Variétés Historiques et Littéraires (01/10): Recueil de pièces volantes rares et curieuses en prose et en vers
La Revolte des Passemens[160].
A Mademoiselle de la Trousse[161].
Belle et sçavante de la Trousse,
Mon humeur aujourd'huy me pousse
De vous decrire les combats,
Les regrets et les embarras,
Les retraittes et les tuëries
De mesdames les Broderies,
Des inutiles ornemens,
Des Poincts, Dentelles, Passemens,
Qui, par une vaine despence,
Ruinoient aujourd'huy la France.
Leurs vains efforts et le depit
Qu'elles conceurent de l'edit
Lequel, l'an mil six cent soixante[162],
Rendit chacune mecontente;
De plus, leurs imprecations,
Leurs belles resolutions,
Les desseins de chacune d'elles,
La conversion des Dentelles,
Qui vouloient par devotion
S'enfermer en religion,
Lors qu'une pauvre malheureuse,
Qu'on appelle, dit-on, la Gueuse[163],
Sans en craindre le dementy,
Leur fit prendre un autre party,
Où, dès lors qu'elles consentirent,
Bientost après se repentirent
De s'estre mises au hazard;
Mais il estoit desjà trop tard.
Et, pour punir leur entreprise,
Je crois qu'une telle sottise
Meritoit, comme on fit aussy,
Que l'on leur fit crier mercy.
Il estoit environ les cinq heures du soir lorsque les Broderies, les Points et les Dentelles entendirent parler de la defense des Passemens. Vous pouvez vous imaginer leur surprise, après l'eclat où elles s'estoient vües à l'Entrée, et combien elles se plaignirent de la Fortune de ne les avoir elevées jusqu'au trône que pour les precipiter dans la boüe. Aussi-tost que cette fascheuse nouvelle fut divulguée partout et que le bruit universel luy eust donné une entière croyance, on ne rencontroit plus dans les ruës que des Broderies en carrosse, qui se plaignoient les unes aux autres; que des Poincts qui dans leur affliction ne prenoient pas seulement la peine de se mettre en linge blanc, et que des Dentelles qui, d'elles-mêmes, s'efforçoient de quitter la toile d'où elles devoient bien-tost estre separées. Il y avoit desjà quelques jours qu'elles deploroient leur malheur, lorsque le Poinct de Gênes, se trouvant dans la compagnie du Poinct de Raguse, du Poinct de Venise[164], et de quelques autres, se plaignit en cette manière:
C'est aujourd'huy, noble assistance,
Qu'il faut abandonner la France,
Et nous en aller bien et beaux,
Pour n'estre pas mis en lambeaux.
Ne croyez pas que je me rie;
Il faut revoir nostre patrie,
A mon gré fort pauvre ragoust,
Pour estre le baille-luy-goust
D'un mary de qui l'œil sevère
Redoute toujours l'adultère,
Ou nous serons mis en prison
Dans quelque maudite maison.
Et toi, pauvre Poinct de Venise,
Tu dois craindre pour ta franchise,
Et que t'en retournant sur mer,
Par un malheur bien plus amer,
Un corsaire, ou bien pis encore,
Ne te traitte de Turc à More;
Que peut-estre dans le serrail,
Où le jour par un soupirail
Vient le long d'une sarbatane,
Tu ne serve à quelque sultane,
Qui peut-estre, pour ton malheur,
Sera femme du Grand-Seigneur.
Encor si ce coup de tonnerre
Nous fût venu durant la guerre[165],
Peut-estre, ma foy, qu'en ce cas
Je ne m'en tourmenterois pas:
En retournant dans ma patrie,
J'eusse fait quelque menterie,
J'eusse dit quelque fausseté,
Que c'eust esté la pauvreté
Et le manquement de finance
Où chacun avoit veu la France
Qui m'eut fait revoir mon pays;
Et du Danube au Tanaïs,
On auroit cru, par ma sortie,
Que j'eusse quitté la partie,
Au lieu que l'on voit clairement
Que nous sortons honteusement.
Encor pour vous, Poinct de Raguse,
Vous qui n'estes pas une buse,
Il est bon, crainte d'attentat,
D'en vouloir purger un estat.
Les gens aussy fins que vous estes
Ne sont bons que, comme vous faites,
Pour ruiner tous les estats;
Mais pour nous autres Poincts, hélas!
Et vous, Aurillac ou Venise,
Si nous plions nostre valise,
Et si l'on nous presse si fort,
C'est, je vous jure, bien à tort.
Les autres parlèrent à leur tour à peu près aussi douloureusement que le Poinct de Gênes, lorsque, d'un autre costé, les Broderies ayant esté rendre visite aux Dentelles d'Angleterre, une vieille Broderie d'or, qui avoit desjà veu un autre decry, et qui, ne sçachant plus que devenir, s'estoit mise en tour de lit et puis avoit esté employée à la housse d'un cheval à l'entrée de la Reyne, s'efforça de consoler ses compagnes, en leur parlant de la sorte:
Sans faire la petite bouche
Il est vray, ce decry me touche,
Et m'attaque aussy fort les sens,
Comme à vous autres, jeunes gens:
Car, dites-moi, je vous en prie,
Poinct, Dentelles ou Broderie,
Qu'aurons-nous donc fait à la Court,
Pour qu'on nous chasse haut et court,
Nous par qui la noble jeunesse,
Meprisant toujours la bassesse,
N'avoit point d'autre passion
Que la gloire et l'ambition,
Pour nous seules faisant depence,
Vivoit quasi dans l'innocence,
Et ne faisoit, faute d'escus,
Que fort peu de maris cocus,
Au lieu qu'estant dans l'opulence,
Elle en repeuplera la France?
Mais ces discours sont superflus:
Mes compagnes, n'y pensons plus,
Et, sans en deviner la cause,
Soyons desormais autre chose,
Et, dans un semblable conflit,
Faisons nous toutes tour de lit:
C'est une agréable corvée;
Pour moy, je m'en suis bien trouvée.
Là, mille et mille serviteurs
Y viennent compter des douceurs,
Et j'y ai veu plus d'une duppe
Aussi bien que quand j'estois juppe.
Là-dessus, une grande Dentelle d'Angleterre, prenant la parole, dit:
Compagnes, mes chères amies,
Après toutes ces infamies,
Qui doivent bien crever le cœur
A toutes Dentelles d'honneur,
Cette infortune sans seconde
Me fait bien renoncer au monde,
Et me fait connoître assez bien
Que l'éclat du monde n'est rien,
Ce n'est qu'un vent, qu'une fumée
Eteinte plustost qu'allumée,
Et qui, dans chaque occasion,
Se changent en illusion;
Ses faveurs ne sont que des songes.
Hélas! qui peut de ces monsonges
Vous rendre compte mieux que moy?
j'habitois la maison du roy,
J'ai veu toutes ces momeries,
Que l'on nomme galanteries
Au royaume des beaux esprits.
J'ai veu ceux qui gagnent le prix:
Ces grands debiteurs de fleurettes,
Souvent caboches très mal faites,
Debitent d'un air surprenant
Des mensonges à tout venant.
Vous autres, belles Broderies,
Vous avez de ces menteries
Entendu, je pense, ma foy.
Peut-estre dix fois plus que moy;
Mais encor que cela deplaise,
Je les entendois à mon aise;
Car peut-on, sans ces deplaisirs,
Satisfaire mieux ses desirs
Que de passer toute sa vie
Dans des lieux qui feroient envie
Aux esprits les plus delicats,
Demeurant tantost sur les bras,
Tantost sur la gorge charmante
De Philis ou bien d'Amaranthe?
Quel plaisir de toucher à nu
Un beau sein tout nouveau venu!
De baiser les lys d'un visage
Non terni par l'excès de l'age!
De toucher l'embonpoint d'un bras!
Mais à tous ces plaisirs, helas!
Je decouvre bien du meconte.
Un edit nous comble de honte,
Mon cœur en est tout abattu.
Mais quoy! mon cœur, faisons vertu
Des necessités de la vie,
Et, prenant desormais l'envie
De renoncer à ce plaisir,
Que pourrions-nous, icy, choisir
Qui nous pût estre convenable,
Ou qui pût estre comparable,
Pour ne plus tourner à tout vent,
Comme d'entrer dans un couvent?
C'estoit assez bien raisonner, ce me semble, pour une Dentelle qui venoit d'un païs où la liberté de conscience n'est pas permise; et je trouve que pour le peu qu'elle avoit habité en France, qu'elle n'y avoit pas fait un petit progrès. Sa harangue entra si avant dans l'esprit de ses compagnes et les persuada si fortement, qu'elles ne songèrent plus à leur liberté, et qu'elles ne pensèrent plus qu'à faire un bon usage de leur disgrace. Mais les Dentelles de Flandre, ne pouvant pas souffrir une si rude reforme, se contentèrent d'obeir seulement à la rigueur des lois et de se cacher pour jamais aux yeux des hommes. Pour cela elles acceptèrent un party que l'on leur vint offrir de la part des filles; et, comme elles avoient toujours lié une etroite amitié ensemble, elles ne purent se resoudre de les abandonner, et quelque chose que l'on put dire pour les en detourner ne leur put faire changer la resolution qu'elles avoient prise de se mettre au bas de leurs chemises, quoiqu'on les eût averties que, si..... qui veut entièrement purger l'Estat de toutes ces superfluitez, les y trouvoit, pour la première fois, on ne repondoit pas de ce qui en arriveroit; mais que, s'il les y rencontroit pour la seconde fois, elles devroient s'asseurer qu'il les feroit mettre en pièces. Tout cela ne leur put faire changer de pensée; ce fut plus-tost un aheurtement qu'une resolution, et il n'y eut que le dessein d'estre rebelles quy leur put faire abandonner celuy qu'elles avoient pris de se loger en un poste si avantageux, où elles croyoient estre à l'abry des insultes et des insolences des hommes. Pour les Broderies, elles en voulurent faire chacune à leur teste. La lesine en fit resoudre quantité de devenir ameublements; d'autres, plus pieuses, prirent dessein de s'employer aux chasubles et aux devants d'autel des eglises. Mais celles qui avoient vieilli parmi les divertissements, ne pouvant pas faire si tost de necessité vertu, resolurent de s'employer aux habits de mascarades, esperant qu'en cet equipage elles pourroient encore estre de tous les plaisirs de la Cour, et se trouver quelquefois aux bals, aux balets, aux comedies et à tous les divertissements du carnaval.
La Dentelle noire d'Angleterre se loua à bon marché à un giboyeur pour lui servir de filets à prendre des becasses dans les bois; à quoy elle se trouvoit assez propre, dans l'habit où la mode l'avoit mise depuis peu.
Tous les Poincts resolurent de s'en retourner en leurs païs, excepté le Point d'Aurillac, qui fit plus de difficulté que les autres, craignant qu'aussy tost qu'on le verroit de retour, on ne l'employa à passer les fromages d'Auvergne, dont la senteur lui estoit insupportable, après avoir gousté la civette, le musc et l'eau de fleurs d'orange, dont il estoit arrosé tous les matins dans Paris, soit que ce fut pour corriger l'odeur de quelque gousset ou quelque sueur trop aigre, ou pour attirer les amans, comme on amorce les pigeons d'un colombier.
Chacun, dissimulant sa rage,
Doucement plioit son bagage,
Resolu d'obeir au sort,
Ne se voyant pas le plus fort,
Lorsqu'une petite rusée,
Leur donnant une autre visée,
Leur fit bien, dessus ce sujet,
A toutes changer de projet.
Cette petite revoltée s'appeloit la Gueuse, qui arriva d'une petite ville autour de Paris, qui s'en vint comme une enragée faire un vacarme epouvantable; elle leur dit, quoy qu'elle ne fut pas de si bonne maison, qu'elle avoit le cœur aussi bien placé qu'une autre, et que, quand elle seroit toute seule de son party, elle ne souffriroit pas que de semblables injustices demeurassent impunies; qu'elle ne sçavoit pas quel refuge elles avoient decidé de prendre, mais que, pour elle, elle n'avoit pas assez d'esprit pour decouvrir où elle pourroit se retirer, puisqu'on ne lui offroit pas même une place à l'hospital; que, si on la vouloit croire, elle engageoit sa chaînette qu'elle les remettroit toutes dans leur eclat; qu'au reste, elles ne doivent pas estre si degoustées que de ne vouloir faire alliance avec elle; qu'elle avoit eu pour le moins d'aussi beaux emplois que les autres, et que, si on s'estoit servi d'elles pour le faste et pour eblouir les yeux, que, pour sa discretion, on lui avoit confié les plus grands secrets des dames.
Tout ce discours rempli d'audace
Fit regarder chacun en face;
On fut un temps sans dire mot,
Chacun croyant estre un grand sot;
Puis, rompant ce morne silence,
Chacun, pour dire ce qu'il pense,
Voulant parler à haute voix,
Tous commencèrent à la fois;
Ce qui causoit un grand vacarme.
Mais après, de crainte d'allarme,
On appaisa tout ce grand bruit;
Et, comme il estoit desjà nuit,
Chacun, se retirant d'emblée,
Prit lors congé de l'assemblée,
Et, se frappant dedans la main,
Toutes dirent qu'au lendemain
Elles s'assembleroient encore
Dès qu'on découvriroit l'aurore
Se montrer dessus l'horizon,
Toutes, dedans quelque maison,
Afin de voir plus net qu'un verre
Tous les accidens de la guerre;
Que la nuit il faudroit resver
A ce qui pourroit arriver.
Cependant ils remercièrent
Madame Gueuse, et la prièrent,
Dedans des accidents pareils,
De leur fournir de ses conseils.
Ainsi finit, comme je pense,
Cette agreable conference.
C'estoit une chose assez agreable à mon gré d'entendre des Dentelles discourir de la guerre, raisonner sur toutes ses difficultez, en prevoir toutes les disgraces, et parler en leur langage sur tous les evenements d'une chose si douteuse. Le lendemain, un Passement qui estoit accoustumé à ne point dormir, pour avoir servy depuis dix ans à la coëffe du bonnet de nuit d'un vieux jaloux, les alla esveiller deux heures plus matin qu'on avoit arresté, et elles se trouvèrent toutes, comme elles s'estoient donné le mot, au logis de Perdrigeon[166], croyant que ce devoit estre un lieu de seureté pour elles; mais elles rencontrèrent la place occupée par les Rubans, qu'elles trouvèrent si bouffis d'orgueil de n'estre pas compris dans l'edit, qu'ils en estoient insupportables, si bien que, ne voulant pas avoir de commerce avec de telles gens, qu'elles ne prenoient que pour des esclaves ou des foux que l'on ne laisse jamais sans estre liez, que la superfluité avoit mis en credit seulement depuis le règne de Louis XIII, et qui ne passoient auparavant que pour des noüeurs d'aiguillettes, à qui on faisoit mettre bien souvent les fers aux pieds, comme à des criminels, elles s'assemblèrent toutes au Vase d'Or, dans la ruë Saint-Denis, où on les receut à bras ouverts.
Là, chacun, parlant à sa teste,
Raisonnoit ainsi qu'une beste;
Un autre, se tenant debout,
Vouloit mettre son nez partout;
Tel qui proposoit une affaire
Aussy-tost conclut le contraire;
L'autre, faisant le rafiné,
Se tourmente comme un damné;
L'autre, de tout faisant mystère,
Parle, raisonne, delibère.
Enfin, pour le dire inter nos,
Ce n'estoit du tout qu'un cahos.
Mais cependant, foy de Dentelle,
Disoit, pour temoigner son zèle,
Un grand Cravate fanfaron[167],
Il nous faut venger cet affront;
Revoltons-nous, noble assemblée:
J'en ai l'ame trop bourrelée.
Et dit, en jurant par la mort:
Voyons qui sera le plus fort.
Vous pouvez vous imaginer facilement combien ce discours chatoüilla l'oreille de la Gueuse, qui n'aspiroit qu'à la revolte et la sedition. Quelques unes remontrèrent toutes les difficultez qu'il y avoit dans une semblable entreprise, veu que, n'etant plus en credit, elles manqueroient de toutes les choses necessaires; mais ce doute fut bientost levé par un Poinct, qui asseura qu'il trouveroit credit de deux millions dans Paris, et peut-estre davantage, si on pouvoit voir quelque jour leur entier retablissement.
Il n'en fallut pas davantage
Pour leur augmenter le courage.
Là-dessus, le Poinct d'Alençon,
Ayant bien appris sa leçon,
Poinct qui sçavoit plus d'une langue,
Fit une fort belle harangue,
Remplie de tant de douceurs,
Qu'elle ravit, dit-on, les cœurs.
Chacun temoignoit sa furie,
Lorsque de la Coutellerie
Il leur vint, par un coup du sort,
Dit-on, un très puissant renfort:
C'estoient Mesdames les Espées,
Encor presque toutes trempées
Du noble sang des ennemis.
Ces Espées, après que le port d'armes fut defendu, plus tost que de demeurer inutiles, s'estoient resolües de se raccourcir, c'est-à-dire les Couteaux de devenir couteaux de poche, et les Escotades de se changer en bayonnettes; et, pour en venir du projet à l'execution, elles s'en alloient toutes ensemble à la Coutellerie, lorsqu'entendant parler de la revolte des Passemens, elles changèrent bien tost de dessein et se resolurent de leur aller offrir leur service. Vous pouvez vous imaginer si on les receut favorablement et si on fit leur composition avantageuse. Premièrement, on leur promit que, si le parti demeuroit victorieux, pas une de toutes celles qui se seroient employées pour leur service ne pendroit plus qu'à des baudriers en broderie; qu'on les feroit toutes damasquiner à la mode, et qu'elles ne coucheroient plus que dans des fourreaux parfumés. Les Poincts mesme leur promirent, de leur part, de les mettre en si haut credit auprès des dames, qu'elles passeroient desormais, aussi bien que les plumes, pour l'ornement le plus surprenant et le plus avantageux pour leur plaire.
On dit que quelqu'une d'entre elles,
Qu'on disoit venir du Marais,
Leur apprit aussi des nouvelles
De leurs amis les Pistolets.
Tout aussi-tost, de haute lute,
A l'instant même l'on depute
Vers ces ennemis de la paix;
On les asseura desormais,
Quelque chose qui pût leur plaire,
Tout au moins de les satisfaire;
Que, s'ils aidoient à les venger,
Et les tiroient de ce danger,
Pour plus grande reconnoissance,
On ne les chargeroit, en France,
Qu'avec des poudres de parfum,
Et quelques anis de Verdun.
Il ne fallut pas grande eloquence pour persuader les Pistolets d'accepter un semblable party. La misère où ils estoient les y fit bien-tost resoudre; et, comme ils ne voyoient aucune ressource d'autre part, ces propositions leur eblouissant les yeux, ils promirent de faire merveille, ce qui remit le cœur au ventre de bien des Poincts et de bien des Broderies, qui n'auroient autrement accepté la guerre qu'à ecorche-cul. Combien vit-on après cela de Dentelles qui se faisoient toujours blanches de leurs espées! Pour s'exciter les unes les autres, elles se racontoient les occasions perilleuses où elles s'estoient rencontrées. Telle Dentelle de Flandre disoit avoir fait deux campagnes sous Monsieur le Prince, en qualité de Cravate; une autre se vantoit d'avoir appris le mestier sous Monsieur de Turenne; une autre racontoit comment elle avoit esté blessée au siége de Dunkerque, et que, s'il n'y paroissoit plus, c'estoit qu'elle s'estoit fait penser sur le metier. Il se trouvoit mesme une grande Garniture toute entière de Poinct de Raguse qui disoit avoir appris le mestier sous Monsieur de Candale[168], lors qu'il commandoit en Catalogne. Enfin on entendoit raconter partout un nombre infini de belles actions. Il n'y en avoit presque pas une qui ne se fût rencontrée à quelque siége, à la journée d'une bataille, et qui n'eust du moins fait deux ou trois campagnes; et telle Broderie qui n'avoit jamais esté plus loin que du fauxbourg Saint-Antoine[169] au Louvre racontoit mille beaux exploits qu'elle avoit faits, tantost sous un tel capitaine, et tantost sous un autre chef.
Ainsi souvent les ridicules,
Rencontrant des esprits crédules,
Se vantent de mille beaux faits,
Et, pour que chacun les honore,
Leurs testes, dignes d'hellebore,
Racontent des combats qu'ils ne virent jamais.
Ce n'est pas une chose rare dans le monde que ces sortes d'extravagances. Combien voyons-nous tous les jours de ces braves jusqu'au degainer! Combien de ces gens qui se font tenir à quatre, pourveu qu'il y ait quelqu'un pour les separer, et qui ne parlent que de mettre sur le carreau, de casser les jambes et d'abattre un bras, pourveu qu'ils aient perdu l'ennemi de veüe! Nos Passemens en firent bien de même lors qu'ils virent le renfort des Espées et des Pistolets; jamais on ne vit de plus grands rodomonds. Une Dentelle d'Angleterre s'ecria là-dessus:
Qu'aurons-nous donc à redouter,
Puisque la Cour reste sans armes?
Je crois qu'il ne faut pas douter
Qu'elle ne fasse un beau vacarme;
Mais sans que sa fureur nous donne aucune allarme,
Il la faudra laisser pester.
Cette Dentelle s'imaginoit qu'elle n'avoit plus à craindre que quelque hallebarde ou quelque pertuisanne, dont les coups passeroient d'outre en outre sans l'offencer. Le Poinct de Gênes, qui avoit le corps un peu plus gros, dit qu'il ne s'en mettoit guères en peine, et qu'il feroit faire des caisses à l'épreuve de la pique et du baston à deux bouts. La Broderie, étant faite en chemise de mail, se mit à siffler quand elle entendit parler de toutes ces difficultez, si bien qu'on ne vit jamais de gens si braves, parce qu'elles s'imaginoient n'avoir plus rien à redouter. Là-dessus il leur vint encore un autre avis, que, pour quelque desordre, on vouloit defendre les mascarades; ce qui n'encouragea pas peu les Broderies, tant à cause qu'elles voyoient leur beau dessein renversé, que parce qu'elles s'imaginoient que cela renforçoit leur party, et qu'elles s'en pourroient servir d'espions dans leur armée, sans qu'on les pût jamais reconnoistre.
Enfin tout estoit résolu,
Et chacun d'eux, hurlu brelu,
Vouloient demeurer sans oreilles
Si tous ne faisoient des merveilles;
Et, sans presque avoir contesté,
Ils signèrent tous le traitté,
Qui fut depuis mis en lumière,
A peu près de cette manière:
Aujourd'hui, solennellement
Nous jurons, foy de Passement,
Foi de Poincts et de Broderie,
De Guipure, d'Orfevrerie,
De Gueuse de toute façon,
Que nous voulons mettre à rançon
La Cour du Roy, nostre bon sire,
Et que, ce qui sera le pire,
Nous voulons bannir hautement
Le Conseil et le Parlement,
Pour, d'une honteuse manière,
Avoir voulu faire litière
Tant des plus nobles ornemens
Que de nous autres Passemens;
Qu'il faut que le diable s'en pende,
Ou qu'on les condamne à l'amende;
Que pour semblables trahisons,
Pour telles et autres raisons,
Voulant toujours aller grand'erre[170],
Nous voulons déclarer la guerre,
Et dire partout hautement,
Que, sans un restablissement
Qui fût d'éternelle durée,
La guerre sera déclarée.
A tous ennemis du repos,
Et que nous casserons les os
A ceux qui voudront entreprendre
Tant seulement de les defendre.
Ce que nous signons tout entier,
Ce dix-huitième janvier,
Tant les nouvelles Broderies,
Comme celles des Friperies,
Tant les Gueuses, les Agremens,
Comme nous autres Passemens.
Le traitté ayant esté signé, on ne songea plus qu'à choisir un poste avantageux pour les trouppes; mais il s'emeut quantité de difficultez sur ce sujet. Les uns soutenoient par mille raisons qu'il falloit sortir de Paris, parceque, tant que l'on habiteroit avec ses ennemis, il estoit impossible de se garentir de leurs embusches; que, si l'on faisoit ce pas en arrière, ce n'estoit que pour mieux sauter, et qu'il valoit bien mieux voir venir l'ennemy à soy que de l'avoir de quelque costé que l'on se tourne. Mais une Dentelle, qui avoit autrefois servy à....., soustint qu'elle sçavoit par experience que de quitter Paris estoit perdre la partie, et qu'il valoit bien mieux s'emparer du terrain et le disputer, que de l'abandonner sans esperance de le prendre puis après d'emblée; que, de plus, elle sçavoit bien qu'ils ne manqueroient pas de partisans qui leur donneroient tous les jours de nouvelles forces et de nouvelles lumières des affaires; au lieu qu'estant hors de Paris, on n'en pourroit sçavoir que par des espions; et que, le regiment des gardes estant tous les jours à l'affut pour les decouvrir, ils en perdroient autant qu'ils en feroient sortir de leur armée.
Il s'emeut encor une seconde difficulté pour sçavoir si on feroit la guerre ouvertement; si on mettroit d'abord le siége devant quelque place et si on rangeroit tout d'un coup l'armée en bataille, ou bien si on se menageroit d'avantage, si on ne se contenteroit pas de repousser les insultes, et si on ne se mettroit pas plus-tost en estat de faire une retraite honorable que de s'engager tout d'un coup dans des combats dont le seul appareil seroit capable de les espouvanter. On fut encore partagé sur cet article. Les uns soustenoient que c'estoit trop hazarder que de donner bataille tout d'un coup, qu'il estoit difficile que des trouppes qui n'avoient habité que parmi des femmes fussent si tost aguerries, et que, si elles venoient à la perdre, elles seroient perdues sans resource et ne se rallieroient jamais. Les autres soutenoient que les premiers efforts estoient toujours les plus violents; que tel qui fournissoit bien une carrière n'estoit pas toujours à l'epreuve d'une seconde, et que les cœurs mal aguerris se ralentissoient assez tost; que la moindre pluie et le moindre mauvais temps les rendroient toutes moles et sans vigueur; que, ne combattant pas à force ouverte, on les dissiperoit toutes petit à petit; que deux millions n'estoient pas suffisans pour faire subsister si longtemps une armée si nombreuse, et que, quand leurs finances seroient épuisées, elles ne voyoient pas à qui elles pourroient avoir recours. Comme elles en estoient à toutes ces difficultés, une d'entre elles, dont je n'ay pu sçavoir le nom, les vint avertir qu'elle avoit pratiqué sous main une affaire d'une haute importance, et que, moyennant une somme assez considerable, elle s'estoit renduë maistresse de la Foire de Saint-Germain; mais qu'il luy estoit defendu d'en ouvrir les portes publiquement jusques au troisième de fevrier, et que cependant il faudroit faire marcher toutes les trouppes et garnir la place de toutes sortes de munitions. Ce dernier advis les emporta tout d'un coup; on se resolut que l'on demeureroit dans Paris; que l'on tiendroit toujours l'armée en bataille, de peur d'être surprises; que l'on feroit tous les jours des sorties considerables, et que par ce moyen on pourroit se menager sans rien craindre. Là-dessus on donna les ordres necessaires à toutes les trouppes, et on ordonna qu'elles fileroient petit à petit, et que, sans faire aucun bruit, elles se rendroient dans la place; ce qui fut executé ponctuellement jusqu'au troisième de fevrier, auquel jour le generalissime Luxe, avec la Superfluité et le Vain-Orgueil, qui ne l'abandonnoient jamais, leur firent faire la revue et les rangèrent en bataille, comme vous verrez par la suite.
Mais pendant que ce jour viendra,
Abandonnons un peu la prose
Et discourons sur autre chose;
Parlons de ce qu'il vous plaira.
Par le dieu qui lance les flames,
Dites-moy pourquoy vos attraits
Ne seront-ils faits tout exprès
Que pour faire enrager nos âmes?
Vous, pour qui cent cœurs, chaque jour,
Souffrent mille cruelles gehennes,
Vous qui causez toutes leurs peines,
Pourquoi n'aurez-vous point d'amour?
Quoi! ny le rang, ny le merite,
Le renom, l'esprit, ny le cœur,
A votre inhumaine rigueur
Ne feront point prendre la fuite?
Vous voyez où je veux aller;
Et, comme vous êtes très fine,
Je voy que vous me faites signe
Sur ce fait de ne plus parler.
Tout beau! Muse trop libertine,
Avez-vous l'esprit de travers?
Mêlez-vous de faire des vers;
Vous êtes un peu trop badine.
L'ordre ayant été donné de la manière que vous avez entendu, le colonel Sotte-Despence, qui avoit pris soin de la marche, fit arriver les troupes dans la place par quatre costez differens, afin de donner moins de soupçon de leur entreprise.
Lors, comme j'ai veu dans l'histoire,
On vit arriver à la foire,
Sous de differents estendarts,
Des Dentelles de toutes parts;
Mais, selon l'ordre expediée,
On marchoit enseigne pliée,
Et, pour faire encor moins de bruit,
L'on n'alloit presque que de nuit;
De peur qu'on ne demande: Qu'est-ce?
On n'osa pas battre la caisse,
Et chacun alloit doucement,
Tant le Poinct que le Passement.
Qui pourroit nombrer chaque sorte
De ceux qui vinrent par la porte
Qui prend le nom de Luxembourg?
Combien par celle du fauxbourg,
Et par les autres moins fameuses?
Combien il arriva de Gueuses?
Combien il en vint sourdement,
Combien d'autres plus hautement?
Pour vous en descrire l'histoire,
Toute l'encre d'une escritoire
N'y pourroit pas suffire encor.
Il en vint dont le pesant d'or
N'auroit pas payé leurs dents creuses;
Il en vint que le plus souvent
On disoit venir du Levant;
Il en vint des bords de l'Ibère;
Il en vint d'arrivez naguères
Des païs septentrionaux[171];
Enfin il en vint des tonneaux,
Tant de mechante, tant de bonne
Que le seul nombre m'en estonne.
Quand elles furent toutes arrivées dans la foire Saint-Germain, ce fut un desordre et une confusion epouvantable: chacun vouloit avoir le premier rang; et comme l'ordre et les dignitez n'avoient pas encore esté decidées, n'ayant jamais esté mises sur le tapis, ils se seroient tous egorgés les uns les autres, et les Pistolets, qui faisoient desjà feu, et qui sçavoient un peu mieux la guerre, alloient faire main basse, si le generalissime Luxe, accompagné de sa suite, ne fût venu mettre l'ordre parmi ces trouppes de nouvelles impressions, qui s'imaginoient que pour estre braves il ne falloit que faire du bruit, et jurer deux ou trois morguiennes pour estre aussi bons soldats que les Allemands. Aussitost qu'ils furent arrivez, ils firent tracer deux lignes pour mettre l'armée en bataille, comme ils avoient desjà projetté. On distribua des quartiers à chaque trouppe, et on chercha le poste le plus avantageux et le moins apparent que l'on pût pour l'artillerie, qui estoit composée de trois cens paires de canons à passemens, tous chargés de quartiers de rondache et de chaisnettes de rubans figurés, ce qui devoit faire un fracas effroyable et emporter les regimens tout entiers. Deux cens Cravates volontaires tenoient la campagne et ne cherchoient partout qu'à faire le coup de pistolet. Ensuite on donna l'aile droite à commander au colonel Raguse, composée de six escadrons, chacun de cent cinquante ballots de Dentelles d'Angleterre, Dentelle façon d'Angleterre, et de Moresse[172]. L'aisle gauche estoit composée d'autant d'escadrons de neiges[173], de Rubans figurés et d'Agremens, et tous estoient commandés par le capitaine Orgoglio.
Le corps de bataille estoit de huit bataillons, tous bordez de deux rangs de Piquots en haye, et soutenus par deux autres rangs de Pistolets.
Le premier estoit composé de cinq à six cens Caisses, toutes l'espée au costé, de Dentelles d'or, et commandées par le capitaine Brocard-d'Or, et portoit pour enseigne un Amour deguisé en broderie, avec de grands canons aux jambes et des rubans jusqu'aux bouts de ses souliers, en sorte qu'avec sa petite taille il ne ressembleroit pas mal à un pigeon trapu, avec cette inscription en haut du drapeau: Ingannator di donne, voulant temoigner que les beaux habits et les riches ornemens estoient pour l'ordinaire ce qui surprenoit le plus les femmes.
Le second estoit composé de quatre cens ballots de Dentelles de Flandre, de Dentelles du Havre, et estoit commandé par le colonel Poinct-de-Gênes, ayant pour enseigne la Reyne de Suède, ayant cette inscription: Famosa per omnes terras.
Le troisième contenoit cinq cens tiroirs de Dentelles de soie noire, commandé par le colonel Brocard-d'Argent, et portoit dans son chapeau un diable fort leste, fort poudré et fort affeté, à qui bien des gens faisoient accueil, et un autre tout nud, à qui on donnoit des coups de baston, avec ceste devise: Fa ti vestire, voulant dire qu'au siècle où nous vivons, pour estre receu favorablement, il faut être magnifique, et qu'à moins que d'estre leste il ne faut pas pretendre d'estre consideré dans les compagnies.
Le quatrième estoit composé de trois cens grands coffres de Broderies d'or et d'argent, sous la conduite du colonel Somptuosité; leur drapeau estoit d'une etoffe precieuse et enrichi de broderie fort relevée, avec ces trois ou quatre mots: Et pour le poil et pour la plume, voulant marquer par là que la broderie estoit necessaire pour la guerre, qu'elle servoit à faire reconnoistre les principaux chefs, et qu'elle estoit aussi de grand usage durant la paix pour se donner quelque entrée parmy le monde.
Le cinquième estoit de huit cens ballots de Gueuses, commandé par le capitaine Parcimonia, et portoit une enseigne assez sale et presque toute en lambeaux, où on lisoit à peine ces mots espagnols: No siempre relumbra el coraçon, qui signifioient en nostre langue que le cœur ne se rencontroit pas plus dans les personnes eclatantes que dans celles qui ne faisoient pas un si grand eclat.
La sixième comprenoit quatre cens caisses de Poincts de Gênes, Poincts d'Aurillac, Poincts d'Alençon, Poincts de Raguse, et quelques autres, qui marchoient sous la conduite d'un etranger nommé Poinct-d'Espagne; leur enseigne estoit de toille de Hollande toute parsemée d'aiguilles et d'espées sans nombre, avec ces mots: De lago alla spada duro passagio, ce qui vouloit peut-estre signifier que pour eux, qui avoient fait à l'aiguille et qui n'habitoient que parmy les femmes, ils estoient difficiles de s'accoutumer aux fatigues de la guerre.
Le septième contenoit douze cens gros paquets de Boutons à queue, tant de canetille que de soie, commandé par le capitaine Agrément, et dans leur enseigne on voyoit la figure d'un homme, l'espée à la main, qui remettoit dans un sac quantité d'argent, dont une grande partie estoit comptée sur une table, avec cette inscription: Si non auro saltem gladio quærenda libertas.
Le huitième estoit composé de cinq cens quaisses de Dentelles escrües, que le lieutenant du colonel Brocard-d'Or commandoit, et l'on voyoit ces mots ecrits: Gia di Vanita, hor di Marte, e siempre serva, se plaignant de ce qu'elles estoient toujours esclaves, ou de Mars pendant la guerre, ou de la Vanité durant la paix.
Quand toutes ces trouppes furent passées, et qu'elles eurent toutes pris leurs postes sur la première ligne, le generalissime donna des ordres pour faire advancer le reste qui devoit composer la seconde; mais une petite Dentelle d'un pouce, qui avoit quelque correspondance à la cour, vint advertir un grand Passement de Flandre, avec lequel elle avait eu quelque intrigue, pour lui avoir autrefois servy de pied, que l'on les venoit attaquer avec tous les canons de l'artillerie, et que, s'ils n'abandonnoient ce poste, deux volées seules estoient capables de les foudroyer. Ce bruit, à quoy elles ne s'attendoient pas, passant aussitost de quaisses en quaisses et de ballots en ballots, jetta une si grande epouvante parmi les soldats Passemens, qu'il fut impossible de les retenir, et que, quelques efforts que purent faire les principaux chefs, ils ne furent pas capables de les arrester: tous se debandèrent avec une telle confusion qu'à moins de rien on n'en vit plus paroistre aucun sur les rangs.
Chacun, pour éviter l'assaut,
Se seroit jetté d'un plein saut
Dans une plus noire caverne
Que ne sont celles de l'Averne.
Chacun pour sortir se pressoit;
Une Dentelle un Poinct poussoit;
Puis, pour éviter la tüerie,
On voyoit une Broderie
Se voulant pousser par un coing,
Recevoir plus d'un coup de poing.
Un ballot poussoit une quaisse;
Et tant pour sortir on s'empresse,
Que maints Passemens sur leur dos
Sentirent maints coups de Piquots.
Alors mesdames les Espées,
Voyant qu'elles estoient dupées,
Ayant les esprits mecontens
De s'estre joint à telles gens,
Retournèrent tout en furie,
Tout droit à la Coutellerie;
Et pour messieurs les Pistolets,
Poussant mille et mille regrets,
Dans le depit qui les accable,
Se donnèrent, dit-on, au diable,
Qu'ils s'en vengeroient un petit.
Pour cela, chez monsieur Petit
Ils firent soudain la retraitte,
Où depuis ils tinrent diète,
Pour plus aisément convenir
De ce qu'ils pourroient devenir.
Le parti des rebelles ayant donc esté dissipé de sorte, toutes ces trouppes epouvantées se retirent avec precipitation, du mieux qu'elles purent, dans les lieux où elles crurent avoir plus de protection, pour y avoir esté autrefois assez bien receües, et elles y demeurèrent quelque temps cachées. Cependant, pour les punir de leur revolte, on proposa de faire rendre un arrest solennel, par lequel on auroit declaré que tous les Poincts serviroient d'oresnavant à faire de la mesche, qui ne seroit employée que pour les mousquets de la compagnie des mousquetaires du roy; que toutes les Dentelles serviroient à faire du papier, sur lequel on devoit ecrire leur condamnation, pour en envoyer la copie par toute la France; que toutes les Dentelles de soie, Dentelles escruës, Gueuses et autres sortes de Passemens seroient employées pour faire des cordes, et qu'ainsy elles seroient envoyées aux galères à perpetuité pour servir de chaisnes aux galeriens, la bonté du roy ayant eu quelque pitié du poids et de la dureté de celles qu'il leur avoit veu traisner à Marseille; que pour toutes les Broderies d'or et d'argent, que parce que par un faux advis on s'imagina qu'elles avoient excité cette sedition, on ordonna qu'elle seroient bruslées toutes vives. Pour les Espées, on les devoit laisser à la Coutellerie, jugeant bien que ce seroit une assez grande punition pour elles; mais pour les Pistolets, à cause du grand service qu'ils avoient rendu durant l'espace de plus de vingt années, on feroit leur composition meilleure, et on leur offriroit un vaisseau pour les porter en Portugal, où on les assureroit de leur faire trouver un employ.
Ce sanglant arrest, qu'on estoit sur le poinct de publier contre ces rebelles, les obligea de se tenir encore plus cachés que jamais; il y eut pourtant quelques Broderies et quelques Poincts qui, plus hardis que les autres, se hasardèrent de sortir les soirs en habits deguisez, et s'estant une fois rencontrez avec mesdames les Plumes dans une celèbre mascarade qui se fit sur la fin du carnaval, dont le dessein estoit de representer le Triomphe de l'Amour[174], ils renouvelèrent l'etroite amitié qu'ils avoient toujours eu ensemble pour s'estre trouvé dans les mesmes occasions, ayant tous esté employés toute leur vie pour plaire aux dames. Quelques uns d'entre eux, tombant adroitement sur le sujet de leur disgrace, sembloient ne se plaindre pas tant d'estre bannis pour jamais de la societé des hommes, comme de ne pouvoir plus travailler avec les Plumes à de si glorieuses conquestes, quoy que par une fausse humilité ils avoüassent qu'ils ne pouvoient pas pretendre d'y avoir jamais travaillé avec autant de succez.
Ainsi les Poincts, les Broderies,
Gagnèrent, comme on fait souvent,
Par ces adroites flatteries,
Les Plumes, qui vont à tout vent.
Ces ornemens des jeunes testes
Leur promettent desjà mille et mille conquestes;
Se voyant ainsy caresser,
Et se joignant à ces rebelles,
Protestent desormais de quitter leurs ruelles
Si l'on ne les veut exaucer.
Par ces beaux discours, les Plumes s'engageoient desjà à l'etourdy dans le party de ces miserables; et je ne doute pas que ces gens qui font tout à la legère ne les eussent servy comme ils leur avoient promis, si l'Amour, qui faisoit lui-mesme son personnage dans cette celèbre mascarade, voyant que toutes ces pratiques lui pourroient apporter de grands dommages pour le retablissement de ses affaires: car, se voyant desjà privé du secours des Dentelles et des Passemens, qui luy avoient rendu de si grands services, il apprehendoit extremement de se voir encore abandonné des Plumes, qui estoient pour lors les seules forces qui luy restoient, et dont il tiroit le plus d'avantage, prevoyant bien que, ne pouvant s'en passer absolument, il seroit contraint d'arracher plustost celles de ses aisles pour les prester aux galans qu'il employoit pour son service, estant absolument impossible qu'ils pussent reussir dans leurs entreprises sans leur aide, et que lui-mesme, après cela, n'en ayant plus, ne pouvant plus voler si haut, seroit obligé de camper sur terre, et de se reduire, comme autrefois, parmy les bergers, ne pouvant paroistre à la cour ny s'elever à de plus hautes conquestes.
Ces considerations le portèrent à rompre la partie qui s'estoit liée, et, pour le faire de meilleure grace, il s'avisa d'offrir luy-mesme aux Passemens d'employer le credit qu'il avoit à la cour pour leur restablissement, les priant de se reposer sur luy du soin et de la conduite de cette affaire; que la reconnoissance des services qu'ils luy avoient rendus jusques icy l'obligeoit à l'entreprendre, et qu'il ne doutoit pas d'y pouvoir reussir, pourveu qu'ils ne precipitassent rien et qu'ils se gardassent d'irriter la cour de nouveau par leur desobeissance.
Lors, considerant meurement
L'effet de son engagement,
Et que, s'il les vouloit defendre,
Au lieu de leur faire faux bond,
L'utilité qu'il pouvoit prendre,
S'engageant pour eux tout de bon,
Le petit dieu, plein de finesse,
Resolu de les servir mieux,
S'adressa, d'un air plein d'adresse,
Au plus galant des demy-dieux.
Ce n'estoit pas d'aujourd'huy qu'il avoit de secrettes pratiques avecque luy; ils avoient toujours tant d'affaires ensemble qu'ils sembloient ne se pouvoir passer l'un de l'autre; mais l'occasion luy estoit d'autant plus favorable qu'il venoit tout de nouveau de le faire ouvertement declarer de son party, en sorte qu'il avoit tout lieu d'esperer un succez favorable à sa requeste. En effet, il ne se trompa pas: nostre demy-dieu fut ravy de lui rendre ce petit service pour le payer de tant d'obligation qu'il luy avoit, en sorte que par son credit il obtint de la cour l'elargissement de quelques-uns de ces miserables que l'on avoit pris prisonniers pour en faire l'exemple des autres, avec l'entière liberté pour tout le reste, dont ils jouissent maintenant en faveur de l'Amour.
Mais après que ce dieu vient de nous faire voir
Le credit qu'il avoit en France,
Pensez-vous qu'il soit temps de faire résistance?
La plus prude, comme je pense,
Pourroit bien, sans rougir, ceder à son pouvoir;
Et quoy qu'en vostre humeur altière,
Vous le preniez pour un oyson,
Vous avez beau faire la fière,
Il saura bien un jour vous mettre à la raison.
Ordonnance[175] pour le faict de la police et reglement du camp.
A Paris, pour Jean Canivet et Jean Dallier, libraire, demourant sur le pont Sainct-Michel, à l'enseigne de la Rose-Blanche. 1568.
Avec privilége du Roy.
In-8o.
De par Monseigneur le duc d'Anjou et de Bourbonnois, fils et frère de roy et son lieutenant general representant sa personne par tout son royaume, pays, terres et seigneuries de son obeissance.
Ayant esté la presente armée mise sus et levée premierement pour l'honneur de Dieu, conservation de l'authorité de nostre mère saincte Eglise, catholique, apostolique et romaine; et après, pour maintenir et conserver la couronne au roy, nostre très honoré seigneur et frère, rompre les desseinz de nos ennemiz eslevez en armes contre nouz, leur resister et rendre aux subjects dudict seigneur le repos et tranquillité dont par la malice du temps ils ont esté privez. Nous avons estimé que pour conduire nostre intention à la bonne, heureuse et saincte fin que nous desirons, il estoit très necessaire, en premier lieu, d'avoir nostre Dieu propice, et avant toute chose nouz reconcilier avec luy, et le servir comme bon et fidèle chrestien, faisant preuve de ce quy est en l'interieur de nos cueurs par nos actions exterieures, en sorte que nous puissions appaiser son yre, quy a esté provoquée et concitée à l'encontre de ce royaume par infinyes personnes quy se glorifient en la diversité de leurs opinions et inventions, des quelles ils usent ordinairement pour rendre abjecte, comtemptible, meprisée et ridicule contre l'honneur de Dieu, la saincte religion, ancienne, catholique, apostolique et romaine, et les effets de la justice tellement debilités et de si peu d'effects que ilz puissent executer leurs mauvais desseingz, tenir les champs, à la foulle et oppression du pauvre peuple, desjà tellement attenué par les calamitez passées, qu'il est presque demeuré abattu sous le faix, sans moyen de se pouvoir resoudre; et d'autant que nous desirons pourveoir qu'il ne se commette semblable chose en l'armée du roy nostre dict seigneur et frère, et que nostre intention est de faire vivre toutes personnes, de qualité qu'ils soient, estant à la solde dudict seigneur ou autrement, avec l'ordre, devoir et police qu'il convient et est necessaire en l'armée d'un prince très chrestien, tant pour le regard de ce quy est dû à l'amour, craincte et honneur de Dieu, manutention et execution de la justice en sa splendeur et integrité, ordre et police militaire entre les soldats pour les conduire et mener seurement en campaigne, au combat avec l'ennemy, et les faire loger sans desordre, que pour garder d'oppression et violence des dictz soldatz et autres gens de guerre les subjectz du roy nostre seigneur dict, et faire en sorte qu'ilz puissent vivre sans estre vexés, tourmentez, battuz, ne pillez, et demeurer en seureté soubz la sevère justice que nous entendons faire de ceux quy contreviendront aux ordonnances cy-après desclarées, lesquelles nous voulons etre si exactement et inviolablement observées, que par la punition des grandes et execrables impietez et detestables vices quy se font et commettent ordinairement, à present nous puissions faire cognoistre à un chacun combien telles choses nous deplaisent.
Premièrement:
Il est tres expressement enjoinct et commandé à tous capitaines de gens d'armes, de quelque qualité qu'ils soient, qu'ilz aient chacun en leur compaignye un prestre, quy dira chaque jour la messe, à laquelle ilz seront tenuz d'assister, ensemble les principaux chefs de ladicte compaignie.
Que chacun des colonels des genz de pied auront pareillement un prestre, quy dira chaque jour la messe, à laquelle les capitaines seront tenus d'assister pour le moins les festes et dimanches, et les autres jours quand ils pourront; et, afin que ceux quy s'y voudront treuver puissent savoir l'heure qu'elle se dira, lesdictz capitaines en feront advertir avec le tambourin.
Et pour garder que les vices que la licence de la guerre produict ordinairement ne puissent prendre racine aux cueurs desditz genz de guerre, et que par la parolle de Dieu ilz puissent estre incitez à suivre la vertu, il est ordonné qu'il y aura, tant en la bataille que en l'avant-garde, un prescheur homme de bien quy annoncera la parolle de Dieu et preschera l'Evangile, où assisteront les chefs et gens de guerre de ladicte armée, chacun selon le lieu où il leur est ordonné de marcher[176].
Que par touz les lieux et endroits où ladicte armée passera, sera prohibé et defendu que personne ne se loge ne se mette en les eglises pour autre effect que pour prier Dieu; et que où il y seroit trouvé chevaulx ou autres bestes, mesme des hommes logez pour autre effect, ils soient punis selon l'ordonnance quy en a esté sur ce particulièrement faicte[177]; et, afin que personne n'en pretende cause d'ignorance, sera publiée tant en la bataille qu'en l'avant-garde de ladicte armée, et en tous les lieux où elle passera, pour estre observée exactement selon la teneur d'icelle.
Et pour faire entretenir tant le contenu ès dessus dicts que subsequentz articles, il est enjoinct très expressement au grand prevost de mondict seigneur de commettre et donner charge à l'un de ses lieutenans de marcher devant ladite armée, et avec les marechaux de camp accompagnez de dix archers, pour pourveoir et donner ordre à ce que, par lesdictz marechaux, luy sera commandé et ordonné. Et à iceluy grand prevost de demeurer près de mon dict seigneur à la bataille pour l'execution du contenu en ces presentes ordonnances et autres choses concernant son estat et charge. Et pareillement de commander et ordonner à l'un de ses dicts lieutenants de demeurer et marcher après le camp et armée pour empescher qu'il ne se face aucun desordre, malversion, vollerie et larcin à la suite d'icelle. Il sera aussy envoyé un prevost en l'avant-garde pour obvier et pourveoir à ce quy ne se commette aucune chose au prejudice de ces dictes ordonnances, et icelles faire entièrement observer selon leur forme et teneur. Et seront tenuz tous les prevosts dessus dictz et autres estans au camp, à la suite de ladicte armée, d'obeyr à ce que par les marechaux de camp leur sera commandé et ordonné, sans y faire aucune faute.
Que toutes personnes vagabonds et sans aveu ayent à se retirer hors du camp et armée, sans y plus retourner, dedans douze heures après la publication de ces presentes, sur peine de la hart et confiscation de leurs chevaulx, armes et autres biens[178]; ensemble ceux quy se seront absentez de ladicte armée pour eluder ces dictes ordonnances, et quelque temps après seroient retournez en icelle.
Au nombre desquelz vagabonz et sans aveu nous voulons estre censez, jugez et reputez toutes personnes, de quelque qualité ou condition qu'elles soyent, n'estant enroléez soubz quelque enseigne ou cornette pour faire le serment quy leur sera commandé; excepté toutesfois les serviteurs, domestiques estans advouëz par les princes, gentilzhommes et autres gens notables et grands personnages estant à la suitte de ladicte armée.
Et pour ce, il est enjoinct à toutes personnes, de quelque qualité qu'ils soient, tant genz de cheval que de pied, de se ranger et faire enrooler soubs la cornette de mon dict seigneur ou soubs quelque cornette ou enseigne, pour faire le serment ainsy qu'il sera ordonné, et ce, dedans huict jours après qu'ils seront arrivez en ladicte armée: autrement, et à faute d'obeyr en ledict temps, seront leurs chevaux et armes dès à present comme pour lors, et dès lors comme dès à present, desclarez adjugez et acquis à celuy ou ceux quy les auront defferez à mon dict seigneur ou aux marechaux de camp.
Et d'autant qu'il se commect infinité d'abuz et volleries par les vallets quy vont fourrager dans les maisons des habitans des villages estans ès environs de ladicte armée sans aucune conduicte, il est très expressement defendu à tous capitaines, tant de gens de pied qu'à cheval, ou maistres estanz à l'armée, de n'envoyer, ne permettre d'aller aucunz de leurs valetz fourrager sans leur commandement, et qu'ils ne soient envoyez pour la conduicte ou escorte desdicts valletz quelques-uns des hommes d'armes de la compaignie à la discretion du capitaine, et où ils s'en trouveroient aucuns quy allassent fourrager en autre façon, ils seront punis corporellement et leurs chevaulx confisquez.
Quelconque soldat ou autre quy se trouvra saisy d'aucun bestial, vivres ou autres meubles prins ès lieux par où ilz passeront et auront passé, sans payer et outre le gré de leurs hostes ou autres, soient puniz par mort[179], sans autre genre ny forme de procez[180].
Pareillement est defendu très expressement à toutes personnes, de quelque qualité qu'ils soyent, de piller et de trousser les vivres et autres choses que l'on apportera de divers et plusieurs endroictz au camp, à l'armée, pour le bien et commodité d'icelle, sur peine de la vie à ceux quy y contreviendront.
Que les gens d'armes ayant receu leurs soldes seront tenuz de payer ce qu'ils prendront, selon un moderé taux quy en sera faict par le grand prevost estant à nostre suite, fors et excepté le fourrage, dont ils ne devront aucune chose, voulantz que les chefs d'iceux y prennent garde, sur peine de s'en prendre à eux.
Et pour contenir les dictz gens de guerre en leur devoir, et avoir plus prompte information du mal quy se commettra par eux, les prevost estanz en la dicte armée se pourmeneront par les regimentz hors du camp logez, et feront promptement punir ceux qu'ilz trouveront contrevenanz aux presentes ordonnances; et n'y pouvanz aller en personne, seront tenuz d'y envoyer leurs lieutenantz pour les faire observer et entretenir le plus exactement qu'il leur sera possible, faisanz briève et prompte justice de ceux quy seront trouvez en flagrant delict.
Item est ordonné que à l'entour du camp et regimentz des genz de pied françois il y aura tousjours quelque capitaine ou chefs des dictz gens de guerre quy se pourmenera par rangs, et pouvoira aux desordres quy pourroient survenir aux soldatz.
Et s'il advenoit quelque tumulte en faisant justice, et qu'il y eust quelque chef quy empeschast l'execution d'icelle, il en sera puny par mort, sans aucune grace ou remission.
Et est enjoinct expressement à tous capitaines et soldatz estanz en corps de garde pretz et joignant le dict lieu où se fera l'execution de la dicte justice de tenir la main forte, tant à l'execution de icelle que à faire la punition des ditz chefs ou autres quy la voudroient empescher, lesquelz, au cas se monstrassent lentz et negligentz à s'employer à la maintenir et faire executer, seront puniz exemplairement, privez de leurs armes et constituez prisonnierz par l'espace de trois jours au pain et à l'eau. Et le caporal et chef de la dicte garde si grievement puny qu'il appartiendra.
Et où il adviendroit quelque querelle ou debat devant le corps de garde, près ou joignant iceluy, il est enjoinct très expressement aux chefs ayanz charge de ladicte garde d'y aller promptement pour y veoir, la faire cesser, et apprehender les autheurs d'icelle, pour après en estre cogneu la cause et intention et sur le tout estre pourveu comme il apartiendra. Et où lesdictz soldats ne feroient leur devoir d'y aller promptement, il en sera faict telle et si briefve punission que leur malice ou negligence meritera.
Que quelque personne, de quelque qualité et condition qu'ils soient, estanz audict camp et armée, ne soient si hardiz de mestre la main à l'espée contre aucun chef ne autres, sus peine de la vie; encore que ledict chef luy eust faict tort, auquel cas se retireront lesdicts soldats et gens de guerre par devers mon dict seigneur, qui en ordonnera ainsi qu'il appartiendra par raison.
Et d'autant qu'il pourroit advenir que en ladicte armée il se trouvast plusieurs gentilshommes et autres ayantz par cy devant et de longue main querelles particulières par le moyen desquelles il seroit aisé à renouveler et apporter en icelle quelque tumulte ou emotion, leur est expressement defendu et inhibé de se quereller ne se demander aucune chose les uns aux autres, tant et si longtemps que ladicte armée demourera ensemble, sur peine de la mort, sans esperance d'obtenir aucune grace.
Est aussy ordonné que, si aucun homme d'armes ou archer abandonne son enseigne pour prendre son logis et s'accommoder avant les autres, celuy quy n'aura bougé de son enseigne le pourra desloger, laissant à la discrétion du capitaine de faire telle punition du deserteur d'enseigne qu'il jugera estre convenable[181].
Et afin qu'il ne se commette aucun desordre par les capitaines et autres gens de guerre de ladicte armée, changeant les logiz quy leur ont esté baillez par les marechaulx de camp, et qu'il ne soit malaisé auxdits marechaux de camp de les faire marcher ou advertir de ce qu'ils auront à faire advenant une prompte occasion, il est très expressement deffendu à tous capitaines et gens de guerre de ne se departir ne desloger ès lieux et endroictz quy leur auront esté assignez par lesdictz marechaux, sur peine d'estre cassez; et sur la même peine est très expressement enjoinct et ordonné auxditz capitaines et gens de guerre d'obeyr et executer promptement à tout ce que par lesditz marechaux de camp leur sera commandé et ordonné.
Et afin que les compaignies d'hommes d'armes sçachent et soyent adverties des lieux où elles auront à loger[182], il est ordonné qu'il y aura cinq ou six archers desdictes compaignes avec les mareschaux des logis pour y estre par eux envoyez au devant desdictes compaignies et leur enseigner les logis[183].
Et où en ladicte armée il y auroit aucuns hommes d'armes, archers ou autres personnes estanz à la solde du roy nostre dict seigneur et frère ou à la suitte de son camp quy eussent deslogé ou entreprins de desloger les chevaulx d'artillerie ou ceux quy sont ordonnez pour la conduicte des vivres. Nous voulons qu'iceux soient grievement et exemplairement puniz, selon et ainsy que le cas et excès par eux commis le meriteront.
Voulons et ordonnons en oultre que ceux quy auront charge des dictz chevaulx d'artillerie et vivres, ayant mandement des dicts mareschaux de camp pour loger en quelque lieu et endroict que ce soit, seront incontinent logez, nonobstant qu'il y en eust d'autres desjà de logez, auxquelz il est enjoinct et tres expressement ordonné qu'ils ayent à en desloger promptement et sans aucune excuse, sur peine d'estre puniz ainsy qu'il appartiendra.
Est deffendu très expressement, sur peine de la vie, à tous hommes d'armes, archers ou soldats, que en marchant par les champs en bataille ou autrement ils n'ayent à s'en departir, et d'abandonner leurs enseignes sans congé de leurs capitaines.
Que toutes fois et quand les marechaux marcheront pour faire l'assiette du camp, il sera ordonné à tour de roole, par les colonelz des bandes tant françoises qu'estrangères, un capitaine pour garder que les soldats ne se desbandent, lesquelz, faisant autrement, encoureront le chastiment des dictz capitaines, suivant ce quy en sera ordonné par les dicts marechaux de camp, afin que, quand la punition aura esté faicte, serve d'exemple à tous les autres. Et pour empescher et pourveoir que les dictz soldatz n'aillent vaganz et prennent occasion de se desbander, les dicts capitaines donneront ordre que les regimentz et compaignies soient advertiz de leurs logis, et les y feront adresser avec leur suitte et bagage.
Et d'autant qu'il advient souvent confusion et desordre pour estre les dictz soldatz meslez parmy le bagage, et que advenant une soudaine occasion ils ne se peuvent ranger et s'assembler promptement avec leurs compaignies, il est enjoinct très expressement à tous colonelz de gens de pied quy n'ayent à souffrir que aucuns de leurs soldatz demeurent avec le dict bagage; et que à ceste fin ils y en commettent quelques uns pour les conduire, et où il en seroit trouvé d'autres que ceux que les dictz capitaines y auront mis après la publication de l'ordonnance, ils seront pendus et estranglez sans aucune forme de procez, pour donner exemple aux autres.
Que les armes et chevaulx des hommes d'armes et archez quy seront portez et conduictz par leurs valletz devant ou après leur bagage seront confisquez, et les ditz hommes d'armes cassez de leur dicte compaignie.
Que aucuns des valletz des dictz hommes d'armes et archers ne autres n'aillent devant ceux quy seront ordonnez pour accompaigner les mareschaux des logiz, et que ceux quy les accompagneront tiennent la main que les dictz logis ne soient fourragez, sur peine de s'en prendre aux dictz marechaux des logis.
Il est pareillement ordonné que les compaignies de chacun regiment de cavallerie marcheront tous ensemble et avec l'ordre qu'elles devront garder en combattant, afin que chacun soit accoustumé à tenir son rang et faire ce qui appartiendra.
Que chacun jour les gens de pied estanz en la dicte armée s'exercent et mettent en ordre en bataillon, afin qu'un chacun d'eux sçache le lieu et la place qu'il doit tenir, et qu'il n'y ait aucun desordre, soit en marchant en bataille, soit en combattant ou arrivant ès logis.
Que le bagage de chacun regiment aille ensemble sans deranger aucunement, et que les chefs et dictz capitaines d'iceux regimentz y pourvoient tellement qu'il n'en advienne aucun desordre, sur peine de s'en prendre à eux.
Que aucunz capitaines des ordonnances ne pourront donner congé à aucuns des hommes d'armes ou archers de leurs compaignies sans le demander à Monseigneur, et où ils partiroient sans avoir permission, seront prinz et puniz; sera escrit aux baillifs et senechaux où seront assiz leurs biens de les faire saisir et les mettre en la main du roy.
Et pour ce que les sauvegardes que le roy nostre dict seigneur et frère et nous avons cy-devant données sont tenuz en mespris et contemnement, sans y avoir aucun esgart.
Nous enjoignons tres expressement aux genz de guerre estanz à nostre service qu'ils ayent à respecter les dictes sauvegardes venues et emanées de nous, sur peine d'estre grievement puniz.
Faict à Estampes, le septiesme jour d'octobre mil cinq cens ssoixante huict.
Autre ordonnance deffendant à toutes personnes de profaner les eglises, chapelles, oratoires et autres lieux sainctz, tant des villes, villages, bourgades, que autres lieux où passera l'armée, sur peine de la hart.
Pour ce que c'est le debvoir de tous bons et fidelles chrestiens catholiques de ne faire aucune chose contre l'honneur de Dieu, ne au mespris et contemnement de nostre mère saincte Eglise et des sainctz lieux destinez pour luy rendre des louanges, faire prières et oraisons, consacrer et offrir le precieux corps de Jesus-Christ pour le sallut d'un chacun; et qu'il appartient au roy très chrestien, nostre très honoré seigneur et frère, et à nous, de faire inviolablement observer tout ce quy touche et concerne l'authorité, commandement et ordonnance d'icelle, en tout temps et saison, et nommement de tenir la main en la presente guerre, commencée à l'encontre des rebelles quy ont reprins les armes contre ledict sieur roy, et empescher que, par la licence que chacun se veult arroger et attribuer durant icelle guerre, que lesdictz lieux ne soient profanez, et faire cognoistre noz actions estre du tout contraires et ne participer aucunement avec celles de nos dictz ennemiz, quy s'efforcent de les ruyner et en abolir la mesmoire;
A ceste cause,
Il est enjoinct et defendu très expressement à touz soldatz, pourvoyeurs, boucherz, vivandierz, pionnierz, marchandz et toutes autres personnes, de quelque qualité et condition qu'ils soyent, estanz de ladicte armée ou à la suite d'icelle, de ne loger personnes, chevaux, bestes ne autres, vendre ne debiter aucunes choses ne marchandises, dans lesdictes eglises, chapelles ou oratoires des villes, villages ou bourgades par où passera ladicte armée, ne icelles profaner en aucunes façons, quy que ce soit, sur peine de la hart, sans autre forme de procez, à ceux quy seront trouvez sur-le-champ y contrevenir; et à ceux quy seront accusez d'y avoir contrevenu, sur mesme peine, après toutefois qu'ils en seront convaincus.
Faict à Estampes, le 7 octobre 1568.
Combat de Cyrano de Bergerac avec le singe de Brioché, au bout du Pont-Neuf.
A Paris, chez Maurice Rebuffe le jeune, imprimeur-libraire, rue Dauphine, au Grand Jurisconsulte. 1704.
Avec permission[185].
In-8o.
Epitre à Cirano de Bergerac.
Sur tout animal qui respire,
Le ris est propre à l'homme; il n'appartient qu'à luy:
Donc on ne peut luy deffendre de rire,
Et moins encor de faire rire autruy.
Un auteur est maître aujourd'huy
De nous parler en Heraclite;
Moi, qui ne connois point la tristesse et l'ennuy,
Je pretens m'eriger en petit Democrite.
Pour mon seul divertissement,
Et sans craindre aucune censure,
Je veux, cher Bergerac, conter fidellement
Ta facetieuse avanture;
Mais, pour le faire plaisamment,
Infuse-moy dans ce moment
Quatre onces d'esprit vif, cinq dragmes de manie,
Dix grains de folatre genie,
Et tu vas voir, feu Bergerac,
Que mon affaire est dans le sac.
Ma foy, je sens dejà que ton esprit m'inspire,
Je sens qu'il me force de dire
Ce que de ton vivant tu souhaitois ecrire.
Sans ta mort, dont je suis faché,
Tu nous aurois peint Brioché,
Son singe, ses marionnettes,
Et chanté là-dessus cent plaisantes sornettes;
Mais, puisque ton esprit s'est infusé chez moy,
L'ouvrage que je donne est moins à moy qu'à toy.
Combat de Cirano de Bergerac avec le singe de Brioché, au bout du Pont-Neuf.
Un jour Phebus, plus guay qu'à l'ordinaire, avoit quitté de grand matin le lit de Thetis, sa belle hôtesse, pour dorer la terre de ses rayons; il s'etoit même donné les airs de montrer sa tresse blonde pendant douze heures, lorsqu'un auteur, qui se vantoit de tirer son origine des Mages, representa une tragi-comedie au bout du pont[186] où le cheval de bronze accompagne de loin la Samaritaine. Ce fut là que ce brave champion extermina le presqu'homme des marionnettes.
Tout ce beau preambule signifie qu'en un charmant jour d'esté, sur les quatre heures du soir, Cirano de Bergerac tua le singe de Brioché au bout du Pont-Neuf.
Que ne parlois-tu d'abord naturellement? dira quelqu'un.
Doucement, Monsieur le critique. Souviens-toy que j'entre dans l'esprit de celuy dont je decris l'avanture, et que la metaphore, l'allegorie, l'hyperbole et le reste, sont gens dont je ne me puis passer aujourd'huy.
J'ay dit que Bergerac se vantoit de tirer son origine des Mages: lecteur, peut-être seras-tu bien aise de sçavoir l'ethimologie comique du terme Cirano.
Bergerac soutenoit, en plaisantant, que mage et roy etoient jadis unum et idem, qu'on appelloit un roy cir, en françois sire, et, comme ce mage, ce roy, ce cir, pour faire ses enchantemens, se campoit au milieu d'un cercle, c'est-à-dire d'un O, on le nommoit Cir An O.
Charbonnons maintenant le portrait de mon heros, j'entens le portrait de sa corporance; il n'est question que de celui-cy, et il fait beaucoup à la chose. Bergerac n'etoit ni de la nature des Lapons, ny de celle des geans. Sa tête paroissoit presque veuve de cheveux; on les eût comptez de dix pas. Ses yeux se perdoient sous ses sourcils; son nez, large par sa tige et recourbé, representoit celuy de ces babillards jaunes et verds qu'on apporte de l'Amerique. Ses jambes, broüillées avec sa chair, figuroient des fuseaux. Son esophage pagotoit un peu. Son estomach etoit une copie de la bedaine esopique. Il n'est pas vrai que notre auteur fût malpropre; mais il est vrai que ses souliers aimoient fort madame la boue: ils ne se quittoient presque point.
Après avoir portraituré Bergerac, venons à Brioché. Quand je serois peintre en fresque, en huile, en detrempe, on ne verrait point icy sa peinture. Eh! pourquoy? Parce qu'elle ne sert pas à mon sujet.
Encore une digression, Monsieur le lecteur, et puis plus. On connoîtra par là que Brioché fut original pour les marionnettes, puisque certains, en certains païs, les croyoient personnes vivantes. Il se mit un jour en tête de se promener au loin avec son petit Esope de bois remuant, tournant, virant, dansant, riant, parlant, petant. Cet heteroclite marmouset, disons mieux, ce drolifique bossu, s'appelloit Polichinelle; son camarade se nommoit Voisin[187], et manioit un violon comme Pierrot le Fort.
Après que Brioché se fut presenté en divers bourgs, bourgades, villes, villages, escorté de Polichinelle et de sa bande, il pietonna en Suisse dans un canton dont Rochefort n'a point de reminiscence, ni moy non plus. Qu'importe? c'etoit un quartier où l'on connoissoit les Marions, et point les marionnettes. Polichinelle ayant montré son minois aussi bien que sa sequelle, en presence d'un peuple brule-sorcier, on denonça Brioché aux magistrats. Des temoins attestoient avoir oüy jargonner, parlementer et deviser de petites figures qui ne pouvoient être que des diables: on decrette contre le maître de cette troupe de bois animée par des ressorts. Sans la rhetorique d'un homme d'esprit qui prêcha les accusateurs, on auroit condamné le sieur Brioché à la grillade dans la Grève de ce païs-là, s'il y en a une, s'entend. On se contenta de depoüiller les marionnettes qui montroient leur nudité[188].
Brioché servit de plastron à d'etranges bourasques pendant le cours de sa vie turlupine; mais la mort de son singe le saisit et l'affligea si cruellement que peu s'en fallut qu'il n'allât luy tenir compagnie au delà du bateau caronique.
Voilà ma digression finie. Entrons maintenant dans l'arène et voyons le combat en question. Notre auteur, galopant de son pied sur le Pont-Neuf, s'arrêta court devant le logis de Brioché. Une troupe de gens du regiment de l'arc-en-ciel[189], attendant que les petites machines briochiques fûssent prêtes à donner le divertissement à l'honorable compagnie, agaçoient le singe deffunt. Ce singe étoit gros ainsi qu'un paté d'Amiens, grand comme un petit homme, bouffon en diable; Brioché l'avoit coëffé d'un vieux vigogne, dont un plumet cachoit les trous, les fissures, la gomme et la colle; il lui avoit ceint le col d'une fraise à la Scaramouche; il lui faisoit porter un pourpoint à six basques mouvantes garni de passemens et d'eguillettes, vêtement qui sentoit le laquéisme[190]; il lui avoit concedé un baudrier où pendoit une lame sans pointe. Nota que le maître avoit accoûtumé son disciple à se mettre en garde et à pousser quelques bottes. Cette remarque est nécessaire[191].
A l'aspect de la figure de Bergerac, la troupe à couleurs eclata de rire sardoniquement; un de la bande fit faire le moulinet au feutre de l'auteur; un autre gaillard, en luy appuyant une chiquenaude au beau milieu de la face, s'ecria: Est-ce là votre nez de tous les jours? Quel diable de nez! Prenez la peine de reculer, il m'empêche de voir. Notre nasaudé, plus brave que Dom Quixote de la Manche, mit flamberge au vent contre vingt ou trente agresseurs à brettes: les laquais alors portoient des epées[192]. Il les poussa si vivement qu'il les chassa tous devant luy comme le mâtin d'un berger fait un troupeau. Belle comparaison! laissez-la passer.
Le singe, farci d'une ardeur guenonique, lorgnant nôtre guerrier le fer en main, se presenta pour luy alonger une botte de quarte. Bergerac, dans l'agitation où il se trouvoit, crût que le singe etoit un laquais et l'embrocha tout vif. O! quelle desolation pour Brioché!
Animal sans pareil, s'écria-t-il, larmoyant comme un veau, t'avois-je doüé de tant de gentillesses pour te faire transpercer la bedaine? Digne amusement de la canaille, introducteur du divertissement marionnettique, cher Fagotin de mes lucratives folies, utile et facetieux gagne-pain, bête moins bête que tel homme, singe des plus singes, où me reduis-tu!
Après ces pitoyables et lamentables paroles, il se cola quelque temps sur le mort; ensuite son camarade Violon, l'angoisse au cœur, s'empara du corps du deffunt; ayant detaillé maintes remontrances à son maître, il luy persuada, primò, de rendre six blancs à ceux qui etoient entrez pour visiter les marionnettes; secondò, et ultimò, de noyer sa douleur dans le vin. Brioché suivit ce conseil salutaire; ils prennent tous deux le chemin du cabaret gargotique, on y sable des rasades, la couleur enlumine la face, les esprits volatils de la liqueur petillante s'insinuënt dans la glande pineale: alors que de pleurs vineux sur la privation d'un trepassé! que de clameurs bachiques contre l'assassin! Minuit se fit entendre, l'hôte reçut de la pecune, on deguerpit. Brioché ne put reconnoître sa maison, tant il étoit troublé; il eut même un si grand mal de cœur, qu'il vomit de foiblesse dans un egout où il se trouva enfangé. Son camarade étoit si peu hardy, qu'au lieu d'avancer pour debourber son maître du cloaque, il reculoit en arrière et battoit la terre de son corps. Ils restèrent trois heures à serpenter les rües, enveloppez dans les voiles tenebreux de l'ennemie du jour. La corne argentée de Diane vint à briller sur l'horison: à la lueur de ce flambeau nocturne, ils regagnèrent leur gîte bien harassez; là, ils firent mille caresses à leur duvet; Morphée leur ferma les paupières: laissons nos gens entre ses bras; à tantôt choses nouvelles.
Cinq ou six heures après, Brioché ouvre ses visières mal nettes, il rumine à sa perte. Quittons le grabat, dit-il, et intentons un procès criminel. Ce qui fut dit, fut exécuté: il se lève et met la main à l'œuvre; il ne pretendoit pas moins que cinquante pistoles de dommages et interêts.
Bergerac se deffendit en Bergerac, c'est-à-dire avec des ecrits facetieux et des paroles grotesques: il dit au juge qu'il payerait Brioché en poëte, ou en monnoye de singe; que les espèces étoient un meuble que Phébus ne connoissoit point; il jura qu'il apotheoseroit la bête morte par un epitaphe appollinique. Sur les raisons alleguées, Brioché fut debouté de ses pretentions; on luy deffendit même de laisser vaguer à l'avenir le singe qui succederoit au deffunt, crainte d'accident.
Dixi.
Permis d'imprimer.—Fait ce 9 juillet 1704.
M. R. De Voyer Dargenson.
La prinse et deffaicte du capitaine Guillery, qui a été pris avec 62 volleurs de ses compagnons, qui ont estez roués en la ville de La Rochelle le vingt-cinquiesme de novembre 1608; avec la complainte qu'il a faict avant que mourir.
Paris, jouxte la coppie imprimée à La Rochelle par les heritiers de Jerosme Hautain, 1609.
In-8o[193].
La malice piaffe pour un temps, et depuis que l'homme a faict alliance avec l'ennemy de son salut, bronchant parmy les tenèbres de son erreur, il ne cesse de courir à perte d'aleine jusques à ce qu'il se trouve sur le bord du precipice, où, à la fin, l'autheur de ses debauches le fait trebucher et en fait un joüet d'un funeste supplice et le spectacle d'une piteuse tragédie. Il a ouvert la fosse (dit le prophète) et l'a creusée, et est tombé en l'abisme qu'il a fait. Dieu les laisse courir pour un peu, jusqu'à temps que le comble de leur malice soit accompli; mais en fin, ne pouvant supporter la calamité que ses boutefeux attisent parmy son peuple, vaincu par les cris de ceux que la force a piteusement conversé en terre, il esveille les flammes de sa colère et ouvre la main aux foudres de sa justice, pour leur faire engloutir ces serviteurs du grand dragon sous les flots d'une sevère punition, où il leur faict gouster le fiel de leur malice.
Un Guillery, ou plustost un vray monstre à la nature, que l'enfer a vomy du plus profond de ses abysmes, pour luy faire enfanter une infinité de volleries et brigandages, s'en est toujours allé suyvant sa brizée, jusques à ce qu'il s'est filé le cordeau qui luy pend sur la teste, et a dejà attaché son frère sur le posteau d'un sevère supplice, là où, pour toute la recompense de toutes meschancetez qu'il a cruellement exercez envers plusieurs marchands, il a laissé la vie sur une roüe parmy les tourmens et les bourreaux. Mais il faut entendre les moyens par où il a esté acheminé à ce pas, et marquer icy en passant quelques traits de sa malice, bien qu'elle se soit assez fait cognoistre par toute la France au bruit qui a remply les oreilles d'un chacun.
Ce Guillery estoit d'une grand maison de Bretaigne, dont je tairay le nom de peur d'offencer quelqu'un[194], et a monstré assez clairement parmy le feu de nos guerres civiles qu'il estoit homme resolu et de courage, de façon que, s'amusant plustost à remuer le fer parmy le gros des ennemis, où sa valeur le conduisoit, que au pillage, comme font coustumierement les ames casanières, ses esperances l'ont trompé à fin, qui luy promettoient un orage perpetuel en nos fureurs civiles, et pensoit tien que, pourveu que la guerre peut tousjours escumer ses bouillons, rien ne luy manqueroit, veu mesmes qu'il estoit fort affectionné de feu monsieur le duc de Mercure[195] à cause de sa vaillance; mais quoy! il y a des revolutions ordinaires au cours des affaires humaines que la providence de l'homme ne peut penetrer, et, lorsqu'il pense tenir le feste de ce qu'il pretendoit, il ne faut qu'un tourbillon de la fortune pour la raser au bas de sa roüe, où elle lui fait sentir les effects d'inconstance.
Ainsi Guillery, se voyant demeuré à sec par le calme de la paix, qui fit incontinent rassoir les vagues de la tourmente, et ses esperances esvanoüies avec les brouillards de la guerre, se laisse gaigner au desespoir, qui luy fait prendre les bois, et, laissant abastardir la vigueur de son courage et rouiller ses conceptions guerrières à faute de moyens et d'exercice où il se peut tenir en haleine, il advance sa main meurtrière sur le passant et ses desirs au pillage; de ses moyens et d'un genereux Theseus, il se transforme en un Scyni[196] monstrueux et ravisseur. Voilà comme les esprits les plus eslevez se laissent quelquefois aller en cendre, et mesme les âmes les plus asseurées sur le pied de la vertu se laissent une fois brider au vice, ou sont celles qui despeignent plus au vif l'enormité de leur malice.
Luy donc estant robuste et fort redouté, ne manque point d'estre suivy de beaucoup de gens de sa sorte, qui attachent leur vie et leur fortune au mesme hazard de la sienne, et entre autres de deux de ses frères, qu'il attire à sa cordelle, et, ramassant aussi l'escume de toute la haulte et basse Bretaigne, Poictou et autres circonvoisins pays, il se trouve accompagné de plus de quatre cens hommes[197], tous de fait, et qui ne respiroient autre chose que le carnage.
Estant donc ainsi rangé en un bois[198], où il dresse une puissante forteresse, un jour il attend jusques environ sur le midy, couché sur le ventre le long du grand chemin de Nantes[199], tant que à la fin il passe un bon-homme, à qui il demande où il alloit, et ayant desjà bien entendu qu'il alloit à Nantes, il feint aussy y vouloir aller. Se mettant en chemin ensemble, demandoit au bon-homme qu'il alloit faire à Nantes; luy respondit qu'il alloit solliciter un procez. Tu as donc bien de l'argent? luy dit-il. L'autre s'excuse et dit qu'il n'en avoit point, sinon sept ou huict souls pour son disner. Non ay-je point moy, respondit-il; mais j'espère que Dieu nous en envoyera. Puis, estant passé un peu plus oultre, et luy ayant encore demandé s'il n'avoit point d'argent, et l'autre ayant dit que non: Or bien, dit-il, prions, Dieu nous en envoyra. Et de ceste façon, tirant un petit manuel de sa pochette, il se met à genoux et y fait mettre ce bon-homme avec luy, puis il luy dist: Regarde s'il t'en est point venu. Il met la main en sa pochette et dit que non. Tu ne pries donc point de bon cœur? dit-il. L'autre s'excuse et dit que si faisoit; et disant cela il tire cinq sols de sa pochette et le fait encores prier, et la seconde fois en tire dix, puis quinze, et tousjours le bon-homme ne trouvoit rien. Tu ne prie donc pas de bon cœur? dit-il, car il t'en viendroit aussi bien qu'à moy. Il dit que si, tant qu'il pouvoit. Or, dit-il, alors tu en as donc bien: car moy, qui ne prie guières de bon cœur, s'il m'en est venu, à plus forte raison à toy aussi, et, partant, je le veux voir. Et disant cela il se met à le fouiller, luy trouve quatre cens escuz, en prend la moitié et le renvoyé avec le reste, luy disant: Comment! tu me veux tromper, et ne me rien donner de ce que Dieu t'envoye en ma compagnie, comme si je n'en devois avoir ma part!
Cela sont les moindres choses, et n'est rien au prix des chasteaux forcés, où ils ont miserablement massacrez les pauvres seigneurs, gentilshommes et damoiselles, emporté leurs moyens et mis leurs maisons en desolation; et, entre autres, en ayant voulu forcer un autre, S.-Hermine[200] et Mareul[201] ils furent descouverts par la sentinelle qui y veilloit d'ordinaire, comme s'il eût été en temps de guerre, pour la crainte qu'il avoit d'eux, et leur ayant ladite sentinelle tiré un coup d'arquebuze, ils furent poursuiviz par le seigneur du lieu, qui manda en diligence à quelques gentilshommes ses voisins, et aux villages par là auprès, pour avoir des gens, et ayant en peu de temps ramassez jusques à près de deux cens hommes, tant d'uns que d'autres, il les attint auprès d'un bois à trois lieües de là. Eux, estant jusques au nombre d'environ trente cuirasses, se mettent en défense, et y eut quelques morts, tant d'un costé que d'autre; mais le monde y abordant à la file de tous costez, comme pour esteindre le brasier qui devoroit le repos de tout le pays, ils furent contrains de se mettre en fuitte, laissans trois ou quatre de leurs compaignons prisonniers, qui furent mis sur la roüe à Bessay[202], qui est là auprès.
Que diray-je davantage? ils prindrent un gentilhomme, grand seigneur de là auprès, et après lui avoir bandé les yeux, ils le menèrent à travers le bois jusques à leur forteresse[203], puis, estant là, ils le desboucherent, luy monstrèrent tout là dedans force munitions, tant de guerre que pour le vivre, avec un molin à bras et un four, des petites pièces de campaigne, à force mousquets et arquebuses, picques, grenades, petards et autres engins, tant pour l'offensive que pour la deffensive, puis les autres fortifications des fossez à plein de cuve, un pont-levis avec un ravelin enclos d'une palissade, et, pour dire en un mot, il y remarqua tant de fortifications qu'il luy sembloit imprenable; ils le menèrent aussi en une grande sale toute tapissée de cuir d'Espagne qu'ils avoyent vollé en une navire le long de la mer[204]. Mais ainsi que on le conduisoit, Guillery luy mit le pistolet à la gorge, et luy fit jurer sur peine de la vie qu'il ne leur seroit jamais contraire. Après cela, on luy presente le disner, où il fut traité fort magnifiquement, et tout en vesselle d'argent, et puis après s'estre bien promenez et bien discouru ensemble, on luy reboucha la veüe, et le ramena-on jusques au bort du bois, d'où on le renvoya.
Mais quoy? de s'ennuyer de leurs meschancetez et ne plus permettre que ceste trame soit roulée plus avant, tout le monde murmure, et la France ne peut plus supporter ceste peste sur le cœur sans la vomir; ils s'enflamment tousjours de plus en plus, et se descouvrent eux-mesmes, mettans certains escritaux par les chemins, par lesquels ils decouvrent qu'ils vouloyent la vie de messieurs de la justice, l'argent, le pillage et rençon des gentilshommes; rencontrent un prevost, le chargent, prennent quelques uns de ses gens, et s'il ne se fût sauvé de legereté, il eût tombé entre leurs mains[205]; de sorte que personne ne pouvait trafiquer en toute la Bretagne ny le bas Poitou, parce qu'il a un esprit familier, par lequel il se fait porter par tout là où il veut en moins de rien, de façon qu'on le verra quelquefois le matin auprès de Nantes, et le soir il sera autour de Rouen et d'Orléans[206], et autres lieux semblables, s'accostans des marchands comme s'il estoit aux foires, et puis quand il voist la commodité il les destrousse, et leur oste tous leurs biens. La cour, en estant advertie, mande à Monsieur de Parabole, gouverneur de Niort, et à tous les officiers d'autour, qu'on mît diligence de les attrapper. Ce qu'estant sceu, tous les prevosts s'assemblent jusqu'au nombre de dix-huit ou vingt, conduicts par le grand prevost, avec toute la communauté qu'ils assemblèrent incontinent de toutes parts, jusques au nombre d'environ quatre mille cinq cens hommes, et de ce pas s'en vont assiéger le bois où le gentilhomme qui avoit esté en leur chasteau les mena, et courant de tous costez, ils trouvent à la fin ceste forteresse en un petit vallon, entre force arbres qui la couvroient fort bien de tous costez, de façon qu'à peine pouvoit-on la descouvrir.
Ils estoient plusieurs prevosts avec quelques autres gens[207], et avec quatre couleuvrines ils se mettent à les battre; la batterie dure tout un jour, et ceux qui estoient dedans, environ trois cens, se mettent en devoir de se defendre; mais à la fin Guillery, voyant qu'il ne pouvoit tenir long-temps, sort de furie avec ses gens à la desesperade, et, fendant la presse, bien monté et armé de toutes pièces, passe outre avec quelques uns de ses gens qui estoient les plus legerement et mieux montez[208]; et le reste, estant chargé de près par soldats fort adroits aux armes, conduicts par bons capitaines qui n'ignoroient pas toutes les ruses et stratagèmes dont il falloit user pour avoir tels voleurs, car en fin finale, ils furent prins avec le capitaine Guillery[209], qui fut accablé soubs la foule qui les arresta, et tandis les autres passent outre à tirer vers la mer, où ils trouvent une navire sur le bord, où ils ravagent et tuent la plus part de ceux qui estoient dedans, puis ils se mettent sur la mer où ils se sont encore mis à escumer et ont faict plusieurs voleries.
Estant donc le capitaine Guillery demeuré pris avec environ quatre vingt de ses gens, il est mené à Saintes, où son procez luy fut faict dès le lendemain, et luy condamné à la rouë avec tous ses complices, qui furent rouez en plusieurs lieux, pour donner exemple; mais lui fut exécuté à la Rochelle, où estant sur l'eschaffaut, d'un visage rassis et d'une contenance qui marquoit bien son assurance, sans aucun effroy, il arrache ces pitoyables paroles du milieu de ses remors qu'il pousse dehors, en presence de toute l'assistance, qui estoit composée d'une infinité de personnes qui accouroient de toutes parts à ce spectacle.
«Je pense qu'il n'y a personne de vous autres, Messieurs, qui ne soit icy pour contenter ses desirs en la peine qu'on dedie à mon supplice; mais quand on aura mis en la balance tout le faict de mon destin, vous donnerez plus tôst des larmes à ma fortune, que vos desirs à l'accomplissement de ceste miserable prophetie de ma defaite. Il est vray, cest eschaffaut odieux, et que mes mesfaits ont estez les degrez par lesquels je me suis porté; mais quoy! ç'a esté un coup à qui je ne pouvois gauchir, et un passage qu'il me failloit traverser. Il y a ici beaucoup de gens qui sçavent la maison d'où je suis sorti, laquelle doit à ce jour avoir une si ignominieuse tache estre attachée à la memoire de postérité qui ternira son renom au souvenir de la faute.» Et disant ces mots, les larmes luy commencèrent à couler le long des joües; puis, se tournant de l'autre costé:
«Et combien, Messieurs, il n'est pas incompatible qu'il ne puisse sortir un mauvais fruict d'une bonne semence, selon le champ où sera semé, qui le corrompt quelquefois, ou la constellation des astres, qui luy sera contraire; de façon que, quand vous blasmerez ma fortune et celle de mes compaignons, je vous prie, et mes larmes vous y convient, de jeter les yeux de vostre memoire sur mes ayeuls, qui n'ont jamais veu courir des ombrages si odieux que cela sur leur reputation, et dont les vertus ne me doivent presager que de merveille; mais-quoi! les meilleurs naturels peuvent estre corrompus comme le mien, qui, se laissant flatter aux persuasions de mon frère, que le desespoir avoit envelopé en ses toilles, s'est laissé emporter à ses desbauches, qui me font aujourd'huy dresser les cheveux à la contemplation de ma faute, et, d'une main odieuse, me presentant ceste coupe funeste qu'il faut que j'avalle quand le malheur me range à ses loix. J'ai jette incontinent les yeux sur ce que le presage de ma fortune me presentoit tout au long; mais ma fragilité, qui ne faisoit en sorte de penetrer si avant, m'a toujours empêché de voir la fin; je me suis trouvé sur le dernier saut de ma defaicte, où il faut que la peine que l'on prepare à mon corps satisface pour les forfaicts que j'ai commis.» Il faict une petite pose, puis, tirant un grand soupir, il dit encore:
«Je vous puis bien asseurer que la mort qu'il me faut endurer tout maintenant ne me fasche point, puisqu'il nous faut tous passer ce passage; mais il n'y a que le chemin par où il faut que je le franchisse qui me soit fascheux, avec le blasme qui en doit courir sur mes parens, et les presages qui menacent encore mes frères de frapper au mesme caillou. Je prie Dieu qu'il leur ouvre les yeux pour les appeller à penitence et leur faire changer le train de leur vie, afin que, se retirant, ils puissent atteindre à une fin heureuse. Et vous autres, Messieurs, consolez mes parens, leur remonstrant que, si à ce aujourd'huy la fortune fait courir ce nauffrage sur leur memoire, ils en doivent combattre la douleur par la souvenance des vertus signalez de nos ayeux, et que, quand la memoire de nos desbauches leur travaillera l'esprit, ils nous restranchent du nombre de leur famille et imaginent comme si nous n'avions point esté.
«Cest oubly essuyra la playe de leur douleur, et ne laisseront pas de suivre le chemin que nos ayeux leur ont tracé. Et vous autres, Messieurs, je vous conjure d'avoir compassion de ma fortune et de prier pour mon ame, afin qu'il plaise à nostre Sauveur ne vouloir point avoir esgard à mes fautes, et que, puis qu'il me faut icy servir d'exemple, brider le courage de ceux qui se voudroient attacher aux desordres où me suis enveloppé, il luy plaise vouloir ouvrir la porte de son paradis à mon ame.»
Il se tourne vers ses compaignons, et, après les avoir encouragés de se monstrer constans à ce passage, il prie le bourreau de l'expedier le plus diligemment qu'il luy sera possible; et, ayant recommandé son ame à Dieu, il s'estend sur l'eschaffaut, où il endura la mort d'une constance, nompareille, jusqu'à ce que il rendit l'ame. Dieu veuille qu'elle soit entre ses mains! Ainsi soit-il.
C'est verité; j'ay desservy
Une mort encor plus cruelle;
Car le peché que j'ay commi
Merite bien, mort eternelle.
Après mal-heur (helas!) à la fin bousche
Le vil conduit d'une maligne bouche,
Et le mechant en horreur obstiné
Par un gibet est aussy ruiné.
Le bruit qui court de l'espousée.
M.DC.XIIII.
In-8o.
Le bruit est que la mariée
Est damoiselle au grand ressort:
Chacun en dit sa ratelée[210],
Tout le monde dit qu'elle a tort.
La David a pris la parolle
Pour feu son mary l'advocat,
Disant: Je ne suis pas si folle
Que d'hausser ainsi mon estat.
La Sabrenaude[211], sa voisine,
En a tenu quelque propos;
Mais la bouchère Cailletine,
S'est mise sur ses audinos[212].
Il vaudroit mieux, dit la Rotine,
Qu'une grande cité perît,
Que de souffrir la sotte mine
D'une gueuse qui s'enrichit.
La Menarde s'est arrestée,
Disant: Commère, qu'avez-vous?
Parlez-vous point de l'espousée,
Qui n'estoit guère plus que nous?
Ma bonne foy, dit la Paiote,
Je ne trouve pas cela bon;
Pour moy, je ne suis point si sotte,
Que de quitter mon chaperon[213].
Mercy de Dieu! dit l'Auvergnate,
Parlant à la grosse Catin;
Elle fait bien la delicate,
Avec sa cotte de satin!
La Croupière, oyant la nouvelle,
Veut mettre son espingle au jeu,
Et aussi tost elle l'appelle
Madamoiselle depuis peu[214].
La Citarde s'en est esmeuë,
Soutenant que c'est le marchand
Et le tailleur qui l'ont vestuë
En damoiselle en nez friand.
La Mijolette a bonne grace
De maintenir par ses discours
Qu'elle est première de sa race
Qui a le masque de velours[215].
La Cointesse, voyant la belle,
Dit aux vendeuses de porreaux:
Son père l'a fait damoiselle[216],
Mais, Nostre-Daigne[217]! j'entre en faux.
La Gaussette, quoy qu'édentée,
Lui a chanté deux petits mots,
Disant que c'est une effrontée,
Et que ses parens sont des sots.
La Rousse dit que, si sa fille
Avoit l'habit de taffetas,
Elle seroit aussi gentille
Ou plus belle qu'elle n'est pas.
La Jeanne Verrier, sa commère,
S'en mocque fort de son costé;
Et aussi la belle Tessière
Dit qu'elle a trop de vanité.
La Blenonne va par la ville,
Elle s'est plainte à plus de mille
Et en fait ses contes partout,
Qu'elle veut tenir le haut bout.
La Chantecler, l'escervelée,
Veut tenir le livre à son tour.
Voilà, dit-elle, une espousée
Faicte à la mode de la cour!
La Madelon, ceste matoise,
A juré par la Feste-Dieu
Que sa fille n'est que bourgeoise,
Quoy qu'elle soit d'aussi bon lieu.
Les damoiselles, ses amies,
Luy vont apprendre tout le jour
A recevoir les compagnies
Selon les modes de la cour.
L'une luy dit: Tu es jolie,
Mais ton masque ne va pas bien.
L'autre luy dit par mocquerie:
Attache-le comme le mien.
Quelques unes des plus rusées
Sont sur le point de l'aller voir,
Mais il faut beaucoup de dragées
Qui les veut toutes recevoir.
Tredame! disent les Bourgeoises,
Celle-là a pris les florets[218];
Il faut laisser aux villageoises
Nos chaperons et nos collets[219].
Elle est venuë d'un village
Pour espouser un advocat;
Mais tout d'un coup, en son veufvage,
Elle a bien haussé son estat.
Les couvrechefs[220] en veulent estre
Aussi bien que les chaperons,
Et se disent à la fenestre:
Voilà la royne des brandons[221]!
C'est l'entretien des lavandières
Et de celles qui vont au four
Qu'une dame depuis naguères,
S'est fait damoiselle en un jour.
Les desbauchez sont à sa porte
Qui luy font le charivary,
Luy demandant de quelle sorte
Elle secouë son mary.
SIZAIN.
Quand l'espousée fut couchée
Et que son mary l'eut tastée,
Elle luy dit de la façon:
Mon grand amy, je suis pucelle,
Car jamais homme ni garçon
Ne me l'a fait en damoiselle.
La conference des servantes de la ville de Paris soubs les charniers Sainct-Innocent; avec protestations de bien ferrer la mule[222] ce caresme, pour aller tirer à la blanque à la foire de Sainct-Germain, et de bien faire courir l'ance du panier[223].
A Paris.
M.D.C.XXXVI.
Pet. in-8o de 13 pages, titre compris.
Ce fut le vendredy, premier jour de fevrier, que dame Lubine, la plus fameuse harangère, et la plus vieille et la plus connue de toutes les nourrices et servantes de la ville et fauxbourgs de Paris, tint sa conferance sous les charniers S.-Innocent, estant assistée d'un millier de servantes, vieilles et jeunes, anciennes et modernes, et de tout pays, et principalement du pays de Sapience, où les chiens s'assirent sur leur queue quand on fit vandange, dit Normandie, et les autres de la garanne des foux, dit Picardie, et d'autres pays. Dame Lubine commence ce langage: Mes chères consors et bien-aymées, il faut croire que vous ne serez pas tousjours jeunes et belles. A celle fin de vous conserver tousjours en habit et en argent, il faut tousjours croire vostre maistre et le laisser faire, et ne dire jamais un seul mot, car les femmes sont tousjours jalouses de leur mary, et ne veulent point qu'on rie à personne; il faut contrefaire quelquefois la bigotte et la rechignée et la fascheuse. Et davantage, voici le caresme qui est fort bas, les vivres seront grandement chers; il faut que ce caresme-ci vous en vaille deux, et bien faire valoir et cheminer l'ance du panier; il faut que sept semaines vous vaillent une année et demie.
Sur ce propos finy, une grosse citroüille de servante, qui demeure chez un marichal: Je ne suis point apprentie de ferrer la mule; il y a quatre ans et demy que je demeure où je suis; au bout de trois semaines, j'estois aussi sçavante que ma maistresse, qui est mariée il y a dix-huict ans, car mon maistre battoit sur mon enclume, et moy je levois les soufflets, et ay bien gaigné huict cens cinquante livres.
Après, une petite servante de la rue Saint-Honoré: Je suis chez un notaire; je ne gaigne que treze escus; je vais à la halle, à la boucherie, et ne rend point compte qu'à mon maistre, qui est assez jovial[224]; et ma maistresse, qui est toute devote, elle ne bouge de ces religions; je fais ce que je veux: D'avantage nous avons trois clercs[225], dont le maistre clerc, qui a sa plume aussi douce et charmante comme sa voix; je n'ay qu'à me plaindre à luy quand j'ay affaire de quelque chose, incontinent j'ay tout ce que je veux avoir de luy, fusse argent ou autre chose.
Une autre grosse vesse de la même rue: Vramy, vous nous la baillez belle! j'ayme bien mieux le charnage[226] que le caresme, car on ne fait pas un enfant d'un hareng; j'ayme bien mieux voir une bonne grosse andoüille en ma marmitte avec quatre jambons qu'un meschant flanchet de morüe.
Il en vint une autre d'auprès la Croix-du-Tiroir: Je demeure, dit-elle, chez un drappier. Ils sont fort chiches; mais nos garçons sont fort bons enfans, car quand tout le monde est retiré, et que je lave ma vaisselle, ils prennent la peine de me prester leur lavette, et après je vois à la cave et leur tire du meilleur, et font la coulation ensemble[227].
Il y vint une petite affriolée de la rue Sainct-Denys, assez proche du Chastelet, qui a les pasles couleurs. Il n'est que demeurer chez les marchands, dit-elle, car l'argent vient en dormant. Faisant un jour feinte de nettoyer les souliers de nos garçons, il y en eut un qui me vint accoster et qui me donna six pièces de trèze sols pour decroter ses chausses, et il me decrota ma cotte à la mode du pays du Mans.
Une autre de la rue au Fer, qui a les pasles couleurs: Je suis la plus heureuse, dit-elle, de tout Paris: car j'ay un maistre le plus beau garçon de tout Paris; mais il est un peu chiche. Mais quand il est en bonne humeur, il y a moyen que de l'avoir, si ce n'estoit les voisins qui le gastent; car l'année passée je perdy mon demy-ceing d'argent[228], et en trois semaines j'en gaignay un autre.
Vraiment, se dit une petite blonde de la rüe Sainct-Denys, j'ay eu un demy-ceing de vingt-deux escus qui ne m'a servy que six mois. Allant à la foire Sainct-Germain, je vis une lavandière qui avoit gaigné[229] un bassin de soixante et quatre livres, et moy je n'ay eu qu'un miroir de sept ou huit sols; mais ce qui me reconforte, c'est que j'ai gaigné celuy-là en cinq semaines, et j'en gaigneray bien un autre en quinze jours, car nous avons des garçons de bonne volonté et fort fidèles.
Une rousse d'auprès le Sepulchre respond: Je suis la plus infortunée du monde: il y a neuf ans que je suis à Paris, et si je ne sçay comme vous en pouvez tant gaigner en si peu de temps; tant en habit qu'en argent, je n'ay point vaillant deux cens livres, et si je me suis donné carrière autant comme fille de ma sorte.
Une servante de la rue des Vieux-Augustins: Je suis la plus malheureuse qui soit sous la voûte des cieux, car un jour, comme mon maistre et moy faisions le dia hur haut, ma maistresse survint, et pour ma recompense j'ay eu du pied au cul et n'ay eu que la moitié de mes gages.
Une petite sucrée de la rue Sainct-Anthoine: J'ay eu de la peine autant comme fille de ma sorte, estant toute nouvelle à Paris... Depuis que je me suis frottée au pillier, je suis la plus heureuse de toutes les servantes de Paris car mon maistre a loüé une petite chambrillon[230] qui fait tout mon menage, et moy je ne sers plus qu'au lict et à la table, pour ce que mon maistre est jeune et ma maistresse est vieille, et nous passons nostre temps joyeusement ensemble. Quand je suis plaine, il m'envoye à une maison qui est au champ, et quand je suis vuide je reviens, et ma maistresse croit que je viens de voir ma mère à nostre pays.
Une autre de la halle: Je fus dernierement surprise avec un de nos garçons. Pour recompence, nous avons eu la porte pour salaire.
Une autre de la place Maubert: J'ay esté bien plus fine quand je me suis fait amplir par un garçon de chez moy devant un autre plus riche que luy. Je luy ay permis l'usage, et fûmes pris tous deux sur le fait. Je le fis mettre à l'officialité[231]. J'ay eu quatre cens livres, et luy a eu l'enfant.
Une autre de la rüe Sainct-Denys, qui demeure à present au cimetière Sainct-Jean: J'ay esté quatre ans chez un vieux fondeur d'habits, le plus vilain qui fut jamais au monde; mais en recompance, quand il avoit affaire de moy, je sçavois bien joüer mon personnage. Me sentant grosse, non pas de luy, mais de son valet, qui joüoit bien mieux de la flûte que luy, j'ay attrapé de l'argent de tous deux ensemble.
Une autre de sur le pont Nostre-Dame: Je suis bien miserable, car la première année que je fus à Paris je me laissay abattre par un garçon de taverne sur belle promesse. Luy ayant receu son congé, je ne l'ay pas veu depuis; mais j'atrapay finement un des garçons de nos voisins, qui a eu l'enfant, et moy quarante escus, et depuis j'en ay eu un autre, que je n'ay pas faict à si bon marché, car, un venerable savetier me faisant l'amour, il a esté le P A P A; toutefois je suis assez bien pourveüe. Je prie Dieu, mes sœurs, de vous faire bien valoir, et de faire vos affaires finement, car voicy le temps qui calamite, et qui faict bon avoir quelque chose, car les filles ne sont plus recherchées pour leurs beautez; si elles n'ont des pistolles, il faut qu'elles soient long-temps à marier[232]. Sur ces antretiens dix heures sonnèrent. Il fallut que chacune courust vitement à la Halle, et de là apprester à disner. Dame Lubine, grandement satisfaite d'une si très auguste compagnie, commence à pleurer de joye d'avoir de si bonnes apprentisses, et bien dressées à faire dancer l'ance du panier, car la plus moindre estoit capable de devenir maistresse.
Le triomphe admirable observé en l'aliance de Betheleem Gabor, prince de Transilvanie, avec la princesse Catherine de Brandebourg[233]; ensemble les magnifiques presens envoyez de la part de l'Empereur, du roy d'Espagne, de l'evesque de Cracovie, et autres princes d'Allemagne, et celuy du Grand Turc, envoyé par un Bacha; traduit d'allemand en françois.
A Paris, chez Jean Martin, ruë de la Vieille-Boucherie, à l'Escu de Bretagne.
M.D.C.XXVI.
In-8o.
Comme il n'y a rien qui oblige davantage les bons esprits au contentement que la curiosité qu'ils ont tousjours d'apprendre ce qu'ils ne sçavent pas, j'ay creu en obliger beaucoup de ceste espèce en leur faisant voir, par un veritable recit, les plus belles magnificences, les plus beaux triomphes et les choses les plus remarquables que l'antiquité nous aye laissé pour un mariage d'entre un prince et une princesse seulement. Pour en venir à la pure verité et ne point entretenir les lecteurs de fantaisies imaginaires, comme beaucoup d'autres qui de rien font des choses de grand prix, je commenceray à dire:
Que Betheleem Gabor, prince de Transilvanie, estant arrivé à Cacha pour y solemniser son mariage avec la princesse Catherine de Brandebourg, voulut luy-mesme, comme un grand capitaine qu'il est, faire les logemens des ambassadeurs qui le devoient aller trouver, et faire orner devant luy tous les autres destinez pour les delices de ses nopces.
Le premier ambassadeur qui luy arriva fut celui du prince de Walachie, accompagné de cent cinquante gentilshommes, lequel, après avoir eu audience, luy presenta deux grands chevaux si richement enharnachez que la description que j'en voudrois faire icy effaceroit quelque chose de la valeur et de l'estime d'un si riche present.
A ceste arrivée succeda celle des ambassadeurs du prince de Poulogne, l'evesque de Cracovie, duc de Sburas et de Strastota et Sendomiria. Il n'en vint point de la part du roy de Poulogne, pourceque, quelques jours d'auparavant, le prince de Transilvanie s'estoit offensé contre Sa Majesté de ce que, luy envoyant par un courrier un pacquet où il n'avoit point mis les qualitez au dessus, il ne le voulut pas recevoir à ceste occasion, et le renvoya avec ceste responce au roy, qu'il ne devoit point feindre à luy donner les tiltres et les qualitez dont l'empereur et les autres roys et princes de la chrestienté le qualifioient; que, ne le faisant pas, il luy tesmoignoit n'estre pas son amy, veu qu'en cela c'estoit comme s'oposer à son bonheur et à sa gloire[234].
Un bacha arriva après, de la part du grand-seigneur, suivy d'une belle compagnie de Turcs et Tartares, au devant duquel le prince envoya son carrosse et quantité de seigneurs de qualité, avec cinq cens lanciers, qui conduisirent cest ambassadeur jusques à son logis; le son des tambours et des flustes, qui sont les instrumens ordinaires dont ceste nation se sert pour les plus grandes resjouissances, ravissoit les cœurs d'admiration, estonnant la terre et resjouissant le ciel. Comme l'ambassadeur eust esté ouy, il presenta au prince, de la part de son maistre, deux grands chevaux turcs avec les caparaçons et les crinières de toille d'or, et treize hommes turcs, dont trois presentèrent chacun un habit à la turque de toille d'or, trois autres chacun un de toille d'argent, et les autres sept des estoffes les plus precieuses dont les plus grands princes se servent en ce pays-là. Le mesme jour, le prince fit un festin au bacha et à toute sa suitte, où il n'y eust pas moins de despence qu'à celuy de Marc-Anthoine avec Cleopâtre. C'est là qu'il prit la place d'honneur et beut à la santé du grand-seigneur, la teste couverte, ce qui estonna fort toute la compagnie.
Le prince, qui a bon jugement et bon esprit, prévoyant et craignant tout ensemble les disputes qui pourroient survenir pour les presceances entre l'ambassadeur de l'empereur, qui devoit arriver le lendemain, et celuy du grand-seigneur, et jugeant aussi qu'à cause du grand nombre de gens qu'avoit amené le bacha il ne pouvoit plus longtemps sejourner sans beaucoup d'incommodité, il se servit de ceste ruse admirable pour le renvoyer honnestement sans lui deplaire, qui fut qu'il l'asseura avoir apris par un courrier exprès que sa maistresse estoit malade de la petite-verolle, et que pour ce sujet il l'alloit trouver, comme le devoir l'y obligeoit, de telle sorte que, ne sçachant pas l'heure certaine de son retour, il luy conseilloit de s'en retourner trouver son maistre; ce qui fut aussitost executé que resolu: car le bacha s'en retourna le lendemain; et la prompte arrivée de la princesse, et son visage aussi frais qu'à l'ordinaire, montrèrent bien que c'estoit bien par consideration d'estat que le prince de Transilvanie avoit ainsi congedié le bacha.
Le lendemain de ce departement, les ambassadeurs de l'empereur, de son fils, esleu nouvellement roy d'Hongrie[235], de l'électeur et du duc de Bavière, accompagnez de cinq cens chevaux beaux et lestes, au devant desquels le prince envoya six carrosses et un regiment de deux mille Poulonnois à pied, qui les conduisirent jusques aux logis qu'on leur avoit preparez, où l'on posa en haye force gens de guerre, qui tenoient depuis leurs maisons jusques au palais du prince.
Après les audiances particulières, l'ambassadeur de l'empereur presenta une chaisne d'or esmaillée, reprise par couplets avec force diamans, prisée à soixante mille richedales.
L'ambassadeur du roy de Hongrie donna un diamant d'une incroyable grosseur, estimé vingt mille richedales.
L'ambassadeur de l'électeur et duc de Bavière fit deux presens: l'un d'une fontaine d'or artistement fabriquée, et d'une grandeur desmesurée, de la part de son maistre, et l'autre d'un aigle d'or, dans lequel y avoit un horloge très artificiellement fait, de la part de l'électeur de Cologne.
La princesse de Brandebourg estant à demie lieuë de la ville de Cacha, le prince de Transilvanie alla au devant d'elle, accompagné de six mille chevaux, quinze cens Hongrois vestus tous de bleu avec du passement d'argent, cinq cens mousquetaires allemans, vestus de satin rouge avec du passement d'or et la livrée blanche, et une très grande suitte de seigneurs et de gentilshommes, qui estoient tous si bien couverts qu'il y a longtemps qu'on n'a veu chose si magnifique. Ce fut dans une grande campagne, où le prince avoit fait tendre grande quantité de tentes et de pavillons d'estoffes rares et precieuses, que se rencontrèrent ces deux amans. Le prince, voyant que sa maistresse avoit fait arrester son carrosse pour descendre et le saluer, luy descend aussi-tost de cheval, et, s'estant approché d'elle sans luy faire de grands complimens, il luy donna la main, qu'elle baisa, et la conduisit dans un pavillon de velours rouge tout couvert de clinquant d'or, où ils devisèrent ensemble une bonne heure et demie, après laquelle le prince sortit de là avec sa maistresse, laquelle il fit monter dedans un carrosse de velours cramoisy brodé d'or; luy monta à cheval et s'en retourna dans la ville en bel ordre, à la teste de toutes ses trouppes, où devant lui paroissoient douze chevaux aussi richement enharnachez qu'il est possible de descrire, menez en main par douze esclaves; deux elephans les suivoient, d'une prodigieuse grandeur, couverts de velours cramoisy en broderie d'or eslevée, où estoient depeintes toutes les actions les plus remarquables qu'avoit jamais fait le prince en toutes ses guerres.
En cest apareil entra ce grand guerrier dans la ville, et ensuitte la princesse, sa maistresse, avec madame la duchesse de Bronsvich, sa sœur, qui estoit dans un carrosse de velours cramoisy, avec des clinquans d'or et d'argent aussi bien dehors que dedans.
A leur suite il y avoit cent cinquante coches à la mode du pays, couverts de cuir rouge, tirez chacun par six chevaux, et conduis par deux cochers, vestus d'escarlatte, chamarrez de passement d'or; deux cens cavaliers suivoient après, aussi vestus d'escarlatte, avec du passement d'or, et autre grand nombre de noblesse, qui n'avoit rien espargné pour paroistre à un jour si solennel.
Il se remarque particulierement que le mareschal de Brandebourg avoit fait faire si grande quantité d'habits, et de si riches, qu'on en croit, la despence revenir à cinquante mille richedales.
Plusieurs pages, montez sur chevaux fort richement enharnachez, marchoient après, ayant les pourpoins de toille d'or noir découpée, et dessous des camisolles de toille d'or, et les hauts de chausses et manteaux de velours noir, chamarrez de passement d'or, et grand nombre de laquais vestus de la mesme façon.
C'est là la suite de la princesse, qui, pour n'estre point d'une haute taille, ne laisse pas d'être d'aussi bonne mine qu'il se peut dire. Elle est brune, mais la plus agreable et la plus blanche qui se puisse voir; elle begaye un peu, mais non à dessein, ny par affetterie, et cela luy revient si bien qu'il y a de l'admiration à l'ouyr parler; ses mains sont si blanches et si polies qu'il n'y a marbre qui le soit davantage.
Après que l'ambassadeur de l'Electeur de Brandebourg, qui avoit arrivé avec la princesse, eust eu audience, il presenta au prince un petit coffre d'ambre, plein de pierres précieuses d'un prix inestimable.
Cela fait, la ceremonie du mariage se fist au palais du prince, en presence de tous les ambassadeurs, et peu après on commença le festin, qui dura huict jours continuels, durant lesquels il ne se vit jamais des choses semblables. Là furent servies force viandes accomodées à la façon des Hongrois, desquelles ne peurent manger les Allemans, et, ne les trouvans à leurs goûts, les rejettèrent, s'en mocquant et n'en faisant point d'estat. Pendant ce temps là, c'estoit à qui inventeroit de nouveaux passetemps pour honorer le triomphe de ce mariage. Le jour on voyoit force courses de bagues, combats à la barrière, et autres exercices que la noblesse allemande est curieuse de venir apprendre en France; le soir, on prenoit plaisir à voir toutes sortes de feux d'artifices, danses et jeux, dont chacun se divertissoit selon son inclination.
Le second jour de ceste resjoyssance fut dansé un balet par quelques seigneurs Allemans, qui fut fort approuvé et trouvé beau generalement de tous ceux qui le virent, hormis des Hongrois, qui, comme ignorans en semblables gentillesses, le trouvèrent fort extravagant. Le mesme jour, sur le soir, où l'on voyoit rompre le bas à quelques cavaliers, le boufon du prince en défia un autre, par galenterie, à faire cest exercice; mais il en devint si bon maître qu'il mourut le lendemain, d'un esclat de sa lance qui luy donna dans l'œil.
Le jour suyvant, le prince donna à sa femme quantité de pierreries, belles par excellence, jusques à la valeur de deux cens mil richedales, et ce qui est à remarquer, c'est qu'encores qu'il n'y eust aucuns ambassadeurs de France, d'Espagne, d'Angleterre, de Venise, ny de quantitez d'autres royaumes, seigneuries et républiques, et y estant convyez toutesfois, la valeur des presens que l'on a envoyé s'est montrée deux fois plus grande que la despense de toute ceste magnificence.
Tant de pompes cessées, et l'esprit du prince appelé ailleurs, l'oblige à s'en retourner en Transylvanie.
Il traversa le fleuve de Tyssa, sur lequel il fist faire un pont de basteaux qui luy cousta 6,000 richedales, et chacun se retira dans son pays.
L'ambassadeur du roy d'Espagne, qui estoit en chemin pour aller de la part de son maistre trouver le prince en Transilvanie, aprit à deux journées de Cacha son retour; cela le fit rebrousser sur ses pas, et il ne laissa pas d'avoir le present qu'il avoit charge de lui faire par l'un des siens, accompagné de quatre gentilshommes, qui estoit deux diamants estimez 4,000 richedales.
C'est là tout ce qui s'est passé de plus remarquable aux nopces de ce prince, de qui la valeur et son espée luy ont acquis le tiltre qu'il possède maintenant. Et en ces pompes diverses il a bien tesmoigné sa puissance et sa grandeur, plus grande que beaucoup ne se l'imaginoient pas.
Nous le laisserons à l'abry de ses mirthes, qui se joignent à ses lauriers, et qui font la paix entre Mars et l'Amour.