Œuvres de Napoléon Bonaparte, Tome V.
Le 7 novembre 1813.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le duc de Tarente était à Cologne, où il organise une armée pour la défense du Bas-Rhin.
Le duc de Raguse était à Mayence.
Le duc de Bellune était à Strasbourg.
Le duc de Valmi était allé prendre à Metz le commandement de toutes les réserves.
Le comte Bertrand, avec le quatrième corps, composé de quatre divisions d'infanterie et d'une division de cavalerie, et fort de quarante mille hommes, occupait la rive droite en avant de Cassel. Son quartier-général était à Hocheim. Depuis quatre jours, on travaillait à un camp retranché sur les hauteurs à une lieue en avant de Cassel. Plusieurs ouvrages étaient tracés et fort avancés.
Tout le reste de l'armée avait passé le Rhin.
S. M. avait signé, le 7, la réorganisation de l'armée et la nomination à toutes les places vacantes.
L'avant-garde commandée par le comte Bertrand, n'avait pas encore vu d'infanterie ennemie, mais seulement quelques troupes de cavalerie légère.
Toutes les places du Rhin s'armaient et s'approvisionnaient avec la plus grande activité.
Les gardes nationales récemment levées se rendaient de tous côtés dans les places pour en former la garnison et laisser l'armée disponible.
Le général Dulauloy avait réorganisé les deux cents bouches à feu de la garde. Le général Sorbier était occupé à réorganiser cent batteries à pied et à cheval, et à réparer la perte des chevaux qu'avait éprouvée l'artillerie de l'armée.
On croyait que S. M. ne tarderait pas à se rendre à Paris.
S. M. l'empereur est arrivée le 9, à cinq heures après-midi, à Saint-Cloud.
S. M. avait quitté Mayence le 8, à une heure du matin.
Paris, 14 novembre 1813.
Réponse de l'empereur à une députation du sénat.
«Sénateurs,
«J'agrée les sentimens que vous m'exprimez.
«Toute l'Europe marchait avec nous il y a un an; toute l'Europe marche aujourd'hui contre nous: c'est que l'opinion du monde est faite par la France ou par l'Angleterre. Nous aurions donc tout à redouter sans l'énergie et la puissance de la nation.
«La postérité dira que si de grandes et critiques circonstances se sont présentées, elles n'étaient pas au-dessus de la France et de moi.»
Au palais des Tuileries, 14 décembre 1813.
Lettre de l'empereur à S. Exc. M. Reinhard, landamman de la Suisse.
«Monsieur le landamman, j'ai lu avec plaisir la lettre que vous avez chargé MM. de Ruttimann et Vieland, envoyés extraordinaires de la confédération, de me rendre. J'ai appris, avec une particulière satisfaction, l'union qui a régné entre tous les cantons et entre toutes les classes de citoyens. La neutralité que la diète a proclamée à l'unanimité est à la fois conforme aux obligations de vos traités et à vos plus chers intérêts. Je connais cette neutralité, et j'ai donné les ordres nécessaires pour qu'elle soit respectée. Faites connaître aux dix-neuf cantons qu'en toute occasion ils peuvent compter sur le vif intérêt que je leur porte, et que je serai toujours disposé à leur donner des preuves de ma protection et de mon amitié.
«Sur ce, je prie Dieu, monsieur le landamman, qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.»
NAPOLÉON.
Paris, 19 décembre 18l3.
Discours de l'empereur à l'ouverture extraordinaire du corps-législatif.
«Sénateurs, conseillers-d'état, députés des départemens au corps-législatif,
«D'éclatantes victoires ont illustré les armes françaises dans cette campagne. Des défections sans exemple ont rendu ces victoires inutiles. Tout a tourné contre nous. La France même serait en danger sans l'énergie et l'union des Français. «Dans ces grandes circonstances, ma première pensée a été de vous appeler près de moi. Mon coeur a besoin de la présence et de l'affection de mes sujets.
«Je n'ai jamais été séduit par la prospérité: l'adversité me trouverait au-dessus de ses atteintes.
«J'ai plusieurs fois donné la paix aux nations, lorsqu'elles avaient tout perdu. D'une part de mes conquêtes, j'ai élevé des trônes pour des rois qui m'ont abandonné.
«J'avais conçu et exécuté de grands desseins pour la prospérité et le bonheur du monde! ... Monarque et père, je sens que la paix ajoute à la sécurité des trônes et à celle des familles. Des négociations ont été entamées avec les puissances coalisées. J'ai adhéré aux bases préliminaires qu'elles ont présentées. J'avais donc l'espoir qu'avant l'ouverture de cette session, le congrès de Manheim serait réuni; mais de nouveaux retards, qui ne sont pas attribués à la France, ont différé ce moment que presse le voeu du monde.
«J'ai ordonné qu'on vous communiquât toutes les pièces originales qui se trouvent au portefeuille de mon département des affaires étrangères. Vous en prendrez connaissance par l'intermédiaire d'une commission. Les orateurs de mon conseil vous feront connaître ma volonté sur cet objet.
«Rien ne s'oppose de ma part au rétablissement de la paix. Je connais et je partage tous les sentimens des Français: je dis des Français, parce qu'il n'en est aucun qui désirât la paix au prix de l'honneur.
«C'est à regret que je demande à ce peuple généreux de nouveaux sacrifices; mais ils sont commandés par ses plus nobles et ses plus chers intérêts. J'ai dû renforcer mes armées par de nombreuses levées: les nations ne traitent avec sécurité qu'en déployant toutes leurs forces. Un accroissement dans les recettes devient indispensable. Ce que mon ministre des finances vous proposera, est conforme au système de finances que j'ai établi. Nous ferons face à tout sans emprunt qui consomme l'avenir, et sans papier-monnaie qui est le plus grand ennemi de l'ordre social.
«Je suis satisfait des sentimens que m'ont montrés dans cette circonstance mes peuples d'Italie.
«Le Danemarck et Naples sont seuls restés fidèles à mon alliance.
«La république des États-Unis d'Amérique continue avec succès sa guerre contre l'Angleterre.
«J'ai reconnu la neutralité des dix-neuf cantons suisses.
«Sénateurs, conseillers-d'état, députés des départemens au corps-législatif,
«Vous êtes les organes naturels de ce trône: c'est à vous de donner l'exemple d'une énergie qui recommande notre génération aux générations futures. Qu'elles ne disent pas de nous: «Ils ont sacrifié les premiers intérêts du pays! ils ont reconnu les lois que l'Angleterre a cherché en vain, pendant quatre siècles, à imposer à la France!»
«Mes peuples ne peuvent pas craindre que la politique de leur empereur trahisse jamais la gloire nationale. De mon côté, j'ai la confiance que les Français seront constamment dignes d'eux et de moi!»
Paris, 23 décembre 1813.
Lettre de l'empereur au président du corps-législatif.
«Monsieur le duc de Massa, président du corps-législatif, nous vous adressons la présente lettre close pour vous faire connaître que notre intention est que vous vous rendiez demain, 24 du courant, heure de midi, chez notre cousin le prince archi-chancelier de l'empire, avec la commission nommée hier par le corps-législatif, en exécution de notre décret du 20 de ce mois, laquelle est composée des sieurs Raynouard, Lainé, Gallois, Flaugergue et Biran; et ce, à l'effet de prendre connaissance des pièces relatives à la négociation, ainsi que de la déclaration des puissances coalisées, qui seront communiquées par le comte Regnaud, ministre d'état, et le comte d'Hauterive, conseiller d'état, attaché à l'office des relations extérieures, lequel sera porteur desdites pièces et déclaration.
«Notre intention est aussi que notre dit cousin préside la commission.
«La présente n'étant à d'autres fins, je prie Dieu qu'il vous ait, monsieur le duc de Massa, en sa sainte garde.»
NAPOLÉON.
Paris, 30 décembre 1813.
Réponse de l'empereur à une députation du sénat.
«Je suis sensible aux sentimens que vous m'exprimez.
«Vous avez vu, par les pièces que je vous ait fait communiquer, ce que je fais pour la paix. Les sacrifices que comportent les bases préliminaires que m'ont proposées les ennemis, et que j'ai acceptées, je les ferais sans regret; ma vie n'a qu'un but, le bonheur des français.
«Cependant, le Béarn, l'Alsace, la Franche-Comté, le Brabant, sont entamés. Les cris de cette partie de ma famille me déchirent l'ame! J'appelle les Français au secours des Français! J'appelle les Français de Paris, de la Bretagne, de la Normandie, de la Champagne, de la Bourgogne et d'autres départemens, au secours de leurs frères! Les abandonnerons-nous dans leur malheur? Paix et délivrance de notre territoire, doit être notre cri de ralliement. A l'aspect de tout ce peuple en armes, l'étranger fuira ou signera la paix sur les bases qu'il a lui-même proposées. Il n'est plus question de recouvrer les conquêtes que nous avions faites.
Paris, 31 décembre 1813.
Réponse de l'empereur à une députation envoyée par le corps législatif3.
Note 3: (retour)Cette députation était chargée de présenter à l'empereur le rapport fait par la commission nommée par le corps législatif pour examiner les actes officiels relatifs aux négociations entamées jusqu'alors pour la paix. On doit se rappeler combien ce rapport irrita l'empereur. Aussi sa réponse indique toute son indignation. Nous croyons faire plaisir à nos lecteurs en mettant sous leurs yeux cette pièce importante. La voici telle quelle fut prononcée dans le corps législatif par M. Raynouard, membre de la commission:
«Nous avons examiné avec une scrupuleuse attention les pièces officielles que l'empereur a daigné mettre sous nos yeux. Nous nous sommes regardés alors comme les représentans de la nation elle-même, parlant avec effusion à un père qui les écoute avec bonté. Pénétrés de ce sentiment si propre à élever nos ames et à les dégager de toute considération personnelle, nous avons osé apporter la vérité au pied du trône; notre auguste souverain ne saurait souffrir un autre langage.
«Des troubles politiques dont les causes furent inconnues rompirent la bonne intelligence qui régnait entre l'empereur des Français et l'empereur de toutes les Russes; la guerre fut sans doute nécessaire, mais elle fut entreprise dans un temps où nos expéditions devenaient périlleuses. Nos armées marchèrent avec celles de tous les souverains du Nord contre le plus puissant de tous. Nos victoires furent rapides, mais nous les payâmes cher. Les horreurs d'un hiver inconnu dans nos climats changèrent en défaites toutes nos victoires, et le souffle du Nord dévora l'élite des armées françaises. Nos désastres parurent des crimes à nos alliés. Les plaintes publiques de la Prusse, les sourds murmures du cabinet autrichien, les inquiétudes des princes de la confédération, tout dès-lors dut faire présager à la France les malheurs qui ne tardèrent pas à fondre sur elle. Les armes de l'empereur de Russie avaient traversé la Prusse et menaçaient l'Allemagne chancelante. L'Autriche offrit sa médiation aux deux souverains et s'affranchit elle-même par un traité secret des craintes d'un envahissement. Les funestes conséquences de nos premiers désastres ne tardèrent pas à se manifester par des désastres nouveaux. Dantzick et Torgau avaient été l'asyle de nos soldats vaincus; cette ressource nous fut enlevée par la déclaration de la Prusse; ces places furent enveloppées, et nous fûmes privés par la force des choses de quarante mille hommes en état de défendre la patrie. Le mouvement simultané de la Prusse devint pour l'Europe le signal d'une défection solennelle.
«En vain l'armistice de juillet semblait porter les puissances à un accord que tous les peuples désiraient. Les plaines de Lutzen et de Bautzen furent signalées par de nouveaux exploits; il semble dans ces mémorables journées que le soleil éclaira le dernier de nos triomphes. Un prince fidèle à son alliance appela dans le coeur de ses états l'armée française et son auguste chef; Dresde devint le centre des opérations militaires. Mais tandis que la cour de Saxe se distinguait par sa fidélité généreuse, une opinion contraire fermentait au milieu des Saxons et préparait l'inexcusable trahison qu'une inimitié mal placée aurait dû laisser prévoir.
«La Bavière avait, depuis la retraite de Moscou, séparé sa cause de la nôtre; le régime de notre administration avait déplu à un peuple dès long-temps accoutumé à une grande indépendance dans la répartition de ses contributions et dans la perception des impôts. Mais il y avait loin de la froideur à l'agression; le prince bavarois crut devoir prendre ce dernier parti aussitôt qu'il jugea les Français hors d'état de résister à l'attaque générale dont nos ennemis avaient donné le signal. Un guerrier né parmi nous, qui avait osé préférer un trône à la dignité de citoyen français, voulut asseoir sa puissance par une éclatante protestation contre la main bienfaisante à laquelle il devait son titre. Ne scrutons point la cause d'un si étrange abandon, respectons sa conduite, que la politique doit tôt ou tard légitimer, mais déplorons des talens funestes à la patrie. Quelques journées de gloire furent suivies de désastres plus affreux peut-être que ceux qui avaient anéanti notre première armée. La France vit alors contre elle l'Europe soulevée, et tandis que le héros de la Suède guidait ses phalanges victorieuses au milieu des confédérés, la Hollande brisait les liens qui l'attachaient à nous; l'Europe enfin cherchait à embraser la France du feu dont elle était dévorée. Nous n'avons, messieurs, à vous offrir aucune image consolante dans le tableau de tant de malheurs. Une armée nombreuse emportée par les frimats du Nord fut remplacée par une armée dont les soldats ont été arrachés à la gloire, aux arts et au commerce; celle-ci engraissé les plaines maudites de Leipsick, et les flots de l'Elster ont entraîné des bataillons de nos concitoyens. Ici messieurs, nous devons l'avouer, l'ennemi porté par la victoire jusque sur les bords du Rhin, a offert à notre auguste monarque une paix qu'un héros accoutume à tant de succès a pu trouver bien étrange. Mais si un sentiment mâle et héroïque lui a dicté un refus avant que l'état déplorable de la France eût été jugé, ce refus ne peut plus être réitéré sans imprudence lorsque l'ennemi franchit déjà les frontières de notre territoire. S'il s'agissait de discuter ici des conditions flétrissantes, Sa Majesté n'eût daigné répondre qu'en faisant connaître à ses peuples les projets de l'étranger; mais on veut non pas nous humilier, mais nous renfermer dans nos limites et réprimer l'élan d'une activité ambitieuse si fatale depuis vingt ans à tous les peuples de l'Europe.
«De telles propositions nous paraissent honorables pour la nation, puisqu'elles prouvent que l'étranger nous craint et nous respecte. Ce n'est pas lui qui assigne des bornes à notre puissance, c'est le monde effrayé qui invoque le droit commun des nations. Les Pyrénées, les Alpes et le Rhin renferment un vaste territoire dont plusieurs provinces ne relevaient pas de l'empire des lis, et cependant la royale couronne de France était brillante de gloire et de majesté entre tous les diadèmes. (Ici le président interrompt l'orateur en ces termes: «Orateur, ce que vous dites-lá est inconstitutionnel.» M. Raynouard a répondu: il n'y a ici d'inconstitutionnel que votre présence, et a continué.)
«D'ailleurs, le protectorat du Rhin cesse d'être un titre d'honneur pour une couronne, dès le moment que les peuples de cette confédération dédaignent cette protection.
«Il est évident qu'il ne s'agit point ici d'un droit de conquête, mais d'un titre d'alliance utile seulement aux Germains. Une main puissante les assurait de son secours; ils voulent se dérober à ce bienfait comme à un fardeau insupportable, il est de la dignité de S. M. d'abandonner à eux-mêmes ces peuples qui courent se ranger sous le joug de l'Autriche. Quant au Brabant, puisque les coalisés proposent de s'en tenir aux bases du traité de Lunéville, il nous a paru que la France pouvait sacrifier sans perte des provinces difficiles à conserver, où l'esprit anglais domine presque exclusivement, et pour lesquelles enfin le commerce avec l'Angleterre est d'une necessité si indispensable que ces contrées ont été languissantes et appauvries tant qu'a duré notre domination. N'avous-nous pas vu les familles patriciennes s'exiler du sol hollandais, comme si les flêaux dévastateurs les avaient poursuivies, et aller porter chez l'ennemi les richesses et l'industrie de leur patrie? Il n'est pas besoin sans doute de courage pour faire entendre la vérité au coeur de notre monarque; mais dussions-nous nous exposer à tous les périls, nous aimerions mieux encourir sa disgrâce que de trahir sa confiance, et exposer notre vie même, que le salut du la nation que nous représentons.
«Ne dissimulons rien; nos maux sont à leur comble; la patrie est menacée sur tous les points de ses frontières; le commerce est anéanti, l'agriculture languit, l'industrie expire, et il n'est point de Français qui n'ait dans sa famille ou dans sa fortune une plaie cruelle à guérir. Ne nous appesantissons pas sur ces faits: l'agriculteur, depuis cinq ans, ne jouit pas, il vit à peine, et les fruits de ses travaux servent à grossir le trésor qui se dissipe annuellement par des secours que réclament des armées sans cesse ruinées et affamées. La conscription est devenue pour toute la France un odieux fléau, parce que cette mesure a toujours été outrée dans l'exécution. Depuis deux ans on moissonne trois fois l'année; une guerre barbare et sans but engloutit périodiquement une jeunesse arrachée à l'éducation, à l'agriculture, au commerce, et aux arts. Les larmes des mères et les sueurs des peuples sont-elles donc le patrimoine des rois? Il est temps que les nations respirent; il est temps que les puissances cessent de s'entrechoquer et de se déchirer les entrailles; il est temps que les trônes s'affermissent, et que l'on cesse de reprocher à la France de vouloir porter dans tout le monde les torches révolutionnaires. Notre auguste monarque, qui partage le zèle qui nous anime, et qui brûle de consolider le bonheur de ses peuples, est le seul digne d'achever ce grand ouvrage. L'amour de l'honneur militaire et des conquêtes peut séduire un coeur magnanime; mais le génie d'un héros véritable qui méprise une gloire achetée au dépens du sang et du repos des peuples, trouve sa véritable grandeur dans la félicité publique qui est son ouvrage. Les monarques français se sont toujours glorifiés de tenir leur couronne de Dieu, du peuple et de leur épée, parce que la paix, la morale et la force sont, avec la liberté, le plus ferme soutien des empires.»
Le corps législatif ayant ensuite de ce rapport présenté une adresse à l'empereur, en a reçu une réponse où on remarque ces passage:
J'ai supprimé l'impression de votre adresse; elle était incendiaire. Les onze douzièmes du corps législatif sont composés de bons citoyens, je les reconnais et j'aurai des égards pour eux; mais une autre douzième renferme des factieux, et votre commission est de ce nombre (cette commission était composée de messieurs Lainé, Raynouard, Maine de Biran et Flaugergue). Le nommé Laine est un traître qui correspond avec le prince régent par l'intermédiaire de Desèze; je le sais, j'en ai la preuve; les quatre autres sont des factieux. Ce douzième est composé de gens qui veulent l'anarchie et qui sont comme les Girondins. Où une pareille conduite a-t-elle mené Vergneau et les autres chefs? à l'échafaud. Ce n'est pas dans le moment où l'on doit chasser l'ennemi de nos frontières que l'on doit exiger de moi un changement dans la constitution; il faut suivre l'exemple de l'Alsace, de la Franche-Comté et des Vosges. Les habitans s'adressent à moi pour avoir des armes et que je leur donne des partisans; aussi j'ai fait partir des aides-de-camp. Vous n'êtes point les représentans de la nation, mais les députés des départemens. Je vous ai rassemblés pour avoir des consolations; ce n'est pas que je manque de courage; mais j'espérais que le corps législatif m'en donnerait; au lieu de cela, il m'a trompé; au lieu du bien que j'attendais il a fait du mal, peu de mal cependant, parce qu'il n'en pouvait beaucoup faire. Vous cherchez dans votre adresse à séparer le souverain de la nation. Moi seul je suis le représentant du peuple. Et qui de vous pourrait se charger d'un pareil fardeau? Le trône n'est que du bois recouvert de velours. Si je voulais vous croire, je céderais à l'ennemi plus qu'il ne me demande: vous aurez la paix dans trois mois ou je périrai. C'est ici qu'il faut montrer de l'énergie; j'irai chercher les ennemis et nous les renverrons. Ce n'est pas au moment où Huningue est bombardé, Béfort attaqué qu'il faut se plaindre de la constitution de l'état et de l'abus du pouvoir. Le corps législatif n'est qu'une partie de l'état qui ne peut pas même entrer en comparaison avec le sénat et le conseil d'état; au reste je ne suis à la tête de cette nation que parce que la constitution de l'état me convient. Si la France exigeait une autre constitution et qu'elle ne me convînt pas, je lui dirais de chercher un autre souverain.
C'est contre moi que les ennemis s'acharnent plus encore que contre les Français; mais pour cela seul faut-il qu'il me soit permis de démembrer l'état?
Est-ce que je ne sacrifie pas mon orgueil et ma fierté pour obtenir la paix? Oui, je suis fier parce que je suis courageux; je suis fier parce que j'ai fait de grandes choses pour la France. L'adresse était indigne de moi et du corps législatif; un jour je la ferai imprimer, mais ce sera pour faire honte au corps législatif et à la nation.
Retournez dans vos foyers....... En supposant même que j'eusse des torts, vous ne deviez pas me faire des reproches publics; c'est en famille qu'il faut laver son linge sale. Au reste, la France a plus besoin de moi que je n'ai besoin de la France.
Paris, 23 janvier 1814
Lettres-patentes signées au palais des Tuileries le 23 janvier 1814, et par lesquelles l'empereur confère à S. M. l'impératrice et reine Marie-Louise le titre de régente.
Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions, empereur des Français, roi d'Italie, protecteur de la confédération suisse, etc.
A tous ceux qui ces présentes verront, salut:
Voulant donner à notre bien-aimée épouse l'impératrice et reine Marie-Louise des marques de la haute confiance que nous avons en elle, attendu que nous sommes dans l'intention d'aller incessamment nous mettre à la tête de nos armées pour délivrer notre territoire de la présence de nos ennemis, nous avons résolu de conférer, comme nous conférons par ces présentes, à notre Bien-aimée épouse l'impératrice et reine, le titre de régente pour en exercer les fonctions en conformité de nos intentions et de nos ordres, tels que nous les aurons fait transcrire sur le livre de l'état; entendant qu'il soit donné connaissance aux princes grands dignitaires et à nos ministres desdits ordres et instructions, et qu'en aucun cas l'impératrice ne puisse s'écarter de leur teneur dans l'exercice des fonctions de régente. Voulons que l'impératrice-régente préside, en notre nom, le sénat, le conseil d'état, le conseil des ministres et le conseil-privé, notamment pour l'examen des recours en grâce, sur lesquels nous l'autorisons à prononcer, après avoir entendu les membres dudit conseil-privé. Toutefois, notre intention n'est point que, par suite de la présidence conférée à l'impératrice-régente, elle puisse autoriser par sa signature la présentation d'aucun sénatus-consulte, ou proclamer aucune loi de l'état, nous référant, à cet égard, au contenu des ordres et intentions mentionnés ci-dessus.
Mandons à notre cousin le prince archichancelier de l'empire, de donner communication des présentes lettres-patentes au sénat, qui les transcrira sur ses registres, et à notre grand-juge ministre de la justice de les faire publier au Bulletin des lois, et de les adresser à nos cours impériales pour y être lues, publiées et transcrites sur les registres d'icelles.
NAPOLÉON.
Paris, 24 janvier 1814.
S. M. l'empereur et roi devant partir incessamment pour se mettre à la tête de ses armées, a conféré pour le temps de son absence, la régence à S. M. l'impératrice-reine, par lettres-patentes datées d'hier 23.
Le même jour, S. M. l'impératrice-reine a prêté serment, comme régente, entre les mains de l'empereur, et dans un conseil composé des princes français, des grands-dignitaires, des ministres du cabinet et des ministres d'état.
Paris, 25 janvier 1814.
Ce matin, à sept heures, S. M. l'empereur et roi est parti pour se mettre à la tête de ses armées.
CAMPAGNE DE FRANCE.
LIVRE NEUVIÈME.
Saint-Dizier, 28 janvier 1814.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
L'ennemi était ici depuis deux jours, y commettant les plus affreuses vexations: il ne respectait ni l'âge ni le sexe; les femmes et les vieillards étaient en butte à ses violences et à ses outrages. La femme du sieur Canard, riche fermier, âgée de cinquante ans, est morte des mauvais traitemens qu'elle a éprouvés: son mari, plus que septuagénaire, est à la mort. Il serait trop douloureux de rapporter ici la liste des autres victimes. L'arrivée des troupes françaises entrées hier dans notre ville a mis un terme à nos malheurs. L'ennemi ayant voulu opposer quelque résistance, a été bientôt mis en déroute avec une perte considérable. L'entrée de S. M. l'empereur a donné lieu aux scènes les plus touchantes. Toute la population se pressait autour de lui; tous les maux paraissaient oubliés. Il nous rendait la sécurité pour tout ce que nous avons de plus cher. Un vieux colonel, M. Bouland, âgé de soixante-dix ans, s'est jeté à ses pieds, qu'il baignait de larmes de joie. Il exprimait tout à la fois la douleur qu'un brave soldat avait ressentie en voyant les ennemis souiller le sol natal, et le bonheur de les voir fuir devant les aigles impériales.
Nous apprenons que le même enthousiasme qui a éclaté ici s'est manifesté à Bar, à l'arrivée de nos troupes. L'ennemi avait déjà pris la fuite.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Après la prise de Saint-Dizier, l'empereur s'est porté sur les derrières de l'ennemi à Brienne, l'a battu le 29, et s'est emparé de la ville et du château après une affaire d'arrière-garde assez vive.
Brienne, 31 janvier 1814.
A S.M. l'impératrice-reine et régente.
Ce n'est pas seulement une arrière-garde, c'est l'armée du général Blücher, forte de quarante mille hommes, qui était ici lorsqu'elle a été attaquée le 29 par notre armée. Le combat a été très-vif. L'ennemi a laissé la grande avenue qui mène au château, les rues, les places et les vergers encombrés de ses morts. Sa perte est au moins de quatre mille hommes, non compris beaucoup de prisonniers.
Le général Blücher ne savait pas que l'empereur était à l'armée.
M. de Hardenberg, neveu du chancelier de Prusse, et commandant le quartier-général, a été pris au bas de la montée du château. Le général Blücher descendait alors du château, à pied, avec son état-major. Il a été lui-même au moment d'être fait prisonnier.
L'ennemi, pour embarrasser la poursuite des Français, a mis le feu aux maisons de la grande rue, qui étaient les plus belles de la ville. Il y a bien peu de nos citoyens qui n'aient éprouvé des violences personnelles pendant le court séjour de l'ennemi; il n'en est aucun qui n'ait été dépouillé de tout ce qu'il possédait.
Notre armée a poursuivi l'ennemi jusqu'à trois lieues de Bar-sur-Aube. Elle est belle, nombreuse et pleine d'ardeur. On est occupé à rétablir les différent ponts sur l'Aube.
Le 3 février 1814.
A S.M. l'impératrice-reine et régente.
L'empereur est entré à Vitry le 26 janvier.
Le général Blücher, avec l'armée de Silésie, avait passé la Marne et marchait sur Troyes. Le 27, l'ennemi entra à Brienne, et continua sa marche; mais il dut perdre du temps pour rétablir le pont de Lesmont sur l'Aube.
Le 27, l'empereur fit attaquer Saint-Dizier. Le duc de Bellune se présenta devant cette ville; le général Duhesme culbuta l'arrière-garde ennemie qui y était encore, et fit quelques centaines de prisonniers. A huit heures du matin, l'empereur arriva à Saint-Dizier; il est difficile de se peindre l'ivresse et la joie des habitans dans ce moment. Les vexations de toutes espèces que commettent les ennemis, et surtout les cosaques, sont au-dessus de tout ce que l'on peut dire.
Le 28, l'empereur se porta sur Montierender.
Le 29, à huit heures du matin, le général Grouchy, qui commande la cavalerie, fit prévenir que le général Milhaud, avec la cinquième corps de cavalerie, était en présence, entre Maizières et Brienne, de l'armée ennemie commandée par le général Blücher, et qu'on évaluait à quarante mille Russes et Prussiens, les Russes commandés par le général Sacken.
A quatre heures, la petite ville de Brienne fut attaquée. Le général Lefèvre-Desnouettes, commandant une division de cavalerie de la garde, et les généraux Grouchy et Milhaud, exécutèrent plusieurs belles charges, sur la droite de la route, et s'emparèrent de la hauteur de Perthe.
Le prince de la Moskwa se mit à la tête de six bataillons en colonne serrée, et se porta sur la ville par le chemin de Maizières. Le général Château, chef d'état-major du duc de Bellune, à la tête de deux bataillons, tourna par la droite, et s'introduisit dans le château de Brienne par le parc.
Dans ce moment l'empereur dirigea une colonne sur la route de Bar-sur-Aube, qui paraissait être la retraite de l'ennemi; l'attaque fut vive et la résistance opiniâtre. L'ennemi ne s'attendait pas à une attaque aussi brusque, et n'avait eu que le temps de faire revenir ses parcs du pont de Lesmont, où il comptait passer l'Aube pour marcher en avant. Cette contre-marche l'avait fort encombré.
La nuit ne mit pas fin au combat. La division Decouz, de la jeune garde, et une brigade de la division Meusnier furent engagées. La grande quantité de forces de l'ennemi et la belle situation de Brienne lui donnaient bien des avantages, mais la prise du château, qu'il avait négligé de garder en force, les lui fit perdre.
Vers les huit heures, voyant qu'il ne pouvait plus se maintenir, il mit le feu à la ville, et l'incendie se propagea avec rapidité, toutes les maisons étant de bois.
Profitant de cet événement, il chercha à reprendre le château, que le brave chef de bataillon Henders, du cinquante-sixième régiment, défendit avec intrépidité. Il joncha de morts toutes les approches du château, et spécialement les escaliers du côté du parc. Ce dernier échec décida la retraite de l'ennemi, que favorisait l'incendie de la ville.
Le 30, à onze heures du matin, le général Grouchy et le duc de Bellune le poursuivirent jusqu'au-delà du village de la Rothière, où ils prirent position.
La journée du 31 fut employée par nous à réparer le pont de Lesmont-sur-Aube, l'empereur voulant se porter sur Troyes pour opérer sur les colonnes qui se dirigeaient par Bar-sur-Aube et par la route d'Auxerre sur Sens.
Le pont de Lesmont ne put être rétabli que le premier février au matin. On fît filer sur-le-champ une partie des troupes.
A trois heures après-midi, l'ennemi ayant été renforcé de toute son armée, déboucha sur la Rothière et Dienville que nous occupions encore. Notre arrière-garde fit bonne contenance. Le général Duhesme s'est fait remarquer en conservant la Rothière, et le général Gérard en conservant Dienville. Le corps autrichien du général Giulay, qui voulait passer de la rive gauche sur la droite et forcer le pont, a eu plusieurs de ses bataillons détruits. Le duc de Bellune tint toute la journée au hameau de la Giberie, malgré l'énorme disproportion de son corps avec les forces qui l'attaquaient.
Cette journée, où notre arrière-garde tint dans une vaste plaine centre toute l'armée ennemie et des forces quintuples, est un des beaux faits d'armes de l'armée française.
Au milieu de l'obscurité de la nuit, une batterie d'artillerie de la garde suivant le mouvement d'une colonne de cavalerie qui se portait en avant pour repousser une charge de l'ennemi, s'égara et fut prise. Lorsque les canonnières s'aperçurent de l'embuscade dans laquelle ils étaient tombés, et virent qu'ils n'avaient pas le temps de se mettre en batterie, ils se fermèrent aussitôt en escadron, attaquèrent l'ennemi et sauvèrent leurs chevaux et leurs attelages. Ils ont perdu quinze hommes tués ou faits prisonniers.
A dix heures du soir, le prince de Neufchâtel visitant les postes, trouva les deux armées si près l'une de l'autre, qu'il prit plusieurs fois les postes de l'ennemi pour les nôtres. Un de ses aides-de-camp se trouvant à dix pas d'une vedette, fut fait prisonnier. Le même accident est arrivé à plusieurs officiers russes qui portaient le mot d'ordre et qui se jetèrent dans nos postes croyant arriver sur les leurs.
Il y a eu peu de prisonniers de part et d'autre. Nous en avons fait deux cent cinquante.
Le 2 février, à la pointe du jour, toute l'arrière-garde de l'armée était en bataille devant Brienne. Elle prit successivement des positions pour achever de passer le pont de Lesmont et de rejoindre le reste de l'armée.
Le duc de Raguse, qui était en position sur le pont de Rosnay, fut attaqué par un corps autrichien qui avait passé derrière les bois. Il le repoussa, fit trois cents prisonniers et chassa l'ennemi au-delà de la petite rivière de Voire.
Le 3 février, à midi, l'empereur est entré dans Troyes.
Nous avons perdu au combat de Brienne le brave général Baste. Le général Lefêvre-Desnouettes a été blessé d'un coup de baïonnette. Le général Forestier a été grièvement blessé. Notre perte dans ces deux journées peut s'élever de deux à trois mille hommes tués ou blessés. Celle de l'ennemi est au moins du double.
Une division tirée du corps d'armée ennemi qui observe Metz, Thionville et Luxembourg, et forte de douze bataillons, s'est portée sur Vitry. L'ennemi a voulu entrer dans cette ville que le général Montmarie et les habitans ont défendue. Il a jeté en vain des obus pour intimider les habitans; il a été reçu à coups de canon et repoussé à une lieue et demie. Le duc de Tarente arrivait à Châlons et marchait sur cette division.
Le 4 au matin, le comte de Stadion, le comte Razumowski, lord Castlereagh et le baron de Humboldt sont arrivés à Châtillon-sur-Seine où était déjà le duc de Vicence. Les premières visites ont été faites de part et d'autre, et le soir du même jour la première conférence des plénipotentiaires devait avoir lieu.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
L'empereur a attaqué, hier, à Champaubert, l'ennemi fort de douze régimens, et ayant quarante pièces de canon.
Le général en chef Ousouwieff a été pris avec tous ses généraux, tous ses colonels, officiers, canons, caissons et bagages.
On avait fait six mille prisonniers; le reste avait été jeté dans un étang, ou tué sur le champ de bataille.
L'empereur suit vivement le général Sacken, qui se trouve séparé d'avec le général Blücher.
Notre perte a été extrêmement légère; nous n'avons pas deux cents hommes à regretter.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le 11 février, au point du jour, l'empereur, parti de Champaubert après la journée du 10, a poussé un corps sur Châlons, pour contenir les colonnes ennemies qui s'étaient rejetées de ce côté.
Avec le reste de son armée, il a pris la route de Montmirail.
A une lieue au-delà, il a rencontré le corps du général Blücher, et, après deux heures de combat, toute l'armée ennemie a été culbutée.
Jamais nos troupes n'ont montré plus d'ardeur.
L'ennemi, enfoncé de toutes parts, est dans une déroute complète: infanterie, artillerie, munitions, tout est en notre pouvoir ou culbuté.
Les résultats sont immenses; l'armée russe est détruite.
L'empereur se porte à merveille, et nous n'avons perdu personne de marque.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le 12 février l'empereur a poursuivi ses succès. Blücher cherchait à gagner Château-Thierry. Ses troupes ont été culbutées de position en position.
Un corps entier qui était resté réuni, et qui protégeait sa retraite, a été enlevé.
Cette arrière-garde était composée de quatre bataillons russes, trois bataillons prussiens, et de trois pièces de canon. Le général qui la commandait aussi été pris.
Nos troupes sont entrées pêle-mêle avec l'ennemi dans Château-Thierry, et suivent, sur la route de Soissons, les débris de cette armée, qui est dans une horrible confusion.
Les résultats de la journée d'aujourd'hui sont trente pièces de canon, et une quantité innombrable de voitures de bagages.
On comptait déjà trois mille prisonniers: il en arrive à chaque instant. Nous avons encore deux heures de jour.
On compte parmi les prisonniers cinq à six généraux, qui sont dirigés sur Paris.
On croit le général en chef Saken tué.
Le 7 février 1814.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le 3 février, deux heures après son entrée à Troyes, S. M. a fait partir le duc de Trévise pour les Maisons-Blanches. Une division autrichienne, commandée par le prince Liechtenstein, s'était portée sur ce point, qui est à deux lieues de la ville; elle a été vivement repoussée et rejetée à deux lieues plus loin.
Le 4 au soir, le quartier-général de l'empereur de Russie était à Lusigny près Vandoeuvre, à deux lieues de Troyes, où se trouvaient la garde russe et l'armée ennemie. L'ennemi voulait entrer le soir dans Troyes. Il marcha sur le pont de la Guillotière; il y éprouva une vive résistance. Sa première attaque fut repoussé. Des cavaliers prisonniers lui apprirent que l'empereur était à Troyes. Il jugea alors devoir faire d'autres dispositions. Au même moment, le duc de Trévise faisait attaquer le pont de Clérey, qu'occupait la division du général Bianchi. L'ennemi fut chassé. Le général de division Briche, avec ses dragons, fit une charge dans laquelle il prit cent soixante hommes, et en tua une centaine à l'ennemi.
Le lendemain 5, l'empereur se disposait à passer le pont de la Guillotière et à attaquer l'ennemi, lorsque S. M. apprit qu'il avait battu en retraite et rétrogradé d'une marche sur Vandoeuvre.
Le 6, les dispositions furent faites pour menacer Bar-sur-Seine. Quelques attaques eurent lieu sur cette route. On prit à l'ennemi une trentaine d'hommes, une pièce de canon et un caisson.
Pendant ce temps, l'armée se mettait en marche pour Nogent, afin de tomber sur les colonnes ennemies qui ont occupé Châlons et Vitry, et qui menaçaient Paris par la Ferté-sous-Jouarre et Meaux.
Le 7 au matin, le duc de Tarente avait son quartier-général près de Chaville, entre Épernay et Châlons.
Les divisions de gardes nationales d'élite venues à Montereau de Normandie et de Bretagne, se sont mises en mouvement, sous le commandement du général Pajol.
La division de l'armée d'Espagne, commandée par le général Leval, est arrivée à Provins; les autres suivent. Ces troupes sont composées de soldats qui ont fait les campagnes d'Autriche et de Pologne. Elles sont remplacées à l'armée d'Espagne par les cinq divisions de réserve.
Aujourd'hui 7, à midi, l'empereur est arrivé à Nogent.
Tout est en mouvement pour manoeuvrer.
L'exaspération des habitans est à son comble. L'ennemi commet partout les plus horribles vexations.
Toutes les mesures sont prises pour qu'au premier mouvement rétrograde il soit enveloppé de tous côtés.
Des millions de bras n'attendent que ce moment pour se lever. La terre sacrée que l'ennemi a violée, sera pour lui une terre de feu qui le dévorera.
Le 12 février 1814.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le 10, l'empereur avait son quartier-général à Sézanne.
Le duc de Tarente était à Meaux, ayant fait couper les ponts de la Ferté et de Tréport.
Le général Sacken et le général Yorck étaient à la Ferté; le général Blücher à Vertus, et le général Alsuffiew à Champ-Aubert. L'armée de Silésie ne se trouvait plus qu'à trois marches de Paris. Cette armée, sous le commandement en chef du général Blücher, se composait des corps de Sacken et de Langeron, formant soixante régimens d'infanterie russe, et de l'élite de l'armée prussienne.
Le 10, à la pointe du jour, l'empereur se porta sur les hauteurs de Saint-Prix, pour couper en deux l'armée du général Blücher. A dix heures, le duc de Raguse passa les étangs de Saint-Gond, et attaqua le village de Baye. Le neuvième corps russe, sous le commandement du général Alsuffiew, et fort de douze régimens, se déploya et présenta une batterie de vingt-quatre pièces de canon. Les divisions Lagrange et Ricart, avec la cavalerie du premier corps, tournèrent les positions de l'ennemi par sa droite. A une heure après-midi, nous fûmes maîtres du village de Baye.
A deux heures, la garde impériale se déploya dans les belles plaines qui sont entre Baye et Champ-Aubert. L'ennemi se reployait et exécutait sa retraite. L'empereur ordonna au général Girardin de prendre, avec deux escadrons de la garde de service, la tête du premier corps de cavalerie, et de tourner l'ennemi, afin de lui couper le chemin de Châlons. L'ennemi, qui s'aperçut de ce mouvement, se mit en désordre. Le duc de Raguse fit enlever le village de Champ-Aubert. Au même instant, les cuirassiers chargèrent à la droite, et acculèrent les Russes à un bois et à un lac entre la route d'Épernay et celle de Châlons. L'ennemi avait peu de cavalerie; se voyant sans retraite, ses masses se mêlèrent. Artillerie, infanterie, cavalerie, tout s'enfuit pêle-mêle dans les bois; deux mille se noyèrent dans le lac. Trente pièces de canon et deux cents voitures furent prises. Le général en chef, les généraux, les colonels, plus de cent officiers et quatre cents hommes furent faits prisonniers.
Ce corps de deux divisions et douze régimens devait présenter une force de dix-huit mille hommes: mais les maladies, les longues marches, les combats, l'avaient réduit à huit mille hommes: quinze cents à peine sont parvenus à s'échapper à la faveur des bois et de l'obscurité. Le général Blücher était resté à son quartier-général des Vertus, où il a été témoin des désastres de cette partie de son armée sans pouvoir y porter remède.
Aucun homme de la garde n'a été engagé, à l'exception de deux des quatre escadrons de service, qui se sont vaillamment comportés. Les cuirassiers du premier corps de cavalerie ont montré la plus rare intrépidité.
A huit heures du soir, le général Nansouty ayant débouché sur la chaussée, se porta sur Montmirail avec les divisions de cavalerie de la garde des généraux Colbert et Laferrière, s'empara de la ville et de six cents cosaques qui l'occupaient.
Le 11, à cinq heures du matin, la division de cavalerie du général Guyot se porta également sur Montmirail. Différentes divisions d'infanterie furent retardées dans leur mouvement par la nécessité d'attendre leur artillerie. Les chemins de Sézanne à Champ-Aubert sont affreux. Notre artillerie n'a pu s'en tirer que par la constance des canonnières et qu'au moyen des secours fournis avec empressement par les habitans, qui ont amené leurs chevaux.
Le combat de Champ-Aubert, où une partie de l'armée russe a été détruite, ne nous a pas conté plus de deux cents hommes tués ou blessés. Le général de division comte Lagrange est du nombre de ces derniers; il a été légèrement blessé à la tête.
L'empereur arriva le 11, à dix heures du matin, à une demi-lieue en avant de Montmirail. Le général Nansouty était en position avec la cavalerie de la garde, et contenait l'armée de Sacken, qui commençait à se présenter. Instruit du désastre d'une partie de l'armée russe, ce général avait quitté la Ferté-sous-Jouarre le 10 à neuf heures du soir, et marché toute la nuit. Le général Yorck avait également quitté Château-Thierry. A onze heures du matin, le 11, il commençait à se former, et tout présageait la bataille de Montmirail, dont l'issue était d'une si haute importance. Le duc de Raguse, avec son corps et le premier corps de cavalerie, avait porté son quartier-général à Étoges, sur la route de Châlons.
La division Ricart et la vieille garde arrivèrent sur les dix heures du matin. L'empereur ordonna au prince de la Moskwa de garnir le village de Marchais, par où l'ennemi paraissait vouloir déboucher. Ce village fut défendu par la brave division du général Ricart avec une rare constance; il fut pris et repris plusieurs fois dans la journée.
A midi, l'empereur ordonna au général Nansouty de se porter sur la droite, coupant la route de Château-Thierry, et forma les seize bataillons de la première division de la vieille garde sous le commandement du général Friant en une seule colonne le long de la route, chaque colonne de bataillon étant éloignée de cent pas.
Pendant ce temps, nos batteries d'artillerie arrivaient successivement. A trois heures, le duc de Trévise, avec les seize bataillons de la deuxième division de la vieille garde, qui étaient partis le matin de Sézanne, déboucha sur Montmirail.
L'empereur aurait voulu attendre l'arrivée des autres divisions; mais la nuit approchait. Il ordonna au général Friant de marcher avec quatre bataillons de la vieille garde, dont deux du deuxième régiment de grenadiers et deux du deuxième régiment de chasseurs, sur la ferme de l'Épine-aux-Bois, qui était la clef de la position, et de l'enlever. Le duc de Trévise se porta avec six bataillons de la deuxième division de la vieille garde sur la droite de l'attaque du général Friant.
De la position de la ferme de l'Épine-aux-Bois dépendait le succès de la journée. L'ennemi le sentait. Il y avait placé quarante pièces de canon; il avait garni les haies d'un triple rang de tirailleurs, et formé en arrière des masses d'infanterie.
Cependant, pour rendre cette attaque plus facile, l'empereur ordonna au général Nansouty de s'étendre sur la droite, ce qui donna à l'ennemi l'inquiétude d'être coupé et le força de dégarnir une partie de son centre pour soutenir sa droite. Au même moment, il ordonna au général Ricart de céder une partie du village de Marchais, ce qui porta aussi l'ennemi à dégarnir son centre pour renforcer cette attaque, dans la réussite de laquelle il supposait qu'était le gain de la bataille.
Aussitôt que le général Friant eut commencé son mouvement, et que l'ennemi eut dégarni son centre pour profiter de l'apparence d'un succès qu'il croyait réel, le général Friant s'élança sur la ferme de la Haute-Epine avec les quatre bataillons de la vieille garde. Ils abordèrent l'ennemi au pas de course, et firent sur lui l'effet de la tête de Méduse. Le prince de la Moskwa marchait le premier, et leur montrait le chemin de l'honneur. Les tirailleurs se retirèrent épouvantés sur les masses qui furent attaquées. L'artillerie ne put plus jouer; la fusillade devint alors effroyable, et le succès était balancé; mais au même moment, le général Guyot, à la tête du premier de lanciers, des vieux dragons et des vieux grenadiers de la garde impériale, qui défilaient sur la grande route au grand trot et au cris de vive l'empereur, passa à la droite de la Haute-Epine; ils se jetèrent sur les derrières des masses d'infanterie, les rompirent, les mirent en désordre, et tuèrent tout ce qui ne fut pas fait prisonnier. Le duc de Trévise, avec six bataillons de la division du général Michel, secondait alors l'attaque de la vieille garde, arrivait au bois, enlevait le village de Fontenelle, et prenait tout un parc ennemi.
La division des gardes d'honneur défila après la vieille garde sur la grande route, et arrivée à la hauteur de l'Epine-aux-Bois, fit un à gauche pour enlever ce qui s'était avancé sur le village de Marchais. Le général Bertrand, grand-maréchal du palais, et le maréchal duc de Dantzick, à la tête de deux bataillons de la vieille garde, marchèrent en avant sur le village et le mirent entre deux feux. Tout ce qui s'y trouvait fut pris ou tué.
En moins d'un quart d'heure, un profond silence succéda au bruit du canon et d'une épouvantable fusillade. L'ennemi ne chercha plus son salut que dans la fuite: généraux, officiers, soldats, infanterie, cavalerie, artillerie, tout s'enfuit pêle-mêle.
A huit heures du soir, la nuit étant obscure, il fallut prendre position. L'empereur prit son quartier-général à la ferme de l'Épine-aux-Bois.
Le général Michel, de la garde, a été blessé d'une balle au bras. Notre perte s'élève au plus à mille hommes tués ou blessés. Celle de l'ennemi est au moins de huit mille tués ou prisonniers; on lui a pris beaucoup de canons et six drapeaux. Cette mémorable journée, qui confond l'orgueil et la jactance de l'ennemi, a anéanti l'élite de l'armée russe. Le quart de notre armée n'a pas été engagé.
Le lendemain 12, à neuf heures du matin, le duc de Trévise suivit l'ennemi sur la route de Château-Thierry. L'empereur, avec deux divisions de cavalerie de la garde et quelques bataillons, se rendit à Vieux-Maisons, et de là prit la route qui va droit à Château-Thierry. L'ennemi soutenait sa retraite avec huit bataillons qui étaient arrivés tard la veille et qui n'avaient pas donné. Il les appuyait de quelques escadrons et de trois pièces de canon. Arrivé au petit village des Carquerets, il parut vouloir défendre la position qui est derrière le ruisseau, et couvrir le chemin de Château-Thierry.
Une compagnie de la vieille garde se porta sur la Petite-Noue, culbuta les tirailleurs de l'ennemi, qui fut poursuivi jusqu'à sa dernière position. Six bataillons de la vieille garde à toute distance de déploiement, occupaient la plaine, à cheval sur la grande route.
Le général Nansouty, avec les divisions de cavalerie des généraux Laferrière et Defrance, eut ordre de faire un mouvement à droite et de se porter entre Château-Thierry et l'arrière-garde ennemie. Ce mouvement fut exécuté avec autant d'habileté que d'intrépidité. La cavalerie ennemie se porta de tous les points sur sa gauche pour s'opposer à la cavalerie française; elle fut culbutée et forcée de disparaître du champ de bataille.
Le brave général Letort, avec les dragons de la seconde division de la garde, après avoir repoussé la cavalerie de l'ennemi, s'élança sur les flancs et les derrières de huit masses d'infanterie qui formaient l'arrière-garde ennemie. Cette division brûlait d'égaler ce que les chevaux-légers, les dragons et les grenadiers à cheval du général Guyot avaient fait la veille. Elle enveloppa de tous côtés ces masses, et en fit un horrible carnage. Les trois pièces de canon, le général russe Freudenreich, qui commandait cette arrière-garde, ont été pris. Tout ce qui composait ses bataillons a été tué ou fait prisonnier. Le nombre de prisonniers faits dans cette brillante affaire s'élève à plus de deux mille hommes. Le colonel Carely, du dixième de hussards, s'est fait remarquer. Nous arrivâmes alors sur les hauteurs de Château-Thierry, d'où nous vîmes les restes de cette armée fuyant dans le plus grand désordre, et gagnant en toute hâte ses ponts. Les grandes routes leur étaient coupées; ils cherchèrent leur salut sur la rive droite de la Marne. Le prince Guillaume de Prusse, qui était resté à Château-Thierry avec une réserve de deux mille hommes, s'avança à la tête des faubourgs pour protéger la fuite de cette masse désorganisée. Deux bataillons de la garde arrivèrent alors au pas de course. A leur aspect, le faubourg et la rive gauche furent nettoyés; l'ennemi brûla ses ponts, et démasqua sur la rive droite une batterie de douze pièces de canon: cinq cents hommes de la réserve du prince Guillaume ont été pris.
Le 12 au soir, l'empereur a pris son quartier-général au petit château de Nesle.
Le 13, dès la pointe du jour, on s'est occupé à réparer les ponts de Château-Thierry.
L'ennemi ne pouvant se retirer ni sur la route d'Épernay, qui lui était coupée, ni sur celle qui passe par la ville de Soissons, que nous occupons, a pris la traverse dans la direction de Reims. Les habitans assurent que de toute cette armée il n'est pas passé à Château-Thierry dix mille hommes, dans le plus grand désordre. Peu de jours auparavant, ils l'avaient vue florissante et pleine de jactance. Le général d'Yorck disait que dix obusiers suffiraient pour se rendre maître de Paris. En allant, ces troupes ne parlaient que de Paris; en revenant, c'est la paix qu'elles invoquaient.
On ne peut se faire une idée des excès auxquels se livrent les cosaques; il n'est point de vexations, de cruautés, de crimes que ces hordes de barbares n'aient commis. Les paysans les poursuivent, les attaquent dans les bois comme des bêtes féroces, s'en saisissent et les mènent partout où il y a des troupes françaises. Hier, ils en ont conduit plus de trois cents à Vieux-Maisons. Tous ceux qui se sont cachés dans les bois pour échapper aux vainqueurs, tombent dans leurs mains, et augmentent à chaque instant le nombre des prisonniers.
Le 15 février au matin.
A S. M. l'impératrice reine et régente.
Le 13, à trois heures après midi, le pont de Château-Thierry fut raccommodé. Le duc de Trévise passa la Marne, et se mit à la suite de l'ennemi, qui, dans un épouvantable désordre, paraît s'être retiré sur Soissons et sur Reims, par la route de traverse de la Fère en Tardenois.
Le général Blücher, commandant en chef toute l'armée de Silésie, était constamment resté à Vertus pendant les trois jours qui ont anéanti son armée. Il recueillit douze cents hommes des débris du corps du général Alsuffiew battu à Champ-Aubert, qu'il réunit à une division russe du corps de Langeron, arrivée de Mayence et commandée par le lieutenant-général Ouroussoff. Il était trop faible pour entreprendre quelque chose; mais le 13 il fut joint par un corps prussien du général Kleist, composé de quatre brigades. Il se mit alors à la tête de ces vingt mille hommes et marcha contre le duc de Raguse, qui occupait toujours Étoges. Dans la nuit du 13 au 14, ne jugeant pas ses forces suffisantes pour se mesurer contre l'ennemi, le duc de Raguse se mit en retraite et s'appuya sur Montmirail, où il était de sa personne le 14 à sept heures du matin.
L'empereur partit le même jour de Château-Thierry à quatre heures du matin, et arriva à huit heures à Montmirail. Il fit sur-le-champ attaquer l'ennemi, qui venait de prendre position avec le corps de ses troupes au village de Vauchamp. Le duc de Raguse attaqua ce village. Le général Grouchy, à la tête de la cavalerie, tourna la droite de l'ennemi par les villages et par les bois, et se porta à une lieue au-delà de la position de l'ennemi. Pendant que le village de Vauchamp était attaqué vigoureusement, défendu de même, pris et repris plusieurs fois, le général Grouchy arriva sur les derrières de l'ennemi, entoura, et sabra trois carrés, et accula le reste dans les bois. Au même instant, l'empereur fit charger par notre droite ses quatre escadrons de service, commandés par le chef d'escadron de la garde La Biffe. Cette charge fut aussi brillante qu'heureuse. Un carré de deux mille hommes fut enfoncé et pris. Toute la cavalerie de la garde arriva alors au grand trot, et l'ennemi fut poussé l'épée dans les reins. A deux heures, nous étions au village de Fromentières; l'ennemi avait perdu six mille hommes faits prisonniers, dix drapeaux et trois pièces de canon.
L'empereur ordonna au général Grouchy de se porter sur Champ-Aubert à une lieue sur les derrières de l'ennemi. En effet, l'ennemi continuant sa retraite, arriva sur ce point à la nuit. Il était entouré de tous côtés, et tout aurait été pris si le mauvais état des chemins avait permis à douze pièces d'artillerie légère de suivre la cavalerie du général Grouchy. Toutefois, et quoique la nuit fût obscure, trois carrés de cette infanterie furent enfoncés, tués ou pris, et les autres poursuivis vivement jusqu'à Étoges; la cavalerie s'empara aussi de trois pièces de canon. L'arrière-garde ennemie était faite par la division russe; elle fut attaquée par le premier régiment de marine du duc de Raguse, abordée à la baïonnette, rompue, et on lui fit mille prisonniers, avec le lieutenant-général Ouroussoff qui la commandait, et plusieurs colonels.
Les résultats de cette brillante journée sont dix mille prisonniers, dix pièces de canon, dix drapeaux et un grand nombre d'hommes tués à l'ennemi.
Notre perte n'excède pas trois ou quatre cents hommes tués ou blessés; ce qui est dû à la manière franche dont les troupes ont abordé l'ennemi et à la supériorité de notre cavalerie qui le décida, aussitôt qu'il s'en aperçut, à mettre son artillerie en retraite; de sorte qu'il a marché constamment sous la mitraille de soixante bouches à feu, et que des soixante pièces de canon qu'il avait, il ne nous en a opposé que deux ou trois.
Le prince de Neufchâtel, le grand-maréchal du palais, comte Bertrand, le duc de Dantzick et le prince de la Moskwa, ont constamment été à la tête des troupes.
Le général Grouchy fait le plus grand éloge des divisions de cavalerie Saint-Germain et Doumerc. La cavalerie de la garde s'est couverte de gloire; rien n'égale son intrépidité. Le général Lion, de la garde, a été légèrement blessé. Le duc de Raguse fait une mention particulière du premier régiment de marine; le reste de l'infanterie, soit de la garde, soit de la ligne, n'a pas tiré un coup de fusil.
Ainsi, cette armée de Silésie, composée des corps russes de Sacken et de Langeron, des corps prussiens d'Yorck et de Kleist, et forte de près de quatre-vingt mille hommes, a été, en quatre jours, battue, dispersée, anéantie, sans affaire générale, et sans occasionner aucune perte proportionnée à de si grands résultats.
Le 17 février au matin.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
L'empereur, en partant de Nogent le 9, pour manoeuvrer sur les corps ennemis qui s'avançaient par la Ferté et Meaux sur Paris, laissa les corps du duc de Bellune et du général Gérard en avant de Nogent; le septième corps du duc de Reggio, à Provins, chargé de la défense des ponts de Bray et de Montereau, et le général Pajol sur Montereau et Melun.
Le duc de Bellune, ayant eu avis que plusieurs divisions de l'armée autrichienne avaient marché de Troyes dans la journée du 10, pour s'avancer sur Nogent, fit repasser la Seine à son corps de l'armée, laissant le général Bourmont avec douze cents hommes à Nogent pour la défense de la ville.
L'ennemi se présenta le 11 pour entrer dans Nogent. Il renouvela ses attaques toute la journée, et toujours en vain; il fut vivement repoussé, avec perte de quinze cent hommes tués ou blessés.
Le général Bourmont avait barricadé les rues, crénelé les maisons, et pris toutes ses mesures pour une vigoureuse défense. Ce général, qui est un officier de distinction, fut blessé au genou; le colonel Ravier le remplaça. L'ennemi renouvela l'attaque le 12, mais toujours infructueusement. Nos jeunes troupes se sont couvertes de gloire.
Ces deux journées ont coûté à l'ennemi plus de deux mille hommes.
Le duc de Bellune, ayant appris que l'ennemi avait passé à Bray, jugea convenable de faire couper le pont de Nogent, et se porta sur Nangis. Le duc de Reggio ordonna de faire sauter les ponts de Montereau et de Melun, et se retira sur la rivière d'Yères.
Le 16, l'empereur est arrivé sur l'Yères, et a porté son quartier-général à Guignes.
Le soir de la bataille de Vauchamp (le 14), le duc de Raguse fit attaquer l'ennemi à huit heures sur Etoges; il lui a pris neuf pièces de canon, et il a achevé la destruction de la division russe: on a compté sur ce seul point, au champ de bataille, treize cents morts.
Les succès obtenus à la bataille de Vauchamp ont été beaucoup plus considérables qu'on ne l'a annoncé.
L'exaspération des habitans de la campagne est à son comble. Les atrocités commises par les cosaques surpassent tout ce que l'on peut imaginer. Dans leur féroce ivresse, ils ont porté leurs attentats sur des femmes de soixante ans et sur des jeunes filles de douze; ils ont ravagé et détruit les habitations. Les paysans, ne respirant que la vengeance, conduits par des vieux militaires réformés, et armés avec des fusils de l'ennemi ramassés sur le champ de bataille, battent les bois, et font main-basse sur tout ce qu'ils rencontrent: on estime déjà à plus de deux mille hommes ceux qu'ils ont pris; ils en ont tué plusieurs centaines. Les Russes épouvantés se rendent à nos colonnes de prisonniers, pour y trouver un asile. Les mêmes causes produiront les mêmes effets dans tout l'empire; et ces armées, qui entraient, disaient-elles, sur notre territoire pour y porter la paix, le bonheur, les sciences et les arts, y trouveront leur anéantissement.
A. S. l'impératrice-reine et régente.
L'empereur a fait marcher, le 18 au matin, sur les ponts de Bray et de Montereau.
Le duc de Reggio s'est porté sur Provins.
S. M. étant informée que le corps du général de Wrede et des Wurtembergeois était en position à Montereau, s'y est porté avec les corps du duc de Bellune et du général Gérard, la garde à pied et à cheval.
De son côté, le général Pajol marchait de Melun sur Montereau.
L'ennemi a défendu la position.
Il a été culbuté et si vivement, que la ville et les ponts sur l'Yonne et la Seine ont été enlevés de vive force; de sorte que ces ponts sont intacts, et nous les passons pour suivre l'ennemi.
Nous avons dans ce moment environ trois mille prisonniers bavarois et wurtembergeois, dont un général et cinq pièces de canon.
Le 19 février 1814.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le duc de Raguse marchait sur Châlons lorsqu'il apprit qu'une colonne de la garde impériale russe, composée de deux divisions de grenadiers, se portait sur Montmirail. Il fit volte-face, marcha à l'ennemi, lui prit trois cents hommes, le repoussa sur Sézanne, d'où les mouvemens de l'empereur ont obligé ce corps à se porter à marches forcées sur Troyes.
Le comte Grouchy, avec la division d'infanterie du général Leval et trois divisions du deuxième corps de cavalerie, passait à la Ferté-sous-Jouarre.
Les avant postes du duc de Trévise étaient entrés à Soissons.
Le 17, à la pointe du jour, l'empereur a marché de Guignes sur Nangis. Le combat de Nangis a été des plus brillans.
Le général en chef russe Wittgenstein était à Nangis avec trois divisions qui formaient son corps d'armée.
Le général Pahlen, commandant les troisième et quatorzième divisions russes et beaucoup de cavalerie, était à Mormant.
Le général de division Gérard, officier de la plus haute espérance, déboucha au village de Mormant sur l'ennemi. Un bataillon du trente-deuxième régiment d'infanterie, toujours digne de son ancienne réputation, qui le fit distinguer il y a vingt ans par l'empereur aux batailles de Castiglione, entra dans le village au pas de charge. Le comte de Valmy, à la tête des dragons du général Treilhard venant d'Espagne, et qui arrivaient à l'armée, tourna le village par sa gauche. Le comte Milhaud, avec le cinquième corps de cavalerie, le tourna par sa droite. Le comte Drouot s'avança avec de nombreuses batteries. Dans un instant tout fut décidé. Les carrés formés par les divisions russes furent enfoncés. Tout fut pris, généraux et officiers: six mille prisonniers, dix mille fusils, seize pièces de canon et quarante caissons sont tombés en notre pouvoir. Le général Wittgenstein a manqué d'être pris: il s'est sauvé en toute hâte sur Nogent. Il avait annoncé au sieur Billy, chez lequel il logeait à Provins, qu'il serait le 18 à Paris. En retournant, il ne s'arrêta qu'un quart d'heure, et eut la franchise de dire à son hôte: «J'ai été bien battu; deux de mes divisions ont été prises; dans deux heures vous verrez les Français.»
Le comte de Valmy se porta sur Provins, avec le duc de Reggio; le duc de Tarente sur Donnemarie.
Le duc de Bellune marcha sur Villeneuve-le-Comte. Le général de Wrede, avec ses deux divisions bavaroises, y était en position. Le général Gérard les attaqua et les mit en déroute. Les huit ou dix mille hommes qui composaient le corps bavarois étaient perdus, si le général L'héritier, qui commande une division de dragons, avait chargé comme il le devait; mais ce général, qui s'est distingué dans tant d'occasions, a manqué celle qui s'offrait à lui. L'empereur lui en a fait témoigner son mécontentement. Il ne l'a pas fait traduire à un conseil d'enquête, certain que, comme à Hoff en Prusse et à Znaïm en Moravie, où il commandait le dixième régiment de cuirassiers, il méritera des éloges, et réparera sa faute.
S. M. a témoigné sa satisfaction au comte de Valmy, au général Treilhard et à sa division, au général Gérard et à son corps d'armée.
L'empereur a passé la nuit du 17 au 18 au château de Nangis.
Le 18, à la pointe du jour, le général Château s'est porté sur Montereau. Le duc de Bellune devait y arriver le 17 au soir. Il s'est arrêté à Salins: c'est une faute grave. L'occupation des ponts de Montereau aurait fait gagner à l'empereur un jour, et permis de prendre l'armée autrichienne en flagrant délit.
Le général Château arriva devant Montereau à dix heures du matin; mais dès neuf heures le général Bianchi, commandant le premier corps autrichien, avait pris position avec deux divisions autrichiennes et la division wurtembergeoise, sur les hauteurs en avant de Montereau, couvrant les ponts et la ville. Le général Château l'attaqua; n'étant pas soutenu par les autres divisons du corps d'armée, il fut repoussé. Le sieur Lecouteulx, qui avait été envoyé le matin en reconnaissance, ayant eu son cheval tué, a été pris. C'est un intrépide jeune homme.
Le général Gérard soutint le combat pendant toute la matinée. L'empereur s'y porta au galop. A deux heures après-midi, il fit attaquer le plateau. Le général Pajol, qui marchait par la route de Melun, arriva sur ces entrefaites, exécuta une belle charge, culbuta l'ennemi et le jeta dans la Seine et dans l'Yonne. Les braves chasseurs du septième débouchèrent sur les ponts, que la mitraille de plus de soixante pièces de canon empêcha de faire sauter, et nous obtînmes le double résultat de pouvoir passer les ponts au pas de charge, de prendre quatre mille hommes, quatre drapeaux, six pièces de canon, et de tuer quatre à cinq mille hommes à l'ennemi.
Les escadrons de service de la garde débouchèrent dans la plaine. Le général Duhesme, officier d'une rare intrépidité et d'une longue expérience, déboucha sur le chemin de Sens; l'ennemi fut poussé dans toutes les directions, et notre armée défila sur les ponts. La vieille garde n'eut qu'à se montrer: l'ardeur des troupes du général Gérard et du général Pajol l'empêcha de participer à l'affaire.
Les habitans de Montereau n'étaient pas restés oisifs; des coups de fusil tirés par les fenêtres augmentèrent les embarras de l'ennemi. Les Autrichiens et les Wurtembergeois jetèrent leurs armes. Un général wurtembergeois a été tué. Un général autrichien a été pris, ainsi que plusieurs colonels, parmi lesquels se trouve le colonel du régiment de Collorédo, pris avec son état-major et son drapeau.
Dans la même journée, les généraux Charpentier et Alix débouchèrent de Melun, traversèrent la forêt de Fontainebleau et en chassèrent les cosaques et une brigade autrichienne. Le général Alix arriva à Moret.
Le duc de Tarente arriva devant Bray.
Le duc de Reggio poursuivit les partis ennemis de Provins sur Nogent.
Le général de brigade Montbrun, qui avait été chargé avec dix-huit cents hommes, de défendre Moret et Fontainebleau, les avait abandonnés et s'était retiré sur Essonne. Cependant la forêt de Fontainebleau pouvait être disputée pied à pied.
Le major-général a ordonné la suspension du général Montbrun et l'a envoyé devant un conseil d'enquête.
Une perte qui a sensiblement affecté l'empereur est celle du général Château. Ce jeune officier, qui donnait les plus grandes espérances, a été blessé mortellement sur le pont de Montereau, où il était avec les tirailleurs. S'il meurt, et le rapport des chirurgiens donne peu d'espoir, il mourra du moins accompagné des regrets de toute l'armée, mort digne d'envie et bien préférable à l'existence, pour tout militaire qui ne la conserverait qu'en survivant à sa réputation, et en étouffant les sentimens que doivent lui inspirer dans ces grandes circonstances la défense de la patrie et l'honneur du nom français.
Le palais de Fontainebleau a été conservé. La général autrichien Hardeck, qui est entré dans la ville, y avait placé des sentinelles pour le défendre des excès des cosaques, qui sont cependant parvenus à piller des portiers et à enlever des couvertures dans les écuries. Les habitans ne se plaignent point des Autrichiens, mais de ces Tartares, monstres qui déshonorent le souverain qui les emploie et les armées qui les protègent. Ces brigands sont couverts d'or et de bijoux. On a trouvé jusqu'à huit et dix montres sur ceux que les soldats et les paysans ont tués: ce sont de véritables voleurs de grands chemins.
L'empereur a rencontré dans sa marche les gardes nationales de Brest et du Poitou. Il les a passées en revue: «Montrez, leur dit-il, de quoi sont capables les hommes de l'Ouest; ils furent de tout temps les fidèles défenseurs de leur pays, et les plus fermes appuis de la monarchie.»
S. M. a passé la nuit du 19 au château de Surville, situé sur les hauteurs de Montereau.
Les habitans se plaignent beaucoup des vexations du prince royal de Wurtemberg.
Ainsi, l'armée de Schwartzenberg se trouve entamée par la défaite de Kleist, ce corps en ayant toujours fait partie, par la défaite de Wittgenstein, par celle du corps bavarois, de la division wurtembergeoise et du corps du général Bianchi.
L'empereur a accordé aux trois divisions de la vieille garde à cheval cinq cents décorations de la légion-d'honneur; il en a accordé également à la vieille garde à pied. Il en a donné cent à la cavalerie du général Treilhard, et un pareil nombre à celle du général Milhaud.
On a recueilli une grande quantité de décorations de Saint-Georges, de Saint-Wladimir, de Sainte-Anne, prises sur les hommes qui couvrent les différens champs de bataille.
Notre perte dans les combats de Nangis et de Montereau ne s'élève pas à plus quatre cents hommes tués ou blessés, ce qui, quoique invraisemblable, est pourtant l'exacte vérité.
La ville d'Épernay ayant eu connaissance des succès de notre armée, a sonné le tocsin, barricadé ses rues, refusé le passage à une colonne de deux mille hommes et fait des prisonniers. Que cet exemple soit imité partout, et il est à présumer que bien peu d'hommes des armées ennemies repasseront le Rhin.
Les villes de Guise et de Saint-Quentin ont aussi fermé leurs portes et déclaré qu'elles ne les ouvriraient que s'il se présentait devant elles des forces suffisantes et de l'infanterie. Elles n'ont pas fait comme Reims, qui a eu la faiblesse d'ouvrir ses portes à cent cinquante cosaques, et qui, pendant huit jours, les a complimentés et bien traités. Nos annales conserveront le souvenir des populations qui ont manqué à ce qu'elles devaient à elles-mêmes et à l'honneur. Elles exalteront, au contraire, celles qui, comme Lyon, Chalons-sur-Saône, Tournus, Sens, Saint-Jean-de-Losne, Vitry, Châlons-sur-Marne, ont payé leurs dettes envers la patrie, et se sont souvenues de ce qu'exigeait la gloire du nom français. La Franche-Comté, les Vosges et l'Alsace ne l'oublieront pas au moment du mouvement rétrograde des alliés. Le duc de Castiglione, qui a réuni à Lyon une armée d'élite, marche pour fermer la retraite aux ennemis.
Le 21 février 1814.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le baron Marulaz, commandant à Besançon, écrit ce qui suit:
Le 31 janvier, l'ennemi a fait une attaque du côté de Bréguille, dans la nuit; il a fait jouer sur la ville deux batteries d'obusiers et de canons, et il a tenté une attaque sur le fort de Chandonne: il a partout été repoussé, aux cris de vive l'empereur. Il a perdu plus de douze cents hommes. Quelque part que l'ennemi se présente, nous sommes en mesure de le bien recevoir.
Tous les cosaques qui s'étaient répandus jusqu'à Orléans, se reploient en toute hâte. Partout les paysans les poursuivent, et prennent et tuent un grand nombre. A Nogent, ces Tartares, qui n'ont rien d'humain, ont incendié des granges, auxquelles ils mettaient le feu à la main. Les habitans étant sortis pour venir l'éteindre, les cosaques les ont chargés et ont rallumé le feu. Dans un village de l'Yonne, les cosaques s'amusant à incendier une belle ferme, le tocsin sonna, et les habitans en jetèrent une trentaine dans les flammes.
L'empereur Alexandre a couché le 17 à Bray; il avait fait marquer son quartier-général pour le jour suivant à Fontainebleau. L'empereur d'Autriche n'a pas quitté Troyes.
L'empereur Napoléon a eu le 20 au soir son quartier-général à Nogent.
Toute l'armée entière se dirige sur Troyes.
Le général Gérard est arrivé avec son corps et la division de cavalerie du général Roussel, à Sens; il a son avant-garde à Villeneuve-l'Archevêque. L'avant-garde du duc de Reggio est à moitié chemin de Nogent à Troyes, à Châtres et à Mesgrigny; celle du duc de Tarente est à Pavillon. Le duc de Raguse est à Sézanne, observant les mouvemens du général Wintzingerode, qui, ayant quitté Soissons, s'est porté par Reims sur Châlons, pour se réunir au débris de général Blücher. Le duc de Raguse tomberait sur son flanc gauche s'il s'engageait de nouveau.
Soissons est une place à l'abri d'un coup de main. Le général Wintzingerode, à la tête de quatre à cinq mille hommes de troupes légères, la somma de se rendre. Le général Rusca répondit comme il devait. Wintzingerode mit ses douze pièces de canon en batterie; malheureusement le premier coup tua le général Rusca. Mille hommes de gardes nationales étaient la seule garnison qu'il y eût dans la place; ils s'épouvantèrent, et l'ennemi entra à Soissons, où il commit toutes les horreurs imaginables. Les généraux qui se trouvaient dans la place, et qui devaient prendre le commandement à la mort du général Rusca, seront traduits à un conseil d'enquête; car cette ville ne devait pas être prise.
Le duc de Trévise à réoccupé Soissons le 19, et en a réorganisé la défense.
Le général Vincent écrit de Château-Thierry que deux cent cinquante coureurs ennemis étant revenus à Fère-en-Tardenoy, M. d'Arbaud-Missun s'est porté contre eux, avec soixante chevaux du troisième régiment des gardes-d'honneur qu'il a réunis, et avec le secours des gardes nationaux des villages, il a battu ces coureurs, en a tué plusieurs, et a chassé le reste.
Le général Milhaud a rencontré l'ennemi à Saint-Martin-le Bosnay, sur la vieille route de Nogent à Troyes. L'ennemi avait huit cents chevaux environ. Il l'a fait attaquer par trois cents hommes, qui l'ont culbuté, lui ont fait cent soixante prisonniers, tué une vingtaine d'hommes et pris une centaine de chevaux. Il a poursuivi l'ennemi et le poursuit encore l'épée dans les reins.
Le duc de Castiglione part de Lyon avec un corps d'armée considérable, composé de troupes d'élite, pour se porter en Franche-Comté et en Suisse.
Le congrès de Châtillon continue toujours, mais l'ennemi y porte toute espèce d'entraves. Les cosaques arrêtent à chaque pas les courriers, et leur font faire des détours tels, que, quoiqu'on ne soit qu'à trente lieues de Châtillon en ligne droite, les courriers n'arrivent qu'après quatre à cinq jours de course. C'est la première fois qu'on viole ainsi le droit des gens. Chez les nations les moins civilisées, les courriers des ambassadeurs sont respectés, et aucun empêchement n'est mis aux communications des négociateurs avec leur gouvernement.
Les habitans de Paris devaient s'attendre aux plus grands malheurs, si, l'ennemi parvenant à leurs portes, ils lui eussent livré leur ville sans défense. Le pillage, la dévastation et l'incendie auraient fini les destinées de cette belle capitale.
Le froid est extrêmement vif. Cette circonstance a été favorables à nos ennemis, puisqu'elle leur a permis d'évacuer leur artillerie et leurs bagages par tous les chemins. Sans cela, plus de la moitié de leurs voitures seraient tombées en notre pouvoir.
Le 24 février 1814.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
L'empereur s'est rendu le 22, à deux heures après midi, dans la petite ville de Mery-sur-Seine.
Le général Boyer a attaqué à Mery les débris des corps des généraux Blücher, Sacken et Yorck, qui avaient passé l'Aube pour rejoindre l'armée du prince de Schwartzenberg à Troyes. Le général Boyer a poussé l'ennemi au pas de charge, l'a culbuté et s'est emparé de la ville. L'ennemi, dans sa rage, y a mis le feu avec tant de rapidité, qu'il a été impossible de traverser l'incendie pour le poursuivre. Nous avons fait une centaine de prisonniers.
Du 22 au 23, l'empereur a eu son quartier-général au petit bourg de Châtres.
Le 23, le prince Wenzel-Lichtenstein est arrivé au quartier-général. Ce nouveau parlementaire était envoyé par le prince Schwartzenberg pour proposer un armistice.
Le général Milhaud, commandant la cavalerie du cinquième corps, a fait prisonniers deux cents hommes à cheval, entre Pavillon et Troyes.
Le général Gérard, parti de Sens et marchant par Ville-neuve-l'Archevêque, Villemont et Saint-Liebaut, a rencontré l'arrière-garde du prince Maurice de Lichtenstein, lui a pris six pièces de canon et six cents hommes montés, qui ont été entourés par la brave division de cavalerie du général Roussel.
Le 23, nos troupes investissaient Troyes de tous côtés. Un aide-de-camp russe est venu aux avant-postes, pour demander le temps d'évacuer la ville, sans quoi elle serait brûlée. Cette considération a arrêté les mouvemens de l'empereur.
La ville a été évacuée dans la nuit, et nous y sommes entrés ce matin.
Il est impossible de se faire une idée des vexations auxquelles les habitans ont été en proie pendant les dix-sept jours de l'occupation de l'ennemi. On se peindrait aussi difficilement l'enthousiasme et l'exaltation des sentimens qu'ils ont montrés à l'arrivée de l'empereur. Une mère qui voit ses enfans arrachés à la mort, des esclaves qui voient briser leurs fers après la captivité la plus cruelle, n'éprouvent pas une joie plus vive que celle que les habitans de Troyes ont manifestée. Leur conduite a été honorable et digne d'éloges. Le théâtre a été ouvert tous les soirs, mais aucun homme, aucune femme, même des classes inférieures, n'a voulu y paraître.
Le sieur Gau, ancien émigré, et le sieur Viderange, ancien garde-du-corps, se sont prononcés en faveur de l'ennemi, et ont porté la croix de Saint-Louis. Ils ont été traduits devant une commission prévôtale et condamnés à mort. Le premier a subi son jugement; le deuxième a été condamné par contumace.
La population entière demande à marcher. «Vous aviez bien raison, s'écriaient les habitans, en entourant l'empereur, de nous dire de nous lever en masse. La mort est préférable aux vexations, aux mauvais traitemens, aux cruautés que nous avons éprouvés pendant dix-sept jours.»
Dans tous les villages, les habitans sont en armes; ils font partout main-basse sur les ennemis qu'ils rencontrent. Les hommes isolés, les prisonniers se présentent d'eux-mêmes aux gendarmes, qu'ils ne regardant plus comme des gardiens, mais comme des protecteurs.
Le général Vincent écrit de Château-Thierry, le 22, que l'ennemi ayant voulu frapper des réquisitions sur les communes de Bazzy, Passi et Vincelle, les gardes nationaux se sont réunis et ont repoussé l'ennemi, après lui avoir pris et blessé plusieurs hommes. Le même général écrit à la même date, qu'un parti de cavalerie russe et prussienne s'étant approché de Château-Thierry, il l'a fait attaquer par un détachement du troisième régiment des gardes-d'honneur, commandé par le chef d'escadron d'Andlaw, et soutenu par les gardes nationales de Château-Thierry, et des communes de Blesmes et Cruzensi. L'ennemi a été chassé et mis en déroute; douze cosaques et quatorze chevaux ont été pris. Les gardes nationaux étaient à la recherche du reste de cette troupe, qui s'est sauvée dans les bois. S. M. a accordé trois décorations de la légion-d'honneur au détachement du troisième régiment des gardes-d'honneur, et un pareil nombre aux gardes nationaux.
Le comte de Valmy s'est dirigé, aujourd'hui 24, sur Bar-sur-Seine. Arrivé à Saint-Paar, il a trouvé l'arrière-garde du général Giulay, l'a fait charger, l'a mise en déroute et lui a fait douze cents prisonniers. Il est probable que le comte de Valmy sera ce soir à Bar-sur-Seine.
Le général Gérard est parti du pont de la Guillotière, soutenu par le duc de Reggio; il s'est porté sur Lusigny, et a passé la Barce. Le général Duhesme a pris position à Montieramey, près Vandoeuvre.
Le comte Flahaut, aide-de-camp de l'empereur Napoléon, le comte Ducca, aide-de-camp de l'empereur d'Autriche, le comte Schouvaloff, aide-de-camp de l'empereur de Russie, et le général de Rauch, chef du corps du génie du roi de Prusse, sont réunis à Lusigny, pour traiter des conditions d'une suspension d'armes.
Ainsi, dans la journée du 24, la capitale de la Champagne a été délivrée, et nous avons fait environ deux mille prisonniers, dont un bon nombre d'officiers. On a de plus trouvé dans les hôpitaux de la ville un millier de blessés, officiers et soldats, abandonnés par l'ennemi.
Le 27 février 1814.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le 26, le quartier-général était à Troyes.
Le duc de Reggio était à Bar-sur-Aube, avec le général Gérard, et le second corps de cavalerie, commandé par le comte de Valmy.
Le duc de Tarente avait son quartier-général à Mussy-l'Evêque, et ses avant-postes à Châtillon; il marchait sur l'Aube et sur Clairvaux.
Le duc de Castiglione, qui a sous ses ordres une armée de quarante mille hommes, dont une grande partie se compose de troupes d'élite, était en mouvement.
Le général Marchand était à Chambéry, le général Dessaix sous les murs de Genève, et le général Meusnier était entré à Mâcon.
Bourg et Nantua étaient également en notre pouvoir; le général autrichien Bubna, qui avait menacé Lyon, était en retraite de tous côtés; dès le 20, on évaluait sa perte, sur différens points, à quinze cents hommes, dont six cents prisonniers.
Le prince de la Moskwa est à Arcis-sur-Aube, le duc de Bellune à Plancy, le duc de Padoue à Nogent; on marchait sur les derrières des corps de Blücher, Sacken, Yorck et Kleist, qui avaient reçu des renforts de Soissons, et qui manoeuvraient sur le corps du duc de Raguse, qui se trouvait à la Ferté-Gaucher.
Le général Duhesme a enlevé Bar-sur-Aube à la baïonnette, et en faisant des prisonniers, parmi lesquels sont plusieurs officiers bavarois.
Le 5 mars 1814.
A S.M. l'impératrice-reine et régente.
S.M. l'empereur et roi avait, le 5, son quartier-général à Bery-le-Bac, sur l'Aisne.
L'armée ennemie de Blücher, Sacken, Yorck, Winzingerode et de Bulow était en retraite; sans la trahison du commandant de la ville de Soissons, qui a livré ses portes, cette armée était perdue.
Le général Corbineau est entré, le 5, à Reims, à quatre heures du matin.
Nous avons battu l'ennemi aux combats de Lisy-sur-Ourcq et de May.
Le résultat des diverses affaires, est: quatre mille prisonniers, six cents voitures de bagages, plusieurs pièces de canon, et la délivrance de la ville de Reims.
Craonne, le 7 mars 1814.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Il y a eu aujourd'hui ici une bataille très-glorieuse pour les armées françaises.
S. M. l'empereur et roi a battu les corps des généraux ennemis Witzingerode, Woronzoff et Langeron, réunis aux débris du corps du général Sacken.
Nous avons déjà deux mille prisonniers et plusieurs pièces de canon.
Notre armée est à la poursuite de l'ennemi sur la route de Laon.
Le 9 mars 1814.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
L'armée du général Blücher, composée des débris des corps des généraux Sacken, Kleist et Yorck, se retira, après les batailles de Montmirail et de Vauchamp, par Reims, sur Châlons. Elle y reçut les deux dernières divisions du corps du général Langeron, qui étaient encore restées devant Mayence, et elle y reforma ses cadres. Sa perte avait été telle, qu'elle fut obligée de les réduire à moitié, quoiqu'il lui fût arrivé plusieurs convois de recrues de ses réserves.
L'armée dite du nord, composée de quatre divisions russes, sous les ordres des généraux Witzingerode, Woronzoff et Strogonow, et d'une division prussienne sous les ordres du général Bulow, remplaçait, à Châlons et à Reims, l'armée de Silésie.
Celle-ci passa l'Aube à Arcis, pendant que le prince de Schwartzenberg bordait la droite de la Seine, et, par suite des combats de Nangis et de Montereau, évacuait tout le pays entre la Seine et l'Yonne.
Le 22 février, le général Blücher se présenta devant Méry. Il avait déjà passé le pont lorsque le général de division Boyer marcha sur lui à la baïonnette, le culbuta et le rejeta de l'autre côté de la rivière; mais l'ennemi mit le feu au pont et à la petite ville de Méry, et l'incendie fut si violent, que pendant quarante-huit heures il fut impossible de passer.
Le 24, le corps du duc de Reggio se porta sur Vandoeuvre, et celui du duc de Tarente sur Bar-sur-Seine.
Il paraît que l'armée de Silésie s'était portée sur la gauche de l'Aube, pour se réunir à l'armée autrichienne et donner une bataille générale; mais l'ennemi ayant renoncé à ce projet, le général Blücher repassa l'Aube le 24, et se porta sur Sézanne.
Le duc de Raguse observa ce corps, retarda sa marche, et se retira devant lui sans éprouver aucune perte. Il arriva le 25 à la Ferté-Gaucher, et fit le 26, à la Ferté-sous-Jouarre, sa jonction avec le duc de Trévise, qui observait la droite de la Marne et les corps de l'armée dite du nord qui étaient à Châlons et à Reims.
Le 27, le général Sacken se porta sur Meaux, et se présenta au pont placé à la sortie de Meaux sur le chemin de Nangis, qui avait été coupé. Il fut reçu avec de la mitraille. Quelques-uns de ses coureurs s'avancèrent jusqu'au pont de Lagny.
Cependant l'empereur partit de Troyes le 27, coucha le même jour au village d'Herbisse, le 28 au château d'Esternay, et le 1er mars à Jouarre.
L'armée de Silésie se trouvait ainsi fortement compromise; Elle n'eut d'autre parti à prendre que de passer la Marne. Elle jeta trois ponts, et se porta sur l'Ourcq.
Le général Kleist passa l'Ourcq et se portait sur Meaux par Varède. Le duc de Trévise le rencontra le 28 en position au village de Gué-à-Trême, sur la rive gauche de la Térouenne. Il l'aborda franchement. Le général Christiani, commandant une division de vieille garde, s'est couvert de gloire. L'ennemi a été poussé l'épée dans les reins pendant plusieurs lieues. On lui a pris quelques centaines d'hommes, et un grand nombre est resté sur le champ de bataille.
Dans le même temps, l'ennemi avait passé l'Ourcq à Lisy. Le duc de Raguse le rejeta sur l'autre rive.
Le mouvement de retraite de l'armée de Blücher fut prononcé. Tout filait sur la Ferté-Milon et Soissons.
L'empereur partit de la Ferté-sous-Jouarre le 3; son avant-garde fut le même jour à Rocourt.
Les ducs de Raguse et de Trévise poussaient l'arrière-garde ennemie; ils l'attaquèrent vivement le 3 à Neuilly-Saint-Front.
L'empereur arriva de bonne heure le 4 à Fismes. On fit des prisonniers et l'on prit beaucoup de voitures de bagages.
La ville de Soissons était armée de vingt pièces de canon et en état de se défendre. Le duc de Raguse et le duc de Trévise se portèrent sur cette ville pour y passer l'Aisne, tandis que l'empereur marchait sur Mezy. L'armée ennemie était dans la position la plus dangereuse; mais le général qui commandait à Soissons, par une lâcheté qu'on ne saurait définir, abandonna la place le 3, à quatre heures après midi, par une capitulation soi-disant honorable, en ce que l'ennemi lui permettait de sortir de la ville avec ses troupes et son artillerie, et se retira avec la garnison et son artillerie sur Villers-Cotterets. Au moment où l'armée ennemie se croyait perdue, elle apprit que le pont de Soissons lui appartenait et n'avait pas même été coupé. Le général qui commandait dans cette place et les membres du conseil de défense sont traduits à une commission d'enquête. Ils paraissent d'autant plus coupables, que pendant toutes les journées du 2 et du 3, on avait entendu de la ville la canonnade de notre armée qui se rapprochait de Soissons, et qu'un bataillon de la Vistule qui était dans la place, et qui ne la quitta qu'en pleurant, donnait les plus grands témoignages d'intrépidité.
Le général Corbineau, aide-de-camp de l'empereur, et le général de cavalerie Laferrière s'étaient portés sur Reims, où ils entrèrent le 5 à quatre heures du matin, en tournant un corps ennemi de quatre bataillons qui couvrait la ville, et dont les troupes furent faites prisonnières. Tout ce qui se trouvait dans Reims fut pris.
Le 5, l'empereur coucha à Bery-au-Bac. Le général Nansouty passa de vive force le pont de Bery, mit en déroute une division de cavalerie qui le couvrait, s'empara de ses deux pièces de canon, et prit trois cents cavaliers, parmi lesquels s'est trouvé le colonel prince Gagarin, qui commandait une brigade.
L'armée ennemie s'était divisée en deux parties. Les huit divisions russes de Sacken et de Witzingerode avaient pris position sur les hauteurs de Craonne, et les corps prussiens sur les hauteurs de Laon.
L'empereur vint coucher le 6 à Corbeni. Les hauteurs de Craonne furent attaquées et enlevées par deux bataillons de la garde. L'officier d'ordonnance Caraman, jeune officier d'espérance, à la tête d'un bataillon, tourna la droite. Le prince de la Moskowa marcha sur la ferme d'Urtubie. L'ennemi se retira, et prit position sur une hauteur, qu'on reconnut le 7 à la pointe du jour. C'est ce qui donna lieu à la bataille de Craonne.
Cette position était très-belle, l'ennemi ayant sa droite et sa gauche appuyées à deux ravins, et un troisième ravin devant lui. Il défendait le seul passage, d'une centaine de toises de largeur, qui joignait sa position au plateau de Craonne.
Le duc de Bellune se porta, avec deux divisions de la jeune garde, à l'abbaye de Vauclerc, où l'ennemi avait mis le feu. Il l'en chassa, et passa le défilé que l'ennemi défendait avec soixante pièces de canon. Le général Drouot le franchit avec plusieurs batteries. Au même instant, le prince de la Moskowa passa le ravin de gauche et débouchait sur la droite de l'ennemi. Pendant une heure, la canonnade fut très-forte. Le général Grouchy, avec sa cavalerie, déboucha. Le général Nansouty, avec deux divisions de cavalerie, passa le ravin sur la droite de l'ennemi. Une fois le défilé franchi et l'ennemi forcé dans sa position, il fut poursuivi pendant quatre lieues, et canonné par quatre-vingts pièces de canon à mitraille; ce qui lui a causé une très-grande perte. Le plateau par lequel il se retirait ayant toujours des ravins à droite et à gauche, la cavalerie ne put le déborder et l'entamer.
L'empereur porta son quartier-général à Bray.
Le lendemain 8, nous avons poursuivi l'ennemi jusqu'au delà du défilé d'Urcel, et le jour même nous sommes entrés à Soissons, où il a laissé un équipage de pont.
La bataille de Craonne est extrêmement glorieuse pour nos armes. L'ennemi y a perdu six généraux; il évalue sa perte de cinq à six mille hommes. La nôtre a été de huit cents hommes tués ou blessés.
Le duc de Bellune a été blessé d'une balle. Le général Grouchy, ainsi que le général Laferrière, officier de cavalerie d'une grande distinction, ont également été blessés en débouchant à la tête de leurs troupes.
Le général Belliard a pris le commandement de la cavalerie.
Le résultat de toutes ces opérations est une perte pour l'ennemi de dix à douze mille hommes, et d'une trentaine de pièces de canon.
L'intention de l'empereur est de manoeuvrer avec l'armée sur l'Aisne.
Le 12 mars 1814.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le lendemain de la bataille de Craonne (le 8), l'ennemi fut poursuivi par le prince de la Moskowa jusqu'au village d'Étouvelles. Le général Voronzoff, avec sept ou huit mille hommes, gardait cette position, qui était très-difficile à aborder, parce que la route qui y conduit chemine, pendant une lieue, entre deux marais impraticables.
Le baron Gourgault, premier officier d'ordonnance de S. M., et officier d'un mérite distingué, partit à onze heures du soir de Chavignon avec deux bataillons de la vieille garde, tourna la position, et se porta par Challevois sur Chivi. Il arriva à une heure du matin sur l'ennemi, qu'il aborda à la baïonnette. Les Russes furent réveillés par les cris de vive l'empereur! et poursuivis jusqu'à Laon. Le prince de la Moskowa déboucha par le défilé.
Le lendemain 9, à la pointe du jour, on reconnut l'ennemi, qui s'était réuni aux corps prussiens. La position qu'il occupait était telle, qu'on la jugea inattaquable. On prit position.
Le duc de Raguse, qui avait couché le 8 à Corbeni, parut à deux heures après midi à Veslud, culbuta l'avant-garde ennemie, attaqua le village d'Athies, qu'il enleva, et eut des succès pendant toute la journée. A six heures et demie, il prit position. A sept heures, l'ennemi fit un houra de cavalerie à une lieue sur les derrières, où le duc de Raguse avait un parc de réserve. Le duc de Raguse s'y porta vivement; mais l'ennemi avait eu le temps d'enlever dans ce parc quinze pièces de canon. Une grande partie du personnel s'est sauvée.
Le même jour, le général Charpentier, avec sa division de jeune garde, enleva le village de Clacy. Le lendemain, l'ennemi attaqua sept fois ce village, et sept fois il fut repoussé. Le général Charpentier fit quatre cents prisonniers. L'ennemi laissa les avenues couvertes de ses morts. Le quartier-général de l'empereur a été, le 9 et le 10, à Chavignon.
S. M. jugeant qu'il était impossible d'attaquer les hauteurs de Laon, a porté le 11 son quartier-général à Soissons. Le duc de Raguse a occupé le même jour Bery-au-Bac.
Le général Corbineau se louait à Reims du bon esprit de ses habitans.
Le 7, à onze heures du matin, le général Saint-Priest, commandant une division russe, s'est présenté devant la ville de Reims, et l'a sommée de se rendre. Le général Corbineau lui a répondu avec du canon. Le général Defrance arrivait alors avec sa division de gardes-d'honneur. Il fit une belle charge et chassa l'ennemi. Le général Saint-Priest a fait mettre le feu à deux grandes manufactures et à cinquante maisons de la ville qui se trouvent hors de son enceinte, conduite digne d'un transfuge; de tout temps, les transfuges furent les plus cruels ennemis de leur patrie.
Soissons a beaucoup souffert; les habitans se sont conduits de la manière la plus honorable. Il n'est point d'éloges qu'ils ne donnent au régiment de la Vistule, qui formait leur garnison; il n'est pas d'éloges que le régiment de la Vistule ne fasse des habitans. S. M. a accordé à ce brave corps trente décorations de la légion-d'honneur.
Le plan de campagne de l'ennemi paraît avoir été une espèce de houra général sur Paris. Négligeant toutes les places de Flandres, et n'observant Berg-op-Zoom et Anvers qu'avec des troupes inférieures en nombre de moitié aux garnisons de ces villes, l'ennemi a pénétré sur Avesnes. Négligeant les places des Ardennes, Mézières, Rocroy, Philippeville, Givet, Charlemont, Montmédy, Maestricht, Venloo, Juliers, il a passé par des chemins impraticables, pour arriver sur Avesnes et Rethel. Ces places communiquent ensemble, ne sont pas observées, et leurs garnisons inquiètent fortement les derrières de l'ennemi. Au même instant où le général Saint-Priest brûlait Reims, son frère était arrêté par les habitans et conduit prisonnier à Charlemont. Négligeant toutes les places de la Meuse, l'ennemi s'était avancé par Bar et Saint-Dizier. La garnison de Verdun est venue jusqu'à Saint-Mihiel. Auprès de Bar, un général russe resté quelques momens, avec une quinzaine d'hommes, après le départ de sa troupe, a été tué, ainsi que son escorte, par les paysans, en représailles des atrocités qu'il avait ordonnées. Metz pousse ses sorties jusqu'à Nancy. Strasbourg et les autres places de l'Alsace n'étant observées que par quelques partis, on y entre, on en sort librement, et les vivres y arrivent en abondance. Les troupes de la garnison de Mayence vont jusqu'à Spire. Les départemens s'étant empressés de compléter les cadres des bataillons qui sont dans toutes ces places, où on les a armés, équipés et exercés, on peut dire qu'il y a plusieurs armées sur les derrières de l'ennemi. Sa position ne peut que devenir tous les jours plus dangereuse. On voit, par les rapports que l'on a interceptés, que les régimens de cosaques dont la force était de deux cent cinquante hommes, en ont perdu plus de cent vingt, sans avoir été à aucune action, mais par la guerre que leur ont faite les paysans.
Le duc de Castiglione manoeuvre sur le Rhône, dans le département de l'Ain et dans la Franche-Comté. Les généraux Dessaix et Marchand ont chassé l'ennemi de la Savoie. Quinze mille hommes passent les Alpes pour venir renforcer le duc de Castiglione.
Le vice-roi a obtenu de grands succès a Borghetto, et a repoussé l'ennemi sur l'Adige.
Le général Grenier, parti de Plaisance le 2 mars, a battu l'ennemi sur Parme, et l'a jeté au-delà du Taro.
Les troupes françaises qui occupaient Rome, Civita-Vecchia, la Toscane, entrent en Piémont pour passer les Alpes.
L'exaspération des populations entières s'accroît chaque jour dans la proportion des atrocités que commettent ces hordes, plus barbares encore que leurs climats, qui déshonoreraient l'espèce humaine, et dont l'existence militaire a pour mobile, au lieu de l'honneur, le pillage et tous les crimes.
Les conférences de Lusigny, pour la suspension d'armes, ont échoué. On n'a pu s'arranger sur la ligne de démarcation. On était d'accord sur les points d'occupation au nord et à l'est; mais l'ennemi a voulu, non-seulement étendre sa ligne sur la Saône et le Rhône, mais en envelopper la Savoie. On a répondu à cette injuste prétention, en proposant d'adopter pour cette partie le statu quo, et de laisser le duc de Castiglione et le comte Bubna se régler sur la ligne de leurs avant-postes. Cette proposition a été rejetée. Il a donc fallu renoncer à une suspension d'armes de quinze jours, qui offrait plus d'inconvéniens que d'avantages. L'empereur n'a pas cru, d'ailleurs, avoir le droit de remettre de nombreuses populations sous le joug de fer dont elles avaient été délivrées. Il n'a pu consentir à abandonner nos communications avec l'Italie, que l'ennemi avait essayé tant de fois et vainement d'intercepter, lorsque nos troupes n'étaient pas encore réunies.
Le temps a été constamment très-froid. Les bivouacs sont fort durs dans cette saison; mais on en a ressenti également les souffrances de part et d'autre. Il parait même que les maladies font des ravages dans l'armée ennemie, tandis qu'il y eu a fort peu dans la nôtre.
Le 14 mars 1814.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le général Saint-Priest, commandant en chef le huitième corps russe, était depuis plusieurs jours en position à Châlons-sur-Marne, ayant une avant-garde à Sillery. Ce corps, composé de trois divisions qui devaient former dix-huit régimens et trente-six bataillons, n'était réellement que de huit régimens ou seize bataillons, faisant cinq à six mille hommes.
Le général Jagow, commandant la dernière colonne de la réserve prussienne, et ayant sous ses ordres quatre régimens de la landwehr de la Poméranie prussienne et des Marches, formant seize bataillons ou sept mille hommes qui avaient été employés au siége de Torgau et de Wittemberg, se réunit au corps du général Saint-Priest, dont les forces se trouvèrent être de quinze à seize mille hommes, cavalerie et artillerie comprises.
Le général Saint-Priest résolut de surprendre la ville de Reims, où était le général Corbineau, à la tête de la garde nationale et de trois bataillons de levée en masse, avec cent hommes de cavalerie et huit pièces de canon. Le général Corbineau avait placé la division de cavalerie du général Defrance à Châlons-sur-Vesle, à deux lieues de la ville.
Le 12, à cinq heures du matin, le général Saint-Priest se présenta aux différentes portes. Il fit sa principale attaque sur la porte de Laon, que la supériorité de son nombre lui donna le moyen de forcer. Le général Corbineau opéra sa retraite avec les trois bataillons de la levée en masse et ses cent hommes de cavalerie, et se replia sur Châlons-sur-Vesle. La garde nationale et les habitans se sont très-bien comportés dans cette circonstance.
Le 13, à quatre heures du soir, l'empereur était sur les hauteurs du Moulin-à-Vent, à une lieue de Reims. Le duc de Raguse formait l'avant-garde. Le général de division Merlin attaqua, cerna et prit plusieurs bataillons de landwehr prussienne. Le général Sébastiani, commandant deux divisions de cavalerie, se porta sur la ville. Une centaine de pièces de canon furent engagées, tant d'un côté que de l'autre. L'ennemi couronnait les hauteurs en avant de Reims. Pendant qu'elles étaient attaquées, on réparait les ponts de Saint-Brice, pour tourner la ville. Le général Defrance fit une superbe charge avec les gardes d'honneur, qui se sont couverts de gloire, notamment le général comte de Ségur, commandant le troisième régiment. Ils chargèrent entre la ville et l'ennemi, qu'ils jetèrent dans le faubourg, et auquel ils prirent mille cavaliers et son artillerie.
Sur ces entrefaites, le général comte Krasinski ayant coupé la route de Reims à Bery-au-Bac, l'ennemi abandonna la ville, en fuyant en désordre de tous côtés. Vingt-deux pièces de canon, cinq mille prisonniers, cent voitures d'artillerie et de bagages, sont les résultats de cette journée, qui ne nous a pas coûté cent hommes.
La même batterie d'artillerie légère qui a frappé de mort le général Moreau devant Dresde, a blessé mortellement le général Saint-Priest, qui venait à la tête des Tartares du désert, ravager notre belle patrie.
L'empereur est entré à Reims à une heure du matin, aux acclamations des habitans de cette grande ville, et y a placé son quartier-général. L'ennemi s'est retiré, partie sur Châlons, partie sur Rethel, partie sur Laon. Il est poursuivi dans toutes ces directions.
Le dixième régiment de hussards s'est, ainsi que le troisième régiment des gardes-d'honneur, particulièrement distingué.
Le général comte de Ségur a été blessé grièvement, mais sans danger pour sa vie.
Le 20 mars 1814.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le général Wittgenstein, avec son corps d'armée, était à Villenoxe. Il avait jeté des ponts à Pont, où il avait passé la Seine, et il marchait sur Provins.
Le duc de Tarente avait réuni ses troupes sur cette ville. Le 16, l'ennemi manoeuvrait pour déborder sa gauche. Le duc de Reggio engagea son artillerie, et toute la journée se passa en canonnade. Le mouvement de l'ennemi paraissait se prononcer sur Provins et sur Nangis.
D'un autre côté, le prince Schwartzenberg, l'empereur Alexandre et le roi de Prusse étaient à Arcis-sur-Aube.
Le corps du prince-royal de Wurtemberg s'était porté sur Villers-aux-Corneilles.
Le général Platow, avec trois mille barbares, s'était jeté sur Fère-Champenoise et Sézanne.
L'empereur d'Autriche venait d'arriver de Chaumont à Troyes.
Le prince de la Moskwa est entré le 16 a Châlons-sur-Marne.
L'empereur a couché le 17 à Épernay; le 18, à Fère-Champenoise, et le 19, à Plancy.
Le général Sébastiani, à la tête de sa cavalerie, a rencontré à Fère-Champenoise le général Platow, l'a culbuté et l'a poursuivi jusqu'à l'Aube, en lui faisant des prisonniers.
Le 19, après-midi, l'empereur a passé l'Aube à Plancy. A cinq heures du soir, il a passé la Seine à un gué, et a fait tourner Méry, qui a été occupé.
A sept heures du soir, le général Letort, avec les chasseurs de la garde, est arrivé au village de Châtre, coudant la route de Nogent à Troyes; mais l'ennemi était déjà partout en retraite. Cependant le général Letort a pu atteindre son parc de pontons, qui avait servi à faire le pont de Pont-sur-Seine; il s'est emparé de tous les pontons sur leurs haquets attelés, et d'une centaine de voitures de bagages; il a fait des prisonniers.
Dans la journée du 17, le général de Wrede avait rétrogradé rapidement sur Arcis-sur-Aube. Dans la nuit du 17 au 18, l'empereur de Russie s'était retiré sur Troyes. Le 18 les souverains alliés ont évacué Troyes, et se sont portés en toute hâte sur Bar-sur-Aube.
S. M. l'empereur est arrivé à Arcis-sur-Aube le 20 au matin.
Boulevent, le 25 mars 1814.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
Le quartier-général de l'empereur est ici. L'armée française occupe Chaumont, Brienne; elle est en communication avec Troyes, et ses patrouilles vont jusqu'à Langres. De tout côté, on ramène des prisonniers.
La santé de S. M. est très-bonne.
Le 29 mars 1814.
A S.M. l'impératrice-reine et régente.
Le 26 de ce mois, S.M. l'empereur a battu à Saint-Dizier, le général Witzingerode, lui a fait deux mille prisonniers, lui a pris des canons et beaucoup de voitures de bagages. Ce corps a été poursuivi très-loin.
Le 31 mars 1814.
A S.M. l'impératrice-reine et régente.
Le général de division Béré est entré à Chaumont le 25, et a ainsi coupé la ligne d'opération de l'ennemi; il a intercepté beaucoup de courriers et d'estafettes, et enlevé à l'ennemi des bagages, plusieurs pièces de canon, des magasins d'habillement et une grande partie des hôpitaux. Il a été parfaitement secondé par les habitans de la campagne, qui sont partout en armes et montrent la plus grande ardeur. M. le baron de Wissemberg, ministre d'Autriche en Angleterre, revenant de Londres avec le comte de Pulsy, son secrétaire de légation; le lieutenant-général suédois Sessiole de Brand, ministre de Suède auprès de l'empereur de Russie, avec un major suédois; le conseiller de guerre prussien, Peguilhen; MM. de Tolstoï et de Marcof, et deux autres officiers d'ordonnance russes, allant tous en mission aux différens quartiers-généraux des alliés, ont été arrêtés par les levées en masse, et conduits au quartier-général. L'enlèvement de ces personnages, et de leurs papiers, qui ont tous été pris, est d'une grande importance.
Le parc de l'armée russe et tous ses équipages étaient à Bar-sur-Aube. A la première nouvelle des mouvemens de l'armée, ils ont été évacués sur Bedfort; ce qui prive l'ennemi de ses munitions d'artillerie, de ses transports de vivres de réserve, et de beaucoup d'autres objets qui lui étaient nécessaires.
L'armée ennemie ayant pris le parti d'opérer entre l'Aube et la Marne, avait laissé le général russe Witzingerode à Saint-Dizier, avec huit mille hommes de cavalerie et deux divisions d'infanterie, afin de maintenir la ligne d'opérations, et faciliter l'arrivée de l'artillerie, des munitions et des vivres dont l'ennemi a le plus grand besoin.
La division de dragons du général Milhaud, et la cavalerie de la garde, commandée par le général Sébastiani, ont passé le gué de Valcoeur le 22 mars, ont marché sur cette cavalerie, et, après de belles charges, l'ont mise en déroute. Trois mille hommes de cavalerie russe; dont beaucoup de la garde impériale, ont été tués ou pris. Les dix-huit pièces de canon qu'avait l'ennemi, lui ont été enlevées, ainsi que ses bagages. L'ennemi, a laissé les bois et les prairies jonchés de ses morts. Tous les corps de cavalerie se sont distingués à l'envi les uns des autres. Le duc de Reggio a poursuivi l'ennemi jusqu'à Bar-sur-Ornain, où il est entré le 27. Le 29, le quartier-général de l'empereur était à Troyes. Deux convois de prisonniers, dont le nombre s'élève à plus de six mille hommes, suivent l'armée.
Dans tous les villages, les habitans sont sous les armes; exaspérés par la violence, les crimes et les ravages de l'ennemi, ils lui font une guerre acharnée, qui est pour lui du plus grand danger.
Le 1er avril 1814.
L'empereur qui avait porté son quartier-général à Troyes le 29, s'est dirigé à marches forcées par Sens sur la capitale. S. M. était le 31 à Fontainebleau; elle a appris que l'ennemi, arrivé vingt-quatre heures avant l'armée française, occupait Paris, après avoir éprouvé une forte résistance, qui lui a coûté beaucoup de monde.
Les corps des ducs de Trévise, de Raguse et celui du général Compans, qui ont concouru à la défense de la capitale, se sont réunis entre Essonne et Paris, où S.M. a pris position avec toute l'armée qui arrive de Troyes.
L'occupation de la capitale par l'ennemi est un malheur qui afflige profondément le coeur de S.M., mais dont il ne faut pas concevoir d'alarmes; la présence de l'empereur avec son armée, aux portes de Paris, empêchera l'ennemi de se porter à ses excès accoutumés, dans une ville si populeuse, qu'il ne saurait garder sans rendre sa position très-dangereuse.
Proclamation.
L'empereur se porte bien et veille pour le salut de tous.
S.M. l'impératrice et le roi de Rome sont en sûreté.
Les rois frères de l'empereur, les grands dignitaires, les ministres, le sénat et le conseil d'état, se sont portés sur les rives de la Loire, où le centre du gouvernement s'établit provisoirement.
Ainsi l'action du gouvernement ne sera pas paralysée; les bons citoyens, les vrais Français, peuvent être affligés de l'occupation de la capitale; mais ils n'en doivent pas concevoir de trop vives alarmes; qu'ils se reposent sur l'activité de l'empereur, et sur son génie, du soin de notre délivrance! Mais qu'ils sentent bien que c'est dans ces grandes circonstances que l'honneur national, et nos intérêts bien entendus, nous commandent plus que jamais de nous rallier autour de notre souverain! Secondons ses efforts, et ne regrettons aucun sacrifice pour terminer enfin cette lutte terrible contre des ennemis qui, non contens de combattre nos armées, viennent encore frapper chaque citoyen dans ce qu'il a de plus cher, et ravager ce beau pays dont la gloire et la prospérité furent, dans tous les temps, l'objet de leur haine jalouse.
Malgré les succès que l'armée coalisée vient d'obtenir et dont elle ne s'enorgueillira pas long-temps, le théâtre de la guerre est encore loin de nous; mais si quelques coureurs, attirés par l'espoir du pillage, osaient se répandre dans vos campagnes, ils vous trouveraient armés pour défendre vos femmes, vos enfans, vos propriétés.
Blois, 3 avril 1814.
Proclamation de l'impératrice-reine et régente.
Français,
Les événemens de la guerre ont mis la capitale au pouvoir de l'étranger.
L'empereur, accouru pour la défendre, est à la tête de ses armées si souvent victorieuses.
Elles sont en présence de l'ennemi, sous les murs de Paris. C'est de la résidence que j'ai choisie, et des ministres de l'empereur, qu'émaneront les seuls ordres que vous puissiez reconnaître.
Toute ville au pouvoir de l'ennemi cesse d'être libre; toute direction qui en émane est le langage de l'étranger, ou celui qu'il convient à ses vues hostiles de propager.
Vous serez fidèles à vos sermens, vous écouterez la voix d'une princesse qui fut remise à votre foi, qui fait sa gloire d'être Française, d'être associée aux destinées du souverain que vous avez librement choisi.
Mon fils était moins sûr de vos coeurs au temps de nos prospérités.
Ses droits et sa personne sont sous votre sauve-garde.
MARIE-LOUISE.
Discours de Napoléon à sa garde lorsqu'il apprit l'entrée des alliés à Paris.
«Officiers, sous-officiers et soldats de la vieille garde! l'ennemi nous a dérobé trois marches, il est entré dans Paris. J'ai fait offrir à l'empereur Alexandre une paix achetée par de grands sacrifices: la France avec ses anciennes limites, en renonçant à ses conquêtes, et perdant tout ce que nous avons gagné depuis la révolution. Non-seulement il a refusé, il a fait plus encore; par les suggestions perfides d'hommes à qui j'ai accordé la vie, que j'ai comblés de bienfaits, il les autorise à porter la cocarde blanche, et bientôt il voudra la substituer à notre cocarde nationale.... Dans peu de jours, j'irai l'attaquer dans Paris. Je compte sur vous.... Ai-je raison? (Ici s'élevèrent des cris nombreux: vive l'empereur, oui, à Paris, à Paris).... Nous irons leur prouver que la nation française sait être maîtresse chez elle; que si elle l'a été souvent chez les autres, elle le sera toujours sur son sol, et qu'enfin elle est capable de défendre sa cocarde, son indépendance et l'intégrité de son territoire. Allez communiquer ces sentimens à vos soldats.»
Fontainebleau, 4 avril 1814.
Ordre du jour.
L'empereur remercie l'armée pour l'attachement qu'elle lui témoigne, et principalement parce qu'elle reconnaît que la France est en lui, et non pas dans le peuple de la capitale. Le soldat suit la fortune et l'infortune de son général, son honneur et sa religion. Le duc de Raguse n'a pas inspiré ces sentimens à ses compagnons d'armes; il est passé aux alliés. L'empereur ne peut approuver la condition sous laquelle il a fait cette démarche; il ne peut accepter la vie ni la liberté de la merci d'un sujet. Le sénat s'est permis de disposer du gouvernement français; il a oublié qu'il doit à l'empereur le pouvoir dont il abuse maintenant; que c'est lui qui a sauvé une partie de ses membres de l'orage de la révolution, tiré de l'obscurité et protégé l'autre contre la haine de la nation. Le sénat se fonde sur les articles de la constitution, pour la renverser; il ne rougit pas de faire des reproches à l'empereur, sans remarquer que, comme le premier corps de l'état, il a pris part à tous les événemens. Il est allé si loin qu'il a osé accuser l'empereur d'avoir changé des actes dans la publication; le monde entier sait qu'il n'avait pas besoin de tels artifices: un signe était un ordre pour le sénat, qui toujours faisait plus qu'on ne désirait de lui. L'empereur a toujours été accessible aux sages remontrances de ses ministres, et il attendait d'eux dans cette circonstance, une justification la plus indéfinie des mesures qu'il avait prises. Si l'enthousiasme s'est mêlé dans les adresses et discours publics, alors l'empereur a été trompé; mais ceux qui ont tenu ce langage, doivent s'attribuer à eux-mêmes la suite funeste de leurs flatteries. Le sénat ne rougit pas de parler des libelles publiés contre les gouvernemens étrangers; il oublie qu'ils furent rédigés dans son sein. Si long-temps que la fortune s'est montrée fidèle à leur souverain, ces hommes sont restés fidèles, et nulle plainte n'a été entendue sur les abus du pouvoir. Si l'empereur avait méprisé les hommes, comme on le lui a reproché, alors le monde reconnaîtrait aujourd'hui qu'il a eu des raisons qui motivaient son mépris. Il tenait sa dignité de Dieu et de la nation; eux seuls pouvaient l'en priver: il l'a toujours considérée comme un fardeau, et lorsqu'il l'accepta, c'était dans la conviction que lui seul était à même de la porter dignement. Son bonheur paraissait être sa destination: aujourd'hui, que la fortune s'est décidée contre lui, la volonté de la nation seule pourrait le persuader de rester plus long-temps sur le trône. S'il se doit considérer comme le seul obstacle à la paix, il fait ce dernier sacrifice à la France: il a, en conséquence, envoyé le prince de la Moskwa et les ducs de Vicence et de Tarente à Paris, pour entamer les négociations. L'armée peut être certaine que son bonheur ne sera jamais en contradiction avec le bonheur de la France.
Au palais de Fontainebleau, le 11 avril 1814.
Acte d'abdication de l'empereur Napoléon.
Les puissances alliées ayant proclamé que l'empereur Napoléon était le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe, l'empereur Napoléon, fidèle à son serment, déclare qu'il renonce, pour lui et ses héritiers, aux trônes de France et d'Italie, et qu'il n'est aucun sacrifice personnel, même celui de la vie, qu'il ne soit prêt à faire à l'intérêt de la France.
Dernière allocution de Napoléon à sa garde.
«Généraux, officiers, sous-officiers et soldats de ma vieille garde, je vous fais mes adieux: depuis vingt ans, je suis content de vous; je vous ai toujours trouvés sur le chemin de la gloire.
«Les puissances alliées ont armé toute l'Europe contre moi; une partie de l'armée a trahi ses devoirs, et la France elle-même a voulu d'autres destinées.
«Avec vous et les braves qui me sont restés fidèles, j'aurais pu entretenir la guerre civile pendant trois ans; mais la France eût été malheureuse, ce qui était contraire au but que je me suis proposé.
«Soyez fidèles au nouveau roi que la France s'est choisi; n'abandonnez pas notre chère patrie, trop long-temps malheureuse! Aimez-la toujours, aimez-la bien cette chère patrie.
«Ne plaignez pas mon sort; je serai toujours heureux, lorsque je saurai que vous l'êtes.
«J'aurais pu mourir; rien ne m'eût été plus facile; mais je suivrai sans cesse le chemin de l'honneur. J'ai encore à écrire ce que nous avons fait.
«Je ne puis vous embrasser tous; mais j'embrasserai votre général.... Venez, général.... (Il serre le général Petit dans ses bras.) Qu'on m'apporte l'aigle.... (Il la baise.) Chère aigle! que ces baisers retentissent dans le coeur de tous les braves!... Adieu, mes enfans!... Mes voeux vous accompagneront toujours; conservez mon souvenir....»
LIVRE DIXIÈME.
1815.
Au golfe Juan, le 1er mars 1815.
PROCLAMATION.
Au peuple français.
Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions de l'État, empereur des Français, etc., etc., etc.
«Français, la défection du duc de Castiglione livra Lyon sans défense à nos ennemis, l'armée dont je lui avais confié le commandement était, par le nombre de ses bataillons, la bravoure et le patriotisme des troupes qui la composaient, à même de battre le corps d'armée autrichien qui lui était opposé, et d'arriver sur les derrières du flanc gauche de l'armée ennemie qui menaçait Paris.
Les victoires de Champ-Aubert, de Montmirail, de Château-Thierry, de Vauchamp, de Mormans, de Montereau, de Craone, de Reims, d'Arcis-sur-Aube et de Saint-Dizier; l'insurrection des braves paysans de la Lorraine, de la Champagne, de l'Alsace, de la Franche-Comté et de la Bourgogne, et la position que j'avais prise sur les derrières de l'armée ennemie, en la séparant de ses magasins, de ses parcs de réserve, de ses convois et de tous ses équipages, l'avaient placée dans une situation désespérée. Les Français ne furent jamais sur le point d'être plus puissans, et l'élite de l'armée ennemie était perdue sans ressource; elle eût trouvé son tombeau dans ces vastes contrées qu'elle avait si impitoyablement saccagées, lorsque la trahison du duc de Raguse livra la capitale et désorganisa l'armée. La conduite inattendue de ces deux généraux qui trahirent à la fois leur patrie, leur prince et leur bienfaiteur, changea le destin de la guerre. La situation désastreuse de l'ennemi était telle, qu'à la fin de l'affaire qui eut lieu devant Paris, il était sans munitions par sa séparation de ses parcs de réserve.
Dans ces nouvelles et grandes circonstances, mon coeur fut déchiré, mais mon âme resta inébranlable. Je ne consultai que l'intérêt de la patrie; je m'exilai sur un rocher au milieu des mers. Ma vie vous était et devait encore vous être utile. Je ne permis pas que le grand nombre de citoyens qui voulaient m'accompagner partageassent mon sort, je crus leur présence utile à la France, et je n'emmenai avec moi qu'une poignée de braves nécessaires à ma garde.
Élevé au trône par votre choix, tout ce qui a été fait sans vous est illégitime. Depuis vingt-cinq ans la France a de nouveaux intérêts, de nouvelles institutions, une nouvelle gloire, qui ne peuvent être garantis que par un gouvernement national et par une dynastie née dans ces nouvelles circonstances. Un prince qui régnerait sur vous, qui serait assis sur mon trône par la force des mêmes armes qui ont ravagé notre territoire, chercherait en vain à s'étayer des principes du droit féodal; il ne pourrait assurer l'honneur et les droits que d'un petit nombre d'individus ennemis du peuple, qui, depuis vingt-cingt ans, les a condamnés dans toutes nos assemblées nationales. Votre tranquillité intérieure et votre considération extérieure seraient perdues à jamais.
Français! dans mon exil j'ai entendu vos plaintes et vos voeux; vous réclamez ce gouvernement de votre choix, qui seul est légitime. Vous accusiez mon long sommeil; vous me reprochiez de sacrifier à mon repos les grands intérêts de la patrie.
J'ai traversé les mers au milieu des périls de toute espèce; j'arrive parmi vous reprendre mes droits qui sont les vôtres. Tout ce que les individus ont fait, écrit ou dit depuis la prise de Paris, je l'ignorerai toujours: cela n'influera en rien sur le souvenir que je conserve des services importans qu'ils ont rendus; car il est des événemens d'une telle nature, qu'ils sont au-dessus de l'organisation humaine.
Français! il n'est aucune nation, quelque petite qu'elle soit, qui n'ait eu le droit, et ne se soit soustraite au déshonneur d'obéir à un prince imposé par un ennemi momentanément victorieux. Lorsque Charles VII rentra à Paris et renversa le trône éphémère de Henri V, il reconnut tenir son trône de la vaillance de ses braves, et non d'un prince régent d'Angleterre.
C'est aussi à vous seuls et aux braves de l'armée, que je fais et ferai toujours gloire de tout devoir.
NAPOLÉON.