Variétés Historiques et Littéraires (01/10): Recueil de pièces volantes rares et curieuses en prose et en vers
Examen sur l'inconnue et nouvelle caballe des frères de la Rozée-Croix, habituez depuis peu de temps en la ville de Paris. Ensemble l'histoire des mœurs, coustumes, prodiges et particularitez d'iceux.
Maleficos non patieris venire. Exod. 22.
M.DC.XXIIII.
In-8[60].
Depuis la culbute des demons, et que le premier ange apostat eust souffert la punition deüe à sa superbe, superbe qui paroissoit en ces termes: «Je grimperay dans le ciel, je hausseray mon throsne au dessus des astres, je seray assis en la montagne du testament au costé d'Aquilon, je monteray sur la hautesse des nües, et seray semblable au Très-Haut» (Es. 14); depuis, dis-je, que cet orgueilleux eust mesuré la distance du ciel en terre, et qu'au lieu de voltiger sur les orbes célestes, il s'est veu garotté des liens eternels au lac caligineux des enfers, l'homme, son successeur aux siéges du paradis, a eu beaucoup à souffrir. Cet enragé, se voyant forclos de l'heritage qui luy appartenoit comme au fils aisné, et se voyant exilé et vagabond par le monde, n'a cessé de dresser des embuches à son cadet.
Or, les trois plus fortes machines qu'il fist jamais rouller sont comprises en ce passage de l'apostre sainct Jude: Hi, inquit, carnem quidem maculant, dominationem spernunt, majestatem blasphemant. Ces demons, dit l'apostolique escrivain, fouillent et contaminent nostre chair par la contagion du peché, et ce en depit qu'elle a servy de vestement à la divinité.
Ils meprisent et foullent aux pieds toutes puissances superieures, se servans pour ce subject d'un nombre infiny d'heretiques, esprits revesches et libertins, indomptables poulains, rompans licentieusement où les portent leurs caprices, et ce en despit du bel ordre hierarchique dont se maintiennent au ciel empirée les neuf classes des anges confirmez en grace.
Ils blasphèment aussi contre la majesté divine par enchantemens, prestiges, sabbats et autres impietez execrables, dont ils enbaboüinent les simples, et ce pour contre-carrer la toute-puissance de Dieu, faire bande à part, et s'approprier quelque espèce de culte et d'adoration.
Pour faire joüer cette dernière pièce, Sathan a de tout temps entoxiqué les esprits qu'il a jugé les plus souples à ses frauduleuses impressions de je ne sçay quelle science noire et cabalistique, qui ne consiste qu'en certains caractères, figures, cernes, ablutions, sacrifices, invocations, suffumigations, croix doubles, usurpation des noms divins, en sorte que les advancez en cette escolle diabolique se pensent des petits dieux, et veulent tenir tout le monde en bransle souz leur baguette magicienne, ne s'appercevant pas, les miserables, que tous ces prodiges executez par les demons à leur commandement, ne sont que des singeries et des trompeurs appas pour leur faire avaller l'hameçon infernal.
Combien de curieux ont fait naufrage en cette mer perilleuse! combien d'Absirtes ont senty les griffes de cette Medée! combien de Grecs empoisonnez du gasteau de cette Circé! Un Zoroastre, un Porphyre, un Hydrootès, un Apulée, un Agripe, un Thianée, un Arbatel, et autres de telle farine, sçavent bien maintenant, cruciez des flames eternelles, combien frivolles et ridicules sont les dogmes de cette maudite science!
L'Egypte, l'Arrabie et la Caldée, furent seules jadis contagiées de ceste peste; mais aujourd'huy ce venin pullule par toute la terre habitable: le diable a rompu ses liens, l'enfer est ouvert, et nos crimes sont montez à tel point, que l'univers des-jà semble crouller ses fondemens, et ne faisons plus qu'attendre le feu vengeur du ciel pour renouveller les elements et purger les mortels dans la fournaise de l'ire de Dieu.
Que sont, je vous prie, tous ces devins, aruspices, magiciens, cabalistes, triacleurs, charlatans, maistres-mires et autres desesperez, sinon precurseurs de l'ante-christ[61], enfans perdus et fourriers de Sathan? Mais ce que je trouve de plus abominable aux escrits de ces curieux, c'est que pour fueilles de leurs hapelourdes, et pour mieux rendre plausibles leurs estranges maximes, ils osent se couvrir de l'authorité des pères et patriarches anciens, et les faire autheurs de leurs magiques piperies.
Ainsi, si nous croyons à ces blesches, Adam fut le premier inventeur de la caballe; ce fut en l'estude de cette doctrine qu'après sa chute le roy de l'univers trouva de l'allegement à sa douleur, et que par elle il vit en esprit prophetique que de sa race devoit naistre le Restaurateur du genre humain; ce fut par ceste fabuleuse magie qu'Enoch et Helie furent ravis, que Noé se sauva du deluge universel, et Moyse n'eust jamais fait de miracles en Egypte, en la terre de Cham, divisé les flots de la mer Rouge, fait sourcer les eaux des rochers, s'il n'eust estudié en ceste mystique science; ce fut par elle que Josué arresta le soleil au milieu de sa carrière, que Ezechias se prolongea la vie de quinze ans. Gedeon, Sansoh, Jepté, estoient de la première classe; Abraham en tenoit escole ouverte; Daniel et Joseph en apprindrent l'explication des songes; par elle, sainct Paul monta jusqu'au ciel, et luy furent revellez les secrets cachez au reste des hommes; par elle, les trois roys orientaux eurent l'honneur d'adorer des premiers le Sauveur en sa chreiche; c'estoit l'exercice des premiers anachorettes, et les apostres n'eussent eu jamais le don des langues qu'abreuvez de ceste ancienne et venerable discipline.
O blasphèmes! ô impietez! ô monarques! ô magistrats! laisserez-vous toujours ces monstres sur la terre? Ces diables incarnés, ces criminels de lèze-majesté divine, pollueront-ils tousjours impunement le ciel et la terre de leurs sorcelleries?
Et, Louys le Juste, sera-il dit qu'en la metropolitaine de vostre royaume, à la barbe du plus auguste de voz parlemens, sejour ordinaire de Vostre sacrée Majesté, tels endiablez ozent jetter leurs envenimées racines pour y commencer le règne du fils de perdition? Est-il point parvenu jusqu'en vostre Louvre le bruit commun des frères de la Rosée-Croix, bande infernalle, mortes payes de Sathan, brigade abandonnée, sortie de ces derniers temps des manoirs plutonniques pour achever de corrompre un tas de desbauchez qui courent le grand galop aux enfers, et dont les brutalles actions font voir combien peu ils estiment le salut de leurs ames?
Je raconteray icy deux histoires prodigieuses sorties de la boutique de ces nouveaux academiques, tesmoignées par plusieurs personnes dignes de foy.
Deux de ces rustres furent trouver l'un des premiers directeurs des fleurs de lys, dont la consommée doctrine et probité de mœurs sont les deux chandelliers d'or tousjours luysans devant l'image de Themis[62]. La harangue de ces striges et enchanteurs fut un tissu du grec de Demosthène, du latin de Ciceron, de l'arrabe d'Avicenne, de l'hebreu de Joseph; bref, tout le miel d'Hymette, toutes les fleurs du Parnasse, y estoient abondamment espandüs. Neantmoins cet esprit de calibre, ce jugement de fine trempe se douta de l'encloüeure, et recogneut en leurs discours quelque chose de sur-naturel. Après donc quelques complimens faits de bienseance, il les congedie, et leur fait promettre de le revoir en plus grande troupe. Partis que sont ces effrontez, ils rencontrent de hazard un certain senateur, dont la face morne et triste monstroit l'esprit n'estre en bonne assiette. Eux trouvant cet humeur propre à leurs malefices, ils l'abordent, l'appellent par son nom, feignent avoir estudié avec luy, le font ressouvenir de ses jeunesses passées, enfin s'informent de la cause de son ennuy. Il leur dit franchement qu'il estoit pressé de creanciers, et que ses debtes le reculoient de ses pretentions. Ils prennent l'occasion au poil, lui font offres de deniers et luy promettent de livrer à son simple cedule telle somme qu'il desire. Les remerciemens suivent les offres; ils se separent après s'estre dit reciproquement leur logis. Nostre conseiller demeure estonné de l'excessive liberalité de ces incogneus, ne se souvient point les avoir jamais pratiquez, et, contant le fait à plusieurs de ses amis, il eust langue que c'estoient les mesmes qui avoient fait la susdicte visite.
Ces deux juges se voyent, prennent resolution de donner la chasse à ces cabalistes, et pour ce subject y envoient le chevalier du guet et ses archers, qui, venus, frappent à la porte, font commandement d'ouvrir de par le roy. Les frères refusent l'ouverture, respondent insolemment; enfin, les portes rompues, ne se trouve en la maison que les murailles[63].
Un jeune homme de bonne maison, amoureux de la fille d'un droguiste, ne pouvant parvenir à ses desseins, tombe malade. Un des frères de la Rosée-Croix, desguisé en medecin[64], le va voir, luy dit la cause de sa maladie, luy promet la jouissance de ses desirs; enfin, ayant tiré son consentement, luy fait voir un demon succube souz la forme de la droguiste, qui abuse de ce miserable, puis le laisse aliené de son esprit.
Mille autres merveilles se racontent de ceste canaille, qui font assez cognoistre de quel esprit elle est poussée; mais surtout ne sont pas sans admiration les placards et affiches que ces beaux dogmatiseurs ont ozé apposer par les carfours et places publiques. En voicy la teneur[65].
«Nous, les deputez de nostre collége principal des frères de la Rosée-Croix, qui faisons sejour en ceste ville, visibles et invisibles, au nom du Très Haut, vers qui se tourne le cœur des justes, enseignons toutes sciences sans livres, marques ny signes, et parlons les langues des pays où nous habitons, pour retirer les hommes, nos semblables, d'erreur et de mort.»
En ce peu de lignes se remarquent de grands blasphèmes: premièrement, que ces prophanes font mine de s'enroller soubs le drapeau de la croix, que le prince des tenèbres, leur maistre, abhorre sur toutes choses;
Secondement, en ce qu'ils se disent invisibles quand ils veulent, qualité incommunicable à tout corps naturel qui consiste de matière et de forme, et qui ne peut s'acquerir par aucune science legitime;
Tiercement, se jactans d'apprendre toutes disciplines en un moment, sans livres, signes ni marques, ce qui surpasse l'esprit humain: car par épitomes et abregez se pourroit bien faciliter l'acquisition des sciences, mais encore seroit-ce successivement et avec le temps;
Quartement, s'approprians tous vocables et dialectes et parlans toutes langues, prerogative qui n'a jamais esté conferée qu'aux apostres, de la vie desquels ils sont bien esloignez.
Reste à conclure que telles gens ne sont pas envoyez de Dieu pour nous retirer d'erreur et de mort, mais suscitez de Satan pour traisner aux abismes les ames emportées de trop grande curiosité.
Or, avant que terminer cet examen, je veux faire un racourcy de toute la science cabalistique, et en rediger les preceptes, theorèmes et règles universelles.
Le principal donc de cet abominable collége[66] est Sathan, sçavant veritablement, n'ayant rien perdu par sa revolte de ses dons de nature.
Son A B C et premier document, c'est de renier Dieu, createur de toutes choses, blasphemer contre la très simple et individuë Trinité, fouler aux pieds tous les mistères de la redemption, cracher au visage de la mère de Dieu et de tous les saints.
Le second, abhorrer le nom chretien, renoncer au baptesme, aux suffrages de l'Eglise et aux sacrements.
Tiercement, sacrifier au diable, faire pacte avec luy, l'adorer, lui rendre hommage de fidelité, adulterer avec luy, luy vouer ses enfants innocens, et le recognoistre pour son bien faicteur.
Quartement, aller aux sabbats, garder les crapaux, faire des poudres venefiques, poissons, pastes de milet noir, gresles sorcières, dancer avec les demons, battre la gresle, exciter les orages, ravager les champs, perdre les fruits, meurtrir et martirer son prochain de mil maladies.
Voilà les fruicts plus suaves de ceste abominable magie; puis les bons compagnons demandent s'il est loisible de les faire mourir, si l'on doit proceder judiciairement contr'eux, et s'il n'est pas plus à propos de les renvoyer à leurs pasteurs et curez, comme gens estropiez de cervelle, que regler leur procez à l'extraordinaire!
O ames peu zelées de l'honneur de Dieu! sçachez que l'heresie et la sorcellerie sont deux monstres qu'on doit estouffer au berceau; ce feu gaigne bientost pays, et bientost ce venin se communique à toute la masse. C'est pourquoy les saincts cayers en conseillent l'extirpation en ces termes exprès: Maleficos non patieris venire (Exod. 22); et au Levitiq., 20: Anima quæ declinaverit ad magos et ariolos et fornicata fuerit cum eis, ponam faciem meam contra eam et interficiam eam de medio populi sui.
Role des presentations faictes au Grand Jour de l'éloquence françoise. Première assize le 13 mars 1634[67]. In-8.
S'est presenté le procureur des Pères de l'Oratoire, requerant que tous les mots de spiritualité quy sont dans les livres du feu cardinal de Berulle[68] soient tenuz pour bons françois.—Respondu: Soit communiqué au sieur Arsent[69] et au Père Binet[70].
S'est presentée la dame vicomtesse d'Auchy[71], requerant que toute l'Ecriture saincte soit traduicte en termes aussy doux que ceux qu'elle a employé en son livre, et que desormais ceux qui la traicteront par parolle ou par escript ayent à s'abstenir de plusieurs mots terminez en ment, comme categoriquement, substantiellement, et cætera.—R. Soit communiqué au syndic de la Faculté de theologie de Paris.
S'est presenté le sieur Montmor, le Grec[72], requerant pour monsieur le P. de N.[73] qu'il plaise à la compagnie de declarer que le françois du dict sieur P. de N. est de bon debit.—R. Soit communiqué à l'imprimeur Estienne.
S'est presentée la dame marquise de M.[74], requerant que, pour eviter les occasions de mal penser que donnent souvent les parolles embiguës, le mot de conception ne soit tenu pour françois qu'une fois l'an, et ce seullement à cause de l'epithète immaculée, et que, pour le surplus de l'année, à yceluy mot de conception soit subrogé celuy de penser.—Monsieur le president a demandé à ladicte dame en quel nom elle procedoit, et elle a repondu qu'elle requeroit seullement de son chef ce qu'elle croyoit importer à la pureté de la langue françoise.—R. La requerante fera apparoir de procuration de toutes les parties ayans interests à sa requeste, et ce dans huictaine pour tout delay, à peine d'estre deboutée.
S'est presenté Richard de Sainct-Felix, sieur de la Serre, fondé en procuration de tous les couchez sur l'estat de volerie, requerant que le vol ne fust pas cassé.—R. Remis au bon plaisir de Sa Majesté.
S'est presenté un capitaine licencié apportant sa lettre de licenciement, quy commence par: Nostre amé et feal, desquels mots il demande l'interprétation.—R. Renvoyé au conseil des despesches.
S'est presenté H. de Fierbras, cadet gascon, se faisant fort sur tous ceux de son pays, requerant qu'on n'ostast point le poinct à leur honneur, ny l'eclaircissement à leur espée.—R. Pour ce quy est du poinct, soit communiqué aux professeurs de mathematiques; pour l'eclaircissement, renvoyé aux fourbisseurs.
S'est presenté Jean le Preux, dict la Coque, sergent de la maistre de camp de Menillet, requerant que reiglement soit faict entre les soldats et les couriers pour le mot de poste.—R. Le sieur de Nouveau sera prié d'en conferer avec messieurs les marechaux de France.
S'est presenté noble Anthoine Partout, sieur de Passevolant[75], chevau-leger de Montestruc, menant par dessous les bras la demoiselle Niepce de la Guimbarde en simple coiffeure de nuict, eux requerant conjointement que, pour eviter à grands inconveniens, il plaise à la compagnie declarer que cornette est diminutif de cor ou de corps, et non de corne.—R. La compagnie, ayant esgard à l'interest que peuvent pretendre à ce mot messieurs les officiers de justice, a presentement deputé le sieur B. pour prier le sieur Gillot, conseiller en la cinquiesme des enquestes, d'en conferer à messieurs de sa chambre, et, en cas qu'ils se trouvassent partys et que, selon la coustume, l'affaire tombast à la première des enquestes, suffira que le dict sieur B. la recommande au sieur de *** conseiller, distribué en ycelle; que si, par proposition d'erreur contre l'arrest quy pourroit estre donné en ladicte première des enquestes, l'affaire doit estre terminée au conseil, ledict sieur B. solicitera à ce que le sieur *** soit donné pour rapporteur.
S'est presenté le sieur Rouillard, syndic des advocats, requerant qu'il soit declaré que, sans desroger à la pureté de la langue, les advocats auront droict de continuer à se servir de tous les mots de pratique, surtout de salvation, forclusion et autres en ion, même d'intimation avec son O, quy est ny en grec, ny micron, mais notoirement bon françois, puis qu'il donne à vivre à tant d'officiers du roy en cour souveraine, declarant excepter de sa requeste les mots de haro et de chartre, qu'il recognoist n'estre que de pratique normande.—R. La compagnie, sans avoir esgard à la requeste verbale dudict Rouillard, a ordonné que le jargon des advocats ne peut estre receu françois que sus lettres royales quy ne soyent ni obreptices ny subreptices.
S'est presenté le syndic des secretaires de Sainct-Innocent[76], requerant qu'il soit dit que le mot de secretaire ne peut signifier en bon françois le clerc d'un conseiller.—Respondu: Seront sur ce faites remontrances au roy de la Bazoche.
Se sont presentées plusieurs dames expressement revenues du cours pour requerir qu'elles peussent s'approprier le mot de ravissant[77] et l'appliquer à tout.—R. Accordé, reservée l'opposition des tresoriers.
S'est presentée une mercière du Palais, requerant qu'il fust declaré que c'est parler bon françois de dire qu'une dame porte un galand[78].—R. Accordé.
Se sont presentés... curateurs de la poesie du feu sieur de Malherbe, requerant qu'il soit declaré que les mots de face, canton et ligue, ne sont pas françois.—R. Pour le mot de face, sera escrit à monsieur de Marcheville pour le supplier d'en conferer avec le premier vizir, pour tascher de savoir si le grand Turc se le veut approprier privativement; pour les mots de canton et ligue, semblable despesche sera faicte à messieurs les ambassadeurs vers les Suisses et Grisons.
S'est presenté l'intendant des planettes, requerant que errer et tout ce qui en derive soit declaré n'estre pas injure en françois.—R. Accordé, en consideration du favory de la lune.
S'est presenté un novice en poesie, requerant, de peur de se mesprendre en chose d'importance, qu'il plaise à la compagnie desclarer quel genre sont les mots navire et affaire[79].—R. La compagnie surseoit à opiner sur sa requeste jusques à l'arrivée du sieur Racan[80].
S'est presentée la demoiselle de Gournay, requerant qu'on ne retranchast pas du bon françois les mots qu'elle a succé avec le laict, qu'elle pourroit soustenir signifier tout ce qu'ils veulent dire, declarant toutefois la dicte demoiselle que, pour eviter à procez quy finiroit à peine avant sa vie, elle ne demande en ceste premiere assize que le restablissement par provision de ains, jadis et pieça, bons et vieux gaulois, comme sçavent tous ceux quy ont leu les livres modernes[81].—R. Pour jadis et pieça, fins de non-recevoir; pour ains, soit communiqué au sieur abbé de Croisilles[82].
S'est presenté le procureur des Petites Maisons, requerant que le langage de l'Erty[83] ne fust pas supprimé.—R. Soit communiqué au sieur de Vaux[84].
S'est presenté Bocan[85], bon violon, requerant que bail à ferme n'aye point de pluriel, si bal pour dancer n'en a aussy, le tout pour eviter à noyse, quy arrive souventefois faute de s'entendre, luy requerant, quy n'a pas si bien en main le pied que la langue, ayant couru, il y a un peu plus de deux sepmaines, il ne sait quel hazard, pour avoir dict, selon qu'il luy vint à la bouche et sans premeditation, qu'un caresme prenant luy faisoit bien faire ses affaires, parce qu'il ne se faisoit point de baulx où, malgré les envieux, il ne fust appelé et prié d'y prendre telle part que bon luy sembleroit; un partyzan, quy par malheur estoit de la compagnie, et pour lors avoit baulx à ferme en teste, s'imagina à tort qu'yceluy requerant couroit sur ses marchez, et, preoccupé de passion nullement amoureuse, luy dressa une querelle où tout au moins la poche[86] dudict Bocan eust cassée esté, si par amis communs n'eust esté remonstré au partyzan que les baulx dont avoit parlé Bocan n'estoient que pour dancer, et non pas à ferme, ledict mot de baulx pouvant signifier les uns et les autres en pluriel, ce qu'ils le prioient de croire tout au moins par interim, jusqu'à la tenue des Grands Jours de l'eloquence françoise, à la première assise desquelz se chargeoit ledict Bocan d'obtenir pour ledict mot de baulx reiglement entre les partyzans et les baladins; accommodement quy fut enfin accepté respectivement, pour auquel satisfaire de sa part, conclut ledict requerant ainsy que dessus.—R. A cause de l'importance de ce quy est requis, est deputé le sieur de Bois-Robert pour en conferer avec le sieur de B.
S'est presentée Guillemine, la revenue recommandaresse de nourrices, exposant que, quand elle presente quelqu'une de sa cognoissance pour estre nourrice en bonne maison, la première demande qu'on fait à ladicte exposante est si la nourrice qu'elle recommande sçait bien parler françois, ce qu'elle ne peut ny ne doit garantir, mais seulement, ce quy est de son etat, que la nourrice a bon laict, est et sera tousjours, si Dieu plaist, de bonne vie, et mourra sans reproche: de quoi ne se contentent pas les monsieux, disant qu'il faut à leur enfant une nourrice quy parle françois, et encore immatriculée au secretariat des Grands Jours de l'eloquence françoise, quy sont qu'elle n'entend point; mais elle supplie qu'on ne luy oste pas sa chalandize.—R. Sans approuver le mot de recommandaresse que l'exposante prend pour qualité, à ce que soit promptement pourveu au cas par elle exposé selon son exigence, dans huictaine la compagnie donnera cognoissance des commissaires pour approuver les nourrices capables d'apprendre à parler aux petits enfans.
S'est presentée Perrette Lemaigre, doyenne des harengères de la halle, suppliant pour la My-Caresme.—R. Renvoyé après Pasques.
S'est presenté Gilles Feneant, sieur de Tourniquet, l'un des ordinaires de la maison du roy de Bronze, fondé en procuration du Filou et de Lanturelu, requerant qu'il plaise à la compagnie declarer que vrayement, C'est mon, Voilà bien de quoy, et toutes chansons de ceste sorte composées par quelques autheurs que ce soit, ne contiennent que bon françois.—R. Soit communiqué à Jean de Nivelle.
S'est presenté le sieur Renaudot, suppliant qu'on le desdommageast de la perte qu'il estoit contrainct de souffrir par l'establissement des Grands Jours de l'eloquence, evidente en ce que les Allemands et autres nations n'auront plus recours à son bureau[87] pour avoir adresses aux maistres de la langue françoise. Item a requis le sieurdict Renaudot qu'affin que la fille n'estouffast pas sa mère, le lundy soit jour de vacation pour Messieurs, comme samedy pour les predicateurs.—R. Communicquera ledict Renaudot ses griefs pretendus au procureur de la compagnie.
S'est presenté le sieur B., fondé en raisonnement, requerant que, sans interloquer ny deputer commissaire, soit declaré par la compagnie que le mot car[88] est bon et naturellement françois, et tout au moins très utile à la langue. Sur ceste requisition, a remonstré le sieur de Gomberville que, sauf meilleur advis, le sien estoit qu'il fust traicté de de, de du, de a, de au; articles il, le, luy, ils, les, leur, son et autres pronoms, le tout par preferance audict car, quy tout au plus, ce luy semble, ne pouvoit pretendre que conjonction. Monsieur le president a demandé au procureur de la langue ce qu'il concluoit, tant sur la requysition cy-dessus que sur la remonstration dudict sieur de Gomberville, lequel procureur a dit que pour le deu de sa charge il concluoit aux fins de la remonstrance dudict sieur de Gomberville, sans que toutesfois sa conclusion ne portast aucun prejugé au fond de l'affaire de car, mais seulement à ce que fust conservé son rang et ordre à chaque partie de la grammaire: à quoy la compagnie doit avoir principal esgard.—R. La compagnie a ordonné que sera procedé suivant les conclusions du procureur de la langue.
Finalement, a requis ledict procureur que naturalité fust naturalisée par la compagnie, parce qu'il en falloit des lettres à intriguer, agir, negotier, ministre, genie, parque, et à quantité d'autres necessaires, ce luy sembloit, à l'entretien des Grands Jours. R. La compagnie a naturalisé ladicte naturalité et ordonné au secretaire de la langue d'en expedier des lettres aux desnomés en la requysition cy-dessus.
Comme l'assize estoit preste à se lever, s'est presenté tumultuairement le sieur de l'Usage, declarant par le notaire le Peuple qu'il se portoit pour appelant devant quy il appartiendroit de tout ce quy seroit ordonné par Messieurs tenant les Grands Jours de l'eloquence françoise, si au prealable ne luy estoit communicqué en Cour, où il elisoit domicile.
La compagnie a dit que ne pouvoit pour le present estre opiné sur ceste affaire, parce que l'heure d'aller chercher à vivre venoit de sonner, après laquelle est arresté aucune affaire ne pouvoir estre traictée ny proposée, echeant besoin notoire à la plus grande partie de Messieurs de sortir precisement à icelle.
FIN.
Recit veritable du grand combat arrivé sur mer, aux Indes occidentales, entre la flotte espagnole et les navires hollandois, conduits par l'amiral Lermite, devant la ville de Lyma, en l'année mil six cens vingt-quatre[89].
A Paris, pour la vefve Abraham Saugrain, en l'isle du Palais.
M. DC. XXIV.
In-8o.
Amy lecteur, il est cogneu de plusieurs et diverses personnes de ces Pays-Bas que l'année 1623 il partit de ce pays de Hollande une flotte de douze navires, laquelle l'on nommoit la flotte incognuë, d'autant que l'on ne sçavoit où elle devoit aller. Elle partit de Hollande sous la conduite de l'admiral Lermyte, afin de mettre à execution ce qui leur avoit esté commandé par les très puissants seigneurs Messeigneurs les Estats, et par Son Excellence le très illustre prince d'Orange. Ils ont esté près d'un an sans que l'on aye peu sçavoir de certaines nouvelles d'eux; neantmoins, plusieurs personnes de ces Pays-Bas languissoient de sçavoir de leurs nouvelles[90], afin de comprendre leur dessein. A present, je veux faire entendre et sçavoir à un chacun ce qui est advenu auxdits navires. Il y a quelque temps qu'il arriva en Hollande et Zeelande quelques navires venans des Indes occidentales, lesquels faisoient entendre par certain bruit sourd qu'il s'estoit rendu un combat, mais qu'ils n'en sçavoient aucune certitude quoy et comment ledit combat se pouvoit estre fait; mais à present, afin de faire entendre amplement à un chacun la verité de ce qui est advenu en cedit combat, faut sçavoir que l'admiral Lermyte a envoyé une patache à Messeigneurs les Estats et à Son Excellence le prince d'Orange, afin de leur faire entendre et advertir de tout ce qui leur estoit advenu, et de la grande et nompareille victoire que Dieu tout-puissant leur avoit donnée contre la grande flotte d'Espagne. Les mariniers, lesquels sont venus dans ladite patache, rapportent avoir esté audit combat, et disent verballement qu'ils sçavoient trois jours auparavant qu'ils se devoient battre dans peu de jours, d'autant qu'ils estoient advertis que la flotte d'Espagne estoit devant la ville de Lyma, au nombre de trente navires[91], où ils nous attendoient pour nous battre, d'autant qu'ils sçavoient que nous n'estions que douze navires. Nostre admiral, en ayant esté adverti, dit qu'il les vouloit aller visiter, et pour cet effect fit venir à son navire le vis-admiral et tous les autres capitaines, lesquels, s'estans tous ensemblement juré serment de fidelité de s'assister les uns les autres jusques à la mort, prindrent resolution de ce qu'ils devoient faire[92]; par après un chacun se retira dans son navire, et mismes à la voille et prismes nostre routte tout droit à la ville de Lyma, de laquelle nous eusmes cognoissance au troisième jour, ensemble de la flotte d'Espagne, sur laquelle nous allions courageusement pour les attaquer. Les capitaines encourageoient tant les soldats que mariniers, d'une grande et vehemente affection, et en outre cela firent trotter les bidons pleins de bon vin deçà et delà, afin de nous resjouyr le cœur. Ceux de la flotte espagnolle, voyant cela, s'appretèrent incontinent pour nous venir battre, n'estimant pas que nous y fussions venus pour cet effect, et croyoient fermement qu'ils nous deussent supedier, d'autant qu'il y avoit longtemps qu'ils nous attendoient, et qu'aussi ils sçavoient que nous n'estions que douze navires. Leur conseil avoit arresté entr'eux que, sy nous ne les fussions venus chercher, qu'ils nous fussent venus chercher, d'autant qu'ils avoyent beaucoup ouy parler de nous. La flotte d'Espagne estoit composée de trente navires, et y avoit dans l'admirai bien au nombre de huict cens hommes, le vis-admiral cinq cens hommes, et tous les autres trois cens hommes à chacun. Ils furent incontinent prests pour nous venir visiter. Nos capitaines avoient fort bien arresté entr'eux l'ordre qu'ils devoient tenir, et, après nous estre jetté à genoux, fait nostre prière et invoqué Dieu, afin qu'il luy pleust nous donner la victoire sur nos ennemis, lesquels nous allions combattre pour la gloire de son nom[93], nous fismes voille, allans à l'encontre de nos ennemis, ayant le vent en pouppe. Ce que voyant, l'admiral espagnol en fut fort estonné; mais nous approchasmes fort près d'eux, de telle façon que nostre admiral et le navire nommé l'Unité de Encuise[94] s'en allèrent aborder l'admiral espagnol, le cramponnant chacun d'un costé, et posèrent incontinent leurs encres et tirèrent leurs canons dans iceluy si courageusement et furieusement qu'il y avoit du plaisir à le voir. Nostre vis-admiral, avec un autre de nos navires, abordèrent aussi le vis-admiral d'Espagne chacun à un costé. Nos autres huit navires, en ces entrefaites, se battoient sy vaillamment et furieusement parmi la flotte espagnole que la mer devint rouge du sang des Espagnols. Le combat ne dura pas demie-heure que l'admiral des Espagnols fut coullé à fonds, et le feu fut mis dedans le vis-admiral, qui brusloit; ce que voyant, nostre vis-admiral s'en alla attaquer un autre navire espagnol, lequel il accommoda de telle façon qu'il coulla aussi à fonds. Tous nos capitaines se deffendoyent courageusement comme des lions, et l'on ne voyoit personne avoir aucune crainte. Le combat ne durit pas deux heures qu'il y eut six navires espagnols bruslés et trois coullés à fonds. Les Espagnols nageoient par centeines dans la mer, et se grimpoient avec les mains à nos navires, comme des chats; le restant des Espagnols ne se vouloyent pas neantmoins rendre, d'autant qu'ils avoient encores beaucoup plus de navires que nous, mais au contraire se deffendoient vaillamment, combien qu'ils fussent fort estonnés, et tiroient le plus souvent par le dessus de nos navires sans nous faire du dommage, d'autant que nos gens se tenoient dessous leurs ponts, qui causoit que nous les endommagions grandement, et ne pouvions tirer sans les endommager. Ce combat durit s'y longtemps et de si grande furie que le sang sortoit de tous costés par les dallots hors des navires espagnols. Les Espagnols, voyans que nous continuions encores à les canoner furieusement et à bon escient, et ne pouvans remarquer qu'ils nous eussent fait du dommage remarquable, et au contraire, voyans leur admiral, avec plusieurs autres de leurs navires, tant coullés à fonds que bruslez, et le restant fort endommagez, brisez et fracassez, eurent de la frayeur et crainte, et disoient entr'eux: Ce ne sont pas des hommes, mais ce sont des diables. Aucuns d'eux se pensoient retirer vers la ville pour se garentir; mais ils en furent empeschés par nos navires. Les Espagnols, ne voyant aucun remède pour se sauver, reprindrent courage, et commencèrent de rechef à tirer, tant de coups de canons que mousquets, lesquels ne nous pouvoient endommager, d'autant que nous nous tenions bas. Finalement, ils mirent un sinal blanc, demandant paix. Nous leur demandasmes s'ils se vouloient rendre à nostre misericorde. Ils respondirent que non, d'autant qu'ils estoient encores en plus grand nombre que nous. Alors nous recommençasmes de nouveau à prendre courage et à tirer aussi furieusement qu'auparavant. Nostre admiral se trouva entre deux navires espagnols, auxquels il en donna tant à eux deux qu'ils ne durèrent guères dessus l'eau. Le dernier combat fut si heureux qu'en moins d'une heure il fut encore coullé quatre navires espagnols à fonds et sept de bruslez, tellement qu'il y a en tout vingt deux navires de perdus devant la ville de Lyma. Deux de nos navires furent brisés, mais les gens furent sauvez. Il y eut par ce moyen telle crainte et frayeur dans la ville que plusieurs prenoient la fuite, et y a apparence que, si nous nous fussions attacqués à la ville, que nous l'eussions prise, et y eussions trouvé des richesses extraordinaires; mais il nous fust besoin premièrement de nous reparer et rafraichir jusques au lendemain, qu'il estoit trop tard, d'autant qu'il estoit venu beaucoup de gens de la campagne pour secourir la ville en cas de necessité, et aussi que nos gens estoient assez contens de la grande victoire que Dieu nous avoit donné à l'encontre de nos ennemis. Nous en rendismes graces à Dieu, lequel nous prions de continuer à nous garentir de nos ennemis.
FIN.
Discours veritable[95] de l'armée du très vertueux et illustre Charles, duc de Savoye[96] et prince de Piedmont, contre la ville de Genève. Ensemble la prise des chasteaux que tenoyent les habitans de la dite ville, avec tout ce qui s'y est passé depuis le premier jour de juin dernier jusques à présent, par I. D. S., sieur de la Chapelle.
A Paris, pour Anthoine le Riche, rue S. Jacques, près les Trois-Mores. 1589.
Avec permission. In-8o.
Il n'y a rien plus vray que ce proverbe doré, et souvent recité par la bouche des hommes lettrez, par lequel il est dit que la conscience est plus que mille tesmoings, chose indubitablement aperte et manifeste en celuy qui se sent coulpable en soi-mesme, et qui a quelque ordure en sa fluste, comme l'on dit, lequel est tellement bourrellé en sa conscience cauterisée et vitieuse et esprouve jour et nuit de telle sorte les furieux assaux des sœurs Eumenides, qu'il luy est presque impossible de reposer asseurement sur l'une et l'autre oreille, estimant, par une deffiance trop demesurée, qu'à chaque bout de champ on tient propos de luy, et que tout ce qui se faict et passe est fait à son prejudice, confusion et desavantage, ce qui a esté pour vray remarqué et practiqué depuis deux ou trois moys en çà à l'endroit, je ne diray plus des politiques protestans pretendus et reformez de la ville de Genève, mais je diray pour adroit et useray du mot plus usité des huguenots, auxquels il faut imposer un nom nouveau, les appellant Henrions, diction insigne et memorable, à raison de son etymologie; et si quelqu'un demandoit: Pourquoy sont-ils dignes de telle appellation? il faudroit dire: Pour l'intelligence qu'ils ont toujours eüe avec les Henrys[97], ennemis de l'Eglise catholique, apostolique et romaine. Or, pour reiterer nostre propos, ce que dessus a esté merveilleusement bien experimenté en ces crapaux immondes et sales animaux nourris et alimentez des eaux infectes et puantes du lac de Genève: car, si tost que le roy catholique eut conjoinct sa fille du lien stable et indissoluble de mariage avec le genereux et bien zelé prince de Savoye[98], alors ils commencèrent d'entrer en je ne sçay quelle deffiance et soupçon d'esprouver bien tost combien est valeureux en faict de guerre un tel prince et combien poise son bras fort et belliqueux; et, pour se delivrer de telle crainte, ils firent quelque levée, et, par certaine surprise et subtil stratagème, saisirent le fort de Ripaille[99], appartenant au magnanime duc de Savoye, auquel lieu ils trouvèrent assez bonne quantité de vivres et force munitions de guerre, et, outre plus, s'emparèrent de quelques vaisseaux jà appareillez et flottans sur l'eschine du lac spatieux de Genève. Mais telle surprise et ruse bellique de peu d'importance n'empescha point que le prince debonnaire ne soit enfin venu à bout de ses justes et heureux desseins[100].
Car tout incontinent que Son Altesse eut esté advertie de la prise du dit chasteau et fort de Ripaille, à l'heure mesme se delibera de dresser ses forces, et manda Monsieur le grand lieutenant general de son armée, lequel s'achemina à grande diligence, accompagné et assisté de quatre mille Piedmontois, deux mille de la val d'Oste et de trois mille Espaignols, soustenus de deux mille cavaliers italiens, joint un regiment de Bourguignons: de sorte que le tout se pouvoit bien monter jusques à dix-huict mille hommes.
Et s'estant, par le vouloir du bon Dieu, le prince zelé et magnanime en peu de jours joint à son lieutenant general, sans aucun sejour s'achemina droit au chasteau de Terny[101] (qui est distant de la ville de Genève d'une lieue ou environ), lequel fort ayant industrieusement assiegé, le fit sommer environ le quatorziesme jour de juin; mais, nonobstant ceste première sommation, les assiegez ne firent aucun estat d'obtemperer aux volontez du dict prince.
Après l'advertissement fait à Son Altesse de la contumacité, refus et rebellion des luteriens, se delibera et fut d'advis d'y envoyer nombre suffisant de canon, ce qu'il fit, et de rechef les fit sommer, qui estoit jà pour la seconde fois.
A quoy ne voulans entendre en façon quelconque, mais demeurans resolus et constans en leur perverse et maudite volonté, trouva le prince de Savoye juste et legitime argument de reprimer leur audace, commandant de les battre à coups de canons, et leur disant: Jusques à quand, paillards de Genève, abuserez-vous de nostre faveur et patience?
Les assiegez furent chargez de telle sorte par la main forte du Tout-Puissant, qu'ils furent enfin contrains, considerant que leurs forces n'estoient bastantes pour resister après avoir receu tant de canonades, finalement se soumettre à la mercy et devotion de Son Altesse.
Laquelle, après qu'elle eut cogneu par tant de fois l'opiniastreté et resistance de son ennemy, jaçoit qu'il se voulut rendre par composition et se ranger au vouloir de sa susdicte Majesté, si est-ce que toutesfois, eu esgard au refus et bravades faictes assez obstinement par deux fois, telle fut sa volonté, et tel son plaisir, en faire mourir en l'air une grande partie, de manière que ilz furent pendus et estranglez jusques au nombre de quarante neuf à cinquante des plus signalez et remarquables du chasteau, affin puis après de servir d'exemple aux aultres, qui, se mirant desormais sur telles canailles, se vouldroient ingerer d'algarader les princes chrestiens et catholiques fidelles serviteurs de Dieu, qui, comme fermes colonnes de sa vraie et antique religion, ne feroient difficulté par cy après, si le cas le requeroit, d'emploier leurs biens, voire leur propre vie, pour telz louables exploits et dignes entreprises.
Le reste fut taillé en pièces, après avoir faict mille resistances sur l'esperance vaine et inutile d'avoir quelque secours de leurs confederez, complices et coadjuteurs de la ville de Genève, sur lesquels ils avoient plus d'esperance que non pas sur la bonté infinie et indicible de nostre bon Dieu, doux, benin et misericordieux, lequel pouvoit bien lire dans leurs consciences perverses et malefices, les salaria du guerdon dignes de telles pestes, et tous leurs vains efforts n'ont en rien empesché que nostre bon Duc ne les ait gouvernez ne la verge de fer et qu'il ne les ait plus facilement fracassez que le vaisseau du potier.
Peu de temps auparavant, les crapaux enflez du lac de Genève avoient fait demolir et raser à fleur de terre toutes les maisons situées sur le pont d'Erve[102], qui peut estre distant de la ville environ deux fois la portée d'un mousquet, et ce à telle fin et intention d'y faire dresser un fort que l'on dit estre desjà edifié, et outre plus estre totallement inaccessible, qui occasiona le prince, suyvant le rapport qu'on luy en avoit faict, de se resouldre à l'instant de l'aller saluer de ses trouppes; et pour ce faire il envoya les regiments du seigneur de Disimieux et du seigneur de La Grange, gentils hommes notables, et non moins experimentez en l'art militaire que bien zelez au faict de la religion, lesquels avoient chacun un des beaux regimens qu'on puisse jamais avoir veu depuis la memoire des hommes, et estoient naguères arrivez du Lyonnois pour aller recognoistre la place. Le vingt et deuxiesme du dit mois, ils commencèrent la première escarmouche, qui dura l'espace de cinq grosses heures, et nos ennemis furent chargez de telle furie, par l'aide de Dieu, qu'enfin ils ne trouvèrent rien plus commode pour leur advantage, sinon de se mettre à couvert dans leur fort, où, pour obvier à la perilleuse gresle qui menaçoit leurs oreilles empoisonnez, se retirèrent au petit pas; mais au preallable de ce faire, on trouve qu'ils avoient bien perdu de leurs gens pour le moins deux cens hommes de guerre.
Le lendemain, qui estoit le 23 du mois, nos gens retournèrent de rechef pour leur faire quitter leur fort, et lors ils cogneurent que c'est une chose merveilleusement dure, pierreuse et ferme en la faulse opinion que le cœur de l'heretique, accompagné et aveuglé tousjours d'une temerité outrecuidée, de sorte que ce n'est pas sans juste occasion que sainct Augustin dit ces mots en son 22e livre contre Fauste. Car il faut entendre que les canonnades envoyées de la part des nostres ne les esmouvoient non plus qu'une pierre, tant y a qu'ils receurent une seconde charge quatre heures durant; mais par ce que les deux susdits regimens n'avoient bastante quantité de canon, ils ne peurent passer plus outre[103].
De façon qu'ayant rebrousé chemin vers le village de Coulonge, il arriva, par cas fortuit, que ceux du chasteau de la Pierre firent une sortie sur nos gens avec les paysans du dit lieu, qu'il fault quilz confessent qu'ilz furent maniez furieusement; toutes fois que, si n'eussent tourné le doz, difficilement eussent-ilz peu aller dire des nouvelles de tout ce qui s'est passé en ce lieu aux Genevois. D'abondant on a remarqué que, par la violence des harquebousades tirées de part et d'autre, le feu se mit dans les villages de Coulonge, par permission divine, chose, à la verité, terrible et espouvantable à voir, où il y eut plus de deux centz maisons bruslées; et tout esprit conduict de pieté n'estimera jamais autrement que ce ne fust une punition envoyée d'en haut pour les pechez enormes de telle raquaille de Genève; que si l'on vouloit s'amuser à faire une narration de tous les vices auxquelz ilz se veaultrent journellement comme pourceaux, certainement ce ne seroit jamais faict, et enfin on ne trouveroit autre chose, sinon un progrès. Toutefois, on remarque principalement un vice leur estre entre autres fort commun, sçavoir est la paillardise; et toute leur intention et desseins tendent signamment à pouvoir entretenir leurs appetiz charnelz et desordonnez, et ne me peux persuader qu'il y ait peuple soubs la voulte du ciel encore plus addonné aux incestes que ce peuple de Genève, comme de faict il est appert par leurs loix et coustumes, qui portent que le cousin germain peut avoir affaire à sa cousine germaine, le frère à sa sœur, et (s'il faut ainsi parler) le père à sa propre fille, disans que l'inceste n'est pas defendu de Dieu, mais de l'Eglise seulement, et mesme que c'est mesme chose d'abuser d'une seculière ou d'une sacrée fille de religion, d'une qui ne nous est parente ou d'une de nostre sang, en quelque degré que ce soit.
Et je donne à penser, suyvant ceste malheureuse et meschante coustume, combien de mariages illicites se traitent journellement entre gens de semblable farine. Que si quelque jeune femme mariée, aiant un mary de bonne foy, est une fois ensorcelée et tant soit peu encharmée des enchantemens de leur doctrine, si faire se peut ils la seduisent, luy preschant si dextrement à leur mode la voye de salut, qu'ils la retirent de la compagnie de son vray mary, de sa puissance et de son authorité, et la mainent à l'infame bordeau de Genève, où, par une devote charité, ils paillardent ensemblement, couvrant toutesfois leur mal-heureux adultère d'un faux et simulé mariage. Je laisse une si longue diggression, appartenant plustost à l'orateur qu'à l'historiographe, pour revenir à mon propos et à la vehemence du feu eslancé par le vouloir de Dieu sur le village de Coulonge, et, bien que ce ne soit une chose non encore veue que de voir embraser les villes et villages, si est-ce que toutesfois je veux bien advertir cette pernicieuse ville de Genève qu'elle prenne garde à elle, à laquelle il pourroit bien arriver semblable inconvenient, comme il arriva à Sodome et Gomorre; et faut estimer que le feu de Coulonge n'est qu'un commencement et rien plus qu'une menace ou un signe evident de la perte et ruine totale d'un tel bordeau. Partant, je luy mettray ce vers en avant comme en façon d'advertissement:
Tunc tua res agitur, paries cui proximus ardet.
D'avantage l'experience, maistresse des choses, nous fait sage et nous apprend journellement que nostre Dieu a de coustume de punir griefvement les pecheurs et delinquans par les mesmes choses contre lesquelles le peché est commis; comme, pour exemple, nous avons veu depuis quelque temps en çà que le plus inique tyran que la terre jamais porta, pour s'estre attaqué trop irraisonnablement à l'Eglise, faisant malheureusement assassiner les princes debonnaires et chefs de la religion, enfin luy-mesme a perdu la vie par le moyen du plus humble et plus simple serviteur de l'Eglise de Dieu. N'est-ce pas donc chose raisonnable, et voire plus que raisonnable, puisqu'il est ainsi que ce peuple malheureux de Genève ne cesse journellement de blasphemer contre le sainct feu, qui est le purgatoire, voulant tollir et du tout abolir son estre, soit aussi griefvement puny par le feu mesme, et voire en ce monde present aussi bien comme en l'autre?
Or, pour reprendre le fil de nostre discours, le premier jour du moys[104] en suivant l'on retourna assieger le dit chasteau de la Pierre, et après que nos gens eurent bien descouvert jusques à seize enseignes que ceux de Genève y avoient envoyez pour la defense et tutèle de la place, nostre bon et magnanime duc de Savoye en ayant eu advertissement, aydé du Tout-Puissant, les approche, et avecques ses forces donna si vivement dessus qu'il y eut perte pour eux bien de quatre à cinq cens hommes, le reste se retirans dans la ville de Genève avec ung regret et remors de conscience d'avoir perdu une si forte place par le sainct vouloir de Dieu, se servant de la vaillance d'un si vertueux et fidelle prince, à la devotion duquel le chasteau fut remis.
Ces choses ainsi considerées, Son Altesse, voyant que Dieu, premierement la fortune de toutes les aultres choses, favorisoit ses entreprises, fait faire un fort[105] distant de la ville de Genève environ une lieüe françoise, pour empescher qu'il ne puisse y aller ny venir chose quelconque, tant à l'advantage de ceux de la ville que au detriment et prejudice de nos gens, tellement que il nous fault entrer en ceste bonne et saincte esperance que le vertueux duc de Savoye, moyennant l'ayde de Dieu, pourra, par trait de temps, venir à bout de ses très heureux desseins à son advantage et au dam des Genevois, lesquelz veritablement semblent presque vouloir declarer la guerre au Dieu vivant, non plus ny moins que jadis les enfans de la terre taschèrent par trop temerairement d'extorquer le sceptre des mains de Jupiter, amasser montagnes sur montagnes, et tout ce que nous esperons de ce vertueux prince, nous le devons par mesme moyen esperer des autres princes catholiques et zelez, lesquels nostre Dieu a choisis pour la defense de la saincte religion, sur la fidelité desquels reposons, nous disans avec David: Il est bien vray que nos ennemis pourront faire quelques bresches aux murailles de nostre fort, et que nous y aurons des assaux terribles; mais ils ne le pourront forcer, car avec nous defendra la brèche l'ange invincible, lequel eut victoire sur les Assyriens et les mit en route (2, Paralipo., 32), lequel pareillement seul mit à mort cent quatre vingts et cinq mille hommes de l'armée du roy Sennacherib (des Rois, 19), et se faut attendre que le vaillant capitaine lequel deffit la superbe et espouvantable armée en la mer Rouge y combattra avec nous (Exod., 14). C'est le tout-puissant capitaine, lequel, d'un seul coup de langue qu'il donna contre une cohorte de juifs tous armez, les rua par terre et les renversa du son seulement de ces deux mots: Quem quæritis; de façon que, estans ainsi bien accompagnez, nous n'avons occasion de craindre; mais avec une telle asseurance nous ne devons laisser de nous adresser à la divine Majesté, laquelle nous prions tous unanimement qu'il luy plaise, par sa bonté infinie et misericorde, garder et maintenir ce preux et vaillant chef de guerre, monseigneur le prince de Piedmont, lequel, comme nous sommes bien asseurez, ose bien exposer sa vie pour la querelle de Jesus-Christ et pour la manutention de l'Eglise catholique, et avec luy tous les autres princes catholiques, lesquels journellement se hazardent pour la mesme fin, postposant leurs biens et leur vie à la defense et protection de la très juste querelle de Dieu et soulagement du pauvre peuple.
FIN.
Histoire miraculeuse et admirable de la contesse de Hornoc, Flamande, estranglée par le diable dans la ville d'Anvers, pour n'avoir trouvé son rabat bien godronné[106], le quinziesme avril 1616.
A Lyon, par Richard Pailly.
M.D.C.XVI.
Avec permission. In-8o.
Le luxe a esté de tout temps si depravé, par devant les femmes principalement, qu'il semble qu'elles se soyent estudié le plus à ce subjet qu'à autre chose quelle qu'elle soit. Ceste laxive Egypsienne, Cleopâtre, ne se contentoit de porter sur soy à plus d'un million d'or vaillant des plus belles perles que produit l'Orient, mais en un festin elle en faisoit dissoudre et manger à plus de vingt-mille escus à ce pauvre abusé de Marc-Antoine, à quy à la fin elle cousta l'honneur et la vie.
Je laisse une infinité d'histoires qui serviroient à ce subjet, pour racompter ceste très veritable, modernement arrivée à Anvers, ville renommée et principale de la Flandre.
La comtesse de Hornoc, fille unique de ceste illustre maison, estoit demeurée riche de plus de deux cent mille escus de rente; mais elle estoit fort colerique, et lorsqu'elle estoit fort en colère, elle juroit et se donnoit au diable, et outre ce elle estoit très ambitieuse et subjette au luxe, n'espargnant rien de ces moyens pour se faire paroistre la plus pompeuse de la ville d'Anvers.
Au mois de decembre dernier, elle fut convoyée en un festin qui se faisoit en l'une des principales maisons, où, pour paroistre des plus relevées, elle ne manquoit à ce subjet de se faire faire des plus riches habits et des plus belles façons qu'elle se pouvoit adviser, entre autres des plus belles et deslies toilles, dont la Flandre, sur toutes les provinces de l'Europe, est la mieux fournie pour se faire des rabats des mieux goderonnés. A ces fins, elle avoit mandé querir une empeseuse de la ville pour lui en accommoder une couple, et qui fussent bien empesés. Cette empeseuse y met toute son industrie, les luy apporte; mais, aveuglée du luxe, elle ne les trouve point à sa fantaisie, jurant et se donnant au diable qu'elle ne les porteroit pas.
Mande querir une autre empeseuse, fit marché d'une pistole avec soy pour luy empeser un couple, à la charge de n'y rien espargner. Ceste y fait son possible; les ayant accommodés au mieux qu'elle avoit peu, les apporte à ceste comtesse, laquelle, possedée du malin esprit, ne les trouve point à sa fantaisie. Elle se met en colère, depitant, jurant et maugreant, jurant qu'elle se donneroit au diable avant qu'elle portast des collets et rabats de la sorte, reiterant ses paroles par plusieurs et diverses fois.
Le diable, ennemy capital du genre humain, qui est tousjours aux escouttes pour pouvoir nous surprendre, s'apparut à ceste comtesse en figure d'homme de haute stature, habillé de noir; ayant fait un tour par la salle, s'accoste de la comtesse, lui disant: Et quoy! madame, vous estes en colère? Qu'est-ce que vous avez? Si peux y mettre remède, je le feray pour vous.—C'est un grand cas, dit la comtesse, que je ne puisse trouver en ceste ville une femme qui me puisse accommoder un rabat bien goderonné à ma fantaisie! En voilà que l'on me vient d'apporter. Puis, les jettant en terre, les foulant aux pieds, dit ces mots: Je me donne au diable corps et âme si jamais je les porte.
Et ayant proferé ces detestables mots plusieurs fois, le diable sort un rabat de dessous son manteau, luy disant: Celuy-là, madame, ne vous agrée-t-il point?—Ouy, dit elle, voilà bien comme je les demande. Je vous prie, mettez le moy, et je suis tout à vous de corps et d'âme. Le diable le luy presente au col, et le luy tordit en sorte qu'elle tomba morte à terre, au grand espouvantement de ses serviteurs. Le diable s'esvanouyt, faisant un si gros pet comme si l'on eust tiré un si grand coup de canon, et rompit toutes les verrines de la salle.
Les parens de la dite comtesse, voulant cacher le faict, firent entendre qu'elle estoit morte d'un catharre qui l'avoit estranglée, et firent faire une bière et firent preparer pour faire les obsèques, à la grandeur comme la qualité de telle dame portoit. Les cloches sonnent, les prêtres viennent. Quatre veulent porter la bière et ne la peuvent remuer; ils sy mettent six... autant que devant; bref, toutes les forces de tant qui sont ne peuvent remuer ceste bierre, en sorte qu'ont esté contraint d'atteler des chevaux; mais pour cela elle ne peut bouger, tellement que ce que l'on vouloit cacher fut descouvert. Toute la ville en est abrevée; le peuple y accourut. De l'avis des magistrats, on ouvre la bière: il ne se trouve qu'un chat noir, qui court et s'evanouyt par dedans le peuple. Voilà la fin de ceste miserable comtesse, qui a perdu et corps et âme par son trop de luxe.
Cecy doit servyr de miroir exemplaire à tant de poupines qui ne desirent que de paroistre des mieux goderonnées, mieux fardées, avec des faux cheveux et dix mille fatras pour orner ce miserable corps, qui n'est à la fin que carcasse, pourriture, pasture de vers et des plus vils animaux. Dieu leur doint la grâce que ceste histoire leur profite et les convie à amender leurs fautes!
Ainsi soit-il.
FIN.
Discours au vray des troubles naguères advenus au royaume d'Arragon, avec l'occasion d'iceux et de leur pacification et assoupissement, tiré d'une lettre d'un gentilhomme françois, estant à la suyte de Sa Majesté Catholique, à un sien amy.
A Lyon, par Jean Pillehotte, à l'enseigne du Nom-de-Jesus. 1592.
Avec permission. In-8o[107].
Monsieur et frère, je commenceray la presente pour responce à ce qui est contenu à la fin de celle que j'ay receu de vous du xviij du moy passé, et pour satisfaire à la curiosité que monstrez avoir d'avoir quelque lumière des bruits que l'on faict courir des esmotions, non pas de Valladolid (comme me mandez), mais de Sarragoce, ville capitalle du royaume d'Arragon. Je vous diray qu'il y a environ vingt ans que le roy tenoit à son service un nommé Antonio Perès, lequel il avoit faict son secretaire d'estat, et l'avoit tellement receu en sa grace, que, pour la bonne opinion qu'il avoit conceue de luy, il se reposoit d'une bonne partie de ses plus importans affaires sur sa suffisance et fidelité, tellement qu'il estoit recherché d'un chacun (grands et petits) pour la grande creance que son maistre avoit en luy plus que personne de toute la court. Après s'estre longuement maintenu en cest estat, n'estant pas donné à un chacun d'user en la bonne fortune de la prudence et moderation qui y est requise, il devint si glorieux et insupportable, qu'il se rendoit fort mal voulu des gens de bien, et, non content de ce, s'oublia de tant que de commettre beaucoup de choses desquelles Sa Majesté (avec beaucoup de raison) demeuroit offencée, et telles y en avoit-il qui meritoient une griefve punition, voyre de la vie. Toutesfois, le tout averé, elle se contenta de le faire sortir de sa court et retirer en sa maison, où il jouyssoit de ses biens, qui estoient très grands, pour avoir receu beaucoup de bienfaits pendant qu'il estoit en grace, et de sa femme et enfans fort paisiblement, sans qu'il fust inquieté en manière quelconque. Neantmoins, sa conduicte fut si mauvaise, et y usa de si peu de prudence, que, pour justiffier son eslongnement, il blamoit et accusoit sa dicte Majesté d'ingratitude, detractant de luy plus licentieusement qu'il n'appartient à un subject qui avoit receu tant de biens et honneurs de son maistre, desquels il estoit descheu par ses mauvais deportemens, et aucuns adjoustent qu'il faisoit des deservices prejudiciables à l'estat de son prince; ce qu'estant venu à sa cognoissance, il l'envoya prendre en sa maison, le fit mener en ceste ville, mettre en une maison où il estoit bien logé[108], et mis soubz la garde de quelques uns qui furent commis à ce[109]. On luy permit de jouyr de la presence et compagnie de sa femme, ses enfans, et de ceux qui le vouloient aller visiter, sans luy donner aucun empeschement en la jouyssance de ses biens, et ne voulans qu'il fust fait plus ample information de ses delicts, ni que l'on procedast à l'encontre de luy criminellement, comme il avoit suffisamment de quoy, et pour luy faire perdre la vie. Il demeura long-temps en cest estat[110], jusques à ce que, s'en ennuyant, il trama avec sa femme de se sauver, laquelle, saige et accorte, desireuse de complaire à l'intention de son mary, sceut si bien entretenir ses gardes un soir qu'il fist le malade, qu'il eust moyen de se sauver en habit d'une des servantes de la dicte femme[111], et, estant aidé de chevaux, s'en alla d'une traicte (en la diligence que pouvez penser) à dix lieux d'icy, où il print la poste pour gaigner Sarragoce, de cela il y a peu moins de deux ans, et, y estant arrivé, se presenta à la justice du lieu, remonstra qu'il estoit natif du païs d'Arragon, que l'on l'avoit detenu injustement en prison un long temps par deçà, et qu'ayant trouvé moyen d'eschapper, il se mettoit entre leurs mains, les prioit de luy conserver son innocence, et ne point souffrir qu'il fust traicté contre les priviléges desquels ont accoustumé de jouyr ceux du dict païs d'Arragon: à quoy il fut receu, et par ceremonie mis en prison en la dicte ville. Les officiers de laquelle (jaloux de la conservation de leurs dicts priviléges plus que de leurs femmes mesmes) envoyèrent incontinent des deputez au roy[112], pour l'advertir de ce qui s'estoit passé avec le dict Antonio Perès, promettans, s'il avoit delinqué, d'en faire la justice par la rigueur des loix du pays, lesquelles ne permettent qu'un gentilhomme puisse estre puny de mort ni ses biens confisquez, pour quelque crime et forfaict que ce soit. Sa Majesté les loüa de l'avoir retenu prisonnier, mais monstra desirer qu'il fust ramené par deçà; à quoy ils ont tousjours contredict, comme chose repugnante à leurs dicts priviléges: de manière que, pour tirer ledict Perès de leur pouvoir et le mettre ès mains de la justice de sa dicte Majesté au dict lieu de Sarragoce, il fut ordonné au vice-roi de là de le faire transporter de la prison où il estoit en un lieu hors la ville, qui est en forme de chasteau, où se mettent ceux qui sont accusez de l'inquisition[113], ce qui fut executé au mois de juillet dernier; mais ses parens et amis firent telle clameur parmy le peuple que l'on leur vouloit oster leur liberté et priviléges, leur remontrans le mal qui en resulteroit s'ils enduroient ce qui estoit advenu, qu'à l'instant plus de six mil hommes prindrent les armes, accoururent au logis du gouverneur, où estans entrez de force, ils tuèrent quelques uns de ses gens et le blessèrent, de sorte que quelque temps après il mourut[114]; furent aux maisons des juges de l'inquisition, les contraignirent, les armes à la gorge, de sortir le dict Perès du lieu où il avoit esté mené, et le remettre en leurs mains, et, s'imaginans que le roy, pour avec plus d'apparence le pouvoir faire mourir, vouloit qu'il fust accusé par devant les dicts juges de l'inquisition, voulurent qu'il fust examiné par eux sur toutes choses qui concernent la dicte inquisition, et le firent declarer innocent et exempt d'en estre recherché. Depuis, au mois de septembre, sa dicte Majesté, estant mal satisfaicte de ce qui s'estoit passé, commanda à ceux qu'elle sçavoit luy estre obeissans, de tirer de nouveau le dict Perès du lieu où il estoit gardé, pour le remettre en l'autre où auparavant elle avoit ordonné qu'il fust conduict; à quoy ceux auxquels ce commandement s'adressa desirans d'obeyr, et neantmoins doutans qu'il ne se peust faire seurement sans estre assistez de forces, firent mettre en armes un bon nombre d'hommes, pour, à l'aide d'iceux, executer ce qui leur estoit ordonné. Mais le peuple et ceux qui avoient esté autheurs de la première esmotion, en ayans eu le vent, mirent ensemble cinq ou six mil hommes[115], vindrent avec les autres aux mains, où il y en eust plusieurs tuez et blessez, bruslèrent le coche dans lequel on avoit deliberé de mettre le prisonnier[116], et de la mesme furie allèrent à la prison, le mirent dehors, et avec luy quelques autres coupables de la vie, et leur firent fournir chevaux pour se sauver, comme ils firent, et dit-on qu'ils se sont retirez en France[117]. Ceste audace meritoit (comme pouvez presumer) le juste courroux d'un grand roy, qui, se faisant obeyr et respecter aux parties les plus eslongnées de la terre, souffroit un mespris de ses subjects si près de luy; neantmoins il y proceda avec tant de doulceur que, sur les remontrances qui luy en furent faictes, il dict qu'il sçavoit bien que parmy les bons il y avoit tousjours des mauvais; que l'on fist recherche de ceux qui avoient esté autheurs de ces esmotions; que l'on en fist la justice, moyennant quoy il estoit content d'oublier ce qui s'estoit passé. Mais ceste commune, enyvrée en ses debordemens, ne pouvant ouyr parler de la justice, disant aussi que ce qu'ils avoient faict n'avoit esté que pour maintenir leurs priviléges, et que les loix d'Arragon ne souffriroient qu'un gentilhomme, pour quelque crime que ce fust, peut mourir par justice, se rendirent si obstinez, fermans les oreilles à toutes les propositions, douces et aigres, mesmes retenans par force les princes, seigneurs et gentilz hommes du pays qui pour lors se trouvèrent en leur ville, disans que puisqu'il alloit en ce faict de la conservation de leurs priviléges, il falloit qu'ils les assistassent, ayans aussi semond, non seulement les autres villes d'Arragon d'entrer avec eux en la dicte deffence, mais aussi le royaume de Valence et de la Cathalogne, qui jouyssent des mesmes droits qu'eux, lesquels toutesfois les ont abandonnez en leur mauvaise cause, que Sa Majesté a esté contraincte, pour reprimer telles insolences, de faire tourner la teste à une armée de dix mil hommes de pied et deux mil cinq cens chevaux (tous Espaignolz)[118] qui avoient esté levez l'esté passé pour nostre secours[119], comme je peux le vous avoir cy devant escript, de ce costé là, à laquelle ils se sont voulu opposer, ayans créé d'entre eux par force un pour leur chef[120] (s'estans ceux que j'ay dict cy-dessus avoir esté retenus, sauvez de diverses façons en habitz desguisez), avec lequel ils allèrent en nombre de cinq ou six mil, à trois ou quatre lieües de la dicte ville de Sarragoce, en intention de defendre le passage d'un pont à la dicte armée[121]; mais leur dict chef, non consentant en leurs folies, faignant les mettre en ordre pour combattre, monté sur un bon cheval, les laissa et se retira avec ceux du roy en icelle, dont estonnez, sans sçavoir à quoy se resouldre, se retirèrent en leur ville fort troublez, où ils furent suyvis de la dicte armée, laquelle, à l'intercession des gens de bien, y est entrée sans avoir trouvé aucune resistance, ni usé d'aucune violence ni extorsion. Voilà comment ce faict s'est passé, avec beaucoup d'honneur et de reputation de ce bon roy, lequel tout ensemble faict cognoistre à ses subjects sa douceur et clemence[122], encores qu'il tienne en la main de quoy les chastier rigoureusement. Voilà la verité de l'histoire, que je vous prie de communiquer aux amys, et me conserver en leurs bonnes graces, comme je desire (Monsieur et frère) demeurer pour tousjours en la vostre. De Madrid, ce xxj de novembre 1591.
Recit naïf et veritable du cruel assassinat et horrible massacre commis le 26 aoust 1652 par la compagnie des frippiers de la Tonnelerie, commandés par Claude Amand, leur capitaine, en la personne de Jean Bourgeois, marchand espinglier ordinaire de la royne, bourgeois de Paris, aagé de trente-deux ans; tiré des informations et revelations faites en suite des monitoires obtenus et publiez en aucunes des parroisses de ceste ville de Paris[123].
Le 15 dudit mois d'aoust, ledit Bourgeois[124] se rencontrant, près Sainct-Eustache, sur le pas de la porte du sieur Deganne, marchand, comme les frippiers de la Tonnellerie revenoient de garde de la porte de Montmartre, un passant luy demanda quelle compagnie c'estoit, auquel il repondit: C'est la synagogue[125]. Ces paroles, quoyque dites assez bas et sans dessein de les offenser, furent pourtant entendues par aucuns d'eux, qui se saisirent aussitost de luy, l'outrageant de coups de hallebardes et de fusils, lui baillèrent quelques soufflets, et le menèrent, suivant leur marche, chez ledit Amand, leur capitaine, où, après plusieurs mauvais traitements, ils le contraignirent de se mettre à genoux, et en cette posture leur demander pardon et faire amende honorable, le menaçant de le tuer à faute de le faire. Pendant que cela se passoit ainsi, plusieurs frippiers s'attroupèrent, avec leurs femmes et enfants, au devant de la maison dudit Amand, criant tous d'une voix: Il le faut tuer, parcequ'il a offensé tout nostre corps! Ce qui obligea ledit Bourgeois d'attendre la nuit pour se retirer à la faveur d'icelle et eviter leur fureur[126]. Ce n'est pas là tout: leur insolence naturelle passa outre. Dès le lendemain, ils se mocquèrent de luy, et, en toutes occasions où il se rencontroit depuis dans les rues, ils le faisoient railler, contrefaisant les soumissions qu'il leur avoit faites, et les faisans passer pour une reparation authentique, à la honte et confusion dudit Bourgeois, qui, se voyant si mal mené et ressentant de plus en plus les excez et meurtrissures qu'il avoit receues sur son corps, se resolut d'aller au conseil, par l'advis duquel il trouva à propos de se pourvoir par justice. Il fit sa plainte par devant le baillif du For-Levesque, l'injure ayant esté faite sur les terres dependantes de sa juridiction. Il obtint decret de prise de corps en vertu duquel il fit, le 24 dudit mois, emprisonner ès prisons du For-aux-Dames[127] le nommé Michel Forget, caporal de ladite compagnie, par lequel il avoit esté le plus excedé. Le mesme jour, qui estoit la feste de saint Barthelemy, apostre, ledit Amand, supposant une sentence de la ville pour faire eslargir le prisonnier, vint ès dites prisons, accompagné de deux cents hommes, tous armez de fusils, mousquetons et pistolets, qu'il laissa au devant d'icelle, demandant ledit Forget au geollier, qui luy dit qu'ayant esté emprisonné en vertu d'un decret decerné dudit baillif, il ne le pouvoit mettre dehors sans son ordre. Ce refus ne plust audit Amand, qui voulust en mesme temps se saisir des clefs desdites prisons, à quoy il trouva de la resistance; ce qui l'obligea de sortir, et demeura toute la nuict avec ses gens armez au devant et ès environs desdites prisons, qu'il entreprist diverses fois de forcer, sous pretexte d'y amener quelque prisonnier. Mais la courageuse resolution du geollier fist avorter ce dessein trop hardy. Amand se vit par là obligé de se retirer le lendemain dimanche, 25 dudit mois, par devers ledit baillif, qui luy bailla volontairement ou de force, sans appeler la partie et contre tout ordre de justice, l'eslargissement dudit Forget[128], se contentant seulement d'en faire charger ledit Amand, lequel ne manqua pas de l'aller aussitost faire sortir. Ledit Forget, parmy la joye de sa delivrance, ne put dissimuler le ressentiment de son indignation; il dit plusieurs fois, jurant et blasphemant le sainct nom de Dieu, qu'il tueroit ledit Bourgeois. Ceux de sa compagnie en dirent autant, et entre eux le nommé Macret, qui passa outre, disant que, s'il ne se trouvoit personne qui voulust faire le coup, luy-mesme le feroit de son mousqueton. Et enfin l'adieu dudit Forget au geollier et à sa femme et autres fut que l'on entendroit bientost parler de luy. Ces menaces furent bientost suivies de l'effect, mais le plus etrange et le plus cruel dont on ait jamais ouy parler. Le lendemain, vingt-sixiesme jour dudit mois, dès les cinq heures et demie du matin, les frippiers s'emparèrent des advenues et des portes du cimetière des Saincts-Innocens; quelques uns s'y glissèrent et cachèrent, d'autres firent mine de se pourmener, et envoyèrent le nommé Pierre Jusseaume[129], qu'ils avoient gagné par argent, vers ledit Bourgeois, pour, sous couleur d'amitié et de luy vouloir communiquer quelque chose qui luy importoit, l'attirer dans le cimetière. Ce traistre s'approcha de luy, et, le voyant avec les sieurs de Bourges et Godelat, marchands, ses voisins, à l'ouverture de leurs boutiques, demanda à luy parler en particulier. Il repondit que c'estoient ses amis, et qu'il n'y avoit point de danger de tout dire devant eux. Le perfide insista à le vouloir entretenir en secret, et l'obligea d'entrer audit cimetière, où ledit Bourgeois ne fut pas plustost que le nommé François Haran, qui estait caché derrière le premier pillier dudit cimetière, se jetta sur luy, jurant et blasphemant, luy porta un coup du bout de son pistolet dans l'estomac, duquel il le renversa par terre. Aussitost il donna le signal aux autres conjurez, au nombre de trente à quarante, entre lesquels, outre ledit Haran, ont estez remarquez Jean et Michel Forget frères, Philippes Saydes, Noël de Barque, Simon Cahouel, le Roux, Ruelle le jeune, Bryare le jeune, Belargent, Macret et Laurent Hattier, tous armez de fusils, mousquetons, espées nues et d'instruments non encore usitez, et qu'autres que des frippiers n'auroient pu inventer, tous lesquels, renians et blasphemans, se ruèrent impetueusement sur ledit Bourgeois, l'outragèrent de coups de poings et de pieds en toutes les parties de son corps, le frappèrent du bout de leurs armes, luy arrachèrent les cheveux, luy donnèrent plusieurs coups de ces meurtrières nouvelles, qui sont peaux d'anguilles et lizières de drap, entre lesquelles sont cousuës dix balles de mousqueton des plus grosses[130], desquelles ils luy donnèrent plus de cinquante coups, dont la moindre blessure est mortelle, et, entre autres, le nommé Briard le jeune, frippier. Il eust pourtant assez d'adresse et de vigueur pour s'eschapper des mains de ces bourreaux, mais ce ne fut pas pour long-temps: car, n'ayant que des pantoufles à ses pieds et des chaussettes non liées à ses jambes, il ne put guère courir sans broncher, et par ainsi retomber plus perilleusement encore au pouvoir de ses ennemis, lesquels, après l'avoir traisné d'une partie dudit cimetière par les pieds, la face contre terre, le saisirent qui par les bras, qui par les jambes, qui par les cheveux, et, après avoir redoublé sur luy les effects de leur cruauté, de telle sorte qu'il ne pouvoit plus parler, ains seulement haletoit et souffloit, l'entraisnèrent de ceste façon par la porte dudit cimetière du costé des halles, jusqu'au milieu de la Petite Friperie, où ils firent pose, pour l'exposer de nouveau à de nouvelles injures et mauvais traitements, disant: Voilà celuy qui a faict emprisonner M. Forget. De là ils achevèrent de le mener, sur les six heures du matin, en la maison dudit Amand, lequel, non moins passionné que les frippiers, et voulant avoir sa bonne part à leur felonie, fit aussitost battre la caisse par tout le quartier, posa corps de garde au devant et au dedans de sa boutique, et des sentinelles, comme à la garde des portes d'une ville. Pendant que la compagnie s'assembloit, on fit, l'espace de quatre heures et plus, souffrir audit Bourgeois, à la veue dudit Amand, toutes les indignitez que la rage peut suggerer: on luy tire et arrache la barbe et les cheveux, on le soufflette, on le perce et picque de poinçons et grandes aiguilles, on luy presse du verjus en grappe dans les yeux, et, pour l'accabler entierement de douleur, ayant demandé un peu d'eau à cause de la grande alteration qu'il avoit, on luy en presenta qui estoit corrompuë. Ce n'est pas là tout; mais, ô barbarie inouïe! l'on luy refusa la consolation d'un confesseur, qu'il demanda plusieurs fois, voyant et entendant la resolution que ses ennemis avoient prise de le massacrer inhumainement[131]. Alors Amand devoit, ce semble, estre rassasié de cruauté; pourtant il fait paroistre le contraire, et qu'il veut estre jusqu'à la fin le principal acteur de ceste funeste tragedie. Pour cet effet, il veut voir luy-mesme si la compagnie est complette et en estat de marcher; il en fait la reveuë, il renvoie les garçons qui estoient venus à la place de leurs maistres, il marche ayant le hausse-col, et va de porte en porte, le pistolet à la main, pour les obliger et forcer de venir en personne, les menaçans de l'amende. Cependant les bourgeois des quartiers circonvoisins et autres passans par là, entendans le bruit de ce tambour à une heure extraordinaire, estoient portez de curiosité de sçavoir le sujet de ceste assemblée, et pourquoy on retenoit et traittoit ainsi ce jeune homme. Les uns respondoient: C'est un coquin qui nous a appelez Synagogue; il a affaire à huit cens hommes qui l'entreprennent; d'autres que c'est un voleur qu'ils ont pris volant une maison en leur quartier, et d'autres que c'estoit un mazarin qui avoit voulu tuer M. de Beaufort.
Amand, ayant mis sous les armes environ quatre-vingts hommes de sa compagnie, se jugea assez fort pour executer de plein jour et au milieu des rues le pernicieux complot fait en sa maison contre ledit Bourgeois. Pour cet effet, il supposa avoir un ordre de la ville pour l'y conduire, lequel ne pouvoit estre que faux ou mandié après temps, puisque, comme il a esté remarqué cy-devant, ledit Bourgeois avoit esté enlevé dès les cinq heures et demie du matin, auquel temps ledit Amand ne pouvoit pas avoir obtenu un ordre de la ville en la forme et avec les circonstances qu'il l'a depuis fait paroistre. Il ne laissa de commander audit Bourgeois de le suivre, qui repondit ne le pouvoir faire, estant tout roué et ayant le genouil cassé de coups; et il le pria de luy envoyer querir une chaise, avec offre de la payer. Une chaise! repartit Amand en luy dechargeant un soufflet, cela est bon pour les princes; mais à toy, il te faut un tombereau. Neantmoins, quelqu'un de la bande se mit en peine pour cela, et on fist apporter une sorte de fauteüil, laquelle sert à porter à l'Hostel-Dieu les pauvres malades. Ledit Amand envoya querir quelques paquets de mesches et de cordes, et commanda de lier ledit Bourgeois sur ledit fauteuil, ce qui fut promptement executé par les nommez Masselin et Sayde, sergens de la compagnie, sçavoir par le millieu du corps, les bras sur les appuis du fauteüil et les jambes separement sur les batons qui servent à le porter, et cela si rudement et serré, que les cordes en demeurèrent imprimées en sa chair; envoya querir deux crocheteurs pour le porter, ausquels il repondit en son nom de leur salaire, duquel il les fit satisfaire le lendemain par sa femme. Cet innocent captif, sans secours et sans defense, fit paroistre une telle constance en la durée de tous ses tourmens, qu'il ne lascha aucune parolle capable d'offenser les frippiers ny leur capitaine, lequel, environ les dix heures et demie de la mesme matinée, fist battre la marche, et en cest equipage, luy et Guillaume Leguay, son enseigne, chacun avec leur hausse-col et les pistolets à la main, marchant à la teste de la compagnie, les sergens et caporaux en leur rang, les rangs quatre à quatre, sortirent de leur quartier de la Tonnellerie, faisant porter ledit Bourgeois au milieu de ladite compagnie, à costé du tambour, vinrent droit à la rue Tire-Chappe; et, quelques uns des plus effrontez ayant dit qu'il falloit marcher et le faire passer à la barbe du père, au lieu d'entrer en icelle, enfilèrent à celle de Sainct-Honoré, entrèrent en celle des Bourdonnois, puis en celle de la Limace, où ledit Amand, capitaine, fit faire halte et cesser le tambour, pour tenir entre eux le dernier conseil pour l'execution de leur vengeance. Après, ils continuèrent leur marche en celle des Deschargeurs, où estans, se saisirent de toutes les advenües circonvoisines, firent plusieurs decharges de leurs fuzils, tant contre ceux qui les suivoient, dont aucuns furent atteints et blessez, qu'en haut, pour empescher de regarder aux fenestres; firent fermer les boutiques qui estoient ouvertes, et, voyant ce lieu-là fort propre pour mettre fin à leur pernicieux dessein, firent poser ladite chaise où estoit ledit Bourgeois contre le meur d'une maison nouvellement bastie près la rue du Plat-d'Estin. Et alors, plusieurs ayant dit qu'il estoit temps de s'en deffaire, et le capitaine dit: Main basse! firent une decharge de fuzils à bout portant sur ledit Bourgeois, dont il fut atteint d'un coup à l'œil senestre qui luy arracha la vie, fit voler la cervelle par le derrière de la teste et emplir son visage et le pavé de sang. Un charitable ecclesiastique, aumosnier de M. l'abbé de Sillery[132], s'estant trouvé engagé dans ceste rüe, s'efforça, malgré la resistance de ces meurtriers, d'approcher ledit Bourgeois pour le reconcilier et donner la benediction. La chose ainsi achevée, le capitaine, asseuré de la mort dudit Bourgeois par celuy mesme qui avoit fait le coup, tint nouveau conseil avec les principaux de ladite compagnie pour adviser ce qu'ils feroient de ce corps mort. Après le resultat, il fit recharger et remettre sa compagnie en ordre, commanda aux porteurs de reprendre ladite chaise et porter ledit deffunct, les y força sur leur refus, passant de la rue des Deschargeurs par celles des Mauvaises-Parolles, Thibaultodée, Sainct-Germain, et de là droict à la Grève, disans tousjours que c'estoit un voleur et un mazarin qui avoit voulu tuer M. de Beaufort, qu'ils le conduisoient à l'Hostel-de-Ville, et de temps en temps faisoient des decharges de leurs fuzils sur ceux qui couroient et crioient après eux à la veuë d'un tel spectacle. D'abord, ils se saisirent du perron de la porte de l'Hostel-de-Ville pour en empescher l'entrée aux parents et amis du deffunct. Amand et quelques uns des siens montèrent où Messieurs de la ville siegeoient, et, pour excuse de l'abominable crime qu'ils venoient de commettre, leur supposent que, plusieurs personnes s'estant presentées pour leur ravir ledit Bourgeois, ils avoient esté obligez de le tuer. Ainsi, cette victime innocente fut posée dans la cour dudit Hostel-de-Ville, qui devoit estre le lieu de franchise et l'azile des opprimez. Ce fait, Amand et ses complices se retirèrent chez eux par les rues les moins frequentées, et néantmoins tousjours suivis par la pluspart de ceux qui avoient veu ce sanglant et espouvantable spectacle, qui les auroient dès lors punis tout chaudement de leur forfait, si Dieu ne les eust reservez pour en faire un chastiment et une punition exemplaire à toute la posterité[133]. C'est ce que le père, les parens dudit deffunct et tout Paris attendent et espèrent de sa justice et de celle de Messieurs du Parlement.
M. de Boyvin-Vaurouy, rapporteur.
Les Grands jours tenus à Paris par M. Muet, lieutenant du petit criminel[134].
M.D.C.XXII.
In-8o de 32 pages.
Je me suis trompé quand j'ay creu que j'aurois du repos et tranquillité d'esprit lors que, retiré de toutes affaires, je jouyrois de la nuict pour refuge de mes travaux: car j'y ay trouvé de l'inquiétude, et mille visions se sont presentées qui me l'ont empesché.
Je croy qu'il est necessaire que le jour j'eusse ruminé et songé à tout ce qui se passe de bien et de mal en mon temps, et que j'eusse desiré la reformation du mal, dont je ne pouvois venir à bout, puis qu'en songe il m'a semblé qu'il s'est presenté à moy le venerable juge du petit criminel, Me Nicolas, avec sa barbe assez mal peignée et sa fraize à l'espagnolle, empezée de son, qui, en levant la teste avec une parole assez rude et brutine, assisté tant des procureurs de son temps, Carré, Goguier, Mauclerc, Pamperon, Bois-Guillot, Humbelot, que infinis autres qui m'estoient incogneus, qui disoit ce qui en suit:
Et quoy! est-il necessaire de revenir au monde pour reformer ce peuple insolent, lequel j'ay si bien chastié de mon temps, ne leur ayant donné autres viandes plus solides pour leur caresme que des amandes? Et neantmoins c'est tousjours à recommencer. J'espère bien, avant que de partir de ce monde, d'y mettre tel ordre par mes jugemens, qui leur en souviendra. Je viens tenir mes grands jours pour cet effet.
J'ay choisy pour mon greffier un homme assez sage et discret, quoy qu'il soit camus et impotant des deux mambres. Ce que j'en ay faict est affin qu'il tienne pied à boulle, et que sans discontinuation il redige par escrit mes jugemens, pour estre executez par Tanchon, qui à présent n'a nul empeschement, puisque sa femme est mariée ailleurs.
Et vous, l'huissier Cornet, qui autrefois avez eu tant de vogue à la justice de saint Ladre, et qui avez esté, par miracle ou autrement, trente-deux ans sans changer d'habit ny de chapeau, qui sert encores à présent à Pierre Parru, cordonnier de la grosse pantoufle de saint Crespin, je vous ay choisi pour appeler les causes et faire taire les babillards, pour lesquelles appeler vous n'aurez qu'un sol de la douzaine, veu le grand nombre qui se presente à juger, afin que le peuple ne soit point foulé. Or sus, appelez.
—Carré, avez-vous des causes? Plaidez.
—Monsieur le lieutenant, j'aurois besoing de plaider pour moy le premier, afin de me faire donner le moyen d'avoir une robbe et un bonnet, car la mienne est toute deschirée d'avoir esté attiré si souvent à la table Roland[135] par mes parties, aussi que j'ay perdu la pluspart de ma praticque depuis que j'ay fait le voyage de Golgotha. Donnez-moy patience que je sois en meilleur poinct, et cependant faites plaider Goguier.
—Goguier! Goguier!
—Monsieur le lieutenant, il est necessaire, avant que de plaider, de faire une reigle en vostre justice, et que vous ordonniez que l'audiance commencera à quatre heures du matin, que tout le monde est à jeun: car, pour mon regard (ny de plus d'une douzaine de mes compagnons), il nous est impossible de bien reciter ny faire entendre le faict de nos parties depuis huict heures du matin jusques à neuf heures au soir, que nous avons l'esprit preoccupé du son des pots et du remuement des verres[136].
—Ho, ho! par saint Lopin, si vous me faschez, je donneray licence aux parties de plaider sans vous, et feray ma justice consulaire, puisque vous coustez plus à saouler, que le fonds du procès ne vaut. Sus, sus, donnez tout à vostre ayse; chancelez comme de coustume; parlez du coq à l'asne avec le plan: je ne veux plus vous escouter; et vous, parties, plaidez distinctement les uns après les autres, sans vous confondre.
—Monsieur le lieutenant, nous nous y opposons; il y a d'honnestes procureurs qui sont revenus de l'autre monde pour gaigner leur vie; ne permettez pas cela.
—Qui estes-vous qui parlez? Estes-vous le turbulant Mauclerc? Plaidez, et ne vous mettez poinct en cholère, afin de n'estre poinct suspandu de vostre charge, ny condamné à l'amande comme autrefois: car cela vous a faict mourir, au grand dommage de la fille du Chat.
—Monsieur le lieutenant, si vous forcez mon naturel, je ne diray rien qui vaille: car il faut que je süe en plaidant, que je crie quand ma partie adverse parle, afin que l'on ne l'entende pas, et que je face d'une meschante une bonne cause. C'est ce qui m'a faict avoir tant de pratiques en mon temps. Il est vray que je n'ay pas tant duré au monde, mais j'ay eu grand renom.
—Or, changez de naturel, si vous voulez assister aux grands jours, mitigez vostre cholère, tandis que j'ecouteray messieurs les frippiers. L'huissier Cornet, appelez.
—Messieurs les frippiers, on vous donne licence de plaider sans procureurs; aussi bien les tromperiez-vous comme vous faictes les autres.
—Monsieur le lieutenant, nous avons grand subjet de plainte: nous ne gaignons plus tant que nous soulions, et la cause est qu'à force de crier après les prevosts des mareschaux de Paris, ils ont faict une capture depuis peu de deux cent seize voleurs, au nombre desquels il y avoit vingt-deux manteaux rouges qui estoient à gages, et qui jettoient par le soupirail des caves[137] ce qu'ils avoient butiné par la ville, qu'on avoit à vil pris, et en faisoit-on fort bien son proffit: car on sçait changer un manteau en pourpoinct, en chausse et en tout autre vestement, si bien qu'il estoit impossible de rien recognoistre. Or, à present, on a envoyé ces honnestes gens-là aux gallères, et nous avons de la peine maintenant à vivre et à gaigner nostre vie. Nous vous demandons justice.
—Levez la main tous. Par le serment que vous avez faict, estes-vous chrestiens?
—Monsieur le lieutenant, à la verité nous tenons encores un tantay du judaïsme[138] plus de deux douzaines d'entre nous, et neantmoins nous faisons bonne mine à la paroisse S.-Eustache, où nous ne croyons pas la moitié de ce que l'on y dict. Mais n'en dites mot. Faictes-nous justice pourtant.
—Escrivez, greffier:
«Il est enjoint à Tanchon d'interroger les gallères pour sçavoir qui sont les recelleurs frippiers, et, deument informé, qu'il les fera compagnons d'écolle aux galleriens, et neantmoins, pour l'antiquité de leur race, qu'il fera mettre les frippiers au costé droict des dites gallères, et leurs biens acquis et confisquez à l'hostel Dieu.»
—Monsieur le lieutenant, vous n'aviez que faire de revenir en ce monde pour donner des jugemens si cruels contre les bourgeois de Paris; les juges qui sont à present sont plus favorables et ne penètrent pas si avant. Nous en appellerons devant monsieur Lusigoly, et de là à la cour, où nous ferons trotter nos alliances pour avoir de la faveur, car nous avons cet honneur, pour nostre argent, d'avoir marié nos filles aux plus anciennes maisons de Paris, sans que pour cela on ait eu esgard à cet ancien dicton (garde-toy de l'alliance d'un juif, d'un fol et d'un ladre), ce qui estoit escrit en lettres d'or au dessus du portail du cimetière des saincts Innocens; mais, par succession de temps, nos confrères, ayant brigué la marguillerie, ont si bien faict, qu'ils l'ont fait effacer.
—Allez, allez, on vous le fera manger sans peler; sortez de l'audiance, et laissez plaider les autres. Appelez, huissier.
—Carré! Carré! si vous estes de sens rassis, plaidez.
—Monsieur le lieutenant, en ceste cause il est question d'un point de droict pour sçavoir si un enfant doit estre meilleur que son père. Il y en a un qui est à present prisonnier pour avoir, en continuant ses debauches, espousé une femme contre le gré de son père; si elle est garse, je ne m'en suis pas informé; si elle est legitime, encore moins. Quoyque s'en soit, le père, qui est de grande alliance, tonne, crie, tempeste, arrache, frappe, consulte, court, employe ses amis, parle mal de son fils, bref, fait retentir la cour du peché de sa maison; cependant je demande l'eslargissement du fils.
—Carré, plaidez une autre cause: celle-là merite d'estre appointée au conseil. On plaide à huis-clos, car je trouve en nostre code une loy qui dict:
Sæpe patri filius similis esse solet,
qu'il faut expliquer en compagnie.
—Cependant, monsieur le lieutenant, je demande acte de mon emprisonnement, pour me servir lors que je brigueray l'eschevinage.
—«Acte est joinct au principal pour estre faict droit conjointement.»
Appelez un autre.
—Mauclerc! Mauclerc! plaidez, et vous souvenez du temps passé pour estre sage.
—Monsieur le lieutenant, je plaide pour les pères qui ne sont pas ce qu'ils veulent en ce monde, et ausquels, par une subtilité extraordinaire, on coupe la broche de leurs desseins. Il est question qu'un certain marchand de Paris desiroit s'allier en bon lieu, et donner sa fille en mariage à gens de son calibre, où il y avoit du fonds; et toutesfois, pour avoir permis à cette fille la communication et fréquentation d'un advocaceau qui la visitoit et la langueoit souvent, le père n'a sceu faire condescendre sa fille à ce mariage: si bien que, de cholère, le père luy dit que jamais il ne parleroit de la marier; pour à quoy remedier par la fille et l'advocat, après une consultation secrette, la fille a laissé aller le chat au fromage si souvent, que l'on s'est apperceu qu'il falloit r'eslargir sa robbe, qui a esté le subject que, pour ne point descrier la maison, le marchand luy-mesme a esté le postulant pour avoir l'advocat, qu'il refusoit auparavant; et l'advocat, faisant semblant de le mepriser, a eu du bien avec la fille beaucoup plus qu'il n'avoit volonté de donner, et ont esté mariez secrettement; et si on a accouché avant terme d'un roussin qui a queue, crin et oreille. A ceste cause, je demande que l'antiquité soit restablie, et qu'il ne soit pas permis de faire communiquer les filles avec les jeunes hommes que le jour de leurs accordailles.
—Où sont les gens du roy, Bourguignon et Gouffé? Qu'ils concluent.
—Monsieur le lieutenant, ils sont empeschez à la chambre civile à faire leurs affaires. Vous pouvez juger sans eux.
—Escrivez, greffier:
«Attendu que tels accidens ne proceddent que de la faute des folles mères, qui donnent trop d'estat et de licence à leurs filles, au respect du temps passé, nous ordonnons que la fascherie que les père et mère en porteront leur sera precomptée sur les peines du purgatoire.»
Appelez un autre.
—Goguier! Goguier!
—Monsieur le lieutenant, excusez si je prens le faict et cause des garçons de taverne: je les ayme autant comme Harlequin faisoit son petit pourceau; je les reputte comme mes clercs, car ils ont tousjours mon sac et ma liasse en garde. C'est pourquoy je desire qu'on leur fasse justice.
—Plaidez.
—Monsieur, ce dont je veux parler est advenu depuis huict jours en çà, au grand dommage du clerc de taverne du Pied-de-Biche, près de la porte du Temple, auquel cinq ou six manteaux rouges ont faict un affront, les quels, sous ombre de boire pinte ensemble, luy ont faict une querelle d'Allemant, l'ont bien battu, et, qui pis est, arraché de force son tablier à bourse, où l'argent de sa journée estoit, qui se montoit à trente livres pour le moins, et, pour l'intimider, afin qu'il ne peust crier aux larrons, ont tous deguené leur espée, et faisoient semblant de s'entretenir l'un l'autre, tandis que l'on emportoit sa bourse; et, comme ils sont sortis par la ruë, les bourgeois espouvantez se sont retirez en leurs maisons, et ces manteaux rouges evaddez, si bien qu'il ne sçait à qui s'en prendre. Je demande attendu qu'il n'y a point de partie capable pour en respondre, qu'il soit faict une queste à la porte de l'eglise du temple.
—Escrivez, greffier:
«Attendu que c'est un cabaret où toutes les putains et macquereaux font retraite, qu'il a faict la courte pinte et mis de l'eau à son tonneau, ses coups de bastons luy serviront de penitence pour son peché et de recompence pour son tablier à bourse.»
Un autre.
—Boisguillot, Boisguillot, vous serez condamné à l'amande; pourquoy venez-vous si tart à la justice?
—Monsieur le lieutenant, la cause pourquoy je suis arrivé si tart est legitime: je suis logé fort loing, vers la ruë Sainct-Denis, en une ruelle aussi renommée à Paris que la court de Miracle[140], en un bas où mon estude, ma cuisine et ma chambre sont tout ensemble. Le malheur a voulu que ceste nuict le chat a fait tintamarre, faict choir mes plats et mes papiers, que j'ay eu de la peine à remettre par ordre.
—Que ne demourez-vous ailleurs, pour estre plus honorable en vostre vacation?
—Monsieur le lieutenant, c'est le plus brave quartier pour nostre estat qui se puisse trouver; il n'y a jour qu'il n'y ait quatre querelles et six batteries. S'ils ne plaident point, je gaigne pour les accorder, et toutesfois il y en a un pour lequel je demande justice.
—Plaidez.
—Je suis pour Rolland Patrouillart, pauvre homme qui exerce un office de charbonnier soubs monsieur... Monsieur le lieutenant, je n'oserois le nommer, d'autant qu'il est officier de la ville. Quoy que s'en soit, cet office luy est escheu par droict de bienseance, qu'il garde et fait exercer par autruy et en tire le revenu. Or, monsieur, en rendant compte par ma partie des voyages qu'il a faicts, il s'est trouvé que ma partie luy en avoit frippé quatre ou cinq, pour laquelle fripperie, outre qu'il a esté battu et frappé, il l'a depossedé de sa charge, si bien qu'à present il n'a le moyen de vivre. Il demande à estre reintegré ou recompensé.
—Escrivez, greffier:
«Nous ordonnons que le pourveu des offices les exercera en personne, fust-il eschevin[141], afin que l'on cognoisse à sa mine de quel mestier il est, si mieux il n'ayme reintegrer ledit Patrouillart.»
Un autre.
—Pamperon, Pamperon, ne vous amusez pas tant à manger des lamproyons; vous donnez plus de pratique aux apotiquaires qu'à ma justice.
—Monsieur le lieutenant, je plaide pour un honeste gentilhomme qui est icy present, homme d'honneur et plain de commoditez, vivant de ses rentes et revenus, comme il nous a dict, qui a une juste plainte à vous faire, qui est que toutes et quantes fois qu'il passe par la vieille ruë du Temple, le perroquet d'une certaine maison, qui est sur la fenestre, l'appelle macquereau, qui est une injure atroce et scandaleuse. C'est pourquoy, outre qu'il demande reparation contre le maistre ou maistresse de la maison, requiert que le perroquet soit mis sur la ruelle, où il ne passe personne, et où certaines gens demeurent que l'on ne cognoist point.
—Monsieur, levez la main. Par le serment que vous avez fait, dictes: De quel pays estes-vous?
—Je suis Gascon, monsieur.
—Où demeurez-vous à present?
—Pardieu! qui, çà qui là, rien d'asseuré.
—De quel estat estes-vous?
—Advoué de monsieur d'Espernon.
—Avez-vous rentes ou pignon sur ruë pour vivre?
—Non pas.
—De quoy vivez-vous doncques.
—Que diable! faictes-moy justice, et ne vous enquestez point tant; cela n'est pas ma cause.
—Escrivez, greffier.
«Le perroquet est reputé avoir dict vray, et le maistre de la maison absous.»
Un autre.
—Monsieur le lieutenant, j'ay vendu ma pratique, à cause que j'estois si petit que je ne paroissois point à la presse; je baisois le cul à l'audiance à tous les autres.
—Plaidez... Plaidez doncques, Richer, et n'alez plus aux prunes avec Ryme, et n'entretenez plus vostre nourrice, puisque vous avez une femme.
—Monsieur le lieutenant, je plaide pour les habitans de Mont-Rouge, Arcueil et Gentilly, qui se plaignent du grand degast qui est faict en la presente année de leurs bleds et mars, qui se sont trouvez tous versez, foulez et trepignez par les femmes debauchées qui hantent et frequentent le pays. Je demande qu'il vous plaise y donner ordre, les faire prendre pour estre chastiées selon les loix.
—Escrivez, greffier:
«Il est enjoint à l'huissier Cornet de faire advertir le sieur Cordiable, baron de Malva, lieutenant du prevost des mareschaux, que, en faisant sa chevauchée vers le pays de Trefou[142], il ait à se faire accompagner des gens de guerre qui sont en ses roolles et liasses, pour, avec le baston ordinaire dont il chastie les dites garses quand il les trouve, prendre vengeance tant du dit degast que des poulins que son commis a gaignez avec elles en allant à sa maison, sauf à ordonner de ses salaires.»
Appelez un autre.
—Humblot! Humblot! prenez vostre robbe de semoneux[143] et vostre bonnet plain de duvet, et venez plaider.
—Monsieur le lieutenant, soyez-moy favorable en justice: car, si je gaigne ceste cause, j'espère en avoir une neufve, car elle est de consequence.
Je parle pour deux créanciers de la royne Marguerite, à sçavoir, un sommelier et un charpentier, ausquels il est deu de dettes bien verifiées plus de six cent livres tournois, et, pour avoir payement des interests de la dite somme, en attendant le fort principal, le procureur scindicq des creanciers, au lieu d'argent contant, leur a donné sa quittance pour recevoir les dits loyers. Ils ont poursuivy plus de trois mois durant, et n'en ont peu tirer aucun denier, parceque ceux qui les doivent, se sont damoiselles de Dannemarc[145], marquées à la fesse, qui ne gaignent plus rien, et sont en friche pour l'absence de la cour; et encores, pour leur paine d'avoir tant attendu, les dites damoiselles leur ont donné la verolle, qu'ils suent à present. Nota: C'est pourquoy ils ont besoin d'argent. Je demande que le procureur scindic ait à reprendre les dites quittances pour aller luy-mesme aussi gaigner la verolle si bon luy semble, et nous fournir argent comptant, sauf à monsieur l'advocat du roy à prendre telles conclusions qu'il verra bon estre contre ceux qui ont fait de la maison d'une princesse une maison vitieuse.
—Gens du roy, concluez.
—Monsieur, j'aurois beaucoup à discourir sur la loi quod semel est imbuta; mais je la passe sous silence, et reviens au fonds.
Ces creanciers-cy ont esté payez en rubis et escarboucles, qu'il est besoin de mettre à pris, à fin que tous les autres creanciers y participent, puisque tous ensemble ils ont fait les baux à loyer à telles gens, sans qu'ils ayent doresnavant autre payement, pour avoir descrié la maison d'une princesse liberale, qui de son vivant leur a fait tant gaigner d'argent à ses batimens.
—Escrivez, greffier:
«Il est enjoint aux damoiselles de Dannemarc de donner la verolle à tous les autres creanciers, en punition de ce qu'ils ont esté si vilains de decrier la maison d'une princesse qui leur a fait de son vivant plus de bien qu'ils ne merittent, sans qu'ils puissent demander cy après autre payement, et les deniers provenans de la vente de la maison confisquez à l'Hostel-Dieu.»
Appelez un autre.
—Mathieu, Mathieu, vous estes un paresseux!
—Monsieur le lieutenant, excusez-moy: j'estois empesché à assister au Te deum que les officiers de l'escritoire[146] ont fait chanter en l'église S.-Bon pour le grand bien et pratique que leur ont donnée ceux qui ont mis le feu au pont.
—Plaidez.
—Monsieur, je plaide pour Guillaume le Sourd, pauvre cocher, homme fort bon et paisible, pourveu qu'il aye tout ce qu'il luy faut, lequel s'est loüé à un honneste homme, jeune financier, nouveau maryé, pour la conduicte d'un carosse qu'il a esté contrainct d'avoir, parce que sa femme l'en pressoit fort, auquel cocher on a promis deux sols par jour pour son vin, du potage le matin et un morceau de cher le soir, avec une casaque des couleurs de Madamoiselle, outre les gaiges de cinquante livres par an. Or il a esté fort bien payé de ce que dessus huict ou quinze jours durant; mais à present on luy veut retrancher son vin et sa cher, d'autant qu'il ne travaille pas beaucoup, et que ny Monsieur ny Madamoiselle n'ont aucune maison aux champs, et que leur parenté est de basse condition, que l'on ne visite point en carosse, et n'ont pour tout que le promenoir du cours du bois de Vincenne. Et quant il dit à Monsieur que ce n'est pas la raison de luy retrancher son vivre, il fait reponce qu'il faut aller selon la jambe le coup, qu'il faut faire petite despence pour l'entretenement de Madamoiselle, autrement qu'il seroit taillé d'avoir un substitud, aussi qu'il luy a fallu financer cette année une grosse somme de deniers pour une nouvelle attribution faite à son office, qui luy a emporté tout son argent et absorbé ses gaiges; de quoy ma partie n'a que faire, et à quoy elle vous supplie avoir esgard, et ordonner que son maistre sera tenu de luy bailler ce qu'il luy a promis, sans que pour le chasser il puisse luy oster sa casaque de livrée, comme il l'a menacé.
—Escrivez, greffier:
«Il est ordonné que la damoiselle fera une conversion d'appel en opposition, qu'elle reprendra son chapperon de drap, fera vendre son carosse et ses chevaux pour vivre plus modestement et n'en faire point accroire à ceux qui voyent bien cler; qu'elle payera et chassera son cocher, et en son lieu qu'elle nourrira trois poulles et un coq pour avoir des œufs pour les vendredis.»
Appelez un autre.
—Cabarin! Cabarin! plaidez, et ne vous amusez plus à vendre du son.
—Monsieur le lieutenant, je plaide pour plusieurs habitants de Paris qui ont juste occasion de plainte à l'encontre de messire Ravanalo di Bosco[147], Italien de nation, soy-disant ingenieur, refugié de son pays à cause qu'il est encores à choisir une religion, qui a entrepris de fournir tous les jours aux bourgeois un muid d'eau par la subtille invention qu'il a trouvée d'un moulin à vand dressé au haut d'une maison en l'isle de Nostre-Dame, lequel moulin à vand il n'ozeroit faire tourner, d'autant qu'il esbranle toute la maison où il est posé, et qui ne peut durer six mois en continuant à tourner; si bien que, au lieu du dit moulin, il est contraint de faire travailler des chevaux aveugles, encore ne peut-il venir à bout de son entreprise; si bien que les dits bourgeois, qui ont fait de grands frais, chaument d'eau, et sont contraints de recourir au secours des porteuses d'eau comme auparavant. Je demande qu'il ait à nous descharger de la rente qu'il pretend sur nostre heritage pour ledit cours d'eau, ou qu'il face joüer son angin.
«Attendu qu'il tasche à tromper le public, et que son angin n'est pas permanant et durable, tout le plomb qu'il a mis en terre est acquis et confisqué, avec deffence d'oresnavant de permettre un estranger huguenot servir le public, si ce n'est par l'advis de la cour ou une ample experience.»
Appelez un autre.
—Rossignol! Rossignol! votre temps de chanter est passé; plaidez.
—Monsieur le lieutenant, je plaide pour deux honnestes femmes, l'une vefve d'un savetier, l'autre femme d'un tailleur qui ne vaut guères mieux, car son mary se meurt, pource que, vendredy dernier, leurs maris, voulant prendre recreation à la farce de Mont-d'Or[148], où ils estoient allez exprès, il intervint tumulte, causé par quelques jurez de la courte espée[149] qui se trouvèrent à la presse saisis d'une bourse, lesquels voleurs estoient assistez de nombre de leurs compagnons, gens d'espée exempts de la guerre, qui commencèrent à battre et frapper pesle mesle, sans recognoistre, où le savetier fut tué et le tailleur bien blessé, sans y comprendre plusieurs mal contans, qui ont juré qu'ils en auront leur revanche. Or, Monsieur, les pauvres femmes n'ont point de partie civille, car chacun s'en est enfuy. Je vous demande, monsieur le juge, à qui je m'en prendré.
—Concluez, procureur.
—Monsieur le lieutenant, je ne sçay contre qui, car, si je conclus contre Mont-d'Or, il dira: J'ai permission; si contre le bailly du Palais, vous n'avez point de justice sur luy; si contre nos maris pour avoir quitté leur boutique, je parlerois contre moy. Je suis bien empesché: concluez pour moy.
—Escrivez, greffier:
«Il est deffendu à tous ceux qui seront gratez à telles assemblées, specialement le vendredy, de se venir plaindre; permis à ceux qui iront de mourir de faim à faute de travailler, et sans despens.»
Appelez un autre.
—Deschamps! Deschamps! on a retranché vostre ordinaire, et reduict à deux lots par repas.
—Monsieur le lieutenant, je plaide pour une honneste femme qui est de la paroisse S.-Paul, ayant soixante et deux ans pour le moins, et qui a toutes les babines usées à force de dire son chappellet, qui est tousjours en trance, plaine d'inquietude à cause d'une fille qu'elle a qui va souvent aux cours se promener avec les financiers et la noblesse, et qui va entendre une petite messe à l'Ave-Maria pour deviser plus à son aise; la pauvre mère a beau luy faire des remontrances au vieux loup, et mesme, pour tascher à corriger sa fille, elle norit un petit moineau, à qui elle dict souvent en sa présence: Guillery, garde ta queüe[150]. Nonobstant elle ne fait que sauter, dancer, chanter, et n'en tient conte. Elle voudroit bien la marier, mais elle ne trouve personne pour son argent, par ce qu'elle a pris un trop grand vol; elle demande d'où peut proceder cela, et luy donner conseil.
—Ma bonne dame, levez la main. Par le serment que vous avez faict, dites vérité. Comment vous estes-vous gouvernée en jeunesse?
—Monsieur le lieutenant, elle est sourde; elle n'entend pas ce que vous luy dictes.
—Procureur, faictes-luy entendre et criez bien haut.
—Madame, monsieur le lieutenant demande comment vous vous estes gouvernée en jeunesse?
—Et Dieu! mon amy, je ne viens pas icy pour cela; je viens pour avoir conseil. Ne songez plus au temps passé; chacun a faict sa charge, faictes la vostre. C'est à un curé de nostre parroisse à qui j'ay autrefois tout dict, qui est mort, et puis il s'est passé depuis quarante ans, plus de trois jubilez, qui nous ont tout debarbouillez.
—Escrivez, greffier:
«Attendu que la fille ressemble à la tulippe, qu'elle est belle à la veüe et puante à l'odorat; aussi que la pye ressemble tousjours à sa mère par la queüe, il est ordonné que la fascherie de la mère luy servira de penitence pour le temps passé.»
Appelez un autre.
—Leroux! Leroux! vous vous cachez; où est vostre robbe?—Monsieur, je n'ozerois la porter, car je suis suspendu.—Playdez en manteau.
—Monsieur le lieutenant, je plaide pour deux officiers du roy, conseillers et eslus en l'eslection de Rozoy, en Brye, gens honorables, plains de moyens et d'honneur, meprisans les superfluitez, puis qu'ils n'ont point changé d'abis il y a plus de quinze ans, lesquels, prevoyans que tandis que Chalange[151] et les autres partizans et maltotiers viveroient, qu'ils auroient tous les jours des nouvelles attributions, augmentations de gages, qualitez de conseillers, exemptions de tailles, droits de signatures de rolles et infinies autres, pour lesquelles payer leurs gages sont tousjours saisis, parce qu'ils n'ont aucuns biens plus apparans, ils s'estoient advisez, comme gens d'esprit, et de faict l'ont executé, de faire nourir par certains paysans de leur eslection des cochons à moytié. Or il est advenu, à leur grand prejudice, que les gensdarmes, passant par leurs villages, ont par force tué ou faict tuer deux desdits cochons, si bien qu'il n'en reste plus qu'un à partir en trois. A present ils se battent à qui aura le grouin. Monsieur le lieutenant, ils vous supplient d'en ordonner.
—Escrivez, greffier:
«Combien que de droict le grouin et la grognerie en appartienne aux esleus privativement à tous autres qui ne se peuvent resjouir de tels accidens, il est ordonné que Chalange en fera la partition, puisque il est cause de la querelle.»
Appelez un autre.
—Grandin! Grandin! mettez vostre nez des dimanches, et venez plaider.
—Monsieur le lieutenant, on dit communement que les femmes sont de la nature des fruicts, qu'elles ne preignent leur principalle nouriture que par la queüe; c'est pourquoi monsieur... monsieur... monsieur... (excusez-moy, je ne le puis nommer à présent, mais pourtant c'est un procureur assez cogneu), qui a eu un mauvais soubçon de sa femme pour avoir trouvé son clerc le soir, comme il alloit coucher, caché sous son lit[152], où par hazard il le trouva comme il vouloit ramasser sa monstre qui estoit cheutte à terre, lequel fit un grand vacarme et luy pensa donner un coup de canivet[153]; mais il n'avoit pas son escritoire. Il reveille sa femme, qui estoit couchée il y avoit une heure, luy demande pourquoy ce clerc estoit là; fit responce qu'elle n'en sçavoit rien, qu'elle dormoit, que c'estoit un mauvais garçon et mal instruict, qu'il le falloit foüiller pour voir s'il avoit quelque instrument à crochetter. Cependant je demande qu'il aye à sortir de la maison, et auparavant qu'il soit interrogé.
—Levez la main, le beau fils, et gardez de gaster vostre ranver à la guimbarde[154]. Par le serment que vous avez fait, qu'aliez-vous faire sous ce lict? Parlez; estes-vous muet?
—Monsieur le lieutenant, il vaut mieux qu'il se taise que de dire quelque chose qui decrie la maison. Je vous prie, jugez-le.
—Escrivez, greffier:
«Attendu que tout le monde a eu peur du duc de Mansfeld[155], qui est peut-estre l'occasion qui l'a faict cacher, il est ordonné qu'il demeurera, à la charge que la femme luy fera une reprimande en la presence de son mary.
Appelez un autre.
—Procureurs, pourquoy contestez-vous tant? Que de bruit!
—Monsieur le lieutenant, nous sommes vingt-deux procureurs chargez de causes qui sont presque tout de mesme faict, en matière de complainte: qui juge l'une juge l'autre. Carré veut avoir l'honneur de la plaider, Bois-Guillot dit qu'il est son antien après Goguier; mais, parce que Goguier est soul et qu'il ne peut parler, donnez-moi la preferance.
—Ce sera pour Sauvage; aussi bien n'a-t-il guères de pratiques. Playdez.
—Monsieur le lieutenant, ce n'est pas de maintenant que l'on tient que les jours des festes sont jours caniculaires à Paris; nous le cognoissons par le grand nombre d'inconveniens advenus les festes de la Magdelaine, Sainct-Jacques et Sainct-Philippes, où il s'est fait un pot-pourry de toutes sortes de folies; et de faict ma partie, nommée Jacques Grimaudets, compagnon menuisier, a eu un coup de baston sur la teste pour avoir, sur le pont Neuf, faict un affront à une honneste femme. Hierosme Tronquet, maistre savetier, a perdu son manteau en joüant à la bouloüaire. Philippes, l'épissié, a esté grommé[156] pour avoir chanté une chanson lubrique à la danse qui se faisoit au jardin de la royne Margueritte[157]. Laurens Bienvenu, la partie de Bois-Guillot, a perdu ses habits en se baignant, et bien battu pour avoir monstré ses triquebilles aux bourgeoises qui faisoient collation en l'isle Louvié. Marguerite Hastiveau, servante, a esté chassée par sa maistresse pour avoir dansé en l'isle avec des gens incognus. Le fils de Mathieu Langlois a esté noyé. Trois coupe-bourses ont esté prins aux jesuistes pendant la devotion. Deux soldats ont assassiné une bourgeoise, qui se meurt. Bref, l'un dance, l'autre pleure, l'autre meurt de faim. Monsieur le lieutenant, tous ces gens-là vous demandent justice.
—Escrivez, greffier:
«Attendu qu'il est cheu une bouteille d'ancre sur les ordonnances de la police, qui est la cause que les commissaires ne la peuvent plus lire, aussi qu'ils ont les mains gourdes, monsieur le lieutenant civil sera supplié d'en faire de nouvelles; et, faisant droit sur le tout, il est ordonné que les festes seront gardées et observées, et que chacun ira à vespre et au sermon.»
—Monsieur le lieutenant, il est l'heu... heu... heure: frappez de la baguette et allez sonner.
Incontinent, chacun se lève avec tumulte. L'un va grondant, l'autre riant, l'autre se plaignant que ses jugemens n'avoient de rien servy aux complaignans, ains seulement à gausser la police; qu'il n'avoit que faire de revenir de l'autre monde pour scindicquer les actions d'autruy; qu'il y avoit assez de juges en France et officiers pour ce faire, et que le roy, de sa benigne grace, estoit encores après pour les augmenter et pour faire des edits nouveaux. Les autres disoient qu'il y viendroit à tart, que le monde n'estoit plus gruë, que les offices et les officiers estoient ruynez; l'autre disoit qu'il falloit devenir marchand, comme les Italiens, qui, sans tenir boutique, trafiquent de tout et partout, et si paroissoient nobles devant le monde. Bref, je n'ay jamais veu tel bruit, et quant les hommes et les femmes qui sont au monde seroient aussi parfaicts de corps comme Esoppe, d'esprit comme Guerin[158], de visage comme le comte de Guenesche[159], de chasteté comme la dame Catherine, que l'on ne laisseroit pas d'en parler.
Sur ce bruit, je me reveille en sursaut, duquel je ne m'estonnay pas tant que de voir un petit homme qui sortoit de ce plaidoyer ayant les actions d'Heraclite et de Democrite, qui disoit en s'en allant:
«Si le temps dure, la necessité corrigera le tout.»