauriston et à tous les braves qui ont péri par la suite de ce funeste événement.
On n'a pas de nouvelles du général Reynier; on ignore s'il a été pris ou tué. On se figurera facilement la profonde douleur de l'empereur, qui voit, par un oubli de ses prudentes dispositions, s'évanouir les résultats de tant de fatigues et de travaux.
Le 19, l'empereur a couché à Markraustaed; le duc de Reggio était resté à Lindenau.
Le 20, l'empereur a passé la Saale à Weissenfels.
Le 21, l'armée a passé l'Unstrut à Frybourg; le général Bertrand a pris position sur les hauteurs de Coesen.
Le 22, l'empereur a couché au village d'Ollendorf.
Le 23, il est arrivé à Erfurt.
L'ennemi, qui avait été consterné des batailles du 16 et du 18, a repris, par le désastre du 19, du courage et l'ascendant de la victoire. L'armée française, après de si brillans succès, a perdu son attitude victorieuse.
Nous avons trouvé à Erfurt, en vivres, munitions, habits, souliers, tout ce dont l'armée pouvait avoir besoin.
L'état-major publiera les rapports des différens chefs d'armée sur les officiers qui se sont distingués dans les grandes journées de Wachau et de Leipsick.
Le 31 octobre 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Les deux régimens de cuirassiers du roi de Saxe, faisant partie du premier corps de cavalerie, étaient restés avec l'armée française. Lorsque l'empereur eut quitté Leipsick, il leur fit écrire par le duc de Vicence, et les renvoya à Leipsick, pour servir de garde au roi.
Lorsqu'on fut certain de la défection de la Bavière, un bataillon bavarois était encore avec l'armée: S. M. a fait écrire au commandant de ce bataillon par le major-général.
L'empereur est parti d'Erfurt le 25.
Notre armée a opéré tranquillement son mouvement sur le Mein. Arrivé le 29 à Gelnhausen, on aperçut un corps ennemi de cinq à six mille hommes, cavalerie, infanterie et artillerie, qu'on sut par les prisonniers être l'avant-garde de l'armée autrichienne et bavaroise. Cette avant-garde fut poussée et obligée de se retirer. On rétablit promptement le pont que l'ennemi avait coupé. On apprit aussi par les prisonniers que l'armée autrichienne et bavaroise, annoncée forte de soixante à soixante-dix mille hommes, venant de Braunau, était arrivée à Hanau, et prétendait barrer le chemin à l'armée française.
Le 29 au soir, les tirailleurs de l'avant-garde ennemie furent poussés au-delà du village de Langensebolde; et à sept heures du soir, l'empereur et son quartier-général étaient dans ce village au château d'Issenbourg.
Le lendemain 30, à neuf heures du matin, l'empereur monta à cheval. Le duc de Tarente se porta en avant avec 5,000 tirailleurs sous les ordres du général Charpentier. La cavalerie du général Sébastiani, la division de la garde, commandée par le général Friant, et la cavalerie de la vieille garde, suivirent; le reste de l'armée était en arrière d'une marche.
L'ennemi avait placé six bataillons au village de Ruchingen, afin de couper toutes les routes qui pouvaient conduire sur le Rhin. Quelques coups de mitraille et une charge de cavalerie firent reculer précipitamment ces bataillons.
Arrivés sur la lisières du bois, à deux lieues de Hanau, les tirailleurs ne tardèrent pas à s'engager. L'ennemi fut acculé dans le bois jusqu'au point de jonction de la vieille et de la nouvelle route. Ne pouvant rien opposer à la supériorité de notre infanterie, il essaya de tirer parti de son grand nombre; il étendit le feu sur sa droite. Une brigade de deux mille tirailleurs du deuxième corps, commandée par le général Dubreton, fut engagée pour le contenir, et le général Sébastiani fit exécuter avec succès, dans l'éclairci du bois, plusieurs charges sur les tirailleurs ennemis. Nos cinq mille tirailleurs continrent ainsi toute l'armée ennemie, en gagnant insensiblement du temps, jusqu'à trois heures de l'après-midi.
L'artillerie étant arrivée, l'empereur ordonna au général Curial de se porter au pas de charge sur l'ennemi avec deux bataillons de chasseurs de la vieille garde, et de le culbuter au-delà du débouché; au général Drouot de déboucher sur-le-champ avec cinquante pièces de canon; au général Nansouty, avec tout le corps du général Sébastiani et la cavalerie de la vieille garde, décharger vigoureusement l'ennemi dans la plaine.
Toutes ces dispositions furent exécutées exactement.
Le général Curial culbuta plusieurs bataillons ennemis.
Au seul aspect de la vieille garde, les Autrichiens et les Bavarois fuirent épouvantés.
Quinze pièces de canon, et successivement jusqu'à cinquante, furent placées en batterie avec l'activité et l'intrépide sang-froid qui distinguent le général Drouot. Le général Nansouty se porta sur la droite de ces batteries et fit charger dix mille hommes de cavalerie ennemie par le général Levêque, major de la vieille garde, par la division de cuirassiers Saint-Germain, et successivement par les grenadiers et les dragons de la cavalerie de la garde. Toutes ces charges eurent le plus heureux résultat. La cavalerie ennemie fut culbutée et sabrée; plusieurs carrés d'infanterie furent enfoncés; le régiment autrichien Jordis et les hulans du prince de Schwartzenberg ont été entièrement détruits. L'ennemi abandonna précipitamment le chemin de Francfort qu'il barrait, et tout le terrain qu'occupait sa gauche. Il se mit en retraite et bientôt après en complète déroute.
Il était cinq heures. Les ennemis firent un effort sur leur droite pour dégager leur gauche et donner le temps à celle-ci de se reployer. Le général Friant envoya deux bataillons de la vieille garde à une ferme située sur le vieux chemin de Hanau. L'ennemi en fut promptement débusqué et sa droite fut obligée de plier et de se mettre en retraite. Avant six heures du soir, il repassa en déroute la petite rivière de la Kintzig.
La victoire fut complète.
L'ennemi, qui prétendait barrer tout le pays, fut obligé d'évacuer le chemin de Francfort et de Hanau.
Nous avons fait six mille prisonniers et pris plusieurs drapeaux et plusieurs pièces de canon. L'ennemi a eu six généraux tués ou blessés. Sa perte a été d'environ dix mille hommes tués, blessés ou prisonniers. La nôtre n'est que de quatre à cinq cents hommes tués ou blessés. Nous n'avons eu d'engagés que cinq mille tirailleurs, quatre bataillons de la vieille garde, et à peu près quatre-vingts escadrons de cavalerie et cent vingt pièces de canon.
A la pointe du jour, le 31, l'ennemi s'est retiré, se dirigeant sur Aschaffenbourg. L'empereur a continué son mouvement, et à trois heures après-midi, S. M. était à Francfort.
Les drapeaux pris à cette bataille et ceux qui ont été pris aux batailles de Wachau et de Leipsick, sont partis pour Paris.
Les cuirassiers, les grenadiers à cheval, les dragons ont fait de brillantes charges. Deux escadrons de gardes-d'honneur du troisième régiment, commandés par le major Saluces, se sont spécialement distingués, et font présumer ce qu'on doit attendre de ce corps au printemps prochain, lorsqu'il sera parfaitement organisé et instruit.
Le général d'artillerie de l'armée Nourrit, et le général Devaux, major d'artillerie de la garde, ont mérité d'être distingués; le général Letort, major des dragons de la garde, quoique blessé à la bataille de Wachau, a voulu charger à la tête de son régiment, et a eu son cheval tué.
Le 31 au soir, le grand quartier-général était à Francfort.
Le duc de Trévise, avec deux divisions de la jeune garde et le premier corps de cavalerie, était à Gelnhaussen. Le duc de Reggio arrivait à Francfort.
Le comte Bertrand et le duc de Raguse étaient à Hanau.
Le général Sébastiani était sur la Nida.
Francfort, le 1er novembre 1813.
Extrait d'une lettre de l'empereur à l'impératrice.
«Madame et très-chère épouse, je vous envoie vingt drapeaux pris par mes armes aux batailles de Wachau, de Leipsick et de Hanau; c'est un hommage que j'aime à vous rendre. Je désire que vous y voyiez une marque de ma grande satisfaction de votre conduite pendant la régence que je vous ai confiée.»
NAPOLÉON.
Le 3 novembre 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le 30 octobre, dans le moment où se livrait la bataille de Hanau, le général Lefèvre-Desnouettes, à la tête de sa division de cavalerie et du cinquième corps de cavalerie commandé par le générât Milhaud, flanquait toute la droite de l'armée, du côté de Bruckoebel et de Nieder-Issengheim. Il se trouvait en présence d'un corps de cavalerie russe et alliée, de six à sept mille hommes: le combat s'engagea; plusieurs charges eurent lieu, toutes à notre avantage; et ce corps ennemi formé par la réunion de deux ou trois partisans, fut rompu et vivement poursuivi. Nous lui avons fait cent cinquante prisonniers montés. Notre perte est d'une soixantaine d'hommes blessés.
Le lendemain de la bataille de Hanau, l'ennemi était en pleine retraite; l'empereur ne voulut point le poursuivre, l'armée se trouvant fatiguée, et S. M., bien loin d'y attacher quelque importance, ne pouvant voir qu'avec regret la destruction de quatre à cinq mille Bavarois, qui aurait été le résultat de cette poursuite. S. M. se contenta donc de faire poursuivre légèrement l'arrière-garde ennemie, et laissa le général Bertrand sur la rive droite de la Kintzig.
Vers les trois heures de l'après-midi, l'ennemi sachant que l'armée avait filé, revint sur ses pas, espérant avoir quelque avantage sur le corps du général Bertrand. Les divisions Morand et Guilleminot lui laissèrent faite ses préparatifs pour le passage de la Kintzig; et quand il l'eut passée, marchèrent à lui à la baïonnette, et le culbutèrent dans la rivière, où la plus grande partie de ses gens se noyèrent. L'ennemi a perdu trois mille hommes dans cette circonstance.
Le général bavarois de Wrede, commandant en chef de cette armée, a été mortellement blessé, et on a remarqué que tous les parens qu'il avait dans l'armée ont péri dans la bataille de Hanau, entre autres son gendre le prince d'Oettingen.
Une division bavaroise-autrichienne est entrée le 30 octobre à midi à Francfort; mais à l'approche des coureurs de l'armée française, elle s'est retirée sur la rive gauche du Mein, après avoir coupé le pont.
Le 2 novembre, l'arrière-garde française a évacué Francfort, et s'est portée sur la Nidda.
Le même jour à cinq heures du matin l'empereur est entré à Mayence.
On suppose, dans le public, que le général de Wrede a été l'auteur et l'agent principal de la défection de la Bavière. Ce général avait été comblé des bienfaits de l'empereur.