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Variétés Historiques et Littéraires (01/10): Recueil de pièces volantes rares et curieuses en prose et en vers

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The Project Gutenberg eBook of Variétés Historiques et Littéraires (01/10)

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Title: Variétés Historiques et Littéraires (01/10)

Editor: Edouard Fournier

Release date: April 3, 2013 [eBook #42464]
Most recently updated: October 23, 2024

Language: French

Credits: Produced by Mireille Harmelin, Guy de Montpellier, Christine
P. Travers and the Online Distributed Proofreading Team
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de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK VARIÉTÉS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES (01/10) ***

VARIÉTÉS
HISTORIQUES
ET LITTÉRAIRES,

Recueil de pièces volantes rares et curieuses
en prose et en vers

Revues et annotées

PAR
M. ÉDOUARD FOURNIER

Tome I

Décoration.

A PARIS
Chez P. Jannet, Libraire
MDCCCLV

Décoration.

PRÉFACE.

Jusqu'à ces derniers temps, pour les études d'histoire et de littérature, l'on ne s'étoit guère adressé qu'aux ouvrages traitant in extenso de la question historique ou littéraire dont on étoit curieux; on n'alloit d'ordinaire qu'aux renseignements consacrés, aux sources connues et en évidence, c'est-à-dire aux gros livres, qui ne répondoient pas toujours; l'on paroissoit à peine, se douter que, tout près de ces documents pour ainsi dire épuisés par l'usage, auprès de ces volumes muets, ou ne parlant que pour se répéter, il se trouvoit de simples livrets, de minces plaquettes, tout remplis des faits omis par les grands livres, d'autant plus intéressants, la plupart, qu'ils étoient plus inconnus, et que l'ignorance où l'on étoit même de leur titre leur avoit laissé, après deux ou trois siècles, tout le piquant de la nouveauté.

Le goût des livres rares, qui s'est si bien développé pendant toute la première moitié de ce siècle, a fait retrouver un très grand nombre des pièces dont nous parlons, et a fait assigner à chacune son prix vénal. Ce n'étoit pas assez: il ne suffisoit pas que ces livrets curieux eussent été trouvés pour le bibliophile; il falloit aussi qu'ils fussent acquis pour l'écrivain préoccupé des curiosités de toutes les histoires, de toutes les littératures; il ne falloit pas seulement qu'ils eussent un prix dans les ventes par devant le commissaire-priseur, il étoit bon qu'ils retrouvassent aussi leur valeur réelle devant l'amateur qui, pour se consoler de ne pas posséder, veut au moins pouvoir lire et travailler.

Leur rareté a fait le prix vénal de ces pièces; la publicité doit montrer leur prix historique, leur valeur littéraire, et ainsi leur réhabilitation ressortira de deux contraires. Voilà ce que nous nous sommes dit, voilà ce qui nous a guidé dans la recherche de celles dont ce volume commence le recueil.

Nous nous adressons à toutes les classes de lecteurs curieux et travailleurs; nous voulons apporter à chacun, quelle que soit la préoccupation de ses études, notre lot de connoissances nouvelles et de documents inattendus; c'est pour cela qu'au lieu de suivre un ordre quelconque, qui nous eût, fatalement rendu exclusif, et nous eût forcé, dès l'abord, de démentir notre titre, nous nous sommes imposé le désordre qu'on remarquera dans ce premier volume, comme dans les suivants, et qui nous permettra, grâce à son sans-gêne et à son mépris des transitions, de satisfaire ensemble et l'une après l'autre toutes les curiosités.

L'immense période comprise entre la seconde partie du XVIe siècle et la Révolution, tel est l'espace que nous nous promettons d'explorer, dans tout ce qu'il a d'intéressant au point de vue des faits de l'histoire ou des œuvres de l'esprit.

Décoration.

Ensuit une remonstrance touchant la garde de la librairie du roy, addressée à toutes personnes qui ayment les lettres, par Jean Gosselin, garde d'icelle librairie[1].

Vous, Messeigneurs, et autres personnes qui avez cest honneur d'aimer les lettres et ceux qui les traittent, je, Jean Gosselin, garde de la librairie royale, vous prie d'entendre le brief discours qui ensuit:

Il y a trente-quatre ans et plus que j'ay la charge de garder la librairie du roy, qui est un des plus beaux thresors de ce royaume, durant lequel temps je l'ay gardée plusieurs années dedans le chasteau de Fontainebleau, et puis, par le commandement du roy Charles IX[2], je la feis apporter en ceste ville de Paris; et combien que, depuis le temps que j'ay la charge de garder la dicte librairie, les sciences et lettres ayent eu beaucoup de traverses et adversitez, si est-ce que Dieu m'a faict la grace d'avoir fidellement gardé icelle librairie, et d'avoir empesché plusieurs fois qu'elle n'ayt esté dissipée ou ruynée, et signamment depuis le commencement des derniers troubles, que quelques uns des supposts de la ligue ont voulu s'ingérer d'entrer en icelle, souz couleur d'y vouloir donner ordre selon leur façon, lesquels j'ay empesché, par la grace de Dieu et par l'ayde de Messeigneurs et amis, et, voyant que je ne pourois plus résister contre la force de tels supposts, estimant aussi qu'ils auroient plus de hardiesse d'entrer en la dicte librairie en ma présence, me contraignant, par emprisonnement de ma personne, leur en faire ouverture, qu'ils n'auroient pas en mon absence, j'ay très bien fermé la porte d'icelle librairie, avec une bonne serrure et un bon cadenat, et par dedans avec une forte barre, et me suis absenté de ceste ville de Paris deux mois devant qu'elle ait esté assiégée, et me suis retiré à Saint-Denis, où estoit Sa Majesté, et par après me suis refugié en la ville de Meleun, qui estoit en l'obéissance du roy, là où j'ay été jusques à la dernière trève, durant laquelle le président de Nully, qui pour lors avoit moult d'autorité en ceste ville de Paris, meu d'une particulière affection, s'est adressé à la dicte librairie, a fait crocheter la serrure et le cadenat dont la porte d'icelle estoit fermée; et ne pouvant ouvrir icelle porte, à cause qu'elle estoit fermée par derrière avec une forte barre, il a fait rompre la muraille afin d'ouvrir la dicte porte, est entré en icelle librairie avec telle compagnie qu'il luy a pleu[3], et y est allé plusieurs fois avec ses gens, qu'on a veu s'en aller avecques luy portans d'assez gros pacquets soubs leurs manteaux, et a possédé la dicte librairie, ainsi qu'il a voulu, jusques au temps que ceste ville a esté réduite en l'obéissance du roy, et que Sa Majesté luy a mandé de me rendre les clefs d'icelle librairie, et remettre en la dite librairie les livres d'icelle si aucuns en avoit pris, et ledit président m'a seulement rendu les clefs, disant qu'il n'avoit pris aucune chose dedans la dite librairie. Je n'en veux pas parler plus avant; mais je reviens à mon propos, à moy plus nécessaire: c'est que vous, messeigneurs et autres personnes qui aymez les lettres et ceux qui les traictent, je vous supplie d'entendre l'estat calamiteux auquel m'ont réduit les supposts de la ligue. Aucuns de ceux qui estoient en ceste ville de Paris, très mal affectionnez envers les serviteurs du roy, estant advertis que je m'estois retiré en ville qui estoit en l'obéissance du roy, viennent en mon logis, auprès de Sainct-Nicolas-des-Champs, où j'avois laissé feu ma femme, et ravissent tout mon bien, tellement qu'il ne me demeure rien, et s'ils m'eussent trouvé, ils ne m'eussent pas laissé derrière. Voylà comment les dits supposts de la ligue m'ont reduit en fort grande nécessité. Mais Sa Majesté, pleine de bonté, ayant entendu les fidelles services que j'ay faits par le passé, et que je faits encores de présent, et aussi la grande nécessité où j'ay esté et suis encores maintenant, a ordonné et commandé très expressement (mesmement par l'advis de son conseil) à maistre Balthasar Gobelin, thresorier de l'espargne, qu'il ait à me payer comptant, des plus clairs deniers de sa charge, la somme de seize cens soixante six escus, à moy deue pour plusieurs années de mes gaiges, et pour deniers par moy desboursez pour l'entretenement de la dite librairie, de laquelle il y a mandement deuement expédié, dont la copie ensuit par cy après.

Et d'autant que monsieur le thresorier ne m'en veult pas faire la raison, la nécessité me contraint de supplier humblement vous autres, Messeigneurs et autres personnes honorables qui aymez les lettres, qu'il plaise à chacun de vous (quand l'occasion se présentera) de remonstrer et persuader audit thrésorier qu'il acquerroit honneur, avec la grace de Dieu et des hommes, en faisant plaisir (suyvant le bon vouloir du roy) aux personnes qui traictent les lettres, font service au roy et au publiq, et spécialement en me payant ce qui m'est deu et ordonné par sa dicte Majesté, afin que m'acquite envers les gens de bien qui m'ont presté argent durant le mauvais temps qui a couru, et aussi que j'aye moien d'avoir du pain et des habilements en l'aage où je suis: car autrement (à mon très grand regret) je seray contrainct, après que j'ay servy fidellement quatre grands roys, par l'espace de trente-quatre ans, de mendier et demander l'aumosne (avec grande honte) à toutes personnes que je cognoistray aymer les lettres, plus tost que de mourir de faim en languissant.


Ensuit la copie du mandement par lequel le Roy mande très expressément à maistre Balthasar Gobelin, thresorier de l'Espargne, qu'il paye à Jean Gosselin, garde de la librairie royale, les gages qui lui sont deuz et les deniers qu'il a desboursez pour l'entretenement de la dicte librairie.

Henry, par la grace de Dieu, roy de France et de Navarre, à notre amé et feal conseiller et tresorier de nostre espargne maistre Balthasar Gobelin, salut. Nous vous avons mandé par nos lettres patentes du diseptième jour d'octobre dernier de payer à nostre bien aimé Jean Gosselin, garde de nostre librairie, la somme de seze cens soixante six escus deux tiers, à luy deue pour les causes et comme il est porté par nos dictes lettres, ausquelles, ainsi qu'il nous a fait humblement remonstrer, vous faictes difficulté de satisfaire, à cause des reglemens par nous nagueires faits en nostre conseil sur le faict de nos finances, nous suppliant très humblement, attendu que c'est chose deue pour ses gaiges et remboursement des frais par luy avancez pour la conservation et entretenement de notre dicte librairie, luy vouloir sur ce subvenir, pour ce est-il que ayant esgard aux longs et fidelles services que le dit Gosselin nous a faits, et aux feus roys nos predecesseurs, en quoi il a reçeu de grandes pertes en ses biens, et desirants luy donner moyen de vivre le reste de ses jours, nous voulons et nous vous mandons très expressement par ces presentes que, sans vous arrester ny avoir aucun egard aux dicts reglements, vous ayez, des plus clers deniers de vostre charge, à payer, bailler et délivrer comptant à iceluy Gosselin, la dicte somme de seize cents soixante six escus deux tiers, selon et tout ainsi qu'il vous est mandé faire par nos dictes lettres cy attachées sous nostre contreseel, sans qu'il luy soit besoing de plus en venir à plainte à nous, nonobstant lesdicts réglements et deffences au contraire, de la rigueur desquelles nous l'avons excepté et reservé, exceptons et reservons, et vous en avons dechargé et dechargeons par ces dictes presentes, signées de notre main, car tel est nostre plaisir. Donné à Paris, le quatrième jour de mars l'an de grace mil cinq cens quatre vings quinze, et de nostre règne le sixième.

Ainsi signé: Henry, et plus bas: Par le roy, Pottier; et scellé sur simple queüe en cire jaune, et au dos est écrit ce qui s'en suit: Enregistré au contrerolle général des finances, par moy, soubzsigné, à Paris, le septième mars mil cinq cens quatre vings quinze.

Signé: de Saldaigne.

Ceux qui embrassent Pluton et le préfèrent aux thresors de Palas vont estre mal contents de la petite remonstrance, à cause de quoy je suys iniquement traicté touchant cest affaire.

Ventus en est vita mea.

Décoration.


Le Diogène françois[4], ou les facetieux discours du vray anti-dotour comique blaisois. Jouxte la coppie imprimée à Limoge, par Guillaume Bureau, imprimeur et libraire, près l'église Sainct-Michel.

M. DC. XVII.
In-8.

AUX LECTEURS.

Les subjects trop serieux se convertissent le plus souvent en un ennuy qui nous rend paresseux à la lecture; par divertissement, et pour les heures moings occupées, j'ay fagoté ce paradoxe facetieux, pour servir d'apozeme cordial aux esprits melancholiques et moins curieux. Les matières graves temperées par la consolation de quelque gaillardise ne sont que plus agreables, de mesme que le printemps plus récréatif par les froidures d'un importun hyver. Il vaut mieux rire franchement et avecques ses amis, et sans crainte, que faire la chattemitte et estre du nombre de ceux qui furtim coëunt et sua furta regunt.


A CE LIVRET.

Passe, tu es assez fort,
Ton humeur est ta conduite,
L'on ne te peut faire tort,
Tes ennemys sont en fuite.


PARADOXE
SUR LES CHOSES PETITES.

Parvi parva decent, à petit mercier petit pannier. Voyons d'où vient la cause efficiente de ceste matiere. Hier justement à deux heures et demye deux minutes, et un moment après midy, estant au jour d'une vieille fenestre casuellement trivialle, appuyé comme un Astrophile, j'entendy deux grosses chambrières grasses, grosses et rebondies, dont l'une complaignante disoit: Hélas! qu'il m'ennuye en ceste ville! Les hommes y sont si petits qu'il n'y a ny sel ny saulce. Comment! lui respondit sa camarade; il en arrive tous les jours de si grands, de si gros et de si longs à votre logis, que n'en prenez-vous quelqu'un pour le prix de vostre argent? Sur ce discours, la ratelle s'esmeut de telle sorte, que je fus sur l'après de passer le pas, comme celuy qui mourut à force de rire voyant un âne qui mangeoit des figues sur sa table. Cela fut cause que tout aussitôt je mis la main à la plume, et qu'à chapeau relevé je resoluz de rembarrer cette insatiable caqueterie, et qu'en despit de sa langue jasarde, je decrete la manutation, le support et protection des choses petites, que je concluds, di-je, à sourcil refrongé, de les mettre en lustres et frontispice.

Primo. Est-il rien plus petit que l'amour? plus poupin que l'amour? plus mignard que l'amour? plus abrégé que l'amour? C'est luy toutefois qui premier fendit le chaos, et qui premier mit la réunion entre les choses confuses: voyez, de grace, les forces, la vertu et l'energie de ce petit babouin d'amour! Aussi dit-on: Omnia vincit amor.

Secundo. Lors qu'une beauté veut emprisonner quelque amoureux trancy, par où fait-elle sa capture? Par les yeux, la partie la plus delicatte de ceste masse de chair: c'est pourquoy Ovide tient que oculi sunt in amore duces. Tous les philosophes assemblez, voulant signifier ce que c'estoit que de l'homme, l'ont appelé microcosme, tanquam parvus mundus; l'ont, dis-je, deffini par ce mot de petit monde, pour notifier que les choses petites ont je ne sçay quoy de plus que les grandes, et igitur aures arigite, admiranda canam. Il est certain qu'Apulée, ayant mangé un petit bouton de rose, laissa sa forme asinaire et reprit sa premiere. Un bon orateur se recognoist lors qu'il parle en peu de mots, succinctement et laconiquement, au contraire de nos procureurs, chicaneurs, appariteurs et garde-nottes, qui estendent et pourfillent le miserable cahyer, pour faire valoir leurs escritures. Juxta illud odor lucri bonus est ex re qualibet, que quelque maleficié et morfondu presente une pistole à son medecin pour son ordonnance, jaçoit qu'elle soit petite et rongnée contre la reigle hic et hac et hoc nimis, au diable s'il en fait refus: donum quodcumque sumendum. Voylà, voilà: les maximes d'accipe, sume, cape, sont cejourd'huy si ressentes et familières, qu'on est contrainct d'avouer à monsieur le bachelier, pour la peine de ces recipez, materiam non formam, si mieux il ne vouloit recevoir du febricitant stercus aureum en champ de gueule.

N'en déplaise à messieurs nos courtisans, ils ayment aussi les choses petites, le chapeau petit, la barbe petite en queue de canard, le petit manteau à la clisterique[5], la petite espée, et, foy de Platon, le plus souvent la bourse si petite, qu'il ne se trouve rien dedans, suivant ces mots: A demain, je n'ay point de monnoye, les pistoles me font ombre. Que feroit-on là? Il faut confesser qu'aujourd'huy vanitas vanitatum et omnia vanitas. Leurs lettres amoureuses s'appellent poulets, in diminutivo, et non pas chappons[6], où avecque peu de discours ils font espanouyr ceste rose qui fleurit tous les moys.

Pour crayonner une belle Helène, il faut qu'elle aye un petit sorcil à perte de veüe, une petite bouche, un petit manton, un petit tetin rondelet, blanchelet et mignardelet, et non point de ces poupes et tetasses à la perigourdine, propres à charger sur l'espaule comme une besace; il faut, di-je, qu'elle aye une petite main potelée et caillotée, absque fuco et cerusa, un petit pied, et un petit, petit, petit, etc.

Appelles, voulant dépeindre une beauté parfaite, emprunta les attraits plus beaux des plus gratieuses filles de la ville de Crotone, par le moyen desquelles il se fit un petit tableau soubz le nom de madame Venus, l'une des merveilles du monde, et dit-on que ceste bonne dame avoit les talons si petits et si courts, qu'à toute heure elle tomboit à la renverse. Pour moy, je n'en parle que par ouyr dire; je m'en rapporte à Flore et Laïs, ses compagnes.

Hippocrate nous advertit que les bonnes drogues se mettent ordinairement ès petites boëtes, et ses disciples par succession tiennent qu'une petite mouche fait souvent peter et vessir un grand ase. S'il est ainsi, nous aurons besoing cest an nouveau de forces queües pour les chasser, si mieux on ne fait inhibitions et défences à ces taons et frelons du repos public de passer les portes de la ville en ces mots:

Troupe picquante et du tout vile,
Des asnes le vray chastiment,
Nous vous faisons commandement
De reculer de nostre ville.

Et si, par le moyen de la prosopopée, ces guespes vouloient s'arraisonner et contester leur antienne liberté, espouventez-les en ceste façon, comme Ænée parlant à Turne:

Nos Arcades à ceste fois
Ont sur vous un tel advantage
Qu'ils naissent soubz humain visage,
Comme les feuilles par les bois.

Les maistres des sales noires qui percent le vent avecque la boure[7] tiennent que les meilleurs joueurs de paulme se recognoissent quand à frise corde et à fauciles imperceptibles ils mettent dans les petits troux; il en est ainsi des champions d'amour: les grands troux leurs sont odieux, desplaisants et desagréables. Prenons-les doncques petites et jeunes, vertes et tendres comme la fleur en son matin, selon Virgile: collige, virgo, flores, dum flos novus et nova pubes: una dies aperit, deperit una dies.

Un jour, appuyé sur la boutique d'un tisseran en cuir, après plusieurs discours sur les guerres d'Ostande, de Juilliers, de Hongrie, de Flandres[8], je luy demanday: A qui est ce petit soullier si bien fait, si bien coupé, si bien cousu et si bien paré? Il me répondit: A une jeune damoyselle, miste, belle, gaillarde, dispose, gratieuse et affaitée, qui ne chausse qu'à trois petits points, mais il est bien vray qu'elle couche à douze grands, mesure de Saint-Denis en France; et qu'ainsi ne soit, me dit-il, considerez ce satyre, in laudem ex parte cujusdam amasi irritati: car il parloit latin, le drôle, et s'il m'affirma ne l'avoir jamais apris qu'au siége des Toopinambous, près de Marathon, soubz l'equateur oriental.

Petite, que vous estes sotte,
Dans ceste robe de prix!
Je n'ayme point le mespris.
Quitez-la, qu'on la décrotte.
Je n'ayme point que l'on trote
Pour efforer les esprits:
Cela ressent sa Cypris
Lorsqu'à Mars on la garote.
Que si vous craignez les loix
De la courrière des mois
Et de mort estre ferue,
Sans bruit accourez à moy:
Avecq' un bon pied de roy:
Vous serez tost securüe.

Je recognus par ce sonnet que nostre tireur de rivet vouloit rapporter ses douze grands points à ce bon pied de roy, gaige suffisant pour contenter les plus degoustez: o parva iterum quam excellentissima! Que dirons-nous de plus? Si nous sommes à quelque sympose ou banquet françois, est-il pas plus beau de voir sur notre assiette des os de perdriaux, de cailles, de faisandeaux, d'alloüettes, d'ortolans, de pigeonneaux, de poulets, de ramiers, de palombes, de tourterelles, de grives, de levraux, que non pas ceux d'un bœuf, d'une vache, d'un pourceau, d'une truye, d'un bouc, d'une chèvre et autres bestes puantes, grossières et massives? Baste, baste, in parvis virtus, in magnis virus. Par comparaison, qu'on demande à quelque pucelle de vingt ans estant à table: M'amye, voulez-vous manger de ces fricandeaux? de ces petits gougeons? de ces lamperons? de ces loches frites[9]? de ces barbillons? de ces soles à la gibelote? de ces brochetons? de ces grenouilles à la saulce blanche? Sage et civilisée, elle respondra: Un petit, s'il vous plaist, monsieur. Je remets à vos jugements quelle grace si elle disoit: Les plus gros et les plus longs me sont les meilleurs. Quid magis? Si quelque amoureux, pour favoriser sa maistresse et parvenir au but de ses bonnes graces, luy présentoit un bouquet composé d'une fleur de pavot, de chardon, d'herbe au soleil, de lys champestre, avec une feuille de choux ou de boüillon blanc à l'entour, se rendroit-il pas ridicule et stupide par devant les plus idiots de sa jurisdiction? Comment agencerons-nous donc ce bouquet pour sa grace et perfection? Avec une fleur de violette, de giroflée, de pensée, de jasmin, de jacinthe, de narcis, de paquerette, d'œillets, de boutons de rose, avec le myrthe plus petit et la marjolaine plus franche qu'il se pourra trouver: voylà la gloire et l'immortalité des choses petites. Entre les oyseaux, l'on se plaist à nourrir un tarin, un rossignol, un serin, un lynot, un pinçon, un passereau, un chardonneret, un verdier, une alloüette et autres petits animaux plaisans à la vëue et à l'ouye. Il semble que la cour de nos princes sembleroit nüe et sans ornemens si elle ne s'accommodoit d'un pigmée, d'un nain, d'un mysantrope prodigieux et contrefaict, tant l'esprit de l'homme est agité de divers appetits changeans et variables! Voyons ce quatrain fait sur l'un des plus petits frantaupins de l'Europe:

La doubleure d'une baguette
Dessoubz la peau d'une belette
Suffit pour luy faire en tout point
Le bas, la trousse et le pourpoint[10].

Il est à suposer que ce petit botiné estoit bastant de s'embarquer vers le nord pour boire du fleuve Strymon, en despit des grües ennemyes maistresses de ce rivage. Attendant mieux, soustenez et cherissez les choses petites, et j'auray occasion d'en loüer le premier dessein. Valete et plaudite.

Suite des Choses petites.

Je ne puis oublier les choses petites, tellement insculptées, enracinées, caracterées, cizelées, imprimées, voyre s'il faut dire infuses dans le cerveau de mon intellect, que deum timo pascent apes, dum rore cicadæ, toujours, toujours j'auray en reverence le fond de la cause du subject de ceste matière, tant opulentissime et tant excellentissime! O parva turturella! parva colombella! parva muliercula! parva filiola! parva puella! Je maintien à visage refrongné, à poil hérissé et à barbe partialisée, qu'il n'est rien de plus poupin, de plus mignon et de mieux calamistré (ce mot est bon jaçoit que pedentesque, calamistro, as, âre, penultima longa; il passera en despit du censeur); est-il rien, dis-je, de plus poly que la chose petite?

Margoton sans fin m'agite
En son giron arresté,
Non pas tant pour sa beauté,
Que pour ce qu'elle est petite.

Commençons donc par ce syllogisme parodoxiquement formé à la ciceroniène: La lune est plus grande que la terre; la lune nous semble plus petite: ergo, la chose petite nous doit sembler plus grande que toute la terre. Et bien! bouches antiperistasées, qui, comme les Thyades, Menades et Bacchantes, forcenez contre les choses petites, avez-vous jamais ouy dire qu'à petit chien grande queüe? à petit rouet bon ressort? et à petite braguette grand engin? Ouvrez les yeux, testes degoustées, et aprenez que soubz un petit buisson gist un grand lièvre, que dans une petite cheminée on y faict un grand feu, et que dans une basse maison la vertu le plus souvent y séjourne. Parvus et pauper scientiarum magister. Le nombre des sages est petit, celuy des foux universel; un seul Platon suffit pour user la vie à une iliade de bouriquets, officiers sedentaires, arcades de Mirebeau. Que dirons-nous de ce petit poisson Remora, qui, malgré toute tempeste, arreste les plus grands vaisseaux en plaine mer? D'où ceste vertu occulte et cachée? Aristote, lisant sur sa vertu, Aristote, lequel envoya dans Euripe pour un semblable subject. Aristo non Euripium, imo Eurip. Aristo. Cela me fait souvenir de ce grand Hercul, qui se laissa embabouiner par Omphale, petite femelette, afin d'esteindre sa chandelle et exterminer son chaud et bouillant desir au monument du tambour de nature. Avoit-il raison, le compagnon, de tourner le fuseau et soubs l'habit de femme chanter toute la nuit! Et compressa fuit Omphale. Quel dompteur de monstres! quel officier d'amour! il aymoit mieux un dedans que trois dehors. Que dirons-nous de ce petit animal que nos cosmographes appellent Ichneumô, lequel, espiant l'absence du crocodil, destruict et ronge ses œufs, et par ce moyen delivre l'Egipte d'une mortelle apprehension? Que dirons-nous de l'abeille, dont Virgile a voulu enrichir son quatriesme des Georgiques, le commençant par ces mots: Protinus aris mellis celestia dona exequar, où il est descript si amplement ses roys, ses loix, son peuple, ses bornes, sa coustume et tout ce qui dépend d'une vraye republique? Que dirons-nous du mouscheron dont le même Virgile a faict le tombeau, Parve culex pecudum custos, etc., sinon advouer les choses grandes inferieures aux petites? Silene, monté sur son asne, eust perdu la bataille contre les Indiens sans le secours d'une guespe, qui, tenant son asne aux fesses, le picqua si vivement qu'il passa tout au travers des ennemys, lesquels, espouvantez des eslancs prodigieux de ceste furieuse beste, prindrent la fuitte à la gloire de ce bon vieillard. C'est pourquoy Bacchus, en commémoration d'un tel benefice, par sentence donnée sur le pressoir, tous les tonneaux, muids, poinssons et bariques assemblez, ordonna que lesdites guespes et freslons repaistroient doresnavant et sans contredict des raisins blancs et noirs, et assisteroient prerogativement à la vendange. Voyez quel privilége, pour faire bien contre sa volonté! Si tels freslons alegoriques ne vivoient que de moust, le vin seroit à meilleur prix et le pain à plus juste compte. Nec est omnibus adire Corinthum. Que dirons-nous de plus? Le coq, par le trechat de son chant, faict fuir le lyon; une grenouille fut bastante d'arrester dernièrement en Antioche, quinze jours devant la canicule, le coche du colonel des bons beuveurs, cosmographe des pantagones, lignes diagonales et accens circomflets, lors assisté de Robinette, du Filoux et de la Gazette normande; une damoyselle soubz-riant sur son petit mestier, ou soit qu'elle fust pressée du derière, ou qu'elle fust subjecte à telles ventositez, ou que l'exez de la faculté du ris la portast à ceste gaillarde action, fit un petit pet tellement parfumé, que toutes les cassolettes, parfums, oyselets de cipre[11], musquadins, n'eussent pas eu plus competiteurs poursuivans que ce sonnet invisible, spirituel et organisé.

Femme qui pète, ce dit-on,
N'est pas signe qu'elle soit morte,
Quand le cul parle, dit Platon,
Le ... voisin se reconforte.

Par experience, et pour maintenir la grandeur des choses petites, quel plaisir d'entendre le murmur d'un petit ruisseau, de voir bondir et sauteler le chevrel, l'aignelet et autres petits fans, compagnons des forests et des bruyères! La grâce, en effect, n'ayme point la chose grande; la femme, pour sa propreté, doit porter un petit estuy, de petits cizeaux, de petits cousteaux, un petit drajouer, un petit manchon et un petit chien, pour servir de couverture aux exhalaisons du ventricule, suyvant ce proverbe (Chassez ces chiens, ces femmes vessent). Quelqu'un, ruminant soubz son bonnet, me pourra objecter qu'aujourd'huy la plus grande part de nos courtisanes portent de grands patins. Il est vray, mais telles femmes sont sujettes à glisser et à mesurer le pavé avec le cul, suyvant ce quatrain:

Ceste femme qui, si debille,
Se fait porter dessoubz les bras,
Si elle estoit entre deux draps,
Elle en lasseroit plus de mille.

M'objecteront davantage qu'elles portent de grandes vertugades. De rechef je leur respondray que c'est la verité; mais Lycurgue appelle tels lève-culs cages de Taurus et Geminj, où tous bons colliers peuvent aprendre la règle de Rectum persæpe tacemus, joint que le naturel de la femme est tel, qu'il se passeroit plustôt de chemise que de bourrelet.

Les masques et vertugades
D'un tel crédit se sont ornez,
Que les femmes seroient malades
Sans leur culz et cachenez.

Non, non, par necessité necessitante, il faut advouer que les merveilles sont incluses parmy les choses petites. Que dirons-nous d'un grain de froment qui jaunit tous les ans les guerets de l'Europe et de la Thessalie, d'un grain de mil, de panis et autres semences, la recource annuelle de tant de sortes de nations? Un bon cappitaine se recognoist lors qu'avecque une poignée de gens il deffaict et met en fuite une puissante armée; un sergent avec un petit bout de plume faict autant d'execution au logis d'un pauvre homme qu'un maquignon parmy un haras pour un quart d'escu. Je n'aurois jamais faict sur les choses petites; je les finiray jusques au premier jour, avec une reverence du costé gauche à la pedentesque. Valete et iterum valete.

Décoration.

Histoires espouvantables de deux magiciens qui ont esté estranglez par le Diable dans Paris la Semaine saincte. A Paris, par Claude Percheron, rue Galande, aux Trois Chappelets.

In-8.

A MONSIEUR D., DOCTEUR EN MÉDECINE.

Monsieur,

Sur le bruit qui couroit hier de la mort de deux magiciens estranglez par le Diable, je fus me promener en divers lieux pour me rendre certain de cest espouvantable accidant, où, après en avoir tumultuairement recueilly quelque chose au bruit de la cour, la nouveauté du faict me sembla si estrange, que je l'ay jugée digne de vous estre escrite, et me tardoit que je misse la main à la plume pour vous en tracer quelque chose, laquelle d'un plain vol a passé sans s'arrester par dessus ce petit discours mal tissu et limé, aussy que je n'ay point esté curieux en la recherche des beaux mots, me contentant de vous en escrire unement et sans fard la verité. Vous la recepvrez donc, s'il vous plaist, d'aussy bon œil que si le stile en estoit plus relevé, attendant que je puisse trouver en autre endroit l'occasion de vous pouvoir tesmoigner par effect plustost que par paroles l'affection que j'ay de demeurer à jamais,

Monsieur,

Vostre très affectionné serviteur,
F. L. M.
P. P. D.
S.

De Paris, ce 16 avril 1615.

Décoration.

Histoires espouvantables de deux magiciens[12].

Il n'y a rien au monde qui soit si capable de trouver place dans un esprit malsain et qui a tant soit peu esté haleiné du vent d'ambition et des vanitez mondaines, que l'imaginaire contentement de la possession des richesses et de la vaine jouissance des grandeurs et dignitez terrestres. C'est ce qui fait que beaucoup d'hommes couverts toutefois d'un faux masque de chrestiens font banqueroute à leur conscience, et, abandonnant le culte qu'ils doivent au service divin du Tout-Puissant, sacrifient et dressent des autels tous les jours et des vœux aux faux dieux des anciens payens, Junon et Venus, c'est-à-dire aux honneurs, aux richesses et aux plaisirs, et enfin (pour s'estre desmunis de l'assistance du grand Dieu et du bon ange gardien que sa divine Majesté a gardée à chacune de leurs ames à l'instant de leur création) se laissent attirer dans les precipices de magie par une allechante friandise de pouvoir par dessus la nature mesme, de se faire aimer, de se venger, et nuire aux ennemis, car c'est ce qui les incite à ce damnable mestier. Joint que cest imposteur Sathan ne manque de leur promettre qu'ils feront miracles, et à la parfin, après qu'ils se sont empestrés avec ce maudit et cauteleux serpent, et à l'heure qu'ils le servent le mieux, c'est alors que ce pervers ouvrier d'iniquitez vient à les posseder ou estrangler. Voilà la recompence que Dieu donne à ces esprits maniaques qui ont renié sa puissance pour se faire cognoistre à eux par les effets du ministre de sa haute justice, à la puissance duquel (quand Dieu lui lasche la bride) il n'est rien de comparable sur la terre, comme dit Job. La preuve de cecy se peut clairement faire par deux petites histoires autant admirables et espouvantables en leur esvenement que pleines d'impieté et irreligion en leur subject. J'ai toutefois horreur de prendre, ô miserable, malheureuse et desreglée meschanceté! ô effrontée et intolerable volupté! ce tesmoignage entre les chrestiens, et de voir ceste peste de magie, non seullement condempnée par les loix divines et humaines, mais encore abhorrée et destestée par les payens même, comme faict voir le poète Virgile, par ces grands serments et adjurations que faisoit Didon, voulant persuader à sa sœur que, malgré elle, il falloit avoir recours aux charmes et arts magiques:

J'atteste les grands Dieux et toi, ma sœur, ma mie,
Qu'il faut que malgré toi tu t'aides de magie,

trouver place encore dans les âmes qui ont cognoissance d'un seul Dieu tout-puissant! Mais puisque Paris est le spectacle de deux estranges tragedies qui se jouèrent entre le Diable et deux magiciens, les 11 mars, veille des Rameaux, et 14 dudict mois, jour de mardy sainct dernier, 1615, j'en feray, le petit discours qui s'en suit:

Première Histoire.

L'un de ces deux miserables qui ont servy de proye aux démons se nommoit Cæsar[13], lequel a non seulement tonné dans les airs, mais estonné toute la France par les effects extraordinaires de sa magie, qui avoit tousjours en sa bouche ce que disoit un ancien magicien:

Je suis necromancien qui, par ma necromance,
Faits fleschir quand je veux souz moy toute puissance;
Je faits trembler la terre et mouvoir les cieux;
Il pleut, il grèle, il vente, alors que je le veux.

Et pouvoit aussi dire ce que Petronius Arbiter faisoit dire à sa sorcière Enothée:

Tout ce que tu peux voir dessouz le ciel doré,
Au desir de ma voix est tousjours preparé;
Par mes charmes j'attire en ce monde la Lune,
Et tiens dessouz mes loys les Dieux et la fortune.

Ces merveilles ne sont pas difficiles à croyre, car il avoit un esprit familier qui s'appeloit Sophocles, lequel parloit à luy à toute heure et en toute compagnie; et faire eslever des nuées noires, arracher le feu, la gelée, l'orage, la foudre, troubler les elements, ce sont jeux de Sathan. Les petits enfants aux païs septentrionaux font à milliers de ces tours pour plaisir. Tout cela n'estoit que des moindres traitz de son mestier. C'est luy qui avoit predit la mort de monsieur le maréchal de Biron[14], et, depuis, la mort du roy[15] Henri le Grand, qui a apporté tant de malheurs et de desordre à notre desolée France. Il avoit un chien avec luy[16], qu'il envoyoit où il vouloit porter des lettres, et en tiroit responce s'il en estoit besoing. Je ne l'ay jamais veu; mais il y a sept ans que je commençay à le cognoistre par réputation: ce fut lors qu'il fut fait prisonnier sur ce qu'on l'accusoit d'avoir fait une image de cire[17] pour faire mourir en langueur un certain gentilhomme; de laquelle accusation, par le moyen de son demon, après avoir gardé longtemps sa prison, il fust renvoyé absouz. Mais quelles meschancetez et diableries n'a-t-il point faict depuis, qui ne peuvent venir à la cognoissance des hommes! Il fut soupçonné une autre fois d'avoir donné quelques philtres et potions amatoires, que les anciens jurisconsultes ont tant condamné par leurs loix, à un jeune homme, pour le faire jouyr d'une fille à laquelle il fit un enfant, dont il s'ensuivit un enfanticide, et pour ce demeura encore longtemps en prison. Enfin, tant de maux ne pouvant demeurer impunis, il y a près de deux mois qu'il fust remis en prison à la Bastille, à Paris, pour s'estre vanté d'avoir chevauché au sabbat une grande dame de la cour. Les philosophes, les theologiens et les historiens disent qu'il y a quatre sortes de demons, les infernaux, les aquatiques, les aïriens et les subterriens, et que les plus pervers, menteurs et trompeurs de tous, sont les subterriens et aïriens, du nombre desquels estoit celuy de ce malheureux (car les autres ne se familiarisent pas), comme il lui a bien montré. Ce demon donc, tant qu'il vit qu'on ne faisoit pas grande instance contre son maistre, le visitoit souvent en sa prison (comme le disoient les prisonniers de sa chambre), le caressoit, luy faisoit mille belles promesses et l'asseuroit tousjours de le mettre bientost en liberté, comme il avoit fait autrefois, jusques à ce qu'il vit qu'on eust tiré beaucoup de preuvres contre luy et qu'il estoit en danger de perdre la proye qu'avec tant de soin il avoit si longtemps conservée. Lors, jouant un tour, non de serviteur, comme il avoit tousjours esté, mais de maistre, s'en alla dans la prison samedy dernier, veille des Rameaux, à la nuict, non doucement, comme il avoit accoutumé, mais avec un grand tintamarre qui esveilla et espouvanta fort les autres prisonniers, qui entendirent une voix effroyable qui dict: Eh bien! Cæsar, il est temps que tu viennes avec moy, et ouyrent cest abominable magicien crier: Mes amis! Ce qui les espouvanta tellement, qu'il n'y eust pas un d'eux qui ne demeura en pamoison plus de demie heure, de la craincte qu'ils avaient euë que ce diable deschesné ne leur en fist autant, car ils s'imaginèrent d'abord ceste mort desesperée. Le jour venu, il fit paroistre sa lumière dans la chambre par une fenestre qui avoit esté rompue à ce combat, qui fit voir ce miserable duelliste mort et decouvert sur son lict.

Deuxième Histoire.

L'autre et seconde tragedie est d'un duquel, pour le respect que, comme bon chretien, je dois à sa profession, je tairay le nom et la qualité, et me contenteray de dire seulement qu'il estoit Florentin et qu'il demeuroit à Paris chez un mareschal de France[18], qui ne cherissoit personne plus que luy; mais, ô vergongne! ô sacrilége! ô malheur qu'un tel homme ayt esté si aveuglé que de se laisser charmer les sens par ces appas magiques, et que des grands aient de telles personnes en leurs maisons, qu'ils n'en facent ce que dict Philon Juif au traicté des lois particulières, qui dict qu'aussi tost que nous apercevons des serpants, des scorpions ou autres bestes venimeuses, nous les tuons auparavant qu'elles mordent ou blessent! Ainsy se faut-il promptement defaire des sorciers empoisonneurs, qui mettent leurs soins à changer la nature, douce, sociable et raisonnable, au naturel sauvage des bestes cruelles, n'ayant plaisir qu'à mal faire à tout le monde. Je n'ay jamais ouy dire qu'il eust faict aucune meschanceté, sinon qu'il estoit grand astrologue, qu'il se mesloit de predire les choses à venir[19], et qu'il s'entendoit fort à faire des horoscopes, qui est astrologie judiciaire, du tout contraire à sa profession et tant condamnée par Hieremie, qui dict: Ne craignez pas que les signes du ciel puissent quelque chose contre vous, comme font les Gentils; ce sont toutes inventions vaines. Et par la bouche de Dieu mesme, qui profère ces mots dans Job: Te voudrois-tu bien vanter de connoistre l'ordre du ciel, et serois-tu bien si hardy d'en appliquer les raisons ou bien d'en faire là-bas des supputations en terre? Horace mesme, seulement esclairé de la lumière de nature et non de la cognoissance du vrai Dieu, resprouve ceste precognoissance des Dieux choses futures quand il dict:

Ne veuille rechercher ce qui doit demain estre. Les Chrestiens devroient avoir honte que les payens leur façent leçon, comme font aussi les satyriques en plusieurs endroits, de fuir la recherche de ce que Dieu nous a voulu exprès cacher, pour nous contenir dans les bornes de l'humanité, de la modestie et de la loy. Le diable ne se mesle pas dans ces folles et vaines ames qui se laissent emporter hors les termes de la nature, et les pousse à vouloir faire comme luy, quand il voulut non pas estre Dieu, car il connoissoit bien cela estre impossible, mais il eust cette ambition d'estre egal à Dieu. Je n'ai pas ouy dire autre chose de ce Florentin, c'est ce qui m'empesche de faire un asseuré jugement de luy; toutefois, ce qui luy arriva le jour du mardy sainct, en la nuict, peut faire croire qu'il n'avoit pas l'ame meilleure que celuy qui luy fraya le chemin quatre jours auparavant; au contraire, qu'il estoit plus pernicieux et endiablé que l'autre, et que ses entreprises estoient plus haultes, puisque Dieu luy a faict sentir la juste rigueur de sa justice par l'entremise de Sathan, qui fut sur la minuict dans sa chambre, et, disent l'homme et le laquais de ce Florentin, qu'ils n'entendirent rien qu'un grand bruit quy sembloit faire abismer toute la maison, et que le matin ils trouvèrent leur maistre mort, hors de son lict, ayant la tête tournée le devant derrière.

Telle fut la juste recompence que ces impies et abominables receurent, qui, infidèles et ingrats envers leur Createur, s'estoient empestrés dans les lacs de Sathan, ennemy juré du genre humain, lequel, après les avoir chastiez en ce monde, les a emportez au plus profond abisme des enfers pour y recevoir eternellement la juste punition de leurs demerites.

De bonne vie, bonne mort.

FIN.

Décoration.

Discours faict au Parlement de Dijon, sur la presentation des lettres d'abolition obtenuës par Helène Gillet, condamnée à mort pour avoir celé sa grossesse et son fruict.

Comme aussi les lettres d'abolition en forme de chartres et arrest de verifications d'icelles.

A Paris, chez Henry Sara, au Palais, en la gallerie des Prisonniers, proche la Chancellerie.

M. DC. XXV.
In-8.


Extraict du plumetif du greffier de la cour du Parlement de Dijon, du lundy second jour de juin 1625[20].

Fevret l'aisné[21] presentant les lettres de pardon obtenues par Helène Gillet, dict:

Messieurs, Helène Gillet, qui se représente au conspect de la Cour, donne de l'estonnement à ceux qui la voyent, et n'en a pas moins elle-mesme.

Elle n'avoit veu la Justice de ceans que dans le trosne de sa plus sevère majesté; elle ne l'avoit apperceuë que le visage plain de courroux et d'indignation, tel qu'elle le faict paroistre aux plus criminels; elle ne l'avoit considerée que l'espée à la main, dont elle se sert pour la punition des maléfices.

Mais, chose estrange! elle treuve aujourd'hui ce premier appareil tout changé: il lui semble que le visage de cette déesse luy rit, comme plus adoucy et favorable; elle voit sa main desarmée, et vous diriez qu'elle tend les bras pour promettre quelque asyle et protection à celle qui, de criminelle, est devenue suppliante.

Vous vistes, Messieurs, cette pauvre fille, il y a quelques jours, le visage couvert de honte par l'ignominie de sa condamnation, la langue noüée dans l'estonnement du supplice, les yeux ternis d'horreur et d'espouventement, l'esprit troublé dans les dernières agitations d'une funeste separation; vous la vistes (dis-je) aller courageusement à la mort pour satisfaire à vostre justice; maintenant elle retourne pour vous dire que le lieu du supplice où les criminels perdent la vie l'a et absoute et sauvée. Elle paroist devant vos yeux pour vous dire que, l'ayant traictée par la rigueur de vos jugemens, vous ne pouvez plus luy refuser vostre misericorde; elle est humblement prosternée à vos pieds pour baiser, de l'intérieur de son cœur, le tranchant de l'espée qui, comme le fer de la lance d'Achille, guerira les playes que luy-mesme a faictes.

Il se pourroit bien treuver des exemples, à qui les voudroit rechercher, de plusieurs qui se sont trouvez garantis de la mort au moment mesme de leur execution, les uns par le commandement inopiné d'un chef d'armée, les autres par l'intercession d'un Tribun, d'autres par la rencontre fortuite d'une Vestale, d'autres par une emotion populaire, qui par des paroles mesmes de railleries heureusement rencontrez en ceste extremité, qui par des stratagesmes pratiquez à l'endroict de leurs complices ou de l'executeur; aliorum in capite gladius flectit, ainsi qu'il en arriva à ceste femme faussement accusée d'adultère à Verseil, qui doit le bonheur de sa memoire à la plume de saint Hierosme; aliorum laqueus contritus et ipsi liberati sunt.

Mais qu'on considère tous ces exemples en gros, qu'on les examine en destail, qu'on en pèse à part ou confusement les plus singulières circonstances, il se trouvera icy quelque chose de plus rare, de plus esmerveillable, je ne sçais si j'oserois dire de plus miraculeux, qu'en tout cela.

Car icy le glaive a tranché, la corde a faict son office, la pointe des ciseaux a secondé la violence des deux; et cependant cette fille, dans l'imbecillité de son aage, dans l'infirmité de son sexe, dans les horreurs du supplice, dans les apprehensions de la mort, frappée de dix playes ouvertes, n'a peu mourir, mais bien plus! ipsam mori volentem mors ipsa quamvis armata perimere non potuit.

Quel prodige, en nos jours, qu'une fille de cest aage ayt colleté la mort corps à corps! qu'elle ayt luitté avec ceste puissante geante dans le parc de ses plus sanglantes executions, dans le champ mesme de son Morimont[22]! et, pour dire en peu de mots, qu'armée de la seule confiance qu'elle avoit en Dieu, elle ayt surmonté l'ignominie, la peur, l'executeur, le glaive, la corde, le ciseau, l'estouffement, et la mort mesme.

Après ce funeste trophée, que luy reste-il, sinon d'entonner glorieusement ce cantique, qu'elle prendra d'oresnavant à sa part: Exaltetur dominus Deus meus quoniam superexaltavit misericordiæ indicium?

Que peut-elle faire, sinon d'appendre, pour eternel memorial de son salut, le tableau votif de ses misères dans le sacraire de ce temple de justice?

Quel dessein peut-elle choisir plus convenable à sa condition, que d'eriger un autel en son cœur, où elle admirera tous les jours de sa vie la puissante main de son libérateur, les moyens incogneus aux hommes par lesquels il a brisé les ceps[23] de sa captivité, et l'ordre de sa providente dispensation à faire que toutes choses ayent concouru pour sa liberation?

Ce fut un commencement de bon-heur en ce desastre que, le lendemain de l'execution, la Cour entra dans les feries nouvelles que le Roy avait concedées par lettres expresses peu auparavant entherinées. Ce fut encore quelque chose de plus signalé, qu'alors qu'on recourut à la bonté du Prince pour impetrer des lettres de pardon, luy et sa cour estoient en allegresse et festivité, à cause de l'heureux et tant desiré mariage du roy de la grande Bretagne[24] avec madame Henriette Marie, princesse du sang de France. Ce fut bien plus de voir qu'à l'instant que le discours de ceste sanglante catastrophe eut frappé l'oreille de ce sage Orphée, de ce doux ravissant esprit[25], qui tient dignement le premier rang en l'eminence de l'ordre de la justice, il ait aussitost empoigné la lyre pour charmer la dureté des Parques, revoquer la juste severité des loix, rappeler les décrets inviolables de la mort, revivre ceste infortunée Euridice, morte civilement par la condamnation, et presque naturellement par la peine. C'est une merveille digne d'admiration, que celle qui debvoit estre dans l'oubly d'une mort infame vive encore avec ce contentement, qu'elle donnera subject à la postérité de dire que nostre Prince, avec le tiltre juste qu'il s'estoit legitimement acquis, ait merité par ceste action le nom de clement et misericordieux, pour avoir pardonné, et sans autre peine que de prier Dieu pour la prosperité de sa personne et de son estat.

Quam bonus princeps qui indulget, quam pius qui miseretur, quam fidelis qui vel a nocentibus nil nisi preces et supplicationes exposcit, quam pene divinitati proximus qui veniam criminum non supplicii gravitate, sed votorum nuncupatione pro sua totiusque imperii salute dispensat!

Puissiez-vous ainsi tousjours, juste Roy, marier heureusement la justice avec la paix, le jugement avec la misericorde, la clemence avec la severité! Puissiez-vous si glorieusement terrasser les ennemis de vostre Couronne, qu'après les avoir domptez par la rigueur de vostre justice, vous leur imprimiez les mouvemens d'une humble et fidelle obeissance par les effects de vostre clemence et debonnaireté! Puissiez-vous, grand monarque, punir si parfaittement les crimes, que les coulpables, ayans satisfait à la peine, puissent survivre à leur supplice pour exalter à longs jours la felicité de vostre règne et de vostre domination!

Cependant, puisqu'il a pleu à Dieu de redonner la vie à ceste fille, au Roy de luy conceder l'abolition de son crime, elle vous demande, Messieurs, la liberté, sans laquelle le reste luy tiendroit lieu d'un second et dernier supplice, et soubs esperance d'obtenir ce qu'elle poursuit, elle vous presente en deuë reverence ses lettres de pardon, vous suppliant de proceder à l'entherinement d'icelles[26].

Louis, par la grâce de Dieu roy de France et de Navarre, à tous presens et advenir salut. Nous avons reçu l'humble supplication de Helène Gillet, aagée de vingt et un ans ou environ, fille de Pierre Gillet, nostre chastellain en nostre ville de Bourg en Bresse[27], contenant qu'induitte par mauvaises recherches[28], elle se seroit trouvée enceinte, et comme la crainte de ses parens, gens d'honneur et de bonne famille, luy faisoit apprehender leur blasme et le chastiment de son père, elle auroit, par mauvais conseil, resolu de dissimuler sa faute, tellement sollicitée de son malheur, que mal assistée en son part[29], son fruict se seroit treuvé meurtry: si que, pour reparation, elle auroit esté condamnée à avoir la teste tranchée par sentence rendüe au bailliage de Bourg[30], confirmée par arrest de nostre Parlement à Dijon du 12 du present mois; en suitte de quoy, la suppliante delivrée à l'executeur de la haute justice, et par lui conduitte au lieu du Morimont en nostre-ditte ville de Dijon, après avoir fait ses prières à Dieu, et soumise au supplice ordonné, ledit executeur luy auroit eslancé un coup de coutelas sur l'espaule gauche[31], dont elle seroit tombée sur le carreau de l'eschaffaut, puis relevée par ledit executeur à l'ayde de sa femme, elle seroit tombée d'un second coup qu'il luy auroit porté dudit coutelas à la teste. Ce qui auroit excité telle rumeur dans le peuple que ledit executeur, intimidé de plusieurs pierres ruées sur ledit eschaffaut, se seroit jetté en bas, laissant la suppliante en la disposition de sa femme, qui, l'ayant traisnée dans un coing dudit eschaffaut avec une corde qu'elle luy jetta au col, auroit fait plusieurs efforts pour l'estrangler, soit en serrant le col, ou luy pressant l'estomac de plusieurs coups de pieds, et voyant ces supplices inutils, elle se seroit aydée de ses cizeaux en intention de luy coupper la gorge, lui en ayant porté plusieurs coups au col et au visage. Finalement ladite femme, pressée de la clameur et indignation du peuple, seroit descendue dudit eschaffaut en la chapelle qui est au-dessoubs, traisnant avec ladite corde la suppliante la teste en bas, où elle seroit demeurée mutillée en toutes les parties de son corps[32], sans poulx, sentiment, ny cognoissance, pendant que le peuple irrité assomoit à coups de pierres et de ferremens ledit executeur et sadite femme. Ce mouvement passé, quelques uns, meus de compassion, auroient levé et transporté la suppliante en la maison d'un chirurgien, où elle a repris quelque esperance de vie par les secours et remèdes qui luy ont esté promptement administrez. Mais pourceque nostre dit parlement a commis sa garde à un huissier, l'apprehension d'un nouveau supplice luy est une continuelle mort, qui la contraint implorer nostre misericorde, et requerir très humblement nos lettres de remission necessaires. Eu esgard à l'imbecilité et fragilité de son sexe et de son aage, et à la diversité des tourmens qu'elle a soufferts en ses divers supplices, qui esgalent, voire surpassent la paine de sa condamnation; à ce que, la vieillesse de ses père et mère relevée de ceste infamie, elle convertisse sa vie à l'employer à louer Dieu[33] et le prier pour nostre prosperité: SÇAVOIR faisons qu'inclinant pour la consideration susdite, à la recommandation d'aucuns nos speciaux serviteurs, en faveur mesme de l'heureux mariage de la Royne de la grande Bretagne nostre très-chere et très-aymée sœur, de nostre propre mouvement, grace speciale, plaine puissance et authorité royale, NOUS avons à ladite Helène Gillet, suppliante, quitté remis et pardonné, quittons, remettons et pardonnons, par ces presentes signées de nostre main, le faict et cas susdit, comme il est exprimé, avec toute peine et amende corporelle et civile qu'elle a encourue envers nous et justice; et mettant à neant toutes informations, decrets, mesmes ladite sentence et arrest de mort qui en sont ensuivis, la restituons et restablissons en sa bonne renommée et en ses biens non d'ailleurs confisquez; imposons silence à nos procureurs généraux, lieutenans, substituts, presens et advenir. SI DONNONS en mandement à nos amez et feaulx conseillers les gens tenans nostre Cour de Parlement à Dijon ces presentes nos lettres de remission entheriner, et de leur contenu faire jouir ladite suppliante plainement et paisiblement, sans permettre y estre contrevenu: Car tel est nostre plaisir. Et afin qu'elles soient stables, nous y avons fait mettre nostre seel, sauf, en toutes choses, nostre droict et de l'autruy. Données à Paris au mois de may l'an de grace 1625, et de nostre regne le 16. Signé Louys. Et sur le reply, le Beauclerc. Visa Contentor. Signé Le Long et seellées en cire verte du grand seel à laqs de soye rouge et verte.

Sur le dos est escrit: Registrata, avec paraphe.

Extraict des Registres du Parlement.

Veu les lettres patentes obtenues à Paris au mois dernier par Helène Gillet, fille de maistre Pierre Gillet, chastellain royal à Bourg, par lesquelles le Roy, pour les causes y contenues, à la recommandation de ses speciaux serviteurs, en faveur mesme de l'heureux mariage de la Royne de la grande Bretagne, sa très-chère et très-aymée sœur, de son propre mouvement, grace speciale, plaine puissance et authorité Royalle, auroit à ladite Gillet quitté, remis et pardonné le faict et cas exprimé ès dittes lettres, avec toute peine et amende corporelle et civile qu'elle avoit encourue envers sa Majesté et justice, mettant à neant toutes informations, decrets, mesme les sentence et arrest de mort qui s'en estoient ensuivis, la restituoit et restablissoit en sa bonne renommée et en ses biens non d'ailleurs confisquez, imposant silence à ses procureurs generaux, leurs substitus presens et à venir, et à tous autres; arrest du deuxiesme du present mois de juin, par lequel, sur la presentation faicte en audience par laditte Gillet desdittes lettres, et ouy Picardet, procureur general du Roy, auroit este ordonné que, sur le contenu en icelles, elle seroit ouye et repetée par le commissaire au rapport duquel avoit esté donné l'arrest du 12 dudit mois de may, pour après estre pourveu sur l'entherinement d'icelles, ainsi qu'il appartiendroit; cependant demeureroit laditte Gillet en la garde d'un huissier; interrogations, responses et repetitions de laditte Gillet par devant ledit commissaire; ledit arrest du 12 de may confirmatif de la sentence donnée au bailliage de Bresse le 6 fevrier precedent, par laquelle laditte Gillet auroit esté declarée deuement atteinte et convaincue d'avoir recelé, couvert et occulté sa grossesse et son enfantement; et pour reparation, ayant aucunement esgard à l'aage et qualité de ladite Gillet, icelle condamnée à avoir par l'executeur de la haute justice la teste tranchée, en l'amende de cent livres envers le Roy, et ès frais et despens de justice: LA COUR a intheriné et intherine lesdittes lettres; ordonne que ladite Gillet jouira de l'effet d'icelles selon leur forme et teneur. Faict en la Tournelle, à Dijon, le cinquiesme de juin mil six cens vingt cinq.

Décoration.

Histoire veritable de la conversion et repentance d'une courtisane venitienne, laquelle, après avoir demeuré long-temps souillée dans les lubricitez et ordures de son peché, Dieu a faict reluyre dans son ame les rayons de son amour et l'a retirée à soy.

Traduit d'italien en françois. A Paris, chez Guillaume Marette, ruë Sainct Jacques, au Gril.

1608.—In-8o.

Entre tous les vices et pechés qui se sont enracinez dans le cœur des hommes et qui plus manifestent l'ire de Dieu, ç'a esté la paillardise: car Dieu a fait pleuvoir feu et foudre pour advertissement d'un si enorme et detestable peché devant sa divine Majesté. Quelle chose est sous le ciel plus abominable et plus digne de hayne que ce vice, qui est la source et fontaine de tous maux? Certains auteurs remarquent qu'il n'y a rien au monde qui offence plus le corps et l'esprit, et qui nuise plus à la santé corporelle et spirituelle, qui engendre plus de maladies interieures et exterieures, qui rende l'homme plus brutal et insensé que ce mechant acte voluptueux qui tue le corps et l'ame. Tous les livres des anciens et des modernes sont si remplis d'infinis exemples, que, si nous les feüilletons, nous verrons les punitions, misères et malheurs qui l'accompagnent. Les enfans d'Hely nous ont servi d'exemple de la divine vengeance, et ceux qui estoient du temps de Noë, comme parle nostre Seigneur en son Evangile. Valère[34], livre 9, chapitre 12, nous en fournit assez quand il parle du poëte lascif et vilain qui mourut où il se plaisoit tant. Mais nous nous arresterons seulement pour le present à la recerche curieuse de la vie, meurs et façons de ceste Leonor Venitienne, issuë de riches et fameux personnages dont je tais le nom, à laquelle Nature avoit desparti tous ses dons et graces, et l'avoit doüée de parfaicte beauté, enrichie dès son commencement de vertus requises à une damoiselle bien née comme elle estoit.

On voit ordinairement qu'en un bel arbre fruitier il y a quelques branches qui sont pourries et mortes, et que, si on ne les coupoit, elles gasteroient tout l'arbre; de mesme les parens de ceste Leonor, qui estoient beaux arbres florissans et eslevés en haut, enracinez en la vertu, produirent une branche, de commencement verdoyante, et qui, petit à petit, comme elle croissoit, elle se pourrissoit: car, dès que l'amour aveugle eut decoché ses fléches dans son cœur, elle aperceut des nouveaux traitz et desirs d'aimer, qui sont les enfans et avant-coureurs d'Amour, qui luy firent clorre les yeux de chasteté pour ouvrir ceux de lubricité: car ayant atteint l'aage de quinze ans, lors vray miroir de vertu et beauté, et estant delaissée orpheline depuis deux ans et unique heritière des biens paternels, fust recherchée de plusieurs braves cavaliers, qui, espris de ses beautez, ne pouvoient respirer que l'air de ses bonnes graces; et comme la coustume de ces païs porte que les filles soient retirées des compagnies, principalement de celles des hommes; mais elle estoit maistresse de soy-mesme et se laissoit aller où sa volonté et plaisirs la poussoient. Elle attiroit par sa beauté les cœurs de ceux qui la regardoient, et, en la regardant, l'admiroient, entre autres le cavalier Lysandro, qui, jà long-temps auparavant, avoit esté adverti des beautez de ceste damoiselle, estant envoyé à Venise pour l'estude des sciences et exercices de noblesse, tascha par subtils moyens de pouvoir treuver lieu, temps et heure commodes pour offrir et sacrifier les veux de son service sur l'autel des merites de ceste beauté, et ne pouvant treuver telle commodité comme il desiroit, il se delibera de l'aller voir à son logis, accompagné d'un homme seulement, et là estant, la treuva aussi gratieuse que belle; incontinant luy commença à descouvrir la douleur qu'il avoit enduré dès que les rayons de sa beauté eurent penetré son cœur, et qu'il la supplioit et conjuroit d'alleger le tourment de son mal. Tous deux au mesme instant furent comblez d'heur et desir, comme ils souhaitoient; il ne manque point tous les jours en après la voir; enfin tous deux sont embrasés de l'amour de l'un et de l'autre. Et ainsi passionné luy donna à entendre, comme la coustume est, qu'il la prendroit pour sa loyale espouse, et que cependant elle esteint les feux ardens d'amour qui le brusloient. Alors les parens de l'un et de l'autre, estans advertis du faict, firent moyen de les separer et esloigner, afin d'esteindre le feu et la fumée du bruit qui estoit semé d'eux par la ville. Mais Lysandro, qui ne desiroit plus belle occasion que celle, afin d'eviter les rets où il estoit pris s'il ne s'en retournoit à la maison de son père, la quitte, ayant assoupi ses lubricitez l'espace d'un an; et ainsi elle demeura grosse d'une fille. Je ne vous pourrois representer les douleurs et afflictions accompagnez de souspirs et repentirs de ceste pauvre Leonor, qui au premier commancement avoit gouté les fruicts de l'amour si doux, et maintenant luy sont si amers! La voilà delaissée et abandonnée d'un chacun, reputée pour une autre Laïs, fameuse putain, qui, estant morte, afin de faire revivre sa memoire, fut mis sur son tombeau une lionne qui esgratignoit un belier par les fesses, pour designer que le belier estordy, à sçavoir, l'homme, se laisse piper à la femme, qui luy tire le sang et luy oste la laine. Elle est contraincte en après de poursuivre comme elle avoit commencé, et s'addonne tellement à toutes sortes de lubricitez, qu'au lieu que c'estoit un miroir de vertu et chasteté, ce n'est que le receptacle des vices: sa beauté et elegance de son corps estoit flestrie, sa conscience offencée, laquelle l'epoinçonnoit ordinairement avec des vives attaintes d'un repentir; son nom tout difamé, sa vie abregée, le cœur et l'ame perduë. Mais Dieu, qui ayme les siens, et qui ne cerche la mort du pecheur, fit reluyre peu à peu les effects de son amour dans le cœur de ceste creature, afin de la retirer des ordures et saletés du peché où elle estoit plongée; si bien que le 26e jour du mois de mars, entendant la predication d'un R. P. de l'ordre S. François, qui avoit prins pour thème de son sermon la conversion de la Magdaleine, luy esmeut et incita une telle ardeur de l'amour divin, accompagné d'un repentir et remord de conscience d'avoir offencé un si long temps celuy qui l'avoit creée à son image, qu'incontinant que le père fut descendu de la chaire, elle se prosterna à ses pieds, luy demandant humblement pardon, le priant de vouloir entendre une confession auriculaire de tous ses pechés, qu'elle vouloit faire. C'estoit auparavant une Laïs, maintenant c'est une autre Magdelaine, que les souspirs et pleurs qu'elle respand pour ses pechés passés, et la penitence qu'elle a commencée luy acquerront les cieux. Cependant elle s'est retirée à un couvent des religieuses de S. François, où elle vit avec telle penitence, jeusnes et oraisons; ayant party tout le reste de ses biens paternels, et ceux que la lubricité lui avoient acquis, aux pauvres et au couvent, remit sa fille à la suitte d'une grande dame.

Cest escrit m'estant tombé entre les mains, j'ay desiré le mettre d'italien en françois, afin d'emouvoir et inciter un chacun à fuïr et avoir en horreur ce vice et peché si enorme devant la divine Majesté, et conjurer ceux qui ont esté seduits et attrapez par les retz et filetz que le diable, ennemy immortel, leur prepare tous les jours, de tascher par tous moyens de s'en delivrer, car toujours il a esté divinement puny. Qui pourroit donc mettre en registre tant de villes ruinées, saccagées, apauvries et desolées par ce malheureux vice? Les monarchies des Perses, Assyriens, Mèdes, Macedoniens, Troiens, Romains, les florissantes cités de Lacedemone, Thèbes, Athènes et autres, ont esté perdues par ce monstre detestable. Je serois trop prolix de deduire les malheurs qui l'accompagnent, mais cecy servira de miroir et vray exemple de chasteté, afin que ces belles ames ne se viennent à souiller, fletrir et secher par les retz de l'ordure de ce péché: car, ayant ce lustre si resplendissant, on reluyra de tous costez, rejettant ceste insatiable volupté, qui ameine avec soy un repentir qui mord et pince la conscience ordinairement, et engendre en l'esprit une douleur perpetuelle, et faict oublier le doux pour succer l'amer, et depeint en nous une infamie; et comme dit le poète,

O passion dissoluë!
O volonté trop gouluë!
Plus l'hydropique met peine
De succer une fontaine,
Plus il creuse son tombeau, etc.

FIN.

Décoration.

Les singeries des femmes de ce temps descouvertes, et particulièrement d'aucunes bourgeoises de Paris[35].

M. DC. XXIII. In-8o.

Dernierement je me rencontray en un lieu où je vis plusieurs gentils-hommes et damoiselles qui discouroient sur diverses choses; enfin, chacun faisant à qui mieux paroistre quelque beau traict d'esprit, nous tombasmes sur les singularitez, tant du corps que de l'esprit, qui se rencontroient ordinairement aux dames, singularitez ausquelles les jeunes gens, de quelque profession qu'ils fussent, sembloient avoir beaucoup d'obligation, comme leur servant de première leçon pour se façonner.

Ces parolles diversement promenées de bouche en bouche, à l'advantage des femmes, et assez bien recueillies de la compagnie, se rencontra un homme de la trouppe, lequel, par manière de rire, soit ou quil eut conçeu quelque inimitié contre les femmes, ou autrement, voulut contrepointer de point en point ceste opinion et renverser ceste proposition.

Vous qualifiez du nom de singularité des choses que je nomme singeries des femmes, dit-il, car si vous ostez de ce sexe les singeries et les folies dont elles sont remplies, vous destruirez toute leur essence, et ce qu'elles ont de singulier en elles.

A ce mot, chacun commença à murmurer; un bruit sourd s'espandit dans la chambre, et les femmes qui assistoient à ceste assemblée se promirent bien de le faire desdire de la parole qu'il advançoit.

Mais le gentil homme, d'un visage hardy: Non, non (poursuit-il), ne vous estonnez aucunement de ceste mienne première demarche; mais suspendez un peu votre jugement: j'espère faire en sorte de vous rendre contens en ce que je vous ay proposé.

Il y a quelques années que, feuilletant un ancien codice intitulé: le Répertoire des choses humaines, je trouvay que les dieux, voulant bastir et former l'homme, prindrent une grosse masse de terre, laquelle ils pestrirent longuement avec je ne sçay quelle mixtion celeste, et un temperament des qualitez elementaires (bien que les chimistes soient d'une autre opinion), puis, ayant mis toute cette masse à la fonte, firent l'homme composé d'une ame raisonnable, œuvre où l'art surmonta la nature, et où les dieux mesmes admirerent leur propre industrie, pour les richesses et raretez qui y furent encloses; et d'autant qu'il se rencontra beaucoup de matière qui restoit, ne voulant les dieux qu'une si divine composition fust perdue, ils la remirent de rechef à la fonte; mais ils ne s'apperceurent qu'à la façon des chimistes et soufleurs, en voulant purifier et rendre ceste matière plus excellente, elle se précipita et devint plus lourde et terrestre, et de ceste estoffe ils en formèrent la femme, beaucoup plus stupide et grossière que l'homme, et qui n'a rien de viril que ce que l'homme luy en fournit.

Il restoit encor quelque peu d'escume de la femme, dont les dieux, pour ne rien perdre, natura enim non facit frustra, bastirent et façonnèrent de petits avortons de nature, qui furent appelez pigmées ou nains, et des singes, leurs demi-frères.

De façon que l'homme est mitoyen entre les dieux et la femme, et ainsi la femme tient le milieu de l'homme et des pigmées et singes, qui ne leur ressemblent point trop mal.

Et ainsi on peut dire que les dieux, voulans former les femmes, prirent un peu de la nature et raison de l'homme, un peu des pigmées et de leur essence, et le reste ils le tirèrent des singes; et, de fait, on remarque plusieurs indices des singes qui se retrouvent en la femme. De là vient que les femmes sont ordinairement plus petites que les hommes, qu'elles se veulent mesler de tout faire et manier tout, et le plus souvent les hommes ne s'en apperçoivent qu'après que la besogne est faite. Les femmes, recognoissant de leur costé que de leur escume avoit esté fait et procréé le singe, animal assez plaisant, et voyant qu'elles estoient nées en ce monde pour servir de singe aux hommes et leur complaire, s'estudièrent de là en avant de proceder de bien en mieux, et, par un artifice nouveau, alambiquèrent la quintescence des singes, que nous apellons singeries, qui leur sont si familières et ordinaires, que, quand vous repasserez sur toutes les singularités de corps et d'esprit qu'estimez resider en elles, vous n'y trouverez autre chose que singeries.

Un second passage, qui confirme grandement tout ce que j'ay advancé des singeries des femmes, est celuy qui se retrouve dans le mesme autheur.

Au commencement du monde, les dieux avoient fait un beau verger et avoient planté l'homme et la femme au milieu pour contempler les fruicts; or, entre autres arbres, il y en avoit un de science et l'autre de singes, fruicts si agreables aux femmes, qu'elles quittoient le boire et le manger pour cueillir desdits singes, et despouilloient les branches, ne laissant rien sur l'arbre que les queües (de là vient que les singes sont aujourd'huy sans queüe).

Les dieux ayant remarqué ceste singerie, en punition attachèrent les femmes sur l'arbre et les entèrent sur les queuës des singes; c'est pourquoy maintenant les femmes aiment tant la queüe, n'y ayant morceau de chair ni venaison qui leur semble de meilleur goust, et depuis ce temps-là on a nommé toutes les actions des femmes singeries.

Si maintenant je veux allegorier ce discours et en venir à l'experience, quelle femme se peut rencontrer en tout l'univers qui n'a passé son temps en singeries, en momeries, bombances et niaiseries? Il ne faut point aller chercher d'exemples en Italie, le lupanar et la sentine de toutes les salletez des femmes; il ne faut aller en Espaigne ny en Angleterre, mais il faut venir à Paris: vous y verrez une fourmilière, non de femmes, bien qu'elles en ayent le visage et le dehors, mais un escadron de singes.

Les singes se remarquent à leur poil et à leur exterieure façon; à cela recognoistrez-vous les femmes; les singes ont une face que, si elle etoit masquée, ce seroit une vraye femme, et quand on me monstre une femme masquée, je m'imagine de voir un singe, tant le rapport a de proximité et de concurrence. Le singe cache mille ravauderies dans les concavitez de ses joües; la femme, sous un visage trompeur, cache tout ce qui se peut imaginer au monde de perfide et de meschant. Souvent vous croirez qu'elle vous caresse, mais, pire qu'une serène, elle taschera de vous engluer en ses rets et se mocquera de vous. Il n'y a rien de plus inconstant que la face: c'est une lune qui a ses croissans, ses cartiers et son plain; tantost elle paroistra plaine, à l'autre elle semblera carne[36]; et comme jadis la teste de Meduse convertissoit toutes choses en pierre, ainsi l'homme à l'aspect de la face de sa femme deviendra cornu. La femme est un vray Prothée, il n'y a rien qui change plus tost.

Fiet enim subito sus horridus atraque tigris
Squammosusque draco et fulva cervice leena.

Le singe a les mains, ou, pour mieux dire, les pattes, semblables aux mains des femmes, sinon que celles des singes sont velues par dehors, en quoy vous remarquez la mesme difference que celle qui est entre le né et le cul: le cul est velu par dehors et le né dedans. Reste à parler de la queüe, qui est la principale pièce, et de qui despend tout le mistère. Les singes n'ont point de queüe, n'aussi n'ont les femmes, et c'est en quoy elles se plaignent aussi bien que les singes; toutefois, elles ont mille inventions pour en trouver: car, pour une seule peau de connin, elles auront la queüe de plus de cent veaux, ce que ne peuvent faire les singes. Aussi les femmes ont tousjours le bruit de mieux traffiquer que tout autre animal, et, de fait, elles bailleront tousjours le double pour le triple. Les singes, de honte, sont tousjours assis sur le cul, à cause qu'ils n'ont point de queüe, et les femmes se couchent sur le dos afin d'en avoir. Bref, il y a une grande simpathie entre le corps d'un singe et le corps d'une femme.

Venons maintenant à esplucher les actions de l'un et de l'autre, et voyons si la femme n'a pas une grande correspondance d'esprit avec la nature essentielle et quidditative du singe.

Le singe a un certain instinct de faire tout ce qu'il void faire, et de produire les mesmes actions au jour qu'il void exercer par ceux qu'il regarde; peut-on trouver une singerie plus belle en la femme, laquelle ne s'ingère pas seulement de faire ce qu'elle void faire, mais mesme se veut quelquefois vaincre soy-mesme et aller au delà de ses forces?

N'estoit-ce pas une vraye singerie que ceste royne superbe des Assiriens, Semiramis, laquelle massacra son mary et son fils Ninus pour regenter sur les hommes, et osa bien mesme, tant elle avoit le cœur d'imiter les actions des hommes, quitter les habits de femme et se revestir du manteau royal?

N'estoit-ce point une singerie bien formée, de voir les cinquante Danaïdes feindre avec passion de caresser leurs maris la première nuict de leurs nopces, et cependant sous leurs chemises porter le cousteau fatal dont elles leur ravirent la vie?

Je serois trop prolixe si je voulois parler de toutes les singeries qu'ont exercé les femmes de l'antiquité: nostre siècle nous en produit assez d'exemples, et principalement la ville de Paris, où les cornes croissent invisiblement plus qu'en autre lieu du monde.

La singerie de ceste marchande de la rue Sainct-Martin estoit admirable, lors qu'elle fit venir son courtisan dans une basle de marchandise, et qui de nuict elle alloit visiter la basle et joüoit du flageolet cependant que son mary soufloit la cornemuse.

C'estoit une belle singerie que pratiqua ceste brunette d'auprès Sainct-Innocent, de se faire servir par un jeune garçon habillé en fille de chambre; mais tout le fait fut descouvert par le moyen du garçon de boutique, qui voulut faire l'amour à la fille de chambre, et trouva que son cas n'alloit pas bien.

C'estoit une singerie remarquable que celle de la procureuse du Chastelet, laquelle se faisoit ventouser par son clerc, quand son maistre arriva, sans sçavoir qu'il fust acteonisé, ou qu'on l'eust placé au zodiaque, au signe du capricornio.

Mais il y a bien plus à rire pour l'autre de la rue de Sainct-Honoré, assez proche de la Croix du Tiroir, qui fit entrer un certain bourgeois de la rue aux Ours en son logis, sous espérance de traitter avec luy, et cependant trois ou quatre estaffiers luy mirent la main sur le collet et luy donnèrent les estrivières. Il n'y avoit point à rire pour tout le monde, et principalement pour le susdit, qui depuis a juré qu'il n'avoit jamais dansé à telle feste.

Mais ces singeries-là n'ont rien d'esgal à celles qui se joüent au cours, où toutes les Nimphes, Orcades, Naiades, Driades, Bocagères, Montaigneuses et autres, se rencontrent avecque les Satirs, Capripèdes, Chevrepiés, Silvains, et telles manières de gens qui font leurs affaires sans chandelle et qui ne vont qu'à tatons. Dernièrement il me print une humeur d'y aller; mais je ne sçay si seray metamorphosé en Acteon: car je vis une belle Diane de la rue Sainct-Anthoine toute nue entre les bras d'un gentil-homme de la rue Dauphine; mais en ma vie je ne fus si estonné, et à peine que de ravissement les cornes ne me montèrent en la teste.

Je ne veux oublier les singeries de ceste grande dame à cinq estages de la rue Sainct-Jacques, qui toute nuict fait la sucrée et la Diane, et le matin, quand son mary est dehors, se donne du bon temps et passe ainsi sa jeunesse.

Je ne veux aussi oublier par mesme moyen celle du costé des Bernardins, qui enferme son mary dans une chambre cependant qu'elle luy plante des cornes sur le front. Tout cela peut estre appellé singeries.

Mais, pour conclure, n'est-ce point une vraye singerie de voir les femmes de crocheteurs vouloir faire les bourgeoises, et les bourgeoises imiter les damoiselles, et celles-cy les princesses[37]? En quel siècle sommes-nous? Vit-on jamais tant de bombance et de superfluitez qu'on en voit maintenant? Qui vid jamais tant de singes et tant de singeries? Ma commère a un cotillon à fleurs, et toutefois elle n'est point si riche que moy: pourquoy mon mary ne m'en donnera-il point? S'il ne le fait, je sçay bien le moyen d'en avoir qu'il ne me coustera rien.—Et moy, qui suis grosse marchande, sera-il dit que ceste mercière sera plus brave que moy? Il faut resolument que je me face raccommoder tout de neuf. Et ainsi des autres.

Pleust à Dieu que les singes et singeries[38] fussent dans un basteau et s'en allassent tous au vent! Nous ne serions point en la peine où nous sommes.

Adieu.

FIN.

Décoration.

La Chasse et l'Amour, à Lysidor.

MDCXXVII.
In-8o. 15 pages.

L'Amoureuse Chasse, à Lysidor.

Lysidor, voicy le printemps
Qui remet sa gaye verdure;
Mais les bons veneurs en ce temps
Ont une bien maigre adventure.
La saison ne rit à leurs cœurs;
Envain s'y romproient-ils la teste,
La senteur de l'herbe et des fleurs
Prive leurs chiens d'aller en queste.
Ils ont beau sonner de leurs cors,
Et brosser dans les forets vertes;
Ils ont beau picquer dans les forts,
Leurs meutes n'y vont qu'à leurs pertes.
Ny leurs forhus, ny leurs relais,
Ny leurs routes, ny leurs brisées
Ne servent qu'à rendre à leurs frais
Toutes leurs peines abusées.
Mais si vous aymez à chasser,
Vous plaisant à la venerie;
Si vous aymez à relancer,
Que ferez-vous donc, je vous prie?
Tandis, si vous le desirez,
Estant chasseur comme vous estes,
Doucement vous esquiperez
Vostre chasse pour les fillettes.
Bien garny de tout ce qu'il faut,
Et les voyant de bonnes prises,
Sans les aller courre en deffaut,
Les belles vous seront acquises.
Tantôt la blonde vous suivrez,
Remarquant son erre et sa voye;
Ore à la brune vous irez,
Mariant la peine à la joye.
Ore un tetin dont l'Orient
Ne sera que lys et qu'ivoire,
Un teint de rose, un œil friand,
Vous induiront à la victoire.
Ores vous prendrez les devants,
Maintenant vous ferez l'enceinte:
Les veneurs expers et sçavans
Usent d'une pareille feinte.
Maintenant vous plierez le trait
Du limier avec retenuë,
Ou l'alongerez, comme on fait
A l'heure que la beste est veuë.
C'est le moyen de r'habiller
Les désordres que l'on peut faire:
Lysidor, il y faut veiller,
Et regarder à son affaire.
On eslogne souventes fois
La venaison que l'on pourchasse,
N'usant des statuts et des loix
Qui sont de l'amoureuse chasse.
Or les plaines et les forests
De ce quartier, sans raillerie,
Assez, de loin comme de près,
Nourrissent telle venerie.
Chassez donc et soir et matin,
Car telle chasse le merite;
Et, pour un si digne butin,
La gloire n'en sera petite.
Revoir, rencontrer, retourner,
Demesler, cognoistre le change,
Lancer, r'embucher[39], ramener,
Vous donneront heur et louange.
Quand vous aurez fait tout cela,
Cherchant le frais de la serée
Comme gens qui font le holà,
Vous sonnerez pour la curée.
Lors (s'il me doit estre permis
De vous le dire sans feintise),
Vous obligerez vos amis
De quelque chose de la prise,
Afin qu'ils soient mieux restaurez
Des biens qui viennent de la chasse,
Qu'ils n'ont esté remunerez
De ceux des muses du Parnasse.

Eslection d'une maistresse.

Pour faire une belle maistresse,
Capable de ravir mon cœur
Et d'estre un jour une deesse,
Malgré le temps et sa rigueur,
Voicy comme je la desire
Et comme je la veux eslire.
Premièrement, je la demande
Entre seize et dix et sept ans,
De taille qui soit riche et grande,
Et que la fleur de son printemps
Ait un air de qui la merveille
La fasse juger nompareille.
Je ne la recherche trop grasse,
Ny trop maigre je ne la veux:
Toutes deux ont manque de grace
Pour embarquer un amoureux.
Un gresle embonpoinct je souhaitte,
La desirant toute parfaicte.
Je veux qu'elle ait la face ronde,
Peinte de roses et de lys,
Et qu'une amorce autre que blonde
Rende ses cheveux embellis,
Frisez en leur brune teinture
Par un miracle de nature.
Je luy desire un front d'yvoire,
Et que deux bruns sourcils pareils
Ombragent l'une et l'autre gloire
De ses yeux (deux humains soleils)
Riant, sans l'emprunt de la bouche,
Pour attirer le plus farouche.
Aussi je veux en ceste belle
Un nez de moyenne longueur,
Traitis, comme l'eut jadis celle
Par qui Roland fut en langueur,
Et que son oreille desclose
Imitte la nouvelle rose.
Sa bouche soit ronde et petitte,
Vermeille dehors et dedans,
Où deux rangs de perles d'elitte
Se manifestent pour les dents
Avec une grace alléchante,
Soit qu'elle rie ou qu'elle chante.
Qu'aux deux bords deux fossettes rient,
Et que, par l'effect de leurs ris,
En ravissant elles marient
Et la civette et l'ambre gris.
Sous une haleine parfumée,
Naturellement embasmée.
Comme la pomme nouvelette
Qui n'a plus rien de son cotton
Paroist en embas jumelette,
Ainsi la belle ait un menton;
Sa gorge soit doüillette et blanche
Comme nège au long d'une branche.
Son col apparoisse de mesme,
Droit, charnu, bien uni partout;
Et que, d'une blancheur extresme,
Ses tetins, fraisez sur le bout,
Lentement, d'une suitte esgalle,
Soient agitez par intervalle.
Que ses mains aux lys fassent honte;
Que ses longs doits appareillez
Ay'nt une beauté qui surmonte
Les marbres polis et taillez;
Ses pieds ay'nt la forme divine
Des pieds de la nymphe marine.
Les autres beautez soient pareilles:
J'entends celles qu'on ne voidt pas,
Et dont les secrettes merveilles
Attrairoient les dieux icy-bas,
Et feroient marcher en trophée
Les monts et les bois, comme Orphée.
Mais, si je la veux excellente
Et parfaitte en beauté de corps,
Je la desire aussi brillante
Par dedans comme par dehors,
Recherchant un esprit en elle
Qui soit digne d'une immortelle.
J'entends qu'elle soit bien apprise
Toujours dans la civilité;
Qu'elle parle avec galantise,
D'un entendement arresté,
Sans vouloir estre dedaigneuse
Que par une feinte amoureuse.
Je veux (si, partant de l'enfance,
On peut acquerir un tel art)
Qu'elle ait parfaitte cognoissance
De tous les escris de Ronsard
Et de tous les chants de Petrarque,
Dignes de surmonter la parque.
Je veux qu'elle adore leur style,
Dont l'air est toujours de saison,
Dont la seule voix est habile
Pour une fille de maison:
Le jargon d'un autre langage
Est pour les filles de village.
Rien d'austaire je ne desire,
Ny de revesche en son humeur:
La severité n'a l'empire
Que sur le fait d'un age meur.
Les ris, les jeux et les blandices
D'amour sont les vrays exercices.
Je veux donc qu'elle soit gaillarde
Comme un chevreuil dedans un bois,
Impatiente et fretillarde,
Et moderement, toutesfois,
Car en cette humeur vive et prompte,
Mon desir est qu'elle se domte.
De plus, je veux que ses œillades
Facent mille et dix mille tours,
Soit pour rendre les cœurs malades,
Soit pour alleger leurs amours,
Donnant, comme Achille en Mysie,
D'un coup et la mort et la vie.
Je veux qu'à la dance elle monstre
Je ne sçay quoy de nompareil,
Et que son chant, de sa rencontre,
Plonge les yeux dans le sommeil,
Quand au luth ses mains charmeresses
Joindront ma peine ou mes liesses.
Je la souhaitte bien parée,
Nette, propre et sans afficquets,
N'estant seulement bigarée
Que de perles et de bouquets
A l'oreille, au col, sur la teste:
L'excès est tousjours mal honneste.
Aussi la desiré-je encore
De bon sang et de bons ayeux,
Affin que mieux elle decore
Les graces qu'elle aura des cieux
Toujours une eau claire desrive
Et jaillit d'une source vive.
Pour cela, qu'elle ne mesprise
Les fers de ma captivité;
Le soleil, bien qu'il ne reluise,
Empesché de l'obscurité,
Ne laisse pas neantmoins d'estre
Le soleil comme il est veu naistre.
Bref, je demande qu'elle passe
Toutes les filles de son temps
En gentillesse, en bonne grace,
Pour rendre mes esprits contens,
Et pour gaigner en mon service
Un nom qui jamais ne perisse.
Telle je veux une maistresse
Pour loüer ses jeunes beautez
Et pour en faire une déesse
Là-haut, parmy les deitez,
Qui, la voyant si bien choisie,
En auront de la jalousie.
Mais toutesfois, si quelque belle
Et d'autre air et d'autre couleur,
Me fait voir quelque chose en elle
Digne de penetrer un cœur,
A l'heure, je ne veux pas dire
Que peut-estre je ne l'admire.
Ainsi donc me plaist-il de vivre
Eslogné des soins de la cour;
Ainsi me plaist-il de ressuivre
Encor' la banière d'amour:
Car de chanter les grands du monde,
C'est battre l'air et frapper l'onde.

Sonnet de l'infortune des bons vers.

Si les carmes jadis (on nomme ainsi les vers)
Acquirent de l'honneur et du prix en leur style,
Un Homère, un Petrarque, un Ronsard, un Virgile,
En donnent assez preuve au rond de l'univers.

Les grands en firent cas, et les peuples divers,
Et leur gloire supresme eust cours de ville en ville.
Maintenant (quelle honte!) il n'est chose plus vile:
Ils marchent les pieds nuds, tristement descouverts!

Qui leur rendra leur grade aujourd'huy par la France?
Des majestez depend telle heureuse influence.
Les voyant donc si nuds et si mal ajancez,

Il faut que, par devoir, en leur nom je m'escrie:
N'oubliez pas le tronc des carmes deschaussez,
Et vous aurez au ciel une immortelle vie.

Décoration.

Dialogue fort plaisant et recreatif de deux Marchands: l'un est de Paris, et l'autre de Pontoise, sur ce que le Parisien l'avoit appellé Normand; ensemble diffinition de l'assiette d'icelle ville de Pontoise, selon les chroniques de France.

A Lyon, par Benoist Rigaud. 1573. Avec permission. In-8.

Paris commance.

Dieu vous garde, Seigneur!

Pontoise. Et vous aussi, Sire. Où s'adresse vostre chemin (qu'il ne vous desplaise)?

Paris. Je m'en vais en Normandie.

Pontoise. Allons, je vous tiendray compagnie seulement jusques à Pontoise.

Paris. Je ne veux aller plus loing. Allons hastivement, car, si je puis, je seray de retour cejourd'huy à Paris.

Pontoise. Comment (Sire)! je pensois, quand vous avez parlé de Normandie, que vous allassiez au mont Saint-Michel ou à Cherbourt. Vous prenez Normandie bien près.

Paris. Pontoise n'est-il pas de Normandie[40]?

Pontoise. Comment, de Normandie? Si vous aviez debagoulé ce mot-là dans la ville, on vous diroit que vous en avez menty, et fussiez-vous bourgeois de Paris cent mil fois.

Paris. Je suis bien ayse que vous m'en avez averty, de peur de noyse, combien toutefois que je ne m'en soucie pas beaucoup, car je serai quitte pour le prouver.

Pontoise. Pouvez-vous prouver que Pontoise est de Normandie?

Paris. Facilement et par plusieurs raisons, spécialement par un petit livre intitulé la Guyde des chemins[41], que j'ay en mes chausses, et qui me dict que, pour aller de Paris à Rouen, il faut passer le pont de Pontoise, et puis qu'on est entré en Normandie.

Pontoise. Si vous n'avez d'autres probations que celle-cy, vous estes mal appuyé. La raison est que l'autheur du livre est incertain, lequel, s'il eust dict: Passez la rivière à gué, et vous ne serez pas noyé, il n'eust esté croyable en ses paroles; ou s'il eust dict: Passez Ponthoise et vous serez à Rome, il eust menty, car nous sommes bien loing d'Italie. Ainsi je dis qu'il en ay menty malheureusement.

Paris. Je ne vous croy non plus que luy. J'ay toujours ouy dire à mes ancestres que Ponthoise et tout son vicariat est de Normandie, et ne le peuvent nier, car ils sont du diocèse de Rouen, ville metropolitaine de Normandie[42].

Pontoise. Je confesse que nous sommes subjectz à l'archevesque de Rouen; mais le moyen comment, je vous le diray, s'il vous plaist?

Paris. Ouy dea, et seray fort ayse de l'ouyr.

Pontoise. Vous sçavez que Ponthoise et son vicariat est entre quatre eveschez, assavoir: de Paris, Rouen, Chartres et Beauvais. Or, les evesques de Paris, Beauvais et Chartres, eurent grande controverse l'un contre l'autre à qui auroit la possession dudict vicariat, avec ses dependances, immediatement de la cour romaine (comme ainsi soit que les causes jugées par le vicaire dudict lieu n'ayent autre ressort qu'en la cour romaine). Le roy, estant adverty de la dissension desdits evesques, laissa le procez à juger à sa Cour de Parlement. Et pour autant que monsieur de Rouen n'y prétendoit aucun droict, ledict vicariat luy fut baillé en garde jusques à la fin du procez; mais, tant pour les grandes affaires qui survindrent au royaume que pour la mort desdicts demandeurs, le procez est demeuré au croc, et par ce moyen ledict vicariat est demeuré entre les mains de l'archevesque de Rouen. Et qu'il soit vray de ce que j'ay dict, sans aller chez les advocatz pour copier ledict procez, il est probable, car les curez et vicaires dudict vicariat ne sont subjectz d'aller au senne[43] de Rouen aux jours ordonnez.

Paris. Vous avez fort bien prouvé, s'il est vray ce que vous avez dict.

Pontoise. Je ne voudrois pas mentir pour si peu de chose.

Paris. Aussi ne veux-je vous reprendre de mensonge, car ançois qu'eussiez menty et trouvé quelque mensonge, toutefois et quantes que vous voudrez, vous avez congé de vous desdire.

Pontoise. Il est vray que plusieurs de nostre pays veulent user de ce privilége.

Il n'en faut nonobstant tirer consequence que par cela soyons de Normandie, car non seulement les Normands usent de ce privilége, mais aussi toutes les autres nations, specialement à Paris quasi en tous estats.

Paris. Il est vray, et ne vous pourrois prendre par là; mais je vous prie de me monstrer et prouver que Ponthoise a esté quelquesfois subject à d'autres evesques qu'à celuy de Rouen.

Pontoise. Il est facile de le prouver par ce que nous avons dict jà cy devant; neantmoins, s'il vous plaist, je vous diray encore un petit mot, moyennant que je ne vous attedie de parolles.

Paris. Non, certainement; ains suis fort consolé de vous ouyr. Mais hastons-nous d'aller en devisant, car il est dejà tard; je vois bien qu'il me faudra loger aux Deux Anges.

Pontoise. C'est un bon logis pour les gens de bien, et non pour les huguenots.

Paris. Dieu mercy, je ne suis pas huguenot, et ne le voudrois pas estre pour tous les biens de ce monde.

Pontoise. Je ne voulois sçavoir autre chose; mais je n'osois ouvrir la bouche pour le vous demander.

Quand donc vous irez demain le matin à l'église Sainct-Maclou pour ouyr la messe, vous oyerez chanter la messe et les heures canoniales selon l'usaige de Paris, ce qui se faict non seulement en cette ville par toutes les paroisses, mais aussy aux cinq villages de l'environ.

Paris. C'est chose merveilleuse, de quoy plusieurs s'esbahissent, et est par là à presumer que vous n'estes pas subject à l'eglise metropolitaine de Rouen, ains avez esté autres fois subjectz de l'evesque de Paris. Mesmement estes subjectz à nostre parlement de Paris, et non à celuy de Rouen[44]; car quand il y a quelque mauvais garçon à Pontoise qui appelle de sa sentence prononcée par votre juge, on le nous amène à Paris.

Pontoise. Il est vray, et m'esbahis comme il se peut faire que ne soyons de l'evesché de Senlis, ainsi que nous sommes de son baillage. Je ne puis estimer autre chose sinon que, pendant l'altercation des evesques (dont nous avons parlé), chasque print son lopin de la seigneurie de Pontoise.

Paris. Je voudrois bien sçavoir pourquoy on vous faict porter votre taille à Gisors? Par cela on peut conjecturer que vous estes de Normandie.

Pontoise. Or, pour cela rien: on peut porter l'argent des tailles en Espaigne, et toutefois par cela ne serions dicts Espaignols, car l'argent ne faict pas la nation. Quant à ce que nous sommes de l'election de Gisors, il vous faut entendre que le roy feit un impost sur le baillage de Gisors. Les esleus du dict lieu remonstrèrent au roy qu'ils n'estoyent suffisans pour payer si grande somme de deniers. Adonc le roy ordonna que la chastelenerie de Ponthoise seroit annexée au dict baillage pour payer la dicte somme, et depuis ce temps-là avons esté toujours taxés pour payer aux dicts esleus.

Paris. Voilà trop parler sans boire.

Pontoise. Buvons une fois à Pierrelaye.

Paris. C'est bien dict, beuvons et allons vistement; je voys bien neantmoins que je ne pourray pas ce jourd'huy retourner à Paris: parquoy, allons paisiblement en rachevant nostre propos.

Pontoise. N'est-ce pas assez deviser de cette matière? Je prouve que je ne suis pas de Normandie pour estre natif de Pontoise; pour en faire foy, demandez à tous ceux de la ville: ils vous diront qu'ils n'en sont pas.

Paris. Ils n'ont pas toujours dict ainsi; j'ay ouy dire que le roy feit un impost en l'Isle-de-France pour subvenir à ses affaires. Adonc le commissaire des tailles envoya une commission aux bourgeois de Pontoise, lesquels la refusèrent, se disant estre de Normandie, et non subjectz à l'Isle-de-France. Or il y a une reigle en droict qui dict que volenti et consentienti non fit injuria neque dolus. Puis donc qu'ils ont confessé estre de Normandie, il me semble qu'on ne leur faict poinct injure en les interpellant Normands.

Pontoise. Quand ils avoient faict telle responce que vous dictes, encore n'est-ce pas pour prouver peremptoirement qu'ils fussent de Normandie.

Quand les Galaodites guetoient les Effraites au passaige de Jourdain pour les esgorger et outrager, lesdicts Ephraites nioyent leur lignée et nation. En cas pareil, sainct Pierre, interrogué des juifs s'il estoit de Galilée, dict non, pour craincte que les juifs luy eussent peu faire. Ainsy diray-je de messieurs de Pontoise, lesquels, voyant qu'on les vouloit outrager en leurs biens, les faisant payer un impost faict à la volée, ils ont dict qu'ils n'estoyent subjectz de l'Isle-de-France, comme ainsy soit que desjà eussent payé leur part à Givors par le commandement du roy.

Paris. En bonne foy, voilà une bonne raison, et n'y pourrois aucunement contredire: car si on me venoit querir pour me mettre en prison ou pour me demander de l'argent, je ferois (en la mode de Paris) faire la court en ma porte, et dire que Monsieur n'y est pas, jusques à ce que je n'eusse plus des moiens d'evader. Et je pense ce qui faisoit dire aux bourgeois de Ponthoise qu'ils n'estoyent pas subjectz à l'Isle-de-France n'estoit que pour evader. Mais je vous demanderois volontiers où donc est Normandie. J'ai quelques fois esté en pelerinage au Mont-Sainct-Michel, et si jamais n'ay sceu trouver Normandie.

Pontoise. Je suis certain où commence le pays de Normandie, tant par les annales de France que par les livres qui ont faict quelques fois description de la terre.

Paris. Je vous prie fort de me dire, ainsy que je me trouve en place, où on en fasse mention, que j'en soys resolu.

Pontoise. J'ay trouvé que la Normandie commençoit à Sainct-Cler-sur-Epte, tirant vers Rouen.

Paris. La ville ny le vicariat de Pontoise n'est donc pas Normand, car il ne s'estend plus loing que là.

Pontoise. Je ne l'ay ainsi leu aux chroniques de maistre Robert Guaguin, où il est dict: Apud flumen Eptæ, quod est Neustriæ ad orientem limes, fit conventio: unam fluminis ripam Carolus, alteram Rollo incedit. Intercedentibus legatis res acta est. Rollo Gillam, Caroli filiam, uxorem recipit, et in dotem Neustriam, quæ ab Epta fluento ad Britones terminatur, clauditurque gallico Oceano..... Neustriam adeptus Rollo, eam Normanniam appellavit[45]. Si vous en voulez avoir d'autres temoignages, regardez maistre Hugues de Sainct-Victor, lib. 2; Exceptionum priorum, cap. 10, Chronica chronicorum, le Rosier historial de France, les Chroniques de maistre Nicolles Gilles, la Mer des histoires, la Cosmographie de Seb. Munster, et plusieurs autres que je serois trop long à reciter.

Paris. Venez çà. Par vostre foy, n'avez-vous jamais ouy desbattre ceste matière?

Pontoise. Ouy, par plusieurs fois, et qui plus est, la question a esté proposée par messieurs de la Cour de Parlement pour en donner resolution, à cause de la dissension quy fut, il y a quatre ou cinq ans, quand maistre Guillaume de Boissy, docteur en medecine, natif de Pontoise, fut mis recteur en l'Université de Paris. Les Picards disoyent que Pontoise estoit de Picardie, et pour ce vouloyent user des priviléges octroyés à ceux qui sont de mesme nation que le recteur; les Normands, au contraire, et les François, d'autre costé.

Quand les presidens eurent ouy les parties de chasque costé, on conclud que Pontoise avec ses appendices estoit de France, comme ainsi fut qu'il soit appelle le Vulcain françois.

Paris. Puisque la Cour de Parlement y a passé et que vous avez mesme langage que nous, je ne dy plus mot.

Pontoise. Nous voicy aux fauxbourgs de la ville qu'on appelle l'Aumosne; demandez à quy vous voudrez: on vous dira que c'est la vraye France[46].

Paris. Je ne doubtois pas des fauxbourgs, ains seulement de la ville, à cause que la rivière est entre eux.

Pontoise. Ce seroit chose ridicule que la ville fust de Normandie et les fauxbourgs de France.

Paris. Il n'y a point d'inconvenient, car nous avons le semblable à Paris: c'est assavoir, que l'abbaye Sainct-Germain-des-Prez est de l'evesché de Paris et non subjecte à l'evesché. Autant en pourray-je dire de toute la ville de Sainct-Denis: jaçoit qu'elle soit proche de Paris, n'est toutes fois subjecte à l'Evesque de Paris.

Mais, pour chose que j'en die, je n'en doubte pas, puisque messieurs de la Cour du Parlement y ont mis la main; seulement je desire sçavoir pourquoy ceste nation est tant odieuse par tout le monde.

Pontoise. Vous pouvez penser que ce n'est pour vertu qui soit à ceux du pays, ains pour leur vice, lequel est odieux à tout le monde, et specialement trahison en riant.

Paris. Vous me faictes venir en mesmoire un vers poetique que j'ay autrefois ouy reciter ou leu quelque part:

Normanos fugias, ne fraudis labe graveris:
Ipsos si socias, certe tu decipieris;
Hos vitare stude, nam sunt de germine Jude.
Tr. Tr. la. fla. Normanos dicitur esse.

Pontoise. Ce n'est sans cause qu'ils sont hays, car ils ont faict tant de maux qu'on en feroit une pleine Bible de leur tyrannie.

Sebastien Munster, en sa Cosmographie, recite qu'eux partant du païs Dace, d'où ils ont prins leur origine, pour venir au pays où ils sont de present, allèrent par la grande mer oceanne, ravissant tout, comme pirastes et escumeurs de mer; abordant à Nantes, en Bretagne, entrèrent en la grande eglise, et là, tuèrent l'evesque dudict lieu, lequel celebroit la saincte messe, ainsi que recitent Sigebertus et le Theatre de la vie humaine, liv. 14. Ils mirent le feu en l'abbaye des Jumiéges, où estoient plus de neuf cents religieux, lequel lieu demeura desert et inhabitable environ l'espace de trente ans, ainsi que recite maistre Robert Guaguin et maistre Nicolle Gilles, historiographes françois. Ils ont d'abondant quelquefois bruslé les abbayes de Sainct-Germain-des-Prez et Saincte-Geneviève, lesquelles, pour lors, estoyent hors la ville, tellement que les religieux desdictes abbayes ne recepvoyent jamais pour estre religieux aucuns qui se disent de Normandie[47].

Paris. Je le crois bien, et si je l'ay veu et ouy par experience, et qui plus est, quand ils chantent la litanie, ils disent: A furore Normanorum libera nos, Domine.—Adieu vous dis, Seigneur.

Pontoise. Adieu, Sire; Dieu vous conduise, et ne m'appelez plus Normand.

FIN.

Décoration.

Discours prodigieux et espouvantable de trois Espaignols et une Espagnolle, magiciens et sorciers, qui se faisoient porter par les diables de ville en ville, avec leurs declarations d'avoir fait mourir plusieurs personnes et bestail par leurs sorcilléges, et aussi d'avoir fait plusieurs degats aux biens de la terre.

Ensemble l'arrest prononcé contre eux par la Cour de Parlement de Bourdeaux, le samedy 10e jour de mars 1610.

A Paris, jouxte la coppie imprimée à Bourdeaux[48]. In-8.

L'homme, dès aussi tost qu'il fut fabriqué par l'Eternel, ouvrier divin, fut aussi tost surpris par l'ennemy de nature humaine; du depuis, Satan n'a cessé, par toutes subtillitez et moyens, de pouvoir succomber et arriver le genre humain en ses lacs. Dès incontinant que ce grand capitaine Moyse eut en main la commission pour retirer les Israëlites d'entre les mains de ce pervers et inique roy d'Egypte Pharaon, il luy declare l'ambassade celeste, il le somme à relacher le peuple de Dieu; et, pour preuver son dire, il jette sa verge en bas, qui tout aussi tost prend vie, et se metamorphose en serpent furieux. Les magiciens veulent faire de mesme, mais pour neant: car celle qui est produite par la toute-puissance divine engloutit et dissipe ceux qui sont provenus de l'art diabolique.

De mesme fut fait les raynes, sauterelles et autres animaux provenus d'enchanterie et sortilléges; tellement que l'homme est bien aveuglé et dehors de toutes considerations, qui s'adonne à ces malheureuses et detestables œuvres de magie, quittant son Dieu pour suyvre le diable, laissant la verité pour le mensonge, se précipite du port de grace et salut dans les abismes et gouffres des enfers. Les lecteurs se contenteront de ce preambule, à celle fin de ne les ennuyer pour estre prolixe, se contentant, s'il leur plaist, au recit de ce discours très veritable, prodigieux, et autant admirable que long-temps aye esté mis en lumière.

Trois Espaignols, magiciens, accompagnez d'une femme espagnolle, aussi sorcière et magicienne, se sont promenez par l'Italie, Piedmont, Provence, Franche-Comté, Flandres, et ont par plusieurs fois traversé toute la France; et tout aussi tost qu'ils avoient receu quelque desplaisir de quelques uns en quelque vilotte ou bourgade, ils ne manquoyent, par le moyen de leurs maudits et pernicieux charmes et sorcilléges, de faire secher les bleds, et de mesme aux vignes, et, pour le regard du bestail, il languissoit quelque trois sepmaines, puis demeuroit mort, tellement qu'une partie du Piedmont a senty que c'estoit de leurs maudites façons de faire.

Tout aussi tost qu'ils avoient fait joüer leurs charmes en quelques lieux par leurs arts pernicieux, ils se faisoient porter par les diables dans les nuées, de ville en ville, et quelquefois faisoient cent ou six vingts lieües le jour; mais comme la justice divine ne veut longuement souffrir en estre les malfacteurs, Dieu permit qu'un curé nommé messire Benoist la Faye, natif d'Ambuy, près de Bourdeaux, estant allé à Dole pour poursuivre un du lieu auquel il avoit presté une somme notable, et pour autant qu'il falloit que le dit messire Benoist s'en retournasse à Bourdeaux pour faire enqueste de ce prest, attendu que sa partie nioit, il ne fut pas loin d'une harquebusade de Dole qu'il trouva ces Espaignols et leur suivante, lesquels se mirent en compagnie avec, luy demandèrent où il alloit. Après le leur avoir declaré et conté une partie de son ennuy, et se faschant de la longueur du chemin qu'il avoit à faire, tant d'aller que de revenir, et mesme que les juges ne luy avoient baillé qu'un mois de delay, et passé iceluy il seroit forclos, un de ces Espaignols, nommé Diego Castalin, luy dit ces mots: Ne vous desconfortez nullement; il est près de midy, mais je veux que nous allions coucher à Bourdeaux. Le curé pensoit qu'il le disse par risée, veu qu'il y avoit près de cent lieues; neantmoins ce, après estre assis tous ensemble, ils se mirent à sommeiller. Au reveil du curé, environ les six heures du soir, il se trouve aux portes de Bourdeaux avec ces Espaignols.

Estant enquis de ses amis qu'il avoit fait, il monstre ses actes faites du mesme jour dans Dole. Nul ne peut croire ce fait; il asseure au contraire. Un conseiller de Bourdeaux en fust adverty: il voulut sçavoir comment cela s'estoit passé; il declare les trois Espagnols et la femme qu'ils menoient; on fouille leurs bagages, où se trouve plusieurs livres, caractères, billets, cires, cousteaux, parchemins et autres denrées servant à magie; ils sont examinez, ils confessent le tout, et plus que l'on ne leur demandoit, disant entre autres d'avoir fait, par leurs malheureuses œuvres, perir les fruits de la terre aux endroits où il leur plaisoit; d'avoir fait mourir plusieurs personnes et bestail, et estoient resolus, sans ceste descouverte, de faire plusieurs maux du costé de Bourdeaux. La Cour leur fit leur procez extraordinaire, qui leur fut prononcé le premier mars mil six cens dix, en la manière que s'ensuit:

Extrait des registres de la Cour de Parlement.

Veu par la Cour, les chambres assemblées, le procez criminel et extraordinaire par les conseillers à ce deputez, à la requeste du sieur procureur general du roy, en ce qui resulte à l'encontre de Diego Castalin, natif de Boquo en Espaigne, et de Francesco Ferdillo, natif de Lina en Castille, et de Vincentio Torrados, natif de Madril, et de encores Catelina Fiosela, natifve de Colonasos, les conclusions du sieur procureur general du roy. Ouys et interrogez par la dite Cour, les dits accusez, sur les enchantemens, magies, sorcileges et autres œuvres diaboliques, et plusieurs autres crimes à eux imposez, tout consideré, dit a esté que la dite Cour a declaré et declare les dits Diego Castalin, Francesco Ferdillo et Vincentio Torrados, et encore Catalina Fiosella, deuëment attaints et convaincus des crimes de magies, sorciléges et autres pernicieuses œuvres malheureuses et diaboliques; et pour réparation desquels crimes, les a la dite Cour condamné et condamne à estre prins, mené par la haute justice en la place du Marché aux porcs, et estre conduits sur un buscher pour illec estre bruslez tous vifs, et leurs corps estre mis en cendres, ensemble leurs livres, caractères, cousteaux, parchemins, billets et autres servant à magie. Donné à Bourdeaux, en Parlement, le 10 mars 1610.

Estant sur le buscher, ils declarent plusieurs malheureuses œuvres diaboliques qu'ils exerçoient par art de magie, et dirent qu'ils avoient apris le dit art à Toledos en Espaigne, où ordinairement s'en faisoit escole publique, et que par le moyen de ceste fanatique science ils avoient puissance de faire perir plusieurs personnes, bestail, et porter beaucoup de dommages aux fruicts de la terre; aussi ils confessèrent d'avoir voulu entrer dans la Rochelle, ce qui ne leur fut permis, et n'y alloyent à autre fin, sinon pour faire, par leur diabolique science, perir plusieurs personnes; disant que, quand ils vouloyent, avec certaines poudres qu'ils brusloient, ils infectoient l'aër, tellement que plusieurs personnes, attaints de ceste mauvaise et pernicieuse odeur, mouroient subitement.

L'Espagnolle qui les suyvoit, nommée Catalina Fiosela, dit et confessa une infinité de meschancetez par elle exercez: entre autres, par ses malheureux sorcilléges, elle avoit fait avorter une infinité de femmes enceintes, et d'avoir infecté avec certaines poisons plusieurs fontaines, puits et ruisseaux, et aussi d'avoir fait mourir plusieurs bestail, et d'avoir fait par ses charmes tumber pierres et gresles sur les biens et fruits de la terre. Après sa confession, elle fut incitée à crier mercy à Dieu, ce que jamais ne voulut faire.

Ainsi fut la fin de ces maudits magiciens, lesquels, estant possedez du diable, meurent sans aucune contrition de leurs fautes et pechez.

Voilà qui doit servir d'exemple à plusieurs personnes qui s'estudient à la magie; d'autres, si tost qu'ils ont perdu quelque chose, s'en vont au devin et sorciers, et ne considèrent pas qu'allant vers eux ils vont vers le diable, et quittent leur Dieu et createur pour suivre l'ennemy et le prince des tenèbres.

Mais qu'en vient il à la fin? Une ruine miserable, comme il est arrivé à ces pauvres malheureux; car Dieu, qui est jaloux de son honneur et de sa gloire, ne permet pas que ces tours de Babel, qui ont esté edifiées par cet arrogant et superbe qui ne tasche qu'à obscurcir sa gloire, puissent durer long-temps, et dès aussi tost qu'il commence à s'ennuyer de ces crimes trop odieux, du premier mouvement qu'il remue sa main pour les accabler, tout cela s'en va en poudre, et n'en sort qu'une confusion miserable de ceux qui s'y sont arrestez. Voire encore, ce qui devroit effrayer davantage leurs imaginations, il fait d'ordinaire que celuy qui les a fait broncher en ces filez par ses belles promesses, c'est celuy qui les prent dedans, et leur fait endurer une fin miserable; aussi est-ce le bourreau de la justice de Dieu, qui ne se plaist qu'en la perte des ames, et qui roule toutes ses machines pour les abismer au gouffre de damnation, où il leur fait puis après payer l'usure des maux et execrables parricides qu'ils ont attenté et mis en exécution sur leurs frères. C'est une chose du tout estrange de dire que l'homme se laisse tellement aveugler en soy-mesme qu'il perde tout sentiment et de l'humanité et de la religion, laschant ainsi la bride à ses passions pour executer les desseins de Satan sur les creatures, et bouchant l'oreille aux inspirations du ciel, qui luy font voir parmy les tenèbres de son erreur la deformité de ses pechez. Ils ne se soucient plus de salut, et logent toutes leurs espérances en morte paye en enfer, sans se soucier de rien, sinon d'estre compagnons du diable; et celuy qui peut faire quelque acte dont l'abomination fasse dresser les cheveux, voire à ses compagnons, c'est celuy qui s'estime le plus gentil de la trouppe, et qui merite plus de salaire; de façon qu'il n'y a meschanceté que ces maudits ne mettent en exécution. D'où penserons-nous que cela provienne, sinon de ce qu'ils oublient entièrement Dieu et son paradis pour se donner en holocauste à la cruauté de l'enfer? Recognoissons donc nostre Dieu et craignons ses jugemens, puis qu'il permet ainsi que ceux qui l'oublient tresbuschent en des horreurs si estranges, et, le priant de confondre ceste engeance perverse, retournons-nous à luy par penitence, et le supplions qu'il luy plaise reveiller ceux qui sont enyvrez de ces charmes pour se remettre au droit chemin.

FIN.

Décoration.

Histoire admirable et declin pitoyable advenu en la personne d'un favory de la cour d'Espagne. A Paris, chez Nicolas Rousset, rue de la Calandre, au Saumon.

M.DC.XXII. In-8.


Histoire admirable en laquelle on voit les principes abjects, progrez magnifiques et declin pitoyable d'une grande fortune, en la personne d'un favory de la cour d'Espagne.

Rien de plus superbe, rien de plus indomptable qu'un homme eslevé de la poussière au sommet de quelque haute fortune. Ce Thraso, ce bravache, gourmande les destins, bat la terre d'un pied glorieux, et croit que le ciel luy est obligé de ses influences. Jupin a perdu ses foudres, la mer ses tempestes, et tous les tremble-terre du monde ne lui feroient pas (ce luy semble) changer ses orgueilleuses demarches. Ce fut ceste consideration qui fit refuser à Platon de prescrire les loix aux Atheniens: La prosperité, disoit ce grand philosophe, est un rapide torrent qui entraisne et bouleverse les esprits qui n'ont jetté des profondes racines au champ de la vertu, et qui d'un sang noble et genereux n'ont esmané leur origine. Mais sur tous ceux-là sont indignes de grandes fortunes et d'estre employez aux affaires publiques, qui ont pris leur estre d'un sordide concubinage; ces aiglons adulterins n'osent regarder le soleil, et leurs foibles cerveaux se lassent au premier essor. Enfin, il faut conter entre les miracles naturels lorsqu'un infame bastard essaye d'amender par ses louables actions les defauts de son extraction. L'histoire suivante mettra le doigt du lecteur sur ces veritables propositions et realisera ses maximes.

Dom Rodrigo[49] estoit fils de François Calderon, lequel estoit soldar en Flandres, et de Marie Sandelin, de nation allemande[50], et fut engendré auparavant le mariage, mais depuis fut legitimé par celuy de son pere et mere. Il naquist en Envers, entre le peu de richesses et l'infortune de la guerre, et ne se pouvoit douter de la sienne, puis qu'estant nouveau-né il fut enlevé par dessus les murailles de la ville pour ne scandaliser la reputation de sa mère, et fut donné en nourrice hors la ville. Sa mère deceda peu de temps après, et son père, estant vefvier, quittant Envers, s'en alla à Valdoric, d'où il estoit natif, issu d'honnestes parens, dont il en herita de quelques commodités. Peu de temps après, il se remarie; voyant son jeune enfant desjà grandelet et mal aymé de sa belle-mère, il essaye de trouver moyen de le placer pour passer sa vie. Il fit donc tant que, par la faveur de ses intimes amis, il fut le premier page du vice-chancelier d'Arragon, et en après, à cause de sa beauté et gentillesse d'esprit, il fut mis au service du marquis de Denia, dom François Gormez de Sandoval et Rosas, qui alors estoit duc de Lerme, et reveré comme vice-roy de toute l'Espagne et seigneur de la plus grande privance du roy dom Philippe troisiesme, lequel est en gloire. Mais, pour la mesme cause de dom Rodrigo, il est demis de toutes ses charges, et l'on pourchasse à present pour le faire mourir.

Dom Rodrigo devint si grand à l'ombre de la puissance de son maistre, gaignant les bonnes graces des princes et seigneurs d'Espagne, qu'il fut soustenu de deux fortunes, et fit tant par ses prières, reverences et supplications, qu'il parvint à estre ayde de la garde-robbe royalle: il succeda à l'estat de dom Pedro de Franqueya, comte de Villalonga, secretaire d'estat, ayant en son seul maniement plusieurs papiers et escritures, lesquelles estoient du precedent entre les mains de diverses personnes, ayant pour son compte l'expedition des plus grandes affaires de ce royaume. Il estoit doué d'un esprit fort prompt, bien entendu aux choses qui dependoient de la republique; il estoit d'une agreable taille, mais aussi fort presomptueux envers ceux qui estoient sous sa domination[51] (qui estoient pour lors en grand nombre). Il se maria avec la comtesse d'Oliva; il fut fait chevalier de l'ordre de Saint-Jacques, et quelque peu de temps après commandeur de Ocanna, puis comte d'Oliva, tiltre lequel il passa en après à son fils dom François Calderon, premier nay de sa maison, marquis de Sept Eglises[52], et sa dernière qualité estoit d'estre capitaine de la garde allemande.

Son père, estant homme fort vertueux, bien qu'il devînt plus riche, ne meit jamais en oubly son origine. Ains, sans aucun desir d'atteindre au sommet des honneurs mondains, remonstroit souvent à dom Rodrigue en quel peril se jettoit celuy qui s'asseuroit sur le glissant pavé des hautesses humaines; mais d'autant plus il luy remonstroit, d'autant plus il devint ambitieux et remply d'orgueil, jusques à prendre à deuil les dites remontrances, et l'en avoit en haine.

Neantmoins, voyant son père vefvier pour la seconde fois, il tascha de le gorger du mesme suc de ses grandeurs[53], car, comme aimé et favory du roy, il luy fit obtenir l'ordre de chevalier de Sainct-Jean, qui sont comme les chevaliers de Malte en France; en après chevalier de Sainct-Jacques, vicomte de Suegro, estat qui ne se donne qu'à celuy en qui Sa Majesté se fie le plus et plus privé de sa personne. Il fut lieutenant de la garde allemande et l'ordre de mayeur d'Arragon, en quoy il voulut limiter sa fortune, ainsi qu'omme bien advisé.

La renommée de Rodrigue volloit par tout le pays. La familiarité qu'il avoit avec le dit duc[54], et l'authorité et puissance qu'il avoit au gouvernement, le rendit si orgueilleux, qu'il franchit toutes les limites d'humilité, et estimoit à peu les nobles du pays, et traitoit fort mal ceux qui estoient sous sa domination. Ses richesses et delicts marchoient d'un mesme pas; il se faisoit porter un grandissime respect, et bien souvent ceux qui tenoient le frein de la justice se tenoient très heureux d'estre à ses bonnes graces, et lui deferoient ce qui estoit de leur devoir pour tousjours s'entretenir en icelles, et en ceste manière de vivre commença à se faire hayr de plusieurs, et se mettre en mauvaise odeur du commun peuple, qui fit tant que son avarice fut portée jusques aux oreilles du roy, qui, l'ayant fait venir devant luy, sceut si bien pallier son mal à force de blandices et belles parolles, qu'il obtint son pardon, luy disant qu'il ne croyoit rien de ce qui luy avoit esté rapporté.

Le restablissement du dit duc en sa maison servist de rechef de butte aux calomnies du peuple, qui à haute voix l'accusoit de grands delits, meurtres, faussetés et sorcelleries, et dessus tout d'avoir levé de grandes daces[55] sur eux, ce qui lui occasionna de se retirer de la cour, et s'en alla à Valdoric avec une frayeur de sa disgrace, à cause qu'entre plusieurs informations qu'on faisoit pour lors de quelques ministres d'estat, la sienne se trouva très meschante et digne de mort. Il fut quelque temps à Valdoric pour determiner ce qu'il devoit faire à son infortune, et en confera à une religieuse qui estoit en son monastère de Porta-Cely, et lui disoit qu'il vouloit eviter la furie d'un roi offensé et courroucé. La saincte religieuse luy dit que, s'il se vouloit sauver, qu'il attendît le succès de ses affaires. Il l'entendoit du corps, elle l'entendoit de l'ame. Pendant ce temps, il cacha chez ses amis plusieurs papiers d'importance, ensemble or, argent et autres richesses, pensant que la rumeur du peuple se passeroit[56]. Mais il succeda un effect tout contraire à son intention, d'autant qu'en une nuict dom Fernando Ramirez Farinas, conseiller au royal conseil, assisté d'hommes en armes, le vint prendre, et le bailla en seure garde à dom Francisco de Itazabal, chevalier de l'ordre de Sainct-Jacques, et le menèrent au chateau de Montaches, et alors fut esleu pour ses juges dom Francisco de Contreres, à present president de Castille, et Louys de Salcedo, et dom Petro del Cortal, conseillers du suprême conseil, pendant lequel temps on descouvrit plusieurs choses en divers lieux, à force mandemens et censures.

Il fut fait inventaire des biens meubles qu'il avoit au dit Valladolid, où il se trouva une richesse inestimable, outre plusieurs registres et papiers qui donnoient tesmoignage de plusieurs faussetez en son compte. Quelques jours en après, il fut changé de prison, et mené à Santercas avec la même garde, et pour sa dernière il fut amené à son logis, et fut donné en garde ès mains de dom Manuel Francisco de la Hinozosa, chevalier de l'ordre de Sainct-Jacques, lequel l'assista au dit logis jusqu'au jour de sa mort. Deux coffres remplis d'escritures, qui furent trouvés chez un sien parent, esclaircirent beaucoup d'affaires procedant aux informations. Il fut mis à la question, où il endura tous les tourmens de la gesne, et la seconde fois il l'eust extraordinairement, laquelle il supportoit avec autant de constance et generosité comme auparavant. Toutes les ceremonies de justice furent observées avec tel droit et equité, que lui-mesme en loüoit grandement la procedure, et les juges en beaucoup d'occasions. Il ne sortoit hors de la chambre, qui estoit celle où il couchoit du precedent, petite et très obscure; c'est pourquoy il y avoit tousjours de la chandelle, et n'entroit en icelle que deux gardes de porte, qui se changeoient à certaines heures, et un sien serviteur, auquel n'estoit permis de sortir, qui luy donnoit ce qui luy estoit nécessaire. Le reste des gardes estoient dehors, au nombre de dix-huict hommes, sans lesquels jamais ne s'ouvroit la porte. Aucune personne de qualité ne parla à luy jusques à ce que sa sentence fut donnée, sinon ses procureurs, advocats et son confesseur, non toutesfois sans la presence de ceux de sa garde. La plus grande partie du temps il estoit au lict, qui fut cause qu'estant assailly d'une goutte, difficilement pouvoit-il marcher sans l'aide d'un baton pour aller à costé d'icelle, où estoit construit un petit oratoire fait exprès pour lui faire entendre la saincte messe, assisté tousjours de sa garde. Il y avoit aussi une autre chambre où ses juges instruisoient son procès. En la grande salle estoit la marquise sa femme, qui recevoit toutes ses visites.

Le neufiesme de juillet luy fut notifié deux sentences, l'une pour les fautes qu'il avoit contre le civil, et l'autre à cause du crime de lèse-majesté; par icelle liberté luy fut donnée, parceque le procureur fiscal qui l'avoit accusé complice de la mort de dame Marguerite d'Austriche, reyne d'Espagne[57], ne peut en faire preuve vallable; mais pour les assassinats de dom Alphonso de Caravajal, reverend père Christofle Suarez, de la compagnie de Jesus, Pedro Cavallero et Pedro del Camino; pour l'emprisonnement et mort d'Augustin de Avila, vivant sergent en la cour, et tout ce qui se passa en sa mort, et même pour avoir commis et fait faire l'assassinat contre la personne de Francisco de Xuara, par les mains d'un sergent de compagnie nommé Juan de Gusman, et pour avoir impetré de Sa Majesté (lequel est en gloire) remission de ses delictz, faussetez et mensonges, fut condamné que, de la prison où il estoit, il seroit mené sur une mule sellée et bridée (qui est l'ordre de mener les criminels de qualité, car les autres on les meine sur des ânes), avec un crieur, lequel publieroit ses fautes, et de ceste sorte seroit mené par les rues accoustumées de la ville, et conduit au lieu patibulaire, au quel lieu il seroit pour cet effect dressé un theatre, et que sur iceluy il seroit degorgé (qui est la manière comme sont punis les criminels de qualité, car on ne décolle par derrière que les traistres); et par sa sentence civile, laquelle l'on dit contenir deux cens quarante-quatre delicts, a esté condamné à un milion deux cens cinquante mil ducats, et pour chapitre final, où fut remis beaucoup d'offences touchant le dit civil, a esté condamné à tous et tels offices, tiltres, dons et choses qu'il possédoit, et en tout son vaillant, sans faire mention de ses enfans, qui sont deux masles, et tout cecy il entendit avec une grande generosité de cœur, se remettant entre les mains de Dieu. Pour le diffinitif de la sentence, et pour estre bien examinée, fut nommé d'avantage les juges que cy-dessus, desquels dom Rodrigo en recusa quelques uns, et à cause d'icelle recusation en fut nommé d'autres; il fut declaré ignoble, parquoy il fut condamné à douze mil maravedis, qui est une amende que doivent les criminels de qualité. Et pour n'avoir les juges approuvé le consentement de la mort de la reyne, quelques jours après ses advocats et procureurs appelèrent que la sentence ne s'executast, parceque la loy du pays ne permet d'executer les sentences criminelles le mesme jour, ains les laissent quelque espace de temps pour avoir recognoissance de leurs fautes. Si tost qu'icelle sentence lui fust notifiée, l'on donna permission à tous religieux de le visiter, et le disposer de se resoudre à la mort; ce que voyant s'y resoult. Il diminue donc son manger, ne dort en lict, et se règle du tout à penitences et disciplines. Il passoit les jours à plorer ses pechez et offences, et les nuicts à oraison, demandant pardon à Dieu. Sa penitence estoit si grande, que par plusieurs fois frère Gabriel du Sainct-Esprit, religieux de l'ordre des carmes (exemple de toute religion), lequel l'assistoit journellement, le reprint d'une si grande cruauté qu'il usoit sur son corps, tant en jeusnes, disciplines, mortifications de chair, comme d'oraisons et repentance de ses pechez, et outre plus une grande patience de ses maux, lesquels il representoit à Dieu pour la diminution de tous ses pechez. Pendant ce temps, il se confessa et communia par plusieurs fois, non jamais sans avoir les yeux baignant en pleurs.

Il lui fust signifié le mardy au matin, dix-neufiesme d'octobre, qu'il eust à faire testament de deux mille ducats, et qu'il se disposast pour souffrir la mort dans trois jours consecutifs. Il donna mille embrassemens à celuy qui luy apporta ceste nouvelle, le remerciant du bonheur qu'il luy apportoit pour sortir si promptement d'une si miserable vie et pour voir la fin de ses travaux; de rechef il impetra très affectueusement la misericorde de Dieu, disposa aussi de son âme au mieux qu'il luy fut possible, s'apprestant comme bon chrestien à la dernière heure. Le jour venu, il ne cessa de se discipliner, sans prendre aucune refection, pleurant tousjours ses fautes devant un crucifix et un image de la saincte mère Therèse de Jesus, au quel il avoit une singulière devotion; il pria que l'on luy portast devant luy jusques à la mort. Ce dit jour il deschargea le sergent Juan de Gusman, condamné avec luy à la mort pour l'assassinat de Francisco de Xuara, et confessa qu'il avoit donné une memoire signée de Sa Majesté au dit sergent, laquelle estoit fausse, et depuis luy avoit ostée et rompue.

Le mercredy de relevée, par un decret du conseil des ordres, un religieux et un chevalier de S.-Jacques lui allèrent arracher l'ordre du dit S.-Jacques, acte le quel il regretta grandement, et neantmoins le laissa prendre avec une grande patience; toutesfois il dit qu'il eust bien desiré mourir avec le dit ordre, et que jamais on ne l'avoit osté à ceux qui avoient commis de pareils crimes.

Il fut publié par la ville, et enjoint à tous sergens royaux et à tous ceux de la cour de monter à cheval et leur trouver le jeudy à la place publique. A icelle heure la dite place se trouva vide de plusieurs estats qui y estoient, à cause qu'en ce lieu on y vend les fruicts, et n'y avoit rien qu'un eschaffaut haut, grand et large, et au milieu une chaise de bois couverte de noir, qui par après fut descouverte, pour eviter l'esmotion du peuple, le quel en murmuroit, et ne vouloit que on lui fist tant d'honneur. En la dite place, et par toutes les rues où il devoit passer, il se trouva si grande quantité de peuple que c'estoit chose impossible de le pouvoir nombrer.

A unze heures et demie du matin, estoit attendant à la porte du logis de dom Rodrigo, les croix des deux confrairies qui ordinairement accompagnent toutes personnes que l'on execute, et plus de soixante et dix sergens à cheval. Il descend donc en bas, accompagné de 4 religieux cordeliers, 4 de la Trinité, 4 augustins, 4 carmes et 4 penitens des carmes, et avoit vestu une robe de deuil et chaperon en forme de babelou, le tout de baguette, avec la face descouverte, laquelle il montra assez venerable et de bonne presence, les cheveux jusques sur les espaules, (d'autant que depuis le temps qu'il avoit esté prisonnier il ne s'estoit fait couper son poil), et la barbe jusques à l'estomach.

Avant que de monter sur la mulle, laquelle l'attendoit caparaçonnée et couverte d'une housse de baguette noire, il fit le signe de la croix par deux fois, et print un crucifix en sa main, et d'un grand courage se mit le chaperon, pour n'avoir le visage decouvert, et baisoit fort souvent le crucifix; et auparavant que sortir de la maison fit autre signe de la croix et sortit de sa porte, assisté à ses costez de deux sergens, et devant lui marchoient les croix et bannières des deux confrairies; en sortant à la rue, jetta ses yeux partout, et contempla la grande quantité de populace qui l'attendoit, et jetta sa veüe au ciel, fut de cette sorte l'espace de deux credo, et rejetta ses yeux sur le crucifix, jamais ne les leva jusques à estre arrivé à l'eschafaux. Son confesseur lui donnoit courage, et lui respondit: A la bonne heure, mon père, car je ne manque de courage à souffrir la mort, d'autant que mon sauveur Jesus-Christ l'a endurée pour moi plus honteusement. Allons donc au nom de Dieu. Puis que Sa Majesté le veut, je vay très content accomplir sa volonté, et payer les excez de mes enormes pechez et offenses. Puis, rejettant les yeux sur le crucifix, le baisant en commemoration de celuy qui nous a rachetez, lui demanda pardon et misericorde. Il eut toujours le courage si grand, que, mesmes ceux qui pensoient, par quelque pieux discours, le consoler en ses grandes afflictions, il les encourageoit et les consoloit luy-mesmes, desprisant les grandeurs et vanitez de ce monde, les figurant comme une ombre ou une fumée au prix de celles de la beatitude eternelle, tellement qu'il attiroit le peuple à si grande compassion, qu'ils avoient plus de doleance de son infortune qu'il n'avoit luy-même à la mort que il alloit librement souffrir. Aussi ceste generosité, que les plus offensez remarquèrent en luy, servit d'eau pour esteindre le feu de leur animosité. L'executeur des hautes sentences criminelles luy menoit lui-mesme sa mule par la bride, estant l'ordre et la coustume du dit païs quand c'est quelque homme de qualité qui a acquis quelque supresme degré, ainsi que cestuy-cy avoit; et, commençant à marcher ce funèbre arroy (bien que la multitude du peuple les empeschât assez), le crieur public, à son accoustumée, commença à s'escrier tout haut, à prononcer sa sentence, avec les crimes qu'il avoit miserablement commis, disant ainsi:

«Voicy la justice que fait faire le roy nostre sire à cet homme, pour en avoir fait massacrer miserablement un autre, commetant delicts d'assassinat, et avoir esté coupable en la mort de plusieurs personnes de remarque, soit pour en avoir commis plusieurs et diverses offences, lesquelles ne doivent estre declarées, et sont reservées en secret dans le procès, pour lesquelles il est condamné à estre degorgé pour son chastiment, afin qu'il puisse servir d'exemple à ceux qui commettront un tel excez; qui tel fera, ainsi le payera.»

Il arriva à l'échafaud. Le père maistre frère Gregoire de Pedroza, de l'ordre de S.-Hierosme, predicateur de Sa Majesté, et grand ami de Rodrigo. Il monta premierement tous les religieux, et lui avec quelques uns, se decouvra du chaperon, et montra son visage encore avec la mesme miserable gravité seigneurialle; il fut quelque temps à parler au dit père Pedroza sur les bras de la chaise, pendant que tous les religieux estoient à genoux, et lui faisoient la prière et recommandation de son âme. Il se reconcilia de rechef avec un grand courage, print congé de tous, et s'est assis dans la chaise, donnant permission à l'executeur afin qu'il lui liast les bras, pieds et le corps, et lui-mesme denoua les cordons de sa fraise, ce que après l'executeur lui osta tout à fait, lui demandant pardon. Dom Rodrigo l'embrassa, et approcha par deux fois sa joüe auprès de la sienne et lui donna, lui disant qu'il estoit son plus grand amy; et, se descouvrant fort bien la gorge pour recevoir le coup, de rechef il s'offrit à Dieu, adorant le crucifix avec une douleur amère et repentance de ses pechez, pendant que l'executeur lui accommoda un bandeau de taffetas devant ses yeux, et, lui renversant la tête sur le dossier de la chaise, lui coupa la gorge[58], rendant en un même instant l'âme à son createur, sans que le corps fist aucun mouvement[59], ce qui encourageoit tous les assistans à faire prières et oraisons pour luy, ce que firent aussi les religieux, et ne se peut ennombrer les cris et lamentations du peuple de voir un si horrible spectacle, considerant les deux extresmes degrez où la fortune l'avoit reduit.

Incontinent après, le corps fut delié et mis sur une bayette noire; deux carreaux de dueil estoient sur l'eschaffaux, qui servirent à cet effet; son visage ne fut couvert, mais tout le reste de son corps le fut de la mesme estoffe, qui fut mise dessous luy. Un crucifix fut mis dessus son estomach, et quatre flambeaux furent mis à ses costez; plusieurs officiers de la justice y faisoient une soigneuse garde, et tout incontinent il fut publié à son de trompe de n'enlever ce dit corps sur peine de la vie jusque à ce que le sieur president en eust ordonné. Il fut veu et visité de plusieurs personnes pour voir s'il etoit mort entierement, et estoient auprès de luy grande quantité de prestres et religieux, lesquels, par grande devotion, faisoient à Dieu prières et oraisons pour son âme. Sur le soir il fut donné permission de l'enterrer, où il s'assembla très grande quantité du clergé et religieux, avec des flambeaux dont on se sert en ce pays au lieu de torches, et s'apprestoit-on à faire de grandes solennitez pour l'enterrement d'un personnage tel qu'il estoit; mais il vint un commandement et deffence que aucun ne l'eust à assister au dit enterrement, et ne fust permis à aucune personne de le descendre pour l'ensevelir honorablement, et fut enseveli par les deux femmes qui ordinairement ensevelissent les criminels. Ses vestemens furent delivrez à l'executeur par les officiers de la justice. Il fut depouillé devant tout le peuple; je ne sçay cœur si dur qui n'en eust eu pitié. Par dessus une tunique blanche il luy fut mis la robbe d'un cordelier, parce que c'est la coustume du pays que, lors qu'on ensevelist une personne, s'il a devotion à quelque religion, on lui met une robbe des dits religieux avec luy. Il ne fut mis dans un coffre, ains dans la mesme bière de sa parroisse, et fut couvert avec la même bayette noire, et porté sur les espaules par les six frères d'Anton Martin, qui sont ceux qui portent les executez. Deux croix des confraires de la Paix et de la Misericorde l'accompagnèrent; six pauvres avec six flambeaux, et quatre prestres de la parroisse, et le portèrent sans qu'on sonnast aucune cloche au monastère des Carmes penitens, où il requist estre inhumé au capitoire. Ces bons pères avoient tendu leur eglise de noir, et dirent pour luy plusieurs messes et autres prières. Le desaccoustrant de ses vestemens, il fut trouvé une très apre haire. L'acte de la contrition (qui est une image de Nostre Seigneur portant la croix) lui fut trouvé sur son estomach, un chapelet de bois en sa pochette, et tout son corps meurtry et deschiré des grandes disciplines qu'il s'estoit données; d'estre à genoux continuellement, il en avoit de grandes playes. Dieu permist qu'il fust despouillé en public, afin que sa penitence fust reconnue et manifeste.

Voicy un exemple où l'on peut gouster quel est le succez de la felicité humaine, et quel poison c'est que les richesses qui s'y peuvent posseder, car Dieu dispose de l'advenir, et rabaisse assez souvent l'orgueil de ceux qui, eslevez au sommet de quelque dignité, veulent braver sa divinité et mescognoistre la cause dont ils ne sont qu'un petit effet. Dieu veuille mesurer sa misericorde à l'aspresté de sa penitence, et lui donner son paradis! Mandement et execution fut donné contre dom Rodrigue pour deux cens soixante et douze millions cent soixante et deux mil neuf cens soixante et quatre maravedis, qui valent en France 887066 escus, aux condamnations pecuniaires, les joyaux et meubles de la maison appliquez à Sa Majesté, qui ont esté appreciez à cent quatre vingt mil ducats, qui valent 165000 escus.

Il estoit marquis des Sept Eglises, comte de la Oliva, commandeur de Ocana en l'ordre de Sainct-Jacques, capitaine de la garde allemande, concierge de la maison d'Arragon, greffier en la chancellerie de Valladolid, tresorier des ouvrages de la dite ville, grand prevost, et sergent mayeur, concierge de la prison royale, et avoit deux regimens, avec voix et place au conseil, et en la première antiquité; il estoit grand courrier de la dite ville, et avoit un maravedy de chacune bulle de la croisade qui s'imprime à Valladolid, qui se monte à plus de six mil ducats de rente, qui valent, monnoye de France, 5500 escus; aucune personne ne peut demeurer en Espagne sans avoir la bulle; il avoit sa chambre perpetuelle aux comedies de Valladolid, et une autre à la cour de la Orix; il estoit resident de Soria, qui vaut autant qu'eschevin, ayant voix au conseil et assemblées; gardien et patron du monastère de Portacely en Valladolid; il avoit aussi deux regimens en la cité de Plasencia; il estoit gardien de la chapelle royalle du monastère de la Trinité en Madrid. Ses meubles furent prisez à quatre cens mil ducats, qui valent 366666 escus. Il avoit la moitié du butin qu'on apporte des Indes; il avoit le droict du bois du Bresil qui vient à Lisbonne, qui luy valloit 11000 escus de rente, et le roy lui avoit donné que nul ne pouvoit traicter aux Indes en meules de moulin et d'esmouleur que luy, qui luy valloit grand revenu.

Il s'est trouvé pour certain que chacun an il entroit en sa maison plus de deux cens mil ducats de rente, qui seroit 183333 escus de rente, sans les particulières richesses, qu'il est impossible de nombrer.

Son père et sa femme, avec deux fils et deux filles, s'exemptèrent de cette ville deux jours avant son execution, après avoir fait de grandes diligences pour lui sauver la vie, et avoir jetté plusieurs larmes; et tient-on qu'ils se sont retirez à Oliva, qui est ce que l'on peut raconter de ceste presente histoire.

De Madrid, le vingt-deuxiesme jour d'octobre mil six cens vingt-un.

FIN.

Décoration.

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