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Variétés Historiques et Littéraires (04/10): Recueil de pièces volantes rares et curieuses en prose et en vers

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Dix-sept et dix-huitième maisons.

Ces deux maisons sont basties sur 105 toises de terre baillées à cens et rente par les dits Augustins à Jean Hovalet[217], par contract du 12 juillet 1613, moyennant 31 livres 13 sols de rente et 1 denier de cens.

Le dit Hovalet céda ses droits à Pierre Corrup par acte du 8 novembre suivant.

Le 29 septembre 1614, le dit Corrup vendit la moitié desdites 105 toises à Timothée Pinet.

Les dits Corrup et sa femme firent bastir une maison sur l'autre moitié des dites 105 toises de terre, après la mort duquel Corrup la moitié qui luy appartenoit en la dite maison ayant esté saisie reellement, elle fut vendue et adjugée sur sa succession, par sentence du Chastelet du 21 juin 1628, à Gabriel Le Clerc, cabaretier, lequel, le 29 janvier 1630, acquit l'autre moitié de la dite maison de Suzanne Guesnard, veuve du dit Corrup.

Les religieux de la Charité ont depuis acquis les droits du dit Le Clerc par contract du..., et ont passé titre nouvel comme dessus.

A l'egard de la place vendue au dit Timothée Pinet par le dit Corrup, il y fit bastir une maison, qu'il vendit à messire Paul Hurault de l'Hospital, archevêque d'Aix, par contract du 11 may 1619, chargée de 16 livres 16 sols 6 deniers de rente envers l'Université, lequel sieur archevêque la fit decreter et s'en rendit adjudicataire par sentence du Chastelet du 19 decembre 1620.

La dite maison fut encore depuis saisie reellement sur le dit sieur archevêque d'Aix, et adjugée, par arrest de la cour du 1 mars 1626, à Jean Cheron, apotiquaire.

L'Université, par l'arrest d'ordre des deniers provenus de ladite maison, du 21 juillet 1628, fut colloquée pour la somme de 316 livres 16 sols, faisant le principal des dites 16 livres 16 sols 6 deniers de rente qui luy estoit dû sur icelle.

Marguerite Laurent, veuve du dit Cheron, vendit, conjointement avec ses enfans, la dite maison, par contract du 31 mars 1646, à Louis de Riancourt, huissier, lequel en passa le même jour declaration au profit des dits religieux de la Charité.

Dix-neuvième maison.

Cette maison est bastie sur 54 toises, faisant moitié de 108 données à cens et rente par les dits Augustins, par contract du 12 juillet 1613, à Pasquier Ruelle, boulanger, moyennant 32 livres 9 sols 6 deniers de rente et 2 deniers de cens.

Ces 54 toises de terre furent vendues par contract du 22 juin 1614, sur lesquelles y ayant fait bastir la dite maison, ils la vendirent après, par contract du..., à M. Gervais Aubay, Me queux de la reine, et à Charlotte Dubois, sa femme.

Vingtième maison.

A l'egard des autres 54 toises de terre, le dit Ruelle y ayant fait bastir une maison, Pierre de Poulain, ecuyer, sieur de la Folie, tant en qualité de donataire des dits Ruelle et sa femme, par acte du 27 janvier 1631, de la moitié de la sus dite maison, qu'à cause de l'acquisition par luy faite de l'autre moitié d'icelle, par contract du 16 juin 1635, de Pierre Mercadier, postulant[218] au Palais, et de Catherine Veillon, sa femme, veuve auparavant de Nicolas Mergerie, auquel la sus dite moitié appartenoit, comme fils et seul heritier de Marie Herisson, sa mère, veuve auparavant du dit Ruelle, vendit la dite maison aux religieux de la Charité par contract du 19 juin 1636.

Vingt-une et vingt-deuxième maisons.

Ces deux maisons sont basties sur 110 toises et demie données à cens et rente par les dits Augustins, par contract du 12 juillet 1613, moyennant 33 livres 3 sols de rente, à Hubert le Sueur, lequel les ceda à Thomas Nepvot, qui les vendit, par acte du 10 mars 1616, à Jacques Rolland, lequel en retroceda la moitié au dit Nepvot le 27 juillet suivant.

Le dit Rolland fit bastir une maison sur les dites 55 toises un quart, qu'il vendit depuis aux religieux de la Charité par contract du 21 janvier 1625.

Le dit Nepvot vendit le 4 aoust 1616 à Jean le Gay les dites 55 toises un quart, que le dit Rolland luy avoit retrocedées.

Le dit le Gay les revendit le 18 novembre suivant à Jean de Lespine, charpentier, sur lesquelles il y fit bastir une maison qu'il vendit à Laurent Nota par contract du 16 octobre 1619.

Le dit Nota la vendit par echange, le 21 may 1624, à Joseph le Virelois, greffier au baillage de Tresnel, lequel la vendit après aux religieux de la Charité, par contract du 4 juin 1626.

Les religieux de la Charité ont passé un seul titre nouvel de toutes les places et maisons mentionnées cy-dessus qu'ils possèdent dans la censive de l'Université, moyennant douze deniers de cens par chacun arpent, pardevant Baglan, notaire, le 1er mars 1695.

TROISIÈME PARTIE,

Concernant l'alienation faite de partie du surplus du grand Pré-aux-Clercs depuis 1639 jusqu'à présent.

Les adjudicataires du parc de la reine Marguerite s'etendant de jour en jour aux depens de l'Université[219], pour raison de quoi il y a procès, comme nous le dirons dans la suite, elle resolut de faire afficher la quantité de terre dependante du grand Pré qu'elle vouloit donner à cens et rente, et elle en obtint permission de la cour après l'information faite que cette alienation ne pouvoit estre que très utile à l'Université et très avantageuse au public.

On commença d'abord par dresser la rue que l'on nomme aujourd'huy de l'Université, laquelle fut prise sur son fonds, de mesme que l'avoient esté les rues de Jacob, de la Petite-Seine, aujourd'huy des Augustins, partie de la rue du Bac et partie de celle des Saints-Pères; après quoy elle fit des contracts de baux à cens et rente avec Messieurs Tambonneau, president en la chambre des comptes; de Berulle, conseiller d'Estat; le Coq, Pithou, de Berulle et de Bragelonne, conseillers en la cour; l'Huillier et Leschassier, maistres des comptes; Bailly de Berchère, tresorier general de France à Châlons, et le Vasseur, receveur general des finances à Paris. Les contracts furent passez avec ces messieurs pardevant Levesque et Boucot, notaires au Chastelet de Paris, les 31 aoust et 3 septembre 1639, lesquels furent homologuez à la poursuite et diligence des dits sieurs preneurs, et sur leur requeste, par arrest definitif du 19 fevrier 1641, duquel jour les rentes à la charge desquelles les dites places leur avoient esté données ont commencé à courir[220].

Ces places estoient toutes contiguës les unes aux autres, et celle donnée au sieur de Berchère, attenant le cimetière dit des Huguenots, aujourd'huy appartenant en partie à la Charité, estoit la première dans la rue des Saints-Pères; ensuite, dans la même rue estoit celle donnée à monsieur le Coq de Corbeville; puis, dans la rue de l'Université, celle donnée à monsieur Pithou, celle donnée à monsieur Berulle, conseiller d'Estat, celle donnée à monsieur le president Tambonneau, celle donnée à monsieur Seguier, celle donnée à monsieur Lhuillier, celles données à messieurs Leschassier et de Bragelonne, celle donnée à monsieur le Vasseur, qui tient aujourd'huy au grand hostel que l'Université a fait bastir sur son fonds, lequel fait l'encoigneure de la dite rue de l'Université et de la rue du Bac.

Messieurs de l'Abbaye, qui n'ignoroient pas que ces places, comme dependantes et faisant partie du Grand-Pré-aux-Clercs, appartenoient très legitimement à l'Université; que mesme elle en avoit passé des contracts de baux à cens et rentes que la cour avoit homologuez par son arrest du 19 fevrier 1641; ne laissèrent pas de faire entendre aux mesmes preneurs que ces places estoient dans leur censive, et les obligèrent à les reconnoistre et leur en faire mesme de nouveaux contracts; après quoy ces Messieurs de l'Abbaye virent que les bastimens estoient presque finis. Ils firent saisir entre les mains des dits sieurs preneurs les rentes qu'ils s'estoient obligez de payer à l'Université, sous le faux pretexte que ces dites places leur appartenoient en propre; et comme tout le parlement estoit très convaincu de la possession legitime de l'Université, ils crurent qu'en s'adressant à un autre tribunal et depaïsant pour ainsi dire la matière, ils pourroient plus aisement parvenir à leurs fins. Ils portèrent donc l'affaire au grand conseil, et y firent assigner l'Université, laquelle, quoy qu'elle ait ses causes commises à la grand'chambre, ne fit aucune difficulté de paroistre devant ce tribunal, très asseurée que son bon droit et la justice de sa cause prevaudroient infailliblement à l'injuste prétention de Messieurs de l'Abbaye, lesquels, quoy qu'ils eussent fort embrouillé l'affaire, ayant pris des lettres en forme de requeste civile contre plusieurs arrests du parlement qui les avoient deboutez de pareille demande, ne purent si bien deguiser la verité qu'elle ne fût reconnue. En effet, après que cette affaire eut esté plaidée fort solemnellement de part et d'autre, il intervint arrest sur les conclusions de monsieur le procureur general le 20 juillet 1646, qui cassa les pretendus baux faits par l'Abbaye, et maintint l'Université dans la possession des dites places.


Detail des baux faits par l'Université les 31 aoust et 3 septembre 1639, homologuez par arrest de la Cour du 19 fevrier 1641[221], et autorisez par arrest du grand conseil du 20 juillet 1646.

Première maison.

Le premier des baux faits par l'Université est celuy qu'elle passa pardevant Levesque et Boucot, notaires au Chastelet de Paris, le 31 aoust 1639, avec M. Pierre Bailly, ecuyer, sieur de Berchère, tresorier general de France à Chalons, d'une pièce de terre sise sur la rue des Saints-Pères ou de la Charité, attenant le cimetière des Religionnaires, duquel une partie appartient aussi à l'Université[222]. Cette place, contenant 432 toises en superficie, fut donnée moyennant 10 livres 8 sols parisis de cens, qui font 13 livres tournois, et 432 livres de rente. Ledit sieur de Berchère fit bastir trois maisons sur cette place, dont il en vendit une, qui est celle du milieu, à dame Renée de Boulainvilliers, comtesse de Courtenay, veuve du sieur marquis de Rambure, par contract du 5 juillet 1643, à la charge de l'acquitter envers l'Université de 300 livres de rente, faisant partie des 432 livres portez par son bail, et de 10 livres 8 sols de cens, et outre ce, moyennant 58,000 livres, dont il resteroit 6,000 livres ès mains de la dite dame, pour servir au rachapt des dites 300 livres de rente, à laquelle clause la dite dame de Rambure n'a point satisfait, et sur laquelle, dans la suite, la dite maison a esté vendue et adjugée à M. Claude Tiquet, conseiller en la cour[223], par sentence des requestes du Palais du 7 septembre 1689, lequel a passé titre nouvel, le 16 mars 1696, pardevant Baglan, notaire.

Deuxième et troisième maisons.

A l'égard des deux autres maisons, les créanciers des sieur et dame de Berchère les ont vendues, sçavoir: une à dame Marguerite d'Almeras[224], veuve de M. Roger-François de Fromont, secrétaire des commandemens de feu S. A. R. Monsieur, duc d'Orléans[225], par contract passé pardevant Le Secq de Launay et Quarré, notaires, le 19 septembre 1668, et l'autre à M. Roger-François de Fromont, ecuyer, sieur de Villeneuve, par contract passé pardevant les mesmes notaires, le 26 des dits mois et an; le dit sieur de Fromont a passé titre nouvel le 22 mars 1687, pardevant Baglan, notaire.

Quatrième et cinquième maisons.

Ces deux maisons, dont l'une, joignant la precedente, fait l'encoigneure de la dite rue des Saints-Pères, et l'autre est la première à main gauche dans la rue de l'Université, sont basties sur 420 toises de terre données à cens et rente par l'Université, par contract passé pardevant Levesque et Boucot le 8 aoust 1639, à messire Jean Le Coq, seigneur de Corbeville, conseiller en la grand'chambre, moyennant 420 livres de rente et 10 livres parisis de cens; a passé titre nouvel le 26 février 1695, pardevant Baglan, notaire[226].

Sixième maison.

Cette maison est bastie sur 420 toises de terre données à cens et rente par contract passé pardevant les dits Levesque et Boucot, notaires, le 8 aoust 1639, à messire Pierre Pithou, conseiller au parlement, moyennant 10 livres parisis de cens et 420 livres de rente, laquelle a esté rachetée par quittance du 19 juillet 1651.

Messire Henri de Bullion, conseiller au parlement, et dame Magdelaine de Vassan, son epouse, ont acquis par contract d'echange passé pardevant Mousnier et Le Secq de Launay, notaires, le 25 may 1675, la dite maison de messire Nicolas Durand de Villegagnon, et de damoiselle Elisabeth Pithou, son epouse, fille et heritière du dit feu sieur Pithou.

La dite dame veuve de Bullion et ses enfants ont passé titre nouvel à l'Université le 10 septembre 1691, pardevant Lorimier, notaire.

Septième maison.

Cette maison est bastie sur pareille quantité de terre que les deux precedentes, données à cens et rente par l'Université par contract passé pardevant les mesmes notaires, aux mesmes charges et conditions, à M. Charles de Berulle, maistre des requestes, laquelle il a depuis vendue à messire François d'Harville des Ursins, marquis de Paloiseau, par contract passé pardevant Muret, notaire, le 30 avril 1657, et le dit sieur marquis de Paloiseau a passé titre nouvel pardevant Baglan, notaire, le 21 juillet 1694[227].

Huitième et neuvième maisons.

Ces deux maisons sont basties sur 1950 toises de terre données à cens et rente par l'Université, par contract passé pardevant les mesmes notaires, le dit jour, 31 aoust 1639, à messire Jean Tambonneau, conseiller du roy en ses conseils, president en la chambre des comptes, moyennant 47 livres parisis de cens et 1950 livres de rente, dont il en a esté racheté 500 livres par quittances des 20 janvier et 12 mars 1681, données par M. Charles Quarré, lors receveur de l'Université; partant la rente n'est plus que de 1450 livres. Messire Antoine-Michel Tambonneau, aussi president en la chambre des comptes, fils et heritier du dit feu sieur Tambonneau, a passé à titre nouvel le 25 octobre 1694, pardevant Baglan et son confrère, notaires[228].

Dixième, onzième et douzième maisons.

Ces trois maisons sont basties sur 675 toises de terre, données à cens et rente par l'Université, par contract passé pardevant les mesmes notaires, le 3 septembre 1639, à messire Tanneguy Seguier, president au parlement, moyennant 16 livres 4 sols parisis de cens et 675 livres de rente, laquelle fut depuis reduite à 588 livres 16 sols 8 deniers, au moyen de l'arpentage fait de ladite place par Thomas Goubert, masson, le 5 juillet 1660, nommé d'office par M. Coicault, conseiller au parlement et commissaire aux requestes du palais, en conséquence d'une sentence rendue par ladite Cour le 8 janvier 1659, et le cens reduit à 17 livres 13 sols 5 deniers.

Dame Marguerite de Menisson, veuve dudit sieur president Seguier, vendit ladite place par contract passé pardevant Huart et Lemoyne, notaires au Chastelet, le 8 decembre 1643, à M. André Briçonnet, sieur du Mesnil et de la Chaussée, à la charge de payer les arrerages desdits cens et rente.

Dame Louise Pithou, veuve dudit sieur Briçonnet, rachetta ladite rente, montant en principal à 11,776 livres 13 sols 4 deniers, par quittance passée par devant Pain et Mousnier, notaires, le 31 juillet 1660.

Messire François Briçonnet, maître des comptes, tant comme fils et heritier dudit sieur André Briçonnet que comme donataire de ladite dame Pithou, sa mère, en faveur de son contract de mariage du 20 janvier 1659, a passé titre nouvel des dites trois maisons le 21 mars 1688, pardevant Baglan, notaire.

Treizième maison.

Cette maison est bastie sur 650 toises de terre, données à cens et rente par l'Université, par contract passé par devant les mesmes notaires, le 3 septembre 1639, à messire Jean de Berulle, seigneur du Vieux-Verger et de Serilly, conseiller d'estat, moyennant 15 livres 12 sols parisis de cens et 650 livres de rente.

Les mesmes jour et an, ledit sieur de Berulle en passa declaration au profit de M. Jean Bouthier, secretaire de la reine, et de damoiselle Anne Prieur, sa femme.

Jean-Louis et Anne Bouthier, enfans et heritiers des dits sieur et damoiselle Bouthier, echangèrent la dite place, par contrat du 21 janvier 1658, avec M. Adrien Guitonneau, secretaire du roy, lequel, par autre contract du 13 may 1660, l'echangea avec dame Elisabeth Lhuillier, epouse non commune en biens de messire Estienne Daligre, chancelier de France, qui la fit decreter et s'en rendit adjudicataire par sentence du Chastelet du septième mai 1661; et avant que l'adjudication luy en eut esté faite, elle la fit mesurer et arpenter par Thomas Gobert[229], maître masson, expert convenu; par l'arpentage ladite place ne se trouva contenir que 570 toises 3 pieds 9 poulces, c'est-à-dire quatre-vingts toises ou environ moins qu'il n'est porté par ledit contract de bail à cens et rente, de manière que la rente fut reduite à 570 livres 2 sols 1 denier, et le cens à 17 livres 2 sols.

Jacques Laugeois, sieur d'Imbercourt, secretaire du roy, a acquis ladite place de ladite dame Daligre, par contrat passé pardevant Bru et Arrouet[230], notaires, le 19 septembre 1681, sur laquelle il a fait bastir une grande maison[231], dont il a passé titre nouvel le 8 mars 1687, pardevant Baglan, notaire.

Quatorzième maison.

Cette maison est bastie sur 585 toises et demie de terre, données à cens et rente par l'Université, par contrat passé pardevant les mesmes notaires, le 3 septembre 1639, à M. François Lhuillier, maistre des comptes[232], moyennant 14 livres parisis de cens et 585 livres 10 sols de rente.

Ledit sieur Lhuillier estant mort, dame Elisabeth Lhuillier, sa sœur, epouse dudit seigneur chancelier Daligre, tant comme son heritière que comme fondée de procuration de M. François Bochard de Saron, à cause de dame Magdelaine Lhuillier, son epouse, aussi sœur et heritière dudit sieur Lhuillier, passa titre nouvel à l'Université le 28 avril 1663, et declara par iceluy que l'arpentage ayant esté fait de ladite place par Michel Gemin, arpenteur convenu, la dite place, suivant son procez-verbal du 3 juillet 1650, ne se seroit trouvée contenir que 478 toises 3 quarts 7 pieds 35 poulces, c'est-à-dire 107 toises quelques pieds moins qu'il n'est porté par le contract de bail à cens et rente; partant, que la dite dame de Saron et elle n'estoient obligées que de payer 478 livres 19 sols de rente et 14 livres 6 sols 4 deniers de cens au lieu de 585 livres 10 sols de rente et 17 livres 10 sols de cens. Messire Jean Bochard de Saron, conseiller en la grand'chambre, en a passé titre nouvel pardevant Baglan, notaire, le 20 février 1695.

Quinzième et seizième maisons.

Ces deux maisons sont basties sur 917 toises de terre, données à cens et rente par l'Université, par contract passé pardevant les mesmes notaires, le 3 septembre 1639, à messire Christophe Leschassier, maistre des comptes, et messire Thomas de Bragelonne, conseiller au parlement, et depuis premier president au parlement de Metz, moyennant 21 livres 19 sols parisis de cens et 917 livres de rente, le tout solidairement; la rente a esté rachetée.

Le dit sieur Leschassier a donné la maison qu'il a fait bastir sur partie de la dite place à M. Robert Leschassier, son fils, aujourd'huy conseiller en la grand'chambre, par son contract de mariage du 29 mai 1661, pardevant La Mothe, notaire, lequel a passé titre nouvel le 20 novembre 1694, pardevant Baglan, notaire, tant pour sa maison que pour celle bastie par le dit sieur president de Bragelonne, les deux maisons estant obligées solidairement à l'Université.

Dix-septième maison.

Cette maison est bastie sur 444 toises de terre, données à cens et rente par l'Université, par contract passé pardevant les mesmes notaires, le 3 septembre 1639, à M. Jean Levasseur, receveur-general des finances à Paris, moyennant 12 livres 16 sols 9 deniers de cens et 444 livres de rente, laquelle a esté rachetée.

Le 3 février 1655, le dit sieur Le Vasseur, par son testament olographe, institua ses legataires universels Olivier Picques, secretaire du roy, et dame Marie Le Vasseur, son epouse.

Jean Marie, Catherine et Anne Picques, enfants et heritiers des dits sieur et dame Picques, en ont passé titre nouvel le 6 juillet 1688, pardevant Baglan, notaire.

Dix-huitième maison.

Cette maison, bastie sur.... toises de terre, est celle que l'Université a fait construire à ses frais et depens, et laquelle fait l'encoigneure de la dite rue de l'Université et de celle du Bac[233].

Il est à observer que derrière et attenant les jardins dependans des maisons de Messieurs Tambonneau et Briçonnet, il y a 66 toises de terre dependantes du dit grand Pré-aux-Clercs, encloses et faisant partie du jardin des religieux jacobins du novitiat, lesquelles furent autrefois données à cens et rente par M. Samuel Dacole, fondé de procuration de l'Université, par acte et deliberation des 22 aoust 1629 et 9 mars 1630, aux nommez Jacques Le Fèvre, Catherine du Bois, sa femme, et Pierre Pijard et Anne Le Fèvre, aussi sa femme, par contract passé pardevant Coustard et Jutet, notaires au Chatelet, le 11 mars 1630. Ce qui donna occasion à la passation de ce contract fut que M. Louis Dulac, prieur de Louis, s'estant rendu adjudicataire d'une maison, clos, jardin et moulin, saisis reellement sur Jean Allen et sa femme, pour rendre le dit clos quarré, s'etendit sur l'Université, et, depuis, ayant vendu le tout aux dits Pijard et Le Fèvre, et l'Université ayant esté avertie de l'entreprise du dit sieur Dulac, elle demanda qu'il lui en fût fait raison par le dit Dulac ou les dits Pijard et Le Fevre, ce qui forma un procès dont les dits Pijard et Le Fevre apprehendant avec raison l'issue, ils consentirent de prendre à cens et rente de l'Université ce qui se trouveroit avoir esté empiété sur elle. Ainsi il en fut fait arpentage par Gaspard Hubert et Christophe Gamart, massons, lesquels, par leur procès-verbal du 18 janvier 1632, evaluèrent l'entreprise à 66 toises, pour lesquelles les dits Pijard et Le Fèvre offrirent de payer à l'Université 7 livres de reste et 1 denier de cens, ce qui leur fut accordé par le sus dit contract du dit jour 11 mars 1630.

Les Jacobins du novitiat[234] ont depuis acquis les droits des dits Pijard et Le Fèvre, et en ont passé pardevant Baglan titre nouvel à l'Université le 27 mars 1688, par lequel ils ont declaré que des dites 66 toises de terre ils en avoient donné 9 à M. le president Tambonneau par contract du 13 septembre 1646, pour rendre quarré un jardin estant derriere la maison qui luy appartient, attenant celle où il demeure, à la charge de les acquitter de 40 sols de rente, plus les trois quarts d'une perche à M. André Briçonnet, le 12 octobre 1646, dont il avoit eu besoin parce qu'ils faisoient hache sur son bastiment derrière sa maison.

Dix-neuvième, vingtième et vingt-unième maisons.

Ces trois maisons sont basties dans la rue du Bac[235] sur 360 toises de terre, d'une part, données à cens et rente par l'Université à M. Jacques du Chevreuil, par contract du 15 octobre 1659, moyennant 20 livres parisis de cens et 360 livres de rente;

Et encore sur 608 toises et demie de terre données à cens et rente par la dite Université à M. René Foucault, commissaire general de la marine, par contract du 7 aoust 1660, moyennant 14 livres 12 sols parisis de cens et 608 livres 10 sols de rente.

Le dit sieur du Chevreuil ceda ses droits à Claude Colas, charpentier, par contract du 4 may 1643.

Le dit Colas vendit une maison qu'il avoit fait bastir sur la dite place à M. Jean Coiffier[236], maistre des comptes, par contract du 19 mars 1666, lequel depuis, ayant acquis des heritiers beneficiaires du dit sieur Foucault l'autre place de 608 toises, fit abattre la maison qu'il avoit acquise du dit Colas, et fit construire sur les dites deux places trois maisons, lesquelles, dans la suite, ont esté sur lui vendues par les directeurs de ses creanciers à M. François de Rousseau, maistre des comptes, lequel a passé titre nouvel pardevant Quarré et son confrère, notaires, le 8 octobre 1682.

A la suite de ces maisons sont les places qui ont esté vendues à dame Renée de Villeneuve, veuve du dit sieur de Rousseau, maistre des comptes, et à M. Gaston-Jean-Baptiste Therat, chancelier de S. A. R. Monsieur, duc d'Orleans[237], revenantes à 1600 toises de terre, chargées envers l'Université de 48 livres de cens, par contract passé pardevant le Vasseur et Baglan, notaires, le 20 septembre 1688; et depuis la dite dame de Rousseau a acquis les droits du dit sieur Therat par contract du 2 septembre 1688.


CONCLUSION.

Il paroist par tout ce qui a esté dit cy-dessus que la censive du Petit-Pré-aux-Clercs commence dans la rue du Colombier, à la sixième maison à droite, en y entrant par la rue de Seine, et contient, tant dans la dite rue du Colombier que dans celle des Marais et des Petits-Augustins, toutes les maisons qui ont esté enoncées dans la première partie de ce Memoire, depuis la page 13 jusqu'à la page 32.

A l'egard du Grand-Pré, il commence d'un costé dans la rue qu'on nommoit autrefois des Esgouts, et maintenant de Saint-Benoist. Mais, quoiqu'anciennement la première borne du dit pré de ce côté-là, suivant le mesurage fait par Nicolas Girard, arpenteur, au mois d'aoust 1651, en execution d'un arrest de la cour du 14 may de la mesme année, fust posée vis-à-vis de l'ancienne porte du clos de Saint-Germain-des-Prés (laquelle porte estoit entre deux tourelles qui sont encore existantes, mais enfermées dans ledit clos), cependant la censive de l'Université ne commence aujourd'huy qu'à la rue des Anges, ce qui fait voir que le terrain qui est entre la dite rue des Anges et le lieu qui repond à ces tourelles a esté usurpé sur l'Université.

On a fait, dans la deuxième partie de ce memoire, le denombrement des maisons et places que possèdent les religieux de l'hôpital de la Charité dans le dit Pré-aux-Clercs, et il paroist que ce pré est borné tant par l'ancienne cloture du dit hôpital que par un mur de refend qui suit le long d'une galerie ou charnier, et va rendre à l'apotiquairerie, d'où il faut concevoir une ligne qui perce dans la rue des Saints-Pères, où estoit la seconde borne, et, passant par le cimetière dit des Huguenots (à cause qu'on y enterroit cy-devant ceux de la religion pretendue reformée), traverse le jardin des Jacobins, dont une partie est dans la censive de l'Université, comme il a esté dit, et va par les rues du Bac et de Belle-Chasse[238] aboutir à un chemin qui fait la separation du Pré-aux-Clercs d'avec celuy qu'on appelloit autrefois le Pré-aux-Moines, auprès des filles qu'on nomme de Saint-Joseph[239].

Ainsi, la censive de l'Université contient non seulement toutes les maisons qui sont sur la gauche dans les rues Jacob et de l'Université, depuis l'encoigneure de la rue de Saint-Benoist jusqu'à la rue du Bac, mais encore toutes celles qui sont dans la rue des Anges, celles qui sont dans la rue des Saints-Pères jusqu'au cimetière des Huguenots, dont une partie est ainsi comprise dans la mesme censive, et les trois maisons qui sont dans la rue du Bac vis-à-vis de l'hôtel de l'Université.

Pour ce qui est de l'autre côté du dit grand Pré, il commence à l'extrémité de l'une des maisons de l'Hôtel-Dieu, la plus proche des Petits-Augustins, dont il a esté fait mention à la page 38 (auquel lieu estoit autrefois la trente-troisième borne), et, continuant par le monastère des dits Augustins le long de la muraille qui fait la separation de leur ancien et de leur nouveau clos (dans lequel nouveau clos sont trois quartiers six perches de terre qu'ils tiennent à cens et rente de l'Université, ainsi qu'il a esté dit), il perce la rue des Saints-Pères, et suit les anciennes bornes, plantées en 1551, qui faisoient la separation du dit grand Pré dans le parc de la reine Marguerite, pour aller se rendre à l'autre extremité auprès de la maison des filles de Saint-Joseph[240], où il forme dans sa figure une espèce de hache qui estoit renfermée dans les 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21 et 22e bornes.

De manière que toutes les maisons qui sont dans la rue des Petits-Augustins, depuis celles de l'Hôtel-Dieu jusqu'à l'encoigneure de la rue Jacob, et celles de la rue Jacob à droite, depuis la dite encoigneure jusqu'à la rue des Saints-Pères, et encore celles qui appartiennent aux Augustins dans la dite rue des Saints-Pères, lesquelles ont esté basties sur la place qu'ils avoient acquise d'Alphonse Mesnard, marbrier, comme il a esté dit, sont dans la censive de l'Université.

Mais, depuis la dite rue des Saints-Pères jusqu'à la rue du Bac, quoique le terrain qui est au côté droit de la rue de l'Université, contenu entre la dite rue et les anciennes bornes du dit grand Pré, appartienne veritablement à l'Université, neanmoins elle ne reçoit point la censive des maisons qui y sont basties, parce que les adjudicataires du parc de la reine Marguerite s'en sont emparez, pour raison de quoy la dite Université est en procès contre les dits adjudicataires, leurs heritiers ou ceux qui pretendent avoir droit d'eux, duquel procès ils ont jusqu'à present empeché l'instruction et le jugement.

Tout le reste du grand Pré-aux-Clercs, depuis les trois maisons qui sont dans la rue du Bac, vis-à-vis l'hôtel de l'Université, jusqu'à son extremité proche les filles de Saint-Joseph, à laquelle extremité estoient autrefois les dix-huit et dix-neuvième bornes, n'est point bâti. On peut voir, pour plus grande intelligence de toutes ces choses, le plan gravé dans la planche que l'on trouvera à la fin.

Voilà à peu près en quoy consiste cet ancien patrimoine que l'Université a reçu de nos rois. Au reste, comme ce memoire n'est pas l'ouvrage de toute l'Université, quoiqu'imprimé par son ordre, on ne doit pas tirer à consequence contre elle les fautes ou omissions qu'on pourroit y avoir faites. On espère qu'il ne s'y en trouvera point de considerables, parce qu'on s'est reglé sur une declaration donnée par l'Université à la chambre du thresor le 6 aoust 1677.

Il est bon d'avertir que ce memoire estoit achevé dès le temps que l'Université fit sa conclusion pour l'imprimer. L'inventaire de tous les titres concernant le Pré-aux-Clercs estoit aussi fait, et tous ces titres avoient esté remis dans les archives de l'Université, au collége de Navarre, dans lesquelles on avoit pareillement rangé par liasses en differents tiroirs et inventorié les anciens titres qui s'y estoient trouvez, de sorte qu'il y avoit tout sujet d'esperer que l'Université recevroit dès ce temps-là le fruit d'un travail de près de deux années, parce que ceux des censitaires qui estoient en demeure pour passer leurs titres nouvels offroient de le faire incessamment. Neanmoins, un seul d'entre eux s'etant opiniâtré à vouloir se faire decharger d'une solidarité de laquelle il pretendoit n'estre pas tenu, il a esté cause que l'on ne s'est pas pressé de faire passer des titres nouvels à ceux qui n'en refusoient pas, et il a retardé jusqu'à present l'execution d'un dessein qui avoit esté entrepris pour le bien de l'Université, sans en tirer aucun avantage pour luy-mesme. Voilà enfin l'ouvrage imprimé. On souhaite qu'il ne soit pas inutile à ceux qui viendront après nous: c'est tout ce qu'on s'y est proposé.

Ce samedi dernier jour de juin 1696.


Arrests notables rendus en faveur de l'Université touchant le Pré-aux-Clercs.

Nous avons dans nos archives plusieurs arrests rendus en differens temps au profit de l'Université touchant le Pré-aux-Clercs; nous ne nous arrestons qu'à ceux qui sont les plus importans. On peut en voir un du Parlement du 10 juillet 1548, rapporté par M. du Boulay dans le sixième volume de l'Histoire de l'Université, page 407, dans lequel, entre plusieurs chefs de contestation jugez en faveur de l'Université contre le cardinal de Tournon, abbé de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prez et les religieux de la dite abbaye, il est dit vers la fin: «et, en tant que touche la censive que les dits religieux, abbé et couvent pretendent sur elle, la dite cour, suivant le consentement de l'avocat et procureur des dits religieux et couvent, a ordonné et ordonne que icelle Université jouira des dits deux Prez, petit et grand, ensemble des deux arpens, librement et sans aucune charge, etc.

Cet arrest fut suivi d'un autre, du 14 may 1551, touchant les limites du Pré-aux-Clercs, qui se trouve dans le mesme volume de l'Histoire de l'Université, page 440, ensemble un mesurage contenant une ample enonciation de l'etendue de l'un et l'autre Pré, avec leurs bornes plantées suivant le plan dressé et presenté à la cour en ce temps-là, qu'elle homologue tacitement[241].

Ces deux arrests sont encore imprimés dans un ouvrage particulier du mesme M. du Boulay qui a pour titre: Memoires historiques sur la proprieté et seigneurie du Pré-aux-Clercs[242]. Ainsi nous nous contenterons d'en rapporter icy trois: un du Parlement, du 23 decembre 1622, portant recision du contrat fait avec la reine Marguerite le 31 juillet 1606, et deux autres du grand conseil contre Messieurs de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prez, des années 1645 et 1646, parce que ces trois arrests, estant joints avec les deux dont nous venons de parler, qui sont entre les mains de tout le monde, sont plus que suffisans pour assurer la proprieté et la seigneurie du Pré-aux-Clercs à l'Université.

Arrest du Parlement du 23 décembre 1622.

Entre les recteur, doyens, procureurs et supposts de l'Université de Paris, demandeurs en lettres de recision, requeste civile et ampliation des 15 avril 1614 et 13 fevrier 1616, et encore aux fins d'une requeste par eux presentée à la Cour le 11 octobre 1615, d'une part, et M. Nicolas Tanneguy, curateur creé par le roy à la succession de la reine Marguerite, ayant repris le procès en son lieu, et François Percheron, René le Breton, Philippes Bacot, Pierre Hanon, Robert Lorin, Nicolas Riverin, maistre Robert Frissard, Baptiste Penot, les frères de la Charité, Nicolas Dhève, Thomas Nevault, Pierre Caurup, Suzanne Guenard, Timothée Pinet, Jacques Prudhomme, Gabriel Fustet, M. Nicolas le Vauquelin, sieur des Yveteaux, Jean Dubut, Jean Clergerie, et les religieux, prieur et couvent des Augustins reformez, defendeurs, d'autre. Veu par la cour les dites lettres, en forme de requeste civile, du 15 avril 1614, tendantes à fin de restitution et recision du contract du dernier juillet 1606, par lequel maistre François Engoullevent[243], les doyens des Facultés de theologie et medecine, les procureurs des Nations et procureur fiscal de la dite Université, auroient vendu à la dite reine Marguerite, duchesse de Valois, six arpens de terre, dependans du petit Pré-aux-Clercs, aux charges y contenues, et ce nonobstant l'arrest d'homologation du dit contract du 5 septembre 1609, les dites lettres d'ampliation et requeste civile du 13 fevrier 1616, contre l'arrest du 19 fevrier 1614 par lequel les lettres d'etablissement des dits religieux Augustins auroient esté verifiées, la dite requeste, du 11 octobre 1615, tendante à ce que l'arrest qui interviendroit fust declaré commun avec les dits religieux Augustins, frères de la Charité, le Vauquelin, Percheron, Le Breton, Bacot, Hanon, Lorin, Riverin, Frissard, Penot, Dhève, Nevault, Caurup, Pinet, Prudhomme, Dubut et Clergerie; arrest du 10 mars 1616 par lequel toutes les parties sur les dites lettres en forme de requeste civile, recision et autres differents, auroient esté appointées au conseil, à ecrire et produire, bailler contredits et salvations dans le temps de l'ordonnance; plaidoyez et productions des dits demandeurs et du dit Tanneguy, religieux Augustins, et du dit le Vauquelin; contredits et salvations des dits demandeurs Tanneguy et des dits religieux Augustins reformez; forclusions de produire et contredire par les dits Percheron, Le Breton et autres particuliers; production nouvelle du dit Tanneguy, suivant la requeste du 30 avril 1622; contredits et salvations d'icelle; autre production nouvelle des dits demandeurs contre le dit Tanneguy, aussi reçue suivant la requeste du 21 juin ensuivant et contredits d'icelle; acte de redistribution de la dite instance des 25 fevrier, 11 et 13 mars 1621; conclusions du procureur general du roy, et tout ce que les dites parties ont mis et produit, et tout consideré; dit a esté que la cour, ayant egard aus dites lettres de restitution et requeste civile du 15 avril 1614 et icelles enterinant, a remis et remet les parties en tel etat qu'elles etoient auparavant le contract du dernier juillet 1606 et arrest d'homologation d'iceluy du 5 septembre 1609; ordonne que les rentes creées et constituées au profit de la dite feue reine Marguerite, ou des dits religieux Augustins reformez, sur les places dependantes des six arpens de terre mentionnés au dit contract, appartiendront à la dite Université; et, ce faisant, ayant egard à la dite requeste du 11 octobre 1615, a condamné et condamne les dits Percheron, Le Breton, Bacot, Hanon, Lorin, Riverin, les frères de la Charité, Frissard, Guenard, Clergerie, Prudhomme, le Vauquelin et autres, à present possesseurs des places dependantes des dits six arpens, à payer et continuer à l'avenir à la dite Université les cens et rentes à la charge desquelles leur ont esté baillées les dites places par la dite feue reine Marguerite ou autres ayans droit d'elle des dits cens et rentes, en passer titre nouvel et reconnoissance au profit de la dite Université; ordonne neanmoins, pour certaines causes et considerations à cela mouvantes, que le surplus des dits arpens que les dits religieux se sont reservez leur demeurera, pour en jouir comme ils ont cy-devant fait, à la charge de dix livres de rente et douze deniers parisis de cens par arpent envers la dite Université pour toutes choses generalement quelconques; et, sur les lettres d'ampliation de requeste civile, a mis et met les parties hors de cour et de procès, sans depens des dites instances, dommages et interêts, ny restitution de fruits, tant echus que ceux qui echerront jusqu'au dernier jour du present mois. Prononcé le 23 decembre 1622.

Signé Gallard.

Le 31 decembre 1622 fut le present arrest signifié, et d'iceluy baillé copie à maistre Gorlidot, procureur des religieux et couvent des Augustins reformez de cette ville de Paris, parties adverses denommées au present arrest, en parlant, au domicile du dit Gorlidot, à Louis Lothe, son clerc, par moy, huissier en parlement, soussigné. Goizet.

Le 4 et 5 janvier 1623, fut le present arrest signifié, et d'iceluy baillé copie à maistres Chauchefoing, Pucelle et Pioline, procureurs des parties adverses.

Signé Goizet.

Arrest du grand Conseil du 27 juin 1647.

Louis, par la grace de Dieu, roy de France et de Navarre, à tous ceux qui ces presentes lettres verront, salut. Sçavoir faisons que comparans en jugement, en nostre grand conseil, nostre très cher et bien-aimé oncle messire Henry de Bourbon, evesque de Metz, prince du Saint-Empire, abbé de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prez-lez-Paris, et les religieux, prieur et couvent de la dite abbaye, demandeurs en requeste par eux presentée à nostre dit conseil le 13 octobre 1639, à ce que deffences fussent faites aux deffendeurs cy-après nommés et tous autres de vendre, engager, arrester ny autrement disposer, en quelque façon et manière, à quelque personne que ce soit, les Prés-aux-Clercs; que les contracts de vente et arrentement par eux faits soient nuls et resolus, et, sans s'arrester à iceux, que les escoliers et le public seront maintenus en la possession en laquelle ils sont d'aller et frequenter sur les dits lieux, et qu'aucuns bastimens n'y seront elevez, avec deffences de passer outre à l'execution des contracts de vente, bastir et edifier ès dits lieux, d'une part; et les recteur, doyens, procureurs et supposts de l'Université de Paris, deffendeurs, d'autre; et encore entre les dits abbé, religieux et couvent de la dite abbaye Saint-Germain, demandeurs en autre requeste par eux presentée à notre dit conseil le 23 mars 1640, à ce qu'ils soient receus opposans à l'execution des contracts faits par les dits recteurs, doyens, procureurs et supposts de la dite Université de Paris ès dits Prez-aux-Clercs et portion d'iceux contre les dits lieux appartenans à la dite abbaye, et non à autres, en proprieté, censive et directe; ce faisant, sans avoir egard ny s'arrester aux dits contracts, les fins et conclusions prises par les dits demandeurs en leur dite requeste du dit jour 13 octobre, comme justes, à eux faites et adjugées, d'une part; et les dits recteur, doyens, procureurs et supposts de la dite Université, deffendeurs, d'autre; et encore entre les dits abbé, religieux et couvent de Saint-Germain, demandeurs en lettres en forme de requeste civile par eux obtenues en nostre chancellerie de Paris le 17 du present mois, aux fins d'estre restitués et remis en tel estat qu'ils estoient auparavant les trois arrests y mentionnez de nostre Parlement de Paris au profit des dits recteur, doyens, procureurs et supposts de la dite Université: le premier du 5 aoust 1586, le deuxième à rencontre de Gabriel le Clerc, bourgeois de Paris, et le troisième du 2 mars 1636; ce faisant, que leurs fins et conclusions leur soient faites et adjugées, d'une part; et le dits recteur, doyens, procureurs et supposts de la dite Université de Paris, deffendeurs, d'autre; et encore entre les dits abbé, religieux et convent, demandeurs en autres lettres en forme de requeste civile par eux obtenues en nostre grand conseil, tenu le 25 des dits presens mois et an, aux fins d'estre restitués contre les dits arrests; les dites lettres portant attribution de jurisdiction à nostre dit conseil d'icelles, et deffendeurs, d'une part; et les dits recteur, doyens, procureurs et supposts de la dite Université, deffendeurs ès dites lettres et demandeurs en requeste verbale par eux faite ce jourd'huy, en l'audience de nostre dit conseil, à ce que, deboutant les abbé, religieux et convent des dites requestes et lettres de requeste civile, mainlevée soit faite aus dits de l'Université des saisies faites ès mains des sieurs le Coq, Bailly, Tambonneau et autres; et, en ce faisant, que les deniers deus à cause des arrerages des rentes, cens et surcens deubs à la dite Université, leur seront baillez, d'autre part. Après que Bernage pour les dits abbé, religieux et convent de la dite abbaye Saint-Germain; Camus pour les dits recteur, doyens, procureurs et supposts de la dite Université, et Basin pour nostre procureur general, ont esté ouïs, iceluy nostre dit grand conseil, par son arrest sur les requêtes et demandes des dits abbé, religieux et convent de Saint-Germain-des-Prez, et lettres en forme de requeste civile par eux obtenues, a mis et met les parties hors de cour et de procez; et, ayant egard à la requeste verbale des dits recteur, doyens, procureurs et supposts de l'Université de Paris, leur a fait et fait main-levée des saisies faites à la requeste des dits abbé, religieux et convent, ès mains des dits le Coq, Bailly, Tambonneau et autres debiteurs des dites rentes; ordonne qu'ils vuideront leurs mains de ce qu'ils doivent des arrerages d'icelles en celles des dits recteur, doyens, procureurs et supposts de l'Université, et, ce faisant, en demeureront bien et valablement deschargez, sans depens. Si donnons en mandement et commettons par ces presentes au premier des huissiers de nostre dit grand conseil, et hors d'icelle à nos dits huissiers ou autres, nostre huissier ou sergent sur ce requis, que, à la requeste des dits recteur, doyens, procureurs et supposts de l'Université de Paris, le present arrest il mette à deue et entière execution de point en point, selon sa forme et teneur, en ce que l'execution y est et sera requise, en contraignant à ce faire souffrir et obeir tous ceux qu'il appartiendra, et qui pour ce seront à contraindre par toutes voyes deues et raisonnables, nonobstant oppositions ou appellations quelconques, pour lesquelles et sans prejudice d'icelles ne voulons estre differé, et faire en outre, pour l'execution du dit present arrest, toutes significations, assignations, commandemens, contraintes et autres exploits requis et necessaires; de ce faire avons, à nostre dit huissier ou sergent donné et donnons pouvoir, mandons et commandons à tous nos justiciers et officiers et sujets qu'à luy ce faisant, sans pour ce demander placet, visa ne pareatis, soit obey. En temoin de quoy nous avons fait mettre et apposer nostre scel à ces dites presentes. Donné et prononcé en l'audience de nostre dit grand conseil, à Paris, le 27e jour de juin, l'an de grace 1645, et de nostre règne le 3e. Par le roy, à la relation des gens de son grand conseil,

Roger.

Autre arrest du grand Conseil, du 20 juillet 1646.

Louis, par la grace de Dieu, roy de France et de Navarre; à tous ceux qui ces presentes lettres verront salut. Sçavoir faisons comme par arrest ce jourd'huy donné en nostre grand conseil, sur la demande et profit de defaut requis par nos bien-aimés les recteur, doyens, procureurs et supposts de l'Université de Paris, demandeurs et requerans, que les contracts et baux à cens et rentes faits par les religieux et convent de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prez-lez-Paris, pardevant Levesque et Boucot, notaires au Chastelet de la dite ville de Paris, aux sieurs le Cocq, Bailly, Pithou, de Berulles, Tambonneau et autres, des heritages y mentionnés, sis au Pré-aux-Clercs, du quatorzième jour de may mil six cens quarante, soient declarez nuls et de nul effet; ordonné que sur les minutes d'iceux il sera fait mention tant du present arrest que de celuy de nostre dit conseil du vingt-septième juin mil six cens quarante-cinq, et que, pardevant le commissaire qui à ce faire sera deputé par nostre dit conseil, il sera procedé à la reconnoissance des anciennes bornes et limites du dit Pré-aux-Clercs, et qu'aux lieux où il s'en trouvera d'ostées et arrachées il en sera mis de nouvelles, à rencontre des dits abbé, religieux et convent de la dite abbaye Saint-Germain-des-Prez, defendeurs et defaillants. Veu par nostre dit conseil la dite demande, arrest de nostre dit conseil, par lequel, après la declaration de M. Claude le Brun, procureur au dit conseil, et des dits abbé, religieux et convent, defaut auroit esté donné à rencontre d'eux en la presence du dit le Brun, leur procureur, et ordonné que le jugement d'iceluy surseoiroit jusques au jeudy ensuivant du quinzième jour de may mil six cens quarante-six; le dit arrest de nostre dit conseil du dit jour vingt-septième juin mil six cens quarante cinq, par lequel, sur les requestes et demandes des dits abbé, religieux et convent de Saint-Germain-des-Prez, et lettres en forme de requeste civile par eux obtenues, afin d'estre remis en tel estat qu'ils estoient auparavant les arrests du parlement de Paris des cinquième aoust mil cinq cens quatre-vingt-six, et onzième jour de mars mil six cens trente, les parties auroient esté mises hors de cour et de procès, et ayant egard à la requeste verbale des dits recteur, doyens, procureurs et supposts de la dite Université, mainlevée leur auroit esté faite des saisies faites à la requeste des dits le Cocq, Bailly, Tambonneau et autres, des arrerages des rentes, cens, surcens deubs à la dite Université; ordonne que les dits le Cocq, Bailly, Tambonneau et autres vuideront leurs mains de ce qu'ils devoient des arrerages d'icelles en celles des dits recteur, doyens, procureurs et supposts de la dite Université; ce faisant, en demeureront bien et valablement dechargés, sans depens; le dit arrest de nostre cour de parlement de Paris du dit jour deuxième mars mil six cens trente, par lequel, sans avoir egard à l'intervention des dits abbé, religieux et convent de Saint-Germain-des-Prez, M. Nicolas le Vauquelin, sieur des Yveteaux, et Claude le Bret le jeune, auroient esté condamnés exhiber aux dits de l'Université les dits contracts d'acquisition par eux faits de la maison sise au fauxbourg Saint-Germain, rue des Marais, leur payer chacun d'eux les lods et ventes du prix de leur acquisition, et le dit Vauquelin condamné passer titre nouvel et reconnoissance au profit des dits de l'Université de deux sols parisis de cens, payer vingt-huit années d'arrerages echeus et ceux qui echeroient par après; autre arrest du dit parlement par lequel, en consequence du dit arrest du dit jour deuxième mars mil six cens trente, du consentement des parties auroit eté ordonné que les dits contracts d'acquisition faits par les dits le Vauquelin et le Bret seroient reformés, tant ès grosses qu'ès minutes, et qu'au lieu qu'il estoit porté par iceux que la maison et lieux y mentionnez estoient en la censive des dits abbé et religieux de Saint-Germain, il seroit mis qu'ils estoient en la censive des dits recteur et Université de Paris, et à cette fin que le dit Vauquelin et damoiselle Denise le Vacher, veuve du dit le Bret, seroient tenus representer la grosse des dits contracts du 12e jour de juin mil six cens trente-un; procès-verbaux des commissaires deputés par nostre dite cour de parlement contenant la reformation des dits contracts, en execution des dits arrests des onzième novembre mil six cens trente, vingt-cinq, vingt-huit juin et trois juillet mil six cens trente-un; copie collationnée de contract de bail à cens et rente, par messire Henri de Bourbon, evesque de Metz et abbé de Saint-Germain-des-Prez, et maistre Pierre Pithou, nostre conseiller au parlement de Paris, d'un morceau de terre sis au fauxbourg Saint-Germain-des-Prez, proche la Charité, faisant partie des terres sises au Pré-aux-Clercs appartenant au dit abbé, moyennant la somme de dix livres parisis de cens et quatre cens vingt livres de rente par chacun an, lesquels cens et rente demeureroient entre les mains du dit Pithou jusques à ce que le procès d'entre les dits abbé et religieux et les dits recteur et supposts de l'Université, pour raison de la proprieté des dites places, fust vuidé, contenant aussi, la dite collation, qu'à la minute du dit contract sont attachées autres minutes de semblables contracts faits par le dit abbé aux dits sieurs de Berulles, Tambonneau, Leschassier, de Bragelonne, Le Vasseur, Seguier, le Cocq et Lhuillier, du dit jour quatorzième may mil six cens quarante; copie collationnée d'arrest dudit parlement par lequel, entre autres choses, auroit esté ordonné qu'aux frais et depens des dits abbé, religieux et convent de Saint-Germain-des-Prez seroient faites tranchées à l'entour du grand Pré-aux-Clercs, selon les limites plantées et bornes mises ès endroits et lieux qui seront ordonnés par le commissaire executeur de l'arrest, à la conservation des droits des dits recteur, doyens, procureurs et supposts de la dite Université, du quatorzième jour de may mil cinq cens cinquante-cinq; conclusions de nostre procureur general; iceluy nostre dit grand conseil, par son dit arrest, a declaré et declare le dit defaut bien et deuement obtenu, pour le profit duquel a declaré et declare les dits contracts et baux à cens et rentes faits par les dits abbé, religieux et convent de Saint-Germain-des-Prez-les-Paris, des heritages sis au Pré-aux-Clercs, du dit jour quatorzième jour de may mil six cens quarante, nuls et de nul effet; ordonne que sur les minutes d'iceux il sera fait mention tant du present arrest que de celuy du dit jour vingt-septième de juin mil six cens quarante-cinq, et que, par le rapporteur du procès, en presence du substitut de nostre procureur general, il sera procédé à la reconnoissance des anciennes bornes et limites du dit Pré-aux-Clercs, et qu'aux lieux où il s'en trouvera d'arrachées il en sera mis de nouvelles; condamne les dits abbé, religieux et convent aux depens du dit defaut, la taxation d'iceux à nostre dit conseil reservée. Si donnons en mandement et commettons par ces presentes à nostre et amé féal conseiller à nostre conseil.................. qu'à la requeste des dits recteur, doyens, procureurs et supposts de la dite Université de Paris, le present arrest il mette et fasse mettre à deue et entière execution, de point en point, selon sa forme et teneur, contraignant à ce faire, souffrir et obeir tous ceux qu'il appartiendra, et qui seront à contraindre, par toutes voies deues et raisonnables, et ce nonobstant oppositions ou appellations quelconques, pour lesquelles et sans prejudice d'icelles ne sera differé; de ce faire luy donnons pouvoir. Mandons en outre au premier des huissiers de nostre grand conseil ou autre nostre huissier ou sergent sur ce requis, faire pour l'entière execution dudit present arrest tous exploits de significations, assignations, commandemens et contraintes requis et necessaires, sans demander placet, visa ne pareatis. Donné en nostre dit grand conseil, à Paris, le vingtième jour de juillet l'an de grace mil six cens quarante six; monstré à nostre procureur general, prononcé les dits jour et an, et de nostre règne le quatrième.

Par le roy, à la relation des gens de son grand conseil,

Roger.

Histoire horrible et effroyable d'un homme plus qu'enragé qui a esgorgé et mangé sept enfans dans la ville de Chaalons en Champagne. Ensemble l'execution memorable qui s'en est ensuivie.

S. L. ni D. In-8.

Une maudicte et execrable creature, vouée et destinée à Sathan, un homme scelerat et pire qu'antropophage, s'est trouvé dans la ville de Chaalons en Champagne, faisant profession d'hospitalité et de loger les pauvres passans allans et venans dans la dicte ville, qui, poussé d'une furieuse rage et plus qu'un cannibale, sous ce specieux pretexte de pieté et devoir d'humanité, a exercé la plus atroce barbarie et inhumanité qui se puisse inventer et sortir de la pensée d'un homme raisonnable.

Ce boureau inhumain, par je ne sçay quelle sorte de friandise, avoit accoustumé d'attirer chez soy les petits enfans de la ville, qui, surprins par son traitre caquet, se plaisoient d'aller jouer en sa maison, et par bande et compagnie, comme c'est l'ordinaire façon de jouer des enfans en bas aage, qui se mènent et se trainent l'un l'autre en tous lieux pour se recreer ensemble. Par plusieurs et diverses fois, il les avoit recreez chez soy auparavant qu'il commençast d'executer sur les pauvres petits son funeste et horrible dessein; et comme il se mit en fantasie ceste miserable resolution, il les laissoit entrer et penetrer fort avant dedans son logis sept à la fois; puis, fermant la porte sur luy, de sept qu'ils estoient, il en retenoit un et laissoit aller les autres six; et celuy qui estoit retenu après les autres sortis estoit par ce malheureux homme incontinent esgorgé et sur-le-champ haché et mis en pièces, dont partye estoit par luy bouillie, une autre rostie et l'autre fricassée, se repaissant luy et les siens de ceste cruauté, et en reservoit quelque reste qu'il faisoit manger le lendemain à la première bande de petits enfants qui se venoient jouer en son logis.

Sous ceste friandise, ils se plaisoient à la compagnie de ce cruel inhumain et ne se pouvoient passer d'y aller et s'y mener l'un l'autre, comme les enfans s'adonnent volontiers d'aller en lieux où l'on leur donne quelque chose: si bien que jusques à sept fois ils se trainent et se portent au malheur en ce maudit logis, et à toutes les fois il sceust en escarter le plus beau de la compagnie pour le massacrer et le devorer comme un loup enragé, ou, pour mieux dire, un vray et parfait loup-garou, de telle sorte qu'il en esgorgea et devora jusqu'à sept. Pendant tout cecy s'estoit vue grande desolation en la dicte ville de voir les pères et mères chercher, pleurans et lamentans, leurs pauvres enfans massacrez. On s'enqueste des lieux où ils ont accoustumé d'aller se resjouir ensemble, et ne peut-on avoir nouvelle de ce qu'ils sont devenus.

Finallement, par le mesme rapport des enfans leurs camarades, on descouvre le fait, et asseurent qu'entrant six, sept ou huit au logis de ce faux hospitalier, il en restoit un de leur compagnie qui se perdoit là dedans, et ne sçavoient quel il estoit devenu. On le soubçonne du faict et decrette-on aussi tost le coupable, qui est arresté prisonnier ainsi qu'il se pensoit sauver dedans un cul de sac. Arresté qu'il est, on prend et saisit ses enfans, l'un desquels, estant interrogé du juge sur le faict que dessus, confessa que la verité estoit qu'il en avoit esgorgé et mangé quatre ou cinq, et que mesme il leur en avoit fait manger. Confrontez devant leur père, rendirent mesme tesmoignage, voire, qu'il en avoit esgorgé plus qu'ils ne disoient. Le procès fait et parfait, ce criminel, atteint et convaincu de telles impietez, est condamné par sentence des juges des lieux d'estre bruslé vif au dit Chaalons.

Appel de ce au parlement de Paris, qui confirme la mesme sentence et renvoye le prisonnier à son premier jugement. Estant donc de retour en la dicte ville on procède à l'execution, et est conduit dans la grande place du Marché-au-Bled de la dicte ville, et là est attaché avec chaînes contre un poteau, despouillé nud, fors trois chemises que les bonnes dames de ce pays-là fournissent ordinairement aux suppliciez. On commence d'allumer le feu à ses pieds, qui lui brusle incontinent les entrailles, et, ayant bruslé la corde qui luy tenoit les mains liées, il prend le bois ardant avec les mains et le jette contre les assistans, faisant des cris et hurlemens horribles comme d'un homme qui mouroit enragé au milieu des flammes dans lesquelles il perit, et furent les cendres de son corps dissipées par le vent, selon la teneur de la sentence.

L'entrée de Gautier Garguille en l'autre monde.

Poème satyrique.

A Paris.

M.DC.XXXV[244]. In-8.

Le battelier d'enfer reparoit sa nacelle,
Rompuë sous le faix d'une ame criminelle,
Lors que Gautier-Garguille, arrivant furibond,
S'ecria: Passe-moy sans attendre un second,
Vieillard, et ne permets que deux fois je le die,
Car je suis de la farce en une comedie
Qu'on jouë chez Pluton. Si tu tardes beaucoup,
Le moindre des marmots t'y donnera son coup.
Ce discours depita l'homme à la vieille trongne:
Tu n'es plus, ce dit-il, à l'hostel de Bourgongne;
Il ne faut pas tousjours rire et tousjours chanter.
Icy-bas les esprits ne se pourront flater
Dans le sot entretien de tes pures fadaises,
On n'y sert point de noix, de moures[245] ny de fraises,
Et tu n'y peux tenir un plus insigne rang
Que de pescher sans fin un grenouiller etang.
Ne precipite point ta course malheureuse:
Tu ne sçaurois manquer cette charge honteuse.
Gaultier luy repondit: Profane, sçais-tu bien
Que les grands se sont plus à mon doux entretien?
Un seul ne me voyoit qui ne se prist à rire.
Ay-je pas mille fois delecté nostre Sire?
Bon Dieu! si tu sçavois que je suis regreté
Et que l'on a souvent ce propos repeté:
Las! le pauvre Gaultier, hé! que c'est de dommage!
Bref, si je retournois, on me feroit hommage.
Puis Caron, en riant: Ouy, tu retourneras;
Cela depend de toy, marche quand tu voudras.
Il ronfloit en tenant ce discours à Garguille,
Car il ne laissoit pas de pousser sa cheville
A l'endroit depecé de son basteau fatal.
Mais Gaultier, en colère: Espères-tu, brutal,
Que je puisse long-temps tarder en ce rivage?
Passe-moy vitement, je payeray ton gage;
Ne te deffie point d'un homme comme moy:
Je suis tout plein d'honneur, de justice et de foy.
Lors, entrant au batteau, l'homme à l'orrible face,
Saisi de ses outils, le conduit et le passe.
Il demande un denier; mais, montrant ses talons,
Gaultier dist en riant: Je n'ay que des testons.
Si tu ne me veux croire, avant que je devale,
Va-t'en le demander à la trouppe royalle;
Et cependant, s'il vient quelqu'un mort de nouveau,
Je le puis bien passer ou le mettre dans l'eau.
Sinon, viens avec moy chez Pluton et sa garce.
Tu ne bailleras rien pour entendre la farce.
Caron, voyant que tout alloit de la façon,
Jugea qu'il le vouloit payer d'une chanson[246].
Il dist entre ses dents: Jamais homme du monde
Sans avancer l'argent ne passera cette onde.
Garguille, de ce trait tout aise et tout joyeux,
Le signe en s'en allant et du doigt et des yeux;
Il l'estime nyais, et, secouant la teste,
Monstre qu'il duperoit une plus fine beste.
Cependant il arrive à la porte d'enfer,
Où, frappant comme un sourd, il resonne le fer.
Il tance le portier, qui rit de sa colère;
Mais aussi tost qu'il vit l'effroyable Cerbère
Qui, faisant le custos, y sembloit sommeiller,
Il passa doucement de peur de l'eveiller:
Car, n'ayant jamais veu de si terribles suisses,
Il craignoit d'estre pris aux jambes ou aux cuisses.
Mais comme il fut devant le palais de Pluton,
Un huissier rechigné luy monstra le baston:
Quoy! fol outrecuident! quelle effrontée escorte
T'ose bien faire voir le cuivre de la porte?
Le roy demeure icy; les juges criminels
N'osent voir sans congé ses louvres eternels,
Et tu viens hardiment en cette digne place!
Juge donc le peril où t'a mis ton audace.
Cela dit, il le chasse, et neantmoins Gaultier
S'efforce de monstrer des traits de son mestier
En chantant et dansant, mais enfin se retire,
Voyant que de ses tours l'huissier ne vouloit rire.
Après avoir erré mille detroits nombreux,
Il se treuve au palais où tous les malheureux
Vont comparoir devant les majestez sublimes
De ces trois presidens qui condamnent les crimes.
Les sergens conduisoient un mechant garnement
Devant le sieur Minos pour avoir jugement.
Le fou, qui vit cela, sentit son ame atteinte
En ce mesme moment de froideur et de crainte,
Car le juge leur dist: Je croy que vous rêvez;
Pourquoy n'amenez-vous ces autres reprouvez?
Veux-je pas à chacun prononcer sa sentence
A la proportion de son enorme offence?
Ce fut là qu'en fuyant nostre pauvre Gaultier
Monstra qu'il n'estoit pas le fils d'un savetier.
Avoit-il pas grand tort de passer les devises,
Puis que les champs heureux à ses fautes remises
N'estoient pas deniez? La curiosité
Apporte bien souvent de l'incommodité:
Il le reconneut bien, car il jura dès l'heure
De ne retourner plus où le juge demeure.
Quand il fut arrivé dans ces prez où les fleurs
Conservent à jamais l'eclat de leurs couleurs,
Où cent flots argentez arrosent les herbages,
Où l'air purifié n'a jamais de nuages,
Et où l'on ne voit point changement de saison
Dans l'ordre qu'y fait voir l'eternelle raison,
Il se coucha tout plat sur l'herbe et les fleurettes,
Mais il tesmoigna bien, par mille chansonnettes,
Le plaisir qu'il avoit d'estre hors du danger.
Tabarin, le voyant, s'en vint le langager[247],
Jugeant à sa façon que c'estoit un bon drole,
Et qu'ils avoient été nourris en mesme ecole.
Je ne m'estonne point s'ils se firent acueil,
Car toujours le pareil demande son pareil.
Si tost que Tabarin eut fait la connoissance[248],
Garguille s'ecria: Que j'ayme ta presence!
Incomparable esprit, subtil, facetieux,
Personne ne te hait sous le bassin des cieux;
Que j'ay pris de plaisir à lire ton beau livre!
Je n'avois autre soin, autre bien, que de suivre
Tes beaux enseignemens, qui sont poudrez d'un sel
Tel que nos devanciers n'en goustèrent de tel!
L'autre, à qui ce discours sentoit comme du baume,
Et qui n'eust tant prisé la lecture d'un pseaume,
Se voulut informer des bons garçons du tans
Et de ce qui s'est fait depuis vingt ou trente ans;
Mais Orfée parut marqué de mille playes
Qui font encore voir si les fables sont vrayes.
Quand Garguille eut apris que c'estoit ce rimeur:
Nos poètes, dit-il, sont bien d'une autre humeur;
Ils ne se feront point mettre le corps en pièces
Faute d'aimer la femme: ils ont tous leurs maîtresses,
Et plustost deux que trois. A ces mots Tabarin
Ayant trouvé du goust, fist un ris de badin;
Mais Gautier, s'ennuyant de se voir inutile,
Dist qu'il vouloit monstrer comme il estoit habile,
Si tost qu'il auroit sceu les agreables lieux
Où les comediens font admirer leurs jeux.
Alors, sans differer, il courut sur les friches
Pour voir en toutes parts s'il verroit des affiches;
Mais quand il n'en vit point, et qu'il fut asseuré
Que là son bel esprit seroit moins admiré
Que parmy les humains, il se change en tristesse,
Fasché de n'y voir pas rire de ses souplesses.
Il court de tous costez, hurlant à tout moment
Un discours qui ne dit que: Paris! seulement.
Il se met sur un mont où vainement il tache,
Planté sur ses orteils, d'aviser sainct Eustache[249].
Un esprit politique, ayant tout ecouté,
Le voulut faire boire au fleuve de Lethé,
Afin que des humains il perdît la memoire:
C'estoit vouloir sans soif forcer un asne à boire,
Car Gautier repondit que seulement aux bains
On se servoit de l'eau, et pour laver les mains.
Il s'enfuit sur ce point, dépassant d'une lieue
L'esprit, qui, moins subtil, est encore à sa queue.
Je jure mon cornet qu'il aura beau courir,
Le fou ne boira pas, et deust-il en mourir.
Il marque de ses piez la terre qui raisonne,
Et fait voir en sautant qu'un fossé ne l'etonne.
Chacun juge là-bas, à le voir si leger,
Que son mestier estoit d'apprendre à voltiger.
Il a jambes de cocq et tout le corps si graisle
Que le vent pourroit bien l'emporter sur son aisle;
Mais c'est trop guarguillé: si quelqu'un le veut voir,
Qu'il aille à l'autre monde; il s'y fait prevaloir,
Ayant enfin guaigné l'azile d'une roche
Où je ne pense pas que jamais on le croche.

Les estrennes du Gros Guillaume à Perrine[250], presentées aux dames de Paris et aux amateurs de la vertu.

Perrine,

Estant ces jours passez proche voisin de nos chenets, croquetant le marmouset[251], pensant tromper la rigueur de l'hyver par l'humble radication d'une chaleur ignée qui me donnoit sur la place Maubert (au moins, dis-je, à la Grève[252] de mes jambes), il me souvint que ceste année commençoit à prendre fin, et que le dernier jour d'icelle servoit de veille au premier de l'année prochaine, et que pareil jour la coustume, autant ancienne que louable et bonne, estoit d'estrener ses amis, et qu'entre tous ceux que j'ayme en ce monde tu as pris le supresme degré; toutefois ces considerations, assemblées comme une botte d'allumettes ou de carottes, m'ont fait resoudre de t'estreiner à ce beau jour de l'an. Mais ceste resolution ne m'a de rien servy, d'autant que, quand j'ay songé à ce que je te donnerais, ç'a bien esté le mal: car mon imaginative chancelloit (sans tomber toutes fois) tantost deçà tantost delà, car je meditois ainsi que de presenter des poids succrés, du pain d'espice, un petit chou, un pain de mouton[253], une rissolle, un bissecuit ou un macaron, cela ne te convenoit point, n'estant point friande.

De te donner une pirouette de bois, un bilboquet de sureau[254], une poupée de platre, un chiflet de terre et un demy-seinct de plomb, rien de tout cela, car tu n'es plus un enfant. De te donner de l'argent monnoyé, non, car c'est en manière d'aumosne à des pauvres gens.

De t'estrener aussi d'abits, demy-ceint d'argent, d'anneaux, de bagues et joyaux, tout beau! je n'y vois goutte en ceste grande perplexité d'esprit. Je me suis advisé que, si je te faisois estreine, il falloit qu'elle fust pour toute ta vie, sans recommencer si souvent: car je te diray en passant que ce n'est guère ma coustume de donner; toutesfois, ma bource en est toute grasse et usée.

Mais aussi de te faire un don si signallé que je te donnasse tout ce que tu aurois besoin tout le long de ta vie, hé! il me faudroit aller aux Indes querir de la terre à Bertran[255] pour y satisfaire. Joint que, quand j'aurois le Mont-Senis en ma possession aussi couvert d'or comme est de neige cest yver, cela n'y feroit rien.

Car pour tout l'or du monde l'on ne peut acheter la santé, le bonheur, l'amitié et autres choses necessaires à la vie. Hé! quoy doncques! seray-je frustré de mon dessein? Non, ce dit ma raison; d'autant que tout ce qui ne se peut effectuer par nostre pouvoir, sans le pouvoir d'autruy, se doit parfaire par prières et souhaits. C'est pourquoy je t'ay composé ceste estreine, toute pleine de prières, de desirs et souhaits que j'adresse à celuy qui te peut donner tout ce qu'auras de besoin en toute ta vie. Par ainsi, je crois avoir satisfait à ma pretention. Que si quelqu'un dit que cela ne t'enrichira guère, je respons que ce sont les meilleures estreines: on en void la pratique pour exemple.

On dit au jour de l'an: Bonjour et bon an; esternuë-on, Dieu vous croisse, Dieu vous face bonne fille; au matin, bon jour; la nuict, bonsoir; après midy, bon vespre; au repas, prou-face; aux rencontres, Dieu te gard; si quelqu'un s'en va, Dieu te conduise, et plusieurs comme cela. Ce sont les meilleures estrennes.

Il ne reste plus maintenant de te prier de les avoir pour agreables, et de croire que je les ay faites du mieux qu'il m'a esté possible. Toutesfois, si par la vivacité de ton bel esprit tu recognois quelque chose y manquer, je te prie d'y suppleer par ta diligence et de façonner tes desirs à ta volonté: car les desirs sont de telle nature qu'ils prennent telle nature que l'on veut.

Or, ainsi comme je me suis tenu fort heureux depuis le jour que j'eus fait ta cognoissance, quand tu estois de Barisienne Parisienne, aussi m'estimerois-je heureux si tu loges ce present seulement dans quelque trou de soury du cabinet de tes bonnes graces, et, pour me combler de felicité, de m'accepter à ceste qualité,

Perrine,
Vostre très humble serviteur.
Guillaume le Gros.

Les biens dont le ciel m'a fait part
Je vous presente en bonne estreine:
C'est le corps et l'esprit gaillard
Qui à vous servir prendra peine;
Quant est de richesse mondaine,
Sans mentir, ne vous puis faire offre,
Car ma personne, chose certaine,
Ne mit jamais escus en coffre.

La lettre consolatoire escripte par le general de la compagnie des Crocheteurs de France à ses confrères, sur son restablissement au dessus de la Samaritaine du Pont-Neuf, naratifve des causes de son absence et voyages pendant icelle. Translatée de grec en françois par N. Horry, clerc du lieu de Barges en Bassigny.

1612. In-8[256].

Hæc sunt arma Bacchi.

Messieurs et confrères, je sçay que ma longue absence, provenue de la privation et de la cheute du magnifique et honorable siége auquel j'estois installé au dessus de la Samaritaine du Pont-Neuf, vous a causé une grande tristesse et fascherie, principalement lors que l'eaue provenante du bois tortu vous a manqué, pour avoir esté egarez comme soldats qui ont perdu leur capitaine, comme brebis depourveues de pasteur, ne sçachans où chercher pasture. Aussi vous, après avoir esté privez de ma presence, avez esté fourvoyez de vostre chemin accoustumé d'aller sacrifier au dieu Bacchus, changeans à chacune heure de lieux où se faict ordinairement le service du vin, selon les recits qui vous estoient faicts des lieux où gisoit le meilleur de ce qui vous fortifie à porter voz charges accoustumées, lequel changement vous estoit causé par les porteurs d'eaue, voz ennemis et malvueillans, en ce que ne mettez point en œuvre de leur marchandise, si ce n'est contre vostre volonté et lorsque le pouvoir d'avoir aultre marchandise plus agreable vous default; pour eviter la compagnie des quelz, ensemble de ceulx qui, en vertu de certaine ordonnance et reglement faict en ceste ville, font perquisition et recherche des bourgeois, entre les quelz, subauditur des cornus, vous tenez les premiers rangs, qui vont aux cabarets et tavernes pour y travailler des maschoires et arrouser leur gosier, craincte qu'il ne se desseiche par trop, quittans à cest effect leurs domicilles, où ilz pourroient faire pareil travail et arrousement de gousier, vous estes contrainctz de faire le dict changement à fin de n'estre inquietez en si honorable exercice, tous les quels troubles et perturbations vous estoient causés par le moyen de mon absence, qu'estimiés debvoir durer jusques aux kalandes grecques prochaines. Tellement que mon retour vous affranchira de telles inquietudes et apportera une grande joye et contantement non seullement à vous, mais aussi à plusieurs marchans qui tiennent leurs boutiques et vendent leurs marchandises sur le dit Pont-Neuf, comme vendeurs d'allumettes, arracheurs de dents, crieurs de poudre pour faire mourir les rats et les souris, venderesses d'herbes, et aultres marchans de semblable ou plus grande qualité, mesmes à messieurs les couppeurs de bourses[257], qui me sont desjà venus veoir pour tesmoigner l'aise qu'ils ont de mon restablissement et la perte qu'ils ont encourue par mon absence, me prians de ne leur estre contraire, et que, quand je les verray exercer leur mestier, je n'en dise mot; ce que je leur ay promis, et en recompence m'ont donné asseurance de ne jamais coupper les vostres, du moings celles qui vous touchent de plus près. En sorte que je recognois mon retour estre applaudi d'un chacun, voyant la grande multitude de peuple dont je suis accompagné durant le jour, et le grand nombre d'osteurs de manteaux qui ne m'abandonnent de loing la nuict. Aussi ce m'estoit chose très dure d'avoir esté sans cause depossedé de ce mien trosne par l'envie et poursuitte de la Samaritaine, sur le donné à entendre qu'elle auroit faict comme jalouse que j'estois au dessus d'elle, estant de l'humeur des autres femmes qui vueillent dominer et estre au dessus des hommes (excepté au combat de la couche, où elles souffrent estre au dessoubs, pour leur commodité), ayant proposé et mis en faict que son renom estoit aneanty par le moyen du mien, qui, à cause de ma grande constance et integrité, estois tousjours accompagné de plusieurs, mesme de grands seigneurs, en sorte qu'on ne tenoit plus compte d'elle, laquelle, oultre ce, auroit remonstré, afin de parvenir à son intention, qu'elle ne pouvoit dormir à seurté, craincte que je ne luy laissasse tomber sur la teste le marteau que je tenois entre mes jambes, par le moyen du quel je lui rompois la teste quand je sonnois les heures[258]; aussi que j'estois illec inutil, amusant une grande partie de peuple auquel je faisois perdre temps, joinct que je portois scandal à plusieurs, à cause des plumes qui estoient et sont encores à present au dessus de mon bonnet, qui denotoient et signifioient qu'il y avoit bien des oiseaux et cocus en ceste ville, et portois les armoiries d'iceux et de vous, mes confrères, derrière mon dos[259], ce qui occasionnoit plusieurs de ceste qualité de se fascher en eux-mesmes et de battre leurs femmes, ou les laisser battre par le bas à ceux qui vouloient entreprendre telle besoigne. Sur lequel donné à entendre j'aurois esté desmis et depossedé de l'honnorable charge à laquelle j'avois esté esleu, bien que je m'y sois gouverné avec telle modestie que je ne pense avoir donné subject à quelque muet que ce soit d'en parler, la faulte ne debvant estre imputée à moy s'il y a eu quelques bourses couppées à mes spectateurs, m'ayant esté impossible, à cause de la multitude du peuple dont j'ay esté tousjours entouré, de prendre garde sur un chascun; aussi que, les appercevant, je n'en osois dire mot, de craincte qu'ils me jettassent en la rivière, cela leur estant facille, ou me feissent quelque autre tour irreparable, ce qui servira de responce aux deux vers suivans, que nos ennemis ont proposé contre mon integrité, qui sont:

Aussi qui souffre un crime estre faict par autruy,
S'il le peut empescher, offence autant que luy.

Car avec raison on ne me peut accuser d'avoir eté adherant à leurs mesfaitz et larcins, puis que la verité est que je n'ay oncques participé à iceulx, et ne l'eusse voulu faire, ayant mieux aimé humer le vent et me rassasier de la contemplation de ces maquignonnes de corps humains qui à chasque moment passent devant moy, allans querir de quoy occuper et mettre en besoigne les racommodeurs de bas, qui est aujourd'huy un des meilleurs mestiers qui soit dans Paris[260]: car, bien qu'il en soit en grande foison, si est-ce que voullans travailler, ilz trouvent de la besoigne suffisante pour combattre la paresse. Mais, pour continuer mon premier discours et vous narrer les beaux voyages que j'ay faict pendant mon absence de ce lieu, vous serez assurez que, me voyant contre tout droict et equité depossedé de mon siége par l'artifice de la Samaritaine et aultres nos ennemis, et nottamment par les ramasseurs de pièces par les boues, nos adversaires, sur ce qu'ils pretendent que souventes fois, en exerçant vos nobles charges, vous entreprenez sur leur trafficq, et ramassez comme eux toutes les pièces et hardes que trouvez par les rues, mesme aussi par les maistres escureurs de privés, qui disent que sans leur sceu et consentement vous allez ordinairement evacuer lesdits privez, prenans la marchandise provenante en iceux, que vendez cherement aux vendeurs de moustarde; sur lequel different ils disent y avoir desjà eu sentence à leur profit, portant permission de faire saisir et arrester entre vos mains la dite marchandise, et la bailler en garde et senteur à vos nez. Voyant telles menées et entreprises faictes contre nous et au prejudice des priviléges qui de tout temps, mesmes quinze cens ans auparavant la creation du monde, ont esté accordez à nostre societé, et desquels elle a tousjours jouy paisiblement ou contentieusement, j'aurois prins resolution, après les protestations par moy faictes et contenues en la complainte que j'ay dès lors baillée par escript, d'entreprendre quelque voyage lointain, encores que je fusse saisi d'un grand cathaire qui m'estoit descendu sur le talon gauche, dont le mal que voyez que j'ay encores à present aux genoulx a pris origine, et lequel cathaire estoit provenu de colère qui me causoit une hydropisie, pour laquelle appaiser il failloit qu'à chacun quart d'heure j'avalasse quatre demy-septiers de jus de raisins, à prendre laquelle medecine si souvent plusieurs damoiselles eussent eté bien empeschées. Donc, estant en tel equipage, et voyant qu'il ne m'estoit possible d'aller à pied, et moins à cheval, veu que l'un des secretaires du maistre des basses œuvres[261], qui m'en avoit promis un, me manqua, je m'advisay de me servir de mes aisles et voller où le vent me conduiroit; ce qu'ayant faict, et poussé d'un bon vent du derrière, le destin me favorisa tant qu'en moins de huict jours je me serois trouvé au royaume de Crocambruse, situé dix lieues trois quards et demye aulne au delà du bout du monde, pays fort fertil et abondant en orties, chardons et espines, sur lesquels croissent des fruicts admirables et fort rassasians. Me trouvant auquel pays, je fus fort estonné pour veoir l'estrange et sauvage façon des habitans d'icelluy, les moindres d'iceux ayans plus de deux cens pieds de mouches de hauteur, tous vestus de nudité, les femmes portant barbes comme les hommes, mais plus bas toutes fois, n'estans honteuses de les monstrer, et les lieux où elles croissent, comme font les femmes de par deçà, qui ne les monstrent qu'en cachette; mesme y en a plusieurs qui vueillent gaigner gros pour les communiquer, comme si c'estoit chose pretieuse. Neantmoings, je trouvay iceux habitans fort debonnaires et humains envers les estrangers: car, voyans que je n'entendois leur langage, et cognoissans à mes habits de quelle patrie je pouvois estre, me donnèrent pour truchement un jeune homme françois qu'ils disoient y avoir trois cens ans estre venu audit pays, lequel jeune homme, par sa bienvueillance et peine, m'enseigna et feist entrer en mon dur cerveau le langage d'icelluy pays; ayant laquelle science je fus plus joyeux que ne seroit un riche homme qui, sans y penser, trouveroit une espingle en son chemin: car le roy dudit pays, sur les recits à lui faicts de mes comportemens et beaux exploicts de dents, me voulut avoir pour estre le premier intendant de l'escumerie de ses pots, ayant lequel office je fus chery et honoré de tous ceux de sa cour, et principallement des lacquais et ratisseurs de navets, qui n'osoient tremper leur pain au pot sans ma permission. Mais, comme on dit en commun proverbe, Extrema gaudii luctus occupat, car quelqu'un desdits lacquais, auquel j'avois refusé l'entrée et l'approche du pot, trouva invention de me faire desmettre de ceste charge, sur le rapport qu'il feist au roy que j'estois de mauvaise vie et que j'avois esté banny de mon pays avec privation d'une honorable charge que j'y avois. Ce neantmoings le roy me voulust bailler un autre office, qui estoit d'estre premier vallet de pied d'un des commis du principal tournebroche de sa cuisine, ce que je refusay, obtemperant au desir qui me poignoit de revoir ma patrie, qui ne se peut jamais oublier, ainsi qu'il se peut cognoistre par les deux vers suivans du poëte Ovide:

Nescio qua natale solum dulcedine cunctos
Ducit et immemores non sinit esse sui.

Ayant donc tel desir, et considerant la dignité que j'obtenois en ce lieu, dont j'avois esté contre toute raison deprimé, me persuadant que la longueur du temps auroit faict appaiser la colère et animosité qu'icelle Samaritaine et autres noz ennemis avoient conceu contre moy, et ayant eu advis que tous les cabaretiers et taverniers soustenoient nostre party, à cause que prenez et acceptez plustost de leur marchandise que de toute autre, je pris resolution de m'en retourner par deçà; ayant faict la quelle entreprise et desjà faict une grande partie du chemin, quatre du nombre des Quinze-Vingtz me rencontrèrent, m'aians apperceu et recogneu de loing, les quelz disoient me cercher et avoir lettres à moy adressantes et escriptes de la part de la Samaritaine, qu'ilz me baillèrent, les quelles ne pouvant lire, un d'iceulx m'en fit lecture, par les quelles icelle Samaritaine s'accusoit de perfidie et recognoissoit mon innocence, me priant de venir reprendre ma place auprès et au dessus d'elle, m'exprimant les accidents à elle survenus depuis mon absence, et entre autres, comme l'eau de son puits avoit esté saisie, et arrestée fort longtemps au mois de janvier dernier, en sorte qu'elle n'en pouvoit tirer et avoir aucune goutte[262], lequel arrest elle estimoit avoir esté faict à ma requeste. Ayant entendu la lecture des quelles lettres, je fus saisi d'une telle allegresse que j'oubliay une botte d'allumettes que j'avois acheptée pour faire present à quelques uns par deçà pour procurer mon restablissement, et dès lors consenty main levée estre faicte à icelle Samaritaine de l'eaue de son puis, qui luy avoit esté arrestée; puis je feis en sorte qu'en peu de temps j'accomplis le voyage de mon retour en ceste ville, où estant, sur l'instante requeste d'icelle Samaritaine et protestations par elle faictes de ne me plus inquieter, je me suis reintegré en mon magnifique siége, n'ayant toutes fois voulu monter si hault que j'estois, afin d'eviter l'orage des vents et la peine de sonner les heures, qui m'estoit une grande charge et empesche de pouvoir dormir à mon aise, à cause qu'il falloit sonner aux heures precises; ayant choisi le lieu où je suis à present, qui est encores au dessus de la Samaritaine, mais bien plus proche d'elle que le premier où j'estois, laquelle, depuis que j'y suis, m'a monstré toute amitié, et confesse que la raison pour laquelle elle m'avoit faict deposseder n'a esté qu'à cause que j'estois trop loin d'elle: car les femmes desirent estre visitées de près, estant impossible de les contenter de loin; à la sollicitation de laquelle j'ay mis bas mes aisles en signe de paix, m'estant contenté de prendre pour toutes armes la bouteille que je tiens entre mes mains, sçachant bien que chacun de vous est ordinairement armé d'un verre garny du breuvage qui vous fortifie le corps et la voix pour porter et crier vos charges, des quelles estant despetrez, tant vous estes ennemis de paresse, et pour ne demeurer inutils, vous prenez une charge de vin, qui vous semble plus facille que celle de cottraicts; de quoy je vous loue, croyant que les taverniers et cabaretiers en font de mesme, vous enjoignant de continuer en si bon exercice, et vous asseurer qu'envers tous vos ennemis je seray d'icy à quinze cens ans, comme je suis à present,

Messieurs et confrères,
Vostre très-asseuré protecteur et defenseur,
Jacquemart Humevent[263].

Les plaisantes Ephemerides et pronostications très certaines pour six années.

A Sifla, par Jean Beguin.

1619. In-8.

AUX LECTEURS.

Les amys, je vous ay escrit dernierement par l'ordinaire du monde où je suis à presant. Je vous donnay advis en partie de ce qui se passoit de deçà; mais, n'ayant receu aucune de voz nouvelles, et craignant, par rencontre, quelques sinistres esprits de contradiction qui vont errant par les chemins effroyables d'entre vous et cest autre monde où je reside, j'ay depesché ce courrier d'Eolle, lequel m'a promis, moyennant salaire, d'aller aussi vite qu'une barque de sel qui monte de Marseille à Lyon, qui me fait à croire que, moyennant ces diligences, vous recevrez aussi promptement ces miennes Ephemerides, autant plaines de verité comme je suis plain d'affection de vous rendre service et plaisir, tant en ce monde qu'en l'autre; et si je recognois que vous y preniez plaisir, je continueray à vous faire part de tout ce qui se passera de deçà, protestant que je ne desire autre que d'estre pour jamais vostre plus affectionné,

Ramonneau.

Après quelques jours que j'eu demeuré en l'autre monde, je fus prié d'une deesse celeste d'aler faire le promenoir des douze maisons où les douze signes prennent lougis les uns après les autres; mais, avant qu'aller en ces quartiers, qui sont dangereux, quelque bon genie me conseilla de prendre de l'essence du mercure bien broyée avec l'huyle de Tipetoto, et le tout destrempé avec du nectar et de l'ambrosie, et m'en froter toutes les extremité des parties de mon corps, de peur de courir la risque de Phaeton et d'Icare; ce que je fis, et ay faict un voyage autant admirable que vous sauriez dire, et avec autant de contentement que jamais j'aye receu tant en ce monde qu'en l'autre: car je sçay tout ce qui peut advenir durant six années, ayant eu l'heur de voir œil à œil tous les signes celestes, et de sçavoir au vray ce qui doit arriver durant six revolutions, qui me fait à croire que ceux qui vous font entendre par la voye de certaine astrolabe, sphère, globes et mapondes, qui ont en voz quartiers des predictions frivolles, et cependant ne sçavent eviter ce qui leur advient, sont gens plus plein de mensonge que de verité, et plus enclins à leurs proffits que non pas au vostre; de sorte qu'il faut dire avec l'Italien: Non te fida é ne sara inganato.

Sçachez doncques que durant six années consecutive sera plus d'eclipses de bourses que non pas de lune, dont plusieurs pauvres gens seront dolents d'estre frustrés du nombre d'or. La conjonction de Jupiter avec Venus durant l'année presante, 1619, promet une certaine pluye d'or amenée dans les nues du costé du Peru, qui doit tumber aux bources de quelques cupides avaritieux, lesquels souffriront les peynes que justement ils auront merité, et cognoistront à la fin que chacun doit demeurer en paix: Et que ben sta non si mova.

Venus, en la huictiesme, la pluspart du printemps promet qu'une bonne partie des femmes et filles joueront plustot à l'homme[264] qu'au vingt-quatre; aussi les bastellières donneront plus de coups de cul et remuement de fesses pour un liard que les courtisannes de Paris ne feroyent pour dix escus: Rencontro di dona, captiva fortuna.

La temperature des saisons et temps, durant ces six années, sera si bonne et propre pour les biens de la terre, que nous aurons grandes abondances de bleds, vins, fruicts, legumes et bestail, et generalement de tout ce qui est pour la nourriture de l'homme, en manière que toutes sortes de vivres seront à un grand marché, speciallement par la France. Plusieurs usuriers se mettront au desespoir à l'occasion de l'abondance; mais je voudroy qu'ils fussent desjà tutti impicata.

Durant ces six années, les hopitaux et corps de gardes, et plusieurs autres endroits, seront remplis des bestes fauves, noires, rousses et blanches, et sera permis d'y chasser sans reproche. La marchandize des millorts et maistres aux basses œuvres sera en rebut et n'aura point de debitte, de sorte qu'ils seront contraints la porter de nuict et la getter en la rivière. Il est chose asseurée que plusieurs chambrières aymeront beaucoup plus leurs maistres que leurs maistresses, et auront plus de desirs de leur rendre courtoisie, attendu que leurs maistresses sont trop difficilles à servir. Aussi elles auront du proffit et augmentation de gaige pour devenir de chambrière nourrice. Plusieurs sortes de gens, durant ces six années, sont menacez d'estre engraissés de l'huylle de coteret, comme les maquereaux, larrons, coupeurs de bource, gens faineant, valets et laquais qui ne veullent servir leurs maistres. Les hostesses qui mettent d'eau au vin, vendent de vin bas et sophistiqué et qui ne veulent faire credit au bon compagnon, sont menassez d'estre attaintes de la plus fine et reslevée verolle que jamais fut dedans Rouen. Qu'elles y prennent garde,

La dona ben rencontrada
Ne manchera la bona strada.

Aussi courra plusieurs maladies dangereuses qui ataindront quelques personnes qui s'en treuveront grandement offencé, comme fiebvres lunatiques et fantastiques, indispositions de cerveaux, brouillement et embarrassement d'esprit, conversation imaginaire, demangement de col; mais, pour tous remèdes, faudra que maistre Jean Rozeau[265], ou bien le petit Pennache, fassent les opperations requises, et s'en trouveront sy bien les patiens que jamais ne s'en ressentiront: Che cherche mal anno à lo suo danno.

Plusieurs grands dignitez et estats seront suspendus durant ces années, speciallement l'estat des moutardiers, qui ne s'exercera qu'à quatre moys, à l'occasion de l'arrest obtenu par maistre Mitton contre eux, pour raison de ce que la moustarde l'avoit prins par le nez, et luy avoit fait decroistre son petit bout andouliq[266]. Aussi, durant ces six années, sera grand guerre entre les Topinamboux[267], Ameriquains et Indiens, en manière que leurs boccans[268] seront ordinairement remply de gariffelles[269] de chair humaine. Dieu gard la lune des loupz[270]! Les Suysses aymeront beaucoup mieux leurs brayettes que leurs pennaches, et auront raison, car vive de conserver le germe dont provient l'humanité! Plusieurs seront ambitieux des dignitez ou benefices, mais c'est la coustume du monde; et pour bien voir au vray le theatre d'icelluy, faut voir jouer au ballon: l'un pousse d'un lieu ceste pelotte de vent, l'autre de l'autre, les uns se batte, les autres tumbe, les autres courre, et, après avoir bien pené, couru, tempesté et se tourmenté, demande leurs qu'il ont faict, ils vous diront: Averno fa corsa congli vento.

Parquoy, Messieurs mes meilleurs amys, ne vous penez voz esprits pour les affaires du monde; rejouissez-vous, je vous supplie de le faire; beuvez tousjours au plus matin et du meilleur; ayez tousjours ce regime d'estre joyeux; tenez-vous les pieds bien sec et la bouche souvent arrousée: vous en vivrés davantage,

A la matino gli bono vino,
Remedo contra tutti venino.

Aussi j'ay à vous dire que, durant ces six saisons, il n'y aura point de nouvelles lunes: car il y a plus de cinq mille ans que la lune est faicte. Doncques vous estes asseurez qu'il n'y en aura point d'autre, et qu'elle se porte bien, comme je vy dernierement, et durera encore beaucoup. Il y aura par toute la France, Dauphiné, Provence et Savoye, beaucoup plus de pierres que non pas des pistolles d'Espaigne, et plusieurs qui ne sont pas comme les bannis d'Italie[271] voudroyent bien estre empistolez; plusieurs auront beaucoup de lardons[272], ne fut-il que les coqs dainde; plusieurs friants seront plus amateurs des perdrix que non pas ceux de Genève de la messe; les turbans auront plus de vente à Constantinople qu'à Venise; l'horloge de Fribourg frapera les heures comme de coustume; les lamproys avec la sausse douce courent fortune d'estre conduits et menez dans des petits barils en Allemaigne; les chevaux de relaiz porteront plus des asnes que des muletz; les maquereaux monteront sur les landiers et seront mangez des filz de putain; les allumettes feront beaucoup de service à ceux qui se lèvent de matin; de long-temps ne se verra des crocodilz du long de la rivière de Loyre; au moys d'avril se treuvera plus de maquereaux au marché que non pas de baleyne; aussi durant ces saisons, on ouyra chanter plus des cocus que des cignes. Si le courrier ne me pressoit de faire fin, je vous escriroy davantage, et vous asseure que si les vertugalins des damoiselles sçavoyent parler, il vous appresteroyent plus à rire qu'à manger. A ce carneval je vous manderay un petit volume composé par moy et Jean Beguin[273], car nous sommes grand cambrade[274] et beuvons souvent ensemble. En attendant, State alegroment, non vo manchera fastidia.

Epitaphe du petit chien Lycophagos, par Courtault, son conculinaire et successeur en charge d'office, à toutes les legions des chiens academiques, par Vincent Denis, Perigordien.

Arrière, pleureux Heraclite!
Nous ne pleurons pas comme vous;
Nos pleurs sont ris de Democrite,
Car pleurer, c'est rire, chez nous.

A Paris, chez Jean Libert, demeurant rue Saint-Jean-de-Latran.

1613. In-8.

LE LIVRE AU LECTEUR.

Les censeurs qui seront marris
De nostre joye et de nos ris,
Et qui ne daigneront me lire,
Ne sont pas hommes de raison:
Car par tout, en toute saison,
Le propre de l'homme est de rire.
In tenui labor at tenuis non gloria.
La peine en est chose petite,
Mais l'honneur d'assez grand merite.


ADVERTISSEMENT ET SALUT AU LECTEUR.

Amy lecteur, l'assoupissement lethargique qui avoit saisi les hypocondres de Courtault et sembloit rendre presque inexplicable la douleur qu'il avoit conceue sur la mort de Lyco-phagos, son conculinaire, ayant à la parfin ouvert les catadoupes de son cerveau et donné passage à toutes les cataractes de ses yeulx, leur a faict debonder un cataclysme de larmes sur le funeste reliquat de sa desolation. C'est pourquoy il ne se faut pas estonner si ses periodes ne sont triées, comme l'on dict, sur le volet; si ses pointes sont grossierement sujettes, le passe-poil de sa subtilité villageoisement appliqué, ses dispositions mal flanquées, ses epiphonèmes entrecoupées, ses inventions decousues, et la tissure de son style ineptement cadencée: car l'estourdissement d'un coup tant inopiné lui a faict perdre sa tramontane. Si que, pour des antonomasies d'eloquence, il n'a peu rien produire que des pleonasmes de regrets, metathèses de confusion et hyperbates de tristesse, ainsi que le discours suivant le t'apprendra, si tu daignes y adjouter le jugement de ton optique et ouvrir les ressorts de ton oreille.

Adieu.


Epitaphe du chien du Gascon sur la mort de Lyco-phagos.

Helas! qu'est devenu mon maistre?
Est-il vray que Lyco-phagos
Soit attrapé par Atropos,
Ou qu'elle l'aye occis en traistre?

Je croy que cela ne peut estre,
Ains pense que, pour son repos,
Ou pour compliment de son los,
Au ciel les dieux l'ont voulu mettre.

Ne craignez plus, ô moissonneurs!
Les insupportables chaleurs
Dont vostre sein en esté brusle:

Mange-loup, au ciel transporté,
Moderant les chaleurs d'esté,
Doit temperer la canicule.


Complainte de Courtault sur la mort de Lyco-phagos, rotisseur du collége de Reims, son conculinaire[275].

Cy gist soubs ceste motte verte,
Le dos au vent, le ventre à l'erte[276],
Mon collègue Lyco-phagos,
Que la mort a troussé en crouppe[277]
Pour avoir trop mangé de souppe
Et trop avallé de gigos.

Lyco-phagos, la pauvre beste,
Qui faisoit sa petite queste
Dedans le collége de Reims[278],
Pour renforcer, chose equitable,
Du seul reliquat de la table
Ses muscles, ses nerfz et ses reins.

Lyco-phagos, autant habile
Que chien qui fust en ceste ville
A chasser aux rats, aux souris;
Lyco-phagos, par privilége
Roy des animaux du collége
Et doyen des chiens de Paris.

Lyco-phagos, galant et leste;
Lyco-phagos, grave et modeste
Autant qu'on sauroit souhaitter,
Soit qu'il tînt à mon maistre escorte,
Soit qu'il conduisît à la porte
Ceux qui le venoient visiter.

Lyco-phagos, qui souloit estre
Le contentement de son maistre;
Lyco-phagos, sage et discret,
Lorsque d'une mine friande,
Pour mieux attraper la viande,
Il luy descouvroit son secret.

Ou, quand pour plaire à tout le monde,
Il faisoit à table la ronde,
Comme un maistre de regiment,
Puis, d'une trogne politique,
Mettoit sa science en pratique
Pour soigner à son aliment.

Que si mon maistre en compagnie
N'avoit pas de soin de sa vie,
Discretement il le frappoit,
Et de sa patte le bon drolle
Sçavoit si bien jouer son rolle,
Que quelque chose il attrapoit.

Non qu'il ait faict par imprudence
A table quelque irreverence;
Mais c'est qu'il charmoit tellement
Ceux qu'il regrattoit par derrière,
Qu'il falloit en quelque manière
Recognoistre son gratement.

Qui n'admireroit son adresse,
Son artifice et sa finesse?
Quand son maistre vouloit sortir,
Soit tout seul, soit en compagnie,
Il couroit à la galerie
Jusqu'à tant qu'il falloit partir.

Là tousjours il l'alloit attendre
A l'instant qu'il luy voyoit prendre
Sa grande robbe ou son manteau,
Et sembloit né pour tousjours suivre
Celuy qui luy donnoit à vivre,
Tant par terre que par batteau.

Or, suivant mon maistre à la ville
D'une façon plus que civile,
Vous eussiez dit d'un estaphier
Ou d'un chien de sommellerie,
Nourry tout le long de sa vie
Dans la cuisine de Coueffier[279],

Chien d'admirable prevoyance,
Autant que chien qui fut en France,
Voire plus qu'on ne peut penser,
Lors qu'au milieu de quatre rues
Il choisissoit les advenues
Où son maistre devoit passer.

En ville, il alloit à gambette[280];
Aux champs, il sautoit sur l'herbette
Pour les taupes escarmoucher,
Et puis, leur denonçant la guerre,
Il fouilloit si profond à terre
Qu'il sembloit y vouloir coucher.

Il eut jadis pour son manége
La cuisine de ce collége,
Où dans une roue de bois,
Tantost à bonds, puis à courbette,
On a veu ceste pauvre beste,
Comme moy, tourner mille fois.

Ores, proche de la marmite,
Faisant la bonne chatemite,
Sur la viande il meditoit;
Puis, soignant à son advantage,
Il suivoit de près le potage
Quand le serviteur le portoit.

Ores, de sa petite patte
Grattant et regrattant la natte
Quand il fleuroit la venaison,
Il monstroit par experience
Les beaux effets de sa science
Par tous les coings de la maison.

Quelle joye à toy, Trois-Oreilles[281],
D'ouyr les douleurs nompareilles
Que je resens de ceste mort!
Desormais repose à ton aise
Entre le tison et la braise,
Puisque Lyco-phagos est mort.

Lyco-phagos, ton adversaire,
Ne te sçauroit aucun mal faire,
Comme il faisoit auparavant,
Lors que, sautant sur ta croupière,
Il t'attaquoit par le derrière,
Ou t'assailloit sur le devant.

O! qu'il serait plus desirable
Que la mort eust froissé ton rable,
Ou que la cruelle Atropos
T'eust occis pour te mettre en paste,
Que d'avoir esté tant ingratte
A mon pauvre Lyco-phagos!

Lyco-phagos, chien de police,
Chien expert en toute malice,
Chien exempt de tout larrecin,
Qui ne fist aucune entreprise,
Sinon sur quelque patte grise
Ou sur le pied d'un medecin.

Encor c'estoit par adventure;
Lors que sa pesante nature
Le rendoit un peu moins courtois:
Faute legère et pardonnable!
Car l'homme qui est raisonnable
Se courrouce bien quelquefois.

Toutefois, pour estre sevère,
Il en porta la folle enchère,
Cruauté contre un pauvre chien!
Lors que d'une vieille rapière
On lui donna dans la visière,
Croyant qu'il n'y verroit plus rien.

Hé! quand je vis par malencontre
Le desastre de ce rencontre
Où Lyco-phagos fut blessé:
C'est, dy-je à l'instant, un augure
Qui presage sa mort future
Devant qu'octobre soit passé.

Ce malheur me rendit prophète,
Car, suivant mon maistre une feste,
Alors qu'il alloit au festin,
Il reçut son dernier supplice
Chez le curé de Sainct-Sulpice
Par un inopiné destin.

Qui le croira? par jalousie
Lyco-phagos, qui dans sa vie
Eut le cœur noblement placé,
Mist tant de potage en son ventre,
Et farcit tellement son centre,
Que la mort l'a mis in pace.

Mort cruelle et insuportable,
De l'avoir surpris à la table
Pour l'estrangler sur la minuit!
Mort impitoyable et farouche!
Ainsy faut-il que je t'abbouche,
Tant ceste trahison me nuit.

Tu fais voir par ce canicide
Que tu es bien traistre et perfide,
Sans reverence et sans amour,
Quand par des actions funèbres
Ton delict cherche les tenèbres,
Fuyant la lumiere du jour.

Tu le prens à minuict en traistre,
Couché soubs le lict de son maistre,
Luy livrant les derniers assauts.
Il tesmoigne ta perfidie,
Au milieu de sa maladie,
Par mille bons et mille sauts.

Il monte, remonte et devalle,
Vient et revient parmy la salle,
Pour chercher quelque allegement;
Et lorsque le mal le travaille,
Ne pouvant vuider sa tripaille,
Il meurt saoul comme un Allemand.

Helas! quelle perte et quel dommage!
Pour avoir mangé du potage,
Faut-il que Mange-loup soit mort!
Mange-loup, mon conculinaire,
Mon contentement ordinaire,
Mon passe-temps, mon reconfort!

Mange loup, chien academiste[282],
Chien assez savant alchimiste,
Soit qu'il soufflast près du brasier,
Le nez plat comme une punaise,
Ou reniflast contre la braise
Le ventre enflé comme un cuvier.

Pauvre Courtault, toute esperance
Est morte pour toy dans la France,
Puis, helas! que Lyco-phagos,
Autheur de ta bonne adventure,
Sert fatalement de pasture
Aux taupes et aux escargots.

Tu succèdes à son office,
Mais c'est un petit benefice
Au prix du mal que tu ressens,
Ayant perdu (regret extresme!)
La vraye image de toy-mesme
Et l'unique objet de tes sens.

Encor si la sœur filandière
L'eust ravy d'une autre manière,
On supporteroit sa rigueur;
Mais, ô crève-cœur! quand je pense
Qu'elle l'a trahy par la panse,
Cela me faict fendre le cueur.

Falloit-il que, sur ta vieillesse,
Cette maudite piperesse,
Mange-loup, triomphast de toy!
Mange-loup, pour ta reverence,
Digne de quelque recompense
Au coing de la table du roy.

Lyco-phagos, je te proteste
Que pour un acte si funeste
J'abboyeray incessamment
Jusqu'à tant que le chien Cerbère
Punisse la Parque sevère
Qui t'a trompé si laschement.

Que si mon dueil ne le convie
A venger l'honneur de ta vie,
Pour lors, justement irrité,
Je mettray en fougue et colère,
A rencontre de ce faux frère,
Les chiens de l'université.

J'en feray moy-mesme justice,
Et sans crainte d'aucun supplice
Je descendray dans Phlegeton,
Où, près de l'infernale forge,
Je l'estrangleray par la gorge
A la presence de Pluton.

Mes discours ne sont point sornettes,
Car je porte au col des sonettes
Pour faire entendre ma douleur,
Et publie, faisant ma ronde
Par tous les carrefours du monde,
Les effects d'un si grand malheur.

C'est donc à toy, race canine,
Que mon corival[283] de cuisine
A recours pour estre vangé!
A toy maintenant je desdie
Les sanglots de ceste elegie,
Pour estre en mes pleurs soulagé.

Et, fuyant toute ingratitude,
En qualité de chien d'estude,
J'ay ces carmes[284] elabouré,
Où tu verras la galantise,
Les mœurs, la mort, la mignardise
De mon camarade enterré.

Adieu te dis, mon camerade;
J'ay peur de devenir malade
En pleurant ton enterrement.
Adieu, mon compagnon d'eschole;
Que pour le dernier coup j'accole
Le dehors de ton monument.

Et, si les chiens ont souvenance
De ceux qui ont leur ressemblance,
Je te conjure vivement
D'avoir Courtault en ton idée:
Car je suis l'image empruntée
De ton naturel ornement.

Que si la sterile nature
M'a formé d'une autre figure
Que tu n'estois, Lyco-phagos,
Pour le moins j'ay le mesme office
Et, servant en mesme police,
Porte un mesme faix, sur mon dos.

Et qui pis est, cas lamentable!
Pour me rendre à toy plus semblable,
Bien que ce fust contre mon gré,
A cause de mes demerites,
Me rendant leger de deux pites,
Après ta mort on m'a hongré.

Je suis courtault à toute outrance,
Si courtault jamais fut en France;
Mais ce qui me met en courroux,
C'est que ma nature infertile
Faict qu'on me prent souvent en ville
Pour un chien de Toupinambou[285].

Mange-loup, donc, je te conjure,
Par les supplices que j'endure,
De te souvenir de mes maux,
Croyant que, si cela peut estre,
Je me dois dire, sous mon maistre,
Le plus heureux des animaux.

Je conjure aussi ta puissance
De faire aux serviteurs deffence
De jamais ne me tourmenter
Par menace ou par bastonnades,
Quand je viens de mes promenades,
Car je ne puis les supporter.

Ainsi puissent près de ta fosse
Abboyer les mastins d'Escosse[286]
Qui sont dans l'Université,
Sans rompre desormais ta teste
Par leur abboyante tempeste
Dans la ville ou dans la cité!

Ainsi puissent sur ceste terre
Japper les dogues d'Angleterre,
Accompagnez des chiens d'Artois[287],
Pleurant sans cesse et sans mesure,
Sur le bord de ta sepulture,
La mort d'un petit chien françois!

Fin.


Regret de Picard sur la mort de Lycophagos.

Pleurez largement, à ce coup,
La mort du petit Mange-loup,
Broches, chenets et lesches-frites:
Car de revoir Lyco-phagos
Tourner le rost près des fagos,
Les esperances en sont frittes.

Par un detestable moyen,
La roue perd son citoyen,
Le collége son commissaire;
Mon maistre perd son precurseur,
La cuisine son rotisseur,
Et Courtault son conculinaire.

Tant de malheurs en un monceau
Me font detester le morceau
Qui mist Mange-loup hors du monde;
Et, pour la douleur que je sens
En chaque endroit de mes cinq sens,
Peu s'en faut qu'en pleurs je ne fonde.

Si que, redoublant mes ennuits,
Tous les jours et toutes les nuicts
Je vay martelant ma poictrine,
Et prie pour luy Lucifer
Que, s'il doit servir en enfer,
Il ne serve qu'à Proserpine.

La grande cruauté et tirannie exercée par Mustapha, nouvellement empereur de Turquie, à l'endroit des ambassadeurs chrestiens, tant de France, d'Espaigne et d'Angleterre.

Ensemble tout ce qui s'est passé au tourment par luy exercé à l'endroit de son nepveu, luy ayant fait crever les yeux.

A Paris, chez la veufve du Carroy, demeurant en la rue Saint-Jean-de-Beauvais, au Cadran.

M.DC.XVIII.

Avec permission. In-8.

Chrestiens, lesquels ressentez l'honneur d'où la foy vous oblige et convie en ce present siècle, lequel nous fait voir une chose digne de revanche et du tout contraire à Dieu et à la chrestienté par l'ignominie et mauvaise malversation de ce perfide Mustapha, nouveau empereur des Turcs[288] ce persecuteur des chrestiens et d'amis de Dieu, lequel nous fait ce jourd'huy voir une infinité de persecutions par l'entreprise mal'heureuse et abominable de ces miserables Turcs, ennemis de nostre eglise chrestienne, plutost enclins à servir le diable que Dieu, lesquels nous monstrent en ceste presente année mil six cens dix-huict une chose digne de remarque, car ces perfides ont osé s'attaquer au plus grand de la chrestienté, et leur faire des opprobres dignes de revanche et capables de la haine de tout cest univers: car, après la mort de Hachmet, premier du nom, dix-huictiesme empereur des Turcs, ayant regné douze ans en son empire, et decedé le quinziesme novembre dernier, laquelle mort a apporté une grande perte et très grande perte digne de memoire à la chrestienté; car ce grand visir, lequel a toutes les affaires de ce grand empire, ayant proclamé le frère du dit Achmet en ceste monarchie, et ayant delaissé les enfans du deffunct, pourra bien avoir pour sa recompence une espée pour luy trencher la teste; car les bachas, lesquels estoient à la mort du deffunct Achmet, avoient entendu les supplications du deffunct, suppliant son frère pour ses enfans; lequel empereur d'Orient, au lieu de les cherir, a faict crever les deux yeux à son nepveu, fils aisné du dict deffunct Achmet[289], et puis après jetta sa furie sur les chrestiens lesquels estoient alors en embassades dans Constantinople, et commanda qu'on les chassast hors de ses terres[290]; mais, par le conseil miserable de ce perfide empereur, conseil du tout contraire à Dieu et à son eglise, trouva bon d'en faire mourir une partie, tellement qu'aucuns disent que la maison de l'ambassadeur de France a esté pillée, et luy s'est sauvé par industrie; mais, pour le fait des autres chrestiens, tant Espagnols, Italiens et autres nations, ont esté empanez et mis à mort avec leurs domestiques et grands nombres de chrestiens, se montans le nombre à plus de trois milles.

O perfide et miserable payen! ne crains-tu pas les forces des chrestiens? Ne te souvient-il plus de la prophetie que tu dois mourir de la main du François[291]? Ne crains-tu pas que ce grand roy de France te monstre sa force et sa valeur, qui seul te peut lier et te rendre esclave et miserable, te desmolir tes forces, avec l'aide de ses alliez? Ne te souvient-il plus de ce grand duc de Mercœur[292], vray imitateur de ces ancestres lorrains, lequel t'a tenu en sa cordelle, qui sans sa mort te tenoit esclave, et aussi ce brave et genereux prince le duc de Nevers et de Cléves[293], et ce vaillant prince de Jainville[294], qui, d'une pieté chrestienne et d'un courage martial, ont planté des escadrons au milieu de tes terres, et, comme princes très genereux, se sont monstrés vaillans et se sont mis en teste de leurs armées pour deffendre la foy chrestienne? Tu trouveras maintenant des princes plus dignes de ton empire que toy, lesquels te feront paroistre que ton conseil infame et desreiglé est du tout contraire aux commandemens de Dieu.

Si les chrestiens estoient vrayement chrestiens, et s'ils avoient en leurs cœurs leur foy vivement emprainte dans le corps et dans l'ame, ils devroient maintenant monstrer leur force et leur courage, ce pendant que le Turc nouvellement proclamé leur donne bon subject de le desplacer de son empire, et que le Persan mesme leur tient la main, et leur convie de faire voir partout cest univers la vraye Eglise plantée, pour à celle fin que Dieu soit loué et glorifié à jamais. Dieu leur en face la grace!

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