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Œuvres de Voltaire Tome XIX: Siècle de Louis XIV.—Tome I

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J’étais poëte, historien;
Et maintenant je ne suis rien.

Bouhier (Jean), président du parlement de Dijon, né en 1673. Son érudition l’a rendu célèbre. Il a traduit en vers français quelques morceaux d’anciens poëtes latins. Il pensait qu’on ne doit pas les traduire autrement; mais ses vers font voir combien c’est une entreprise difficile. Mort en 1746[92].

Bouhours (Dominique), jésuite, né à Paris, en 1628. La langue et le bon goût lui ont beaucoup d’obligations. Il a fait quelques bons ouvrages dont on a fait de bonnes critiques: Ex privatis odiis respublica crescit.

La vie de saint Ignace de Loyola, qu’il composa, n’a réussi ni chez les gens du monde, ni chez les savants, ni chez les philosophes. Celle de Xavier a été plus mal reçue. Ses Remarques sur la langue, et surtout sa Manière de bien penser sur les ouvrages d’esprit, seront toujours utiles aux jeunes gens qui voudront se former le goût: il leur enseigne à éviter l’enflure, l’obscurité, le recherché, et le faux: s’il juge trop sévèrement en quelques endroits le Tasse et d’autres auteurs italiens, il les condamne souvent avec raison. Son style est pur et agréable. Ce petit livre de la Manière de bien penser blessa les Italiens, et devint une querelle de nation; on sentait que les opinions de Bouhours, appuyées de celles de Boileau, pouvaient tenir lieu de lois. Le marquis Orsi et quelques autres composèrent deux gros volumes pour justifier quelques vers du Tasse.

Remarquons que le P. Bouhours ne serait guère en droit de reprocher des pensées fausses aux Italiens, lui qui compare Ignace de Loyola à César, et François Xavier à Alexandre, s’il n’était tombé rarement dans ces fautes. Mort en 1702.

Bouillaud[93] (Ismaël), de Loudun, né en 1605, savant dans l’histoire et dans les mathématiques. Comme tous les astronomes de ce siècle, il se mêla d’astrologie, ainsi qu’on le voit dans les lettres que lui écrivait Desnoyers, ambassadeur en Pologne, et depuis secrétaire d’état; c’était alors un moyen de faire la cour aux gens puissants. Confugiendum ad astrologiam, astronomiæ altricem, disait Kepler. Mort en 1694.

Boulainvilliers (Henri, comte de), de la maison de Crouï, le plus savant gentilhomme du royaume dans l’histoire, et le plus capable d’écrire celle de France, s’il n’avait pas été trop systématique. Il appelle notre gouvernement féodal le chef-d’œuvre de l’esprit humain. Le système féodal pourrait mériter le nom de chef-d’œuvre en Allemagne; mais en France il ne fut qu’un chef-d’œuvre d’anarchie. Il regrette les temps où les peuples, esclaves de petits tyrans ignorants et barbares, n’avaient ni industrie, ni commerce, ni propriété; et il croit qu’une centaine de seigneurs, oppresseurs de la terre et ennemis du roi, composaient le plus parfait des gouvernements. Malgré ce système, il était excellent citoyen, comme, malgré son faible pour l’astrologie judiciaire, il était philosophe de cette philosophie qui compte la vie pour peu de chose, et qui méprise la mort. Ses écrits, qu’il faut lire avec précaution, sont profonds et utiles. On a imprimé, à la fin de ses ouvrages, un gros Mémoire pour rendre le roi de France plus riche que tous les autres monarques ensemble[94]. Il est évident que cet ouvrage n’est pas du comte de Boulainvilliers; cependant tous ces petits écrivains politiques, qui gouvernent l’état dans leur grenier, citent cette rapsodie. Mort vers l’an 1720[95].

Bourchenu (Jean-Pierre Moret de), marquis de Valbonais, né à Grenoble, en 1651. Il voyagea dans sa jeunesse, et se trouva sur la flotte d’Angleterre à la bataille de Solbaye. Il fut depuis premier président de la chambre des comptes du Dauphiné. Sa mémoire est chère à Grenoble pour le bien qu’il fit, et aux gens de lettres pour ses grandes recherches. Ses Mémoires sur le Dauphiné[96] furent composés dans le temps qu’il était aveugle, et sur les lectures qu’on lui fesait. Mort en 1730.

Bourdaloue (Louis), né à Bourges, en 1632, jésuite; le premier modèle des bons prédicateurs en Europe: mort en 1704.

Boursault (Edme), né en Bourgogne, en 1638. Ses Lettres à Babet, estimées de son temps, sont devenues, comme toutes les lettres dans ce goût, l’amusement des jeunes provinciaux. On joue encore sa comédie d’Ésope[97]. Mort en 1701.

Boursier (Laurent-François), de la société de Sorbonne, né en 1679, auteur du fameux livre de l’action de Dieu sur les créatures, ou de la prémotion physique. C’est un ouvrage profond par les raisonnements, fortifié par beaucoup d’érudition, et orné quelquefois d’une grande éloquence; mais l’attachement à certains dogmes peut ravir à ce célèbre écrit beaucoup de sa solidité et de sa force. L’auteur ressemble à un homme d’état qui, en voulant établir des lois générales, les corrompt par des intérêts de famille. Il est trop difficile d’allier les systèmes sur la grace avec le grand système de l’action éternelle et immuable de Dieu sur tout ce qui existe. Il faut avouer qu’il n’y a que deux manières philosophiques d’expliquer la machine du monde: ou Dieu a ordonné une fois, et la nature obéit toujours; ou Dieu donne continuellement à tout l’être et toutes les modifications de l’être: un troisième parti est inexplicable.

Il est dit dans le nouveau Dictionnaire historique[98], littéraire, critique, et janséniste, que «Boursier, semblable à l’aigle, s’élève en haut, et trempe sa plume dans le sein de Dieu.» On ne voit pas trop comment Dieu peut servir de cornet à M. Boursier. Voilà la première fois qu’on ait comparé Dieu à la bouteille à l’encre. Mort en 1749.

Bourzeis (Amable de), né en Auvergne en 1606, auteur de plusieurs ouvrages de politique et de controverse. Silhon[99] et lui sont soupçonnés d’avoir composé le Testament politique attribué au cardinal de Richelieu[100]. Mort en 1672.

Brébeuf (Guillaume de), né en Normandie en 1618. Il est connu par sa traduction de la Pharsale; mais on ignore communément qu’il a fait le Lucain travesti[101]. Mort en 1661.

Breteuil (Gabrielle-Émilie Le Tonnelier de), marquise du Châtelet, née en 1706. Elle a éclairci Leibnitz, traduit et commenté Newton, mérite fort inutile à la cour, mais révéré chez toutes les nations qui se piquent de savoir, et qui ont admiré la profondeur de son génie et de son éloquence. De toutes les femmes qui ont illustré la France, c’est celle qui a eu le plus de véritable esprit, et qui a moins affecté le bel esprit[102]. Morte en 1749.

Brienne (Henri-Auguste de Loménie de), secrétaire d’état. Il a laissé des Mémoires. Il serait utile que les ministres en écrivissent, mais non tels[103] que ceux qui sont rédigés depuis peu[104] sous le nom du duc de Sulli. Mort en 1666.

Brueys (l’abbé de), né en Languedoc en 1639[105]. Dix volumes de controverse qu’il a faits auraient laissé son nom dans l’oubli; mais la petite comédie du Grondeur, supérieure à toutes les farces de Molière, et celle de l’Avocat Patelin, ancien monument de la naïveté gauloise qu’il rajeunit, le feront connaître tant qu’il y aura en France un théâtre. Palaprat l’aida dans ces deux jolies pièces. Ce sont les seuls ouvrages de génie que deux auteurs aient composés ensemble. Mort en 1723.

On croit devoir relever ici un fait très singulier qui se trouve dans un recueil d’Anecdotes littéraires[106], 1750, chez Durand, tome II, page 369. Voici les paroles de l’auteur: «Les amours de Louis XIV ayant été jouées en Angleterre, Louis XIV voulut faire jouer aussi celles du roi Guillaume. L’abbé Brueys fut chargé par M. de Torci de faire la pièce; mais, quoique applaudie, elle ne fut pas jouée.»

Remarquez que ce recueil d’Anecdotes, qui est rempli de pareils contes, est imprimé avec approbation et privilége; jamais on ne joua les amours de Louis XIV sur aucun théâtre de Londres, et on sait que le roi Guillaume n’eut jamais de maîtresse. Quand il en aurait eu, Louis XIV était trop attaché aux bienséances pour ordonner qu’on fît une comédie des amours de Guillaume; M. de Torci n’était pas homme à proposer une chose si impertinente; enfin l’abbé Brueys ne songea jamais à composer ce ridicule ouvrage qu’on lui attribue. On ne peut trop répéter que la plupart de ces recueils d’anecdotes, de ces ana, de ces mémoires secrets, dont le public est inondé, ne sont que des compilations faites au hasard par des écrivains mercenaires.

Brumoy (Pierre), jésuite, né à Rouen en 1688. Son Théâtre des Grecs passe pour le meilleur ouvrage qu’on ait en ce genre, malgré ses fautes et l’infidélité de la traduction. Il a prouvé par ses poésies qu’il est bien plus aisé de traduire et de louer les anciens, que d’égaler par ses propres productions les grands modernes. On peut d’ailleurs lui reprocher de n’avoir pas assez senti la supériorité du théâtre français sur le grec, et la prodigieuse différence qui se trouve entre le Misanthrope et les Grenouilles. Mort en 1742[107].

Buffier (Claude), jésuite. Sa Mémoire artificielle est d’un grand secours pour ceux qui veulent avoir les principaux faits de l’histoire toujours présents à l’esprit. Il a fait servir les vers (je ne dis pas la poésie) à leur premier usage, qui était d’imprimer dans la mémoire des hommes les événements dont on voulait garder le souvenir. Il y a dans ses traités de métaphysique des morceaux que Locke n’aurait pas désavoués; et c’est le seul jésuite qui ait mis une philosophie raisonnable dans ses ouvrages. Mort en 1737.

Bussi Rabutin (Roger de Rabutin, comte de), né dans le Nivernois, en 1618. Il écrivit avec pureté. On connaît ses malheurs et ses ouvrages. Ses Amours des Gaules passent pour un ouvrage médiocre dans lequel il n’imita Pétrone que de fort loin. La manie des Français a été long-temps de croire que toute l’Europe devait s’occuper de leurs intrigues galantes. Vingt courtisans ont écrit l’histoire de leurs amours, à peine lue des femmes de chambre de leurs maîtresses. Mort à Autun, en 1693.

Cailli (Le chevalier de), qui n’est connu que sous le nom d’Aceilli, était attaché au ministre Colbert. On ignore le temps de sa naissance et de sa mort[108]. Il y a de lui un recueil de quelques centaines d’épigrammes, parmi lesquelles il y en a beaucoup de mauvaises, et quelques unes de jolies. Il écrit naturellement, mais sans aucune imagination dans l’expression.

Calmet (Augustin), bénédictin, né en 1672. Rien n’est plus utile que la compilation de ses recherches sur la Bible. Les faits y sont exacts, les citations fidèles. Il ne pense point, mais en mettant tout dans un grand jour, il donne beaucoup à penser. Mort en 1757.

Calprenède (Gautier-Coste de La), né à Cahors[109] vers l’an 1612, gentilhomme ordinaire du roi. Ce fut lui qui mit les longs romans à la mode. Le mérite de ces romans consistait dans des aventures dont l’intrigue n’était pas sans art et qui n’étaient pas impossibles, quoiqu’elles fussent presque incroyables. Le Boiardo, l’Arioste, le Tasse, au contraire, avaient chargé leurs romans poétiques de fictions qui sont entièrement hors de la nature: mais les charmes de leur poésie, les beautés innombrables de détail, leurs allégories admirables, surtout celles de l’Arioste, tout cela rend ces poëmes immortels, et les ouvrages de La Calprenède, ainsi que les autres grands romans, sont tombés. Ce qui a contribué à leur chute, c’est la perfection du théâtre. On a vu dans les bonnes tragédies et dans les opéras beaucoup plus de sentiments qu’on n’en trouve dans ces énormes volumes: ces sentiments y sont bien mieux exprimés, et la connaissance du cœur humain beaucoup plus approfondie. Ainsi Racine et Quinault, qui ont un peu imité le style de ces romans, les ont fait oublier en parlant au cœur un langage plus vrai, plus tendre, et plus harmonieux. Mort en 1663.

Campistron (Jean-Galbert de), né à Toulouse en 1656, élève et imitateur de Racine. Le duc de Vendôme, dont il fut secrétaire, fit sa fortune, et le comédien Baron une partie de sa réputation. Il y a des choses touchantes dans ses pièces; elles sont faiblement écrites, mais au moins le langage est assez pur: après lui on a tellement négligé la langue dans les pièces de théâtre, qu’on a fini par écrire d’un style entièrement barbare. C’est ce que Boileau déplorait en mourant[110]. Mort en 1723.

Cassandre (François), a rendu, aussi bien que Dacier, plus de services à la réputation d’Aristote que tous les prétendus philosophes ensemble. Il traduisit la Rhétorique, comme Dacier a traduit la Poétique de ce fameux Grec. On ne peut s’empêcher d’admirer Aristote et le siècle d’Alexandre, quand on voit que le précepteur de ce grand homme, tant décrié sur la physique, a connu à fond tous les principes de l’éloquence et de la poésie. Où est le physicien de nos jours chez qui on puisse apprendre à composer un discours et une tragédie? Cassandre vécut et mourut dans la plus grande pauvreté. Ce fut la faute non pas de ses talents, mais de son caractère intraitable, farouche, et solitaire. Ceux qui se plaignent de la fortune n’ont souvent à se plaindre que d’eux-mêmes. Mort en 1695.

Cassini (Jean-Dominique), né dans le comté de Nice en 1625, appelé par Colbert en 1666. Il a été le premier des astronomes de son temps, du moins suivant les Italiens et les Français; mais il commença comme les autres par l’astrologie. Puisqu’il fut naturalisé en France, qu’il s’y maria, qu’il y eut des enfants, et qu’il est mort à Paris, on doit le compter au nombre des Français. Il a immortalisé son nom par sa Méridienne de Saint-Pétrone à Bologne; elle servit à faire voir les variations de la vitesse du mouvement de la terre autour du soleil. On lui doit les premières tables des satellites de Jupiter, la connaissance de la rotation de Jupiter et de Mars, ou de la durée de leurs jours, la découverte de quatre des satellites de Saturne. Huygens n’en avait aperçu qu’un; et cette découverte de Cassini fut célébrée par une médaille dans l’histoire métallique de Louis XIV. Il a le premier observé et fait connaître la lumière zodiacale. Il a donné une méthode pour déterminer la parallaxe d’un astre par des observations faites dans un même lieu, et s’en servir pour déterminer la distance des astres à la terre, avec plus de précision qu’on ne l’avait encore fait; mais la première idée de cette méthode est due à Morin[111].

Le fils[112], le petit-fils de Cassini[113], ont été de l’académie des sciences, et son arrière-petit-fils[114] y est entré en 1772: cette espèce d’illustration est plus réelle et sera plus durable que celle dont la famille de Cassini avait joui en Italie, quelques siècles auparavant, et que les révolutions de ce pays lui avaient fait perdre. Mort en 1712.

Catrou (François), né en 1659, jésuite. Il a fait avec le P. Rouillé vingt tomes de l’Histoire romaine. Ils ont cherché l’éloquence, et n’ont pas trouvé la précision. Mort en 1737.

Cerisi (Germain Habert de) était du temps de l’aurore du bon goût et de l’établissement de l’académie française. Sa Métamorphose des yeux de Philis en astres fut vantée comme un chef-d’œuvre, et a cessé de le paraître dès que les bons auteurs sont venus. Mort en 1655[115].

Chantereau Le Fèvre (Louis), né en 1588. Très savant homme, l’un des premiers qui ont débrouillé l’histoire de France; mais il a accrédité une grande erreur, c’est que les fiefs héréditaires n’ont commencé qu’après Hugues Capet. Quand il n’y aurait que l’exemple de la Normandie, donnée ou plutôt extorquée à titre de fief héréditaire en 912, cela suffirait pour détruire l’opinion de Chantereau, que plusieurs historiens ont adoptée. Il est d’ailleurs certain que Charlemagne institua en France des fiefs avec propriété, et que cette forme de gouvernement était connue avant lui dans la Lombardie et dans la Germanie. Mort en 1658.

Chapelain (Jean), né en 1595. Sans la Pucelle il aurait eu de la réputation parmi les gens de lettres. Ce mauvais poëme lui valut beaucoup plus que l’Iliade à Homère. Chapelain fut pourtant utile par sa littérature. Ce fut lui qui corrigea les premiers vers de Racine. Il commença par être l’oracle des auteurs, et finit par en être l’opprobre. Mort en 1674.

Chapelle (Jean de La). Voyez La Chapelle.

Chapelle[116] (Claude-Emmanuel Luillier), fils naturel de François Luillier, maître des comptes. Il n’est pas vrai qu’il fut le premier qui se servit des rimes redoublées; Dassouci[117] s’en servait avant lui, et même avec quelque succès.

Pourquoi donc, sexe au teint de rose,
Quand la charité vous impose
La loi d’aimer votre prochain,
Pouvez-vous me haïr sans cause,
Moi qui ne vous fis jamais rien?
Ah! pour mon honneur je vois bien
Qu’il faut vous faire quelque chose, etc.

On trouve beaucoup de rimes redoublées dans Voiture. Chapelle réussit mieux que les autres dans ce genre qui a de l’harmonie et de la grace, mais dans lequel il a préféré quelquefois une abondance stérile de rimes à la pensée et au tour. Sa vie voluptueuse et son peu de prétention contribuèrent encore à la célébrité de ces petits ouvrages. On sait qu’il y a dans son Voyage de Montpellier beaucoup de traits de Bachaumont[118], fils du président Le Coigneux, l’un des plus aimables hommes de son temps. Chapelle était d’ailleurs un des meilleurs élèves de Gassendi. Au reste, il faut bien distinguer les éloges que tant de gens de lettres ont donnés à Chapelle et à des esprits de cette trempe, d’avec les éloges dus aux grands maîtres. Le caractère de Chapelle, de Bachaumont, du Broussin[119], et de toute cette société du Marais, était la facilité, la gaîté, la liberté. On peut juger de Chapelle par cet impromptu, que je n’ai point vu encore imprimé. Il le fit à table, après que Boileau eut récité une épigramme.

Qu’avec plaisir de ton haut style
Je te vois descendre au quatrain;
Et que je t’épargnai de bile
Et d’injures au genre humain,
Quand, renversant ta cruche à l’huile,
Je te mis le verre à la main!

Mort en 1686.

Charas (Moyse), de l’académie des sciences, le premier qui ait bien écrit sur la pharmacie; tant il est vrai que sous Louis XIV tous les arts élargirent leur sphère. Ce pharmacien, voyageant à Madrid, fut mis dans les cachots de l’inquisition, parcequ’il était calviniste. Une prompte abjuration et les sollicitations de l’ambassadeur de France lui sauvèrent la vie et la liberté. Il s’occupa long-temps d’expériences sur les vipères, et des moyens d’empêcher les effets souvent mortels de leur morsure: mais il se trompa en soutenant contre Redi[120] que le venin des vipères n’était pas contenu dans le suc jaune qui sort de deux vésicules placées derrière les crochets de leurs mâchoires. Dans le cours de ses expériences, il fut mordu plusieurs fois, sans qu’il en résultât d’accidents très graves. Mort en 1698.

Chardin (Jean), né à Paris en 1643. Nul voyageur n’a laissé des Mémoires plus curieux. Mort à Londres en 1713.

Charleval (Charles Faucon de Ris), l’un de ceux qui acquirent de la célébrité par la délicatesse de leur esprit, sans se livrer trop au public. La fameuse Conversation du maréchal d’Hocquincourt et du P. Canaye, imprimée dans les Œuvres de Saint-Évremond, est de Charleval, jusqu’à la petite Dissertation sur le jansénisme et sur le molinisme que Saint-Évremond y a ajoutée. Le style de cette fin est très différent de celui du commencement. Feu M. de Caumartin[121], le conseiller d’état, avait l’écrit de Charleval, de la main de l’auteur. On trouve dans le Moréri[122] que le président de Ris, neveu de Charleval, ne voulut pas faire imprimer les ouvrages de son oncle, de peur que le nom d’auteur peut-être ne fût une tache dans sa famille. Il faut être d’un état et d’un esprit bien abject pour avancer une telle idée dans le siècle où nous sommes; et c’eût été dans un homme de robe un orgueil digne des temps militaires et barbares, où l’on abandonnait l’étude purement à la robe, par mépris pour la robe et pour l’étude. Mort en 1693[123].

Charpentier (François), né à Paris en 1620, académicien utile. On a de lui une traduction de la Cyropédie. Il soutint vivement l’opinion que les inscriptions des monuments publics de France doivent être en français. En effet, c’est dégrader une langue qu’on parle dans toute l’Europe, que de ne pas oser s’en servir; c’est aller contre son but, que de parler à tout le public dans une langue que les trois quarts au moins de ce public n’entendent pas. Il y a une espèce de barbarie à latiniser des noms français que la postérité méconnaîtrait, et les noms de Rocroi et de Fontenoi font un plus grand effet que les noms de Rocrosium et Fonteniacum. Mort en 1702.

Chastre (Edme de La Chastre-Nançay, comte de La), a laissé des Mémoires. Mort en 1645.

Chaulieu (Guillaume Anfrye de), né en Normandie en 1639, connu par ses poésies négligées, et par les beautés hardies et voluptueuses qui s’y trouvent. La plupart respirent la liberté, le plaisir, et une philosophie au-dessus des préjugés; tel était son caractère. Il vécut dans les délices, et mourut avec intrépidité en 1720.

Les vers qu’on cite le plus de lui sont la pièce intitulée la Goutte, qui commence ainsi,

Le destructeur impitoyable
Et des marbres et de l’airain;

mais surtout l’Épître sur la Mort, au marquis de La Fare:

Plus j’approche du terme, et moins je le redoute;
Sur des principes sûrs mon esprit affermi,
Content, persuadé, ne connaît plus le doute;
Je ne suis libertin, ni dévot à demi.
Exempt des préjugés, j’affronte l’imposture
Des vaines superstitions,
Et me ris des préventions
De ces faibles esprits dont la triste censure
Fait un crime à la créature
De l’usage des biens que lui fit son auteur.

Une autre épître au même fit encore plus de bruit: elle commence ainsi:

J’ai vu de près le Styx, j’ai vu les Euménides;
Déjà venaient frapper mes oreilles timides
Les affreux cris du chien de l’empire des morts;
Et les noires vapeurs, et les brûlants transports
Allaient de ma raison offusquer la lumière:
C’est lors que j’ai senti mon ame tout entière,
Se ramenant en soi, faire un dernier effort
Pour braver les erreurs que l’on joint à la mort.
Ma raison m’a montré, tant qu’elle a pu paraître,
Que rien n’est en effet de ce qui ne peut être;
Que ces fantômes vains sont enfants de la peur
Qu’une faible nourrice imprime en notre cœur,
Lorsque de loups-garoux, qu’elle-même elle pense,
De démons et d’enfers elle endort notre enfance.

Ces pièces ne sont pas châtiées; ce sont des statues de Michel-Ange ébauchées. Le stoïcisme de ces sentiments ne lui attira point de persécution; car, quoique abbé, il était ignoré des théologiens, et ne vivait qu’avec ses amis. Il n’aurait tenu qu’à lui de mettre la dernière main à ses ouvrages, mais il ne savait pas corriger. On a imprimé de lui trop de bagatelles insipides de société; c’est le mauvais goût et l’avarice des éditeurs qui en est cause. Les préfaces qui sont à la tête du recueil sont de ces gens obscurs qui croient être de bonne compagnie en imprimant toutes les fadaises d’un homme de bonne compagnie.

Cheminais, jésuite. On l’appelait le Racine des prédicateurs, et Bourdaloue le Corneille. Mort en 1689.

Cheron (Élisabeth-Sophie), née à Paris en 1648, célèbre par la musique, la peinture, et les vers, et plus connue sous son nom que sous celui de son mari, le sieur Le Hay: morte en 1711.

Chevreau (Urbain), né à Loudun en 1613, savant et bel esprit qui eut beaucoup de réputation: mort en 1701.

Chifflet (Jean-Jacques), né à Besançon en 1588. On a de lui plusieurs recherches: mort en 1660. Il y a eu sept écrivains de ce nom.

Choisi (François-Timoléon de), de l’Académie, né à Paris en 1644, envoyé à Siam. On a sa relation. Il n’était que tonsuré à son départ; mais à Siam il se fit ordonner prêtre en quatre jours. Il a composé plusieurs histoires, une Traduction de l’Imitation de Jésus-Christ, dédiée à madame de Maintenon, avec cette épigraphe, Concupiscet rex decorem tuum[124]; et des Mémoires de la comtesse des Barres. Cette comtesse des Barres, c’était lui-même. Il s’habilla et vécut en femme plusieurs années. Il acheta, sous le nom de la comtesse des Barres, une terre auprès de Tours. Ces Mémoires racontent avec naïveté comment il eut impunément des maîtresses sous ce déguisement. Mais quand le roi fut devenu dévot, il écrivit l’histoire de l’Église. Dans ses Mémoires[125] sur la cour on trouve des choses vraies, quelques unes fausses, et beaucoup de hasardées; ils sont écrits dans un style trop familier. Mort en 1724.

Claude (Jean), né en Agénois en 1619, ministre de Charenton, et l’oracle de son parti, émule digne des Bossuet, des Arnauld, et des Nicole. Il a composé quinze ouvrages, qu’on lut avec avidité dans le temps des disputes. Presque tous les livres polémiques n’ont qu’un temps. Les fables de La Fontaine, l’Arioste, passeront à la dernière postérité. Cinq ou six mille volumes de controverse sont déjà oubliés. Mort à La Haye en 1687.

Colbert (Jean-Baptiste), marquis de Torci, neveu du grand Colbert, ministre d’état sous Louis XIV, a laissé des Mémoires depuis la paix de Risvick jusqu’à celle d’Utrecht: ils ont été imprimés pendant qu’on achevait l’édition de cet Essai sur le siècle de Louis XIV[126]. Ils confirment tout ce qu’on y avance. Ces Mémoires renferment des détails qui ne conviennent qu’à ceux qui veulent s’instruire à fond: ils sont écrits plus purement que tous les Mémoires de ses prédécesseurs: on y reconnaît le goût de la cour de Louis XIV. Mais leur plus grand prix est dans la sincérité de l’auteur: c’est la vérité, c’est la modération elle-même, qui ont conduit sa plume. Mort en 1746.

Collet (Philibert), né à Châtillon-les-Dombes, en 1643, jurisconsulte et homme libre. Excommunié par l’archevêque de Lyon pour une querelle de paroisse, il écrivit contre l’excommunication, il combattit la clôture des religieuses; et, dans son Traité de l’usure, il soutint vivement l’usage autorisé en Bresse de stipuler les intérêts avec le capital, usage approuvé dans plus de la moitié de l’Europe, et reçu dans l’autre par tous les négociants, malgré les lois qu’on élude. Il assura aussi que les dîmes qu’on paie aux ecclésiastiques ne sont pas de droit divin. Mort en 1718.

Colomiez (Paul). Le temps de sa naissance est inconnu[127]: la plupart de ses ouvrages commencent à l’être; mais ils sont utiles à ceux qui aiment les recherches littéraires. Mort à Londres, en 1692.

Commire (Jean), jésuite. Il réussit parmi ceux qui croient qu’on peut faire de bons vers latins, et qui pensent que des étrangers peuvent ressusciter le siècle d’Auguste dans une langue qu’ils ne peuvent pas même prononcer. Mort en 1702.

«In silvam non ligna feras.»
Hor., sat. X, lib. I.

Conti (Armand de Bourbon, prince de), frère du grand Condé[128], destiné d’abord pour l’état ecclésiastique, dans un temps où le préjugé rendait encore la dignité de cardinal supérieure à celle d’un prince du sang de France. Ce fut lui qui eut le malheur d’être généralissime de la fronde contre la cour et même contre son frère. Il fut depuis dévot et janséniste. Nous avons de lui le Devoir des grands. Il écrivit sur la grace contre le jésuite De Champs, son ancien préfet[129]. Il écrivit aussi contre la comédie; il eût peut-être mieux fait d’écrire contre la guerre civile. Cinna et Polyeucte étaient aussi utiles et aussi respectables que la guerre des portes cochères et des pots de chambre était injuste et ridicule.

Cordemoi (Géraud de), né à Paris. Il a le premier débrouillé le chaos des deux premières races des rois de France; on doit cette utile entreprise au duc de Montausier, qui chargea Cordemoi de faire l’histoire de Charlemagne, pour l’éducation de Monseigneur. Il ne trouva guère dans les anciens auteurs que des absurdités et des contradictions. La difficulté l’encouragea, et il débrouilla les deux premières races. Mort en 1684.

Corneille (Pierre), né à Rouen, en 1606. Quoiqu’on ne représente plus que six ou sept pièces de trente-trois qu’il a composées, il sera toujours le père du théâtre. Il est le premier qui ait élevé le génie de la nation, et cela demande grace pour environ vingt de ses pièces qui sont, à quelques endroits près, ce que nous avons de plus mauvais par le style, par la froideur de l’intrigue, par les amours déplacés et insipides, et par un entassement de raisonnements alambiqués qui sont l’opposé du tragique. Mais on ne juge d’un grand homme que par ses chefs-d’œuvre, et non par ses fautes. On dit que sa traduction de l’Imitation de Jésus-Christ a été imprimée trente-deux fois: il est aussi difficile de le croire que de la lire une seule. Il reçut une gratification du roi dans sa dernière maladie. Mort en 1684.

On a imprimé dans plusieurs recueils d’anecdotes qu’il avait sa place marquée toutes les fois qu’il allait au spectacle, qu’on se levait pour lui, qu’on battait des mains. Malheureusement les hommes ne rendent pas tant de justice. Le fait est que les comédiens du roi refusèrent de jouer ses dernières pièces, et qu’il fut obligé de les donner à une autre troupe[130].

Corneille (Thomas), né à Rouen, en 1625, homme qui aurait eu une grande réputation, s’il n’avait point eu de frère. On a de lui trente-quatre pièces de théâtre. Mort pauvre, en 1709.

Courtilz de Sandras (Gatien de), né à Paris, en 1644. On ne place ici son nom que pour avertir les Français, et surtout les étrangers, combien ils doivent se défier de tous ces faux Mémoires imprimés en Hollande. Courtilz fut un des plus coupables écrivains de ce genre. Il inonda l’Europe de fictions sous le nom d’histoires. Il était bien honteux qu’un capitaine du régiment de Champagne allât en Hollande vendre des mensonges aux libraires. Lui et ses imitateurs qui ont écrit tant de libelles contre leur propre patrie, contre de bons princes qui dédaignent de se venger, et contre des citoyens qui ne le peuvent, ont mérité l’exécration publique. Il a composé la Conduite de la France depuis la paix de Nimègue, et la Réponse au même livre; l’État de la France sous Louis XIII et sous Louis XIV; la Conduite de Mars dans les guerres de Hollande; les Conquêtes amoureuses du grand Alcandre; les Intrigues amoureuses de la France; la Vie de Turenne; celle de l’amiral Coligni; les Mémoires de Rochefort, d’Artagnan, de Montbrun, de Vordac[131], de la marquise de Fresne; le Testament politique de Colbert, et beaucoup d’autres ouvrages qui ont amusé et trompé les ignorants. Il a été imité par les auteurs de ces misérables brochures contre la France, le Glaneur[132], l’Épilogueur, et tant d’autres bêtises périodiques que la faim a inspirées, que la sottise et le mensonge ont dictées, à peine lues de la canaille. Mort à Paris, en 1712.

Cousin (Louis), né à Paris, en 1627, président à la cour des monnaies. Personne n’a plus ouvert que lui les sources de l’histoire. Ses traductions de la collection Bysantine et d’Eusèbe de Césarée ont mis tout le monde en état de juger du vrai et du faux, et de connaître avec quels préjugés et quel esprit de parti l’histoire a été presque toujours écrite. On lui doit beaucoup de traductions d’historiens grecs, que lui seul a fait connaître. Mort en 1707.

Crébillon (Prosper Jolyot de), né à Dijon, en 1674. Nous ignorons si un procureur, nommée Prieur, le fit poëte, comme il est dit dans le Dictionnaire historique portatif, en quatre volumes[133]. Nous croyons que le génie y eut plus de part que le procureur. Nous ne croyons pas que l’anecdote rapportée dans le même ouvrage contre son fils soit vraie. On ne peut trop se défier de tous ces petits contes. Il faut ranger Crébillon parmi les génies qui illustrèrent le siècle de Louis XIV, puisque sa tragédie de Rhadamiste, la meilleure de ses pièces, fut jouée en 1710[134]. Si Despréaux, qui se mourait alors, trouva cette tragédie plus mauvaise que celle de Pradon[135], c’est qu’il était dans un âge et dans un état où l’on n’est sensible qu’aux défauts, et insensible aux beautés. Mort à quatre-vingt-huit ans, en 1762[136].

Dacier (André), né à Castres, en 1651, calviniste comme sa femme, et devenu catholique comme elle, garde des livres du cabinet du roi à Paris, charge qui ne subsiste plus. Homme plus savant qu’écrivain élégant, mais à jamais utile par ses traductions et par quelques unes de ses notes. Mort au Louvre, en 1722. Nous devons à madame Dacier la traduction d’Homère la plus fidèle par le style, quoiqu’elle manque de force, et la plus instructive par les notes, quoiqu’on y desire la finesse du goût. On remarque surtout qu’elle n’a jamais senti que ce qui devait plaire aux Grecs dans des temps grossiers, et ce qu’on respectait déjà comme ancien dans des temps postérieurs plus éclairés, aurait pu déplaire s’il avait été écrit du temps de Platon et de Démosthène; mais enfin nulle femme n’a jamais rendu plus de services aux lettres. Madame Dacier est un des prodiges du siècle de Louis XIV.

Dacier (Anne Lefèvre, madame), née calviniste à Saumur, en 1651, illustre par sa science. Le duc de Montausier la fit travailler à l’un de ces livres qu’on nomme Dauphins, pour l’éducation de Monseigneur. Le Florus avec des notes latines est d’elle. Ses traductions de Térence et d’Homère lui font un honneur immortel. On ne pouvait lui reprocher que trop d’admiration pour tout ce qu’elle avait traduit. La Motte ne l’attaqua qu’avec de l’esprit, et elle ne combattit qu’avec de l’érudition. Morte en 1720, au Louvre.

D’Aguesseau[137] (Henri-François), chancelier, le plus savant magistrat que jamais la France ait eu, possédant la moitié des langues modernes de l’Europe, outre le latin, le grec, et un peu d’hébreu; très instruit dans l’histoire, profond dans la jurisprudence, et, ce qui est plus rare, éloquent. Il fut le premier au barreau qui parla avec force et pureté à-la-fois; avant lui on fesait des phrases. Il conçut le projet de réformer les lois, mais il ne put faire que quatre ou cinq ordonnances utiles. Un seul homme ne peut suffire à ce travail immense que Louis XIV avait entrepris avec le secours d’un grand nombre de magistrats. Mort en 1750.

Danchet (Antoine), né à Riom, en 1671, a réussi à l’aide du musicien dans quelques opéra, qui sont moins mauvais que ses tragédies. Son prologue des Jeux séculaires au-devant d’Hésione passe même pour un très bon ouvrage, et peut être comparé à celui d’Amadis. On a retenu ces beaux vers imités d’Horace:

Père des saisons et des jours,
Fais naître en ces climats un siècle mémorable.
Puisse à ses ennemis ce peuple redoutable
Être à jamais heureux, et triompher toujours!
Nous avons à nos lois asservi la victoire;
Aussi loin que tes feux nous portons notre gloire.
Fais dans tout l’univers craindre notre pouvoir.
Toi, qui vois tout ce qui respire,
Soleil, puisses-tu ne rien voir
De si puissant que cet empire!

C’est dans ce prologue qu’on trouve les ariettes qui servirent depuis de canevas au poëte Rousseau pour composer les couplets effrénés qui causèrent sa disgrace. Les couplets originaux de Danchet valent peut-être mieux que les parodies de Rousseau. Voici surtout celui de Danchet qu’on a le plus retenu:

Que l’amant qui devient heureux
En devienne encor plus fidèle!
Que toujours dans les mêmes nœuds
Il trouve une douceur nouvelle!
Que les soupirs et les langueurs
Puissent seuls fléchir les rigueurs
De la beauté la plus sévère!
Que l’amant comblé de faveurs
Sache les goûter et les taire!

Mort en 1748.

Dancourt (Florent Carton), avocat, né à Fontainebleau, en 1661, aima mieux se livrer au théâtre qu’au barreau. Ce que Regnard était à l’égard de Molière dans la haute comédie, le comédien Dancourt l’était dans la farce. Beaucoup de ses pièces attirent encore un assez grand concours; elles sont gaies; le dialogue en est naïf. La quantité de pièces qu’on a faites dans ce genre facile est immense; elles sont plus du goût du peuple que des esprits délicats; mais l’amusement est un des besoins de l’homme, et cette espèce de comédie, aisée à représenter, plaît dans Paris et dans les provinces au grand nombre, qui n’est pas susceptible de plaisirs plus relevés. Mort en 1726.

Danet (Pierre), l’un de ces hommes qui ont été plus utiles qu’ils n’ont eu de réputation. Ses Dictionnaires de la langue latine et des antiquités furent au nombre de ces livres mémorables faits pour l’éducation du dauphin, Monseigneur, et qui, s’ils ne firent pas de ce prince un savant homme, contribuèrent beaucoup à éclairer la France. Mort en 1709.

Dangeau (Louis de Courcillon, abbé de), né en 1643, excellent académicien[138]. Mort en 1723.

Daniel (Gabriel), jésuite, historiographe de France, né à Rouen, en 1649, a rectifié les fautes de Mézerai sur la première et seconde race. On lui a reproché que sa diction n’est pas toujours pure, que son style est trop faible, qu’il n’intéresse pas, qu’il n’est pas peintre, qu’il n’a pas assez fait connaître les usages, les mœurs, les lois; que son histoire est un long détail d’opérations de guerre dans lesquelles un historien de son état se trompe presque toujours. Mort en 1728.

Le comte de Boulainvilliers dit, dans ses Mémoires sur le gouvernement de France, qu’on peut reprocher à Daniel dix mille erreurs: c’est beaucoup; mais heureusement la plupart de ces erreurs sont aussi indifférentes que les vérités qu’il aurait mises à la place; car qu’importe que ce soit l’aile gauche ou l’aile droite qui ait plié à la bataille de Montlhéri? Qu’importe par quel endroit Louis-le-Gros entra dans les masures du Puiset[139]? Un citoyen veut savoir par quels degrés le gouvernement a changé de forme, quels ont été les droits et les usurpations des différents corps, ce qu’ont fait les états-généraux, quel a été l’esprit de la nation. Le grand défaut de Daniel est de n’avoir pas été instruit des droits de la nation, ou de les avoir dissimulés. Il a omis entièrement les célèbres états de 1355. Il n’a parlé des papes, et surtout du grand et bon roi Henri IV, qu’en jésuite; nulle connaissance des finances, nulle de l’intérieur du royaume ni des mœurs.

Il prétend dans sa préface, et[140] le président Hénault a dit après lui, que les premiers temps de l’histoire de France sont plus intéressants que ceux de Rome, parceque Clovis et Dagobert avaient plus de terrain que Romulus et Tarquin. Il ne s’est pas aperçu que les faibles commencements de tout ce qui est grand intéressent toujours les hommes; on aime à voir la petite origine d’un peuple dont la France n’était qu’une province, et qui étendit son empire jusqu’à l’Elbe, l’Euphrate et le Niger. Il faut avouer que notre histoire et celle des autres peuples, depuis le cinquième siècle de l’ère vulgaire jusqu’au quinzième, n’est qu’un chaos d’aventures barbares, sous des noms barbares.

D’Argonne (Noël), né à Paris, en 1634, chartreux à Gaillon. C’est le seul chartreux qui ait cultivé la littérature. Ses Mélanges, sous le nom de Vigneul de Marville, sont remplis d’anecdotes curieuses et hasardées. Mort en 1704.

Delisle (Guillaume), né à Paris, en 1675, a réformé la géographie, qui aura long-temps besoin d’être perfectionnée. C’est lui qui a changé toute la position de notre hémisphère en longitude. Il a enseigné à Louis XV la géographie, et n’a point fait de meilleur élève. Ce monarque a composé[141], après la mort de son maître, un Traité du cours de tous les fleuves. Guillaume Delisle est le premier qui ait eu le titre de premier géographe du roi. Mort en 1726.

Descartes (René), né en Touraine, en 1596, fils d’un conseiller au parlement de Bretagne, le plus grand mathématicien de son temps, mais le philosophe qui connut moins la nature, si on le compare à ceux qui l’ont suivi. Il passa presque toute sa vie hors de France, pour philosopher en liberté, à l’exemple de Saumaise qui avait pris ce parti. On a remarqué qu’il avait un frère aîné, conseiller au parlement de Bretagne, qui le méprisait beaucoup, et qui disait qu’il était indigne du frère d’un conseiller de s’abaisser à être mathématicien. Ayant cherché le repos dans des solitudes en Hollande, il ne l’y trouva pas. Un nommé Voët, et un nommé Shockius, deux professeurs du galimatias scolastique qu’on enseignait encore, intentèrent contre lui cette ridicule accusation d’athéisme dont les écrivains méprisés ont toujours chargé les philosophes. En vain Descartes avait épuisé son génie à rassembler les preuves de la Divinité, et à en chercher de nouvelles; ses infâmes ennemis le comparèrent à Vanini dans un écrit public: ce n’est pas que Vanini eût été athée, le contraire est démontré[142]; mais il avait été brûlé comme tel, et on ne pouvait faire une comparaison plus odieuse. Descartes eut beaucoup de peine à obtenir une très légère satisfaction par sentence de l’Académie de Groningue. Ses Méditations, son Discours sur la méthode, sont encore estimés; toute sa physique est tombée, parcequ’elle n’est fondée ni sur la géométrie, ni sur l’expérience. Ses Recherches sur la dioptrique, où l’on trouve la loi fondamentale de cette science soupçonnée par Snellius, et des applications de cette loi, qui ne pouvaient être que l’ouvrage d’un très grand géomètre; ses travaux sur les lois du choc des corps, objet dont il a eu le premier l’idée de s’occuper, seront toujours, malgré les erreurs qui lui sont échappées, des monuments d’un génie extraordinaire; et le petit livre connu sous le nom de Géométrie de Descartes, lui assure la supériorité sur tous les mathématiciens de son temps. Il a eu long-temps une si prodigieuse réputation, que La Fontaine, ignorant à la vérité, mais écho de la voix publique, a dit de lui:

Descartes, ce mortel dont on eût fait un dieu
Dans les siècles passés, et qui tient le milieu
Entre l’homme et l’esprit, comme entre l’huître et l’homme
Le tient tel de nos gens, franche bête de somme.

L’abbé Genest, dans le siècle présent, s’est donné la malheureuse peine de mettre en vers français la physique de Descartes[143].

Ce n’est guère que depuis l’année 1730 qu’on a commencé à revenir en France de toutes les erreurs de cette philosophie chimérique, quand la géométrie et la physique expérimentale ont été plus cultivées. Le sort de Descartes en physique a été celui de Ronsard en poésie. Mort à Stockholm, en 1650.

Des Barreaux (Jacques de La Vallée, seigneur) est connu des gens de lettres et de goût par plusieurs petites pièces de vers agréables dans le goût de Sarasin et de Chapelle. Il était conseiller au parlement. On sait qu’ennuyé d’un procès dont il était rapporteur, il paya de son argent ce que le demandeur exigeait, jeta le procès au feu, et se démit de sa charge. Ses petites pièces de poésie sont encore entre les mains des curieux; elles sont toutes assez hardies. La voix publique lui attribua un sonnet aussi médiocre que fameux, qui finit par ces vers:

Tonne, frappe, il est temps, rends-moi guerre pour guerre:
J’adore en périssant la raison qui t’aigrit;
Mais dessus quel endroit tombera ton tonnerre,
Qui ne soit tout couvert du sang de Jésus-Christ?

Il est très faux que ce sonnet soit de Des Barreaux[144], il était très fâché qu’on le lui imputât. Il est de l’abbé de Lavau, qui était alors jeune et inconsidéré; j’en ai vu la preuve dans une lettre de Lavau à l’abbé Servien. Des Barreaux est mort en 1673.

Des Coutures (Le baron) traduisit en prose et commenta Lucrèce, vers le milieu du règne de Louis XIV. Il pensait comme ce philosophe sur la plupart des premiers principes des choses[145]; il croyait la matière éternelle, à l’exemple de tous les anciens. La religion chrétienne a seule combattu cette opinion.

Deshoulières (Antoinette du Ligier de La Garde). De toutes les dames françaises qui ont cultivé la poésie, c’est celle qui a le plus réussi, puisque c’est celle dont on a retenu le plus de vers. C’est dommage qu’elle soit l’auteur du mauvais sonnet contre l’admirable Phèdre de Racine. Ce sonnet ne fut bien reçu du public que parcequ’il était satirique. N’est-ce pas assez que les femmes soient jalouses en amour? faut-il encore qu’elles le soient en belles-lettres? Une femme satirique ressemble à Méduse et à Scylla, deux beautés changées en monstres. Morte en 1694.

Deslyons (Jean), né à Pontoise, en 1616, docteur de Sorbonne, homme singulier, auteur de plusieurs ouvrages polémiques. Il voulut prouver que les réjouissances à la fête des rois sont des profanations, et que le monde allait bientôt finir. Mort en 1700.

Desmarets de Saint-Sorlin (Jean), né à Paris, en 1595. Il travailla beaucoup à la tragédie de Mirame du cardinal de Richelieu. Sa comédie des Visionnaires passa pour un chef-d’œuvre, mais c’est que Molière n’avait pas encore paru. Il fut contrôleur-général de l’extraordinaire des guerres et secrétaire de la marine du Levant. Sur la fin de sa vie, il fut plus connu par son fanatisme[146] que par ses ouvrages. Mort en 1676.

Destouches (Philippe Néricault), né à Tours, en 1680, avait été comédien dans sa jeunesse. Après avoir fait plusieurs comédies, il fut chargé long-temps des affaires de France en Angleterre; et ayant rempli ce ministère avec succès, il se remit à faire des comédies. On ne trouve pas dans ses pièces la force et la gaîté de Regnard, encore moins ces peintures du cœur humain, ce naturel, cette vraie plaisanterie, cet excellent comique, qui fait le mérite de l’inimitable Molière; mais il n’a pas laissé de se faire de la réputation après eux. On a de lui quelques pièces qui ont eu du succès, quoique le comique en soit un peu forcé. Il a du moins évité le genre de la comédie qui n’est que langoureuse, de cette espèce de tragédie bourgeoise, qui n’est ni tragique, ni comique, monstre né de l’impuissance des auteurs et de la satiété du public après les beaux jours du siècle de Louis XIV[147]. Sa comédie du Glorieux est son meilleur ouvrage[148], et probablement restera au théâtre, quoique le personnage du Glorieux soit, dit-on, manqué; mais les autres caractères paraissent traités supérieurement. Mort en 1754.

D’Hosier (Pierre), né à Marseille, en 1592, fils d’un avocat. Il fut le premier qui débrouilla les généalogies, et qui en fit une science. Louis XIII le fit gentilhomme servant, maître d’hôtel, et gentilhomme ordinaire de sa chambre. Louis XIV lui donna un brevet de conseiller d’état. De véritablement grands hommes ont été bien moins récompensés; leurs travaux n’étaient pas si nécessaires à la vanité humaine[149]. Mort en 1660.

D’Olivet (Joseph Thoulier), abbé, conseiller d’honneur de la chambre des comptes de Dôle, de l’académie française, né à Salins, en 1682; célèbre dans la littérature par son Histoire de l’Académie, lorsqu’on désespérait d’en avoir jamais une qui égalât celle de Pellisson. Nous lui devons les traductions les plus élégantes et les plus fidèles des ouvrages philosophiques de Cicéron, enrichies de remarques judicieuses. Toutes les œuvres de Cicéron, imprimées par ses soins et ornées de ses remarques, sont un beau monument qui prouve que la lecture des anciens n’est point abandonnée dans ce siècle. Il a parlé sa langue avec la même pureté que Cicéron parlait la sienne, et il a rendu service à la grammaire française par les observations les plus fines et les plus exactes. On lui doit aussi l’édition du livre de la Faiblesse de l’Esprit humain, composé par l’évêque d’Avranches, Huet, lorsqu’une longue expérience l’eut fait enfin revenir des absurdes futilités de l’école, et du fatras des recherches des siècles barbares. Les jésuites, auteurs du Journal de Trévoux[150], se déchaînèrent contre l’abbé d’Olivet, et soutinrent que l’ouvrage n’était pas de l’évêque Huet, sur le seul prétexte qu’il ne convenait pas à un ancien prélat de Normandie d’avouer que la scolastique est ridicule, et que les légendes ressemblent aux quatre fils Aimon, comme s’il était nécessaire, pour l’édification publique, qu’un évêque normand fût imbécile. C’est ainsi à peu près qu’ils avaient soutenu que les Mémoires du cardinal de Retz n’étaient pas de ce cardinal. L’abbé d’Olivet leur répondit, et sa meilleure réponse fut de montrer à l’académie l’ouvrage de l’ancien évêque d’Avranches, écrit de la main de l’auteur. Son âge et son mérite sont notre excuse de l’avoir placé, ainsi que le président Hénault, dans une liste où nous nous étions fait une loi de ne parler que des morts[151].

Domat (Jean), célèbre jurisconsulte. Son livre des Lois civiles a eu beaucoup d’approbation. Mort en 1696.

Dorléans (Pierre-Joseph), jésuite, le premier qui ait choisi dans l’histoire les révolutions pour son seul objet. Celles d’Angleterre qu’il écrivit sont d’un style éloquent; mais depuis le règne de Henri VIII il est plus disert que fidèle. Mort en 1698.

Doujat (Jean), né à Toulouse, en 1609, jurisconsulte et homme de lettres. Il fesait tous les ans un enfant à sa femme, et un livre. On en dit autant de Tiraqueau. Le Journal des Savants l’appelle grand homme; il ne faut pas prodiguer ce titre. Mort en 1688, à soixante-dix-neuf ans.

Dubois (Gérard), né à Orléans, en 1629, de l’Oratoire. Il a fait l’Histoire de l’Église de Paris. Mort en 1696.

Dubos (L’abbé). Son Histoire de la ligue de Cambrai est profonde, politique, intéressante; elle fait connaître les usages et les mœurs du temps, et est un modèle en ce genre. Tous les artistes lisent avec fruit ses Réflexions sur la poésie, la peinture et la musique. C’est le livre le plus utile qu’on ait jamais écrit sur ces matières chez aucune des nations de l’Europe. Ce qui fait la bonté de cet ouvrage, c’est qu’il n’y a que peu d’erreurs et beaucoup de réflexions vraies, nouvelles et profondes. Ce n’est pas un livre méthodique; mais l’auteur pense, et fait penser. Il ne savait pourtant pas la musique; il n’avait jamais pu faire de vers, et n’avait pas un tableau; mais il avait beaucoup lu, vu, entendu et réfléchi[152]. Il publia, pendant la guerre de la succession, un ouvrage intitulé les Intérêts de l’Angleterre mal entendus dans la guerre présente[153]. Il y prédit la séparation des colonies anglaises, comme la suite nécessaire de la destruction de la puissance française dans l’Amérique septentrionale, du besoin qu’aurait l’Angleterre d’imposer des taxes sur ses colonies, et du refus qu’elles feraient de se soumettre à ces taxes. Mort en 1712.

Ducange (Charles Dufresne), né à Amiens, en 1610. On sait combien ses deux Glossaires sont utiles pour l’intelligence de tous les usages du Bas-Empire et des siècles suivants. On est effrayé de l’immensité de ses connaissances et de ses travaux. De pareils hommes méritent notre éternelle reconnaissance, après ceux qui ont fait servir leur génie à nos plaisirs. Il fut un de ceux que Louis XIV récompensa. Mort en 1688.

Ducerceau (Jean-Antoine), né en 1670, jésuite. On trouve dans ses poésies françaises, qui sont du genre médiocre, quelques vers naïfs et heureux. Il a mêlé à la langue épurée de son siècle le langage marotique, qui énerve la poésie par sa malheureuse facilité, et qui gâte la langue de nos jours par des mots et des tours surannés. Mort en 1730.

Du Chatelet (madame). Voyez Breteuil.

Duché de Vanci (Joseph-François), valet de chambre de Louis XIV, fit pour la cour quelques tragédies tirées de l’Écriture, à l’exemple de Racine, non avec le même succès. L’opéra d’Iphigénie en Tauride est son meilleur ouvrage. Il est dans le grand goût; et, quoique ce ne soit qu’un opéra, il retrace une grande idée de ce que les tragédies grecques avaient de meilleur. Ce goût n’a pas subsisté long-temps; même bientôt après on s’est réduit aux simples ballets, composés d’actes détachés, faits uniquement pour amener des danses; ainsi l’opéra même a dégénéré dans le temps que presque tout le reste tombait dans la décadence.

Madame de Maintenon fit la fortune de cet auteur: elle le recommanda si fortement à M. de Pontchartrain, secrétaire d’état, que ce ministre, prenant Duché pour un homme considérable, alla lui rendre visite. Duché, homme alors très obscur, voyant entrer chez lui un secrétaire d’état, crut qu’on allait le conduire à la Bastille. Mort en 1704.

Duchesne (André), né en Touraine, en 1584; historiographe du roi, auteur de beaucoup d’histoires et de recherches généalogiques. On l’appelait le Père de l’Histoire de France. Mort en 1640.

Dufresnoi (Charles-Alfonse), né à Paris en 1611, peintre et poëte. Son poëme de la Peinture a réussi auprès de ceux qui peuvent lire d’autres vers latins que ceux du siècle d’Auguste. Mort en 1665.

Dufresny (Charles Rivière), né à Paris en 1648. Il passait pour petit-fils de Henri IV, et lui ressemblait. Son père avait été valet de garde-robe de Louis XIII, et le fils l’était de Louis XIV, qui lui fit toujours du bien, malgré son dérangement, mais qui ne put l’empêcher de mourir pauvre. Avec beaucoup d’esprit et plus d’un talent, il ne put jamais rien faire de régulier. On a de lui beaucoup de comédies, et il n’y en a guère où l’on ne trouve des scènes jolies et singulières. Mort en 1724.

Du Guai-Trouin (René), né à Saint-Malo en 1673, d’armateur devenu lieutenant-général des armées navales, l’un des plus grands hommes en son genre, a donné des Mémoires[154] écrits du style d’un soldat, et propres à exciter l’émulation chez ses compatriotes. Mort en 1736.

Duguet (Jacques-Joseph), né en Forez en 1649; l’une des meilleures plumes du parti janséniste. Son livre de l’Éducation d’un roi n’a point été fait pour le roi de Sardaigne, comme on l’a dit, et il a été achevé par une autre main[155]. Le style de Duguet est formé sur celui des bons écrivains de Port-Royal. Il aurait pu comme eux rendre de grands services aux lettres; trois volumes sur vingt-cinq chapitres d’Isaïe prouvent qu’il n’était avare ni de son temps ni de sa plume. Mort en 1733.

Duhalde (Jean-Baptiste), jésuite, quoiqu’il ne soit point sorti de Paris, et qu’il n’ait point su le chinois, a donné sur les Mémoires de ses confrères la plus ample et la meilleure description de l’empire de la Chine[156] qu’on ait dans le monde. Mort en 1743.

L’insatiable curiosité que nous avons de connaître à fond la religion, les lois, les mœurs des Chinois, n’est point encore satisfaite: un bourgmestre de Middelbourg, nommé Hudde[157], homme très riche, guidé par cette seule curiosité, alla à la Chine vers l’an 1700. Il employa une grande partie de son bien à s’instruire de tout. Il apprit si parfaitement la langue, qu’on le prenait pour un Chinois. Heureusement pour lui la forme de son visage ne le trahissait pas. Enfin il sut parvenir au grade de mandarin; il parcourut toutes les provinces en cette qualité, et revint ensuite en Europe avec un recueil de trente années d’observations; elles ont été perdues dans un naufrage: c’est peut-être la plus grande perte qu’ait faite la république des lettres.

Duhamel (Jean-Baptiste), de Normandie, né en 1624, secrétaire de l’académie des sciences. Quoique philosophe, il était théologien. La philosophie, qui s’est perfectionnée depuis lui, a nui à ses ouvrages, mais son nom a subsisté. Mort en 1706.

Dumarsais (César Chesneau), né à Marseille en 1676. Personne n’a connu mieux que lui la métaphysique de la grammaire; personne n’a plus approfondi les principes des langues. Son livre des Tropes est devenu insensiblement nécessaire, et tout ce qu’il a écrit sur la grammaire mérite d’être étudié. Il y a dans le grand Dictionnaire encyclopédique beaucoup d’articles de lui, qui sont d’une grande utilité. Il était du nombre de ces philosophes obscurs dont Paris est plein, qui jugent sainement de tout, qui vivent entre eux dans la paix et dans la communication de la raison, ignorés des grands, et très redoutés de ces charlatans en tout genre qui veulent dominer sur les esprits. La foule de ces hommes sages est une suite de l’esprit du siècle. Mort en 1756.

Dupin (Louis Ellies), né en 1657, docteur de Sorbonne. Sa Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques lui a fait beaucoup de réputation et quelques ennemis. Mort en 1719.

Dupleix (Scipion), de Condom, quoique né en 1569, peut être compté dans le siècle de Louis XIV, ayant encore vécu sous son règne. Il est le premier historien qui ait cité en marge ses autorités, précaution absolument nécessaire quand on n’écrit pas l’histoire de son temps, à moins qu’on ne s’en tienne aux faits connus. On ne lit plus son Histoire de France, parceque depuis lui on a mieux fait et mieux écrit. Mort en 1661.

Dupuy (Pierre), fils de Claude Dupuy, conseiller au parlement, très savant homme, naquit en 1583. La science de Pierre Dupuy fut utile à l’état. Il travailla plus que personne à l’inventaire des chartes, et aux recherches des droits du roi sur plusieurs états. Il débrouilla, autant qu’on le peut, la loi Salique, et défendit les libertés de l’Église gallicane, en prouvant qu’elles ne sont qu’une partie des anciens droits des anciennes Églises. Il résulte de son Histoire des Templiers qu’il y avait quelques coupables dans cet ordre, mais que la condamnation de l’ordre entier et le supplice de tant de chevaliers furent une des plus horribles injustices qu’on ait jamais commises. Mort en 1651.

Duryer (André), gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, long-temps employé à Constantinople et en Égypte. Nous avons de lui la traduction de l’Alcoran et de l’Histoire de Perse[158].

Duryer (Pierre), né à Paris en 1605, secrétaire du roi, historiographe de France, pauvre malgré ses charges. Il fit dix-neuf pièces de théâtre, et treize traductions, qui furent toutes bien reçues de son temps: mort en 1658.

Esprit (Jacques), né à Béziers en 1611, auteur du livre de la Fausseté des vertus humaines, qui n’est qu’un commentaire du duc de La Rochefoucauld. Le chancelier Séguier, qui goûta sa littérature, lui fit avoir un brevet de conseiller d’état. Mort en 1678.

Estrades (Godefroi, maréchal d’). Ses Lettres[159] sont aussi estimées que celles du cardinal d’Ossat; et c’est une chose particulière aux Français, que de simples dépêches aient été souvent d’excellents ouvrages. Mort en 1686.

Félibien (André), né à Chartres en 1619. Il est le premier qui, dans les inscriptions de l’hôtel-de-ville, ait donné à Louis XIV le nom de Grand. Ses Entretiens sur la vie des peintres sont l’ouvrage qui lui a fait le plus d’honneur. Il est élégant, profond, et il respire le goût: mais il dit trop peu de choses en trop de paroles, et est absolument sans méthode. Mort en 1695.

Fénélon (François de Salignac de La Mothe), archevêque de Cambrai, né en Périgord en 1651. On a de lui cinquante-cinq ouvrages différents. Tous partent d’un cœur plein de vertu, mais son Télémaque l’inspire. Il a été vainement blâmé par Gueudeville, et par l’abbé Faydit[160]. Mort à Cambrai en 1715.

Après la mort de Fénélon, Louis XIV brûla lui-même tous les manuscrits que le duc de Bourgogne avait conservés de son précepteur. Ramsay, élève de ce célèbre archevêque, m’a écrit ces mots: «S’il était né en Angleterre, il aurait développé son génie, et donné l’essor sans crainte à ses principes, que personne n’a connus.»

Ferrand (Antoine), conseiller de la cour des aides. On a de lui de très jolis vers. Il joutait avec Rousseau dans l’épigramme et le madrigal. Voici dans quel goût Ferrand écrivait:

D’amour et de mélancolie
Célemnus enfin consumé,
En fontaine fut transformé;
Et qui boit de ses eaux oublie
Jusqu’au nom de l’objet aimé.
Pour mieux oublier Égérie,
J’y courus hier vainement;
A force de changer d’amant,
L’infidèle l’avait tarie.

On voit que Ferrand mettait plus de naturel, de grâce, et de délicatesse, dans ses sujets galants, et Rousseau plus de force et de recherche dans des sujets de débauche. Mort en 1719.

Feuquières (Antoine de Pas, marquis de), né à Paris en 1648. Officier consommé dans l’art de la guerre, et excellent guide s’il est critique trop sévère. Mort en 1711.

Fléchier (Esprit), du comtat d’Avignon, né en 1632, évêque de Lavaur et puis de Nîmes; poëte français et latin, historien, prédicateur, mais connu surtout par ses belles oraisons funèbres[161]. Son Histoire de Théodose a été faite pour l’éducation de Monseigneur. Le duc de Montausier avait engagé les meilleurs esprits de France à travailler, par de bons ouvrages, à cette éducation. Mort en 1710.

Fleury (Claude), né en 1640, sous-précepteur du duc de Bourgogne, et confesseur de Louis XV son fils, vécut à la cour dans la solitude et dans le travail. Son Histoire de l’Église est la meilleure qu’on ait jamais faite, et les discours préliminaires sont fort au-dessus de l’histoire. Ils sont presque d’un philosophe, mais l’histoire n’en est pas. Mort en 1723.

Fontaine (Jean de La). Voyez La Fontaine.

Fontenelle (Bernard Le Bovier[162] de), né à Rouen le 11 février 1657. On peut le regarder comme l’esprit le plus universel que le siècle de Louis XIV ait produit. Il a ressemblé à ces terres heureusement situées qui portent toutes les espèces de fruits. Il n’avait pas vingt ans lorsqu’il fit une grande partie de la tragédie-opéra de Bellérophon, et depuis il donna l’opéra de Thétis et Pélée, dans lequel il imita beaucoup Quinault, et qui eut un grand succès. Celui d’Énée et Lavinie en eut moins. Il essaya ses forces au théâtre tragique; il aida mademoiselle Bernard dans quelques pièces. Il en composa deux, dont une fut jouée en 1680, et jamais imprimée[163]. Elle lui attira trop long-temps de très injustes reproches: car il avait eu le mérite de reconnaître que, bien que son esprit s’étendît à tout, il n’avait pas le talent de Pierre Corneille, son oncle, pour la tragédie[164].

En 1686, il fit l’allégorie de Méro et d’Énégu[165]; c’est Rome et Genève. Cette plaisanterie si connue, jointe à l’Histoire des oracles, excita depuis contre lui une persécution. Il en essuya une moins dangereuse, et qui n’était que littéraire, pour avoir soutenu qu’à plusieurs égards les modernes valaient bien les anciens. Racine et Boileau, qui avaient pourtant intérêt que Fontenelle eût raison, affectèrent de le mépriser, et lui fermèrent long-temps les portes de l’académie. Ils firent contre lui des épigrammes; il en fit contre eux, et ils furent toujours ses ennemis. Il fit beaucoup d’ouvrages légers, dans lesquels on remarquait déjà cette finesse et cette profondeur qui décèlent un homme supérieur à ses ouvrages mêmes. On remarqua dans ses vers et dans ses Dialogues des morts l’esprit de Voiture, mais plus étendu et plus philosophique. Sa Pluralité des mondes fut un ouvrage unique en son genre[166]. Il sut faire, des Oracles de Van-Dale, un livre agréable. Les matières délicates auxquelles on touche dans ce livre lui attirèrent des ennemis violents, auxquels il eut le bonheur d’échapper. Il vit combien il est dangereux d’avoir raison dans des choses où des hommes accrédités ont tort. Il se tourna vers la géométrie et vers la physique avec autant de facilité qu’il avait cultivé les arts d’agrément. Nommé secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, il exerça cet emploi pendant plus de quarante ans avec un applaudissement universel. Son Histoire de l’académie jette très souvent une clarté lumineuse sur les mémoires les plus obscurs. Il fut le premier qui porta cette élégance dans les sciences. Si quelquefois il y répandit trop d’ornement, c’était de ces moissons abondantes dans lesquelles les fleurs croissent naturellement avec les épis.

Cette Histoire de l’académie des sciences serait aussi utile qu’elle est bien faite, s’il n’avait eu à rendre compte que de vérités découvertes: mais il fallait souvent qu’il expliquât des opinions combattues les unes par les autres, et dont la plupart sont détruites.

Les éloges[167] qu’il prononça des académiciens morts ont le mérite singulier de rendre les sciences respectables, et ont rendu tel leur auteur. En vain l’abbé Desfontaines et d’autres gens de cette espèce ont voulu obscurcir sa réputation; c’est le propre des grands hommes d’avoir de méprisables ennemis. S’il fit imprimer depuis des comédies froides, peu théâtrales, et une apologie des tourbillons de Descartes, on a pardonné ces comédies en faveur de sa vieillesse, et son cartésianisme, en faveur des anciennes opinions qui, dans sa jeunesse, avaient été celles de l’Europe.

Enfin, on l’a regardé comme le premier des hommes dans l’art nouveau de répandre de la lumière et des graces sur les sciences abstraites, et il a eu du mérite dans tous les autres genres qu’il a traités. Tant de talents ont été soutenus par la connaissance des langues et de l’histoire; et il a été, sans contredit, au-dessus de tous les savants qui n’ont pas eu le don de l’invention.

Son Histoire des Oracles, qui n’est qu’un abrégé très sage et très modéré de la grande histoire de Van-Dale, lui fit une querelle assez violente avec quelques jésuites compilateurs de la Vie des saints[168], qui avaient précisément l’esprit des compilateurs. Ils écrivirent à leur manière contre le sentiment raisonnable de Van-Dale et de Fontenelle. Le philosophe de Paris ne répondit point[169]; mais son ami, le savant Basnage, philosophe de Hollande, répondit, et le livre des compilateurs ne fut pas lu. Plusieurs années après, le jésuite Le Tellier, confesseur de Louis XIV, ce malheureux auteur de toutes les querelles qui ont produit tant de mal et tant de ridicule en France, déféra Fontenelle à Louis XIV, comme un athée, et rappela l’allégorie de Méro et d’Énégu. Marc-René de Paulmi, marquis d’Argenson, alors lieutenant de police, et depuis garde des sceaux, écarta la persécution qui allait éclater contre Fontenelle, et ce philosophe le fait assez entendre dans l’éloge du garde des sceaux d’Argenson, prononcé dans l’académie des sciences. Cette anecdote est plus curieuse que tout ce qu’a dit l’abbé Trublet de Fontenelle. Mort le 9 janvier 1757, âgé de cent ans moins un mois et deux jours[170].

Forbin (Claude, chevalier de), chef d’escadre en France, grand-amiral du roi de Siam. Il a laissé des Mémoires curieux qu’on a rédigés, et l’on peut juger entre lui et du Guai-Trouin. Mort en 1733.

Fraguier (Claude), né à Paris, en 1666, bon littérateur et plein de goût. Il a mis la philosophie de Platon en bons vers latins. Il eût mieux valu faire de bons vers français. On a de lui d’excellentes dissertations dans le recueil utile de l’académie des belles-lettres. Mort en 1728.

Furetière (Antoine), né en 1620, fameux par son Dictionnaire et par sa querelle: mort en 1688.

Gacon (François), né à Lyon, en 1667, mis par le P. Nicéron dans le catalogue des hommes illustres, et qui n’a été fameux que par de grossières plaisanteries, qu’on appelle brevets de la calotte. Ces turpitudes ont pris leur source dans je ne sais quelle association qu’on appelait le régiment des fous et de la calotte. Ce n’est pas là assurément du bon goût. Les honnêtes gens ne voient qu’avec mépris de tels ouvrages et leurs auteurs, qui ne peuvent être cités que pour faire abhorrer leur exemple. Gacon n’écrivit presque que de mauvaises satires en mauvais vers contre les auteurs les plus estimés de son temps. Ceux qui n’en écrivent aujourd’hui qu’en mauvaise prose sont encore plus méprisés que lui. On n’en parle ici que pour inspirer le même mépris envers ceux qui pourraient l’imiter. Mort en 1725.

Galland (Antoine), né en Picardie, en 1646. Il apprit à Constantinople les langues orientales, et traduisit une partie des Contes arabes, qu’on connaît sous le titre de Mille et une nuits; il y mit beaucoup du sien: c’est un des livres les plus connus en Europe; il est amusant pour toutes les nations. Mort en 1715.

Gallois (L’abbé Jean), né à Paris, en 1632, savant universel, fut le premier qui travailla au Journal des savants avec le conseiller-clerc Sallo, qui avait conçu l’idée de ce travail. Il enseigna depuis un peu de latin au ministre d’état Colbert, qui, malgré ses occupations, crut avoir assez de temps pour apprendre cette langue; il prenait surtout ses leçons en carrosse dans ses voyages de Versailles à Paris. On disait, avec vraisemblance, que c’était en vue d’être chancelier. On peut observer que les deux hommes qui ont le plus protégé les lettres ne savaient pas le latin, Louis XIV et M. Colbert. On prétend que l’abbé Gallois disait: «M. Colbert veut quelquefois se familiariser avec moi, mais je le repousse par le respect.» On attribue ce même mot à Fontenelle à l’égard du régent: il est plus dans le caractère de Fontenelle, et le régent avait dans le sien plus de familiarité que Colbert. Mort en 1707.

Gassendi (Pierre Gassend, plus connu sous le nom de), né en Provence, en 1592, restaurateur d’une partie de la physique d’Épicure. Il sentit la nécessité des atomes et du vide. Newton et d’autres ont démontré depuis ce que Gassendi avait affirmé. Il eut moins de réputation que Descartes, parcequ’il était plus raisonnable, et qu’il n’était pas inventeur; mais on l’accusa, comme Descartes, d’athéisme. Quelques uns crurent que celui qui admettait le vide, comme Épicure, niait un Dieu, comme lui. C’est ainsi que raisonnent les calomniateurs. Gassendi en Provence, où l’on n’était point jaloux de lui, était appelé le saint Prêtre; à Paris, quelques envieux l’appelaient l’athée. Il est vrai qu’il était sceptique, et que la philosophie lui avait appris à douter de tout, mais non pas de l’existence d’un Être suprême[171]. Il avait avancé long-temps avant Locke, dans une grande lettre à Descartes, qu’on ne connaît point du tout l’ame, que Dieu peut accorder la pensée à l’autre être inconnu qu’on nomme matière, et la lui conserver éternellement. Mort en octobre 1655.

Gédoin (Nicolas), chanoine de la Sainte-Chapelle à Paris, auteur d’une excellente traduction de Quintilien[172] et de Pausanias. Il était entré chez les jésuites à l’âge de quinze ans, et en sortit dans un âge mûr. Il était si passionné pour les bons auteurs de l’antiquité qu’il aurait voulu qu’on eût pardonné à leur religion en faveur des beautés de leurs ouvrages et de leur mythologie: il trouvait dans la fable une philosophie naturelle, admirable, et des emblèmes frappants de toutes les opérations de la Divinité. Il croyait que l’esprit de toutes les nations s’était rétréci, et que la grande poésie et la grande éloquence avaient disparu du monde avec la mythologie des Grecs. Le poëme de Milton lui paraissait un poëme barbare et d’un fanatisme sombre et dégoûtant, dans lequel le diable hurle sans cesse contre le Messie. Il écrivit sur ce sujet quatre dissertations très curieuses: on croit qu’elles seront bientôt imprimées[173]. Mort en 1744.

N. B. On a imprimé dans quelques dictionnaires que Ninon lui accorda ses faveurs à quatre-vingts ans. En ce cas on aurait dû dire plutôt que l’abbé Gédoin lui accorda les siennes; mais c’est un conte ridicule. Ce fut à l’abbé de Châteauneuf que Ninon donna un rendez-vous pour le jour auquel elle aurait soixante ans accomplis[174].

Genest (Charles-Claude), né en 1635[175], aumônier de la duchesse d’Orléans, philosophe et poëte. Sa tragédie de Pénélope a encore du succès sur le théâtre, et c’est la seule de ses pièces qui s’y soit conservée. Elle est au rang de ces pièces écrites d’un style lâche et prosaïque, que les situations font tolérer dans la représentation. Son laborieux ouvrage de la Philosophie de Descartes, en rimes plutôt qu’en vers, signala plus sa patience que son génie; et il n’eut guère rien de commun avec Lucrèce que de versifier une philosophie erronée presque en tout: il eut part aux bienfaits de Louis XIV. Mort en 1719.

Girard (l’abbé Gabriel), de l’académie. Son livre des Synonymes est très utile; il subsistera autant que la langue, et servira même à la faire subsister. Mort fort vieux, en 1748.

Godeau (Antoine), l’un de ceux qui servirent à l’établissement de l’académie française, poëte, orateur, et historien. On sait que pour faire un jeu de mots, le cardinal de Richelieu lui donna l’évêché de Grasse pour le Benedicite mis en vers. Son Histoire ecclésiastique en prose fut plus estimée que son poëme sur les Fastes de l’Église. Il se trompa en croyant égaler les Fastes d’Ovide: ni son sujet ni son génie n’y pouvaient suffire. C’est une grande erreur de penser que les sujets chrétiens puissent convenir à la poésie comme ceux du paganisme, dont la mythologie aussi agréable que fausse animait toute la nature. Mort en 1672.

Godefroi (Théodore), fils de Denys Godefroi, Parisien; homme savant, né à Genève, en 1580, historiographe de France sous Louis XIII et Louis XIV. Il s’appliqua surtout aux titres et au cérémonial. Mort en 1648.

N. B. Son père, Denys, a rendu un service important à l’Europe par son travail immense sur le Corpus juris civilis.

Godefroi (Denys), son fils, né à Paris, en 1615, historiographe de France, comme son père: mort en 1681. Toute cette famille a été illustre dans la littérature.

Gombauld (Jean Ogier de), quoique né sous Charles IX[176], vécut long-temps sous Louis XIV. Il y a de lui quelques bonnes épigrammes, dont même on a retenu des vers. Mort en 1666.

Gomberville (Marin Le Roi de), né à Paris, en 1600, l’un des premiers académiciens. Il écrivit de grands romans avant le temps du bon goût, et sa réputation mourut avec lui. Mort en 1674.

Gondi (Jean-François-Paul de), cardinal de Retz[177], né en 1613, qui vécut en Catilina dans sa jeunesse, et en Atticus dans sa vieillesse. Plusieurs endroits de ses Mémoires sont dignes de Salluste; mais tout n’est pas égal. Mort en 1679.

Gourville, valet de chambre du duc de La Rochefoucauld, devenu son ami et même celui du grand Condé; dans le même temps pendu à Paris en effigie, et envoyé du roi en Allemagne; ensuite proposé pour succéder au grand Colbert dans le ministère. Nous avons de lui des Mémoires de sa vie, écrits avec naïveté, dans lesquels il parle de sa naissance et de sa fortune avec indifférence. Il y a des anecdotes vraies et curieuses. Né en 1625, mort en 1703.

Grécourt, chanoine de Tours. Son poëme de Philotanus eut un succès prodigieux. Le mérite de ces sortes d’ouvrages n’est d’ordinaire que dans le choix du sujet, et dans la malignité humaine. Ce n’est pas qu’il n’y ait quelques vers bien faits dans ce poëme. Le commencement en est très heureux; mais la suite n’y répond pas. Le diable n’y parle pas aussi plaisamment qu’il est amené. Le style est bas, uniforme, sans dialogue, sans graces, sans finesse, sans pureté de style, sans imagination dans l’expression; et ce n’est enfin qu’une histoire satirique de la bulle Unigenitus en vers burlesques, parmi lesquels il s’en trouve de très plaisants. Mort en 1743.

Gueret (Gabriel), né à Paris en 1641, connu dans son temps par son Parnasse réformé, et par la Guerre des auteurs. Il avait du goût; mais son discours, Si l’empire de l’éloquence est plus grand que celui de l’amour, ne prouverait pas qu’il en eût. Il a fait le Journal du palais, conjointement avec Blondeau: ce journal du palais est un recueil des arrêts des parlements de France, jugements souvent différents dans des causes semblables. Rien ne fait mieux voir combien la jurisprudence a besoin d’être réformée, que cette nécessité où l’on est de recueillir des arrêts. Mort en 1688.

Hamilton (Antoine, comte d’), né à Caen[178]. On a de lui quelques jolies poésies, et il est le premier qui ait fait des romans dans un goût plaisant, qui n’est pas le burlesque de Scarron. Ses Mémoires du comte de Grammont, son beau-frère, sont de tous les livres celui où le fond le plus mince est paré du style le plus gai, le plus vif, et le plus agréable. C’est le modèle d’une conversation enjouée, plus que le modèle d’un livre. Son héros n’a guère d’autres rôles dans ses mémoires que celui de friponner ses amis au jeu, d’être volé par son valet de chambre, et de dire quelques prétendus bons mots sur les aventures des autres.

Hardouin (Jean), jésuite, né à Quimper en 1646, profond dans l’histoire et chimérique dans les sentiments. Il faut s’enquérir, dit Montaigne, non quel est le plus savant, mais le mieux savant. Hardouin poussa la bizarrerie jusqu’à prétendre que l’Énéide et les Odes d’Horace ont été composées par des moines du treizième siècle: il veut qu’Énée soit Jésus-Christ, et Lalagé, la maîtresse d’Horace, la religion chrétienne. Le même discernement qui fesait voir au père Hardouin le Messie dans Énée, lui découvrait des athées dans les pères Thomassin, Quesnel, Malebranche, dans Arnauld, dans Nicole, et Pascal[179]. Sa folie ôta à sa calomnie toute son atrocité; mais tous ceux qui renouvellent cette accusation d’athéisme contre des sages ne sont pas toujours reconnus pour fous, et sont souvent très dangereux. On a vu des hommes abuser de leur ministère, en employant ces armes contre lesquelles il n’y a point de bouclier, pour perdre, sans ressource, des personnes respectables auprès des princes trop peu instruits. Mort en 1729.

Hecquet (Philippe), médecin[180], mit au jour, en 1722, le système raisonné de la Trituration, idée ingénieuse qui n’explique pas la manière dont se fait la digestion. Les autres médecins y ont joint le suc gastrique, et la chaleur des viscères; mais nul n’a pu découvrir le secret de la nature, qui se cache dans toutes ses opérations.

Helvétius (Jean-Claude-Adrien), fameux médecin, qui a très bien écrit sur l’économie animale et sur la fièvre. Mort en 1755. Il était père d’un vrai philosophe qui renonça à la place de fermier-général pour cultiver les lettres, et qui a eu le sort de plusieurs philosophes; persécuté pour un livre et pour sa vertu[181].

Hénault (Charles-Jean-François), président aux enquêtes du parlement, surintendant de la maison de la reine, de l’académie française, né à Paris le 8 février 1685. Nous avons déjà parlé de son livre utile de l’Abrégé de l’Histoire de la France. Les recherches pénibles qu’une telle étude doit avoir coûtées ne l’ont pas empêché de sacrifier aux graces, et il a été du très petit nombre de savants qui ont joint aux travaux utiles les agréments de la société qui ne s’acquièrent point. Il a été dans l’histoire ce que Fontenelle a été dans la philosophie. Il l’a rendue familière; aussi lui avons-nous rendu, comme à Fontenelle, justice de son vivant[182]. Mort en 1770.

Hesnault (Jean), connu par le sonnet de l’Avorton, par d’autres pièces, et qui aurait une très grande réputation si les trois premiers chants de sa traduction de Lucrèce, qui furent perdus, avaient paru et avaient été écrits comme ce qui nous est resté du commencement de cet ouvrage. Mort en 1682. Au reste, la postérité ne le confondra pas avec un homme du même nom, et d’un mérite supérieur, à qui nous devons la plus courte et la meilleure histoire de France, et peut-être la seule manière dont il faudra désormais écrire toutes les grandes histoires; car la multiplicité des faits et des écrits devient si grande qu’il faudra bientôt tout réduire aux extraits et aux dictionnaires: mais il sera difficile d’imiter l’auteur de l’Abrégé chronologique, d’approfondir tant de choses, en paraissant les effleurer.

Herbelot (Barthélemi d’), né à Paris en 1625, le premier parmi les Français qui connut bien les langues et les histoires orientales: peu célèbre d’abord dans sa patrie; reçu par le grand-duc de Toscane, Ferdinand II, avec une distinction qui apprit à la France à connaître son mérite; rappelé ensuite et encouragé par Colbert qui encourageait tout. Sa Bibliothèque orientale est aussi curieuse que profonde. Mort en 1695.

Hermant (Godefroi), né à Beauvais en 1616. Il n’a fait que des ouvrages polémiques qui s’anéantissent avec la dispute. Mort en 1690.

Hermant (Jean), né à Caen en 1650, auteur de l’Histoire des conciles, des ordres religieux, des hérésies. Cette Histoire des hérésies ne vaut pas celle de M. Pluquet[183]. Mort en 1725.

Huet (Pierre-Daniel), né à Caen en 1630, savant universel, et qui conserva la même ardeur pour l’étude jusqu’à l’âge de quatre-vingt-onze ans. Appelé auprès de la reine Christine, à Stockholm, il fut ensuite un des hommes illustres qui contribuèrent à l’éducation du dauphin. Jamais prince n’eut de pareils maîtres. Huet se fit prêtre à quarante ans; il eut l’évêché d’Avranches, qu’il abdiqua ensuite pour se livrer tout entier à l’étude dans la retraite. De tous ses livres, le Commerce et la Navigation des anciens, et l’Origine des Romans, sont le plus d’usage. Son Traité sur la Faiblesse de l’esprit humain a fait beaucoup de bruit, et a paru démentir sa Démonstration évangélique. Mort en 1721.

Jacquelot (Isaac), né en Champagne en 1647, calviniste, pasteur à La Haye, et ensuite à Berlin. Il a fait quelques ouvrages sur la religion. Mort en 1708.

Joli (Gui), conseiller au châtelet, secrétaire du cardinal de Retz, a laissé des Mémoires qui sont à ceux du cardinal ce qu’est le domestique au maître; mais il y a des particularités curieuses.

Jouvenci (Joseph), jésuite, né à Paris en 1643. C’est encore un homme qui a eu le mérite obscur d’écrire en latin aussi bien qu’on le puisse de nos jours. Son livre De ratione discendi et docendi est un des meilleurs qu’on ait en ce genre, et des moins connus depuis Quintilien. Il publia en 1710, à Rome, une partie de l’histoire de son ordre. Il l’écrivit en jésuite, et en homme qui était à Rome[184]. Le parlement de Paris, qui pense tout différemment de Rome et des jésuites, condamna ce livre, dans lequel on justifiait le P. Guignard, condamné à être pendu par ce même parlement, pour l’assassinat commis sur la personne de Henri IV par l’écolier Châtel. Il est vrai que Guignard n’était nullement complice, et qu’on le jugea à la rigueur: mais il n’est pas moins vrai que cette rigueur était nécessaire dans ces temps malheureux, où une partie de l’Europe, aveuglée par le plus horrible fanatisme, regardait comme un acte de religion de poignarder le meilleur des rois et le meilleur des hommes. Mort en 1719.

Labadie, voyez Abadie.

Labbe (Philippe), né à Bourges en 1607, jésuite. Il a rendu de grands services à l’histoire. On a de lui soixante et seize ouvrages. Mort en 1667.

La Bruyère (Jean de), né à Dourdan en 1644. Il est certain qu’il peignit dans ses Caractères des personnes connues et considérables. Son livre a fait beaucoup de mauvais imitateurs. Ce qu’il dit à la fin contre les athées est estimé; mais quand il se mêle de théologie, il est au-dessous même des théologiens. Mort en 1696.

La Chambre (Marin Cureau de), né au Mans en 1594. L’un des premiers membres de l’académie française, et ensuite de celle des sciences: mort en 1669. Lui, et son fils, curé de Saint-Barthélemi, et académicien, ont eu de la réputation.

La Chapelle (Jean de), receveur général des finances, auteur de quelques tragédies qui eurent du succès en leur temps. Il était un de ceux qui tâchaient d’imiter Racine; car Racine forma, sans le vouloir, une école comme les grands peintres. Ce fut un Raphaël qui ne fit point de Jules Romain: mais au moins ses premiers disciples écrivirent avec quelque pureté de langage; et, dans la décadence qui a suivi, on a vu de nos jours des tragédies entières où il n’y a pas douze vers de suite dans lesquels il n’y ait des fautes grossières. Voilà d’où l’on est tombé, et à quels excès on est parvenu après avoir eu de si grands modèles. Mort en 1723.

La Chaussée, voyez Nivelle.

La Croze (Mathurin Veissière de), né à Nantes en 1661, bénédictin à Paris. Sa liberté de penser, et un prieur contraire à cette liberté, lui firent quitter son ordre et sa religion. C’était une bibliothèque vivante, et sa mémoire était un prodige. Outre les choses utiles et agréables qu’il savait, il en avait étudié d’autres qu’on ne peut savoir, comme l’ancienne langue égyptienne. Il y a de lui un ouvrage estimé, c’est le Christianisme des Indes. Ce qu’on y trouve de plus curieux, c’est que les bramins croient l’unité d’un Dieu, en laissant les idoles aux peuples. La fureur d’écrire est telle, qu’on a écrit la vie de cet homme en un volume aussi gros que la Vie d’Alexandre. Ce petit extrait, encore trop long, aurait suffi[185]. Mort à Berlin en 1739.

La Fare (Charles-Auguste, marquis de), connu par ses Mémoires et par quelques vers agréables. Son talent pour la poésie ne se développa qu’à l’âge de près de soixante ans. Ce fut madame de Caylus[186], l’une des plus aimables personnes de ce siècle par sa beauté et par son esprit, pour laquelle il fit ses premiers vers, et peut-être les plus délicats qu’on ait de lui:

M’abandonnant un jour à la tristesse,
Sans espérance et même sans désirs,
Je regrettais les sensibles plaisirs
Dont la douceur enchanta ma jeunesse.
Sont-ils perdus, disais-je, sans retour?
Et n’es-tu pas cruel, Amour!
Toi que je fis, dès mon enfance,
Le maître de mes plus beaux jours,
D’en laisser terminer le cours
A l’ennuyeuse indifférence?
Alors j’aperçus dans les airs
L’enfant maître de l’univers,
Qui, plein d’une joie inhumaine,
Me dit en souriant: Tircis, ne te plains plus,
Je vais mettre fin à ta peine,
Je te promets un regard de Caylus.

Né en 1644, mort le 22 mai 1712.

La Fayette (Marie-Magdeleine Pioche de La Vergne, comtesse de). Sa Princesse de Clèves et sa Zaïde furent les premiers romans où l’on vit les mœurs des honnêtes gens, et des aventures naturelles décrites avec grace. Avant elle on écrivait d’un style ampoulé des choses peu vraisemblables. Morte en 1693.

La Fontaine (Jean), né à Château-Thierri en 1621; le plus simple des hommes, mais admirable dans son genre, quoique négligé et inégal. Il fut le seul des grands hommes de son temps qui n’eut point de part aux bienfaits de Louis XIV. Il y avait droit par son mérite et par sa pauvreté. Dans la plupart de ses fables, il est infiniment au-dessus de tous ceux qui ont écrit avant et après lui, en quelque langue que ce puisse être. Dans les contes qu’il a imités de l’Arioste, il n’a pas son élégance et sa pureté; il n’est pas, à beaucoup près, si grand peintre, et c’est ce que Boileau n’a pas aperçu dans sa Dissertation sur Joconde, parceque Despréaux ne savait presque pas l’italien: mais dans les contes puisés chez Boccace, La Fontaine lui est bien supérieur, parcequ’il a beaucoup plus d’esprit, de graces, de finesse. Boccace n’a d’autre mérite que la naïveté, la clarté et l’exactitude dans le langage. Il a fixé sa langue, et La Fontaine a souvent corrompu la sienne. Mort en 1695.

Il faut que les jeunes gens, et surtout ceux qui dirigent leurs lectures, prennent bien garde à ne pas confondre avec son beau naturel, le familier, le bas, le négligé, le trivial; défauts dans lesquels il tombe trop souvent. Il commence par dire au Dauphin dans son prologue:

Et si de t’agréer je n’emporte le prix,
J’aurai du moins l’honneur de l’avoir entrepris.

On sent assez qu’il n’y aurait nul honneur à ne pas emporter le prix d’agréer. La pensée est aussi fausse que l’expression est mauvaise.

Vous chantiez! j’en suis fort aise;
Hé bien! dansez maintenant.
Livre Iᵉʳ, fable 1ʳᵉ.

Comment une fourmi peut-elle dire ce proverbe du peuple à une cigale?

Sp j’apprenais l’hébreu, les sciences, l’histoire!
Tout cela c’est la mer à boire.
Livre VIII, 25.

Il faut avouer que Phèdre écrit avec une pureté qui n’a rien de cette bassesse.

Le gibier du lion, ce ne sont pas moineaux,
Mais beaux et bons sangliers, daims et cerfs bons et beaux.
Livre II, 19.
Un jour, sur ses longs pieds, allait, je ne sais où,
Le héron au long bec emmanché d’un long cou;
Livre VII, 4.

Et le renard qui a cent tours dans son sac; et le chat qui n’en a qu’un dans son bissac[187].

Distinguons bien ces négligences, ces puérilités, qui sont en très grand nombre, des traits admirables de ce charmant auteur, qui sont en plus grand nombre encore.

Quel est donc le pouvoir naturel des vers naturels, puisque, par ce seul charme, La Fontaine, avec de grandes négligences, a une réputation si universelle et si méritée, sans avoir jamais rien inventé! mais aussi quel mérite dans les anciens Asiatiques, inventeurs de ces fables connues dans toute la terre habitable!

La Fosse (Antoine de), né en 1653. Manlius est sa meilleure pièce de théâtre. Mort en 1708.

La Hire (Philippe de), né à Paris, en 1640, fils d’un bon peintre. Il a été un savant mathématicien, et a beaucoup contribué à la fameuse Méridienne de France. Mort en 1718.

Lainé ou Lainez (Alexandre), né dans le Hainaut, en 1650, poëte singulier, dont on a recueilli un petit nombre de vers heureux. Un homme[188] qui s’est donné la peine de faire élever à grands frais un Parnasse en bronze, couvert de figures en relief de tous les poëtes et musiciens dont il s’est avisé, a mis ce Lainez au rang des plus illustres. Les seuls vers délicats qu’on ait de lui sont ceux qu’il fit pour madame Martel:

Le tendre Apelle un jour, dans ces jeux si vantés
Qu’Athènes sur ses bords consacrait à Neptune,
Vit au sortir de l’onde éclater cent beautés;
Et, prenant un trait de chacune,
Il fit de sa Vénus le portrait immortel.
Hélas! s’il avait vu l’adorable Martel,
Il n’en aurait employé qu’une.

On ne sait pas que ces vers sont une traduction un peu longue de ce beau morceau de l’Arioste:

«Non avea da torre altra, che costei,
Che tutte le bellezze erano in lei.»
C. XI, Ott. LXXI.

Mort en 1710.

Lainet ou Lenet (Pierre), conseiller d’état, natif de Dijon, attaché au grand Condé, a laissé des Mémoires sur la guerre civile. Tous les Mémoires de ce temps sont éclaircis et justifiés les uns par les autres. Ils mettent la vérité de l’histoire dans le plus grand jour. Ceux de Lenet[189] ont une anecdote très remarquable. Une dame de qualité, de Franche-Comté, se trouvant à Paris, grosse de huit mois, en 1664, son mari, absent depuis un an, arrive: elle craint qu’il ne la tue; elle s’adresse à Lenet, sans le connaître. Celui-ci consulte l’ambassadeur d’Espagne; tous deux imaginent de faire enfermer le mari, par lettre de cachet, à la Bastille, jusqu’à ce que la femme soit relevée de couche. Ils s’adressent à la reine. Le roi, en riant, fait et signe la lettre de cachet lui-même; il sauve la vie de la femme et de l’enfant; ensuite il demande pardon au mari, et lui fait un présent[190].

La Loubère (Simon de), né à Toulouse en 1642, et envoyé à Siam en 1687. On a de lui des Mémoires de ce pays, meilleurs que ses sonnets et ses odes. Mort en 1729.

Il y a un jésuite du même pays et du même nom[191], savant mathématicien, mais qui n’est plus connu que pour avoir voulu partager avec Pascal la gloire d’avoir résolu les problèmes sur la cicloïde.

La Mare (Nicolas de), né à Paris, en 1641[192], commissaire au châtelet. Il a fait un ouvrage qui était de son ressort, l’Histoire de la police. Il n’est bon que pour les Parisiens, et meilleur à consulter qu’à lire. Il eut pour récompense une part sur le produit de la Comédie, dont il ne jouit jamais; il aurait autant valu assigner aux comédiens une pension sur les gages du guet.

Lambert (Anne-Thérèse de Marguenat de Courcelles, marquise de), née en 1647, dame de beaucoup d’esprit, a laissé quelques écrits d’une morale utile et d’un style agréable. Son traité De l’Amitié fait voir qu’elle méritait d’avoir des amis. Le nombre des dames qui ont illustré ce beau siècle est une des grandes preuves des progrès de l’esprit humain:

«Le donne son venute in eccellenza
Di ciascun’arte ove hanno posto cura.»
Orl. fur., c. XX, ott. II.

Morte à Paris, en 1733.

Lami (Bernard), né au Mans, en 1645, de l’Oratoire, savant dans plus d’un genre. Il composa ses Éléments de Mathématiques dans un voyage qu’il fit à pied de Grenoble à Paris. Mort en 1715.

La Monnoye (Bernard de), né à Dijon, en 1641, excellent littérateur. Il fut le premier qui remporta le prix de poésie à l’académie française; et même son poëme du Duel aboli, qui remporta ce prix, est à peu de chose près un des meilleurs ouvrages de poésie qu’on ait faits en France. Mort en 1728. Je ne sais pourquoi le docteur de Sorbonne Ladvocat, dans son Dictionnaire, dit que les Noëls de La Monnoye, en patois bourguignon, sont ce qu’il a fait de mieux: est-ce parceque la Sorbonne, qui ne sait pas le patois bourguignon, a fait un décret contre ce livre sans l’entendre?

La Mothe Le Vayer (François de), né à Paris[193], en 1588. Précepteur de Monsieur, frère de Louis XIV, et qui enseigna le roi un an; historiographe de France, conseiller d’état, grand pyrrhonien, et connu pour tel. Son pyrrhonisme n’empêcha pas qu’on ne lui confiât une éducation si précieuse. On trouve beaucoup de science et de raison dans ses ouvrages trop diffus. Il combattit le premier avec succès cette opinion qui nous sied si mal, que notre morale vaut mieux que celle de l’antiquité.

Son traité de la Vertu des païens est estimé des sages. Sa devise était,

«De las cosas más seguras
«La más segura es dudar.»

comme celle de Montaigne était, Que sais-je? Mort en 1672.

La Motte-Houdar[194] (Antoine de), né à Paris, en 1672, célèbre par sa tragédie d’Inès de Castro, l’une des plus intéressantes qui soient restées au théâtre, par de très jolis opéra, et surtout par quelques odes qui lui firent d’abord une grande réputation; il y a presque autant de choses que de vers; il est philosophe et poëte. Sa prose est encore très estimée. Il fit les Discours du marquis de Mimeure et du cardinal Dubois, lorsqu’ils furent reçus à l’académie française; le Manifeste de la guerre de 1718; le Discours que prononça le cardinal de Tencin au petit concile d’Embrun. Ce fait est mémorable: un archevêque condamne un évêque[195]; et c’est un auteur d’opéra et de comédies qui fait le sermon de l’archevêque. Il avait beaucoup d’amis, c’est-à-dire qu’il y avait beaucoup de gens qui se plaisaient dans sa société. Je l’ai vu mourir, sans qu’il eût personne auprès de son lit, en 1731[196]. L’abbé Trublet dit qu’il y avait du monde; apparemment il y vint à d’autres heures que moi[197]. [198] L’intérêt seul de la vérité oblige à passer ici les bornes ordinaires de ces articles.

Cet homme de mœurs si douces, et de qui jamais personne n’eut à se plaindre, a été accusé après sa mort, presque juridiquement, d’un crime énorme, d’avoir composé les horribles couplets qui perdirent Rousseau en 1710, et d’avoir conduit plusieurs années toute la manœuvre qui fit condamner un innocent. Cette accusation a d’autant plus de poids qu’elle est faite par un homme très instruit de cette affaire, et faite comme une espèce de testament de mort. Nicolas Boindin, procureur du roi des trésoriers de France, en mourant en 1751, laisse un Mémoire très circonstancié, dans lequel il charge, après plus de quarante années, La Motte-Houdar, de l’académie française, Joseph Saurin, de l’académie des sciences, et Malafer, marchand bijoutier, d’avoir ourdi toute cette trame; et le châtelet et le parlement d’avoir rendu consécutivement les jugements les plus injustes.

1º Si N. Boindin était en effet persuadé de l’innocence de Rousseau, pourquoi tant tarder à la faire connaître? pourquoi ne pas la manifester au moins immédiatement après la mort de ses ennemis? pourquoi ne pas donner ce mémoire écrit il y a plus de vingt années?

2º Qui ne voit clairement que le Mémoire de Boindin est un libelle diffamatoire, et que cet homme haïssait également tous ceux dont il parle dans cette dénonciation faite à la postérité?

3º Il commence par des faits dont on connaît toute la fausseté. Il prétend que le comte de Nocé[199] et N. Melon[200], secrétaire du régent, étaient les associés de Malafer, petit marchand joaillier. Tous ceux qui les ont fréquentés savent que c’est une insigne calomnie. Ensuite il confond N. La Faye[201], secrétaire du cabinet du roi, avec son frère le capitaine aux gardes. Enfin comment peut-on imputer à un joaillier d’avoir eu part à toute cette manœuvre des couplets?

4º Boindin[202] prétend que ce joaillier et Saurin le géomètre s’unirent avec La Motte pour empêcher Rousseau d’obtenir la pension de Boileau, qui vivait encore en 1710. Serait-il possible que trois personnes de professions si différentes se fussent unies et eussent médité ensemble une manœuvre si réfléchie, si infâme, et si difficile, pour priver un citoyen, alors obscur, d’une pension qui ne vaquait pas, que Rousseau n’aurait pas eue, et à laquelle aucun de ces trois associés ne pouvait prétendre?

5º Après être convenu que Rousseau avait fait les cinq premiers couplets, suivis de ceux qui lui attirèrent sa disgrace, il fait tomber sur La Motte-Houdar le soupçon d’une douzaine d’autres dans le même goût; et, pour unique preuve de cette accusation, il dit que ces douze couplets contre une douzaine de personnes qui devaient s’assembler chez N. de Villiers furent apportés par La Motte-Houdar lui-même chez le sieur de Villiers, une heure après que Rousseau avait été informé que les intéressés devaient s’assembler dans cette maison. Or, dit-il, Rousseau n’avait pu en une heure de temps composer et transcrire ces vers diffamatoires. C’est La Motte qui les apporta; donc La Motte en est l’auteur. Au contraire, c’est, ce me semble, parcequ’il a la bonne foi de les apporter, qu’il ne doit pas être soupçonné de la scélératesse de les avoir faits. On les a jetés à sa porte, ainsi qu’à la porte de quelques autres particuliers. Il a ouvert le paquet; il a trouvé des injures atroces contre tous ses amis et contre lui-même; il vient en rendre compte: rien n’a plus l’air de l’innocence.

6º Ceux qui s’intéressent à l’histoire de ce mystère d’iniquité doivent savoir que l’on s’assemblait depuis un mois chez N. de Villiers, et que ceux qui s’y assemblaient étaient, pour la plupart, les mêmes que Rousseau avait déjà outragés dans cinq couplets qu’il avait imprudemment récités à quelques personnes. Le premier même de ces douze nouveaux couplets marquait assez que les intéressés s’assemblaient tantôt au café[203], tantôt chez Villiers.

Sots assemblés chez de Villiers,
Parmi les sots troupe d’élite,
D’un vil café dignes piliers,
Craignez la fureur qui m’irrite.
Je vais vous poursuivre en tous lieux,
Vous noircir, vous rendre odieux;
Je veux que partout on vous chante;
Vous percer et rire à vos yeux
Est une douceur qui m’enchante.

7º Il est très faux que les cinq premiers couplets, reconnus pour être de Rousseau, ne fissent qu’effleurer le ridicule de cinq ou six particuliers, comme le dit le Mémoire; on y voit les mêmes horreurs que dans les autres.

Que le bourreau, par son valet,
Fasse un jour serrer le sifflet
De Bérin et de sa séquelle;
Que Pécourt[204], qui fait le ballet,
Ait le fouet au pied de l’échelle.

C’est là le style des cinq premiers couplets avoués par Rousseau. Certainement ce n’est pas là de la fine plaisanterie. C’est le même style que celui de tous les couplets qui suivirent.

8º Quant aux derniers couplets sur le même air, qui furent, en 1710, la matière du procès intenté à Saurin, de l’académie des sciences, le Mémoire ne dit rien que ce que les pièces du procès ont appris depuis long-temps. Il prétend seulement que le malheureux[205] qui fut condamné au bannissement, pour avoir été suborné par Rousseau, devait être condamné aux galères, si en effet il avait été faux témoin. C’est en quoi le sieur Boindin se trompe; car, en premier lieu, il eût été d’une injustice ridicule de condamner aux galères le suborné, quand on ne décernait que la peine du bannissement au suborneur; en second lieu, ce malheureux ne s’était pas porté accusateur contre Saurin. Il n’avait pu être entièrement suborné. Il avait fait plusieurs déclarations contradictoires; la nature de sa faute et la faiblesse de son esprit ne comportaient pas une peine exemplaire.

9º N. Boindin fait entendre expressément dans son Mémoire que la maison de Noailles et les jésuites servirent à perdre Rousseau dans cette affaire, et que Saurin fit agir le crédit et la faveur. Je sais avec certitude, et plusieurs personnes vivantes encore le savent comme moi, que ni la maison de Noailles ni les jésuites ne sollicitèrent. La faveur fut d’abord tout entière pour Rousseau; car, quoique le cri public s’élevât contre lui, il avait gagné deux secrétaires d’état, M. de Pontchartrain et M. Voisin, que ce cri public n’épouvantait pas. Ce fut sur leurs ordres, en forme de sollicitations, que le lieutenant-criminel Lecomte décréta et emprisonna Saurin[206], l’interrogea, le confronta, le récola, le tout en moins de vingt-quatre heures, par une procédure précipitée. Le chancelier réprimanda le lieutenant-criminel sur cette procédure violente et inusitée.

Quant aux jésuites, il est si faux qu’ils se fussent déclarés contre Rousseau, qu’immédiatement après la sentence contradictoire du châtelet, par laquelle il fut unanimement condamné, il fit une retraite au noviciat des jésuites, sous la direction du P. Sanadon, dans le temps qu’il appelait au parlement. Cette retraite chez les jésuites prouve deux choses: la première, qu’ils n’étaient pas ses ennemis; la seconde, qu’il voulait opposer les pratiques de la religion aux accusations de libertinage que d’ailleurs on lui suscitait. Il avait déjà fait ses meilleurs psaumes, en même temps que ses épigrammes licencieuses, qu’il appelait les gloria patri de ses psaumes, et Danchet lui avait adressé ces vers:

A te masquer habile,
Traduis tour à tour
Pétrone à la ville,
David à la cour, etc.

Il ne serait donc pas étonnant qu’ayant pris le manteau de la religion, comme tant d’autres, tandis qu’il portait celui de cynique, il eût depuis conservé le premier, qui lui était devenu absolument nécessaire. On ne veut tirer aucune conséquence de cette induction; il n’y a que Dieu qui connaisse le cœur de l’homme.

10º Il est important d’observer que pendant plus de trente années que La Motte-Houdar, Saurin, et Malafer, ont survécu à ce procès, aucun d’eux n’a été soupçonné ni de la moindre mauvaise manœuvre, ni de la plus légère satire. La Motte-Houdar n’a jamais même répondu à ces invectives atroces, connues sous le nom de Calottes, et sous d’autres titres, dont un ou deux hommes, qui étaient en horreur à tout le monde, l’accablèrent si long-temps. Il ne déshonora jamais son talent par la satire, et même, lorsqu’en 1709, outragé continuellement par Rousseau, il fit cette belle ode,

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